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Copyright 2021 Dominique Tronc

Notes Anatomie

CHRONOLOGIE DE MYSTIQUES ET ASSOCIÉ










CHRONOLOGIE MYSTIQUE





Des origines à nos jours





Florilège établi par Dominique Tronc
























Présentation

Je propose une approche globale de témoignages « mystiques ». Elle rassemble des textes provenant de cultures diverses dans le temps et dans l’espace. Elle souligne l’universalité d’une vie intérieure unique proposée à tous lorsqu’ils accèdent aux fondamentaux de leur Source commune ; un « océan de textes » est accessible de nos jours grâce au réseau de communication mondiale devenu l’outil d’une noosphère. Il offre une même intelligence des vécus.

Un accord finalement large entre spécialistes quant aux figures mystiques propres à diverses traditions témoigne de l’unicité du fond. Les variations d’origines culturelles et religieuses ne voilent pas le vécu mystique pour ceux qui y ont été rendus sensibles une fois. Et l’unité sous-jacente n’enlève rien à chaque Tradition. Elle les conforte, alors même que certaines structures religieuses soulignent des différences pour tenter de maintenir des frontières évanescentes.

Un inventaire est présenté de manière originale ici pour la première fois, d’une façon qui peut apparaître provocatrice par sa diversité : une longue « page » déroulée chronologiquement. Le lecteur fera son choix dans ce florilège mystique. Il choisira et appréciera des textes de ses auteurs, du moins de quelques-uns. Il est inutile de les présenter en détail puisqu’il suffit de consulter immédiatement une encyclopédie en ligne telle que Wikipedia. Nous nous plaçons donc à l’opposé de dictionnaires biographiques sans citations. Un nom, un beau dit ou un seul extrait qui parle au cœur, et cela suffit à justifier ce travail. Un libre choix de noms constitue le fil d’Ariane nécessaire et suffisant de nos jours d’information surabondante. Nous ne retenons ici que des mystiques accomplis, sans considération des influences qu’ils exercèrent socialement ou religieusement.

§

Cette séquence s’inscrit comme l’une des Histoires globales qui rassemblent traditions et cultures comme composantes d’une unique évolution humaine. Dans quelques domaines j’ai apprécié de belles synthèses 1. Certaines sont conscientes d’une relativité de la notion même du temps au bénéfice de l’unité de leur sujet. Ici cette unité souligne l’intemporalité de l’expérience mystique.

Les liens électroniques instantanés soulignent aujourd’hui l’écart matériel croissant entre riches et pauvres, entre puissants et faibles, et les contradictions entre « systèmes » imperméables à la critique interne de par leur nature suggestionnaire plutôt que raisonnable. La résolution pacifique de ces contradictions dépend d’une possibilité d’ouverture à tous les rameaux de la gerbe humaine. Peut-on y contribuer sans exacerber les sensibilités ? Et sans tenter une « synthèse » qui se placerait indûment au-dessus de ces témoignages.

Il existait dans les cultures anciennes des formes littéraires laissant peu de place aux idées directement exprimées et délivrées ainsi de toute généralisation indue : choix de paraboles ou d’apologues, constituant des « colliers » aux pierres choisies qui traduisent la sensibilité de l’artisan joaillier. Notre culture d’Occident met en avant l’inventivité individuelle et « les idées », mais ces formes sont bien adaptées au vécu intérieur. Les perles seront ici des auteurs ou des œuvres. Elles sont enfilées en un collier selon l’ordre chronologique présumé.

Pour les auteurs célèbres, nous pouvons en rester au goût donné par quelques brèves citations en renvoyant à des éditions facilement accessibles. La lecture et relecture de certaines œuvres entières s’impose : c’est par exemple le cas du corpus réduit qui nous est parvenu de Jean de la Croix. Pour de nombreux mystiques difficilement accessibles, notre choix sera plus substantiel. Nous renverrons souvent à des extraits préparés à partir d’éditions originales ou de traductions érudites.

J’indique pour chaque auteur cité des sources en me limitant à des ouvrages personnellement consultés et en tâchant d’associer une édition de référence à une édition facilement accessible. Les extraits de ces sources sont souvent brefs, condition requise pour que le « rouleau textuel » ne soit pas désespérément long. J’alterne citation nue et notice plus longue, selon les entrées. Certaines seront très amples pour des figures aux grandes influences : Gazali, Ruusbroec…

Présentation chronologique

Si la mystique est une et intemporelle, ses formes d’expression humaine restent liées à un modèle lentement évolutif au cours du déroulement d’une culture. On observe des regroupements par grandes périodes qui voient telle culture prédominer par le nombre des entrées : en Occident, ces « vagues » couvrent successivement l’Antiquité, puis les terres de très anciennes civilisations recouvertes par l’Islam, enfin les terres d’une Europe naissante défrichée et convertie au christianisme (en orient la situation est moins claire : foyer antique indien dont la réforme bouddhique se propage en Chine fusionnant avec ses traditions propres avant d’atteindre le sauvage Tibet et le lointain Japon?). Plus précisément daté : l’abondance des mystiques en terres d’Islam entre le neuvième siècle et le douzième siècle précède celle en terres chrétiennes à partir du treizième jusqu’au dix-septième siècle. Cette dernière vague au fil de ses épanouissements  voit se succéder pays flamand et rhénan, Italie, Espagne, enfin la France particulièrement riche d’un « Grand siècle » que nous favoriserons.

L’ordre chronologique des textes, même s’il est parfois délicat à établir 2, présente les avantages suivants :

– Il évite les confrontations alors que les présentations mettant en avant des structures culturelles et des traditions religieuses peuvent facilement y glisser.

– Il tient compte des influences possibles au sein d’une culture sur un auteur en situant ce dernier parmi ses pairs, entre aînés proches et cadets. Des filiations par rencontre directes entre figures apparaissent ainsi possibles ou non.

– Un auteur ou une œuvre se retrouve aisément parce que son époque est généralement connue approximativement, ce qui évite de parcourir trop d’entrées du « grand défilé de l’évolution » culturelle.

– Le lecteur sera « réveillé » par des voisinages inattendus. Ainsi l’entrée pour Rûmi (-1273) est suivie de celle pour le Zohar (~1280) compilé par un Moïse de Leon contemporain de la seconde béguine Hadewijch (~1280). De même, plus tard, le très catholique monsieur de Bernières (-1659) est contemporain du fort libre sufi indien Sarmad (-1661).

– Le choix de privilégier des auteurs et quelques œuvres détache des trésors mystiques d’une gangue religieuse. Je partage une hiérarchie de valeur situant la mystique en premier. Elle et clairement exprimée par al-Ghazali (-1111) puis par Bergson (1941) 3

– Enfin une telle approche hors contrainte autre que la chronologie nous facilite l’inclusion de figures « exotiques » sans en avoir la légitimité érudite et linguistique requise.

Choix large

Les couleurs portées par les figures sont quelque peu bizarres, ouvrant l’accès à des poètes, à quelques « témoins » d’instants mystiques ou à des « avocats » défenseurs dans les temps plus récents lorsque la caution religieuse disparaît.

Il sera facile pour le lecteur d’orienter son regard dans la direction qui lui convient sur le vaste paysage que je propose. Les figures retenues sont toujours celles de « témoins » même s’il ne s’agit parfois que d’un contact ou « instant » vécu. On demeure donc dans le cercle expérimenté, évitant les nombreux penseurs au service d’une Cause. Enfin l’importance d’une entrée n’est pas proportionnée à sa taille.

On ne peut guère compenser une sous-représentation propre aux littératures commentariales « sans auteur signé » typiques des traditions de l’Extrême-Orient. Nous y avons pallié par l’introduction de quelques « textes fédérateurs » qui ont inspiré des générations de méditants dont des mystiques (le cas est particulièrement net dans le cas de la tradition bouddhique dont les sûtras sans auteur connu n’ont souvent survécu que sous forme d’adaptations par des traducteurs aux prises avec une grande diversité de sources et de langues, du sanscrit au chinois).

On note une apparente « absence » propre à l’époque la plus récente. Elle apparaît d’un relevé statistique effectué sur nos entrées. Mais comment élargir des œillères ? Il faut apprécier la disparition d’une langue mystique commune, la cause première de cette absence parmi les chrétiens affirmés, puis plus tard tenir compte de la non-perception de la nature mystique d’un vécu par son bénéficiaire (l’« ingénierie » psychologisante de l’âme y contribue aujourd’hui comme anciennement celle de l’absence d’une affiliation religieuse a pu faire disparaître toute trace).

Après un étoilement demeure le vécu mystique

À partir de 1700 environ se produit une sortie des cadres traditionnels : un « étoilement ». Certes le mystique n’a pas besoin d’adhérer à une orthodoxie, mais son œuvre ne survit que très exceptionnellement si elle n’est portée par un corps intermédiaire, par exemple religieux 4. Notre époque connaît de multiples chocs contribuant à cet étoilement : l’irruption des sciences soumet au contrôle expérimental et à la raison ; la rencontre sur un pied d’égalité entre civilisations ; le changement des cadres de représentation écarte toute synthèse collective typique d’un « âge classique ».

L’homme perd des repères, car la rencontre des modèles culturels lentement bâtis autour de croyances ancestrales les relativise. Pourtant le vécu mystique n’enlève rien à chaque Tradition : il la fonde.

Que proposer à la génération montante ? Avant elle beaucoup connaissaient des Écritures sacrées, certains fréquentaient les principaux auteurs mystiques reconnus, tels Jean de la Croix. Les nouveaux chercheurs se confrontent à l’immense richesse d’un réseau sans repères. D’où la nécessité de proposer un choix sous forme d’entrées choisies.

Ouvrons le vécu mystique sans croyance associée ni soutien autre que celui des compagnons de route. Le vécu doit répondre au test d’universalité. L’expérience mystique ne peut dépendre d’avant ou d’après, d’ici ou de là même si son expression en est colorée. Ce que le carme Honoré de Sainte-Marie avançait dès 1708, relevant siècle après siècle un grand courant des mystiques avant comme après Jésus-Christ 5.

Mystique

J’apporte quelque précision en ce qui ne peut être défini qu’en creux, comme un « ni ceci, ni cela ». Le terme « mystique » a été galvaudé : dérivé du grec mustes « initié », il en est arrivé à désigner toutes sortes de phénomènes incompréhensibles, bizarres, voire pathologiques (on parlera de « délire mystique »). On y mêle les transes chamaniques ou les expériences dues aux substances hallucinogènes. On le confond souvent avec le paranormal ou avec le miraculeux, domaine de tout ce qui contredit les lois habituelles de la matière ou du biologique. Rien de tout cela n’a intéressé nos auteurs.

La mystique n’est pas non plus le simple prolongement des expériences humaines les plus hautes comme l’amour, la beauté de la musique ou de la nature, les compréhensions fulgurantes, la ferveur religieuse… Elle n’est pas non plus vécue dans les méditations de « pleine conscience » qui font tant de bien par la paix qu’elles apportent, mais qui appartiennent au développement personnel, corporel et psychologique : il y a là un repos parfait de toutes les facultés, mais c’est en soi que l’on repose, dans sa propre nature.

Le domaine mystique fait partie de ce qu’on appelle le « spirituel », il en est même le cœur. La spiritualité est à la fois plus large et beaucoup plus vague : elle englobe tous les écrits où l’on s’oriente vers « Dieu ». L’intellect, l’imaginaire, le sentiment tournent autour du divin : on est souvent dans une rêverie autour de, une « réflexion sur ». Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un élan, d’une tension vers Dieu, qui prépare l’être à être attentif à l’évènement inouï qui peut se produire.

Face à l’immensité du champ spirituel, nous nous concentrons sur les témoignages d’expérience du divin. Des textes racontent l’irruption dans l’humain d’une dimension verticale, d’une autre nature, que les hommes sont forcés d’appeler « divine », car elle ne peut être fabriquée par les facultés humaines : l’Énergie impersonnelle qui sous-tend l’univers se manifeste à l’homme. C’est ce face à face entre l’humain minuscule et « Dieu », qui forme le domaine propre à la mystique : l’homme rencontre sa source et la source de toutes choses. Des hommes et des femmes ont vécu cette irruption du divin en eux depuis l’aube de l’humanité, et cette expérience est universelle. Ils attestent la présence au centre d’eux-mêmes d’une Réalité expérimentée au-delà du corps, du psychologique, de l’intellect ou de l’imaginaire, qui existe au-delà de l’humain, mais qui envahit l’humain.

Cette expérience est ressentie au centre, au « cœur » de l’être : c’est pourquoi elle est souvent appelée « intériorité ». Une fois vécue, on ne peut plus la nier, quelles que soient les contraintes extérieures. On ne peut que s’incliner devant elle, la vénérer et l’aimer. Cette Présence comble le vide de la nature humaine. En comparaison, tout ce qui a été vécu avant n’est rien que transitoire, illusoire, préoccupation d’enfants ou de fous : le capucin Benoît de Canfield parle du Tout de Dieu et du rien de la créature. Pour Pascal, cette expérience est si importante qu’il la transcrit sur un papier qu’il garde toujours sur sa poitrine : « Joie, pleurs de joie ».

Les manifestations du début sont diverses, mais universelles : vibration du cœur, coulées d’amour, de béatitude, de silence, de paix, qui envahissent la personne et l’émerveillent. Le mystique les recherche, les attend, les favorise ; il les pleure lors de sécheresses, de « nuits », lorsque la Présence semble disparaître. Même si elle est recherchée volontairement, cette Présence se manifeste librement : c’est pourquoi bien des textes l’appellent la « grâce ». Si les préparatifs qui veulent faire remonter vers Dieu par l’effort humain sont parfois récompensés, ils sont bien entendu sans commune mesure avec cette liberté : « L’Esprit souffle où il veut », dit l’apôtre Jean (Evangile 3, 8).

Cette présence peut au début recevoir des qualificatifs : paix, amour… Mais certains mystiques sont amenés à prendre conscience que ce ne sont que des effets de cette Présence et désirent davantage. Un double mouvement s’opère : par amour, dans un abandon total, le mystique se donne au divin pour qu’il fasse ce qu’il veut, en réponse le divin l’envahit de plus en plus et nettoie tout ce qui n’est pas lui. Le mystique perd toute projection vers l’objet Dieu. Un grand retournement s’opère où le divin prend la place au cœur de l’homme, où s’opère l’union entre Dieu et l’homme : [l’âme] « ouvre la capacité de tout son esprit pour engloutir cet abîme, mais au contraire s’en trouve être heureusement absorbée et engloutie…6 » Ceci au prix d’un profond dénuement et d’une grande obscurité, car le divin est incompréhensible aux facultés humaines7 : c’est le « Nuage d’inconnaissance », titre d’un profond texte mystique8. La vie humaine parvient là à son accomplissement parfait où le mystique participe au grand courant de la Vie universelle. Saint Paul s’écrie : « Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi9. »

Il ne reste plus que le grand Rien, le grand Vide. Ce vécu s’exprime souvent en termes religieux, mais il n’est pas le produit de la religion : la mystique est première.  Les religions sont les expressions particulières à chaque civilisation d’une expérience universelle : à partir de l’expérience de Jésus, du Buddha, de François d’Assise s’organise une communauté qui espère recréer les conditions où elle peut se manifester (croyances, prières, règles, méditations, ascèse…). L’organisation nécessaire pour le grand nombre fossilise l’élan créateur, naissent les lois et la théologie. « La mystique » en tant que corpus textuel ne fait pas partie du champ intellectuel, n’élabore pas de champ conceptuel ou de problématique : elle tente péniblement d’exprimer l’indicible par des mots.

Florilège

Ses entrées par figures mystiques ou rarement par thèmes sont réparties chronologiquement en deux tomes :

I Origines à 1600

II 1600 à aujourd’hui 

 « L’objet » proposé n’a guère de modèle dans la littérature récente. L’idée serait-elle neuve10 ? Outre quelques poètes (généralement nous nous sommes limités à un seul poème par entrée), je dissémine quelques titres « hors norme »  évoquant des domaines d’expression autre que l’écrit, voies alternatives du témoignage mystique écrit : en peinture, Van der Weiden, fra Angelico, Rembrandt valident la tradition chrétienne ; les lavis de la période chinoise des Song valide le bouddhisme T’chan ; les Selva Morale e Spirituale de Monteverdi ou les Cantates de Jean-Sébastien Bach.




Avertissement

Je condense souvent des présentations distribuées dans mes nombreuses publications d’« auteurs mystiques ». Les entrées s’avèrent inégales selon divers critères : certaines ne couvrent qu’une demi-page, en moyenne trois pages, très rarement dix; le XVIIe siècle français est surdimensionné ce qui est partiellement justifié selon Bremond et Cognet et selon quelques protestants. J’ai équilibré par un choix très ouvert des entrées mais les traditions non chrétiennes sont peu présentes, sauf pour des mystiques ayant vécu en terres d’Islam. Certaines entrées sont collectives : par regroupement d’époque (mystiques des premiers siècles de l’Hégire…) et de sujet (« témoignages de l’extrême ».


Un extrait ne respecte pas toujours l’intégrale de la phrase qui l’ouvre ou le ferme. L’indice du crime est signalé à l’ouverture par une première lettre minuscule. Pour alléger la lecture, les points de suspension sont généralement omis en début et en fin d’extrait, donnés sans crochets en son sein, séparés des mots. Pagination en tête d’extrait, référence en fin.









Chronologie des mystiques Origines à 1600




























0000 Pygmées

Complainte mortuaire à deux voix


L’animal court, il passe, il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

L’oiseau vole, il passe, il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

Le poisson fuit, il passe, il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

L’homme mange et dort. Il meurt. Et c’est le grand froid.

C’est le grand froid de la nuit, c’est le noir.

Et le ciel s’est éclairé, les yeux se sont éteints, l’étoile resplendit.

Le froid est en bas, la lumière en haut.

L’homme a passé, l’ombre a disparu, le prisonnier est libre.

Khmvum ! Vers toi notre appel ! 11.


AC ~1350 Hymne d’Akhnaton.

Égypte 



Tu rayonnes de beauté à l’horizon du ciel,

ô vivant soleil qui vécus le premier !

Tu te lèves, oriental,

et tu remplis chaque pays de ta beauté.

Tu es beau, tu es grand,

tu étincelles et tu es au-dessus de toute contrée.

Tes rayons embrasent les terres

et tout ce que tu créas.

Tu es Râ, tu atteins leur extrémité,

tu les enchaînes de ton amour pour ton fils.


Tu es au loin, tes rayons sont sur terre.

On te voit sans pourtant connaître ta marche.


Quand tu te couches à l’horizon occidental,

la terre est obscure, comme morte.

Ils dorment dans leur chambre, la tête enveloppée,

aucun œil ne voit l’autre.

Si l’on dérobait ce qu’ils ont sous leur tête,

ils ne le remarqueraient pas...

Chaque lion sort de sa tanière

et tous les reptiles mordent.

La terre est dans le silence

celui qui l’a créée repose dans son horizon.


Quand il fait jour, quand tu te lèves à l’horizon,

alors que tu brilles, Soleil, le jour durant,

tu fais présent de tes rayons.

Les deux pays en sont joyeux.

Les hommes s’éveillent et restent dressés,

car tu leur fais quitter leur couche.

Ils lavent leur corps et prennent des vêtements.

Leurs mains se lèvent, adorantes,

car tu resplendis ;

le pays tout entier se livre à son labeur.



Tu es le donateur de souffle aux créatures, et pour les animer,

Quand l’enfant sort du sein au jour de sa naissance,

tu ouvres sa bouche à la parole

et tu pourvois à ses besoins.


Le poussin de l’œuf piaule déjà dans la coquille

et là, tu lui donnes le souffle afin qu’il reste en vie.

Quand tu lui as donné force pour la briser,

il sort, il court alors qu’il est éclos.


Comme multiples sont tes œuvres !

O Toi, seul Dieu, à ton côté point n’en existe d’autre !

Tu as créé la terre selon ton désir,

toi seul, avec ses hommes, ses troupeaux !


Dans les territoires étrangers, la Syrie et la Nubie, et le pays d’Égypte,

tu établis chacun à sa place et fais le nécessaire,

chacun a sa nourriture, ses jours sont calculés.

Leur langue parlent diversement

comme est divers leur aspect.

Leur peau est différente,

car tu as distingué les peuples.


Tu créas le Nil dans les mondes inférieurs,

tu le fais surgir pour maintenir en vie les hommes,

toi, leur maître à tous !


Tu es leur maître à tous, qui peine pour eux,

le seigneur de tous les pays

le soleil puissant du jour.


Tous les pays éloignés, tu prends soin d’eux.

Tu as placé un Nil dans le ciel afin qu’il descendît vers eux,

et battît les monts de ses flots, à l’égal d’une mer,

et abreuvât leurs champs.

Que tes desseins sont excellents, ô seigneur de l’éternité !

Le Nil du ciel, tu le donnes

aux peuples étrangers, aux animaux de chaque désert.

Et le Nil, qui jaillit  du monde inférieur,

tu le donnes à l’Égypte.


.

Tu es seul et tu te lèves sous ton aspect de soleil vivant,

lorsque tu apparais et que tu luis,

que tu t’éloignes et que tu reviens.


Tu crées des millions d’êtres de toi seul.

Cités, villages et prairies, chemins et fleuves,

tous les yeux te voient

lorsque tu es le soleil du jour au-dessus de la terre...


Tu es dans mon cœur

et nul ne te connaît que ton fils, le Roi.

Tu l’as initié à tes desseins et à ta force.

Ce qui arrive dans le monde,

c’est sur ton signe : c’est toi qui l’as créé.

T’es-tu levé : ils vivent.

Te couches-tu : ils sont morts.

Toi-même es la durée de vie,

et tu donnes la vie.


Les yeux contemplent ta beauté jusqu’au soir

et tout travail cesse

quand tu te couches à droite.


Lorsque tu te lèves, tu fais croître,

pour ton fils sorti de tes membres,

pour son épouse bien-aimée,

la reine en vie heureuse pour jamais! 12.

AC ~ 575 Livre de Job

L’Écriture


30,16… En moi s’écoule ma vie et m’ont saisi des jours d’ennui.

17 Mes os sont perforés la nuit... et mon pouls ne s’en­dort jamais.

8 De toutes ses forces, il a saisi mon habit et comme le col de ma tunique il m’a étranglé.

19 Il m’a jeté dans la boue et j’ai paru poudre et gadoue.

20 Je crie vers Toi et tu ne réponds pas ; je suis debout et tu ne me remarques pas !

21 Tu es devenu cruel pour moi, la dureté de ta main s’acharne sur moi !

22 Tu m’arraches dans le vent comme un cavalier, dans la tempête tu me fais virevolter !

23 Je sais que tu m’emmènes à la mort, à la maison du rassemblement de tout vivant.

[…]

38,1 Iahvé répondit à Job du sein de la tempête et lui dit :

2 Quel est cet individu qui noircit la Providence avec des paroles insensées ?

3 Ceins tes reins comme un preux, je t’interrogerai et tu me renseigneras.

4 Où étais-tu quand je fondai la terre ? Dis-le, si ta science est si profonde ?

5 Qui en a fixé la masse ? Puisque tu le sais ! Qui tendit sur elle le cordeau ?

6 Sur quoi s’enfoncèrent ses socles ou qui a posé sa pierre angulaire,

7 Lors du chant harmonieux des étoiles du matin et de l’acclamation de tous les fils d’El ?

8 Qui a enfermé la Mer à deux battants, quand elle jaillissait sortant du sein,

9 Quand je fis d’une nuée son vêtement et des nuages ses langes,

10 Quand je  lui traçai sa limite et plaçai verrou et bat­tants,

11 Et lui dis : « Tu iras jusque-là,  ... ici se brisera l’orgueil de tes flots » ?

12 As-tu un jour commandé au matin, désigné sa place à Aurore,

13 Pour qu’elle saisisse la terre par les bords  ... et qu’elle la transforme comme de l’argile scellée ?

16 Es-tu parvenu jusqu’aux sources de la Mer, as-tu circulé au fond de l’Océan ?

17 Les Portes de la Mort te furent-elles montrées, as-tu vu les portes de l’Ombre ? … 13.


AC ~ 540 Isaïe

Le livre d’Isaïe est une bibliothèque prophétique couvrant plus de deux siècles. Le premier Isaïe est un personnage extraordinaire qui a prophétisé à un âge relativement jeune, vers -740, et son activité s’est étendue sur une période d’au moins quarante ans : il s’oppose aux injustices et annonce la colère divine. Le second Isaïe se situe deux siècles plus tard, vers -540, au milieu de ses frères exilés. Il est suivi d’un troisième Isaïe qui aurait exercé son ministère à Jérusalem dans les deux premières décennies qui suivirent le retour d’exil. Les versets 53, 3-5,7 constituent le sommet du second Isaïe. Ils sont ainsi traduits 14.



 « Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui et dans ses plaies se trouvait notre guérison.... Brutalisé, il subit ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir... »

Le thème du serviteur souffrant, juste qui plaide pour son peuple, a aidé les chrétiens à comprendre la figure de Jésus et à se comprendre eux-mêmes, placés face à des promesses de renouveau qui ne se réalisaient pas concrètement.


AC ~ 500 Parménide

Grèce.


LA NUIT DE PARMÉNIDE

Il ne fut point jadis, il ne sera point, puisqu’il est, maintenant, tout entier à la fois

Un, continu. Quelle naissance, en effet, lui chercherais-tu ?

Par où, de quoi évolué ? Pas non plus de non-existant : je ne te laisserai

Ni le dire ni le penser. Car on ne peut ni dire ni penser       

Qu’il ne soit pas. Quelle nécessité, d’ailleurs, l’eût fait surgir

Plus tard de préférence à plus tôt, prendre son essor de rien et pousser ?

Ainsi ne peut-il être qu’absolument ou pas du tout.

Jamais, d’ailleurs, une foi vigoureuse n’acceptera que, de ce qui n’est point,

Quelque chose d’autre puisse naître ; aussi, ni de naître,

Ni de périr, la justice ne lui fit licence, relâchant ses liens.

 

Au contraire, elle les maintient. La décision, là-dessus, est en ceci :

Il est, ou il n’est pas. Or on a décidé, comme cela s’imposait,

De laisser une des routes impensée, innommée ; car elle n’est pas la vraie,

Cette route ; et de garder l’autre comme existante et réelle.

Comment, dans la suite du temps, pourrait venir à exister l’être ?

Comment, une fois, y être venu ?

Car s’il devint, il n’est pas, et, pas plus, si un jour doit venir où il sera.

Ainsi s’éteint la genèse ; ainsi disparaît la mort.

 

Il n’est point, non plus, divisible, puisqu’il est tout entier homogène.

Car il n’y a point, ici, un plus qui romprait sa continuité,

Ni, là, un moins : mais tout est plein d’être.

Ainsi tout est continu : être se presse contre être...

 

D’autre part, immobile dans les limites de grands liens,

Il est sans commencement et sans fin, puisque genèse et mort

Ont été dispersées bien loin, repoussées par la vraie foi.

Même dans le même demeurant, en soi-même il repose,

Et, de cette sorte, immuable, au même endroit demeure ; car la puissante Nécessité

Le maintient dans les liens de la limite, qui enserre tout son contour.

Aussi, d’être inachevé, l’être n’a point licence ;

Car il ne lui manque rien : autrement, il lui manquerait tout.15.


AC 399 Socrate (AC 470 — AC 399) & Platon (AC 427 — AC 348/7)

Socrate eut pour disciple Platon qui eut pour élève Aristote.

« La seule science que revendique Socrate, c’est de savoir qu’il ne sait rien… il amène à regarder en soi-même…16 »


AC ~350? Mundaka Upanishad

La vingtaine de textes connus sous le nom d’Upanisads sont constitués entre AC~600 et AC~200.

Voici un texte court et relativement récent visant à la reconnaissance de l’Un :

II.1.1. Voilà la vérité. De même qu’un feu flambant, jaillissent par milliers des étincelles de même nature, de même, mon cher, de l’Impérissable naissent les êtres divers, et c’est en Lui aussi qu’ils retournent.

III.2.8. Comme les rivières qui coulent disparaissent dans l’océan, perdant nom et forme, de même celui qui sait, affranchi du nom et de la forme, accède à l’Être divin, plus haut que ce qu’il y a de haut.

« Aux multiples connexions qui, dans les Brâhmana, unissaient les diverses parties de la personne à celles du cosmos par l’intermédiaire des rites » succèdent « l’intuition de l’identité entre le brâhman et l’âtman, le Soi… intuition intemporelle et mystique. » 17.


AC ~300 Lao Tseu/Laozi

Le saint n’accumule pas

Plus il fait pour les autres

Plus il a pour lui-même

Plus il donne aux autres

Plus il s’enrichit.18.


AC ~250 Hymne à Zeus

Stoïciens.

O toi qui es le plus glorieux des immortels, qui as des noms multiples, tout-puissant à jamais,

Principe et Maître de la Nature, qui gouverne tout conformément à la loi,

Je te salue, car c’est un droit pour tous les mortels de s’adresser à toi,

Puisqu’ils sont nés de toi, ceux qui participent à cette image des choses qu’est le son,

(5) Seuls parmi ceux qui vivent et se meuvent, mortels, sur cette terre.

Aussi je te chanterai et célébrerai ta puissance à jamais.

C’est à toi que tout cet univers, qui tourne autour de la terre,

Obéit où que tu le mènes, et de bon gré il se soumet à ta puissance,

Tant est redoutable l’auxiliaire que tu tiens en tes mains invincibles,

(10) Le foudre à double dard, fait de feu, vivant à jamais ;

Sous son choc frémit la Nature entière.

C’est par lui que tu diriges avec rectitude la raison com­mune, qui pénètre toutes choses

Et qui se mêle aux lumières célestes, grandes et petites...

C’est par lui que tu es devenu ce que tu es, Roi suprême de l’univers.

(15) Et aucune œuvre ne s’accomplit sans toi, ô Divinité, ni sur terre,

Ni dans la région éthérée de la voûte divine, ni sur mer,

Sauf ce qu’accomplissent les méchants dans leurs folies.

Mais toi, tu sais réduire ce qui est sans mesure,

Ordonner le désordre ; en toi 1a discorde est concorde.

(20) Ainsi tu as ajusté en un tout harmonieux les biens et les maux

Pour que soit une la raison de toutes choses, qui demeure à jamais

Cette raison que fuient et négligent ceux d’entre les mortels qui sont les méchants ;

Malheureux, qui désirent toujours l’acquisition des biens

Et ne discernent pas la loi commune des dieux, ni ne l’entendent,

(25) Cette loi qui, s’ils la suivaient intelligemment, les ferait vivre d’une noble vie.

Mais eux, dans leur folie, s’élancent chacun vers un autre mal :

Les uns, c’est pour la gloire qu’ils ont un zèle querelleur,

Les autres se tournent vers le gain sans la moindre élégance,

Les autres, vers le relâchement et les voluptés corporelles ;

(30)... ils se laissent poster d’un objet à l’autre

Et se donnent bien du mal pour atteindre des résultats opposés à leur but.

Mais toi, Zeus, de qui viennent tous les biens, dieu des noirs nuages et du foudre éclatant,

Sauve les hommes de la malfaisante ignorance,

Dissipe-la, ô Père, loin de notre âme ; laisse-nous participer

(35) A cette sagesse sur laquelle tu te fondes pour gouverner toutes choses avec justice,

Afin qu’honorés par toi, nous puissions t’honorer en retour

En chantant continuellement tes œuvres, comme il sied

À des mortels ; car il n’est point, pour des hommes ou des dieux,

De plus haut privilège que de chanter à jamais,

comme il se doit, la loi universelle.19.


AC ~ 250 Tchoang-tseu/Zuangzi

Chapitre I.

[A]. S’il faut en croire d’anciennes légendes, dans l’océan septentrional vit un poisson immense, qui peut prendre la forme d’un oiseau. Quand cet oiseau s’enlève, ses ailes s’étendent dans le ciel comme des nuages. Rasant les flots, dans la direction du Sud, il prend son élan sur une longueur de trois mille stades, puis s’élève sur le vent à la hauteur de quatre-vingt-dix mille stades, dans l’espace de six mois.

Ce qu’on voit là-haut, dans l’azur, sont-ce des troupes de chevaux sauvages qui courent ? Est-ce de la matière pulvérulente qui voltige ? Sont-ce les souffles qui donnent naissance aux êtres ? Et l’azur, est-il le Ciel lui-même ? Ou n’est-ce que la couleur du lointain infini, dans lequel le Ciel, l’être personnel des Annales et des Odes, se cache ? Et, de là-haut, voit-on cette terre ? Et sous quel aspect ? Mystères !

Quoi qu’il en soit, s’élevant du vaste océan, et porté par la grande masse de l’air, seuls supports capables de soutenir son immensité, le grand oiseau plane à une altitude prodigieuse.

Uhe cigale à peine éclose, et un tout jeune pi­geon, l’ayant vu, rirent du grand oiseau et dirent : À quoi bon s’élever si haut ? Pourquoi s’exposer ainsi ? Nous qui nous contentons de voler de bran­che en branche, sans sortir de la banlieue ; quand nous tombons par terre, nous ne nous faisons pas de mal ; chaque jour, sans fatigue, nous trouvons notre nécessaire. Pourquoi aller si loin ? Pourquoi monter si haut ? Les soucis n’augmentent-ils pas, en proportion de la distance et de l’élévation ?

Propos de deux petites bêtes, sur un sujet dépassant leur compétence. Un petit esprit ne comprend pas ce qu’un grand  esprit embrasse. Une courte expérience ne s’étend pas aux faits éloignés. Le champignon qui ne dure qu’un matin, ne sait pas ce que c’est qu’une lunaison. L’insecte qui ne vit qu’un été, n’entend rien à la succession des saisons. Ne demandez pas, à des êtres éphémères, des renseignements sur la grande tortue dont la période est de cinq siècles, sur le grand arbre dont le cycle est de huit mille années. […]

[G]. Maître Sang-hou, Mong-tzeu-fan, Maître K'inn-tchang, étaient amis. L’un d’entre eux demanda : qui est parfaitement indifférent à toute influence, à toute action ? Qui peut s’élever dans les cieux par l’abstraction, flâner dans les nuages par la spéculation, se jouer dans l’éther, oublier sa vie présente et la mort à venir ? Les trois hommes se regardèrent et rirent, car tous en étaient là, et ils furent plus amis que devant.

Or l’un des trois, Maître Sang-hou, étant mort, Confucius envoya son disciple Tzeu-koung à la maison mortuaire, pour s’informer s’il ne faudrait pas aider aux funérailles. Quand Tzeu-koung arriva, les deux amis survivants chantaient devant le ca­davre, avec accompagnement de cithare, le refrain suivant : O Sang-hou ! O Sang-hou ! Te voilà uni à la transcendance, tandis que nous sommes encore des hommes, hélas ! Tzeu-koung les ayant abordés, leur demanda : est-il conforme aux rits, de chanter ainsi, en présence d’un cadavre ? Les deux hommes s’entre-regardèrent, éclatèrent de rire, et se dirent : Qu’est-ce que celui-ci peut comprendre à nos rits à nous ? 20.


~70 Paul l’Apôtre

Le premier siècle appelle une redéfinition du judaïsme au regard de la domination gréco-romaine qui ne permet plus l’isolement culturel. Jésus parfait le message prophétique ; il n’a plus besoin de la médiation externe des prêtres, mais enseigne avec autorité et monte à grand risque au Temple de Jérusalem pour la Pâque. Ensuite :


« Paul et la première génération chrétienne, à la suite même de Jésus, opèrent un singulier retournement des valeurs, où ce qu’il y a de plus faible et méprisable l’emporte désormais... Ce retournement historique est à la base de la pensée et de la pratique chrétiennes, ou du moins devrait l’être. Il s’exprime, entre autres, dans une ancienne hymne judéo-chrétienne, reprise et aménagée par Paul : «Lui (Jésus) qui appartient à la réalité divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être à l’égal de Dieu; au contraire, il s’est lui-même vidé, assumant (en lui) la réalité de l’esclave en devenant semblable aux hommes ; puis... il s’abaissa lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix»... singulier retournement des valeurs, où ce qu’il y a de plus faible et méprisable l’emporte désormais sur les gloires apparentes de ce monde.21 .

Paul comprendra que le judaïsme doit être vécu de l’intérieur; ce qui ôte dès lors de l’importance aux prescriptions minutieuses de la Loi juive. À ses yeux le comportement éthique ne trouve plus son fondement dans la Loi, mais procède spontanément de la foi vive, d’une expérience intime. Les mystiques reprendront très souvent des versets de saint Jean et des Épîtres de Paul, que l’on peut considérer comme un des leurs. Ainsi du verset :

«… et je vis, mais non plus moi-même : c’est Jésus-Christ qui vit en moi : et en ce que je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi22 ».

~80 L’Évangile selon Matthieu

Les Béatitudes


3 Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.        

4 Heureux les doux : ils auront la terre en partage.  

5 Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.

6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.

7 Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.

8 Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.

9 Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.

10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.

11 Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous  toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux.



Le lavement des pieds 23


Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.


~170 Textes bouddhiques dont L’enseignement de Vimalakîrti

Le texte de la Concentration de la Marche héroïque 24 dont l’original sanscrit est perdu, fut l’un des premiers textes bouddhiques traduits en chinois dès 186 (puis par Kumârajîva entre 402 et 409) :


« Et les Buddha, où vont-ils ?

nulle part.

Ne vont-ils pas au Nirvâna ?

Tous les dharmas sont [déjà] absolument nirvanés… De par la nature même du Nirvâna, on ne va pas au Nirvâna.


Dans le passé, des Buddha aussi nombreux que les sables du Gange ne sont-ils pas allés au Nirvâna ?

Tous ces Buddha aussi nombreux que les sables du Gange sont-ils nés ? (185).


L’homme au vase intact, c’est le Bodhisattva qui, tout en assurant son propre bien, peut encore donner à tous les êtres (254).


La Prajnâpâramita expose ainsi sa «carrière» idéale  :

Le Bodhisattva se fixe dans la perfection de sagesse en ne s’y fixant pas. Il doit remplir la perfection du don… en ne voyant ni donateur, ni bénéficiaire, ni chose donnée. Il doit remplir la perfection de la moralité en ne concevant plus ni péché ni acte méritoire… (30).


L’enseignement de Vimalakirti25 est le grand texte destiné aux laïcs « maîtres de maisons », débordant largement le cadre de la congrégation des moines ou samgha :


[La maladie de Vimalakirti]


Maître de maison, ta maladie, d’où provient-elle ? Combien de temps durera-t-elle ? sur quoi repose-t-elle ? Après combien de temps s ’apaisera-t-elle ?

– Mañjušri, ma maladie durera ce que dureront chez les êtres l’ignorance et la soif de l’existence. Ma maladie vient de loin, de la transmigration à son début. Tant que les êtres seront malades, moi aussi je serai malade ; quand les êtres guériront, moi aussi je serai guéri. Pourquoi ? Mañjusri, pour les Bodhisattva, la sphère de la transmigration, ce sont les êtres, et la maladie repose sur cette transmigration. Lorsque tous les êtres échapperont aux douleurs de cette maladie, alors les Bodhisattva, eux aussi, seront sans maladie. (224).


[Comment consoler un bodhisattva malade... de façon à le réjouir ?]


Il lui dit que le corps est impermanent, mais ne l’invite pas à éprouver à son endroit dégoût ou répugnance. Il lui dit que le corps est douloureux, mais ne l’exhorte pas à se complaire dans le Nirvãna. Il lui dit que le corps est impersonnel, mais l’invite à faire mûrir les êtres. Il lui dit que le corps est calme, mais ne l’exhorte pas à cultiver le calme définitif.

Il l’exhorte à se repentir de ses fautes antérieures, mais ne dit pas que ces fautes sont passées. Il l’exhorte à utiliser sa propre maladie pour avoir pitié des êtres malades et chasser leurs maladies. (227).


270 Les Ennéades de Plotin (205-270)

Plotin, philosophe platonicien, est probablement éclairé par une expérience mystique, mais dont il ne parle pas directement : « La fin et le but, c’était pour lui l’union intime avec le Dieu qui est au-dessus de toutes choses. Pendant que je fus avec lui, il atteignit quatre fois ce but, grâce à un acte ineffable26 »

Le philosophe Emile Bréhier signale «l’extrême rareté des états d’extase chez Plotin et dans son école ; c’est un trait par où la mystique néoplatonicienne s’oppose à celle du moyen âge». Ceci peut simplement indiquer qu’il s’agit d’états profonds. L’influence de Plotin sera considérable sur les mystiques qui adoptent le schéma dit «  des émanations », en terres d’Islam comme en terres chrétiennes, à la suite de Denys lui-même éclairé des derniers feux de l’école néoplatonicienne d’Athènes.

Le site «  cheminsmystiques.fr» propose des extraits de l’un des cinquante-quatre traités des Ennéades. Il s’agit du traité intitulé «De la Providence I» accompagné d’une synthèse 27.


~390 La Vie de Moïse de Grégoire de Nysse (~331 apr. 394).

Parmi les écrits des Pères grecs, La vie de Moïse ou traité de la perfection en matière de vertu de Grégoire de Nysse 28 présente « une doctrine toute centrée sur la perfection conçue comme progrès indéfini », selon J. Danielou, qui résume ainsi la doctrine :


« Le but de la vie spirituelle est de rendre l’âme à sa vraie nature. C’est l’idée commune à toute la pensée antique... idée platonicienne, d’une divinité immanente à l’âme que l’âme retrouve par un retour en elle-même. Mais cette idée paraît difficilement conciliable avec la conception chrétienne de la gratuité de la communication que Dieu fait de lui-même. ... L’essence de l’âme est... une “participation” toujours croissante, mais jamais achevée, à Dieu29.»


Grégoire de Nysse présente le sens spirituel du récit de l’Exode.  Il souligne la transcendance divine :


« Ce que Moïse, à la lumière de la théophanie, me paraît avoir compris alors, c’est précisément qu’aucune des choses qui tombent sous les sens ou qui sont contemplées par l’intelligence ne subsiste réellement, mais seulement l’être transcendant et créateur de l’univers à qui tout est suspendu. Quels que soient en effet, en dehors de lui, les êtres vers lesquels l’intelligence se tourne, elle ne trouve pas en eux cette suffisance qui leur permettrait d’exister en dehors de la participation à l’être30. » 



La «nuée» de la grâce est notre guide dans la quête du bien :


« Chaque fois que quelqu’un fuit l’Égyptien et que, parvenu hors des frontières, il s’effraie des attaques des tentations, son guide lui apprend à attendre d’en haut le secours inespéré, lorsque l’ennemi, cernant les fuyards avec son armée, l’oblige à se frayer un chemin dans la mer ; dans cette traversée il a pour guider la “nuée” : ce mot, qui désigne le guide, a été interprété à juste titre, par nos devanciers [comme] de la grâce du Saint-Esprit, qui dirige les justes vers le bien31. » 



Entretenir sans cesse la disposition amoureuse est la condition requise pour contempler une beauté sans limite :


« Il [Moïse] fait disparaître l’idole. Il apaise Dieu. Il rétablit la loi... Il rayonne de gloire — et s’étant élevé par de telles élévations, il brûle encore de désir... Ressentir cela me semble d’une âme animée d’une disposition amoureuse à l’égard de la beauté essentielle, que l’espérance ne cesse d’entraîner de la beauté qu’il a vue à celle qui est au-delà et qui enflamme continuellement son désir de ce qui reste encore caché par ce qu’elle découvre sans cesse.  ... Car c’est en cela que consiste la véritable vision de Dieu, dans le fait que celui qui lève les yeux vers lui ne cesse jamais de le désirer. C’est pourquoi Il [Dieu] dit : “Tu ne pourras voir mon visage. En effet nul homme ne verra mon visage sans mourir”... Car la Vie véritable c’est celui qui est par essence. Or cet être est inaccessible à la connaissance... Il [Moïse] apprend en effet par les paroles qui lui sont dites que le divin, selon sa propre nature, est illimité, n’étant circonscrit par aucune limite32.» 


~430 Cassien (~360 ~430)

Moine d’Orient qui résida en Égypte à Scété au moins sept ans, puis à Rome dix ans où il défend saint Jean Chrysostome qui l’avait remarqué et ordonné diacre, il fonde deux monastères à Marseille. Ses attachantes Conférences auront une influence déterminante sur tout le monachisme d’Occident. Peu favorable à saint Augustin, il partage l’optimisme des Orientaux.


« Celui qui en est encore au stade du progrès s’élèvera de cette contemplation pour parvenir à cet unique dont il est parlé, c’est-à-dire à la vue de Dieu seul, avec l’aide de sa grâce. Dépassant alors les actes et les ministères merveilleux des saints eux-mêmes, l’âme n’aura désormais d’autre aliment que la connaissance de Dieu et la joie de sa beauté33. »


430 Augustin (~354 - 430)

Les Confessions34

Qu’ai-je  à demander que tu viennes en moi,

moi qui ne serais pas si tu n’étais en moi?  ...

Où te fait venir mon appel, puisque je suis en toi ?

Ou bien, d’où peux-tu venir en moi ? ...

Et quand tu te répands sur nous,

ce n’est pas toi qui es renversé, mais nous que tu relèves,

ce n’est pas toi qui t’éparpilles, mais nous que tu rassembles.

(Confession I, 277).


J’étais devenu moi-même pour moi une immense question, et j’interrogeais mon âme : pourquoi était-elle triste, et pourquoi me troublait-elle si fort ? Et elle ne savait rien me répondre. Et si je lui disais : « Espère en Dieu », elle avait raison de ne pas obéir, parce qu’il était plus vrai et meilleur, l’homme si cher qu’elle avait perdu (l’ami qui vient de mourir), que le fantôme en qui on lui ordonnait d’espérer.

(Conf. IV, 423).


Or quoi de plus superbe que d’affirmer, dans une étrange folie, que j’étais, moi, par nature ce que tu es, toi?  Bien sûr, moi j’étais un être changeant, et c’était l’évidence pour moi du fait que je désirais précisément être sage afin de devenir de moins bon, meilleur ; et malgré cela j’aimais mieux te croire changeant toi aussi, que de croire ne pas  être ce que tu es. C’est pourquoi j’étais repoussé, et tu résistais à mon entêtement gonflé de vent ; et j’imaginais des formes corporelles ; et, chair, j’accusais la chair ; et « souffle qui s’en va », je ne revenais pas vers toi ; et m’en allant, j’allais vers des choses qui ne sont pas, ni en toi, ni en moi, ni dans les corps ; et elles n’étaient pas pour moi des créations de ta vérité, mais des fictions de ma vanité à partir des corps. Et je disais à tes petits enfants, tes fidèles, mes concitoyens, du milieu desquels j’étais banni sans le savoir, je leur disais, hâbleur inepte : « Pourquoi donc l’âme s’égare-t-elle, si Dieu l’a faite ?»

(Conf. IV, 453).


Que j’étais donc malheureux, et comme tu as su t’y prendre pour me faire sentir mon malheur, ce jour-là ! Je me préparais à déclamer l’éloge de l’Empereur, où j’allais dire bien des mensonges qui vaudraient au menteur la faveur des gens bien informés ; et ces soucis faisaient haleter mon cœur, brûlé par la fièvre de pensées dissolvantes, lorsque, en traversant un quartier de Milan, je remarquai un pauvre, un mendiant déjà saoul, je crois, qui folâtrait joyeusement. Et je gémis, et j’entretins les amis qui m’accompagnaient, des multiples souffrances causées par nos folies : tous nos efforts, tels ceux qui me faisaient peiner en ce moment où, sous l’aiguillon des convoitises, je traînais le fardeau de mon infortune et l’aggravais en le traînant, n’avaient pas d’autre but que de nous faire parvenir à une joie tranquille ; et voilà où ce mendiant déjà nous avait précédés, nous qui jamais peut-être n’y accéderions. Car ce que lui déjà, avec quelques piécettes mendiées, avait obtenu, c’était ce que moi, par des biais et des détours si épuisants, j’ambitionnais d’atteindre, à savoir la joie d’un bonheur temporel.

Il n’avait pas bien sûr la joie véritable, mais moi de mon côté, par ces menées ambitieuses, j’en cherchais une bien plus fausse. En tout cas, lui était joyeux, moi j’étais anxieux, lui tranquille, moi tremblant. Et si l’on m’eût demandé ce que j’aimais mieux, être dans l’allégresse ou dans la crainte, j’aurais répondu : dans l’allégresse ; si l’on m’eût encore demandé ce que je préférais, être tel que lui ou tel que j’étais alors, c’est moi-même, accablé de soucis et de craintes, que j’aurais choisi, mais par un jugement pervers. Eût-il pu être vrai ? Non, en fait je ne devais pas me préférer à lui en tant que plus savant, puisque de là je ne tirais aucune joie, mais que par là je cherchais à plaire aux hommes, non pas pour les instruire, mais seulement pour plaire.

(Conf. VI, 535-537).


... d’une part, ce que je sais de moi, c’est quand tu fais la lumière sur moi que je le sais ; de l’autre, ce que j’ignore de moi, je l’ignore toujours, jusqu’à ce que mes « ténèbres » deviennent « comme un plein midi devant ta face. » (...)

Et pourtant, j’aime certaine lumière et certaine voix, certain parfum et certain aliment et certaine étreinte quand j’aime mon Dieu :

lumière, voix, parfum, étreinte

de l’homme intérieur qui est en moi,

où brille pour mon âme ce que l’espace ne saisit pas,

où résonne ce que le temps rapace ne prend pas,

où s’exhale un parfum que le vent ne disperse pas,

où se savoure un mets que la voracité ne réduit pas,

où se noue une étreinte que la satiété ne desserre pas.

C’est cela que j’aime quand j’aime mon Dieu.

Et qu’est-ce que cela ? J’ai interrogé la terre et elle m’a dit : « Ce n’est pas moi. »  Et tout ce qui est en elle a fait le même aveu. (...) Et j’ai dit à tous les êtres qui entourent les portes de ma chair : « Dites-moi sur mon Dieu, puisque vous ne l’êtes pas, dites-moi sur lui quelque chose ; » Ils se sont écriés d’une voix puissante : « C’est lui-même qui nous a faites. » Mon interrogation, c’était mon attention ; et leur réponse, leur beauté.

(Conf. X, 153-157).

485 Proclus (412 - 485).

La permanence de l’école néo-platonicienne malgré la montée en puissance du christianisme et une vie « en famille » probablement de nature spirituelle, propre au milieu de l’École d’Athènes, est heureusement évoquée en introduction à la Théologie platonicienne de Proclus (412-485)35 : « La tradition de la philosophie platonicienne, devenue le dernier rempart de la religion païenne [...] s’est conservée à l’intérieur de “familles d’universitaires” comme une foi que l’on se transmettait de père en fils»

L’apport des païens a été sous-estimé par suite de la destruction systématique des sources écrites, combiné au désir d’attribuer une valeur incomparable à une fraction des écrits chrétiens. Parmi les rares textes antiques qui nous sont parvenus, à l’Hymne à Zeus stoïcien36 répond sept siècles plus tard l’Hymne à la transcendance de Dieu de Proclus, attribué à Denys, qui témoigne de la piété personnelle des derniers philosophes païens 37 :


« Toi qui es au-delà de tout, est-il permis de Te chanter autrement ?

Une parole peut-elle Te célébrer ? Non, car Tu ne peux être dit par aucune.

Seul, Tu es indicible puisque tout ce qui est dit vient de Toi.

Un esprit peut-il Te connaître ? Non, car Tu ne peux être saisi par aucun.

Seul, Tu es inconnaissable puisque tout ce qui est connu vient de Toi.

Tout ce qui parle et qui ne parle pas Te proclame d’une voix claire,

Tout ce qui connaît et qui ne connaît pas Te rend des hon­neurs,

Car tous les désirs et toutes les nostalgies de toutes choses

Se portent vers Toi ; tous les êtres T’adressent une prière,

Et tout ce qui connaît Ton chiffre Te dit un hymne silencieux.

En Toi seul tout demeure ; vers Toi tout ensemble s’élance,

Tu es la fin de tout, Tu es l’unique, le tout, le rien,

Tu es non-un, non-tout. Innommé, comment Te nommerait-on,

Toi, le seul innommable ? Quel esprit céleste pourrait

S’insinuer dans les ténèbres plus que lumineuses ?

Sois favorable.

Toi qui es au-delà de tout, est-il permis de Te chanter autrement ? » 38.

Plotin aurait touché quatre fois mystiquement «le Premier». Rappelons l’universalité de sa voie «apophatique». Damascius d’Alexandrie, le dernier des maîtres «païens», célèbre l’Ineffable, «inaccessible à tous», peu avant la fermeture en 529 de l’école d’Athènes 39. Elle semble moins vivante chez les intermédiaires Porphyre (-305) et Jamblique. Mais on la retrouve chez Proclus (-484) comme nous venons de le lire.


~ 500? Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayâlankâra).

Grand ouvrage par sa taille mais surtout par une profondeur spirituelle et psychologique exceptionnelle. Il bénéficie d’une belle traduction 40. Le cadeau de reconstitution offert par Edward Conze constitue un précieux «manuel» auquel je retourne parfois pour en goûter la grande Paix. Quelques fragments détachées du flux textuel ne peuvent ici en rendre compte (même précisé et éclairé par des notes) :

[For the Boddhisattva :]

. . . attitude of mind to all beings 41 consists in his aspiring for the four unlimited 42, i.e. friendliness, compassion, sympathetic joy and impartiality . . . (p.166)

. . . does not aspire for any fruit of his giving which he could enjoy in Samsara [in the world] and it is only for the purpose of protecting beings, of liberating them that he courses in the perfection of giving. (534)

. . . does not develop the notion that “form, etc. is existence” . . . And why? Because when he is attached to existence 43 he forms an attachment to giving, morality, patience, vigour, meditation, and wisdom. And one who is thus attached can have no emancipation. (546)

~500 Denys l’Aréopagite

Denys l’Aréopagite qui fut considéré comme un disciple de saint Paul -- d’où l’appellation à l’effet pervers de «pseudo-Denys» -- est la plus influente des sources de l’antiquité tardive reconnue par les mystiques chrétiens. Il faut attendre le XIXe siècle pour établir la date approximative d’apparition du corpus dionysien, postérieur à 482, antérieur aux auteurs qui le citent au début du VIe siècle 44. L’auteur est probablement un moine d’origine syrienne, au confluent du courant chrétien et du courant néo-platonicien ; il aurait suivi les cours de Damascius  45 à Athènes peu avant que l’Académie ne soit fermée. Son œuvre complète est d’accès facile, vu sa relative brièveté 46. On y retrouve le thème, partagé avec Proclus, du beau qui attire à lui l’âme dans le recueillement :

« C’est cette Beauté qui produit toute convenance, toute amitié, toute communion, c’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres... [L’âme] se meut d’un mouvement circulaire lorsque, rentrant en soi-même, elle se détourne du monde extérieur, lorsqu’elle rassemble en les unifiant ses puissances d’intellection dans une concentration qui les garde de tout égarement, lorsqu’elle se détache de la multiplicité des objets extérieurs pour se recueillir d’abord en soi-même, puis, ayant atteint à l’unité intérieure, ayant unifié de façon parfaitement une l’unité de ses propres puissances, elle est conduite alors à ce Beau et Bien, qui transcende tout être, qui est sans principe et sans fin» 47.

La puissance créatrice divine est la cause agissante cachée qui demeure hors du domaine parcouru par le mouvement circulaire (parfait) de l’âme, en quelque sorte un attracteur de l’âme 48 :

« C’est par surabondance de bonté que la Cause universelle désire amoureusement tout être, opère en chacun, parachève toute perfection, conserve et tourne à soi toute réalité, que ce désir amoureux est en Dieu parfaite Bonté d’un Être bon, qui se réalise à travers le Bien même. Faiseur de Bien en toute chose, cet amoureux désir, préexistant de façon surabondante au cœur même du Bien, ne lui aurait pas permis de demeurer stérile et de se replier sur soi-même, mais il le met tout au contraire en branle pour qu’il agisse selon cette puissance surabondante d’universel engendrement 49.

En conférant la ressemblance divine aux créatures, Elle les ordonne selon une hiérarchie qui répand la lumière céleste :

« Et il convient... que les illuminateurs, intelligences plus transparentes que les autres et capables par elles-mêmes tout ensemble de participer à la lumière et de retransmettre cette participation, dans la bienheureuse splendeur d’une sainte plénitude, répandent cette lumière de toutes parts débordante sur ceux qui en sont dignes 50.

Cette vision hiérarchique est reprise chez des mystiques pour rendre compte de la communication dans la prière. Le modèle néo-platonicien des processions ou émanations s’accorde assez bien à l’expérience intime propre aux grandes religions monothéistes. Elles l’adoptent sous la condition que soit préservé le dynamisme d’une circulation de la grâce ou énergie issue d’un Centre divin. Le modèle peut être présenté analogiquement à l’aide de belles images empruntées à l’optique, telle celle d’un cercle de miroirs reflétant les uns aux autres la lumière unique issue d’une flamme (divine) située en son centre. L’analogie « par réflexion » est proposée par un disciple d’Ibn Arabi 51.

L’influence de Denys est immense jusqu’à la fin du XVIIe siècle ; madame Guyon, sensible à cette vision hiérarchique du monde, empruntant l’analogie « par transmission », déclare :

« Si nous étions sans action, sans retour, sans réflexion et que nous fussions toujours ainsi exposés à Dieu en pure et nue foi, nous deviendrions des Séraphins. Les hommes de cette sorte... consumés par la Divinité dont ils sont plus proches que les autres esprits bienheureux... sont comme ces miroirs ardents [lentilles] qui, pénétrés des rayons du soleil, brûlent ce qui est au-dessous d’eux. » 52.


~529 Damascius

Le dernier feu antique est résumé chez Damascius, auteur d’un « livre immense… d’une profondeur et d’une nouveauté admirable 53». Nous attachons à cette entrée et sortie de l’âge antique l’année fatidique 529 où Justinien interdit l’enseignement de la philosophie à Athènes et confisque les biens de l’École. Les sept derniers philosophes «païens» se rendent à la cour de Perse, emportant le rêve de Platon : qu’un roi devint philosophe. Déçus ils quittent cette cour orientale en 532 puis leurs traces se perdent.

« Pourrions-nous le pressentir s’il n’y avait en nous aucune trace de lui, si rien ne nous poussait vers lui ? 54.

« Nous essayons d’abord de voir le soleil, et de loin du moins nous le voyons ; mais plus nous allons à lui, moins nous le voyons et à la fin nous ne voyons plus ni lui ni les autres choses. Au lieu d’être œil qui reçoit la lumière nous sommes devenus la lumière elle-même.» 55.


632 Le Coran de Muhammad (~570 - 632)

Al-Qor’ân, Sourate 1 dite Al-Fatiha 56

« Grâce au nom de Dieu

Le Tout Miséricordieux et Très Miséricordieux,

La louange est à Dieu, Seigneur de [tous] les mondes,

Tout Miséricordieux, Très Miséricordieux,

Souverain du Jour du Jugement.

C’est Toi que nous servons

et c’est de Toi

que nous recherchons l’aide.

Guide-nous dans la droite Voie

La Voie de ceux que Tu as comblés de [Tes] grâces,

non pas de ceux qui sont l’objet de [Ta] colère

ni des égarés. »



Al-Qor’ân, Sourate 2 57

« Nous croyons en Dieu

À ce qui nous a été révélé

À ce qui a été révélé

À Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus

À ce qui a été donné à Moïse et à Jésus

À ce qui a été donné aux prophètes

de la part de leur Seigneur.

Nous n’avons de préférence pour aucun d’entre eux

nous sommes soumis à Dieu. »


Al-Qor’ân, Sourate 112 58.

« Dis ;

Lui, Dieu, est UN !

Dieu ! …

L’Impénétrable !

Il n’engendre pas ;

Il n’est pas engendré ;

Nul n’est égal à Lui ! »

713 Houei-neng (638-713), Soûtra de l’Estrade

Voici une entrée assez vaste compte tenu du rôle central tenu par un texte chinois fondateur. Il rend compte de l’expérience du «Sixième Patriarche» du T’chan, certainement un mystique accompli.

Comme l’introduit un traducteur 59 «le Soûtra de l’Estrade est probablement le texte fondateur du Tch'an du Sud, école bouddhiste de l’Illumination subite, de ce qu’en Occident, depuis quelques décennies, on appelle le zen. Il s’agit d’un texte bref, simple, humain, provocateur et décisif : le mode d’emploi, si l’on peut dire, de l’ouverture infinie reconnue par l’homme comme son essence et son site originaires; un manuel de philosophie pratique à l’usage de ceux que dégoûtent enfin leur propre ignorance et leur propre égoïsme, et qui ont pressenti la nécessité de se tenir présents dans l’essentiel.»

Les extraits résument le thème mystique en suivant le fil de ce «Manifeste de l’Eveil». Ils s’ouvrent par la présentation du futur maître, pour l’instant pauvre visiteur «trapu, loqueteux et noiraud comme un barbare du Vaste Sud 60 » :

3.

[...] — Je viens du Ling-nan; je vis à Sin-tcheou. Et je suis venu d’aussi loin vous saluer parce que je ne cherche rien d’autre qu’à devenir Bouddha.

Le maître se renfrogna :

– Vous, un gars de l’extrême Sud, autant dire un macaque : comment pourriez-vous «devenir Bouddha»?

– Nord et Sud, c’est bon pour les hommes, pas pour la bouddhéité! Mon apparence de macaque ne vaut certainement pas votre apparence d’abbé, et pourtant, en quoi sommes-nous différents dans notre bouddhéité? [...]61.

6.

[...] Il était minuit et le supérieur Chen-sieou se tenait devant le mur de la section centrale de la galerie; à la lueur d’une bougie, et à l’insu de tous, il écrivit alors sa stance :

Mon corps est l’arbre de l’Éveil;

Mon esprit ressemble à un clair miroir.

De tout temps, je m’efforce de le faire briller

Sans le laisser se couvrir de poussière. (22) [...]

8.

[...] Voici ma stance :

Il n’y a jamais eu d’arbre de l’Éveil;

Guère plus que de clair miroir.

La bouddhéité est toujours immaculée :

Où y trouverait-on de la poussière? [...]62Cette stance qui différencie les deux écoles — dont chacune remplit une fonction nécessaire — fait l’objet d’un autre commentaire du même traducteur 63 & 64.

12.

[... ] Maître Houei-neng s’écria :

Amis dans le bien, l’homme est naturellement, tout au fond de lui-même, riche de la sagesse de la bodhi et de la prajñâ. Cependant, son esprit erre au gré des circonstances et il ne peut s’en rendre vraiment compte par lui-même. C’est pourquoi il doit recourir à un grand ami dans le bien qui lui montrera la Voie et lui fera voir son essence. [...]

14.

Le «samâdhi de l’unique», c’est la constante pratique de la droiture. Dans le Soûtra de Vimalakîrti, il est dit que «la droiture est le lieu de la pratique; la droiture est une terre pure».

Le samâdhi de l’unique en paroles seulement n’est guère la pratique de la droiture et ne convient pas aux disciples de l’Eveillé. C’est le seul exercice de la droiture à l’égard de tous les phénomènes, sans attachement ni croyance à leur existence réelle, qu’on appelle samâdhi de l’unique.

Les égarés s’attachent à l’apparence des choses et croient qu’il existe réellement quelque «samâdhi de l’unique». Ils redressent leur esprit et restent assis sans bouger, chassent les illusions sans plus produire de pensées — telle est leur «absorption unifiante». Mais alors, ils s’adonnent à une méthode qui les assimile à des objets inanimés et, par surcroît, dresse maints obstacles sur la Voie.

La Voie n’est que communication et fluidité : à quoi bon ces figements? Quand la pensée s’arrête, fluidité et communication s’arrêtent aussi, et l’on se trouve enchaîné. [...]

18.

Amis dans le bien, dans notre méthode, la méditation assise n’a en principe pas recours à l’esprit, ni à la pureté, et il n’y est pas question d’immobilité. [...]

20.

[...] Le corps de chair, reprit-il, est une auberge, non un refuge, mais les trois corps du Bouddha peuplent l’état naturel du voyageur qui y descend. Tous les hommes en sont pourvus; c’est par méprise qu’ils ne les voient pas. Ils cherchent hors d’eux-mêmes le Tathâgata en trois corps et ne voient pas le Bouddha en trois corps qu’ils portent au cœur de leur propre chair. [...]

Le soleil et la lune brillent toujours. C’est seulement parce que les nuages s’interposent qu’il fait clair au-dessus et sombre au-dessous, et qu’il n’est même plus possible de voir le soleil, la lune, ni l’étoile du couchant. Que soudain se lève le vent de la connaissance transcendante : son souffle concentre et dissout les nuées et les brumes, et, bientôt, l’apparence multiple resurgit dans sa totalité. [...]

24.

[...] Je vais vous enseigner, mes amis, la méthode de la Mahâprajñâpâramitâ [...]

Mahâ signifie «grand» et grand désigne l’immensité de l’esprit, vaste comme l’espace vide. Mais ne restez pas assis l’esprit vide : vous assimileriez le vide à une chute dans le néant. Le vide des espaces peut contenir le soleil, la lune et les étoiles, la grande terre, ses montagnes et ses fleuves, toutes les espèces d’arbres et de plantes, les hommes bons et les mauvais, les bonnes et les mauvaises choses, les paradis et les enfers : tout cela se trouve dans le vide.

L’essence de l’homme est vide en ce sens également.

Notre essence est à même d’embrasser tous les phénomènes : telle est sa grandeur. [...]

26.

Qu’appelle-t-on prajñâ? La connaissance. [...]

Pâramitâ peut se traduire par «transcendant» et signifie «libre de la production et de la destruction», car production et destruction n’existent que lorsqu’il y a attachement à l’existence réelle des objets.

Ces derniers sont comme des vagues sur l’eau; la conscience se tient sur la rive. Si elle se détache des objets, il n’est plus pour ceux-ci de production ni de destruction. C’est comme si l’eau s’étirait en un seul flux... [...]

30.

[...] L’égaré questionne le sage et le sage l’instruit de manière à tout lui faire comprendre au cours d’une profonde ouverture. Dès que l’égaré s’ouvre et comprend directement ce qu’est l’esprit, il ne diffère en rien du sage. Sachez donc que, sans cette compréhension parfaite, le Bouddha lui-même est un être ordinaire, mais qu’il suffit d’un instant d’illumination pour que l’être ordinaire soit un Bouddha.

Sachez encore que, de la sorte, les dharmas se trouvent tous rassemblés dans votre corps et votre esprit : alors, pourquoi votre essence originaire, l’évidence du réel, n’apparaîtrait-elle pas subitement dans votre esprit? [...]

31.

[...] L’«absence de pensée» consiste à ne s’attacher à aucun phénomène bien qu’en les percevant tous, à se trouver partout sans s’attacher à aucun lieu : rien d’autre que notre essence à jamais pure... [...]

34.

[...] Il n’y a aucun mérite à mépriser le monde entier dans un moi-moi-moi ininterrompu. Notre essence est une creuse illusion et il n’y a pas de mérites dans le corps absolu.

Pratiquez la vertu à chaque instant, restez égal et droit, et votre mérite, dégagé du mépris, consistera à toujours respecter autrui. [...]

35.

[...] Seigneur préfet, contentez-vous de faire le bien : à quoi bon vouloir, en plus, renaître où que ce soit? Si vous ne mettez pas un terme à vos états d’âme liés aux dix actes négatifs, quel Bouddha viendra vous accueillir sur le seuil de sa terre pure? Si vous compreniez parfaitement la subite méthode du sans-naissance, il ne vous faudrait qu’un bref instant pour voir la terre pure d’Occident. Si vous ne comprenez pas la méthode subite, le Grand Véhicule, la route sera longue, où vous réciterez le nom du Bouddha en pensant à votre vie future : comment en atteindrez-vous jamais le terme?

Seigneur préfet, poursuivit le Sixième Patriarche, le temps d’un clin d’œil, je vais me transporter en Occident avec vous. Nous aurons la terre pure devant les yeux. Vous ne voudriez pas la voir? [...]

Quand l’essence est présente, le corps et l’esprit perdurent; quand l’essence est partie, le corps et l’esprit se détériorent. Le Bouddha est le fait de notre essence : n’allons donc pas le chercher ailleurs qu’en nous-mêmes. Égaré quant à son essence, le Bouddha est un être ordinaire; illuminé dans son essence, l’être ordinaire est un Bouddha. La grande compassion, c’est Avalokita; la joie du détachement n’est autre que Mahâsthâmaprâpta; les maîtres de la pureté sont des Çâkyamounis; la droiture égale est Maitreya; le soi de l’homme s’érige en mont Mérou; les vues fausses forment l’océan; les passions ressemblent aux vagues... [...]

42.

[...] L’esprit humain n’est pas la pensée, mais le vide et la paix qui forment le fond et la source de la pensée. Se détacher des vues fausses, voilà donc «l’unique cause de cette seule grande chose». C’est en ne se méprenant ni à l’intérieur de soi ni à l’extérieur qu’on se détache des extrêmes opposés. La méprise extérieure consiste à croire à l’existence réelle des apparences; la méprise intérieure consiste à croire à leur insubstantialité. En se détachant des apparences au sein des apparences et de l’insubstantialité au sein de l’insubstantialité, on ne se méprend ni dedans ni dehors. Si, un seul instant, votre esprit s’ouvre à cette méthode, vous vous manifesterez, vous aussi, dans les mondes. À quoi votre esprit s’ouvrira-t-il alors? A la connaissance et à la vision d’un Bouddha, d’un être parfaitement éveillé. [...]

52.

[...] Si nous n’avions un esprit de Bouddha,

Où irions-nous chercher le Bouddha? (106)





761 Wang Wei (701-761) & 762 Li po (701-762)

Wang Wei Peintre-poète, adepte du bouddhisme Ch’an :

Montagne vide ne percevoir personne

Seulement entendre voix humaine résonner

Soleil couchant pénétrer forêt profonde

Un instant encore illuminer mousse verte.65.


Li-po :

Avec un ami, passant la nuit :

pour chasser la tristesse de mille années,

nous nous attardons à boire cent pichets

cette belle nuit est propice aux propos purs

la lune lumineuse ne nous laisse pas dormir

ivres nous nous allongeons sur la montagne vide,

le  ciel pour couverture, la  terre pour oreiller.66.


~780 Jean de Dalyatha (~690 ~780)

Originaire d’un village du nord de l’Iraq, au pied des montagnes du Kurdistan, Jean entra dans un monastère du sud de la Turquie actuelle puis s’établit dans la solitude au sein des montagnes de Dalyatha avant que des moines ne se groupent autour de lui. Il est le grand ermite nestorien, condamné puis réhabilité par son Église, dont les homélies et les lettres, joyaux de la mystique syriaque, révèlent une vie mystique conçue comme une «résurrection anticipée» fondée directement sur l’expérience. Il a été redécouvert par un carme missionnaire enseignant en 1956 au Séminaire chaldéen de Bagdad. Nous partageons son éblouissement qui situe Jean «au niveau d’un Jean de la Croix». Par quelque secrète symbiose, Robert Beulay sait rendre compte précisément des étapes de la voie  proposée par purification, sanctification et illumination, union…67 :


Il n’y a pour moi en dehors de lui [le Créateur] ni stabilité, ni mouvement, ni vie, ni perception. Et lorsque je suis absorbé par l’émerveillement, je les vois [la Trinité] (comme) une lampe unique, et comme celle-ci je resplendis. Aussi je m’émerveille de moi-même et me réjouis spirituellement : en moi se trouve la Source de la Vie, cette Source qui est la fin du monde incorporel. Il n’est possible à aucun sage de fournir à ceci une explication : gloire à Celui qui rend sages les siens par ce qui est sien et révèle sa beauté pour la délectation de ceux qui l’aiment !


~800? Le cycle de La grande libération attribué à Padmasambhava.

Le Livre des morts tibétains s’est lentement constitué au cours des siècles par des mises à jour successives de «trésors spirituels» cachés. On fait remonter l’origine de ce cycle à Padmasambhava qui vivait à la fin du VIIIe siècle. La découverte fondatrice aurait eu lieu à la fin du XIVe siècle par Karma Lingpa au pied d’une montagne ; la forme définitive est atteinte au XVIIe siècle ; d’où provient l’intérêt d’un témoignage élaboré lentement en parallèle à l’évolution de la civilisation tibétaine, combinant religion Bon et bouddhisme 68. Cet ensemble polymorphe a fait l’objet d’éditions partielles fortement marquées par l’esprit syncrétiste de traducteurs et d’interprètes 69.

On dispose depuis peu d’une traduction dont les explications attachées aux sections rétablissent l’intention profonde de textes facilitant une pratique méditative restée vivante 70. En ce sens il s’agit d’un Livre pour les vivants qui privilégie le détachement de nature mystique comme préparation au grand passage :

Extrait de la section intitulée La libération naturelle par la vision nue :


9. Si, contemplant, au loin, le ciel extérieur,

II ne jaillit de votre esprit aucune projection,

Et si, observant à l’intérieur votre esprit au plus intime,

Il ne s’y trouve aucun projecteur émettant des pensées discursives,

Votre esprit, pure clarté sans aucune projection chaotique,

Est la Présence intrinsèque, le Corps de réalité [unissant] luminosité et vacuité,

Semblable au lever du soleil dans un ciel limpide sans nuages. (148)

Bien qu’on ne puisse lui attribuer de forme particulière, on le connaît clairement.

Entre comprendre et ne pas comprendre ce point, la différence est immense !

Non créée depuis le tout-commencement, cette claire lumière surgie d’elle-même

Est le petit enfant de la Présence sans parents : étonnant !

Elle n’est produite par personne, car elle est la sagesse surgie d’elle-même : étonnant !

Jamais née, elle ne saurait mourir : étonnant !

Claire à l’évidence, elle n’a pas d’observateur : étonnant ! […]

 

Les apparences ne sont pas l’illusion, c’est l’attachement qui fait l’illusion.

Si vous comprenez que les pensées d’attachement sont

du domaine de l’esprit, elles se libéreront d’elles-mêmes. (158)

 

En réalisant simplement que votre esprit est une sagesse vide,

Les vertus comme les vices ne produiront plus leurs résultats (161)

 

Signification du Chant du vajra cité en présentation de la section de la Libération naturelle :

Sans naissance ni cessation,

Sans allées ni venues, il embrasse toutes choses.

Grande félicité, suprême doctrine immuable,

Semblable au ciel, liberté absolue sans oripeaux,

Sans origine ni support,

Sans lieu ni prise, grand phénomène

Libre depuis l’origine, immensité s’étendant à l’infini,

Sans entraves, il n’a pas à être libéré ;

Omniprésent, il existe depuis toujours,

Embrassant toutes choses dans l’égalité, transcendant les actes variés,

Immensité de l’espace céleste… (452)

 

Extrait de la Clarification de l’état intermédiaire, premier texte central du BardoThödröl :


essence limpide de la conscience, cet état présent, est une pure vacuité où n’existe en essence aucune substance, aucune caractéristique ni aucune couleur. Cela même est Samantabhadri, la Réalité absolue. C’est l’essence vide de ta propre conscience. Or, sans sombrer dans le non-sens et un vide d’anéantissement, ta propre conscience est manifestement claire et sans entraves, limpide et vive, et cela même est le Bouddha Samantabhadra. (541)

 

Le traducteur conclut : « Loin d’être un néant, la vacuité est l’Ouvert. Ce qui en jaillit est la vie dans sa spontanéité naturelle, c’est-à-dire l’énergie même de l’amour inconditionné que nous avons tous au plus profond de nous-mêmes. Mais, par une tragique méprise, nous ne comprenons pas cette réalité généreuse (973) ».


801 Râbi’a (~713-801)

« Quatrième (= Râb’ia) fille d’une famille très pauvre, s’il faut en croire Attar, elle se serait très tôt retrouvée orpheline. La tradition rapporte que vendue comme esclave, elle fut remise en liberté par son maître qui la découvrit un jour absorbée dans la prière et enveloppée dans la lumière. D’autres sources affirment qu’elle aurait été joueuse de flûte. 71


Mon Dieu, je prends refuge en Toi contre tout ce qui me détourne de Toi. 72 .

Où vas-tu ainsi, Maîtresse ? Que cherches-tu ? — Je vais porter le feu au Paradis et verser l’eau dans l’Enfer. Ainsi le Paradis disparaîtra, et l’Enfer disparaîtra, et seul apparaîtra Celui qui est le but.

D’où tu es venue ? — De l’autre monde. — Et où vas-tu ? — Vers l’autre monde. — Et que fais-tu en ce monde-ci ? — Je m’en moque. — Et de quelle façon ? — Je mange son pain et je fais les œuvres de l’autre monde.

En vérité, comment peux-tu décrire une chose quand, en sa présence tu es absent, en son existence tu es dissous, en sa contemplation tu es défait ?







Poèmes (I …VIII) suivis de prose (XV… LVI)73

I

Le choix prescrit : Paradis de l’Union perpétuelle

Ou flammes sans fin de la séparation des cœurs

II

Dis-toi ceci : tant que te réclame l’ici-bas

L’attrait de Dieu ne viendra pas t’obséder

 

L’attrait d’amour pour Dieu

Il faut, pour l’obtenir, l’estimer à son juste étalon.

VI

Nul amant n’est de mon Amant l’égal

Et dans mon cœur il n’est place que pour Lui

 

Mon Amoureux se dérobe à ma vue, se cache

Mais au profond de ma conscience Il surgit !

VIII

Je n’ai d’autre que Toi, qui du désert fais fleur

O Fête en moi, fermement établie !


Prose :

XV

Tout porte fruit. Le fruit de la connaissance et du savoir est d’avancer vers la proximité de Dieu.

XVI

Quelle est pour le serviteur la meilleure façon de se rapprocher de Dieu ? — Qu’il n’ait que Lui en ce monde et dans l’autre.

XX

Hassan al-Basrî… jeta son tapis de prière sur le fleuve et… invita la mystique à venir prier avec lui sur l’eau. … Puis elle lança son tapis en l’air… Rejoins-moi… Elle ajouta : Ce que tu as fait, un poisson peut le faire et ce que je fais une mouche le peut… le véritable travail est bien au-delà de tout cela… nous consacrer, toi, moi, et les autres serviteurs d’Allah, au vrai travail.

XXV

Râbi’a… face à la Ka’aba, dit : « Voici donc l’idole que l’on adore sur terre. Soyez-en sûrs : Dieu n’en a jamais franchi la porte et n’y a jamais séjourné. »

XXVII

Comment as-tu atteint un tel degré de réalisation spirituelle ? — Je n’ai fait que répéter : « Mon Seigneur, c’est en Toi que je me réfugie contre tout ce qui pourrait me distraire de Toi et viendrait s’interposer entre nous. »

XLVII

Si le monde était la propriété d’un seul homme, il ne serait pas riche, quoi qu’on en pense. — Comment cela ? — Parce qu’il n’aurait été que le possesseur de rien.

XLIX

Le chant du muezzin, disait-elle, évoque pour moi l’appel du héraut qui annoncera le Jour du Jugement ; le papillonnement de la neige rappelle le tourbillon des feuilles sur lesquelles seront inscrites les actions des hommes en ce même jour ; un vol de sauterelles, c’est pour moi comme la cohue des humains au Jour de la Résurrection.

LVI

« Abda la servante vit Râb’ia habillée d’une splendide robe verte brodée d’or… Et c’est pour cela que tu as tant peiné sur terre ? — Non, ceci n’est rien : j’attends, ainsi vêtue, ce qui va venir, ce qui m’est inconnu et que Dieu réserve à ceux qui L’aiment et qu’Il aime.

§

« Entre l’amant et l’aimé, dit-elle, il n’y a pas de distance. Il n’y a de parole que par la force du désir et de description que par le goût. Qui a goûté a connu et qui a décrit ne s’est pas décrit. En vérité, comment peux-tu décrire quelque chose quand, en sa présence, tu es absent, en son existence tu es dissous, en sa contemplation tu es défait, en sa pureté tu es ivre, en ton abandon tu es comblé, en ta joie tu te quittes ? 74 .»

§

« Le chant du Muezzin a toujours évoqué pour moi l’appel du héraut le jour du Jugement et la vue des flocons de neige, la voltige des feuilles sur lesquelles seront inscrites les actions des hommes ; et je n’ai guère vu de sauterelles sans penser au rassemblement des hommes le jour de la résurrection».

« Écoutant, un jour, ses visiteurs critiquer le monde, elle leur fit remarquer : « Le Prophète, que la prière et le salut de Dieu soient sur lui, disait : Celui qui aime une chose, en parle abondamment. L’intérêt que vous portez à ce monde prouve la fausseté de votre repentir, car si vous étiez absorbés en autre chose, vous ne l’évoqueriez même pas 75.»


Femmes soufies des premiers siècles de l’Hégire

Ukht al Fudayl, sœur (« ukht ») de Al Fudayl ibn « Iyâz, du Khurasân, m. 187 H.

« L’au-delà est plus proche de l’homme que ce bas monde. Dans sa course aux biens terrestres, l’homme peut être appelé à voyager, à consumer ses forces et à dilapider sa richesse, et risque fort de n’être point satisfait. Dans sa quête de l’autre monde, nul besoin pour lui de voyager, de fatiguer son corps, ni de dépenser son argent; seule lui est demandée une intention droite, où qu’il se trouve; il lui suffit pour cela d’obéir à Dieu en toute chose. 76»

Râyi’a bint Ismâ-îl, de Damas

« Si l’homme obéit en toute chose à Dieu, Il lui dévoilera ses méfaits ; aussi, au lieu de critiquer ceux des autres, l’homme œuvrera-t-il à corriger les siens propres. »

« Atika al Ghanawîya

«Implore ton Seigneur de toutes tes forces, en prévision des épreuves ; ce jour-là, ton Seigneur en tiendra compte ; remets-toi à Lui en toute chose. Il subviendra à tes besoins sans que tu aies à fournir ni peine ni effort.»

Muwaffaqa, de Mossoul

«Muwaffaqa tomba un jour et se mutila l’orteil : la voyant sourire, les gens, surpris, lui en demandèrent la raison : [elle répondit :] La douceur de Son invocation a banni de mon cœur toute douleur.»

Maymûna al sawdâ al majnûna al `’âqila

`Abd al Wâhid ibn Zayd raconte : « Trois nuits durant, j’implorai Dieu afin qu’Il me montrât mon compagnon au paradis ; j’eus alors une vision où il me fut dit : “Ton compagnon au paradis sera Maymûna al Sawdâ”. »

« Où se trouve-t-elle ? » demandai-je.

« À Kûfa », me répondit-on ;

Je m’y rendis aussitôt et me mis à sa recherche. J’appris qu’elle faisait paître des moutons ; je la suivis et la surpris en train de prier, vêtue d’une jibba [robe longue] en laine sur laquelle on pouvait lire : « N’est ni à vendre ni à acheter » [comme esclave appartenant à son maître et gardant son troupeau] ; non loin d’elle, les moutons paissaient tranquillement et sans crainte au milieu des loups sans que ceux-ci ne dévorent ceux-là. S’étant aperçue de ma présence, Maymûna me dit :

– « Retourne-t’en, ô Ibn Zayd, notre rendez-vous n’est pas en ce monde, mais dans l’autre ! »

Surpris, je lui demandai :

– « Comment sais-tu que je suis Ibn Zayd ? »

- « Ne sais-tu pas, me répondit-elle, que les esprits sont semblables à des soldats enrôlés dans le même régiment, il suffit qu’ils se reconnaissent pour devenir familiers ? »

La sœur d’al-Foudayl (8e siècle)

« Le chemin pour l’acquisition des biens éternels est plus court que celui qui conduit aux biens terrestres. Celui qui se met à la recherche de ces derniers se dépense en d’incessants déplacements, fatigue son corps et perd ses richesses. En déployant tous ses efforts, très souvent il manque le but qu’il poursuit. Tandis que celui qui cherche les biens de l’autre monde, le succès de ses démarches est lié à son intention droite, en quelque lieu où il se trouve, sans qu’il soit obligé de se déplacer, de dépenser sa fortune, de fatiguer son corps et de s’exposer à des alarmes continuelles. Il amasse les fruits de l’obéissance à la Loi divine, et le voici qui atteint son but! » 77.

Rouqayya de Mossoul (8e siècle)

« Il n’est pas permis à un cœur où réside la crainte des créatures de goûter la saveur exquise de la Foi.

Ils ont distrait en Dieu leurs cœurs des affaires de ce monde. S’ils libéraient vraiment ces cœurs des préoccupations terrestres, ils auraient vite fait de parcourir le Royaume céleste et de revenir à ceux-ci, en apportant comme butin les avantages les plus rares. »

Abida al-Ma’nawiyya (8e siècle)

« Cherche un accès auprès de Dieu par tous les moyens qu’il te sera possible d’employer. Tu trouveras bientôt que cette conduite te permet d’accroître en intensité tous les états spirituels élevés qui te sont accordés d’En-Haut. Compte sur Dieu pour te munir du nécessaire : cela te sera donné sans aucune fatigue de ta part, sans aucune peine. »

Fatima de Nichapour (9e siècle)

« L’homme juste et l’homme qui bénéficie de l’approche divine se trouvent tous les deux au milieu d’un océan secoué par la tempête, où les vagues déferlent sur eux de toutes leurs forces. Ils ne peuvent échapper à la fureur des flots qu’en invoquant le secours du Seigneur qui commande à l’Océan, et en lui adressant les supplications du naufragé sur le point de périr, afin d’obtenir de Lui le salut et la délivrance. »

Hommes soufis des premiers siècles de l’Hégire

Bichr al-Hafi (841)

Bichr al-Hafi naquit dans le Khorasân et mourut à Bagdad, où il donnait un enseignement à des ascètes qui vivaient autour de lui.

« Un jour que le froid était rigoureux, des amis le rencontrèrent presque nu. Il grelottait.

« Pourquoi es-tu ainsi, ô Abou-Nasr ?

« – Le souvenir des indigents m’est venu à l’esprit, leur dit-il. Comme ils n’ont pas de quoi se couvrir et que je n’ai rien qui puisse être partagé avec eux, j’ai aimé leur donner en partage ma propre personne, en souffrant avec eux les mêmes tourments, à cause du froid.78 (p. 26)»

Dhou’l-noun l’égyptien (860)

Un homme écrivit à Dhou’l-Noûn :

– « Que Dieu t’accorde l’agrément de sa proximité... »

Il répondit par ce billet :

- « Que Dieu t’accorde la nostalgie de sa proximité. Car l’agrément que tu souhaites est donné en fonction de l’état de la personne elle-même. Tandis que la nostalgie est proportionnelle à la puissance du Très-Haut. Or à celle-ci, il n’y a point de limite, jusqu’à ce qu’Il te laisse altéré de soif de Lui (38). »

Sari al-Saqati (870)

« Je connais une route plus courte que les autres pour aller au Paradis : rie demande rien à personne ; ne prends rien de personne ; ne garde rien qui puisse être donné (49). »

Abou’l-Hasan al-Nouri (907)

Il m’a visité,

et puis Il m’a quitté,

alors que j’essayais

de lui rendre sa visite.

Il m’a déclaré, lorsqu’Il m’a délaissé

Désormais, tu ne verras plus ce que tu regarderas

à moins que Tu me voies

dans tout ce que tu regardes (109).

§

Pour celui qui rend visite

à son Bien-Aimé,

les meilleurs habits,

sont ceux que le Bien-Aimé

lui a lui-même donnés. (114)



Ibn al-A'rabi qui vécut près de La Mekke (951)

Ibn al-A'râbi fréquenta quelque temps les disciples d’al-Djounayd et vécut dans le voisinage immédiat du sanctuaire de La Mekke. On lit dans le « Livre de l’extase » d’Ibn Al-A'rabi les remarques suivantes, recueillies par Abou-Nasr al-Sarradj (172) :


L’extase (wajd) est un état d’âme provoqué par un souvenir troublant, une crainte vivement ressentie, un blâme à propos d’une faute commise, un trait émouvant cité au cours d’une conversation. Il peut naître aussi lorsqu’on découvre, grâce à la bienveillance d’un bon conseiller, un avantage précieux dont on est en mesure de bénéficier. Il peut accompagner le désir ardent de voir une personne absente, le regret d’avoir laissé passer une occasion favorable, le repentir sur sa conduite dans le temps écoulé, la (122) mise en œuvre de tous les moyens afin de parvenir à un état nouveau, un appel urgent pour l’accomplissement d’un devoir nécessaire, ou la participation à un secret au cours d’une conversation confidentielle.

C’est donc la confrontation d’un événement extérieur avec un autre événement extérieur, d’un fait caché avec un autre fait caché, d’une réalité invisible avec une autre réalité invisible, d’un mystère avec un autre mystère. C’est l’action d’isoler ce qui t’appartient par comparaison avec ce qui a exercé une action sur toi, dans l’ensemble des faits du passé auxquels tu as été mêlé. Tout cela, afin que tu prennes cette part personnelle comme objet de tes recherches et qu’elle soit inscrite à ton compte lorsque tu l’auras de nouveau posée. C’est alors qu’une place dans la hiérarchie du mérite te sera dévolue, sans qu’il y ait eu pour toi de mention préétablie. Du moment que c’est Dieu qui prend l’initiative des bienfaits qu’Il accorde et que c’est Lui qui se charge de les distribuer, qui inspire les remerciements auxquels ces grâces donnent lieu et t’en attribue les mérites. Il te fixera donc, au moyen de ces grâces, un rang susceptible de changer, et c’est à Lui que revient le pouvoir absolu de le faire. Voilà en quoi consiste, d’une manière générale, la science des états d’extase.

L’extase se présente extérieurement comme la manifestation d’un sentiment de joie. En termes de connaissance intellectuelle, c’est une augmentation, dont le niveau le plus bas dépasse l’endurance de l’homme, et dont l’intensité la plus grande dépasse la capacité de celui-ci à la contenir. L’activité de l’imagination y est perceptible. L’excitation y est discontinue, soit que cet état la fait naître, soit qu’il subit son influence en retour. C’est pour cette raison que l’état d’extase produit dans l’individu une tristesse profonde, précédée probablement d’un sentiment de désespérance. Quant aux pleurs et aux sanglots, ils n’augmentent pas d’intensité (123) à l’approche du phénomène. Car on ne le connaît point avant qu’il n’ait eu lieu, et l’on n’y est pas encore accoutumé lorsqu’il disparaît, tant il vient et part avec rapidité, comme si son arrivée et sa disparition se faisaient dans le même instant. À peine s’aperçoit-on qu’il est là, qu’un sentiment de regret suit sa disparition, puis un tremblement convulsif, l’évanouissement, l’affaiblissement des membres et la défaite de l’intelligence. Tous ces faits, à cause justement du pouvoir considérable de Celui qui survient ainsi et à cause de la force de son élan.

Ainsi tout ce qui surgit de cette manière est senti, de prime abord, comme étrange ou terrible, effroyable. Dans la rapidité de sa venue comme dans celle de son départ, il y a une sagesse évidente et un bienfait manifeste. Si Dieu n’avait pas soutenu ses amis, et n’avait pas jeté sur chacun des cœurs la quantité de ces choses à la mesure de ce que ce cœur est capable de supporter, certes leur intelligence en aurait été frappée de stupeur et leur âme épouvantée.

Cet état échappe à toute connaissance intellectuelle, et les étapes n’en sont pas fixées par avance. De même, ce phénomène ne dure pas le temps d’un seul regard, d’un seul clin d’œil. Tout cela, parce que Dieu prend en pitié ses compagnons fidèles et veut leur éviter d’en être éprouvés à l’excès, afin de leur donner à boire le lait qu’Il veut et de la manière qu’Il veut.

L’extase, telle qu’elle se produit ici-bas, n’est pas un dévoilement, mais une contemplation du cœur, une perception vraie de l’imagination, une saisie conjecturale de la Foi. L’individu contemple à travers une atmosphère de joie que la Foi a produite en lui, et aussi à travers une limpidité qu’a fait naître en lui la méditation, car il se trouve, grâce à celle-ci, dans un état d’attention soutenue. Lorsqu’il se réveille de son engloutissement, il perd aussitôt ce qu’il y a trouvé, et conserve les connaissances acquises précédemment.

911 Junayd (830-911)

«Le Seigneur de la Tribu spirituelle»79.

39 L’une des paroles les plus salutaires de Junayd est peut-être celle-ci : « Sache que tu es voilé à toi-même par toi-même, et que tu ne parviendras pas à Lui par toi-même, mais que c’est par Lui-même que tu pourras L’atteindre ! ».

Et il a fait d’eux des hommes qui (p. 52) repoussent toute prétention à Le connaître à partir d’une définition (tahdid). Des hommes qu’Il a choisis pour Lui-même, à qui Il a accordé tous Ses soins, et sur qui, pour Lui-méme, Il a répandu Son Amour : « Et Je t’ai choisi pour Moi-même », « ... et pour que tu sois l’objet de tous Mes soins », « ... et J’ai répandu sur toi Mon Amour » (expressions coraniques concernant Moïse, citées ici dans l’ordre inverse des versets ; XX, 41 et 39).

L’une des caractéristiques de ceux que Dieu a choisis pour Lui-même, à qui Il a accordé tous Ses soins et sur qui Il a répandu Son Amour, est la suivante : ce n’est jamais à eux que revient l’initiative, qu’il s’agisse de savoir ou de comprendre d’une façon définitive avec l’accord de l’intelligence, ou encore de réfléchir à une décision à prendre pour un dessein à exécuter, car ils sont ceux que la Connaissance transporte vers l’infini, là où la science ne saurait les amener.

(p. 63) « C’est là une question qui ne correspond à aucune vérité définissable ni à aucune notion intelligible susceptible d’apporter un surcroît de connaissance. Il ne s’agit que de la foi nue en Dieu et de sa réalité toute pure dans les cœurs. Il ne s’agit que de cette connaissance de Dieu qui se fixe dans le cœur, et de la croyance en les informations qu’Il a données sur tout ce qui Le concerne dans Ses cieux et sur Sa terre, et qui font partie de ce qui s’établit fermement dans la conviction, même si je ne le constate pas de visu. Comment se pourrait-il qu’il y ait une sincérité (sidq) pour la sincérité, et une conviction à l’égard de la conviction ! La sincérité n’est qu’un acte à l’intérieur du cœur, et la conviction est la connaissance qui s’est fixée en moi ; comment se pourrait-il donc que mon action agisse, alors que c’est moi qui agis, ou que ma connaissance connaisse, alors que c’est moi qui connais ! La question concernant le commencement (de la foi) est inadéquate. S’il était possible d’avoir foi en la foi et de croire en la croyance, l’on admettrait alors la succession et la récurrence d’une série de termes indéfiniment multiples; et il faudrait admettre que, de même que ma foi et ma croyance entraîneront une récompense, cela aboutirait à une récompense pour la foi en ma foi et à une rétribution pour la croyance en ma croyance ! »

(p. 189 n° 9). Le tasawwuf, c’est que l’Être divin te fasse mourir à toi-même, et qu’Il te fasse vivre par Lui. (G, 138-9; M, I, 287).

(190 n° 18). Le soufi est semblable à une terre sur laquelle on jette toutes sortes de choses laides et dont il ne sort que des choses belles (G, 139; M, I, 290; T3, folio 42a).

(191 n° 25). La pauvreté spirituelle (faqr), c’est que le cœur soit vide des formes (H, 27).

(92) Sois mon compagnon en n’importe quel état où je me trouverai et incline-Toi vers moi80.

Je me trouve dans une prison qu’ont bâtie les obstacles qui proviennent de mes défauts et de mes péchés d’omission. Je T’en supplie, enlève de mon souvenir ces rebuts mauvais, empêche-les d’envahir mon cœur. Fais que tous mes instants, de jour comme de nuit, soient bâtis avec la méditation constante de tes attributs, et cimentés avec les actes que je poserai pour Te servir et T’adorer. Tout cela, afin que mon approche soit continue et mon état unique, sans qu’il y ait en lui ni dégoût spirituel, ni tiédeur, ni ennui, ni négligence.

Tu as Toi-même conduit vers Toi les desseins qu’ils ont nourris afin de Te trouver. Tu as isolé leur volonté devant Toi. Leurs cœurs, Tu les as amenés par Toi vers Toi. Tu as fait disparaître leur chance de bonheur terrestre en cette vie, pour tout ce qui n’est pas Toi-même. Tu as tout rassemblé pour Toi seul. Le jour et la nuit, ils se sont tournés vers Toi. Ils se dirigent vers Toi en toutes circonstances et Te préfèrent à tous les états spirituels auxquels ils pouvaient accéder.

(123) On lui demanda : – Que dis-tu de l’Amour ?

– C’est, répondit-il, l’insertion des qualités du Bien-Aimé à la place de celles de l’Amant. Ceci, d’après le sens de la parole de Dieu : «... afin que je l’aime. Lorsque je serai l’œil par lequel il verra, l’oreille par laquelle il entendra, la main avec laquelle il saisira.»


922 Hallaj (857-922) présenté par Hamadani

Hallâj est célèbre en occident depuis le grand œuvre de Massignon 81.

Hamadani — autre grand martyr, entrée «1131 Hamadani» — présente ainsi Hallaj 82 et le cite :


« 329. Kâmil al-dawla wa al-din a écrit que la rumeur circule en ville que «Ayn al-Quzât se prend pour Dieu et que l’on a prononcé la sentence de ma mort. O Mon ami ! si l’on te demande de prononcer cette sentence, prononce-la, toi aussi. Je demande à tout le monde d’appliquer la sentence de ce verset : « à Dieu appartiennent les plus beaux noms, invoquez-Le par eux et éloignez-vous de ceux qui en détournent le sens. Ils recevront le salaire de leurs œuvres » (7, 180). Moi-même, je demande cette mise à mort dans mes prières, mais le jour n’est pas encore arrivé, quand donc viendra-t-il ? « Cela n’est pas difficile pour Dieu » (14, 20). Je sais que tu voudrais bien savoir quelle est la prière qu’il faut réciter pendant les concerts spirituels (samâ»). Ce sont ces vers que Mansur Hallâj avait l’habitude de dire :

« Est-ce Toi, est-ce moi ? Cela ferait deux dieux,

loin de moi, loin de moi, la pensée d’affirmer deux ;

Il y a une Ipséité tienne, au fond de mon néant pour toujours

c’est le Tout par-devant toute chose, équivoque au double visage.

Où donc est Ton essence, hors de moi, pour que j’y voie clair,

mais déjà mon essence s’élucide, au point qu’elle n’a plus de lieu.

Et où retrouver Ton visage, objet de mon double attrait

au nadir de mon cour ou au nadir de mon œil ?

Entre Toi et moi, il y a un “c’est moi” qui me tourmente,

enlève par Ton “c’est Moi” mon “c’est moi” d’entre

nous-deux83 ».

Comprendre le sens de ces vers n’est pas donné à tout le monde. Qui peut le mériter et qui peut en avoir l’intelligence ? Mais si malgré tout, tu voulais en saisir quelque effluve en persan, écoute :

Emplis la coupe et ravis mon âme,

enivre-moi et enlève-moi à ces deux mondes.

Dans la lucidité existent le chagrin, le profit et la perte ;

ravis-moi à l’emprise du chagrin, du profit et de la perte.

Il faut vivre avec l’impiété et l’islam,

montre-Toi et soustrais-moi à celle-ci et à celui-là84. »


849 Bistami/Bayazid (777-848/9)

Né en 777 à Bistam (nord de l’Iran, près de Shahrud, entre Tehran et Mashhad) où il a mené une vie sédentaire et indépendante à l’exception de courtes périodes pendant lesquelles il fut obligé de vivre loin de son foyer à cause de l’hostilité des théologiens orthodoxes85, initié par son ami Abû «Alî Sindi. Il préférait fréquenter une toute petite mosquée plutôt que la mosquée cathédrale toute voisine, puis il construisit un réduit pour ses retraites. Mort en 848 ou 849. Schimmel reprend et loue Ritter86; Dermenghem fait un portrait très vivant87.

Ses dits furent collectés par Junayd par l’intermédiaire de son neveu et disciple favori Abû Mûsa. Hujwiri séjourna près de sa tombe fréquentée de tout temps.

À l’intoxication mystique succède la sobriété selon Hujwiri88 :

Abû Yazîd . . . prefer intoxication to sobriety. They say that sobriety involves the fixity and equilibrium of human attributes, which are the greatest veil between God and Man, whereas intoxication involves the destruction of human attributes. 

Le sentiment d’échec est le signe de l’usure du moi, il n’est pas nécessaire de le contourner, mais d’aller jusqu’à son fond pour le traverser : alors on est libéré dans l’absence apparente de tout appui, c’est la voie de l’anéantissement, effacement au bénéfice du divin89 :

Je vis le Seigneur de Gloire en rêve. Je lui dis : comment aller vers Toi ? — Il répondit : laisse ton moi et viens. (Dit 16). 

Par quoi ont-ils obtenu… ? — Par la perte de ce qu’ils ont et le constat de ce qu’Il a. (Dit 32). 

Ils ont parlé des états limpides ; et moi je parle de la mer de la pure grâce ; aussi leur discours est-il composite et le mien net. Il y a loin entre celui qui dit : « Moi et Toi » et celui qui dit : « Toi c’est Toi ». (Dit 92).

L’ayant connu par moi-même, je fus anéanti. Le connaissant par lui, je survis. (Dit 112).

Qu’est-ce que le renoncement ? — Le renoncement est sans importance… j’avais renoncé à ce monde… à l’au-delà… à ce qui n’est pas Dieu ; quand fut venu le quatrième jour, je n’avais plus rien sinon Dieu. Je compris. Et j’entendis une voix dire : — Abû Yazid, ne te mesure pas à Nous. Je répondis : C’est la parole que j’attendais. … — Tu as trouvé ! (Dit 298).

Mon Dieu, qu’est-ce qui n’est pas à Toi et permet de T’approcher ? — le dénuement et la pauvreté… Il me les montra. C’était une bande disséminée… (Dit 331)

Les êtres ont des états, l’initié n’en a pas. Les vestiges de son moi se sont effacés. Il ne contemple que Dieu très haut, dans le sommeil, dans la veille. (Dit 432).

« Une nuit, je me levai pour prier. Je ressentis une grande lassitude. Je m’assis et j’étendis le pied. J’entendis alors une voix qui me disait : « celui qui se tient en présence d’un Roi doit se conduire avec la plus grande politesse...90.»

965 Niffari (879-965)

41. STATION DE L’ÉRUDITION ET DU RETOURNEMENT DE SOI 91.

Il m’arrêta et me dit :

Tu n’es ni proche ni lointain, ni absent ni présent, ni vivant ni mort. Écoute donc mon testament : si je te nomme, ne te nomme pas ; et si je te pare, ne t’embellis pas. Et ne m’évoque pas, car si tu m’évoques, je te ferai oublier mon évocation.

Il me dévoila la face de toute chose et je la vis attachée à sa face ; et le dos de toute chose et je le vis attaché à son commandement et à sa prohibition.

Il me dit : regarde ma face.

Je regardai et il dit : « Elle n’est autre que moi » ; je répondis : « Elle n’est autre que toi ».

Il me dit : « Regarde ta face ». Je regardai. Il dit : « Elle n’est autre que toi ? » je répondis : « Elle n’est autre que moi ». II me dit : « Retire-toi, car tu es l’érudit ». Et je m’en allais quêter dans l’érudition. Et par l’instruction je réussis le retournement de soi ; je le lui rapportai, alors il répondit : « Je ne regarde pas une chose qui est artificielle ».


995 Traité de soufisme de Kalâbâdhi (? – 995)

Il s’agit d’un recueil de « dits » provenant de cinquante-six soufis. Hallâj tient la première place. Ils définissent le soufi, fournissent une profession de foi conforme à l’enseignement de l’Islam majoritaire, définissent des stations ascétiques et mystiques, un vocabulaire, le comportement soufi et les charismes donnés par Dieu : traité certes sévère et orthodoxe (hambalite) souvent traduit: « Livre de l’information sur la doctrine des hommes du soufisme ».92.


« Ils sont unanimes à professer que Dieu est le créateur de tous les actes de Ses serviteurs… (46).

« Ils sont unanimes à professer que la preuve qui montre Dieu est Dieu… « Nul ne Le connaît, sinon celui à qui Il se fait connaître. Nul ne proclame son Unité, sinon celui pour qui Il S’est fait unique. Nul ne croit en Lui, sinon celui à qui Il en accorde la grâce. » [Hallâj]. (64).

« J’ai été uni et j’ai été séparé de moi-même, par Lui ; et quand il y a la réunion, celui qui est seul est compté deux ! » (136).


Le plus ancien traité sur le soufisme rédigé non plus en arabe, mais en persan sera le célèbre Kasf Al-Mahjûb achevé à Lahore par Hujwiri (-1074)93. Il présente avec ordre et clarté les Compagnons, les sûfîs éminents, les doctrines des « sectes » auxquelles ils appartiennent,  les « voiles » à découvrir. Ne se prête guère ici à quelque choix mais à lire sans restriction!

1021 Sulami (937–1021)

Son grand-père maternel était un malâmatî [« homme du blâme »] disciple d’Abû «Uthmân. Il eut d’autres informateurs malâmatiyya formés par le fondateur Hamdûn al-Qassar et d’autres. Il vécut et mourut à Nîchâpûr. Historien auteur de la Tabaqât as-sûfiyyaLes classes des soufis»), repris par Ansârî puis par Jâmî. Mais aussi maître spirituel (ses autres ouvrages ne sont pas traduits). Il dirigeait à la fin de sa vie un couvent et lieu de retraite temporaire (khânqâh). Influences : Sulamî > Nasrâbâdî > Abû Sa'id ; Sulamî > Abû Alî ad'Daqqâq > al-Qushayrî ; Sulamî > al-Bayhaqî 94.



44 D’où vient-il, où est-il, comment est-il, à qui appartient-il, de qui est-il issu, et où va-t-il. Quand il aura une véritable connaissance de ces diverses situations, sa propre personne ne comptera plus à ses yeux… il cessera de penser au passé et à l’avenir, il vivra le moment présent en conformité avec la volonté de celui à qui il appartient.

66… pour le malamati, ne pas se faire remarquer par quoi que ce soit qui pourrait le distinguer des autres hommes  … respecter les préceptes de la vie extérieure quand il est en leur compagnie, tout en gardant une parfaite vigilance qui le maintiendra dans un isolement intime… rien ainsi ne le distinguera d’autrui, mais sa réalité intérieure ne se pliera pas à cette conformité.

84… parole de “Alî ibn Hârûn al-Husrî : ‘Quand il y a une correspondance heureuse entre un samâ' véritable et le cœur d’un mystique confirmé… sa crainte révérencielle se manifeste aux autres participants et elle est à ce point parfaite que plus personne ne bouge en sa présence, ni ne crie, ni ne perd son calme… l’expérience intérieure qu’il vit dans cet instant privilégié l’emporte sur celle des autres participants… elle s’impose à eux’.

87 moi je distribue et c’est Dieu qui donne.

89 Avec quoi te présenteras-tu devant ton Seigneur ? — Qu’est-ce que le pauvre peut bien offrir au Riche sinon son dénuement envers Lui !

92… pour ses frères un flambeau pendant le nuit et une canne pendant le jour.

100 Le malamati : c’est un homme qui intérieurement est dépourvu de toute prétention et qui extérieurement est dépourvu de toute affectation et de toute ostentation et pour qui le secret qui existe entre Dieu et lui échappe aux regards indiscrets de sa propre âme, à plus forte raison aux autres créatures.

113 note :  le repentir n’est en rien le fait du serviteur, car c’est un retour de Dieu vers lui et non pas un retour qui provient de lui.

§

Commentant à la fin de l’ouvrage un verset du Coran, Sulami revient sur le rôle ‘vivificateur’ des saints, en des termes dont le lyrisme mérite d’être souligné, car, sous sa plume, le fait est plutôt rare 95 :

283 « Cela signifie qu’Il vous a fait vivre afin d’insuffler la vie par votre entremise, puis Il vous fait mourir à votre être afin que vous viviez par Moi, et que vos attributs disparaissent. Celui qui vous verra alors Me verra en vous et celui qui vivra par vous vivra sans vous, car en réalité vous êtes par Moi et pour Moi. Vos attributs s’éteindront tandis qu’apparaîtra la baraka de l’empreinte de Mes Attributs. Quant à vous, vous serez sans vous, mais par Moi, non ! Rien de vous (ne subsistera), (seulement) Moi, Moi le Vivant, le Permanent, Détenteur de la Magnificence et de la Générosité.”

312 Ayant parcouru toutes les stations, il demeure avec Dieu, sans station, ni lieu, ni nom, ni forme, ni attribut, ni prétention [ni exigence,] ni vision, ni contemplation [ni mouvement,] ni requête. Il est tel qu’on l’a décrit : “Le serviteur sera comme s’il n’avait jamais existé et Dieu (demeure) comme il n’a jamais cessé d’être” [citation attribuée par Sulami à Junaid]. »

365 « Si le serviteur parvient au lieu de la connaissance (maball al-ma`rifa)... il est dépourvu de forme particulière ou d’attribut, il contemple le monde et ses créatures avec l’œil de l’extinction, il les observe avec un regard compatissant et bienveillant, les excusant pour ce qu’ils font, car c’est par Dieu qu’il les regarde et non par lui-même, par Lui qu’il est compatissant et non du fait de sa propre nature. Malgré l’élévation de son état, tu le vois toujours occupé à aider le faible, à secourir l’opprimé, à consoler l’accablé, il ne reste en lui ni grossièreté ni rudesse ni reproche envers quiconque. Parmi Ses Attributs, Dieu l’a revêtu de l’habit de la compassion et de la miséricorde. Il est alors plus miséricordieux envers les créatures qu’il ne l’est envers lui-même : il honore le pauvre, est bienveillant envers le riche, invoque pour le pécheur et intercède en faveur de celui qui obéit. »

442 « Dans cet état spirituel [station de la compassion], il sera indulgent envers le pécheur et priera pour lui ; il magnifiera la dignité de celui qui obéit à Dieu ; il s’apitoiera sur celui qui est éprouvé, comme s’il était lui-même la victime... Il sera un refuge pour les hommes, un abri pour les âmes en peine, le compagnon des affligés, un asile pour les opprimés. Quiconque le verra recherchera son intimité à cause de celle que lui accorde son Seigneur ; celui qui le prendra pour compagnon se reposera sur lui, car lui-même s ’en remet à son Maître. »


1022 Symeon le Nouveau Théologien (949 - 1022)

Encore jeune, Syméon fut envoyé à Constantinople chez son oncle paternel pour y achever son instruction et pour être introduit à la cour impériale. Après la mort inattendue de l’oncle, il se proposa d’entrer au monastère de Studios, auprès de son père spirituel, Siméon le pieux ; le projet n’eut pas de suite et il mena un temps « une vie dissipée ». Enfin à vingt-huit ans, il entra au Studios et fut confié à son vénéré maître. En 980, il devint l’higoumène du monastère, travailla à le réformer et devint le père spirituel rayonnant au dehors de sa communauté. Après de nombreuses épreuves, dont une révolte de moines et deux condamnations à l’exil, il s’installa dans un oratoire en ruine, dédié à sainte Marine, sur la rive asiatique du Bosphore, près du moderne Scutari (Usküdar). C’est là qu’il écrivit nombre de ses œuvres. Une filiation mystique passe de Siméon le Pieux, à Syméon le Nouveau Théologien, puis à Nicétas Stétathos.

Une grande joie émane de ses écrits. Ils célèbrent une rencontre jamais achevée, dans la lumière sans limites. À l’influence néo-platonicienne transmise par Denys, il ajoute le dynamisme de sa vie mystique et une relation d’amour. Les thèmes qui reviennent le plus souvent portent sur sa connaissance acquise personnellement dans sa vie contemplative96. Il traduit son expérience dans des hymnes97 :

Il [le moine] Le voit et en est vu, L’aime et en est aimé,

Et deviens lumière, parce qu’éclairé de manière ineffable ;

Glorifié, il se voit toujours plus pauvre :

Intime, Il est comme un étranger

– ô merveille totalement étrange et inexprimable !

À cause de ma richesse infinie, je suis un indigent

Et pense ne rien avoir, quand je possède tellement

Et je dis : « J’ai soif », par surabondance des eaux...98.

L’action vertueuse, mais intéressée ne donne pas « la lumière [incréée] » :

... Les femmes qui tissent, les fondeurs d’or et les orfèvres

Veillent plus que la plupart des moines

Et voilà pourquoi nous disons que rien

De toutes ces actions vertueuses ne s’appelle la lumière99.

Mais tout est donné gratuitement, dont la lumière divine resplendissante. « L’indigne » ne peut aimer les hommes, mais « Il se découvre Lui-même en moi » :

... Et qui donc s’approcherait de Lui ? ...

Tandis que j’y réfléchis, Il se découvre Lui-même en moi,

Resplendissant à l’intérieur de mon misérable cœur...

Il se donne tout entier à moi, l’indigne,

Et je suis rempli de Son amour et de Sa beauté...100.

Le terme est la déification, chère aux Orthodoxes, thème qui deviendra souvent suspect (peut-être l’était-il déjà à son époque, mais les indices manquent). Il provoquera l’amendement de certains écrits trop explicites lorsque l’auteur quitte le mode lyrique en commentant son poème. Dieu est célébré ainsi par Syméon :

 ... Tu es tout entier immobile et tout entier toujours en mouvement,

Tout entier en dehors de la création et tout entier en toute créature,

Tu emplis entièrement tout, Toi qui est tout entier en dehors de tout,

Au-dessus de tout.

... Tu es la simplicité, et Tu es toute variété,

Et notre esprit est totalement incapable de sonder

La variété de Ta gloire et la splendeur de Ta beauté

...

Demeurant ce que nous sommes, nous devenons par Ta grâce

Fils, semblable à toi, et dieux, voyant Dieu.101.  

Syméon souligne la nécessité d’être guidé par un père spirituel. Sa biographie montre les difficultés auxquelles il se heurta par sa fidélité à son vénéré maître Siméon le pieux. Le problème de la validité de la hiérarchie ecclésiale se pose et un passage autobiographique témoigne d’attaques violentes 102:

Arrête, disent-ils, dévoyé et orgueilleux que tu es ! Qui donc actuellement est devenu tel que furent les saints Pères ? Qui donc a vu Dieu ou est capable de le voir si peu que ce soit ? ... Arrête si tu ne veux pas que nous te fassions accabler de pierres.

Il y répond par l’expérience de la « vie en Esprit » :

Si c’était par les lettres et les études que la découverte de la vraie sagesse et de la connaissance de Dieu devait nous être donnée... quel besoin avions-nous de la foi... Aucun certainement103.» En effet, « Tout homme insensible à l’Un est insensible à tout, et de même celui qui a la sensation de l’Un est en état de tout sentir104.» 



Élaborant un thème classique depuis Augustin, il évoque par une belle analogie la « plongée » mystique :

Debout sur le rivage de la mer, l’homme voit l’océan infini des eaux ; il n’en peut cependant saisir la fin et n’en aperçoit qu’une partie. Ainsi celui qui a été jugé digne de fixer son regard par la contemplation sur l’océan infini de la gloire de Dieu et de Le voir intérieurement ne Le voit pas aussi grand qu’Il est, mais aussi grand que cela est possible aux yeux intérieurs de son âme... Dès qu’il commence à entrer dans l’eau et qu’il s’y enfonce... il perd aussi la vue de ce qui est au-dehors105.

Il affirme nettement la réalité d’un état déifié vécu dès ici-bas : « Avant la mort se produit une mort et avant la résurrection des corps une résurrection des âmes en œuvre, en puissance, en expérience et en vérité 106.

L’influence de Syméon se fera sentir d’abord sur son disciple et biographe Nicétas Stétathos, puis après un long oubli, sur Grégoire Palamas (?-1359). Nicodème l’Hagiorite (1749-1809), qui   collabora avec Macaire de Corinthe pour l’édition de la Philocalie (Venise, 1782), l’appelle “le troisième théologien, après l’apôtre Jean et Grégoire de Naziance (?-390). En occident, le grand historien carme Honoré de Sainte-Marie ne l’ignore pas : il lui consacre sa plus longue notice relative aux spirituels du XIe siècle, dans sa Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation… parue en 1708.

~1030 Abhinavagupta (~955 - ~1030) et le Sivaïsme du Cachemire.

Toute une tradition mystique a été restaurée et rendue vivante dans les traductions commentées et par les présentations de Lilian Silburn 107. Le Sivaïsme du Cachemire est l’aboutissement d’une longue évolution indienne conduite depuis les origines 108 jusqu’à la réforme du Bouddha et ses suites dont l’efflorescence propre au bouddhisme dit du grand Véhicule.109 Des éléments furent préservés des destructions musulmanes  au Cachemire ; ils contribuèrent à l’épanouissement local d’une mystique dite Sivaïte sous-tendue par une transmission qui dura plusieurs siècles. Abhinavagupta 110 reste le maître célèbre au sein de plusieurs lignées parce que son génie propre s’exerça également dans le domaine esthétique. Nous rattachons ici cette tradition égale aux plus grandes.

QUINZE STANCES SUR LA CONSCIENCE 111

1-2. Cet Un dont l’essence est l’immuable Lumière de toutes les clartés et de toutes les ténèbres, en qui clartés et ténèbres résident, c’est le Souverain même, nature innée de tous les êtres ; la multitude des choses n’est rien d’autre que son énergie souveraine.

3. Et l’énergie ne se pose pas comme séparée de l’essence de celui qui la possède. I1 y a éternellement identité des deux comme du feu et de son pouvoir de brûler.

4. Lui, le Dieu Bhairava, a pour caractéristique de maintenir l’univers tout entier reflété, grâce à cette énergie, dans le miroir de son propre Soi.

5. Elle, la suprême Déesse, s’adonne à la prise de conscience de l’essence de celui même dont la plénitude en tout ce qui existe n’augmente ni ne diminue.

Ce Dieu s’adonne éternellement au plaisir de jouer avec cette Déesse ; omniscient, il suscite de façon simultanée les diverses émissions et résorptions.

7. Telle est son incomparable activité, éminemment difficile à accomplir ; telles, sa liberté, sa souveraineté, son Essence consciente de soi. [...]

12-13. Inclination de Sa grâce, tradition du maître ou traités religieux, que par l’une ou l’autre de ces approches s’éveille la Connaissance parfaite de la Réalité — le Seigneur suprême — voilà la délivrance, la plus haute souveraineté, la plénitude des êtres illuminés, voilà encore ce que l’on nomme libération en cette vie.

14. En réalité aucune différenciation  n’existant en Paramevara, ces deux, lien et libération,  ne sont nullement séparés de l’Essence du Seigneur suprême.

15. Ainsi entre-t-on en Contact de façon répétée avec Bhairava nature innée de toute chose, qui repose sur le lotus du trident formé par les énergies : connaissance, activité subtile et volonté. (25-26).

COMMENTAIRE

Abhinavagupta commence par poser la non-dualité telle que l’entend le système Trika à savoir Paramašiva-le-Tout, Lumière immuable, source des clartés et des ténèbres de ce monde, image à laquelle il accorde une valeur métaphorique... Si Paramasiva n’était pas la lumière éclairant d’une manière ineffable les ténèbres de l’ignorance, comment prendrait-on conscience de ces ténèbres? Ainsi tout sujet conscient, en quelque état qu’il se trouve, maître ou disciple, ou bien engagé dans les affaires temporelles, toujours et en tout ce qu’il fait, participe à ces activités à l’intérieur de cette suprême Conscience; mais comme il n’en a pas une appréhension distincte, il l’ignore. (27).


1033 Abû’l-Hasan Kharaqânî (960-1033)

Abû’l-Hasan ne savait ni lire ni écrire et dit n’avoir eu ni maître ni disciples. Cependant il hérita de la direction spirituelle de Qassâb “le boucher” d’Amul et fut reconnu comme le pôle ou maître suprême de son époque, recevant la visite d’Abî’l-Khayr (-1049) et d’Ansârî (-1088). Sédentaire il n’aurait quitté Kharaqan que pour Amul afin de rendre visite à Qassâb.

Filiation : Quasâb > Kharaqânî > Ansârî (v. Tortel p.53 ; formé aussi par Quassâb, v. Tortel p.33-35) >… > Naqshbandiyya (voie pneumatique : v. Tortel 62-65).112.

Citation de “dits” précédés de leur numéro :

9  entrons plutôt dans notre inexister.

39 on me rassembla comme une poignée de terre, puis un vent violent me dispersa…

44 un emprunt à l’immensité de Dieu 

119 je ne suis ni un dévot ni un ascète ni un savant ni un soufi. Mon Dieu est unique et de par ton unicité je suis unique

181 ne me laisse pas là où je devrais dire… “toi et moi”. Accueille-moi quelque part où je n’existerai plus… où tout sera toi

243 Certains ont compris que Dieu était présent du début à la fin… ce que tu cherches n’existe pas a priori, alors comment pourrais-tu le trouver à postériori ?

317 le vrai commerce est celui que l’homme pratique avec le capital de Dieu… tu as Dieu au départ, tu as Dieu à l’arrivée et tu l’as aussi dans l’intervalle

341 tout le monde parle de celui qui est absent, mais on ne peut pas parler de celui qui est présent

357 si tu lui donnes ton inexister, il te donnera son exister

535 le bon disciple est celui qui est là et dont le maître n’a pas à s’occuper… toujours content… même s’il s’agit de ranger les chaussures

546 fana anéantissement baqa surexistence : c’est celui qui se trouve suspendu dans le vide par un fil et qui ne décroche pas, même si un vent se met à souffler… qui déracine les arbres. 578 celui qui cherche vraiment c’est moi qu’il trouve, celui qui fait semblant c’est lui-même qu’il trouve

592 contempler signifie qu’il soit et que tu ne sois pas, qu’il efface tout ce qui est de l’homme et mette en lui tout ce qui est de lui. Ainsi tout ce qui sortira de lui sera digne de lui.

629 Il me demanda de donner un conseil aux hommes qui se trouvaient là. Une inspiration subite me fit dire : “si un navire fait naufrage, l’océan aura-t-il perdu quelque chose ?”

224 les savants et les dévots sont innombrables sur cette terre, il faut que tu fasses partie de ceux qui vivent du matin au soir et du soir au matin comme Dieu le veut. Le cœur le plus pur est celui dans lequel il n’y a plus personne ; les œuvres les meilleures sont celles qui sont vides de toute ingérence du créé

229 si quelqu’un cherchait Dieu, en plus de Dieu il y aurait un autre Dieu. C’est Dieu qui cherche Dieu, c’est Dieu qui trouve Dieu

230 un homme rêva à la résurrection. Il chercha le Shaykh dans tous les coins, mais ne le trouva nulle part… comme je n’ai pas existé, comment pourrait-on me trouver ? et je me réfugie en Dieu contre celui qui me trouvera demain

Effacement pour que ne demeure que le divin.

1049 Abu Sa’id (? – 1049)

Premier grand mystique d’expression persane.113.

 “Il était contemporain du sultan Mahmud, le Ghaznavide, dont le long règne de trente-quatre ans (depuis 387/997) fut marqué par des campagnes, entreprises aux Indes et dont les conquêtes successives facilitèrent l’avènement de l’immense empire Ghaznavide. Le seul résultat des guerres religieuses de Mahmud pour les gens, surtout pour la paysannerie, était la misère. À l’intérieur de cet empire, la confiscation des biens de ceux que l’on taxait d’hérésie était une pratique courante et cela avec la complicité des autorités religieuses qui se prêtaient docilement aux caprices de ce pouvoir avide et tyrannique. Aussi, les institutions religieuses ne laissèrent pas d’être influencées par leur alliance avec ce pouvoir; elles devinrent des moyens pour accéder à la puissance. D’où les batailles rangées entre les adeptes des différents rites dominants de l’époque. Nishâpur où résida quelque temps notre shaykh était le vaste champ de ces batailles. Les adversaires auxquels notre shaykh extorquait de l’argent pour le distribuer aux pauvres étaient précisément ces hommes-là.” (11)

Connais-tu Dieu? ne dis pas : Je Le connais, car ce serait Lui donner un associé ; ne dis pas non plus : Je ne Le connais pas, car ce serait impiété, mais dis : Dieu, par sa grâce, nous a fait connaître Son Essence et sa Divinité. (67)

Au début de la séance, quelqu’un posa cette question à notre shaykh : Il y a, dans cette ville, un grand homme nommé Bu'l Qâsim Qoshayri et qui affirme que, en faisant deux pas, le fidèle peut parvenir à Dieu. Qu’en dit le Shaykh? Il répondit : Moi, je dis que le serviteur peut parvenir à Dieu en faisant un seul pas!... Le lendemain, les disciples du Maître Bu'l Qâsim Qoskayri posèrent cette question au Shaykh « Hier, tu as dit que le serviteur peut parvenir à Dieu en faisant seulement un pas. — Aujourd’hui, je dis la même chose. — Mais, comment cela ? — Entre Dieu et son serviteur, il n’y a qu’un seul pas, ce qui consiste à faire un pas hors de soi, afin de parvenir à Dieu. » Le Shaykh venait de prononcer ces paroles, lorsqu’un marchand ambulant cria, à la porte du khânegâh : « Viens avec peu de choses et tu seras comblé! » (79-80).

De nombreux guides spirituels ont parlé du soufisme. Le premier d’entre eux a dit la même chose que le dernier. Les paroles ont été différentes, mais l’idée est demeurée toujours la même : « Le soufisme est l’abandon du superflu. Il n’y a rien de plus superflu que ton moi. Dès l’instant où tu es préoccupé de toi-même, tu t’éloignes de Lui.» (206).


LE VÉRITABLE HOMME Anecdote :

On dit à notre shaykh « Telle personne marche sur l’eau. » Il répondit : « C’est bien facile, la grenouille et le hochequeue aussi vont sur l’eau. » On lui dit « Telle personne vole dans l’air. — Le moineau et la mouche volent aussi. » ... De telles choses n’ont pas de valeur réelle. L’homme véritable est celui qui vit parmi les hommes, qui se conduit, qui se repose comme tous les autres hommes, qui fréquente les hommes et qui observe une bonne conduite envers eux, tout en ne s’écartant pas de Dieu, même un seul instant». (204).


LES LITANIES NOCTURNES DU SHAYKH Anecdote :

On a rapporté qu’un jour, à Nishâpur, un groupe de personnalités telles que Mohammad Djoveyni, Maître Ismaïl Sâbuni et Abu'l Qosharyri était réuni chez le Shaykh. Chacun disait ce qu’il récitait comme litanies nocturnes. Lorsque ce fut le tour du Shaykh, ils lui demandèrent « Shaykh, quelles sont tes litanies de nuit? » Le Shaykh répondit : « Chaque nuit, nous disons Seigneur! demain donne quelque chose de bon à manger aux soufis! » Ils se regardèrent pendant un moment, puis dirent « Shaykh! que signifie cette prière? Le Shaykh répondit : «Le Prophète, l’Élu a dit : Dieu aide son adorateur aussi longtemps que celui-ci aide son frère croyant.» Et tous avouèrent que la prière du Shaykh était la plus parfaite. Le point subtil de cette anecdote est que le Shaykh leur fit observer que les litanies qu’ils récitaient et la prière qu’ils accomplissaient avaient pour seul but la récompense qu’ils en attendent pour la vie future — et le degré qu’ils en recherchaient — ce qui est toujours la recherche d’un avantage pour soi-même. Donc, s’ils implorent la grâce de Dieu, ce n’est que pour eux-mêmes. Mais le principe de la prière est d’implorer la grâce de Dieu pour les autres. (230).


PAROLE SACRAMENTELLE

Le Shaykh a dit ceci : Shibli disait souvent : «Allâh! Allâh!», on lui demanda : «Pourquoi ne dis-tu pas il n’y a de divinité qu’Allâh?» Il répondit «J’ai peur de Le rappeler en des termes de négation et je crains que dans la partie de la phrase “Il n’y a point de divinité”, la mort survienne et que je ne puisse parvenir à l’autre partie de la phrase “que Dieu”.» (244).

On demanda à notre Shaykh : «Qu’est le soufisme?» Il répondit : «Ce soufisme [de la connaissance] n’est qu’impiété. On demanda : «Mais, pourquoi, Shaykh?» Il répondit : «Parce que le soufisme consiste à renoncer à tout autre que Lui; or il n’y a pas autre que Lui.» (245).

Sariyy-e-Saqati s’était installé dans le bazar de Bagdad où il possédait une boutique dans laquelle il n’y avait rien à vendre ; un rideau était suspendu à la porte de la boutique ; il s’asseyait derrière ce rideau ex il priait. Une fois quelqu’un des monts Al-Lokâm vint, dans le bazar, lui rendre une visite; il entra dans la boutique, souleva le rideau, salua et dit «Tel maître spirituel des monts Al-Lokâm m’a chargé de te saluer.» Sariyy-e-Saqati répondit : «Ce maître était ici, c’est d’ici même qu’il s’est retiré dans la montagne; mais se retirer dans la montagne n’est pas un acte de courage; c’est au milieu du bazar et parmi les hommes que l’homme doit s’absorber en Dieu et ne pas laisser sans cœur vide de Lui, même un seul instant.» (253).

Le Shaykh a dit ce qui suit :J’entendis Bu’l-Abbâs-e-Qassâb, parler dans la ville d’Amol, où on lui avait posé une question sur la signification de ce verset du Coran : «Dis : Dieu, Il est Un.» Il répondit : «Dis» est une occupation, «Lui »est une désignation, «Dieu »est une parole et le sens de l’unité divine est exempt de désignation et d’expression. (267).


POURQUOI LA CRÉATION Anecdote :

On a rapporté qu’une fois quelqu’un vint de Bagdad à Meyhana pour rencontrer le Shaykh. Il lui posa cette question : «Shaykh, pourquoi Dieu a-t-Il créé ces créatures? Avait-Il besoin d’elles? Le Shaykh répondit : “Non. Il n’avait pas besoin d’elles; mais, Il les a créées pour trois raisons : d’abord, Il avait tant de puissance qu’il Lui fallait des spectateurs; ensuite, Il avait tant de biens qu’il fallait des consommateurs; enfin, Il avait tant de bonté qu’il fallait des pécheurs.” (277).

La piété, c’est craindre son moi. En fuyant ton moi, tu parviens à Lui. Voilà la voie de ton Seigneur, voie qui est droite. Il n’y a que cette voie. Toute autre voie n’est qu’aveuglement. Ce n’est ni la voie de ceux qui jeûnent, ni la voie de ceux qui prient, ni celle des ascètes, ni celle des bigots, ni la voie de ceux qui se prosternent continuellement. C’est la voie au long de laquelle on se libère de son moi et c’est le droit chemin vers le Seigneur, si tu Le cherches. Notre Shaykh a dit “Le soufisme est un mot, mais lorsqu’il parvient à la perfection il n’y reste que Dieu. Cela veut dire que lorsque le soufisme atteint la perfection, il n’y a plus que Dieu et tout ce qui est en dehors de Dieu n’existe plus.” (290).

...de ce combat spirituel contre ses désirs charnels il tire pendant quelque temps, grand orgueil : il a l’illusion que pendant quelque temps c’est lui qui accomplit ces œuvres de piété, qu’il est d’un autre monde ou qu’il est l’auteur d’un grand acte authentique. Après cela il se trouve à bout de forces et il ne trouve pas la quiétude. En effet, étant homme, il est un être souillé. À ce moment, il s’aperçoit que toutes les œuvres de dévotion qu’il a accomplies n’ont été faites que dans l’illusion. Alors il fait acte de contrition et reconnaît que tout ce qu’il a accompli n’a été fait que par l’aide et par la grâce de Dieu et non point par son effort propre. Considérer son propre effet n’a été qu’impiété. Ayant reconnu cela, il trouve une certaine quiétude en son cœur. Ensuite la porte de la certitude s’ouvre devant lui; pendant quelque temps il suit ce chemin en faisant la quête et demandant à chacun quelque chose; ainsi il s’expose aux humiliations, mais il sait de Qui tout cela lui arrive. Alors le doute disparaît de son cœur. Ensuite, c’est la porte de l’amitié divine qui s’ouvre devant lui de façon qu’il se comporte, pendant quelque temps, en ne comptant que sur cette Amitié; et c’est durant le temps de cette Amitié que le moi se manifeste dans l’esprit de l’homme; cependant, il supporte le blâme, c’est-à-dire qu’il accepte pour l’amour de Dieu tout ce qui lui advient sans se soucier des blâmes. À ce moment, une illusion apparaît dans son esprit qui lui fait dire : “C’est moi le fidèle de l’Amour” et il court pendant quelque temps après cette illusion; puis il s’en libère, sans jamais trouver de repos; et il ne se lasse pas, sachant que s’il aime, Dieu lui accorde la grâce et que tout cela vient de Son Amitié et de Sa bonté et non de son propre effort. Après avoir pris conscience de tout cela, il trouve de la quiétude et alors la porte de l’union à Dieu s’ouvre devant lui, afin qu’il puisse voir et connaître; ainsi Dieu lui accorde la lucidité pour qu’il reconnaisse que tout dépend du Seigneur. En effet, « toutes les choses dépendent de la miséricorde divine», c’est ainsi que le serviteur de Dieu découvre que tout est Lui et que tout vient de Lui.. (292).

Le Shaykh a dit : «Pendant longtemps nous errions partout et le besoin de cette tradition soufie nous suivait; nous cherchions Dieu dans les montagnes et dans les déserts; parfois nous Le trouvions et parfois nous ne Le trouvions pas. Or maintenant nous sommes arrivés au point où nous ne nous retrouvons plus; car de nous il ne reste que Lui; nous sommes complètement Lui. Nous n’avons jamais existé; c’est Lui Qui existera alors que nous ne serons plus. Maintenant, nous ne pouvons plus exister, même pour le temps d’un souffle; alors comment pouvons — nous prétendre posséder la perception intuitive et comment pouvons-nous prétendre au soufisme ou à la piété; à celui qui n’a rien et qui ne porte pas de nom peut-on donner un nom ? Cela est impossible et inconcevable.» (304).

 «Qu’est-ce que le principe du service de Dieu?» Le Shaykh répondit «Dieu t’a créé libre. Donc sois libre comme il t’a créé.» Le derviche reprit : Shaykh! Ma question porte sur le principe du service de Dieu. » Le Shaykh répondit : « Ne sais-tu pas que tant que tu n’es pas libéré de ce monde et de l’autre tu n’es pas un serviteur de Dieu? » Puis il récita ces vers :

Comme la liberté et l’amour n’étaient pas compatibles

Je me suis adonné à Son service et le fond de mon être en a été déterminé.

Désormais je serai comme le désirait l’Etre aimé,

Entre nous il n’y aura plus ni discussion ni querelle ! (321).


~1050 Milarepa

Sa vie est un exemple de détermination farouche surmontant les difficultés propres à un XIe siècle tibétain primitif. Se détache l’endurance légendaire au service du terrible Marpa 114. Le sorcier assassin deviendra à son tour maître — après bien des épreuves. Les chants appartiennent à un beau genre lyrique illustré plus tard par ‘Brug-pa 115. Ces deux yogis poètes bénéficient de belles traductions françaises.


CHANT DE L’ERMITE COURANT A CHEVAL116.

Je me prosterne aux pieds de Marpa plein de grâces.

Dans le monastère de montagne qu’est mon corps,

Dans le temple de ma poitrine.

Au sommet du triangle de mon cœur,

le cheval qu’est mon âme vole comme le vent.

Si je l’arrête, avec quel lasso l'arrêterais-je ?

Si je l’attache, à quel piquet l’attacherais-je ?

S’il a faim, quelle pâture lui donnerais-je ?

S’il a soif, à quelle rivière l’abreuver ?

S’il a froid, dans quelle enceinte l’enfermer ?

Si je l’arrête, je l’arrêterai avec le lasso de l’Absolu.

Si je l’attache, ce sera au pieu de la méditation profonde.

S’il a faim, je le nourrirai des préceptes du lama.

S’il a soif, je l’abreuverai au courant perpétuel du souvenir.

S’il a froid, je l’enfermerai dans l’enceinte du néant.

Comme selle et mors, je le doterai de moyens et de science.

Je le garnirai de la solide martingale de l’Immutabilité.

Je disposerai la bride de l’énergie puisée dans l’inspiration profonde.

L’enfant de la science le montera.

Pour casque il portera le sceau du Mahâyâna.

Sa cotte de mailles sera faite d’attention, de réflexion et de méditation.

Il portera dans le dos le bouclier de l’endurance.

Il tiendra la lance de la contemplation.

L’épée de la sagesse sera fixée à son côté.

Si le bambou qu’est son esprit est flexible,

Il le redressera sans révolte.

Il le revêtira de l’empennage des quatre vertus infinies.

Il lui fixera la pointe aiguë de la sagesse.

Ayant opposé l’encoche profonde de la miséricorde

À l’arc de l’irréalité des choses

Et mesurant les brasses de la contention de l’esprit,

Archer, il lancera ses flèches par tous les mondes.

Ce qu’il atteindra ce sont les croyants.

Ce qu’il tuera, c’est leur égoïsme.

Et ainsi, ennemi, il domptera la corruption.

Ami, il protégera les six classes de créatures.

S’il galope, il galopera dans les plaines de la félicité immense.

S’il poursuit, il atteindra le rang de vainqueur.

Courant en bas, il coupe la racine de la transmigration.

Courant en haut, il atteint la rive des Bodhisattvas.

Chevauchant un pareil cheval, on atteint la Bodhi.

Voyez si votre bonheur est comparable.

Le monde n’offre pas de bonheur désirable.

1064 Ibn Hazm (994-1064)

Le grand poète arabo-andalou qui célèbre un amour très humain dans sa jeunesse — ce dont témoigne le célèbre Collier de la colombe 117 cité ici — aura une influence déterminante sur l’Europe courtoise. Les épreuves conduiront ce « Quijote vencido » à rédiger en « robinson spirituel » une œuvre très étendue incluant une Historia critica de las ideas religiosas 118.


« Quelqu’un m’a demandé mon âge, après avoir vu la vieillesse grisonner sur mes tempes et les boucles de mon front.

Je lui ai répondu : une heure. Car en vérité je ne compte pour rien le temps que j’ai par ailleurs vécu.

Il m’a dit : « Que dites-vous là ? Expliquez-vous. Voilà bien la chose la plus émouvante. »

Je dis alors : « Un jour, par surprise, j’ai donné un baiser, un baiser furtif, à celle qui tient mon cœur.

Si nombreux que doivent être mes jours, je ne compterai que ce court instant, car il a été vraiment toute ma vie. »

 

Quand elle tarde à venir, je passe ma nuit à tenir compagnie à la lune et je vois, dans la lumière de celle-ci, un reflet de sa clarté.

Et ma nuit s’écoule dans l’extase. Mon amour est tout à ce sentiment mêlé, car l’union est proche et l’abandon n’est plus à craindre.


1089 Khwadja «Abdullah Ansâri (1006-1089)

Le maître spirituel de Hérat (ancienne province du Khorâsân, à l’est de la capitale Nîchâpûr ; aujourd’hui ouest afghan) 119. Enfant doué, précocement formé par un emploi du temps chargé, il voyage à Nîchâpûr à l’âge de vingt ans et y rencontre des maîtres 120. Il séjournera à Bagdad six ans plus tard. La rencontre, probablement suggérée par Abû Saïd, du jeune homme de 27 ans avec le « pôle de son temps » Kharaqânî, âgé de 80 ans, est mystiquement décisive.121.

Ensuite s’ouvre une longue carrière d’enseignement du hadith et d’exposés coraniques. Elle l’exposera aux prises avec les « innovateurs » - s’ensuivront exil et une année de prison « aux fers » à l’âge de quarante ans.  Les épreuves alterneront avec sa reconnaissance et une « apogée glorieuse ». Tantôt très pauvre, tantôt distribuant les dons qu’on lui apporte, Ansarî s’est maintenu loin du pouvoir même sous le sage vizir Nizam al-Mulk. Après un dernier exil et le retour triomphal du vieux maître aveugle dans sa patrie le 21 avril 1087, « le cercle de ses élèves accueille des enfants amenés là par leurs parents pour qu’ils profitent de la transmission orale des traditions. »


« Personne ne témoigne réellement de Dieu qu’Il est Unique, puisque quiconque s’imagine le faire Le renie. (137).


Le premier parle d’expérience, le deuxième rapporte ce qu’il a entendu, et le troisième est un imposteur. (174).


pour toute chose d’abord on cherche puis l’on trouve, alors que s’il s’agit de Dieu d’abord on trouve puis l’on cherche. Ces chercheurs de Dieu sont rares et précieux. (186).


L’anéantissement, c’est n’être plus rien. … Qui pourrait trouver ce qui n’a jamais cessé d’être dans ce qui d’abord n’était pas ? Qui pourrait rencontrer le Réel subsistant dans une forme périssable ? Qui pourrait acquérir ce qui a de la valeur dans ce qui n’en a aucune ? Tout ce qui n’est pas Lui se trouve pris entre trois choses : un hier qui n’est plus, un aujourd’hui qui disparaît, et un demain qui n’est pas encore. Ainsi tous sont néant excepté Lui, à moins d’être par Lui. (194).


Qu’est-ce que la Réalité ? Être délivré de son moi. (264).


il enfilait de petits coquillages, puis les désenfilait. On lui [Kharrâz] demanda : « Que fais-tu là ? » Il répondit : « J’occupe ainsi mon moi, avant qu’il ne m’occupe. » (266).


La volonté est le fait du commun des spirituels. Elle consiste dans l’authenticité  du propos, la fermeté de l’intention et la résolution dans la recherche. Dans la voie des Privilégiés, elle est dispersion et retour à soi-même. En effet, la volonté du serviteur est son propre désir, qui est à l’origine de toute prétention… (276).


Dans la voie de Dieu, (l’espérance) revient à se plaindre et à être aveugle. En effet, pour qui court dans le chemin de la Bonté et se trouve submergé dans l’océan de la Générosité, inondé par l’averse de la Bienfaisance, ce qu’il voit lui venir de son Maître ne lui permet pas de désirer davantage... (278).


On ne parvient à Toi que par Toi-même, depuis toujours et à jamais ! (...) Tu es avec qui Te cherche, et Tu ne lui est pas caché (...) quiconque Te voit disparaît à ses propres yeux. Etant un voile pour moi-même, je suis cause de mon tourment. C’est vainement que je me hâte ; que pourrais-je trouver avec mon néant ?

Mon Dieu ! Avec quoi Te chercherais-je, puisque Tu es, Toi, et c’est tout ? Par-devant moi, iol n’y a rien ; par derrière Toi, il n’y a personne. Ce que je cherche m’est nécessairement inférieur. (288) Submergé, l’œil ne voit point l’eau...


Mon Dieu ! Comment me souviendrais-je de Toi, quand je suis tout entier souvenir de Toi ? ... Quiconque Te cherche par lui-même ne peut atteindre que ce qui est à sa mesure. Ce n’est que par Ton pouvoir qu’on Te cherche ; ce n’est qu’avec Toi qu’on parle de Toi. (292).


Tous, ils ont mis le feu à la récolte de leur moi ; et moi, j’ai mis le feu à la récolte de la sortie de soi. … je suis moi tant que je suis en possession de Moi… (298).


1111 Hamid al-Ghazali (1058-1111) et son frère Ahmad (-1126)

Abu Hâmid al-Ghazali, le plus grand des philosophes-théologiens en terres d’Islam,  est né en Iran, à Tūs (450/1058). Son jeune frère Ahmad al-Ghazali (?-1126) consacrera toute sa vie à la Voie sufi. Il jouera un « rôle clef » dans sa transmission et aurait influencé son illustre aîné lorsque ce dernier va rompre avec le monde (et aussi influencera Hamadani).122.

Hâmid fait de brillantes études à Nîshāpūr, où il a pour maître le savant sunnite al-Juwayni. Après la mort de ce dernier il devient l’ami de Nizām al-Mulk, personna­lité politique qui domine la deuxième moitié du Ve siècle musulman. Lorsque celui-ci lui confie la Nizāmiyya de Bagdad, il a 34 ans environ. De 1091­ à 1095 son enseignement dans la capitale abbāside connaît un succès reten­tissant : il est entouré de la vénération universelle et le Calife l’estime et la consulte pour la gestion des affaires de l’État.

La dynastie Seljoukide luttait non seulement contre diverses dynasties locales et purement politiques, mais aussi contre une autorité politico-religieuse qui cherchait à supplanter celle des Abbasides et à reconstituer à son profit tout le monde musulman. Il s’agit des Fātimides d’Égypte qui, se présentant comme les descendants d’Ali et de Fātima, groupaient autour d’eux, pour les dresser contre l’Islam sunnite, l’Islam shi’ite des Alides avec toute sa ferveur mys­tique. Ils avaient déjà conquis toute l’Afrique du Nord et s’étaient établis en Égypte. Ils cherchaient à se servir de la propagande ismaélienne pour étendre leur domination sur l’Irak, la Syrie et le Khorāsān qui finit par être leur citadelle.

Le 10 Ramadān 485/1092, Nizām al-Mulk tombe sous les coups d’un assassin. Brusquement, en pleine gloire, Ghazali quitte sa chaire, s’éloigne de Bagdad et disparaît de la scène publique. Dix années durant, il se réfugie en Syrie-Palestine (le séjour dans cette contrée aurait duré environ deux ans), puis revient à Bagdad après un pèlerinage. Ibn Arabi le ren­contre en 1106, et et avant la fin 1099 retrouve enfin son Khorasān, province d’origine.

Il vit alors retiré à Tūs menant une vie de piété et d’étude que « les événements de l’époque » ne manquaient pas de troubler. C’est là qu’il reçoit de Fakhr al-Mulk, fils de Nizām al-Mulk, l’invitation pressante de venir reprendre son enseignement à Nîshāpūr. Il ne peut se dérober, mais son enseignement est de courte durée : il débute en 1106 et est interrompu en 1107 après l’assassinat de Fakhr (lui aussi!). Ghazāli revient alors à Tûs et bâtit à côté de sa maison une école pour faqîh et un monastère pour soufis; il partage son temps entre divers offices pieux, comme la lecture du Coran, les conférences spirituelles avec des hommes de piété, l’enseignement à ceux qui étaient en quête du savoir, des prières, des jeûne et autres pratiques cultuelles. La composition du Munqid (« Erreur et délivrance ») dut avoir lieu entre 1106 et 1107.

Nous donnons une place exceptionnelle à cette autobiographie spirituelle aux éditions rares en occident 123. C’est le plu grand témoignage en terres d’Islam d’un philosophe éveillé à la mystique. Sa force de conviction provient d’une structure ascendante dans l’exposé. Descartes reprendra une démarche parallèle, avec une clarté d’exposé comparable, mais sans atteindre au terme mystique. Bergson proposera de même une hiérarchie couronnée par le vécu mystique.

Erreur et délivrance, extraits

PREMIÈRE PARTIE : INTRODUCTION ET POSITION DU PROBLÈME

Tu me demandes de te révéler le but et les secrets des sciences, le mal et les abîmes des écoles de pensée. Tu voudrais que je te dise ce que j’ai enduré pour dégager le vrai de la confu­sion des tendances, malgré les différences de chemins et de voies. … Sache que les religions et les croyances des hommes sont di­verses ; que les tendances de la communauté diffèrent, entre les groupes et les voies : océan profond où la majorité a sombré et dont une minorité s’est tirée. Chaque groupe pourtant se croit sauvé, « chacun se réjouissant de ce qu’il détient ». … Pour moi, je n’ai jamais cessé, dès ma prime jeunesse, dès avant mes vingt ans jusqu’à ce jour (j’en ai plus de cinquante), de me lancer dans les profondeurs de cet océan. …

Ma soif de saisir, dès mon âge le plus tendre, les réalités pro­fondes des choses, était un instinct, une tendance naturelle que Dieu mit en moi, sans choix délibéré de ma part, ni recherche consciente. Aux approches de l’adolescence, déjà s’étaient défaits en moi les liens traditionnels et brisés les tendances héréditaires. Je voyais bien que les enfants chrétiens ne grandissaient que dans le christianisme, les jeunes juifs, que dans le judaïsme et les petits musulmans, que dans l’Islam. Et j’avais entendu le « logion » (hadith) du Prophète : « Tout homme naît dans la nature saine, ce sont ses parents qui font de lui un juif, un chrétien ou un mazdéen ». …

Mon but, me dis je alors, est de connaître les réalités profondes des choses… Il faut donc que l’on soit à I'abri de l’erreur, et que ce senti­ment soit lié à la certitude. … je sais bien que dix est plus grand que trois…


DEUXIÈME PARTIE : LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE

Ce genre de science certaine, cependant, l’examen de mes connaissances me montra que j’en étais dépourvu, sauf en ce qui concerne les données sensibles et les nécessités de raison.

Je fus alors livré au désespoir, me trouvant incapable d’aborder les problèmes autres que les évidences — celles des sens et celles de la raison. … J’en vins alors à perdre foi en les données sensibles. Et ce doute m’envahissait, se formulant ainsi :

Comment se fier aux données sensibles ? La vue, pourtant le principal nos sens, fixant une ombre, la croit immobile et figée et conclut au non-mouvement. … L’œil regarde une étoile : il la voit réduite à la taille d’une pièce d’un dinâr, alors que les arguments mathématiques montrent que cet astre est plus grand que la terre. …

Plus de sécurité, me dis je alors, même dans les données sen­sibles. Peut-être n’en reste-t-il que dans les données rationnelles, qui font partie des notions premières ? … es-tu bien sûr, me disent-elles, que tu n’a pas, dans les nécessités de raison, le même genre de confiance que celle que tu plaçais dans les données sen­sibles ? Tu avais foi en nous : vint la raison, qui nous taxa d’erreur. Sans elle, tu nous aurais gardé confiance. Mais peut-être y a-t-il, au-delà de la raison, un autre jugement dont l’apparition convain­crait d’erreur la raison elle-même, tout comme celle-ci le fit pour les sens ? Que cette intelligence ne se manifeste point, ne prouve pas qu’elle soit impossible...

Je restai quelque peu sans voix. Puis la difficulté me parut de même nature que le problème du sommeil. Je me dis qu’en dor­mant on croit à bien des choses et l’on se voit dans toutes sortes de situations : on y croit fermement, et sans le moindre doute. Mais on se réveille, et l’on s’aperçoit de l’inconsistance, de l’inanité des phantasmes de l’imagination. On peut s’interroger, de même, sur la réalité des croyances acquises par les sens ou par la raison. Ne pourrait-on s’imaginer dans un état qui serait, à la veille, ce que celle-ci est au sommeil ? La veille serait alors le rêve de cet état, et ce dernier montrerait bien que l’illusion de la connaissance rationnelle n’est que vaine imagination.

Cet état serait peut-être aussi celui dont les « mystiques » se réclament. Ils assurent qu’en s’absorbant en eux-mêmes et en faisant abstraction de Ieurs sens, ils se trouvent dans un état d’âme qui ne concorde pas avec les données rationnelles. …

Quand ces pensées me vinrent à l’esprit, elles me rongèrent. … Le mal empira et se prolongea pendant deux mois… Finalement, Dieu me guérit et je recouvrai la santé et l’équilibre mental. Les données rationnelles nécessaires redevinrent accep­tables ; j’eus confiance en elles ; je m’y retrouvai en sécurité et dans la certitude. Je n’y suis pas arrivé par des raisonnements bien ordonnés, ou des discours méthodiquement agencés, mais au moyen d’une Lumière que Dieu a projetée dans ma poitrine. Cette lumière-là est la clé de la plupart des connaissances. Celui qui croit que le « dévoilement du vrai » est le fruit d’arguments bien ordonnés, rétrécit l’immense miséricorde divine. …


TROISIÈME PARTIE : LES CATÉGORIES DES CHERCHEURS

Le Vrai ne se détourne pas de ces quatre groupes de chercheurs, car ils suivent la voie qui mène jusqu’à lui. S’il restait à l’écart, il n’y aurait plus d’espoir de le rejoindre — surtout pas dans le conformisme, une fois mis de côté. Le conformiste ne peut réussir qu’à condition de se méconnaître pour tel. Sinon, le verre protec­teur se brise irrémédiablement, on n’en peut recoller les morceaux, et il ne reste qu’à les passer au feu pour leur donner une forme nouvelle. Je me suis mis à suivre ces quatre Voies, en détail, en commen­çant par la Scolastique, en passant à la Philosophie, puis à l’Intériorisme, pour finir par la Mystique des soufis.


A. LA SCOLASTIQUE MUSULMANE

J’ai lu les traités de ses docteurs et j’en ai rédigé moi-même à ma guise. … Je ne nie pas que d’autres aient été plus heureux que moi, peut-être même toute une catégorie de personnes. Mais ce fut mêlé, pour eux, à l’aveugle admission de questions qui n’ont rien à voir avec les données premières.

B. LA PHILOSOPHIE

Grâce à Dieu, la seule lecture, durant ces moments pris à la dérobée, m’a fait comprendre la « Philosophie » en moins de deux ans. Je continuais, ensuite, à y réfléchir près d’un an : j’y revenais, je la reprenais, j’en scrutais les profondeurs et les périls cachés. …

– Les catégories des philosophes…

– Les branches de la philosophie.

1 ° — les mathématiques.

a) Premier risque. L’étudiant en mathématiques est frappé par cette science exacte, par la force convaincante de ses preuves. Il étend alors cette excellente opinion à l’ensemble des disciplines philosophiques et généralise, à leur avantage, la clarté et la solidité des preuves mathématiques. Aussi, lorsqu’il entend reprocher aux mathématiciens d’être hérétiques, négateurs, dédaigneux de la Révélation, il rejette les vérités admises jusque-là par pur confor­misme. « Si la foi était vraie, se dira-t-il, comment ces savants mathé­maticiens ne l’auraient-ils point reconnue ? Or en prétend qu’ils sont hérétiques et irréligieux. La vérité consiste donc à rejeter et à nier les croyances religieuses ». Que de gens ont perdu la vraie foi pour ce simple raisonnement ! …

b) Deuxième risque. C’est celui qui provient du musulman ignorant. Pensant qu’il faut défendre la foi en rejetant toute « Phi­losophie », il refuse toutes les sciences, allant jusqu’à nier leurs explications des éclipses de soleil ou de lune, qu’il prétend con­traires à la Révélation. Ces propos, revenant aux oreilles d’un homme instruit par la preuve apodictique, ne le font pas douter de celle-ci, mais des bases de l’Islam…

2 °) la logique… 6 °) l’éthique…

– Les dangers de la philosophie… [Ghazali s’attache plutôt à son bon usage :]

le tort des esprits faibles : ils ne reconnaissent la vérité que dans la bouche de certains hommes, au lieu de reconnaître les hommes lorsqu’ils disent la vérité. … Le Sage… sait bien que les pépites d’or sont cachées dans le sable, et que le changeur expérimenté fouille, sans risque, le sac du faux-monnayeur, pour en séparer l’or pur de la fausse monnaie. Bien entendu, on ne laissera pas le rustre traiter avec le faussaire. On éloigne de la côte le débutant, non le nageur habile, et l’on défend à l’enfant de toucher au serpent… le charmeur expert saisit le serpent, choisit entre le venin et l’antidote, extrait (des glandes) l’antidote et triomphe du poison : il ne doit pas refuser l’antidote à celui qui en a besoin. De même, le changeur perspicace fouille le sac du faussaire et trie l’or pur de la fausse monnaie : il ne doit pas refuser l’or à celui qui le lui demande. …



C. LA THÉORIE DE L’ENSEIGNEMENT ET LES MAUX QU’ELLE ENGENDRE

Je veux me borner à faire ressortir que ces hommes n’offrent aucun remède aux ténèbres des diverses opinions. … Nous avons partagé leur conviction de la nécessité d’un « Enseignement » et d’un maître infaillible, qui serait le leur. Mais, à nos questions sur l’enseignement de ce maître, aux problèmes que nous leur avons posés, ils n’ont rien compris et n’ont su que répondre. … Il est étrange de voir ces gens peiner toute leur vie en quête de savoir, et se contenter de banalités sans valeur, tout en croyant avoir atteint la pointe extrême de la science. …


D. LA VOIE MYSTIQUE (sûfîyya)

Je passai ensuite à l’étude de la Voie mystique. Elle consiste à reconnaître science et action pour également nécessaires. Elle vise à lever les obstacles personnels et à purifier le carac­tère de ses défauts. Le cœur finit ainsi par être débarrassé de tout ce qui n’est pas Dieu, pour se parer du seul nom de Dieu.

Mais la science m’était plus aisée que l’action. Je commençai par lire les ouvrages de mystique : « L’Aliment des Cœurs », par Abū Tâlib Al-Makki, les œuvres d’Al-Hârit Al-Muhâsibi, des citations d’Al-Junayd, d’Al-Shibli ou d’Abû Zayd Al-Bistâmi et d’autres cheikhs. … il m’apparut que ce qui leur est spécifiquement propre ne se peut atteindre que par le « goût », les états d’âme et la mutation des attributs.

j’ai compris avec certitude que les mystiques ne sont pas des discoureurs, mais qu’ils ont leurs états d’âme. Ce qui pouvait s’apprendre, je l’avais acquis. Le reste, c’est affaire de gustation et de bonne voie. … Je suis donc rentré en moi-même : j’étais empêtré dans les liens qui me ligotaient de partout. J’ai réfléchi à mes actes — l’en­seignement étant le meilleur — et j’ai vu que mes études étaient futiles, sans utilité pour la Voie. Et puis, à quelle fin dispensais-je mon enseignement ? Mon intention n’était pas pure, elle n’était pas tendue vers Dieu. Mon propos n’était-il pas plutôt de gagner la gloire et la renommée ? J’étais au bord branlant d’un précipice ; si je ne me redressais pas, j’allais tomber dans le Feu.

Je ne cessais d’y penser, tout en restant encore indécis. Un jour, je décidais de quitter Bagdad et de changer de vie ; mais je changeais d’avis, le lendemain. Je faisais un pas en avant, et un autre en arrière. Avais-je, au matin, l’ardente soif de l’Au-delà, que, le soir, l’armée du désir venait l’attaquer et l’abattre. La concupis­cence m’enchaînait sur place, tandis que le héraut de la foi me criait : « En route ! En route ! La vie est brève, long le voyage. Science et action ne sont pour toi qu’apparence et que faux-semblant. Si tu n’es pas prêt, dès maintenant, pour l’Autre Vie, quand le seras — tu ? Et si tu ne romps pas maintenant tes amarres, quand donc le feras-tu » ? À ce moment, l’impulsion était donnée : ma décision de partir était prise. Mais Satan revenait me dire : « Ce n’est qu’un accident ! Ne te laisse pas aller, cela va passer vite... Si tu cèdes, tu perdras ces honneurs, cette situation stable et tranquille, cette parfaite sécurité sans rivale. Tu risques de te reprendre et de les regretter : revenir en arrière ne serait pas facile...».

Ces tiraillements, entre la concupiscence et les appels de l’Au­-delà, ont duré près de six mois — à partir du mois de Rajab 488 pendant lequel je passai du libre-arbitre à la contrainte. En effet, Dieu me noua la langue, m’empêchant ainsi d’enseigner. J’eus beau lutter, pour parler au moins une fois à mes élèves, ma langue me refusa tout service. Et ce nœud sur la langue fit naître dans mon cœur une mélancolie. Je ne pouvais plus rien avaler, prendre aucun goût aux aliments, à la boisson. Mes forces s’affaiblirent. Les médecins désespéraient : « le mal, disaient-ils, est descendu au cœur, d’où il a rayonné dans les hu­meurs ; il n’est d’autre remède que de le délivrer du souci qui le ronge ».

Sentant mon impuissance, incapable de me décider, je m’en remis à Dieu, ultime recours des nécessiteux. Je fus exaucé par celui qui « écoute le nécessiteux, quand celui-ci le prie ». Il me rendit aisé le renoncement aux honneurs, à l’argent, à la famille et aux amis. Je feignis de vouloir me rendre à la Mekke, alors que je me préparais à partir pour Damas. Je craignais, en effet, de donner l’éveil au Calife et à quelques amis. Il me fallut enfin user de stratagèmes pour quitter Bagdad, bien décidé à n’y plus revenir. …

Je quittai donc Bagdad, après avoir distribué mon argent, ne gardant que le strict nécessaire pour nourrir mes enfants. … Je me rendis à Damas, où je passai près de deux ans, consacrés à la retraite et à la solitude, aux exercices et aux combats spirituels, tout occupé à purifier mon âme, à polir mon caractère, à rendre mon cœur propre à accueillir Dieu — selon l’enseignement des Mystiques. Je séjournai quelque temps dans la Mosquée de Damas : je passais la journée en haut du minaret, après m’être enfermé dedans.

De Damas, j’allai à Jérusalem : chaque jour, je m’enfermai dans la Mosquée du Rocher. Vint alors l’appel des Lieux-Saints, du pèlerinage à la Mekke, à Médine (auprès du Prophète) — après avoir visité la tombe d’Abraham. Et je me mis en route pour le Hedjâz. … Ma période de retraite a duré environ dix ans, au cours desquels j’ai eu d’innombrables, d’inépuisables révélations. Il me suffira de déclarer que les Mystiques (sūfí) suivent, tout particu­lièrement, la Voie de Dieu... Et il n’est pas d’autre Lumière, sur la face de la terre...

Que dire d’une Voie où la purification consiste, avant tout, à nettoyer le cœur de tout ce qui n’est pas Dieu ; qui débute… par la fusion du cœur dans la mention de Dieu ; et qui s’achève par le total anéantissement en Dieu ? Et encore cet aboutissement n’est-il qu’un début par rapport au libre-arbitre et aux connaissances acquises. En fait, c’est le commencement de la voie, dont ce qui précède n’est que l’antichambre.

Bref, les Mystiques en arrivent à une Proximité… Tout ce que devrait dire celui qui est dans cet état, c’est ce distique :

« Quoi qu’il se soit passé, je n’en parlerai point.

Toi, penses-en du bien : ne m’interroge point » !

Car celui qui n’a pas eu le privilège de la gustation ne connaît, de la réalité de la Prophétie, que le nom. … Tels furent les débuts de Muhammad, quand il allait s’isoler en prière, sur le mont Herā'[112], et que les Arabes disaient : « Muhammad brûle du désir de Dieu » ! Celui qui pratique la Voie goûte de semblables états d’extase. … Les autres, ce sont les ignorants. Ils nient, par principe, tout ce qu’on leur dit à ce sujet, s’étonnent, écoutent encore, se moquent et disent : « Quelle histoire ! Quelles divagations » ! …


QUATRIÈME PARTIE : LA RÉALITÉ DE LA PROPHÉTIE

La substance de l’homme, dans sa nature originelle, a été créée, vide, simple, sans connaître la pluralité des mondes de Dieu… L’homme n’entre en rapport avec le monde que par la perception, destinée à lui permettre cette prise de contact avec le monde des êtres, c’est-à-dire avec les différentes sortes de créatures.

Le premier sens est celui du toucher. Grâce à lui, l’homme perçoit, par exemple, le chaud et le froid, l’humide et le sec, le lisse et le rugueux. Mais les couleurs et les sons lui échappent : ils n’existent pas pour le toucher. Et puis c’est l’ouïe, qui fait entendre les sons et les mélodies. Enfin vient le goût. Alors l’homme franchit les limites du monde des sens, grâce au discernement (qu’il acquiert vers l’âge de sept ans). À cette nouvelle étape, il perçoit de nouvelles choses, étrangères au monde des sens.

De là, il atteint un autre stade, celui de l’intellect, qui lui per­met de saisir ce qui est nécessaire, possible et impossible, et ce qu’il n’avait pas perçu dans les étapes antérieures.

Au-delà de l’intellect s’étend un autre domaine, une faculté nouvelle de vision124 qui permet de voir ce qui est caché, ce qui arrivera dans l’avenir, et bien d’autres choses encore, aussi étran­gères à l’intellect que le sont les connaissances rationnelles au dis­cernement, et celui-ci à la perception des sens. Devant les objets connus par la raison, celui qui n’est qu’à l’âge du discernement se rebiffe et les trouve invraisemblables. De même, certaines per­sonnes restées au stade de l’intellect ont rejeté, comme invraisem­blables… Si l’aveugle né n’a jamais entendu parler des couleurs et des formes, et qu’on lui en parle tout d’un coup : il n’y comprendra rien et ne voudra pas le croire...

L’intellect ne représente, dans la vie humaine, qu’une étape, avec laquelle l’homme acquiert une faculté nouvelle de vision qui lui permet d’embrasser toutes sortes de connaissances rationnelles, étrangères au domaine des sens. Il en est de même pour les Pro­phètes, qui ont comme un « troisième œil », dont la lumière éclaire l’invisible et le supra-rationnel. …

Quant aux autres propriétés de la Prophétie, on les perçoit par la gustation, en suivant la Voie mystique. … on acquiert une partie de cette faculté supra-rationnelle par gustation, et le reste par une sorte d’assentiment accordé à ce qui échappe au raisonnement analogique. …

Telle est la Voie de la certitude en ce qui concerne la Prophé­tie. Elle vaut mieux que celle des prodiges — tels que baguette changée en serpent, ou lune fendue en deux — qui, dégagé de leur contexte débordant, peuvent se ramener à la magie, à l’illu­sion, ou même au piège tendu par Dieu…


CINQUIÈME PARTIE : RAISON DE MON RETOUR A L’ENSEIGNEMENT

[A. LES MÉDECINS DES CŒURS]

Au cours de mes dix années de retraite et de solitude, il m’est apparu (par gustation, démonstration, ou acte de foi) que l’homme est créé avec un corps et un « cœur » — c’est-à-dire un esprit qui est le siège de la connaissance de Dieu, et qui n’a rien à voir avec la chair et le sang (que le cadavre et l’animal ont en commun avec l’homme).

La santé du corps le réjouit, la maladie est sa perte. … Or, les remèdes du corps agissent en vertu de leurs propriétés spécifiques, que les gens intelligents ne perçoivent point par l’in­tellect : il leur faut s’en remettre aveuglément aux médecins… Les remèdes sont composés selon des proportions déterminées (certains pèsent deux fois plus que d’autres), dont le secret provient de leurs propriétés spécifiques. C’est aussi le cas des pratiques reli­gieuses — ces remèdes pour les maux de « cœur ». Elles se composent de plusieurs gestes différents, en proportion variable. … D’autre part, il y a, dans tout remède, un produit de base, auquel on ajoute une « préparation », aux effets complémentaires. De même pour les prières ou les œuvres surérogatoires : leur action parachève celle des éléments de base dans les pratiques rituelles.

En somme, les Prophètes sont les médecins des « cœurs ». L’intellect n’a d’autre objet que de nous le faire comprendre : l’assentiment rationnel qu’il entraîne témoigne en faveur de la Prophétie… Nous sommes pris par la main, et, dociles, nous nous laissons guider comme des aveugles, ou des patients par les médecins. Mais là est la limite de l’intellect : il ne va pas au-delà, sauf pour faire comprendre au malade les prescriptions du médecin. …


[B. LA TIÉDEUR DE LA FOI]…

J’ai interrogé quelques-uns de ceux qui se soustraient à la Loi divine, en scrutant leurs hésitations, leur croyance et leur pensée intime. « Pourquoi donc, leur disais je, rester ainsi en arrière ? Il est stupide de vendre l’Autre Monde pour celui-ci, si tu crois en celui-là sans te préparer à t’y rendre. Toi qui ne vendrais rien de matériel à moitié prix, tu irais vendre l’infini pour des jours qui te sont comptés ? [le Pari !] Et si tu n’y crois pas, tu n’es qu’un païen ! Dans ce cas, mets-toi en quête de la foi ! Vois donc la cause de ta secrète impiété, ta doctrine enfouie au plus profond de toi-même ! C’est elle qui te rend si hardi, bien que tu n’en souffles mot — pour te parer d’une foi convenable et profiter des honneurs de la Loi »...

L’un de ceux-ci me répond : « S’il fallait t’écouter, les savants seraient les premiers à donner l’exemple. Pourtant, l’un des plus célèbres ne fait pas sa prière ; un autre boit du vin ; celui-ci dévore les biens de mainmorte et mange l’argent des orphelins. Celui-là dilapide le Trésor Public, et ne se garde pas des choses défendues ; un dernier touche des cadeaux, pour infléchir ses jugements ou les témoignages. Et ainsi de suite ». … Un deuxième se dit fort avancé dans la Mystique… Et tous ceux-là sont ceux qui ont perdu la Voie mystique.

Un quatrième a fréquenté les partisans de l’Enseignement. « Le Vrai, dit-il, est difficile : la route est barrée, les controverses multiples, telle tendance ne vaut pas mieux qu’une autre, et les arguments rationnels se contredisent. On ne peut se fier à l’opinion des gens, et les partisans de l’Enseignement tranchent sans avoir besoin de preuve. Dans ces conditions, comment ne pas douter de la certitude » ?

Le cinquième me dit : « Je n’agis pas par simple conformisme. Mais j’ai étudié la Philosophie et perçu la réalité de la Prophétie. Or, elle se ramène à la sagesse125 et au bien public. Les pratiques cultuelles qu’elle recommande ont pour unique objet de discipliner le commun des hommes, de les empêcher de s’entre-tuer, de se quereller et de s’abandonner à leurs désirs. Seulement, moi, je ne suis pas un quelconque ignorant, pour me plier aux obligations légales. Je suis plutôt un dialecticien, qui pratique la connaissance rationnelle. J’y vois clair et me passe de conformisme » !

Tel est le summum de la foi pour ceux qui ont appris la Philosophie des Théistes et étudié dans les livres d’Avicenne et d’Al‑Fārābi. L’Islam n’est plus pour eux qu’une parure extérieure ! Peut-être s’en trouve-t-il, parmi eux, qui lisent le Coran, assistent aux réunions et aux prières et exaltent la Loi révélée. Pourtant, ils continuent à boire du vin et à se conduire mal. Si on leur demandait : « à quoi bon faire sa prière, puisque la Prophétie est fausse » ? ils répondraient sans doute : « c’est une bonne gymnas­tique, une coutume locale, et c’est utile à la protection des vies et des biens ». Mais peut-être reconnaîtraient-ils que la Loi révélée est vraie, et la Prophétie réelle. Dans ce cas, pourquoi boire du vin ? Réponse probable : « le vin n’est défendu qu’en raison des excès auxquels il peut conduire. …


[C. MON RETOUR A L’ENSEIGNEMENT]

ma décision jaillit, comme un silex, nette et précise : « à quoi bon la solitude et la retraite, quand le mal est universel, que les médecins sont malades, et les hommes sur le point de périr » ?

Là-dessus, je me mis à réfléchir : « tu vas donc entreprendre de dissiper cette tristesse et de chasser ces ténèbres, alors que le temps est à la torpeur et l’époque à la vanité. Toi qui voudrais remettre tes contemporains dans le droit chemin, sache bien qu’ils vont tous se retourner contre toi. Comment leur tenir tête, et com­ment vivre avec eux, si le moment n’est pas propice, et sans l’appui d’une autorité religieuse contraignante » ?

Il me semble donc que Dieu m’autorisait à continuer ma re­traite, sous prétexte que j’étais incapable d’administrer victorieu­sement la preuve de la vérité. C’est alors que, par la volonté de Dieu, les autorités se décidèrent spontanément, sans pression extérieure, et me donnèrent l’ordre strict de me rendre à Nishāpûr, pour combler le vide de mon absence. L’injonction fut assez impé­rative pour m’exposer, en cas de refus, à tomber en disgrâce. …

Et maintenant, je le sais bien, j’ai beau être revenu à l’ensei­gnement : je n’y suis pourtant pas revenu ! Car revenir, c’est re­tourner à l’état antérieur. Or, autrefois, j’enseignais pour obtenir des honneurs : tels étaient mon but et mon intention. Tandis qu’au­jourd’hui, mon enseignement invite à renoncer aux honneurs, il montre comment cesser de leur donner de l’importance. Tels sont, actuellement, mon intention, mon but et mon désir : Dieu en est témoin ! Je veux me rendre meilleur et améliorer les autres. Y par­viendrai-je ? Je l’ignore. …


[D. REMÈDES POUR LES TIÈDES]…

Ils se repré­sentent les choses, en les mettant à la portée de leurs découvertes et de leur entendement. Celles qu’ils ne connaissent pas, ils les déclarent impossibles… si on leur disait ceci : « est-il possible qu’il existe quelque chose au monde, qui, gros comme une graine, suffit à détruire une ville, puis se détruit soi-même entièrement » ? Ils répondraient que non, que c’est un conte à dormir debout ! Pourtant, c’est bien ce qui se passe avec le feu, incroyable pour qui ne l’a jamais vu. Et la plupart des merveilles de l’Autre-Monde sont dans ce cas. …

Supposons, en effet, le cas suivant. Un adulte raisonnable, jusque là bien portant, tombe malade. Son père aimant est un bon médecin, comme notre homme le sait depuis l’enfance. Le père prépare un remède pour son fils et lui dit : « voilà ce qu’il te faut, voilà qui va te guérir » ! Même si le remède est amer, d’un goût affreux, le patient va-t-il le prendre, ou, au contraire le repousser en disant : « il est possible que ce remède soit indiqué, mais je n’en ai pas fait l’expérience » ? …


1131 Ayn Al-Quzat Hamadani (1098 – 1131)

Ayn Al-Quzat Hamadani, né en 1098, très précoce intellectuel — il est cadi à treize ans —  puis mystique, disciple (avec son père) de Ahmad Ghazâli, influencé par Hallâj, théoricien du samâ, citant l’Évangile, tenté par Iblis, emprisonné à Bagdad, finalement écorché vif à Hamadân, pendu et jeté au feu le 7 mai 1131, quatre ans après l’édit (fatwâ) de sa mort.126. Nous l’avons déjà rencontré citant son prédécesseur Hallâj.



Lorsque la pauvreté est accomplie, elle est Dieu (56).

Le chemin de Dieu n’est ni en haut, ni en bas… est dans le cœur et il suffit d’un pas pour le parcourir (112).

« Le cœur est le coursier de Dieu enfermé en cette prison,

du monde terrestre, il est, pour quelque temps, l’invité.

Dans le monde de Dieu, le cœur est l’oiseau de la Vérité,

non, mais plutôt un faucon, la parure du Sultan.

Le cœur est vivant par l’esprit, et l’esprit est vivant par Dieu,

tantôt l’esprit est dans le cœur, tantôt le cœur est dans l’esprit.

L’esprit procède de la Lumière de Dieu :

« lumière sur lumière » ne se trouve-t-il pas dans le Coran ?

Cette lumière noire vient de la mine de la colère

et de la contrainte,

elle est la source de l’impiété et le séjour de Satan ;

Tel est le secret de la vérité que je viens d’expliquer,

mais dans le monde de la Loi, elle doit rester cachée.

Ce qu’Il a voulu, en créant les deux mondes,

est une chose qui en est la justification :

qu’Il se voit Lui-même dans le miroir de l’esprit.

Il s’aime donc Lui-même puisqu’Il se suffit à Lui-même.

En Lui, nous nous voyons aussi.

Lamant et l’aimé ne sont ainsi qu’un seul et même,

puisque c’est Lui qui est celui qui aime et celui qui est aimé.

C’est ainsi que lamant et l’aimé se tiennent compagnie,

puisque c’est Lui l’esprit, et l’esprit c’est Lui.

Rencontre et dialogue, voilà ce qu’est l’amour,

mais la nourriture qu’Il puise en nous n’est que Lui-même.

Éternel est donc l’esprit dans le monde du Vivant !

Mais pourquoi tous ces discours, puisque de pareils, il en est tant ! (242)

J’ai vu mon Seigneur par mon Seigneur… personne n’a vu mon Seigneur, si ce n’est mon Seigneur (268).


1141 Hugues et Richard de Saint-Victor (– 1141).

Une heureuse synthèse entre pensée chrétienne et vie mystique prit place dans l’abbaye de chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris. Hugues de Saint-Victor (— 1141) fut un contemplatif. Sa grande influence est renforcée par son successeur Richard de Saint-Victor (— 1173).

La vie de Hugues ne présente aucun relief extérieur et il ne figure pas dans la liste des prieurs de l’abbaye  parisienne. L’infirmier de l’abbaye a laissé un récit émouvant de sa mort sereine. On venait en pèlerinage sur son tombeau, malgré une certaine hostilité manifestant la lutte d’un rigorisme spirituel contre l’humanisme et l’union de science et de sagesse dont il est un représentant (on évoqua une apparition où il aurait révélé qu’il souffrait dans le purgatoire à cause de son amour pour la science). Parlant et écrivant latin, il goûtait Virgile, et connaissait probablement l’hébreu, adoptant parfois des interprétations propres à l’école juive du nord de la France : Rashi (-1105), le plus grand commentateur juif du moyen âge, résidait à Troyes.

Hugues et Richard défendent, comme Guillaume de Saint-Thierry et Bernard, le primat de l’amour qui seul introduit à la contemplation. Celle-ci a pour objet la vérité, qu’elle soit naturelle ou surnaturelle, «mais à l’encontre de la scolastique dont leur époque voyait apparaître les premiers essais, ils n’atteignent la vérité ni par induction ni surtout par déduction, mais par la méditation et la contemplation127.» 

Le De arrha animae est un livret adressé par Hugues à ses anciens confrères de Saxe (il serait lui-même d’origine probablement saxonne, peut-être flamande). L’échange entre l’Homme et l’Âme décrit le chemin qui mène à la beauté du Dieu d’amour 128. Il tente de rendre compte de la dynamique de l’ascension, malgré l’objection que l’on retrouve à toutes les époques : comment  aimer sans voir ? 



L’HOMME. ... Regarde le monde et tout ce qu’il contient. Tu y décou­vriras quantité de formes gracieuses et séduisantes qui enlacent les affections humaines et allument le désir de leur jouissance... tu as fait connaissance avec toutes ces séductions, à peu près toutes, tu les as considérées, et pour la plus grande part, tu les as éprouvées.... Dis-moi donc, je t’en supplie, ce dont parmi tout cela tu as fait ton unique objet, celui que seul tu voudrais étreindre, celui dont tu voudrais jouir toujours....

L’ÂME. Comme je ne peux aimer ce que je n’ai jamais vu, ainsi, de tout ce qui s’offre à la vue, il n’est rien jusqu’ici que j’aie pu ne pas aimer, et cependant, parmi tout cela, l’objet qu’il faut aimer par-dessus tout, je ne l’ai pas encore trouvé.... incertaine parmi les désirs, je ne puis être sans amour et le véritable amour, je ne le trouve pas.

L’HOMME. Mais tu possèdes un sérieux principe de salut : ton amour. Tu as appris à le modifier en un meilleur ; tu pourras donc être arrachée à l’amour de tout ce qui passe, si tu te vois proposer une beauté plus insigne, une beauté plus délicieuse à atteindre.

L’ÂME. Comment pourra-t-on me montrer ce qui ne peut se voir ? Et ce qui ne peut se voir, comment l’aimer ? ... Il te faut donc ou approuver l’amour du visible, ou si tu me l’enlèves, montrer quelque autre chose dont l’amour soit plus salutaire et plus agréable.

L’HOMME. Si tu estimes devoir aimer ces objets temporaires et visibles pour un certain charme en leur genre que tu leur reconnais, pourquoi ne pas plutôt t’aimer toi-même, toi dont l’image l’emporte en charme et en beauté sur toutes les choses visibles. Oh ! Si tu te regardais ! Oh ! Si tu voyais ton visage, comme tu te confesserais répréhensible, pour avoir estimé digne de ton amour quelque chose en dehors de toi !

L’ÂME. L’œil voit tout : lui-même il ne se voit pas ; ce regard qui nous permet de voir tout le reste n’atteint pas la face qui le porte. ... À moins, par hasard, que tu ne m’apportes un miroir d’un genre spécial, où je puisse connaître et aimer la face de mon cœur....

L’HOMME. ... Tu as un fiancé et tu l’ignores. C’est le plus beau de tous, mais tu n’as pas vu son visage. Lui, il t’a vue, sans quoi il ne t’aimerait pas. Il n’a pas voulu jusqu’ici se présenter lui-même, mais il t’a envoyé des présents, il t’offre le cadeau des fiançailles, un gage d’amour, une marque de sa dilection. Si tu pouvais le connaître, voir ses traits, tu ne douterais plus de sa beauté. Tu saurais qu’un fiancé si beau, si accompli, si gracieux, un fiancé hors de pair, ne se serait pas épris d’amour à ton aspect si quelque charme singulier et admirable entre tous ne l’avait attiré... […] Le monde entier t’es subordonné, et toi, tu n’as pas honte d’admettre dans l’intimité de ton amour, je ne dis pas le monde entier, mais je ne sais quelle infime portion du monde, une portion qui ne l’emporte ni en perfection sur les belles choses, ni en utilité sur les nécessaires, ni en quantité sur les grandes, ni en bonté sur les excellentes. Ah ! du moins si tu aimes ces créatures, aime-les comme des inférieures, aime-les comme des suivantes, aime-les comme des dons, comme le cadeau de ton fiancé, comme les présents d’un ami, comme les largesses d’un seigneur ; mais que ces affections ne t’enlèvent pas cependant le souvenir de ce que tu lui dois. Aime ces créatures, non pas au lieu de lui ; ni elles avec lui, mais elles pour lui ; et lui pour elles, lui au-dessus d’elles...

L’ÂME. Voudrais-tu agréer que je te pose une dernière question ? Quelle est donc cette douceur qui parfois, lorsque je songe à lui, me touche et m’attache avec tant de véhémence et de suavité ? C’est comme si j’allais m’être enlevée à moi-­même pour être ravie je ne sais où. Soudain je me trouve nouvelle et toute transformée, et je ne saurais exprimer comme je suis bien. Ma conscience est ensoleillée, j’oublie la peine de toutes mes misères passées, mon esprit exulte, mon intelli­gence s’éclaire, mon cœur s’illumine, mes désirs s’égaient, je vois que je suis ailleurs, je ne sais où ; il y a là, à l’intérieur, quelque chose que mon amour tient embrassé, et je ne sais ce que c’est, et cependant je voudrais de toutes mes forces le retenir et ne le perdre jamais. ...

L’HOMME. En vérité, c’est lui, c’est ton bien-aimé qui te visite. Mais il vient invisible, il vient caché, il vient insai­sissable. Il vient pour te toucher non pour que tu le voies; il vient pour t’avertir non pour que tu le saisisses; il vient non pour s’infuser tout entier, mais pour se laisser goûter, non pour remplir ton désir, mais pour attirer tes affections.... puisses-tu ne reconnaître que lui, n’aimer que lui, ne suivre que lui, pour l’atteindre et le posséder lui seul!

Richard de Saint-Victor présentera à son tour quatre degrés de l’amour ardent envers Dieu : premier degré de la suavité intime, second degré de la contemplation, troisième degré où «l’âme oublie tout, jusqu’à perdre conscience d’elle-même» puis s’embrase du fer froid au fer rouge, quatrième degré de l’humilité où elle peut dire « ce n’est pas moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi.129» Alors « l’âme à ce degré devient immortelle et impassible ». En résumé, « au premier et au second degré elle s’élève, au troisième et au quatrième elle se transforme 130.» 


1141 Ibn Al-Arif (-1141)

« Son père 131était originaire de Tanger et faisait partie de la garnison de la Qasba d’Alméria, pendant la période où cette cité fut la capitale de l’un des royaumes des Tawâ’if [issu du morcellement du sud de l’Espagne]. Des difficultés économiques l’obligèrent à l’appliquer à un métier manuel : il le plaça tout jeune comme apprenti chez un tisserand pour y apprendre à travailler. Mais l’enfant répugnait à tout travail qui n’était pas l’étude du Qoran et la fréquentation  des livres. À force de multiplier les défenses et les menaces le père faillit faire échouer les heureuses dispositions que le jeune Ibn al Arif montrait pour l’étude. À la fin, il le laissa libre de suivre ses goûts et le jeune homme devint un savant incomparable. Très vite il put s’adonner comme maître à l’enseignement de ces disciplines littéraires soit à Alméria, soit à Saragosse et à Valence. Son habileté calligraphique est également signalée avec éloge par ses biographes.

« La multitude des disciples d’Ibn al Arîf et leur attachement fanatique au maître firent peut-être craindre au sultan almoravide Ali un soulèvement possible en sa faveur pour le porter sur le trône. Le soulèvement des «morîdîn (novices ou postulants) contre les Almoravides, peu après la mort de Ibn al`Arîf, justifierait les soupçons des autorités. L’année qui suivit sa mort, le maître soufi Aboû al Qâsim ibn Qâsyî organisa dans les Algarves (Sud du Portugal) une sorte de milice religieuse formée des adeptes de son école qui suivaient, dans toute sa pureté, la doctrine même d’Ibn al Arîf, et du monastère ou râbita qu’il construisait à Silves, sur la côte de l’Atlantique; il se proclama «imâm, remporta des succès militaires centre les Almohades, et régna dix ans comme souverain de toute la région.

L ’on comprendra donc sans peine que le sultan Ali ait conçu, douze ans plus tôt, de fortes craintes au sujet du succès peu commun qu’obtenaient à Alméria et dans les pays d’alentour les prédications d’Ibn al Arîf. La dénonciation du qâdi Ibn al «Aswad, transmise par écrit, arriva à la cour de Marrakech, et le sultan donna ordre au gouverneur d’Alméria de lui envoyer Ibn al Arîf. Le récit de la captivité et du transport d’Ibn al Arîf nous a été conservé avec assez de détails par les biographes. Le gouverneur d’Alméria, pour obéir aux ordres dit sultan, fit embarquer Ibn al Arîf pour Ceuta, mais le qâdî insinua au gouverneur qu’il serait bon ne pas laisser libre le prévenu et lui mettre des chaînes ou entraves aux pieds.

« Comme Ibn al Arîf accostait à Ceuta, un envoyé du sultan se présenta porteur d’un ordre exprès pour sa mise en liberté. Ibn al Arîf se voyant délivré des chaînes, comprit que le sultan ne voulait pas se rendre complice de l’injuste violence exercée contre lui. « Je ne voulais pas être connu du sultan, s’écria alors, dit-on, Ibn al Arîf, mais puisqu’il me connaît déjà, force m’est bien de le voir. » Il se mit aussitôt en route pour la cour de Marrakech ; il fut reçu avec honneur par le sultan qui le combla de marques de vénération et de respect. Le sultan lui ayant demandé s’il désirait quelque chose, prêt à le lui accorder, aussitôt Ibn al `Arîf lui répondit : « Je ne désire rien que d’avoir la liberté d’aller où je voudrai ». Le sultan se hâta de lui accorder la liberté désirée, mais il semble qu’elle lui fut complètement inutile, car peu de temps après il tomba malade et mourut à Marrakech même.

« On a donné de sa fin deux explications : pour les uns, elle fut dûe à une mort naturelle ; d’autres l’attribuèrent à un empoisonnement. La renommée de sa sainteté et les circonstances mystérieuses de sa mort, produisirent une si forte impression dans l’âme du sultan que, au moment de l’enterrement d’Ibn al `Arîf, quand il vit la douleur publiquement manifestée par la population qui suivit extraordinairement nombreuse le cortège funèbre, il se repentit d’avoir écouté les dénonciations du qâdî d’Alméria contre Ibn al `Arîf et, pris de soupçons, il ordonna de faire une enquête sur le fait et ses causes. »

Son influence fut grande ce dont témoignent plusieurs passages des Futuhat, l’œuvre majeure d’Ibn Arabî.132.



« Entre Lui et les dévots, il n’y a pas d’autre relation que celle de la divine providence, ni d’autre cause que ses divins décrets, ni d’autre moment présent que l’éternité. …

La science est pour les cœurs, comme les causes occasionnelles sont pour les mystères. Tout ce qui n’est point Dieu est un voile qui le cache. […]


Article [2]. La volonté est la caractéristique du profane vulgaire. Elle est en effet la tendance de l’âme vers Dieu dépouillée [de toute autre tendance], et l’intention résolue de s’efforcer de le chercher. Or ceci, dans la voie des choisis ou déjà initiés, est une imperfection, est une séparation [de Dieu], est un retour aux choses créées et à l’amour propre. La volonté du serviteur de Dieu est effectivement la satisfaction de son goût personnel et la source capitale des prétentions. Or l’union à Dieu et son atteinte [dans la contemplation] ne s’obtiennent que par ce que Dieu veut du serviteur, non par ce que le serviteur veut. … Et de l’un des maîtres spirituels (Abû Yazîd al Bistamî) on raconte qu’il dît :

« Dieu m’a mis en sa présence et m’a dit ensuite : « Peut-être désires-tu les grâces » ? Je lui ai répondu : « Non ».

Il m’a dit : « Peut-être désires-tu les charismes ? Je lui ai répondu : « Non ».

II m’a dit : « Peut-être alors désires-tu les demeures élevées ? » Je lui ai répondu : « Non » Il m’a dit : « Que désires-tu donc ? »

Je lui ai répondu : « Je désire ne pas désirer, car ma volonté est sans valeur, puisque je suis ignorant de toute manière. Choisis donc, Toi, pour moi, ce que Tu sais le meilleur et ne mets point ma perdition en ce que mon libre choix et mon autonomie préfèrent. » « Ton Seigneur crée ce qu’il veut, et choisit librement, mais eux n’ont point de libre arbitre » (Qoran, XXVIII, 68)

On raconte du [même] Abû Yazîd qu’il a dit [aussi] : « Je suis monté dans la voiture de la sincérité jusqu’à mon arrivée au sommet de l’air. Je suis monté ensuite dans la voiture du désir passionné jusqu’à mon arrivée au ciel astronomique. Je montai alors dans la voiture du divin amour jusqu’à mon arrivée au lotus du terme. Et une voix m’a crié : « Oh ! Abû Yazîd ! Que désires-tu ? » J’ai répondu : « Je désire ne point désirer, parce que, je suis le désiré et tu es celui qui désire ». Par suite, la santé de la volonté consiste à remettre généreusement à Dieu sa propre faculté d’agir, à rester le sujet vide de pouvoir, par l’abandon du libre choix, à persévérer immobile devant le cours des divins décrets, comme le cadavre entre les mains de celui qui le lave, qui le retourne comme il veut…


Article [3]. Quant à l’ascétisme, il est aussi le propre du profane vulgaire, puisqu’il consiste en ce que l’appétit concupiscible s’abstient des plaisirs, à renoncer à s’unir de nouveau à ce dont on s’est séparé, à laisser la recherche de ce que l’on a perdu, à se priver des désirs du superflu, à contrarier l’aiguillon des passions, à négliger en toute chose ce qui n’intéresse pas [l’âme]. Or cela est imperfection dans la voie des élus, car cela suppose que l’on attache de l’importance aux choses de ce monde, que l’on s’abstient de les servir [que l’on se surveille pour les écarter de soi], que l’on se mortifie extérieurement par la privation des choses d’ici-bas, tandis qu’intérieurement on se sent de l’attachement pour elles.

Faire cas du monde revient à te tourner vers toi même : c’est passer son temps à lutter avec soi-même ; c’est te rendre compte de ta sensibilité et rester avec toi [bien que ce soit] contre ta concupiscence. … En toute vérité, l’ascétisme est l’ardente aspiration du cœur vers Lui seul ; l’adhésion à Lui des aspirations et désirs de l’âme ; l’unique préoccupation de Lui, sans aucune autre préoccupation, afin que Lui écarte de toi la nasse de ces causes occasionnelles et que tu sois avec Lui comme l’enfant d’un mois avec sa mère : il n’a ni volonté ni résolution [dans ses relations] avec elle. C’est ce que l’on dit d’un certain novice interrogeant un maître spirituel : « Oh ! maître ! avec quoi repousses-tu le diable quand il t’attriste [ou t’attaques] par la tentation ? » Le maître lui dit : « Je ne connais pas le diable, pour être obligé de le repousser ! Nous autres nous dirigeons nos désirs vers Lui et remplissons nos cœurs de son souvenir et Lui seul nous suffit, sans que nous ayons besoin d’autre chose, hors de Lui.» […]


Article [4]. Quant à la confiance en Dieu, elle est propre aussi au profane vulgaire, parce qu’elle consiste à confier tes affaires au Seigneur et à te recommander à sa sagesse et à sa bienveillance pour qu’Il te dirige et te remplace, sans avoir toi-même de préoccupation. Or cela, dans la voie des élus, est aveuglement… c’est retourner aux causes occasionnelles. Car, [bien que effectivement] tu abandonnes ces causes et te fixes dans la confiance en Dieu, cette confiance devient une sorte de remplaçante de ces causes. C’est donc comme si tu étais encore attaché à ce que tu as abandonné, tout en t’en croyant séparé. …

Article [8]. … Pareillement, aux gnostiques qui possèdent l’intuition du Dieu Très haut il ne reste aucune espérance, dont ils soient dépendants, ni aucune aspiration qui les asservisse et dont ils s’occupent…



Article [10]. … L’amour sincère  ne met pas en évidence l’amant par ses paroles ; il ne le met en évidence que par ses qualités et par ses regards. …



Article [12]. … Leur confiance en Dieu repose… sur le vide qu’ils font dans leur esprit de toutes aspirations tendant à leur faire régler par eux-mêmes leurs propres affaires : ils s’en tiennent à ce que, sur ce sujet, décide Celui qui les gouverne et les conduit, de la manière dont sa science sait que cela leur convient davantage. …


1148 Guillaume de Saint-Thierry (~1085-1148)

Au XIIe siècle, ceux qui cherchaient Dieu avec un cœur sincère tournaient leur regard vers la « lumière de l’Orient » de Guillaume de Saint-Thierry qui débute ainsi sa Lettre d’or :

«Vers les frères du Mont-Dieu, par qui la lumière de l’Orient et l’antique ferveur religieuse des monastères égyptiens — le modèle de la vie solitaire, le type de la vie céleste — se répandent dans les ténèbres occidentales et dans les froidures des Gaules...133.»

Né à Liège autour de 1085, Guillaume de St Thierry rencontre Pierre Abélard lorsqu’il se met à l’école d’Anselme (-1117)  à Laon. Cet Anselme est distinct, mais contemporain d’Anselme de Cantorbéry (-1109), l’auteur de la célèbre «preuve». Guillaume est moine à Reims en 1113 et devient abbé du monastère de Saint-Thierry en 1119. Le premier de ses opuscules est un traité sur La nature et dignité de l’amour qui demeurera son thème préféré.

Il devient ami de Bernard de Clairvaux (1090-1153), ce qui explique que l’on ait souvent confondu les œuvres de ces deux auteurs au bénéfice du célèbre fondateur et politique autant que spirituel. En 1135, Guillaume reçoit l’habit cistercien à l’abbaye de Signy, une fondation ardennaise toute récente. Vers 1138 il commente pour son propre compte le Cantique. La  Lettre d’or ou Lettre aux frères du Mont-Dieu, dont nous venons de citer l’ouverture, voit le jour à l’occasion d’un voyage fait vers 1144 dans une chartreuse récemment fondée, dont les frères sont en butte à la critique. Guillaume meurt en 1148.

Il doit beaucoup à Origène (~185 ~254) dont nous avons évoqué la possible fréquentation de Plotin (-270) à Alexandrie auprès d’Ammonios, le père du néoplatonisme. Le lien est ainsi très fort avec l’Antiquité, facilement accessible par des manuscrits abondants à Clairvaux et à Signy.  « L’ombre d’un certain Plotin plane sur l’œuvre de Guillaume... Pour les deux auteurs, l’amour est une seconde puissance de l’âme, une sorte d’intellect qui lui permet d’atteindre et de voir (Guillaume préfère le mot “sentir”) ce qui est au-dessus d’elle, comme l’intellect lui permet de connaître ce qui est de même nature qu’elle134.» Guillaume bénéficie d’une solide formation qui lui permet de se confronter avec Abélard (1079-1142), en  s’opposant à une recherche dialectique de la vérité. Il ne peut se contenter d’une connaissance rationnelle qui empêche la connaissance intime et personnelle du mystère divin135 : 

« On atteint pourtant cette Vie plus sûrement par le sens de l’amour illuminé et humble que par n’importe quelles réflexions de la raison ; toujours meilleur qu’on ne le pense, on le pense cependant mieux qu’on ne l’exprime136.

« C’est par l’amour, comme par un sens, que le Créateur est perçu par la créature, c’est lui qui, comme un intellect, donne l’intelligence de Dieu137.

Guillaume se heurte déjà au problème de la prédestination, promis à un bel avenir. Il suggère que la réponse est à trouver dans une expérience intime :

 « La prescience de Dieu à ton sujet, c’est sa bonté envers toi ; la prédestination, sa bonté dès ce moment à l’œuvre en toi ; le choix, l’œuvre elle-même ; la connaissance, le sceau de la grâce138.

 « Dieu n’aime rien d’autre que Lui-même en nous », et l’amour qui vient de Lui peut alors circuler, liant les hommes entre eux comme avec Dieu, ce qui suggère une grande unité, loin d’une dualité désespérante plaçant le pécheur face à son Juge :

« De même que Dieu n’aime rien d’autre que Lui-même en nous, et que nous, nous avons appris à n’aimer que Dieu seul ; de même aussi commencerons-nous à aimer le prochain comme nous-mêmes, puisqu’en lui, c’est Dieu seul que nous aimons, comme nous-mêmes139.

L’union est possible, elle vient par ressemblance, grâce à l’initiative amoureuse divine qui provoque la transformation de l’être, dont toute la nature fournit l’analogue :

« L’amour de Dieu, l’Esprit Saint vient planer sur l’esprit des pauvres... Et de même que le soleil se joue à la surface des eaux, les réchauffe, les éclaire, et puis les attire à soi, par sa chaleur, comme par une force naturelle, pour les rendre ensuite à la terre altérée, sous forme de pluie, au temps et lieu de la miséricorde divine, ainsi l’amour de Dieu se joue sur l’amour de ses fidèles, le pénètre de son souffle, le comble de ses bienfaits ; puis il ravit cet amour, qui le cherche par une sorte d’appétit naturel, et qui tend naturellement à s’élever comme le feu. Il l’unit alors à soi et l’esprit de l’homme croyant, possédé par Dieu, devient avec lui un seul esprit140.» 

On retrouve le « lieu » indéterminé commun à tous les mystiques :

«Mon âme a été créée dans ton amour; je ne connais donc ni le ciel ni l’enfer. Si tu me brûles et me réduis en cendres, on ne trouvera pas en moi un autre être que Toi. Je Te connais, mais je ne connais ni la religion, ni l’infidélité141.» 

1153 Bernard de Clairvaux (1091-1153)

Les cisterciens, comme nous venons de le voir chez Guillaume devenu l’un d’entre eux, mettent l’amour et la charité à la première place. Mais un certain relâchement de la vie mystique se manifeste dès ~1250 lorsque les moines quittent leurs retraites pour peupler les universités naissantes où se développe l’influence scolastique. Les cisterciennes, telles que Béatrice de Nazareth (-1268), transmettront alors la flamme mystique142.

Bernard de Clairvaux, auquel on a attribué longtemps les œuvres de Guillaume de Saint-Thierry et aussi celles du chartreux Guignes II, demeure la grande figure de la réforme de Citeaux143. Cette réforme est issue de la tradition bénédictine et conserve des liens avec elle (l’abbé Robert, après avoir fondé Citeaux en 1098, retourne à l’abbaye bénédictine de Molesmes).

Le rayonnement de Bernard se manifeste tôt. À vingt et un ans, il entre à Citeaux qui est une jeune fondation relativement pauvre et d’observance stricte, avec son oncle, quatre de ses frères et plus de vingt de ses amis. À vingt-cinq ans, il est envoyé par son abbé à la tête d’un groupe de douze moines pour fonder un monastère à Clairvaux. Les fondations se succèdent, qui demandent des voyages incessants, alors que sa santé sera toujours médiocre. Il est à la fois rigoureux et bienveillant, consolant la famille du novice Geoffroy de la manière suivante :


« Je remplacerai auprès de lui son père et sa mère, son frère et sa sœur... je le conduirai avec tant d’égards et de ménagements que son âme fera des progrès dans la vertu sans que son corps succombe sous le poids des macérations ; en un mot, il trouvera beaucoup de charme et de douceur dans le service  de Dieu144.»



Son activité réformatrice s’étend. Il favorise les deux premières croisades, il lutte contre les hérétiques sans aucun ménagement, contre Abélard (à l’instigation de son ami Guillaume), et même contre Pierre le Vénérable, le sage abbé de Cluny. Il dirige l’ancien moine de Clairvaux devenu le pape Eugène  III.

Cette intransigeance dans la vie publique au service de la « vraie foi » offre un contraste avec une vie intérieure orientée vers l’amour de Dieu et la charité, cette dernière étant à ses yeux la substance divine même. On retrouve là le même contenu vécu par les deux amis, mais les formes d’expression sont très différentes. Chez Bernard, le moine s’adressant à de larges publics fait appel à l’éloquence propre à la langue latine ; ce qui devient un écueil pour le lecteur moderne dont la sensibilité est bien différente de celle des auditeurs de sermons. Par contre, la méditation que partage avec nous Guillaume le solitaire facilite le partage de son intuition mystique.

Le salut ne dépend pas du mérite :


« Quoi ? Penserais-tu par hasard que tu es l’auteur de tes mérites, que tu pourrais être sauvé par l’effet de ta justice, toi qui ne peux même pas prononcer le nom du Seigneur sans [le secours du] Saint-Esprit145.



Mais de l’amour de Dieu seul :

 « Vous voulez donc que je vous dise pourquoi et comment il faut aimer Dieu ? Et moi, je vous répondrai : la raison d’aimer Dieu, c’est Dieu. La mesure de l’aimer, c’est de l’aimer sans mesure. ... La raison pour laquelle nous devons aimer Dieu, c’est de l’aimer pour lui-même146.



Cet amour vient de Lui, ce que nous éprouvons sans en douter :

 « Par où donc est-il entré ? ... En effet, il ne s’identifie avec aucune des choses qui sont au-dehors. Cependant, il n’est pas venu du dedans de moi, puisqu’il est le bien... quand mon cœur se réchauffe... alors c’est pour moi l’indice de son retour147.



Un, il s’étend entre tous ses bénéficiaires :

« Toute déférence tombe devant le parfait amour... ainsi maintenant s’établit... comme entre deux amis intimes, un dialogue tout à fait familier. Il n’y a pas lieu de s’étonner : leur amour provient de la même source, il est donc réciproque148.

 

La charité sans aucun vouloir d’intérêt propre s’identifie à la motion divine :

 « Or, voici pourquoi je dis, de la charité, qu’elle est sans tache : c’est qu’elle a l’habitude de ne rien retenir pour elle de ce qui lui appartient. Mais celui qui n’a rien en propre tient, de Dieu, tout ce qu’il possède, et ce qui est à Dieu ne peut être souillé... la charité est la substance divine elle-même et je n’avance là rien qui soit nouveau ou insolite, car Jean dit : Dieu est charité 149.



Hymne de la charité à l’amour pour atteindre la source divine :

« Qu’y a-t-il de plus agréable que cette conformité, de plus désirable que cette charité qui fait que ton âme ne se contente pas des enseignements qu’elle reçoit des hommes, mais s’approche avec confiance du Verbe, adhère sans cesse à Lui, l’interroge familièrement, le consulte en tout, la capacité de ton intelligence devenant la mesure de la hardiesse de tes désirs. Voilà vraiment le contrat d’un mariage spirituel et saint... C’est trop peu dire : ce n’est pas un contrat : c’est un embrassement, oui, un embrassement, puisque la liaison parfaite de leurs volontés fait, des deux, un seul esprit. Il ne faut pas craindre que l’inégalité des personnes fasse boiter en quelque point cette union de volonté. Car l’amour ignore la crainte révérencielle. [153]

«L’amour tire son nom d’aimer et non pas d’honorer. Celui qui est effrayé ou étonné, qui craint ou admire, celui-là honore : mais tous ces sentiments n’existent pas chez celui qui aime. L’amour a par lui-même sa plénitude. Lorsqu’il se fixe dans une âme, il absorbe en lui toutes les affections. C’est pourquoi celle qui aime, aime et ne sait rien d’autre... Mais je lis que Dieu est charité [I Jean, 4, 16]; je ne le lis pas qu’il soit l’honneur ou la dignité. ... L’amour est la seule tendance parmi tous les mouvements, les sentiments et [154] les affections, qui permet à la créature de répondre à son auteur, bien qu’inégalement... Lorsque le Dieu aime, Il ne demande pas autre chose que d’être aimé, parce qu’Il n’aime qu’afin d’être aimé, sachant que ceux qu’Il aime seront rendus heureux par cet amour même. ...[155]150.

1188 Guigues II (? – 1188)

Le premier chartreux du nom de Guigues (1083-1136) est tenu pour un “rare génie” par ses contemporains Pierre le Vénérable et Bernard151. Le second du même nom (-1188) a influencé l’ermite anglais Rolle et s’accorde à l’auteur du Nuage d’Inconnaissance, qui est lui-même très probablement un chartreux152. Il Existe enfin un intéressant Guigues du Pont (– 1297)153. La lecture des textes chartreux (comme en général de la littérature issue des moines) doit souvent surmonter une extrême sobriété.

Dans son Échelle, le second Guigues distingue quatre degrés : lecture, méditation, prière, contemplation. L’exposition des degrés indique la profondeur de son expérience. Une voie “individuelle” est possible, si la grâce le permet, car le quatrième degré de contemplation n’est en rien dépendant des précédents. Le caractère d’un pur don propre à ce degré n’est toutefois pas souligné dans la récapitulation de la voie, dont se dégage un optimisme résolu, assez fréquent en ce premier moyen âge, plus rare après les ravages des grandes pestes154. Mais le Maître divin de la contemplation est exigeant :



Il est venu pour ta consolation, il se retire par prudence, pour que la grandeur de la consolation ne t’enorgueillisse pas155. ... Cet Époux est un Époux jaloux : s’il t’arrive d’admettre un autre amour, ou de t’appliquer à plaire davantage à un autre, aussitôt il s’éloigne de toi... S’il voit en toi une tache ou une ride, il détourne aussitôt son regard, car il ne peut supporter aucune impureté156.”


 Aussi faut-il demander avec une vigueur qui en quelque sorte soit comparable à cette exigence, c’est le combat spirituel, compris à son niveau profond, au-delà de l’ascèse des sens :

“… mon âme : une terre déserte et vide, invisible et informe... Pourtant... l’abîme inférieur et obscur appelle l’abîme supérieur157. Demandez et vous recevrez... le royaume de Dieu souffre violence, et ce sont les violents qui s’en emparent158.” 



S’ouvre alors la paix par et dans l’amour, seul “moyen” autorisé dans la voie mystique :

 “Car ton intelligence a travaillé en vain, si tu n’aimes pas ce que tu as compris : la sagesse, en effet, est dans l’amour... Là, dans l’amour, réside toute la force de l’âme, là se rassemble toute la nourriture vitale, et c’est de là que la vie est diffusée par tous les membres que sont les vertus159.”


1191 Sohravardi (1155 – 1191)

Sa ville natale se situait au nord-ouest de l’Iran. Sa jeunesse se passe près de Tabriz. Il se rend à Ispahan, fréquente les soufis, mais garde “une autonomie souveraine dans l’usage de la pensée… insiste sur la pratique  de la solitude… connaît une égale maîtrise dans la connaissance rationnelle et la connaissance mystique  … la vie devient pour le pèlerin une théurgie croissante…”. Pauvreté et ascèse : ce “pôle caché de la connaissance mystique” est “perçu par ses contemporains dans l’élément [dans le cadre] du soufisme.” Il se rendra en Anatolie chez un prince Seljoukide qui ne pourra empêcher sa mise à mort sous la pression des docteurs de la Loi… et de son père Saladin d’origine kurde dont l’autorité fragile doit être confirmée : son exécution a lieu trois semaines après l’arrivée des croisés de Richard Cœur de Lion.

 Sohravardi est un gnostique. Il intercède auprès de Dieu : “Il y a des gens qui appellent… il y a des gens qui pleurent dans le secret de Tes sanctuaires…” Il faut les éveiller à rechercher  leur vraie nature160» :


Le récit de l’Archange empourpré

Un ami d’entre mes amis les plus chers me posa un jour cette question161 :

« Les oiseaux comprennent-ils le langage les uns des autres ?

– Certes, répondis-je, ils le comprennent.

– D’où en as-tu eu connaissance ? rétorqua mon ami.

– C’est qu’à l’origine des choses, lorsque celui qui est le Formateur au sens vrai, voulut manifester mon être qui n’était pas encore, il me créa sous la forme d’un faucon. Or, dans le pays où j’étais alors, il y avait d’autres faucons ; nous parlions les uns avec les autres, nous écoutions les propos les uns des autres, et nous nous comprenions mutuellement.

– Fort bien, dit mon ami, mais comment les choses en sont — elles arrivées à la situation présente ?

– Eh bien voici : un jour les chasseurs Décret et Destinée tendirent le filet de la Prédestination ; ils y mirent en appât le grain de l’attirance, et par ce moyen réussirent à me faire prisonnier. De ce pays qui avait été mon nid, ils m’enlevèrent dans une contrée lointaine. Mes paupières furent cousues ; on serra autour de moi quatre espèces d’entraves [les éléments : terre eau air feu] ; enfin dix geôliers furent commis à ma garde : cinq ayant le visage tourné vers moi et le dos en dehors, cinq autres en dos à dos avec moi, le visage tourné vers l’extérieur [les dix sens]. Les cinq qui avaient le visage tourné vers moi et le dos vers l’extérieur, me maintinrent si étroitement dans le monde de l’hébétude, que mon propre nid, le pays lointain, tout ce que j’avais connu là-bas, tout cela je l’oubliai. Je m’imaginais que j’avais toujours été tel que j’étais devenu.

« Lorsqu’un certain temps eût passé ainsi, mes yeux se rouvrirent quelque peu, et dans la mesure où ils étaient capables de voir, je me mis à regarder. De nouveau je commençai à voir les choses que je n’avais plus vues, et j’en étais dans l’admiration. Chaque jour, graduellement, mes yeux se rouvraient un peu plus, et je contemplais des choses qui me bouleversaient de surprise. Finalement, mes yeux se rouvrirent complètement ; le monde se montra à moi tel qu’il était. Je me voyais dans les liens que l’on avait serrés autour de moi ; je me voyais prisonnier des geôliers. Et je me disais à moi-même : « Apparemment il n’arrivera jamais que l’on me débarrasse de ces quatre entraves ni que l’on éloigne de moi ces geôliers, pour que mes ailes puissent s’ouvrir et que je prenne un instant mon envol, libre et dégagé de toute contrainte. » [recherche spirituelle suivie de la Rencontre :]

– Le Sage : Blanc, je le suis en vérité ; je suis un très ancien, un Sage dont l’essence est lumière. Mais celui-là même qui t’a fait prisonnier dans le filet, celui qui a jeté autour de toi ces différentes entraves et commis ces geôliers à ta garde, il y a longtemps que lui-même m’a projeté, moi aussi, dans le Puits obscur. Et telle est la raison de cette couleur pourpre sous laquelle tu me vois. Sinon, je suis moi-même tout blanc et tout lumineux. …

–   Moi : O Sage, d’où viens-tu donc ?

–   Le Sage : Je viens d’au-delà de la montagne de Qâf. Là est ma demeure. Ton nid, à toi aussi, jadis fut là-bas. Hélas ! tu l’as oublié.

–   Moi : Mais ici, quelle peut être ton occupation ?

–   Le Sage : Je suis un perpétuel pèlerin. Sans cesse je voyage autour du monde et j’en contemple les merveilles.

–   Moi : Quelles sortes de merveilles as-tu observées dans le monde ?

–   Le Sage : Sept merveilles en vérité : la première est la montagne de Qâf, notre patrie, à toi et à moi. La seconde : le Joyau qui illumine la nuit. La troisième : l’arbre Tûbâ. La quatrième : les douze ateliers. La cinquième : la cotte de mailles de David. La sixième : l’Épée. La septième : la Source de la Vie.

–   Moi : Raconte-moi, je t’en prie, l’histoire de tout cela.

–   Le Sage : Voici : il y a d’abord la montagne de Qâf. Elle se dresse tout autour du monde qu’elle cerne complètement ; en fait, elle se compose de onze montagnes. C’est là que tu te rendras, lorsque tu te seras débarrassé de tes liens, parce que c’est de là que l’on t’a enlevé jadis, et parce que tout être retourne finalement à sa forme initiale.

– Moi : Mais comment parcourrai-je le chemin jusque là bas ?

[…]

si tu actualises en toi-même la vertu naturelle de franchir ces montagnes, c’est en un instant que tu les franchiras toutes les deux.

– Moi : Maintenant que tu m’as expliqué la montagne de Qâf, dis-moi, je te prie, l’histoire du Joyau qui illumine la nuit.

[…]

– Moi : Qu’est-ce donc que l’arbre Tûbâ ?

– Le Sage : L’arbre Tûbâ est un arbre immense. Quiconque est un familier du Paradis y contemple cet arbre chaque fois qu’il s’y promène. Au cœur des onze montagnes dont je t’ai parlé, il est une certaine montagne. C’est dans cette montagne que se trouve l’arbre Tûbâ.

– Moi : Ne porte-t-il pas de fruits ?

– Le Sage : Tous les fruits que tu vois dans le monde sont sur cet arbre ; les fruits qui sont devant toi sont eux-mêmes au nombre de ses fruits. Si cet Arbre n’existait pas, jamais il n’y aurait devant toi ni fruit ni arbre, ni fleur ni plante.

– Moi : Fruits, arbres et fleurs, quel lien ont-ils donc avec cet arbre ?

– Le Sage : Sîmorgh a son nid au sommet de l’arbre Tûbâ. À l’aurore elle sort de son nid et déploie ses ailes sur la Terre. C’est sous l’influence de ses ailes que les fruits apparaissent sur les arbres et que les plantes germent de la Terre.

[…]

– Moi : Veux-tu dire que dans tout l’univers il n’ait existé qu’une seule Sîmorgh ?

– Le Sage : Non, c’est celui qui ne sait pas, qui pense faussement ainsi. Si continuellement une Sîmorgh ne descendait de l’arbre Tûbâ sur terre, tandis que simultanément disparaît celle qui était avant elle sur terre, c’est-à-dire que si continuellement ne venait une nouvelle Sîmorgh, rien de ce qui existe ici ne subsisterait. Et de même qu’elle vient sur terre, Sîmorgh s’en va également de l’arbre Tûba vers les douze ateliers.

[…]

– Moi : O Sage, dans ces ateliers qu’est-ce que l’on tisse ?

– Le Sage : On y tisse surtout du brocart, mais l’on y tisse également toutes sortes de choses qui ne sont encore venues à l’idée de personne. C’est aussi dans ces ateliers que l’on tisse la cotte de mailles de David.

– Moi : O Sage, qu’est-ce donc que la cotte de mailles de David ?

– Le Sage : Cette cotte de mailles, ce sont les liens divers que l’on a serrés autour de toi.

[…]

–   Moi : Mais y a-t-il un moyen par lequel on peut être débarrassé de cette cotte de mailles ?

–   Le Sage : Par l’Épée.

–   Moi : Et où peut-on s’emparer de cette Épée ?

–   Le Sage : Dans notre pays il y a un exécuteur [l’ange de la mort] ; cette Épée est dans sa main. On a fixé comme règle que lorsqu’une cotte de mailles a rendu les services qu’elle avait à rendre pendant un certain temps, et que ce temps est arrivé à expiration, cet exécuteur la frappe de son Épée, et le coup est tel que tous les anneaux se brisent et s’éparpillent.

–   Moi : Pour celui qui est revêtu de cette cotte, y a-t-il des différences dans la manière de recevoir le coup ?

–   Le Sage : Certes, il y a des différences. Pour les uns, le choc est tel qu’eussent-ils vécu un siècle, et eussent-ils passé toute leur vie à méditer la nature de la souffrance qui peut être la plus intolérable, et quelle que soit la souffrance que leur imagination ait pu se représenter, jamais leur pensée ne serait arrivée à concevoir la violence du coup que fait subir cette Épée. Pour d’autres en revanche, le coup est supporté plus aisément.

–   Moi : O Sage, je t’en prie, que dois je faire pour que cette souffrance me soit rendue aisée ?

–   Le Sage : Trouve la Source de la Vie. De cette Source fais couler l’eau à flots sur ta tête, jusqu’à ce que cette cotte de mailles (au lieu de t’enserrer à l’étroit) devienne un simple vêtement qui flotte avec souplesse autour de ta personne. Alors tu seras invulnérable au coup porté par cette Épée. C’est qu’en effet cette Eau assouplit la cotte de mailles (cf. Qorân 34/10), et lorsque celle-ci a été parfaitement assouplie, le choc de l’Épée ne fait plus souffrir.

–   Moi : O Sage, cette Source de la Vie, où est-elle ?

–   Le Sage : Dans les Ténèbres. Si tu veux partir à la Quête

de cette Source, chausse les mêmes sandales que Khezr (Khadir) le prophète, et progresse sur la route de l’abandon confiant, jusqu’à ce que tu arrives à la région des Ténèbres.

– Moi : De quel côté est le chemin ?

– Le Sage : De quelque côté que tu ailles, si tu es un vrai pèlerin, tu accompliras le voyage.

– Moi : Qu’est-ce que signale la région des Ténèbres ?

– Le Sage : L’obscurité dont on prend conscience. Car toi — même, tu es dans les Ténèbres. Mais tu n’en as pas conscience. Lorsque celui qui prend ce chemin se voit soi-même comme étant dans les Ténèbres, c’est qu’il a compris qu’il était auparavant d’ores et déjà dans la Nuit, et que jamais la clarté du Jour n’a encore atteint son regard. Le premier pas des vrais pèlerins, le voilà. C’est à partir de là seulement qu’il devient possible de s’élever. Si donc quelqu’un parvient à cette station, à partir de là, oui, il peut se faire qu’il progresse. Le chercheur de la Source de la Vie dans les ténèbres passe par toutes sortes de stupeurs et de détresses. Mais s’il est digne de trouver cette Source, finalement après les Ténèbres il contemplera la Lumière. Alors il ne faut pas qu’il prenne la fuite devant cette Lumière, car cette Lumière est une splendeur qui du haut du Ciel descend sur la Source de la Vie. S’il a accompli le voyage et s’il se baigne dans cette Source, il est désormais invulnérable au coup de l’Épée. Ces vers (de Sanâ'î) :

Laisse-toi meurtrir par l’Épée de l’amour

Pour trouver la vie de l’éternité,

Car de l’Épée de l’ange de la mort,

Nul ne fait signe que l’on ressuscite.

Celui qui se baigne en cette Source, jamais plus ne sera souillé. Celui qui a trouvé le sens de la Vraie Réalité, celui-là est arrivé à cette Source. […]

Le bruissement des ailes de Gabriel

[…] Nous aussi (les dix Sages) nous formons éternellement la hiérarchie que voici162. Le fait que tu ne nous voies pas n’est nullement une preuve de notre non-existence, pas plus que, si tu viens à nous voir, cela n’indique un changement et un transfert de notre part. Le changement c’est en toi, dans ton propre état, qu’il se passe. […]

1209 Rûzbehân (1128-1209)

Rûzbehân vécut à Shiraz, alors capitale d’une dynastie semi-indépendante, même s’il voyagea en Irak, Syrie, Arabie. Il eut plusieurs femmes, deux fils, trois filles. Il fonda un hospice, mais l’ordre fondé par ses descendants s’étiola en un culte de sa tombe devenu célèbre lieu de pèlerinage — jusqu’aux Safavides anti-sûfîs.  Tombée en ruines, la tombe fut restaurée récemment sous la suggestion du rénovateur des études iraniennes sûfîs Henry Corbin. Rûzbehân aurait influé le grand poète de la même ville Hâfiz163 : avec Sohravardi, ils partagent le thème de la religion de l’amour associé à la théophanie de la beauté164.

Nous citons en premier lieu un long passage d’Henry Corbin parce qu’il déborde le cadre du seul Rûzbehân en soulignant l’alternative proposée à l’ascèse trop souvent prédominante en Islam comme dans le christianisme165 :


Majnûn, le «miroir de Dieu» par H. Corbin

«Ce livre, comme nous en informe le premier chapitre, fut entrepris à l’occasion d’un entretien avec une personne, jeune fille ou jeune femme, dont l’auteur tait discrètement le nom. Nous ne savons d’elle que deux choses : son extrême beauté, que Rûzbehân célèbre avec toutes les ressources de son vocabulaire, et son degré de culture spirituelle qui se manifestent par les questions très pertinentes qu’elle adresse à l’auteur et qui motivèrent la composition du livre. Les questions convergent vers celle-ci : quelle signification l’amour humain peut-il avoir pour un soufi? Trait curieux, non dépourvu d’humour, elle commence par tenir à Rûzbehân le langage de la plus stricte orthodoxie, celle qui fut toujours plus que réticente à l’égard des expressions passionnées du soufisme.

«Tout d’abord est-on autorisé et y a-t-il vraiment un sens, à employer le mot amour à l’égard de Dieu (amour de Dieu, amour pour Dieu, etc.)? C’est le point sur lequel ont hésité, par crainte de l’absolue transcendance divine, les pieux ascètes de Mésopotamie qui, à l’origine, furent désignés comme soufis. En revanche, Rûzbehân peut déjà se réclamer de toute une lignée de maîtres célèbres ayant approuvé cet usage du mot, avec la conception qu’il implique et dont on peut entrevoir les conséquences pour l’histoire religieuse. Mais cela admis, la belle interlocutrice ne s’en trouve que mieux fondée à demander : «Ô soufi, dans l’amour divin, qu’est-ce que l’amour humain a à faire?» Rûzbehân évoque alors le témoignage de la 12e sourate du Qorân (l’histoire de Joseph et de Zolaykhâ), et à côté de sentences attribuées aux maîtres du soufisme, l’autorité du hadith célèbre entre tous, celui où le Prophète énonça : «Celui qui aime, reste chaste et meurt sans avoir trahi son secret, celui-là meurt en témoin véridique (shahîd).» En fait, la réponse de Rûzbehân tient toute dans la question qu’il pose à son tour à son interlocutrice : «Telle que tu es au regard de Dieu, c’est-à-dire telle que Dieu se contemple soi-même en toi, qui donc es-tu? Toi?» Formuler cette question, c’est présupposer l’initiation spirituelle qui investit la beauté humaine d’un sens sacral, comme étant la manifestation divine, la théophanie par excellence. C’est pourquoi finalement, son interlocutrice demandera à Rûzbehân de composer un livre qui soit pour tous les adeptes de la religion d’amour un guide, un imâm, les menant sur cette Voie où l’amour humain, au lieu de se poser comme l’antagoniste de l’amour divin, en est au contraire l’initiation et, quand il atteint à la limite de sa perfection, en marque l’éclosion. (34-35).

«La distance entre les deux mesure toute la distance qui sépare l’homo religiosus et l’homo mysticus. Celui-ci se situe sur un plan de conscience antérieur (ou postérieur) à l’opposition sujet-objet, c’est-à-dire un état où ne sont possibles ni objectivation ni socialisation de l’objet religieux, parce que c’est un état où l’Être divin est éprouvé comme le Sujet absolu agissant chaque cas, chaque existence. Puisque celui-ci est à soi-même l’objet de sa connaissance, et puisqu’Il se révèle à soi-même dans son Image, la Forme humaine primordiale, l’Anthrôpos ou Adam célestes, afin de se connaître en elle en étant connu par elle, il faut bien que la connaissance que cette Image a de lui, ne soit précisément rien d’autre que la connaissance qu’il a d’elle. (36).

«Bien entendu, cette spiritualité de Rûzbehân, caractéristique aussi bien de tout le soufisme iranien, forme antithèse avec l’idée courante de l’ascétisme pour qui la beauté sensible s’offre à la façon d’un piège diabolique, tandis que l’éros humain et l’amour divin se présentent comme deux termes exclusifs entre lesquels l’ascète doit préalablement choisir. Mais ne nous y trompons pas : pas plus qu’il ne suffit de sortir de l’individuel pour atteindre au divin, pas davantage l’individuation radicale que postule cette religion mystique de la beauté n’exclut une éthique rigoureuse, d’autant plus rigoureuse même qu’elle exige une éthique tout individuelle, parfois héroïque et secrète, celle qui est typifiée dans la personne du javânmard, le “chevalier de l’âme”. Rûzbehân le déclare : il faut avoir franchi le pont qui surplombe l’enfer de la nature sensuelle, pour pouvoir dire comme il le dit à celle qui fut la dédicataire du Jasmin : “Impossible de franchir le fleuve torrentueux (le jayhûn) du tawhîd, sans le pont de ton amour.” Ou, pour employer une autre des images affectionnées par Rûzbehân : “Parce qu’il s’agit d’un seul et même amour, c’est dans le livre de l’amour humain qu’il faut apprendre à lire la règle de l’amour divin.” Oui, il s’agit bien d’un seul et même texte, mais il faut apprendre à le lire, et c’est cela l’exercice difficile. (37).»

Le dévoilement des secrets166.

« 13 — Ce dont je me souviens des jours de mon adolescence c’est qu’une fois, alors que je me trouvais dans les solitudes désertes du monde caché au-delà des sept cieux, un océan immense se dévoila à moi, et je vis au centre de cet océan une île énorme. Au centre de cette île, je vis un château immensément grand qui s’élevait si haut que cela semblait sans fin. Du pied du château et aussi haut que mon regard pouvait monter se trouvaient des meurtrières en nombre infini. Alors Dieu le Très-Haut Se révéla à moi de toutes ces meurtrières à la fois. Je demandai : « Mon Dieu ! qu’est-ce donc que cet océan ? » Il répondit : « L’océan de la sainteté. »… (142)

« 15 — Une autre fois, je me vis comme sur la montagne de l’orient. Je vis alors un groupe d’anges. Or il y avait, qui s’étendait du levant au couchant, un océan tel que je ne pouvais rien voir d’autre. Ils me dirent : « Entre dans cet océan et nage jusqu’à l’occident ! » J’entrai donc dans l’océan et je nageai. Lorsque j’eus atteint l’endroit où descend le soleil, le soir, les montagnes de l’orient et de l’occident m’apparurent telle une multitude de petites montagnes. Alors je vis un groupe d’anges sur la montagne de l’occident. Ils brillaient de la lumière du soleil. Ils s’écrièrent en disant : « Eh toi ! nage ! ne crains rien ! »… (143).

« 34 — Et je vis [Dieu] plusieurs fois sous la qualification de la majesté et de la beauté. Les anges se trouvaient avec Lui. Je dis alors “Ô mon Dieu, de quelle façon m’étreindras-Tu ?” Il me répondit : “Je viendrai à toi des tréfonds de l’éternité sans commencement. Je m’emparerai de ton esprit par Ma main, et Je l’emporterai jusqu’à l’étape spirituelle du refuge. Là Je te verserai à boire du vin de l’imminence, et Je te révélerai Ma beauté et Ma majesté, à jamais, de la façon même que tu le désires, sans voile”. » Alors je vis Gabriel, Michel, Séraphiel et Azraël — sur eux se salut — portant un vêtement de lumière d’une telle beauté que je ne saurais le décrire. Puis je vis Munkir et Nakîr, semblables à deux adolescents avenants et beaux. Ils jouaient tous deux du rabâb au chevet de ma tombe et me disaient : « Nous sommes amoureux de toi, c’est pourquoi nous pénétrons dans ta tombe sous cette forme. » Alors toute crainte s’évanouit. (153).

« 43 — J’ai vu notre Prophète, l’ensemble des prophètes, des envoyés et de tous les saints, montés sur des chamelles, et quant à moi je chevauchais à la droite du Prophète. Je les vis vêtus d’habits d’or et de perles tels qu’ils semblaient avoir une apparence unique, avançant rapidement dans un espace qui ressemblait à la partie la plus pure de l’or rouge au milieu du feu. Et je vis Gabriel en tête de la troupe dans cet espace comme une colombe qui vole dans l’air. C’était comme s’ils se parlaient les uns aux autres pendant qu’ils se hâtaient comme le soldat au moment où il se range en ordre de bataille. Je me rappelai alors de mes compagnons et je les cherchais. Je les vis répartis en fonction de leurs états spirituels, proches les uns des autres. Je me retournai et voici que l’un d’entre eux chevauchait derrière moi. Il portait un vêtement qui semblait être une lumière bleue comme je n’en avais jamais vu. Il pressa sa monture pour me rejoindre en tenant de la meilleure façon les rênes dans sa main, et il me parla. Nous atteignîmes la présence de la munificence que Dieu avait disposée. Puis Dieu nous dévoila Sa rencontre, et Il nous salua, après quoi je ne pus plus voir l’une quelconque de Ses créatures. Je demeurai tout seul stupéfait aussi longtemps que le désirât Dieu le Très-Haut. Alors Dieu le Très-Haut me dévoila le voile de sa superbe, si bien que je vis derrière le voile une majesté, une magnificence, une munificence, un monde de majesté, des océans et des lumières qui ne sauraient être montrés aux êtres. Je me trouvais à la porte de Sa magnificence tel un mendiant étourdi. Il me parla depuis les dais de la magnificence en ces termes : « Ô mendiant ! comment es-tu parvenu jusqu’en ce lieu ? » Je me sentis détendu envers Lui et je dis : « Mon Dieu, mon prince, mon seigneur ! C’est par Ta faveur, Ta libéralité et Ta générosité. » (165-166).


« 92. ... Je vis les phénomènes depuis le trône jusqu’à la terre, qui semblaient être foulés sous Sa face comme le plus petit grain de moutarde. Dieu me tint un discours disant : « Toute chose périt excepté Sa face. » Cela me précipita dans les océans d’extases. Je fus comme un papillon dans les rayons du soleil, immense. Le Très-Haut obtint de Son serviteur le prix de l’objet de son aspiration. Je connus que la sainteté est un pur don. Je priai Dieu le Très — Haut de m’accorder une science. Mais je fus effrayé par la demande. Soudain Dieu — gloire à Lui — me fit asseoir sous l’aspect de la majesté et de la beauté. Il m’enivra du vin de Son union. Il me stupéfia par les parfums que répand Son intimité. Il éveilla mon désir par les coupes de vin de Son égaiement. J’éprouvai une délicieuse extase jusqu’à ce qu’un moment fût passé. Je Lui réclamai alors la manifestation claire de Ses attributs et de la perfection de la sainteté de Son essence. Soudain je le vis dans la demeure de la majesté sur le tapis de la proximité. Mon désir pour Lui augmenta. Je désirai de Lui qu’Il me fasse fondre dans Sa grâce et dans Son union. Une heure passa. Puis je désirai de Lui une contemplation encore plus grande. Je Le vis, le Très — Haut, dans les étendues désertes du monde caché. Je me vis moi-même me rouler par terre devant Lui dans ces étendues désertes. Je me roulai par terre devant Lui du début à la fin du désert plus de mille fois, tandis que Lui, le Très-Haut, me regardait de l’œil de la magnificence et de Sa majesté. Puis Il dit : « C’est ainsi que fit Moïse. Il se roula dans la terre dépouillé de ses vêtements, cinq fois par jour, humilié devant Dieu le Très — Haut, abaissé devant Sa puissance. »... (247-248).

« 106. Je suis tombé dans des stations de contemplation de la majesté que je voudrais décrire aux mondes afin qu’ils en tombent amoureux et qu’ils acquièrent une certitude au sujet des gloires de Sa superbe. Et cela vient de mon amour pour Lui, de ma compatissance envers Ses créatures et de mon soupir pour eux. Comment se sont-ils détachés de Lui pour rien tandis que je me suis prosterné devant Dieu en éliminant de mes voyages nocturnes l’affluence des pensées des suggestions diaboliques et les venues renouvelées des pensées condamnables ?


« 114 Il arriva que je m’arrêtai au milieu d’une assemblée de gens de la demande. Il n’y avait aucun avantage à espérer de leurs demandes. Mon cœur fut oppressé par ce que je vis de leurs demandes, car leurs demandes n’étaient que prétentions humaines envers Lui. … J’éprouvais un violent souci jusqu’à ce que ma poitrine fût sur le point de déborder en bouillonnant. ...

J’étais dans les affres du sommeil et Dieu — gloire à Lui — me tint un discours citant Sa parole : «Ils veulent éteindre la lumière de Dieu avec leurs bouches, mais Dieu est celui qui parfait Sa lumière bien qu’il répugne aux impies.» Ce discours se produisit lorsque ma nature corporelle fut enlevée à la torpeur du sommeil. Je m’assis. Je fis les ablutions. Je priai deux prosternations. Ma poitrine fut extrêmement oppressée jusqu’à ce que je m’impose l’invocation des noms de Dieu le Très-Haut, afin de sortir de l’angoisse qu’éprouvait ma poitrine à cause de Lui... entre moi et Lui était un éloignement et pas de distance. Il me dit : «Pourquoi t’inquiéter alors que Je t’appartiens sous l’aspect de la superbe?...

L’ennuagement du cœur167

« 3 Lorsque Dieu voulut faire exister cet organe subtil, Il Se révéla au néant, du sein de la prééternité, au moyen de Sa majesté. Il conféra l’existence à chacun de ses atomes. Ils existèrent à partir de la conjonction de l’épiphanie de Son essence et de Ses attributs, en tant que saveur propre à l’état de leur formation, jusqu’à ce qu’ils fussent formés par le ravissement de l’amour créaturel. Chacun de ses atomes fut aussi porté à l’existence sous la forme d’un œil issu de Sa lumière. Alors, de tous ses atomes, il vit Dieu de ses propres yeux si bien qu’il grandit dans Sa contemplation. Et Dieu fut jaloux de Lui-même car nul autre que Lui, le Très-Haut, ne L’avait jamais contemplé auparavant. Il détourna alors l’ œil de l’organe subtil de Sa contemplation pour le diriger vers lui-même. Il se regarda lui-même, et disparut de la contemplation du Premier [Dieu]. Ainsi, la vision de lui-même est, pour lui, le deuxième voile. (148).


1220 Najmoddîn Kubrâ (1145-1220)

Né à Khwarezm168, Kubrâ voyagea entre ses vingt-cinq et trente-cinq ans en Égypte, à la Mecque, à Nichapour, Isfahan...

Il embrassa la voie mystique auprès de Ismaïl Quasrî et Rûzbehân Misri puis forma « une pléiade de disciples dans son pays natal dont le plus important fut Majdoddîn Bagdadî169.

Il s’agit d’effacer l’ego en suivant la formule de Junayd [entrée : 911 Junayd (830-911)] : « que Dieu te fasse mourir à toi-même et qu’Il te fasse revivre par Lui ! » Et pour cela la « condition est d’attacher son cœur au shaikh comme à un compagnon de route170», règle qui « sert de norme à la pédagogie spirituelle chez les maîtres Naqsbandis et Kubrawis… Grâce à ce lien du cœur, le Maître et le disciple sont susceptibles de partager des états mystiques analogues.

Kubrâ… se vit associé à son propre sheikh, lui apparaissant comme un soleil radieux dans le ciel. … De nombreux soufis ont été guidés, fortifiés et instruits par “l’esprit de leur shaykh”, ou par l’esprit d’un prophète ou d’un saint qu’ils prenaient pour support de réalisation, en raison d’une affinité particulière. Il s’agit d’un aspect ésotérique de la walâya [charisme de la sainteté] : le transfert de la gnose et des états mystiques d’un réceptacle dans un autre réceptacle humain.171».

Voici deux recommandations en vue d’établir une solide vie spirituelle :



« Le neuvième fondement est la « vigilance ». C’est s’affranchir de sa propre force et de son propre secours, comme lorsqu’on meurt, pour veiller dans l’attente des dons de Dieu et guetter le frémissement de la brise de ses grâces... […]


« Le dixième fondement est la «satisfaction». C’est s’affranchir de l’assentiment vis-à-vis de soi-même en recevant l’assentiment de Dieu, en se soumettant à ses décrets éternels… Un mystique a dit : «Mon amour pour Lui est irrévocable, qu’Il l’agrée ou qu’Il le dédaigne. Que sa fontaine se trouble sous l’effet de sa colère ou qu’elle demeure limpide, je remets à l’Aimé ma destinée tout entière. Il me revivifiera s’Il le veut. Il m’effacera s’il le veut. » … [Car] «Celui qui était mort, nous l’avons revivifié, et nous lui avons remis une lumière avec laquelle il marche parmi les hommes…» (citation du Coran 6, 122)172.»



On remarque, outre la poésie de sa rédaction, la finesse psychologique du soufi cultivé, par là tenté d’échapper à l’attention au divin par la parole ou par l’écriture, quittant ainsi la voie mystique « au bénéfice » de quelque étude ou travail intellectuel ! Le problème n’est pas nouveau si l’on en juge par l’apologue qui suit :


« Je me consacrais à Dieu assidûment quand le Démon vint me déranger : “Tu es un homme instruit qui marche dans les traces de l’Envoyé de Dieu. Si tu t’occupais maintenant de rechercher les traces des shaykhs qui ont conservé la mémoire du Prophète et de ses propos, cela vaudrait mieux pour toi. Car si tu persistes uniquement dans la lutte spirituelle, tu passeras à côté des plus grands shaykhs et de leur haute lignée.” Je m’empressai de repousser aussitôt une telle insinuation… Alors le Malin eut recours à une autre insinuation et me dit : “Ne connais-tu rien de plus séduisant que mes artifices et mes insinuations ? Pourquoi ne pas les réunir  en un ouvrage que tu intitulerais Le livre des artifices du Rebelle dirigés contre l’aspirant ? Quelle aubaine pour toi en ce monde et dans l’autre ! Tous les chercheurs se saisiraient de ce livre qui leur permettrait d’éviter les ruses et les artifices de Satan.” Je réfléchis là-dessus, songeant à composer le livre. Mais mon shaykh me mit en garde en me disant : “C’est encore une des ruses du Satan… pour interrompre ton dhikr [ta prière], et pour altérer l’intimité avec le Très-Haut et le recueillement du cœur.” Je me le tins pour dit et j’en demeurai là173.»


1226 François d’Assise (1182-1226)

François d’Assise imite son maître Jésus. Les belles approches modernes abondent, dont se détachent celles de P. Sabatier et de J. Green. Mais il vaut mieux recourir aux sources, écrits de François174, incluant les «manuscrit de Pérouse ou compilation d’Assise» redécouvert tardivement, «Actes du bienheureux François» à la source de Fioretti tardifs et moins complets.

On  peut diviser les quarante-quatre années de sa vie en trois parties. Jeunesse «généreuse», de la naissance en 1182 jusqu’en 1205, l’année où survient une « touche initiale de la grâce », peu après son épreuve de l’emprisonnement à Pérouse. Suivent cinq années charnières où une transformation intérieure aboutit à sa mise en pratique visible : il devient le «nouvel évangéliste» incarnant «la pauvreté elle-même au-dedans et au-dehors».

En 1209 deux compagnons se joignent à lui.  Puis pendant les dix-sept années qui lui restent à vivre il tente de guider un nombre croissant de disciples, en donnant l’exemple de la véritable pauvreté. Se détache la désappropriation acceptée de toute fonction au sein de l’ordre naissant pour laisser génialement place à l’exemplarité personnelle. Sa santé est détruite et la cécité lui inspire Il cantico di Frate Sole, premier des laudi, genre littéraire qui se développera sur deux siècles (évoquée par la figure de Jacopone da Todi). Il meurt en 1226 après des soins médicaux impuissants et douloureux. 

Précisons les faits couvrant la charnière 1203-1209 où sur quelques années se produit l’irruption mystique précédée de rêves qui signalent le travail profond en cours. Cdette période débute par la guerre entre Assise et Pérouse où François s’enrôle parmi les chevaliers puis est fait prisonnier.

« Libéré à prix d’argent en 1203 par son père, François, après une longue convalescence, décida de se rendre dans les Pouilles, où la lutte entre Innocent III et l’Empire se poursuivait. La veille du départ, au début de 1205, il donna sa tenue de luxe à un soldat pauvre. La nuit suivante, le Seigneur, l’appelant par son nom, l’introduisit dans un palais de rêve où se trouvait une belle dame et des armes marquées du signe de la croix. Il lui fut révélé que ce castel lui était réservé s’il voulait assumer avec constance l’étendard de la croix ; il quitta Assise, assuré de devenir illustre. À Spolète, il eut une seconde vision : “Retourne au pays de ta naissance ; ta vision se réalisera par moi tout spirituellement”. Le saint rentra, dans l’attente du vouloir de Dieu. Il dut assister à une dernière soirée ; soudain, il expérimenta la présence de l’Esprit au point de ne pouvoir ni parler ni marcher : “A quoi penses-tu, à prendre femme ? - Oui, la plus noble, la plus riche, la plus belle qui se soit jamais vue.” Après ces touches initiales de la grâce, François se dégage lentement du siècle. Il se rend souvent dans une grotte près de la ville et y prolonge ses oraisons. Un jour il rencontre un lépreux et l’embrasse. Le lépreux mystérieux, Christ décrit par Isaïe175, disparaît aussitôt. Ce geste où il vainc ses répugnances détermine sa vocation. Dans son émotion, il chante des laudes : ce fut son premier cantique. Ses propos d’ascension spirituelle furent bientôt exaucés : le Christ crucifié lui apparut pour la première fois dans cette grotte. […] Il entend parfaitement la loi évangélique du renoncement total et s’adonne à l’exercice des vertus fondamentales de l’esprit séraphique : pauvreté, humilité, amour débordant de piété ; il se met au service des lépreux à l’hôpital Saint-Lazare. […] Cité canoniquement par l’évêque, François rendit à son père tout ce qu’il avait, jusqu’à son vêtement. Sur-le-champ, Guy II le couvrit de sa chape. François pouvait désormais suivre le Christ nu sur la croix. C’était le 16 avril 1207. Dans sa loque signée d’une croix, il se proclame “le héraut du grand Roi”. Après s’être rendu chez les moines de Valfabricca puis à Gubbio, il revint à San Damiano en maçon mendiant. C’est alors que commence son “dialogue” avec sainte Claire. […] La reconstruc­tion de San Damiano achevée, François y demeurait d’ordinaire. Le 24 février 1209 probablement — on célébrait la messe des Apôtres —, il entendit lire les paroles du Christ aux disciples176. Il eut l’intelligence du texte par l’onction de l’Esprit : le véritable disciple “ne devait posséder ni or, ni argent” ; il devait “prêcher le royaume de Dieu, la pénitence” et la paix […] il dépose son manteau d’ermite, ses chaussures et son bâton, sa bourse et sa ceinture, revêt une loque ceinte d’une cordelette et marquée d’une croix, afin de s’adapter “à la règle apostolique” de la perfection évangélique. Dans l’exultation de cette révélation, dénouement de sa vocation, “l’apôtre des temps nouveaux” annonce partout l’Évangile. […] Bernard de Quintavalle et Pierre de Cattani le suivent. […] Ouvrant l’Évangile par trois fois177 François découvre une seconde fois l’Évangile de la pauvreté. C’était le 15 avril 1209178.»

Commence ensuite la « vie publique » par l’arrivée de trop nombreux frères pour laisser la spontanéité fidèle à la grâce guider la communauté. Le combat de François pour conserver au moins l’esprit de pauvreté dans l’ordre naissant conduira à l’usure prématurée de sa santé. Une maladie de la vue contractée lors de son voyage en Orient précipita le délabrement physique.

On peut demeurer sceptique devant certains récits hagiographiques rassemblés dans des témoignages contemporains (comme le montre la déconstruction d’une biographie traditionnelle telle que celle d’Angèle Mérici179). Des mises en place soigneuses du cadre de vie précisent des points de la vie de François, dont les circonstances de sa sortie d’Italie à la rencontre de l’Islam, les contradictions et les épreuves en fin de vie180. Enfin le manuscrit de Pérouse ou compilation d’Assise issu des souvenirs du frère Léon rend un accent unique d’authenticité.


Vertu de « pauvreté » et écrits.

La « vertu de pauvreté » est l’appel particulier précisément attesté dans des biographies de franciscains de cœur comme de bure.  La visite d’Assise est marquée d’une croix blanche par de nombreux pèlerins à toutes époques, dont va témoigner « excessivement » Angèle de Foligno dans la basilique d’Assise ; elle donnera par la suite tous ses biens. Simone Weil, qui pratiquera une excessive ascèse de pauvreté, apporte un témoignage qui prend place parmi bien d’autres :


« Je me suis éprise de saint François dès que j’ai eu connaissance de lui. J’ai toujours cru et espéré que le sort me pousserait un jour par contrainte dans cet état de vagabondage et de mendicité où il est entré librement... En 1937 j’ai passé à Assise deux jours merveilleux. Là, étant seule dans la petite chapelle romane du XIIe siècle de Santa Maria degli Angeli, incomparable merveille de pureté, où saint François a prié bien souvent, quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux181.»



La prière de François était une « disposition qui le maintenait dans la présence de Dieu et dans le sentiment de sa dépendance, avant d’être une série d’actes et d’élévations182», associée à une imitation très concrète de son maître aimé Jésus, dans l’esprit et aussi selon la lettre évangélique :

nous n’avons plus rien d’autre à faire que nous appliquer à suivre la volonté du Seigneur et à lui plaire183.

Seigneur, je t’en prie que la force brûlante et douce de ton amour prenne possession de mon âme et l’arrache à tout ce qui est sous le ciel  afin que je meure par amour de ton amour, comme tu as daigné mourir par amour de mon amour184.



Les « écrits de saint François » sont brefs : vingt-huit Admonitions aux frères encore peu nombreux, première et seconde rédaction des Règles, deux passages de la règle des sœurs de sainte Claire, le Testament, treize Lettres, quelques Prières incluant le célèbre Cantique. Le tout tient en moins de cent pages185; si l’on tient compte de nombreuses influences exercées sur ces écrits de circonstances, nous pouvons avancer qu’il ne nous reste presque rien « de François » sinon un style particulier : « sa phrase est une petite franciscaine qui, pauvrement vêtue, va son chemin en priant186.»

Des Lettres se détache celle à un frère ministre :

À propos de ton âme, je te dis, comme je le puis, que ce qui t’empêches d’aimer le Seigneur Dieu, et quiconque serait pour toi un empêchement… tu dois tout tenir pour une grâce. … je sais fermement que telle est l’obéissance véritable. … Et aime-les en cela et ne veuille pas qu’ils soient meilleurs chrétiens ; Et que ce soit pour toi plus que l’ermitage. … qu’il n’y ait au monde aucun frère qui ait péché autant qu’il aura pu pécher et qui, après avoir vu tes yeux, ne s’en aille jamais sans ta miséricorde…187.

Le Cantique est le seul texte de François d’Assise dont nous possédions le texte en langue d’époque, transmis par le Speculum Perfectionis, authentifié  par les Vitae de Thomas de Celano. Très beau poème — François était formé à la poésie lyrique du stil nuovo et connaissait la langue française de par sa mère d’origine probablement picarde — il exprime la reconnaissance, envers le monde naturel donné à tous, du mystique qui devient aveugle. Sans avoir appris l’italien, il suffit de le « lire » des lèvres pour retrouver les mots correspondants de notre langue :



Il cantico delle creature / Cantique de frère soleil ou des créatures.

Altissimo, onnipotente, bon Signore,

tue sole laude, la gloria e l’onore e onne benedizione.

A te solo, Altissimo, se confano

e nullo omo è digno te mentovare.

Très haut, tout puissant bon Seigneur,/à toi sont les louanges,/la gloire et l’honneur,/et toute bénédiction. À toi seul, Très-Haut, ils conviennent,/et nul homme n’est digne de te nommer.188.

Laudato sie, mi Signore, cun tutte le tue creature,

spezialmente messer lo frate Sole,

lo quale è iorno, e allumini noi per lui.

Ed ello è bello e radiante con grande splendore :

de te, Altissimo, porta significazione.189.


Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,/spécialement messire le frère Soleil,/lequel est jour, et tu nous illumines par lui. /Et lui, il est beau, et rayonnant avec grande splendeur : /de toi, Très-Haut, il porte signification.


Laudato si, mi Signore, per sora Luna e le Stelle :

in cielo l'hai formate clarite e preziose e belle.

Laudato si, mi Signore, per frate Vento,

e per Aere e Nubilo e Sereno e onne tempo,

per lo quale a le tue creature dai sustentamento.

Laudato si, mi Signore, per sor Aqua,

la quale è molto utile e umile e preziosa e casta.

Laudato si, mi Signore, per frate Foco,

per lo quale enn'allumini la nocte :

ed ello è bello e iocondo e robustoso e forte.


Loué sois-tu, mon Seigneur, par190 sœur Lune et les étoiles : /dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles. //loué sois-tu, mon Seigneur, par frère Vent, et par l’air et le nuage, et le ciel serein et tout temps,/par lesquels à tes créatures tu donnes sustentation. //loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur Eau, laquelle est très utile et humble et précieuse et chaste. //loué sois-tu, mon Seigneur, par frère Feu par lequel tu nous illumine la nuit ; /et lui, il est beau et joyeux et robuste et fort.



Laudato si, mi Signore, per sora nostra matre Terra,

la quale ne sostenta e governa,

e produce diversi fructi con coloriti fiori ed erba.

Laudato si, mi Signore, per quelli che perdonano

per lo tuo amore

e sostengo infirmitate e tribulazione.

Beati quelli che'l sosterrano in pace,

ca da te, Altissimo, sirano incoronati.


Loué sois-tu, mon Seigneur, par notre sœur mère Terre191,/laquelle nous sustante et gouverne192/et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe. //loué sois-tu, mon Seigneur, par ceux qui pardonnent par ton amour/et soutiennent maladies et tribulations. /Bienheureux ceux qui les supporteront en paix,/, car par toi, Très haut, ils seront couronnés.



Laudato si, mi Signore, per sora nostra Morte corporale,

da la quale nullo omo vivente po' scampare.

Guai a quelli che morranno ne le peccala mortali !

Beati quelli che troverà ne le tue sanctissime voluntati,

ca la morte seconda no li farrà male.

Laudate e benedicite mi Signore,

e rengraziate e serviteli cun grande umiltate.


Loué sois-tu, mon Seigneur, par notre sœur Mort corporelle,/à laquelle nul homme vivant ne peut échapper. /Malheur à ceux qui mourront dans les péchés mortels ! /Bienheureux ceux qu’elle trouvera en tes très saintes volontés,/, car la mort seconde193 ne leur fera pas mal. //Louez et bénissez mon Seigneur et rendez grâce/et servez-le avec grande humilité.



François à frère Léon sur la route de Pérouse

Au Cantique nous associons en contrepoint le discours que François tint à frère Léon sur la route de Pérouse, portant sur la « vraie joie », suivant la version rugueuse propre à un manuscrit de la bibliothèque nationale de Florence194 :

… — Mais quelle est la vraie joie ? / …  Je reviens de Pérouse et, par une nuit profonde, je viens ici et c’est le temps de l’hiver, boueux et à ce point froid que des pendeloques d’eau froide congelée se forment aux extrémités de ma tunique et me frappent sans cesse les jambes, et du sang coule de ces blessures. Et tout en boue et froid et glace, je viens à la porte, et après que j’ai longuement frappé et appelé, un frère vient et demande : « Qui est-ce ? » Moi je réponds : « Frère François. » Et lui dit : « Va-t’en ! Ce n’est pas une heure décente pour circuler ; tu n’entreras pas. » Et à moi qui insiste, à nouveau il répondrait : « Va-t’en ! Tu n’es qu’un simple et un illettré. En tout cas tu ne viens pas chez nous ; nous sommes tant et tels que nous n’avons pas besoin de toi. » Et moi je me tiens à nouveau debout devant la porte et je dis : « Par l’amour de Dieu, recueillez-moi cette nuit ! Et lui répondrait : « Je ne le ferai pas. Va au lieu des Croisiers [hôpital pour les lépreux situé non loin de Rivo Torto] et demandes là-bas. » Je te dis que si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie et la vraie vertu et le salut de l’âme.

 On est ici mis en face d’un récit sévère, peut-être inspiré par un rêve angoissé (l’hypothèse est suggérée par le double refus du récit), reflétant « une situation de détresse physique et de lutte intérieure […] expérience fondamentale dans la vie de François195». Ce qui évoque de vives contradictions vécues, sur lesquelles les témoignages sont discrets.

On rapprochera ce récit au « Portrait du vrai frère mineur » donné ici en note.196 Ce message est en profondeur très semblable.

On pourrait évoquer un nombre de beaux appels à vivre intimement une parfaite pauvreté :

Récit symbolique « des trois pièces d’or » 

« Seigneur, je suis tout à toi et je n’ai rien que les caleçons, la corde et la tunique ; et ils sont semblablement à toi. Que pourrais-je offrir ? »… Alors Dieu m’a dit : « Mets ta main dans ta poche et offre-moi ce que tu trouveras. » L’ayant fait, j’ai trouvé une pièce d’or si grande, si brillante et belle que jamais on n’en a vu de pareille…

Prière et don se répètent trois fois ; François explique ensuite à frère Léon qui l’avait surpris priant ainsi la nuit dans la forêt :

 … de même que… je sortais et rendais ces pièces à Dieu lui-même qui les y avait déposées, de même Dieu m’a donné dans l’âme le pouvoir de toujours le louer et le magnifier de bouche et de cœur pour tous les biens qu’il m’a concédés…197.

Mais avant tout la grande attention à tous ses proches est illustrée par de nombreux récits :


Délivrance du frère Richer :

Tombé au fond de la désolation et du désespoir, il songea en son cœur, disant : «Je me lèverai et irai auprès de mon père François et, s’il se montre familier avec moi, je crois que Dieu me sera propice; sinon ce sera le signe que je suis abandonné de Dieu.’ … Or saint François, très gravement malade, était alité au palais de l’évêque d’Assise… il dit : «Allez rapidement à la rencontre de mon fils, frère Richer, et, en l’embrassant et le saluant de ma part, dites-lui qu’entre tous les frères qui sont dans le monde, je l’aime particulièrement.198».


1230 Attâr (1142-1230)

Né en 1140 (1142) d’un père aisé qui aurait possédé plusieurs boutiques, il vécut à Nichapour. Il aurait fait de nombreux voyages, rencontré Rumi et serait devenu disciple de Bagdadi, de Kobra, d’Abu Sa'id.

L’« attar » tenait boutique et y recevait les malades, préparait ses ordonnances et vendait des parfums et des épices. Il passa probablement toute sa vie dans sa droguerie : « dans ma boutique se présentaient chaque jour près de cinq cents personnes, dont chacune me priait de lui tâter le pouls… » Riche culture et amis dont le mystique Kobra.199. Attâr meurt en 1230 (1220) tué par les Mongols ?  De nombreuses œuvres ont été traduites :



Le mémorial des saints

On raconte200 que quelqu’un vint trouver Djafar Sadiq et lui dit : « Fais-moi voir le Seigneur très haut » ; et lui dit de répondre aussitôt:  « O homme ! Lorsque Mouça le prophète a demandé à voir la face du Seigneur, une voix venue de lui a dit : tu ne pourras jamais me voir ; — Mais reprit l’autre, nous sommes le peuple de Mohammed, nous autres, et il nous est permis de voir. — Liez cet homme et jetez-le dans le fleuve », commanda Djafar Sadiq. Aussitôt on l’attacha et on le jeta à l’eau. Il y plongea une fois et reparut à la surface en criant : « O fils de Mohammed ! Viens à mon secours » ; et il s’enfonça une seconde fois sous l’eau. Quand il remonta, d’après l’ordre de Djafar Sadiq, on le laissa crier sans que personne lui tendît la main. Alors, n’espérant plus rien des assistants, il dit : « Mon Dieu, fais-moi miséricorde et viens à mon secours. » Cette fois Djafar Sadiq commanda qu’on le retirât de l’eau. Au bout de quelques instants, quand il fut revenu à lui, Djafar Sadiq lui demanda : « eh bien, as-tu vu le Seigneur très haut ? — J’avais beau vous appeler, répondit-il, je ne voyais venir aucun secours. Lorsque, n’attendant plus rien de vous, j’ai mis mon espoir dans le Seigneur très haut, une porte s’est ouverte dans mon cœur, et quand j’ai regardé par cette porte, j’ai trouvé tout ce que je désirais. — Maintenant donc, dit Djafar Sadiq, laisse là tout le reste et n’abandonne jamais cette porte. (25-26)


Le Cantique des Oiseaux

L’œuvre a inspirée pendant des siècles les sufis et la peinture persanne201. Quelques extraits de ma lecture du premier traducteur suivent deux exemples emprunté au dernier. Ce pèlerinage des oiseaux, image de «l’envol de l’âme vers des contrées inconnues» s’est faire connaître en occident, repris jusqu’au théâtre après avoir été illustré en miniatures.

(280)

Ce que Dieu dit à «David

Dieu Très-Haut s’adressa à David en ces termes :

«Dis à mes serviteurs qui ont été créés

D’une poignée de terre : “Vous ne pourrez sans doute

Pas être serviteurs sans l’Enfer et l’Éden

Aucun de vous jamais n’aurait souci de Moi

S’il n’y avait le feu ni la Iumière céleste

Je suis digne pourtant, et infiniment digne

D’être adoré pour Moi, non par crainte ou espoir

Pourtant sans cette peur et sans cette espérance

Aucun de vous jamais penserait-il à Moi?

Or il faudrait toujours que de toute votre âme

V ous adoriez en Moi votre divin Seigneur”

Dis-leur de renoncer à tout autre que Moi

Pour pouvoir M’adorer à la hauteur de Moi

Dis-leur de rejeter tout ce qui n’est pas Moi

Et puis de tout briser, et puis de tout brûler

Et puis de rassembler un jour toutes les cendres

De les jeter au vent, que le vent les disperse

Et que le Dieu jaloux les fasse disparaître!

Lors du cœur de ces cendres, ils pourront voir jaillir

Tout ce qui fut jamais l’objet de leur désir

Mais tout ce qui te fait rêver du Paradis

T’éloigne de toi-même, sache-le, et te nuit.»

(354)

Les papillons

Une nuit, tourmentés, pleins d’un désir ardent

Pour la chandelle, les papillons se réunirent

Ils se disaient entre eux «Il faut que l’un de nous

Nous donne des nouvelles d’elle, notre chandelle! « 

L’un d’entre eux vola donc vers un château lointain

Et vit briller là-bas la flamme de la chandelle

Puis s’en revint conter tout ce qu’il avait vu

Décrivant la chandelle telle qu’il l’avait perçue

Or, il y avait un sage parmi cette assemblée

Qui dit : «Il ne sait rien, hélas, de la chandelle!»

Un autre s’en fut donc, s’approchant de plus près

Traversant la lumière, il frôla de ses ailes Le feu de la chandelle, fut vaincu, s’en revint

Révéla quelque chose des secrets de l’Aimée

Et trouva quelques mots pour évoquer l’union

«Cela ne nous dit rien, lui rétorqua le sage

Et tu n’en sais pas plus que l’autre papillon!»

Un autre papillon tout enivré d’amour

Alla donc en dansant se jeter dans la flamme

Il embrassa le feu, se perdit avec joie

Et le feu l’embrasa, fit rougeoyer ses membres

Faisant de tout son corps un flamboyant brasier

Le sage papillon qui fut témoin de loin

Qui vit que la chandelle avait saisi son être

Dans l’éclatant flambeau de sa propre lumière

Dit : «Ce papillon-là sait de quoi il retourne

Lui seul — et aucun autre — a saisi le secret!»

Seul parmi tous les autres peut accéder au vrai

Qui ne sait rien et qui ne laisse aucune trace

Tant que tu ne t’es pas abîmé corps et d’âme

Comment saisirais-tu ce qu’est l’Âme de l’âme?

Et qui veut te montrer un atome de savoir

Met à feu et à sang les tréfonds de ton âme

4031 Ici, où même un souffle ne saurait être admis

Personne, tant qu’il est lui, ne pourrait trouver place.


Pour chaque atome, il y a une porte différente, et de chaque atome s’ouvre un chemin différent qui conduit à l’être mystérieux dont je parle. … De sa trace, personne n’a trouvé que l’absence de trace ; personne n’a trouvé d’autre parti que de s’abandonner à lui. (6).

Puisque vous savez de qui vous êtes l’ombre, vous devez être indifférents à vivre ou à mourir. Si le Simorg n’eût pas voulu se manifester au-dehors, il n’aurait pas projeté son ombre… Si tu n’as pas un œil propre à voir le Simorg, tu n’auras pas non plus un cœur brillant comme un miroir propre à le réfléchir. … Le miroir, c’est le cœur. Regarde dans le cœur, et tu y verras son image. (59).

L’amour t’ouvrira le chemin de la pauvreté spirituelle, et la pauvreté te montrera le chemin de l’incrédulité. Quand il ne te restera plus ni incrédulité ni religion, ton corps et ton âme disparaîtront ; tu seras digne de ces mystères : il faut, en effet, être tel pour les pénétrer. Avance donc sans crainte ton pied dans cette voie comme les hommes spirituels, et renonce, sans balancer à la foi et à l’infidélité. (63).

Un soufi allait en toute hâte à Bagdad, lorsqu’au milieu de la route il entendit une voix qui disait : « J’ai beaucoup de miel que je vendrai à très bon compte, s’il y a quelqu’un pour l’acheter. » Le soufi lui dit : « Mon brave homme, veux-tu m’en donner un peu pour rien ? » - « Retire-toi, répondit son interlocuteur, tu es fou sans doute, ô avide ! Est-ce qu’on donne jamais rien pour rien ? » Alors une voix intérieure dit au soufi : « Avance, fais un pas au-delà de l’endroit où tu es, et je te donnerai pour rien tout le bonheur possible et tout ce que tu désireras. La miséricorde divine est un soleil brûlant qui pénètre les plus petits atomes. (100).

Durant ta vie tu ne peux te connaître, et à ta mort, il n’y a pas trace de ton existence. (129).

Lorsqu’ils regardaient du côté du Simorg ils voyaient que c’était bien le Simorg qui était en cet endroit, et s’ils portaient leurs regards vers eux-mêmes, ils voyaient qu’eux-mêmes étaient le Simorg. Enfin, s’ils regardaient à la fois des deux côtés, ils s’assuraient qu’eux et le Simorg ne formaient en réalité qu’un seul être. (235).


Le livre de l’épreuve

Les hommes202 dans le tumulte de l’insouciance, tous aux prises avec la cause et l’effet. Cent mille êtres assemblés, tous affairés au pillage du monde. (26)

Un portefaix était assis tranquille ; le fil de son métier était rompu. Un importun lui dit : « Insouciant ! Pourquoi rester tout le jour désœuvré ? Tu perds ainsi temps et argent ; celui qui n’a rien, comment resterait-il oisif ? » Le portefaix, las de son métier, délia la langue et répondit : « Pour chaque dirhem que je perds, ami, une charge de cent mann tombe de mes épaules ! » Jusqu’à quand iras-tu accablé de fardeaux ? Sois léger ! Et s’il te reste un instant, réjouis-toi ! (137).

Un fou par amour s’arrêta, troublé par l’enivrement extatique, devant la boutique d’un épicier : « Qu’attends-tu là ? demanda-t-il. — Que me vienne un profit ! répondit l’homme. — Qu’est-ce qu’un profit ? demanda le fou. — Quand un devient deux, cela est un profit ! répondit l’homme. — Aveugle ! S’exclama le fou. Quand deux deviennent un, c’est cela un profit. (184).

Posséderais-tu cent univers, seul ce que tu donnes te reviendra en bien propre ! Sur cette Voie, que tu sois esclave ou homme libre, tu ne verras à la fin que ce que tu auras donné ! (234).

Comme Moise, fils d’Imran, se dirigeait vers le Sinaï, il rencontra en chemin un ascète irradiant de lumière qui lui dit :  « O Moise, dis de ma part au Seigneur : « Ce que Tu as ordonné est accompli ; sois miséricordieux ! » Moise poursuivit quelque peu et rencontra un amant, plus ivre encore que l’ascète, qui lui dit : « O Moise, dis à Dieu : « Ce serviteur que je suis, qui n’a plus ni peau ni moelle, T’aime ! Toi, l’aimes-tu aussi ? » Finalement Moise arriva au pied de la montagne ; il rencontra un fou, le cœur éperdu d’amour, la tête et les pieds nus. Le fou lui dit avec effronterie : « Dis tout de suite de ma part au Seigneur : quelle brûlure as-tu encore pour moi ? Je ne supporterai pas davantage humiliation ! Mon âme suffoque de chagrin ; les jours joyeux pour moi sont tous devenus nuits ! Voici, mon cher, que j’ai décidé de T’abandonner ! Toi, désormais, laisse-moi tranquille ! »

À ces vertes paroles, Moise resta interdit. Quand il fut arrivé sur le Sinaï, lui l’Interlocuteur s’entretint avec Dieu. Comme il allait se retirer, il rapporta ses rencontres avec l’ermite et l’amant. Dieu pour tous deux le chargea de réponses appropriées. «L’ermite recevra miséricorde, dit Dieu, et l’amant recevra l’amour. Leurs prières seront exaucées.» Sur ce, Moise se prosterna et se tourna pour partir. Alors le Tout-Puissant lui dit : «n’as-tu rien d’autre à me confier? Tu tiens cachée l’anecdote du fou; tu as manqué à cette mission! — Seigneur! répondit Moise, mieux vaut que ces paroles restent cachées... Dieu lui dit : «Va et donne de Notre part à ce fou cette réponse : impatient! Tu dis abandonner le Créateur; sache que Lui ne t’abandonnera jamais — que tu te détournes de Lui ou non!» (270).







Le livre divin

Délivre-moi203 de ce moi si Tu veux me sauver, car tout ce que Tu veux Tu le peux.

Ne me permets pas de m’occuper un seul instant de moi-même; rends-moi inconscient de ce moi. Dédaigne mon moi; je n’en veux plus.

Je ne suis pas conscient de moi-même; je ne connais ni le bien ni le mal. Puisque Tu es là, pourquoi m’occuperais-je de mon moi ?

Toi qui connais mon état, je Te conjure de me tirer de ce tourbillon de sang.

Me dépouillant de mon moi, attache-moi à Toi-même, ne me laisse jamais revenir à moi.

Considère-moi comme un chien; ne me chasse pas de devant Ton seuil, car si tu me permets d’y rester, un seul os me suffira.

Si je trouve un os sur Ton seuil j’en régalerai ce Homa qu’est le ciel tournant.

... La fée lui apparut :

Idole qu’aucun narrateur n’aurait pu décrire; que dis-je ? La dépeindre était impossible.

L’examinant de la tête au pied, Sartapek découvrit qu’elle était issue de lui-même.

Étonné, il dit : «Comment as-tu pu ainsi pénétrer en moi ?»

L’ensorcelante beauté répondit : «Dès le premier jour j’ai toujours été avec toi,

Je suis ton âme ; ce que tu cherches sans cesse n’est autre que toi-même. Pourquoi ne veux-tu pas utiliser ton intelligence ?

Si tu regardes bien, tu verras que l’univers entier n’est autre que toi-même ; tu es l’âme-sœur de toutes les choses, au-dehors ou au-dedans de toi. (118).

Au jour du Jugement, Dieu remettra à quelqu’un la tablette de ses actes en disant : « Regarde et lis. »

L’homme regardera attentivement une heure ou deux, mais ne verra inscrite aucune action mauvaise ou bonne.

Déliant sa langue il dira : « Seigneur, rien n’est inscrit sur cette tablette ; que veux-Tu ? »

La voix divine répondra : « Je n’inscris pas sur les tablettes de mes amants leurs actes bons ou mauvais.

Dans ma toute-puissance, Je considère comme peu de chose le mal et le bien venant de toi. Tu peux à ton tour faire peu de cas du paradis et de l’enfer.

Lorsqu’entre nous s’effacent les marchandages, tu Nous appartiens et Nous sommes à toi pour l’éternité.

Si tu veux davantage, tes efforts seront vains, car nous sommes tout et tu n’es rien. (198).

Chebli tenait un jour un séminaire. Quelqu’un lui demanda : « Toi qui illumines le monde,

Dis-nous ce qu’est un mystique. » Il répondit : « C’est un homme qui, trouvant devant lui les deux mondes,

Pourrait les soulever à la force d’un seul de ses cils ; la puissance du mystique est même encore plus grande. » 

Un autre jour quelqu’un lui demanda encore : « Maître des mystères, qu’est-ce qu’un mystique ? »

Il répondit : « C’est un homme très faible qui ne peut même pas supporter la piqûre d’un moucheron. »

Quelqu’un alors bondit et protesta : « Toi qui illumines le monde, tu as donné une toute autre définition l’autre jour ;

En te contredisant tu introduis le doute sur certains points de la foi. »

Chebli répondit sans ambages : « Inquisiteur, ce jour-là je n’étais pas moi-même,

Mais aujourd’hui je suis bien moi, un pauvre être impuissant ; je ne pourrais te donner une meilleure réponse. (223).

Joseph, se regardant dans le miroir, admira son beau visage.

Mais le miroir s’imagina que c’était lui l’admiré, ô pensée basse, ô grande ignorance ! (407).

Ne sois ni mort, ni dormant, ni éveillé. N’existe pas ; voilà ce qu’il te faut garder à la mémoire.

Ce que tu cherches dans l’univers, tu l’as. Perds-toi comme les amoureux, et tu trouveras. (408).

Ne me permets pas de m’occuper un seul instant de moi-même ; rends-moi inconscient de ce moi. Dédaigne mon moi ; je n’en veux plus.

Je ne suis pas conscient de moi-même; je ne connais ni le bien ni le mal. Puisque Tu es là, pourquoi m’occuperais-je de mon moi? (437).

Le livre des secrets

L’amour et le cœur204 sont deux miroirs face à face… /entre les deux il y a un voile/, mais quand le voile est levé les deux ne sont plus qu’un (55)

dans la mer jamais image sensible n’a subsisté (107)

(Histoire du perroquet et de ses amis lointains qui simulent la mort :) « comme nous, cherche à t’évader …  libère-toi toi-même, meurs à ton moi… (132)


1235 Ibn al Faridh

IL EST A TA DISPOSITION DANS LES TAVERNES ; VA LE PRENDRE DANS TOUTE SA SPLENDEUR. QU’IL EST BON DE LE BOIRE AU SON DES MUSIQUES ! [AL FAHRID]205


[COMMENTAIRE DE] NABOLOSI — IL EST À TA DISPOSITION : prends-le, sois sûr et certain de ton annihilation et de ta fusion effective en l’Existence véritable par laquelle tu existes. Ne doute plus de ce que tu croyais imaginaire. Tel est le sens de l’acte de boire ce Vin, car boire c’est s’infuser ce qui vous était extérieur. Quand tu seras certain de distinguer l’Existence par laquelle tu existes, tu trouveras que tout ce qui est hors d’Elle est néant ; et tu es parmi ce qui est hors d’Elle. Alors tu comprendras la parole : « Dieu les entoure de toutes parts. » (Coran, LXXV, 20.) Et de là vient le symbole du vin que le poète a donné à l’Existence, son symbole et non son nom.

Les TAVERNES, c’est-à-dire partout, car ce Vin, qui symbolise l’Existence véritable, l’Un unique, apparaît, s’irradie et se découvre par la différenciation et la formation de toutes choses. Toute chose est donc une taverne pour ce Vin ; et « toute chose périra sauf sa face. » (Coran, XXVIII, 88.)


1240 Ibn «Arabî (1165-1240)

L’image d’un profond, mais obscur théosophe doit être corrigée par celle du grand poète qui d’expérience célèbre l’amour : nous nous en tenons ici à cet aspect plus accessible du grand sufi andalou. Il s’autocommente ainsi dans son Traité de l’Amour206(deux cent cinquante ans plus tard Jean de la Croix rédigera un autocommentaire en adoptant une forme littéraire analogue : quelque influence se serait-elle exercée par l’intermédiaire de chants populaires ?) :


L ’aimé de la passion, c’est moi

Si vous saviez !

La passion est ce que j’aime

Si vous pouviez comprendre !

 

Si vous discernez mon propos,

Louangez Dieu pour Sa magnificence !

Prenez-en bien conscience ! (29)


[...]


Depuis que je suis investi des caractères divins

Je me retrouve ainsi Son lieu d’apparition

Que je n’ai jamais cessé d’être. (30).

 

Si on affirme mon être,

La dualité en résulte !

 

Bien que composé

II est subtil et pur. (36).

 

Il résulte de ce contexte que Dieu nous a créé pour Lui seul et non pour nous-mêmes. Pour cette raison, la rétribution est liée aux actes et si nous agissons pour nous et non pour Lui, notre adoration, elle, est pour Lui et non peur nous, bien que la servitude adorative ne soit pas l’acte lui-même. Les comportements extérieurs des êtres créés Lui appartiennent, car Il demeure l’Agent (véritable). (39).

 

De l’amour nous sommes issus.

Selon l’amour nous sommes faits.

C’est vers l’amour que nous tendons.

À l’amour nous nous adonnons. (40).

 

Jusqu’au jour où je vis pendant un face à face,

Le fulgurant éclair jaillissant du Vivant.

Il m’a comblé un jour, m’accordant Ses bienfaits

Et montré Son courroux pour le reste du temps !

 

Chantons encore ce thème que nous avons vécu, car nous ne pouvons exprimer que l’amour savouré !

 

... Qui j’aime, je ne sais ! je ne connais pas son nom.

J’ignorais tout de celle que ma poitrine étreint

Tant quelle ne fit paraître sa face sous son voile

Toute pareille au nuage qui brille dans la nuit

Sous l’effet de la lune quand elle est  à son plein. (51).

 

Dieu est donc connu par la seule révélation qu’Il donne de Lui en raison de l’amour, de la miséricorde, de la bienveillance, de la compassion et de l’amitié qu’Il a pour nous et en raison aussi de la Révélation par laquelle Il détermine des similitudes qui Le concernent. Nous faisons alors de Lui l’objet de notre attention dans notre cœur, dans notre orientation ainsi que dans notre imagination, au point de nous trouver comme si nous Le voyions. Nous pouvons même dire plus ! nous Le voyons en nous, car nous Le connaissons du fait qu’Il s’est rendu connu (à nous) et non pas par le truchement de la spéculation. Il n’empêche que certains de nous Le voient tout en L’ignorant. Dieu n’est pas tributaire des autres ; c’est Lui qu’il aime à travers les êtres existenciés. C’est donc Lui qui se manifeste à tout être aimé et au regard de tout amant. Il n’y a ainsi qu’un seul Amant dans l’Existence universelle (et c’est Dieu) de telle sorte que le monde tout entier est amant et aimé. (59). 

Ainsi, l’objet de l’amour, sous tous ses aspects, est Dieu. L’Être vrai en se connaissant Soi-même connaît le monde de Soi-même qu’Il manifeste selon Sa Forme. Partant, le monde se trouve être un miroir pour Dieu dans lequel Il voit Sa Forme. Il n’aime donc que Soi-même. (60).

Dans l’amour divin, Dieu nous aime pour nous et pour Lui-même. L’amour qu’Il nous porte pour Lui-même est fondé sur ce hadîth saint : « J’étais un Trésor (caché) et Je n’étais pas connu. Or, J’ai aimé être connu. Je créai donc les créatures afin que Je Me fasse connaître à elles. Alors elles Me connurent. » (69).


 « Amour essentiel qui meut tout l’univers » 

Dans une section de son grand œuvre, Les illuminations de la Mecque, traduit sous le titre L’interprète des désirs207, Ibn « Arabi célèbre « l’Amour essentiel qui meut tout l’univers » incluant celui qu’il connût pour la belle et intelligente Iranienne Nizhâm (Harmonie) rencontrée lors de son pèlerinage.

 

Poème X, Étonnant  miroir !

(1) Je m étonne, dit-elle, de l’amant

Qui, sous l’effet de ses mérites,

Se plaît à marcher avec panache

Parmi fleurs et jardins !

 

(2) Ne t’étonne point, m’exclamai-je,

De celui que tu vois,

Car c’est toi-même que tu contemples

Dans un miroir humain !

 

COMMENTAIRE : VISION DE L’UN DANS LE MULTIPLE ET DU MULTIPLE DANS L’UN

(1) La présence divine s’exprime ainsi : « Je m’étonne de l’amant qui, sous l’effet de ses mérites », s’incline vers elle par amour.... « Et qui se plaît à marcher avec panache parmi fleurs et jardins » : il s’agit des  fleurs ou ornements des créatures, et du jardin de la station de la synthèse  ainsi que de l’Essence de cet amoureux. ... Son cas relève de celui de `Utbat al-Ghulâm qui se mit à marcher avec superbe et ostentation. On lui en fit la remarque et il répondit : « Comment ne me comporterais-je pas ainsi alors que Lui est devenu mon Maître et moi Son serviteur ? » Quand un serviteur se réalise par Dieu le Réel, il actualise en lui la vérité contenue dans ce hadith saint : « ... Je suis son ouïe et sa vue... » Il réalise aussi que tout son être est lumière....

(2) Ne t’étonne pas de celui que tu vois, car je suis comme un miroir pour toi [ma bien-aimée]. Ce sont tes traits de caractère dont je suis investi ; c’est donc toi-même que tu mires et non moi, mais dans ma nature humaine dépositaire de cette théophanie ou épiphanie. Le miroir est pour elle comme le jardin. Telle est la station initiatique de la vision du Dieu-Vrai dans le monde de la création. ... (113-114). 

« Si tu demandes ce qu’est l’extinction, nous dirons : c’est quand l’adorateur a la vision de son acte accompli par Allâh. L’extinction (fanâ ») a un rapport d’analogie avec la Permanence (baqâ) » (Futûhât, ch. 73, réponse 153).

Fana' an al fanâ' implique l’extinction intégrale de la conscience de l’être à sa propre extinction. Al-Baqâ, « la permanence, c’est dit encore Ibn “Arabi lorsque l’adorateur a la vision qu’Allâh se tient sur toute chose, avec l’œil de la conscience séparative », in Futûhât, II, 128 à 134. (93, note 3).


1240 Hirrali (? – 1240)

Sufi marocain208.


VOYAGE MYSTIQUE

Depuis que nous nous sommes absentés loin de toi, cette année-là,

Nous sommes descendus vers une mer, et le rivage de cette mer est une demeure.

Et il y avait au-dessus de cette demeure un soleil qui montait à notre horizon. Le coucher de ce soleil est en nous, et c’est de nous que surgit son aurore.

Nos mains ont touché ses joyaux dont nos âmes sont sorties et, à ce moment, nous sommes devenus des joyaux.

Dis-nous, qu’est-ce donc que ce soleil, quel est son sens et son secret et quelle est cette perle de la mer ?

Nous sommes descendus dans un univers dont le nom chez nous est le vide, qui est trop étroit pour nous contenir, mais que nous pouvons contenir en nous.

Nous avons laissé derrière nous les mers tumultueuses. Comment pourrait-on savoir vers quoi nous nous sommes dirigés ?


~1240 Traité de l’Unité

Ce Traité traditionnellement attribué à Ibn «Arabî serait l’œuvre fidèle et très claire d’un disciple traitant de l’Unicité de l’Existence selon le hadîth : «Mon Ciel et ma Terre ne peuvent me contenir, mais le cœur de Mon serviteur croyant Me contient» 209:



Gloire à Allah, avant l’Unité duquel il n’y a pas d’antérieur, si ce n’est Lui qui est ce Premier ; après la Singularité duquel il n’y a aucun après, si ce n’est Lui qui est ce Suivant. À propos de Lui, il n’y a ni avant, ni après, ni haut, ni bas, ni près, ni loin, ni comment, ni quoi, ni où, ni état, ni succession d’instants, ni temps, ni espace, ni être : « Il est tel qu’Il était ». – « Il est l’Unique, le Dompteur » sans (les conditions ordinaires de) l’Unité. Il est le Singulier sans singularité. Il n’est pas composé de nom et de nommé, car le nom est Lui et le nommé est encore Lui. Il n’y a pas de nom sauf Lui. Il n’y a pas de nommé en dehors de Lui. C’est pourquoi il est dit qu’Il est le nom et le nommé. Il est le Premier sans antériorité. Il est le Dernier sans les conditions ordinaires de la finalité, c’est-à-dire sans finalité absolue. Il est l’Évident sans extériorité. Il est l’Occulte sans intériorité. […] Il ne se trouve pas dans quelque chose et aucune chose ne se trouve dans Lui par un entrée ou une sortie quelconque. Il faut le connaître de cette façon, non par la science, l’intelligence, l’imagination, la sagacité, les sens, la vision extérieure, la vision intérieure, la compréhension ou le raisonnement. Personne ne peut Le voir, sauf Lui (— même). Personne ne Le saisit, sauf Lui (— même). Personne ne Le connaît, sauf Lui (— même). Il Se voit par Lui (— même). Il Se connaît par Lui (— même). Autre-que-Lui ne peut Le voir. Autre-queLui ne peut Le saisir. Son impénétrable voile est Sa propre Unicité. […]

Je ne veux pas dire que tu es ou que tu possèdes telle ou telle qualité. Je veux dire que tu n’existes absolument pas, et que tu n’existeras jamais ni par toi-même ni par Lui, dans Lui ou avec Lui. Tu ne peux cesser d’être, car tu n’es pas. Tu es Lui et Lui est toi, sans aucune dépendance ou causalité. Si tu reconnais à ton existence cette qualité (c’est-à-dire le néant), alors tu connais Allah, autrement non. […]

La Gnose n’exige pas l’extinction de l’existence (du moi) ou l’extinction de cette extinction ; car les choses n’ont aucune existence, et ce qui n’existe pas ne peut cesser d’exister. Dire qu’une chose a cessé d’exister, qu’elle n’existe plus, équivaut à affirmer qu’elle a existé, qu’elle a joui de l’existence. […]

Si quelqu’un dit : « je vois mon âme (mon “proprium”, moi-même) autre qu’Allah, et je ne vois pas qu’Allah soit mon âme », la réponse est : Le Prophète veut dire par le terme « âme » le « proprium », ton existence (particulière), ce que tu appelles « moi-même », et non pas l’élément psychique qui s’appelle tantôt « l’âme impérieuse » ou « celle qui pousse irrésistiblement vers le mal », « l’âme qui reproche », « la rassérénée », etc. […]

Tu Le vois, et tu ne sais pas que tu Le vois. Du moment que ce mystère a été dévoilé à tes yeux, que tu n’es pas autre qu’Allah, tu sauras que tu es le but de toi-même, que tu n’as pas besoin de t’anéantir, que tu n’as jamais cessé d’être, et que tu ne cesseras jamais d’exister, jamais, comme nous l’avons déjà expliqué. Tous les attributs d’Allah sont tes attributs. […]

Un exemple : Un homme ignore quelque chose, puis il l’apprend. Ce n’est pas son existence qui s’est éteinte, mais seulement son ignorance. Son existence reste elle n’a pas été changée, contre celle d’un autre ; l’existence du savant n’est pas venue s’ajouter à l’existence de l’ignorant ; il ne s’agit d’aucun mélange de ces deux existences individuelles ; il n’y a que l’ignorance qui a été enlevé. Ne pense donc pas qu’il est nécessaire d’éteindre ton existence, car alors tu te voiles avec cette même extinction, et tu deviens toi-même (pour ainsi dire) le voile. […]

C’est pourquoi il est permis au Wâçil, c’est-à-dire à celui qui est arrivé à la Réalité (personnelle), de dire : « Je suis le Vrai Divin », ou bien : « Gloire à moi ; que ma certitude est grande ! ». Un tel Wâçil n’est pas arrivé à un degré aussi sublime sans avoir vu que ses attributs sont les attributs d’Allah et que son être intime est l’être intime d’Allah, sans aucune transformation d’attributs ou transsubstantiation d’être intime, sans aucune entrée dans Allah ou sortie de Lui (ou vice versa). Il voit qu’il ne s’éteint pas dans Allah et qu’il ne persiste avec Allah non plus. Il voit que son âme (c’est-à — dire son « proprium ») n’existe pas du tout, non pas comme ayant existé, puis s’étant éteinte, mais il voit qu’il n’y a ni âme ni existence sauf la Sienne. […]

« Allah dit : Mon adorateur ne cesse de s’approcher de Moi par des ouvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe, sa vue, sa langue, sa main, etc. ». Le Prophète veut dire : Celui qui tue son âme (son « proprium »), c’est-à-dire celui qui se connaît, voit que toute son existence est Son existence. Il ne voit aucun changement en sa « nature intime » ou en ses « attributs ». Il ne voit aucune nécessité à ce que ses attributs deviennent les Siens. Car (il a compris qu’) il n’était pas lui-même l’existence de sa propre « nature intime », et qu’il avait été ignorant de son « proprium » et de ce qu’il était au fond. Lorsque tu prends connaissance de ce que c’est que ton « proprium », tu es débarrassé de ton dualisme, et tu sauras que tu n’es autre qu’Allah. Si tu avais une existence indépendante, une existence « autre qu’Allah », tu n’aurais pas à t’effacer ni à connaître ton « proprium ». Tu serais un Seigneur Dieu autre que Lui. […] Tu comprendras clairement le sens de la formule : Lâ ilaha ill'Allah (= il n’y a pas de Dieu si ce n’est Le Dieu), c’est-à-dire il n’y a pas de Dieu autre que Lui, il n’y a pas d’existence autre que Lui, il n’y a d’autre autre que Lui, et il n’y a pas de Dieu si ce n’est Lui. […]

[vers :]

 –Tu pensais que tu étais toi.

Or tu n’es pas et tu n’ais jamais existé.

Si tu étais toi, tu serais Le Seigneur, le second de deux !

Abandonne cette idée,

Car il n’y a aucune différence entre vous deux par rapport à l’existence.

Il ne diffère pas de toi et tu ne diffères pas de Lui.

Si tu dis par ignorance que tu es autre que Lui,

Alors tu es d’un esprit grossier.

Lorsque ton ignorance cesse, tu deviens doux,

Car ton union est ta séparation et ta séparation est ton union.

Ton éloignement est une approche et ton approche est un départ

C’est ainsi que tu deviens meilleur.

Cesse de faire des raisonnements et comprends par la lumière de l’intuition.

Sans quoi t’échappes ce qui rayonne de Lui

Garde-toi bien de donner un partenaire quelconque à Allah,

Car alors tu t’avilis, et cela par la honte des idolâtres. […]

Si quelqu’un demande : « Comment regardez-vous ce qui est repoussant ou attrayant ? si tu vois par exemple une saleté ou une charogne, est-ce que tu dis que c’est Allah ? », la réponse est : Allah est sublime et pur, Il ne peut être ces choses. Nous parlons avec celui qui ne voit pas une charogne comme une charogne ou une ordure comme une ordure. Nous parlons aux voyants, et non aux aveugles. […]

 — J’ai connu mon Seigneur par mon Seigneur sans confusion ni doute.

Ma « nature intime » est la Sienne, réellement, sans manque ni défaut.

Entre nous deux il n’y a aucun devenir, et mon âme est le lieu où le monde occulte se manifeste.

Depuis que je connus mon âme sans mélange ni trouble,

Je suis arrivé à l’union avec l’objet de mon amour sans qu’il y ait plus de distances entre nous, ni longues ni courtes.

Je reçois des grâces sans que rien descende d’en haut (vers moi), sans reproches, et même sans motifs.

Je n’ai pas effacé mon âme à cause de Lui, et elle n’a eu aucune durée temporelle pour être détruite après.


Moniales, béguine, simple paysanne, nouveau mode de vie!

Avant d’introduire les deux Hadewijch puis Marguerit Porete, choisies parmis tant d’autres, voici une brève présentation de leurs origines et cadres de vie.

Tant d’abbayes de moniales cisterciennes ont été fondées au XIIIe siècle dans les Flandres que l’on a comparé cet exode de femmes fuyant le monde au mouvement qui a attiré les hommes dans les croisades. On construit dix abbayes dans la première génération suivant 1201, date de la fondation de l’abbaye de la Cambre. Tandis que beaucoup de cisterciens subissent l’attirance de l’érudition universitaire et perdent souvent leur vocation contemplative, les moniales restent fidèles à la spiritualité de Cîteaux. Aussi cinquante abbayes de cisterciennes fondées durant la première moitié du siècle en Flandres ne peuvent accueillir l’afflux toujours croissant de nouvelles vocations, ce qui encourage une forme mitigée de vie cloîtrée.

De nombreuses femmes s’installent à l’intérieur ou à proximité d’un hôpital ou d’une léproserie pour y travailler et prier dans la solitude, telle la première Hadewijch dont on suppose qu’elle acheva ses jours au service d’un hôpital. Naissent ainsi les «béguines», du terme néerlandais begijn dérivé du français beige, couleur de la laine naturelle de leurs vêtements non teints. La solution est originale et s’harmonise au développement d’une bourgeoisie urbaine : ces femmes contribuent par le tissage ou la broderie à la richesse des cités. Les béguines resteront cependant étroitement liées aux moniales cisterciennes : ainsi la béguine Ide de Nivelle était amie de Béatrice de Nazareth (1200-1268)210.

Pour Paul Verdeyen, biographe moderne de Ruusbroec :

«Les premières béguines ont été des femmes indépendantes, habitant seules, qui eurent l’audace de se jeter dans l’aventure d’une consécration personnelle et exclusive à l’amour divin et qui choisirent pour cela la vocation du célibat chrétien, sans émettre des vœux ni habiter des béguinages clôturés, ni entretenir des liens spéciaux avec la hiérarchie. Elles ont vécu comme des femmes pieuses, “religieuses” dans le contexte normal de la vie en société. Les évêques et les curés ont alors mis en œuvre tous les moyens en leur pouvoir pour réunir ces indépendantes à l’intérieur d’enceintes bien murées et pour les soumettre à leur autorité et à leur juridiction. Et à l’aide de décrets, comme ceux du concile de Vienne (1312), ils y ont parfaitement réussi. » 211.

Le mouvement des béguines dura jusqu’au XVIIe siècle [où nous retrouverons une femme qui leur est apparentée, Marie Petyt]. Leur histoire est marquée par les résistances de la «Dame» élue qui représentait leurs intérêts, faisant face à plusieurs pressions : celle de l’Église, qui tente de régulariser ce corps «informe» en le convertissant en ordre religieux soumis à des règles et contrôlé par des confesseurs; celle de la bourgeoisie dont les béguines sont issues et qui souhaite une symbiose et une soumission étroite; celle d’artisans auxquels elles font concurrence en filant et en brodant (outre les béguinages célèbres de Bruges et d’Amsterdam, on peut toujours visiter leur paisible quartier enclos de Louvain, délimité par deux rivières, car l’eau est nécessaire au travail du lin).

Certaines de ces femmes se laissaient enmurer à proximité d’une église ou d’un couvent pour y mener la vie érémitique. Un tel ermitage avait le plus souvent trois fenêtres : la première donnait sur le chœur d’un sanctuaire et rendait ainsi possible l’assistance aux offices, la seconde permettait d’avoir sur le monde extérieur des contacts assez fréquents, dont des entretiens spirituels, la troisième avait vue sur un petit jardin. En Italie, sainte Claire avait une cellule semblable près de San Damiano. La vie de ces recluses sera précisée au début d’une section consacrée à l’Angleterre.

Une abondante littérature spirituelle et mystique se prolonge jusqu’au XVIIsiècle, dont on a seulement exploré les textes primitifs. Se détachent les figures d’Ivette de Huy (1157-1228) qui se retira dans une pauvre léproserie avant de se faire emmurer dans une cellule attenante à sa chapelle, de Marie d’Oignies, des deux Hadewijch, de Marguerite Porete…212.

Nous laissons ici de côté les témoignages d’un milieu plus large où les femmes occupent une place importante aux côtés des hommes. Se détache la belle et profonde «idylle mystique» entre le dominicain suédois Pierre de Dacie et la simple paysanne westphalienne Christine :


serviable et contemplative, tu es semblable à Marthe et Marie.

Même nature, jeunesse, condition égale,

Parole bienveillante, consolation vraie.

Merveilleux mystère : avec les tourments vient la guérison.

Attachée à ceux qui te révèrent, par eux tu es aimée, même si te flétrissent

Les ignorants qui ne veulent croire qu’à ce qu’ils connaissent.

Union, confession, mœurs et communion l’enrichissent :

L’union la consume, la confession la purifie, ses mœurs

Font son ornement, et elle communie dans la joie.213.


~1240 & ~1280 Hadewijch I & II

La première Hadewijch (la critique a établi l’existence de deux béguines du même nom), active vers 1230, femme de grande culture, a lu Guillaume de Saint-Thierry et Richard de Saint-Victor. Elle connaît les troubadours et la littérature courtoise.

L’amour (minne), thème central de ses poèmes, est une source vivante :

 C’est là que nous recevons la douce Vie vivante que la Vie donne à la vivante vie. On l’appelle Source vive, parce qu’elle nourrit et garde en l’homme l’âme vivante.

L’intuition qui chez Guillaume de Saint-Thierry prenait le relais de la raison, et dont nous avons rapporté la réponse au problème de la prédestination, laisse place à la célébration sans réserve du « noble amour » dont dérive l’amour courtois.

L’emploi du moyen néerlandais succède ici à la prose latine utilisée jusque là par Bernard et Guillaume de Saint-Thierry, Richard de Saint-Victor, comme tous les clercs qui s’adressaient à leurs semblables. Bel exemple du rôle linguistique éminent de mystiques qui, confrontés à la difficulté d’exprimer leur vécu auprès de tous, et donc souvent dans des dialectes dédaignés des savants, les font accéder à l’expression littéraire, les deux Hadewijch, suivies bientôt par Ruusbroec, établissent le moyen néerlandais ; le Rhénan Eckhart contribue à la même époque à forger la langue allemande ; Jean de la Croix apportera sa contribution à l’espagnol par ses poèmes. 

Les poèmes du noble amour des deux Hadewijch bénéficient d’une belle traduction française, œuvre du chartreux Dom Porion. Ils expriment l’amour donné à celui qui se donne :

« Ce que vraiment nous devons faire,

nous le savons dans un éclair

lorsque Vérité nous révèle

combien nous manquons à l’amour :

la douleur comme une tempête

assaille alors un noble cœur....

Qui donne tout à l’amour

en éprouve grande merveille ;

l’âme adhère dans l’unité

au clair Objet qu’elle contemple,

puisant par l’artère secrète

à cette fontaine où l’Amour

enivre les cœurs étonnés

de Sa divine violence214.»



« Ce que l’Amour a de plus doux, ce sont Ses violences ;

Son abîme insondable est sa forme la plus belle ;

se perdre en Lui, c’est atteindre le but ;

être affamé de Lui c’est se nourrir et se délecter ;

l’inquiétude d’amour est un état sûr ; [...]

s’Il nous prend tout, quel bénéfice ! [...]

ne rien avoir, c’est Sa richesse inépuisable. [...]

Voilà le témoignage que moi-même et bien d’autres

nous pouvons porter à toute heure,

à qui l’amour a souvent montré

des merveilles, dont nous reçûmes dérision,

ayant cru tenir ce qu’Il gardait pour Lui.

Depuis qu’Il m’a joué ces tours

et que j’ai appris à connaître ses façons,

je me comporte tout autrement avec Lui :

Ses menaces, Ses promesses,

tout cela ne me trompe plus :

je le veux tel qu’Il est, peu importe

qu’Il soit doux ou cruel, ce m’est tout un215.» 


Hadewich est aussi l’auteure d’admirables Lettres spirituelles216 dont voici quatre courts extaits suivis d’une lettre entière :


Les âmes englouties et perdues en Dieu de la sorte reçoivent dans l’amour la moitié de leur être comme la lune reçoit la lumière du soleil. La connaissance unifiante qu’elels reçoivent de cette lumière nouvelle, d’où elles procèdent et où elles demeurent — cette lumière simple absorbe l’autre et les deux moitiés de l’âme se rejoignent… (156)

Dieu est au-dessus de tout, mais égal en tout; i lest suprême et n’est pas élevé. /L’homme qui a dépouillé l’humanité terrestre, Dieu l’exalte avec lui-même et l’attire en Soi : Il a fruition de cette âme dans la non-élévation. Ah Dieu! quelle merveille survient alors, lorsque si grande dissemblance atteint l’égalité, atteint l’unité sans élévation. (170)

Dans la fruition, nous sommes oisifs (ledegh) : c’est l’œuvre de Dieu seul, là où il dépouille d’eux-mêmes tous les esprits aimants, les transforme et les consomme dans l’unité de son Esprit. Là nous sommes tous un seul feu d’amour… (260)217

l’âme en son essence n’opère pas, car les facultés par quoi elle agit émanent du fond de l’essence, mais dans le fond même les moyens sont réduits au silence; il n’y a plus là que repos : c’est le lieu de la naissance divine… (274)218.


Lettre XVIII La nature de l’âme et son repos divin

Ah! douce et chère enfant, que je vous souhaite la sagesse! C’est de sagesse avant tout que vous avez besoin, comme tout homme qui veut être divinisé. La sagesse en effet conduit bien avant dans la profondeur divine. Mais nous vivons des jours où plus personne ne veut, ne peut reconnaître ce qui vraiment lui faut, dans le service dû à Dieu et dans son amour. Ah! vous avez bien à faire si vous voulez vivre l’Humanité et la Divinité, atteignant cette plénitude qui sied à votre noblesse, selon que Dieu vous aime et vous réclame. Etablissez-vous sagement et fortement, comme (un chevalier) sans peur, en tout ce qui vous appartient, en ce mode de vie qui vous sied, selon votre noblesse et votre liberté.

Celui qui est puissant au-dessus de toute richesse, donne à tous pleine suffisance, selon son pouvoir et sa grâce. Non point qu’il œuvre ou apporte ses dons ou les confère de sa main, mais sa riche puissance et ses hauts messagers sont les vertus parfaites qui le servent et gouvernent son royaume, et donnent à toutes les âmes ce dont elles ont besoin, selon l’honneur et la puissance de celui qui en est le maître. Elles confèrent à chacun ce qui sied à sa nature et à sa place la Miséricorde soutient de ses présents les pauvres les plus nus, qui sont prisonniers des vices, privés d’honneur et de tout bien. L’Amour du prochain défend le commun peuple contre les riches et pourvoit chacun de ce qui lui fait défaut. La Sagesse arme les nobles chevaliers, dont le désir brûlant livre pour le noble Amour de puissants combats. La Perfection donne aux compagnons d’armes son riche domaine, apanage souverain de l’âme dont je vous parle — cette âme qui, d’une volonté parfaite et sans faiblesse, en ses œuvres parfaites, demeure noblement fidèle à toute volonté de l’Amour. La dispensatrice de ces quatre vertus est la Justice, qui condamne ou approuve. Ainsi l’Empereur demeure libre et tranquille, parce qu’il ordonne à ses ministres de garantir l’équité, conférant aux rois, aux ducs, aux comtes et aux princes les nobles fiefs de son domaine et les droits précieux de son amour — de cet amour qui est la couronne de l’âme comblée, fidèle à secourir chacun selon sa requête, sans avoir cependant pour elle nulle œuvre ou entreprise que le pur amour de l’Aimé. C’est là ce que récemment j’ai voulu vous signifier, lorsque je vous ai parlé des trois vertus :

Soyez bonne et pitoyable à tous,

et ne prenez soin de personne,

et le reste que je vous écrivais (dans la lettre précédente).

Veillez donc avec grand soin à la perfection de votre âme, (par nature) noble et parfaite. Mais entendez bien ce que cela veut dire : tenez-vous dans l’unité, ne vous mêlez d’aucune œuvre bonne ou mauvaise, haute ou basse; laissez les choses suivre leur cours et restez libre pour le seul exercice de (l’union avec) votre Bien-Aimé, et pour satisfaire aux âmes que vous aimez dans l’Amour. Telle est votre dette, ce que vous devez à Dieu en toute justice selon la vérité de votre nature, comme aux âmes envers lesquelles vous partagez son amour : aimer Dieu seul d’une intention parfaitement simple, et n’avoir occupation que de cet amour unique, qui nous a choisis pour lui seul. — Comprenez aussi la nature profonde de votre âme et le sens même de ce mot. L’âme est un être qu’atteint le regard de Dieu, et pour qui Dieu en retour est visible219. Qu’elle veuille satisfaire Dieu et garder son domaine sur toute chose étrangère, dont la nature inférieure la ferait déchoir, l’âme est un abîme sans fond en qui Dieu se suffit à Lui-même, trouvant en elle à tout instant sa plénitude, tandis que pareillement elle se suffit en Lui. L’âme est pour Dieu une voie libre, où s’élancer depuis Ses ultimes profondeurs; et Dieu pour l’âme en retour est la voie de la liberté, vers ce fond de l’Etre divin que rien ne peut toucher, sinon le fond de l’âme. Et si Dieu n’était à elle tout entier, il ne saurait lui suffire.

La vue dont l’âme est pourvue par nature est la charité. Cette vue a deux yeux, l’amour et la raison. La raison voit Dieu seulement en ce qu’il n’est pas; l’amour ne s’arrête à rien qu’à Dieu même. La raison a des voies certaines où cheminer, l’amour éprouve son impuissance, mais sa défaillance le fait avancer davantage que la raison. La raison procède vers ce que Dieu est, par ce que Dieu n’est pas; l’amour rejette ce que Dieu n’est pas, et trouve sa béatitude là-même où il défaille, en ce que Dieu est. La raison est plus sobre que l’amour, mais c’est à celui-ci que sont données la suavité et la béatitude. L’une et l’autre au demeurant, l’amour et la raison, ne laissent pas de se prêter la plus grande assistance, car la raison instruit l’amour, et celui-ci illumine celle-là. Que la raison se laisse emporter par le désir de l’amour, et que l’amour se laisse contraindre par la raison en ses justes termes, ils seront capables ensemble d’une œuvre inouïe, mais c’est chose qui ne peut être enseignée, si elle n’est pas éprouvée. Car la sagesse ne se mêle pas de cette passion admirable, ni de scruter cet abîme caché à tout être, réservé à la seule fruition d’amour. Rien d’étranger et nulle âme étrangère n’a part à cette béatitude, mais celle-là seule qui est nourrie maternellement dans ce bonheur même, dans les délices du grand amour, brisée par la discipline de la miséricorde paternelle, attachée inséparablement à son Dieu et lisant dans sa Face les jugements qui la dirigent, en sorte qu’elle demeure dans Sa paix.

Lorsque cette âme retourne parmi les hommes et les choses humaines, elle y porte un visage si plein de joie et de douceur sous l’huile embaumée de la charité, qu’en tout ce qu’elle fait, sa bonté apparaît. Mais par la vérité et la justice des jugements qu’elle a lus dans la Face divine, elle semble étrange et terrible aux hommes impurs. Et lorsque ceux-ci voient que tout en elle est conforme à la vérité, ils voudraient fuir devant la puissance de l’amour, tant elle leur semble dangereuse et redoutable. — Quant à ceux qui sont prédestinés à cet état, à l’union, d’amour, sans en avoir atteint la plénitude, ils ont en main la puissance de l’éternité, mais elle n’est pas manifestée encore, ni à eux-mêmes ni aux autres.

Telle est de l’amour l’illumination secrète. Cette vue de l’âme l’éclaire constamment sur la véritable volonté divine; car un être qui dans la Face de Dieu lit ses propres jugements, opère en toute chose selon les vraies lois de l’amour. Or c’est loi et coutume de l’amour que parfaite obéissance, et ceci est contraire bien souvent aux mœurs étrangères de ce monde profane. Qui de l’amour veut en vérité observer les préceptes, que son œuvre demeure séparée de celle de tout autre, selon la vérité du puissant amour. Il ne sera soumis à personne qu’à la seule charité, dont il est par amour prisonnier. Pour discours que tiennent les autres, il parle seulement selon la volonté de l’amour. Il demeure au service de l’amour et il accomplit ses œuvres, jour et nuit en toute liberté, sans rien épargner, sans crainte ni délai, selon les jugements qu’il a lus dans la Face de l’Amour. Ceux-ci restent cachés à ceux qui abandonnent les œuvres de l’amour par souci de choses et de personnes étrangères, craignant de n’avoir pas l’approbation de ces profanes, — qui trouvent leur volonté propre plus juste et meilleure que celle de l’amour. C’est qu’ils ne sont pas venus et ne demeurent pas devant cette Face très haute du puissant Amour, qui nous fait mener une vie libre au sein de toute peine.

Il vous faut connaître cette liberté, et ceux qui servent pour elle. Les gens parlent et s’affairent beaucoup contre les œuvres de l’amour, ils méprisent ses travaux pour une apparente liberté, et souvent dans ce qu’ils croient l’intention la plus sage. Ils émettent ainsi des ordres ou des interdictions, pour que soient abandonnés les commandements de l’amour. Mais l’âme noble, qui veut être fidèle à sa loi, selon ce que lui enseigne la raison illuminée, ne craint ni les conseils ni les ordres étrangers, quelque tourment qu’elle puisse en souffrir, par les calomnies, la honte, les plaintes ou les injures, par l’abandon et l’isolement, le refus de tout abri, la nudité et la privation de toute nécessité. Elle ne craint nulle de ces choses : pour être appelée bonne ou mauvaise, elle ne veut manquer un seul instant à l’obéissance de l’amour, quelle que soit la volonté de cet amour : elle s’applique à lui en toute chose selon la vérité, avec toute la puissance de l’amour même, — et parmi les peines, elle ne perd jamais la joie de son cœur.

Il vous faut donc, vivant sans partage, plonger en Dieu votre vue immobile, un doux regard simplifié par l’amour qui s’applique librement au seul Bien-Aimé; il vous faut fixer Dieu passionnément et plus que passionnément, en sorte que vos regards simples demeurent suspendus et cloués à la Face de l’Aimé par les désirs brûlants et toujours renouvelés. Alors seulement vous pourrez vous reposer avec saint Jean, qui dormit sur la poitrine de Jésus. Ainsi doivent faire tous ceux qui servent dans la liberté de l’amour : ils reposent sur cette sage et douce poitrine, où ils voient et entendent les paroles secrètes que l’Esprit-Saint murmure et que la foule ne peut ouïr ni percevoir aucunement.

Fixez donc fermement le Bien-Aimé de vos désirs, car celui qui regarde ce qu’il désire est sans cesse enflammé de nouveau, et son cœur bientôt cède au poids délicieux de l’amour. Il est attiré à l’intérieur de l’Aimé par cette vie constante du regard, cette contemplation jamais interrompue; et l’Amour se fait sentir à lui de façon si douce qu’il oublie tout ce qui est de la terre. Et pour chose que pourraient lui faire les étrangers, lui semble-t-il, il renoncerait plut & cent fois à lui-même que de laisser un seul point des œuvres prescrites par le noble amour, dont il est le serviteur et dont le Christ est le fondement.


Enfin quatorze Visions achèvent ce qui nous est parvenu de la première Hadewich, dont la première reprend l’image d’un verger spirituel dont le dernier arbre illustre

la fruition sensible de l’amour. Pour tous ceux, Bien-aimée, que te font du bien ou du mal, viens en aide à leurs nécessités, sans distinction. L’amour te rendra forte. Donne tout, car tout est à toi220.


La seconde Hadewijch a vécu probablement près de Bruges. Active vers 1280, elle décrit la nudité d’esprit. L’âme doit se vider et s’abîmer dans un non-savoir sans fond :

« Si je désire quelque chose, je l’ignore, -  car dans une ignorance sans fond - je me suis perdue moi-même. »


Ruusbroec reprend cette citation et s’en inspire lorsqu’il décrit la vision sans intermédiaire, consistant à être absorbé dans un simple regard.  Ruusbroec et le « bon cuisinier » Jan van Leeuwen, ont tenu cette Hadewijch en très grande estime : « Les livres de Ruusbroec ne comportent pour ainsi dire aucune citation d’auteurs ; seules l’Écriture et Hadewijch sont citées fort souvent et littéralement221.»

Ah mon Dieu quelle aventure

de ne plus entendre, de ne plus voir

ce que nous suivons, ce que nous fuyons,

ce que nous aimons, ce que nous craignons.

Nous avons cru jadis posséder quelque chose,

mais c’est du tout au rien que nous chasse l’amour222.



L’unité de la vérité nue,

abolissant toutes les raisons,

me tient en cette vacuité

et m’adapte à la nature simple

de l’Éternité de l’éternelle Essence.

Ici de toutes raisons je suis dépouillée ;

Ceux qui n’ont jamais compris l’Écriture

ne sauraient en raisonnant expliquer

ce que j’ai trouvé en moi-même — sans milieu, sans voile — au-dessus des paroles223.

Elle influence aussi une troisième béguine, au sort plus malheureux encore que celui de la première Hadewijch qui disparut en prenant peut-être refuge au service d’une léproserie ou d’un hôpital224. Il s’agit de la figure de Marguerite Porete225 dont la fin fut dramatique.

Tout incite à apprendre le brabançon226, dialecte de la zone centrale d’extension du flamand au Moyen Age. Hadewijch et Ruusbroec furent les «créateurs de la langue flamande».

1273 Rûmî (1207-1273)

Mawlânâ Djalâl-od-dîn Rumi (1207-1273), poète iranien réfugié en Anatolie, assura la continuité entre la tradition sufie de Nichapour (grande capitale détruite par les Mongols, dont quelques traces sont situées à l’est de l’Iran actuel) et la naissance des derviches dans une principauté musulmane Prototurque récemment fondée sur une terre anciennement byzantine, assez proche de la rive asiatique du Bosphore. Il est l’auteur d’un immense et célèbre Mathnawi227. L’autre grand poète iranien sufi «Attar aurait donné à l’enfant son Livre des secrets, symbole de transmission. Le milieu s’était islamisé et deux siècles s’étaient écoulés depuis Syméon. La forme hymnique de louanges à Dieu ou célébration d’exploits demeure ainsi commune à tout le Moyen-Orient :



« O Résurrection soudaine, ô miséricorde infinie !

O Toi qui dans le buisson des pensées as jeté le feu,

4Te voici aujourd’hui arrivé riant, arrivé telle la clef d’une prison.

Tu es venu chez les pauvres comme une aumône, pareil à la grâce divine.

Toi le chambellan du soleil, toi nécessaire à l’espoir,

Tu es le but et le chercheur, tu es la fin et le commencement,

Tu es apparu dans les cœurs, tu as orné les pensées.

C’est toi qui présentes la demande, et c’est toi aussi qui l’exauces228.

 

Ceux qui sont tombés dans le quartier des mystiques

Jusqu’à la trompette du Jugement sont agiles et contents

Certains heureux d’avoir sacrifié leur nafs

D’autres libérés d’eux-mêmes, de la vie et du monde.


Par l’amour prééternel, tu chantes des chansons

Par l’émerveillement de]'amour, tu es devenu stupide, ignorant

Mort à cause du chagrin pour lui, tu es devenu libre

Tu as tellement parlé de ce chagrin que tu es devenu lui.


Celui qui te coupe la tête, c’est lui que tu aimes

Celui qui te trompe, c’est ton voleur

Celui qui t’autorise à entrer, c’est ton obstacle

Mais celui qui te fait t’oublier, c’est ton Ami.


On a parlé du détachement de façons différentes

Dans l’ignorance on explique beaucoup de sens

Comme ils n’ont pas su le mystère du monde,

Ils ont d’abord parlé, puis se sont endormis.


O toi qui es rendu vivant par l’âme de ce monde

Honte à toi, pourquoi es-tu vivant de la sorte ?

Ne sois pas sans amour, afin de ne pas être mort

Meurs dans l’amour, pour demeurer vivant229.

~1280 Le Zohar compilé par Moïse de Leon (1240-1305).

Texte très vaste émergé mystérieusement en Provence et Espagne au XIIIe siècle. Il est bien difficile à citer ! Il peut être lu avec profit phrase après phrase accompagnée de commentaires donnant les divers textes auxquels chacune se réfère implicitement : c’est le cas pour la grande édition Pritzker230. Il faudrait entreprendre la lecture de cette base de la Kabbale avec un maître en la matière et une connaissance minimale de l’hébreu. Le texte traduit est d’une grande beauté, d’un sévère lyrisme :


«(Zohar) Radiance! From here all commands were created through the mysterious expansion of this point of concealed radiance. . .

(Zohar) Radiance! Mystery! (Be-reshit), In the beginning, first of all (Elyeh), I will be, a sacred name. . .”

(Zohar) Radiance! Concealed and treasured, while offspring lay within, yet to be born, and the house expanded, arrayed by that seed of holiness. [. . .] What is that seed? Those engraved letters, mystery of Torah, emerging from that point [Hokhmah ou Wisdom, l’un des dix Sefirot].”


1290 Nasafi (?-1290) & Traités du soufisme.

Après le traité de Kalabadhi231 en arabe auquel nous avons rattaché celui de de Hujwirî en persan, vient, telle une «seconde vague» : celui de Nasafî qui propage les idées d’Ibn «Arabî dans un milieu iranien asséché par un «Alexandre à demi sauvage», Gengis Khan232; suivra le Révélateur des mystères, traité de Nuruddin Isfarayini (1242-1317)233; etc.

On sait que Nasafî fréquenta soufis et philosophes, qu’il eut un maître à Bokhârâ, qu’il fit des études de médecine. Nous avons la chance de disposer de son exposé très clair du soufisme pratiqué en son temps, ce qui explique sa large distribution… et de nombreuses imitations. Il fut connu très tôt en Europe234, bénéficie d’une édition critique restituant le corpus constitué de nombreux courts « Traités », et de leur traduction en français235.


« O Derviche ! Quoique le pèlerin jamais n’a d’être propre, il s’imagine pourtant en avoir. Qu’il soulève ce fantasme et sache avec certitude que l’être est à Dieu seul. Lorsqu’il sait et voit qu’il en est ainsi, le voyage vers Dieu s’achève et le voyage en Dieu commence. (23).

« ... L’univers est bondé à ras bord de lumière et c’est cette lumière qui est l’âme du monde :

« Le monde est embaumé par la brise du matin ; /Encore faut-il que l’homme parvienne à en capter l’arôme. »

« Va, acquiert la vision ! Car chaque grain de poussière,/Si tu y regardes, est la Coupe qui ref1ète l’univers. » (32).

« O Derviche ! Dès toujours Dieu était ; à jamais Dieu sera. Mais jusque-là le pèlerin était dans le leurre. Il s’imaginait que Dieu avait un être et que lui aussi hors de Dieu avait un être. À présent, sorti du leurre, le pèlerin sait avec certitude que l’être est un, que cet être est l’Être de Dieu. (49).

« Si l’amant, de l’extérieur, aperçoit l’aimée, il n’y prête pas attention et demeure inchangé parce que l’aimée qui est à l’intérieur, qui a pris son cœur pour patrie, est plus proche. Désormais, pour lui extérieur et intérieur ne sont qu’un. [...] l’amant s’efface à soi-même : il ne voit plus désormais que l’aimée. Donc i1 n’y a trouble et égard que lorsqu’il y a deux personnes. À ce rang ou l’amant s’efface à soi-même, l’attente cesse ; il n’y a plus ni séparation ni union ; ni crainte ni espoir ; ni contraction ni expansion. (106-107).

« Sache que tout ce qui est a un apogée et une fin. L’apogée est la maturité ; la fin, la liberté. (117).

« Ces prémisses étant posées, sache maintenant que tous les êtres forment un seul être ; que le monde sensible, le monde intelligible et le monde chérubinique sont les degrés de cet être. À présent, désigne cet être par le nom que tu voudras ! Si tu l’appelles « une personne », c’est juste. Si tu l’appelles « un arbre », c’est encore juste. Si tu l’appelles simplement « un être » et ne lui appliques aucun autre nom, c’est également juste. (137).

« Quand le pèlerin arrive au rang de l’amour, le miroir de son cœur est si limpide et pur qu’il devient la coupe, le miroir-qui-reflète-l’univers. (148).

 « Donc, pour toute image qui apparaît dans les intelligences et les âmes célestes, le reflet de cette image apparaît aussi dans le cœur des pèlerins qui sont en harmonie avec chacune d’elles. [...] O Derviche ! Cette manifestation de l’image ne dépend ni de l’incrédulité ni de la foi ; ni de la connaissance ni de l’ignorance. Elle est liée au cœur pur et limpide. (149).

« O Derviche ! Sache qu’un même individu ne peut tout savoir, ne peut tout accomplir. C’est pourquoi rien ni personne en ce monde n’est inutile. Chacun est à l’œuvre à sa place ; chacun, selon sa mesure, comprend. L’ordre du monde est assuré par tous ; tous constituent les phases de cet être. Donc toi, à quelque rang que tu sois, tu appartiens à l’une des multiples phases de l’être. [...] Aujourd’hui, le monde apparaît sous une forme ; demain, il apparaîtra sous une autre. Dispose avec bonheur du temps présent ; passe-le dans l’union et la sérénité. Autant que tu le peux ne cause de tort à rien ni à personne — le péché n’est autre que de porter injure. Autant que tu le peux, répands la quiétude — la dévotion n’est autre que de faire le bien. (155).

« ... Qu’il se purifie intérieurement et extérieurement, qu’il polit le miroir de son cœur — son esprit redevient pur et limpide. Alors une relation s’établit entre l’esprit de l’homme et les anges célestes : l’ange et l’homme sont tels deux miroirs polis, placés l’un en face de l’autre. (193).

« … sa force d’âme influe sur les affaires de ce monde et de l’autre. Et si, après son trépas, sa sépulture devient un lieu de pèlerinage, il secourt encore celui qui vient le visiter. Le pèlerin, en pareille circonstance, se tient à distance respectueuse de la tombe, le visage tourné vers celle-ci. Puis, libre de toute distraction, il polit le miroir de son cœur jusqu’à ce que son esprit, par l’intermédiaire de cette tombe, rencontre l’esprit du visité. Si le visiteur demande la science et la connaissance mystique, à l’instant même où il adresse sa requête, la réponse, s’il a la capacité de la comprendre, apparaît en son cœur. (194).

« O Derviche ! La lumière voulut contempler sa propre beauté, témoigner de ses attributs, de ses noms et de ses actes. À cette fin, elle se manifesta. [...] L’homme beau qui veut contempler sa propre beauté cherche d’abord une mine de fer. De cette mine, il extrait la terre ferrugineuse qu’il place dans un creuset et fait entrer en fusion. La crasse une fois séparée, le fer devient pur et limpide. Il chauffe ce fer purifié et le martèle jusqu’à ce qu’il devienne lisse comme un miroir. (203).

«O Derviche! Si tu as l’énergie spirituelle de cette entreprise et veux t’y adonner, renonce d’abord à toute autre. Brise les idoles; n’aie plus qu’une seule direction, une seule qibla; acquiers la concentration et le détachement. Alors, au commerce d’un Sage, de nombreuses années durant, montre-toi constant en ascétisme et en effort, afin, en premier lieu, de rendre pur et limpide le miroir de ton corps — que celui-ci devienne transparent et apte à recevoir la lumière. C’est là le début de l’épreuve. Ensuite, par le polissage du travail assidu, rends pur et brillant le miroir de ton cœur et la Lumière de Dieu viendra s’y refléter. C’est là le terme de l’épreuve. Une fois la Lumière de Dieu apparue, le pèlerin sait et voit avec certitude que Dieu est en tout. (232).»

~1300 Hugues de Balma 

L’auteur d’une Théologie mystique (souvent référée par son début : Viae Sion lugent…) est prieur de la chartreuse de Meyriat, en Bresse, de 1289 à 1304. On ne possède pas d’autres renseignements sur lui236. Son œuvre sera très influente en Espagne comme en France, car il allie l’élan à l’inconnaissance, thème qui sera repris par l’auteur anglais du Nuage. Cette  doctrine de l’amour sans connaissance s’appuie sur Denys l’Aréopagite dont il veut être un fidèle commentateur, tandis que la pratique de fréquents élans affectifs développe le conseil donné par Guigues I. Denys et Guigues s’accordent sur l’élan, car « la ténèbre contemplée par la théologie mystique n’est pas un néant abstrait et vide de tout, mais la suprême Réalité divine, débarrassée des brouillards créés dont notre procédé cognitif naturel l’enveloppe habituellement. Elle n’est ténèbre qu’à cause de nos yeux de hibou…237» .

  Nous exposons la progression proposée par la Théologie mystique de Balma. Parce qu’elle fut attribuée à saint Bonaventure, elle sera souvent reprise au cours des siècles au point de devenir le modèle «standard» de la voie mystique.

PROLOGUE :

[Vol. I, 125] § 1. Viae Sion lugent... Les chemins de Sion pleurent... Sont en effet appelés « voies » les désirs des âmes aiman­tes. Elles habitent encore un corps mortel et ces désirs les soulèvent en direction de Dieu et de la cité céleste, Jérusa­lem, au-dessus de toute raison et de tout intellect.

[127] Dieu n’a pas créé l’âme pour qu’en sens contraire de sa propre généro­sité elle se rassasie d’une multitude de quaternions en peau de mouton [il s’agit des livres de l’époque], mais pour qu’elle soit le siège de la sagesse.

 [131] § 5. Cette voie vers Dieu est donc triple : voie purgative, qui dispose l’esprit à apprendre la vraie sagesse ; voie illuminative, qui par la ré­flexion éclaire l’esprit en vue de l’embrasement de l’amour ; voie unitive enfin, par laquelle l’esprit, par Dieu seul qui l’élève, est dirigé au-dessus de toute raison, de tout intellect, de toute intelligence.

 [133] § 6. [la voie illuminative] commence ici : « Nuit, mon illumination dans les délices. » L’âme s’élève ensuite à un degré et à un état beaucoup plus éminent en lequel chaque fois qu’elle le veut, sans aucune connaissance réflexive préalable, elle est immédiatement charmée en Dieu. Cela, nulle industrie humaine ne peut l’enseigner parfaitement.

LA VOIE PURGATIVE :

 [171] § 12. Il faut prier de toutes ses forces la clémence du Créateur non seulement pour lui-même ou pour ses proches, mais pour tous... afin que, de même qu’il les a tous créés et rachetés, il daigne subvenir avec miséricorde à tous sans distinction.

LA VOIE ILLUMINATIVE :

[179] § 1.… le vrai soleil de la justice éternelle de la cité céleste, dont le soleil matériel est la similitude ou l’image obscure, n’attend rien d’autre, immobile à la porte du cœur, si ce n’est que par un essuyage purificateur un accès lui soit préparé pour se reposer heureusement en l’esprit comme dans un lit, enseignant l’âme, sa fiancée, par les irradiations des splendeurs spirituelles : ainsi de la part de celui qui accueille et de la part de celui qui se répand, l’irradiation spirituelle suit la purification.

[223] § 26. De même en effet que l’âme est la vie des corps, de même l’amour est la vie des esprits.... Cette vie ne durera pas un moment du temps comme celle du corps ; elle s’étendra sur toute la durée des jours, toujours et à jamais. L’amour dont en vivant l’âme commence à aimer totalement l’époux ne cessera pas en effet à l’avenir.

[239] § 32. « Je vous referai », moi, non un autre, moi qui suis la Sagesse éternelle, née d’en haut ; je vous donnerai non seulement plus tard, mais maintenant même les consolations divines qui apaisent vos désirs... Cela ne l’attendez pas de la spéculation…

LA VOIE UNITIVE :

[vol. II, 23] « Le roi m’a introduit dans le cellier à vin »... – il y a plutôt ici, d’étonnante manière, affliction corporelle —; il éprouve seulement joie de ce qu’en cette tendance en acte il se dresse directement, sans détour, vers le très bien­heureux lui-même, lieu unique qui correspond naturelle­ment à sa dignité. § 9. ... Le corps ne pour­rait donc supporter les élans anagogiques sans grande souffrance, si celle-ci n’était tempérée par la joie que donne à l’esprit la rectitude de son aspiration.

[91] § 56. ... Parce qu’il ne s’attribue pas en effet les choses qu’il possède, mais les fait toutes tourner à la louange du dispensateur de toutes choses, il creuse en soi une conca­vité en luttant contre soi-même avec plus de vérité. Par elle, l’abondante pluie des grâces divines, franchissant monts et collines, s’introduit dans les endroits moins élevés, de telle sorte que plus grande aura été la concavité de l’humilité, plus elle sera capable de recevoir une grâce plus abondante.

 [133] § 83. Cette élévation dite « par ignorance » n’est rien autre qu’être mû immédiate­ment par l’ardeur de l’amour, sans miroir d’aucune créa­ture, sans réflexion préalable, sans même un mouvement concomitant de l’intelligence.

 [159] § 98.  …puisque toute appréhension dont on a déjà parlé est en dehors de l’élévation mystique, il faut cependant qu’en celle-ci il y ait ignorance, c’est-à-dire qu’il faut détruire absolument l’œil de l’intellect qui veut toujours en cette élévation appréhender ce vers quoi tend l’affectivité.

QUESTION DIFFICILE :

 [233] § 48.  … Je considère le mouvement de la pierre qui par son poids descend naturellement vers son centre. De même, dispo­sée par le poids de l’amour, l’affectivité s’élève vers Dieu sans aucune connaissance réflexive ou délibération, comme s’il elle se tendait vers son centre et, par ces mouvements, elle s’élève en un continuel désir ; elle at­teindra dans la béatitude éternelle l’accomplissement de celui-ci…


1306 Jacopone da Todi (~1233 - 1306).

Jacopone, procureur légal et notarial, pénitent après la mort brutale de sa jeune femme, franciscain proche des spirituels, excommunié, emprisonné, retiré près d’un couvent de clarisses, est enfin et surtout l’auteur admiré de Laudes, forme poétique Toscane en honneur durant plus de deux siècles.



« Pour acquérir Amour, tout j’ai donné238

le monde et moi-même, tout sans marchander ;

si tout était à moi, ce qui a été créé,

je donnerais pour Amour, sans pactiser ;

et je me trouve d’Amour presque trompé,

car tout j’ai donné, et ne sais où suis mené ;


par Amour défait

pour fou je suis tenu,

mais puisque suis vendu,

de par moi n’ai valeur.


Des gens ont cru me rappeler,

amis d’antan, du chemin suivi,

mais qui s’est donné ne peut plus se donner,

ni serf être amené à fuir Sa Seigneurie ;

plutôt roc pourrait s’effriter

qu’Amour céder, qui me tient à sa merci. »


Il appartient, du côté de son père, à une famille noble. Après avoir étudié le droit, il exerce la profession d’homme de loi ou de notaire dans sa ville natale. Marié à l’âge de trente et un ans environ à Vanna di Bernadino di Guidone de la famille des comtes de Coldimezzo, il perd deux ou trois ans plus tard sa jeune épouse lors de l’écroulement d’un plancher pendant une fête.

Un cilice trouvé  sur le corps de Vanna l’aurait converti : il mène alors pendant dix ans une vie d’errance, de pénitence, de mendicité et d’humiliations volontaires. Au terme de cette période, durant laquelle il porte le long capuchon du tiers ordre pénitent franciscain, il est admis parmi les Frères mineurs. Attaché au courant des Spirituels il approuve l’envoi à l’ermite Pier da Morrone, devenu le pape Célestin V, d’une délégation visant à obtenir l’autonomie de ce courant à l’intérieur de l’ordre. Mais le pape abdique et redevient ermite l’année même de son élévation. La congrégation des Pauperes heremitae domini Celestini sera aussitôt dissoute par Boniface, son successeur.

«Or Jacopone connaissait bien ce dernier, qui, n’ayant pas encore  reçu l’ordination, s’était fait octroyer par le chapitre de la ville de Todi un bien confortable canonicat. Il lui consacre l’une de ses laudes les plus polémiques, O pape Boniface, tu as beaucoup trop joué en ce monde… Plus encore, il va jusqu’à souscrire au fameux manifeste de Longhezza (10 mai 1297) : s’inspirant de la thèse des cardinaux Jacopo et Piero Colonna, ce document met directement en cause la validité de l’élection…» Suit une excommunication des deux cardinaux ainsi que leurs défenseurs et Boniface assiège leur place forte, Palestrina. La forteresse tombe après avoir résisté un an et demi.

Jacopone est incarcéré dans les souterrains d’un couvent de Frères mineurs hostiles aux Spirituels. Libéré et absous par Benoît XI, il mourra trois ans plus tard, la nuit de Noël de l’année 1306, dans le couvent des Clarisses de Collazzone, près de Todi239.

Les Laudes fleurissent au XIIIe siècle. Ils dérivent de cantiques, chantés en latin par l’assemblée des fidèles dans les exercices de piété d’associations laïques, les laudési. La plus ancienne laude qui nous soit parvenue n’est autre que le Cantique des créatures de François. Puis frère Pacifique brilla parmi ses contemporains par des compositions (perdues), tout comme il avait été célèbre avant sa conversion sous le nom de Rex Versuum. De Bonaventure, il nous reste l’Angélus. On composera des laudes jusqu’à Savonarole. La Contre-réforme supprimera ces dévotions en langue vulgaire au profit du latin. Jacopone est reconnu aujourd’hui comme l’un des grands poètes du moyen âge grâce à l’évolution de notre goût qui accepte de s’écarter de la forme littéraire achevée d’un Pétrarque240. Jacopone est le chantre de la pauvreté par amour qui donne la liberté :



« O amor de povertate

Renno de tranquillitate ! ...

Povertat’è null’avere

E nulla casa poi volere

E onne cosa possedere

En spirito de libertate241. » 



O Amour de pauvreté,

Royaume de tranquillité ! ...

Est pauvreté ne  rien avoir

Et nulle chose ne vouloir,

Toutes choses posséder

En esprit de liberté.


L’union se réalise, lorsque l’homme, vidé par la grâce de ses puissances se livre à Dieu qui le « forme » à nouveau242.  L’esprit qui anime Jacopone est proche de celui qui animait Angèle de Foligno, sa contemporaine qui avait peut-être entendu ses Laudes (elle meurt trois ans après lui). Il sera repris par Catherine de Gênes (qui vivait deux siècles plus tard) : les Laudes 36 et 39 sont citées et commentées dans la Vita de cette dernière et Jacopone y est ainsi le seul auteur largement présent. Nous en reprenons deux brefs passages dont le premier commenté243 :



« Cio che tte paria non ène,

Tanto è ‘n alto quel ched ène ;

La Superbia en celo s’ène

E dànnase l’Umilitate. ...

Là ‘v’è Cristo ensetato

Tutto ‘l vecchio ènne mozzato,

L’uno en l’altro trasformato

En mirabele unitate244. » 

Ce qui se voit n’est pas,

Tant est grand ce qui est ;

La superbe est au ciel

Et l’humilité se damne. …

Là où le Christ est greffé,

Tout l’ancien est décapité,

L’un dans l’autre est transformé

En merveilleuse unité.


Catherine de Gênes, au chapitre 14 de la Vita, commente :

«Ce qui se voit, c’est-à-dire toutes les choses visibles qui sont créées ne sont pas, elles n’ont pas l’être véritable, tant est grand Celui qui est, Dieu, en qui est tout être est vrai. La superbe est au ciel, c’est-à-dire la vraie grandeur est au ciel; et sur terre, l’humilité se damne, c’est-à-dire l’affection placée en ces choses créées qui sont basses et viles, n’ayant pas en soi l’être véritable.»


Jacopone conclut :

Clama lengua e core :

Amore, amore, amore !

Chi tace el to dolzore

Lo cor li sia crepato.

E credo che crepasse

Lo cor che te assaiasse ;

S’Amore non clamasse,

Crepàrase affocato245. » 

Le cœur qui te goûte ;

S’il ne criait : Amour,

Il en serait brûlé. 


1309 Angèle de Foligno (1248 - 1309).

Femme amie du monde et du plaisir, esprit cultivé (tout en ne sachant pas écrire) et ouvert, riche de biens, ayant mari et plusieurs fils, elle commence à l’âge de trente-sept ans à éprouver le remord de confessions incomplètes et de communions, peut-être sacrilèges à ses yeux.

Elle dictera le récit de sa vie à frère Arnaud, un fidèle moine franciscain, selon des «pas» ou étapes intérieures. Ils couvrent deux périodes séparées par une expérience très forte d’amour divin survenu lors d’un voyage à Assise en 1291, suivie de son entrée dans le tiers ordre franciscain. Les six années « ascétiques » qui précédèrent l’événement, de 1285 à 1291, l’approchèrent de la pauvreté intérieure et matérielle en dix-neuf « pas ».  Elle vend ses biens après la mort de tous les siens. Le récit d’Arnaud couvre les cinq années suivantes, de 1291 à 1296, en sept autres « pas ».

Angèle vivra encore quatorze années. Nous devinons un cercle de disciples d’après le récit d’Arnaud (qui malheureusement meurt en 1300) complété par des documents postérieurs ; quatre lettres nous sont parvenues. De très nombreuses éditions de son « œuvre » sont éditées en latin dès 1502 et en diverses langues dont le français, par Poiret en 1696 puis par Hello en 1868. Malheureusement ces mosaïques textuelles ne respectent pas l’ordre chronologique et affaiblissent les termes (malgré le style emphatique de Hello). Il faut recourir à une édition respectueuse de l’ordre d’un bon manuscrit, respectant la sobriété de l’original latin, pour retrouver la force et surtout la dynamique vécue, rendue par les « pas » successifs246.

On ne trouve nulle part ailleurs un témoignage aussi intense de l’amour divin, auquel elle  sut correspondre de façon absolue. Elle répond ainsi à deux mystères majeurs : Question, comment l’amour divin intense qui nous est accordé, peut-être une seule fois dans l’existence, mais son souvenir est toujours efficient, peut-il s’accorder à notre indignité ?  Réponse, parce que Lui seul existe. De même pour le « problème du mal » : le « bon » seul existe.

Nous avons la chance d’avoir accès à une autobiographie mystique, suivie chronologiquement sous la forme des dix-neuf pas de sa vie dictés au frère et disciple copiste, qui correspondent aux six années « ascétiques » précédant l’expérience d’amour de l’an 1291, puis suivie de sept pas, définis par ce frère ; très honnêtement, il reconnaît la difficulté d’en déterminer leur nombre (Angèle avait évoqué trente pas).

Un tel témoignage est unique pour l’époque qui ne pratique guère de « confession » intime (mais on trouve parfois des relations événementielles, toutefois sans progression soulignée, telles les relations de Julian de Norwich ou de Margerite Kempe). Nous le devons à l’insistance du frère copiste, devenu disciple, qui rapporte « cette expérience et cette science de l’expérience247.

Un grand souci de fidélité marque son compte-rendu. Nous résumons les pas d’une échelle spirituelle à l’aide d’un choix de fragments très courts.

Les trois premiers pas sont une préparation : crainte, douleur, pénitence ; Angèle « commence à être illuminée » aux deux suivants, où elle reconnaît la miséricorde de Dieu et Le prie « de me rendre vivante. Alors il me semblait que toutes les créatures me prenaient en pitié, en compassion. » Les quatre pas suivants sont marqués par la vision et la connaissance de la croix.

« Au neuvième pas,

Il me fut inspiré que… je devais me dépouiller pour être plus légère, et aller nue… c’est-à-dire pardonner à tous ceux qui m’auraient offensée, me dépouiller de toutes choses terrestres. … Vers cette époque… ma mère… vint à mourir… et en peu de temps, mon mari, tous mes fils.

« Au douzième pas,

Je résolus de tout abandonner… Dieu répandit miséricordieusement dans mon cœur une grande lumière, Il me donna en même temps une certaine fermeté… que je crois encore ne devoir jamais perdre. »

Au dix-septième pas, elle rapporte de beaux songes qui annoncent peut-être la rencontre à Assise. L’un est précis ; elle note le désir qui précède parfois un rêve mystique puis la douceur, en fait éprouvée souvent en étant réveillée, à la suite de l’intensité du rêve. Peut-être s’agit-il ici du compte-rendu de deux rêves rapprochés, mais distincts :

« Je me trouvai une fois dans la prison… je méditais un mot de l’Évangile… j’eus soif de voir le mot écrit ; craignant d’agir par amour-propre, je me contins… je m’endormis dans mon désir. Aussitôt je fus induite en vision et il me fut dit : « L’intelligence de l’Épître est chose si délectable que celui qui la comprendrait bien oublierait toutes les choses du monde. »

Elle éprouva ensuite une grande douceur.

« Mon guide reprit : L’intelligence de l’Evangile est tellement plus délectable encore, que si quelqu’un le comprenait, il n’oublierait pas seulement toutes les choses du monde ; il s’oublierait absolument lui-même… on ne prêche rien de la délectation de Dieu. Les prédicateurs… ne comprennent même pas ce qu’ils en prêchent. »

Aux pas suivants, elle ressent l’Amour et la douceur divine :

« … si l’on me parlait de Dieu, je poussais des cris… ceci m’arriva pour la première fois lorsque je vendis ma maison de campagne pour en donner le prix aux pauvres. C’était la meilleure de mes terres… [Éprouvant] la douceur de Dieu… je tombai à terre… Après cela, je me rendis à Saint-François à Assise248.»



Le frère copiste témoigne de cette visite à Assise, de la honte qu’il ressent suite à un comportement incontrôlé de sa compagne, de par la violence de l’expérience. Il l’interprète comme le « haut mal » ou hystérie, avant de comprendre sa réelle origine à la suite de sa propre expérience intérieure :

«Elle avait beaucoup crié… J’en fus tout couvert de honte… je luis dis de n’oser jamais revenir à Assise puisque ce mal la prenait… Je lui conseillai de tout me dire, je l’y contraignis… Ayant éprouvé en moi-même une grâce de Dieu spirituelle, sans exemple dans ma vie, j’écrivais tout rempli de crainte et de respect (Ibid., 54-55).»

Il la questionne sur l’expérience de l’Amour avec lequel elle a été en contact, début traditionnel d’une vie mystique, dans le cas présent accompagné d’une émotion intense. Car ses cris en public et le scandale qui s’ensuivit sont dus à l’arrachement qui succède au contact, comme elle le rapportera ainsi :

« Je lui dis : « Que vis-tu ? » Elle répondit : « Je vis une chose pleine, une majesté immense, que je ne saurais exprimer ; mais il me sembla que c’était le souverain bien. Elle me dit beaucoup de douces paroles en s’éloi­gnant ; elle s’éloigna lentement avec une suavité immense, sans secousse. Aussitôt après son départ, je commençai à pousser de hauts cris, à vociférer. Je criais sans aucune honte, disant et redi­sant : “Amour inconnu ! Pourquoi m’abandonnes-tu ?”… Après cela, je revins d’Assise avec cette extrême douceur, et je rentrai chez moi par la route. Tout le long du chemin, je par­lais de Dieu, j’avais grand-peine à me taire ; cependant je me contenais de mon mieux à cause de mes compagnons. … Rentrée dans ma maison, je sentis une douceur paisible, et cependant très grande, que je ne sais exprimer249.»

Le frère copiste explicite ensuite les sept pas « supplémentaires » qui suivirent cette mémorable expérience, en précisant certaines prises de conscience :

 « Expliquant ensuite cette parole : que Dieu est l’amour de l’âme, elle me dit : Dieu aime l’âme, il est lui-même l’amour de l’âme (Ibid., 83).

Elle me dit encore à moi, frère copiste, qu’une fois Dieu lui dit et lui montra péremptoirement et en détail qu’elle n’était rien, qu’elle était faite d’une matière vile, qu’il ne trouvait en elle  aucune bonté, que cependant Dieu l’aimait, que ce Dieu qu’elle-même peut aimer est chose si grande et si parfaite que la pensée de l’amour qu’il lui porte ne peut lui causer aucun orgueil… (Ibid., 111).»

Elle traite profondément du mystère du « néant aimé », c’est-à-dire des rapports entre l’âme et sa Source divine. Tous ces pas exposent les merveilles éprouvées dans la première période de la vie mystique « des lumières », par opposition à une « vie de foi » à venir, qui sera cachée à la mémoire au point d’introduire parfois un « demi-doute » sur Sa présence :

« Et je voyais en moi deux parties, comme si on eût tracé en moi une route. D’un côté je ne voyais qu’amour et tout bien, venant de Dieu et non de moi ; de l’autre, je me voyais aride, je voyais qu’il ne venait de moi aucun bien. Par là, je vis que ce n’était pas moi qui aimais, bien que je fusse toute transformée en amour, mais que cela ne venait que de Dieu. Puis les deux parties se réu­nirent, et leur union me donna un amour beaucoup plus grand, beaucoup plus ardent. J’avais le désir d’aller à cet amour (Ibid., 159).»



L’âme veut Dieu, et ce vouloir lui est donné par la grâce. Quand donc il est dit à l’âme : « Que veux-tu ? » Elle répond : « Je veux Dieu. » Et Dieu lui dit : « Et moi j’accomplirai en toi cette volonté. » Car jusque-là, elle ne vou­lait pas Dieu vraiment et de tout soi. Ce vouloir lui est donné par la grâce, et par ce vouloir elle connaît que Dieu réside en elle, qu’il entre en société avec elle (Ibid., 173). 



La seconde partie du manuscrit provient d’autres copistes, certainement moins proches de la mystique, mais témoins des années postérieures :

« Voici le signe de l’amour vrai : celui qui aime ne transforme pas une partie de soi-même, mais tout soi en l’aimé. Comme cette transformation n’est pas continue, comme elle ne dure point, l’âme est prise par le désir de chercher tous les modes qui lui permettront de se transformer en la volonté de l’aimé afin de retrouver à nouveau la vision. Elle cherche ce qu’a aimé celui qu’elle aime. »

Ce qui est développé selon la belle comparaison classique :

« De même que le fer embrasé reçoit en lui la forme, la couleur, la chaleur, la vertu, la valeur du feu, et devient comme du feu ; de même qu’il se livre au feu tout entier, et non partiellement, et ne subsiste qu’en étant embrasé dans l’intime de sa substance ; ainsi, l’âme, unie à Dieu et avec Dieu par le feu parfait de l’amour divin, se donne et se place tout entière en Dieu, et transformée en Dieu sans avoir perdu sa substance propre, elle transforme sa vie tout entière dans le Dieu amour et l’amour la rend quasi toute divine. /Il faut donc que la connaissance précède, et qu’ensuite l’amour suive, pour transformer l’aimé en l’amant, c’est-à-dire pour transformer l’âme qui connaît en vérité et qui aime avec ferveur dans le bien qu’elle connaît et qu’elle aime avec ferveur. Or cette connaissance ne peut venir à l’âme ni d’elle, ni d’aucune créature ; elle ne peut lui venir que de la lumière divine ; c’est un don spécial de la grâce de Dieu (Ibid., 311 & 399 pour ces deux dernières citations).»

C’est la source de l’amour efficace :

« … voyant son néant et voyant Dieu humilié et abaissé pour un si vil néant et même unir son néant, l’âme s’embrase d’amour, et embrasée d’amour elle se transforme en Dieu. Une fois transformée en Dieu quelle est la créature qu’elle n’aimera selon son pouvoir ? (Ibid., 423.)

 


Amour explicité comme suit :

« L’amour parfait, sans défaut, est celui de l’âme admise à voir l’être de Dieu. Quand l’âme est ainsi guidée et con­duite à la vision de l’être de Dieu, elle voit comment toute créa­ture tire son être de celui qui est l’Être suprême, comment toute chose, comment tout ce qui existe tient son être de l’Être suprême ; elle voit qu’il n’est point d’autre être, et que rien ne possède l’être que par lui. L’âme puise dans cette vision une sagesse admi­rable, une sagesse pleine de gravité, une sagesse pleine de matu­rité. L’âme tire de cette vision le plus grand des biens, elle ne peut contredire, parce qu’elle voit en vérité que toutes les œuvres de Dieu sont bonnes ; le mal vient de nous qui les détruisons. Cette vision de l’Essence divine excite l’âme à l’aimer. Elle nous apprend à aimer tout ce qui a reçu d’elle l’existence (Ibid., 481).

Peu avant sa mort, elle s’écria :

« “Mes petits enfants, efforcez-vous de vous faire petits !” Puis elle cria : “O néant inconnu ! O néant inconnu !” On ne peut avoir en ce monde de science plus utile que celle de son néant, ne rien faire de mieux que de s’emprisonner dans son néant. Parler de Dieu, faire de grandes pénitences, comprendre les Écritures, avoir son cœur presque constamment occupé des choses divines, toutes ces vanités spirituelles sont plus trompeuses que les vanités temporelles (Ibid., 519).»

Tout est dit.


1310 Marguerite Porete (~1250 - 1310).

Marguerite Porete naît peut-être à Valenciennes. Son Miroir des simples âmes anéanties apparaît en ~1290 avec trois approbations qui figurent en tête de versions latines et anglaises. L’évêque de Cambrai condamne l’ouvrage en 1300, le faisant brûler publiquement à Valenciennes. En 1306-1307, Marguerite Porete adresse des exemplaires à différents notables, notamment à l’évêque de Châlons-sur-Marne. De nouvelles dénonciations provoquent un nouveau procès diocésain.

L’évêque de Cambrai est Philippe de Marigny, l’âme damnée de Philippe le Bel ; elle est conduite devant l’Inquisition de Haute-Lorraine, et de là devant l’Inquisition de Paris, aux mains de Guillaume de Paris, parfaitement compromis lui aussi par Philippe le Bel dans la lutte contre les Templiers. C’est face à ces bourreaux qu’il faut évaluer l’attitude de la prisonnière : refus de prêter un serment de loyauté préalable à l’instruction du procès, puis refus de recevoir l’absolution pour des fautes qu’elle soutenait ne point avoir commises.

Excommuniée, elle est déclarée relapse le 30 mai 1310 et consignée le lendemain au bras séculier pour être publiquement brûlée avec son ouvrage : l’exécution intervient le premier juin 1310 sur la place de Grève ; son compte rendu évoque la dignité de la victime tandis que le grand succès du Miroir explique la mise en scène impressionnante de son procès auxquels toutes les autorités de la Sorbonne participèrent250.

Le texte du Miroir se présente comme un dialogue entre Raison, Amour, l’âme… Il vaut la peine de surmonter une forme littéraire étrangère aux habitudes modernes251. Nous donnons un extrait du cinquième chapitre qui propose un plan en neuf points. Nous éclairons ce beau programme, d’expression très dense, par quelques extraits du développement qui lui fait suite : ils sont placés entre crochets à la suite de chaque point dont nous soulignons la densité par l’usage d’italiques252 :



« Amour : Mais il y a une autre vie, que nous appelons «paix de charité en vie anéantie» [...] demandant que l’on puisse trouver


I une âme,

[elle ne veut plus rien qui vienne par un intermédiaire,... elle ne cherche pas la science divine parmi les maîtres de ce siècle, mais en mépris véritable du monde et d’elle-même.]


II qui se sauve par la foi et sans œuvres,

[c’est-à-dire que cette âme anéantie a en elle-même si grande connaissance par la vertu de foi, et qu’elle est en elle-même si occupée à entretenir ce que Foi lui administre... que rien de créé ne peut demeurer en sa mémoire sans passer brièvement du fait de cette autre occupation qui a investi son entendement. Cette âme ne peut plus faire d’œuvres ; aussi est-elle certainement assez excusée et justifiée, en croyant sans œuvrer que Dieu est bon sans mesure].


III qui soit seulement en Amour,

[Une telle âme ne mendie ni ne demande rien aux créatures.]


IV qui ne fasse rien à cause de Dieu,

[c’est-à-dire que Dieu n’a que faire de son œuvre, et que cette âme n’a que faire de rien, sinon de ce dont Dieu a à faire. Elle ne se soucie pas d’elle-même ; que Dieu s’en soucie, lui qui l’aime plus qu’elle ne s’aime elle-même !]  


qui ne délaisse rien à cause de Dieu,

VI à qui l’on ne puisse rien apprendre,

VII à qui l’on ne puisse rien enlever,

VIII ni donner,

IX et qui n’ait point de volonté,

[tout ce que cette âme veut en y consentant, c’est ce que Dieu veut qu’elle veuille, et elle le veut pour accomplir la volonté de Dieu et non la sienne]. 

Marguerite, flamande, utilise une belle image marine pour indiquer comment l’esprit limité ne peut décrire l’infini divin :

«Je sais en vérité que, pas plus que l’on pourrait compter les vagues de la mer par grand vent, personne ne peut décrire ou dire ce que saisit l’esprit, si peu et si petitement qu’il saisisse quelque chose de Dieu253.

 La «bonté de Dieu», c’est-à-dire l’Amour, peut opérer simultanément — car il ne saurait être un simple moyen — l’anéantissement de la volonté humaine et l’envahissement libérateur par la vie divine :

«Je me repose en paix complètement, seule, réduite à rien, toute à la courtoisie de la seule bonté de Dieu, sans qu’un seul vouloir me fasse bouger, quelle qu’en soit la richesse. L’accomplissement de mon œuvre, c’est de toujours ne rien vouloir. Car pour autant que je ne veux rien, je suis seule en Lui, sans moi, et toute libérée ; alors qu’en voulant quelque chose, je suis avec moi, et je perds ainsi ma liberté254.»

La «perte en Dieu» s’ensuit :

«Le sixième état, c’est que l’âme ne se voie point elle-même, quelque abîme d’humilité qu’elle ait en elle, ni ne voie Dieu, quelque bonté très haute qui soit la sienne. Mais Dieu se voit alors en elle, par Sa Majesté divine qui illumine cette âme de Lui-même, si bien qu’elle ne voit rien qui puisse être hors de Dieu même…255.»

L’influence cachée de Marguerite Porete s’étendrait jusqu’à Catherine de Gênes, malgré la destruction de nombreux manuscrits 256.»

1318 Sultan Valad (1226-1318)

Sultan Valad recueille les propos de son père Rûmî, ce qui n’exclut pas un travail de mise au net. Organisateur de la Confrérie des Mawlavis à Konya (« Derviches tourneurs »), il n’en est pas moins un mystique attachant par la forme simple et les comparaisons qui mettent à portée de tous « des choses rares et précieuses ». Voici des citations issues de Maître et disciple257.

« C’est-à-dire que ce Qor'ân et la sharia étaient déjà contenus dans les Écritures et les lois des prophètes antérieurs. Bien sûr, ils n’existaient pas sous cette forme et cette apparence, ils n’étaient pas composés selon cet ordre. Le Qor'ân est en arabe, les autres Écritures en syriaque et en hébreu. Chacune préconise une autre sorte de jeûne, d’autres fêtes, et décrète que certains actes sont justes et licites, d’autres illicites.

« Il est évident que la réalité de la religion ne concerne pas la forme et la langue. Elle apparaît en chaque forme et en chaque langue. Les langues et les sharia sont pareilles aux mesures, et la religion et la connaissance de Dieu sont comme l’eau et le vin, qui sont contenus dans les coupes, les cruches, les sources, les jarres, les outres et les vases. Mais le vin n’est pas le vase. Celui qui adore la cruche ignore l’eau. Avant qu’il ne voie quelque cruche, il n’admet pas l’existence de l’eau. (33-34)

« On demanda à Bayazid : « Que veux-tu ? » Il répondit : « Je veux ne pas vouloir. » Car, s’il voulait, cela montrerait qu’il existait encore. S’il était resté un seul nerf ou un boyau en cet animal transformé en sel, cela montrerait qu’il n’a pas traversé l’individualité, et qu’on sent encore en lui le parfum de la dualité. Et la dualité est une impiété. De même, est impie celui qui déclare que la Face de Dieu est double. Dans le monde spirituel, la dualité fonde l’incroyance. Bayazid dit : « Je veux ne pas vouloir, afin que ce soit Toi seul qui veuilles, comme Tu le faisais avant mon existence vile. »

« Quand apparaît la Face de ma beauté pareille à la lune, qui suis je, pour exister devant elle ?

« Moi, je n’existe qu’au moment où je suis hors de moi-même.

« Quand le détachement est parfait, Dieu est là.

« Est-ce moi qui te cherche, ou toi qui me cherches ? Malheur à moi : tant que je reste moi-même, je suis un autre et tu es un autre. (40-41).

« À l’intérieur de la Ka'ba, on n’observe pas la direction de la Qibla. (46).

« Et au moment où il vieillit et s’affaiblit, et où toutes ses forces ont été dépensées et où l’espoir l’abandonne, il a à chaque instant des visions merveilleuses, visions de l’au-delà, pro­diges divins, « stations » innombrables et incalculables. Dieu le Très-Haut lui adresse un appel, en disant : « Ô mon serviteur ! Songe que toutes ces choses que tu voyais aupara­vant étaient dues au service que tu me rendais et à ta sou­mission assidue. Vois, tous ces moyens ont disparu. Mais nos dons arrivent l’un après l’autre, cent mille fois plus grands. Demande pardon de cette pensée, et sache que tout provient de Nous et que tout le reste n’est qu’apparence. » (66).

« Les métiers et les attachements de ce monde ressemblent à la rouille qui recouvre le miroir du cœur. Si la rouille est infime, le miroir réfléchit les images de façon imparfaite. Mais si la face du miroir en est complètement couverte, on a beau le regarder, on n’y aperçoit rien, ni peu, ni beau­coup, ni image, ni réalité. Et quand on retire la rouille au moyen de l’ascèse de l’amour, et que la beauté de l’œuvre de Dieu apparaît dans le miroir, à ce moment, on se trouve soi-même, car la rouille a été enlevée du miroir du cœur. À présent, quand on parvient à soi-même et qu’on se trouve soi-même, on découvre Dieu en soi-même, et jamais on ne voit Dieu séparé de soi. (96-97).


« De même, avant que le vent n’agisse sur la poussière, et ne fasse mouvoir un arbre, une tente, ou un étendard, tu ne peux le voir : le vent est invisible sans l’intermédiaire des formes. (123).

« Le paradis représente un sens spirituel, et l’enfer aussi. Dieu le Très-Haut a donné forme aux plaisirs du paradis à travers les beaux visages des femmes et des hommes, les jardins, les prés, la verdure, les champs, les ruisseaux d’eaux vives, l’or et les parures, les joyaux, le royaume, le Trône, le Bien-Aimé, ad infinitum, afin que les gens sachent et comprennent que ces formes belles et plaisantes ont en réalité une signification spirituelle. (138).

« Dieu n’a pas créé les formes pour les connaître Lui-même. Le Créateur a créé afin que les créatures aillent du créé au Créateur. Une belle jette des mottes de terre et des cailloux du haut d’une terrasse afin qu’on regarde en l’air et qu’on voie celle qui jette pierres et mottes et non pour qu’on s’intéresse à ce qu’elle jette. (146).

« Les prophètes sont comme des bougies. La lumière de Dieu est cette flamme qui, si elle allume les bougies, leur donne le même attribut, le même aspect et la même essence. Toutes les bougies ont un seul attribut, mais en nombre elles sont multiples. (152).

D’autres textes ont été traduits dont l’ample Valad-Nameh ou Livre de Valad258 dont on pourrait citer cent passages.

1320 Shabestarî (?-1320).

L’auteur de la Roseraie du Mystère a fait l’objet d’une étude décrivant les milieux littéraires et politiques de son temps, sa « doctrine de contemplation » et son « œcuménisme missionnaire »259. Ce célèbre poème d’un millier de vers rédigés en 1517 a fait l’objet de nombreux commentaires dont celui de Lahijî dont nous donnerons un extrait. Voici des passages du poème260 :

Prologue

« Celui dont la Lumière illumine les deux mondes

Et dont la grâce transforme la poussière d’Adam en roses ;

[…]

« Il a projeté des milliers d’images sur les pages du Non-être.

De ce souffle proviennent les deux mondes ;

Ce souffle fit naître l’âme d’Adam

En qui se manifestèrent la raison et le discernement

Grâce auxquels il perçut le principe de toutes choses.

Lorsqu’il se vit personne distincte,

Il se demanda : « Qui suis-je ? »

Il voyagea de la partie vers le tout,

Puis de là revint à ce monde,

Et vit que le monde est imagination

Comme l’unité divisée en plusieurs nombres.

D’un seul souffle proviennent les mondes de l’ordre divin (amr) et des créatures ;

À l’instant où ils paraissent, ils disparaissent de nouveau.

Bien qu’il n’existe ni véritable arrivée, ni véritable départs,

Les choses retournent à leur propre origine.

Visibles ou invisibles, elles sont toutes une.

Le Dieu Très-Haut est l’Éternel qui, d’un souffle,

Fait venir à l’existence, puis supprime, les deux mondes.

Le monde de l’ordre divin et celui des créatures sont un,

L’un devient pluriel, et le pluriel, un.

De ton imagination, naissent toutes ces formes variées :

Elles ne sont qu’un seul point qui décrit rapidement un cercle.

Du début à la fin, les créatures de ce monde

Ne parcourent qu’une ligne circulaire. […]

Question 2

Quelle pensée est la condition de ma voie ?

Comment est-elle tantôt un devoir et tantôt un péché ?

[…]

Un univers se cache dans un grain de millet,

Le cœur d’un grain d’orge vaut cent moissons,

Dans l’aile d’un moucheron se trouve l’océan de la vie,

Et dans la pupille de l’œil, un ciel.

Si petit que soit le grain du cœur,

Le Seigneur des deux mondes y fait Sa demeure.

[…]

Chacune [des parties] est désespérée d’être séparée du Tout.

Chacune voyage sans cesse et est pourtant à l’attache,

Chacune est constamment dévêtue et vêtue,

Toujours en mouvement et pourtant en repos,

Ne commençant jamais, ne finissant jamais.

Chacune connaît sa propre essence et, pour cette raison,

Se hâte sans relâche vers le Trône de l’Empyrée (Arsh),

Sous le voile de chaque atome est cachée

La beauté ravissante de la Face du Bien-Aimé !

[…]

Tu dors, tu rêves,

Tout ce que tu vois n’est qu’illusion.

À l’aube du dernier Jour, quand tu t’éveilleras,

Tu sauras que tout cela n’était qu’imagination vaine.

[…]

À l’instar d’Abraham, pars en quête de la Vérité,

Transforme la nuit en jour, et le jour en nuit.

Les étoiles, la lune, le soleil éclatant

Représentent les sens, l’imagination, la brillante raison.

O pèlerin ! de tout cela, détourne ton visage,

Et répète toujours : « Je n’aime pas ce qui disparaît »

Tel Moïse, fils d’Amran, poursuis ton chemin

Jusqu’à entendre : « En vérité, je suis Dieu ».

Tant que le mont de ton être demeure devant toi,

La réponse à « Montre-toi » sera « Tu ne Me verras pas »,

La Vérité, semblable à l’ambre, t’attire comme une paille.

S’il n’y avait pas de « toi-même », où serait la route ?

[…]

Celui qui a le cœur noir et l’imbécile sont le contraire de la lumière,

Pourtant ils sont tous deux le lieu de la théophanie.

Quand une face du miroir est noircie,

L’autre réfléchit les visages.

Les rayons du soleil, dans le quatrième ciel,

Ne sont pas réfléchis avant de toucher la poussière terrestre.

Tu es le reflet de « Celui qui est adoré par les anges », […]

Question 3

Qui suis-je ? Que signifie « Je » ?

Que veut dire « voyage en toi-même » ?

[…]

« Je » et « Tu » sont des accidents de l’Être Lui-même,

Les ouvertures des niches de la lampe de l’Être nécessaire.

Sache que corps et esprits sont tous la Lumière unique,

Jaillissant tantôt des miroirs, tantôt des flambeaux.

Tu dis : « Le mot “je” dans toutes les relations

Désigne l’esprit de l’homme. »

Mais comme tu as fait de l’intellect humain ton guide,

Tu ne distingues par ton « moi » de l’une de tes parties.

Va et apprends à bien connaître ton « Moi ».

« Je » et « Tu » sont plus hauts que corps et âme,

Car âme et corps sont des parties du « Moi ».

Le mot « Je » ne se limite pas à l’homme

Pour que tu puisses dire qu’il désigne seulement l’âme.

Élève-toi au-dessus du temps et de l’espace,

Laisse le monde et sois un monde pour toi-même.

[…]

Quand le voile est ôté de devant tes yeux,

Il ne reste rien des liens des écoles et des croyances. […]

Question 5

Qui donc parvient au secret de l’Unité ?

Que comprend le connaissant ?

[…]

Va balayer la chambre de ton cœur,

[ici un des commentaires de Lahiji placé en note261



Prépare-la à devenir la demeure du Bien-Aimé.

Quand tu en partiras, Lui, Il y entrera ;

En toi, vidé de toi, Il manifestera Sa beauté.

[…]

Question 7

À quel degré appartient la parole « Je suis la Réalité suprême » (Ana’l-Haqq)

Qu’en dis-tu ? Est-ce le bavardage d’un imposteur ?

[…]

Le buisson ardent te dira : « En vérité, Je suis Dieu. »

Cette parole fut permise au buisson.

Pourquoi serait-elle interdite à la bouche d’un juste ?

Question 12

Comment l’éternel et le temporel sont-ils séparés ?

Celui-ci est le monde, et cet autre, Dieu ?

[…]

Le monde tout entier n’est qu’imagination,

Tel un point qui tourne autour d’un axe.

Fais tournoyer une étincelle de feu

Et la rapidité du mouvement te fera voir un cercle.

Bien que l’Un soit compté, maintes et maintes fois,

Sûrement, Il ne devient pas multiple de ce fait.

Ne pense pas qu’il existe rien d’autre que Dieu.

[…]

Question 15

Idoles, cordons sacrés et christianisme, dans ce discours,

Sont tous de l’impiété. Sinon. dis-moi ce que c’est.

[…]

Renonce à l’étude qui cherche à se faire reconnaître des hommes.

Rejette le manteau des derviches, ceins-toi du cordon.

Sois semblable à notre Pîr, fais montre d’impiété.

Si tu es un homme, donne ton cœur à la vaillance,

Libère-toi des affirmations et des négations,

Consacre entièrement ton âme au jeune chrétien.

[…]

Je tombai évanoui dans la poussière.

Maintenant. je n’existe plus à moi-même, sans être mort.

Je ne suis ni sobre, ni malade, ni ivre.

Parfois, comme Ses yeux, je suis plein de joie,

Parfois, comme Ses boucles, je volète,

Parfois, de par sa nature, je gis dans les cendres,

Parfois, de par Son regard, j’entre dans la roseraie.

1321 Dante Alighieri (-1321)

Souvent considéré comme un poète mystique, il en exprime quelques intuitions. Le bénédictin Vandenbroucke, admirateur inconditionnel, présente Dante comme « le dernier génie synthétique  … en ce sens qu’après lui… les disciplines chrétiennes commencèrent à se séparer262». Je préfère la présentation et la traduction de A. Masseron263 au parti prix archaïsant retenu par A. Pézard264. Influence probable du Moyen-Orient musulman265.


Paradis, (dernier) chant XXXIII. Le poète exprime avec justesse la succession des émotions :

« 61… presque toute ma vision s’est évanouie, et je sens encore couler lentement dans mon cœur la douceur qu’elle y a fait naître.


Il exprime l’impossibilité d’exprimer le contenu d’un vécu mystique :

« 106… mes paroles seront plus impuissantes… que celles d’un enfant… 109 non qu’il y eut plus d’un seul aspect dans la Lumière vivante… 112, mais parce qu’à ma vue… un aspect unique se modifiait comme je me transformais moi-même.



Il reprend le grand thème de l’amour unificateur commun à tous :

« 85… je vis que se trouve réuni, comme lié par l’amour en un seul livre, tout ce qui est épars dans l’univers.

On peut douter de son expérience directe, malgré l’opinion de Vandenbroucke qui doutait par contre de celle d’Eckhart. Cet admirateur nous présente le poète comme « le dernier génie synthétique... en ce sens qu’après lui... les disciplines chrétiennes commencèrent à se séparer » (p.246).


1328 Maître Eckhart (~1260 - 1328).

Poème

I

Au commencement266

haut par delà sens

toujours est la Parole.

Ô riche trésor

Où toujours commencement commencement enfanta !

Ô cœur du Père

d’où en liesse

la Parole toujours flua !

Cependant le sein

a gardé la Parole, c’est vrai.

II

Des deux un flux

d’amour le feu

des deux le lien

des deux connu

flue le très doux Esprit

tout identique

inséparable.

Les trois sont un.

Sais-tu quoi ? Non.

Lui se sait lui-même mieux que tout.

III

Des trois le lien

a profonde épouvante,

cette ronde même

jamais sens ne concevra,

ici est une profondeur sans fond.

Échec et mat

temps formes lieu !

L’anneau merveilleux

est jaillissement,

tout immobile se tient son point.

IV

La montagne de ce point

gravis-la sans travail.

Lucidité !

Le chemin te porte

au désert merveilleux

qui au large au loin

sans mesure s’étend.

Le désert n’a

ni temps ni lieu,

sa manière c’est elle l’étonnant.

V

Ce bien de désert

oncques pied ne foula,

sens créé

ne vint oncques là.

C’est, et nul pourtant ne sait quoi

c’est ici, c’est là

c’est loin, c’est près

c’est profond, c’est haut

c’est ainsi

que ça n’est ni ceci ni cela.

VI

C’est lumineux, c’est transparent

c’est sombre entièrement

c’est innommé

c’est inconnu

libre de commencement, de fin pareillement

cela se tient tranquillement

nu, sans vêtement.

Qui sait sa maison ?

Qu’il en sorte

et nous dise quelle est sa forme.

VII

Deviens tel un enfant

deviens sourd, deviens aveugle !

Ton être même

faut que néant devienne,

tout être, tout néant, bannis de là tout sens !

Laisse lieu, laisse temps

et l’image également !

Prends sans chemin

le sentier étroit

ainsi viendras-tu à l’empreinte du désert.

VIII

O mon âme

sors, Dieu entre !

Sombre tout mon être

dans le néant de Dieu,

sombre dans ce flux sans fond !

Que je te fuie

tu viens à moi.

Que je me perde

je te trouve

ô bien suressentiel


Présentation et discussion

Eckhart (~1260-1328) est né près de Gotha en Thuringe et se forme dans le sillage d’Albert le Grand, au studium generale de Cologne. Il fait des séjours à Paris, où il est présent lorsque Marguerite Porete est brûlée vive. Chargé de fonctions délicates au sein de l’ordre dominicain, en Saxe et en Bohême, il développe à partir de 1313 une activité intense à Strasbourg auprès de nombreux monastères de dominicaines, et enfin à Cologne après ~1324, où il est probablement responsable du studium. Le célèbre procès qui lui est intenté naît de rivalités entre séculiers et réguliers ; il meurt à Avignon en 1329, avant la condamnation par l’irascible Jean XXII de vingt-huit articles tirés de son enseignement.

Laissant de côté une œuvre latine importante liée à son enseignement, de nature assez technique, nous sommes aujourd’hui sensibles à son liber «Benedictus» (Le livre de la consolation divine; De l’homme noble), ainsi qu’à ses sermons, dont une soixantaine en latin nous sont parvenus de  sa main, et dont environ cent soixante en allemand ont été préservés par des notes d’auditeurs.

Tauler et Suso sont ses disciples dominicains ; Grote, disciple de Ruusbroec, lui rendit probablement souvent visite ; une rencontre avec Tauler est attestée267. Puis le nom même d’Eckhart sera oublié, mais son influence demeure par l’intermédiaire de quelques sermons inclus dans les Institutions pseudo-taulériennes de 1548, si influents sur les spirituels du XVIIe siècle français. Sa redécouverte par von Baader a lieu au XIXe siècle, suivi d’un véritable culte célébré par les philosophes en Allemagne ; sa renommée atteindra la France où il apparaît dans les milieux universitaires comme le mystique du nord de l’Europe.

En effet, Eckhart accorde une place importante à la pensée comme le mode pouvant rendre compte abstraitement d’une remise totale à un Dieu qui se donne Lui-même : « Celui qui pense l’unité infinie ne peut être pensé Lui-même en dehors d’elle »268. La conception intellectuelle maîtresse d’Eckhart est approchée par Gilson ainsi : « Puisque l’âme tient par son fond le plus intime à la Déité, elle ne peut assurément jamais être hors de Dieu, mais elle peut, ou bien s’attacher à elle-même et s’éloigner de Lui, ou bien au contraire s’attacher à ce qu’il y a en elle de plus profond et se réunir à Lui. » Une continuité est ainsi posée qui atténue des effets psychologiquement nocifs d’un dualisme où la Déité est anthropomorphe : « Pour y parvenir l’homme doit s’efforcer de retrouver Dieu par delà les créatures, et la première condition pour y réussir est de comprendre qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire indépendamment de ce qu’elles ont d’être divin, les créatures ne sont qu’un pur néant. C’est pourquoi l’amour des créatures et la poursuite du plaisir ne laissent dans l’âme que tristesse et amertume. La seule créature qui puisse nous ramener directement vers Dieu est l’âme elle-même, qui est la plus noble de toutes »269.

Selon une description précisant théologiquement cette conception ainsi qu’« une sorte d’itinéraire spirituel de l’âme selon le type plotinien » : « Il s’agit de tendre à retrouver cette image éternelle et lumineuse de nous-mêmes dans le Fils de Dieu, au-delà de toute image sensible, de tout signe et de tout concept. Dieu est donc pour l’âme, le principe, le chemin et le terme ». Car l’âme est néant. Cependant il ne faut pas « imaginer faussement que Dieu aurait projeté ou créé les créatures hors de Lui dans quelque chose d’infini ou de  vide », car la création se continue à tout instant ; aussi « la créature reçoit-elle sans cesse son être du jaillissement éternel de l’Etre incréé... Le retour en Dieu se réalise dans une participation à la vie intime de Dieu, grâce à une union de l’âme avec Dieu. Cette divinisation suppose du côté de Dieu une action qui se caractérise comme une filiation270 »

Le quatorzième siècle voit ainsi s’opérer une scission entre le nominalisme universitaire « où la raison commence à connaître les lois naturelles des choses, mais où la foi renvoie à la puissance absolue d’un Dieu » et le mysticisme des couvents « qui va directement à Dieu sans passer par la nature, et ne retrouve ensuite la nature que toute pénétrée de Dieu et en quelque sorte résorbée en Lui ». Les mystiques sont bien éloignés de pratiquer une théologie mystique répondant au souhait du chancelier de l’université Gerson : « intelligence claire et savoureuse des choses qui sont crues d’après l’Évangile » 271.

Le mode intellectuel est a priori aussi acceptable qu’une description d’un état, d’une révélation, de toute expérience particulière. Mais comme la dépendance vis-à-vis de la grâce disparaît dans l’exercice intellectuel pur, propre aux philosophes admirateurs de la puissance de pensée du témoin Eckhart, le risque d’effacer le témoignage, en ne s’attachant qu’au moyen « dialectique » utilisé pour en rendre compte, est grand.  Le culte d’Eckhart est donc ambigu dès que l’on veut en déduire « une manière de », alors que c’est « sans manière et sans pourquoi » que s’accomplit l’accès à un être éternel272.

Eckhart a-t-il vécu mystiquement au niveau de son génie intuitif ? L’historien bénédictin dom Vandenbroucke pense qu’il a rendu compte spéculativement d’expériences dont il fut témoin, en particulier chez des dominicaines et des béguines, et l’oppose à l’anglais Rolle, un mystique « autobiographe »273. On rapprochera la fascination exercée par Eckhart de celle qu’exercera Silesius, et qui sera l’objet d’un même doute, venant cette fois de l’érudit laïque Orcibal. Mais s’agit-il de prudences catholiques ou de doutes justifiés ? Cependant Grote, disciple de Ruusbroec, mettait en garde contre sa pensée comme le fit aussi violemment un autre de ses disciples, le « bon cuisinier » de Groenendael.

En effet, peu d’auditeurs sont conscients de son point de vue atemporel (et a-spatial) qui explique certains « dits » extrêmes : « Son message est l’éternité. Jean Tauler l’avait bien remarqué : faisant allusion tout ensemble aux discours d’Eckhart et à leur interprétation erronée par ses auditeurs [déjà !], il énonçait catégoriquement les affirmations suivantes : L’union de l’homme avec Dieu est un processus qui doit être compris « comme un agir hors du temps dans l’éternité, hors du créé dans l’incréé, hors de la multiplicité dans l’unité ». Et encore : « Cela rend Dieu plus proche que la prière (extérieure) : là ne peuvent absolument pas accéder ceux qui ont grandi selon leur raison naturelle, ceux qui se sont élevés dans leur propre mortalité et ont vécu selon leurs sens. C’est cela qu’enseignait et disait pour vous un maître bien-aimé, mais vous ne l’avez pas compris. Il parlait du point de vue de l’éternité, mais vous l’avez entendu selon la temporalité »274.

L’éternité est une dimension qui fait irruption dans l’instant lui-même, « être-un » avec Dieu, ressenti dans un mouvement de conversion décisif, irruption dans le fond : ce que l’homme est, il l’est par un don, il ne peut rien par lui-même : « Comment en tant que néant de créature, pourrait-il posséder une capacité autonome d’expérience, en laquelle Dieu serait saisi comme un objet ? Eckhart exige au contraire de l’homme un renoncement sans limites à toute possession... l’exclusion de tout avoir au plan spirituel ...  aux antipodes d’une réalisation de l’homme par lui-même » 275.



Trois courts extraits

Ils ne peuvent rendre compte de la puissance de ses sermons, tel celui sur la recréation perpétuelle dans la circulation divine :

« Dieu accomplit dans l’âme sa naissance, engendre en elle sa parole ; et l’âme la reçoit seulement, puis l’offre aux puissances de diverses façons : tantôt comme désir, tantôt comme bon propos, tantôt comme œuvre de  charité, tantôt comme sentiment de gratitude, ou quelque autre forme qu’il revête pour venir à toi.» 276.



Il fait disparaître chez son auditeur toute possibilité d’un « entre-deux », en commençant par l’espace :

« Certaines gens simples s’imaginent qu’ils devraient voir Dieu comme s’il se tenait là et eux aussi. Cela n’existe pas ! Dieu et moi nous sommes un dans la connaissance. Et de même, si je tire Dieu en moi dans l’amour, ainsi j’entre en Dieu ! 277.»



Finalement Dieu seul «est» :

« Dieu n’aime rien en nous que sa bonté qu’Il nous manifeste. Comme le dit un saint : Dieu ne couronne rien que son propre ouvrage qu’il opère en nous ! Mais personne n’a besoin de s’effrayer si je dis que Dieu n’aime rien que soi-même : c’est là ce qu’il y a de meilleur en nous, il a en vue par là notre plus grande béatitude ! Il veut par là nous attirer en lui afin que nous nous purifiions et qu’il puisse nous transformer en lui : en sorte qu’il puisse nous aimer en lui et s’aimer en nous. Il a lui-même un tel besoin de notre amour, qu’il nous attire en lui avec tout ce qui est propre en quelque manière à nous y faire entrer, que ce soient des choses agréables ou pénibles. » 278.


1349 Richard Rolle (~1295? – 1349)

On ne sait presque rien de la vie de Richard Rolle279 : à dix-neuf ans il commence sa vie d’ermite et se sépare des règles anciennes : « Par le fait qu’il embrasse la vie érémitique, Rolle se met en marge de tout groupe social. Il ne demeure même pas, comme tant d’autres solitaires, dans le voisinage d’un monastère, et il n’éprouve pas le besoin d’une regula approuvée. Il n’a plus désormais de cadre de vie bien définie, et il se voit privé des avantages de la vie en société. Il erre çà et là. Il ne se livre à aucun travail rémunéré. Il vit de la charité d’autrui, connaît la faim, le froid, la nudité. Il est réduit à la mendicité : les solitaires “demeurent mendiants, à la porte [des riches] et ceci leur font porter leurs miettes280.” Il change souvent d’ermitage, puis entre en relation étroite avec une recluse d’Anderby, Marguerite Kirkby, avant de se fixer à Hampole où il entretient des relations avec un couvent de cisterciennes. La date de sa mort correspond à celle où la grande peste atteignit l’Angleterre.

L’Incendium Amoris est son œuvre la plus connue. Le Melos Amoris ou Chant d’Amour, écrit lorsque Rolle avait une “bonne trentaine d’années”, se présente comme un poème en prose qui chante la pauvreté spirituelle, conséquence de la vie contemplative plutôt qu’un préambule. À l’opposé des spirituels dominicains germaniques qui enseignent des communautés, Rolle témoigne directement de sa propre expérience, son but étant d’y attirer les autres, comme le montre la belle ouverture du Chant :



L’amour rend l’âme audacieuse. Il l’extirpe du gouffre, dès lors que le feu du Créateur éternel l’embrase comme une bien-aimée. Puis il l’accueille sur des sommets qui dépassent la sagesse du monde, et alors tout lui devient indifférent, sauf la sainteté. Or, elle me presse à tel point, cette violence d’amour, que j’ose prendre la parole. Je veux instruire les autres et leur montrer la grandeur de ceux qui aiment avec feu, la justice de ceux qui jubilent en Jésus, l’amour de ceux qui chantent en harmonie avec le ciel, et enfin la clarté de ceux qui peuvent capter dans leur conscience l’ardeur incréée et la jouissance sans déclin. /Dès lors, voyant comment le Créateur a conduit le jeune homme (que je suis) jusqu’à l’éclosion de la vraie Justice, nul ne pourra désormais nier que Dieu ne donne sa douceur aux hommes dès cette vie, ne les glorifie, aujourd’hui encore, de la richesse de sa mélodie d’une saveur de miel, ainsi qu’il avait coutume de le faire pour les saints de jadis281.”



Et sur un mode plus objectif et comparatif, il insiste sans cesse sur l’expérience :

Sans un amour brûlant, sans l’expérience de la grâce qui soulève les saints et fait bondir les purs hors du péché, qui donc pourrait avoir, dès cette vie, la certitude de l’élection et du salut éternel ? Bien plus, supposez qu’un homme s’abstienne de toute haine et colère,... si pourtant il est privé du chant qui purifie et ennoblit, le seul bien spirituel qu’il puisse espérer c’est d’être délivré des filets au jour de la terreur... Sans cesse il lui faut se préoccuper de son salut et se tenir en garde... Voici par contre celui qui visiblement a jeté au vent l’antique vanité. L’ennemi avec son astuce n’est plus sur sa route. La ferveur céleste, envahissante et savoureuse, s’allume en son âme, l’amour divin répand douceur et grâce en son cœur fidèle. Il avance à grands pas triomphants, participe gratuitement à la gloire, reçoit du ciel la joyeuse jubilation et devient le compagnon des chantres de l’amour…282”.



Son appel à la conversion se présente coloré comme un tableau flamand de la fin du moyen-âge, auquel vient s’ajouter le clair-obscur d’un brouillard d’outre-Manche (que l’on retrouvera dans le Nuage d’Inconnaissance) :

Nous avons anéanti la Vipère venimeuse en rejetant tout ce qui est vil aux yeux de qui aime véritablement. C’est ainsi que survient le charme que nous convoitons, et que l’amour fait irruption dans le cœur de ceux qui chantent en accord avec les élus aimés de Dieu. Leur clarté s’affermit, leur conscience ne sombre pas dans le brouillard, mais s’éclaire de plus en plus jusqu’à ce que, bien-aimée de Dieu, l’âme soit transportée dans la demeure où il ne faudra plus apprendre, et contemple la Sagesse éternelle qui illumine tout... Les orgueilleux et les pécheurs se verront abaisser dans leurs vices, affreusement tristes, et lorsqu’ils découvriront la nuit horrible que ne peuvent éclairer les rayons des étoiles [Sagesse, 17, 5.] et qu’une opacité sans limite les enveloppera, tous les cupides seront confondus avec les charnels qui étaient captifs de leurs convoitises. Ils tomberont dans la prison de brouillard et le chaos catastrophique. Les prélats pervers et tous les pécheurs pourris brûleront sans arrêt 283…”



Au-delà de la lutte, c’est l’action divine qui seule peut embraser le cœur :

Mon cœur est pareil à la cire, il fond au milieu de mes entrailles [Psaume 21,15].” Exposée au feu, nous voyons la cire fondre et s’écouler en une sorte de pâte amollie par la chaleur. Le cœur, lui aussi, réconforté par la consolation de l’amour, mieux encore, saisi par son feu, brûle d’ardeur et aspire à entendre l’harmonie angélique. Oui, comme la cire subit l’action du feu, de même, soudain liquéfié, le cœur se sent embrasé jusqu’en ses plus secrètes profondeurs et, tel un joueur de cithare, enlevé jusqu’au ciel284.»



Rolle parle pour tous les ermites cachés dont l’ardeur fait fi des maisons confortables. La vie mystique est le prélude, l’« inchoation » de la vie céleste :

« Tous alors vivraient dans la jubilation. Ils deviendraient justes. Ils brûleraient d’amour pour l’Auteur de l’univers. Ainsi les uns n’auraient-ils aucune part au châtiment du Charlatan détestable et les autres échapperaient-elles aux filets des séducteurs qui se lamenteront et pleureront d’avoir ri. Mais j’en suis convaincu : ces parfaits se cachent aux yeux des hommes et ne s’affichent pas comme font les autres. Leur existence est toute différente de celle qu’on mène pour l’ordinaire dans une maison de conven­tuels. Ils sont enflammés de façon singulière par le goût de la divine Sagesse. Ils brûlent, dans l’intime de l’âme, d’un amour sans limite qui les assimile aux Séraphins. Leur comportement extérieur, lui aussi, est supérieur à celui du commun et apparaît, à qui l’observe, supra­naturel et même impossible. Mais en réalité, si grande, si débordante, est pour ces amants l’allégresse de la jubilation et de la mélodie céleste, que cette vie leur devient facile et délectable alors que les autres la qualifient de dure et même d’intolérable. C’est ainsi que leurs mérites seront pour le monde un rempart sans prix, et que leurs prières pour la patrie apaiseront le Tout-Puissant285.»



Il insiste sur la possibilité de libération offerte ici et maintenant, ce dont il témoigne personnellement :

«L’entrée est libre, la porte s’ouvre, et elle est ensuite gardée contre toute incursion étrangère. O amour si bienfaisant! O bienfait si aimable! Il nous procure tous les biens et sans lui nous n’en possé­dons aucun pour notre salut. Il est le soutien de ma session, la joie de mon silence, le baume de ma pénitence, l’élan de ma prière, la douceur de ma méditation, l’aliment de ma contemplation, l’onction de mon chant, l’inspiration de mes écrits. Pas de faux pas pour qui l’aime! Le chemin est droit pour qui le garde286.»


1361 Tauler (~1300-1361)

Né autour de l’an 1300 d’une famille aisée de Strasbourg, il entre vers quinze ans au couvent des Dominicains. Il étudie dans les couvents d’Allemagne du Sud, achevant sa formation dans sa ville natale. Cette période est troublée, ce qui perturbe la vie communautaire : tandis que certains frères connaissent l’abondance, d’autres souffrent de la faim. Des troubles politiques liés à l’excommunication de l’empereur poussent la majorité des frères à trouver refuge à Bâle, ville où la présence de Tauler est attestée en 1339. Les dominicains ne retrouvent leur couvent de Strasbourg qu’en 1343. Tauler est actif dans le cercle des « Amis de  Dieu ». Il se rend à Cologne en 1346 ; il ressent, lors de la peste noire de 1347, « les coups de la main de Dieu  qui anéantit tant de milliers d’hommes par une mort soudaine. »

Il est devenu le père spirituel de Rulman Merswin, banquier converti qui vivait à Strasbourg dans « l’Ile Verte ». L’énigmatique figure de « L’ami de Dieu de l’Oberland » serait une fiction littéraire créée par ce dernier ou par son secrétaire. À cet « ami » était attribué un ensemble de seize traités, dont un fameux récit, probablement imaginaire, de la conversion de Tauler et vingt-deux lettres.287.

Tauler exerce son apostolat « dans les sept couvents de dominicaines et les quelque soixante communautés de béguines (chacune comprenant une à deux douzaines de femmes) de Strasbourg ». Un voyage à Paris devrait se placer après 1350, tandis qu’une visite rendue à Ruusbroec aurait pu avoir lieu au cours de la décade suivante. Il est sûr que ce dernier a fait parvenir aux Amis de Dieu de Rhénanie en 1350 un exemplaire de L’ornement des noces spirituelles. Tauler meurt le 16 juin 1361, date gravée sur la pierre de son tombeau conservée dans le cloître de l’église protestante du Temple-Neuf, l’ancienne église des Dominicains. Son œuvre a exercé une grande influence, sur Silesius et même sur Luther aussi bien que dans le monde catholique, alors que les autres rhéno-flamands (dont Eckhart, condamné), tombaient dans un relatif oubli.

Le corpus tenu pour authentique comprend au moins quatre-vingts sermons. Leurs analyses « supposent une structure familiale de la communauté : la prieure est la mère, l’aumônier est le père spirituel, les membres de la communauté sont sœurs, filles, enfants ». Le public était composé essentiellement de religieuses ou de béguines. Tauler se désigne comme « maître de vie ». Ses emprunts à Eckhart et d’autres sont transformés de façon très personnelle.

Les trois étapes de la jubilation, de la nuit, du dépassement, débouchent dans une expérience d’unité avec Dieu dans le gemuet ou mens ou esprit, en rapport avec le grunt ou noble fond288.

« Dieu ne désire dans le monde entier qu’une seule chose, la seule dont il ait besoin, mais il la désire d’une façon si extraordinairement forte qu’il lui donne tous ses soins. Voici cette seule chose : c’est de trouver vide et préparé le noble fond qu’il a mis dans le noble esprit de l’homme, afin de pouvoir y accomplir son œuvre noble et divine289.» 

Aussi l’homme prisonnier doit tendre à son terme divin et pour cela le percevoir. Tauler utilise une analogie visuelle : il utilise l’image de la fente ou d’un treillis, premier plan qu’il faut oublier, pour accommoder au but lointain :

« L’homme devrait tendre à Dieu avec tant d’application, qu’il n’ait plus d’attention pour toutes ces choses, qui se greffent de droite ou de gauche sur l’une ou l’autre grâces reçues. C’est tout comme quelqu’un qui, de toutes ses forces, regarderait très attentivement un objet à travers une fente étroite ou un treillis serré ; tant qu’il considère avidement, de toutes ses forces, l’objet ainsi regardé, l’intermédiaire ne l’empêche pas de voir ; mais dès qu’il dirige son attention sur cet intermédiaire et qu’il se met à l’examiner, alors cet objet interposé, si petit et si mince soit-il, lui cache l’objet qu’il voulait regarder.

L’analogie est profonde, elle existe aussi dans d’autres traditions en lui ôtant tout caractère dualisant (le ciel remplace l’objet visé par l’archer au travers d’une fente) :

« … comparons le Bhairava à un ciel vaste, lumineux et sans limite, qui ne serait perceptible qu’à travers un fin réseau de découpures bariolées, variées à l’infini et de surcroît constamment agitées n’ayant jamais vu le ciel autrement qu’à travers cet écran, on le confondrait avec la multitude de découpures tangibles et mouvantes, alors qu’en fait le ciel — à l’image de la pure conscience — reste intact en son essence inaltérable  indivise290.» 

Voir ne suffit pas, il faut sortir de nous-mêmes dans la nudité, c’est-à-dire sans désir ni représentation :

« Si nous voulons maintenant sortir de nous, bien plus nous élever en dehors et au-dessus de nous-mêmes, alors nous devons renoncer à tout vouloir, désir et agir propres. Il ne doit rester en nous qu’une simple et pure recherche de Dieu sans plus aucun désir d’avoir rien qui nous soit propre, et en quelque manière que ce soit, sans aucun désir d’être, de devenir ou d’obtenir quelque chose qui nous soit propre, mais avec la seule volonté d’être à lui, de lui faire place de la façon la plus élevée, la plus intime avec lui pour qu’il puisse accomplir son œuvre et naître en nous, sans que nous y mettions obstacle. En effet, pour que deux êtres puissent n’en faire qu’un, il faut que l’un se comporte comme patient et l’autre comme agent : pour que l’œil puisse percevoir les images qui sont sur ce mur, ou tout autre objet, il doit n’avoir en lui aucune autre image. N’eût-il même qu’une image d’une couleur quelconque, jamais il ne pourrait en percevoir d’autre, de même l’oreille qui est pleine d’un bruit ne peut en percevoir un autre. Ainsi donc tout ce qui doit recevoir doit être pur, net et vide291.»

L’élan donné par Dieu assure la plongée dans un calme silence, l’unification et l’engloutissement de l’esprit :

« Quand la nature a fait ainsi ce qu’elle doit faire et ne peut pas aller plus loin, étant arrivé au plus haut degré, le divin abîme vient et fait jaillir ses étincelles dans l’esprit. Par la vertu de ce secours surnaturel, l’esprit transfiguré et purifié est tiré hors de lui-même et jeté dans une recherche et un désir de Dieu, dont l’élan extraordinaire, purifié ne saurait s’exprimer.... cela dépasse toute mesure, puisque cela provient de l’immensité divine. Dans cet état, l’esprit, purifié et transfiguré, se plonge dans les divines ténèbres, dans un calme silence et dans une inconcevable et inexprimable unification. En cet engloutissement se perdent toute convenance et toute disconvenance ; en cet abîme, l’esprit perd conscience de lui-même, et ne sait plus rien ni de Dieu, ni de lui-même, ni de la disconvenance, plus rien de rien, car il s’est abîmé dans l’unité de Dieu et a perdu le sentiment de toute distinction292.»

La contemplation n’est cependant pas le terme de la vie mystique, mais constitue un viatique préparant l’homme à une longue purification ; le pèlerin passe par des chemins déserts, avant d’être divinisé et perdu dans l’être simple :

« Voici maintenant le second degré. Quand Dieu a entraîné l’homme bien loin de toutes choses, qu’il n’est plus un enfant, quand il l’a fortifié par le rafraîchissement de la douceur, il donne alors en vérité du pain de seigle bien dur à celui qui est maintenant devenu homme et parvenu à l’âge de la maturité. ... Quand Notre Seigneur a ainsi bien préparé l’homme, par cette insupportable oppression (car cela le prépare mieux que toutes les pratiques que pourraient accomplir tous les hommes), alors le Seigneur vient et porte cette âme au troisième degré.... Dieu fait alors passer l’homme d’un mode encore humain de vie à un mode tout divin, de la détresse la plus complète à une sécurité divine. À ce degré, l’homme est tellement divinisé que tout ce qu’il est et opère, c’est Dieu qui l’est et l’opère en lui. Il est si élevé au-dessus du mode d’être naturel, qu’il devient réellement par grâce ce qu’est Dieu essentiellement par nature. Ici, l’homme a l’impression et le sentiment qu’il est comme perdu ; il ne sait, il n’éprouve, il ne sent plus rien de lui-même. Il n’a plus conscience que d’un être tout simple293.» 

Ce qui importe : s’enfoncer dans le renoncement !

« Mes enfants, en deux mots : tout ce en quoi l’homme recherche son repos et qui n’est pas uniquement Dieu, sans mélange, tout cela est vermoulu. ... Ce qui importe est de s’enfoncer, purement et simplement dans ce bien pur, simple, inconnaissable, ineffable et mystérieux qu’est Dieu, en se renonçant à soi-même et à tout ce qui peut se dévoiler en lui294.» 

La transformation passe par la nudité : néant dans le néant, l’homme est dans la meilleure situation possible !

« L’homme à ce moment s’abîme si profondément dans son insondable néant, il devient tellement petit, si réduit à rien, qu’il en perd tout ce qu’il a jamais reçu de Dieu ; il renvoie purement tout ce bien à Dieu qui en est l’auteur ; il le rejette comme s’il ne l’avait nullement acquis, et il se trouve ainsi anéanti et nu autant que ce qui n’est rien et n’a jamais rien acquis. C’est ainsi que le néant créé s’enfonce dans le néant incréé... Là l’esprit s’est perdu dans l’esprit de Dieu, il s’est noyé dans la mer sans fond. Et cependant, mes enfants, ces hommes sont en meilleure situation qu’on ne peut le comprendre et le concevoir. Cet homme devient alors un homme si profondément humain, si dégagé d’individualisme, si vertueux, si bon, d’une conduite si pleine de charité, familier et affable avec tout le monde, [et] cependant, l’on ne peut voir ou découvrir en lui aucun défaut295.» 

Le chemin est : « Je ne suis pas » :

« Bien chères enfants, celui qui parviendrait seulement à atteindre le fond de l’aveu de son propre néant, celui-là serait parvenu au chemin le plus aimable, le plus direct et le plus court, le plus rapide, le plus sûr menant à la vérité la plus haute et la plus profonde qu’on puisse atteindre en ce siècle. Pour cela, personne n’est trop vieux, ni trop faible, ni trop inexpérimenté, ni trop jeune, ni trop pauvre, ni trop riche. Ce chemin c’est : “Je ne suis pas” Ah ! Quelle valeur ineffable est enfermée dans cette parole : “Je ne suis pas.” Hélas ! tournez la chose comme vous le voulez, il y en a bien peu qui veulent cette voie, car toujours nous voulons être quelque chose, oui, Dieu nous le pardonne : nous sommes et nous voulons et voudrions toujours “être”296.»

Au terme du chemin mystique personnel, la prière au service de la communauté des hommes devient alors possible, car efficace :

« … ils s’occupent de leurs amis, des pécheurs, des âmes du purgatoire, ils pourvoient en toute charité aux besoins de chaque homme en toute la sainte chrétienté, non pas en priant individuellement pour dame Mathilde ou Cunégonde, mais d’une manière toute simplifiée et essentielle. De même que d’un seul regard, je vous contemple tous ici, assis devant moi, ainsi embrassent-ils tout d’un seul regard, comme le font les contemplatifs. Puis ils reportent leurs regards dans l’abîme de l’amour, dans la fournaise d’amour, et s’y reposent. Alors cette ardente flamme d’amour retombe comme une rosée, sur tous ceux qui, dans la sainte chrétienté, sont dans le besoin, pour, de là, retourner bientôt dans l’abîme divin, à l’aimable repos des silencieuses ténèbres. C’est ainsi qu’ils entrent et sortent et demeurent cependant toujours dans l’aimable et silencieux abîme où est leur être, leur vie, où est aussi tout leur agir et tout leur mouvement. Où qu’on les rencontre, on ne trouve jamais en eux qu’une vie divine297.» 

§



J’ai utilisé jusqu’ici la traduction des Sermons par Huguenin-Théry (1930), une «intégrale» (?) établie sur l’éd. de Vetter (1910), «la première qui ait eu une valeur scientifique» (J.-P.Jossua, p.10). Mais pour pleinement apprécier spirituellement Tauler et ses proches il est utile de lire les Exercices ou méditations ainsi que les Institutions. Ils sont traduits de l’excellent Surius (1522-1578) par E.-P. Noël (édition 1911-1913)298. La qualité des textes est comparable (Surius était un bon spirituel). Aussi je livre ici en complément :

Tome I DEUXIÈME DIMANCHE DE L’AVENT (1)

Nombreuses sont, mes bien-aimés, les marques de l’amour et de la bonté infinis de Dieu à notre égard. De quelque côté que nous nous tournions, nous voyons partout les signes de sa bienveillance et de sa tendresse : si bien que personne n’échappe à son ardeur bienfaisante (Ps., 18i. Cette bonté immense, dans laquelle le mal n’a aucune part, qui n’est pas quelque chose d’adventice à Dieu, mais sa propre nature et 257 son essence même, cette bonté, dis-je, que peut-elle vouloir, sinon aimer, se donner, se manifester, se communiquer et se transmettre? Tout cela, elle le fait, autant qu’il est en elle, sans la moindre relâche, sans la moindre acception de personnes, sans le plus petit blâme. Ainsi donc, il n’y a pas un moment, un point du temps, si court soit-il, où Dieu ne veuille, et de toutes ses forces, remplir toute âme raisonnable de tous ses biens, de toutes ses grâces, de tous ses dons et de toutes ses richesses; il n’y a pas d’instant où Il ne veuille faire d’elle son habitation, demeurer en elle fidèlement et avec délices, la purifier et la préserver de tout mal, l’orner de toutes les vertus comme autant de belles pierres précieuses. Plût à Dieu, je ne dis pas que nous fussions dignes de tant et de si grands bienfaits, pauvres vers de terre que nous sommes, mais du moins que nous fussions prêts et capables pour les recevoir I

Dieu s’offre tout entier, et hélas! il n’y a presque personne qui daigne s’en apercevoir. Il se tient debout, frappant à la porte de notre âme; à quiconque lui ouvre, il promet d’entrer chez lui, pour manger avec lui. Qu’est-ce que ce repas du Christ avec l’âme, sinon le désir où II est de restaurer cette âme en la faisant participer à sa bienheureuse et ineffable divinité, à tous les biens qui en découlent? Cette pauvre âme, il veut la réchauffer, la bercer sur son cœur, la plonger dans le sommeil de la douce contemplation. Mais hélas! presque tous le repoussent.

Tome I SERMON DU DIMANCHE DANS L’OCTAVE DE L’ÉPIPHANIE

Mais, quelqu’un me dira, sans doute : C’est entendu, il faut que l’homme quitte tout, qu’il soit exilé complètement, que toutes ses puissances, au dedans et au dehors, soient dans le repos et comme suspendues. Mais, alors, s’il en est ainsi, être abandonné de Dieu, rester dans la désolation, c’est un supplice affreux, et le Prophète lui-même, qui en avait fait l’expérience, demande à en être délivré quand il s’écrie : «Malheur à moi I parce que mon exil est prolongé» (Ps., 119). Supposé que Dieu prolonge ainsi l’exil et la désolation d’un homme, sans se montrer à lui intérieurement, sans lui parler, sans rien opérer en lui, comme nous l’avon's vu plus haut, et comme vous-même nous rayez enseigné, supposé que cet homme soit ainsi placé à demeure dans une sorte d’anéantissement; vous allez bien lui permettre, au moins, de faire quelque chose pour chasser ces ténèbres, pour sortir de cet épouvantable exil; vous le laisserez, par exemple, prier, lire, assister aux sermons, se livrer, enfin, à des 423 exercices pieux et saints, à des actes divins?

Pas le moins du monde. Pour l’homme élevé à ce degré de perfection, il n’y a rien de meilleur, rien de plus utile que de rester ainsi longtemps, et en repos. Il ne peut, sans un grave détriment, en sortir pour n’importe quel motif. Ce serait, en effet, vouloir être préparé en partie par Dieu, en partie par lui-même; ce qui ne peut pas être. Quel que soit le désir de l’homme et la rapidité avec laquelle il pense à sa préparation, Dieu est là, infiniment plus prompt encore à le préparer.

Tome V FETE DE LA DÉDICACE DES ÉGLISES DEUXIÈME SERMON

Le royaume de Dieu est au dedans de vous» (Luc, 17). Ils trouvent la Vérité, tandis que celle-ci reste inconnue à ceux qui ne demeurent pas chez eux. Il faut être dans sa maison pour la connaître.

C’est là, vous dis-je, qu’ils trouvent ce dont nous parle saint Denys, lumen in lumine, la lumière dans la lumière, et cette lumière dépasse infiniment tout ce que la raison, la pensée et l’intelligence peuvent nous montrer. Il y a à Paris des Théologiens remarquables qui lisent de grands in-folio et tournent des pages et des pages. Ils font bien, certes, et je me garde de les blâmer. Mais les hommes dont nous parlons lisent le livre de vie dans lequel toutes choses vivent; ils parcourent le ciel et la terre et partout ils lisent les œuvres merveilleuses de Dieu.

[…] 415 Car, enfin, c’est Dieu qui est là présent, et, en la présence de Dieu, les tristesses, les douleurs, les misères, les afflictions s’évanouissent. Ceux-là seuls le savent qui en ont fait l’expérience. Mais ils ne le savent pas, du moins en cette manière, les Docteurs même les plus savants, qui n’ont expérimenté rien de semblable.

[…] Qu’est-ce que la prière? Et d’abord, pour nous conformer au témoignage commun, c’est l’ascension de l’esprit (mentis) vers Dieu; mais, dans un sens plus spirituel encore et peut-être plus proche de la vérité, la prière, c’est l’entrée (intro-versio) unitive de l’esprit créé dans l’esprit incréé de Dieu, avec la conviction qu’on est mû par l’éternité de la divinité. […]

Tome VI EXERCICES OU MÉDITATIONS

32 O mon Seigneur et mon Dieu, vous m’avez tellement entouré de vos immenses dons et de vos bienfaits; vous m’avez tellement embrassé par votre incompréhensible amour, que je ne puis me dérober à son ardeur brûlante, et que mon esprit, comme malgré lui, se met à chanter vos louanges. Voici que mon cœur brûle de vous louer, de vous remercier autant qu’il lui est possible de le faire; mon esprit jubile sans mesure de vous bénir, et mon âme vous glorifie parce que votre grâce est descendue, abondante, sur moi!

Tome VII QUELQUES EXHORTATIONS ET CONSEILS

310 Après cela, il contemplera la propriété de l’unité unique de cette essence. Dieu, en effet, est au terme ultime de la simplicité ou de l’unité; en Lui, toute multiplicité est unifiée et réduite à la simplicité, dans son essence uniquement une.

De plus, son essence est son opération, sa connaissance, sa récompense, son jugement, sa justice, sa miséricorde. Tout cela, en Lui, est un. Par opposition, l’homme rapprochera de cette unité son incompréhensible multiplicité, afin que Dieu la rende simple, et la ramène à l’unité, dans la simplicité de son essence.

Puis, enfin, que l’homme considère combien Dieu est ineffablement caché, suivant cette parole d’Isaïe : «Vous êtes vraiment le Dieu caché» (Isaïe, 45). Il est, en effet, d’une manière très secrète en toutes choses, et plus intimement de beaucoup, que ces choses ne sont en elles-mêmes. Il demeure dans le fond même de notre àme, caché à tous les sens et entièrement inconnu. C’est donc là que l’homme devra s’introduire et pénétrer de toutes ses forces, bien loin au dessus de toutes ses pensées; c’est là qu’il devra entraîner toute sa vie extérieure (externilalem), non moins éloignée et étrangère à lui-même et à toute vie (internitati) intérieure, que la brute et l’animal 311 vivant uniquement par les sens. En même temps il se plongera et se cachera dans les secrets de Dieu, loin des créatures et de tout ce qui est étranger ou dissemblable à cette essence.

Et tout cela se fera non seulement par l’imagination ou par la manière de penser, mais d’une façon essentielle et actuelle, d’une façon, en quelque sorte, sensible et perceptible, au dessus des sens, par l’application de toutes ses forces et de tout son désir.

Après quoi, il sera permis de considérer une autre propriété, celle de la solitude divine, dans la silencieuse et tranquille unité. Là, dans cette essence, aucune parole ne se fait entendre, aucun acte ne se produit d’une manière essentielle; mais le silence y est absolu, tout y est souverainement mystérieux c’est une ineffable solitude; c’est le désert. Absolument rien n’arrive jusque-là : il n’y a que Dieu seul, Dieu très pur, sans rien d’étranger, sans l’image d’aucune créature, sans un mode d’aucune sorte.

Notre-Seigneur parle de cette solitude quand il dit par son prophète Osée (chap. 2) : «Je la conduirai (l’âme) dans la solitude et là le lui parlerai au cœur».

Tome VII CANTIQUES SPIRITUELS du Docteur Sublime et Illuminé Jean Tauler, Ier CANTIQUE

Je suis réduit à rien (Ps., 72). Quand on est arrivé à la nudité d’esprit, il n’y a plus de souci à avoir. Nul mal ne saurait désormais me troubler. Je me délecte tellement dans la pauvreté que je ne puis plus m’occuper des choses et des images qui m’entourent. Que dis-je? le moi ne m’appartient plus, j’en suis dégagé, je suis libre.

Je suis réduit à rien. Quand on est arrivé à la nudité d’esprit, il n’y a plus de souci à avoir. Comment me suis-je délivré des images, me demandez-vous? Cela s’est fait quand j’ai trouvé en moi la véritable unité. Mais qu’est-ce que la véritable unité? C’est 333 quand rien ne m’a ému, ni l’adversité, ni le bonheur.

Je suis réduit à rien. Quand on est arrivé à la nudité d’esprit, il n’y a plus de souci à avoir. Comment me suis-je délivré de l’esprit, me demandez-vous? Cela m’est arrivé, je vous le déclare, quand je n’ai plus rien trouvé en moi, ni ceci ni cela, mais que j’ai perçu uniquement l’abîme infini et pur de la Divinité. Alors, je n’ai pas pu me taire et j’ai été forcé de le crier au public.

Je suis réduit à rien. Quand on est arrivé à la nudité d’esprit il n’y a plus de souci à avoir. Je me trompe : quand je me suis trouvé perdu dans cet abîme, je n’ai pas pu parler. Je suis devenu complètement muet : tellement la fulgurante Divinité m’avait tout entier absorbé en elle.

Je suis réduit à rien. Or, cet éblouissement m’a donné des forces sans mesure, car j’avais pénétré Tout. En sa présence je ne puis pas vieillir […] 299.

Tome VII ÉPILOGUE

1. 509 Et d’abord, croyez fermement que vous êtes en Dieu, que Dieu est présent au dedans de vous, ainsi que le certifie l’Evangile du Christ et l’Ecriture divine (Jean, 6, 17 et t Jean, 4). Mais pour voir clairement cette vérité, il faut un don de Dieu. Demandez ce grand don.

2. Ensuite, dès que vous saurez, à n’en pas douter, que vous êtes en Dieu, vous devez apprendre à vivre et à demeurer en Lui.

~ 1361 L’Imitation de la Vie Pauvre de N.S.J.C.

Ce chef d’œuvre a souffert probablement de la date peu propice d’édition de sa traduction française (1914) et certainement de son caractère supposé apocryphe. Il était cependant considéré au milieu du XIXe siècle, par l’érudit notable Ch. Schmidt, comme le «meilleur des ouvrages de Tauler, son œuvre principale. »300. Il apparaît comme radical, insistant sur la pauvreté absolue, intérieure et matérielle, traduisant peut-être les vues de groupes hétérodoxes, ce qui n’a pu que nuire à son appréciation par certains. Son contenu est mystique contrairement à une grande partie de l’Imitation de Thomas a Kempis marquée par l’ascèse.

L’Introduction de la traduction française de L’Imitation de la vie pauvre défend la thèse de l’attribution à Tauler et explique des circonstances particulières de la parution de cet ouvrage issu de l’allemand (et non du latin de Surius) par l’anonyme chanoine traducteur. Ce dernier est certainement l’auteur de la note la plus longue que j’ai jamais rencontrée! Elle est très intéressante et profonde, même si son tribut à l’idéalisme post-kantien en vogue au début du XXe siècle est évident (mais Kant ne demeure-t-il pas le plus grand des philosophes modernes?). Note qui serait probablement devenue préface si son auteur avait consenti à sortir de son anonymat 301.

« Dieu ne peut pas donner à la volonté qui l’aime, un amour inférieur à celui qu’il reçoit, et celui qu’il reçoit n’est pas autre chose que la mesure comble qu’il donne, en se donnant Lui-même ; et c’est ainsi que la volonté, en cherchant de plus en plus à embrasser Dieu dans une étreinte amoureuse, se trouve devant un bien toujours plus grand à saisir et à embrasser encore…302 » .



Le texte de L’Imitation de la vie pauvre… est divisé en deux parties : « I, Nature de la vraie pauvreté ou de la perfection » : la pauvreté d’esprit nous rend semblable à Dieu dans son indépendance, sa liberté, son acte pur ; opérations de la nature, de la grâce. « II, Moyens pour arriver à la vraie pauvreté… » : Les obstacles rencontrés, quatre moyens à mettre en œuvre, quatre chemins, conclusion. Nous ne pouvons qu’inciter à découvrir cette œuvre très dense :


« 86. … Dieu ne peut pas donner à la volonté qui l’aime, un amour inférieur à celui qu’il reçoit, et celui qu’il reçoit n’est pas autre chose que la mesure comble qu’il donne, en se donnant Lui-même ; et c’est ainsi que la volonté, en cherchant de plus en plus à embrasser Dieu dans une étreinte amoureuse, se trouve devant un bien toujours plus grand à saisir et à embrasser encore et ce qu’il lui reste à posséder de ce bien la réjouit plus que ce que, déjà, elle a le bonheur d’avoir. 303.


« 99.… La renaissance intérieure a lieu quand l’âme éclairée de la lumière divine pénètre dans le sein paternel de Dieu et lui fait don de toutes ses puissances, de son cœur, de toutes ses facultés, les lui abandonnant comme une pâture. Elle se perd toute entière en Lui ; elle n’a plus de cœur, plus de force, plus de volonté. Et Dieu lui donne en retour son cœur, sa volonté, sa force. Le cœur de l’homme devient ainsi un cœur divin…304.


§ 3. Dieu infiniment simple demande la simplicité et l’unité.

« 126. Ainsi donc, voulez-vous ne pas être trompé ? N’occupez pas votre esprit à la multiplicité des choses extérieures. Il y a trop d’illusions. Retirez-vous dans votre intérieur et visez l’unité de la vie spirituelle. Dans cette unité et cette pureté vous ne pouvez pas vous tromper. N’allez pas vous égarer dans le domaine de l’imagination où toutes les erreurs sont possibles, car vous seriez exposé à prendre pour autant de vérités des images vaines ou curieuses. […] Dieu est invisible, élevé au-dessus de toutes les images et de toutes les représentations des sens. Ce qu’il opère et communique est tellement simple que personne ne peut le représenter par des images, que dis-je ? Personne ne peut en parler. Celui-là seul qui en a fait l’expérience connaît la vérité pure : il sait qu’il en est ainsi et il ne veut rien savoir des visions ou révélations qui se produisent, surtout à notre époque. […]


« 127. Bien plus, il peut arriver qu’une âme simple et pure, unie à Jésus-Christ par l’amour le plus parfait, soit obligée de renoncer à toute représentation par figure qu’elle s’est faite de la Vérité divine, si elle veut rester dans toute sa pureté et sa simplicité et ne pas mettre obstacle à l’opération divine en elle, car (ne l’oublions pas) l’action immédiate de Dieu est au-dessus de toute représentation par figures et par images. Sans doute, tel homme parfait sera peut-être mis en demeure de se faire intellectuellement une représentation, une idée de la Vérité, afin de pouvoir la transmettre à son prochain d’une manière claire et intelligible. Mais, ce devoir de charité une fois rempli, la représentation de cet objet devra disparaître de nouveau de son esprit […]


« 128. Cet amour si ardent et si fort est appelé l’amour agissant, parce qu’il opère aussi longtemps qu’il y a dans I'homme une imperfection à détruire. Quand toutes les inégalités, tous les défauts ont disparu, quand tous les obstacles ont été éloignés, quand la victoire est complète, alors le cœur est envahi par la paix la plus douce, par l’amour le plus suave. C’est l’amour patient, l’amour qui souffre Dieu. Ce n’est plus lui qui agit, c’est Dieu qui agit et l’âme qui subit l’action divine. Cette âme pénètre en Dieu, dans son éternité, et Dieu l’attire par lui-même, en Lui-même, et de la sorte, il se fait que l’amour de Dieu et l’amour de l’âme ne sont plus qu’un seul et même amour. […]


« 129. C’est dans le fond très simple et très pur de notre âme que se produit cet amour divin très simple et très pur. Cet amour fait désormais les délices et la joie la plus vraie du cœur ; joie sans aucune illusion, délices véritables, parce qu’elles sont surnaturelles, vraiment divines. Impossible d’y trouver la moindre opposition avec la Vérité qui est Dieu même. Non seulement cette joie divine n’est pas sujette à la moindre illusion ou erreur, mais elle fait disparaître toutes les joies naturelles qui seraient contraires à Dieu. Cependant cette souveraine douceur de l’esprit ne doit pas être regardée comme la fin suprême de l’âme. Ce n’est pas à cause de cette joie que l’âme doit aimer Dieu, que dis-je ? elle doit être prête à y renoncer. Dieu veut être aimé pour Lui-même. […]305.

1366 Suso (~1295-1366)

Suzo rentre à treize ans au couvent des dominicains à Constance. Sujet d’élite envoyé au Studium generale de Cologne, il rencontre Eckhart qui tire le jeune religieux d’un scrupule touchant sa vocation. Connaître puis aimer lui demande de longues années de retraites et de pénitence avant de devenir le guide éclairé de moniales ferventes et cultivées : « Les enseignements de Suso se réfèrent à une expérience, ils s’autorisent du témoignage d’une vie qui lui valut la réputation d’un Saint-François de Souabe. ... le primat revient à une charité effusive et toujours présente. ... Il y a chez lui des contradictions, et elles surprennent assez pour inciter certains critiques à contester l’authenticité des parties de son œuvre où elles paraissent davantage306». Il n’échappe pas à l’affrontement  entre les empereurs allemands et la papauté : peut-être est-il le «prieur de Constance» déposé par le chapitre de Lyon en 1348, alors que son innocence n’avait pas encore été reconnue. Ses dernières années semblent baignées d’une lumière sereine307. L’épisode du «guenillon» est célèbre :

« … il était assis, triste, dans sa cellule... une voix dit en lui : « ouvre la fenêtre de la cellule, regarde et apprends. » Il ouvrit et regarda : il vit un chien, courant au milieu du cloître, et portant dans sa gueule un tapis râpé, et faisant avec ce tapis des gestes étonnants : il le jetait en l’air, le traînait par terre et y faisait des trous.... il lui fut dit au-dedans : « Tout ainsi seras-tu dans la bouche de tes frères... Il descendit prendre le tapis qu’il conserva de nombreuses années... lorsqu’il allait éclater d’impatience, il le prenait pour s’y reconnaître…308. »

Cet épisode du guenillon jouant avec « un morceau de drap » sera ainsi plusieurs fois repris par madame Guyon, par exemple dans une lettre écrite après 1710, qu’elle adresse à l’intellectuel baron de Metternich, avec l’explication : « … Dieu lui fit comprendre que c’était ainsi qu’il [Suso] devait être en Sa main. »


~1370 Le Nuage d’Inconnaissance.

L’auteur serait peut-être Adam Horsley de la chartreuse de Beauvale dans le South Nottinghamshire. On ne sait rien de plus309. Son œuvre comporte cinq titres : The Cloud of Unknowing, le plus célèbre et le plus long ; The Epistle of prayer, l’admirable Épître de la direction intime; Dionysius mystical Teaching; Benjamen, une traduction libre de Richard de Saint Victor ; The Epistle of Discretion in the Stirrings of the Soul; The Treatise of the discerning of Spirits310

Le titre du Nuage d’Inconnaissance est tiré du début du texte : « Here bygynnith a book of contemplacyon, the whiche is clepyd the clowde of unknowyng, in the whiche a soule is onyd with god ». Le brouillard anglais a pu fournir l’image du nuage obscur placé entre nous et Dieu, et aussi un nuage d’oubli placé entre nous et le créé, laissant deviner une solitude peut-être paisible. Rien n’est à faire, sinon par élan… On ne saurait surestimer l’importance de ce texte court qui forme, avec les Noces de Ruusbroec et les chefs-d’œuvre de Jean de la Croix (Cantique A, Vive flamme…), la trilogie à laquelle se réfèrent les mystiques d’Occident plus récents.

 Un commentaire jamais édité, que nous reprenons partiellement dans ce qui suit, en l’accompagnant de certains des extraits auxquels il fait référence, nous introduit au cœur de l’œuvre311 :

«La vie spécifiquement mystique ne consiste pas pour l’auteur de ce petit livre en une claire considération de quelque objet qui se situerait au-dessous de Dieu, quelque savant et favorable qu’il soit, comme la méditation sur les perfections divines, les dons de Dieu, les saints ou les béatitudes; elle ne consiste pas non plus en un mouvement aigu de l’intelligence ni en curiosité d’esprit ou en imagination» :

ce que tu dois, de même que ce nuage d’inconnaissance est au-dessus de toi entre toi et ton Dieu, c’est exactement de même mettre au-dessous de toi un nuage d’oubli entre toi et toutes les créatures jamais créées. Tu vas penser, peut-être, que tu es tout à fait loin de Dieu parce que ce nuage d’inconnaissance est entre toi et ton Dieu, mais très certainement, si la conception en est bonne, tu es bien plus loin de Lui quand tu n’as point un nuage d’oubli entre toi et les créatures qui puissent jamais avoir été ou être faites. ... Car quoiqu’il soit pleinement profitable parfois de penser à certaines conditions et actions de telles créatures particulières, néanmoins ici, en cette œuvre, le profit en est minuscule ou nul. Pourquoi donc? C’est que le souvenir ou la pensée de quelque créature que Dieu ait jamais faite, ou d’une quelconque de ses actions, est une manière de lumière spirituelle : car l’œil de ton âme est exactement fixé sur cela comme l’œil du tireur est fixé sur le but qu’il vise. Et je te dis une chose, c’est que tout ce à quoi tu penses, cela est au-dessus de toi pendant ce temps, et entre toi et ton Dieu : et d’autant plus es-tu loin et plus loin de Dieu, que tu as en l’esprit la moindre chose autre que Dieu. Oui! et s’il est possible de le dire avec décence et convenance, pour cette œuvre, cela ne sert que peu ou à rien de penser à la bonté ou à la perfection de Dieu312

«Par contre plus valable en soi et plus plaisant à Dieu est cet aveugle élan d’amour vers Dieu en lui-même et «un tel et secret empressement en ce nuage d’inconnaissance» (Ch.9). La raison en est que «l’amour peut en cette vie atteindre Dieu, mais la science point»  (Ch.8). «Ce n’est pas une prière qui dure et s’alanguit, mais un élan dont l’intensité s’accroît sans cesse parce qu’il reprend et se renouvelle : «Ce n’est pas un long temps que réclame cette œuvre pour son réel achèvement.» En effet pour que cette œuvre s’accomplisse, nous dit l’auteur, «un rien de temps suffit». Ce n’est qu’un brusque mouvement et comme inattendu qui s’élance vivement vers Dieu, de même qu’une «étincelle de charbon.»

Et merveilleux est-il de compter les mouvements en une heure se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail. Et pourtant il suffit d’un seul mouvement entre tous ceux-là pour qu’elle ait soudain et complètement oublié toute choses créées (Ch.4).

«Cet élan suffit pour unir à Dieu. Mais à certains il convient de «l’avoir comme plié et empaqueté dans un mot (Ch.7)» afin de mieux s’y tenir et ce mot doit être bref, «Dieu», «amour» par exemple; c’est avec ce mot qu’il nous est conseillé de frapper à coups redoublés sur le nuage d’inconnaissance et de rabattre toute manière de pensée «sous le nuage d’oubli», car à côté de ce nuage obscur qui se trouve entre l’âme et Dieu, l’auteur distingue un autre nuage «qui serait cette fois-ci non plus au-dessus de l’âme, mais au-dessous d’elle (Ch.5)»; nous avons là le nuage d’oubli qui s’interpose entre elle et les créatures. Le travail et l’effort qui reviennent à l’âme sont en effet de fouler aux pieds le souvenir de tout ce qui n’est pas Dieu et de perdre «toute idée et tout sentiment de son être propre.» Bien avant saint Jean de la Croix, ce moine anonyme du XIVe siècle décrit encore un autre aspect de l’obscurité qui rappelle la nuit obscure du saint. Il la nomme «l’affliction parfaite qui sert à purifier l’âme» :

Tu dois prendre en dégoût tout ce qui se fait en ton intelligence et en ta volonté, à moins qu’il n’y soit que Dieu seul. Parce que tout ce qui est autre, assurément, quoi que ce soit, cela est entre toi et ton Dieu. Rien d’étonnant que tu le détestes et cesses de penser à toi-même quand il te faut toujours avoir sentiment du péché, cet horrible et puant bloc massif de tu ne sais pas quoi, lequel est entre toi et ton Dieu, cette masse pesante qui n’est point autre chose que toi-même (Ch.43).

«Cette œuvre qui paraît si ardue au début deviendra facile parce que par la suite c’est Dieu qui voudra travailler seul, mais alors qu’on laisse cette œuvre agir en nous-mêmes et nous conduire où elle voudra, sans nous y mêler “par crainte de tout embrouiller”. Qu’on devienne aveugle durant ce temps en rejetant tout désir de connaissance qui serait plus un obstacle qu’une aide» :

qu’il te suffise pour toi de te sentir mû et poussé par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien sinon que dans ce tien mouvement tu n’as aucune pensée particulière pour aucune chose au-dessous de Dieu et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu (Ch.34).


Voici quelques extraits du Nuage (pagination de la trad. Guerne, 1953) suivi de ceux de l’Epitre de la direction intime (trad. Noetinger, 1925, pagination de la réédition 1977) :

NUAGE

COMMENCE ICI LE CHAPITRE SIXIÈME

Courte considération de l’œuvre dont s’agit, tirée d’une question.

Mais maintenant tu m’interroges et me dis «Comment vais-je penser à Lui, et qu’est-Il?» et à cela je ne puis te répondre que ceci : «Je n’en sais rien.»

Car par ta question tu m’as jeté dans cette même obscurité et dans ce même nuage d’inconnaissance où je voudrais que tu fusses toi-même. Car de toutes les autres créatures et de leurs œuvres, oui certes, et des ceuvres de Dieu Lui-même, il est possible qu’un homme ait son plein de connaissance par la grâce, — et sur elles, il peut très bien penser; mais sur Dieu Soi-même, personne ne peut penser. C’est pourquoi laisserai-je toutes choses que je puis penser, et choisirai-je pour mon amour la chose que je ne puis penser. Car voici : Il peut bien être aimé, 35 mais pensé non pas. L’amour Le peut atteindre et retenir, mais jamais la pensée.

Aussi donc, quoiqu’il soit bon de penser parfois en particulier à la bonté et à la perfection de Dieu, et encore que ce soit une lumière et partie de la contemplation, néanmoins pourtant en cette œuvre, cela sera rejeté bas et couvert avec un nuage d’oubli. Et tu t’avanceras vaillamment par dessus, mais prudemment, dans un pieux et joyeux élan d’amour, essayant de percer l’obscurité au-dessus de toi. Et frappe à coups redoublés sur cet épais nuage d’inconnaissance avec la lance aiguë de l’amour impatient; et ne t’en va de là pour chose qui arrive.


COMMENCE ICI LE CHAPITRE SEPTIÈME

Comment l’homme se gardera, dans cette œuvre, entre toute pensée, et particulièrement contre celles issues de la curiosité et astuce de l’esprit naturel.

Et si quelque pensée se lève et continuellement se veut pousser de force au-dessus de toi, entre toi et cette obscurité, te questionnant et disant «Que cherches-tu? Et que voudrais-tu avoir?» Tu diras, toi, que c’est Dieu que tu souhaites posséder : «C’est Lui que je convoite, Lui que je cherche, et rien autre que Lui.»

Et si elle te demande : «Qu’est-ce que Dieu?» Dis-lui, toi, que c’est Dieu qui t’a fait, et racheté, et qui gracieusement t’a appelé à ce degré. «Et en Lui, tu diras, nulle et de rien est ton habileté.» Et c’est pourquoi tu ordonnes : «En-bas, toi, va-t’en en bas.» Et vite tu poses le pied dessus par un élan d’amour, toute sainte qu’elle te paraisse, et bien 37 qu’elle te semblât vouloir t’aider à Le chercher.

COMMENCE ICI LE CHAPITRE TRENTE ET CINQUIÈME

De trois voies auxquelles doit s’employer un apprenti contemplatif : lecture, pensée et prière.

[…]

Mais ne t’inquiète point, je t’en supplie, si ton entendement ne va pas au delà : au contraire, veuille et désire et va de l’avant toujours plus, en sorte que tu en sois toujours plus capable et encore toujours plus.

Et pour me résumer en bref, laisse cela agir en toi et te conduire où il lui plaît. Laisse cela être l’ouvrier et l’opérateur, pour n’être, toi, que le patient et celui qui subit : tu n’as qu’à regarder et laisser faire. Ne t’en mêle pas, comme si tu voulais y aider, par crainte de tout embrouiller. Pour toi, ne sois rien que le bois, et que cela soit l’ouvrier de ce bois; ne sois que la maison, et que cela soit l’habitant de cette maison, le cultivateur qui demeure là. Sois et fais-toi aveugle durant ce temps, et rejette tout désir et toute ambition de connaissance, lesquels bien plus te feraient obstacle qu’ils ne peuvent t’aider. Qu’il te suffise assez, pour toi, de te sentir mû et poussé dans ton gré et assentiment par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien, sinon que dans ce tien mouvement tu n’as aucune pensée particulière pour aucune

chose au-dessous de Dieu, et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu.

Et s’il en est ainsi, tu peux avoir ferme confiance que c’est Dieu, et Lui seul, qui meut directement ta volonté et ton désir, pleinement par Soi-même, non par des voies intermédiaires de Son côté ou du tien. Et n’aie crainte ni effroi, car le diable ne peut venir aussi prochement intime. Il ne peut jamais qu’occasionnellement et par des voies lointaines en venir à mouvoir la volonté d’un homme, quelque subtil diable qu’il soit jamais. Et non plus un bon ange ne peut mouvoir ta volonté suffisamment et sans voies; et, pour le dire en bref, rien ni personne autre que Dieu. Et Dieu seul.

En sorte que tu pourras concevoir un peu par ces mots ici (mais bien plus clairement à l’épreuve et par expérience) que dans cette pauvre, les hommes n’ont point à user de moyens et de voies, et que non plus ils n’y peuvent parvenir par des moyens et des voies. Il n’est de bonne voie qui ne dépende d’elle, mais elle ne dépend d’aucune; et il n’en est aucune qu’elle-même pour y mener.

EPITRE DE LA DIRECTION INTIME

CHAPITRE IV

Que pour qui pratique cette prière, il n’est pas besoin de considérations particulières sur soi-même ou sur Dieu.

Pour avancer dans la perfection, il ne t’est donc pas nécessaire, à ce moment, de revenir en arrière ni de donner des aliments à tes facultés, en considérant les qualités de ton être pour exciter ton affection, et nourrir celle-ci de douces et amoureuses impressions de Dieu et des choses spirituelles. Tu n’as pas besoin non plus de rassasier ton intelligence de la sagesse spirituelle et de méditations pieuses, pour obtenir la connaissance de Dieu. Si tu veux, — la grâce t’en donnera la force, — te tenir avec soin et sans te lasser dans la fine pointe de ton esprit, et offrir ainsi à Dieu ce sentiment nu et aveugle de ton être, que j’appelle les prémices de tes fruits, tu peux être sûr de voir se réaliser la deuxième partie du texte de Salomon, selon sa promesse; et tu verras l’inutilité des recherches inquiètes et de l’analyse à laquelle voulaient te pousser tes facultés intellectuelles, sur les qualités de ton être ou même celles de l’être de Dieu.

[…]

Reste donc aveuglément dans la considération amoureuse de l’être de Dieu, comme dans celle de ton être propre, sans employer curieusement tes facultés à examiner les attributs de Dieu ou les qualités de ton être; mais, laissant de côté toute recherche intellectuelle, «honore Dieu au moyen de ta substance», offrant tout ce que tu es, tel que tu es, à celui qui est tel qu’il est, et qui, comme tel et sans plus, est non seulement son être propre, mais aussi la raison du tien. Cette offrande de toi-même rendra


à Dieu un hommage très élevé et t’unira à lui. Car ce que tu es, tu le tiens de lui et il l’est éminemment. Certes tu as eu un commencement, dans la création de ta substance qui n’a pas toujours existé; mais pourtant ton être a toujours été en Dieu sans commencement et sera toujours en lui sans fin, comme il est lui-même/1. C’est pourquoi je crie et répète sans cesse : «honore Dieu avec ta substance» pour le commun profit de tous les hommes, et «nourris les pauvres des prémices de tes fruits».

Alors aussi «tes greniers seront pleins jusqu’à déborder». En d’autres termes, tes affections seront remplies d’amour et de délectation en Dieu, sur qui tu t’appuies et vers qui seul tu tends. «Et tes pressoirs regorgeront de vin.» Tes sens spirituels, que tu as l’habitude d’exercer et de presser par de laborieuses méditations, par des recherches et par des raisonnements portant sur la connaissance de Dieu et de toi-même, sur ses attributs et tes qualités, laisseront échapper le vin en abondance. […]


CHAPITRE V

[…]

C’est bien en ces deux points, l’un intérieur, l’autre extérieur, que, d’après le Christ, consistent toute la loi et les prophètes, puisqu’il les résume dans l’amour de Dieu et du prochain : «In his enim duobus mandatis iota lex pendet et prophetae (scilicet in dilection Dei et proximi); à ces deux préceptes sont suspendus la loi et les prophètes (c’est-à-dire à l’amour de Dieu et du prochain).» (Matth., xxii, 40.) Aussi, lorsque tu auras atteint la perfection de cette œuvre, intérieurement et extérieurement, «tu marcheras avec confiance» (v. 23), appuyé sur la grâce qui est le guide de la voie spirituelle, offrant avec amour la nudité et les ténèbres de ton, être à l’être béni de ton Dieu, de sorte que l’être de Dieu et le tien soient un dans la grâce, tout en restant distincts par nature.

Alors «le pied» de ton amour «ne heurtera pas» (v. 23). Une fois acquise l’expérience de cette œuvre spirituelle grâce à la persévérance de ton intention, tu ne seras plus arrêté ni ramené en arrière avec autant de facilité qu’au début, par les interrogations inquiètes de tes facultés. — On peut encore l’interpréter ainsi : «le pied» de ton amour «ne trébuchera» ni ne butera sur aucune imagination soulevée par la curiosité de tes facultés. Et pourquoi? Parce que dans cette œuvre, comme il a été dit déjà, toute recherche inconsidérée de nos puissances est radicalement déconcertée et laissée de côté, à cause des dangers de l’imagination et des faussetés qu’elle peut suggérer dans cette vie; tout ce travail ne pourrait que troubler le sentiment nu de ton être aveugle et te faire déchoir de la dignité de cette œuvre.

Si la pensée d’un objet quelconque se présente à ton intelligence, — j’en excepte celle de ton être nu qui te mènera à Dieu, si tu y concentres toute ton application, — te voilà emporté au loin, réduit à t’appuyer sur les ressources et l’activité de tes facultés; dispersé et séparé, toi et ton souvenir, de toi-même et de Dieu. Evite donc toute dispersion et reste recueilli aussi longtemps que la grâce et ton habileté te le permettront. C’est dans la considération aveugle de ton être nu, ainsi uni à Dieu, que tu dois faire tout ce que tu as à faire : manger et boire, dormir et veiller, marcher et t’asseoir, te coucher et te lever, être debout et t’agenouiller, courir et chevaucher, travailler et te reposer.

Ainsi en toutes tes actions tu maintiendras cette offrande à Dieu comme la plus précieuse que tu puisses lui présenter.


CHAPITRE XII

[…)… tu te trouveras comme dépouillé de tout, privé aussi bien de cette ferveur nouvelle que de l’ancien exercice auquel tu étais habitué; et tu auras l’impression d’être tombé entre les deux, n’ayant plus ni l’un ni l’autre et souffrant de la perte de tous deux. Ne te laisse pas appesantir pour autant; supporte avec humilité ce qui t’arrive, et attends avec patience la volonté de Notre-Seigneur. Car à ce moment tu es, pour employer une comparaison, lancé sur la mer spirituelle, et tu as laissé ce qui est de la chair pour faire voile vers ce qui est de l’esprit.

Bien des tempêtes et des tentations se lèveront peut-être, et tu ne sauras où trouver un refuge, tant la tristesse t’aura envahi. Il te semblera que tout a disparu : grâce ordinaire et grâce spéciale. Ne t’effraie pas trop alors, même s’il te semble qu’il y a lieu de craindre. Reste plutôt dans une confiance amoureuse, si faible soit-elle, en Notre-Seigneur; car il n’est pas loin. […]

~1370 La Theologia Deutsch ou Livre de la Vie Parfaite.

Issu du cercle d’Eckhart et de Tauler, l’opuscule aurait été rédigé par un chevalier teutonique resté anonyme à Francfort. Il fut édité partiellement en 1516 puis intégralement en 1518 : Luther, renonçant à l’idée de mérite, avait compris que Dieu donne Sa grâce alors que tous les moyens extérieurs de salut sont sans valeur.

L’ouvrage a joué un rôle important, en particulier dans le « christianisme intérieur » piétiste au XVIIIe siècle, grâce à l’éditeur-traducteur Pierre Poiret. Son appréciation s’élargit aujourd’hui au monde catholique313.

Son contenu est ainsi défini dans le Dictionnaire de Spiritualité : « À partir de la détermination néoplatonicienne de la création conçue comme émanation de Dieu... la Theologia Deutsch considère tout le créé comme participation au divin.  L’homme doit faire valoir cette réalité ontologique dans sa vie en reconnaissant que tout ce qui est bon en lui n’est pas sien, mais appartient essentiellement à Dieu. De là découlent les vertus d’humilité et de pauvreté spirituelle314». À une telle définition assez cérébrale, nous préférons l’aphorisme qui résume plus simplement l’opuscule : « Tout est à Dieu et rien n’est à l’homme315».

L’association entre la grande exigence requise et la lumière consolatrice d’un salut toujours possible baigne l’ensemble de l’opuscule. On peut comparer une telle association de contraires au recto et au verso d’un même feuillet, simultanément et inopinément visibles dans une présentation « en tranche » grâce au don mystique. C’est peut-être le salut qu’y trouva son éditeur.

L’œuvre demeura marquée par sa transmission compromettante aux yeux des catholiques.. Nous serions tentés de renommer le manuscrit trouvé par Luther « sans titre et sans nom » : Le Livre des Consolations. Ces dernières sont toutefois livrées mystiquement et sans concession.



L’amour seul sauve l’homme :

« Qu’un homme ait beaucoup de connaissance de Dieu et de ce qui lui est propre,… s’il n’a pas l’amour, il ne deviendra jamais divin ou déifié... C’est cet amour-là qui unit Dieu avec l’homme de telle façon qu’il n’en sera plus jamais séparé316..

La nécessaire passiveté ne doit pas être confondue avec la passivité au sens courant, car Dieu agit parfois sans ménagement :

« En cette réparation et ce retour [suivant la chute d’Adam], je ne peux ni ne veux ni ne dois rien faire que demeurer totalement passif : laisser Dieu seul agir et opérer, et simplement subir son œuvre et sa volonté/Que je ne veuille pas Le laisser faire – mais seulement “mon”, “je”, “mien” et “me” - c’est cela qui empêche Dieu d’agir seul et sans obstacle317.»

Constatation mystique :

« Lorsque je m’attribue un bien, c’est que je m’imagine qu’il est à moi ou que je suis moi-même ce bien  /… /Ah, pauvre fou ! Je m’imaginais que c’était moi, alors que c’était — alors que c’est — vraiment Dieu ! (Ibid., 38.)

Observations fines et aiguës, mais consolantes :

« Quand nous sentons en nous douceur, plaisir et agrément, il nous semble que tout est bien et que nous aimons Dieu. /, Mais quand nous en sommes privés, nous sommes accablés : nous oublions Dieu, et déjà nous nous croyons perdus (Ibid., 46).



« Quand l’homme s’examine et se scrute lui-même, il se trouve mauvais et indigne de tout le bien et de toute la consolation qui peuvent lui venir de Dieu ou des créatures… /, Mais Dieu, lui, n’abandonne pas l’homme dans cet enfer. /Quand [l’homme] est dans l’enfer, rien ne peut le consoler… Quand il est dans le Royaume céleste rien ne peut le troubler… /… l’un ou l’autre de ces deux états, cela est bon pour lui. Il peut être en sécurité dans l’enfer aussi bien que dans le Royaume. (Ibid., pages 47, 49, 50).

«Quand la créature et l’homme abandonnent et quittent ce qui leur est propre — leur moi et leur amour-propre — Dieu y entre avec ce qui lui est propre, c’est-à-dire son Bonheur. (Ibid., 76).


L’union vient par la sortie de nous-mêmes :

«Tout ce que les hommes — ou les autres créatures — peuvent, savent, font ou ne font pas, ce n’est pas de cela que dépend l’union. /Etre purement, entièrement, simplement un avec la simple et éternelle volonté de Dieu. Rien d’autre. (Ibid., 85).

«Dieu, en tant que Dieu, doit se connaître, s’aimer et se manifester Soi-même en Soi-même – tout cela en Dieu, en tant qu’essence et non en tant qu’action… [là] apparaît la distinction des personnes divines. (Ibid., 91. Intuition du mystère Trinitaire).

«Tant que l’homme cherche ce qui est «son» meilleur, il ne cherche pas le Meilleur et ne le trouvera pas; Car le meilleur pour l’homme serait — et est — de ne chercher et ne considérer ni soi-même ni le sien. (Ibid., 97).



Recentrement sur l’amour pur, déjà proposé en ouverture de cette séquence :

« On vient de méditer sur la lumière. Mais il faut savoir que la lumière ou la connaissance n’est ni ne vaut rien sans l’Amour. … Il exista aussi un amour qui est faux : on aime quelque chose pour une récompense. … en ce vrai amour, il ne demeure ni «je», ni «mien», «me», ni «tu», «ton», etc. (Ibid., 121, 127, 128).


1376 Hyegun (1320-1376)



Le monde n’est pas notre œuvre318 :



Inutile d’en chercher la raison.

Il n’est de vérité qu’en moi, que dans mon cœur.

Quand j’ai soif, je prépare du thé,

Quand la fatigue me prend,

Je me réfugie dans le sommeil.


1381 Maneri (~1263-1381)

Quelques extraits319 :


13 Devant votre Être Unique, il n’y a ni ancien ni nouveau : / Tout est rien, rien du tout ! Cependant Il est ce qu’il est. / Alors comment demeurons-nous séparés ? / Quand « je » et le « vous » ont disparus, Dieu seul demeure. / Quand vous regardez dans un miroir vous ne le voyez pas pour la simple raison que votre attention est fixée sur votre avantageux reflet. Vous n’iriez pas cependant jusqu’à dire que le miroir a cessé d’exister ou qu’il est devenu beau ou que la beauté est devenue miroir. De même on peut contempler le pouvoir divin dans l’entière gamme de la création sans aucune distinction. 


17 Junaid dit « J’ai beaucoup lu et n’ai rien trouvé d’aussi utile que ce couplet : Quand je questionnais sur mes fautes, Amour répliquait : Votre existence même est une faute qui ne peut être comparée à aucune autre » 41 Sainteté naturelle est liée à l’abandon de tout ce qui n’est pas l’Ami. (Marchant sur l’eau, Bistami s’écrie : « fraude, fraude » – ne pas mettre sa confiance dans le miracle, mais dans l’Ami) 45 Aussi longtemps qu’une chose quelconque demeure avec vous, vous êtes (prisonnier) dans votre propre essence (être)/La Kaaba, à cause de votre culte, devient une taverne ! /Si une chose quelconque émane de votre essence, vous êtes encore très loin : /vous êtes comme un temple face à la Kaaba ! 52 Je suis Satan… j’ai une question… avez-vous pouvoir sur les amis de Dieu ? –Non… quand je veux les piéger dans ce monde, ils volent vers l’autre. Quand je veux les prendre dans cet autre, ils volent jusqu’au Maître lui-même, où il est impossible pour moi de me rendre. 55 « Si vous voulez être adapté à l’union avec Moi/Ne permettez aucun « vous » en vous-même ! Il doit seulement demeurer un « Je ».


67 A chaque instant un sufi meurt, seulement pour atteindre une nouvelle forme d’existence, placée encore plus sous le contrôle du désir d’effacement et d’absorption en Dieu. Cet effacement le mène à une nouvelle façon d’errer dans le monde divin sous l’influence d’un fort élan. … À chaque pas correspondent absorption et affirmation… causes et effets sont seulement bons pour le feu. Le sufi dit « je suis là ! » pour aimer et dire adieu aux huit cieux (au monde, aux moyens)… Connaissez-vous les préalables pour entrer dans une taverne ? Abandonner votre couronne, votre ceinture et votre turban !


1381 Jan van Ruusbroec (1293-1381)

Un siècle de troubles dans les Flandres

Le siècle où vécut Ruusbroec est une période de luttes civiles entre les artisans et les patriciens peuplant les grandes villes. Elles n’ont rien à envier aux célèbres luttes intestines qui affligèrent les cités italiennes. S’y ajoutent, contrepoint aux luttes qui opposèrent au sud la papauté et l’Empire, des guerres entre bourgeois et noblesse locale renforcée par les chevaliers français venus par deux fois à leur secours ; finalement une compétition féroce entre Flamands du nord et Brabançons de la région de Bruxelles entraînera l’écrasement des communes suivi d’une longue servitude commune aux deux provinces.

A. Wautier d’Aygaliers livre une description très vivante de ces luttes sociales qui marquèrent le siècle de Ruusbroec 320 : « En 1280, il s’agit d’une véritable révolution, qui jette les artisans coalisés contre les patriciens. Elle court, comme une flamme, de ville en ville, soutenue en Flandre par le comte Gui de Dampierre, humilié de se sentir sous l’autorité croissante des gildes. » La lutte dure vingt ans et le patriciat demande l’aide de Philippe le Bel, mais « armés de piques, de masses ferrées, de terribles bâtons hérissés de pointes, les artisans se rallient dans la plaine de Courtrai » et livrent la célèbre bataille de 1302 : « au soir, les cadavres des beaux chevaliers jonchaient la plaine, étoilée de milliers d’éperons d’or. ».

Les luttes se poursuivent alternant succès et défaites des métiers. En 1305, les métiers s’emparent de la maison commune et réorganisent l’échevinage. Mais le duc de Brabant taille en pièces les métiers, quelques semaines après, dans la plaine de Vilvorde. En outre, pour assurer par l’effroi une absolue obéissance, il fait enterrer vif les meneurs du mouvement. Inversement en 1327, régnera « une véritable terreur rouge » sous la direction de Jacques Peit, jusqu’au moment où les révoltés, à bout de souffle, sont écrasés à Cassel par Philippe de Valois. Ce dernier fait décréter en 1336 la cessation du commerce avec l’Angleterre, ce qui entraîne la ruine et la famine pour la Flandre laborieuse. La révolte s’ensuit : « c’est un patricien maintenant qui prend en main la cause des appauvris : Jacques van Artevelde. Il n’hésite pas à appeler à son aide Édouard III, et réussit, par cette alliance, à rouvrir les marchés anglais. Il obtient, en outre, de la France, directement menacée par la puissance anglaise, la reconnaissance de la neutralité de la Flandre, et, fait absolument nouveau pour le temps, consacre la communauté d’intérêts de la Flandre et du Brabant par une association économique ».  

Mais suite à un échec militaire, tisserands et foulons en viennent aux mains en 1345. « Et comme s’il ne suffisait pas de ces malheurs, voici que les deux pays, de même aspiration, de même langue et d’intérêt commun, entreprennent une guerre sauvage au sujet de la seigneurie de Malines. Les communiers flamands envahissent le duché et taillent en pièces les Brabançons dans la journée du funeste mercredi [...] Dès lors la destinée des deux pays va suivre une ligne identique. Séparés, alors que l’union eût été la garantie de leur commune victoire, ils vont être réunis dans la servitude. [...] Appelé une seconde fois contre les révoltés, le roi de France consomme l’écrasement des communes ». Cet écrasement final suivi du terrible massacre de Gand aura lieu en 1382, l’année qui suit la mort de Ruusbroec. Ils sont décrits d’un point de vue tout opposé à celui de Wautier d’Aygaliers, par le royaliste De Barante au début de son Histoire des duc de Bourgogne, attachant chef-d’œuvre romantique321 : on y évoque cependant bien des horreurs et comment, après les massacres de bourgeois, les chevaliers bretons emportèrent sur leurs chariots les richesses des Flandres…



La vie et les œuvres.

Le biographe de Ruusbroec commence ainsi son Ruusbroec l’Admirable322  : « Ses œuvres ont toujours trouvé de paisibles lecteurs et admirateurs ; avec application, des copistes les ont maintes fois retranscrites sur parchemin ou sur papier : plus de deux cents manuscrits en font foi. Mais pour la vie de Ruusbroec, nous ne disposons que d’un récit biographique dont de nombreux éléments sont sujets à caution… » Il s’agit d’un court écrit latin rédigé vers 1420 par un chanoine de Groenendael connu sous son nom latinisé d’Henricus Pomerius (-1469). Il suit le stéréotype médiéval des vies des saints323.

 Cependant, contrairement aux habitudes des hagiographes, Pomerius omet tout éloge des parents et quelques détails donnés involontairement sur la mère font question. En effet, vers sa onzième année Ruusbroec est accueilli par le chanoine Jean Hinckaert tandis que sa mère se fixe au béguinage de Bruxelles.

Il fait les études qui préparaient normalement à être prêtre et il est cultivé, contrairement à sa légende. Ordonné en 1317, il est chapelain de Sainte-Gudule à Bruxelles jusqu’en 1343 ; c’est « l’unique fait que nous connaissions avec certitude quant au séjour de Ruusbroec dans la capitale du duché de Brabant ». Ses cinq premiers traités ont été entièrement rédigés à Bruxelles : Le Royaume des Amants de Dieu, Les Noces spirituelles, la Pierre brillante, Les Quatre Tentations, De la foi chrétienne ; avant de partir à Groenendael « la vallée verte », Ruusbroec a également rédigé la première partie de son traité le plus long, Le livre du Tarbernacle spirituel. « Ruusbroec expérimenta les sommets de l’expérience mystique tandis qu’il exerçait l’apostolat d’un simple prêtre, au milieu de l’intense activité de la ville…324».

Nous disposons d’une évocation suivante de sa vie en ville, dont on devine que Pomerius l’entendit raconter de vive voix par Ruusbroec, car on y retrouve l’accent confiant de ce dernier :


« Il était toujours paisible, silencieux, peu soucieux de son vêtement... Deux séculiers considérant la simplicité de son habit, l’un d’eux se mit à dire : plût à Dieu que je fusse doué d’une sainteté de vie aussi grande que celle de ce prêtre ! À quoi l’autre répondit : pour tout l’or du monde, je ne voudrais certes pas être à sa place ; car alors, je n’aurais pas un seul jour de bonheur ! Ce que le saint homme entendant par hasard, pensait au fond de son âme : Ah ! tu connais peu de quelle suavité sont pénétrés ceux qui ont goûté l’esprit de Dieu!325.»

À l’époque, les chanoines animent les écoles des villes en même temps qu’ils assurent des fonctions liturgiques. Mais certains recherchent une vie semi-cloîtrée « auprès des églises pour lesquelles ils ont été ordonnés, [ayant] table commune et dortoir commun », mettant en commun « tous les biens qui leur viennent de l’Église ». Ce sont les termes utilisés dans une adresse aux évêques de France, un peu avant 1059 326. Au XIVe siècle, l’apogée du  grand mouvement de réforme est déjà passé : l’extension des ordres franciscains et dominicains qui ont un contact plus direct avec le peuple d’une part, et celui des universités qui diminuent le rôle des écoles cathédrales d’autre part, font progressivement disparaître les chanoines en tant que membres de communautés actives et le titre seul perdurera. Seule la « dévotion moderne » échappera à ce déclin.

Mais, à l’âge de cinquante ans, Ruusbroec décide, avec Hinckaert (?-1350) et Frank de Coudenberg (?-1386), de former  une congrégation de chanoines réguliers. « Le départ vers Groenendael ne fut pas décidé précipitamment, ni à la légère : c’est avant avril 1339 que Frank de Coudenberg avait renoncé à sa prébende et à son titre de chanoine327». Les trois fondateurs s’établissent, durant la semaine de Pâques de 1343, dans la vallée de Groenendaal en forêt de Soignes, à une trentaine de kilomètres au sud de Bruxelles ; aujourd’hui une inscription marque l’emplacement, fort humide, de leur ermitage, qui devint un grand monastère, détruit aujourd’hui.

Ils cherchent simplement une retraite et ils vivent durant les premières années sans règle ni supérieur. « Frank de Coudenberg fut nommé curé par l’évêque Guy de Cambrai : cela signifie qu’il avait la charge spirituelle du petit groupe (et des sangliers et des cerfs de la forêt !) Les nouveaux habitants de Groenendael construisirent une petite chapelle…328».

On note l’absence de toute institution fortement structurée, car « seuls les chartreux et les religieuses cloîtrées trouvent grâce à ses yeux. Et cependant Ruusbroec et ses compagnons ne sont pas entrés chez les chartreux, bien qu’ils connaissent l’existence de la chartreuse de Hérinnes (fondée en 1315). Ils ne sont pas entrés dans un couvent existant et ils n’ont pas davantage désiré en 1343 fonder un couvent nouveau. Vraisemblablement ils nourrissaient quelque méfiance à l’égard des institutions établies. Ils n’ont pas non plus cherché à prendre une règle qui leur imposerait un mode de vie déterminé. Mais ils se sont laissés porter par le désir intense de découvrir par eux-mêmes le mode de vie qui convenait le mieux à leur vocation intérieure. Les trois compagnons bruxellois ne partirent pas à Groenendaal pour y vivre selon un modèle déjà fixé. Ils sont restés pendant sept ans ce qu’ils étaient déjà à Bruxelles : des prêtres séculiers vivant en communauté. Cette méfiance à l’égard des structures extérieures et à l’égard d’obligations imposées du dehors est un trait caractéristique de la vie spirituelle des Pays-Bas329.» 

Sept ans plus tard, le groupe se transforme en ordre religieux sous la règle augustinienne, la plus souple. On devine la pression des institutions : « Au début de mars 1350, Frank de Coudenberg se mit en route pour Cambrai afin de prendre conseil auprès de l’évêque au sujet de bruits qui circulaient [...] l’évêque décida de faire le voyage à Groenendael. Le 10 mars 1350, Frank de Coudenberg et Jean de Ruusbroec reçurent de ses mains l’habit des chanoines réguliers suivant la règle de Saint Augustin. Le lendemain, Frank de Coudenberg fut nommé premier prévôt du nouveau prieuré, et reçut plein pouvoir d’accueillir dans la communauté de nouveaux frères. Ainsi la chapellenie devint-elle prieuré. » Tel est le rapport concis de Sayman de Wijc, archiviste de Groenendael330.

Ruusbroec n’est pas un isolé, il visite certainement des franciscaines clarisses et des cisterciens voisins. Dès 1350 ses œuvres diffusent à Strasbourg, Bâle, Cologne, et la « vallée verte » rayonne sur une constellation de fondations. Selon Pomerius331 :


« Quand ses confrères ou des visiteurs lui demandaient un mot d’édification, il se faisait le plus souvent un plaisir s’accéder à leur requête. Les mots lui coulaient alors de la bouche avec une telle abondance et une telle facilité, qu’une image se représentait à l’esprit, celle d’un tonneau rempli de nouveau vin... D’autres fois, aucune parole ne jaillissait de ses lèvres, même lorsque les visiteurs étaient des personnes célèbres et haut placées. C’était alors comme s’il n’avait jamais reçu aucune lumière de l’Esprit Saint. Quand cela lui arrivait, il prenait sa tête dans les mains pour retrouver la lumière intérieure. Mais si elle ne lui était pas donnée, il disait sans honte : « Mes enfants, ne le prenez pas en mauvaise part, ce ne sera pas pour cette fois-ci. » 


Entre 1346 et 1361, Ruusbroec écrit quatre ouvrages pour une simple clarisse, sœur Marguerite de Meerbeke : une lettre très personnelle, Les sept clôtures, le Miroir du salut [ou de la vie] éternel [le], Les sept degrés de l’échelle d’amour spirituel. Ses dernières œuvres sont : Le livre de la plus haute vérité, expliquant son tout premier traité ; Les Douze Béguines, long, mais bel ouvrage, peut-être une compilation d’écrits inédits par ses confrères ; une collection de sept lettres. Il meurt, âgé de 88 ans, en 1381.

L’œuvre de Ruusbroec peut être lue entièrement, car elle n’est pas très volumineuse. L’édition critique est très recommandée pour ses introductions, ses glossaires permettant une approche directe du brabançon en s’aidant de la remarquable quasi-translittération anglaise, sans oublier la bonne adaptation latine de Surius. En français, la traduction récente par Dom Louf a pris heureusement le relais de celle des bénédictins de Saint-Paul de Wisques. Cependant elle ne fait pas oublier l’Introduction et la traduction structurée des Noces par  J.-A. Bizet332. Nous donnons en note les titres en quatre langues des œuvres en suivant  l’ordre de composition probable afin de faciliter la lecture chronologique d’une œuvre incontournable333.

On ne sait pas dans quelle mesure l’œuvre fut retravaillée, tout comme l’on doute de certains faits avancés par le biographe Pomerius. Jean Orcibal met en valeur les travaux des pères Ampe et Verdeyen et souligne « l’invraisemblance de l’épisode de l’hérétique Bloemardinne », ainsi que l’influence de Guillaume de Saint-Thierry334.

Le Royaume des amants, le premier des écrits, présente déjà la racine unique d’une arborescence de thèmes incessamment repris dans les écrits qui suivront, mêlant les représentations et croyances médiévales du chanoine (parfois déconcertantes) à l’ouverture de la voie par le mystique accompli (mais peu métaphysicien ; on se situe en quelque sorte à l’inverse d’Eckhart). Cette racine est le thème fondamental de l’Amour, et de l’amour sous toutes ses formes, reprenant le terme Minne dominant chez Hadewijch II, la béguine qui inspira Ruusbroec.

Cette base qui supporte toute l’œuvre est omniprésente dans le Miroir de la vie éternelle destiné à sœur Marguerite et plus simplement écrit. « Unité d’amour », « nu-amour », « enivrement », l’étude de ces divers aspects reste à faire. Ruusbroec apparaît dès son premier écrit comme le chantre de l’amour comme tous les mystiques, mais lui sait tout rattacher à cette origine-fin. Il s’agit d’un élan dynamique menant à l’unité et conjoint avec elle.

Le thème est par contre quasiment absent de présentations modernes assez complexes de notre mystique ! Ainsi dom Louf, son traducteur le plus récent, ne lui accorde aucune place dans son introduction au Royaume des amants et ne consacre au terme minne qu’une très modeste définition dans son glossaire répété à la fin de chaque volume. Peut-être à cause de l’omniprésence même du thème, jugé donc comme constituant une enveloppe trop vaste, le français ne disposant que d’un seul mot ambigu ?

Je présente les Noces spirituelles, ouvrage structuré comme le souligne l’heureux découpage opéré par le traducteur Bizet.  

Intérieurement, Ruusbroec, suivant l’heureux optimisme médiéval d’avant les pestes (qu’il a traversé adulte), met en avant la grandeur de notre vocation mystique et affirme la possibilité de son  aboutissement : « Avec l’aide de la raison illuminée, le mystique peut connaître Dieu par Dieu. Cette illumination n’est pas le résultat d’un effort de compréhension, mais bien d’une sagesse reçue en partage dans l’expérience intérieure. L’amour, en effet, nous arme de ses dons et illumine notre raison... Ruusbroec ne propose pas sa spiritualité à des âmes timides, mais bien à des amants intrépides, désirant mettre tous leurs talents au service du Bien-Aimé. Enfin la spiritualité de Ruusbroec possède un optimisme et un dynamisme extraordinaires. La nuit obscure de la vocation mystique n’est certes pas passée sous silence, mais cette nuit paraît courte en comparaison du jour rayonnant de soleil et de lumière335». 

Cet aboutissement permet le service d’autrui « mais sa spiritualité ne comporte pas l’existence d’une clôture monastique et n’oriente pas l’homme vers une vie exclusivement contemplative. Le but dernier de l’ascension spirituelle n’est pas la contemplation divine, mais l’activité double de l’homme adonné à la vie commune (gemene mens), de celui qui peut aussi bien rentrer en lui-même dans la prière à Dieu que sortir vers le dehors pour le service du prochain. Ruusbroec décrit cet idéal en quelques images très simples :

« L’esprit de Dieu nous pousse au dehors, pour l’amour et les œuvres de vertu, et il nous aspire et nous ramènes-en lui pour nous faire reposer et jouir, et cela est vie éternelle. C’est de même que nous expirons l’air qui est en nous et aspirons un air nouveau... Ainsi donc, entrer dans une jouissance oisive, sortir dans les bonnes œuvres et demeurer toujours uni à l’Esprit de Dieu, c’est là ce que je veux dire. De même que nous ouvrons nos yeux de chair pour voir et les refermons si vite que nous ne le sentons même pas, ainsi nous expirons en Dieu, nous vivons de Dieu et nous demeurons toujours un avec Dieu336.»

L’aventure du retour de l’âme à Dieu par « les degrés que sont la découverte de la ressemblance, de l’union et de l’unité sans distinction337» forme le sujet des Noces spirituelles. Ce Die Geestelike Brulocht/De ornatu spiritalium nuptiarum, accessible aux siècles passés par l’intermédiaire de la traduction latine de Surius, dispose maintenant d’une traduction en anglais moderne, The Spiritual Espousals, qui fait face à l’original moyen néerlandais en le suivant de très près338.


L’incertitude des traductions.

Pour exemple, incitant à la prudence vis-à-vis de toute adaptation faite à partir d’une langue étrangère, nous comparons cinq traductions d’un très court fragment emprunté à la conclusion des Noces. Elles montrent la diversité des perceptions intimes d’un passage essentiel, il est vrai assez obscur, alors même que tous les traducteurs cités veillent avec soin à éviter tout contresens.

Quelques termes peuvent être équivoques : gouffre ou abîme ne rendent pas compte de la dynamique traduite par tourbillon, whirlpool, wiel ; on relève des variations entre engloutir ou inclure ou embrasser… ; ou bien entre céder ou se résorber… ; il existe un grand écart entre la paisible perte amoureuse ou la force et l’élan traduits par flot de l’amour ou loving transport.

Want in desen grondelosen [fathomless]  wiele [whirlpool]  der simpelheit [simplicity] werden [become] alle dinc [thing] bevaen [encompass] in ghebrukelijcker [enjoyable] salicheit [blessedness], ende [end] die gront [ground]  blivet [remain] selve al ombegrepen [unapprehended, uncomprehended], het en si met [with (whom)] weselijker [essential] eenicheit [oneness]. Hier vore [before, heterofore] moeten die persone wiken [yield], ende al dat in gode [Dieu]  levet [live], want hier en es anders [autre] niet dan een eewich [éternel] rasten [rest]  in eenen ghebrukelijcken omvanghe [caress, embrace] minlijcker [loving]  ontvlotentheit [transport].339.

For in this fathomless whirlpool of simplicity, all things are encompassed 340in enjoyable blessedness, whereas the ground itself remains totally uncomprehended, unless it be by essential unity. The persons and everything that is living in God must yield before this, for here there exists nothing but an eternal rest in an enjoyable embrace of loving transport341.

Dans ce gouffre sans fond de la simplicité, toutes choses sont englouties en béatitude fruitive ; mais le fond lui-même demeure totalement incompris, si ce n’est de l’unité essentielle. Les personnes et tout ce qui vit en Dieu doivent céder devant cette unité ; car il n’y a ici autre chose qu’un repos éternel en un embrassement de jouissance où l’on se perd amoureusement342.

Or dans ce gouffre sans fond de la Simplicité sont incluses toutes choses dans la béatitude fruitive, le fond y échappe toutefois, sauf dans l’unité essentielle. À cet endroit les personnes doivent se résorber, ainsi que tout ce qui vit en Dieu, car il n’y a ici qu’un éternel repos dans l’embrassement exaltant où tout s’écoule dans l’amour343.

Or dans cet abîme insondable de la Simplicité, toutes choses sont embrassées dans la béatitude fruitive. Mais l’abîme lui-même ne peut être embrassé par rien si ce n’est par l’Unité essentielle. C’est en lui que doivent se résorber les personnes divines et tout ce qui vit en Dieu, car il n’y a ici que repos dans l’embrassement fruitif du flot de l’amour344.

Car dans le tourbillon sans fond de la simplicité, toute chose est étreinte dans la béatitude de la fruition, le fond échappant tout entier à notre saisie, sinon par le truchement de l’unité essentielle. Face à cette unité, les Personnes doivent céder et, avec elles, tout ce qui vit en Dieu. Car rien d’autre n’existe ici qu’un repos éternel, dans l’étreinte fruitive de l’écoulement d’amour345.

Les Noces spirituelles.

Après l’analyse d’un fragment, voici un aperçu de l’ensemble des Noces  reprenant la traduction de Bizet346. Une montée revit comme en spirale par trois fois la citation évangélique extraite de la parabole des vierges folles et sages : « Voyez... sortez... ». Le premier niveau est celui où l’initiative divine et ses dons conduisent à l’abandon de notre volonté propre et à une extrême humilité. Alors nous sommes orientés vers Dieu, qui est tout intérieur. Au second tour viennent les épreuves, la détresse et un demi-doute à la limite du désespoir, mais des rivières de grâces conduisent à la possession par l’Amour. L’unité émane de Dieu dont nous devenons un miroir, entrant dans le repos tout en aidant les créatures. Enfin, au dernier niveau, Dieu s’engendre Lui-même dans le silence où se perdent les amants.

« Voyez, l’époux vient, sortez au-devant de lui : » Ce que nous exposons selon trois niveaux : vie active des commençants, vie intérieure dans le désir de Dieu, vie de contemplation divine.

PREMIER NIVEAU : LA VIE ACTIVE.

« Voyez : »… survient une lumière plus haute de la grâce divine, pareille à un rayon de soleil versé dans l’âme sans mérite de sa part et sans désir adéquat.... de la grâce de Dieu et de la libre conversion de la volonté éclairée par la grâce, jaillit la charité, c’est-à-dire l’amour divin ; et de l’amour divin résulte le troisième point, à savoir la purification de la conscience.

« L’Époux vient : » Dans le premier [avènement] Il s’est fait homme pour l’amour de l’homme, par charité. Le second avènement a lieu quotidiennement et se renouvelle fréquemment de maintes manières dans chaque cœur aimant, apportant de nouvelles grâces, de nouveaux dons, selon que chacun est capable d’en recevoir. Dans le troisième on considère sa venue pour le jugement ou à l’heure de la mort.

« Sortez : » Par l’abdication de la volonté propre en tout ce qu’on peut faire ou laisser faire, ou même souffrir, on ôte à l’orgueil toute matière et occasion de s’exercer et on porte l’humilité à son plus haut degré.... L’engendrement se poursuit de l’abandon à la patience, douceur, bonté, compassion, libéralité. … le libéral ressemble à Dieu, car il ne vit en lui-même, il ne sent, que pour se répandre et donner.

« À sa rencontre : » Il faut se garder de poursuivre une double fin par l’intention, c’est-à-dire d’avoir Dieu en vue et quelque chose en outre.

SECOND NIVEAU : LE DÉSIR DE DIEU.

« Voyez : » La troisième unité, et la plus haute, est au-dessus de notre entendement et de tout ce que nous pouvons comprendre, et pourtant elle existe essentiellement en nous.  ... C’est ainsi que l’homme doit rapporter à Dieu toutes ses œuvres et toute sa vie, avec une intention simple et élevée, puis reposer au-dessus de toute intention, de lui-même et de toutes choses, dans l’unité sublime où Dieu et l’esprit aimant sont unis sans intermédiaire. ... Dieu nous est plus intérieur que nous ne le sommes à nous-mêmes, et son activité ou la motion qu’Il exerce en nous, naturellement ou surnaturellement, nous est plus proche et plus intime que notre propre activité.

« L’Époux vient, sortez : »

[Premier avènement] Automne de l’année (ou) ils sont un objet de dédain et de rebut pour tout leur entourage. Il arrive qu’ils tombent dans la maladie et différents maux. Certains sont en proie à des tentations d’ordre charnel ou spirituel, ce qui dépasse tout. De cette détresse résulte la crainte de la chute et du même coup un demi-doute. C’est là le point extrême où l’on puisse s’arrêter sans verser dans le désespoir…

[second avènement] Moyennant le premier ruisseau, qui consiste en une lumière simple, la mémoire est élevée au-dessus des suggestions des sens, placée et établie dans l’unité de l’esprit. Moyennant le second ruisseau, qui consiste en une clarté infuse, l’entendement et la raison sont illuminés pour connaître différents modes de vertus, différents exercices et le sens caché des Écritures d’une façon distincte. Moyennant le troisième ruisseau, qui consiste en une chaleur diffusée dans l’esprit, la volonté supérieure est enflammée d’un amour silencieux et dotée de dons abondants. C’est ainsi qu’on devient un homme d’esprit illuminé.

[troisième avènement] L’homme est alors possédé par l’amour, au point d’être obligé de perdre le souvenir de lui-même et de Dieu, et de ne plus rien savoir en dehors de son amour.

« À sa rencontre : »

[La base de toute union]… à la façon d’un miroir sans tache où l’image reflétée se conserverait toujours, et chaque fois que le regard s’y porte, c’est pour la connaissance, le principe d’un renouvellement perpétuel, à la lumière de nouvelles clartés. Cette unité essentielle de notre esprit avec Dieu ne subsiste pas par elle-même, mais elle demeure en Dieu, elle émane de Dieu, elle dépend de Dieu et elle revient à Dieu comme à son principe éternel347.

[L’union avec intermédiaire] (1) Par toute œuvre rapportée à Dieu seul par intention simple avec amour, (2) dans la crainte de Dieu, (3) l’esprit de générosité, (4) le discernement, (5) la force, (6) L’intelligence, (7) L’unité de jouissance où tout mode s’abolit, qui donne la sagesse par motion divine.

[L’union sans intermédiaire]. Et dans cette lumière l’esprit s’évanouit à lui-même dans un repos de pure jouissance, car ce repos est sans mode et sans fond, et on ne peut le connaître que par lui-même, c’est-à-dire en s’y livrant. Si nous pouvions en effet le connaître et le comprendre, il se prêterait à quelque mode et quelque mesure : ainsi il ne saurait nous satisfaire, ce ne serait plus la quiétude, mais une perpétuelle inquiétude.... (1) L’homme devient immobile intérieurement, impuissant en lui-même et dans toutes ses œuvres et il ne sait et ne sent rien d’autre au fond le plus intime de son être, dans son âme et dans son corps, qu’une clarté singulière avec un bien-être sensible et un goût pénétrant, (2) Par touche et œuvres d’amour, (3) Selon la justice, C’est ainsi que l’homme vit selon la justice : il va vers Dieu avec un amour fervent, par une activité qui est éternelle, et en Dieu, par l’inclination à la jouissance, il entre dans un éternel repos ; et il demeure en Dieu, encore qu’il sorte pour se porter vers toutes les créatures, avec un amour commun, dans la vertu et la justice.

TROISIÈME NIVEAU : LA VIE DANS LA CONTEMPLATION DE DIEU.

Nul n’y peut parvenir par son industrie ou par sa subtilité, non plus que par aucun exercice, c’est seulement celui que Dieu veut unir à son esprit et transfigurer par le don de Lui-même, qui peut accéder à la contemplation divine et nul autre. … Car comprendre et entendre Dieu au-dessus de toutes les figures, tel qu’Il est en Lui-même, c’est être dieu de par Dieu, sans intermédiaire ou quelque différence capable de s’interposer comme obstacle. … celui qui veut comprendre doit être mort à lui-même et vivre en Dieu.

« Voyez : » En premier lieu il doit être bien ordonné extérieurement dans la pratique de toutes les vertus, intérieurement ne buter contre aucun obstacle, et ainsi être aussi dégagé de toute activité extérieure que s’il n’en exerçait aucune. Car s’il se préoccupe intérieurement de telle ou telle œuvre de vertu, son esprit est envahi d’images, et aussi longtemps que durent ses préoccupations, il est incapable de contempler. En second lieu il doit adhérer à Dieu intérieurement, y appliquant son intention et son amour, comme enflammé d’une ardeur qui ne peut jamais s’éteindre. Dès l’instant qu’il sent en lui-même de telles dispositions, il est capable de contempler. En troisième lieu il doit se perdre lui-même dans l’indétermination sans modes, dans une ténèbre où tous les hommes adonnés à la contemplation s’égarent dans la jouissance, sans pouvoir jamais plus se retrouver eux-mêmes selon le mode des créatures.

« L’Époux vient : »… Toutes les opérations d’ordre créé et toutes les pratiques de vertu doivent ici se résorber, car ici Dieu s’engendre Lui-même.

« Sortez à sa rencontre : »… à cet endroit les personnes doivent se résorber, ainsi que tout ce qui vit en Dieu, car il n’y a ici qu’un éternel repos dans l’embrassement exultant où tout s’écoule dans l’amour. Et cela se passe dans l’Essence sans mode où, au-dessus de toutes choses, les esprits intérieurs ont élu leur séjour. C’est là que règne un ténébreux silence au sein duquel vont se perdre tous les amants.».


1389 Baha’ Al-din Naqshband (1317-1389)

Baha’ Al-din Naqshband laissera son nom attaché à la nombreuse postérité naqsbandie. Il reprend la tradition d’un dikr [pratique de la prière] exclusivement mental. À dix-huit ans il sert son maître Muhammad Baba à Sammâs «avec une ferveur et un dévouement si grands que ce dernier doit tempérer son ardeur348.» Après une période qui voit une expérience de vie publique de six années auprès d’un derviche ami devenu sultan Khalîl, suivie de « vicissitudes du destin » et d’hésitations, se produit l’événement fondateur. « Un jour, tout d’un coup, une voix lui dit : « Le temps est arrivé pour toi de te tourner vers notre Majesté ». Bouleversé il se convertit «à l’Islam véritable». Il montre encore «quelques faiblesses» avant son adhésion à la congrégation des Khwâjagân. Puis «rien désormais ne pourra le détourner… quand, pendant six mois la grâce divine l’aura abandonné et quand il voudra, découragé, “revenir au service des choses créées”, l’inscription sur la porte d’une mosquée invitant le passant à entrer et à ne pas se sentir étranger, lui fera retrouver son état d’âme antérieur.» États mystiques; fânâ, «son esprit est transporté dans la malakût [le royaume ou le monde psycho-spirituel] des cieux et, sous la forme d’une étoile, se dissout dans l’océan des lumières infinies. Ce que l’on rapporte sur ses débuts comprend quelques récits où… aucun obstacle ne lui paraît assez fort pour l’arrêter» :

« Dans cet état de désir et d’obsession, j’errais tout autour. Mes pieds furent blessés par des épines et des copeaux. J’avais sur moi un vieux costume en cuir. C’était l’hiver et il faisait très froid. Une nuit j’éprouvais le désir de parler au Maître. Lorsque je suis arrivé chez lui, il était assis dans un coin, entouré de derviches. Son regard béni se posa sur moi ; il demanda qui j’étais. L’ayant appris, il ordonna de me chasser vite de sa maison. J’en sortis, il s’en fallut de peu que mon âme en fût excédée et qu’elle déchirât la bride de la soumission et du  respect ; mais la grâce divine m’a aidé dans cette circonstance. … J’ai posé ma tête sur le seuil de la puissance et dit : “Quoi qu’il arrive, je laisse ma tête sur ce seuil”. Il neigea un peu et il faisait très froid. Au lever du jour, le Maître sortit de sa maison et posa son noble pas sur ma tête. Il releva ma tête de son seuil, rentra chez lui et m’amena. Il dit : “Mon enfant c’est à ta taille qu’on a cousu ce vêtement de bonheur”. Il retira de sa propre main bénie les épines et les copeaux de mon pied, lava mes blessures et me témoigna beaucoup d’amitié.... Quand il parlait de ses exercices ascétiques et de ses efforts, il mentionnait la paresse des postulants et finissait par dire : “Tous les matins quand je sors de la maison, je me dis que peut-être un postulant a posé sa tête sur mon seuil ; mais tout le monde est maître, il n’y a pas de novices.” Si l’on n’arrive pas jusqu’à l’Ami,/La règle de l’amitié est de mourir en quête »349.

Le jeune Baha’ al-Dîn imite les anciens maîtres et le malâmatî qui se considère indigne, ne fait pas montre de sa piété :

« Dans cette voie, le fait de se nier soi-même, de s’annihiler et de s’humilier est une affaire importante ; c’est le fondement même de la possibilité de prétendre réussir. C’est ainsi que je suis passé à travers toutes les classes d’êtres et que j’ai apprécié toutes les particules… Tant que je regarde mon état, il ne vaut pas plus qu’un grain, de la tête aux pieds.

« ... Je passai un jour à côté de la maison de jeux... deux hommes étaient plongés entièrement dans leur passion. Un d’eux avait perdu, il avait joué tout son argent et tout son crédit. Malgré cela, sa passion et son ardeur augmentaient à chaque instant. Il disait à son ami qui avait gagné : «Mon cher, si tout est fini, je ne bouge pas d’ici». J’ai vu son état, je fus étonné de sa passion et de son attachement à cette activité. Depuis ce jour, mon désir et mes efforts dans la Voie ont continué de progresser : Aussi longtemps que tu ne met pas du feu dans tout ce que tu as/Jamais tu n’arriveras à ce que la réalité du temps t’apparaisse bien350.

Molé résume : «L’attitude… est celle qu’engendre la conscience de l’absolue nullité de l’homme en face de Dieu : toutes les créatures sont nulles, mais aucune ne vaut mieux qu’une autre, le respect est dû à toutes. De là la solidarité universelle de toutes les créatures, l’amour porté aux animaux… des accents franciscains» :

«[Un ami de Dieu] m’ordonna également : «Il faut que tu te mettes à penser aux pauvres, aux faibles, aux malheureux, à ceux dont personne ne s’occupe, et à les servir ; et c’est ainsi que tu apprendras humilité et soumission»... ce fut pendant un certain temps la manière dont j’ai suivi la Voie. /Il m’ordonna alors : «il faut que tu tiennes ferme à respecter et à servir les animaux… occupe-toi de les guérir !»… j’ai pratiqué cela pendant huit ans351.

Le point essentiel suivant, attitude restée bien vivante à travers les siècles, est déjà vécu par Bistami [notice 849 Bistami/Bayazid (777 – 848/9)] et fut souligné par Sulami [notice 1021 Sulami (937 – 1021)] :

On demanda à Abu Yazid [Bistami] : Quel est le signe le plus grand du gnostique ? » Il répondit : « Que tu le vois manger avec toi, boire avec toi, plaisanter avec toi, vendre et acheter avec toi — tandis que son cœur est dans le royaume du Saint. C’est cela le plus grand des signes.352

La dernière longue note permet de préciser quelques points fondamentaux mis en valeur par Molé. Ils sont communs à Baha’ al-Dîn et à la Naqshbandîya.353.

1390 Hâfez de Chiraz (1316/1317 - 1390)

Le Divân, Ghazal n° 36  354.

1. Prédicateur, occupe-toi de ce qui te regarde ! Que sont ces cris ?

Moi, mon cœur a quitté le chemin. Toi, que t’est-il arrivé ?

2. Tant que Sa lèvre ne me mènera pas, comme la flûte, à mon désir,

les conseils du monde entier seront du vent à mon oreille !

3. Sa taille, que Dieu a créée de rien,

est un point subtil que nulle créature n’a dénoué.

4. Le mendiant de Ta rue n’a que faire des huit paradis.

Esclave de son attache à Toi, il est libre des deux mondes.

5. L’ivresse de l’amour m’a mis en ruine et pourtant,

le fondement de mon être prospère par cette ruine !

6. Mon cœur, ne gémis pas de l’injustice cruelle du Compagnon : le Compagnon

t’a précisément réservé ce sort et c’est là justice !

7. Va, Hâfez, et ne dis de contes ni ne murmure d’incantations !

Car j’ai trop de souvenirs de ces contes et de ces incantations.

1390 Ibn Abbad de Ronda (1332 – 1390)

« Dieu te met dans la dilatation d’esprit pour ne pas t’abandonner quand tu seras dans l’angoisse, et il te met à l’étroit pour ne pas te laisser lorsque tu seras dans la dilatation d’esprit. Il te retire des deux états pour que tu n’appartiennes à chose quelconque, sinon à Lui ».355.

« Le sens de cette sentence, c’est que ces deux états d’âme sont des qualités imparfaites, si on les compare aux états supérieurs. Les deux, en effet, impliquent nécessairement que le serviteur de Dieu est encore avec lui-même (et non avec Lui), qu’il se considère encore à lui-même (et non à Dieu).

Par contre, c’est une singulière faveur de Dieu envers son serviteur si, après l’avoir mis successivement en l’un ou l’autre état, il le retire des deux pour lui faire perdre la conscience de soi et le faire demeurer avec son Seigneur. Faris disait : « D’abord le resserrement, ensuite la dilatation, ensuite ni resserrement ni dilatation, parce que le resserrement et la dilatation surviennent en état de conscience, mais non lorsque le sujet perd la conscience de soi, ni lorsqu’il demeure avec son Seigneur ».

Et Al-Jonaid disait : « La crainte me met à l’étroit et l’espérance me place dans la dilatation d’esprit ; la vérité réelle me met dans le recueillement, et la conscience de demeurer avec Dieu me met en dispersion. Lorsqu’avec la crainte Il m’angoisse, il faut que mon être s’anéantisse ; lorsqu’Il me console avec l’espérance, il me rend à moi-même. Lorsqu’avec la vérité il me met dans le recueillement, Il me place en sa présence. Lorsqu’avec sa présence il disperse mon recueillement, il me fait contempler les choses en dehors de moi, et celles-ci comme avec un voile me Le cachent. C’est Lui qui en tout cela me met en mouvement et en repos. Lui qui m’abîme dans une triste désolation, au lieu de me consoler par sa familiarité. Si je sens ma présence, c’est parce que je goûte la saveur de mon existence. Plût à Dieu qu’Il m’anéantisse et me fisse sien, ou bien qu’Il m’absente de mon être et m’accorde le repos. »

« De toi on n’exige rien d’autre que la reconnaissance de ton absolue nécessité...

« Cette reconnaissance requise du serviteur de Dieu consiste en ce qu’il ne prétende pas posséder par lui-même la dose de pouvoir la plus minime ni aucune capacité pour rien. Elle consiste en ce qu’il ne croie disposer d’aucun secours créé sur lequel il puisse compter et s’appuyer, mais au contraire en ce qu’il se considère comme un naufragé sur le point de se noyer. »


~1390  Lalla (~1320 - ~1390).

À la croisée des traditions bonddhiques, sivaïtes et soufis, vécut au Cachemire une seconde Râb’ia qui appelait à la vraie liberté mystique. On découvrira le peu que nous connaissons de sa vie, mais surtout son chant en conformité avec ces influences, ainsi que des échos reconnus auprès d’autres mystiques, dans l’ouvrage356.

Marinette Bruno explique que lorsque «nous prenons à tort cet individu, ce moi factice pour le Soi et nous nous laissons fasciner par le monde que construit ce moi limité. Or, le “moi” ne constitue pas notre vraie nature, et ce qu’il saisit, ou plutôt construit, du monde trahit la réalité profonde de celui-ci. Dans de telles conditions, plutôt que de vouloir libérer au maximum les facultés (de parole, de pensée, d’action, etc.) de cet individu aux multiples conditionnements […] il convient d’effacer en quelque sorte ce personnage limité et de chercher à découvrir ce qu’il cache, le véritable Sujet connaissant, le Soi profond ou âtman. Par l’effet de la grâce qu’accorde Siva en la plus haute de ses fonctions, celle par laquelle Il se révèle, l’émergence du Soi s’accomplit, l’égarement commence à se dissiper et il s’instaure une nouvelle manière d’être au monde qui, au terme d’une plus ou moins longue transformation intérieure, pourra conduire à moksa, la libération ou délivrance. Le “libéré vivant” sera alors délivré de sa pseudo-connaissance en même temps que du “moi” ou individu ou sujet prétendument connaissant qu’il était ou plutôt qu’il se croyait être ; il aura recouvré sa vraie nature, sa nature divine. […] Tandis que le yogin avait au sein de l’extase une connaissance que les activités courantes -- le déroulement de la manifestation -- éclipsaient, en sahaja le libéré aux yeux ouverts voit le monde et la vie à la lumière de l’Essence innée qui se révèle et découvre qu’ils ne sont, au fond, pas autres qu’Elle. Lorsque sahaja est traduit par l’Inné ou l’Essence innée, c’est en ce sens spécifique qu’il faut entendre le mot.»

Accomplissement très simplement exprimé par les dits de celle qui précède d’un siècle Kabir. Ils nous sont parvenus rédigés en plus de cent quatrains. En voici cinq :


Q. 56

Nous fûmes et nous serons,

D’âge en âge nous avons été.

Faire naître et faire mourir pour Siva n’ont de fin,

Non plus que le lever et le coucher du soleil.


Q. 86

Comme invocation rituelle, répète le mantra du Cygne

[dont les deux syllabes inversées donnent : « Lui, je suis »]

Rejette le moi et alors, saisis-Le, Lui

De qui abandonne le moi, c’est Lui le Soi.


Q. 132

En Toi-même absorbé, Tu me restais caché.

Je passais tout le jour à chercher Toi et moi.

Lorsqu’en moi je Te vis, ô Toi,

À Toi et à moi j’accordai uu ravissement sans limite.


Q.137

Dans la perte, j’ai perdu la perte.

La perte perdue,

je suis revenue à l’océan de l’existence

[ayant tout perdu dans la nuit, devenue autre].

Riant, jouant, j’ai obtenu

la révélation de l’Essence ici même.

De ce que je dis là j’ai fait en moi l’épreuve.


Q.140

L’impureté s’envola de ma pensée comme les cendres d’un miroir.

[les cendres qui polissent le mioir]

Alors, j’obtins la Connaissance dans le monde même :

Lorsque je Le vis si proche de moi,

[Je sus que] tout est Lui, et moi, rien.

Devient chez une adaptation en sanskrit au XVIIIe siècle (trad. C. Poggi) : Q.140/31

Le miroir de mon esprit s’est illuminé,

La reconnaissance a jailli en mon être,

[« la voie simple et directe du cœur » qui se rapproche de la non-voie ou voie sans voie.]

J’ai vu alors le Divin en sa nature essentielle.

Rien n’existe, ni moi, ni Toi, ni même, en vérité, l’universel déploiement.


~1408 L’Imitation de Jésus-Christ, Thomas a Kempis (1379 – 1471).

On ne peut guère parler d’influence de Ruusbroec sur ce livre de Thomas a Kempis, rédigé en langue latine, marqué par l’ascèse des Frères de la Vie commune. Il a été le plus lu en chrétienté, en dehors de la Bible, donc aussi par tous les mystiques. Il fit l’objet de plus de quatre mille éditions et de nombreuses traductions célèbres dont, en français, celles de Corneille, de Le Maistre de Sacy, de Lamennais.

Attribué à Thomas a Kempis, il est issu de quatre traités rédigés par un seul auteur, dont le style s’affermit de livre en livre ; se détache le troisième, traitant de la vie intérieure.

L’homme doit combattre les requêtes de la nature humaine déchue pour se laisser imprégner des sentiments attribués à Jésus-Christ. Jésus est l’Ami fidèle, par lequel on trouve repos, consolation et paix du cœur. Le livre est « écrit en vue de la pratique et de l’expérience ; celles-ci sont conçues comme une montée progressive vers l’union avec Dieu. L’auteur de l’Imitation est de ceux qui estiment que le sens profond de la vie ne se trouve que dans l’intériorité357», comme le montre l’ouverture du troisième livre :


« Heureuse l’âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement… Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces. Leur langage est sublime ; mais si vous vous taisez, il n’échauffe point le cœur 358.»



La conformité est requise même si l’ascèse est toujours présente :

« … disposez absolument de moi en toutes choses. Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tout sens à votre gré359.

“… si je m’abaisse, si je m’anéantis, et si je me dépouille de toute estime pour moi-même, et que je rentre dans la poussière dont j’ai été formé, votre grâce s’approchera de moi et votre lumière sera près de mon cœur ; alors tout sentiment d’estime, même le plus léger, que je pourrais concevoir de moi disparaîtra pour jamais dans l’abîme de mon néant. Là vous me montrez à moi-même, vous me faites voir ce que je suis, ce que j’ai été, jusqu’où je suis descendu : car je ne suis rien, et je ne le savais pas360.”


1411 Gerlach Peters (1378-1411).

Gerlach Peters échappe à la tendance ascétisante régnant au sein des frères de la Vie commune.  Il était presque aveugle, ce qui retarda sa profession comme chanoine régulier du monastère de Windesheim et ses dernières années furent marquées par de terribles souffrances dues à la maladie de la pierre, dont il mourut à trente-trois ans.

Il notait ses pensées en petits fragments, comme Pascal. Son ami Jean Scutken les rassembla en un témoignage admirable, le Soliloquium ou Monologue de l’âme avec Dieu. Peters aborde le premier un thème qui reviendra particulièrement au XVIIe siècle sous le terme de désappropriation : Dieu se manifeste au plus profond de l’âme, et la croissance spirituelle consiste en ce qu’Il chasse tout ce qui est illusoire :


Ce regard a tant de force et de puissance, que le cœur de l’homme et le corps lui-même... défaillent... Bientôt tout nuage se dissipe devant le regard intérieur, et l’âme devient conforme, selon son mode, à Celui qu’elle voit ; de sorte que tout ce qui est vain, tout ce qui est étranger à Dieu, tout ce qui n’est pas selon le divin modèle disparaît et s’évanouit comme  la fumée devant un vent violent 361.”



Par l’introversion dans le fond de l’âme et l’unification des facultés sous l’emprise de la grâce,

Cette lumière de la vérité me réduit presque au néant... et après que je me suis ainsi réduit à rien, elle s’empare de ce regard que je fixe sur elle... L’uni étroitement à son propre regard pour... que je considère en elle et avec elle tout ce qui est ou peut être comme elle-même le considère. Par là je perds toute préoccupation inutile... tout ce que je suis... j’y acquiesce…”


Le mystique atteint et aime toute créature :

Et nous serons remplis d’une telle abondance, d’une opulence tellement débordante, qu’avec Jésus, nous nous répandrons sur toute la création de sorte que Dieu soit tout en tout. Nous désirerons que tous participent à la même richesse... sans anxiété et dans la dilatation intérieure... C’est ainsi, autant qu’il est en nous, que nous pouvons remplir le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent, par notre amour, qui est Dieu.”


Ainsi, malgré ses épreuves physiques, le mystique cherchera à vivre dans la paix et la dilatation intérieures, car 

tout ce qui inquiète et oppresse l’âme, aussi bon qu’il paraisse, est signe qu’on ne vit pas dans la volonté de Dieu. Si l’esprit ne sait pas continuellement respirer [...] c’est parce que le moi a construit autour de lui une étroite cellule et s’est isolé de l’espace divin. [...] Parce que le moi aspire à jouir de cette liberté promise, il sera tenté de réaliser lui-même cette désappropriation : c’est l’illusion la plus subtile et la plus fréquente.” Gerlac oppose l’annihilation, non de la personne humaine, mais de la tyrannie oppressante et toujours renaissante du moi ».

« Vouloir posséder la vie, qui est fondamentalement don et ne devient pleinement vie que lorsqu’elle est reçue, apporte avec soi amertume et angoisse » 362.

À l’opposé, Gerlac exprime la vraie façon de prier :

«Tous les élus rassemblés, nous les présentons et les offrons... comme une famille de choix, exposant les misères et les tribulations de tous...» 

~1420 Julian de Norwich (~1343 - après1416)

Norwich était un centre ecclésiastique important à l’époque et un port largement ouvert aux influences d’outre-Manche. L’époque de Julian «fut celle de Crécy, Poitiers et Azincourt, de la Peste Noire, de la Révolte des Paysans, de la montée des Lollards. [...] Les splendeurs du style flamboyant, telles qu’on peut les voir dans la cathédrale d’Exeter, certaines parties de la cathédrale d’York, des cathédrales de Lincoln et d’Ely, ont dû lui être familières; et il est bien possible que des échos des disputes philosophiques et théologiques des scholastiques du XIVe siècle soient parvenus jusqu’à la solitude de l’ermitage de Saint-Julien, à Conisford, Norwich»363. Julian influence de nombreuses personnes avant même que ses Revelations of Divine Love soient connues. L’archevêque de Canterbury lui fait un legs testamentaire en 1416; Margery Kempe, étrange figure que nous allons bientôt évoquer, la rencontre364. Au XVIIe siècle, Julienne sera introduite en France par l’intermédiaire du bénédictin mystique Augustin Baker.

Ses écrits ont une qualité unique de transparence, de fraîcheur et de joie. «Elle avait été formée par une littérature écrite en grande partie pour des laïques ignorant le latin et souvent illettrés [...] On leur parlait, avec un réalisme parfois macabre, des souffrances et de la mort du Christ. Mais, à mesure que nous lisons Julienne, nous voyons que ses descriptions n’ont rien de commun avec des méditations stéréotypées et que ses “seize révélations” constituent un document spirituel unique.» 365.

Elle a connu les œuvres anglaises de son temps : celles de Rolle, le Nuage, le Benjamin Minor de Richard de Saint-Victor traduit par l’auteur du Nuage, l’Échelle de la Perfection, la Théologie Mystique de Denys, et elle est fortement influencée par la Riwle. «On trouve plus surprenant, à première vue, que certaines parties de la Version Longue [des Révélations] présentent des affinités avec les œuvres de quelques auteurs du continent, notamment le grand dominicain Eckhart. Mais si l’on pense à l’influence qu’exerçaient alors les dominicains à Norwich, et aux relations commerciales intenses qui existaient entre Norwich et le continent, on comprend que des idées religieuses courantes à l’étranger aient pu aisément atteindre les oreilles même d’une recluse» 366. Ruusbroec peut être ajouté à la liste de ces influences. Elle a peut-être lu la Bible en traduction française et utilise les paroles de la Sagesse dans sa belle ouverture aux révélations 367 :

Il me montra une petite chose de la grosseur d’une noisette, au creux de ma main, et, pour autant que je pouvais voir, ronde comme une boule. Je la regardai et me dis : qu’est-ce que cela peut bien être? Et je reçus cette réponse : c’est tout ce qui est créé. Je fus stupéfaite que cela puisse subsister, car la chose me paraissait si petite qu’elle aurait pu disparaître soudain entièrement. Et dans mon entendement je reçu cette réponse : elle subsiste et toujours subsistera, parce que Dieu l’aime. Et c’est ainsi que tout ce qui existe reçoit l’être de l’amour de Dieu.368.

Les extraits qui suivent montrent la confiance, la liberté et la joie des Révélations qui contrastent avec beaucoup de textes de l’époque (que l’on pense à l’Imitation!), en particulier sur l’importance relative accordée au péché :

TOUT CE QUI EST FAIT EST BIEN FAIT

Je voyais vraiment (92)369 que Dieu fait toute chose, si petite soit-elle, que rien n’arrive par pur hasard, mais par l’éternelle providence de la sagesse de Dieu ; c’est pourquoi il me fallait admettre que tout ce qui est fait est bien fait. De plus j’étais certaine que Dieu n’a pas fait le péché, aussi me sembla-t-il que le péché est un néant.

DIEU NOUS PROTEGE TOUJOURS…

«(96) Après cela notre Seigneur me montra la souveraine jouissance spirituelle qu’Il prenait en mon âme. En cette jouissance je fus remplie d’un sentiment de sécurité inaltérable, puissamment assurée, sans aucune frayeur. Ce sentiment était si spirituel et si dilatant que j’étais dans la paix, le bien-être et le repos. Rien sur terre n’aurait pu me causer de peine. Cela ne dura qu’un moment et puis tout changea. Je fus abandonnée à moi-même, lourde, lasse de moi-même et dégoûtée de (97) vivre, si bien que j’avais peine à supporter la vie. Il n’y avait plus, en mon sentiment, ni bien-être ni réconfort, mais seulement espérance, foi et charité. Elles, je les avais en réalité, mais bien peu en mon sentiment. Et bientôt après, Dieu me donna à nouveau le réconfort et le repos dans l’âme : jouissance et assurance si bienheureuses et si fortes qu’aucune crainte, aucune tristesse, aucune souffrance, du corps ni de l’esprit, n’auraient pu m’angoisser. Et puis, la souffrance reparut à nouveau, en mon sentiment, et à nouveau la jouissance et la joie, et tantôt l’une et tantôt l’autre, à plusieurs reprises (je pourrais dire, une vingtaine de reprises). Dans les moments de joie, j’aurais pu dire avec saint Paul : « Rien ne me séparera de l’amour du Christ » ; et dans les moments de souffrance, j’aurais pu dire avec saint Pierre. « Seigneur, sauve-moi ! Je péris ».

« Cette vision me fut montrée pour m’enseigner (à ce qu’il m’en semble) qu’il est nécessaire à tout homme d’en passer par là — d’être parfois dans le réconfort et parfois de retomber et d’être abandonné à soi-même. Dieu veut que nous sachions qu’Il nous protège toujours pareillement, dans la consolation et dans la désolation, et qu’Il nous aime autant dans la désolation que dans la consolation. (97)

VOIS COMBIEN JE T’AI AIMEE

« Mais je ne vis pas le péché, car je savais par la foi qu’il n’a en aucune façon de substance ni de participation à l’être, et qu’on ne peut le connaître que par la souffrance dont il est la cause. Et cette souffrance, c’est quelque chose qui subsiste, à mon avis, tant qu’il dure, car elle nous purifie, et fait que nous nous connaissions nous-mêmes et demandions pardon. Car la Passion de notre Seigneur nous est réconfort contre tout ceci, et telle est Sa bienheureuse volonté vis-à-vis de tous ceux qui seront sauvés. Il réconforte promptement et doucement par Ses paroles et dit : « Mais tout ira bien ; et toute espèce de chose ira bien. » Ces paroles me furent révélées avec une grande tendresse, sans plus de reproche à l’encontre de moi-même ni d’aucun de ceux qui seront sauvés. Il y avait donc grande vilenie de ma part à reprocher ou demander quelque chose à Dieu à propos de mes péchés, puisque Lui ne me reproche point d’avoir péché. (113)

« Je vis donc comment notre Seigneur a compassion de nous à cause du péché ; et de même qu’auparavant, à cause de la Passion du Christ, j’étais remplie de souffrance et compassion, de la même manière étais-je alors remplie de quelque chose de cette compassion pour tous mes frères  chrétiens. Et alors je m’aperçus de ceci : lorsque la compassion pour ses frères-chrétiens jaillit naturellement d’un homme qui vit dans la charité, c’est en lui le Christ.

SUR LA PRIERE

« (129) C’est tout ceci que notre Seigneur porta soudain à mon entendement ; et, avec force et d’une manière vivante, il m’affermit contre cette sorte de faiblesse dans la prière, disant :

« Je suis au fondement de ta supplication.

Tout d’abord, c’est Ma volonté que tu aies telle chose.

Puis, Je fais que tu la veuilles.

Et puis, Je fais que tu M’en supplies.

Et si tu M’en supplies,

comment pourrait-il se faire alors que tu n’obtiennes pas

cette chose pour laquelle tu M’as supplié ? »

XXII EN NOUS IL A SA DEMEURE LA PLUS INTIME

« (140) Alors je restai tranquille, éveillée ; et notre Seigneur ouvrit les yeux de mon esprit et me montra mon âme au milieu de mon cœur. Je vis mon âme aussi vaste que si elle était un royaume, et d’après ce que j’y vis, il me sembla que c’était une Cité glorieuse. Au milieu de cette Cité siège notre Seigneur, vrai Dieu et vrai homme - magnifique en Sa personne et de haute stature - le glorieux, le Très-Haut Seigneur ; et je Le vis en majesté, revêtu de gloire. Il siège au centre même de l’âme, en paix et repos, et régit et conduit le ciel et la terre et tout ce qui existe. L’Humanité, avec la Divinité, se tient là en repos et la Divinité régit et dirige sans aucun intermédiaire ni affairement ; et mon âme est bienheureusement possédée par la Divinité qui est Souveraine-Puissance, Souveraine-Sagesse, Souveraine-Bonté.

L’AMOUR CHANGE POUR NOUS EN DOUCEUR LA PUISSANCE ET LA SAGESSE

«(148) La raison pour laquelle nous sommes accablés par nos souffrances, c’est que nous méconnaissons l’Amour. Bien que les Personnes de la bienheureuse Trinité soient toutes égales en qualité, l’Amour me fut montré surtout en ce qu’il est le plus proche de nous tous. Et c’est à le reconnaître que nous sommes le plus aveugles. Car beaucoup d’hommes et de femmes croient que Dieu est Toute-Puissance et peut tout faire ; et qu’Il est Toute-Sagesse et sait tout faire ; mais qu’Il soit Tout-Amour et veuille tout faire — là ils s’arrêtent courts. Et cette méconnaissance est ce qui gêne le plus les cœurs épris de Dieu. Car lorsqu’ils commencent à haïr le péché et à amender leur vie selon les ordonnances de la Sainte Église, il leur reste encore une crainte qui les pousse à se regarder eux-mêmes et leurs péchés passés. Et ils prennent cela pour de l’humilité, mais c’est un abominable aveuglement et une faiblesse que nous sommes impuissants à mépriser.


DIEU VEUT QUE NOUS SOYONS PLEIN D’ASSURANCE DANS L’AMOUR

« (152), Car Dieu veut que nous soyons toujours pleins d’assurance dans l’amour et paisibles et tranquilles, comme Il l’est envers nous. Tel Il est envers nous, tels Il veut que nous soyons envers nous-mêmes et envers nos frères-chrétiens. Amen. »


1428 Jîlî (1366-1428)

Titus Burkhardt est un bon commentateur du sufi Jîlî370. Il précise ainsi le sens du terme « mystique » :

«Il nous semble légitime d’appeler le Soufisme «mystique musulmane», à condition toutefois de donner à l’expression «mystique» son sens originel et précis : le Soufisme a pour but une connaissance dont la nature intime est «mystère», qui ne peut donc être pleinement communiquée par la parole; ceci ne signifie nullement qu’elle soit incertaine ni qu’elle soit vague dans ses manifestations; au contraire, elle rayonne dans l’ordre humain selon des lois strictes. La logique ne saurait la circonscrire; en revanche, la vraie connaissance mystique est souveraine à l’égard de la raison et peut se servir de cette dernière pour retracer, comme par une projection inversée, les réalités qu’elle atteint d’une manière directe et au-delà de tout contour mental.

«Son organe n’est pas le cerveau, mais le cœur où la connaissance et l’être de l’homme coïncident. En dehors de ce centre inaccessible à la pensée, toute perception apparaît comme distincte de la nature de son objet; c’est dans le cœur seulement que l’homme est ce qu’il connaît, et qu’il connaît ce qu’il est.

«Cependant, là où la Connaissance rejoint son propre être, et où l’Être se connaît lui-même dans son immuable actualité, on ne saurait plus parler de l’homme. Dans la mesure où l’esprit plonge dans cet état, il s’identifie, non pas à l’homme individuel, mais à l’Homme universel (al-insân al-kâmil), qui constitue l’unité interne de toutes les créatures. L’Homme universel est le tout; c’est par une transposition de l’individuel à l’universel qu’on l’appelle «homme»; essentiellement, il est le prototype éternel, illimité et divin de tous les êtres.

«L’homme universel n’est pas vraiment distinct de Dieu; il est comme la Face de Dieu dans les créatures. Par l’union avec lui, l’esprit s’unit à Dieu. Or, Dieu est tout et en même temps au-dessus de tout, Il est à la fois immanent et transcendant; de même, l’esprit, dans cet état d’union, s’unit aux créatures dans leurs essences, par une intuition directe; en même temps, il est comme un diamant…»

Voici des extraits du livre de Jîlï :

«... on ne comprend une chose qu’en vertu d’une relation, qui lui assigne une position [...] or, il n’y a, dans toute l’existence, aucune «relation» qui situe l’Essence, ni aucune assignation qui s’applique à Elle... (31)

«... tu sais, par voie d’intuition divine, que toi c’est Lui, et que Lui c’est toi, sans qu’il y ait fusion des deux, le serviteur étant serviteur et le Seigneur étant Seigneur... (41)

«... l’on peut considérer les existences à des miroirs confrontés reflétant chacun l’ensemble des autres. (47)

«Dieu se révèle à Ses serviteurs par générosité [...] Il ne se révèle qu’à Lui-même, bien que nous appelions alors cette réalité subtile divine “serviteur”, vu qu’elle en tient la place; ou bien : il n’y a là ni serviteur ni Seigneur, car s’il n’existe plus de serviteur, le Seigneur cesse d’être Seigneur; en réalité, il n’y a plus que Dieu seul, l’Unique, l’Un. La créature n’a d’être que par attribution contingente, En réalité elle n’est rien.» (73)

The book of Margery Kempe (~1373 ~1440)

Il faut un effort d’accommodation pour aborder ce texte à la fois continu, concret et détaillé, retrouvé tardivement en 1934, et qui se prête difficilement au florilège 371. L’auteure, issue du milieu citadin aisé du Norfolk, tenait une brasserie! Elle surmonta une folie greffée sur la peur, vécut quatorze grossesses, rencontra la dérision de beaucoup, mais aussi l’aide de clercs et d’ermites — dont Julian de Norwich qui la rassura — et affronta le risque d’être brûlée comme hérétique.

Un jeune homme fasciné par le visage et le comportement de ladite créature, et poussé par l’Esprit-Saint, vint la trouver tout seul, dès qu’il le put, avec le fervent désir de connaître la cause de ses pleurs… Avec la douceur et l’humilité qu’elle jugeait souhaitable, c’est avec joie qu’elle le félicita de son projet [de conversion] en lui révélant partiellement que ses pleurs et ses sanglots étaient dus à son manque d’amour [d’elle-même] pour son créateur; ce qui bien souvent était une offense à Sa bonté.372.

Elle conserva l’amitié de son mari, entreprit des pèlerinages qui la menèrent en Terre Sainte, à Compostelle, en Pologne… et dicta finalement la première biographie spirituelle féminine anglaise connue, unique par sa franchise et son abondance de détails intimistes (ils prouvent qu’elle fut indubitablement mystique). On trouve des parallèles avec des témoignages appartenant aux femmes du XVIIe siècle. Comme dans la Relation de Québec sur Marie de Vallées, ils portent sur la peur de se tromper :

Notre-Seigneur lui dit alors intérieurement… Et si dans tes paroles ou tes larmes tu ne sens plus Ma grâce, n’aie pas peur, c’est que je te la retire parfois, car je suis en toi un Dieu caché pour que tu n’éprouves pas de vaine gloriole et que tu comprennes bien que tes pleurs et de tels entretiens ne te sont accordés que si Dieu le veut; ils sont les fruits de Ses dons gratuits sans aucun mérite de ta part.373.

1471 Denys le chartreux (1402-1471).

Il entra à la chartreuse de Zelem, le monastère du frère Gérard (-1377) qui décrivit la visite de Ruusbroec à Hérinnes, puis il fut inscrit à l’université de Cologne. Quatre ans plus tard, fixé à la chartreuse de Ruremonde, il composa de très nombreux ouvrages : l’édition latine moderne couvre 44 volumes374. Le livre II du De vita et fine solitarii est un « véritable petit traité de contemplation » dont Fénelon citera plusieurs passages. La théologie mystique de ce deuxième Denys associe les deux notions du pur amour et du nuage d’inconnaissance  :


« C’est par l’ignorance actuelle de toutes choses et par un amour très ardent, qu’on atteint à la vision mystique375.

« C’est en contemplant et en aimant Dieu que nous nous rendons semblables à Lui. C’est pourquoi les contemplatifs sont appelés divins.

Le principal travail du solitaire, est de se maintenir dans une union aussi actuelle et aussi continue que possible avec Dieu... de telle sorte que le souvenir de Dieu lui soit tellement fortement et amoureusement imprimé dans le cœur, qu’en aucune occupation, aucun lieu, aucun temps, il ne L’oublie, mais que toujours, qu’il mange, qu’il boive ou fasse autre chose, son esprit soit dirigé vers Dieu376.”


1477 Henri van Herp/Harphius (1400 - 1477).

Le “héraut de Ruusbroec” réside chez les frères à Delft en 1445. On lui offre une maison à Gouda dont il devient le premier recteur, organisant avec succès des conférences spirituelles et faisant bâtir cinq ou six cellules pour les frères et les hôtes.  En 1450, frappé par le renouveau franciscain lors d’un voyage à Rome, il se fait frère mineur et sera actif à Malines, près de Bruxelles, et à Anvers : la province s’accroît de trois ou quatre nouveaux couvents. Il meurt gardien du couvent de Malines.

Sa doctrine spirituelle serait en retrait par rapport à celle de Ruusbroec si l’on suit l’édition postérieure à la censure romaine : il semblerait abandonner l’opinion de Ruusbroec selon laquelle, lorsque dans la vie suressentielle “l’union sans différence” est atteinte, l’âme demeure habituellement dans la Divinité, et en sort pour agir d’une manière parallèle à celle des Personnes divines» 377.

Son œuvre maîtresse, Le Miroir [Spieghel] de la Perfection, fut traduite du moyen néerlandais en latin par un chartreux de Cologne en 1536 et récemment en italien378; la Theologia mystica est un recueil d’œuvres rassemblées par ses disciples, dont la troisième partie, l’Eden, est une intéressante préparation du Spieghel. Sa belle traduction française du début du XVIIe siècle mériterait d’être rendue disponible379. Il traite magnifiquement de l’amour de conformation :

« [656] La flamme de la charité ne veut laisser aucun entre-deux entre soi et l’aimé. ... [683] Le conformé donc imitant jalousement son conformant, s’approfondit en Dieu par chacun moment, et étant fait un avec Dieu, habite toujours en unité.... Il semble néanmoins à quelques-uns... qu’ils n’aiment point Dieu, et ne se reposent en Lui : mais l’amour est cause de cette apparence ; car quand ils désirent aimer plus intensivement, qu’il ne leur est permis par leurs propres forces, et qu’ils viennent à défaillir à leur amour, ils se plaignent de ne point aimer. /Secondement par l’envoi des rayons de ce don [d’amour], notre esprit est illuminé intellectuellement et nous enseigne à considérer notre noblesse... [685] Dieu opère en nous premièrement devant tous autres dons, et toutefois, est le dernier de tous, connu et senti de nous en sa propre nature. Car après être devenus simples d’esprit, chômant d’action, dénués de toutes images, immobiles, libres, morts à nous-mêmes, vivants à Dieu, nous avons ainsi cherché Dieu... nous sentons la descente des grâces... en ce renouvellement d’attouchement, l’esprit humain tombe en famine… »

Selon Herp, l’affection amoureuse est plus importante que l’entendement ; l’accès à la vie mystique est préparé par l’oraison aspirative, prière courte et intense, selon quatre pas : s’offrir à Dieu totalement, requérir la volonté divine de se manifester afin que l’âme se connaisse, se conformer lorsque le feu de l’amour s’allume dans le cœur et consume les défectuosités, s’unir à la volonté divine en y déversant la sienne. Il évoque avec lyrisme l’union mystique, traite  De la très heureuse déification de l’âme amoureuse et parcours huit échelons de l’échelle d’amour :

« [715] l’esprit et l’âme ne sont qu’une même substance... l’esprit humain est quelquefois tant soustrait du corps, et de l’âme […) qu’il oublie tout ce qui est extérieur et pareillement ignore ce qui se fait... par mémoire ou entendement… [720] Amy, montez plus haut.

Son influence fut large. Elle s’exerce (en parallèle avec Ruusbroec) chez les mystiques du nord par l’intermédiaire de La Perle évangélique. En Espagne il influence Osuna, un franciscain comme Herp, et lu par Teresa. Au XVIIe siècle, il est apprécié par Constantin de Barbanson et  Benoît de Canfield, des chartreux et des capucins, le carme Jean de Saint-Samson380; plus tard le pasteur Poiret fait connaître Herp par sa Bibliotheca mysticorum (1708) qui eut une grande influence sur des Écossais et des piétistes allemands et déclarera : «Personne  n’a pénétré comme lui  dans la profondeur des états intérieurs d’une âme abandonnée à Dieu»381.




1492 Jâmî (1414-1492).

Enfant prodige initié à la voie naqsbandie, protégé par le « roi » timouride Bâyqarâ, durant l’âge d’or de la ville de Harat, une des deux capitales avec Samarcande382.

Quatrain

« Pour celui dont l’anéantissement est la méthode et la pauvreté la règle

Il n’y a plus ni vision ni certitude, ni mystique ni religion.

Celui-là a disparu : ne reste que Dieu, Dieu !

Voilà ce que veut dire « la pauvreté parfaite c’est Dieu ! »


Neuvième illumination

« L’anéantissement (fanâ) consiste en ceci : la conscience secrète (bâtin) est envahie par la manifestation de l’Être du Vrai, et il ne lui reste plus aucune conscience de ce qui est autre que Lui.

« L’anéantissement de l’anéantissement consiste en ce qu’il ne reste même pas le sentiment de cette inconscience. Il est clair que l’anéantissement de l’anéantissement fait partie du processus de l’anéantissement. En effet, si celui qui s’anéantit garde conscience de son anéantissement, il n’accède pas vraiment à l’anéantissement, car l’attribut « anéantissement » et « celui qui-en est affecté » font partie de la catégorie « autre que le Vrai » — loué soit-Il ! — et la conscience qu’on en a est contradictoire avec (la définition de) l’anéantissement.

Quatrain

« Si c’est ta propre perdurance (baqá) que tu recherches

Comment videras-tu d’un seul grain le grenier de ton être ?

Tant que tu gardes conscience d’une seule pointe de tes cheveux

Si tu te vantes de suivre la voie de l’anéantissement, tu t’égares. »

Citations

« La désunion, c’est de disperser son cœur en l’attachant à des objets multiples. L’union c’est de se servir de toute chose pour la contemplation de l’Unique. Certains s’imaginent que l’union consiste à réunir les choses et ils restent éternellement dans la dispersion. D’autres, ayant acquis la certitude que la réunion des choses est une cause de dispersion, se sont détachés de tout. (43)


« L’anéantissement consiste en ceci : la conscience secrète est envahie par la manifestation de l’Etre du Vrai, et il ne lui reste plus aucune conscience de ce qui est autre que Lui. (67) »


~1500? Derviches anatoliens

« Venu ? Passé ? Comment savoir ?

Pour moi ni pleurs ni désespoir

Te quitter ? Je ne l’ai pas dit

De toi que ferai-je, ma vie?383 23


Écoutez, ô mes amis, l’amour est un soleil

Le cœur sans amour est une pierre (…)

Le cœur d’amour, lui, brûle, fond et devient cire 33


Capricieuse notre vie comme en un clin d’œil est venue

Est passée à notre insu comme un oiseau se pose et vole


Comme est passé ce grand vent nous ne l’avons jamais su

Il en est pour nous à présent comme une brise souffle et passe 37


Tu as été aimé, tu as été créé dans cet univers

Quel est celui qui aime, de lui parle-nous 38


Il n’y a ni relai ni arrêt, ni corps ni être humain

À part Dieu en somme il n’y a rien, alors où donc est-ce que je tourne?  51


J’éteindrai le feu de leur être, je romprai le talisman de leurs digues

J’enlèverai les barrières de leur moi, pour cet ami je les harnacherai

Ces cœurs devenus de pierre je les casserai avec la masse d’amour

Je ferai couler l’eau de la vie qui sera source dans leur cœur 52


As-tu vu sous la neige la montagne d’en face

Plus rare au fil des jours elle fond et s’en va

As-tu compris la leçon des eaux qui s’écoulent

Prosternées le front au sol et s’en vont ?


Tu es puissant, ô grand seigneur, tout-puissant

Où que je pose mon regard, là, tu es présent

Au-dessus de nous ciel de tente sur quatre mâts

Tu nous enveloppes tous et tu t’en vas.


Vague sur vague ces grands oiseaux qui viennent

Couverts d’émail, les soleils ne les brûlent point

Les arbres qui de tout temps donnent des fruits

Eux non plus ne demeurent, ils pourrissent et s’en vont.


Notre mer est profonde, on y perd pied

Je dirais mille et un mots, nul ne serait compris 70


Nous, oiseaux en ce monde, volant de tous côtés, nous passons,

Mangeant les nourritures de Dieu, buvant ses eaux, nous passons.


Sur notre route il y a un piège qu’on appelle la mort,

Aucune peur n’en avons, ouvrant nos ailes nous passons. 97


Les dévots se prosternent vers le mihrab de la mosquée,

Au seuil de la bien-aimée je me prosterne, c’est mon affaire.

...

On demande à Nesimi : es-tu bien avec ta bien-aimée ?

Que je sois bien ou non, ma bien-aimée est à moi, c’est mon affaire. 101


Réveille-toi donc, ô ignorant, du sommeil de l’ignorance

Ta vie est venue et passée, le sais-tu

As-tu appris le mystère de l’unité

L’oiseau de ton âme s’est envolé, le sais-tu. 105 »


1508 Nil Sorskij (1433-1508), influence

On touche ici au rôle de la direction spirituelle issue de la tradition des Pères du désert, ranimée par saint Nil Sorskij (1433-1508), dont le monastère du lac blanc garde de nos jours encore la paix du skit proche384.

« Homme de prière, Nil se tient à distance de cette utopie politique [prônée par le réformateur Serge de Radonèje]. Proclamant hautement la transcendance de Dieu et de ses commandements, il s’établit sur le roc de la liberté intérieure […] Le jeune moine russe séjourne assez longtemps sur la Sainte Montagne [le mont Athos, qui rayonnait encore sur la Russie malgré sa décadence : il n’y trouve pas de maître vivant]… ce qu’il lit est ainsi appelé à se transformer en expérience personnelle vécue… [de retour, près du Lac Blanc, au nord de Moscou, s’installant] dans une région inhospitalière… le Skit  se compose de quelques cabanes éparpillées dans une clairière bordée de sapins et de bouleaux. Elles entourent une église construite en bois… les moines vivent frugalement du travail de leurs mains… la question posée par Nil et ses amis n’est pas « que croire pour être sauvé ? », mais « comment vivre en conformité avec l’appel évangélique à la perfection ? »… ses auteurs préférés incluent Syméon le Nouveau Théologien.

« Parmi les disciples de Nil, plusieurs connurent, un destin tragique […] Les idées et les écrits de Nil n’en continuèrent pas moins à circuler dans le milieu des moines, en particulier dans les loin­tains skits et ermitages du Nord, refuge des startsy persécutés, marginalisés, accusés de cacher les héré­tiques. La petite flamme de la prière mystique allumée par Nil continuera d’y être transmise de maître à disciple. Elle couvera sous la cendre jusqu’au moment où elle sera ranimée, paradoxalement, par un moine de la Russie méridionale. En quête de ressourcement lui aussi, un jeune ukrainien, Païsij Velitelkovski, découvre au Mont Athos, à la fin du 18e siècle, les écrits du starets de la Sora [lieu du premier skit]. Cette découverte est à l’origine du renouveau philocalique qui, à partir de l’œuvre de Païsij, a insufflé une vie nouvelle au monachisme orthodoxe en Roumanie, dans les pays slaves et en Russie. Représenté par saint Seraphim de Sarov et par les starets d’Optino, plus tard par Ignace Briant­elaninov et Théophane le Reclus, ce printemps spirituel ramène à l’Église une partie de la classe intellectuelle et influence la « renaissance » spirituelle du début du 20e siècle, dont les principaux protagonistes, après la révolution de 1917, émigrent en Europe et en Amé­rique385.

Les vieux croyants386, Seraphim puis l’école d’Optino fréquenté par les intellectuels, dont Dostoïevsky, gardèrent vivante cette tradition au cours des siècles387 — comme de nos jours quelques membres isolés de l’Église orthodoxe, non compromis avec les régimes politiques qui se succèdent.


1510 Catherine de Gênes (1447 - 1510)

«La Dame du pur amour» est mariée à seize ans. À l’âge de vingt-six ans, après dix années de désolation intérieure, survient l’expérience de l’Amour divin, selon le « schéma » déjà vécu par Angèle de Foligno et commun à de nombreux mystiques.  Suivent quatre années de pénitences sévères puis vingt-deux années d’une vie mystique active : elle dirige la section des femmes d’un hôpital à partir de 1490, puis s’occupe de son mari, qui meurt en 1497.

À partir de 1499 elle accepte le confesseur Marabotto, probablement pour permettre à un groupe de fidèles de se former autour d’elle. La dernière période d’une vie assez longue dure onze années : elle meurt en 1510, âgée de soixante-trois ans.

La Vita qui nous est parvenue groupe les « dits » recueillis par ses proches. Elle-même n’a rien écrit. Cependant son influence fut considérable : la Vita est un des textes biographiques célèbres au XVIIe siècle. Jeanne Guyon, qui fut mariée à seize ans, qui sortit de la nuit à vingt-huit ans, et qui vécut soixante-neuf ans, mènera près de deux  siècles plus tard une vie assez comparable à celle de Catherine, toutes ces vies féminines s’écartant assez peu du « modèle » imposé généralement aux femmes qui demeurent « dans le monde ».

Elles subissent un mariage précoce dicté par les familles, avant que le veuvage ne leur donne la possibilité d’acquérir tardivement quelque liberté.  Leurs activités sont alors circonscrites aux œuvres hospitalières et à une influence plus ou moins discrète sur un cercle de proches disciples — à moins que ne rentrant dans les ordres, elles ne soient ensuite connues surtout sous leur deuxième identité (c’est le cas de madame Acarie, première Marie de l’Incarnation, de la baronne de Chantal devenue la mère fondatrice des Visitandines, et de nombreuses figures moins célèbres). Connaissant très bien la Vita et y retrouvant de nombreux parallèles dans les vécus, Jeanne Guyon s’en inspire dans sa Vie par elle-même tandis que son propre Traité du Purgatoire s’inspire de celui de Catherine.

Reprenons de façon détaillée le vécu de cette dernière. Nous alternons un résumé de l’introduction biographique par P. Debongnies avec des citations de sa belle traduction de la Vita388 :

« Les Fieschi étaient au xve siècle une des familles les plus importantes de Gênes, la plus notable du parti guelfe. Elle s’enorgueillissait d’avoir donné à l’Église deux papes, Innocent IV et Adrien V, des cardinaux, des évêques, et des doges à la cité. Giacomo Fieschi, qui descendait de Robert, frère du pape Innocent IV, épousa en 1418 Francesca di Negro, de noble lignage, dont il eut cinq enfants. Il avait rempli des charges importantes dans la cité, quand il fut fait vice-roi de Naples (1438-1439) par René d’Anjou. Il mourut en 1446, avant le 15 septembre.

« Catherine naquit dans les premiers mois de 1447, sans qu’on puisse préciser la date. Elle ne connut pas son père. Sa sœur Limbania était entrée chez les chanoinesses de Santa Maria delle Grazie ; la cadette sentit l’inspiration de la suivre. À treize ans elle fit sa demande, mais elle ne fut pas agréée, très probablement par suite de l’opposition de la famille qui l’avait déjà promise en mariage, comme il appert d’un acte du 27 août 1456 (donation des Doria en vue de ce mariage). À des fins de politique familiale et citadine, elle fut en janvier 1463 donnée pour femme à Julien Adorno, d’une grande famille gibeline, notablement plus âgé qu’elle. Déjà signalé par ses avatars politiques, Julien ne l’était pas moins par son inconduite ; dès avant son mariage, il avait eu cinq enfants. Cette union ne fut pas heureuse :


« Les cinq premières années, il la tint si étroitement qu’elle ne savait ce que sont les choses du monde. Les cinq années suivantes, pour secouer ces grands chagrins que lui donnait son mari, elle se mit à rechercher la conversation des autres dames, à s’adonner aux choses du monde, comme faisaient les autres389.

 « De conduite fort dissolue, il dissipa tout ce qu’elle avait, si bien qu’ils se trouvèrent ruinés. Au bout de ces dix ans, Catherine fut appelée de Dieu [...] dans les trois mois qui précédèrent sa conversion, il lui survint une très grande tristesse d’esprit, un dégoût profond de toutes les choses de ce monde, qui lui faisait fuir la compagnie. Elle éprouvait une si profonde tristesse qu’elle était insupportable à elle-même, ne sachant ce qu’elle voulait. Les cinq dernières de ces dix années dont on vient de parler, elle s’était adonnée aux occupations extérieures, recherchant les plaisirs et vanités du monde [...] Quoiqu’elle cherchât maintenant des distractions extérieures, cette tristesse du cœur, loin de diminuer, ne faisait qu’augmenter, tant lui était insupportable la conduite de son mari. Ce fut au point que se trouvant un jour dans l’église Saint-Benoît c’était précisément la veille de la fête du saint — elle lui dit, dans l’extrémité de sa douleur : “Saint Benoît, priez Dieu qu’il me tienne trois mois au lit, malade”. Elle parlait ainsi comme une désespérée, ne sachant plus que faire, dans le tourment d’esprit et de cœur où elle se trouvait390.»


« Sa conversion fut subite, suite à une expérience vive et profonde de l’amour divin, le 22 mars 1473 : Le jour après la fête de saint Benoît, dame Catherine sur les instances de sa sœur moniale, alla pour se confesser au confesseur de ce monastère. Ce n’est point qu’elle eût goût de se confesser, mais sa sœur lui avait dit : « Va au moins te recommander à lui, parce que c’est un bon religieux » — et de fait, c’était un saint homme. Tout d’un coup à peine agenouillée devant lui, elle reçut au cœur la blessure d’un immense amour de Dieu, avec une si claire vue de ses misères et de ses défauts, et aussi de la bonté divine, qu’elle en fut pour tomber à terre. Ensuite de ce sentiment de l’immense amour de Dieu et des offenses qu’elle avait fait à ce Dieu de douceur, elle fut tirée avec tant de force hors des misères du monde, par un mouvement tout purifié de son cœur, qu’elle resta comme hors d’elle-même. Sous cette impression elle criait en son cœur avec un amour enflammé : « Plus de monde! plus de péché391.


« Catherine a toujours présenté cette conversion comme subite et totale. Elle fut instantanément et tout à la fois purgée, illuminée et transformée — ce qui n’empêche de distinguer plusieurs étapes dans la suite de sa vie. Il y eut d’abord quatre années de pénitences sévères, de renoncements énergiques. Peu de mois après la conversion, Julien, ruiné par ses désordres, revient à Dieu et à sa femme ; ils s’établissent dans une dépendance de l’hôpital de Pammatone,  se consacrant l’un et l’autre au service des malades. Elle se confesse fréquemment, communie tous les jours avec une faim inexprimable. En 1476, elle commence, par inspiration intérieure, des carêmes et des avents dans un jeûne absolu et forcé. » La conversion de son, mari eut lieu la même année. Catherine n’eut pas d’enfants. La deuxième période va de 1477 à 1499. Toutes les pénitences lui sont alors tirées de l’esprit ; elle est dirigée uniquement par l’inspiration intérieure, sans direction sacerdotale :


Elle disait encore que si elle eût vu toute la Cour céleste vêtue de même manière de sorte qu’il n’y eût pas de différence de vêtement entre Dieu et les anges, néanmoins l’amour qu’elle avait au cœur aurait reconnu Dieu comme le chien reconnaît son maître, et même bien plus vite et avec moins de peine, parce que l’amour qui est Dieu même, instantanément et sans intermédiaire découvre sa fin et son repos suprême (Ibid., Ch.3).



Un tel élan est couronné :

 Au terme de ces quatre années dont il a été question, il lui fut donné un esprit net, libre et rempli de Dieu, à ce point qu’il était fermé à toute autre chose. Quand elle assistait aux prédications ou à la messe, elle était tellement occupée de ce sentiment intérieur qu’elle ne voyait ni entendait ce qui se disait ou se faisait hors d’elle (Ibid., Ch. 5).



Elle va directement au but, sans s’embarrasser d’intermédiaire ni de méthode, ce qui transparaît dans les « dits » admirables rapportés par Marabotto :

«L’Amour lui dit un jour à l’esprit : «Ma fille, observe les trois règles que voici : ne jamais dire : je veux, je ne veux pas. - Ne jamais dire : mien; tu diras toujours : nôtre. - Ne jamais t’excuser, sois prompte à t’accuser.» Il lui dit encore : «Quand tu réciteras le Pater, prends pour fondement le fiat voluntas tua, c’est-à-dire, ta volonté se fasse en toute chose, dans l’âme, le corps, les fils, parents, amis, les biens et toute autre chose qui puisse te toucher, et en bien et en mal. De l’Ave Maria prends Jésus; qu’il te soit toujours fixé au cœur, et il te sera un doux guide, un bouclier au cours de cette vie et en toutes tes nécessités. Du reste de l’Écriture prend pour ton soutien ce mot : Amour. Avec lui tu iras toujours droite, nette, légère, attentive et soigneuse, toujours prête, illuminée, sans erreur et sans guide ni aide d’autre créature, parce que l’amour n’a pas besoin d’aide, il suffit pour accomplir toute chose sans peur et sans effort (Ibid., Ch. 6).»

« Elle continue d’ailleurs, avec un zèle et un à-propos que ses ravissements ne troublent pas, son œuvre auprès des malades. [...] C’est gratuitement toujours qu’elle s’applique au service des malades, et spécialement des pestiférés durant la terrible épidémie qui dévaste Gênes en 1493. Alors elle opère des prodiges de charité, la Vita nous a rapporté qu’ayant baisé une tertiaire de saint François atteinte de la peste, Catherine gagna la contagion et faillit mourir (chap. 8). En 1489, elle fut par les protecteurs de l’hôpital, élue directrice pour la partie des femmes, charge qui comportait la surveillance, la direction du personnel infirmier, la direction des enfants trouvés et exposés, la tenue des comptes, etc.392».

Il paraissait impossible, en effet, qu’une personne si occupée à des affaires extérieures pû ressentir sans interruption un tel goût divin dans son intérieur, comme d’un autre côté, qu’une personne engloutie à ce point dans le feu de l’amour divin se pût occuper d’affaires, avoir la tête à tout sans défaillance, au point de n’oublier jamais rien de ce qu’elle avait à faire. Chose non moins admirable : elle eut pendant de nombreuses années la charge des dépenses et mania des sommes considérables appartenant à l’hôpital ; jamais cependant il ne manqua un denier aux comptes qu’elle rendait (Ibid., Ch. 8).

Son mari meurt en 1497.

« Plus tard, son mari se fit membre du Tiers Ordre de saint François ; finalement il fut visité par Dieu qui l’affligea d’une grande maladie. C’était une pénible infirmité des voies urinaires, qui lui dura longtemps. À cause de quoi, il tomba dans une grande impatience, au point qu’arrivé à la fin de sa vie, toujours sujet à cette impatience, il craignit de perdre son âme. Alors cette bienheureuse se retira dans une chambre, et cria pour son salut aux oreilles de son doux Amour avec larmes et soupirs. Elle répétait uniquement ceci : “Amour, je te demande cette âme ; je te prie de me la donner parce que tu peux me la donner.” Elle continua ainsi l’espace d’environ une demi-heure avec beaucoup de gémissements. Elle fut enfin assurée intérieurement qu’elle était exaucée, Retoumée à la chambre de son mari, elle le trouva tout changé, tout apaisé, montrant clairement en paroles et par signes qu’il était content de la divine volonté (Ibid., Ch. 45).»



« Une troisième période, à partir de 1499, se caractérise extérieurement par deux changements notables : ses jeûnes extraordinaires cessent et elle accepte une direction spirituelle. ... Un groupe de fidèles se forme autour d’elle ; on y distingue, avec Marabotto, Tommasina Fieschi, lointaine cousine (v. 1448-1534), qui entre au couvent et rédige des traités spirituels ; Ettore Vernazza, riche et pieux notaire génois (1470-1525), père de Tommasina, en religion Battistina (1497-1587), gracieuse mystique, écrivain abondant ; don Jacopo Carenzio, qui dirige l’hôpital (+ 1513), quelques religieux. C’est l’époque du « purgatoire », des grandes épreuves mystiques qui la consument et la dessèchent. Viennent aussi les maladies, du moins à partir de 1506 ou 1507.

« L’an 1507, tandis qu’elle assistait à des offices des morts, il lui vint un désir de mourir. C’était l’âme qui avait ce désir, pour sortir de ce corps et s’unir à Dieu ; le corps avait aussi ce désir pour sortir du grand tourment que lui donnait le feu d’amour qui brûlait dans l’âme. La volonté n’y correspondait pas, c’était des désirs purement de nature. Mais parce que son Amour la voulait purifier en tout et éteindre tout désir en ce cœur pour s’y faire une demeure agréable, il lui donnait du remords de ce désir.... pendant quelque temps elle allait voir mourir et ensevelir tous ceux qui mouraient à l’hôpital. Elle n’en éprouvait plus de remords. Mais plus tard, comme croissait dans son cœur purifié l’union avec son doux Amour, ce désir s’éteignit peu à peu entièrement (Ibid., Ch. 38).

« Parce que ce qui arrive à l’improviste donne une peur plus vive, Dieu ne voulut pas qu’il lui arrivât rien d’imprévu et il lui montra en un instant toute la suite de son œuvre en elle : comment elle devait mourir d’un grand martyre, et toute la suite de ce martyre jusqu’à sa mort lui fut mise sous les yeux. Quand son humanité eut connaissance de ces choses, elle subit un tel assaut d’anxiété qu’elle paraissait hors d’elle-même ; elle se tordait comme un ver sur son lit et défaillait ; il semblait que l’âme dût sortir du corps ; elle ne pouvait proférer un seul mot (Ibid., Ch. 48).



Elle éprouve de brusques sautes de santé. Les médecins n’y comprennent rien; après plusieurs essais de traitement, ils déclarent la maladie surnaturelle. Il est difficile aujourd’hui de ne pas y reconnaître des dérangements nerveux; on pourrait aussi diagnostiquer un cancer à la région gastrique. Sa nature se consume à la fois sous la violence et la concentration de l’amour et sous l’action destructive de son mal; des lésions organiques, du délire se déclarent. Rongée, exténuée de faim et de soif, elle meurt en silence le 15 septembre 1510.”

La “doctrine”.

On ne peut proprement parler de doctrine, puisque tout revient à l’Amour, mais de l’influence franciscaine, dont nous avons déjà souligné celle de Jacopone da Todi. Il est cité aux chapitres 14 (“… tout l’ancien est décapité.”) et 33 (“S’il ne criait Amour, il en serait brûlé”) de la Vita.  La poésie italienne est connue de Catherine et Pétrarque est l’autre auteur cité nommément au chapitre 7 : “La mort est le terme d’une obscure prison…”) On trouve l’essentiel mystique répété tour à tour, sans ordre.

Ses “dits” recueillis par un cercle mystique, rédigés par son confesseur Marabotto, nous sont parvenus sous plusieurs manuscrits qui servirent à l’édition de 1551, sur laquelle toutes les traductions, dont celle que nous venons d’utiliser, sont basées. L’édition s’avère être une amplification, toutefois fidèle. Des trois manuscrits principaux, publiés en colonnes parallèles par Umile Bonzi en 1962 (postérieurement à la traduction que nous venons d’utiliser), le manuscrit “D” apparaît remarquable 393. Pour son caractère court et plus sobrement abrupt, il mériterait d’être traduit.

Le début de la Vita répond au titre, mais dès le chapitre 9 commence la description “intérieure”, liant les “dits” reçus de l’Amour et donnés par Catherine. Il faut attendre les derniers chapitres 45 à 52 pour reprendre le récit de sa vie avec un mari “bizarre” puis celui de sa maladie et de son agonie (longuement décrite, comme c’est la norme jusqu’au dix-huitième siècle; mais ici on s’écarte des conventions, en livrant tous les détails d’une agonie probablement d’origine cancéreuse, détails qui ne sont pas forcément hagiographiques). Il nous paraît vain sur cette seule source de vouloir distinguer une voie purgative suivie d’une voie illuminative, de décrire des états mystiques, de sonder les faiblesses de nature, etc., comme le font les auteurs de l’article consacré à Catherine dans le DS. Cette démarche “anatomique” ne convient pas du tout ici, où tout reste lié. 


La vie mystique de Catherine commence par une illumination décisive donnée par l’Amour, répétition de ce qui arriva à Angèle. Dieu désire le premier. La rencontre entraîne le violent désir de ne plus en être séparé. Mais ce désir ne peut être satisfait sinon par l’Amour divin lui-même. Ceci  relativise la voie purgative, qui est un effet plutôt qu’un moyen (les observateurs ne peuvent que difficilement déterminer le sens dans lequel s’inscrit la purgation, effet ou cause). La longue histoire de l’Unité en gestation s’accompagne de la certitude quant à son accomplissement lorsque la pureté parfaite sera atteinte : on pense à l’analogie optique du miroir qui est parfait quand la sensation liée à sa présence disparaît complètement.

L’Amour fait tout, si on le laisse faire ; il est rigoureux, non par quelque volonté sadique, mais de par sa nature, parce que, tout comme en orfèvrerie, la moindre impureté empêche l’alliage ; la conception du purgatoire chrétien acquiert ainsi chez Catherine une grande profondeur. Le moi de l’homme disparaît finalement comme la goutte d’eau dans l’océan, dont on sait que la forme est limitation régie par une tension superficielle qui ne fait pas partie de sa substance. 

La Vita comporte trois cercles concentriques : quelques rares passages “centraux” sont annoncés comme les “dits” de l’Amour ; nous les donnons en italiques. Ensuite viennent les “dits” de Catherine, et enfin l’apport du rédacteur qui traduit les sentiments du cercle constitué autour d’elle.

 Dits » de l’Amour

« L’Amour lui dit un jour à l’esprit : « Ma fille, observe les trois règles que voici : ne jamais dire : je veux, je ne veux pas. - Ne jamais dire : mien ; tu diras toujours : nôtre. - Ne jamais t’excuser, sois prompte à t’accuser. »  Il lui dit encore : « Quand tu réciteras le Pater, prends pour fondement le fiat voluntas tua... Du reste de l’Écriture prend pour ton soutien ce mot : Amour. Avec lui tu iras toujours droite, nette, légère, attentive et soigneuse, toujours prête, illuminée, sans erreur et sans guide ni aide d’autre créature, parce que l’amour n’a pas besoin d’aide, il suffit pour accomplir toute chose sans peur et sans effort. Le martyre même lui paraît doux. On ne saurait expliquer fût-ce la plus petite étincelle de la puissance de l’amour et de ses effets. Finalement cet amour consumera en toi toutes les inclinations et les sentiments de l’âme et du corps, de toutes les choses de cette vie (Ibid., Ch. 6).

« Tu me commandes d’aimer mon prochain, et moi je ne puis aimer que toi, ni admettre aucun mélange avec toi. Comment ferai-je donc ? À quoi il lui fut répondu intérieurement : « Celui qui m’aime, aime encore tout ce que j’aime. Il suffit que pour le salut du prochain tu sois prête à lui faire à l’âme et au corps tout ce qui serait nécessaire. Cet amour est sûr parce qu’il est dégagé de la sensibilité puisque le prochain est aimé non en lui, mais en Dieu (Ibid., Ch. 23).

« Quand fut passé ce violent excès, on lui demanda ce qu’elle avait vu. Elle répondit qu’elle avait vu son esprit nu de toutes choses créées et d’elle-même, dans une nudité semblable à celle où Dieu le créa, et comme il doit être pour s’unir à lui. L’esprit disait à l’humanité : « Mieux vaudrait pour toi d’être dans une fournaise ardente que dans l’attente de cette sorte de nudité que je veux faire à ton âme (Ibid., Ch. 49).

« Dits » de Catherine

« Je ne veux pas d’un amour qui soit pour Dieu ni en Dieu ; je ne puis souffrir ce mot de pour, ni celui d’en, parce qu’ils indiquent à mes yeux quelque chose qui pourrait être intermédiaire entre Dieu et moi (Ibid., Ch. 18). 

« … l’espérance est morte, parce qu’il me semble avoir et tenir avec assurance ce qu’autrefois je croyais et espérais. Je ne vois plus d’union, parce que je ne sais et ne puis plus rien voir que Dieu seul, lui seul, sans moi 394.

Je vois les portes du paradis ouvertes de la part de Dieu à qui veut entrer. Dieu est la souveraine miséricorde, il se tient les bras ouverts pour nous recevoir en sa compagnie. Mais je vois clairement qu’en cette divine essence, il y a une telle netteté et une telle pureté qu’il est impossible de l’imaginer si peu que ce soit. En conséquence, un homme qui aurait en soi une imperfection pas plus grande qu’une patte de mouche se jetterait en mille enfers plutôt que de paraître devant Dieu avec cette imperfection 395.” 

Le cercle génois ; influences reçues et exercées.

Le cercle des disciples se constitue autour des activités de Catherine auprès des malades et des pauvres. L’hôpital des Incurables est fondé en 1499 comme le premier de ce genre en Italie : Catherine en est l’inspiratrice alors que l’hôpital n’avait pas encore adopté une forme juridique et que des disciples recueillaient chez eux les malades. Une congrégation qui secourait les pauvres à domicile est réformée 396.

Les disciples sont nombreux et très divers : C. Marabotto (+1528), confesseur et rédacteur de la Vita ; G. Carenzio (+1513) qui assista Catherine pendant son agonie (les protecteurs de l’hôpital lui concédèrent, sa vie durant, l’usage de la chambre de Catherine) ; T. Doria qui s’occupa d’enfants abandonnés ; le  Bx Angelo Carletti da Chivasso, franciscain de l’observance ; le Bx Bernardin de Feltre ; Tommasina Fieschi (+1534), “auteur de valeur” 397 ; Ettore Vernazza (~1470-1524) noble et notaire, qui mena une vie de charité et fonda de multiples institutions : un hôpital pour les incurables et une confrérie pour l’assistance des condamnés à mort à Naples, une charité pour les incurables à Rome avec Gaëtan de Thiene (1480-1547) — ici on découvre un lien avec l’Oratoire et Philippe de Néri —, un lazaret à Gênes. Vernazza mourut comme infirmier durant la peste ; la Vble Battistina Vernazza (1497-1587) est sa fille, plusieurs fois prieure de son couvent et auteur spirituel notable.

Le parloir du couvent où se trouvait la sœur de Catherine avec Battistina Vernazza fut fréquenté par Nicolo Doria, (qui deviendra le terrible supérieur des carmes déchaussés espagnols), et par des jésuites, dont Gagliardi. Ce dernier examina les écrits de Battistina, “qui rendent à peu près le même son que la Vita” 398, et il sera l’examinateur-correcteur du Breve compendio analysé à la fin de cette section italienne.

Catherine de Gênes aurait connu les spirituels du nord par Hadewijch II et par le Miroir de M. Porete399. Elle appartint très probablement au tiers ordre franciscain (comme son mari), elle fut en relations étroites avec les frères mineurs, elle cite Jacopone da Todi et elle exprime intensément le message d’amour et de pauvreté de François.  Elle exerça à son tour une grande influence par la Vita et, indirectement, par le Breve Compendio, texte important pour la spiritualité française du grand siècle par l’intermédiaire de son adaptateur Bérulle qui le reprend sous le nom de Brief discours.

Se dessine ainsi un courant dont se détachent les figures suivantes d’une filiation possible : François  (+1226) — frère Léon et les Spirituels, Angèle de Foligno —  Jacopone (+1306) — franciscains de l’“observance” —? - Catherine de Gênes (+1510) — Breve Compendio (~1580) — début du XVIIe siècle français (Brief discours 1597 et Vita traduite en français en 1598).

L’influence de Catherine de Gênes est dominante au XVIIe siècle français grâce à la traduction de 1598 par les chartreux de Bourg-Fontaine. La mystique Jeanne de Cambry s’inspire de Catherine dans son œuvre publiée en 1645. Madame Guyon utilise la traduction de Desmarets de Saint-Sorlin de 1661 et Catherine est l’un des trois auteurs principaux cités dans ses Justifications de 1695 (avec Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson). Poiret modernise la traduction des chartreux, dans la Théologie de l’amour publiée à Amsterdam en 1691400. Cet exposé rapide des influences illustre  - sur le seul cas présent dans le cadre italien, alors que nous développerons largement les réseaux français — la complexité de toute histoire mystique.

1518 Kabir (~1440 - 1518)

Simple tisserand à la croisée de l’hindouisme et de l’islam en Inde, revendiqué par les deux traditions.

Granthavali (Doha)

Chapitre du Guru divin,

Il est devenu muet et insensé, ses oreilles n’entendent plus,/Il est devenu comme un paralytique, quand la flèche du Satguru l’a frappé. 10.

Il était parti sur le chemin à la suite du monde et du Ved,/Mais le Satguru est venu à sa rencontre et lui a mis une lampe dans la main. 11. 

Il lui a donné une lampe pleine d’huile, dont la mèche est inépuisable,/Les transactions sont terminées, il n’ira plus au marché. 12.

Quand on a trouvé le Guru, la sagesse a brillé, gardez-vous de vous en séparer,/Quand Govind a fait grâce, le Guru a été trouvé. 13. 

Kabîr, j’ai trouvé un excellent Guru : le sel a disparu dans la farine,/Caste, lignée, famille, tout est aboli : [désormais]  quel nom me donnera‑t-on? 14.»401.



Chapitre de l’expérience,

«Kabir, l’esprit est devenu une abeille, et a trouvé une demeure eterneile, Ce Lotus qui fleurit sans eau, seuls les intimes [de Râm] peuvent le contempler. 6.

Le Lotus s’est épanoui au fond de l’âme, là où le Brahman fait sa demeure,/Là, l’abeille de l’âme a été attirée : seuls quelques rares dévots le comprendront! 7.

Il n’est pas d’Océan sans coquillages, ni de pluie de Svdti sans gouttelettes Kabîr, la Perle germe dans cette forteresse qui a le Vide pour sommet. 8.

Dans le corps même, l’Inaccessible est obtenu, dans l’Inaccessible, un accès,

Dit Kabîr, j’ai accédé à l’Expérience, quand le Guru m’a montré le chemin. 9.

Le soleil s’est absorbé dans la lune, les deux ont habité ensemble,/Alors le désir de l’âme a été comblé, par un coup [heureux] du Destin. 10.

J’ai franchi la limite et pénétré dans l’Illimité, je me suis baigné dans le Vide,

Je me suis reposé dans cette Demeure où les ascètes ne parviennent pas. 11.

Vois ce qu’a fait [le pauvre] Kabir, [il faut que ce soit] par un coup de Destin :

L’Inconnaissable, à la demeure duquel les ascètes ne peuvent atteindre, m’a fait son ami! 12.

L’Amour a éclairé la cage, un Yoga éternel s’est éveillé,/Le doute s’est évanoui, le bonheur est apparu, l’Epoux bien-aimé a été trouvé. 13.

L’Amour a éclairé la cage, le fond de l’âme s’est illuminé, LLe parfum de musc se répand dans la bouche et les paroles en sont imprégnées. 14.

L’esprit s’est attaché à l’Esprit et il a atteint le firmament,/Là où le clair-de-lune brille sans lune, là demeure l’invisible Seigneur Niranjan. 15.

L’esprit s’est attaché à l’Esprit, et l’Esprit s’est dissous dans l’esprit,/Comme le sel disparaît dans l’eau et l’eau dans le sel. 16.

1529 «Brug-pa (1455-1529)

« Yogin… vénéré comme un grand saint… Grand mystique, philosophe et poète » 402.


« Quand, dans la contemplation parfaite, on ne pense plus, on peut faire tout ce qu’on veut,

c’est toujours de la méditation.

Quand entre soi et autrui, il n’y a plus aucune distinction, comment

y aurait-il alors Connaissance-en-Soi et autre connaissance' ?

Quand. tous les signes distinctifs et les définitions sont l’erreur,

comment y aurait-il des preuves et des connaissances ?

Quand on comprend toutes choses en relâchant (sa pensée),

pourquoi serait-il besoin de tout condenser en une chose ?

Quand, quoi qu’on fasse, on n’a même plus l’odeur d’un désir

pour soi, proclamer qu’on nourrit la Pensée d’Évei14, vous rebat

les oreilles.

Quand on a arraché à la base l’espoir d’achever quelque chose,

le grand fruit (d’être bouddha) : a-la-ho ! »


1535 La Perle évangélique.

L’ouvrage connu sous ce titre  fut largement diffusé en plusieurs langues, sous quatre formes dont aucune ne transmet le texte intégral403  : « un travail de recomposition pourra peut-être reconstruire sinon le texte original, du moins l’ordre interne… » On dispose d’une belle traduction française par les chartreux parisiens d’une forme latine issue elle-même d’un original néerlandais...404. Elle assura sa grande influence en France.

Le nom, les lieux de naissance et de résidence de l’auteure restent inconnus ; on sait qu’elle naquit en 1463 et mourut en 1540, qu’elle était d’origine noble ou patricienne, qu’elle vécut dans le monde sans entrer en religion. On a fait l’hypothèse qu’il s’agissait de Maria van Hout (-1547). Elle se retira « avec quelques jeunes filles dans une maison communautaire », suivant l’exemple des premières béguines. « Sans chercher refuge dans un béguinage, elle pourvoit à sa subsistance par des travaux manuels » :

Sachez... qu’il ne me reste rien de ma vie intérieure. Le désir de vivre en recluse et beaucoup d’autres choses m’ont été enlevé et... je commence une vie nouvelle… Je ne trouve plus aucun goût aux plaisirs de l’esprit..., mais bien à me sentir totalement au service des autres conformément à sa Volonté et à mener une vie de parfaite disponibilité.405.

En fait l’auteur de la Perle  (et du Tempel, autre texte important qui ne rencontra pas le même écho) serait « une mère et amie chérie » de Maria, qui « cite nommément une douzaine d’auteurs, cependant que Ruusbroec, jamais cité, est sa source principale ». P. Mommaers résume l’expérience, renvoyant au ms. flamand : « Si donc Dieu est expérimenté comme un rien, ce n’est pas qu’il reste absent et, encore moins, que lui-même ne soit rien. Il est au contraire pour la conscience mystique si réel qui n’est rien de tout ce que nous saisissons comme quelque chose. Et si l’âme est expérimentée comme un rien, c’est pour une raison semblable : la réalité de son fond est au-delà de tout ce qui peut recevoir un nom. En sa réalité profonde, l’homme est non pas sans être, mais bien sans fond : il est un abîme qui n’apprend à se connaître comme tel que dans la rencontre d’un Autre, lui-même Fond inépuisable (cf. f ° 80 v.)»406.

La saveur de la Perle réside dans l’atmosphère d’impalpable optimisme et de droiture qui ne peuvent être aisément rendus par des citations courtes : c’est ce qui explique l’apparente « pauvreté » que lui attribuent divers lecteurs, dont Louis Cognet. Le « sentiment du cœur » ne peut trouver de justification objective : on est ici en présence d’un cas exemplaire illustrant la difficulté de choisir des dits dans de nombreux textes amples de la littérature mystique. Cependant, évoquons par une « suite » en trois mouvements le paisible « parfum » du début de la Perle407 :


« (f ° 9) Tout ainsi qu’un vaisseau de cristal (dans lequel y a enclose une chandelle allumée) illuminent tous ceux qui s’en approchent : ainsi la clarté divine et vérité éternelle illumine et enflambe le fond nu de l’essence intérieure de notre âme, en telle abondance, que de là toutes les forces en sont illuminées, nourries et renforcées : car la mémoire devient pure et tranquille, l’entendement est illuminé et simplifié, et la volonté en est rendue fervente en amour. En cette manière Dieu se donne soi-même en l’union des forces supérieures et unit dedans soi notre esprit, le faisant habiter en une certaine déifique liberté et opulence de charité.... (f ° 13) il faut savoir que Dieu est une simple essence, qui s’est unie soi-même en l’essence de notre âme.... Par sa simplicité il repose en nous... et nous fait être par grâce ce que nous ne sommes point par nature, jusqu’à ce que intérieurement et extérieurement le puissions suivre en la manière qu’Il nous a précédés. Et ce sont les délices et la joie de notre Seigneur en nous, savoir est, que nous sommes faits semblables à Lui.

(f ° 74v) Que si je veux parvenir à ce noble néant, et être fait rien, il est nécessaire que ce rien, c’est-à-dire mon âme, avec rien, qui est Dieu, soit faite rien : car Dieu lui-même n’est rien de toutes les choses que nous pouvons dire de Lui.... (f ° 78v) Si quelqu’un veut être vraiment sage en Dieu, il faut que premièrement il soit totalement fol à lui-même. Car si tu veux sauver ton âme, il faut qu’auparavant que cela puisse être, tu te [la] perdes totalement.

(f ° 84) Quand nous nous déterminons à vouloir prier pour nos prochains, il faut qu’en premier lieu nous nous unissions intérieurement avec Dieu dedans le Saint des Saints le plus secret, auquel nul ne peut entrer que le souverain prêtre, c’est-à-dire autre que l’esprit qui est la suprême partie de l’âme. Et en cette union nous devons nous offrir nous-mêmes totalement à Dieu... pour être brûlé du feu de son amour, en sorte qu’en nous-mêmes nous soyons du tout anéanti et éloigné de tout ce qui n’est point Dieu, à ce qu’ainsi le même Dieu tout puissant, puisse sans empêchement user de nous, en la même manière qu’il en pouvait user lorsque même nous n’étions pas encore créés. »


1538 Subida del Monte Sion de Bernardino de Laredo (1482 ~1540).

 Bernardino de Laredo célèbre comme tous le chant de l’amour pur, particulièrement dans la troisième partie de la Subida del Monte Sion, version revue de 1538 408. Mais, outre la difficulté posée par une langue assez primitive, sa rédaction ne présente aucune  formule remarquable se prêtant à quelques belles citations ; par contre sa lecture induit lentement un état de paix et un accord entier. Un chapitre entier, ce qui ne peut trouver place ici, permettrait de l’apprécier. Rappelons que la lecture du chapitre vingt-septième de la troisième partie de la Subida tira Teresa de sa perplexité quant à l’absence de toute pensée dans l’oraison de quiétude. En effet, pour Bernardino, « Dieu lui-même impose le repos à nos facultés. Bien plus, l’auteur soutient la possibilité de l’amour sans nulle connaissance ni antécédent…409» 

Ceci est probablement lié à son origine et à sa carrière : de petite noblesse, Laredo fut d’abord page, puis fit des études variées ; il entre à vingt-huit ans chez les franciscains ; médecin ayant publié deux ouvrages, il restera frère lai, attaché à un couvent situé à une trentaine de kilomètres au nord de Séville. Chargé de fonctions d’infirmier pour toute la province, sa réputation médicale lui valut d’être appelé plusieurs fois à la cour du Portugal 410.

Il fait partie des mystiques « professionnels de la santé » particulièrement attachants, après Hadewijch I, Catherine de Gênes, et avant le jeune infirmier Jean de la Croix. Attache à laquelle s’ajoute la grande estime pour les frères lai qui s’illustreront plus tard par le Grand Carme aveugle Jean de Saint-Samson puis par le déchaux frère Laurent, les grands mystiques français des deux réformes carmélitaines.  

Laredo aurait connu Osuna et il a utilisé son Tercer abecedario de 1527. Son écriture est très simple, directe, un peu comme celle de Pierre d’Alcantara. Ros a supposé dans sa belle évocation une « école » associant Osuna, Laredo, Alcantara, Ortiz 411.


La contemplation est amour qui se perd dans l’infini divin :

« ... la facilité de la contemplation demeure en : aimer sans condition et fondre notre amour dans Celui qui est infini ; je veux dire que l’amant se perd ainsi lui-même, qu’il ne reste rien de lui par l’infinité de l’amour en qui il fait infusion. Ainsi dit Herp [Harphius] : “que l’esprit dans cet espace cesse de vivre à lui-même, parce que tout vit à Dieu”… Et ainsi nous pouvons dire que l’amour de notre Dieu entre dans nos âmes comme le soleil dans le cristal, qu’il éclaire et pénètre et se montre en lui ; et il nous transforme en son amour, comme le fer en feu412.»



Elle  est sans intermédiaire et subite, selon la belle comparaison de la lumière qui pénètre instantanément toute ouverture :

« … je dis que c’est une imperfection de s’exercer longtemps à penser à des qualités particulières aux créatures, voulant chercher en elles des raisons d’aimer Qui déborde d’amour infiniment aimable. Mais surmontant le créé et sortant de lui, l’âme va à Dieu par une élévation d’esprit subite et momentanée ; elle ne demeure en chemin pas plus longtemps que la paupière de l’œil ne prend de temps à bouger ou à cligner - à la façon d’un rayon du soleil, lequel à l’instant qu’il naît à l’orient arrive en occident. Ainsi doit  faire l’âme qui en un instant élève l’esprit par la voie de l’aspiration, laquelle est plus légère et momentanée que le rayon même du soleil 413. »



La pratique de la contemplation est encore rare dans  l’Espagne de son temps, même dans les déserts franciscains :

« Je regrette que dans les écoles du Christ on n’étudie avec une très grande vigilance comment et de quelles manières nous connaissons notre Dieu et Seigneur par une notion amoureuse et particulière. Laquelle connaissance ne s’acquiert jamais sans que le Seigneur lui-même ne l’enseigne par la théologie mystique, laquelle s’apprend dans la contemplation. Par elle nous pouvons demeurer et persévérer, attachés dans les plus pures, les plus intérieures et les plus délicates parties de notre intérieur ; parce que le cœur prend toujours de là les sentiments qui continuellement l’éveillent à marcher vivement dans l’amour ; dans lequel, qui plus longtemps se nourrit, plus longtemps persévérera à aimer et à donner du temps à la prière414.»



La conformité nue est le seul moyen :

« On doit comprendre que lorsque le contemplatif cherche la perfection, il ne pose guère l’œil sur son gain, ou sur sa dévotion, ou sur son utilité — parce que toute son étude est de demeurer en conformité nue simple et entière avec la volonté de Dieu 415.»

1546 Martin Luther (1483-1546)

"When a fellow-monk," said Luther, "one day repeated the words of the Creed: 'I believe in the forgiveness of sins,' I saw the Scripture in an entirely new light; and straightway I felt as if I were born anew. It was as if I had found the door of paradise thrown wide open."' This sense of deeper significance is not confined to rational propositions416.

1548 Institutions pseudo-taulériennes 

Tauler et son école sont devenus très influents dans les « trois mondes » chrétiens : monde catholique de la contre-réforme (Canisius est jésuite, Surius est chartreux), monde des grandes confessions protestantes (Luther, Silesius avant sa conversion), enfin monde infiniment varié des hétérodoxes et des piétistes (J. Böhme, S. Franck…).

À cause du rayonnement unique de cette œuvre composite, nous donnons quelques détails sur l’historique des éditions des œuvres dites « de Tauler »417. Une petite moitié provient de sa main, soit quatre-vingt-trois sermons, et une grande moitié provient du milieu qui l’environnait, soit soixante-dix sermons, les Institutions, etc. Cette dernière et plus large partie du corpus qui ne sort pas directement de la plume de Tauler est souvent de très grande qualité.

La première édition de quatre-vingt-quatre sermons de Tauler parut en 1498 à Leipzig. En 1521, à Bâle, paraît une édition qui en ajoute quarante, provenant d’auteurs non déclarés, dont Eckhart. En 1543, à Cologne, paraît l’édition de Canisius, qui, outre les sermons de Tauler, ajoute vingt-cinq pièces qui ne sont pas de Tauler : lettres, Göttliche Lehre… (compilation de textes d’Eckhart, de Suso, de Ruusbroec, d’extraits de Tauler), Livre des neuf états de vie de son ami Rulman Merswin, légende d’Eckhart, textes de préparation à la mort… En 1548, toujours à Cologne, Surius édite les célèbres Institutiones, traduction latine de Canisius, avec quelques additions. Toutes les éditions qui suivent, dont les traductions françaises de 1614 puis de 1665 par Chardon, dépendent de Surius. Lui-même n’attribue le titre d’Institutiones qu’aux trente-neuf chapitres de la  Göttliche Lehre…, mais l’habitude a été prise d’utiliser le titre pour l’ensemble comprenant cent cinquante-trois sermons. On dispose aujourd’hui en français de deux traductions modernes, qui se complètent  heureusement 418.

Se limiter aux sermons « de Tauler » serait se priver de sources  de grande richesse intérieure. On a un seul manuscrit de sermons « peut-être corrigé par Tauler419.» Ceci ne doit pas exclure, pour des raisons de style ou de forme, certaines pièces traduisant son influence. À partir d’une notation sèche de sermons, certains auditeurs retravailleront leurs schémas au risque d’y introduire leurs styles et leurs orientations, mais sans affecter trop grandement le contenu : faut-il éliminer pour cela leurs textes ?

La situation est comparable à celle du corpus eckhartien  qui nous a fait préférer l’édition traditionnelle de F. Pfeiffer à l’impitoyable sélection de l’édition critique dirigée par J. Quint. Cette situation se reproduira au XVIIe siècle en France dont la majorité des textes qui nous sont parvenus ont fait l’objet de profonds remaniements : traités construits à partir de lettres, réécritures. C’est par exemple le cas des « écrits » d’un Jean de Saint-Samson, aveugle dictant son œuvre, et de ceux de monsieur de Bernières, assemblage malheureusement « amélioré » par  son principal éditeur, mais devenu peut-être pour cette raison un succès de librairie sous le titre du Chrétien intérieur. Le dernier volume des Œuvres complètes de J. T. s’intitule L’Imitation de la vie pauvre de N.S.J.C.. Je l’ai abordé précédemment420.


Et c’est ainsi qu’il demeure, parfaitement résigné, dans sa propre imperfection [...] mais une fois arrivée là, l’âme est muette; un silence intérieur se fait; il ne lui est plus permis de faire quoi que ce soit ni intérieurement ni au dehors; mais l’esprit pâtit (patitur) une action douce, insensible, ineffable. Dans ce miracle des miracles...421.

1562 Pierre d’Alcantara (1499 - 1562)

Il entre chez les conventuels franciscains à seize ans après avoir déjà eu le temps d’étudier à Salamanque les arts libéraux, la philosophie et le droit canon. Il remplit diverses fonctions chez les franciscains devenus observants déchaussés, et fonde des couvents ; il voyage à Nice et au Portugal. On le considère comme le rénovateur des déchaussés qui sous sa réforme furent bientôt sept milles et se répandirent hors d’Espagne. L’exemple fut suivi chez les Carmes et d’autres ordres. Son rôle est déterminant sur la réforme du Carmel par Thérèse. « Cherchant à atteindre les gens pauvres en moyens et en temps », il écrit « dans un style sobre et concis 422 ».


« L’âme se nettoie de ses péchés avec l’oraison, la charité se fortifie... l’esprit se réjouit, l’intérieur se fonde, le cœur se purifie, la vérité se découvre... La tristesse est bannie, les sens se renouvellent... [par les] vives étincelles des désirs du ciel qui rejaillissent sans cesse du brasier de l’amour divin423.



« L’oraison est parfaite quand celui qui prie ne se souvient pas qu’il est en oraison424.»


1566 Louis de Blois (1506 - 1566) et son Institution spirituelle

Page à la cour du futur Charles-Quint, il n’y demeure pas et rentre très jeune à l’abbaye bénédictine de Liessies (Nord). Il étudiera à Louvain et connaîtra le latin, le grec, l’hébreu. À vingt-quatre ans, il a la lourde charge de succéder à son abbé et entreprend une courageuse réforme. En 1537 les dangers de la guerre entre François Ier et Charles-Quint l’obligent à se réfugier avec trois religieux dans la petite ville d’Ath ; il mène en leur compagnie une vie régulière. Il revient à Liessies, à l’appel de ses moines, et réforme cette communauté qui acquiert une réputation de sainteté (ses Statuta seront publiés en 1539). L’œuvre, abondante, aura une influence considérable, dont en France sur Beaucousin et François de Sales 425.

L’Institution spirituelle, son œuvre principale, paraîtra en 1551 la même année que la Vita de Catherine de Gênes ! On peut y voir un « moyen court » préparant ceux qui fleuriront à la fin du siècle suivant.426.

L’homme devrait aspirer à la perfection et union divine qui, une fois touchée l’éclaire…


« … d’en haut par la lumière de l’éternelle vérité ; sa foi est rendue certaine, son espérance est renforcée, sa charité s’enflamme. C’est pourquoi, si tous les sages du monde — mais étrangers à l’union mystique — lui disaient : « Malheureux ! Tu es dans l’erreur, et ta foi n’est pas authentique ! », il leur répondrait sans le moindre doute : « C’est bien plutôt vous tous qui êtes dans l’erreur »… ayant en son cœur un infaillible fondement, non pas tant grâce à l’enquête de la raison, que grâce à l’union d’amour427.

« Qu’il pense… n’être rien par lui-même, ne rien posséder et ne rien pouvoir. … Une vie authentique et joyeuse se cache sous une mortification authentique et complète (Ibid . . ., chap. II, 55).



« … qu’il habite en Lui [Dieu] comme dans une pièce fermée ou comme au ciel. Qu’il se réjouisse et exulte de pouvoir Le trouver si facilement en lui-même, et d’avoir en lui-même un trésor aussi inestimable (Ibid . . ., chap. III, 65).

Mais

«Certains se croient perdus quand ils sont privés de consolation sensible, et inversement ils se croient saints et très agréables à Dieu quand ils en reçoivent… ils se trompent et s’égarent. Généralement, en effet, Dieu est le plus présent par sa grâce, là où il est le moins senti; et l’aridité du cœur est souvent meilleure à l’homme que l’abondance débordante de la douceur. Car l’homme connaît plus clairement dans l’aridité et la stérilité qu’il ne peut rien par lui-même (Ibid . . ., chap. VII, 91).

Car 

«Toute perfection qui, dans les créatures, se trouve éparpillée, en Lui se trouve unifiée… Nous étions en Dieu de toute éternité… je veux dire que nous avons été et nous sommes encore incréés en Lui… (Ibid . . ., chap. VIII, 103).



Louis de Blois, en bon passeur de ses aînés, intègre une belle analogie musicale qu’il emprunte aux Institutions Taulériennes :

« L’âme vraiment pure et abandonnée, s’envole pour le palais du royaume céleste à peine sort-elle du corps. Un certain ami de Dieu a dit ceci : “Lorsqu’une personne ressent quelque affliction ou douleur, s’abandonne à Dieu humblement et avec persévérance, cet abandon est devant le Seigneur comme une cithare mélodieuse, dont l’Esprit Saint fait chanter les cordes, charmant les oreilles du Père de quelque mélodie secrète et intérieure. Les cordes les plus grosses de cette cithare, c’est-à-dire les facultés extérieures de l’homme, tout occupées par la douleur, rendent un son grave et lugubre ; mais les cordes les plus fines, c’est-à-dire les facultés de l’homme intérieur, qui demeurent, par une absolue dévotion, en abandon volontaire et patient, rendent un son aigu et joyeux. La nature sensible crucifiée gémit, mais la nature supérieure et douée de raison reste tranquille. Et à coup sûr, l’âme est rendue épouse préférée de l’Époux éternel et reine choisie, par d’ardentes afflictions pleines de feu, détruisant jusqu’à la moelle de ses os. Elles la préparent comme le feu prépare la cire, pour qu’elle puisse recevoir la forme que l’artiste veut lui imprimer. Il est clair que si le suprême artiste doit imprimer en l’âme l’image très noble de son essence éternelle, il est nécessaire que l’âme, après avoir perdu sa forme ancienne, soit changée et transformée surnaturellement. En effet, une chose ne peut pas revêtir la forme d’une autre chose, si d’abord elle ne quitte et perd la sienne propre. C’est à cette heureuse mutation et transformation que le Dieu tout-puissant prépare l’âme par d’intenses adversités. Car pour celui qu’il a décidé d’embellir de dons exceptionnels et de transformer de façon sublime, son habitude n’est pas de le laver avec précaution et mollesse, mais bien de le plonger tout entier dans un océan d’amertume.” Voilà ce qu’il dit 428.»



Il faudrait pouvoir citer en entier le dernier chapitre XII. Finalement les facultés de l’âme…

« … se mettent à luire comme des étoiles, et elles se trouvent propres à contempler l’abîme divin d’un regard simple et joyeux, sans que s’y mêle quoi que ce soit d’imaginaire ou d’intellectuel. … Elle apprend désormais d’expérience que Dieu dépasse de loin toutes les images corporelles, spirituelles et divines, et tout ce qui peut être saisi par l’intelligence, tout ce qui peut être dit ou écrit sur Dieu… elle repose en ce seul Dieu aimable, nu, simple et ignoré (Ibid . . ., chap. XII, 151.)

« … rares sont ceux qui ont connu le suprême affectus, l’intelligence simple et la pointe de l’esprit, ainsi que le fond caché de l’âme. Mais en revanche, on peut montrer à presque tous que ce fond est en nous. … Là se trouvent une suprême tranquillité et un suprême silence, parce que jamais aucune image ne peut parvenir jusque là. Nous sommes déiformes selon ce fond… qui se révèle être une sorte d’abîme, est appelé ciel de l’esprit, car en lui se trouve le royaume de Dieu… ce fond nu et sans images… au-delà de tout lieu, demeurant en Dieu,… est cependant essentiellement en nous, parce qu’il est l’abîme de l’âme et son intime essence429.

L’Institution sera complétée en 1558 par le Miroir de l’âme : l’âme devient une avec Dieu, « comme le fer jeté dans le feu devient comme du feu sans pour cela cesser d’être fer » ; et « l’âme ne fait plus avec Dieu qu’un seul esprit », elle devient « déicolore, déiforme. » (Miroir, XI).


1582 Thérèse de Jésus (1515 - 1582).

Alma, buscarte has en mi 430.

Alma, buscarte has en Mí,

y a Mi buscarme has en ti.


De tal suerte pudo amor,

alma, en mí te retratar,

que ningún sabio pintor

supiera con tal primor

tal imagen estampar.


Fuiste por amor criada

hermosa, bella, y así

en mis entrañas pintada,

si te perdieres, mi amada,

Alma, buscarte has en Mí.


Que yo sé que te hallarás

en mi pecho retratada,

y tan al vivo sacada,

que si te ves te holgarás,

viéndote tan bien pintada.


Y si acaso no supieres

dónde me hallarás a Mí,

no andes de aquí para allí,

sino, si hallarme quisieres,

a Mí buscarme has en ti.


Porque tú eres mi aposento,

eres mi casa y morada,

y así llamo en cualquier tiempo,

si hallo en tu pensamiento

estar la puerta cerrada.


Fuera de ti no hay buscarme,

porque para hallarme a Mí,

bastará sólo llamarme,

que a ti iré sin tardarme

y a Mí buscarme has en ti.


Âme, en Moi tu te chercheras.


Âme, en Moi tu te chercheras,

Moi en toi tu me chercheras.


L’amour put d’une telle manière,

âme, faire en moi ton portrait,

que le peintre le plus savant

ne saurait avec tant de grâce

une telle image imprimer.


Tu fus par amour créée

radieuse, belle et ainsi

dans mes entrailles tu fus peinte ;

si tu te perdais, mon aimée,

Âme, en Moi tu te chercheras.


Je sais que tu te verras

dessinée dans ma poitrine,

et tellement saisie à vif,

qu’il te plaira, en te voyant,

de te savoir si bien peinte.


Et si par hasard tu ignores

où tu dois Me rechercher,

ne va pas de-ci de-là ;

si tu voulais me trouver,

Moi en toi tu me chercheras.


Parce que tu es mon alcôve,

tu es ma maison et ma demeure,

où j’appelle à tout moment

lorsque je crois que la porte

est fermée dans ta pensée.


Hors de toi ne me cherche pas,

puisque pour me trouver Moi,

il suffira de m’appeler ;

j’irai vers toi sans tarder,

Moi en toi tu me chercheras.


Jeu d’influences.

Thérèse d’Avila (1515-1582) inspirée par le franciscain Pierre d’Alcantara (1499-1562) et peut-être par la religieuse Maria de Jesus (Yepes), précède d’une génération Jean de la Croix (1542-1591). S’il y eut une filiation mystique carmélitaine, elle demeure cachée à ce jour : visiblement, on ne peut que constater la convergence d’âmes attirées par la sobre et extrême réforme. Le tableau des spirituels Espagnols donné à la fin de ce chapitre souligne les influences suivantes : d’Alcantara sur Teresa, de Teresa sur Anne de Jésus et sur Anne de Saint-Barthélémy ; entre Teresa et Jean de la Croix et de celui-ci sur Anne de Jésus. Il sera complété pour la France par l’influence d’Anne de Saint-Barthélémy  sur Madeleine de Saint-Joseph ; tandis qu’Anne de Jésus, dont le séjour fut bref en France, fut probablement influente, lors de son séjour à Dijon, sur la baronne de Chantal. Ainsi se succèdent trois générations auxquelles nous rattacherons deux autres générations assurant l’implantation en France. En fait on a un réseau croisé d’influences difficile à démêler, la grâce étant souverainement libre dans les choix de ses relais.

Teresa est liée à des confesseurs jésuites et semble proche de Gracian tout en reconnaissant la grandeur de Jean de la Croix. En fait il est impossible de situer avec précision par les textes les influences et l’intensité des liens : car on a seulement soixante-six « lettres », parfois réduites à une citation, de la correspondance de Jean de la Croix qui a été pratiquement détruite (tandis que 473 lettres de la correspondance de Thérèse d’Avila nous sont heureusement parvenues).

Filles pieuses.

Née en 1515 de la seconde femme d’un fils de converso à la famille nombreuse — « nous étions trois sœurs et neuf frères » — Teresa de Ahumada a été marquée par le procès de noblesse par lequel son père surmonte l’obstacle de l’ascendance juive du grand-père, évitant « l’impureté du sang », mais subissant l’humiliation de voir procureur, accusateurs, témoins et juges installés « presque à la porte de sa maison » : Teresa est alors une petite fille âgée de quatre à huit ans431. Les coûts du procès ruinent la famille. Tous les frères choisiront les armes, partant pour l’Amérique (deux y mourront) ou, pour l’un d’entre eux, en Italie. Elle perd sa mère à quatorze ans et ressent une grande solitude, tenant la maison auprès de son vieux père et d’une très jeune sœur.

 À l’âge de seize ans, elle est confiée à des sœurs augustines. Son père s’oppose à sa vocation ; elle fuit à vingt ans et prend l’habit des carmélites à l’Encarnaciòn, l’année suivante ; son père se résigne et, bien dotée, elle jouit d’une cellule personnelle. Malgré ces débuts favorables, la jeune nonne est malade d’angoisse. À vingt-quatre ans, elle sort du couvent et, retirée chez son oncle dans un ermitage, lit providentiellement El tercer abecedario d’Osuña.  Un traitement sauvage d’une maladie par une guérisseuse, échoue : on croit qu’elle a la rage et elle tombe en coma quatre jours. Trois ans plus tard, âgée de vingt-huit ans, elle ne marchait pas encore. Ces troubles, probablement d’origine nerveuse, coïncident avec une grande crise intérieure qui se dénoue seulement à l’âge avancé pour l’époque de trente-neuf ans. Elle passe entre les mains de divers clercs qui tantôt la considèrent comme possédée et tantôt la rassurent.

Finalement, à quarante et un ans, elle éprouve la parole du Seigneur : « Ya no quiero que tengas conversaciòn con hombres, sino con angeles – Je ne veux pas que tu parles avec les hommes, mais avec les anges ». Quatre ans plus tard, l’ermite Pierre d’Alcantara, que nous avons rencontré précédemment, l’encourage. Elle décide d’entreprendre une fondation comparable aux siennes. Le ballet de clercs opposés ou favorables commence. Finalement la première fondation regroupe deux religieuses et quatre postulantes à Avila en 1562, non sans provoquer un scandale public. Cinq ans plus tard — elle a atteint cinquante-deux ans — l’approbation du général de l’ordre du Carmel Rossi (« Rubio ») déclenche le tourbillon de ses fondations : Medina del Campo, Malagon, Tolède… Elle meurt usée en 1582, âgée de soixante-sept ans.

Trois points sont à relever : l’Avila jeune, active et industrielle de l’époque, est bien différente de la ville qui s’endort dans la bureaucratie au XVIIe siècle ; le judaïsme caché de la famille de Thérèse conduit à la ruine familiale liée à l’achat de titres de noblesse protecteurs432; la vie féminine pieuse des jeunes filles, fréquente à l’époque de Teresa, est inimaginable aujourd’hui.

Pour comprendre une telle existence que Teresa et ses filles carmélites partageaient dans leurs années de formation — elle explique en partie la rigueur de la règle carmélitaine — nous traduisons, à la place de tout aperçu biographique - rien ne pouvant remplacer le début et la fin de la Vida, des Fondations et la Correspondance - un document étonnant sur la jeunesse de doña Juana Dantisco, mère du jeune carme Gracian qui deviendra si proche de Teresa. Il s’agit d’une lettre écrite de Valladolid au père de Juana, rendu dans la Pologne lointaine. La lettre, datée de 1538, décrit la journée de la jeune fille :

Comme je pense que tu en seras heureux, je t’indique les exercices qui occupent pendant la journée ta fille aux côtés de ma mère.

Le matin, dès qu’elle se réveille ou est réveillée par ma mère avec qui elle dort (c’est-à-dire vers six heures), elle se lève du lit, et à genoux devant l’autel qu’il ont dans la maison, elles rendent grâce à Dieu pour les dons qu’Il leur a concédés, récitant quelques prières vocales. Ensuite, une fois que ma mère l’a peignée et arrangée, commence la récitation de l’office de la Sainte Vierge dans le Livre des Heures, jusqu’au moment où, selon la coutume, sonnent les cloches, annonçant la célébration de la messe. Ma mère et elle vont alors à l’église pour participer aux saints mystères, dont ils attendent la poursuite d’une journée heureuse. 

De retour à la maison, elles déjeunent, font ensuite les travaux domestiques, ou cousent, ou brodent, quoique ma mère se permette peu cette occupation, parce que ses yeux clairs voient peu et ne peuvent poursuivre longtemps. L’heure du repas arrivée, elle s’assied à la table avec ma mère et ma petite sœur et mange modérément et de façon frugale, comme c’est la coutume entre les veuves honnêtes... Après déjeuner, elle se distrait avec ma petite sœur par quelque jeu honnête, pour continuer avec elle sa formation religieuse ; c’est de son âge... À trois heures de l’après-midi, les deux se réunissent pour étudier, et sous la direction d’un jeune cousin consacrent une ou deux heures à l’étude.  Elles lisent quelques livres d’auteurs sérieux et très conformes à la morale, comme par exemple : le De l’Institution de la femme chrétienne de Vivès, les Lettres de saint Jérôme traduites en espagnol, et d’autres livres semblables, ou bien elles écrivent, tâchant d’imiter mes lettres.  Quand elles auront progressé sur ce point, tu pourras en juger par toi-même par des lettres autographes... Elle prend ensuite la toile pour [faire] les vêtements de bébé, et voit avec ma petite sœur qui terminera la première le travail, en chantant quelques chansons espagnoles, afin de le rendre plus facile et moins pesant.

Après dîner, ma mère leur demande, tantôt à elle tantôt à ma sœur, de lire alternativement quelque texte des Évangiles ou des Vies des saints Pères, jusqu’à l’heure de se coucher. Alors dans la maison, à nouveau devant l’autel, avec les bougies allumées, elles récitent quelques prières particulières au Christ et aux saints. Ensuite elle se couche, entre ma mère et ma sœur, et dans le lit, précédé de ma mère, récite quelques fois oralement le Notre Père et l’Ave Maria, jusqu’à ce qu’elle soit peu à peu emportée par le sommeil, et ainsi toutes dorment tranquillement jusqu’au réveil. De cette façon ta fille est instruite et formée au côté de ma mère, femme honnête et prudente à l’extrême, qui selon ce que dit Homère, «est attentive au présent, au futur et au passé», et qui est une femme très ferme433

Sept demeures.

Nous nous limitons à un bref résumé de son œuvre majeure rédigée à l’âge mûr434. Il s’intitule les Moradas del Castillo Interior, traduit en français par Château de l’âme ou Livre des Demeures. Il fut composé en 1577, bien après la Vie dont la première écriture date de 1562 (la Vie que nous lisons date de 1565).

La rédaction des œuvres commence en effet en 1560, l’année qui suit la mise au bûcher des meilleurs ouvrages de sa bibliothèque, à la suite de l’Index de 1559 : aussi ne peut-elle « rien écrire qui ne soit passé par son expérience », et ne veut-elle « rien écrire qui ne serve à provoquer l’expérience » de ses filles435

Nous plaçons entre crochets les références de chapitres à la suite des phrases de notre résumé qui reprend des éléments textuels ; les tildes séparent le résumé ou paraphrase de quelques brèves citations. Un tel aperçu sec veut suggérer la grandeur de la structure proposée, facilement cachée sous un texte alerte : la Madre propose à ses filles un témoignage sans concession et cependant aisé à lire.


Prologue : Thérèse se plaint d’un bruit continu dans la tête et d’une grande faiblesse. Elle date le commencement de sa rédaction en 1577.

Premières demeures : L’âme est un château de diamant comportant de nombreuses demeures, paradis chez le juste, beauté créée à l’image de Dieu, à découvrir par la prière, donnant ainsi une vision positive de notre réalité profonde divine [1.1]. Au centre de l’âme se trouve la fontaine de vie ou soleil divin. Laissons à l’âme la liberté de découvrir les demeures tout comme l’abeille doit sortir pour récolter le miel des fleurs. C’est en contemplant la grandeur divine que l’on peut cultiver l’humilité et non pas en demeurant dans la crainte et la seule vue du limon de nos misères [1.2].

Secondes demeures : L’âme entend les appels plus proches du Dieu qui réside au centre du château et elle craint moins les « reptiles venimeux ». Toute oraison revient à nous conformer à la volonté de Dieu pour recevoir plus. Il n’y a aucun autre mystère à connaître. Il suffit d’entrer en nous-mêmes, de se recueillir, de jouir de la paix [2].

Troisièmes demeures : Ce sont celle de la sécurité avec les bienheureux, même si David ou si Salomon nous montrent que la chute reste possible. L’humilité peut être un remède à la sécheresse ; c’est aussi un don de cette dernière, qui ne doit pas laisser naître l’inquiétude.  Ne demandons pas de faveurs divines [3,1].  L’humilité est aussi un remède à nos plaies ; ne marchons pas à pas comptés ; n’ayons aucune peur ; exerçons une obéissance immédiate, sans illusion sur le monde [3,2].

Quatrièmes demeures : Ici commence le surnaturel qui chasse les bêtes venimeuses. Les contentements naissent de l’action vertueuse, ils sont naturels comme les larmes de joie ou de purification et se terminent en Dieu, laissant place aux goûts. Il ne faut pas abandonner les sentiments de contentement pour achever une méditation : l’important n’est pas de penser beaucoup, mais d’aimer beaucoup, non par consolation, mais par résolution. Et laissons aller le traquet de moulin des pensées importunes [4,1]. L’eau amenée avec bruit par les aqueducs qui traduisent notre effort correspond au contentement, celle qui est reçue directement et silencieusement de source divine correspond au goût de l’oraison de quiétude ~ cette eau coule de notre fond le plus intime, avec une paix, une tranquillité, une douceur extrêmes. Mais d’où jaillit-elle et de quelle manière, c’est ce que j’ignore.  … ce plaisir ne naît pas du cœur, mais d’un endroit encore plus intérieur… Je pense que ce doit être le centre de l’âme. Ici on ne peut s’illusionner : nos puissances ne pourraient l’acquérir, car elles ne sont pas dans l’union divine, mais enivrées et surprises  ~ Cette eau n’étant pas amenée par des canaux comme la précédente, si la source se refuse à la donner, nous nous fatiguerons en vain. Je veux dire que nous aurons beau multiplier nos méditations, nous pressurer le cœur et verser des larmes, tout sera inutile [4,2]. L’oraison de recueillement est un état bref et de joie qui prépare l’oraison de quiétude. ~ sans aucune violence, sans bruit, qu’elle tente d’empêcher l’entendement de discourir, mais qu’elle n’essaie pas de le suspendre, pas plus que l’imagination, car il est bon de considérer que l’on est en présence de Dieu et de réfléchir à ce qu’Il est. Que si l’entendement se trouve absorbé par ce qu’il éprouve en lui-même, très bien ; mais qu’il ne cherche pas à comprendre ce dont il jouit, parce que c’est à la volonté que le don s’adresse436. [4.3.8].

Cinquièmes demeures : L’âme n’en conserve pas le souvenir et se demande si ce fut un sommeil ou un don de Dieu. Elle ne doute cependant pas de cette faveur qui sera confirmée par des effets. ~ Vous me direz : Comment a-t-elle vu et entendu qu’elle a été en Dieu, puisqu’en cet état elle ne voit ni n’entend ? … par une conviction qui lui reste et que Dieu seul peut donner… ayant demandé à l’un de ces demi-docteurs dont j’ai parlé de quelle manière Dieu était  en nous, lui, qui n’en savait pas plus qu’elle avant cette révélation, eut beau l’assurer que Dieu n’était en nous que par la grâce, elle ne put le croire, tant elle était sûre du contraire [5,1]. La grandeur de Dieu donne valeur à ce que nous retranchons et donnons de nous-mêmes, comme la soie que file le ver. Difforme, il meurt — et sort un papillon blanc très gracieux. L’âme ne sait d’où a pu lui venir un si grand bien, elle est animée d’une sollicitude pleine d’angoisse tout comme le papillon qui vole et ne sait où se poser [5.2]. Si nous n’avons pas de volonté sinon de s’attacher à celle de Dieu, ne cherchons pas ailleurs la grâce de l’union, la paix est donnée en cette vie. La volonté de Dieu ? ~ Que nous soyons parfaites… le Seigneur ne demande  que deux choses : l’amour de Dieu et l’amour du  prochain… en récompense de celui que nous avons pour le prochain Il fait croître de mille manières celui que nous avons pour Lui-même. C’est l’union et non pas ~ alguna suspencioncilla en la oracion de quietud ~ [5,3] Allons toujours au-delà ~ jamais l’amour ne demeure inactif —el amor jamàs està ocioso [5,4]437.

Sixièmes demeures : les épreuves par louanges, maladies, crainte d’illusion ~ la grâce… est alors tellement cachée, que l’âme n’aperçoit pas alors en elle la plus petite étincelle d’amour de Dieu… Ce n’est plus à ses yeux qu’un rêve et une chimère [6,1] ~. Mais Dieu réveille l’âme  par des étincelles d’amour qui viennent directement de lui, à la différence des ivresses des goûts spirituels [6,2]. Paroles de Dieu  qui confèrent certitude et paix [6,3]. Ravissements, vue des grandeurs de Dieu [6,4]. Vol d’esprit, une vague puissante qui arrive de la source des eaux, lumière et connaissance, vision [6.5]. Peine d’exil du papillon impuissant à voler où il voudrait; désir dont il faut faire diversion; jubilation éprouvée par François et par Pierre d’Alcantara [6,6]. L’âme comprend la grandeur divine et regrette son ingratitude ; s’occuper des choses divines et fuir les corporelles est un égarement : la méditation de l’humanité de Jésus est nécessaire ; l’âme désire aimer et ne le peut [6,7]. Vision intellectuelle qui dure plusieurs jours et même parfois plus d’un an, bien différente des visions imaginaires fugaces : c’est la présence et proximité divine (ou d’un saint, sans paroles), dont la certitude est beaucoup plus grande que celle des sens. La paix et l’humilité prouvent qu’il ne s’agit pas d’une illusion. Conseils sur le choix d’un confesseur et sur la discrétion pour éviter les tourments [6,8]. La véritable vision imaginaire est soudaine et imprévue, et génère et la paix et la certitude ; il ne faut jamais la demander [6,9]. Vision intellectuelle laissant une forte empreinte, où on découvre comment toutes les créatures se voient en Dieu qui les renferme toutes. C’est dans le palais qui est Dieu même que l’on pèche [6,10]. Solitude extrême de la séparation d’avec Dieu — ne dure que quelques heures tout au plus, car le danger de mort est grand ; elle se manifeste par des cris et le corps demeure brisé. L’âme ne redoute ensuite plus rien.

Septièmes demeures : ~  De même que Dieu a dans le ciel son séjour, de même il a dans l’âme une résidence, où Il habite seul. C’est, si vous voulez, un second ciel ; Il est très important pour nous, mes sœurs, de ne pas nous représenter notre âme comme quelque chose de ténébreux. ... C’est dans la partie la plus intime d’elle-même qu’elle sent cette divine compagnie... Pourvu qu’elle ne soit pas infidèle à Dieu, jamais, à mon sens, Il ne manquera de lui donner cette vue si claire de Sa présence [7.1] ~. Dans le mariage spirituel, l’esprit de l’âme est devenu une même chose avec Dieu, comme deux cierges unis d’une même lumière, une eau du ciel mêlée à une source, un filet d’eau dans la mer, une lumière provenant de deux fenêtres et mêlées dans une pièce [7.2]. ~ La transformation qui s’est opérée en elle est si grande, qu’elle ne se reconnaît plus. Elle ne songe ni au ciel qui l’attend, ni à la vie, ni à l’honneur... les goûts spirituels ne les attirent plus, parce qu’elles jouissent de la présence du Seigneur lui-même... l’âme n’a plus de ravissements ~ les troubles ont entièrement disparu, la colombe trouve le rameau d’olivier [7,3]. On est vraiment spirituel quand on se fait l’esclave de Dieu. Soyez l’esclave de toutes vos sœurs. Cherchez le repos à l’intérieur, non plus à l’extérieur ; la vigueur rejaillit de la cave mystique au faible corps. ~ Ne visez pas à faire du bien au monde entier, contentez-vous d’en faire aux personnes dans la société desquelles vous vivez [7.4] ~. Humilité ! Que ce soit une consolation de vous délecter dans ce château intérieur sans avoir besoin d’en demander permission à vos supérieurs. Vous trouverez le repos en tout, car vous garderez l’espoir d’y retourner.


1588 Breve compendio d’Isabelle Bellinzaga.

Le  Bref résumé concernant la perfection chrétienne, où l’on voit une pratique admirable pour unir l’âme avec Dieu, fut édité anonymement puis réédité de nombreuses fois en italien, en 1596 à Paris, où il avait été ramené par le Père Coton, l’éminent spirituel jésuite qui séjourna à Milan avant de devenir le  confesseur d’Henri 438. C’est un texte important par sa valeur propre et parce qu’il transmet en France une influence italienne, à la suite de son « plagiat » par Bérulle dans le Bref discours de l’Abnégation intérieure paru en 1597.

Isabelle Christine Lomazzi prit le nom de son oncle chez qui elle vivait, Bellinzaga ou Berinzaga. « Elle fréquentait l’église de la maison professe des jésuites de Milan. Ses faveurs, et les problèmes qu’elles posaient parvinrent aux oreilles du supérieur général de la Compagnie, lequel envoya en 1579 le père Sébastien Morales pour examiner le cas d’Isabelle : elle avait alors vingt-sept ans. Le résultat de l’examen fut tout à fait positif, au point qu’on admit Isabelle sous l’obédience de la Compagnie. » En 1584, Gagliardi, qui est à Milan depuis quatre ans, devient le supérieur de la maison et lui fait faire les Exercices, « lesquels durèrent quatre mois par suite d’une maladie de la retraitante. Le directeur jésuite vit rapidement fondre ses réticences et se mit à consigner sur de petits papiers les dires d’Isabelle. Puis il rédigea quelques textes, dont une esquisse biographique de sa dirigée et surtout le Breve compendio. D’après les manuscrits, on peut dater la rédaction de l’ouvrage de 1588 [...] Pour le fond des idées, ou du moins pour les intuitions majeures, Isabelle est l’inspiratrice, mais Gagliardi est le rédacteur et l’organisateur [...] il faut peut-être laisser à Isabelle la paternité de l’idée-force du livre, dont Gagliardi profitera pour structurer ses ouvrages ultérieurs.439». Ce texte bref distingue trois états, dont le premier divisé en six degrés... Cette organisation complexe traduit la conception jésuite de la vie intérieure, une conquête progressive qui demande un effort non négligeable, dans la ligne des Exercices ; mais cette ascèse est transformée par les intuitions de la mystique Isabelle. Elle commence par mettre en garde les débutants  contre l’attachement et la présomption spirituelle :

« C’est pourquoi il faut être sérieusement averti qu’encore que ces lumières et ces affections-là soient de Dieu au commencement et que d’abord qu’on les a reçus et embrassé elles produisent en l’âme de très bons effets... néanmoins... on s’y laissera entraîner par l’affection naturelle qui nous fera volontiers embrasser de telles lumières et de tels mouvements avec grand contentement de nous-mêmes, c’est-à-dire qu’on y trouvera plus qu’une secrète complaisance de soi-même... pour tâcher de coopérer avec ces lumières divines, on se mettra à discourir intérieurement et amplement avec soi-même, on voudra exercer et même fortifier les puissances naturelles de l’entendement, de la volonté, des affections, pensant que par ce moyen nos premières lumières s’augmentent de beaucoup et qu’elles se dilatent fort de l’intérieur. Mais rien moins que cela. Bien loin que ces choses soient des effets de Dieu, ce ne sont que pures réflexions de l’âme, jointes au plaisir qu’on a de goûter le principe qui les cause… On tombe de la sorte dans un aveuglement orgueilleux et dans une vaine présomption 440. 

Auxquels se substitue par la suite un acquiescement qui n’exclut pas la joie :

« Quiconque aspire à une haute perfection se doit tenir pour averti qu’elle ne consiste pas comme plusieurs le pensent, en ce qu’on ait ses pensées et ses affections en croix et dans les afflictions... puisque toute chose, pour petite qu’elle soit, devient difficile à l’âme triste, au lieu qu’au contraire l’allégresse égaye et adoucit tout travail....

« Mais l’acte de la vertu est un parfait acquiescement et contentement, lequel naît d’une pleine et entière conformité avec le divin vouloir et qui cause une disposition très prompte à se soumettre en tout et pour tout à ce que Dieu veut opérer et parfaire dans l’âme, par elle et d’elle, selon son bon et divin plaisir. Et parce que le trop grand empressement de vouloir endurer ou pâtir ôte cet acquiescement tranquille et qu’il empêche la perfection des opérations divines, l’âme doit s’en défaire et le retrancher, comme aussi rejeter les pensées des croix et des travaux lorsqu’il n’est pas saison de les endurer, changeant adroitement tout cela en cette divine gaieté de la conformité avec Dieu, à l’acquisition de laquelle on n’avance pas peu en se représentant des choses joyeuses et agréables pourvu que saintes : car de telles pensées sont conformes à la perfection 441.

Après la joie viennent un dépouillement, « une soustraction de tout l’actif de l’âme » ; l’âme, après ces épreuves, devient paisible  « comme un agneau que l’on tond », enfin :

«... suit une conformité... il en vient encore une espèce de Déification qui passe toute  expression : c’est un acte encore passif, qui n’est ni oblation à Dieu, ni don, ni consécration, ni sacrifice, ni holocauste de soi-même, mais c’est quelque chose de beaucoup plus excellent et de plus parfait, comme serait de se donner et se laisser soi-même tout en proie à Dieu 442 .»

1591 Luis de Leon (1528-1591).


L’air s’apaise et se revêt443

De beauté et de pure lumière

Salinas, quand s’élève

la musique sublime

que dirige votre main savante.


À cette divine mélodie,

mon âme, consumée par l’oubli,

retrouve l’esprit

et la mémoire perdue

de son illumination première.


Et dans cette connaissance

elle discerne mieux son sort et sa pensée ;

elle méprise l’or,

beauté éphémère et trompeuse,

que le vulgaire adore avec aveuglement.


Elle franchit l’espace

pour accéder enfin à la plus haute sphère

et y entendre l’autre mode

d’une musique inaltérable,

qui de toutes les musiques est la première.


Elle voit comment le grand maître

jouant sur cette immense cithare,

d’un geste adroit

produit le son sacré,

colonne de ce temple éternel.


Et comme elle est constituée

de nombres concordants, aussitôt, en retour,

donne une réponse consonante ;

et toutes deux, à l’infini,

mêlent leur très douce harmonie.


Ici l’âme traverse une mer

d’une telle douceur

qu’elle désire, pour finir, s’y abandonner,

afin que nulle altération étrange et insolite

ne se fasse entendre ni sentir.


Ô bienheureuse défaillance !

Ô mort qui donne vie ! Ô doux oubli !

Que puisse durer ce repos,

sans que jamais je ne m’abaisse

à mes sens bas et vils !


À ce bien je vous appelle,

gloire du chœur sacré apollinien,

amis que j’aime plus que tout trésor,

car tout le reste n’est que tristes larmes.


Oh ! que résonne sans cesse

à mon oreille votre musique, Salinas,

qui éveille les sens au divin,

les gardant fermés à tout le reste.


§


El aire se serena

y viste de hermosura y luz no usada,

Salinas, cuando suena

la música extremada

por vuestra sabia mano gobernada.


A cuyo son divino

mi alma, que en olvido está sumida,

torna a cobrar el tino

y memoria perdida

de su origen primera esclarecida.


Y como se conoce,

en suerte y persamiento se mejora;

el oro desconoce,

que el vulgo ciego adora :

la belleza caduca engañadora.


Traspasa el aire todo

hasta llegar a la más alta esfera,

y oye allí otro modo

de no perecedera

música, que es de todas la primera.


Ve cómo el gran maestro

a aquesta inmensa cítara aplicado,

con movimiento diestro

produce el son sagrado,

con que este eterno temple es sustentado


Y como está compuesta

de números concordes, luego envia

consonante respuesta;

y entrambas a porfia

mezclan una dulcísima armonía.


Aquí la alma navega

Par un mar de dulzura, y, finalmente,

en  el ansi se anega,

que ningún accidente

extraño y peregrino oye o siente.


¡Oh desmayo dichoso!

¡Oh muerte que das vida!

¡Oh dulce olvido!

¡Durase en tu reposo,

sin ser restituido

jamás a aqueste bajo y vil sentido!


A aqueste bien os llamo,

gloria del Apolíneo sacro coro,

amigos, a quien amo

sobre todo tesoro;

que todo lo demás es triste lloro.


¡Oh ! suene de contino,

Salinas, vuestro son en mis oídos,

por quien al bien divino

despiertan los sentidos,

quedando a lo demas amortecidos.


1591 Jean de la Croix (1542-1591).

Nous serons brefs par respect en remplaçant l’abondance par la précision apportée sur des points choisis. Les notes sont par contre longues : elles peuvent orienter utilement sur quelques lieux et sur ses écrits. Car il s’agit d’aborder sans perdre de temps le plus universellement reconnu des mystiques chrétiens — négligeant de très intéressantes études disséminées dans la masse immense des parutions. Il suffit surtout d’oublier des « nuits » décrites à distance et le masque sévère qu’on fait généralement porter au fondateur

Le fondateur des carmes réformés.

Juan de Yepes naît en 1542 près d’Avila444. Son père meurt d’une maladie douloureuse (cancer ?) lorsqu’il a deux ans et la misère s’installe au foyer. Il vit à Medina del Campo à partir de l’âge de neuf ans avec sa mère et son frère Francisco, son aîné de douze ans. Il est instruit au Colegio de la Doctrina, fait l’office d’infirmier dans une institution pour pauvres contagieux, l’Hospital de las bubas, et collecte des aumônes. À l’âge de dix-sept ans, il étudie dans l’excellent Colegio de la Compañia.

À vingt et un ans, il prend l’habit du Carmel, communauté réduite fondée trois ans auparavant : fray Juan de Santo Matia suit les cours de l’Université de Salamanque de 1565 à 1568. Avant même la fin de ses études, il rencontre en 1567 Teresa âgée de cinquante-deux ans, la retrouve à son retour à Medina et l’accompagne dans sa fondation de Valladolid. La même année 1568 est fondé à Duruelo le premier couvent de carmes de la règle primitive avec Antonio de Jesus et José de Cristo. Il a vingt-six ans. Son frère Francisco est venu. Leur dure vie est décrite par Teresa445. Deux années plus tard, ils s’installent à Mancera. Il accomplit diverses missions, dont celle de recteur du collège déchaussé d’Alcala de Henares.

Pendant ce temps Teresa, nommée supérieure de son ancien couvent, réussit à retourner les carmélites en sa faveur et obtient la nomination de Jean comme confesseur en 1572. Il a trente ans. Les relations entre carmes se détériorent ; au début de l’année 1576 a lieu une première arrestation brève à Medina. Devant les protestations de la ville d’Avila suivie de l’injonction du nonce, il est libéré, mais sera enlevé la nuit du 2 décembre 1577. Ses écrits subissent alors une première destruction. Il a trente-cinq ans.

Il sera pendant neuf mois en isolement dans une cellule obscure : « J’entendis de nombreuses fois dire par les religieux qui parlaient en dehors [de sa cellule sans fenêtre] « Pourquoi gardons-nous cet homme ? Jetons-le dans un puits, personne ne saura rien de lui446». Sa santé sera gravement atteinte447. Il peut finalement fuir avant qu’il ne soit trop tard et trouve provisoirement refuge dans un couvent de carmélites réformées puis dans un hôpital de Tolède.

Les douze dernières années de sa vie que nous ne résumons pas ici (mais qui forme plus de la moitié de la biographie par Crisogono admirablement appuyée par des extraits de dépositions dans l’édition espagnole) porte sur son rectorat de Baeza, ses voyages en Castille, son activité en Andalousie ; en particulier à l’ermitage del Calvario d’où il va assister les sœurs de Beas, à une petite journée de marche : « Toutes… l’entendant, demeuraient les cœurs brûlant de l’amour de Dieu448»; il passe ensuite plusieurs années comme prieur du couvent de Los Màrtires449, « maestro de espiritus en Granada » 450. Il est en déplacements incessants « por los caminos de Andalucia » comme visiteur de sa province et pour des fondations, montant à Madrid pour les chapitres généraux. Il meurt épuisé, âgé de quarante-neuf ans, en 1591.

Son influence mystique s’exerça sur Teresa, « muy su hija451». La sœur Magdalena del Espiritu Santo déclarera : « Mon intérieur était rempli d’une grande lumière qui causait quiétude et paix » en  sa présence452; « … l’entendant, les cœurs restaient brûlants de l’amour de Dieu453.» Il lit dans les cœurs454. Il soulage des angoisses de la nuit spirituelle : « … riendose, me respondio : “Ande, bobo, que es nada”455.»Les études sur Jean de la Croix sont innombrables456.

Les traces écrites.

« Adonde no hay amor, ponga amor, y sacarà amor » (6 juillet 1591).

Les traités sont rédigés de 1579 à 1586, soit, cités par ordre chronologique : Cantique spirituel A ; Montée du Carmel457 et Nuit obscure ; Vive flamme A et B. L’espagnol est très accessible dans sa beauté classique 458. À défaut, nous apprécions l’édition qui reprend le travail de Marie du Saint Sacrement. Cette carmélite « adapta » plutôt que « traduisit », toutefois avec une juste sensibilité issue de son expérience, les textes de Thérèse de Jésus et de Jean de la Croix. Nous préférons de même la traduction « malhabile » de 1621 par Gaultier à celle de Cyprien de la Nativité, faite vingt années plus tard et déjà influencée par l’esprit, faux mystiquement, de Port-Royal 459.

Les éditions du Cantique fournissent un exemple caractéristique des difficultés que l’on rencontre pour retrouver l’élan initial d’une œuvre qui, posant problème aux contemporains, fut modifiée. Nous disposons de deux formes : le jet initial (A) considéré longtemps comme un « brouillon », en 39 couplets ; la mise en forme « finale » (B), en 40 couplets, qui augmente d’un tiers le volume du texte et modifie l’ordre des couplets 460. La forme (A) fut proche d’un original aujourd’hui perdu 461. Des érudits affirment qu’il y eut des retouches faites après la mort de Jean, conduisant à (B), peut-être à partir d’une version longue acceptée par l’auteur. Dans la forme « finale », le mariage spirituel devient une «béatitude réservée à l’au-delà 462». Tout ceci donna lieu à une célèbre querelle 463

Les autres écrits, tels ceux de la Vive flamme, ne posent pas de problèmes. Mais de nombreux écrits ont été perdus, dont la correspondance brûlée dans l’affolement provoqué par l’enquête du colérique Diego Evangelista. Selon Louis Cognet, Jean de la Croix « a beaucoup écrit […] ses œuvres occupent tout juste quelques centaines de pages : leur seul volume permet de penser qu’elles ne constituent que des épaves de sa production 464» Jean Orcibal constate avec humour : « C’est donc peut-être une loi des plus grands textes religieux que de se présenter à la postérité comme le produit d’une collaboration entre l’auteur et son milieu 465. »

Le mont Carmel.

Un dessin de la Montée du mont Carmel résume la voie ou sentier mystique, accompagné d’un court texte adapté à notre brève présentation. La figure 1 reproduit la copie notariale d’un autographe de Jean de la Croix dédié à la carmélite Madeleine du Saint-Esprit. Il fait reposer le mont « sur » un poème qui se présente comme un guide d’ascension 466. On peut supposer que l’idée d’une telle montagne nue a pu naître en voyant de loin le piton de profil très particulier, arasé en son sommet, sur lequel est bâtie une petite cité d’origine musulmane 467.

Nous distinguons sur ce dessin plusieurs domaines délimités par les tracés à la plume, la partie « supérieure » du mont étant constituée de tout ce qui se situe à l’intérieur du trait en fer à cheval. La représentation est un survol en vue perspective, présentant une carte autant que le symbole emprunté à la nature : le sommet du mont est situé au centre d’un domaine intérieur, évoquant ainsi la topologie imaginale du vécu mystique. Le bas est un socle dense, support du mont : ses trois colonnes séparent les strophes d’un poème qui est le guide permettant d’entreprendre la montée par le sentier central né en son sein. On est devant une carte à but pédagogique se prêtant à une reproduction aisée : de nombreux dessins du monte furent donnés par le directeur spirituel des carmélites.

Un tel « mandala » exprimerait « des choses qui furent, sont, et seront » tout à la fois. Car, à la racine de son expérience l’âme est « unie à l’intelligence pure qui n’est pas dans le temps ». Aussi le langage est-il mal approprié (une langue étant de nature auditive, il se déroule dans le temps seul)468. À l’inverse, le graphisme « peut montrer, dans un même espace, la graine la fleur et le fruit par exemple, alors qu’en parlant ou en écrivant on est obligé de les énumérer successivement. » Jean de la Croix utilise donc les possibilités du graphisme, associées à  l’écriture qui vient en complément, ce qui nous incite à « lire » lentement (et selon diverses orientations) son abrégé textuel de la voie mystique469. Cela va bien au-delà de l’usage habituel d’images, rencontré chez des jésuites ou dans les livres d’emblêmes470.

Cette « œuvre » d’un type mixte, dessin associant traits et mots, est une combinaison devenue aujourd’hui en faveur chez des poètes. La traduction du texte-résumé distribué dans la figure (et commenté dans la Montée pour le poème-base) est la suivante :

La partie haute du Monte que l’on peut supposer aplani est représentée selon une vision plongeante par le cœur du dessin où figure en espagnol :

« Seuls habitent en ce mont — Honneur et gloire de Dieu. »

 Elle est délimitée selon un cercle (tel le centre d’un soleil eucharistique) à l’aide d’une citation latine adaptée de Jérémie 2, 7 :

« Je vous ai introduits dans la terre du Carmel pour que vous vous rassasiiez de ses fruits et de ses biens. »

 Le terme « Sagesse » relie cette citation à l’inscription de la partie supérieure du dessin :

« Il n’y a plus de chemin par ici, parce qu’il n’y a pas de loi pour le juste. »

Les flancs du Monte sont émaillés de « fleurs » ou qualités. À gauche/à droite :

« Plus rien ne me donne joie/plus rien ne me donne peine »

« Paix joie allégresse délice/piété charité force justice »

« Depuis que je le veux plus j’ai tout sans le chercher/moins je le veux plus j’ai tout sans le chercher ».


À l’extérieur du Monte délimité par le tracé en fer à cheval, une mince, mais essentielle colonne centrale relie les strophes du poème-base au cercle ou soleil de sa partie haute :

« Sentier du mont Carmel. Esprit de perfection. Rien rien rien rien rien rien. Et même en la montagne rien. »

À gauche et à droite de cette mince colonne centrale :   

 « Ni ceci ni ceci ni ceci ni ceci ni ceci : gloire du ciel jouissance savoir consolation repos/Ni cela ni cela ni cela ni cela ni cela : possession de la terre jouissance savoir consolation repos.

« Plus je les ai cherchés avec moins je me suis trouvé/Plus j’ai voulu les chercher avec d’autant moins je me suis trouvé »

Entre les strophes du poème, outre l’implantation de la colonne centrale « Sentier du mont… », figurent à gauche et à droite deux colonnes :

«  Chemin de l’esprit d’imperfection gloire du ciel…  /Chemin de l’esprit d’imperfection possession de la terre… »

Le poème comporte quatre strophes écrites transversalement entre les trois colonnes précédentes :    

« Pour venir à goûter tout — Ne veuillez avoir de goût en rien.

« Pour venir à savoir tout — Ne veuillez savoir quelque chose en rien.

« Pour venir à posséder tout — Ne veuillez posséder quelque chose en rien.

« Pour venir à être tout — Ne veuillez être quelque chose en rien. 

« Pour venir à ce que vous ne goûtez — Allez par où vous ne goûtez.

« Pour venir à ce que vous ne savez — Allez par où vous ne savez.

« Pour venir à ce que vous ne possédez — Allez par où vous ne possédez.

« Pour venir à ce que vous n’êtes — Allez par où vous n’êtes.

« Quand vous vous arrêtez en quelque chose — Vous cessez de vous jeter au tout.

« Car pour venir du tout au tout — Vous devez vous laisser du tout au tout.

« Et quand une fois vous aurez tout — Vous devez le tenir sans rien vouloir. 

« En cette nudité, l’esprit trouve son repos,

« parce que, ne convoitant rien, rien ne le fatigue vers le haut

« et rien ne l’opprime vers le bas, car il est dans le centre de son humilité.

Cette représentation du mont par Jean de la Croix eut une grande fortune et au fil du temps conduisit à de nombreuses variations fort étrangères au dessein de son auteur. Les évolutions d’une forme comportant des ajouts trahissent une perte d’une perception de son thème profond même si le cadre visuel — montagne et chemin — reste présent.

Le monte est déjà transformé et en quelque sorte « fossilisé », en façade du monument très géométrique du codice de Grenade, qui abandonne le thème emprunté à la nature471. Puis la gravure de l’édition de la traduction française de Cyprien de la Nativité, parue en 1641, montre une transformation plus subtile, en même temps plus radicale, même si la nature réapparaît (montagne et chemin prenant la place de la mer dangereuse ou du lac d’indifférence de la carte du Tendre) : la Sagesse divine — elle deviendra au siècle suivant déesse Raison ! — est assise sur une montagne. La montagne nue devient un trône feuillu qui ne pouvait rester vide. L’image traduit graphiquement une transformation vers une religion où la mystique de la foi nue ne trouve plus de place…

Le poème du Monte est repris dans la Montée du Carmel, livre I, chapitre XIII, en deux passages. Texte largement connu de tous et reproduit en carte postale, il est malheureusement la source d’une incompréhension voire d’un rejet de son auteur parce qu’on ne le replace pas dans son commentaire textuel. Car il s’agit du début du chemin de la voie purgative, placé au premier livre d’une Montée qui en comporte trois, elle-même suivie de la Nuit obscure en deux livres. Des commentaires encourageants concluent les poèmes du chapitre XIII :

... Non à rechercher le meilleur des choses temporelles… Et il faut qu’il embrasse ces œuvres de bon cœur et tâche d’y réduire la volonté. Car s’il les exerce avec cœur, en peu de temps il trouvera en elles un grand délice et consolation, opérant avec ordre et discrétion.

... Car si vous voulez avoir quelque chose en tout, vous ne tenez pas purement en Dieu votre trésor. En cette nudité, l’esprit trouve sa quiétude et son repos parce que, ne convoitant rien, rien ne le fatigue vers le haut et rien ne l’opprime vers le bas…

Vide et unité.

« À mon entrée dans la chapelle, je fus saisie d’admiration… Mais aussi, il y avait là tant de croix ! tant de têtes de mort ! 472. »

Peut-être l’insistance sur le rôle de la volonté et la longue liste des difficultés que peut rencontrer le pèlerin spirituel effraient un lecteur qui prend généralement contact par La montée du mont Carmel, qui ouvre toutes les éditions. Elle signale les obstacles de part et d’autre d’un chemin mystique « vide », car on ne peut en rien le décrire (songeons aux multiples indications qui bordent nos routes, danger ici, croisement là, la route elle-même étant heureusement vide !). Jean de la Croix dresse en fait dans cette première œuvre le catalogue de toutes les difficultés possibles, et elles sont multiples, à l’image de la diversité de ses novices.

La montée est transcendée dans le Cantique de la « redécouverte en Dieu des créatures473» et dans la Vive flamme de la transformation en Dieu, en particulier dans les avis donnés en commentaire au troisième stophe ; le vide n’effraye plus puisqu’il est un tremplin, de même que la route mène au but :


« Ceux qui guident de telles âmes… que tout leur soin aille donc à la dégager, à la mettre en solitude et en oisiveté, sans lui permettre ni de s’attacher aux connaissances particulières, qu’elles viennent d’en haut ou d’en bas, ni de désirer les goûts sensibles, ni de s’appliquer à un objet intérieur quel qu’il soit. L’âme doit demeurer vide, en négation de tout le créé, en vraie pauvreté spirituelle… Lorsque l’âme renonce ainsi à toutes choses, qu’elle arrive à en être vide et désappropriée — et nous l’avons dit, c’est tout ce que pour sa part elle peut faire — il est impossible que Dieu de son côté ne se communique pas à elle, au moins en secret et silencieusement. Cela est plus impossible qu’il ne l’est aux rayons du soleil de ne pas donner sur un endroit bien découvert474.»

La vie mystique peut être abordée à plusieurs niveaux de profondeur : méditation, contemplation, enfin celui d’un état continu où l’âme est dans la grisaille sans aucune croyance à laquelle se rattacher. En effet 

« pour devenir divine, l’âme doit traverser un vide spirituel total ; la force divine qui l’investit pour la renouveler… brise et défait de telle façon la substance spirituelle, l’absorbant en une profonde et abyssale obscurité, que l’âme se sent consommer et fondre à la vue de ses misères par une cruelle mort d’esprit ; de même que si, une bête l’ayant avalée, elle se sentait digérée dans son ventre ténébreux — souffrant les mêmes angoisses que Jonas dans le ventre de cette bête marine. Car il faut qu’elle soit dans ce tombeau de mort obscure pour la résurrection spirituelle qu’elle attend... Ce que cette âme dolente ressent le plus ici, c’est qu’il lui semble clairement que Dieu l’a rejetée et, l’ayant en horreur, l’a précipitée dans les ténèbres — ce qui est pour elle un grand tourment et une peine lamentable, de croire que Dieu l’ait abandonnée475

« ... De la brûlure de la privation jaillit le désir de la possession jusqu’à ce qu’il soit assez violent pour briser, dans un ultime élan, l’écran de la dernière toile... l’âme ne se plaint plus, mais chante les délices brûlants de la Vive Flamme476», « … En tuant, de la mort tu as fait la vie477.»

Effectivement l’âme ne peut donner autrement qu’elle ne reçoit. … l’âme devenue l’ombre de Dieu, fait en Dieu pour Dieu ce que Dieu fait en elle pour Lui-même, et de la manière dont Il le fait, parce que leurs deux volontés ne font qu’un478.

Pour Orcibal, « les dernières strophes du Cantique spirituel et la Vive Flamme ne considèrent la dualité que comme une étape provisoire avant une sorte de fusion amoureuse avec Dieu où la créature retrouve paradoxalement son sens et sa réalité. » Le même érudit observe que chez Jean de la Croix, « ses nombreux emprunts aux auteurs du Nord [...] lui semblaient rendre compte de son expérience propre479.» 


1596 Grégoire Lopez (1542 - 1596)

Le mexicain Grégoire Lopez (1542-1596) rattache pourtant une vie mystique atypique à l’antique tradition des ermites et des Pères du désert dont les pratiques ascétiques sont célèbres. Il est l’une des figures préférées de tous ceux qui, à une époque travaillée par le désir d’un retour aux sources primitives,  reconnaîtront sa grandeur solitaire.

Sa Vida écrite par son disciple ami et prêtre François Losa, fut rééditée et traduite avant d’être mise en valeur par Arnauld d’Andilly480. Elle est  invoquée par les quiétistes dans les controverses, puis appréciée par P. Poiret (1717), enfin par le piétiste G. Tersteegen (1733) et par le fondateur du méthodisme J. Wesley (1747) 481, figures dont nous reparlerons. Elle mérite d’être lue pour son charme, mais surtout pour la profondeur de ses dits.  Elle enflamma l’imagination de générations de lecteurs à la recherche d’une figure moderne comparable à celles des Pères du désert.. Le récit de Losa s’articule selon cinq périodes correspondant aux lieux de résidence de l’ermite itinérant482 :

1542-1562 : peut-être né au Portugal, Grégoire vécut probablement à la Cour de Philippe II, ce qui explique une culture inhabituelle chez un ermite qui mènera une vie sauvage. Âgé de vingt ans, il s’embarque pour le Mexique, dont la  conquête est récente : la chute de Tenochtitlan-Mexico avait eu lieu en 1521. Arrivé à Vera Cruz, âgé de vingt ans environ, « il distribua aux pauvres des étoffes ». Il se rend à « Zacatecas, ville peuplée près de mines d’or... [où] s’étant trouvé dans la place de la ville lors que les chariots partaient pour porter de l’argent à Mexico... [il voit] naître tant de contestations de disputes et de querelles, que deux Espagnols en étant venus jusques à mettre la main à l’épée, ils se tuèrent tous deux ». Il quitte ce Far West mexicain en se rendant chez les Indiens « à huit lieues de là, dans la vallée d’Amajac habitée par les Chichimèques que leur humeur farouche et cruelle rendait alors redoutables aux Espagnols. » [15-17].

1562-1567 : Grégoire se fixe à sept lieues de Zacatecas, accueilli dans la métairie d’un capitaine : Pedro Carillo, le fils de ce dernier, enfant de six à sept ans à qui l’ermite apprit à lire, se souvenait de lui comme d’un jeune homme imberbe, vêtu d’un sac serré avec une corde, sans chaussures, sans chemise ni chapeau. Pendant les trois ou quatre années qu’il vécut chez Pedro, il n’assistait que rarement à la messe et ne fré­quentait les sacrements que de loin en loin, quand passait quelque prêtre. Il lisait et écrivait une bonne partie du jour. On commence à médire de lui « parce qu’on ne voyait ni rosaire ni image pieuse dans son ermitage ».

Il bâtit de ses mains une petite cellule. « Les Indiens l’y aidèrent ». Il répète la prière très courte suivante : « Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Amen. Jésus. Ceci dure «trois ans qu’il ne respirait presque point sans les dire mentalement... ayant demandé s’il était possible que toutes les fois qu’il se réveillait elles lui fussent présentes, il me répondit que oui, et qu’ainsi après être éveillé il ne respirait jamais une seconde fois sans qu’elles lui vinssent en la mémoire.» [31-32]. Après trois années il fut envahi par un ardent amour qui ne le quittera plus.

1567-1573 : Après avoir demeuré trois ou quatre ans dans sa cellule, il s’installe dans un village puis séjourne près de deux ans chez Sébastien Mexia, un converti qui ne porte plus que des habits de bure, comme notre ermite. Il retourne à Mexico où les dominicains seraient heureux de le recevoir dans leur ordre. «Ces bons religieux lui ayant dit que la contrée de Guasteca [Huaxteca] était fort spacieuse et peu habitée, et que la terre en étant fertile en fruits sauvages il pourrait trouver de quoi se nourrir, il résolut de s’y en aller pour vivre dans la solitude.» [51].

Son biographe Losa fit sa connaissance, ayant appris «qu’il y avait à Guasteca un homme que l’on soupçonnait d’être luthérien parce qu’il n’avait point de chapelet» [61]. Il fut témoin d’une vie réglée :

«Il se levait tôt et, après avoir lu, durant un quart d’heure, un passage de la Bible, il se recueillait, jusque vers onze heures, en un exercice dont on ne savait s’il était prière, méditation ou contemplation. Il sortait alors de son recueillement et man­geait avec Losa ou ses hôtes. … Quand fut interdite la lecture de la Bible en langue castillane, il la lut en latin : pendant quatre ans, il consacra à cette lecture quatre heures chaque jour, arrivant à la savoir presque toute de mémoire. Il reconnaissait avoir lu beaucoup… et il ressentait une très vive consola­tion à lire, décrite par Tauler et Ruysbroeck, les motions spi­rituelles que Dieu lui communiquait483.»

 1573-1580 : Malade il est recueilli par Jean de Mesa et passe quatre ans à Guasteca, puis va «à Atrico par un mouvement du Saint-Esprit... qui le portait à faire de semblables changements.» [63]. Jean Perez Romero lui donne une chambre ; il y demeure deux ans, mais des religieux se scandalisent «d’une vertu et d’une science si admirables dans un homme qui n’avait point étudié et ne portait point l’habit d’aucune religion.» [65]. Il s’installe à Testuco (aujourd’hui Huastepec, État d’Oaxaca) pour deux ans, où il écrit un livre de médecine, ce qui montre qu’il prit soin de malades en bon anatomiste et excellent herboriste. Un cercle laïque se forme. L’enquête d’un jésuite, faite pour le compte de l’archevêque de Mexico, lui est favorable.

1580-1589 : En compagnie de Losa, il s’installe à l’hôpital de Guastepec en 1580 et assiste ceux qui l’entourent.

Un seigneur se renseigne sur l’hôpital auquel on dit que Lopez passe son temps à prier dans sa chambre : «je lui ferai de bon cœur donner deux cents coups de fouet»… [Lopez répond avec humour :] «Il a raison. Car un fainéant mérite bien deux cents coups de fouet ; et ces Seigneurs qui sont si occupés des choses extérieures ne comprennent pas ce que c’est qu’un exercice intérieur [237].»



Affirmant aussi bien :

«Je ne suis rien : je ne suis bon à rien. [240].»

Sa spiritualité fait fi des méthodes. Il refusait de donner des règles pour faire oraison, renvoyant au Pater :

«Pour ne vous pas donner sujet de vous plaindre que je vous refuse,  je vous dirai que vous n’aurez pour cela qu’à dire ce peu de paroles dont le sens est d’une si grande étendue : “Seigneur mon Dieu éclairez mon âme afin que je vous connaisse et que je vous aime  de tout mon cœur.” Ce bon frère communiqua cette prière aux autres frères de cet hôpital. [205].» 

Il est l’objet d’une nouvelle enquête, cette fois par un dominicain [84] :

«Il répondit sincèrement que toute son occupation était d’aimer Dieu et le prochain. À quoi [Dominique de Salazar] lui ayant réparti : Vous me dites la même chose à Amajac il y a vingt-cinq ans, et ne vous êtes-vous donc occupé qu’à cela seul? Non, repartit Lopez, j’ai toujours fait la même chose quoy que mes actions ayent été différentes. [192]»

1589-1596 : Malade, il s’installe finalement dans un bourg nommé Sainte-Foy [Santa-Fe], toujours en compagnie de Losa, et

«choisit une petite maison séparée du bourg», car «Seigneur je viens ici seul pour vous servir et m’oublier moi-même.» Il entra dans cette solitude le 22 mai 1589 et y passa le reste de sa vie. » [93]. Losa le rejoint à Noël et demeure avec lui jusqu’à sa mort. [97].

« Il lui donna pour exercice d’oraison ces paroles : votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, amen Jésus. … doctrine la plus sublime et la plus difficile… [qui est] la conformité de notre volonté. [254 sv.].

Lui disant qu’il ne prenait aucun repos :… Il est vrai que je ne saurais prendre de repos tandis que mes frères se trouveront engagés dans tant de travaux et tant de périls, parce qu’il n’est pas juste que je pense à me reposer pendant qu’ils y seront exposés. Dieu me garde de faire une telle lâcheté. Il suffit que l’un d’eux soit en danger pour faire que je continue toujours de prier pour lui. [246].

Je lui dis de chercher quelque péché… il me répondit que par la miséricorde de Dieu sa conscience ne lui reprochait aucun péché. [267]’

Cet ermite donna des normes pour la bonne marche de l’Église au Mexique484, disant : La charité est la source, l’origine et la mère de toutes les autres vertus.

Grégoire Lopez étant toujours dans cet acte continuel du pur amour de Dieu et du prochain, Dieu lui communiquait sans cesse toutes ces vertus afin qu’il les communiquât aux autres et enrichit leur pauvreté par son abondance. Comme cet acte d’amour était continuel je lui demandai s’il avait quelques heures réglées… [il répondit que] nulles choses créées n’était capable de le divertir ni de le ralentir dans ce continuel acte d’amour de Dieu et du prochain qui lui était devenu comme naturel et que tant s’en faut qu’il reculât dans cette union que Dieu lui communiquait, il y avançait toujours, référant à Dieu par cet acte d’un pur amour toutes les grâces que sa Majesté lui faisait sans s’en rien appliquer, et que cette union était la source et l’origine de tout ce qu’il savait ; qu’ainsi c’était Dieu qui lui avait servi lui-même de maître et non pas les livres, quoique ce lui fut une grande satisfaction de lire ce que Taulere et Rusbroch ont écrit des choses purement intérieures qu’il plaît à Dieu de communiquer. Il me dit aussi :… quelle était cette union, par l’exemple de celle qui se rencontre entre la lumière et l’air,… deux choses distinctes tellement unies que Dieu seul est capable de les distinguer. [258].’

Sa vie se partage entre recueillements et les visites du puissant vice-roi à celles d’une simple Indienne que l’on retrouve à son chevet à la fin de vie.

Il ne leur parlait jamais de Dieu ni de choses spirituelles et morales s’ils ne lui en parlaient en premier… [il donnait ses réponses] dans des termes très simples parce qu’il en retranchait tout ce qui aurait été superflu… Ses lettres avaient cinq ou six lignes ou moins… [car] Il vaut mieux parler à Dieu que parler de Dieu. [230-233].’

Il assure un rôle apostolique par la prière :

 ‘l’âme en cet état est comme passive… ne fait que recevoir de Dieu… n’agit pas tant comme recherchant son bonheur que comme le possédant, puisqu’elle ne désire pas tant qu’elle possède et jouit. … Mais quinze ans avant sa mort s’étant vu en cet état et le connaissant fort bien, il crut qu’il lui était meilleur d’agir et de travailler jour et nuit de tout son pouvoir à témoigner son amour pour Dieu et le prochain. À quoi il ajoutait qu’il croyait que Dieu lui avait donné cet exercice comme étant le meilleur... [267].

Quand on le prie de se souvenir d’une personne, il le fait comme un homme qui se trouve chargé d’un grand poids : oui je le fais et porte ce poids sur mes épaules. [272].’

Considéré comme un saint, il meurt le 20 juillet 1596, non sans montrer une grande attention aux humbles. Une Indienne dont il ne connaît pas la langue vient le voir trois ou quatre jours avant sa mort :

Écoutez-la… Car peut-être me veut-elle donner quelque bon avis : ce qui montre quelle était son humilité… À l’heure de sa mort lors que lui demandant s’il voulait que je lui donnasse un cierge pour voir plus clair, il me répondit : Tout est clair. Il n’y a plus rien de caché : c’est un plein midi pour moi. [203]. 


1598 Philippe Desportes

L’Ame flétrie 485.


La vie est une fleur espineuse et poignante,

Belle au lever du jour, seiche en son occident,

C’est moins que de la neige en l’Esté plus ardent,

C’est une nef rompue au fort de la tourmente.

 

L’heur du monde n’est rien qu’une rouë inconstante

D’un labeur eternel montant et descendant :

Honneur, plaisir, profit les esprits desbordant,

Tout est vent, songe et nuë, et folie evidente.

 

Las ! c’est dont je me plains moy qui voy commencer

Ma teste à se mesler, et mes jours se passer,

Dont j’ay mis les plus beaux en ces vaines fumees :

 

Et le fruict que je cueille, et que je voy sortir

Des heures de ma vie, helas ! si mal semees,

C’est honte, ennuy, regret, dommage et repentir.’


1600 Giordano Bruno (~1550 – 1600)

Se la farfala  al suo splendor ameno486

Vola, non sà ch'é fiamm' al fin discara :

Se quand' il cervio per sete vien meno,

Al rio vá, non sá della freccia  amara;

 

S'il lioncorno corre al casto seno,

Non vede il laccio che se gli prepara :

I' al lum', al font', al grembo del mio bene

Veggio le fiamme, i'strali, et le cathene.

 

S’é dolce il rnio languire,

Perche quell' alta face si m'appaga,

Perche l'arco divin si dolce impiaga,

 

Perche in quel nodo é avolto il mio desire;

Mi sien eterni impacci

Fiamme al cor, strali al petto, á l'alma lacci.’


Quand le papillon vole vers la lumière au doux éclat, il ne sait pas qu’elle est aussi flamme  dévorante ; quand le cerf succombant à la soif court à la rivière, il ne sait rien de la cruelle flèche ;

Quand la licorne cherche asile au chaste sein, elle ne voit pas le lacet qu’on lui prépare : pour moi, à la lumière, à la source et au cœur de mon bien, je vois les flammes, les traits et les chaînes.

Mais si dans ma douleur je me complais, c’est que cette face sublime me donne l’apaisement, que douces sont les blessures de l’arc divin

Que par ce nœud est noué mon désir. Que me soient donc tourments éternels au cœur les flammes,  au sein les traits, à l’âme les chaînes.’

Là, il montre que son amour ne ressemble pas à celui du papillon, du cerf et de la licorne, qui fuiraient s’ils avaient quelque idée du feu, de la flèche et du lacet, et qui n’aperçoivent rien d’autre que le plaisir; lui au contraire est guidé par une fureur bien sensée, qui n’est que trop lucide et qui lui fait aimer ce feu plus que toute fraîcheur, cette blessure plus que toute santé, ces liens plus que toute liberté. Car ce mal qu’il subit n’est pas un mal absolu, il ne l’est que par rapport à ce qui est tenu pour bien selon l’opinion.


Lorsque vint le temps pour moi de devenir chamane...

Ces jours487 « à la recherche de la connaissance » sont très fatigants, car il faut marcher sans arrêt, par n'importe quel temps, et ne se reposer que pour de brefs instants. Quand je trouve ce que je cherche, je suis généralement presque à bout de forces, fatigué, pas seulement dans mon corps, mais aussi dans ma tête. Nous autres chamanes de l'intérieur n'avons pas de langue spéciale pour les esprits. […] il m'a toujours semblé que ces angatkut-de-l'eau-salée donnaient plus d'importance aux tours qui impressionnent le public, lorsqu'ils font des bonds sur le sol et zozotent toutes sortes d'absurdités et de mensonges dans leur soi-disant langue des esprits ; tout cela n'était pour moi qu'un simple amusement, quelque chose qui impressionne les ignorants. Un vrai chamane ne sautille pas sur le sol, il n'exécute pas des tours, pas plus qu'il n'essaie, à l'aide de l'obscurité, en éteignant les lumières, de troubler l'esprit de ses voisins. En ce qui me concerne, je ne pense pas savoir beaucoup de choses, mais je ne crois pas qu'on puisse atteindre la sagesse ou la connaissance des choses cachées de cette manière. La véritable sagesse ne peut être trouvée que loin des gens, dans la profonde solitude. On ne la rencontre pas à travers le jeu, mais seulement dans la souffrance. La solitude et la souffrance ouvrent l'esprit humain. C'est donc là que le chamane doit puiser sa sagesse.

Mais, lors de mes visites aux chamanes-de-l'eau-salée [...] je n'ai jamais exprimé ouvertement mon mépris concernant la manière dont ils invoquaient leurs esprits auxiliaires. Un étranger se doit toujours d'être prudent, car — sait-on jamais — ils peuvent, bien évidemment, être des experts en magie et, comme nos chamanes, pouvoir tuer par les mots et la pensée. Ce que je vous dis là, j'ose vous le confier, parce que vous êtes un étranger d'un pays lointain, car jamais je n'en parlerais à mes semblables, excepté ceux à qui je devrais enseigner la manière de devenir chamane. Lorsque j'étais à Utkuhigjalik, les gens de là-bas avaient entendu de la bouche de ma femme que j'étais chamane, c'est pourquoi ils me demandèrent un jour de soigner un malade, un homme qui était si mal en point qu'il ne parvenait plus à avaler de la nourriture. µJe convoquai tous les gens du village et leur demandai d'organiser une fête avec des chansons, comme le veut notre coutume, car nous croyons que le mal évite les endroits où les gens sont heureux. Lorsque la fête commença, je sortis seul dans la nuit. Ils se moquèrent de moi, parce que je n'allais pas exécuter des tours pour amuser tout le monde. Je restai seul, dans des endroits isolés loin du village, pendant cinq jours, ne cessant de penser à l'homme malade et souhaitant son rétablissement. Il guérit, et depuis lors, plus personne dans le village ne se moqua de moi. »

Rasmussen note ensuite ce qui suit : « C'est donc ainsi qu'Igjugârjuk parla de lui et de ses pouvoirs particuliers [...].




Appeler les esprits pour la première fois

En 1931, le poète John Neihardt recueillit l'histoire de la vie d'Elan-Noir, un vieux Sioux Oglala488. Elan-Noir a vécu à l'époque où les Sioux contrôlaient leur territoire et chassaient le bison. Jeune homme, il participa à la bataille de Little Big Horn. Dans le passage qui suit, Elan-Noir appelle les esprits, pour réaliser sa première guérison :

« Je lui ai demandé ce qui n'allait pas, et il a dit : « J'ai un garçon, et il est très malade, et j'ai peur qu'il ne meure bientôt. Il y a longtemps qu'il est malade. Ils disent que tu as un grand pouvoir depuis la cérémonie heyoka, alors peut-être que tu peux le sauver pour moi. Je l'aime beaucoup. » [...]

« J'ai commencé par offrir la pipe aux Six Pouvoirs, puis je l'ai passée et nous avons tous fumé. Après cela j'ai commencé à faire un roulement de tonnerre sur mon tambour. Vous savez, quand le pouvoir de l'ouest arrive vers ceux qui ont deux jambes, il arrive avec des roulements, et quand il est passé, tout relève la tête, tout est content, et tout reverdit. J'ai donc fait le son de ce roulement. Et puis la voix du tambour est aussi une offrande à l'Esprit du Monde. Ce son éveille l'esprit de l'homme et lui fait sentir le mystère et le pouvoir des choses.

« Le petit garçon malade était situé du côté nord-est de la tente, et quand nous sommes entrés, au sud, nous avons tourné de gauche à droite, nous arrêtant du côté est après avoir accompli un cercle.

« Vous voulez savoir pourquoi nous allons toujours ainsi de gauche à droite. Je peux vous dire quelque chose à ce sujet, mais pas tout. Réfléchissez : le sud n'est-il pas la source de la vie, et la baguette fleurie ne vient-elle pas véritablement de là ? Et l'homme, ne s'avance-t-il pas de cet endroit jusqu'au soleil couchant de sa vie ? Puis ne s'approche-t-il pas du nord plus froid où sont les cheveux blancs ? Et n'arrive-t-il pas alors, s'il [100] vit encore, à la source de lumière et de compréhension qui est l'est ? Puis ne retourne-t-il pas là où il avait commencé, à sa seconde enfance, pour y redonner sa vie à toute la vie, et sa chair à la terre d'où elle est venue ? Plus vous penserez à cela, plus vous y découvrirez de signification.

« Je disais donc que nous étions allés de gauche à droite dans la tente, et nous nous sommes assis du côté ouest. Le petit garçon malade était du côté nord-est, et il semblait n'avoir que la peau et les os.

« J'avais déjà la pipe, le tambour et la plante à quatre rayons. J'ai donc demandé une coupe en bois pleine d'eau et un sifflet en os d'aigle représentant l'aigle tacheté de ma vision. Ils ont placé la coupe d'eau devant moi. Et puis il m'a fallu réfléchir un moment, car je n'avais jamais fait cela auparavant et j'étais saisi de doute.

« Maintenant je comprenais un petit peu mieux. J'ai donné le sifflet d'os d'aigle à Un-Côté et je lui ai dit comment il devait s'en servir pendant qu'il m'aidait. Puis j'ai bourré la pipe avec de l'écorce de saule rouge et je l'ai donnée à la mignonne petite fille de Coupe-en-Morceaux, et je lui ai dit de la tenir, tout comme j'avais vu la vierge de l'est la tenir dans ma grande vision.

« Tout était prêt maintenant, alors j'ai fait un sourd roulement de tambour, battant la mesure tandis que j'envoyais une voix. J'ai crié quatre fois, battant du tambour et criant à l'Esprit du Monde, et pendant que je faisais cela je pouvais sentir le pouvoir qui venait en moi, montant depuis les pieds jusqu'en haut, et j'ai su que j'allais pouvoir guérir le petit garçon malade.

« J'ai continué à envoyer une voix, tout en faisant le roulement sourd sur le tambour, en disant : « Mon Grand-Père, Grand Esprit, tu es l'unique, et nul ne peut envoyer de voix à aucun autre. Tu as tout créé, disent-ils, et ce que tu as créé est bon et magnifique. Tu as fait les quatre quartiers et les deux routes qui se croisent. Et tu as aussi placé un pouvoir là où le soleil se couche. Ceux qui ont deux jambes, sur la terre, sont au désespoir. Mon Grand-Père, c'est pour eux que je t'envoie une voix. Tu m'avais dit : Le faible marchera. Tu m'as emporté en vision au centre du monde et là tu m'as montré le pouvoir de régénérer. Par son pouvoir, l'eau de la coupe que tu m'as donnée fera revivre le mourant. Par son pouvoir, la plante que tu m'as montrée fera que le faible pourra marcher en se tenant droit. Venant de la direction vers laquelle nous sommes toujours tournés (le sud), vois, une vierge apparaîtra, marchant sur la bonne route rouge, offrant la pipe tandis qu'elle marche, et le pouvoir de l'arbre en fleur lui appartiendra. Depuis le lieu où vit le géant (le nord), tu m'as donné un vent sacré et purificateur, et là où ce vent passera, le faible recevra la force. A toi et à tous les pouvoirs et à la Terre Mère j'envoie une voix pour demander aide. »

« Vous voyez, je n'avais jamais fait cela auparavant, et je sais maintenant qu'un seul pouvoir aurait été suffisant. Mais j'étais alors si impatient d'aider le petit garçon malade que j'ai appelé tous les pouvoirs possibles.

« Je faisais donc face à l'ouest, comme il se doit, tandis que j'envoyais une voix. Alors j'ai marché au nord, puis à l'est, puis au sud où je me suis arrêté, là où réside la source de toute vie et où commence la bonne route rouge. Je suis resté debout et j'ai chanté :

« Je les ai fait marcher d'une manière sacrée. Une nation est là étendue.

« Je les ai fait marcher d'une manière sacrée. Un être sacré à deux jambes est là étendu. D'une manière sacrée il va marcher.

« Tandis que je chantais ainsi, j'ai senti quelque chose d'étrange à travers tout mon corps, quelque chose qui me donnait envie de pleurer pour tous les malheurs qui arrivent, et les larmes coulaient sur mon visage.

« Alors j'ai marché vers le quartier de l'ouest, où j'ai allumé la pipe, je l'ai offerte aux pouvoirs, et après avoir tiré une bouffée je l'ai fait passer.

« Quand j'ai de nouveau regardé le petit garçon malade, il m'a souri, et j'ai senti que le pouvoir devenait plus fort. [...]








De 1600 à nos jours











Avertissement

Je poursuis cette chronologie en me limitant à des figures rattachées à des Traditions. Il y a bien d’autres mystiques hors des chemins battus, auxquels un ordre chronologique convient mal.. Expériences mystiques VI Hors cadres les présentent. Voici un extrait de leur introduction :

« Je ne crois pas au «crépuscule des mystiques» évoqué par Louis Cognet. Certes le langage commun à toute théologie a disparu (il avait été précisé juste à temps dans le monde catholique au XVIIe siècle en latin puis en français par Sandaeus, Civoré, madame Guyon, Honoré de Sainte-Marie) 489. S’en est suivi l’absence d’un corps facilement reconnaissable d’auteurs-témoins susceptible d’être triés selon un critère théologique ou regroupés par Ordres religieux. […]

La mystique perçue comme une façon de vivre son rapport avec un Dieu et prenant place au sein d’une tradition reçue et vérifiée disparaît de l’esprit des modernes; particulièrement chez des scientifiques jugés «athées» alors quils sont le plus souvent agnostiques.

L’abandon de croyances traditionnelles est compensé par des témoignages individuels forts. S’exprimant diversement, des «mystiques sans Dieu» paraissent diluer une expérience insaisissable?

Pour des figures relevées au cours du dernier XXe siècle, le jardin mystique se présente «à langlaise» dans un espace sauvage aux aperçus inédits. «II. Hors cadres» présente ainsi des figures qui n’ont pas rattaché leur rencontre «dun plus Grand queux-mêmes» 490 à une Tradition. Leurs vies ont toutefois été changées, marque qui leur est commune. Ces pèlerins cheminent hors piste sans pouvoir facilement situer ce qui leur est arrivé (nous ne retenons aucun de ceux qui se présentent sur la grand-place du marché spirituel en maîtres proposant quelque «nouvel enseignement»).

Les deux premiers chapitres présentent des figures à la recherche de la vie mystique soit par l’exercice de leur réflexion («chercheurs») soit par lexercice de leur intuition («poètes»). Les trois derniers chapitres rassemblent des témoins : ceux de «linstant mystique», ceux auxquels la vie mystique se révèle au sein de l’épreuve, enfin des «témoins pour notre temps». Ils confirment la nature mystique de certaines expériences, même si cela nest pas évident à leurs yeux.

Plus d’une centaine de figures sont proposées en dix chapitres répartis entre fidèles aux traditions et chercheurs ou témoins hors cadre 491. Leur nombre est ainsi rendu comparable à celui des figures ayant connu le XVIIe siècle et qui disposaient d’une section dans Expériences mystiques en Occident, tomes II à IV. S’ajoutent quelques entrées couvrant soit un genre d’expression soit une œuvre collective. »


1603 Dadu (1544–1603) and the Bauls of Bengal

Dadu belongs to the series of Indian poet seers, which includes Nanak, Kabir, Ravidas, Mirabai, who was the outcome of the impact of Islam on Hinduism, and are revered by both Hindu and Moslem to this day. He made his living by sewing skins into bags for raising water from wells, until eventually he was initiated into the religious life by the sadhu, Sundar-das. (Appendix II.) Feeling Shambhar, near Jaipur, to be a suitable place, Dadu at length retired there and strove for realization492.

When realization came to me, I was filled with joy and all fear departed from me. I found pure deliverance in the realm of the unapproach­able, the unthinkable. The Unapproachable has come near, the message of the Unthinkable abides with me always, the Unutterable find utterance. From separation I have come to Union. The bonds of self are loosened, all errors have fled, and the light of the Brahman shines upon my soul.”

He had no longer any use, says his disciple, Jangopal-das, for the sectarian creed of the Mussulmans, nor did he resort to any sectarian practices of the Hindus; he gave up all search for truth in the six systems of philosophy. [. . .] His followers, apparently, also looked upon the formation of any separate class or order to be a danger to the truth of religion, for they always denied that Dadu was the founder of any sect. [. . .]

If any disciples would ask to be allowed to take the ochre garb of the ascetic, he would admonish them thus:

There are many sages and pandits, many brave and generous men, and as for ascetics they are innumerable; but those who are united to the Supreme in love are rare. If you have rejected the branches for the root, then why seek to be known by your garb? Through all the different insignia only the self is displayed; none of them want to take the road to God on which self must be cast away.” [. . .]

There were also slaves amongst his disciples of whom it was objected: How can these bondsmen become servants of the Lord? To which Dadu replied:

What of that? Is not the Lord bound by his own laws? He who has the Truth within himself cannot be subject to any other master.” [. . .]

When certain townsmen objected that they knew nothing of his spirit, but wanted to know what works he advised them to do, Dadu told them:

The root of all works is the realization of Truth. Had there not been the unfailing store of snow behind, the river could never maintain its current, nor villages and towns spring up on its banks. So, for works there must be a constant fount of Truth, else their flow cannot be enduring. The spring of service is the love welling up within. Without this love the servant will tire of his service and be unable to stave off the onset of inertness. The inert creature is not even aware of the depri­vation of all joy in work that overtakes him. He, whose spirit is conscious, alone tastes of this bliss. Whose serves with love knows no weariness, he forgets his self, but cannot forget his service. Feel, consider, meditate on the evergreen earth. Ages have passed over it and yet its verdant beauty remains unsullied. What an unwearied service of love is there!” (Appendix I). [. . .]

The Bauls also call the guru, sunya (lit. nothing, emptiness) not implying the absence of substance, but the spaciousness of freedom. The luminous expanse of the sky above means more to the sprouting seed than the material of the ground below. That Sunya is not used in its negative meaning is clearly evident by its being also applied by them to the Supreme Being. Dadu has the same conception:

What name can be given to Him who is Nothing?

Whatever name we use is less than the Truth (XIII. 145).”

In Sunya doth the Brahman, the formless the colorless, abide.”

Sundar-das has used the term Sunya in the sense of the Supreme Peace in which the devotee closes himself.

The Bauls say that emptiness of time and space is required for a playground. That is why God has preserved an emptiness in the heart of man, for the sake of His own play of Love. [. . .]

The Bauls also have their own ideas in regard to the love of man for woman. Being asked whether he had experienced such love, a Baul replied: “I once had a wife, my son, and for ten years or more my body was by her side. Then she departed from this world. It was ten or more years after that when, suddenly, for a moment, I knew her for the first time. And at her loving touch I became as gold.” [. . .]

Naturally the Bauls do not look upon the love of woman as something to fight shy of, but rather as the greatest of helps to spiritual realization. [. . .]

The Bauls did not become crystallized into any particular order or religious organization. So, in the Bauls of Bengal, there is to be found a freedom and independence of mind spirit that resists all attempt at definition. Their songs have given expression to the very heart of rural Bengal. With no claims to erudition or prestige of tradition, the spiritual heights attained by these social outcasts are yet rare even in the highest of religious orders. Their songs are unique in courage and felicity of expression. But under modern conditions, they are becoming extinct or at best holding on to external features bereft of their original speciality. It would be a great pity if no record of their achievements should be kept before their culture is lost to the world. (Appendix III.)


1610 Benoît de Canfield (1562-1610)

Benoît de Canfield a fasciné les chercheurs en sciences religieuses, car il présente les grandes lignes d’une pratique contemplative. La bibliographie des études qui lui furent consacrées est donc étendue 493. D’autres capucins élargiront cette description d’une pratique à celle des états.

Benoît naît dans le compté d’Essex d’une famille puritaine assez fortunée et suit à Londres les cours universitaires. Sa jeunesse aurait été assez libre, d’après son « impitoyable autobiographie », la Véritable et miraculeuse conversion du révérend père Benoît de Canfeld, anglais capucin, qui par visions et ravissements fut converti de l’hérésie en laquelle était en Angleterre, à la vraie religion, et en même temps vendit ses biens, s’en vint en France et se fit religieux, publiée en 1608. Après une critique féroce du protestantisme anglais, Benoît raconte sa crainte de l’enfer à la suite de la lecture d’un livre où :

«…d’un côté les insupportables tourments infernaux m’étaient si cruellement objectés et rigoureusement fulminés contre moi, et de l’autre les joies inénarrables et inexplicables du ciel m’étaient si abondamment offertes…494».

Sa vision d’une société alternativement constituée de pauvres gens et « de belle compagnie d’hommes et d’enfants tous vêtus de couleur blanche » lui aurait présenté la future communauté franciscaine 495. Il confie son émotion religieuse :

« À peine pouvais-je jamais entendre telle harmonie, que les grosses larmes ne me ruisselassent des yeux étant tout hors de moi, transporté en Vous, je demeurai comme ayant perdu tout sentiment de moi et du monde... Me trouvant tout enflammé du feu de votre amour, je ne peux me contenir qu’avec les bras élevés vers le ciel, je ne criasse, disant ces paroles : ô Seigneur, qui est semblable à toi? 496. »

Ainsi s’exprime le futur défenseur d’une mystique qui sera jugée trop abstraite ! Il rejoint à Douai le groupe de catholiques émigrés de Grande-Bretagne, puis entre en 1585 ou 1586 chez les capucins parisiens du couvent Saint-Honoré.

Il étudie ensuite en Italie, «… où il développa par écrit ce qu’il avait appris dans des extases et enseigné d’abord à ses compagnons de noviciat (dont Ange de Joyeuse). » Peu après sa nomination au couvent d’Orléans (1592), il « joue un rôle essentiel (souvent antidaté par les biographes) auprès de Mme Acarie, de l’abbesse de Montmartre, Marie de Beauvillier, et de Claire d’Abra de Raconis, qui lui fut confiée par Bérulle ». Il passe en Angleterre à l’été 1599. Après une captivité de trois ans, dont il est délivré sur l’intervention d’Henri IV, il devient gardien de Meudon, puis de Rouen, dirige Jeanne Absolu et Judith de Pons, s’occupe d’Antoinette d’Orléans et de carmélites comme Marie de la Trinité d’Hannivel, première carmélite française. Sa renommée mystique se répand très tôt, dès la circulation de ses premiers manuscrits497.

La Règle de Perfection

La Règle de Perfection – The Rule of Perfection (1609) comporte trois parties. Son influence s’est exercée sur tout le siècle.

Benoît déclara que sa dernière partie ne traitait que « de choses abstraites de haute contemplation et de l’essence de Dieu. » Suite à l’histoire compliquée des pressions exercées sur lui, il prenait la précaution de l’annoncer comme n’étant « ni propre ni convenable au commun ». Benoît déclara également que  « bon nombre de ces docteurs de Paris... séjournèrent au couvent des Capucins pour s’y faire rendre raison par le menu de quelques choses qui, de prime abord, leur semblaient faire difficulté. » Un parallèle entre l’histoire complexe des contrôles exercés durant les éditions de la Règle et ce qui se passera à la fin du siècle à l’époque du procès des quiétistes est alors relevé par Jean Orcibal : « Il y eut donc à la fin de 1609 ou au début de 1610 des conférences dans le genre de celles qui devaient se tenir à Issy à la fin du siècle : un mystique y défendit sa pensée contre des docteurs soucieux avant tout d’orthodoxie. Il ne faut donc pas s’étonner que les remaniements qui en sortirent aient le caractère ambigu, voire contradictoire, des Trente-quatre Articles : dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de documents diplomatiques où l’on ne fait pas de concessions sans en exiger d’équivalentes de la part de l’interlocuteur 498».

 Car « bien avant l’Introduction [à la vie dévote] de M. de Genève, il présente le sommet de la vie spirituelle comme accessible à tous, évitant ainsi aux laïcs la tentation d’opposer avec G. du Vair et Charron la dévotion réservée aux cloîtres à la sagesse antique, seule convenable à la vie civile. Malgré la distinction des trois voies, il n’y a d’autre part qu’un seul principe pour l’ascèse et la mystique, les œuvres et la prière : la volonté de Dieu. Ce seul choix indique l’appartenance du capucin : à la suite d’Hugues de Balma, de Raoul de Biberach, de Harphius, du pseudo-Tauler, du Cloud of Unknowing, il met en garde contre images et concepts qui empêchent l’âme de s’élever par la seule affection. Ce n’est pas en méditant qu’on passe à la quiétude, mais en dressant parfaitement son intention 499. »

En résumé, la partie intéressante de la Règle est donc sa troisième partie intitulée De la volonté de Dieu essentielle… Son élaboration est distincte comme le démontre l’histoire complexe des éditions de l’œuvre dénouée par Jean Orcibal et l’attitude de prudence d’un auteur qui avait longtemps refusé de la laisser publier dans une première version, dite A. Dans cette troisième partie, les chapitres XVII à XX auraient été « écrits par le mystique anglais pour servir de remède à l’audacieuse abstraction de la version A », mais ils « furent jugés encore insuffisants », entraînant l’ajout par un confrère du chapitre XVI : « Qu’il faut toujours pratiquer et contempler la passion de notre Seigneur » 500.

Les chapitres I à XV forment un bloc cohérent et distinct du reste de la Règle501. Il traduit la pensée de son auteur avant amendement et contient l’essentiel mystique de l’œuvre de Benoît. Je donne ici des extraits en suivant la version Osmont qui représente son premier jet 502. La séquence est présentée sans gloses pour que le plan de ce cœur d’ouvrage reste apparent :

Règle de Perfection, Troisième partie, De la volonté de Dieu essentielle parlant de la vie suréminente.

CHAP. I : Qu’est‑ce que la volonté de Dieu essentielle. Que c’est Dieu même…

Donc cette volonté essentielle est purement esprit et vie, totalement abstraite, épurée et dénuée de toutes formes et images des choses créées, corporelles ou spirituelles, temporelles ou éternelles ; et n’est appréhendée [ni] par le sens ni par le jugement de l’homme, ni par la raison humaine ; ains [mais] est hors de toute capacité, et par-dessus tout entendement des hommes pour ce qu’elle n’est autre chose que Dieu même…

Car s’il y avait autre chose que lui, il y aurait quelque imperfection en lui, toutes choses étant imparfaites qui ne sont lui…

En outre si sa volonté est séparée d’avec son Essence, qui est‑ce qui l’aurait séparée ?

CHAP. II : Qu’il n’y a nul moyen humain de parvenir à cette volonté essentielle…

moyen dis‑je, sans moyen. Car tenez pour tout assuré que nul acte, méditation, pensée, aspiration ou opération profitent ici, avec [nul] discours, exercice ou enseignement, ni nul moyen doit ici moyenner [s’insérer au milieu] entre l’âme et cette volonté essentielle ou essence de Dieu. Mais cette seule fin sans aucun moyen nous doit attirer à elle et nous élever à l’heureuse vision et contemplation d’icelle [de celle-ci]…

Elle n’est comprise sinon quand elle nous comprend [contient] et possède ; mais elle ne peut ainsi nous posséder, quand nous sommes remplis de pensées, ou embesognés [empêchés] d’actes, et opérations. Elle est parfaitement simple et ne peut être comprise, sinon d’un esprit parfaitement simplifié. Nulle contemplation spéculative ne peut transformer, mais l’amour seul. […]

CHAP. III : Premier moyen. Qu’il y a un moyen sans moyen, savoir passif, non actif ; tout divin, et par-dessus tout entendement non humain, ni par les actes de l’esprit ; et que ce moyen est de deux sortes.

pour ce qu’on n’y fait rien, je l’appelle moyen sans moyen. […] Pour ce que l’esprit divin y fait tout, et rien l’humain : Dieu seulement y opère, et l’âme ne fait que souffrir. Donc ce moyen, pour dire en bref et en un mot, ne sera autre que la continuation de cette volonté, en la poursuivant toujours sans l’interrompre, et suivant toujours son trait [attraction] déjà goûté et expérimenté en la volonté intérieure…

inaction [in-action] de cette seule Volonté, par lesquelles elle anéantit toutes les actions de l’âme, et la simplifie, et consomme [consume] en elle…

CHAP. IV : Quatre points principaux du premier moyen, et l’explication du premier point.

Dont le premier est une très subtile connaissance de l’imperfection de sa contemplation. Le second un écoulement de ses fervents désirs en Dieu. Le troisième une parfaite dénudation d’esprit. Le quatrième une continuelle proximité, et proche vision de cet objet, et heureuse fin finale…

D’où il s’ensuit que ceux‑là se trompent beaucoup, qui observent en cette vie leurs imperfections et fautes… ne se souvenant qu’à la mesure que l’esprit est plus subtil, la nature se cherche plus finement, et secrètement.

Cette connaissance [d’imperfection] vient d’en‑haut : ces subtiles ténèbres sont découvertes par la vraie lumière, ces imperfections se découvrent par la même perfection par son approchement…

CHAP. V : Second point. Du trop grand bouillonnement des désirs et de l’écoulement d’iceux fervents désirs et actes en Dieu, où est montrée une subtile et essentielle élévation d’esprit.

Cet empêchement est le trop grand bouillonnement à savoir actif, je dis « actif », pour exclure le passif, qui est doux, sans bruit, sans actes, profond et déiforme… enfin le désir étant très grand et parfait, Il [Dieu] s’y montre parfaitement, dont l’âme le voyant parfaitement en elle‑même a tout ce qu’elle demande, et son désir est tout rempli et est semblable au vase ou éponge  qui, jetés en la mer, sont entièrement remplis…

CHAP. VI : [Troisième point.]  De la parfaite dénudation d’esprit.

Dénudation d’esprit est une divine opération purifiant l’âmepar le feu d’amour, l’illumination par l’inaccessible lumière de Dieu, lesquels bien que toujours elle les opère tous deux, toutefois plus l’un en un temps… Le premier s’opère quand l’homme retient encore quelque chose du sien, le second quand il est tout anéanti. … si ardent est ce feu d’amour, qu’il consume en elle toute impureté. Finalement si étroite est cette union qu’elle est toute abîmée en Dieu, où toutes ses imperfections sont noyées, consumées et anéanties. Et par même moyen reçoit-elle une nouvelle lumière.

D’où suit qu’elle est toute en Dieu, toute à Dieu, toute pour Dieu, et toute Dieu, et rien en elle‑même, rien à elle‑même, rien pour elle‑même, rien elle‑même.

CHAP. VII : [Quatrième point.] De la proximité, ou continuelle proche vision, et assistance de la fin heureuse.

Car non seulement elle trouve ici que Dieu est en elle, mais aussi qu’il n’y a rien en elle que lui ; tellement qu’elle a tant habité en l’abîme de son rien, et le connaît si bien, que par même moyen, elle voit que le même est de toutes autres choses, qui pour sembler quelque chose lui causaient ténèbres…

Telle personne mène la vraie vie active et contemplative, qui ne sont pas séparément accomplies (comme beaucoup pensent), mais jointement en un même temps, pour ce que la vie active de telle personne est aussi contemplative…

CHAP. VIII : Du deuxième moyen. Que ce moyen n’est autre chose que la volonté de Dieu, illustrée par l’annihilation, laquelle a deux points, connaissance et pratique ; et du premier point.

si nous étions quelque chose, Dieu ne serait pas infini ; car là son être aurait fin, où le nôtre commencerait. […]

Si ici on me demande : Qu’est‑ce donc la créature?, je réponds qu’elle n’est qu’une pure dépendance de Dieu. Si derechef l’on me demande, qu’est‑ce que c’est que cette dépendance? je réponds que c’est une telle chose qui ne se peut expliquer par parole, mais par quelque similitude l’on en peut savoir quelque chose. Donc la créature est telle envers Dieu, que sont les rayons envers le Soleil, ou la chaleur envers le feu…

Si on me dit que la créature, si elle est une dépendance de Dieu, donc elle est quelque chose : je réponds qu’elle est, et qu’elle n’est point : tout ainsi comme ces rayons et cette chaleur ; car si on regarde les rayons sans voir le Soleil, et l’on sent la chaleur sans voir le feu, ils sont; mais si on regarde le Soleil même ou le feu, il n’y a plus de rayon ni de chaleur, mais tout est soleil et tout feu. Ainsi si on contemple la créature sans contempler le Créateur, elle est; mais si on contemple le Créateur, il n’y a plus de créature…

CHAP. IX : Pratique de l’annihilation, deuxième point. Que l’homme est la source de tout erreur, et du trop grand avancement [action de se mettre en avant] de l’être des créatures, et ce par ses ténèbres, et non par son être ; lesquelles ténèbres annihilées, tout cet erreur est aboli ; que telle annihilation ne peut être active, mais passive.

Or ce péché, ténèbres et ignorance ne savent pas s’annihiler, pour n’avoir aucune lumière, ni ne le peuvent pas faire pour n’avoir aucune puissance, ni ne le veulent faire pour n’avoir aucun amour… Reste donc cette volonté qui est Dieu seul, pour faire ce chef d’œuvre d’annihilation…

CHAP. X : Des empêchements de cette annihilation et de très subtiles et inconnues imperfections de contemplation.

La première de ces imperfections subtiles, et inconnues en cette vie superessentielle, est de contester ou combattre contre les pensées superflues et distractions… Car le même abîme qui annihile la personne, noie aussi ces distractions. Et ne faut faire de différence de [entre] sentir et non sentir de ces pensées, mais se tenir toujours ferme et assuré en son rien…

Une autre imperfection en cette vie, est d’attacher son esprit à quelque exercice particulier. La raison est, pour ce qu’ainsi on est propriétaire de soi même et de son exercice, tellement qu’on n’est pas libre pour s’abandonner totalement à l’Époux, et suivre son trait…

Donc pour obvier à ce mal, il ne faut jamais chercher assurance expérimentale, c’est-à-dire quelque lumière perceptible des sens, ni qui donne quelque élancement [élan], ni le moindre attouchement, mais s’unir à Dieu par une vive foi et nu amour…

comme cette réciproque splendeur de l’eau, et du cristal ne vient pas d’eux seulement ni par leur vertu, mais par le soleil ; ainsi ce regard parfait ne vient pas principalement de l’âme, ni par quelque acte sien, mais de Dieu.

CHAP. XI : De deux sortes d’annihilation, la différence de l’une et de l’autre, et comme elles servent aux deux amours.

CHAP. XII : En quoi consiste cette annihilation active, à savoir à s’égaler à la passive, et en quoi sa pratique, à savoir en lumière et ressouvenance.

Cinquièmement je dis « confirmée par l’expérience », à savoir quand l’âme abîmée [engloutie] et tirée en Dieu en ce gouffre se voit réduite à rien, car par ainsi sa lumière et foi est grandement augmentée, de sorte qu’il lui est fort facile toujours après de croire à cette annihilation et, par cette lumière, de s’y enfoncer.

CHAP. XIII : Des imperfections ou empêchements  de cette annihilation active.

est une très secrète imperfection de s’introvertir, comme d’un lieu extérieur à un intérieur, [et comme si Dieu n’était pas présent, ou qu’il fût plus en un lieu qu’en un autre503] …mais quand on est laissé en aridité sans aucun goût, ils pensent tout autrement. En cela donc beaucoup faillent [de : faillir] faisant ainsi Dieu plus grand, plus parfait en un temps qu’en un autre,

pour ce que tout ce que l’on fait après en scrutinant, désirant, et s’introvertissant, tend à la multiplication et être, non à la simplification et non-être ; en quoi on s’abuse beaucoup puisque toujours on va cherchant davantage, tantôt en chassant les choses que déjà on devrait savoir être rien, tantôt en cherchant Dieu, que déjà on devrait croire être plus près de nous et plus nous que nous‑mêmes,

[Or le résultat, et conclusion de ces deux annihilations est que par la passive l’âme demeure dépouillée de toutes images, en une grande dénudation, et repos d’esprit et d’actes],

CHAP. XIV : Qu’il ne faut pratiquer ces deux annihilations l’une au temps et lieu de l’autre, mais chacune en son propre temps et lieu; Quel est le temps et lieu de l’une et de l’autre. De trois sortes d’opérations. De la vraie et fausse oisiveté, avec leurs différences et marques pour les connaître.

Ceux donc font mal qui les déplacent et renversent leur ordre, usant de l’annihilation passive, en assoupissant [arrêtant les conséquences fâcheuses de] leurs actes, et opérations (comme font quelques‑uns) quand il faudrait fidèlement opérer par amour pratique et usant de l’annihilation active (comme font beaucoup) en produisant des actes, quand il les faudrait assoupir et jouir de Dieu par amour fruitif. Car les premiers tombent en une fausse oisiveté, les autres en une préjudiciable activité…

si elles regardaient bien le fondement de leur âme, elles trouveraient que c’est l’amour propre, infidélité, pusillanimité, propre recherche, et impatience d’esprit, qui les font ainsi sortir de cette annihilation, bien que la nature se couvre du prétexte de vertu.

CHAP. XV : La manière d’opérer par les trois sortes d’opérations, extérieure, intérieure, et intime, où est montrée la réduction de la vie active et contemplative à la vie superéminente; et la pratique des deux premières volontés en la troisième.

Tellement que, quand on fait quelque bon œuvre extérieure, ou qu’on embrasse quelque vertu, ou résiste à quelque vice ou passion, il [le] faut faire non pas en dressant quelque intention, mais en connaissant très assurément, très simplement, et très purement qu’ainsi Dieu sera ; mais [qu’] en faisant le contraire, lui-même [l’homme] serait, et Dieu ne serait pas, quant à lui ni pour lui…

il faut autant soigner d’être ici toujours en ce Tout et en ce Rien, comme aux autres deux vies d’être toujours en la volonté de Dieu et en notre abnégation, sachant que, quand nous perdons l’Être de Dieu, et trouvons nous‑mêmes comme quelque chose, nous faisons contre la volonté divine et la perfection, et selon notre propre volonté, vice et imperfection. …

Par ceci donc se voit la manière de l’opération extérieure et intérieure, à savoir qu’elle se doive pratiquer, non en la volonté ou suivant la volonté extérieure, mais par et en l’essence de Dieu et volonté essentielle [qui est Dieu même]. Non qu’il faille mépriser ou omettre les choses extérieures, mais il les faut faire avec perfection, en spiritualisant les choses corporelles et réduisant ainsi la vie active à la contemplative…

§

Canfield étudie ainsi les conditions de la contemplation, en s’adressant principalement à des religieux. Il s’oppose à tout intellectualisme, ainsi qu’à toute sensibilité imaginative (alors même qu’elle était grande dans sa jeunesse, ce qui a dû par la suite provoquer chez lui une juste méfiance). Il établit la nécessité de laisser faire la grâce divine et elle seule. Son « abstraction » sera confrontée à l’approche christocentrique des carmélites espagnoles. Plus profondément, il tente de répondre au problème posé par toute dualité.

Mais on ne trouvera rien sur les effets de cette contemplation, tels l’état de grand calme décrit par Marie de l’Incarnation du Canada dans sa seconde Relation de 1654, ou le quatrième état abordé par monsieur Bertot et décrit par Madame Guyon. Benoît n’avait que trente et un ans à la date où le manuscrit A est attesté, en 1593, ce qui en fait une composition de relative jeunesse504. Il vivra encore dix-sept ans, mais semble n’avoir rien composé durant sa maturité. Faut-il y voir l’effet malheureux du contrôle signalé précédemment du mystique par les docteurs?


1618 Madame Acarie, [Première] Marie de l’Incarnation (1566-1618). 

Je retrace brièvement la vie de Madame Acarie tenant compte des seuls aspects personnels. Puis quelques thèmes cernent le vécu sans recourir à une analyse psychologique, c’est-à-dire en la respectant. Des témoignages très nombreux furent recueillis lors d’un procès de canonisation qui ne put aboutir par suite des querelles qui affligèrent le carmel réformé français505. Il existe de nombreux témoignages moins directs506.

Barbe Avrillot est née en 1566 à Paris pendant les guerres de religion  - elle  a six ans lors de la Saint-Barthélemy.  Elle voulut être religieuse à l’Hôtel-Dieu, mais on la maria à seize ans et demi à Pierre Acarie, âgé de vingt-deux ou vingt-trois ans. Sa vie est agréable : ils sont amoureux l’un de l’autre, et la belle-mère chérit sa belle-fille. Elle eut six enfants entre dix-huit et vingt-six ans, dont elle s’occupa bien conjointement avec sa servante Andrée Levoix, puisqu’ils restèrent tous vivants ! Mais ils furent élevés strictement, apprenant très tôt à donner et haïssant le mensonge. La belle Acarie aimait les fêtes, lisait Amadis de Gaule, éprouvait beaucoup de déplaisir à rencontrer plus belle qu’elle.

À vingt et un ou vingt-deux ans, elle lit la maxime célèbre souvent reprise :

« Trop est avare à qui Dieu ne suffit. » 

S’ensuit le choc qui la fait basculer vers l’intériorité. Jusqu’à sa mort, elle sera sujette à des états mystiques profonds où elle pense « mourir de douceur ». Bien qu’elle ait honte de montrer ces états, elle ne peut les cacher et elle reste sans mots, « hors des sens ». Les médecins ne savent qu’en penser et prescrivent des saignées qui l’anéantissent. Elle craint de se tromper, d’autant plus qu’à cette époque la peur du diable est répandue (en témoignent les crises et les conversions non dénuées de crainte de contemporains : le jeune François de Sales, les mystiques Benoît de Canfield, Augustin Baker, Marie des Vallées). Heureusement le père Benoît reconnaît en elle la présence de la grâce.

À l’époque du siège de Paris par Henri IV elle se dévoue pour soigner les blessés et les malades et pour nourrir les affamés. Puis surviennent de nombreuses épreuves qu’elle assume avec courage : son mari dévot choisit la Ligue, aussi est-il retenu prisonnier en 1594 lorsque Henri IV entre à Paris. Leur maison est saisie, Barbe et ses six enfants se retrouvent sans ressources. La carmélite Marguerite du Saint-Sacrement, raconte comment sa mère fut obligée de demander de l’argent à une relation 507:

«Elle se mit à genoux, lui supplie lui faire la faveur lui prêter au moins cinq sols pour lui avoir du pain, lui remontrant sa nécessité et la charge de ses enfants, lui pensant amollir le cœur; au contraire avec paroles piquantes lui fait refus et lui dit qu’elle ne mettait ses enfants en métier chez quelque cordonnier ou savetier -- l’aîné de tous avait environ huit à neuf ans -- et la renvoya de la sorte sans lui bailler un sol.»

La même Marguerite témoigne du calme de sa mère dans l’épreuve 508 :

« Et un jour pendant qu’elle prenait sa réfection les sergents entrèrent en sa maison qui saisirent tout même les plats qui étaient sur la table jusqu’à l’assiette qui était devant elle sans qu’elle s’en émût aucunement. Et nous a dit qu’elle ressentit une joie très grande de se voir réduite à cet état de pauvreté…»

Elle a un grave accident : au retour d’une visite à son mari autorisé à se rapprocher de Paris, elle est désarçonnée et traînée longuement par son cheval, ce qui provoque la rupture du fémur en trois endroits : elle marchera dorénavant avec des béquilles. Deux autres chutes qui succèdent à la première la rendront définitivement infirme.

En 1599 elle obtient d’Henri IV la grâce de son mari. Leur hôtel leur est restitué et devient un centre de la spiritualité catholique fréquenté par Bérulle et par François de Sales. Ce dernier confia au P. Jean de Saint-François :

« …quand il approchait de cette sainte âme [Barbe Acarie], elle imprimait en la sienne un si grand respect à sa vertu [au sens latin de virtus], qu’il n’eut jamais la hardiesse de l’interroger de chose qui se passait en elle…»

À trente-deux ans, Madame Acarie demeure belle, gaie et agréable. Elle déploie une grande activité, par exemple en faveur de prostituées.

Son premier contact, à trente-cinq ans, avec l’œuvre traduite en 1601 de Thérèse d’Avila ne l’emballe pas : trop de visions ! Mais la sainte se manifestera intérieurement par deux « visions » espacées de sept à huit mois - Barbe n’utilise pas un tel terme, mais celui de « vues de l’esprit » 509 - et le projet d’introduire le Carmel réformé féminin en France prend forme : les futures jeunes carmélites françaises se placent sous sa direction, réunies à l’hôtel de la rue des Juifs. Les travaux du premier monastère de Paris commencent en 1603, dirigés et financés par Barbe (et par Marillac). Les sœurs espagnoles arrivent le 15 octobre 1604 après une équipée célèbre qui les menèrent de Madrid à Paris. Un second couvent est ouvert à Pontoise dès janvier 1605. Barbe est liée aux nombreuses fondations suivantes.

Pierre meurt en novembre 1613. Barbe entre au carmel d’Amiens à l’âge de quarante-huit ans comme sœur converse, suivant par là le vœu reçu de Thérèse d’Avila, en février 1614. Elle aide à la cuisine.  On rapprochera Marie de l’Incarnation du frère Laurent de la Résurrection : « tous deux sont affectés à des travaux dits abjects à cette époque …par deux handicapés: Laurent avait une jambe de bois et madame Acarie des “potences” pour suppléer à l’infirmité de ses jambes. » 510.

Elle ne peut être prieure comme le désiraient les carmélites et la nouvelle prieure imposée, qui gouverne « à la Turque », lui interdit de guider les autres sœurs sans les prévenir de cette interdiction… Elle est finalement transférée à Pontoise en décembre 1616 où elle peut donner conseil aux novices : tout est paix. Mais elle est fondamentalement opposée à toute idée de servitude, et le conflit né du vœu à Jésus et Marie demandé par Bérulle lui est particulièrement pénible.

Elle est très malade et là encore sa patience est  totale. Sa fille raconte :

« En ses maladies sa vertu paraissait en elle par-dessus tout autre temps. Jamais je ne l’ai ouï plaindre par mouvement d’impatience et comme j’étais toujours en sa chambre et y couchais, je l’entendais la nuit se lever seule et chanter des Hymnes à Dieu pour ne se laisser aller à donner plaintes pour les grandes douleurs qu’elle souffrait de sa jambe rompue511. ».

Lors de sa dernière maladie, Agnès de Jésus [des Lyons]…

« …a remarqué qu’Icelle Sr Marie de l’Incarnation fût vingt-deux jours et vingt-deux nuits sans reposer aucunement et néanmoins demeura si tranquille et unie à Dieu qu’elle disait quelquefois la nuit : “Mon Dieu je n’en peux plus, pouvez pour moi.” 512»

Barbe Acarie, devenue la converse Marie de l’Incarnation, meurt le mercredi de Pâques 1618.

Elle aurait détruit ses écrits [?]. On ne possède que quinze lettres ou extraits de lettres, un petit opuscule des Vrais exercices… et des dits rapportés dans les témoignages, en particulier par le P. Coton, André Duval, etc. 

Tout d’abord Dieu : Madame Acarie connaissait à la fois le Château de l’âme de Thérèse dont la traduction était récente 513, et la tradition réno-Flamande. On sait que son conseiller spirituel dom Beaucousin et ses compagnons chartreux ont traduit Ruusbroec et la Perle évangélique. Madame Acarie recevait aussi le frère minime Antoine Étienne qui traduisait Tauler. Tout s’inscrit dans une tradition d’absolue nudité dans l’offrande de soi au divin.  Mère Marie du Saint-Sacrement raconte :

« Je demandais une fois à cette Bienheureuse la manière et exercice de l’actuelle présence de Dieu. Elle me répondit qu’elle n’en savait pratique que par une continuelle vue et conversion à Dieu et confusion de soi-même Et qu’elle estimait l’actuelle présence de Dieu être l’état des bienheureux au ciel qui sans cesse sont toujours unis et appliqués à Dieu sans nul détour et que l’homme en sa première justice originelle avait cette droiture... que le remède est aussi une continuelle conversion à Dieu et détour de nous-mêmes par humiliation et propre confusion514

Mais Dieu seul a l’initiative :

« Hélas ! mon Bien-aimé, si vous voulez que je vous regarde, regardez-moi, premièrement 515 » rapporte le père Duval.

Elle n’a laissé aucune description de ses états, et ce que nous en savons provient des témoins qui l’ont vu en oraison :

« Son visage était lumineux et si plein de beauté qu’il donnait en même temps de la dévotion et du respect516. »

« La place où j’étais au chœur durant l’office et l’oraison était tout proche d’elle; j’avoue que son seul aspect me mettait en recueillement. Elle était toujours comme immobile et cela les heures tout entières. Elle avait très souvent la face belle et fort enflammée…517»

Elle devenait totalement inconsciente de son entourage :

« Un jour après la Sainte Communion étant en oraison à la grille de l’infirmerie devant le précieux Corps de Notre Seigneur je l’appelai par deux fois et voyant qu’elle ne me répondait point je me mis à la tirer pour lui faire prendre quelque chose à cause de son infirmité. Elle ne m’entendit non plus que si elle eut été morte, la voyant ainsi je pris la hardiesse de la considérer. Elle était d’une façon si modeste et anéantie les yeux et la bouche fermés, les mains jointes dessous son scapulaire. Ce qu’elle continua par l’espace d’une heure sans souffler ni remuer518

«…bien souvent il est arrivé que la deposante allant ayder à deshabiller et coucher ladicte Sr Marie de l’Incarnation, comme la deposante ayant allumé le feu pour la chauffer, et lui ayant osté son voile pour la desabiller, ladicte Sr Marie de l’Incarnation tomboit en extase et ravissement qui lui duroit bien souvant jusques sur le minuit, ores qu’il ne fust que dix heures lorsqu’on l’aloit coucher sy bien que la deposante estoit contraincte de lui remettre son voile, et esteindre le feu jusques à ce qu’elle fust revenue en elle.  Pendant lesquels extases la deposante a remarqué qu’icelle Sr Marie de l’Incarnation avoit le visage beaucoup plus beau qu’à l’acoustumé, et estoit son visage tout enflambé…519. »

Et pourtant elle avait honte que ses états se voient et elle les dissimulait le plus possible :

« Elle se frottait les mains et les bras pour mettre empêchement à ses abstractions et ravissements auxquels elle eût été quasi continuellement si elle n’y eut apporté ses artifices520. »

« Elle… estoit si fort pressée des visites et des assautz de Dieu, qu’elle jestoit parfois de grands cris comme sy le cœur lui eut voulu crever, puis pour couvrir cela elle s’en prenoit à une cuisse, disant que c’estoit sa cuisse qui de temps en temps lui donnoit des douleurs extremement aiguës et fort sensibles521. »

En fait ces « états » deviennent une unité vécue où contemplation et action sont indissociables :

« En ce mesme temps et longues années depuis elle voioit sans veoir, escoutoit sans escouter et respondoit sans apperceuvoir ses responses, faisant toutes ces choses tellement en Dieu et avec Dieu qu’elle n’en eut sceu rendre compte après pour ce qu’elles estoient faictes sans réflexion ny destour de la veue actuelle et action de Dieu. Et ce néantmoings etoient telles qu’on n’y eut sceu remarquer aucune défectuosité ny presque apercevoir la différence de sa conversation avec les aultres sy ce n’est en la suavité d’esprit, modestie composition du visage qui respiroit saincteté et en l’efficace et secrete energie de ses parolles qui perçoient les cœurs et illuminoient les entendementz de ceux qui lui parloient d’une manière du tout admirable. Ceste disposition Intérieure de l’âme avec Dieu faisoit qu’elle estoit en extaze sans y estre522

L’élan dans ses paroles comme les absences qui touchent la mémoire sont d’autre signe d’un état continu de contemplation :

«…elle me disait souvent qu’elle était fort étonnée de ce qu’on faisait tant d’état de ses paroles vu que bien souvent elle ne savait ce qu’elle disait, au moins n’y avait-elle pas pensé523.

« Une fois elle me dict que quand Dieu lui donnoit de telles lumières qu’après les avoir dictes à ceux à qui elles touchoient elle en pardoit la souvenance entièrement524.» 

La raison en était qu’elle ne voulait parler ou agir que sous l’impulsion de la grâce :

« Je l’ai vue en plusieurs occasions ou affaires qu’elle n’entreprenait rien et même en ses paroles ne disait rien si elle ne se sentait mue de Dieu. Je lui ai demandé sur divers sujets d’importance et prié de me dire ce qu’elle en pensait et jugeait. Elle me répondit : « Ma mère, en telle et telle chose que vous me demandez, je ne vous puis rien dire ; Dieu ne me donne rien pour cela, et je n’en dois pas parler par moi-même525. »

En communauté, elle restait donc très silencieuse :

« Elle ne parlait jamais en la communauté des choses de Dieu, mais écoutait seulement sans s’avancer d’en rien dire. Et quelquefois notre Mère lui en demandant son avis, elle répondait : “Nous avons ouï dire ceci ou cela sur ce sujet”, ne faisant rien paraître d’elle, et encore le disait en trois ou quatre mots dont nous étions grandement édifiées, son humble silence nous instruisant beaucoup plus que n’eut fait sa parole et ne pouvions converser avec elle sans rentrer en nous-mêmes 526. » 

En réponse à la grandeur de Dieu et à Ses dons, l’humilité est la marque propre de Madame Acarie, qui n’est pas une simple vertu morale, mais une conséquence de l’expérience mystique : la nature humaine est nue devant la Face divine, et le seul désir du mystique est qu’elle disparaisse pour laisser place à Dieu :

« ay ouy dire que pour peu qu’il y eust de l’impur en l’union de l’âme avec Dieu, elle demeuroit ternie comme la glace d’un miroir par le souffle et que cela se sentoit aussy tost527. »

Une image forte fait le point de la situation :

« Elle disait que si un Roi mettait en un chaudron force richesses et pierreries et que puis après il les fit ôter, le chaudron n’en serait pas plus [ou moins] riche. Et qu’ainsi était de nous528. »

Elle appelait ses compagnes à l’humilité en réponse à la grandeur divine, mais radicalement distincte d’une pusillanimité qui rendrait lâche ou craintif 529 :

« Une fois, nous étions dans sa cellule avec elle. Elle en vint à nous parler de l’humilité : comme elle retient toujours l’âme en son devoir, lui fait sentir son néant, sa petitesse (qu’elle ne peut rien, qu’elle n’est rien et choses semblables). Elle était si fort plongée dans le sentiment de ce qu’elle disait qu’en parlant de cet abaissement profond où est l’âme qui se connaît en vérité, elle se baissait aussi extérieurement et son visage était fort pâle. Je la regardais attentivement, étant ainsi debout devant elle, sans lui dire un seul mot. Je pensais en moi-même, avec quelque sentiment de dégoût de ce qu’elle nous disait : « Mais celui qui serait toujours ainsi n’aurait point de courage, il n’entreprendrait rien ! » À peine avais-je achevé de penser cela … qu’elle se leva comme en sursaut de dessus son siège et, étant droite avec un visage beau et vermeil, elle dit, dans une grande ferveur, en me regardant : « Oh ! l’âme humble est toujours vigoureuse, toujours courageuse, toujours prête à entreprendre de grandes choses, mais c’est en la vue de Dieu et non de soi, car de soi-même elle n’attend rien, mais tout de Dieu. La confiance qu’elle a de Dieu lui fait faire de grandes choses530. »

Pour elle, la grâce entraînait automatiquement l’humilité par une lucidité implacable envers soi-même :

« Un jour il y avait une personne religieuse qui … lui parla de ce qui se passait en elle des dispositions de son âme de son oraison; quand notre bienheureuse eut tout entendu ce que cette personne lui disait en des termes que notre bienheureuse n’aimait point, elle lui dit qu’elle n’entendait point tout ce qu’elle lui disait, qu’elle n’avait pas la capacité d’entendre ses termes et dit : « Or sus, parlons de l’intérieur puisque vous voulez que nous en parlions. Pour moi mon intérieur est de voir le fond de mon orgueil et les passions mal mortifiées qui sont en moi531. »

«…surtout elle avait une pratique d’humilité admirable qui faisait que voyant quelques âmes qui avaient reçu quelque grande grâce et n’en ayant point la fidélité à pratiquer l’humilité, elle ne pouvait quasi supporter que l’on dît ces âmes avoir reçu telles grâces et sur cela on pouvait bien dire des particularités532. »

Certes cette clairvoyance conduit à un juste réalisme :

« Un jour je lui parlais d’une âme qui d’ordinaire mettait une partie de ses fautes sur la tentation et avait plus de discours que d’œuvres … elle me dit seulement : “Que voulez-vous, ma mère... pour y avoir un grain d’amour de Dieu il leur en faut laisser huit d’amour d’eux-mêmes”533

Cette lucidité allait de pair avec une extrême droiture :

« Cette bienheureuse avait une si grande pureté et droiture vers Dieu qu’elle n’eût pas voulu faire la plus petite action qu’elle eût pensé ne lui pas être agréable et dirigeait tellement ses intentions qu’elle semblait ne pouvoir rien faire sans une particulière vue de Dieu534

Elle ne supportait pas la plus petite pensée dirigée vers elle-même :

« Une fois qu’un des serviteurs de sa maison tombe malade, il lui vint en pensée qu’il en fallait avoir du soin parce qu’il était fort utile au bien de sa maison; en lui donnant un bouillon elle se sentit intérieurement reprise d’avoir prêté l’oreille à cette pensée, voulant mêler les intérêts de sa maison avec les offices de charité desquels elle se dépouillait entièrement Cela la toucha si fort qu’elle en pleura fort amèrement…535»

Cette rectitude s’appliqua aussi à l’éducation de ses enfants faite,

«…ne nous parlant jamais de religion. Entre les fautes qu’elle avait le plus d’aversion, c’était le mensonge quoique léger, et ne nous en pardonnait jamais aucun pour le plus petit sujet que ce fût; elle nous disait souvent à tous ses enfants : « quand vous auriez perdu et renversé toute la maison l’avouant lorsqu’on vous le demandera je vous le pardonnerai de bon cœur. Mais je ne vous pardonnerai jamais la plus petite menterie536. »

Cette constante plongée dans la grâce alliée à une lucidité parfaite lui permirent d’assurer la direction de ses sœurs:

« Elle avait une si claire lumière pour connaître l’intérieur des personnes et discerner l’esprit dont on était mû en ses actions que souvent on demeurait sans lui pouvoir répondre autre chose sinon : « Il est vrai » et avouer tout ce qu’elle disait. Une fois, elle était entrée en ce couvent avant qu’elle fût religieuse et comme je parlais à elle en particulier elle me dit : « Je parlais une fois à une personne et lui disais telle et telle chose », et par cette manière me fit voir beaucoup de fautes que je ne connaissais point et quoiqu’elle parlât toujours d’une autre personne, je répondais de bouche et de cœur : « Il est vrai, il est vrai...537

Tout comme le pratiquait Jean de la Croix,

« Elle écrivait des passages des Évangiles et Épîtres de Saint Paul sur des petits papiers qu’elle donnait comme remèdes et instructions des besoins qu’elle voyait dans les âmes538. » 

Elle répondait ainsi aux besoins spirituels d’une façon qui paraissait quasi miraculeuse :

« Il arriva aussi à notre Sœur Magdeleine de la Croix défunte et qui a été la première professe de ce Couvent que ne se pouvant supporter elle-même à cause d’un extraordinaire délaissement intérieur dans lequel il lui semblait que sa conscience fut morte, et que Dieu l’eut abandonnée, et soustrait toutes ses grâces, elle crut que notre bienheureuse sœur la pouvait soulager en ses peines et s’en allant la chercher en sa cellule elle la trouva qu’elle écrivait et quand elle eut achevé d’écrire sans attendre que notre Sœur Magdeleine de la Croix eut ouvert la bouche pour lui parler, elle lui mit en main le billet qu’elle venait d’écrire dans lequel notre susdite sœur Magdeleine trouva représenté bien au net l’état de son intérieur, et ce qu’elle devait faire pour se tirer de ses peines dont elle et toutes nous autres qui avons vu ce billet demeurâmes fort étonnées…539. »

Elle pratiquait la plus extrême obéissance envers ses supérieures dont la dernière fut très rude à Amiens. La sœur Marie de Saint-Ursule raconte qu’à l’infirmerie, le soir où Madame Acarie était en extase,

«…arriva Notre Mère Prieure qui était pour lors la Mère Isabelle de Jésus-Christ qui la reprit  bien fort de ce qu’elle n’avait pas pris un bouillon, la force de l’obéissance la fit promptement revenir à soi du ravissement qui l’avait reprise et se levant en hâte de sa chaire, prenant ses potences et venant au-devant de notre Mère d’une façon si humble qu’il semblait une pauvre criminelle qui demanda pardon, et prit en cet acte son bouillon et comme notre Mère l’interrogeait de ce qui s’était passé en son intérieur elle lui fit réponse : « Hélas ma mère je suis une pauvre créature. »

Elle pratiquait une direction joyeuse bien ancrée dans la réalité :

« Elle en chargeait fort particulièrement aux novices et le disait aussi aux autres sœurs de faire chaque chose parfaitement en son temps et se bien accoutumer à bien chanter au chœur quand elles y étaient d’être bien ferventes à l’oraison, bien manger quand elles étaient au réfectoire, d’être gaies et se bien réjouir… quand elle en voyait quelqu’une qui ne paraissait pas assez gaie à la récréation elle la regardait doucement et s’adressait à lui dire quelque parole gracieusement.540 »

Elle combat toute mélancolie :

« Il me souvient qu’une fois cette Bienheureuse me rencontrant en la sacristie du Monastère de l’Incarnation à Paris et me voyant triste et fort abattu, elle me tira à part et me dit : “Il me semble que je vous vois d’une façon fort contraire à la vie des âmes qui sont à Dieu comme vous désirez d’être.”… Elle me dit plusieurs autres choses à ce propos avec tant de grâce et avec un si grand efficace que dès lors cette tristesse s’évanouit. Et depuis, je ne pense pas être tombé en une semblable mélancolie.541 »

Liberté :

« Elle disait qu’elle n’aimait pas quand on met son principal soin à ne point faire des fautes extérieures que cela souvent procède d’orgueil, qu’il vaut mieux marcher avec une sainte liberté, joie, ouverture de cœur et rondeur parce qu’encore que quelquefois on fit des fautes extérieures, après cela sert beaucoup à humilier l’âme et la rend plus docile et affable.542 »

Elle est optimiste et dynamique :

« Elle dit plusieurs fois que les fautes que nous faisons doivent servir beaucoup pour réveiller l’âme, et que ce lui doit être un coup d’éperon pour la faire courir plus vite… Elle nous disait que les fautes doivent servir à l’âme ce que le fumier sert à la terre qui est à l’engraisser et la rendre plus féconde.543 » 

Elle était très sensible à la beauté de la nature comme signe de Dieu :

«…je dirai que toutes choses portaient cette bienheureuse à Dieu : quand elle allait au jardin, les fleurs, les feuilles tout ce qu’elle y voyait lui servait à cet effet, elle prenait une feuille et la montrait en admirant la puissance de Dieu, elle s’entretenait quelquefois toute une récréation sur cette feuille et toutes les autres à l’écouter comme si c’eût été un ange qui leur parlait, Elle avait d’ordinaire des feuilles, des fleurs et des feuilles d’arbres dans ses livres et les considérait de temps en temps…544 » 

« Le dernier jour de notre voyage, sur les neuf heures du matin, il se leva un très beau soleil de sorte qu’il semblait être au printemps ; lors cette bienheureuse commence si fort à s’enflammer à la considération d’iceluy qu’elle se mit à parler de telle ferveur du grand soleil de justice qu’illumine tous les hommes et des grands effets qu’il cause dans les âmes qui sont en grâce et qu’il illumine545. »

Son continuel va-et-vient entre oraison et charité a frappé -- les deux ne font qu’un :

«…à l’Église si ravie et absorbée en Dieu qu’elle n’avoit que son chappelet en la main pour contenance, n’usant d’aucune prière vocalle, estant quasi toujours et partout abstraicte en son intérieur, et ni avoit que la charité qui la peut rappeller à soy, vertu si eminente en elle qu’elle a converti pendant ce temps la plus de dix mille ames. Se rendant debitrice à tous ceux qui l’emploioient, sa porte n’estant jamais fermée à personne ni a heure que ce fust elle touchoit si vivement les cœurs par son exemple et remonstrances, que j’admirois ses cochers et lacquaiz bref toute sa famille mieux convertie que s’ils eussent demeuré dix ans en religion…546 »

Bonté envers les humbles qu’elle traitait comme des égaux :

« La première fois que je fus chez elle pour lui parler du désir que j’avais d’être religieuse, encore que je ne fusse qu’une pauvre fille de basse condition, elle me reçut avec autant d’amour et de charité que si j’eusse été quelque chose ; me donnant autant de temps qu’il en fut besoin avec autant de tranquillité que si elle n’eût eu que moi à satisfaire. Il me semble même qu’il y avait lors des personnes de qualité. Et ne vis point qu’elle leur satisfit premier que moi.547 »

« Je m’appelle Marguerin Goubelet, tailleur de pierre… Elle était lors fort incommodée de sa personne et marchait aux potences avec beaucoup de peine, mais elle portait une si grande suavité sur son visage qu’il paraissait bien que son mal lui était bien précieux. J’étais extrêmement consolé quand je lui pouvais parler parce que quoiqu’elle parlât de bâtiment et d’autres semblables choses elle assaisonnait tellement toutes choses de l’esprit de dévotion que tout ce qu’elle disait servait d’édification.548 »

Les pauvres sont l’image de ce que nous devons être pour Dieu :

« … quand elle allait voir les ouvriers, elle était quelquefois qu’elle s’arrêtait de parler puis elle disait : « Je regarde ces pauvres gens qui sont attentifs à leurs ouvrages. Les voilà comme tremblants devant leur maître. Ils se rendent diligents à lui obéir et à lui agréer pour ce qu’ils dépendent de lui pour gagner leur vie »… Elle nous a dit que cela lui a beaucoup servi dès que l’on faisait le bâtiment de Notre Dame des Champs de Paris que quelquefois, y allant du matin avec une personne signalée qui passait par une place qu’elle nommait où sont les gens qui vont pour gagner leur journée, qu’elle les voyait les un avec un outil, les autres avec un autre, que ces gens sortaient de leurs maisons sans savoir qui les emploierait ni à quoi ils seraient employés.549 »

Elle se mettra à l’image des pauvres : 

« En sa dernière maladie, elle buvait dans un biberon de verre, quelqu’une dit qu’un de terre serait plus aisé. Je dis qu’il n’était pas si propre, que je ne les aimais point, que j’en avais vu à l’Hôtel-Dieu aux pauvres de même. Quand elle entendit que les pauvres en avaient de semblables, elle me pria instamment qu’elle eût celui-là, et qu’elle était pauvre. Elle s’en servit durant toute sa maladie pour ce qu’il était pauvre.550 »

Sa charité est active : elle suit la pratique du bon Brétigny de Quintadanavoine lors de son séjour à Séville 551 :

« Elle s’emploioit fort heureusement à la conversion des filles desbauchées et les assistoit jusques à les retirer en sa maison et les touchoit tellement quelle menoient une vie exemplaire de vertu…552. »

Et avec les malades, son exigence de  perfection dans l’amour des autres a frappé son entourage :

« Une fois étant à la cuisine elle faisait un bouillon pour une personne malade avec une telle ferveur et y prenait telle peine qu’elle faisait dévotion à la voir. Et après qu’elle y eût bien travaillé, il lui en fallut faire un autre parce que, quoiqu’elle y eût goûté plusieurs fois, il lui semblait toujours n’avoir point de goût. …  Elle se remit tout aussitôt avec la même charité à en faire un autre…553 »

Elle soigne un malade repoussant :

« Aussitôt que Sœur Marie de l’Incarnation s’en aperçut elle retira ce malade à part en une chambre séparée du reste de son logis défendant à tous ceux de la maison de s’en approcher sans leur dire pourquoi c’était afin de ne les pas effrayer Elle prit toute seule le soin de le servir. Elle faisait son lit elle pansait cet apostume qui suppurait et jetait un pus si puant que le malade même n’en pouvait supporter l’infection Elle lui donnait à manger et le servait avec un si grand soin et charité qu’il en fut tout guéri.554 »

Elle exprime ainsi l’union requise entre la grâce et l’activité :

«…il faut laisser à la providence divine, comme s’il n’y avait point de moyens humains et travailler et avoir soin comme s’il n’y avait point de providence divine…555 »

Sa vie est totalement unifiée en Dieu, plongée dans la Réalité divine, dans l’oubli de soi, allant et venant  entre l’oraison et l’action, mais en fait toujours en raison même de l’action. Comme le disait dom Sans, Général des Feuillants :

«… encore que s’occuper avec Dieu soit une action plus divine et noble et plus douce à l’ame, que s’occuper pour Dieu ; néantmoings quand il est necessaire il fault descendre, et se divertir de Dieu aux choses de ceste vie pour le service du mesme Dieu, ce qui s’appelle laisser Dieu pour Dieu. »

Constamment plongée en Dieu, elle irradiait l’amour divin autour d’elle :

«…elle allumait les cœurs, détrompait les âmes et changeait les intérieurs, de telle sorte qu’il n’y avait presque personne qui l’allât voir, qu’elle ne s’en retournât touchée extraordinairement par Dieu…556 »


1622 François de Sales (1567-1622).

Figure centrale du renouveau spirituel et religieux de la Contre-réforme, une vie exemplaire permet au jésuite A. Ravier de le considérer comme un « mystique de l’action chrétienne ». L’exercice de son ministère est marqué par le contexte politico-religieux d’une lutte entre le duc catholique de Savoie et le bastion protestant genevois, ainsi que par les rapports délicats du duché avec les puissances française et espagnole en lutte. Fortement opposé aux protestants, prêt à « rétablir l’unité de la foi » au profit des seuls catholiques, compromis dans les « journées de Thonon » suivies de l’expulsion des protestants, l’évêque attire peu de sympathie au premier abord, parce qu’il ne dépasse pas les vues limitées du temps préférant le pouvoir royal à la liberté et proposant le salut dans l’obéissance au  pape.

Mais en se penchant sur la vie personnelle du jeune homme, on découvre qu’il trancha généreusement sa crise spirituelle vécue à Paris liée à l’incertitude sur le salut dans le sens de la « supposition impossible », tout comme le fit Benoît de Canfield. Une étude comparative du thème de la conversion vécue comme une réponse au problème angoissant du salut relève une angoisse commune à François de Sales, Benoît de Canfield, Augustin Baker, celle de la problématique de la prédestination commune à tous à la fin du XVIe siècle ; elle ne sera jamais tranchée et prendra une forme jansénisante dans le monde catholique. 

Chez François de Sales, la résolution de sa crise intérieure est suivie d’une activité intense contre le parti protestant, s’exprimant par de nombreux textes polémiques. Le mérite de rester attaché à son pauvre diocèse et d’y mener un apostolat exemplaire auprès des simples comme des puissants, une réputation de conciliateur qui lui vaut d’être appelé « l’auteur de la paix », modère la critique de l’activisme du jeune évêque.

Voici la chronologie donnée par A. Ravier, que l’on peut compléter par l’étude de P. Serouet557 :


21 août 1567 : Naissance de François dans la maison forte du hameau de Sales, à Thorens. Les Sales ont un rang élevé dans la noblesse de Savoie.

À douze ans il part pour Paris, suit la formation du collège jésuite de Clermont, les cours de lettres et d’arts libéraux ainsi que des « arts de noblesse » (escrime, équitation, danse…).

Décembre 1586 - Janvier 1587 : « crise mystique », qui resurgira en 1590-1591.

1589-1592 : Études de droit et de théologie à Padoue.

Mai 1593 : Prêtrise.

1597 : Entretiens (infructueux) avec le protestant Théodore de Bèze à Genève.

1598 : Les « Quarantes heures de Thonon » sont suivies  de l’élimination des protestants par le duc de Savoie : « Videz mes États. » François était intervenu auparavant pour que l’on chasse les ministres. Voyage à Rome. Visite de « toutes les églises » du Chablais.

1602 : Il fréquente le « cercle Acarie » à Paris. Henri IV lui propose d’être évêque en France, mais François reste fidèle à « sa pauvre église de Genève-Annecy ». Il est sacré évêque à Thorens à la fin de l’année.

5 mars 1604 : Il rencontre la baronne de Chantal à la Sainte-Chapelle de Dijon.

Nous omettons les très nombreux déplacements de l’évêque qui ont lieu au cours de ces années, ainsi que sa fondation d’une académie culturelle.

1608 : Rédaction de l’Introduction à la vie dévote, publiée en 1609.

1609-1616 : Rédaction du Traité de l’amour de Dieu, publié en 1616.

1611 : Deux séjours au pays de Gex, déjà visité en 1603. Calomnies.

1612 : La Mère de Chantal et la sœur Favre inaugurent la visite des pauvres et des malades.

1613 : Turin et Milan. Négociation de l’installation des barnabites à Annecy.

1618 : la Visitation d’Annecy est érigée en ordre. Il refuse d’être nommé coadjuteur de l’archevêque de Paris, rencontre et apprécie Angélique Arnauld. Il est grand aumônier de Christine de France qui épouse le prince de Piémont.

1622 : Turin, Avignon, Lyon… Au 27 décembre au soir survient une attaque d’apoplexie qui s’avère fatale dès le lendemain.

Les Œuvres complètes couvrent 36 volumes dans l’édition d’Annecy. Les thèmes de la conformité par l’amour, de la célèbre « question impossible », du non-vouloir, de l’amour pur et surnaturel à la « pointe de l’âme », sont abordés dans les derniers livres  du Traité de l’amour de Dieu et seront repris lors de la querelle quiétiste.

La conformité par l’amour, relation mystérieuse qui unit l’âme à son Dieu, est comparée à la résonance observée entre deux instruments à cordes:

« Chose étrange, mais véritable : s’il y a deux luths unisones, c’est-à-dire de même son et accord, l’un près de l’autre, et que l’on joue de l’un d’iceux, l’autre, quoiqu’on ne le touche pas, ne laissera pas de résonner comme celui duquel on joue ... On ne peut s’empêcher de se conformer à ce qu’on aime... L’amour est l’abrégé de toute la théologie...558.

Le mystère de l’amour unifiant qui s’exerce sans intermédiaire, tel celui des luths unisones, ne peut donc dépendre d’un jugement ou d’une obligation,qui sous-tendent une « supposition impossible ». Cela reviendrait à le rendre tributaire d’une cause autre que « la souveraine bonté, justice et droiture », de le soumettre à la loi (ce contre quoi s’élevait déjà l’Apôtre Paul) :

« Car encore qu’il n’y eût ni enfer pour punir les rebelles, ni paradis pour récompenser les bons, et que nous n’eussions nulle sorte d’obligation ni de devoir à Dieu (et ceci soit dit par imagination de chose impossible et qui n’est presque pas imaginable), si est-ce toutefois, que l’amour de bienveillance nous porterait à rendre toute obéissance et soumission à Dieu par élection et inclination, voire même par une douce violence amoureuse, en considération de la souveraine bonté, justice et droiture de sa divine volonté.... Et en ce point consiste la très profonde obéissance d’amour, laquelle n’a pas besoin d’être excitée par menace ou récompense, ni par aucune loi ou par quelque commandement. » [717].

C’est le pur amour des mystiques, sans interposition :

« Les enseignements que la séraphique sainte Catherine de Gênes a faits pour déclarer les propriétés du pur amour [cf. sa Vie, ch.18 & 37], entre lesquelles elle inculque et presse fort celle-ci : que l’amour parfait, c’est-à-dire l’amour étant parvenu jusques au zèle, ne peut souffrir l’entremise ou interposition, ni le mélange d’aucune autre chose, non pas même des dons de Dieu, voire jusques à cette rigueur, qu’il ne permet pas qu’on affectionne le paradis sinon pour y aimer plus parfaitement la bonté de Celui qui le donne ; de sorte que les lampes de ce pur amour n’ont point d’huile, de lumignon ni de fumée, elles sont toutes feu et flamme que rien du monde ne peut éteindre. » [851].

On retrouve toujours exprimé un face-à-face sans diversion :

« Celui qui priant Dieu s’aperçoit qu’il prie, n’est pas parfaitement attentif à prier ; car il divertit son attention de Dieu, lequel il prie, pour penser à la prière par laquelle il prie. » [787].

Ni volonté  propre :

« Je n’ai aucun souci de savoir où il va, ains [mais] seulement d’aller avec lui... Et comme celui qui est dans un navire ne se remue pas de son mouvement propre, ains se laisse seulement mouvoir selon le mouvement du vaisseau dans lequel il est, de même, le cœur qui est embarqué dans le bon plaisir divin ne doit avoir aucun autre vouloir que celui de se laisser porter au vouloir de Dieu. Et lors, le cœur ne dit plus : “Votre volonté soit faite et non la mienne” [Luc, 22, 42], car il n’a plus aucune volonté à renoncer... » [796].

La « suprême pointe de l’esprit », point de contact avec Dieu est synonyme du « fond de l’âme », aucune géographie mystique.

« Pour moi, je parle en ce traité, de l’amour surnaturel que Dieu répand en nos cœurs par sa bonté, et duquel la résidence est en la suprême pointe de l’esprit; pointe qui est au-dessus de tout le reste de notre âme, et qui est indépendante de toute complexion naturelle. Et puis, bien que les âmes enclines à la direction aient d’un côté quelque disposition qui les rend plus propres à vouloir aimer Dieu, d’autre part, toutefois, elles sont si sujettes à s’attacher par affection aux créatures aimables, que leur inclination les met autant en péril de se divertir de la pureté de l’amour sacré par le mélange des autres, comme elles ont de facilité à vouloir aimer [950] Dieu : car le danger de mal aimer est attaché à la facilité d’aimer. »

Le style fleuri de François de Sales laisse place à densité et fermeté :

« L’homme est la perfection de l’univers, l’esprit est la perfection de l’âme, l’amour celle de l’esprit, et la charité celle de l’amour. » [811].

« Mais surtout cette inclination est forte parce que nous sommes plus en Dieu qu’en nous-mêmes, nous vivons plus en Lui qu’en nous [Actes, 17, 28], et nous sommes tellement de Lui, par Lui, pour Lui et à Lui, que nous ne saurions, de sens rassis, penser ce que nous Lui sommes et ce qu’Il nous est que nous ne soyons forcés de crier : « je suis vôtre, Seigneur ». [842]. 

Les Entretiens spirituels transcrits par  des religieuses de la Visitation, présentent la face spontanée et attachante du saint évêque. Son esprit traduit finement l’expérience de proches aussi bien - ou plutôt - que la sienne propre, comme ce fut le cas d’Eckhart, comme ce sera le cas de Fénelon. Une telle « traduction » associée à une grande qualité littéraire établit le pont entre expérience directe abruptement exprimée chez d’autres mystiques et nos facultés de l’entendement. Cette capacité explique l’attrait de ces trois figures pour ceux qui cherchent une « compréhension » de la vie mystique. L’accès à des positions de responsabilité ecclésiale visible, qu’elles assumèrent courageusement contribue à leur reconnaissance.

Début et fin du siècle, François de Sales et Jeanne de Chantal, Fénelon et Madame Guyon : chez les deux hommes on trouve l’extrême intelligence et la finesse de l’âme qui permettent de subtiles analyses psychologiques traduites en une langue parfaitement contrôlée dans des textes bien structurés; chez les deux femmes, on trouve la pure expression mystique jaillissant à l’occasion de sujets divers et pratiques. Les âges sont proches : François de Sales est l’aîné de cinq années Fénelon est le cadet de trois années. Les femmes ont vécu la vie mariée avec enfants et elles ne s’engagent dans l’apostolat religieux qu’à trente ans passés, âge mûr pour l’époque.


1623 Exercices sacrés de l’amour de Séverin Rubéric (- apr.1625).

La réforme des Récollets – franciscains familiers des « déserts » ou lieux espagnols de retraite, de récollection – s’étendit en France vers 1590. Ils vivaient dans la contemplation, la pénitence, une stricte pauvreté. En 1616 la province d’Aquitaine fut fondée avec le P. Séverin Rubéric comme ministre. Il eut à défendre la réforme contre les manœuvres des observants, adressa en 1625 une supplique au pape pour obtenir  qu’ils fussent unis aux capucins, réforme alors dans sa première ferveur, s’ils ne pouvaient rester indépendants.

Ce frère mineur fut confirmé comme gardien du couvent de Cognac en 1614, prêcha une mission à Bergerac en 1620, intervint en 1622 dans une fondation au Dorat, fut conseiller de la fondatrice des clarisses de Saintes.

Les Exercices spirituels parus en 1622 qui offrent « un tracé net et vigoureux de la voie mystique d’amour » viennent d’être réédités avec une remarquable étude portant sur « L’Amour comme exercice »559.

De cinq ouvrages spirituels devenus rares, je propose ici quelques extraits de ma transcription ancienne établie à partir des Exercices sacrés de l’amour de Jésus parus l’année suivante560. Ils proposent des avis portant sur la voie unitive561:

La voie d’amour (1623), Avis sur les quatre méditations de la vie unitive.

1. L’amour divin purge l’âme, l’éclaire, l’unit à son principe et souverain Bien : il ne peut plei­nement éclairer s’il n’a purgé, ni ne peut intimement unir s’il n’a éclairé...

2. L’âme est capable de recevoir cet effet de l’amour et peut être unie même dès cette vie à son Dieu; car elle a en soi une partie suprême laquelle est pure­ment spirituelle, appelée esprit par saint Paul écrivant aux Galates, chap. V : « Marchez en esprit ».  C’est le sommet ou pointe de l’âme où les simples vues et conceptions spirituelles et éternelles de Dieu, et des vérités et perfections divines se forment... cette union est une action, qui, comme un lien fort étroit, serre fortement l’âme avec son Dieu.

3. Toute action que l’âme exerce envers son Dieu n’est pas union, mais seulement celle-là qui, lui mon­trant son cher Époux intimement présent au fonds de son esprit, la lie avec Lui comme un bien qu’elle pos­sède, et non qu’elle va chercher fort loin, lui montrant, dis-je, présent, non par simple foi, mais par véritables expériences et sentiments spirituels, ou par une intime et secrète communication que l’âme prend, d’une manière indicible, de la présence de son Époux.

Cette action se commence en l’entendement, mais elle se perfectionne et accomplit en la volonté, par un pur amour possédant et fruitif, qui unit la volonté avec la cime de l’âme, à la suprême et unique Bonté, et ensuite d’icelle l’entendement est encore plus uni et toutes les autres puissances inférieures sont aussi souvent attirées à cette union, autant qu’elles en sont capables, sans qu’elles en soient empêchées de leurs objets sensibles : par ainsi toute l’âme est unie à son Dieu : « Mon cœur et ma chair ont tressailli en mon Dieu », dit le Roi-Prophète.

Premièrement, mon cœur, qui est ma volonté, se réjouit [251] en mon Dieu, Le possédant ; puis toutes mes autres puissances, même les sensitives, qui sont en la chair.

4. Cet amour d’union est précédé d’un acte de suprême contemplation et élévation en l’entende­ment, lequel, éclairé d’une lumière divine, surnatu­relle, montre à la volonté que Dieu comme une Vérité très simple et essentielle, et comme une Bonté unique toute savoureuse, remplissante et regorgeante, est présent à l’âme, à ce qu’elle entre en pos­session et jouissance suréminente et ineffable ; selon Cassien, « La vérité contemplée est l’aliment de l’amour. »

Après cet acte très simple de nue contemplation, la volonté s’embrase et s’enflamme par un amour qui lui fait jouir de ses délices, et qui la lie et serre avec son Époux. La volonté ainsi enflammée entraîne encore et ap­plique de plus en plus l’entendement [251v°] à la très nue et éminente vérité de Dieu, jusqu’à ce qu’enfin l’admira­tion, suspension, ravissement et ex­tase parfois s’accomplissent en l’entendement, et adhésion en la volonté. Cette union, à raison des actes de l’entendement est effet de l’intelligence et sagesse, deux dons très excellents du Saint-Esprit ; mais à raison de ceux de la volonté, c’est une action d’une charité très parfaite et accomplie...

 [254] 6. L’une et l’autre de ces deux unions si admirables et intimes, qui approchent de si près celle qu’ont les bienheureux en la jouissance de Dieu ne sont pas une fiction ou imagination des âmes dévotes. Car outre l’expérience très certaine des justes et des saints, l’autorité de l’Écriture et des Pères nous certifient et assurent que Dieu fait cette grâce à Ses amis intimes, que de leur commu­niquer sa jouissance par une union intime autant qu’il est possible à l’état des voyageurs, qui tendent à la dernière et consommée jouissance. Saint-Paul écrivant aux Corinthiens, en la première, chapitre 6, dit que celui qui adhère à Dieu est fait un même esprit avec lui. ...

7. Cette union n’est pas continuée en l’âme, quand elle l’a une fois, pendant tout le temps de cette vie, sans aucune interruption, car les actions nécessaires de cette vie, auxquelles elle se doit occuper, ou par l’obligation de son état ou par charité la divertissent souvent, et par leur occupation lui ôtent l’attention d’entendement [255v°], et de volonté qu’elle doit avoir en l’union. Au commencement avant qu’y être habituée, elle n’y peut pas pour l’ordinaire demeurer longtemps, parce que ses puissances ne peuvent pas tenir bon en l’abstraction et unité d’opération : mais retournent aussitôt à ce à quoi elles sont accoutumées, c’est-à-dire aux sens et en la multiplicité, ou diversité d’opérations, de discours, de vues et d’affections.

L’âme dis-je, ne peut pas demeurer au commencement qu’elle passe en l’état d’union, que fort peu temps en cette union sacrée, et même n’y retourne pas aisément, à cause qu’elle n’est pas encore en l’état d’icelle, n’y est pas habituée, mais quand elle y a fait progrès, elle prend une habitude qui lui rend cette divine union plus facile, pour la reprendre à toutes les occasions et la continuer plus longtemps, pour lors elle est en l’état de l’oraison d’union, qui est une station d’une âme illuminée pour jouir de son Dieu par [256] fruition tant qu’il lui est permis. L’âme ayant acquis cette habitude et facilité est dite être en l’état d’union, est dite mener une vie unitive ; parce qu’elle ne vit spirituellement que de la vie d’union. Toutes ses actions intérieures et spirituelles sont union, ou pour l’union, ou de l’union sainte et sacrée : car s’il y a en cet état et vie une plus exacte purgation des impuretés de l’âme et illumination des vertus, tout cela se fait pour l’union et de l’union comme de sa cause....

8. L’âme qui est en cette habitude d’union, et en l’état de la vie unitive, doit être stable en l’amortissement de tous ses sentiments, de tous ses appétits, passions et désirs. L’imagination et fantaisie doit être purifiée de toutes les images qui l’emportent tantôt d’un côté tantôt d’un autre, et doit être en telle disposition qu’elle ne soit pas facile à recevoir les impressions des objets sensibles, ni à s’attacher à quelque objet ou action de laquelle elle a reçu l’image. L’entendement doit être simplifié de la multiplicité de ses pensées, premièrement déréglées, secondement de celles qui consistent en discours et longs raisonnements, soit des choses extérieures, soit des objets sensibles, soit des objets spirituels, et qui appartiennent aux sciences. Troisièmement, il doit être détaché de toutes spéculations, tant hautes et sublimes soient-elles ; il doit être mort à toutes propres opinions [257 v°] et lumières qu’il a acquis et appris en l’étude des sciences à toutes inspirations et illustrations reçues en l’oraison, à tous propres jugements, et tout cela pour être réduit à un simple et nue pensée de l’unique vérité de Dieu existante par soi-même en toute l’éternité, voyant toutes autres vérités des créatures contenues sous cette unique essentielle vérité, et réduisant à cette unique et simple pensée de Dieu toutes ses pensées, vues, et raisonnement, qu’il est nécessaire qu’elle forme de choses qu’elle traite.

La volonté ne doit avoir aucun désir, affection, ni attache à aucune chose que ce soit, à aucune action, soit intérieure, soit extérieure, à aucune grâce, ni disposition divine ; ne doit avoir aucune propriété, mais toutes ses affections doivent être réunies et réduites au simple amour de Dieu regardé comme présent intimement à l’âme, afin qu’en toute liberté, l’âme se puisse [258] unir à Dieu par cet amour en toutes les occupations et actions auxquelles elle se rencontre et se trouve....

11. … L’amour divin tend bien à l’union sacrée dès le premier instant qu’il commence d’être en une âme, et la convertit à Dieu, mais c’est de loin : il ne l’exécute pas aussitôt, c’est en son temps après qu’il a purgé, éclairé et illuminé, après qu’il a détruit les imperfections, propriétés, et attaches qui contrarient à cette union et produit les excellentes vertus qui y disposent. Le feu sépare les choses dissemblables, mais il assemble, congrège, et unit celles qui sont de même et semblable nature. L’amour divin est un feu, qui nous trouvant en son commencement dissemblable à Dieu par nos vices et impuretés, nous éloigne de l’union avec sa bonté et par l’abaissement et anéantissement de nous-mêmes, qu’il cause en nous purgeant ; puis nous ayant rendu semblables aux perfections divines et à notre bien-aimé tout par les excellentes vertus de Jésus acquises par son illumination, nous unit à Dieu, et nous constitue en l’état, habitude et disposition de l’union sacrée. »

1624 Shaykh Ahmad Sirhindi (1564-1624)

Shaykh Ahmad Sirhindî est né à Sirhind, ville de l’est du Pendjab.

« He was one of the sons of the Sufi Shaykh ’Abd al-Abad, from whom he received his early religious education. He then studied Muslim religious sciences with several teachers in the city of Sialkot. Because of his scholarship, he was later invited to the court of Akbar at Agra. He stayed there for an unspecified period of time during which he assisted the famous wazir and writer Abu al-Fazl in his literary work562.

« A turning point in his life came in 1008/1599–1600. In that year he vent to Delhi and was initiated into the Naqshbandi order … In his letters he expressed ideas that were interpreted in certain circles as arrogant and conducive to heresy. In 1619, the emperor Jahângîr summoned Sirhindi to his court and decided to imprison him in the fort of Gwalior. The imprisonment lasted for about a year, after which Sirhindi was released. He then continued his Sufi activities until his death in 1034/1624. …

« His disciples gave him the honorific title of the “Renewer of the Second Millennium” (mujaddid-i alf-i thânî). His Maktûbât or collection of letters was repeatedly hailed as a landmark in the development of Muslim religious thought in India. He is said to have reversed the heretical trends of the period of Akbar … An apparently influential group of ’ulamâ’, both in India and in the Hejaz, declared Sirhindî an infidel. More strikingly the following Emperor Awrangzêb, who is said to have been influenced by Sirhindi in his reforms, proscribed the Maktûbât and threatened with shar’i punishment anyone who contravened his order. Thus, the [conservative] policies of Awrangzêb cannot be regarded as inspired by the works of Sirhindi. Neither can Sirhindi be seen as an unanimously accepted religious leader of the Muslim community in India in the seventeenth century 563.”

He is very affirmative :

« I am a disciple of Muhammad connected with him through many intermediaries: in the Naqshbandi order there are twenty-one intermediaries in between; in the Qãdiri, twenty-five; and in the Chishti, twenty-seven; but my relationship with God as a disciple is not subject to any mediation… » (27–28)

[The Sufi] do not affirm the existence of anything except Him. Anâ al-haqq means “God exists, not I.” He [al-Hallâj] does not see himself and therefore does not affirm [his own existence]; it does not mean that he sees himself and considers himself God. »

Both these explanations have to be read in conjunction with Sirhindi’s theory of the ’man of perfect knowledge’, who has attained subsistence in the Essence’ and therefore never uses the word ’ I ’ (anã) for himself. They are also comparable to the explanation of Suhrawardî, who thought that al-Hallãj had said anâ al-haqq by way of narrative,’ speaking not for himself, but in the name of God ’ (60).

Preference for sobriety:

Once upon a time a group of Sûfîs were sitting together. I spoke of my love for the companions of the Prophet in the following words: ’ I have been overwhelmed by the love of the Prophet to such an extent that I love God [only] because He is the Master of Muhammad.’ Those present were amazed at this talk, but they could not express their opposition. This statement [of mine] is contrary to that of Rãbi’ah who said: ’ I told the Prophet in a dream: I have been overwhelmed by the love of God to such an extent that there remains no room for loving you.’ Both statements indicate intoxication, but my statement has genuineness; she spoke in the very midst of intoxication; I spoke at the beginning of sobriety. She spoke [while being] at the stage of Attributes; I spoke after returning from the stage of the Essence. At the stage of the Essence there is no room for this kind of love. No relationship can reach this stage; everything there is either bewilderment or ignorance.

His rather catholic attitude towards the Sûfîs :

 “Thus, what is all this commotion? If a statement has been made whose outward meaning does not conform to the shar’î sciences, it should be turned away from its outward meaning and made to conform [with the shar’î sciences] out of consideration [for him who uttered it]. . . . The way of Islâm and kindness is first to find out who made the utterance whose outward meaning contradicts the shar’î sciences. If he is a heretic, it should be refuted and no effort should be made to correct him. [But] if he who made the utterance is a Muslim and believes in God and the Prophet, an effort must be made to amend his words, to give them correct explanation or to ask for an explanation from him. If he is unable to furnish a correct explanation, one must give him good advice. It is desirable to enjoin good and forbid evil in a gentle way, because this is likely to bring about repentance.” (Maktûbât 3,230). (62)

The Naqshbandi Order

Sirhindi was initiated into the Naqshbandi order by Khwãjah al-Bãqî bi-Allãh in 1008/1599-1,600.. His religious outlook was transformed; and he became convinced that the Naqshbandi discipline was the shortest, fastest, and only way to the pinnacle of spiritual achievement. The Naqshbandis, says Sirhindi, begin their spiritual journey where the other Sûfîs end theirs. This ’inclusion of the end in the beginning’ is the leitmotif in Sirhindi’s descriptions of Naqshbandi superiority. Sirhindi explains, however, that this does not imply equality between a beginner in the Naqshbandi order and an advanced disciple in another one; it merely means that the Naqshbandi shaykh shares his advanced stage with his beginning disciple. This early sharing has in turn a salutary effect on the final achievements of the Naqshbandis. The way of the Naqshbandis is absolutely identical with that of the Companions [of Mohammed], and they have the same rank. One step in their way is better than seven in any other one; this is the way leading to the perfections of prophecy, white the other ways have to be content with the attainment of sainthood. Though certain innovations have crept even into the Nagshbandîyah, this order is still superior to the others which are guilty of many reprehensible customs, such as listening to music. That custom is unable to induce any real spiritual achievement and is characteristic of people suffering from spiritual instability. Practices associated with it, such as dancing, singing and ecstatic sessions (wajd, tawâjud) are also objectionable. (68)

Maktubat, recueil de lettres de Sirhindî, extraits : 564

Lettre 37, 1,99.

. . . the soul threw itself down into the world of the nafs and became a follower, a slave of the nafs. In fact, it got beside itself, it forgot about itself. It took the shape of the nafs-i ammara, as if it became the nafs—i ammara. Because the soul is finer than everything, because it is not even matter, it takes the state, shape and color of whatever it unites with. Because it forgot about itself, it forgot its knowledge of Allahu ta’ala, which it had had formerly when it was in its own world, in its own grade. It became ignorant and unaware. Like the nafs, it darkened with the darkness of ignorance. Since Allahu ta’ala is very merciful, He sent prophets “alaihi-s-salatu wattaslimat”, and through these great people, He called the soul to Himself and commanded it not to follow, not to obey the nafs, which is its sweetheart and darling. If the soul, obeying this command, disobeys the nafs and turns its face away from it, it will be saved from perdition. Otherwise, if it does not raise its head and if it prefers to stay with the nafs and not leave the world, it will lose its way and it happiness.

Lettre 45, 3.01 All creatures are the shades, reflections, and images of Allah

This word of ours is not valid when shade is considered. The shade of something, or its reflection or fancy, or its image on a mirror, has become a shade, or a reflection, etc., not with its own nature, but with the nature of the original that causes it to be formed, for a shade, or an image, does not have a nature of its own. The nature that exists in the shade is the nature of the original thing that forms it. Then, the original is closer to its shade than the shade is to itself, for the shade has become the shade with the nature of its original, that is, with the original, not with its own nature; for it does not possess its own nature.

Since all classes of beings, all creatures are the shades, reflections, and images of Allahu ta’ala’s deeds, these works, which are the originals of these beings, are closer to these beings than these beings are to themselves. And since these deeds are the shades of the Divine Attributes, Allahu ta’ala’s Attributes are closer to the beings than the beings and the deeds, that is, the originals of the beings, for they are the originals of originals. And since the Divine Attributes are the shades of the Divine Person (Zat-i ilahi), and since Allahu ta’ala Himself is the original of all the originals, the Person of Allahu ta’ala is closer to the beings than the beings themselves, the Divine Deeds, and the Divine Attributes. The intellectual individuals, who will understand these by reading them carefully, will admit our word, if they are reasonable enough. If there should be any person who does not believe us, it is not important at all, for our word is not intended for them.

Lettre 46, 3.46 He does not cut off the sustenance of His born servants on account of their sins.

This letter, written to a very pious lady, explains beliefs and encourages worship: May hamd-u-thena [Thanking, praising and lauding] be to Allahu ta’ala, who sends us all the conspicuous and invisible blessings, who shows us the way to safety, and who honors us by making us an Ummat of His beloved Muhammad (alaihissalam). Allahu ta’ala is the only one who gives every blessing, every goodness to all creatures. He is the One who creates everything and who gives the blessing of existence. He is also the One who keeps everything in existence every moment. Perfect and good attributes are given to men through His mercy, through His sympathy. Our attributes of life, knowledge, hearing, seeing, power and speech are all from Him. He, alone, sends innumerable blessings. He is the One who saves people from troubles. . .

Lettre 1,266 565 We cannot know what this surroundings, this closeness, this togetherness mean.

To Khwaja Ubaidullah and Khwaja Abdullah, sons of his master Muhammad Baqi Billah,

O you beloved children of my master, my dear teacher, who caused me to attain the blessings of this world and the next! Be it known that this poor brother of yours, who is needy in every respect, that is, I, am bathing from head to foot in the alms and favors given by that exalted father of yours. From him did I learn the alphabet of humanity. With him did I read the words revealing high grades. In his presence, under his supervision did I attain certain grades in a short time, which would take other years of labor. . . .

Now we come back to the point under discussion: Allahu ta’ala does not enter anything. He does not penetrate any substance. Nothing penetrates Him. But Allahu ta’ala surrounds everything, is close to everything and is together with everything. Yet these are not like the surroundings and the closeness and the togetherness which we understand and with which we are familiar. . . .

We believe that Allahu ta’ala surrounds everything, that He is close to everything and that He is together with everything. But we cannot know what this surroundings, this closeness, this togetherness mean. To say that His knowledge surrounds, or that His knowledge is close, would mean to translate the outward meanings in Qur’an al-karim. We do not approve of such translations. Allahu ta’ala does not unite with anything. Nor does anything unite with Him. Great men of tasawwuf uttered some words which we would interpret as uniting. But they meant something else. For example, by their statement, “When faqr is completed, one becomes Allahu ta’ala,” they meant: “Nothing exists. Allahu ta’ala exists only.” They did not mean to say that the faqir unites with Allahu ta’ala. It would be disbelief, zindiqness to say so. Allahu ta’ala is not like what disbelievers suppose Him to be. My master said: The meaning of Hallaj-i Mansur’s word, “I am Haqq”, is, “I am not. Only Allah is.”. . .

Allahu ta’ala does not have the attributes of imperfection or the peculiarities and symptoms of creatures. He is not matter. He is not a substance. He is free from place; [that is, He does not occupy a place]. He is free from time; [as He does not have a place, so He does not have time]. The attributes of perfection and the indeficiencies only exist in Him.

. . . La “prière” de Sarhindî

One day this faqir—Imam-i-Rabbani—[Sarhindî] visited a sick acquaintance. He was about to die. I paid tawajjuh towards his heart. His heart had darkened. I did my best to clear away the filth; it was of no avail. Meditating deeply for a long while, I came to realize that that blackness was the contagion and symptom of disbelief, and that they were caused by his relationships and friendliness with disbelievers and disbelief. Try hard as I would, that filth could not be cleared away. It was then realized that that evil would be cleared away only with the fire of Hell, the punishment for disbelief. Yet, since a tiny light of iman was seen in his heart, owing to this he will be taken out of Hell. Having seen the sick person in that manner, I went deep into meditating whether I should perform the namaz of janaza for him. After searching my heart for a long time, I realized that it would be necessary to perform it. This means that we should perform the namaz of janaza for those who, though having iman in their hearts, are intimate with disbelievers and follow their ceremonies and Easters. We should not look on them as disbelievers. . . .

Lettre 13, 1.45 “Death is a bridge which makes two lovers meet each other.”

May Allahu ta’ala not separate you from the way of your grandfathers, who are so valuable! May He keep you away from the deeds with regretful results! Amin. Those who love Allahu ta’ala are together with Allahu ta’ala. For it was stated, “One is together with the person whom one loves.” Man’s essence is his soul. The soul’s combining with the body prevents it from being together with Allahu ta’ala. When it leaves the body and gets rid of this dark place, it becomes together with and close to Allahu ta’ala. For this reason it was stated, “Death is a bridge which makes two lovers meet each other.”

Lettre 22, 2.84 “The sunnats being on the decrease, their lights blink like fire-flies flying here and there in the dark night.”

The bidats having covered all the world, this age looks like a dark night. The sunnats being on the decrease, their lights blink like fire-flies flying here and there in the dark night. As the committing of bidats increases, the darkness of the night has been increasing and the light of the sunnat has been decreasing. But the increasing of the sunnats would decrease the darkness and increase the light. He who wishes may increase the darkness of bidat, thus strengthening the devil’s army! And he who wishes may increase the light of the sunnat, thus strengthening the soldiers of Allahu ta’ala!

Lettre 31, 1,100 If one does not feel like weeping, begging, one should force oneself to do so.

Being consumed with love is a sort of beginning for attaining. . . If one does not feel like weeping, begging, one should force oneself to do so. “If you do not weep make yourself weep,” has been said.

Lettre 6 566, 3.31 There is not a figure or a shape in a mirror. . .

. . . My dear brother! The world of mumkinat, that is, creatures, have been classified in three groups: alam-i arwah, alam-i mithal and alam-i ajsad. The alam-i mithal has also been called alam-i barzah. For, this alam is between the alam-i arwah and the alam-i ajsad. This alam is like a mirror. The real beings and meanings in the other two alams are seen in fine figures in this alam. For, a figure, a shape which is suitable with each real thing, each meaning in the two alams exists in this alam. This alam does not contain any real thing, any substance, any meaning that exists in itself. The figures, the shapes being here are all appearances which are reflected from the other alams. There is not a figure or a shape in a mirror. When a figure appears in a mirror, this appearance comes from some other place. So is the case with the alam-i—mithal. When this is realized well, we say that the soul also was in its own alam before getting attached to the body. The alam-i arwah is higher than the alam-i mithal. When the soul is united with the body it falls in love with the body and descends into this alam. It is not related with the alam-i mithal. As the soul has no relation with the alam-i mithal before it gets attached to the body, so it has no relation with the alam after the cessation of its connection with the body. Only, at times when Allahu ta’ala wishes, some states of the soul are seen in the mirror of this alam. This helps understand if the states of the soul are good or bad. Kashfs and dreams happen in this manner.

Lettre 14, 2.20 Namaz. One should observe. . .

We are sorry to know that you have been ill. We are awaiting the news informing of your recovery. Send us the letter informing of your recovery by those who will come here. Work hard for your task! Write to us about the hals which you will be experiencing! O My Dear Brother! This world is the place for work.

Lettre 17, 2.09  “He is beyond everything beyond. He is unlike anything.”

Everything other than Allah, whether in the afak (outside man) or in the anfus (inside man), can be understood and measured. So is everything which can be seen in the mirrors of afak and anfus. All such things should be known to be nonexistent. So are all the things which we know and learn, which we remember and imagine, and which affect our sense organs. They are all of recent occurrence, they are creatures. For everything which man knows and feels is his own work, what he himself has done. . . . All the things we do, whether we do them with our hands or we invent them with our mind and imagination, are Allah’s creatures.

Lettre 23, 2.29 “The heart’s sickness means its having fallen in love with somebody other than He.”

My Dear Sir. The coming of disasters may be unpleasant outwardly, but it is expected that they will be blessings. The world’s most valuable stock is (collected from) sorrows and afflictions. The most delicious food on the world’s meal table is (made up of) problems and calamities. These sweet blessings are covered with bitter medicine. Therefore, calamities and disasters are showered on the beloved ones. Those who are fortunate and wise see the sweets placed in them. They chew the bitter covers on them as if they were sweet. They take flavor from the bitter. Why shouldn’t they, since everything coming from the Beloved will be sweet. Those who are sick do not feel their taste.

Lettre 3, 2.99 “It is like going to see the palaces and villas of sultans and princes in the world. . .”

Question: As a salik makes progress on a path of tasawwuf, he sometimes visualizes himself in the grade of the Sahaba, who are superior to him with the unanimity. He even sees himself in the grade of prophets. How does that happen? . . .

Answer: Low people going up to the grades of the high is like poor people going to the doors of the rich or to the homes of the owners of favors, asking for what they need from them, and attaining their favors. Those who think that such people going up to those grades means to become equal to the owners of the grades must be ignorant. This promotion of theirs is sometimes intended for them to see the grades and yearn for them. It is like going to see the palaces and villas of sultans and princes in the world. It would be idiocy to think that such people have become equal to sultans and princes. Servants enter their master’s private rooms to serve them. To sweep or dust, they approach the sultans.

 “ . . . Hardships are the Beloved’s lasso.”

Answer 6: Hardships are the Beloved’s lasso. It is like a whip protecting the lovers from looking at things other than the Beloved One. It makes the lovers return to the Beloved One. Then, anxiety and disasters should be sent upon the lovers. Disasters protect the lovers against the sin of being fond of things other than the Beloved One. Others are not worthy of this blessing. They pull the lovers to the Beloved One by force. They pull those whom they like through anxiety and disasters. And those whom they dislike they let free like vagabonds. Among them, he who is worthy of endless bliss will come round to the right course by himself, will strive hard, thus attaining favor and blessing.

The mirror of ’adam

Question: Again, you ask: ’adam means nonexistence in every respect. It has no connection with existence. Then, how is it possible that ’adam exists in the mind, in knowledge? . . .

Answer: Yes, ’adam means nonexistence. But all creatures were made from it; owing to its serving as a mirror, everything came into being. The appearances of Allah’s names in the ’Ilm-i ilahi were reflected in the mirror of ’adam, divided it into ’adams and caused it to exist in knowledge. Thus ’adam, escaping nonexistence in every respect, became the origin of creatures. These creatures exist outside of knowledge, too. They are in the grade of sense and illusion. They do not cease to exist when sense and illusion cease to exist. In fact, they may be said to exist outside. Why should you marvel at this progress of ’adam? All the events of this universe are based on ’adam. We should realize the greatness of the power of Allahu ta’ala, who has based the universe on ’adam. He has manifested the perfections in the existence through its defects.

 “ . . . enlivening the dead is of no value when compared with enlivening hearts and souls.”

They especially ask us to busy ourselves with dhikr-i ilahi all the time, incessantly. By doing so, one’s body will altogether be suffused with the dhikr, and the heart will contain nothing but Allahu ta’ala. Everything else will be forgotten so utterly that one will not be able to remember anything besides Allahu ta’ala however hard he may try to do so. Why should it be necessary for the Awliya to exhibit wonders for these two kinds of invitations? Guiding means to give these two kinds of invitations. Miracles and wonders have no place here. We must also say that a vigilant disciple perceives many of his master’s miracles and wonders as he makes progress on the way of tasawwuf. In that unknown way every moment he has recourse to his [master’s] help and is always blessed with his help. Yes, it is not necessary for him [his master] to exhibit wonders to others. But to his disciples he exhibits miracles every moment and wonders come upon them one right after another. Can it ever be that the disciple will not feel the wonders of his master, who has enlivened his dead heart? He has made him attain mushahadas and kashfs. The ignorant think it is a great miracle to enliven a dead man and resurrect him out of his grave. But the great superiors have especially dwelt upon curing sick souls. Khwaja Muhammad Parisa, one of the greatest Sufiyya-i aliyya, notes, “Because most people think of someone who enlivens the dead as great, those who are close to Allahu ta’ala have not wished to do this but have enlivened dead souls and have tried to enliven the dead hearts of their disciples. Indeed, enlivening the dead is of no value when compared with enlivening hearts and souls

Lettre 50, 3.62 “ . . . he is ’adam only. And ’adam is nothing.”

Man’s essence, person, that is, man himself, is his nafs. This is called nafs-i natiqa. When man says “I,” he points to his nafs. And the essence, the origin of this nafs-i natiqa is, in its turn, ’adam (nonexistence). Because lights and attributes of wujud (existence) fell upon ’adam, he thinks of himself as existent. He thinks of himself as alive, knowing and capable. He thinks that such beautiful attributes as life and knowledge belong to him and that he is the cause of their existence. For this reason, he deems himself mature and good. He has forgotten about the evil and defects which came to him from ’adam, the source of all evil and which became his own property. If a person, attaining Allah’s kindness and blessing, gets rid of his manifold ignorance and his wrong belief, he will realize that the goodness and beauty existing in him are not his own property, that they have come from some other place, and that he is not the cause of their remaining in existence. He will believe that his own essence is ’adam, which is the source of all evil. If, as a blessing from Allahu ta’ala, this belief of his becomes stronger, if he returns the perfection and goodness in him to their owner and delivers these beautiful deposits to their proper place, he will know himself to be ’adam only. He will not see any type of goodness in himself. Then neither his name nor his fame or sign will remain. Neither his substance nor his trace will be left. For, he is ’adam only. And ’adam is nothing. He is nonexistent in every respect. . .

Lettre 53, 3.44 The beauty of creatures

 For, every beauty existing in creatures is a reflection, a manifestation of a beauty existing in Allahu ta’ala. It is something impossible for a beauty that exists in creatures not to exist in the Wajib-ul-Wujud (Allahu ta’ala). For, creatures are nothing but evil and defects. Every perfection, every beauty seen in them has been lent to them for temporary use by the rank of Wujub (Allahu ta’ala). For, the rank of Wujub is only perfection and beauty. A Persian couplet in English:

I have nothing brought from home;

I and all I have are only, merely from You!

Another answer which we would give to the first question is that the reason which you assert is a dangerous way of thinking concerning Allah’s existence. To say that it is impossible to see Him means that His existence also is impossible. This is not a reasonable thought. For, according to this reasoning, when Allahu ta’ala exists He must exist in one direction of this alam. He must be above or beneath, in front or behind, on the right or on the left. And this, in its turn, means His being surrounded, limited, which is a defect. But Allah must have no defects567.

1624 Jacob Böhme (1575–1624).

Pour le cordonnier de Görlitz la foi est :

un esprit avec Dieu, elle opère en Dieu et avec Dieu ; elle est libre et sans attache quelconque qu’au vrai amour, dans lequel elle puise sa vie et sa force… Elle est par l’éternelle liberté divine comme un néant et se trouve pourtant en tout… elle n’est saisie par rien et cependant elle est une belle habitation dans la grande puissance divine568.

Böhme par N.Berdiaeff

(Page 6) Rien ne caractérise mieux Böhme que sa grande simplicité de cœur et sa pureté d’âme tout enfantine. On comprend par là qu’il pouvait s’écrier au moment de mourir : « Et maintenant je prends le chemin du Paradis ». Il n’était ni un savant, ni un lettré, ni un scolastique, mais simplement un artisan cordonnier. Il appartenait à la classe des sages sortis du peuple. Il ne connaissait pas plus Aristote que le Pseudo-Denys l’Aréopagite, la scolastique et la mystique médiévale. On ne peut trouver en lui, comme chez la plupart des mystiques chrétiens, des influences directes du néoplatonisme. La Bible était sa principale nourriture (1) spirituelle, mais il lisait aussi Paracelse, Séb. Frank, Weigel, Schwenkfeld. Il vivait dans l’atmosphère de courants mystico-théosophiques de l’Allemagne de son temps. Il n’a jamais été philosophe dans le sens scolaire de ce mot ; avant tout il est théosophe visionnaire et créateur de mythes et cependant son influence sur la philosophie allemande est énorme. II ne pensait pas par concepts clairs et nets, mais par symboles et par mythes. Il était convaincu que le christianisme est défiguré par les savants, les théologiens, les papes et les cardinaux. Lui-même était de confession luthérienne et fut accompagné par un pasteur dans sa dernière demeure. Mais le clergé luthérien le persécutait, le poursuivait, interdisait l’impression de ses écrits. Fait bien typique pour toute confession ; mais, comme la plupart des mystiques et des théosophes, il était au-dessus des confessions.

(P.8) Les choses visibles et sensibles sont une manière d’être de l’Invisible ; de l’inapparent et de l’inconcevable naissent l’apparent et le concevable » (1). Le monde est symbole de Dieu. « Ce monde est une image de l’essence divine et est Dieu révélé par une image terrestre » (2). Connaître Dieu, c’est le voir naître dans son âme. Une telle connaissance n’est possible que par la purification de l’âme grâce à l’Esprit de Dieu. Böhme voit très bien les limites du savoir humain et parle de la bêtise de la sagesse humaine. Mais en même temps il a la plus haute idée de la connaissance en elle-même. Connaître Dieu est un devoir de l’homme, créé pour cela.

(P.9) Par le dynamisme de sa conception du monde, par l’intérêt qu’il porte à la genèse et au devenir, par son sens de la lutte des éléments contraires et l’idée, capitale pour lui, de la liberté, Böhme est un homme des temps modernes. Il ne conçoit déjà plus le monde comme un ordre éternellement statique ni comme un système hiérarchique et immobile. La vie du monde est une lutte, un devenir, un énorme processus, tout feu et dynamisme. Cela ne ressemble nullement à la conception de saint Thomas d’Aquin ni de Dante.

(P.10) Böhme fait une découverte qui aura ensuite une importance immense dans l’idéalisme allemand, à savoir que chaque chose ne peut être révélée que par une autre qui lui résiste. La lumière ne peut se faire jour sans les ténèbres, le bien ne peut être révélé sans le mal, l’esprit sans la résistance de la matière.

Mysterium Magnum (extraits)

(Tome I, page 57) « 8. Or c’est l’œil de l’Indéterminé, le germe éternel où tout réside, qui est éternité et temps — et il se nomme conseil, force, miracle et vertu : mais son nom véritable c’est Dieu ou rnm ou Jehovah et il est hors de toute nature, hors de tous les débuts d’un être quelconque ; il est ce qui agit en soi, ce qui s’engendre, ce qui se sent et ce qui se ressent, sans éprouver la moindre souffrance de quoi ou par quoi que ce soit ; il n’a ni début ni fin, il est incommensurable ; aucun nombre ne peut exprimer sa largeur ni sa hauteur, car il est trop profond pour pouvoir être atteint par l’essor de la pensée : nulle part il n’est loin ou près de quelque chose, il est par Tout et en Tout ; sa naissance est partout, et en dehors de, lui il n’existe rien. Il est le temps et l’éternité, la Cause et l’Absence de cause et seule peut l’étreindre l’intelligence véritable qui n’est autre que Dieu lui-même. »

(t.I, p.80) « 10. Dans les ténèbres est un dieu courroucé et jaloux et dans le feu spirituel est un feu dévorant et dans la lumière est un dieu miséricordieux et bon et dans la force de la lumière il s’appelle avant toute autre propriété : Dieu. Et pourtant ce n’est que le Dieu révélé qui, grâce à la nature éternelle, se révèle en propriétés, créées. Sinon, je dis ce que Dieu est dans sa profondeur, il me faut dire Qu’il est hors de toute nature et de toute propriété, une Intelligence et origine de tous les êtres ; les êtres sont sa révélation et c’est de lui seulement que nous tirons notre pouvoir d’écrire et non du Dieu inrévélé qui, sans sa révélation, n’apparaîtrait même pas à soi-même. »

(t.I, p.83) « Nous nous apercevons que Dieu dans son être n’est pas un être, mais seulement la force et l’intelligence tendant à l’être, volonté immotivée et éternelle en qui tout réside et qui est elle-même tout et pourtant n’est qu’Un mais qui désire se révéler et se transformer en être spirituel, ce qui se produit effectivement par le feu dans le désir d’amour, dans la force de la lumière. »

(t.I, p.336) « L’intelligence éternelle et divine est une libre volonté qui n’est pas née de quelque chose ou par quelque chose, elle est son propre siège et réside seulement et uniquement en elle-même, saisie par rien, car en — dehors et (levant *elle il n’existe rien et ce néant est unique et il n’est pourtant à lui-même qu’un néant. Elle est une volonté unique de l’Indéterminé, elle n’est ni loin ni près, ni haute ni basse, mais elle est Tout et pourtant n’est pour ainsi dire qu’un Néant : Car elle-même n’a en soi ni contemplativité ni perceptibilité « qui lui permettraient de trouver son semblable en elle-même. »

(t.II, p.202) « 42. S’il était possible d’arracher du cœur et des yeux de ces docteurs l’orgueil de Lucifer, il serait bientôt possible de voir la Face de Dieu ; mais la tour de Babel où l’on veut monter vers Dieu à grand renfort d’ascensions et d’opinions vers un ciel spécial où on s’imagine que Dieu est renfermé, arrête la véritable connaissance et l’intelligence, en sorte que nous ne cessons de questionner : “Comment s’appelle Dieu ? Où est Dieu ? Que veut Dieu ?” Item, “Il veut le Bien et le Mal” ; et les gens d’en tirer tout un tas de décrets de la divine Providence, de même qu’un prince fait des lois dans son pays ; et nous avons tout autant d’intelligence de Dieu et de Sa volonté que le pot en a de son potier. »

(t.II, p.257) « 51. Nous avons voulu indiquer en développant cette figure qu’un chrétien ne doit pas s’en tenir aux apparences de l’Église, mais que l’Église n’est qu’un symbole de Christ et que n’est pas un chrétien celui qui ne fait qu’y entrer et faire profession de fidélité à son égard ; mais qu’est un chrétien celui qui s’abîme tout entier dans l’incarnation, la Passion et le trépas de Christ et qui dans la mort de Christ meurt complètement à son hypocrisie et lui ressuscite de la mort de Christ avec une volonté et une obéissance nouvelles et qui suivant son fondement intérieur vit et existé en Christ ; qui est lui-même un temple de Christ et qui agit de toutes ses forces en Christ et qui tue le péché dans sa chair : C’est ce dernier qui est un chrétien en Christ et qui peut réellement pénétrer dans le symbole de Christ et y exercer son christianisme, lui qui entendra le Verbe de Dieu et le conservera dans son cœur. »

(t.II, p.323) « 64. Car si la créature ne veut plus rien sans que Dieu le veuille' par elle, elle est morte à son individualité et se' retrouve dans la première image, à savoir en celle dans laquelle Dieu la forma en une vie. Car qu’est-ce que la vie d’une créature ? Rien d’autre qu’une petite étincelle de la volonté de Dieu. […]

« 65. Mais ce qui veut et, agit par soi-même se sépare de la volonté totale de' Dieu et s’introduit dans l’individualité dans laquelle il n’existe pas de repos, car on y doit vivre dans la volonté et l’agitation personnelles et tout cela ne représente que des courses sans but. L’inquiétude en effet est la vie de la volonté personnelle, car lorsque la volonté ne veut plus pour elle-même, rien ne la peut plus tourmenter, son vouloir est sa propre vie : Mais ce qu’elle veut en et par Dieu, cela forme, avec Dieu une vie unique. […]

« 67. Car la torture de tous les damnés c’est précisément qu’ils veulent ; c’est-à-dire qu’ils veulent personnellement et dans leur vouloir ils s’engendrent des formes, à savoir un contre-vouloir et des volontés hostiles, car les volontés se querellent : Par le fait qu’une chose unique se manifeste de manière multiple, elle s’attaque elle-même. »

(t.II, p.394) « 20. Car l’Amour dans sa propriété intrinsèque n’est rien d’autre que l’humilité divine issue du fond de l’Un. L’Amour ne cherche ni ne désire rien, sinon l’Un car Il est lui-même l’Un, c’est-à-dire le Rien éternel et pourtant il existe par tout et en Tout ; mais pour l’égoïsme de la volonté personnelle, il est un Rien.

«21. C’est pourquoi pour l’Amour de Dieu tout ce qui veut par soi-même et dans son pouvoir personnel est insensé et considéré comme mauvais : Quelque utile qu’il puisse être en servant au Non-vouloir à se manifester, il n’en reste pas moins pour le Non-vouloir une vaine imagination, le jeu d’un être qui s’actionne et se tourmente lui-même.

1628 Joseph de Jésus Maria [Quiroga] (1562-1628).

Neveu du cardinal de Tolède Quiroga, Joseph de Jésus Maria reçoit une formation littéraire et juridique soignée avant d’entreprendre une carrière ecclésiastique. Mais il l’abandonne pour entrer chez les carmes déchaux de Madrid à l’âge de trente-trois ans, très peu de temps après la disparition de Jean de la Croix (1542-1591). Deux ans plus tard, il reçoit la fonction d’historien de l’ordre qu’il conservera de 1597 à 1625. Il prend la défense de Jean de la Croix au point d’être inquiété : il est « puni durement » et assigné à résidence au couvent de Cuenca le 13 décembre 1628. Il est pleinement reconnu en 1912 et l’on publie une de ses œuvres dans l’édition critique des œuvres de son maître569.

Car l’historien s’était mué en apologiste déterminé de Jean de la Croix dont les œuvres inquiétaient et ne furent éditées qu’à partir de 1618, après un « traitement douteux ». Quiroga se déplaçait d’un couvent à l’autre pour ses recherches, rencontrait les carmes formés par Jean. Il écrivit une Histoire de la Vie et des Vertus de Jean de la Croix570 parue sans la permission de l’ordre, qui demeure la première et meilleure approche de Jean si l’on veut pénétrer l’esprit qui animait ce dernier comme maître des novices (il faut évidemment  y joindre la biographie du P. Crisogono satisfaisant aux critères modernes de la recherche historique).

Il est aussi l’auteur d’une importante œuvre mystique571. Son Apologie mystique572 est un « traité fulgurant… qu’il faut placer  au soir de sa vie » nous rappelle le P. de Longchamp. Nous avons choisi de citer cette défense de la mystique par ailleurs aisément accessible de préférence à des extraits de sa Subida del Alma573, qui seraient trop longs si l’on veut respecter le flux intérieur. Cette dernière œuvre admirable fut critiquée et l’imprimé amendé attend une édition tenant compte de manuscrits livrant sa forme originale574.

Le disciple de Jean de la Croix commence par retirer tout appui mental qui « doublerait » la grâce divine :

« Cette manière de représenter Dieu sur un mode connu, quelque universel qu’en soit le concept, on la concède aux nouveaux contemplatifs pour commencer à les sevrer des similitudes matérielles  … Nous avons à nous unir de façon ineffable et inconnue aux réalités ineffables et inconnues de nous… par la lumière de la foi au-dessus de la raison et de la connaissance naturelle… Tout cela fait défaut en cette contemplation formée où l’entendement ne contemple pas Dieu au-dessus de toutes les choses ; mais où il est appuyé sur elles, prenant en elles ce concept connu. … la vue directe vise son objet en lui-même, alors que la vue réflexe le vise dans son propre acte formé grâce à quelque ressemblance de chose créée et connue575. »

Il défend la pratique d’une attention simple et amoureuse à Dieu ou quiétude, contre la méditation discursive à la recherche de grâces en vue de l’acquisition des vertus chrétiennes, telle que le proposent les Exercices d’Ignace de Loyola dans une interprétation courante : l’opposant auquel répond l’Apologie… aurait été un « bon père » jésuite.

 « Dieu est une vertu infinie, présente partout de façon invisible et non connue de nous, sinon par la foi, et présente nulle part de façon visible et connue ; aussi n’avons-nous pas à nous comporter dans l’oraison comme qui l’attirerait à soi, puisque l’âme le possède en elle-même, mais comme qui se livre à Lui comme à son principe. » (Chap. 15, § 5).

Il s’oppose également à tout travail spéculatif qui se référerait à l’obscurité de Denys tout en laissant vivre l’entendement. Car concrètement c’est la « démangeaison » d’un exercice, permettant subtilement de conserver un appui, qu’il faut réduire :

« La contemplation est parfaite, elle s’exerce non seulement au-dessus de la raison, mais aussi sans appui sur elle, lorsque l’entendement connaît par la lumière divine les choses que n’atteint aucune raison humaine... Beaucoup de contemplatifs pratiquent le premier point, c’est-à-dire abandonner tous les actes de la raison, se dépouiller de toutes les similitudes de la connaissance naturelle, et entrer sans tout cela en l’obscurité de la foi comme Moïse dans la nuée qui recouvrait le sommet de la montagne ; mais se reposer là comme lui en totale quiétude d’esprit, bien rares sont ceux qui s’y adonnent : au contraire, en cette obscurité, l’intention de leur esprit est appliquée à la connaissance, leur entendement cherchant à toujours reconnaître son propre acte, quand même serait-ce en cette obscurité de foi. Et cette démangeaison et ce mouvement qui consiste à vouloir reconnaître toujours son propre acte en y inclinant l’intention de l’esprit, s’opposent à ce que nous avons vu par ailleurs de la doctrine de saint Denys : non seulement l’entendement doit abandonner toutes les choses créées et leurs similitudes, mais il doit aussi s’abandonner lui-même en se mettant en quiétude quant à toute son opération active, aussi élevée soit-elle, afin d’être mû par Dieu sans attache ni résistance de sa part576. »

Il s’agit de rétablir la disposition contemplative, science d’amour sans connaissance dans la ligne du chartreux Hugues de Balma et de franciscains, contemplation provoquée par l’irruption de la grâce, agréée par la volonté, non sensible, différente de toute contemplation intellectuelle ; il est en effet impossible de s’élever vers Dieu par un discours, qu’il soit affirmatif (« la théologie scolastique ») ou négatif (« la théologie négative »).

« Saint Thomas disait que celui qui considère actuellement quelque chose parle à lui-même... Et aussi longtemps qu’il s’y arrête et ne se tourne pas vers un autre, il ne parle pas à cet autre... il ne prie pas encore. En revanche, lorsqu’il veut présenter à Dieu ce désir accompagné de la connaissance de sa nécessité  ... il soumet alors son désir et son concept à Dieu.[559]. »

 Toute activité dans la méditation est ainsi inutile, ce qui n’exclut évidemment pas l’exercice actif de la bonté et d’autres qualités dans la vie active. L’irruption de la grâce ne dépend d’aucun mérite, ce qui pourrait paraître scandaleux si elle ne provoquait par la suite un intense travail auquel le mystique participe pour que devienne « naturel » l’exercice de telles qualités. 

Quiroga complète son maître et termine une époque, car bientôt la contemplation mystique cessera « d’être la connaissance simple que la foi surnaturelle communique à l’intelligence pure, dans le silence intérieur des puissances spirituelles… Dans les premières décades du XVIIe siècle, on verra les Carmes de la Réforme eux-mêmes lui substituer une contemplation dite acquise, variété de spéculation négative…577 ».

« Quiroga a fait mieux que de démarquer la mystique de Saint Jean de la Croix… Il n’est pas exagéré de penser que si l’Apologie avait vu le jour autour des années 1618-1620, la polémique déclenchée à propos du quiétisme entre Bossuet et Fénelon eût été vidée heureusement de son contenu578. » 


1631 Constantin de Barbanson (1582-1631).

Constantin de Barbanson (1582-1631) est unique par l’association de son expérience à la tentative de la traduire par un « système ». Son expérience exprimée avec vivacité à l’occasion d’une retraite de religieuses579 conduisit aux Secrets sentiers de l’amour divin580 édités en 1623 . Puis le témoignage fut relayé par la théologie mystique exposée dans L’Anatomie de l’âme... (ce deuxième ouvrage pourrait avoir emprunté son titre à l’exposé de la découverte d’Harvey, Exercitatio anatomica… daté de 1628). Mais L’Anatomie de l’âme, et des opérations divines en icelle n’est publiée qu’en 1635, soit quatre années après la mort de son auteur et ne sera jamais réimprimée581. La compréhension « théorique »  de l’expérience mystique était rendue, semble-t-il, nécessaire par les suspicions qui se manifestent déjà à l’époque.

Constantin de Barbanson est le troisième fils d’une veuve. Les trois frères entrèrent dans les ordres et l’un d’entre eux devint évêque de Saint-Omer. Constantin entra en 1601 chez les capucins de Bruxelles, ayant pour maître Jean de Landen. La province flamande comptait dix-sept couvents après seulement quinze ans d’existence : « Toute la province est spiritualisée : nombreux sont ceux qui éprouvent extases et rapts582 », raconte Philippe de Cambrai. Formé par F. Nugent, gardien du couvent de Douai, actif auprès des capucines et des bénédictines de la même ville, il est envoyé en Rhénanie en 1612. Il y passe la fin de sa vie comme prédicateur itinérant, instructeur de novices, gardien de divers couvents. En 1613, âgé de trente et un ans, il écrit les Secrets sentiers, à la demande de l’abbesse des bénédictines de Douai ; ils ne sont toutefois publiés qu’en 1623. En 1618, il préside aux destinées de la communauté de Mayence et est élu définiteur provincial. En 1631, date de sa mort brutale due à une hémorragie cérébrale, il venait de terminer le manuscrit de l’Anatomie de l’âme. L’ouvrage sera publié en 1635.

« Tous les témoignages nous [le] montrent bon jusqu’à l’extrême limite, celle qui voisine avec la faiblesse, bon par détachement, aimé et vénéré de tous… » Il présente une « voie affective ou mystique par négation… Aussi la volonté est-elle, d’après les Secrets sentiers, la principale faculté mystique. Entendez… surtout l’amour583. » 

Il fut influencé par la Mystica theologia du chartreux Hugues de Balma, attribuée à l’époque à Bonaventure et relayée par les écrits de Harphius et de Canfield ; il exerça à son tour une influence sur le Cardinal Bona, sur le capucin allemand V. Gelen (-1669), sur l’anglais A. Baker584.

 L’effort nécessaire pour surmonter un style ardu585 par endroits est largement récompensé. Constantin est remarquable par son optimisme profond, comparable à celui des grands Flamands du Moyen Age : il est né sur leur terre. Cet optimisme le conduit à insister sur l’efficace manifestée par le mystique accompli. Ce dernier n’a alors plus à craindre une « divinisation » qui, loin d’être illusoire possession, marque l’abandon et l’oubli total de soi-même, pierre de touche traduisant la prise en main de tout l’être par la grâce.

Constantin expose cette vie mystique avancée, renvoyant pour le reste aux traités portant sur la méditation si nombreux. Il présente sans détour un « état permanent ». Les représentations de Jésus-Christ soutiennent une méditation affective qu’il faut dépasser. Il tente d’harmoniser la théologie (qui se sépare à cette époque de la vie mystique) et sa propre expérience.

Cela répond aux critiques du père Gracian, l’ancien confesseur de Thérèse. On sait que ce dernier termina une vie mouvementée comme confesseur en Flandre d’Anne de Jésus et d’Anne de Saint Barthélémy, pas moins. Très actif, Gracian initia une querelle née de la divergence entre l’approche christocentrique thérésienne importée « du sud » et la traditionnelle approche apophatique « nordique » défendue par des capucins. La méfiance envers les mystiques « abstraits » s’était manifestée dès l’arrivée des jésuites.

Ce conflit oblige Constantin à mettre de l’ordre dans son exposé mystique, mais non sans une certaine prolixité (qu’il eût probablement corrigée s’il avait vécu jusqu’à l’édition). Cette prolixité et la grande rareté de l’imprimé expliquent l’obscurité dans laquelle est tombée l’Anatomie, par ailleurs desservie par son volume : un bon millier de pages. Car la marque du capucin est de s’en tenir souvent à un unique, mais fort volume, le « manuel » qui résume une vie d’apostolat. Ici, l’auteur est desservi par une localisation géographique excentrée qui explique un style français peu alerte. Tout cela ne doit pas décourager la méditation des deux traités, qui s’avèrent en fait aussi lisibles (mais plus longs) que la Reigle de William Fitch of  Little Canfield.

Constantin prend la suite de Benoît, et par la chronologie et dans l’exposé de la vie mystique.  Il assure t le relais en allant plus profond dans l’exposé de la voie mystique, ce que nous attribuons en partie à leur différence d’âge lorsqu’ils écrivirent. Son objectif est défini plus largement, car il ne se limite pas à un exposé portant sur la pratique de l’oraison. Aussi le carme Dominique de Saint-Albert (1596-1634), disciple préféré du grand Jean de Saint-Samson et mystique cordial mort trop tôt, écrit :

«En ma solitude j’ai conféré ces deux livres, celui du P. Benoît et de Barbanson. P. Benoît ne me semble que spéculatif au respect de l’autre qui a la vraie expérience des secrets mystiques586.»

Constantin commence par poser la réalité expérimentale de la vie mystique : ce n’est pas une croyance voire une superstition, ce n’est pas philosophique, mais pratique :

« Car tous ces mystérieux secrets de la vie mystique, que sont-ce autre chose que venir à l’expérience et jusques aux premiers principes de vérités surnaturelles de notre foi ? En telle sorte que ce que seulement, instruit de la foi, on croyait être invisiblement, ici on le voit, expérimente et en a-t-on la connaissance pratique587. »

Comme tous les mystiques il pose la Source comme « intime » à nous-mêmes, dépendant de la grâce divine, embrassée dans l’unité par une adhésion amoureuse de la volonté :

«La fin donc et le but auquel nous devons aspirer par tous ces chemins intérieurs de l’esprit, c’est une introversion totale au plus intime de nous-mêmes, par l’aide de la divine grâce;  laquelle nous relève tellement peu à peu à la connaissance et amour de Dieu, que finalement elle nous conduit à la vraie acquisition, jouis­sance, fruition et repos en Dieu notre souverain bien (présent intérieurement au centre et sommet de notre âme), par une conjonction de notre esprit à sa Divinité et par un embrassement d’amour, possession, tension et adhésion de volonté à son saint et divin Esprit; embrassant ce bien souverain par un lien d’amour communiqué d’en haut, si étroitement que par icelui comme par un sacré lien de mariage, de ces deux esprits si différents, tant inégaux et improportionnés, se fait un esprit, un amour et un vouloir588.»

L’avancement est passif autant qu’actif :

« L’âme [doit] savoir une vérité de laquelle son avancement dépend beaucoup, et c’est de croire et se persuader entiè­rement que non seulement elle s’avance par les actes d’entendement et volonté qu’elle pratique quelquefois avec tant de facilité ou amoureuse inclination, - mais encore en la privation du divin concours, lorsqu’elle ne peut rien faire qui soit de vigueur ou efficace selon son estimation589. »

Il demande un abandon paisible et libre, en silence, qui mène à la joie et à un mouvement d’amour, sans faire appel à quelques dévotions ou intentions qui se conformeraient aux images ou aux projets ordinaires :

« Et partant, donc renonçant à tout son propre sembler, que pleinement, entièrement et irrévocablement [l’âme] s’abandonne toute entière sans aucune réserve entre les mains de Dieu, sans plus se lier ni [s’] attacher à rien, sans plus concevoir, attendre ou penser rien de déterminé, de particulier, ou en propre opinion, en son esprit ; mais qu’en ce général abandon, elle s’immerge toute en la divine ordonnance, se contentant de tout ce qu’elle trouve en son état présent, sans arrière-pensée, sans recherche de pourquoi ni comment, contente de tout et louant Dieu en tout ; chemi­nant ainsi en toute paix et liberté, sans aucun bruit de soin ou multiplicité de pensées, afin de pouvoir, en tel solitaire contentement d’esprit, être aux écoutes et en expectation de ce qui se passera en soi-même. Car se con­tentant ainsi de tout, [elle] s’étonnera de se trouver en un abîme de joie et de mouvement d’affection en son centre, cependant que, peut-être, elle ne s’imaginait et n’attendait autrement que de trouver son désir en une autre manière. /Finalement, comme entre les choses qui pourraient empêcher, retarder et même troubler cette élévation, est la dévotion que peut-être on porterait vers quelque saint ou sainte, ou bien encore le désir et nécessité que l’on aurait de prier pour les âmes du purgatoire, ou certes pour le prochain, et autre nécessité temporelle que l’on aurait à représenter à Dieu ; il faut prendre garde de réformer ces grossières façons ordinaires que l’on a tenues, de [195] penser de telles matières selon l’imagination, et apprendre cette façon qui est conforme à cette élévation spirituelle et mystique. L’accoutumance qu’avons acquise d’opérer selon nos sens et propres concepts humains tirés des phantômes, espèces et compositions des choses vues ou ouïes en ce monde, nous a tellement dépeint l’âme et préoccupé notre sens commun, que nous ne nous en pouvons pas si facilement dépêtrer, ains [mais] voulons toute chose, quoique sublime et divine, attirer à nos façons grossières590. »

Une vacance de l’esprit n’est pas un obstacle, on peut (on doit) se laisser conduire sans réflexion ni conscience particulière de son état :

« … il arrivera que l’âme se retrouvera assez bien recueillie, extrêmement portée à Dieu et non harassée d’autres impertinences, et néanmoins ne se sentira inclinée à produire actes d’affection, mais plutôt de légère, joyeuse et sereine façon de se trouver ; elle ne doit combattre contre telle disposition, voulant par force former le dit sentiment d’affection, mais se laisser con­duire à opérer selon ladite façon joyeuse, sereine, paci­fique et tranquille, encore que sans réflexion, ressentiment ou connaissance de ce que particulièrement on fait ; seule­ment s’efforçant de se tenir ainsi légère et agile…591. »

L’homme d’expérience y trouve  largeur et liberté :

« On dirait aussi que c’est comme une nouvelle région intérieure, étage, ou mansion large, ample et étendue, sans bornes ou limites, de nouveau découverte à l’âme que cette portion supérieure, en laquelle Dieu se commu­nique et rend à l’âme toute liberté et inclination au bien ; pouvant en toute facilité et joyeusement faire ce qui autre­ment semblait difficile et bien amer592. »

Puis la longue période de purification par privation est décrite, et :

« Que si encore cela ne durait que pour quelque espace, deux, trois ou quatre mois, et puis retourner à la jouissance comme devant, la chose serait passable ; mais d’y demeurer les demi-ans et les années entières, ou peut-être davantage, sans se voir plus retourner aux grâces précédentes, cela fait quasi perdre toute l’espérance, emporte, peu s’en faut, toute la patience de cette âme. /, Car si elle se veut élever à Dieu pour refuge en ses misères, il n’y a que ténèbre et obscurité dans son esprit, et voit que la porte lui est fermée de cette part. Si elle se refuse à ses actes propres pour exercer les vertus con­traires, c’est avec si peu d’efficace contre le mal, que nul ou certes petit soulagement lui peut revenir de ce côté aussi. Où donc aura son recours cette créature en ses angoisses ? [256]... Mais de voir enfin la continuation ou plutôt augmentation de jour en jour, il lui prend fantaisie de croire assurément que c’est tout perdu, que cela est venu de quelque sienne grande faute, qui a fait que Dieu s’est retiré et l’a laissée en si pauvre état593. »

Les raisons d’une telle absence en sont données :

« [l’âme] doit apprendre à se passer même de Dieu et faire de soi-même du mieux qu’elle pourra ; ne s’étonnant point pour tous ces fâcheux ni divers événements. Non pas qu’elle veuille être sans dépendance continuelle de la divine grâce ; mais parce que toute aide demeure si cachée que rien de perceptible lui est commu­niqué. La raison est que, par tel accoisement et conten­tement en tout, le fond de l’état intérieur se pourra éclaircir, et ainsi connaître où on est ; l’imagination perdra sa force et sera comprise en la récollection de son dit état, et peu à peu l’on sera relevé en la portion supérieure, sans plus de mention de ces mauvais effets. Et, pour retenir maintenant cette paix et tranquillité, pourra grandement aider de ne se vouloir pas toujours former un tel intérieur lequel ait Dieu actuellement pour objet et présent594. »

Tout revient à ne pas faire à sa façon :

« Toutes ces règles et préceptes et si grand soin que l’on a de dire à l’âme qu’elle ait à se tenir en paix et silencieuse opération [proviennent] de ce que désireuse de s’aider, toujours elle se voudrait former quelque chose à sa façon et selon qu’elle estimerait la chose devoir venir. Et d’autant qu’assurément la vraie divine opération efficace et infuse viendra autrement qu’elle ne pense et qu’elle ne saurait même penser (puisque ne l’ayant expérimentée, cela lui serait impossible de la bien préconcevoir)… »

L’état atteint — rarement décrit ailleurs — est égal et uniforme :

« L’on ne sait en cet état plus rien concevoir ou penser de Dieu en manière de haut et par élévation ; mais en façon égale et uniforme. Comme lorsque quelqu’un parvenu au sommet d’une montagne, trouve le coupeau [sommet] d’icelle être une plaine bien large et bien étendue, région uniforme et de toute égale exten­sion, perdant entièrement la façon de montée que l’on avait tandis que quelque degré restait encore à monter ; ainsi cette âme, parvenue au sommet de l’élévation à Dieu où toute entière elle habite, il n’y a plus aucune forme ou façon de montée ni élévation, mais tout est uniforme à son fond, en la même région que l’on est, comme si ce fût ici le ciel intellectuel où tout ce que l’on cherche, est595. »       

Je donne une séquence d’extraits assez amples de son œuvre de maturité, l’Anatomie de l’âme, car ils sont restés pratiquement ignorés jusqu’à présent et ne sont que très rarement affirmés par les mystiques accomplis, mais prudents. Ces affirmations « inouïes » portent  sur un état rarement atteint. De ce fait, la possibilité même de le vivre ici et maintenant a été mise en doute. Madame Guyon, tenant compte de son efficace (l’« opérer tout nouveau » du second extrait ci-dessous),  le nommera « apostolique » :

« [1.39]596 [Dieu] se communique… pour être le premier principe et plus intime de notre être, et de tout ce que nous sommes et opérons selon l’état de la vie surnaturelle… nous le devons unir avec ce que nous sommes, et le prendre par manière d’être, comme devenu notre nous-mêmes, notre moi, ou égoïté fondamentale, nous faisant déiformes et divins, au lieu de la corruption qui nous rendait difformes et dissemblables.

« [1,53]… Quand cet être et opérer de nature est outrepassé, et que plus outre que ce silence on trouve le nouvel être et opérer de la grâce surnaturelle et déiforme (qu’aucuns prennent pour Dieu même comme nous venons de dire), c’est alors que nous retrouvons premièrement… un moi fondamental de participation de l’être divin, qui nous rend déiformes ; et puis un opérer [1,54] tout nouveau, qui lui est proportionné. Apprenant tous les jours de mieux en mieux à servir, louer, bénir, et honorer Dieu ; faire aussi tout ce qui est de notre vocation, selon la manière que requiert et porte en soi un tel être nouveau…

« … L’âme prend ce même Tout (qu’ils appellent Dieu même, ou l’essence divine) pour son propre être fondamental, habituel et stable de déiformité, que lui donne, à savoir, la participation de l’essence et volonté divine incréée. En sorte que ce divin Tout (dont ils parlent) et tout ce entièrement qui paraît dedans l’intérieur de [1,56] l’âme, et qu’on peut voir ou contempler ; tout cela n’est autre chose auprès d’une telle âme, que son propre être déiforme et supernaturel, que la participation de l’essence divine lui donne.

« [1,59]… L’âme, qui a une fois expérimenté cette lumière suprême de la divine présence et union objective, par-dessus même son être déiforme, et vu comme cela est en sa propre réalité une chose actuelle et une opération formelle, à savoir d’amour et de connaissance ; elle entend aussi d’ici en avant, qu’elle est née et régénérée en Dieu, pour être opérative et non passive,... façon toutefois qui n’empêche aucunement qu’on ne se plonge et immerge à tout moment dans la volonté divine, comme si rien ne fut en être au ciel ou en terre qu’icelle volonté. Car comme cette même volonté divine nous est devenue pour être, c’est chose déjà toute faite et accomplie, qu’on ne peut non plus vivre sans elle, ou respirer hors de icelle, comme on ne peut vivre ou respirer sans soi-même, et pour [1,60] ce on ne peut plus avant, ni plus vite, qu’elle ne conduit. »

Des erreurs d’appréciation sur ce dernier état sont possibles et Constantin a soin de souligner le long parcours qui le précède, entièrement dépendant de la volonté divine, d’un caractère tout nouveau, afin de prévenir toute illusion :

« [les doctes] ne s’aperçoivent point qu’il faut, pendant le cours de ce voyage à Dieu, venir à un grand renversement et mutation de son état fondamental, avant qu’on puisse connaître et aimer Dieu comme il faut, pour l’état de la perfection ; mais pensent y pouvoir parvenir par la seule continuation de leur propre effort, diligence, et vaillance à opérer, qu’ils ont commencée ; croissant toujours selon [123] tel effort propre aidé de la grâce ; et ainsi ils n’attendent tout au plus, sinon quelques altérations en telle façon de procéder par opérations actuelles, et non pas (comme nous disons) un changement grand et particulier de tout leur état fondamental.... c’est-à-dire, venir au changement de son être naturel, qui opérait par effort et industrie propre et humaine (bien que prévenu et aidé de la grâce ordinaire) à un être surnaturel et déiforme, qui a la volonté de Dieu opérante et efficiente pour son principe ; au lieu de la volonté propre, qui par avant vivait en nous. […]

« Il faut donc que les hommes doctes et spéculatifs sachent que (parlant expérimentalement) on commence la vie intérieure comme si on fût encore totalement vivant en l’état de nature corrompue, sans présence ou amour de Dieu, mais en ignorance de la façon de surnaturalité et déiformité… puisqu’un être et opérer naturel et humain n’est pas suffisant pour acquérir une fin si surnaturelle,… il faudra aussi de nécessité qu’au progrès on trouve un changement ou renversement et une mélioration grande de son fond ou être fondamental ; et non seulement une petite altération selon sa façon d’opérer... soyez, dit l’Apôtre, renouvelé en l’esprit de votre entendement, et soyez vêtus du nouvel homme, créé selon Dieu en justice et vraie sainteté, etc.

« Comme donc les mystiques trouvent si réellement et clairement, que tout opérer naturel et humain se perd, et qu’on est souvent conduit à des passiveté et pures souffrances, qui ne contiennent pas des opérations actuelles ou formelles, mais plutôt un pâtir et un abandon de soi à Dieu, qui par sa volonté opérante cause tels ou tels effets en nous, pour le renversement, détachement et la mélioration de notre état fondamental, c’est pour cela que leurs documents et règles sont plutôt dressés pour enseigner l’âme à s’accommoder à une telle volonté divine, et accepter cette mutation de son état, et y correspondre, pour parvenir à la déiformité, au lieu de la corruption, que non pas de persuader à beaucoup opérer.

« De sorte que comme les hommes doctes seront désabusés, quand ils connaîtront que la forme de l’état et de l’opérer humain et naturel de l’âme qui tend à la perfection, doit être changé en une autre surnaturelle et déiforme, par une participation et communication plus parfait de la nature et volonté divine, qui s’acquiert par les préventions et secours des grâces actuelles que Dieu opère en nous, et notre fidèle coopération. Ainsi les mystiques et dévots [128] ne seront plus trompés ni arrêtés en chemin, mais irons toujours se perfectionnant, lors qu’ils croiront que cet être déiforme qu’ils expérimentent en leur intérieur, pensant avoir trouvé et posséder Dieu intimement, n’est pas l’essence ou volonté essentielle de Dieu, mais seulement la participation d’icelle, solide et habituelle ; ni par conséquent notre fin. Mais le fondement et la première pièce du vrai état de la perfection…

« C’est ici le grand secret à découvrir aux âmes en cet endroit, que depuis l’état [2,99] de la privation, que l’âme mourant à soi vient à trouver Dieu, elle ne doive nullement plus procéder par vision ou contemplation, mais par l’être, unifiant avec soi tout ce qu’elle voulait contempler : en sorte que le Rien ne se doit pas occupé à contempler le Tout, mais de rien et du tout l’âme en doit faire son propre être fondamental d’une vie nouvelle.... Concluant donc, je dirai que puisqu’il est ainsi, qu’être en Dieu et avoir Dieu habitant, vivant et opérant en nous, n’est autre chose que de l’avoir en tant que cause efficiente d’un être surnaturel en nous, il s’ensuit que ce n’est pas pour cesser de toute opération que nous sommes en Dieu : mais plutôt pour commencer oprimes à vivre avec lui de la vie de pure grâce et de déiformité [2 100] et ainsi parvenir à notre vrai fin, qui reste encore plus outre.

« [2 195]... il y a un grand chaos, l’espace d’un grand abîme entre ces deux états, de propriété et de déiformité ; tel que de celui-là on ne peut passer à celui-ci sans avoir dévoré cet abîme, qui est l’état de la privation totale, et surnagé par-dessus, et venu à port en la terre ferme des vivants ressuscités en nouveauté de vie selon Dieu. Et ce gouffre est un détroit et passage si notable, si affreux, si laborieux et difficile, que nul ne peut en façon quelconque se persuader de l’avoir (peut-être) outrepassé, qu’il ne l’ait bien aperçu...

« [3.118] Que nos âmes doivent être réunies à Dieu, comme l’effet à sa cause : et derechef entées en lui, comme la branche en sa tige, le sarment en sa vigne ; pour être reproduites et mises en la lumière d’une vie nouvelle de participation divine.... [3 120] Dieu n’est pas seulement un esprit très pur à la jouissance duquel nous pouvons parvenir... Dieu peut vivre et opérer en nous... être homme en nous... [3 121] par forme de grâce et d’union mystique... nous possédant, mouvant et gouvernant spécialement : non pas toutefois en sorte qu’il vive et opère seul en nos âmes à notre exclusion, mais que nous ayons aussi notre vie et opération de lui, par lui et en lui.     

[3.135][Dieu] fait aussi d’icelle, et en icelle une anatomie merveilleuse et incroyable de tous les coins, degrés, états et opérations diverses qui se peuvent trouver... [Il] la fait tant de fois passer par toutes les demeures, étages, et par les plus secrets cachots de sa capacité interne, la culbutant, renversant et changeant de bas à haut et de haut à bas, selon qu’il daigne opérer en elle diversement ; qu’enfin il conduit aussi cette âme par un tel chemin et artifice à la vraie et réelle connaissance de soi-même, lui mettant en évidence devant ses yeux ce qu’elle est et n’est pas, ce qu’elle peut et ne peut dedans, et avec, ou hors, et sans son ordre et gouvernement divin. Ce que tout demeurait caché et inconnu à cette âme si elle persistait toujours stablement au sommet de son esprit, jouissant actuellement du divin et y adhérant fixement.

« [3 145] Qu’au lieu qu’en la première élévation à Dieu on pratiquait un progrès continuel vers Dieu par un oubli et détachement de soi-même, n’arrêtant en nul degré de son propre être, mais tendant et s’écoulant toujours en Dieu ; afin qu’en se négligeant, on se peut finalement perdre et immerger en Dieu au sommet de son esprit ; ici au contraire... rien de plus dommageable à l’âme [que si]... [3 146] elle voulait par actes de son désir, encore que subtilement produits, se promouvoir et adresser à Dieu comme à un autre et distinct par-dessus soi.... Le secret consiste à bien entendre, que la relation, ou l’attention, ou l’extension que l’âme doit avoir envers Dieu, ne doit pas être comme en tant qu’il est sa fin et le terme ou l’objet de ses opérations : mais comme préalable et premier principe fondal et fontal de tout son opérer : et en tant que tel, il n’est pas alors autre et distinct, mais comme devenu radicalement et fondamentalement son moi.

En conclusion l’exposé dense et très précis répond aux « doutes sur Dieu » que ne manque pas de rencontrer le pèlerin mystique :

« [3 148] Pour ce que l’âme en semblable recommencement est réduite à la seule pure et nue bonne volonté, sans aucune divine entité supérieure d’esprit ou d’intelligence ; et que le désir de Dieu est en cette âme de telle sorte uni et identifié avec son fond et sa bonne volonté, qu’il semble être une [3 149] le même chose avec ce qu’une telle âme est. D’autant que toute sa vie, son être, son respirer, son opérer, c’est être toujours au désir de Dieu ; et ce quasi connaturellement. Tellement qu’elle n’a plus aucun besoin de s’exciter ou exercer au désir de Dieu : car tout ce qu’elle vit, qu’elle respire et qu’elle est, c’est substantiellement, réellement et en vérité être en désir de Dieu. N’étant pas néanmoins pour cela jamais oiseuse, ou persistante en un même état : mais marchant, et profitant toujours en la voie de Dieu. Excepté que son progrès se fait ici d’une façon tout autre et diverse qu’auparavant ; attendu qu’au lieu de s’entendre et de s’écouler en Dieu comme par-dessus soi, elle est maintenant contrainte de demeurer et consister tout en soi-même ; sans pouvoir même en ce sien propre état nullement comprendre la pensée objective ou finale de son Dieu.

« Si qu’une telle âme a expérimentalement la compagnie de Dieu avec soi en son plus bas fond, non pas comme fruitivement possédé, mais comme premier principe de tout son être et opérer ; comme consort [161] et participant de tout le travail qu’elle doit subir en achevant le pèlerinage de cette vie ; non pas en lui ôtant les croix, travaux et fâcheries d’icelle, mais comme ami fidèle, qui lui rend le fardeau léger, la soulageant et le portant avec elle. D’où se peut voir qu’il ne faut pas seulement penser de Dieu en ces chemins ici, comme de celui auquel finalement nous tendons, et duquel nous pouvons jouir au sommet de notre esprit ; mais encore comme de celui qui en notre fonds est devenu ce que nous sommes. Et pour ce, le portant avec nous comme notre moitié, c’est lui qui vit, opère, et fait avec nous tout ce que nous vivons et faisons; à savoir en forme et en qualité de premier principe. »

1635 Martial d’Étampes (1575 - 1635). 

Jean Raclardy  qui deviendra Martial d’Étampes (1575-1635)  naît le 22 juillet 1575, dans une famille de petits artisans597. Il entre le 20 juillet 1597 au couvent des capucins d’Orléans, y reçoit l’habit des mains de Benoît de Canfeld, maître des novices, fait profession le 29 juin 1598 entre les mains d’Honoré de Paris. Il est absorbé par la tâche de maître des novices (Meudon, Paris, Troyes, Amiens) et de confesseur de religieuses capucines (Paris puis Amiens de nouveau, de 1631 à sa mort). De santé fragile, il exerça sa patience dans ses infirmités.  On lui attribue miracles et prémonitions.

 Il était porté d’une charité si grande envers les infirmes et ceux qui étaient en quelque nécessité, qu’il eut employé sa vie et incommodé sa santé pour leur porter du soulagement, et était si compatissant aux besoins et nécessités des affligés, qu’il en pleurait de compassion598.

Son enseignement est à la fois humain et élevé. Tous sont appelés. Chaque acte d’une méthode d’oraison est déjà une oraison, aussi devons-nous y entrer « comme à yeux clos, car Dieu n’a pas besoin de nos règles pour nous donner ses grâces et lumières599 ». Il parle des « secrets sentiers de Son divin amour », en référence à Constantin de Barbanson600. L’Exercice des trois clous « conduit l’âme jusqu’à la plus haute perfection… On y rencontre pour ainsi dire l’essence de la spiritualité mystique de son époque…601».

Il s’agit, reprenant ses termes, de « plonger en Dieu comme des poissons dans l’eau ». C’est un acte de la volonté, au travers des images. Il demande simplement quelques paroles amoureuses, « sans plus d’autres inventions pour aimer que l’amour même, car rien n’est plus propre à produire un feu qu’un autre feu ». Cela suffit, car « le doux, simple et amoureux souvenir de Dieu contient éminemment tous les autres actes que l’on pourrait produire, comme de dresser son intention. » L’acte est passiveté : « Acquiescez à Sa volonté pour ne ressentir plus qu’un seul vouloir. » Car « Dieu est toujours présent, paix et repos au centre de soi-même », sans attribut particulier pour Celui qui s’annonce par : Je suis qui suis. La patience est requise, car, « fontaine de bonté, il ne peut opérer que le bien dans le mal qu’Il permet de nous arriver. » On atteindra finalement un état où « l’on ne reconnaîtra plus que Dieu en nous, par la grâce de son opération », tandis que « nous ne verrons plus que Dieu en toutes choses. »

On trouve l’écho de son exigeante tendresse dans des lettres :

« C’est le propre des bonnes âmes, plus elles approchent du soleil, de se perdre de vue et de s’anéantir tellement, qu’elles ne voient pas seulement leur ombre, car elles n’en ont point du tout tant elles sont dans l’anéantissement et bas estime d’elles-mêmes... Interrogez votre pauvre cœur pour savoir ce qu’il désire, et quand vous trouverez que ce n’est pas Dieu où ce qui vous peut aider à vous élever à lui, recourez-y promptement, et vous remettez en Dieu seul. Cette remise de votre esprit en Dieu souvent pratiquée vous apportera un grand profit, et abondance de fruits, et s’ils n’ont été si grands depuis mon départ, ce n’est pas faute que je n’ai prié Dieu pour vous, et si vous ne vous avancez, c’est que mes prières ne sont exaucées pour n’être assez ferventes, priez qu’elles le soient... Frère Martial, capucin inutile, et en parfaite santé grâce à Dieu602

Le Traité très facile commence par traiter de l’oraison mentale :

« La dévotion n’est pas un sentiment comme plusieurs se persuadent, mais c’est un acte de la volonté par lequel on se porte promptement au service de Dieu603. »

L’expérience acquise dans son ministère lui permet de donner quelques conseils pour passer de la méditation au « silence de l’esprit » qui est la marque de l’entrée dans l’oraison dite passive :

« Il faut passer au travers des images, objet, distractions, et diverses pensées qui se présenteront à notre pauvre esprit pour détourner notre vue de Dieu, et demeurer fixes en ce simple regard tant qu’il nous sera possible, sans pourtant nous forcer, ni violenter la tête, ni l’estomac ; et pour pratiquer ceci plus facilement, il faut jeter les yeux de l’esprit sur la grandeur de Dieu, sur Sa Majesté, sur sa bonté, puissance, sagesse, et autres perfections ; mais particulièrement sur son amour, duquel Il s’aime Lui-même, nous en réjouissant et L’en congratulant, en comprenant telles perfections seulement en bloc, et sans aucune spéculation ou distinction, les admirant et contemplant simplement au plus intérieur de notre [177] âme ; puis en un instant il faut retomber sur notre néant au plus intime de notre âme. Ce regard doit être accompagné d’une grande révérence, qui causera une douceur en notre intérieur et un silence en notre esprit, dans lequel nous devons demeurer tant qu’il durera. »


Il ne rejette pas un « acte de foi » — toute l’école des capucins et particulièrement Canfield célèbrent une volonté d’origine divine qui anime la nôtre —  qui consiste à « plonger et jeter » en Dieu :

« Quand nous voyons donc la complaisance, le chagrin ou le dégoût survenir, soit en l’opération intime, soit en l’oraison, qui est son propre lieu, ou parmi les hantises et actions du prochain, sans que nous nous amusions à combattre tels fantômes, il faut, par un acte de foi, croire fermement que toutes ces tentations, distractions, dégoûts, inquiétudes, efforts, perturbations ; et bref tout ce que les démons nous peuvent susciter, ne sont pas capables de faire que Dieu nous soit moins présent ni qu’il soit moins digne d’être notre unique objet, ni empêcher que nous ne prenions en Lui en ce temps-là même notre très parfait contentement : et si les [184] distractions nous ont possédés quelque temps, en telle sorte que durant leur violence nous n’ayons eu le loisir de recourir à l’anéantissement actif, comme il arrive souvent en l’oraison et en d’autres rencontres, nous nous devons au moins pour lors abîmer, plonger et jeter en Dieu comme des poissons dans l’eau, sitôt que nous nous apercevons du péril auquel nous sommes. C’est pourquoi il faut toujours nous tenir sur le bord du lac… » 

Il recourt à la comparaison traditionnelle illustrant le dur chemin de transformation, qui sera si souvent reprise :

« … et qu’il faut que nous nous considérions comme le blé qui sert tant à l’entretien et à la nourriture des hommes, et qui ne peut être bon à manger s’il n’a pas passé par beaucoup de métiers, parmi lesquels il semble qu’il doive être plutôt consommé et anéanti, que pouvoir servir à aucun usage ; car le jetant premièrement en terre, qui ne dirait qu’on le veut perdre en le faisant pourrir ? Le mettant puis [188] après sous un fléau, l’écrasant entre deux meules, le jetant dans un four embrasé, qui ne dirait qu’il est entièrement perdu ? Et cependant c’est pour lors qu’il est plus propre pour nos usages604. »

L’in-action ou action dans l’intérieur divine assure une nouvelle naissance dans le silence de toutes nos puissances :

« C’est là pareillement l’exercice des âmes avancées, qui sont tirés de Dieu par un mouvement particulier, ou par je ne sais quelle impuissance de ne pouvoir faire autrement, ce qui arrive par un délaissement intérieur qui les rend incapables d’une plus grande et plus actuelle occupation d’esprit, ou par une disposition corporelle qui leur donne le même empêchement : et c’est l’exercice de la seule chose nécessaire que Notre Seigneur recommandait tant à Marthe, et dont il louait si hautement Marie, qui écoutait dans le plus intime et le plus [311] profond de son cœur avec un profond silence ces divines paroles, au pied desquelles étaient prosternés. Ainsi les âmes séraphiques n’ayant qu’une pensée, qu’une volonté et une action en l’objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement écouté, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu qu’agir d’elles-mêmes... Ce saint exercice nous a été enseigné de Jésus naissant aussi bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie : naissant, parce qu’il naquit au temps de la minuit, que toutes choses étaient en un très profond silence, comme dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondit à l’éternelle, qui est grandement silencieuse ; que la troisième naissance qu’il prétend faire en nos âmes, fût en quelque façon semblable aux deux susdites, par la pratique d’un silence universel de toutes nos puissances, en l’objet de quoi que ce soit, excepté de Dieu : car autrement comme Dieu ne se manifesta pas à Élie dans le tourbillon ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans un doux [314] respir d’un très agréable zéphyr… »

La garde du cœur est permanente, sans souci d’accéder à quelque attribut distinct :

« Une âme séraphique, selon cet exercice, depuis le lever du matin jusqu’au coucher du soir, ne fera donc autre chose intérieurement, à quelque action qu’elle vaque, soit profane ou sainte, que de se recueillir toute en la simple vue de Dieu seul ; à chaque [321] fois qu’elle y retourne, si elle s’aperçoit en sortir par quelques distractions, elle y rentre aussi paisiblement et confidemment, comme si elle n’en eût jamais sortie... [327] Se portant donc ainsi avec les ailes d’un souvenir simple, et d’un amour pur vers Dieu leur unique objet, comme si elles n’avaient que cela à faire et à voir, elles y découvrent tout ce qui se passe et s’élève de tumultueux en elles-mêmes, pour le calmer aussitôt, ni plus ni moins qu’en voyant dans un miroir les tâches et les difformités de leur visage... Cette voie de l’âme fait un bruit silencieux comme le murmure confus des eaux, et le son de Dieu sublime, parce que tout ce qu’elle voit par pensée et qu’elle reçoit de l’amour de Dieu (qui sont les deux ailes qui l’élèvent) n’est rien de distinct par autre attribut particulier ; ainsi Dieu parlant de soi-même à Moïse, ne lui dit-il pas : “Je suis qui suis”, sans dire quel qu’il était. C’est aussi le même langage de l’Épouse parlant de son Époux : “mon Bien-aimé est à moi et moi à lui”, sans spécifier quel est le Bien-aimé, ni quel est est la Bien-aimée, pour donner à entendre qu’il est tout son bien, toute sorte  [330] de perfections…605. »

L’Exercice des trois cloux… sont « conformité, uniformité, et déiformité606  », et non pas quelque dévotion imaginative comme pouvait le faire croire le titre de l’œuvre dont nous avons indiqué dans la note bibliographique l’origine fortuite. Il s’agit de l’expérience très concrète d’une transformation dans la vie, que l’on ne peut se cacher607 :

« [195] Nous expérimenterons en nous-mêmes de si grands changements intérieurs et extérieurs, que nous ne les croirions pas, si le nous ne les voyons de nos propres yeux, mais par des effets quasi inconcevables de la sainte opération de l’esprit de Dieu en nous, comme de paix sans plus d’inquiétudes… »

On retrouve la fonte de la volonté en Dieu, conformité qui donne la paix si recherchée :

« Notre volonté étant fondue par le feu du divin amour, elle s’écoulera tout en Dieu, pour n’avoir plus et ne ressentir plus qu’un seul vouloir, semblable à celui de Dieu et par ce moyen plus divin ; que tous nos désirs et souhaits seront accomplis, d’où nécessairement s’ensuivra la paix ; car le plus grand ennemi d’icelle, qui est notre propre volonté, étant surmonté, et lui ayant fait jeter les armes par terre, toutes les guerres viendront à cesser, tant les inquiétudes d’esprit que les perturbations de cœur, causées [214] par les dérèglements de la propre volonté en soi...

« Renoncez aussi à tous les choix et élections de vos raisons humaines et propre jugement : encore que très bonnes et très saintes, qui ne font que tyranniser votre pauvre cœur et le désunir de Dieu : c’est pourquoi anéantissez toutes les vues et lumières de votre esprit, encore que très justes et raisonnables, qui vous troublent et inquiètent, et divisent votre cœur de l’unité, pour vous rendre en tout [225] uniformes par la lumière de la foi, afin de dissiper toutes les multiplicités et de vous faire reposer non plus en votre plaisir, mais seulement en celui de Dieu en l’état où vous êtes.

Puis l’abandon conduit à « voir toutes choses en Dieu », nous déiformant :

« Ne faisant quasi plus rien de nous-mêmes, comme si nous étions [253] dans l’impuissance : nous devons voir Dieu en toutes choses, ou plutôt toutes choses en Dieu,... Cette fidèle pratique nous rendra toujours déiforme, c’est-à-dire qu’elle transformera nos actions humaines en divines […]

« Ici notre conversion doit [317] être ferme, notre récollection stable, notre introversion continuelle, notre paix très grande, et notre tranquillité très simple : pour ce que nous commençons à entrer dans « calvaire, d’où elle ne doit plus rien respirer que l’air du paradis, et aspirer, et soupirer de vivre dans la pureté de l’esprit, en paix et silence, au-dessus de tous les troubles et inquiétudes de la nature, et là aimer Dieu sans moyen. »


Il affirme nettement la possibilité d’une union divine en utilisant subtilement l’image classique du miroir :

« L’union est toute spirituelle... lui fait trouver Dieu partout, même dans les plus grandes souffrances : avec l’épouse, elle en jouit comme d’un beau lys entre les ronces des tribulations.

« C’est la pratique de la déiformité, où Dieu par l’abondance de ses grâces, dissipe tous les empêchements et anéantit tous les milieux et entre-deux de l’union de notre esprit pour nous unir à Lui : car par cette pratique, ne voulant rien, ne désirant rien, ayant tout quitté, n’ayant plus nulle propriété, notre âme sera comme un très beau miroir, dans laquelle se pourra former l’image des vertus de Jésus-Christ crucifié, et surtout de la charité. Or prenez garde, que pour former l’image dans le miroir, il doit être éloigné de l’objet pour la représenter au vrai, et voilà ce que l’âme fidèle fait par l’anéantissement sous les pieds de toutes les créatures : et c’est en ce temps que ce grand [465] Dieu par un amour de bienveillance, forme en cette âme l’image de sa toute-puissance, de sa bonté et de son amour... »

L’œuvre se termine par quelques conseils pratiques et un encouragement :

« [626]... Servez-vous des vertus et jamais ne servez les vertus...

« Chaque degré est divisé en quatre articles,... Le quatrième article est l’opération de Dieu ; et c’est lors qu’il vous donne l’assurance, par l’expérience de sa proximité, et qu’il vous regarde ; car ce regard amoureux sur vous, dissipe par un instant tout le mal [642] qui est en vous, pour vous remplir de tout bien... »

Martial eut un disciple capucin notable, Jean-François de Reims.

1635 Louis Lallemant (1588 - 1635).

La tension continuelle du jeune Louis pendant la durée de ses études jésuites durera chez celui qui “ne cherchant que Dieu seul… exerçait sur lui-même une continuelle surveillance608”. Il devint formateur spirituel comme maître des novices à Rouen, de 1622 à 1626 puis, après la grande peste des années 1628 à 1630, de 1628 à 1631. Épuisé, il vivra encore quatre années à Bourges609. Ce totus mysticus fut critiqué par le jésuite Coton et d’autres610. Ses conférences recueillies par Rigoleuc (1596-1628) sont devenues une célèbre Doctrine spirituelle à travers l’assemblage par Champion (1633-1701) qui fait également appel à des notes prises par Surin611 :

Tout ce que le Père Rigoleuc a recueilli des instructions de son directeur, le Père Lallemant, touchant la vie spirituelle, se peut réduire à sept principes savoir : la vue de la fin, l’idée de la perfection, la pureté de cœur, la docilité à la conduite du Saint-Esprit, le recueillement ou la vie intérieure, l’union avec Notre Seigneur, et l’ordre ou les degrés de la vie spirituelle612.”

Lallemant propose une voie d’héroïsme. Des missionnaires furent proposés en exemple à travers toute la France. Jogues dont les oreilles avaient été coupées par les Indiens en fit le tour, puis son retour en Nouvelle-France fut suivi du martyre final. Marie de l’Incarnation témoigne en 1647 :

C’est la rupture de la paix par les perfides Hiroquois, d’où s’est ensuivie la mort d’un grand nombre de François et de Sauvages Chrétiens, et sur tout du Révérend Père Jogues.... Cette troupe affligée fut conduite au pais des Hiroquois, où elle fut reçue à la manière des prisonniers de guerre, c’est à dire avec une salve de coups de bâton et des tisons ardens dont on leur perçoit les cotez. On éleva deux grands échaffauts l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes…” L’année suivante voit “le martyre des Révérends Pères Jean de Brébeuf, et Gabriel Lallemant…”613. »

 Louis Lallemant chercha à être envoyé au Canada où périra son frère. Il « voulait être un vrai pauvre », et il décrit la vie spirituelle d’après son expérience de l’entretien avec Dieu. Il appelait l’oraison « sa félicité sur la terre » et « y passait même quelquefois la nuit plusieurs heures qu’il dérobait au sommeil » . Il insiste sur la pureté de cœur plutôt que l’exercice ascétique des vertus614 :

« La voie la plus courte et la plus sûre pour arriver à la per­fection, c’est de nous étudier à la pureté de cœur, plutôt qu’à l’exercice des vertus, parce que Dieu est prêt à nous faire toutes sortes de grâces, pourvu que nous n’y mettions point d’obstacle. Or, c’est en purifiant notre cœur que nous retran­chons ce qui empêche l’opération de Dieu. De sorte que, les empêchements étant ôtés, il n’est pas concevable combien Dieu opère en l’âme d’admirables effets ... Entre tous les exercices de la vie spirituelle, il n’y en a point à quoi le démon s’oppose plus qu’à l’étude de la pureté de cœur. Il nous laissera faire quelques actes extérieurs de vertu, nous accuser en public de nos fautes, servir à la cuisine, aller aux hôpitaux et aux prisons, parce que nous nous con­tentons quelquefois en cela, et que cela sert à nous flatter et à empêcher les remords intérieurs de la conscience ; mais il ne peut souffrir que nous jetions les yeux sur notre cœur, que nous en examinions les désordres et que nous nous appliquions à les corriger. Notre cœur même ne fuit rien tant que cette recherche et cette cure qui lui fait voir et sentir ses misères. Toutes nos puissances sont infiniment déréglées, et nous n’aimons point [142] à en connaître les dérèglements, parce que cette connaissance nous humilie. » 

Considérez Dieu seul :

« Les personnes éclairées des vraies lumières ne portent leur affection qu’à Dieu, ne s’attachant pas même aux choses les plus saintes. Si Dieu leur donne quelque bon sentiment, ils le reçoivent avec action de grâce et abnégation, se gardant bien de prendre le change en recevant d’autres pensées que le démon tâche subtilement de leur suggérer. Et quand ce sentiment de Dieu est passé, ils ne s’y attachent plus et ne s’efforcent point de le retenir plus longtemps que Dieu ne veut. Ils ne se pro­posent point de rappeler la cause ou l’occasion qui l’avait [158] excité, comme de faire encore les mêmes exercices, la même oraison, la même lecture, à dessein d’avoir un pareil sentiment ; mais ils passent outre, marchant toujours dans une entière nudité d’esprit. »

Abandonnez-vous à la gouverne de l’Esprit-Saint :

« Le but où nous devons aspirer, après que nous nous serons longtemps exercés dans la pureté de cœur, c’est d’être telle­ment possédés et gouvernés par le Saint-Esprit, que ce soit lui seul qui conduise toutes nos puissances et tous nos sens, et qui règle tous nos mouvements intérieurs et extérieurs, et que nous nous abandonnions nous-mêmes entièrement, par un renonce­ment spirituel de nos volontés et de nos propres satisfactions. Ainsi nous ne vivrons plus en nous-mêmes, mais en Jésus-­Christ, par une fidèle correspondance aux opérations de son divin esprit, et par un parfait assujettissement de toutes nos rébellions au pouvoir de sa grâce. [177]. 

Finalement l’abandon mène à la joie et à la « victoire sans combat » :

« Ceux qui tendent à la perfection par la voie des pratiques et des actes méthodiques, sans s’abandonner entièrement à la conduite du Saint-Esprit, n’ont jamais cette douceur et comme cette maturité de la vertu ; ils sentent toujours de la difficulté et des répugnances, ils ont toujours à combattre, et souvent sont vaincus et font des fautes, au lieu que ceux qui marchent sous la direction du Saint-Esprit dans la voie du recueillement [233] simple, pratiquent le bien avec une ferveur et une joie digne du Saint-Esprit, et, sans combat, remportent de glorieuses victoires, ou, s’il faut combattre, ils le font avec plaisir. »

Il insistait sur la pureté de cœur plutôt que sur les pratiques ascétiques. Tout doit être orienté vers Dieu seul : « Les personnes éclairées des vraies lumières ne portent leur affection qu’à Dieu, ne s’attachant pas même aux choses les plus saintes615 ».




1636 Jean de Saint-Samson (1571 - 1636).

Multiples réformes.

Le Carmel a connu de nombreuses réformes tout au long de son histoire 616. En France, à la sortie des guerres de religion, la plupart des couvents ont besoin d’être réformés. Deux réformes prennent place simultanément, l’une détachée de l’ancien courant carme tandis que l’autre tente de prendre place en son sein. La première, féminine, mise en place sous l’impulsion de Madame Acarie 1re Marie de l’Incarnation, est issue de la réforme espagnole par l’intermédiaire d’Anne de Saint-Barthélémy, la sœur converse qui accompagnait Thérèse dans ses voyages, et par celui d’Anne de Jésus, la dédicataire du Cantique spirituel de Jean de la Croix. Le bref séjour des mères espagnoles sera fructueux, en particulier grâce à Madeleine de Saint-Joseph (1578-1637), maîtresse profondément intérieure des novices, qui assurèrent par la suite de nombreuses fondations. La seconde, masculine, simultanée, naît en Bretagne, où Philippe Thibault réforme le couvent de Rennes, rattaché à la province de Touraine. Le renouveau s’étend, mais ne se sépare pas de l’ancien carmel malgré des tensions à Angers, Ploermel, etc. Cette seconde réforme est indépendante, même si une influence des déchaux est prouvée en ce qui concerne les pratiques617.

Philippe Thibault fait venir la future « âme de la réforme de Touraine », Jean de Saint-Samson (1571-1636). Ce dernier forme les novices qui continueront son œuvre, toute intérieure, dans certains couvents Carme. Il apparaît ainsi comme le symétrique masculin d’une Madeleine de Saint-Joseph, si active comme maîtresse des novices du premier couvent de carmélites de la réforme venant d’Espagne. Puis on oubliera ce maître spirituel pour plusieurs raisons : dès les années 1640 naît une méfiance qui provoquera le « crépuscule des mystiques » à la fin du dix-septième siècle ; son disciple Maur de l’Enfant-Jésus, qui dirigea un temps la jeune Madame Guyon, serait-il quiétiste ? Un affadissement de l’élan intérieur accompagne la fusion de la réforme dans le corps des « grands carmes » ; enfin ces derniers  disparaissent de France à la fin du dix-huitième siècle.

Par chance, de très nombreux manuscrits ont survécu. La renaissance de l’intérêt pour la mystique d’expression française depuis Bremond s’est accompagnée de la redécouverte de Jean de Saint-Samson618, puis d’un début de l’édition de l’important corpus de « dictées » de l’aveugle à ses disciples, dont seule une partie profondément modifiée figurait dans les éditions anciennes619. Ce que Jean a dicté n’est pas d’une lecture très facile, mais « le plus profond des mystiques français620 » mérite l’effort requis621.

La vie d’un frère convers aveugle.

Jean du Moulin, fils d’un contrôleur des tailles, fut baptisé le 30 décembre 1571. Une intervention malheureuse  causa sa cécité, suite à la maladie de la variole contractée à l’âge de trois ans. Aussi « on lui fit apprendre la musique et le jeu des instruments en perfection, spécialement celui de l’orgue, qu’il touchait fort adroitement dès l’âge de douze ans. Il fit quelques années cet office en l’église de saint Dominique de Sens et était toujours appelé aux concerts de musique qui se faisaient aux solennités extraordinaires622. » 

Quittant Sens pour Paris, en 1593 ou 1594, il alla demeu­rer chez son frère marié Jean‑Baptiste pendant quatre ou cinq ans, près de Saint Eustache. Mais après la mort de ses proches vint la misère : « Le serviteur de Dieu demeurait cependant dans une église toujours à genoux, et en oraison devant le très saint sacrement de l’autel, et souffrait beaucoup de faim, de soif et autres incommodités623 ». On dispose d’une abondance de faits très vivants illustrant la dureté de la vie de l’infirme624.

L’église de Saint Eustache était attachée au grand couvent des Carmes de la place Maubert : un certain jour, en la fête de Sainte Agnès de l’année 1604, Jean demanda la permission au jeune frère Mathieu Pinault « de tou­cher l’orgue » à la grand-messe. Cette rencontre fut le début d’une amitié profonde et durable.

« Depuis je le conviais de venir à l’orgue avec moi toutes les fois que je jouais de l’orgue. En devisant avec moi il me demandait si j’avais des livres spirituels, et lui ayant dit qu’entre autres j’avais les œuvres de Nervèze, il me persuada de les quitter et m’en rendit d’autres comme Arias, Grenade625, et me pria de lui donner quelque temps pour lui lire des livres qu’il m’apportait comme les divines institutions de Thaulere, la Théologie mystique de Harphius, Rubroche, la Perle évangélique, le Jardin spirituel des contemplatifs de Mr. Deschamps626. »

 La lecture journalière était devenue très vite une rencontre de prière et de méditation et un cercle spirituel se constitua au couvent de la place Maubert.

« [Jean] exhorta lors pareillement le père Philippe Thibault religieux de la même province à se mettre de la partie [en vue d’établir la réforme] ; l’assurant qu’il y pouvait beaucoup... Il lui dit ces paroles avec tant d’énergie et d’efficace, qu’elles frappèrent au cœur du père Thibault comme un coup de foudre, et y demeurèrent désormais très profondément gravées, comme il a depuis souvent avisé au père Mathieu [Pinault]627. »

Finalement, en 1606, alors que Jean parlait avec Mathieu Pinault des desseins de celui‑ci, il lui dit au dépourvu : « Dieu m’appelle efficacement pour être religieux en votre convent de Dol.628 » Le jeune frère Mathieu n’y voyait que toutes sortes de difficultés, mais ce couvent l’accepta quoiqu’âgé de trente-cinq ans et malgré sa cécité, mais dans la situation la plus humble de frère lai.

Les épreuves furent abondantes dans la vie du nouveau carme. Jean était souvent malade. Le bâtiment était fort misérable et délabré, il n’y avait pas d’infirmerie, les cloisons des cellules du dortoir n’étaient faites que « d’ais fort mal assemblez, où les vents entraient de toutes parts. » Jean préférait la solitude et le recueillement de la prière : « dans l’hiver on l’a vu souvent à l’abri de quelque muraille, et aux rayons du Soleil, trembler sa fièvre assis sur un buis du jardin. » Jean de Saint‑Samson avait appris une prière pour guérir les fiévreux. Cette pratique le mit en relation avec l’évêque de Dol qui, après une enquête, fut acquis à la cause du frère et le fréquenta régulièrement jusqu’à la fin de sa vie629. Un événement nous révèle la pleine grandeur du frère :

La ville de Dol et le couvent des Carmes furent atteints de la peste. Un carme mourut en peu de jours et un novice fut atteint par la contagion. Pris de panique, la communauté entière et le prieur s’enfuirent hors du couvent. Le soin du malade fut confié au jeune frère Olivier et à un séculier. Jean de Saint­-Samson s’était déterminé à tenir ferme et à s’engager pour si peu que cela lui serait possible. Malgré son infirmité et son peu d’expérience, il se mit à leur service pour soigner le malade. Un jour, celui‑ci fut atteint d’un accès de folie furieuse et voulut se précipiter par la fenêtre du dortoir. Alerté par un pressentiment, ou par une lumière divine selon l’interprétation du Père Dona­tien, Jean «  sort à même temps de sa chambre, va directement vers ce frénétique au lieu du précipice, le saisit, et l’empêche de se jeter. Le tenant, il appelle les deux autres, qui pour la crainte du mal s’écartaient au bas du jardin, fit remettre ce pauvre malade en son lit, et demeura toujours auprès de lui, sans aucune  appréhension de la maladie, priant Dieu qu’il lui rendît son bon sens, afin de pouvoir mourir dans les dispositions de sa grâce. Notre Seigneur octroya 1’un et l’autre à ses prières. Car au même instant l’usage de la raison lui revint... » Jean de Saint‑Samson finit par contracter lui‑même la maladie à laquelle il s’était exposé volontairement pour l’amour de ses frères malades et agonisants. Les conséquences en demeurèrent limitées, quoiqu’il ait été transféré pendant quelque temps « au champ saint Jammes, lieu destiné pour la retraite et pour le défairement des pestiférés. » Jean y continuait sans relâche ses œuvres charitables. Ces expériences péni­bles face à un mal impitoyable, à la défaillance totale de la médecine et à la peur obsédante de la contagion, l’amenèrent à un dépouillement entier de son intérêt propre et à une disponibilité sans réserve630.

Jean de Saint‑Samson fit profession, âgé de plus de trente-cinq ans, le 26 juin 1607. Philippe Thibault et Mathieu Pinault, les deux réformateurs, dès leur arrivée définitive à Rennes en novembre 1608, essayèrent d’obtenir du Père Provincial le transfert du frère Jean à leur couvent, mais il leur fallut attendre quatre années, la communauté de Dol s’y opposant. Puis « les supérieurs de Rennes s’efforcèrent d’inventer de rudes épreuves pour mesurer la trempe de son âme et découvrir le fond de son cœur. ... Jean ne pouvait littéralement plus suivre les prescriptions de la méditation méthodique... Philippe l’invita à exposer par écrit son exercice d’entière élévation d’esprit. ... Étant donné que le contenu de ces quelques pages, de l’avis de tous, était bon et admirable, les chefs de file de la réforme n’hésitèrent plus à destiner le simple frère au rôle important de maître spirituel de plusieurs générations de jeunes carmes... Mathieu Pinault, le maître des novices... prit l’initiative quelque peu curieuse d’envoyer chez lui les jeunes gens les plus doués pour une courte visite631. »

Il donnait probablement un « enseignement » par la prière, comme il en avait été de même pour les proches d’un Philippe de Néri. De la sorte, Jean devenait le maître spirituel de la réforme, sans méditation méthodique. Cependant, on trouve un exposé gradué de l’oraison aspirative, inspiré de Herp632 :

« Quatre manières d’exercices ; qui sont comme quatre marteaux, avec lesquels on heurte fortement à la porte de Dieu, afin de pouvoir entrer en Lui selon son total. … La première [manière] est d’offrir à Dieu soi-même et tout le créé… La seconde de demander ses dons en Lui et pour Lui-même. La troisième est de se conformer à Lui par une pleine et entière conformité de tout soi, très haute, très parfaite et très amoureuse… La quatrième est s’unir… »

Jean demeura à Rennes jusqu’à sa mort633, qui arriva à un âge assez avancé, à près de soixante-cinq ans : «Pendant ces longues années, il n’aimait guère franchir le seuil du couvent, à moins que ce ne fût pour rendre visite à une personne malade ou agonisante. ... À la fin de sa vie, il demanda même son transfert... pour y être en solitude totale. Il tenait pourtant sa fenêtre grande ouverte pour les oiseaux qui passaient la nuit dans sa chambre. ... Il ne voulut jamais admettre que sa paillasse soit remplacée par un matelas... Il mourut le dimanche 14 septembre [1636], en la fête de l’Exaltation de la Croix. Ce jour était l’anniversaire de la mort de Catherine de Gênes, la mystique italienne fort estimée de Jean de Saint‑Samson à cause de la ressem­blance de leur expérience mystique634.»

Le sentier de l’amour divin.

On peut comparer le trésor mystique à un joyau unique se manifestant à travers diverses facettes. Elles correspondent à des thèmes qui ne sont isolés que pour la commodité de notre exposition composée à partir des « dits » de Jean de Saint-Samson. Le titre de l’œuvre de Constantin de Barbanson, qui influa sur Jean de Saint-Samson, souligne le caractère à la fois imprévisible et contraignant du sentier dont le parcours dure de nombreuses années, la vie étant donnée pour cela. Trouver son entrée, puis le suivre, suppose de perdre ses certitudes pour se laisser conduire. Mais :

L’homme... ne se sert de sa raison que pour les choses sensibles... S’il monte plus haut que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie d’entendement, et croit que toute sa sainteté doit consister en la forte élévation et dans le lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. ... Il ne veut point aller là où il ne sait pas, ni s’exposer à se perdre et s’abandonner à la conduite de Dieu635.

Le chemin est pénible parce qu’il doit se conformer à une hiérarchie propre à notre nature, en la  remontant couche après couche : « Si on lui ôte un objet sensible, elle [la nature] a recours à un objet de l’esprit. Si on lui ôte ceux de l’esprit, elle cherchera sa propre satisfaction en Dieu même… » (R 64C)  Tour à tour sont éprouvés amour divin  :

«Combien de fois, ô mon amour, ai-je eu sujet dans l’abondance de vos communications divines, de vous prier de vous enfuir hâtivement de moi si vous ne vouliez me voir mourir de joie et d’amour, présentement à vos yeux?636.»

ou cheminement obscur :

«Notre Seigneur lui voulant faire goûter l’amertume de Sa croix, le priva de toutes ces grâces sensibles. Et afin d’éprouver, épurer et affermir sa vertu et sa fidélité, le mit en un état très nu, très délaissé, très obscur et très misérable selon le sens, qui lui dura même plusieurs années sans autre consolation. De sorte qu’il lui semblait pendant tout ce temps-là être abandonné et réprouvé de Dieu637.»

Ces états éprouvés tout à tour cassent le rigide amour propre. Enfin « nos voies doivent être si perdues que personne n’en voit ni trace ni sentier638 » et seul reste nécessaire l’élan de tout l’être pour atteindre un état d’union simple :

«Il n’avait souvent rien autre chose à dire en confession, sinon “qu’il n’avait pas tendu à Dieu à l’infini et de toutes ses forces en son attention”, donnant pour précision : “l’infini... c’est l’arrêt et fermeté de toutes les puissances recueillies, fondues, réduites et entièrement perdues en l’unité divine, par-dessus tout esprit et fond639.

L’action divine à travers l’homme peut alors prendre place : “Aimer sans amour, aimer au-dessus de l’amour [sensible]640.” Avant cela, par une continuelle et attentive mort de lui-même, le mystique doit plonger de plus en plus en son fond, “sans grand effort du sens”, seulement du plus profond du cœur et du plus intime de l’esprit641. Qu’il ne se satisfasse point d’un désir de posséder Dieu plus pour lui que pour Lui-même ! En fait, plus le sujet “s’abîme et se perd au total de son infinie vastité642, tant moins il s’aperçoit de cette opération simple et cachée643.” Il ne lui reste qu’à :

“… s’armer de force de patience et de constance pour ne varier jamais ni à droite ni à gauche... se sentir toute vide et destituée de lui et totalement insipide en ses sentiments. C’est en ceci que consiste la fidélité... et non dans les grandes connaissances... visions et ravissements de l’entendement humain. ... Cela n’arrive qu’afin que les âmes ne se satisfassent point elles-mêmes d’un désir glouton et affamé de posséder Dieu plus pour elles que pour Lui-même644.”

Voilà comment on monte l’escalier d’amour divin, car “celui qui a tout reçu doit toujours tout, à chaque moment645.” Ses voies sont la solitude, être totalement impuissant à sa délivrance, mais aussi satisfaire pleinement à Dieu avec joie, en abhorrant la tristesse.

Tout cela est aisé à dire, malaisé à faire, difficile à endurer, très difficile à surmonter. Car il faut demeurer stable, ferme et immobile au dedans de l’esprit, en simple repos, par-dessus l’action et l’intention... et cela éternellement, parce que l’on croit ne devoir jamais vivre autrement et que cet aimable époux ne doit jamais retourner... C’est ici que l’industrie humaine est épuisée646 .”

Pour un abandon  véritable, nous devons être “totalement reçus et fondus647” :

Être entièrement enseveli comme mort, c’est encore un tout autre état, et puis être pourri et corrompu, et de la pourriture être rédigé en cendre, ce sont encore d’autres états plus proches du rien. Mais le même rien n’est rien. Il faut que le Mystique avise soigneusement lequel de tous ces états lui convient, afin que sans s’arrêter, il tende toujours à plus, non selon la pure spéculation, ce qui serait tôt fait, mais en véritable pratique dans les occasions, qui ne lui manqueront jamais, et avec ordre et discrétion. C’est un œuvre d’un siècle, à dire la vérité648.

Soyons ‘circonspects à ne se point chercher finement, en faisant sa proie de la mort du sens. [L’âme] doit vivre là toute perdue à elle-même, sans science ni vue de ce que nous sommes649 ’. Cependant la ‘subtile et perdue théorie et pratique des mystiques est inconnue à tout autre qu’à eux-mêmes et cependant ils voient tout, du fond de leur abîme650 ’ :

Pour arriver heureusement à cette transfusion en Dieu, il faut que toute la créature soit perdue à son vivre, à son sentir, à son savoir, à son pouvoir, et à son mourir... il n’y a plus en cet état d’acte de réflexion, et l’âme est hors de puissance de le faire. Toutefois le franc arbitre demeure en sa pleine et entière vigueur. En ceci il y a infiniment de quoi s’émerveiller et admirer la force de l’amoureuse activité de Dieu à fondre et convertir totalement en soi, ceux qui lui ont voulu, sans réserve, répondre de tout soi, tant en la vie qu’en la mort651.’

Au reste dans cet abîme on ne voit ni fond ni déité : tout y est englouti sans ressource et il ravit incessamment tout l’homme sans distinction ni différence. C’est ici qu’il n’y a ni amour, ni vertu, ni charité. Et toutefois c’est d’ici que la charité, l’amour et les vertus sortent à leurs effets quand et autant qu’il le faut, sans perception ni distinction. Ce qui n’est point ne peut avoir de nom; non par privation d’être, mais parce qu’on est englouti dans l’unique et suréminent être qui va remplissant tout être du sien652.’ 

Les vertus ne doivent jamais être distinguées ni séparées de l’amour, sinon dans leur action qui sort et paraît aux hommes. Il s’agit de parvenir au feu de l’amour divin, lequel les dévorera et les engloutira, pour les transformer en soi :

L’amour et l’humilité leur ôtent [aux mystiques] toute réflexion, les occupants et les perdants toujours de plus en plus en Dieu, où ils sont et vivent sans distinction ni discernement de ce qu’ils font ou ne font pas. Ainsi ils vaquent incessamment au devoir de l’amour réciproque, sans croire ni penser qu’ils y satisfassent, sinon de fort loin et chétivement653.’ 

Le divin soleil de justice ne manque point de produire les effets de Son amour dans les hommes, aux uns plus tard et aux autres plus tôt et en un différent degré, selon qu’Il trouve la terre de leur cœur diversement disposé à cela par la grâce ; la saveur et l’expérience que nous avons de cette vérité, nous est très délicieuse ; en cette manière nous pénétrons tous les effets de cet amour produit dans les hommes, leur découvrant sa beauté et ses vives splendeurs afin de les rendre parfaitement amoureux de Lui-même654.’

Là où il y a de la raison pour aimer, l’amour n’est point : d’autant que l’amour est suffisant de soi-même pour tirer et ravir en unité d’esprit tout le sujet qu’il anime655.’ 

Pour ne pas multiplier des citations courtes nous associons en une mosaïque certains fragments en les modifiant légèrement : vous voyez votre petitesse dans la grandeur divine qui vous inonde, et dans Son tout votre rien656; cet exercice d’amour unit souverainement et de plus en plus à l’objet très simple et infini ; éclairant ceux avec qui les âmes ont à traiter, agissant, pâtissant et se comportant comme un flambeau lumineux enfermé en un corps transparent pour l’illumination d’autrui657. Il s’agit de tenir ce cœur ardemment et continuellement brûlant au feu du même amour, afin que là-dessus tous les manquements et défauts, qui sont de pure infirmité, soient en un moment consommés et réduits à rien. Ainsi le seul amour demeurera maître de la place658.

Cet état consiste en une élévation d’esprit par-dessus tout objet sensible et créé ; par laquelle on est fixement arrêté au dedans de soi, regardant stablement Dieu, qui tire l’âme en simple unité et nudité d’esprit ... La constitution de celui qui est en cet état est simple, nue, obscure et sans science de Dieu même... Car là, tout ce qui est sensible, spécifique, et créé est fondu en unité d’esprit, ou plutôt en simplicité... Alors les puissances sont fixement arrêtées au-dedans, toutes attentives à fixement regarder Dieu... Et plus cela est ignoré du patient, tant mieux pour la profondeur et l’excellence de cet état.... ni créé ni créature, ni science ni ignorance, ni tout ni rien, ni terme ni nom... ni différence de temps... tout cela est perdu et fondu en cet obscur brouillard, lequel Dieu fait lui-même, se complaisant ainsi dans les âmes... Là elle doit continuellement être attentive à ne se point laisser occuper des objets naturels et spirituels, qui sourdent presque continuellement, quoique très simplement, de la puissance raisonnable : et à n’écouter point la nature, qui la sollicite continuellement à connaître et à sentir son état et à réfléchir sur ce qu’elle voit et ce qu’elle est. Car la nature veut toujours secrètement avoir quelque objet à quoi elle s’attache... qu’elle réponde uniquement et toujours... par la simple et totale attention, en l’essence abyssale de Dieu659.”

Plus que Dieu, au-delà de Dieu”, etc. paraissent des expressions rudes. Mais parce qu’on ne voit ni terme, ni nom pour répondre à ce dont on se sent et on se voit tout embrasé, on se réduit et on s’exprime comme on peut660. Celui qui à force de mourir et fluer continuellement en Dieu est devenu simple, demeure comme impuissant à réfléchir. Il demeure stable et arrêté en son repos, ne désirant sortir de là sinon lorsque Dieu l’en tire. Et lors il sort sans sortir, pratiquant ce qu’il doit faire, libre et sans empêchement, afin de rentrer selon son total au plus profond de son désert solitaire.  Ces personnes sont vues comme fleuve regorgeant d’amour, de lumière, de saveur et de délices ineffables661.  Les formes et le vocable même d’amour s’anéantissent. Car alors le sujet se trouve heureusement transformé au feu de Dieu662. Rien de ceci ne rejaillit plus dans les sens ; et il est de nécessité que l’âme soit établie et confirmée en une très grande et très simple force d’esprit, qui l’arrête et constitue fermement et immobilement en son objet ; afin que Dieu vive en elle comme sans elle663. »

«Alors l’amour n’a plus d’être, de vie, ni d’opération comme pour elle, mais désormais son infini objet qui est Dieu, vit, agit, et pâtit en elle en tout sens et manière, et en tous événements. L’âme dis-je, en cet état ne vit que de la vie, et en la propre vie de Dieu. Elle a atteint sa similitude avec Dieu par-dessus la même similitude; elle a atteint son image et son exemplaire en son propre fond originaire, et elle est entièrement transfuse en son immense amplitude, par-dessus toute démonstration possible. ... Pour donc faire vivre Dieu en nous, il faut que nous mourions totalement; et comme cela ne doit et ne peut être naturellement devant le temps de notre dissolution, il faut que nous mourions en la foi et la créance du rien de toutes choses, et de nous-mêmes au respect de Dieu664. ... Celui donc qui affecte seulement les formes et intelligences du haut et du profond, si mystique qu’il puisse être, n’est pas capable de notre présent flux et écoulement et ne sait ce que nous disons665.»

Voici un extrait qui rend compte du style d’un important manuscrit demeuré inédit666.:

« … le flux de la créature en Dieu procède de son industrie pure plus ou moins vivement touchée de Dieu, pour pouvoir appréhender Dieu petit à petit et le connaître en ses effets, tant en la créature que dehors d’elle aux autres.... … la créature se sent outrée et ponctuée des vifs attraits de Dieu, à la suite desquels elle sort par divers degrés et par diverse succession d’ordre et de temps d’elle-même et des choses créées et entre par amour et dépouillement de soi plus ou moins avant en Dieu. ... Mais il est tout au contraire de ceux qui tirent Dieu à eux à la manière des écoliers, lesquels par efforts de spéculation naturelle l’accommodent à leurs sens et leurs goûts, duquel se sentant sensiblement et naturellement délectés, il leur semble par cela s’approcher grandement de Lui, et avoir sous grande connaissance et grand goût de Lui, ce qui n’est qu’affection et sentiment purement naturel. Lesquels se trouvant doctes par la science acquise, ils étendent le discours et leurs voies en cela le plus largement et le plus loin qu’ils peuvent, de sorte que leur ponctuation n’est que pure théologie d’école, étudiée [f ° 2v °] plus ou moins facilement digérée par spéculation, purement humaine. Et comme ils ont lu quelques mystiques, ils en mêlent quelquefois des mots en leur digestion ; si qu’à cette occasion on peut dire que leurs discours en délivrent plus ou moins appuyé, mélangée et ornée de quelques petits filets d’or, ou si on veut, frotté d’un peu de miel....

« [Au contraire] la sapience est infuse de Dieu dans les cœurs simples qui s’occupent simplement en des sujets affectueux, laquelle les unit et les recueille en vérité par-dessus toutes multiplicités de recherches d’école, les pénétrant d’une saveur divine qui ne convient qu’à Dieu qui la verse expressément pour rendre semblables [les] âmes amoureuses de lui par l’infusion de ses lumières et de ses goûts. À quoi l’âme étant fidèle, elle continue de poursuivre Dieu par son attrayant rayon délicieux par-dessus tout ce qui se peut penser, quoique cela se fasse par diversités de voies en toutes lesquelles Dieu tient nécessairement cet ordre. [f. 3] Ce que se continuant ainsi, les âmes font progrès en la connaissance de Dieu, d’elles-mêmes,... elles en deviennent doctes en l’art de la science d’aimer Dieu, auquel le très saint Esprit les instruit d’une ineffable manière pour étendre, pour pénétrer et pour surpasser toutes choses créées en elles-mêmes. Tels sont les vrais et solides effets de la divine sapience abondamment infuse aux âmes assez saintes. C’est pourquoi toutes leurs études et leurs soins n’est que de se rendre de plus en plus simples et uniques en leur occupation continuelle autour de Dieu.

«Là le vide est tout plein667.»

Le Traité de la Conduite spirituelle des novices ou Directoire à l’intention des jeunes carmes est un manuel qui suggère le vent de l’esprit qui soufflait sur les jeunes carmes rassemblés autour du mystique aveugle Jean de Saint-Samson. Ce directoire se distingue de nombreux manuels postérieurs écrits à l’intention des novices, dans lesquels toute ambition mystique disparut, peut-être par précaution. Il mérite donc d’être remis en honneur : son quatrième volume, « Méthode claire et facile pour bien faire l’oraison et pour s’exercer avec fruit en la présence de Dieu », est d’un usage possible encore aujourd’hui668.


1638 Falconi (1596 - 1638)

Né d’un fonctionnaire royal en 1596 dans la province d’Almeria, Falconi entre dès 1611 au couvent madrilène de l’ordre de la Merci, à Madrid. Il suit les cours de théologie de l’université de Salamanque pendant quatre ans, reçoit le sacerdoce à Ségovie en 1619 (ou 1620), lieu où prend place sa « seconde conversion ». Il quitte l’enseignement en 1625 et s’attache au couvent de Madrid en se consacrant entièrement à la direction de conscience auprès des laïcs de la ville, de la Cour et dans les monastères. Il meurt, usé, en 1638 669.

Ses œuvres parurent presque toutes après sa mort. Falconi est traduit en français670. Son premier ouvrage est le Traité des miséricordes de Dieu, datant de sa « seconde conversion » : « Par grâce, vous me donnez la grâce, car je ne puis faire des œuvres qui la méritent. » La vie de Dieu incompréhensible et divine est suivie de Notre pain de chaque jour destiné à un large public et qui conseille la communion quotidienne. Ses Œuvres pirituelles comportent le Livret pour savoir lire en Christ, Livre de vie éternelle où il propose l’oraison et se défend du reproche d’y attirer jusqu’aux porteurs d’eau, le Livret pour lire en Christ librement, le Chemin droit pour le ciel..., enfin huit Lettres, dont la première eut un grand retentissement : elle est partiellement reprise dans le Guide de Molinos et jointe à l’édition du Moyen court de madame Guyon671 ; elle a influencé le remarquable quiétiste et cardinal italien Petrucci (1636-1701).


« Cette Lettre du serviteur de Dieu… comporte un enseignement fort classique de foi en la présence divine, d’abandon et d’humilité :

« § 2. Établissez-vous bien en la présence de Dieu et comme c’est une vérité de la foi, que sa Majesté divine remplit tout de son essence, de sa présence, et de sa puissance, faites un acte intérieur de cette foi, et persuadez-vous fortement de cet importante vérité. Remettez-vous tout entière en ses paternelles mains ; abandonnez votre âme, votre vie, votre intérieur et votre extérieur à Sa très sainte volonté, afin qu’Il dispose de vous-même selon Son bon plaisir et Son service, dans le temps et dans l’éternité. Cela fait, demeurer en paix, en repos, et en silence ; comme une personne qui ne dispose plus de quoi que ce soit…

« Il devient plus personnel lorsqu’il recommande l’abandon de tout exercice intérieur ou mouvement propre empêchant l’action du Peintre divin lors de la contemplation qui prend la place de la méditation :

« … Ne pensez volontairement à aucune chose, quelque bonne et quelque sublime qu’elle puisse être.

« § 3. Gardez-vous bien de croire que cet état soit un état d’oisiveté.... ce qui s’exerce le plus hautement en cet état, c’est l’humilité ; puisque pendant qu’une personne n’a aucun sentiment de ce qu’elle fait, qu’au contraire il lui semble de qu’elle ne fait rien, ne pouvant voir ce qu’elle fait, elle s’humilie à plein fond. Elle confesse qu’elle n’est propre à quoi que ce soit, et que ce qu’elle a de bon vient de Dieu, sans qu’elle n’ait jamais mérité de le recevoir.

« § 4. C’est celle que le divin Maître nous enseigna dans le jardin, où pendant trois heures qu’il pria, toute son oraison ne fut que d’abandon à la volonté de son père.

« § 6. Il ne faut se mettre en oraison qu’afin que Dieu fasse de nous ce qui lui plaît... Tout autre exercice intérieur ne servirait qu’à troubler cette opération divine ; comme un peintre ne réussirait pas à faire le portrait d’une personne qui se remuerait sans cesse.

Il calme l’inquiétude qui naît lorsque la mémoire même est suspendue, citant l’autorité du maître de Thérèse :

« § 7. Le bienheureux Pierre d’Alcantara [dit :] : La parfaite oraison est celle où celui qui prie ne se souvient pas qu’il est actuellement en prière.

« § 10. Ainsi quand une fois vous vous êtes absolument mise entre les mains de notre Seigneur par un amoureux abandon, vous n’avez qu’à demeurer là : gardez-vous de l’inquiétude et des efforts qui tendent à faire de nouveaux actes, et ne vous amusez pas tant à redoubler vos affections sensibles : elles ne font qu’interrompre la pure simplicité de l’acte spirituel, que produit votre volonté. Ce qui est le plus important, c’est de n’ôter pas à Dieu ce que vous lui avez donné, en faisant quelque chose notable contre son divin bon plaisir.

Il ne faut donc pas s’efforcer de faire artificiellement le vide en soi en se substituant à une grâce divine qui ne se manifeste pas. Toutefois « vous n’avez qu’à demeurer là » peut être mal compris. Aussi Falconi revient-il sur l’oubli de soi en l’orientant vers Dieu :

« § 13. Oubliez-vous de vous-même. Videz-vous de tout ce qui est vôtre, afin que Dieu vous remplisse de lui ; puisque, comme disaient les pères du temps de Cassien : Où vous n’êtes pas, c’est là justement que Dieu se trouve.

L’Alphabet se rattache au genre des abécédarios dont Osuna est un auteur célèbre. Falconi répond aux problèmes de sécheresse de ses dirigés :

« Ne vous affligez point de ne pouvoir arrêter votre imagination en Dieu... Réjouissez-vous dans la créance que vous avez d’être en la présence de Dieu, et dites-lui : « Seigneur, ayez, s’il vous plaît, la bonté d’opérer en moi ce que je ne puis faire... » (146)

« Aussi rapporte-t-on de ce grand orateur Grégoire Lopez, que son oraison consistait à dire, « Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, Amen Jésus. » (268)… Mettez en Lui tous vos soins et soucis... Il n’a pas dit, abandonnez-lui telle ou telle diligence, mais tous vos soins généralement, de sorte qu’il ne vous reste plus aucun empressement ni inquiétude (280).

Car selon La Vie divine et incompréhensible de Dieu672 :

« Dieu est comme une mer immense, en laquelle et au-dedans de laquelle le Ciel, la Terre, l’Enfer, et tout le Monde, vivent et se conservent comme les poissons dedans la mer (331). Il est très intime et présent en toutes choses ; et cependant il n’y a point de chose laquelle nous nous arrêtions moins à considérer que Lui.... que Dieu est plus imbibé dans le monde, que le monde n’est en soi-même. … que c’est comme une éponge qui, jetée dans la mer et abreuvée d’eau au-dedans, et par dehors et de tous les côtés. (342)  Si Dieu n’avait pas produit quelque chose qui fut Dieu comme lui, son appétit serait toujours affamé. C’est pourquoi étant nécessaire que la production de Dieu le satisfasse pleinement, elle se doit terminer à une autre personne, qui soit comme de son espèce, et Dieu de même que Lui... nous l’appelons Fils… (410) »

Sa Méthode de perfection comporte trois étapes :

« (1) l’anéantissement, parfaite humilité de cœur (476)...

« (2) l’abnégation renoncement aux biens, dons naturels, dons de grâce et de vertu... comme choses qui ne sont point le souverain bien de notre âme,... que Dieu retirât Sa main de nous... renoncer à tout propre intérêt de sainteté et se donner en proie à Dieu pour disposer de nous à Sa plus grande gloire. (480) l’abnégation... envers le don souverain de la gloire et félicité éternelle... car il n’y a que Dieu qui doive s’attacher immédiatement  et inviolablement à Soi nos cœurs ; tout le reste doit être rapporté à Lui avec une intention si pure et si droite, que nous en devons rien aimer en nous…

« (3) la conformité... il faut bien se garder de penser y atteindre par notre soin et industrie... ainsi cet amour intéressé... renaîtrait  de sa propre ruine... il faudra donc aspirer à ce don de grâce avec une grande soumission et tranquillité d’esprit, ne désirant être parfait qu’autant qu’il plaira à Dieu (484). »

1639 Jeanne de Cambry (1581-1639)

Jeanne de Cambry mérite une place égale aux plus grands mystiques du siècle, mais son existence à l’écart des grands centres urbains, et le fait qu’elle adopta le mode très personnel de l’érémitisme, en voie de relative disparition dans les cités du XVIIe siècle catholique post-tridentin, car trop indépendant, a voilé son éclat. En fait, si son frère n’avait édité ses œuvres, cette figure aurait totalement disparue à nos yeux, selon la règle propre au vivier des mystiques : on en repêche seulement quelques-uns, Marie de l’Incarnation (du Canada) grâce à son son fils, Madame Guyon grâce à l’éditeur Poiret — ce qui suffit puisqu’ils répètent tous la même chose : amour divin premier, conformité, impuissance de la volonté propre…

Jeanne de Cambry est  représentative de l’érémitisme citadin proche de la vie béguinale (qui s’étiole à son époque, mais n’a pas encore disparue). Née à Douai en 1581, elle entre aux Augustines de Tournai à vingt-trois ans ; nous la retrouvons prieure de l’hôpital de Menin à quarante ans ; à quarante-quatre ans elle entre dans un  reclusoir contigu à l’église St André située dans un faubourg de Lille. Elle y meurt  en 1639 âgée de cinquante-huit ans673.

Recluse ayant formé autour d’elle un cercle de « chères âmes674 », elle s’adresse à des laïcs675 comme à des ermites676, et n’hésite pas à conseiller les directeurs677. Elle connaît Ruusbroec et Catherine de Gênes, outre des auteurs plus anciens. Un abrégé de sa vie fut écrit par son frère678. Ses ouvrages, que l’on trouve rassemblés en un fort volume rare paru à Tournai679, mériteraient d’être réédités. Elle exprime de façon fine et très personnelle la vie mystique conduisant à l’amour divin. L’onction qui s’en dégage est globale et s’accompagne d’une grande clarté ainsi que d’une grande paix. Des citations éparses trahissent une fois encore une œuvre dense dans laquelle on trouve des aperçus très originaux.

Dans le Petit exercice pour pouvoir acquérir l’amour de Dieu, elle Le pose présent en tout, ce qui peut faciliter un élan d’amour :

« Nous devons toujours penser que Dieu est partout, comme de vrai il est. Car il n’y a nulle créature, tant raisonnable qu’irraisonnable et insensible, que Dieu ne soit en chacune... soit que nous regardions en haut, soit que nous regardions en bas, soit que nous parlions à quelqu’un, nous devons toujours considérer comment Dieu est en telle créature : et quelquefois en tirer une affection d’amour, voyant que Dieu est ainsi toujours avec nous (12)... »

La recluse écoutant les offices de l’église Saint André propose une belle analogie musicale de l’unité harmonique dans la diversité des parties :

« Si c’est quelque musique, on peut considérer... la diversité des parties... des instruments... il semble qu’il y ait tant de différence les uns aux autres ; néanmoins tous font un si bel accord, qu’il semble que ce ne soit qu’un. Ce que nous peut représenter la gloire des bienheureux. (13) »

L’union est assurée par l’exercice de l’amour :

« Car l’amour de Dieu est Dieu même... (16) et lors notre Dieu par sa bonté reçoit notre volonté avec la sienne et les unit tellement par un lien d’amour et de grâce, que nous pouvons dire avec joie et extrême contentement : je ne puis plus faire ma volonté, mais celle de mon Dieu, parce que je n’en ai plus.... (17) Afin de ne nous figurer une totale union avec la divine, qui ne serait cependant qu’imaginaire et une semence de notre propre complaisance... toujours avec une allégresse d’esprit nous convient reconnaître notre pauvreté devant Dieu... »

On retrouve l’insistance de Ruusbroec  sur le contentement, l’allégresse, la joie et la liberté. Que nous fassions tout avec « joie d’esprit ; car c’est cette joie qui nous est très nécessaire. »

Le « Traité de la ruine de l’amour-propre680 » insiste dans son premier livre sur le tout faire par et en Dieu, et contre tout amour-propre :

« Notre intention doit être si droite que ne devons rien faire pour quelque respect (39) que ce soit... seulement pour l’amour de Dieu, parce que Dieu le mérite.

Un désir d’être consumé :

« Et même faut que notre intention soit que si Dieu nous mettait en enfer et qu’en cela Dieu fût glorifié, nous soyons plus contents en ce que Dieu soit glorifié en notre punition681 qu’en notre bien (39).

Est relativisé, car…

« ... il n’y a contemplation si haute, que l’âme ne voit clairement son néant. Car tant plus elle voit Dieu, tant plus elle voit son rien. Et en cette vue, n’y a nulle opération active (76).

Une intéressante précision est apportée  relative à la façon de prier en se tournant vers le seul divin  :

« … en la présence de Dieu, devons laisser toute forme et image corporelle de la personne pour qui nous prions, ni même réserver en notre imagination ou mémoire la diversité des personnes... (78) On peut en un moment prier avec telle efficace pour tout le monde, ne recevant en soi aucune impression pour la multiplicité des personnes, mais comme étant tous en Dieu. (77).

Le « contentement sans pareil » correspond à une expérience précise vivement éprouvée en oraison et non à un développement homilétique ou à une consolation utilisant quelque tendance masochiste :

« Telle âme cheminant ainsi en vérité, ignore ce qu’elle fait.... Connaissant que d’elle-même elle ne peut opérer une seule bonne action. Mais que Dieu le fait en elle et par elle. Je dis donc que telle âme, soit qu’elle soit martelée, comme sur une enclume, par toutes sortes d’afflictions ; que quant à l’intérieur elle n’ait une seule minute de repos... se tient tellement serrée avec son Dieu... [qui] lui parle plus familièrement que ne font deux amants... Elle l’écoute... voit au fond de son esprit... la vérité de son néant en la vérité de Celui qui est tout. En quoi l’âme reçoit un contentement non pareil, de voir qu’elle n’est rien, qu’elle ne peut rien et qu’en ce rien Celui qui est tout est glorifié (79). »

Suivent de fines discriminations sur les lumières et sur la soumission et sur le comportement souhaitable d’un confesseur pour éviter des difficultés à l’âme dirigée. Elle définit ensuite  la foi nue du chrétien intérieur :

« Quant à la foi nue, elle ne consiste pas seulement à croire tout ce que dessus [il s’agit des enseignements de l’Église]. Mais encore à croire avec grand amour, tout ce qu’il nous advient (105). »

Et elle conclut sur…

« … une extrême accointance entre ces trois, oraison, contemplation et amour. De sorte qu’à grande peine, se peut-il dire quelque chose de la contemplation qui ne convienne de même à l’amour et à l’oraison. (112). »   

Le second livre reflète probablement des propos oraux commentant mystiquement des passages de l’Ecriture :

 « « Lève toi, hâte toi... » Dieu le créateur invite l’âme fidèle à s’élever par-dessus soi et ne plus s’arrêter aux vertus morales, mais de s’élever aux vertus surnaturelles... Car jusqu’à présent elle a coopéré... Mais désormais, Dieu veut Lui seul opérer et agir (156-158).

« « Prenez-nous les petits renards... »... en la divine contemplation... elle y découvre (162) aussi, jusqu’à la plus petite tache, de ses péchés et imperfections naturelles. Il n’y a si petite macule en son âme, qu’elle n’aperçoive en cette pure lumière

« “Je trouvai celui que mon âme aime.”... (169) ceci se fait par une nudité et délaissement de toutes ses propres opérations et recherches  ...lors au moment que l’âme et ses puissances sont anéanties (170), par cette abyssale humilité, cet esprit, partie suprême de l’âme, vient à s’envoler plus vite qu’un éclair, ou plus vite que le rayon du soleil, jetant sa brillante lumière en quelque lieu, lors que les obstacles en sont ôtés.... retournant à lui comme à son centre ; Car Dieu est vraiment le centre de notre âme ».


Au livre suivant, après une longue description de la nuit mystique, elle indique comment Dieu donne des forces pour porter les…

« ... (240) angoisses surnaturelles qu’elle endure par la privation de la présence... Si l’on versait de l’eau fort chaude dans un verre, il se briserait soudain en pièces. De même l’amour divin, qui est plus chaud et brûlant que toute chaleur terrestre, étant bien engravé au cœur de l’homme, qui est mortel : s’il n’était secouru des grâces surnaturelles, il se briserait... (241) [sur] deux sortes d’anéantissements... Envers Dieu se reconnaissant un rien, qui ne peut faire une bonne œuvre sans la grâce... Envers les créatures... (242) avec cette croyance d’être indigne de servir »

Le dernier livre traite de l’union et de la transformation :

« « Mon bien-aimé est descendu en son jardin... » (255) Il ne faut pas penser... que le repos dont jouissent ceux qui sont parvenus à cet état dernier de perfection, soit un sentiment intérieur de quelque douceur... [mais] pureté de conscience... vérité de tout et comment notre Dieu lui a envoyé ces calamités par un grand amour....

« « ... les pauvres d’esprit, pour ce que le royaume de Dieu est à eux »... (257) Ceux-là sont pauvres d’esprit, qui sont tellement mortifiés et anéantis, qu’en toutes leurs actions, ils ne cherchent, ni ne veuillent rien plus opérer qu’en Dieu et pour Dieu ; tant ils sont aliénés de ce qui n’est pas Dieu, et d’eux... [quoique] que ces âmes soient pour le présent privé de la claire vision de Dieu, propre aux bienheureux ; si est-ce qu’en leur intérieur ils ont une lumière continuelle, qui les guide en toutes leurs actions et opérations.... ils ont plus Dieu en eux-mêmes qu’ils ne sont en eux-mêmes.

« « Celle qui apparaît comme l’aube du jour, belle comme la lune... » (263) sa lumière paraît seulement la nuit. Et l’âme parfaite reluit entre toutes les autres ; mais en la nuit de ce monde.


Exprimé en termes rares, l’achèvement de la purification permet d’aller, allégés, dans un grand élan…

« (268)… plus vite que la pierre qui... rompt et foudroie tout ce qu’elle rencontre pour retourner à son propre centre. Je dis plus, que jamais oiseau ne peut voler si vivement ni trait d’arbalète se porter si roidement à son but, que l’âme étant détachée de soi-même retourne à son Dieu.

« Du zèle dont ces âmes sont embrasées... (295) le soleil vient à jeter ses clairs rayons brillants sur quelque terre cristalline,... de ce cristal quelque rayon... semble regarder et rejaillir vers le soleil. Ce que néanmoins n’est autre chose que les mêmes rayons du clair soleil... charité qui vient de Dieu.

Le mariage mystique, dégagé de toute connotation dérivée de la façon humaine, mais plus directement relié aux « amants de ce monde »  prend son vrai sens de force et persévérance gravé au plus profond, « sous » l’humilité même :

«(307) Si aux amants de ce monde, une heure, une nuit leur semble encore trop courte... que ne saurions parler bouche à bouche cinq à six heures à notre Dieu? ...(310) cet anneau [d’épouse mystique]... C’est une intime force que Dieu grave au fond de cette âme, par laquelle elle demeure constante en une persévérance éternelle... Non qu’elle demeure impeccable, mais... demeurant aux limites de son néant et humilité682.

Le “ Flambeau mystique…683” fournit une description d’étapes de la voie spirituelle tout en insistant sur la variété des âmes et de leurs chemins :

Lorsqu’il plaît à Dieu de retirer l’âme de cette voie de soustraction, pour la mettre en un état de nouvelle union de paix et repos avec son Dieu. Cela se fait tout à coup par la seule opération divine, en sorte que l’âme voit lors que ç’a été Dieu, qui l’a de sa seule volonté laissé en ces horribles ténèbres (22)… Elle sera jouissante quelques années de cette parfaite union. Le père directeur se doit autrement comporter en la conduite de son disciple en cette seconde voie illuminative, qu’en la première... [encourager] une profonde humilité, pour la disposer toujours à de nouvelles grâces, dont le propre est de rendre l’âme humble. (23).”

S’il n’y a que Dieu qui est, il faut dire que l’être de l’âme est et procède de l’être de Dieu (97).”

La “Lamentation de l’âme captive” ferme l’œuvre publiée sur ce qui s’apparente à une confidence :

Ce grand Dieu immortel est tellement transporté de l’amour d’une âme qu’il l’aime de tout son cœur... l’embrassant dans son sein miséricordieux... Il lui dit... Toutes ces grandeurs sont tiennes, toutes ces délices te sont préparées pour une éternité... soyez toute à moi, je suis toute à toi... l’âme voudrait bien lors... faire quelque présent... mais elle se voit si pauvre... qu’elle ne sait que... lui présenter son amour... il faut qu’elle cache ces secrets... et voilà encore un effet de notre servitude en cette vie, que le cœur souffrant la blessure de l’amour divin, a besoin de se dilater, la charité qu’elle a au prochain, voulant se communiquer, elle ne trouve personne, ou du moins peu qui l’entendent, mais beaucoup attribuant et comparant son amour vers Dieu à l’amour charnel... ainsi il faut que ces âmes tiennent ces flammes cachées dans leur cœur. (39-40).”

1641 Jeanne de Chantal (1572 - 1641)

Jeanne de Chantal née à Dijon en 1572 est l’exemple rare d’une jeune femme heureuse en mariage - jusqu’en 1601 où au cours d’une partie de chasse son mari est blessé et meurt neuf jours après en lui demandant de pardonner à son meurtrier involontaire. Le chagrin immense marque ainsi les premiers pas dans la vie mystique. Un confesseur abusif augmente les peines jusqu’à sa rencontre libératrice avec François de Sales, le 5 mars 1604. Après avoir rempli ses obligations familiales, elle fonde à Annecy, en 1610,  une nouvelle forme de vie religieuse sans vœux solennels ni clôture. Le développement explosif des fondations l’obligera à une activité permanente. La mère de Chantal fut en effet débordée par l’extension très rapide des Visitations qu’elle fonda dans toute la France. Elle meurt en 1641. On note que la durée de son expérience mondaine a dépassé celle de sa vie de religieuse fondatrice684.

On suivra les péripéties d’une vie épuisante dans la chronologie-biographie fournie par l’éditrice de sa Correspondance (1996), en fin de chacun de ses six volumes685. La correspondance elle-même contient des perles spirituelles enfouies dans les comptes-rendus des multiples affaires courantes qu’elle tente de régler : on fait appel à la fondatrice sur le comportement à prendre en temps de peste comme sur des points de direction spirituelle, outre les fondations, institutions, où elle déploie une énergie comparable à celle de Thérèse.

On trouve aussi dans ses écrits non épistolaires, rassemblées dans les volumes II et III de ses Œuvres, d’autres “dits” admirables dans leur concision et des aperçus profonds sur une vie mystique vécue dans la sobriété, au cœur même d’une intense activité686. L’épuisement dû à la multiplicité des occupations peut certes avoir contribué aux célèbres “sécheresses” dont elle était affectée selon ses biographes. En fait, ses conseils et même ses (rares) relations de nature personnelle semblent traduire une grande sobriété, qualité de la mystique — et la certitude d’une union possible avec Dieu.

Son influence sera grande non seulement sur François de Sales, mais sur tout le siècle, en particulier grâce au mémoire de sa vie rédigé par la mère de Chaugy La source essentielle de toutes les biographies est le Memoire très fidelle pour la vie… de Françoise-Madeleine de Chaugy qui avait été communiqué aux premiers biographes, Fichet (1643,…) et Henri de Maupas (1644, huit éditions au moins) (DS 8.868); il figure  dans le vol. I des Œuvres, op. cit.687.

Nous n’abordons pas la discussion portant sur “qui influença qui”, sachant que d’une part François de Sales délivre Jeanne de Chantal, qui à son tour lui fait approfondir sa vie intérieure. Nous sommes très sensibles aux admirables éclats dispersés dans les écrits de circonstance de cette dernière. Ils témoignent d’un achèvement mystique qui se situe au-delà de l’alternance entre douceur et sécheresse.

La très jeune Jeanne-Marie Guyon témoignera du mimétisme exagéré qu’elle inspira chez de nombreuses lectrices de sa vie :

 Tout ce que je voyais écrit dans la vie de Madame de Chantal me charmait, et j’étais si enfant que je croyais devoir faire tout ce que j’y voyais. Tous les vœux  qu’elle avait faits688, je les faisais aussi, comme celui de tendre toujours au plus parfait et de faire la volonté de Dieu en toutes choses. Je n’avais pas encore douze ans, je prenais néanmoins la discipline selon ma force. Un jour que je lus qu’elle avait mis le nom de Jésus sur son cœur pour suivre le conseil de l’Époux : Mets-moi comme un cachet sur ton cœur689, et qu’elle avait pris un fer rouge où était gravé ce saint Nom, je restai fort affligée de ne pouvoir faire de même. Je m’avisai d’écrire ce nom sacré et adorable en gros caractères sur un morceau de papier et avec des rubans et une grosse aiguille je l’attachai à ma peau en quatre endroits, il resta longtemps attaché en cette manière690

Boudon témoigne de la voie simple et directe, sans ascèse corporelle, recommandée “selon la mère de Chantal” :

L’attrait quasi universel des filles de la Visitation est d’une très simple présence de Dieu, avec un don et transport en lui de tout ce qu’elles sont, sans aucune exception, et un entier abandonnement d’elles-mêmes à sa sainte providence, et je pourrais bien dire sans quasi, car vraiment j’ai reconnu que toutes celles qui dès le commencement s’appliquent à l’oraison comme il faut sont attirées d’abord. Enfin je tiens que cette manière d’oraison est essentielle à notre petite congrégation, ce qui est un très grand don de Dieu, et qui requiert de nous comme une reconnaissance infinie.”.... [elle] estimait que la contemplation... était une chose fort ordinaire... qu’on la devait conseiller presque généralement... que l’attrait que Dieu en donne y est quasi universel691. »



La contemplation, « une chose fort ordinaire », n’en est pas moins mystique, même si l’extrême sobriété de la mère a pu laisser croire qu’elle était toujours restée dans une sécheresse dont elle se plaint parfois : elle a dépassé les expériences extraordinaires du début de la vie intérieure. Le parfum de sa direction est donné par ces quelques extraits de son abondante correspondance et de ses « œuvres », ou plutôt opuscules. C’est en effet l’aspect circonstanciel de ses écrits qui a empêché sa reconnaissance comme une des très grandes figures intérieures du siècle. Des extraits glanés dans ses lettres et opuscules évoquent une direction à la fois ferme et encourageante692 :

Sa direction s’appuie sur l’amour qui doit lier les dirigées entre elles dans leurs communautés :

« Vous devez par tous les moyens que vous pourrez tenir vos filles fort unies à vous, mais d’une union qui soit de pure charité... Tenez-les fort unies par ensemble et avec estime l’une de l’autre, ce que vous ferez efficacement par l’amour et l’estime que vous témoignerez d’en avoir vous-même par vos paroles et actions ; mais amour général envers toutes, les aimant également, sans qu’il paraisse aucune particularité. L.1247. »


Et qui lie la directrice à sa dirigée :

« Dieu vous a logée dans mon cœur, ma fille : rien ne vous en saurait déplacer. L.931. »

« Mon cœur est invariable en l’amour qu’il a pour le vôtre, duquel je connais très distinctement  la voie où Dieu l’a mis depuis le commencement. Elle est si solide, et tellement de Dieu, que jamais il ne faut recevoir aucun avis contraire ; et vous faites bien de n’en guère parler. L.2715. »


La sécheresse n’est pas un écueil, mais le moyen donné par Dieu pour avancer vers Lui, « sans mélange », par amour :

« Que pour l’amour de Lui, vous vous détachiez absolument de toutes choses ; cela veut dire : non seulement des soulagements corporels, ce qui est peu à votre courage, mais encore de toute consolation, lumière et sentiment intérieur, afin que Lui seul vous soit toutes choses. Que de trésors en cet abîme d’afflictions ! Nous pensons que tout est perdu, et c’est là où nous goûtons la plus suave, la plus simple et la plus délicate union de notre esprit avec le bon plaisir de Dieu, sans mélange de nulle science, intelligence, ni satisfaction. L.1357. »

« Le remède que je vous donne pour toutes sortes de tentations, peines, afflictions, sécheresse et contradictions, c’est les actes d’amour. L.1421. »

L’acquiescement à l’action de la grâce sans retour sur soi, par simple regard de la pointe de l’esprit (on retrouve ici François de Sales), demande une vigilance lucide qui ne nie pas les traverses :

« [Vous faites] connaissance de votre impuissance et misère... Dieu, par un amour très grand, vous dépouillant des affections et sentiments  ...afin que Ses dons n’occupent pas nos cœurs... Dans cette extrême impuissance, ténèbres et insensibilité... [il faut] se laisser très simplement à la merci de la miséricorde de Dieu par un très simple acquiescement... un simple regard... de la suprême pointe de l’esprit... Il faut absolument retrancher toutes sortes de réflexions sur ce qui se passe en vous, ne faisant pas semblant de le voir, quoique nous le sentions bien. L.1599. »


En relation avec Angélique Arnauld, elle recommande la plus grande sobriété spirituelle, sans « goût », donnant, outre son propre exemple, celui de la sœur Anne-Marie Rosset :

« Cependant j’ai grande expérience et souvent une claire lumière que Dieu ne veut de moi que ce seul unique et très simple regard en Lui, mais sans aucun mélange d’aucun acte ni discours quelconque... Je ne vois ni ne peux rien voir ni regarder des choses de Dieu ni en avoir goût, sinon quelquefois en certaines lectures... Nous avons une sœur céans qu’il y a bien vingt-quatre ans qu’elle chemine dans une voie de si grand dénuement que jamais elle n’a ni lumières ni pensées sur aucun mystère ni sur choses quelconques, et, s’il lui en venait, elle dit qu’elle pense qu’elle s’en détournerait pour tenir, comme elle fait, son esprit très simplement arrêté en Dieu. L.2040. »


Être vide laisse place à la grâce :

« S’Il y met des suavités, jouissez de cette grâce avec tranquillité, ne faites rien pour l’accroître ni garder ; ne faites rien aussi pour l’anéantir... enfin soyez... comme un vaisseau vide, sinon du désir qu’Il accomplisse en vous Sa très sainte volonté. L.1932. »

« Il ne faut faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous, pour voir ou connaître ce que c’est. Soyez, mon cher enfant, comme un vaisseau vide devant Sa divine bonté, pour recevoir ce qu’il Lui plaira de vous donner, et ne permettez jamais à votre esprit aucun retour ni réflexion sur vous-même, ni sur ce qui se passe en vous. L.2518. »


Le grand thème sur lequel elle revient constamment est celui de l’oubli de soi-même dans la dépendance envers Dieu :

« … véritable humilité qui ne veut aucune excellence que d’être sans excellence, que celle... de dépendre totalement du bon plaisir de son Dieu. L.903. … parfaite et absolue confiance en Celui qui tient en Soi tout notre bien ; je l’aime mieux là qu’en moi-même. L.1243. Oh ! Que nous serons heureuses, ma vraie fille, quand nous nous serons entièrement oubliées. L.1255. »

« Jetez-vous et toutes vos misères et vos intérêts et affections, dans le sein de la bonté de Dieu... à yeux clos, sans permettre à votre esprit de regarder où il va ; mais allez toujours, ne regardant que Dieu et la besogne qu’Il vous présente dans chaque occasion et moment. L.1271. »

« Vivez au-dessus de vous-même et toute en Dieu. L.2454. »

Le thème de l’abandon ne présente aucun danger tant qu’il est fait en regard d’un Dieu qui aime et veille sur nous — un abandon de tout l’être :

« Nue et sans vertu je suis venue au monde, et sans vertu quelconque je me remets, mon Dieu, en Vos mains. Dites cela, ma fille, et quand vous verrez que votre esprit se voudra revêtir, à cause qu’il s’est dépouillé, ne faites autre chose que de le retourner simplement à son Dieu. L.2615. »


Elle fait une discrète allusion à l’oraison de simple regard qu’elle définit ainsi :

« J’ai eu cette vue que Dieu veut que j’aille à Lui de toutes choses, très simplement et droitement sans entremise de chose quelconque, et que je me contente de ce très simple regard en Lui, sans aucun acte, mais par un absolu et entier abandonnement de tout ce que je suis et de toutes choses à Sa sainte volonté, demeurant dans un repos d’amoureuse confiance... Lui laissant vouloir pour moi... sans que jamais je me veuille arrêter volontairement à regarder ce qui se passe en moi... acquiesçant simplement. (2,24). »


 Elle partage le thème de l’acquiescement à ce qui advient de moment en moment :

« Nous ne devons jamais vouloir autre chose, sinon ce qui nous advient de moment en moment, recevant tout de Sa pure ordonnance et disposition divine. (2,47). »


Aucun entre-deux ne doit demeurer lorsque tous les moyens sont devenus inutiles :

« Notre Seigneur vous aime... Tenez votre volonté si simplement unie à la Sienne en tout ce qui Lui plaira faire, de vous, en vous, par vous, et pour vous, et en toutes choses qui seront hors de vous, que rien ne soit entre deux ; Ne pensez plus à chose quelconque de tout ce qui vous regarde. (2,62). »

La classique comparaison du vaisseau trouve une variation inhabituelle dans l’observation du lac d’Annecy entouré de montagnes et connu pour ses rapides changements de temps :

« Il nous faut faire comme nos grangers ont fait aujourd’hui sur leur bateau qui conduisait notre blé sur le lac... il ne faut pas vouloir calmer nous-même cette tempête, mais nous approcher doucement du rivage... pour arriver, par l’humble connaissance de nous-même, à Dieu qui est notre port assuré. (2 237). »


Tout converge sur l’amour, à bien distinguer d’un sentiment ou « goût », comme elle le signalait précédemment à Angélique Arnauld :

« Toujours en cette nudité et simplicité ; il n’y a rien au-delà... “Aime et fais tout ce que tu voudras” dit Saint Augustin. Aimons-donc... toute la perfection est là. L.2565. »

« S’il était en mon pouvoir d’avoir des sentiments, je sais bien que je brûlerais toute de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain ; or Notre Seigneur ne les a pas mis en notre pouvoir. Les sentiments ne sont pas nécessaires. (2 233). »

« Là où il y a de l’amour, il n’y a point de travail (2 198). »


Elle affirme la sobriété propre à l’état mystique avancé :

« Il y a vingt ans, Dieu m’ôta tout pouvoir de rien faire à l’oraison... tout mon faire... entière remise, sans en faire les actes... attendant là. L.2602. »

Elle affirme que par le chemin court et direct, que l’union est possible sans requérir d’actes sensibles, qu’il suffit de cheminer « à yeux clos » sans aucun acte sensible :

« Il faut passer à la totale résignation et remise de nous-même entre les mains de notre bon Dieu... Ce chemin est fort droit... mais il est solide, court, simple et assuré, et fait bientôt arriver l’âme à sa fin qui est l’union très unique avec son Dieu. Suivons cette voie fidèlement ; certes elle forclos la multiplicité et nous conduit à l’unité qui est la seule chose nécessaire. L.966. »

« Demeurez en une très simple unité et unique simplicité de la présence de Dieu, par un entier abandonnement de vous-même en sa très sainte volonté ; et toutes les fois que vous trouverez votre esprit hors de là, ramenez-l’y doucement, sans faire pour cela des actes sensibles de l’entendement ni de la volonté. (2,63). »

« Dieu m’a fait voir... que je ne me dois plus du tout voir ni regarder, mais lui seul, cheminant à yeux clos, appuyée sur mon bien-aimé Jésus, sans vouloir voir ni savoir le chemin par où il me conduira, ni non plus avoir aucun soin de chose quelconque, non pas même de lui rien demander, mais demeurer simplement toute perdue et reposée... en ce très pur regard, sans mélange d’autre chose. (2,65). » 

J’ai rendu récemment l’essentiel des écrits hors Correspondance (éditée par Burns, op.cit.) disponible693.

1644 Isabelle des Anges (1565 - 1644)

Isabelle des Anges  fut la seule des six fondatrices espagnoles qui demeurera jusqu’à sa mort en France. Pendant quarante ans — légèrement plus de la moitié de sa longue vie —  elle exerça une influence de fondatrice « discrète, mais puissante » dans le sud de son nouveau Royaume : à Amiens, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Limoges où elle meurt en 1644. Au parloir de Bordeaux le jeune Surin la rencontre et découvre sa vocation — choisissant toutefois l’ordre actif jésuite qui convenait peu à une sensibilité fragile. La Mère Isabelle ne laissa pas d’écrits, mais des lettres. Voici « quelques paroles d’une belle douceur que notre vénérable Mère Isabelle des Anges a dites en diverses occasions à ses filles »694:


« Pour l’amour de Dieu, mes filles, que chacune de vous pense au lieu d’où Dieu l’a tirée, et en celui où il l’a mise, et aux choses pour lesquelles il nous y a appelées. Nos obligations sont très grandes, et puisque nous avons trouvé, comme l’on dit, la table mise, et que nous n’avons pas à chercher ce qu’il nous faut pour être parfaites, soyons fidèles à garder notre Règle et nos Constitutions, car ce n’est pas sans grande raison que nous trouverons tout là, avec tant de douceur et de suavité, que je ne sais comment on peut dire qu’il y a de l’austérité dans notre Religion. Tout y est si doux pour les âmes qui ont un peu d’amour de Dieu, qu’encore qu’il y ait beaucoup de pénitence et de mortification, je confesse néanmoins que tous les plaisirs du monde, et tous les contentements qu’il promet à ceux qui le suivent ne sont rien en comparaison. …

« Nous ne devons pas regarder ce qui paraît au-dehors pour aimer le prochain, car encore qu’il soit mal conditionné, il a une âme en laquelle Dieu habite, et peut-être même que celui qui nous semble le plus imparfait et négligeant est vertueux devant Dieu. Ainsi il est très dangereux de juger des actions d’autrui, et l’on s’y trompe très souvent, pensant que la vertu est vice, et que ce qui est imperfection est vertu. Pour éviter cette tromperie, il faut honorer Dieu en notre prochain, et nous jouirons de la paix des enfants de Dieu. Si je demandais à toutes mes filles si elles veulent faire la volonté de Dieu, chacune répondrait qu’elle aimerait mieux mourir que de manquer à l’accomplir, et je vous dis de sa part que c’est sa volonté que nous nous aimions les unes les autres, comme il nous a aimées. …

« Lorsque l’âme se sent si délaissée qu’il lui semble que toutes choses lui manquent, ne lui restant rien qu’une grande crainte d’offenser Dieu, et de le perdre pour jamais, cette expérience lui faisant connaître clairement qu’il n’y a que le bras de Dieu seul qui soit assez fort pour la soutenir, elle en est d’autant plus obligée de faire un total abandon d’elle-même…

« Je vous ai dit souvent, mes filles, qu’il n’est pas besoin de multiplier nos exercices, mais que l’importance est de perfectionner tous les jours nos exercices… »


1646 Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594 - 1646)

« Les indices de l’influence de Jean-Chrysostome sont de plus en plus nombreux et éclairants : le cercle spirituel formé par lui, les Bernières [Jean et sa sœur Jourdaine], Mechtilde du Saint-Sacrement et Jean Aumont (peut-être tertiaire régulier) auxquels les historiens en ajouteront d’autres (de Vincent de Paul à J.-J. Olier), a vécu une doctrine d’abnégation, de “désoccupation”, de “passivité divine…695».

Le peu que nous connaissons provient de sa biographie écrite par Boudon696. Souriau et Heurtevent n’ajoutent guère d’éléments : le premier éclaire le contexte historique697, le second ajoute qu’un de ses frères fut capucin, une de ses sœurs clarisse à Rouen698 : on reste plongé dans le milieu franciscain.

Des lettres remarquables éclairent sa direction spirituelle de sœur Mectilde, une belle figure de fondatrice bénédictine que nous retrouverons. Nous choisissons un petit traité, aux paragraphes numérotés, qui donne à la jeune religieuse quelques directives précises.  Une appréciation sévère de la nature humaine qui résiste à toute désappropriation se conclut sur une définition très concise et belle de l’oraison :









...En même temps que l'Etre de Dieu paraissait, ces créatures qui se montraient si excellentes et si pleines de gloire se retiraient d'une rapidité incroyable dans leur centre, qui est le néant. Et voyant que le grand Dieu était en moi, et plus en moi que je n'y étais moi-même, j'en ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment il était possible d'avoir Dieu en soi et partout au-dehors de soi, et de s'occuper des créatures. J'étais ravi qu'il fût seul éternel, seul immuable, seul infini, et je vous dis en vérité, qu'en disant : En mon Dieu tout est Dieu, ma volonté était touchée d'un si grand et si ardent amour, qu'il me semblait que tout l'être créé disparaissait devant moi, et qu'à jamais je ne serais plus occupé que de Dieu seul. Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon coeur à la vue de ses immenses perfections, mais voyant ses grandeurs incompréhensibles, et d'autre part mon néant avec toutes les misères qui l'accompagnent, j'allais de l'infini à l'infini, et je me trouvais incapable, de l'infini à l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me faisait souffrir inénarra-blement ; car plus je me trouvais impuissant à l'aimer d'un amour réciproque, plus un secret amour me dévorait intérieurement. Alors, j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse, comme navré et enivré d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais et, chose étrange, dans ce travail de l'âme, les saillies de l'infini en perfection, à l'infini de ma bassesse, m'étaient autant de feux d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs."699

Une direction mystique

Autres réponses du même Père à la même âme 700:

« [...] 16. Tendez à vous rendre passive à la Providence divine, vous laissant conduire et mener par l’âme; entrant à l’aveugle et en toute soumission dans tous les états où elle voudra vous mettre, soit qu’ils soient de lumières ou de ténèbres, de sécheresse ou de jouissance, de pauvreté, d’abjection, d’abandon, etc. Fermez les yeux à tous vos intérêts et laissez faire Dieu par cette indifférence à tout état, et cette passivité à Sa conduite vous acquerra une paix suprême qui vous établira dans la pure Oraison, et vous disposera à la conversion très simple de votre âme vers Dieu le Créateur.

« 19. Par la vie d’Adam nous sommes entièrement convertis à nous-mêmes et à la créature, et ne vivons que pour nous-mêmes, et pour nos intérêts de chair et de sang ; cette vie nous est si intime qu’elle s’est glissée dans tout notre être naturel, n’y ayant puissance dans notre âme, ni membre en notre corps qui n’en soit infecté ; ce qui cause en nous une révolte générale de tout nous-mêmes à l’encontre de Dieu, cette vie impure formant opposition aux opérations de Sa grâce, ce qui nous rend en Sa présence comme des morts; car nous ne vivons point à Lui, mais à nous-mêmes, à nos intérêts, à la chair et au sang...

« 25. Le spirituel dans les voies de sa perfection est sujet à une infinité de peines et de combat ; tantôt il se voit dans les abandons, éloignements, sécheresses, captivités, suspensions ; tantôt dans les vues vives de réprobation et de désespoir ; tantôt dans les aversions effroyables des choses de Dieu ; tantôt dans un soulèvement général de toutes ses passions ; tantôt dans d’autres tentations très horribles et violentes ; Dieu permettant toutes ces choses pour évacuer de l’âme l’impureté de la vie d’Adam et sa propre excellence...

« 27. La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les lumières servent beaucoup pour nous y acheminer, et partant rendez-vous passive à celles que Dieu tout bon vous donnera, et en outre tâchez autant que vous pourrez à vous instruire des choses de la sainte perfection...

«29. Tendez à l’oraison autant que vous pourrez : c’est ce me semble uniquement pour cela que nous sommes créés; je dis pour contempler et pour aimer; c’est faire sur la terre ce que font les bienheureux au ciel. Aimez tout ce qui favorisera en vous l’oraison, et craignez tout ce qui lui sera opposé. Tendez à l’oraison passive, en laquelle l’âme sans violence entre doucement dans les lumières qui lui sont présentées, et se donne en proie à l’amour, pour être dévorée par ses très pures flammes, unissant les attraits et divines motions de la grâce. Ne vous tourmentez pas beaucoup de l’oraison, souvent contentez-vous d’être en la présence de Dieu, sans autre opération que cette simple tendance et désir que vous sentez de L’aimer et de Lui être agréable; car vouloir aimer est aimer, et aimer est faire l’oraison.

« Notre bon Père Chrysostome »

Jean-Chrysostome est la figure discrète, mais centrale à laquelle se réfèrent tous les membres du cercle mystique normand qui n’entreprennent rien sans l’avis de leur père et maître spirituel. Il naît vers 1594 dans le diocèse de Bayeux en basse Normandie, et étudie au collège des jésuites de Rouen. Âgé de dix-huit ans, il prend l’habit, contre le gré paternel, le 3 juin 1612 au couvent de Picpus à Paris. Lecteur en philosophie et théologie à vingt-cinq ans, il est définiteur de la province de France l’an 1622, devient définiteur général de son ordre et gardien de Picpus en 1625 puis de nouveau en 1631, provincial de la province de France en 1634, premier provincial de la nouvelle province de Saint-Yves, après que la province de France eut été séparée en deux, en 1640.

« Le temps de son second Provincialat étant expiré, on le mit confesseur des religieuses de Ste Elisabeth de Paris qui fut son dernier emploi à la fin de sa troisième année [de Provincialat]... au confessional dès cinq heures du matin,  il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À peine quelquefois se donnait-il lieu de manger, ne prenant pour son dîner qu’un peu de pain et de potage, pour [y] retourner aussitôt701. » 

Il va en Espagne par l’ordre exprès de la Reine, pour aller visiter de sa part une visionnaire, la Mère Louise de l’Ascension, du monastère de Burgos. Voyage rude et contraint :

« Libéral pour les pauvres… il ne voulait pas autre monture qu’un âne… dans les dernières années de sa vie il ne pouvait plus supporter l’abord des gens du monde et surtout de ceux qui y ont le plus d’éclat702 ».

 Aussi, libéré de son provincialat, il éprouve une sainte joie et ne tarde pas à se retirer :

« Il ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits et les mettre dans une besace dont il se chargea les épaules à son ordinaire... passant à travers Paris... sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui prenaient ses avis...703 »

Il enseignait « Qu’il fallait laisser les âmes dans une grande liberté, pour suivre les attraits de l’esprit de Dieu… commencer par la vue des perfections divines… ne regarder le prochain qu’en charité et vérité dans l’union intime avec Dieu704.

Il a de nombreux dirigés : « L’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis... courir avec ferveur... La première est feu Mr de Bernières de Caen…705 »

Enfin, usé par une vie intense, Boudon aborde l’incontournable chapitre de l’agonie du saint. Ici il ne nous cache aucunement qu’elle fut difficile, peut-être par suite d’une maladie de cœur ou bien par suite d’un dernier partage mystique avec ses disciples, comme semble l’indiquer la fin du récit suivant :

«Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint Maur... pour y voir la R. Mère du Saint-Sacrement [Mère Mectilde], maintenant supérieure générale des Religieuses bénédictines du Saint Sacrement... Elle était l’une des filles spirituelles du bon père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie : il passa environ neuf ou dix jours à Saint Maur, proche de la bonne Mère... au retour de Saint Maur... il entra dans des ténèbres épouvantables... il écrivit aux Religieuses : “Mes Chères Sœurs... il est bien tard d’attendre à bien faire la mort et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi... C’est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection de mourir avec de la paille...” L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut [le 26 mars 1646, âgé de 52 ans], fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher706.

Une anthologie spirituelle  

Les trois seuls exemplaires connus des ouvrages de Jean-Chrysostome relèvent de deux sources707  : la première est constituée des Divers traités spirituels et méditatifs. Le « grand contemplatif consommé de l’amour de Dieu » figure en habit de pénitent - belle, mais sévère figure - et est qualifié dans l’avis au lecteur par « une passion ardente pour la pauvreté, les pauvres et les affligés qu’il consolait avec une grâce sans pareille... une intégrité inviolable... un solide jugement... une pleine science... un insigne don de conseil pour des personnes de toutes conditions ».

Le  Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité, comporte des « Pensées d’Éternité d’un certain solitaire et d’un autre serviteur de Dieu » qui nous touchent par leur rectitude et leur grandeur. Ce texte évoque les grandes peurs que l’on rattache en général au Moyen Age, mais il possède un côté biographique tout nouveau. Jean-Chrysostome résume très sobrement la durée d’une vie spirituelle sous la forme émouvante d’une liste qui décrit les expériences fondatrices de deux amis :

« I. Le premier, étant un jeune homme d’un naturel fort doux et d’un esprit fort pénétrant… se retira en solitude, après une forte pensée qu’il eut de l’Éternité, en cette manière. C’est que huit jours durant, à même qu’il commençait la nuit à dormir dans son lit, (82) il entendit une voix très éclatante qui prononçait ce mot d’Éternité, et pénétrait non seulement le sens externe, mais encore le fonds de l’âme, y faisant une admirable impression.

« II. Là-dessus, s’étant retiré en solitude, il lui était souvent dit à l’oraison, Je suis ton Dieu, je te veux aimer éternellement : ce qui lui faisait une grande impression de cet amour éternel.

« III. Ensuite il lui semblait que toutes les créatures lui disaient sans cesse d’une commune voix  éternité d’amour, et son âme en demeurait fort élevée.

« IV. Il passa à un état de peine, et  demeura quelques années dans une vue du centre de l’enfer... (84)

« VI. Dieu tout bon lui fit voir un jour ce qui se passait dans le jugement particulier d’une âme qui l’avait bien servi : je voyais, disait-il, une miséricorde infinie qui comblait cette âme d’un amour éternel.

« VII. Une autre fois faisant oraison, il entendit une voix qui dit, je t’ai aimé de toute Éternité : ce qui lui imprima une certaine idée de cet (85) amour divin, qui le séparait du souvenir des créatures. Et au même temps il fut tellement frappé d’amour, qu’il en demeura comme hors de soi toute sa vie, laquelle il finit heureusement en des actes d’amour, pour les aller continuer à toute Éternité....

« L’expérience d’amour qui marque très souvent l’entrée dans la vie mystique a été tellement forte qu’elle a entraîné une perte du sens commun puisque, conformément à ce que décrit Jean de la Croix : 

«Chez le basilic, c’est la force du poison qui tue. Lorsqu’il s’agit de Dieu, c’est l’immensité du bonheur et de la gloire qui donne la mort708

On passe maintenant à l’autre ami de Dieu :

« I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection [86] par les vues pensées de l’Éternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Éternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret.

« II. Le lendemain, ayant l’usage fort libre de ses puissances, environné néammoins de la vue d’Éternité, il s’alla confesser à un saint Religieux avec beaucoup de larmes et lui ayant révélé son secret, il en reçut beaucoup de consolation, car il était serviteur de Dieu et homme de grande oraison, qui avait eu révélation de ce qui s’était passé, et qui en se séparant lui dit, mon frère aime Dieu un moment, et tu l’aimeras éternellement. Ces mots portés et partis d’un esprit embrasé, lui furent comme une flèche de feu, qui navra son pauvre cœur d’un certain amour divin, dont l’impression lui en demeura toute sa vie.

« III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans, dans plusieurs visions...

« IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême, qu’il s’en évanouissait.

« V. Ensuite de cet état, il [89] demeura un an durant fort libre de toutes peines...

« VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie... Ce qui lui donna un si extrême mépris des choses du monde... [qu’il] ne pouvait comprendre comme les hommes créés pour l’éternité s’y pouvaient arrêter. [90]

« VII. Ensuite... il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute Éternité ; ce qui l’affligeait, avec des larmes de tendresse et d’amour, d’autant qu’il l’aimait si peu et avait commencé si tard. Il eut conjointement des vues fort particulières de la Sainte Passion.

« VIII. Dans la dernière maladie il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité.

La gamme est posée par ces deux textes en tonalité majeure :  d’abord une vue ample « d’éternité », l’amour premier de Dieu pour sa créature, par une « miséricorde infinie » qui prépare aux craintes à venir sur le chemin. De fortes expériences mystiques, coups qui peuvent faire tomber à terre, sont suivies d’années d’épreuves. La vie spirituelle est dynamique et couvre toute la durée d’une vie. Une existence (de vingt-trois ans à la dernière maladie dans le second exemple) est résumée en quelques paragraphes, ce qui donne une impression saisissante de force associée à la brièveté de notre condition.  La vie est découpée en quelques grandes périodes ; de brèves expériences ponctuent l’ensemble. Le schéma est classique : état de délivrance et de liberté succédant à l’initiative divine  brusque et inattendue, très longue purification, victoire définitive de l’amour.

Le Traité second :  La Sainte Desoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul balaye le chemin sans compromis : il faut laisser de la place et toute la place au divin qui alors anime la créature : « Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt lui qui produise cet amour... l’âme demeure souvent comme liée et garrottée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mue seulement. » C’est la passiveté mystique — au terme d’un long cheminement de « désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu ». Jean-Chrysostome donne des indications concrètes et fournit des exemples plutôt qu’il n’expose une théorie :

 « Dieu tout bon a imprimé votre âme de Sa belle image, pour vous divertir de la laideur des créatures et vous attacher à Sa pure beauté. … Le Bienheureux frère Gilles, Religieux mineur, enseignait que pour aller droit à la sainte perfection, il fallait que le spirituel fut un à un, c’est-à-dire seul avec Dieu seul, occupé de Dieu seul, et désoccupé de tout ce qui n’était point Dieu709.

« À chaque chose principale qu’il commençait dans la journée, il entrait dans un recueillement intérieur et il faisait résolution de la commencer, continuer et finir en la vue de Dieu seul… désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu : de sorte que toutes les créatures semblent lui disparaître, et ne regarde en elle que Dieu seul, intimement présent et opérant... L’âme parvient à ce degré… par la fervente pratique de l’oraison et des actes du pur amour710

«Lors... elle est comme déiformée et comme passive en ses opérations; car encore que la volonté concoure à aimer Dieu, néanmoins Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt Lui qui produise cet amour... l’âme demeure souvent comme liée et garrottée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mue seulement par le Saint-Esprit tant Dieu est jaloux que tout ce qu’elle fait, elle le fasse pour Lui711

Le  Traité troisième : les dix journées de la sainte  occupation, ou divers motifs d’aimer Dieu et s’occuper en son amour s’apparente aux schémas de retraites qui forment une littérature abondante propre au XVIIe siècle. Les thèmes de l’amour pur, incompréhensible vie de notre âme assurée par l’immuable Ami qui nous tire par là de notre néant, tranchent avec bonheur sur les schémas que nous trouvons dans des livres portés par et transmis entre carmélites, qui font de plus en plus appel à la crainte, ceci à partir de la seconde moitié du siècle.

 Nous donnons un aperçu très contracté de l’un de ces schémas. Leur forme répondait au besoin des Directeurs de retraites dans les maisons religieuses : on sait qu’une retraite de dix jours est encore pratiquée annuellement par les carmélites. L’échange d’amour et la bonté divine sont les thèmes propres à toutes les journées, depuis la première. La grâce divine se manifestant par Sa bonté ne dépend pas d’une purification préalable.

« 1re journée : Il veut que ses fidèles amants L’aiment... d’un amour si pur, qu’ils ne L’aiment pas par la vue des bienfaits [190] qu’ils ont reçus, ou doivent recevoir de Lui.

« IIe journée : [196] Comme Dieu le créateur a donné aux éléments leur centre, de sorte que les légers tendent rapidement en haut, et les gros et pesants se ruent fortement en bas ; ainsi le feu élémentaire gagne le haut, l’air le suit, la terre se jette en bas et s’arrête vers le centre du monde : de même il a donné à l’homme pour son centre l’amour infini de son essence et il lui donne grâce pour y tendre ; de manière que partout ailleurs il ne peut trouver aucun repos, comme étant pour lors hors de son centre.

« IIIe journée : [199] Dieu tout bon nous a tellement destinés à l’amour, qu’Il nous a aimés de toute éternité, pour nous obliger à l’aimer ensuite de notre création et des grâces qu’Il nous ferait.

« Ve journée : [213] L’amour divin est la vie de notre âme en ce pèlerinage et en l’éternité, de sorte que l’âme qui est ici bas et en l’éternité sans amour divin, est réputée comme morte.

« VIIe journée : Dieu tout bon [227] est le vrai, seul, fidèle et l’immuable ami. Assurez-vous que toutes les créatures ne vous aiment point, mais seulement leurs passions, satisfactions ou intérêts ; d’où finalement vous ne recueillerez que de l’inquiétude et du trouble, si ce n’est que telle amitié soit réglée dans la pure vue de Dieu et fondée en Lui seul : ce qui est très rare.

« IXe journée : [243] A vrai dire, tendre au pur amour de Dieu c’est l’unique vrai bien et le paradis de cette vie ; tout le reste n’est que vanité et affliction d’esprit.... sans cet amour je deviens comme un néant...

«Xe journée : [253] Je considérais que le seul amour de Dieu donnait la vue et l’affection de la vraie perfection; et comme il était rare, je voyais que beaucoup se méprenaient par abondance de l’esprit de nature et travaux de leur perfection...

De la seconde source, Divers exercices…, nous retenons seulement l’extrait d’une lettre peut-être écrite à une dirigée :

 «Ne vous donnez point la peine de m’écrire votre état passé : je crois vous connaître beaucoup mieux que vous ne vous connaissez vous-même : allez droit à Dieu... ne vous précipitez pas; soumettez toujours votre perfection et votre ferveur à la volonté divine, ne voulant que l’état qu’elle agréera en vous... Votre paix... consiste en un certain état de l’âme dans lequel elle est tranquille en son fonds avec son maître quelque tempête qu’il y ait au dehors ou en la partie inférieure qui sert de croix à la supérieure où Dieu réside dans la pureté de son esprit et dans la paix suprême.... Tout n’est rien. Tout n’est ni pur ni parfait sinon Dieu seul... par la grâce d’oraison, et je tiens que c’est Dieu qui se rend maître de l’âme, qui la lui donne, avec goût qu’elle seule savoure et peut dire712.

La vertu d’Abjection.

Le titre austère d’Exercice de la Sainte vertu d’Abjection recouvre la spiritualité proposée au groupe de l’Ermitage fondé à Caen par Jean de Bernières, disciple de Jean-Chrysostome. Le terme d’abjection doit être pris comme désignant l’humiliation et le respect devant la grandeur divine (second sens selon Littré) et non pas comme un avilissement.

L’imitation de Jésus-Christ est parfois poussée à l’extrême et proposée sous forme d’exercices répétés qui privilégient les Croix et l’exemple du Condamné divin (La Passion occupe effectivement une place centrale dans les évangiles, dont Cana est l’annonce)713.

Les dangers de tels exercices sont les suivants : ils suppriment trop tôt et par volonté propre des joies naturelles à la vie au risque de provoquer des réactions très fortes, inconscientes parce que réprimées, qui seront à l’époque attribuées aux démons, ce que nous illustrerons chez Marie des Vallées. Ils mettent en place un réseau de contraintes où l’ascétisme prend facilement la première place, puis empêche la vie intérieure mystique de s’épanouir. Ce qui était liberté et joie devient limité et sérieux. La vie naturelle est contrôlée afin d’être évacuée tôt, ce qui privilégie l’exercice de la volonté. Il est vrai que la vie souvent courte et soumise aux aléas des maladies, suggérait de précéder ainsi l’évolution naturelle.

Ce côté sombre du siècle ne correspond pas à ce que propose en général Jean-Chrysostome qui s’en démarque par son sens de la liberté, dont témoigne l’absence de vœux ; l’exercice dit-il « doit être très libre, sans contrainte, et sans empressement ».  L’amour est toujours premier. On ne peut cependant s’empêcher de trouver excessive l’usure prématurée des disciples Renty ou Bernières — tout en admirant de tels héros  contemporains de Corneille.

Cet esprit du temps ne s’atténue pas avec le déroulement du siècle. Les exemples sont innombrables, telles les épreuves que s’inflige dans sa jeunesse Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada, avant de devenir lui-même un profond spirituel ; telle l’ascèse moralisante recommandée par le milieu de Port-Royal, que supporte fort mal le duc de Luynes, Louis-Charles d’Albert, le père du duc de Chevreuse. Nous retrouverons ce dernier duc, devenu, peut-être par réaction, l’intime de madame Guyon. Le récit de la jeunesse de cette dernière fournit aussi un cas typique. Cette section consacrée à la « vertu d’abjection » est la seule où nous traitons de cet « excès dans l’ascèse » qui est la marque sombre de la période classique. Cet excès déborde le siècle au sein du monde dévot, et couvre en partie la première moitié du XVIIIe siècle714. Tout ceci indique des limites nécessaires à l’imitation du maître médiateur Jésus-Christ. L’Imitation a été le texte trop lu d’une dévotion qui s’écarte de la pure mystique d’un Ruusbroec.

 Quelques extraits suffiront à mieux comprendre le vécu dévot de nos spirituels, par un unique aperçu de cette littérature des exercices ou schémas de retraites. Elle fut abondante avant de disparaître avec leurs prédicateurs. Nous rencontrons ici le cas rare d’un d’entre eux ayant le sens mystique :

Premier exercice traitant de la sainte vertu d’abjection/ Premier traité : de la sainte abjection. / La Société spirituelle de la sainte abjection; / pratiquée en ce temps avec grand fruit de perfection, par quelques dévots de Jésus humilié et méprisé. / Avis715.

« Chapitre I. Vues ou lumières surnaturelles de la superbe d’Adam.

Le spirituel en cet état est pénétré de certaines vues ou lumières surnaturelles, par lesquelles il entre en la connaissance [14] intime de son âme et de ses parties intellectuelles, et voit clairement que tout cet être est rempli de la superbe, de l’ambition, de l’orgueil, et de la vanité d’Adam…

« Chapitre II. Abjection dans le rien de l’être.  

Le spirituel en cet état voit par lumière surnaturelle, comme le néant ou le rien est son principe originel. Sur quoi vous remarquerez : 1. Que cette vue provient d’une grande faveur de Dieu. 2. Que par icelle l’âme se voit dans un éloignement infini de son créateur. 3. Qu’elle le voit dans une sublimité infinie. 4. Qu’elle se réjouit selon la disposition de sa pureté [16] intérieure de voir que son Dieu soit en l’infinité de l’être et de toute perfection, et elle comme en une certaine infinité du non-être, c’est-à-dire du néant et du rien.

La pratique. L’exercitant ainsi disposé, 1. Se réjouira de l’infinité divine. 2. Il prendra plaisir de se voir dans l’infinité du rien respectivement à son Dieu. 3. Il considérera que Dieu l’a tiré de ce rien par sa toute-puissance, pour l’élever et le faire entrer en la communion incompréhensible de son être divin et de sa vie divine, par les actes intellectuels et spirituels de l’entendement et de la volonté, par lesquels il est si hautement élevé que comme Dieu se connaît et s’aime, ainsi par alliance ineffable, il le connaît et l’aime…

« Chapitre IV. Abjection d’inutilité.

Cet état appartient particulièrement aux personnes qui sont [19] liées et attachées par obligation aux communautés, dont nous en voyons plusieurs extrêmement tourmentées de la vue de leur inutilité, desquelles aucunes le sont par une certaine bonté naturelle de voir leurs prochains surchargés à leur occasion, et les autres par un certain orgueil qui les pique et les aigrit; le diable se mêle en ces deux dispositions et le spirituel doit prendre garde de s’en défendre. Pour donc en faire bon usage, 1. Il considérera que celui qui agrée son abjection dans son inutilité, rend souvent plus de gloire à Dieu qu’une infinité de certains utiles, suffisants, indévots et superbes… 4. Il supportera patiemment les inutilités des autres prochains. 5. Il pensera que la créature [20] n’est autant agréable à Dieu qu’elle est passive à la conduite divine...716.

« Chapitre XIX. Tourment d’amour en l’abjection.

La superbe vide l’âme de toute disposition d’amour envers son divin créateur où au contraire la sainte abjection la purifie et la dispose à la pureté de cette charité divine dans les manières ineffables… J’appelle cet état tourment d’amour, d’autant qu’en icelui les âmes sanctifiées par les humiliations sont extrêmement [53] tourmentées des saintes ardeurs, vives flammes et divin amour…

« Méditation XXIII. De la sainte abjection de Jésus dans le reniement de St Pierre.

« [108] Considérez et pesez ensuite les circonstances de l’abjection que Jésus a souffertes au reniement de Pierre. 1. C’était le plus considérable des Apôtres. 2. C’était celui qui lui avait plus témoigné de bonne volonté. 3. C’était dans une grande persécution, et lorsqu’il était délaissé de tous les siens. 4. C’était enfin en un temps auquel étant accusé d’avoir semé et prêché des fausses doctrines, il paraissait plus suspect et coupable par un tel reniement….

Méditation XXX. De l’abjection de Jésus dans son crucifiement.

« [130] Quand vous verrez certaines personnes dévotes mourir dans la folie et même avec des circonstances étranges, extravagantes et superbes, ainsi qu’est mort le saint nommé Tauler... souvenez-vous qu’il peut arriver que Dieu accorde la mort d’abjection à certains de ses fidèles amants, pour les récompenser de leurs travaux généreux dans les voies de cette sainte vertu et pour les rendre conformes à Jésus…

IV. Traité. Méditations d’abjection en la vue de la divinité.

« Méditation I. D’abjection en la vue de l’existence divine.

Considérez que comme Dieu est le premier être de soi, qui n’a jamais été et ne peut jamais être dans le rien, de même l’amour divin n’a jamais été et ne peut jamais être dans le rien ; pensez que comme [145] Dieu a toujours été et sera toujours nécessairement, étant l’être de soi nécessaire ; ainsi il s’est toujours aimé et s’aimera toujours nécessairement. Ajoutez qu’encore que vous soyez très vil et très abject, il vous a néanmoins toujours aimé et vous aimera toujours à toute éternité, d’un amour autant adorable qu’inconcevable, pesez bien surtout combien c’est une chose étrange et incompréhensible qu’un Dieu s’applique à aimer une créature si abjecte et si petite, qu’elle n’est de soi qu’un pur rien... chose inconcevable, qu’un Dieu daigne vous donner de l’amour pour l’aimer...

« Méditation XI. D’abjection en la vue de l’incompréhensibilité divine.

I. Considérez que Dieu... reste toujours à connaître à l’infini dans son infinité. […]

J’ai constitué un dossier qui rassemble tous ses écrits ainsi que des sources qui nous éclairent sur les débuts de «l’école du cœur» 717.

1649 Gaston de Renty (1611 - 1649)

Il reçoit  l’éducation d’un grand seigneur, se distingue en mathématiques et sciences naturelles, entre à dix-sept ans à l’académie militaire, est marié à vingt-deux ans : le couple aura deux fils et deux filles. Il publie à vingt-huit ans un traité de la sphère céleste, une géographie, un manuel de fortification. « Tous les éléments d’une réussite mondaine sont réunis » — mais il veut se faire chartreux ! Découvert et ramené à Paris, il s’occupe de reconstruire des églises. Sa mère, dont les projets sont ainsi ruinés, le poursuivra de procédures pour lui disputer l’héritage paternel.

Il trouve le cadre de son action dans la Compagnie du Saint-Sacrement dont il est un supérieur exemplaire de 1639 à sa mort, multipliant les fondations charitables. Se levant à cinq heures, il peut également diriger carmélites, ursuline, fille de Saint-Thomas, présidente de Castille ; il fonde avec Henry Buch les Frères cordonniers en 1645, puis les Frères tailleurs. « Dans Paris inondé, glacé et assiégé, il porte lui-même du pain à des pau­vres honteux dans des quatrièmes étages (Annales). Le 11 avril 1649, il est contraint de se mettre au lit, soigné par la sœur de Charité de la paroisse Saint-Paul. » Il meurt le 24 avril718.

Son influence sera considérable au XVIIIe siècle, en particulier sur le fondateur du méthodisme John Wesley qui l’étudie lors de son séjour dans la Géorgie lointaine et qui tire un Abrégé très élaboré de sa Vie 719, ainsi que sur le quaker W. Penn, sur le groupe mystique guyonnien d’Aberdeen, etc.

Ses lettres témoignent d’un profond équilibre spirituel et d’une grande paix, ce que ne laissait pas deviner le récit de sa vie (nous sommes par contre surpris de son attachement à la visionnaire carmélite de Beaune Marguerite du Saint-Sacrement qui devait donc avoir une qualité humaine que l’on ne retrouve pas dans les textes). Ainsi « contre l’avis d’un archevêque qui veut limiter au cloître, de préférence, et à la maternité la vocation de la femme », Renty écrit :

« … tant s’en faut qu’elle [la grâce] nous restreigne à deux conditions qu’au contraire elle les sanctifie toutes. Il n’y a plus de grec, ni de juif, ni de barbare, ni de français, de serviteur ni de maître, de mâle ni de femelle… Tout autant que nous sommes de baptisés, nous avons revêtu Jésus Christ, et les lieux, les habits ni les vœux n’aug­mentent rien à la perfection chrétienne, mais sont moyens faciles pour y arriver... Et je crois que ce serait une très grande erreur de vouloir faire changer une personne de son état et de sa condition pour lui faire trouver la perfection ; comme si Notre Seigneur n’avait pas sanctifié tous états, fait usage de tous et ne communiquait pas la plénitude de son Esprit à toute son Église... Car il faut savoir que la grâce ne détruit pas la nature, mais la perfectionne. Et le mot de voca­tion veut dire qu’on est appelé de Dieu, qu’on est poussé, que nous sentons qu’il nous veut là. Hé ! que serait-ce donc d’ôter une personne d’un état parfait puisqu’il est chrétien, d’une vie sainte, si elle y a grâce !720

À Élisabeth de la Trinité, prieure du Carmel de Beaune, femme tortu­rée, il écrit avec une autorité que l’on rencontre rarement chez un laïc devenu directeur721 :

« Votre mortification sera que je ne donne point mon consen­tement sur ce que vous me demandez. Veillez à affer­mir votre esprit en pureté et simplicité sous les ordres de Dieu... en vous abandonnant.

Pour son éditeur R. Triboulet, « dans la spiritualité française du XVIIe siècle, Renty par sa sainteté agissante… se distin­gue des deux autres célèbres mystiques laïques du siè­cle : son compatriote et ami Jean de Bernières et son émule Blaise Pascal, qui avait lu sa Vie. Son style est plus viril que celui de “l’ermite” de Caen, plus vert et plus serein que celui du penseur de Port-Royal722.[ » Toute distinction paraît en fait superflue : les écrits de Bernières, qui transportait sur son dos les malades, furent largement retouchés, le « penseur » qui déborde de son génie propre tous ses contemporains, prit le chemin de la sainteté malgré la maladie.

L’auteur d’un manuel de fortification fait l’éloge de la simplicité :

« La simplicité est l’autre rempart de Pureté et agit sur le passé, séparant l’âme de toute duplicité, et multiplicité, et lui ôtant toutes les vues de ce que l’on a fait, et de ce que l’on a vu : ainsi l’âme est comme  enclose entre deux remparts...723

Le mystique décrit l’état de « vrai renoncement de soi, qui consiste à ne se servir plus de sa propre prudence, prévoyance, ni de la capacité de notre esprit, mais met l’âme nue et dépouillée de tout dans l’abandon et la tutelle de l’esprit de son Dieu qui lui suggère en chaque temps et action ce qui est à faire et est son mouvement et sa vie ; mais cet état doit être accompagné de paix, et d’une grande adhérence à Dieu dans son recueillement, c’est-à-dire que la pointe de l’esprit soit toujours tournée avec vigueur et ferveur vers la majesté suprême, dans une union simple avec Notre Seigneur notre réconciliateur, et qui seul nous donne accès vers Dieu par son esprit, lequel nous donne cet état de dépouillement pour réparer nos grands raisonnements et enchaînements de convenances et de retours ; c’est un désert qui est donné à l’âme qui ne produit rien et qui ne sent qu’aridité infertile en sorte qu’elle ne se peut rien promettre pour l’avenir, ce qui l’étonne fort parce qu’en effet c’est un grand changement, mais il faut qu’il serve à habituer l’âme à vivre en foi, c’est-à-dire non selon elle et ce qu’elle faisait, non s’arrêtant à ce qu’elle voit, mais à ce qu’elle croit724.

L’âme est orientée comme l’aiguille touchée d’aimant :

« ... l’âme qui ne trouve rien en soi pour l’arrêter, est toujours pointée vers Celui qui la peut rassasier et nourrir ; c’est comme une aiguille touchée d’aimant... aussitôt elle se tournerait vers son Nord, et que la tempête de la mer et des vents bouleverse et submerge même les vaisseaux... toujours elle est fixe à cette propriété que Dieu a mise en elle par la nature... et après toutes considérations, que faut-il faire ? Néant pour soi, et abandon... Il est l’aimant qui touche, et qui pirouette et nous tourne après comme Il lui plaît, quand nous sommes bien abandonnés à Lui sans autre vue que Lui, renonçant sans cesse à toutes les autres adhérences ; il ne peut mal arriver; on est entre Ses mains, quoi plus? 725»

L’humilité est un sentiment tout intérieur, donné par la grâce :

« Marchant un de ces jours de ce Carême par les rues de Paris fort crotté et bien bas d’extérieur, je portais en moi ce sentiment de l’Apôtre, quand il dit qu’il était comme l’ordure et la balayure du monde, et comme il me semblait que j’étais dans ce rebut, je donnais bénédiction pour malédiction, et le reste du passage qui me fut mis en puissance passive, et en acte recevant lumière pour l’entendre et force pour l’exécuter. Je connus combien la propriété, et les choses neuves jusques aux bottes, jusqu’à un regard et à une contenance, blessent, si l’on n’y prend bien garde, la simplicité et la dignité de cet avilissement chrétien ; et je voyais que c’était une grande tentation de penser conserver son état de grandeur et de marque pour donner plus d’exemple, et avoir plus de poids pour servir Dieu726.

La paix mystique l’habite :

« Pour ce qui me regarde, je n’ai pas grand-chose à dire. Je porte par la miséricorde de Dieu un fond de paix devant lui en l’esprit de Jesus-Christ, dans une expérience si intime de la vie éternelle, que je ne la puis déclarer : et voilà où je suis le plus tiré, mais je suis si nu et si stérile, que j’admire la manière où je suis, et en laquelle je parle. Je m’étonnais, comme parlant à la personne susdite, je commençais un discours sans savoir comme je le devais poursuivre, et disant la seconde parole, je n’avais point de vue de la troisième et ainsi des suivantes. Ce n’est pas que je n’aie la connaissance entière des choses en la manière que j’en suis capable, mais pour produire quelque chose au dehors, cela m’est donné et comme on me le donne, je le donne à un autre, et après il ne me reste rien que le fond susdit727. »

L’unité ou communion des saints est une réalité perçue dès ici-bas :

« Il y a environ dix ou douze jours que m’étant mis à mon ordinaire le matin à prier Dieu, je sentais en moi-même n’y avoir aucune entrée : je me tiens là humilié... Lorsqu’il me fut donné à connaître qu’en effet j’avais l’indignité que je sentais, mais que je devais chercher en la communion des Saints mon entrée à Dieu... J’eus connaissance pour lors que Dieu et Notre Seigneur ne nous formaient pas pour être tous seuls et séparés, mais pour être unis à d’autres, et composer avec eux par notre union un Tout divin. Comme une belle pierre, telle que serait le chapiteau d’une colonne, est inutile, si elle n’est au lieu où elle est destinée pour tout l’ouvrage, et jusqu’à ce qu’elle soit posée et cimentée avec tout le corps du bâtiment, elle n’a ni sa conservation, ni sa décoration, ni en un mot, sa fin. Cela m’a laissé dans l’amour et dans la liaison véritable et expérimentale de la Communion et de la communication des Saints...728.


~1650 Pierre Cluniac (1606 - après 1642).

Plusieurs jeunes jésuites partagèrent l’élan mystique d’un Surin, mais furent combattus. M. de Certeau cite un critique du temps qui évoque une « espèce d’illuminés »… inspirée par « trois ou quatre jeunes hommes assez bien faits » qui « ne manquaient pas de bonnes qualités naturelles » ; heureusement, « il ne reste plus rien ou presque rien plus » de ces « mystiques réformés » 729. Il nous fait découvrir ces Polyeuctes d’une « nouvelle spiritualité », s’attachant particulièrement à Pierre Cluniac, né à Périgueux, entré au noviciat de Bordeaux à seize ans, signalé dès 1627 au général Vitelleschi, qui quitte la Compagnie en 1642 730. Bernier, qui est resté dans la compagnie, serait un autre jeune jésuite de grand intérêt sur le plan mystique.

Cluniac décrit son oraison qui succéda à un temps d’aridité731 : 

 « Dès que j’entre en oraison, bien que j’en aie préparé le sujet, c’est comme si Dieu, plutôt, avait Lui-même pré­paré ce qu’Il devait présenter à mon âme (“mens”) : une vérité s’offre tout de suite (telle que : Dieu doit être aimé. Dieu nous aime. Dieu s’est incarné, il est glorieux devant Dieu de souffrir persécutions et afflictions pour le Christ, etc.), avec une telle lumière et comblant tellement mon esprit (“intellectus”) qu’il y trouve un total repos, qu’il est capté par cette vue et que, tenu en suspens par une vérité dont la clarté s’impose, il y adhère sans aucun raisonnement. En même temps, la volonté s’enflamme en une douce adhésion à Dieu, non pas sans doute avec le repos continu que connaît l’esprit, mais parfois avec une complaisance très simple dans un objet dont l’amour et l’attrait ravissent avec tant de douceur et de facilité que cette inclination semble innée et non venue de Lui. »

M. de Certeau commente ainsi ce témoignage précis du thème lumineux très simple, « monoïdéique », qui s’impose sans raisonnement et enflamme la volonté : « Deux questions relatives à cette oraison. Elle ne se plie pas à la méthode qui veut imposer la méditation des circonstances quotidiennes dans lesquelles pratiquer une série de vertus programmées, - méthode dont Surin comparera les vic­times à des animaux attachés à un pieu, qui ne peuvent aller que jusqu’où leur corde se peut étendre et qui, après, ne font que tournoyer avec ennui », et poursuit une citation qui justifie, maintenant indirectement, l’oraison par ses effets visibles :

« Dans l’oraison même, je peux rarement m’appliquer aux occasions de vertus que présente, d’une façon plus déterminée, la pratique quotidienne. Pourtant, lorsque, hors du temps de l’oraison, je m’examine à ce sujet, je ressens un très grand courage à entreprendre les choses les plus ardues, et l’expérience même témoigne que l’orai­son seule est plus que tout le reste une source d’améliora­tion dans mes façons d’agir. De plus, cette grâce d’orai­son ne se prolonge pas seulement pendant tout le temps destiné à la prière, elle s’étend à d’autres moments avec plus ou moins d’intensité, de sorte qu’elle est en moi presque perpétuelle et que l’attention et l’amour pour Dieu présent ne cessent presque pas. Cette occupation et attraction intérieure de l’âme (“mens”) me détournent si peu des travaux internes ou externes qu’elles aug­mentent plutôt à proportion de mon application aux études ou à d’autres choses. » 


1654 Marie de Valernod, dame d’Herculais (1619 - 1654).

Dans les fondations qui absorbèrent toute l’énergie de la mère de Chantal régna, avant  l’influence du dernier jansénisme, une vie mystique où « l’amour est le commencement, le moyen et la fin de la vie spirituelle », où « les vertus ne sont que des modalités de l’Amour » 732.

Une figure mystique qui s’inscrit dans leur sillage est celle de Marie de Valernod, dame d’Herculais (1619-1654), auteur d’un Recueil des grâces. Elle aurait eu de l’influence sur Claude de la Colombière (1641-1682). Elle était liée aux Visitandines de Grenoble qui rapportent ainsi un entretien733 :

« Que je vous dirai-je, mes chères sœurs ? Il me semble, (et en disant ces paroles elle parut toute transportée), il me semble que Dieu est affamé de nous. » Puis, toute étonnée elle-même de ces paroles, elle se prit à sourire : « de quelle façon parlé-je ! C’est une impertinence, il est vrai, cependant je veux le redire : oui, Dieu est affamé de nous ! »/Avez-vous remarqué la précipitation avec laquelle on se jette parfois sur la nourriture. Elle ne peut avoir que deux causes : ou l’extrémité de la faim, ou l’horreur naturelle d’une nourriture qui répugne. Si en Dieu il pouvait y avoir cette répugnance, il semble que ce serait la cause qui l’obligerait à ce désir empressé, mais je dis que c’est Son amour qui Lui donne cette faim insatiable de nous-mêmes.... que tout ce qui est en nous et qui appartient à Dieu, retourne à Lui et s’absorbe en Lui par l’amour. »...... avec une sorte d’ivresse naturelle, elle nous avait montré le terme proposé à la perfection religieuse. »


~1656 Claudine Moine (1618 - après 1655)

Relations spirituelles d’une franc-comptoise inconnue, née de famille aisée, couturière à Paris depuis 1642, la guerre ayant ruiné sa famille734. Leur style pur et dense a été comparé à celui des Provinciales. Réédition moderne :

« [144] La présence de Dieu visible et sensible m’a été changée en une impression que j’ai de Dieu dans l’âme, qui la remplit et l’occupe tellement que rien autre chose n’y peut entrer, qui me recueille et fait être en grand respect en tour temps, en tout lieu et en toute rencontre. Je n’ai nulle image de la divinité ou humanité de Dieu Notre-Seigneur, que quelquefois, mais cela ne dure point, et l’état de mon âme est de rejeter aussitôt cette forme ou représentation, voulant et désirant absolument l’original et non la figure. […]

« [145] L’âme donc est vide de toutes choses, les fait toutes sans prévoyance ; mais elle est appliquée à tout ce qui se rencontre qu’elle doit faire, le faisant avec grand amour ; et les choses faites, soit spirituelles ou corporelles, ne se représentent à l’âme (la connaissance en étant entièrement ôtée) demeurant ainsi toujours vide et toujours pleine. »

Nulle prévoyance des actions.

« [249] Premièrement, je n’ai nulle prévoyance de mes actions, soit générales ou particulières, soit spirituelles ou naturelles, et néanmoins je ne me suis pas aperçue d’avoir omis trois ou quatre fois, depuis peut-être plus de six ans, aucune des choses que je devais faire. Voici donc ma disposition : je ne pense point, dis-je, à ce que j’ai à faire et n’y saurais penser ni le prévoir. Mais dans le temps et l’occasion que l’on doit faire ce qu’on a à faire, de quelque nature que ce soit., il y a un petit souvenir qui nous est donné, comme une personne qui vien­drait dire tout bas à l’oreille d’une autre : « Allez faire cela ! » Je dis : tout bas, parce que c’est un souvenir qui se donne si doucement que cela ne fait nul bruit dans l’âme, comme font les désirs bouillants qu’on a d’effectuer quelque chose. Mais il fait le même quant à l’effet, parce que cela s’accomplit exactement. /[…] Les actions se font et s’accomplissent d’une manière presque insensible et l’on passe de l’une à l’autre d’une façon si imperceptible que l’on ne s’en aperçoit pas. […]

« [250] Pour le dire en un mot, je ne sais, dans l’état où je suis depuis plus de six ans, ce que c’est que dévotion sensible ni que peine et angoisse d’esprit. J’ai éprouvé et l’un et l’autre, je puis dire jusque dans l’excès. Mais je n’en ai plus de con­naissance. Et tout ce que j’en entends dire, et tout ce que moi-même j’en ai dit, ne fait pas impression sur mon esprit pour me le faire comprendre. »

Perte :

« C’était la perte des biens spirituels qui me donnait peine, et j’eusse bien voulu les conserver et réserver ! Et l’on me dit intérieurement : “Trop avare est celui à qui Dieu ne suffit pas !”, ce que jusqu’alors je n’avais jamais bien entendu et compris que pour les choses temporelles, mais que l’on me fit voir aussi pour les choses spirituelles. Car il y a bien de la différence entre être remplie de Dieu et de ses dons ! Ses dons ne sont que des moyens par lesquels il prétend nous attirer [261] à lui. Et j’ai vu comme l’on se peut perdre avec tous ces dons, combien il est dangereux et criminel de s’y arrêter ! Mais il faut que l’âme, pour être en assurance, s’abîme et se perde dans Dieu et que Dieu aussi la remplisse et possède pleinement. Il me dit un jour, comme je me mettais en peine de la perte de toutes ces grâces et lumières intérieures : “je veux me mettre à la place de tout cela ! – O mon Dieu, lui dis-je, je le veux bien ! Je ne veux et ne désire que vous !” Et il m’im­prima fortement ce désir clans le cœur. »

Amour plus ardent :

« [266] Il me semble parfois qu’en cet état l’âme est toujours vide et toujours pleine ! Toujours vide en ce que tout s’efface d’elle, soit les œuvres extérieures qu’elle opère, soit les affec­tions intérieures qu’elle reçoit, n’en retenant ni conservant aucune idée ni aucun souvenir ; et toujours pleine, à cause des affections amoureuses que Dieu y verse incessamment ! Toujours vide, et c’est ce me semble l’état permanent et immuable de l’âme, duquel elle ne sort point, en ce qu’elle a une impression simple, douce, mais forte, de son néant et du néant de toutes choses créées, qui la vicie d’elle-même et de toutes les créatures ; toujours pleine, en ce qu’elle a une impression simple, douce, mais aussi, forte, de Dieu qui la remplit, et toutes ses puissances, et les recueille entièrement ! Elles ne sont plus, en effet, dans leur opération naturelle. Car l’imagination, quelque folle et extravagante qu’elle soit, ne court plus : elle est en­chaînée et enfermée quelque part d’où elle ne sort plus ! J’ai pensé parfois que je n’avais plus cette puissance ou, au moins, je n’en ai aucun usage ! Quand parfois j’entends dire : “On se représente et on imagine tant de choses”, cela me surprend et ne le puis comprendre ; car je n’ai ni image, ni figure, espèce ou représentation soit corporelle ou spirituelle, non pas même de la divinité et humanité de Notre-Seigneur, et lorsqu’il s’en présente et les veux former, il y a quelque chose en moi qui les rejette et les détruit en un moment, parce que je veux Dieu, et non son image et sa figure ! La mémoire ne repasse point sur le passé et ne pense point à l’avenir. L’entendement est sans discours et raisonnement, ou du moins il en a si peu que cela peut passer pour rien. Et pour la volonté, elle est toute de feu. Et toutes ses puissances sont dans je ne sais quels rassasiement et repos ; et toute l’âme dans un oubli de soi et de toutes choses, où elle ne se soucie ni de son bien ni de son mal, de son salut ou de sa perte ; c’est à quoi elle ne pense pas ! Mais toutes ses prétentions, et où aboutissent tous ses désirs, c’est de faire la volonté de Dieu et d’être en l’état où il lui plaira. C’est ce qu’elle lui demande incessamment. »

Amour désintéressé.

« [270] Cet amour que l’âme a pour Dieu est sans raisons, sans considérations et sans intérêts. Il ne prend point sa source de ses bienfaits, puisqu’elle ne les voit pas - sinon par des petits rayons de lumière qui passent comme des éclairs et qui excitent pourtant dans l’âme beaucoup d’affections, de louanges, de remerciement, d’humiliation et de crainte, et autres semblables. […]/, Mais, ô mon Dieu, que vos jugements sont profonds et vos voies incompréhensibles ! Qui pourrait dire et raconter la peine de l’âme en cet état ? Elle court après Dieu, et il se retire ! Elle le cherche, et il se cache !

« [393] Ces affections lui sont infuses en grande abondance et variété. Elle n’y observe ni ordre ni règle pont les produire tout cela se passe dans une amoureuse confusion et un désordre bien ordonné. Et elle est tant occupée à aimer son Dieu et s’abandonner toute à lui, qu’elle ne sait ce qu’elle fait ni ce qui se passe en elle, car elle n’a nulle réflexion sur tout cela, ni sur elle-même […]/Voilà la première façon d’oraison infuse, qu’il a plu à Dieu de me donner, ordinaire et presque chaque jour, quelques années, ou le premier degré de cette oraison que je ne sais comment nommer. Il y a des lumières dans l’entendement. et des affections dans la volonté, le tout lui venant de la bonté et libéralité de Dieu, car l’âme sent bien que cela lui est donné. »

Deuxième degré d’oraison infuse.

« Je dis donc qu’en ce second degré d’oraison, je ne vois pas qu’il y ait de lumières dans l’entendement, ni qu’il ait [395] de part à l’oraison. Toutes les lumières dont il a été éclairé touchant les mystères de la foi, de la religion, et les vérités du christianisme, lui sont ôtées et entièrement éteintes, sinon parfois, selon la nécessité où l’âme se trouve, que Dieu y en fait briller quelques étincelles. Mais ce feu et cette lumière dans soi, qui lui faisait voir plus clairement et plus certainement les mystères de la sainte vie, mort et passion de Notre-Seigneur que si elle les eût vus de ses yeux corporels, tout de même comme il est véritablement et réellement au saint sacrement de l’autel, vrai Dieu et vrai homme, comme en tant que Dieu il est partout par essence, présence et puissance, et ainsi de tout le reste. Or, je dis qu’elle n’a plus ces lumières qui lui découvrent et manifestent ces vérités, ni dans l’oraison ou en d’autres temps, comme elle les avait, sinon fort légè­rement et bien rarement ; mais seulement il lui en reste dans l’âme un petit souvenir de les avoir vus ; encore me semble-t-il qu’il diminue presque tous les jours. /, Mais elle a la foi pour les voir. […][396], Mais il est à remarquer qu’il y a bien de la différence à avoir la foi, ou d’en avoir les lumières. Dans le premier état, elle les a abondamment et très grandes pour toutes sortes de choses, et dans celui-ci elle a la foi toute pure, dénuée de ses lumières. C’est pourquoi il n’y a plus dans l’âme ni image ni représentation aucune, soit pour les choses spirituelles ou corporelles. Lorsqu’elle est en oraison, elle est donc sans les opérations de l’entendement, soit naturelles ou surnatu­relles ou si elle les a, c’est si imperceptiblement qu’elle ne s’en aperçoit pas. /Toutefois, comme l’on dit que la connaissance précède toujours l’amour, et que la volonté n’est émue que par le rapport que lui fait l’entendement, je dis que cela est vrai, mais non pas toujours, et particulièrement en cette matière. Car l’âme est remplie d’affections et ne voit point en soi de lumière actuelle qui en soit la cause. Mais ce que je puis dire et que je remarque, c’est qu’il < y > demeure dans l’âme un fond de certitude des vérités qu’elle a connues (qu’elle-même ne sait pas, parce qu’elle n’y fait pas réflexion), et le moindre souvenir qu’elle a de ces vérités l’embrase d’affection, sans qu’il soit besoin pour cela qu’elle les voie ni clairement ni évidemment. Par exemple, l’on a accoutumé de voir une personne en quelque lieu ou en quelque occupation. Par après elle s’absente et ne s’y trouve plus. Ceux qui l’aiment et avaient accoutumé de l’y accompagner, se trouvant dans ces mêmes lieux on emplois, s’en souviendront incontinent. Et, bien qu’ils ne la voient pas et ne se représentent pas en particulier les qualités qui la leur faisaient aimer, au seul souvenir de sa per­sonne et de son nom, ils se sentent émus et remplis d’affection. 1 l en est de même ici, parce que l’âme, se présentant à l’oraison, au seul souvenir de Dieu, est toute transportée d’amour sans toutefois qu’elle ait aucune lumière actuelle, au moins qu’elle connaisse, de ses grandeurs et perfections ou des biens qu’elle en a reçus. Les connaissances qu’elle a eues de tout cela lui sont ôtées. […]

Affections infuses réduites à l’amour et à l’anéantissement.

« Voilà la seconde manière d’oraison, où l’entendement ne fait rien que fournir à l’âme un petit ressouvenir des vérités qu’il a connues, et la volonté est remplie de plus grandes affections.

« Je passe bien plus avant et dis que l’on vient en un certain état où l’entendement n’a aucune occupation, et néanmoins il est occupé et rempli avec toutes les puissances de l’âme d’une façon qui m’est inconnue. Elles sont calmes et en repos, ne courant point ni d’un côté ni d’autre, et dans un certain rassasiement et plénitude de paix, qui fait qu’elle ne désire rien que le bien qu’elle possède. Dieu fait les choses par des moyens selon l’ordre de son ordinaire Providence, et quand il lui plaît il les fait par soi-même. Aussi, pour l’ordinaire, en matière d’oraison, il donne des lumières avant les affections, s’en servant comme de moyens pour les émouvoir. Mais quand [398] il lui plaît, il les infuse lui-même sans cela dans la substance et dans le plus intime de l’âme. Il me semble avoir fort bien remarqué et éprouvé cela. Et pour lors, elle n’a point une si grande variété d’affections comme dans les précédentes, où elle les exerce de toutes les vertus en diverses manières. Mais ici, elles sont quasi toutes réduites à deux, à savoir : d’anéantis­sement et d’amour.

« Premièrement, elle s’anéantit soi-même, et rentrant dans le profond abîme de son néant devant cette Majesté suprême elle lui dit : « O Dieu, puisque c’est votre propre et qu’il n’appartient qu’à votre souveraine puissance de faire quelque chose de rien, faites maintenant de ce néant quelque chose de grand pour votre gloire et votre service ; faites-en une copie parfaite et accomplie de votre Fils. » Elle anéantit toutes les créatures visibles et invisibles, le ciel et la terre, les hommes et les anges, afin de demeurer seule à seule avec le bien-aimé de son cœur, et que nulle de ces choses ne l’arrête ou détourne de l’exercice de son amour. Elle anéantit le Paradis et l’Enfer, afin de ne regarder plus que lui seul dans tous les services qu’elle désire lui rendre, sans espoir de récom­pense ni crainte de châtiment. Et bien que tout cela ne laisse pas de subsister et d’être comme auparavant, ce n’est pas pour le regard de l’âme qui, par ses affections, les a ainsi ané­anties. Car effectivement, elles sont pour elle comme si elles n’étaient point. /Et l’amour la sépare de ces choses si entièrement (non toutefois quant à l’usage, parce que cela est nécessaire à l’entretien de la vie, mais bien quant au plaisir, commodité et récréation qu’elle en pourrait recevoir), que je ne vois pas que la mort y puisse plus rien faire. Aussi désire-t-elle faire et quitter toutes choses par la force de l’amour et non par la violence de la mort. […]/Voilà ce que je puis dire de l’oraison qui se fait sans les lumières de l’entendement, ni naturelles, ni surnaturelles, Pour les premières, il y a longtemps qu’elles sont éteintes et ne servent de rien à l’âme, tout ainsi que la clarté d’une bougie ne sert de rien en la présence du soleil. […]

Le sancta sanctorum.

« L’âme, étant ainsi disposée et vide de toutes choses, est tirée à de certains embrassements amoureux que je ne sais comme exprimer que par cette comparaison de deux personnes qui s’entr’aiment ardemment, qui se rencontrent à l’improviste et, sans se dire une parole, se jettent entre les bras l’un de l’autre, et ne font rien que s’embrasser, étreindre et serrer sur le cour l’un de l’autre ; et, après avoir été longtemps ainsi, se regarder mutuellement et dire quelques paroles entre­coupées et sans ordre ; et puis recommencer à s’embrasser et caresser tout de nouveau. L’âme est soudainement attirée et élevée à ces amoureux embrassements de son Dieu, qui se font en différentes manières ; et tantôt avec Dieu, puis avec Jésus-Christ. Parfois elle sent que Dieu l’embrasse et la caresse tendrement, et elle l’embrasse aussi d’un amour éperdu, mais pourtant avec tant de respect et de révérence, que dans les transports de son amour elle n’oublie le respect qu’elle doit à sa grandeur. Il semble même parfois qu’elle se retire et n’ose jouir de ses privautés. Mais elle est enlevée comme de force entre les bras de son Dieu, où se trouvant, elle étend et ouvre les siens, dilatant son cœur pour le recevoir et embrasser, et demeure plus ou moins en cet état selon qu’il lui plaît de l’y tenir. (Il me semble pourtant, si l’on peut juger et mesurer le temps étant ainsi, que cela ne continue jamais plus d’un quart d’heure.) Puis après, regardant seulement son Dieu, car il me semble que l’âme ne fait rien que cela : l’amour lie pour lors toutes ses puissances…

« [403], Mais, depuis six ou sept ans, il me la donne d’une autre façon, ou pour mieux dire il en a retranché quelque chose qui faisait plus pour mon contentement et mon plaisir particulier. Je vais dire ce que c’est. /L’âme, étant dans l’oraison, a de certains sentiments prompts et extraordinaires de la présence de Dieu. Mais elle ne le voit point pourtant. Un aveugle peut bien être devant un prince et être assuré de sa présence sans le voir. Ainsi l’âme ne peut douter de la présence de son Dieu, mais elle n’a plus cette lumière qui le lui rendait comme visible et sensible, s’il faut parler ainsi. Son entendement est obscurci, et son cœur rempli d’un si grand amour qu’elle se sent toute consumée. Parfois, elle est dans le dessein de retenir ses larmes et ses sou­pirs, ne donnant point de soulagement à son cœur afin qu’il vienne à fondre par cet excès d’amour. D’autres fois, elle veut les redoubler, afin que comme le vent allume le brasier, et un peu d’eau rend ensuite le feu plus enflammé, ainsi ses soupirs et ses larmes servent à l’embraser davantage, à ce qu’elle puisse mourir dans cet excès d’amour. Elle est agitée de beau­coup de ces affections et mouvements amoureux et ne sait point comme ils lui sont donnés. Il semble à l’âme qu’elle est toute seule dans cet exercice, Dieu ne lui donnant aucun signe du sien. Elle l’embrasse et serre étroitement avec amour et respect, et il semble que Dieu soit dans une froideur où il ne fait pas semblant de la voir. Il lui permet, de vrai, de l’ap­procher, de le toucher et lui présenter ses hommages, mais il ne lui donne aucune marque qu’il les ait agréables. L’âme est passionnée et comme transportée du désir de plaire à son Dieu, le conjurant, en toutes les manières que le respect et l’amour lui peuvent suggérer, de disposer d’elle librement (et de tout ce qui la touche) selon son bon plaisir, et qu’il ne permette jamais qu’elle suive en rien ses propres inclinations, mais qu’elle fasse en tout sa sainte volonté. Et Dieu ne lui répond point, et ne lui donne aucune connaissance qu’il exauce, et ait agréables ses désirs. Ceci est à l’âme un exercice de morti­fication, de patience et de résignation…

La véritable sainteté.

« [441] Ce qui fait les saints, ce sont les communications de Dieu avec l’âme et de l’âme avec Dieu, car c’est cela qui la purifie, sanctifie, déifie, unit et transforme en Dieu, en quoi consiste notre perfection et notre sainteté. […]

« Mettez-moi sur la porte de l’enfer jusqu’à la fin du monde, pour la tenir fermée et empêcher les démons de venir sur la terre mettre ces malheureuses persuasions dans l’esprit des hommes que c’est un supplice et une chose fâcheuse de toujours prier et s’approcher de vous ! Hélas ! qu’y a-t-il de plus honorable et de plus doux pour nous que de traiter avec vous ? […] Que ne puis-je mettre le feu de votre amour aux quatre coins et au milieu de la terre afin que tous en brûlent ! […]

Le problème des intentions.

« L’âme ne prie point pour qui, quand, ni pour ce qu’elle veut. (Aussi n’aimé-je point à promettre cela à ceux qui se recommandent à mes prières, parce que cela ne dépend pas de moi. Je fais ordinairement quelques prières vocales pour m’acquitter de tout cela.) Mais il y a des choses et des personnes pour qui elle [l’âme] a des attraits dans l’oraison, qu’il semble que comme un autre Jacob elle lutte corps à corps avec le bon Dieu, lui disant : « Je ne vous laisserai point que vous ne m’ayez bénie [Gen. 32, 27] ; je ne vous laisserai point que vous ne m’ayez donné ce que je vous demande. »/J’ai été un temps que par ces attraits je connaissais l’évé­nement x des choses. Mais depuis que Dieu m’a ôté toutes les lumières, je ne connais plus quels effets ont mes prières, ni pour moi, ni pour autrui.


1656 Marie des Vallées (1590-1656)

Marie des Vallées, « la sainte de Coutances », exerça une profonde influence sur le groupe normand, en particulier sur saint Jean Eudes735, sur le baron de Renty736, plus tard sur le réseau quiétiste.  Elle intéressa notre époque par son caractère étrange plutôt que par sa profondeur mystique : « La Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire… “Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait”. Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! … Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort737. »

Le texte unique de la Vie admirable… n’avait jamais été édité par crainte de voir la réputation de son rédacteur, saint Jean Eudes, mis en cause. Le ms. traversa deux fois l’océan : accompagnant Mgr de Laval au Québec au XVIIe siècle, ce qui souligne la valeur qu’il avait aux yeux des membres du groupe spirituel normand, il y fut oublié pendant deux siècles, avant de revenir à Paris à la fin du XIXe siècle. Les extraits mis en valeur jusqu’ici par les biographes satisfont à la curiosité envers la possession et les diableries. Ils figurent surtout au début du ms. qui est fort difficile à déchiffrer… La suite plus sobre a donc été quelque peu ignorée jusqu’ici : les « dits » rapportés de Marie des Vallées sont souvent admirables et son bon sens tranche souvent sur le récit de Jean Eudes qui partage les croyances de l’époque. Les citations proviennent de mon édition de cette Vie738.

La « sainte de Coutances » est née de parents pauvres dans un village de Basse Normandie. Demandée en mariage, elle refusa et fut la victime (probablement au seul plan du vécu psychologique) d’un sort jeté sur elle par une sorcière. Son entourage et l’évêque lui-même finirent par se convaincre qu’elle était possédée du démon. On la conduisit à Rouen auprès de l’archevêque pour des exorcismes solennels :

« On lui fit faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui ordonna d’apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre quantité de soufre mêlé avec de la rüe739  hachée menue, et qu’on lui commanda de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait et lors qu’on lui faisait boire des douze verres d’eau bénite tout de suite.

«Ensuite de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l’après-midi, il vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des chirurgiens en la présence desquels elle fut dépouillée pour la seconde fois; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des aiguilles et des alènes740.

Pratique des procès en sorcellerie. Rouen héritait d’une inquisition rodée, et cela avant même le célèbre procès de 1431! Elle est déchargée du procès et s’installe à Coutances, comme servante auprès de deux prêtres; mais elle se croit toujours possédée, car «à son époque, dans le contexte de la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d’une possession pouvait être interprété comme un manque de foi741.

Ses rêves (nous interprétons comme tels certains de ses récits) sont d’une étonnante intensité :

« Elle se trouva en esprit enfermé un espace de temps dans une salle où il n’y avait aucune ouverture, par conséquent ni portes, ni fenêtres, et au milieu était l’embouchure de l’enfer, c’est-à-dire un gouffre et un abîme au fond duquel elle voyait le feu de l’enfer… chaque jour le lieu où elle était fondait peu à peu sous ses pieds, et le puits de l’abîme s’augmentait jusqu’à tant qu’il n’était qu’un petit rebord qui était à la muraille et une petite pièce de bois percée à jour et détachée de la paroi, à laquelle elle passait son bras pour s’empêcher de tomber dans l’abîme. Elle criait à Notre-Dame : « Est-ce là le chef d’œuvre de votre puissance! Quelle cruauté ! Ah je ne puis plus demeurer en cet état. » Et quand tout fut fondu sous ses pieds, elle se trouva délivrée742.

« Imaginez-vous, dit-elle, un puits… l’eau est au milieu en figure ronde, et qui s’élève en haut… sans être appuyée ni soutenue tout autour d’aucune chose, demeurant ferme et solide comme une colonne sans qu’il en tombe une seule goutte, et cette eau est horriblement vilaine, puante et froide extrêmement et plus que toutes les glaces imaginables. Le feu est tout autour de l’eau comme si c’était une muraille qui l’environnât. Si bien que représentez-vous une muraille de feu tout autour de cette eau, dans laquelle il y a depuis le bas jusques au haut, quantité de sièges ou de places disposées comme sont les trous d’un colombier. C’est dans ces sièges de feu… que sont les damnés… Et après qu’ils ont été quelque temps dans le feu, les démons les prennent et les jettent dans l’eau, et peu après ils les rejettent de l’eau dans le feu, les faisant ainsi passer d’une extrême chaleur à une extrême froideur 743.

À vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle accepte un « échange de volonté » :

« si ma propre volonté est anéantie et que celle de Dieu me soit donnée en la place, je ne l’offenserai plus, car il n’y a que ma propre volonté qui puisse faire le péché. C’est pourquoi je renonce de tout mon cœur à ma propre volonté et me donne à la très adorable volonté de mon Dieu, afin qu’elle me possède si parfaitement que je ne l’offense jamais744.

Elle apprend à lire et goûte Benoît de Canfield, apprécie Thomas Deschamps (comme l’apprécia également Jean de Saint-Samson), mais fait une réserve pour Thérèse d’Avila (comme le fit madame Acarie à son premier contact par lecture). Elle lui paraît placer trop haut un sensible qui précède la nuit. Cette discrimination qui témoigne de son expérience mystique est attestée ainsi :

« Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui s’appelle La Règle de la Perfection… la troisième partie traite de la plus haute contemplation… Lorsqu’elle eut ce livre, elle ne savait lire que bien imparfaitement, en épelant et en hésitant. Néanmoins… elle lisait tout courant et sans broncher dans la troisième partie… Mais elle ne pouvait lire dans les deux autres… encore un autre livre :… Thomas des Champs intitulé les Fleurs de l’amour divin ou le Jardin des contemplatifs… quand elle lisait ce que sainte Thérèse a écrit dans ses livres touchant la plus sublime contemplation, elle s’étonnait de ce que cette sainte en faisait tant d’état, parce qu’elle croyait que cela était commun à tout le monde745.

Elle se sent très proche de Catherine de Gênes :

« La sœur Marie assure qu’elle a expérimenté en soi beaucoup de conformité avec ce qui est écrit de sainte Catherine de Gênes en sa Vie, excepté qu’il y avait en cette sainte beaucoup d’amour sensible… sainte Thérèse va doucement et s’avance peu à peu, mais je suis trop précipitée, dit la sœur Marie, je marche à la désespérade, (c’est son mot) : témoins ces grands désirs que j’ai eus de l’enfer… sainte Catherine de Gênes ne veut rien que ce que Dieu veut… C’est pourquoi elle dit que sainte Catherine de Gênes est sa bonne sœur746.

Elle vit le désespoir des damnés, objets de « l’ire de Dieu », et connut deux épisodes terribles qu’elle nomma « l’Enfer » (1617-1619) et « le Mal de douze ans » (1622-1634) :

« Elle dit qu’une des plus grandes peines des damnés, c’est l’ennui qui est si grand que les heures leur semblaient des siècles747.

« Alors elle se résolut de se tuer. Pour cet effet elle prend un couteau… Dieu lui ouvrant l’esprit :… Où suis-je ? … je suis encore au monde, voici une table, un coffre, un lit… je suis encore en la terre et par conséquent je puis me sauver748.

Elle sort lentement de cette nuit, et vivra encore vingt-deux années. Elle deviendra la conseillère d’un grand nombre de visiteurs :

« L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés touchant la… voie de contemplation… demeurèrent quinze jours à Coutances… et conférèrent avec elle… quelquefois cinq heures par jour… [voie] par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. » 

D’une grande sagesse, elle évoque la diversité des chemins spirituels :

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. … On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait entrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre… Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente… Comme ils voulaient continuer à lui parler, [elle répond, faisant écho à Ruusbroec qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu’il sentait la grâce d’inspiration absente :] La porte est fermée, je n’entends plus rien à ce que vous me dites749.

Jean Eudes défendit son souvenir avec constance, comme un bien majeur qu’il ne pouvait trahir. Il notera : « j’eus le bonheur de commencer à connaître la sœur Marie des Vallées, par laquelle sa divine Majesté m’a fait un très grand nombre de grâces très signalées750. » On venait la voir de loin. Elle connut les jésuites P. Coton et J.-B. Saint-Jure, conseilla les laïcs Gaston de Renty et Jean de Bernières, Mechtilde du Saint-Sacrement (Catherine de Bar) et bien d’autres.

Ses dits sont sobres et montrent un esprit clair : « au premier degré, la volonté cherche à devenir conforme à celle de Dieu ; puis la volonté « ne fait plus d’élection ; elle ne produit plus aucun acte, comme étant déjà fort malade d’amour, mais elle laisse agir Dieu pour elle ainsi qu’il lui plaît » ; au troisième degré, la volonté est morte, anéantie : elle n’a plus de vie ni de sentiment ; c’est Dieu qui agit ; ailleurs elle parle à ce sujet de « vivre hors de son être, d’une vie inconnue à celui qui la possède751.

Elle décrit la sécheresse mystique…

« Notre Seigneur lui dit qu’elle était comme un vaisseau de terre qui est plein d’une précieuse liqueur, mais il ne la sent ni ne la goûte point752.

distincte de la dépression :

« Et il ne faut pas penser que cela vienne de quelque humeur mélancolique fâcheuse dont elle soit pétrie, car au contraire elle est sanguine de son tempérament et par conséquent elle est joviale, douce, facile, condescendante et obligeante tout ce qui se peut753.

Elle souligne son utilité, par une formule paradoxale et abrupte :

« Le plus grand don que Notre Seigneur lui a fait est de lui avoir donné le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance754.

Car elle n’est rien en elle-même, mais habitée par Dieu :

« Qui êtes-vous donc ? dit-il — alors venant à se regarder, elle ne trouve rien. Notre Seigneur lui dit :… C’est moi qui suis vivant en vous755.

Le péché disparaît avec toute propriété, ce qu’elle exprime par un dialogue :

« Elle dit souvent à Notre Seigneur : -- En vous cherchant je me suis perdue, et Notre Seigneur lui répond quelquefois : -- Eh bien avez-vous perdu au change ? Je me suis mis en votre place. Et quand elle s’examine pour trouver en elle quelque péché, Il lui dit : -- Me croyez-vous capable de pécher ? S’il y a du péché en vous, c’est moi qui l’ai commis756.

Elle insiste sur la seule possibilité qui lui reste de laisser Dieu opérer, bien au-delà des moyens humains disponibles dans une abbaye d’ici-bas, utilisant un jeu de paradoxes qui souligne notre incapacité naturelle :

« Notre Seigneur lui proposa une sorte d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. La maîtresse des novices était Notre Dame. Les âmes qui y sont venues sont exercées durant leur noviciat à la connaissance d’elles-mêmes… ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes… elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle, s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’Amour divin qui contient sept articles : Le premier est d’allumer le feu dans l’eau. Le second de marcher sur les eaux à pied sec. Le troisième d’habiter parmi les couleuvres, serpents et autres bêtes venimeuses sans en être endommagé. Le quatrième de vivre dans la mort. Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. Le sixième d’être chargé de chaînes et de liens pour aller plus vite. Le septième de s’abstenir de toute nourriture pour être plus fort et plus gras.

« Voici l’explication [rapportée par Jean Eudes de conversations avec “sœur Marie”]  :… Allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances… Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher… Faire la guerre à Dieu et Le vaincre c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et Le fléchir à miséricorde… Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme… il n’y a qu’une chose à faire c’est d’avoir toujours les yeux fixés sur la divine volonté et ne regarder ni le ciel ni la terre757.

Il faut passer par la nuit de la purification pour atteindre un Dieu pourtant proche, comme le décrit ce dialogue construit autour d’une image forte, qui reprend probablement le déroulement d’un rêve mystique :

« Notre Seigneur lui dit : Que cherchez-vous ?

-- C’est vous que je cherche, il y a si longtemps et je ne vous trouve point… Venez, venez ici, Je vous veux donner quelque chose. Alors elle vit dans le Saint Sacrement une main extrêmement noire et épouvantable qui lui donna une grande frayeur. Cette main était serrée et elle tenait en soi quelque chose qui était dans une enveloppe beaucoup plus noire et épouvantable que la main. … elle aperçut une pierre précieuse cachée là-dedans… qui jetait des rayons de lumière extrêmement brillants… Qu’est-ce que tout cela… votre main ?

-- C’est mon divin amour

-- […] ce gant ?

-- C’est l’ire de Dieu… cette pierre précieuse c’est Moi-même, car Je suis en vous, Je vous soutiens758



Un autre beau dialogue joue sur le paradoxe de la lumière et de l’aveuglement :

« Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

-- Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable

-- Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerait arrêt dans l’excès de mon amour. Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. Au même temps que Notre Seigneur parla du procès des aveugles, la grâce divine descendit…759. »

Elle exprime ainsi la maternité spirituelle :

« Vous êtes suspendue entre le ciel et la terre, car vous n’avez consolation ni du ciel ni de la terre et vous êtes en travail d’enfant… vous enfanterez la joie760. »

La divine volonté revient souvent :

« Elle dit qu’elle regarde la divine volonté comme sa reine… qu’elle ne prend aucune familiarité avec elle, et que son occupation ordinaire et continuelle est de chercher les moyens de faire en toutes choses ce qu’elle veut avec promptitude et fidélité761. »

La grandeur divine se manifeste par son amour rigoureux :

« Mais l’amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais il frappe bien rudement. Je tremble quand je le vois. Quand on se plaint à lui, il ne fait qu’en rire ; on ne sait où il va ni où il mène ; il se fait suivre à l’aveugle762.

 Les étapes de la voie sont décrites dans un songe mystique qui a pour cadre une forêt. Il décrit de façon imagée le travail de purification, le cheminement sur la voie mystique de la foi nue sous la forme d’une montée suivie d’un envol spirituel, enfin la nuit inattendue :

« frappe sur ces branches ! Elle frappe, il en sort du sang… elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas… elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’au haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle763. »

Car on rencontre Dieu en faisant l’expérience du néant :

« C’est une chose bien certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination. C’est une vérité véritable, de laquelle il m’est impossible de douter. … Aujourd’hui, il me disait :

-- Si votre esprit revenait, le voudriez-vous point ?

-- Non… j’aimerais mieux aller au néant que de lui donner la moindre étincelle de l’amour que je dois à Dieu seul. … C’est un amour déiforme qui n’appartient qu’à Dieu seul. Il n’y a que Dieu seul qui le puisse donner et par une très pure bonté : car cet amour ne se peut mériter par aucune bonne œuvre ni souffrance quelle qu’elle soit764 . »

Demeurer dans la « maison du néant » assure la passiveté qui permet à Dieu de « faire son ouvrage » :

« La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il n’y a rien.... Ce ne sont pas les goûts, mais l’opération de Dieu que l’on cherche. ... Dieu dès le premier degré prend l’âme par la main et la conduit ; elle n’a qu’à demeurer passive et Dieu fait son ouvrage. ... L’âme anéantie ne demande rien ni pour soi ni pour le prochain... La sœur Marie... très souvent n’aperçoit pas même Dieu dans son fond... toute sa capacité est de laisser faire Dieu. ... Il est aisé de remarquer quand une âme y est arrivée : elle est contente de son néant, il lui est toutes choses...765. »

Ce néant, c’est elle-même qui doit s’effacer devant Dieu, partout présent, si proche qu’Il ne peut être vu :

« Depuis… qu’Il lui fit voir qu’elle n’était rien et qu’Il était tout en elle, Il est toujours demeuré dans son cœur. C’est là qu’elle Le trouve… sans nulle forme ni figure766. »

Quand elle donne conseil à ses amis, elle souligne combien il est illusoire d’attribuer quelque importance à ce que l’on réalise par volonté propre. Elle compare nos enfantillages à la puissance divine :

« Voulez-vous que je vous fasse voir de quelle façon vous augmentez Ma gloire… voilà un petit enfant qui prend de l’eau dans le creux de sa main… et qui la jette dans la mer, accroît-il de beaucoup l’eau de la mer ?  … il y en a d’autres qui retiennent toute l’eau dans leur main… ceux qui font quelques bonnes actions, mais qui Me les dérobent par vanité… Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite bûchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser767. »

Un admirable résumé d’une vie mystique :

« J’ai donné cette médecine à mes apôtres et à mes meilleurs amis. Elle est composée de trois ingrédients, donner, recevoir et demander. Donner à Dieu sa vie humaine et recevoir sa vie divine… à mesure qu’on lui donne la sienne… Et quand il est tout à fait mort à soi-même… il se présente à Dieu… et lui demande hardiment le salut du prochain et tout ce qui est nécessaire pour le procurer. Voilà le plus court chemin de la perfection768. »

Il est suivi d’un encouragement qui est certitude d’un achèvement sans distinction de qualités propres :

« il y a cette différence entre ceux qui tendent à la perfection et les gentilshommes qu’entre ceux-ci il y a des comtes et des barons, des marquis, des ducs et très peu de rois, car il est impossible que tous soient rois. Mais tous ceux qui tendent à la perfection peuvent devenir rois, car à mesure qu’ils perdent leur vie, ils vivent de la vie de Dieu, et quand ils sont tout à fait morts à eux-mêmes, ils ne vivent plus que de la vie de Dieu et pour lors ils sont rois769. »


1657 Le Pèlerin Chérubinique d’Angelus Silesius (1624 - 1677).

Pèlerin Chérubinique, I. 289 Sans pourquoi770.

« La rose771 est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, elle ne fait pas attention à elle-même, ne demande pas si on la voit. »

Johann Scheffler (1624-1677) étudie à Leyde, devient l’ami de Frankenberg, médecin comme lui, qui venait faire éditer Böhme en Hollande : de retour à Oels en 1649, Scheffler compose au milieu du siècle, sous le nom d’Angelus Silesius, le Pèlerin chérubinique (1657, 1675), une œuvre qui se rattache à la mystique médiévale772. Il s’inspire certes de l’Aurora, le premier ouvrage écrit par Böhme, et des distiques de Czepko, un ami de Frankenberg, mais le fonds, mystique plutôt que théosophique, provient de Ruusbroec et de nombreux extraits qui éclairent les termes mystiques définis dans la Clavis (1640) du jésuite Sandaeus773, dictionnaire dont on possède l’exemplaire soigneusement annoté de sa main. Il n’est pas certain que ses distiques traduisent une expérience personnelle774, mais ils soulignent son génie métaphysique, à rapprocher de celui d’Eckhart :


« Je ne sais pas ce que je suis, je ne suis pas ce que je sais : une chose sans être une chose ; un point et un cercle. (I, 5).

« C’est Toi sans doute qui est Moi en moi : aussi je te rends à Toi seul, mon Dieu, la gloire. (II, 180).

« La déité est une source, tout provient d’elle ; et tout s’écoule de nouveau en elle : aussi est-elle également une mer. (III, 168).

« Quand tu amènes ton navire dans la haute mer de la Déité, heureux es-tu alors, si tu t’y noies. (IV, 139).

« Dieu n’aime pas la multiplicité, c’est pour cela qu’Il nous attire en Lui… (V, 149).

« Homme, tout change de forme : comment donc peux-tu seul être toujours, sans un progrès, le même bloc de chair ? (VI, 33). »


1657 Jean-Jacques Olier (1608-1657)

Jean-Jacques Olier fut influencé par le spirituel Condren, fondateur de la communauté des sulpiciens. Il présente le chemin mystique dans toute sa nudité et sobriété, faisant fi de toutes représentations alors même que son tempérament le portait à des excès sensibles :

« La foi nue, sans forme, sans figure… [ne conçoit] rien de Dieu par soi-même, ce qui Le rétrécirait et nous déroberait la vue de ce qui est en Lui, Le renfermant en notre idée, en faisant plutôt une production de notre esprit et un effet de notre pensée, qu’une véritable appréhension de ce qu’Il est775.

Quatrième fils d’un conseiller au parlement de Paris, tonsuré à onze ans, il se préparait pour une riche carrière ecclésiastique. Bachelier en Sorbonne en 1630, il se rend à Rome, est guéri la même année d’une maladie des yeux à Lorette, où il éprouve « un grand désir de prière », et pense devenir chartreux. Rappelé à Paris par la mort de son père, il se dirige vers la prédication populaire sous la direction de Vincent de Paul. Il est sujet à une crise de scrupules en 1632. Prêtre en 1633, il est occupé par de nombreuses missions en province. En 1634 il rencontre mère Agnès, prieure  des dominicaines de Langeac, qu’il reconnaît d’un songe ; elle meurt quatre mois après et l’aurait confié à Condren. Il fut également l’ami de Chrysostome de Saint-Lô776. Entre 1639 et 1641, il subit des désolations, est assailli de scrupules et convaincu d’être réprouvé. Heureusement il est depuis 1638 en relation avec une « sainte veuve », Marie Rousseau (1596-1680), estimée de Condren, directrice de nombreux laïcs et ecclésiastiques ; elle le soutint matériellement et spirituellement, guidant souvent ses décisions. Un séminaire est fondé en 1642, et « l’œuvre de la formation du clergé, inspirée par les derniers conseils de Condren, allait commander désormais son action… lui dictant plusieurs fois de refuser les évêchés qu’on lui offrait. » Curé de Saint-Sulpice il exerce pendant dix ans sa charge avec dévouement, dynamisme, intransigeance aussi (en 1645 se manifestent des opposants dont des prostituées). Le séminaire devient un modèle tandis que de nombreux collaborateurs essaiment dans toute la France : ces directeurs partagent la vie de prêtres qui viennent faire retraite auprès d’eux. Il s’oppose à la fin de sa vie aux jansénistes (affaire Picoté : ce dernier, en 1655, refuse l’absolution au duc de Liancourt). Il est malade à partir de 1652, mais demeure actif avec un souci missionnaire,  jusqu’à sa seconde et fatale apoplexie777.

Parmi ses œuvres se détachent ses Lettres778. Sa doctrine le rapproche de Condren, qu’il admirait. Mais pour lui « Dieu est transcendant par excès plus que par différence779 . » Il « ignore l’effroi sacré », car l’amour mystique bannit la crainte. « Il faut renoncer aux dons de Dieu pour trouver Dieu Lui-même780.

« Je la vois [cette âme], comme une nuit cachée, obscure, basse, dégagée, séparée de tout et de Dieu même qui désire qu’on ne se répande point en ses dons et qu’on ne s’appuie en autre qu’en lui seul et sa propre substance. (1,173). »

« Dieu veut que nous vivions dans Sa dépendance, Il veut nous laisser en ténèbres sur cela pour nous tenir totalement abandonnés à Sa bonté. (1,101) »

« Il faut (286) que vous sachiez que quoique vous ne soyez rien en vous et par vous-même, vous êtes pourtant en terre une participation de la divinité qui veut être en vous et sous vous pour paraître en sa Majesté aux yeux des créatures… [il faut] que tout passe à Lui et rien du tout demeure à vous.

Ce passage de la grâce par l’amour a lieu entre ses créatures aussi bien que de Dieu vers elles :

« la vie de Dieu nous doit être commune. Nous sommes assis à une même table pour vivre d’un même repas et il me semble même que nous mangeons d’un même morceau… Nous éprouvons par là le soin sensible d’un même Père, qui nous veut tenir unis en sa présence, quoique nous soyons bien éloignés de corps. (1,403)

« Ma chère sœur [la Mère de Saint-Michel], pendant ce temps vous me veniez souvent à l’esprit et j’avais désir pour vous que Dieu vous fit sentir ce que vous êtes en votre fond et vous mît en la nudité de sa grâce, pour vous laisser éprouver ce que vous êtes par vous-même… (1,422) »

Conseils du directeur :

« plus de puissance propre ni plus d’activité ; la puissance divine, ses opérations et ses vertus doivent être dans vous comme dans leur fond naturel. /Dieu ne veut plus de liberté ni de vie dans vous ; sa sainte liberté et sa vie doivent être votre tout. Il ne faut plus sentir de propre (1,406) […]

« Il veut que vous soyez divine et que par conséquent il n’y ait rien de reste intérieurement en vous de tout votre fond. … ce n’est pas périr, c’est entrer dans un nouvel être, c’est s’établir dès la vie présente dedans sa fin dernière. (1,407)

Sur la nuit spirituelle :

« Si vous avez maintenant moins de jour, vous n’avez pas pourtant moins de force en Lui qui soustrait toujours petit à petit Sa lumière sensible, pour mettre l’âme dans la pureté de la foi, par laquelle on adhère à Dieu sans moyen ni milieu, mais immédiatement par Lui-même, qui étant insensible et invisible aux hommes, se sert de quelque autre chose que Lui quand il leur apparaît ou intérieurement ou extérieurement. (1,423) » […]

« Ma fille, une chose que je vous demande avec Jésus-Christ Notre Seigneur parlant à la Madeleine : soyez toujours anéantie en votre cœur… Après Il vous fera connaître (442) ce qu’Il veut et vous y établira sûrement, vous conduisant petit à petit en Sa vertu cachée, qui est la manière du véritable esprit qui fait enfin régner Dieu pleinement dans les âmes. Le royaume de Dieu ne vient point avec éclat ni observation, dit Notre Seigneur ; il ne s’établit point en nos règles, ni par la conduite d’une sagesse qui prétend, comme les architectes, établir par ordre une pierre après pierre. Dieu renverse toujours  ses vues aux âmes qu’il chérit ; Il tient son œuvre invisible en leur fond, et, s’Il leur a laissé pour un moment la vue de quelque établissement de vertu dedans elles, Il l’arrache sensiblement, Il trouble, Il renverse, Il dessèche, Il aveugle, enfin Il met son âme en un état où elle ne sait plus ce qu’elle est, ni ce qu’elle  doit devenir ; et cela est une marche assurée et un degré certain, mais contraire à la sagesse humaine pour élever, avancer, purifier, sanctifier, polir, fortifier l’œuvre invisible et insensible de l’esprit qui n’a point part en sa pureté avec nos expériences. »

Direction :

« que vous usiez de la méthode que je vous ai marquée, qui est d’être élevée simplement à Dieu dans une présence confuse, et dans l’attente de ce qu’Il vous donnera, sans que votre esprit fasse effort pour se rendre attentif aux matières particulières, ni qu’il y agisse par aucun choix. Attendez que l’Esprit de Dieu touche et frappe intérieurement le vôtre par son rayon… (138) vous ne devez point vous effrayer dans ce vide général de tout où vous vous trouvez souvent, quoique vous n’y ayez aucune application sensible, et que vous y soyez sans discernement quelconque. Dieu ne laisse pas de faire son œuvre intérieurement en vous… Il ne vous la (139) donne [la vue] que comme un éclair, afin que vous servant seulement à vous affermir dans votre voie, elle ne vous serve pas d’obstacle à l’intime union en vous occupant de ses dons, et vous distrayant de ce délassement très simple, et adhérence très unique à lui, dans la nudité d’une foi parfaitement épurée. Comme Dieu vous conduit par cette voie de foi, ne cherchez jamais à découvrir plus que ce qu’Il montre ; et quand Il ne vous montre rien, demeurez dans cet approfondissement fort intime, sans rien faire que d’adhérer très simplement à Son attrait, et je ne dis pas même que vous y adhériez par un acte sensible ; car c’est assez que cela se fasse… (2 137, à la Mère de Bressand)

« la vraie manière de prier des âmes fidèles est la foi nue destituée de toute vue particulière et de tout sentiment. (2 328)

Une expression adaptée au plus près au dualisme et le dépassant :

« qu’Il soit Lui-même en vous votre chantre, votre instrument de musique et votre voix… en un mot qu’Il commence en vous dès ce jour l’ouvrage des louanges de Dieu qu’Il y doit continuer toute l’éternité. Et pour cela vous Le prierez  de vous vider de vous-même… afin qu’Il agisse en vous et S’y dilate en toute la plénitude qu’Il désire (2 421). »

À monsieur Picoté son directeur, il confie son état intérieur :

« Le divin Maître me donnait par là un grand dégoût de tous les sentiments extérieurs qui se rencontrent en la piété... En cet état, le divin Maître m’a appris par une expérience intérieure de mes facultés qui voulaient agir auprès de Lui, que je devais alors demeurer en silence, et dans la sainte oisiveté de sainte Madeleine, en présence du Maître et du divin Époux. Il m’a fait (1,246) remarquer que mes facultés allaient chercher loin ce que je possédais dans le fond de ma substance ; et que le saint Époux était bien plus intime dans le fond de mon âme, que toutes mes facultés qui se mêlaient de le chercher. Et il me semble que pour me faire entendre cela sensiblement, il me donnait la comparaison d’une tour, au milieu de laquelle il y aurait une belle chambre, et qui serait environnée de murailles auxquelles seraient attachées plusieurs guérites par où on pourrait voir ce qui se passe au-dehors.

« Il me faisait comprendre que notre âme, dont la substance est très profonde au dedans de nous, et le fond très caché, était comme cette chambre qui servait de retraite à Jésus-Christ, et que les facultés opérantes en nous étaient comme des saillies et des guérites qui se poussent au-dehors. De là j’apprenais encore une autre chose, qui est que l’âme en cet état, quand elle se veut recueillir, ne doit point faire d’efforts pour aller chercher Jésus-Christ ni dans le ciel, ni sur la terre. Il n’est point nécessaire qu’elle aille dans le sein de Dieu, ni dans les cœurs des justes de ce monde, où il se rend si souvent sensible, pour exciter et réveiller l’amour divin dans les âmes qui l’y cherchent, et qui s’y unissent en esprit. Il suffit pour le trouver qu’elle le cherche en elle-même, et qu’elle le cherche comme un bien qu’elle possède, et non comme une chose qui serait éloignée. Car il faut savoir qu’il est en nous dans un fond inaccessible, d’où il sort pour se manifester et se faire sentir quand il lui plaît à l’âme. [Lettre 115, écrite probablement en juin 1645].


1657 Madeleine de Neuvillette (1610 - 1657)

Elle fit la connaissance de Gaston de Renty et il lui annonça, lorsqu’elle avait trente ans, la mort de son mari, tué au siège d’Arras. Sur ses conseils elle se consacra toute à Dieu. Elle  est un exemple de la conversion d’une vie mondaine à une vie d’oraison menée dans le siècle. Si elle parle de sa vie intérieure avec trop de généralité pour mériter une lecture suivie, la façon de s’occuper des condamnés  à mort, contée par le carme traducteur de Jean de la Croix, ne manque pas de couleur781 :

«Elle s’en allait aux cachots de la Conciergerie visiter ces pauvres criminels... Il s’en est ensuivi des choses si extraordinaires en manière de repentance, qu’on en a vu et entendu qui ne cessaient de pleurer et de regretter leurs offenses... Elle n’abandonnait pas les pauvres criminels, mais après les avoir visités en la prison qu’autant qu’elle pouvait... elle conduisait à ses dépens le confesseur en carrosse jusqu’au lieu du supplice et demeurait là jusqu’à ce qu’elle les eut vu mourir.... [à un jeune homme] l’ayant vu monter sur l’échafaud, et se tenant dans la presse... elle lui faisait de fois à autre un signal avec un mouchoir, pour le faire souvenir d’élever son cœur à Dieu...782.

1658 Jean Rigoleu[c] (1596 - 1658).

Breton de naissance, d’éducation et probablement de tempérament, il a été formé par Lallemant dans la seconde période vécue par ce dernier à Rouen. Il le retrouve à Bourges, où « il fut mis dans cet état que les mystiques appellent passif ». Il passera une grande partie de sa vie à Vannes d’où il rayonnera en collaborant aux missions populaires bretonnes du bienheureux Julien Maunoir (1606-1683). Il intervient dans les couvents d’ursulines, puis à Quimper où il formera des prêtres. Champion nous dit que « Dieu permit qu’il fût moins considéré que les autres ». Il ne fut jamais supérieur et « peut-être sa rude franchise faisait-elle peur »783.

  Nous sommes ici en présence du cœur de la mystique vécue en province bretonne par les « missionnaires » jésuites. La seule objection que l’on peut soulever à la lecture de Rigoleuc-Champion porte sur l’action propre qui subsisterait chez Rigoleuc ; mais des textes inédits différeraient sensiblement sur ce point784.

Champion, à qui nous sommes tentés d’attribuer quelque gauchissement de la mystique vécue par ses héros, est un « sourcier de la mystique jésuite », qui eut le mérite d’éditer Lallemant, Rigoleuc et Surin785. Le troisième traité publié par Champion, qui s’impose à la lecture comme supérieur aux autres, est de Lallemant786. Il en est de même pour de belles lettres.

« Traité III. Le pur amour, où les moyens d’y arriver, et ses effets.

« Chapitre I. De la garde du cœur.

« La garde de du cœur n’est autre chose que l’attention qu’on apporte aux mouvements de son cœur et à tout ce qui se passe dans l’homme intérieur, pour régler sa conduite par l’Esprit de Dieu, et l’ajuster à son devoir et aux obligations de son état. /D’où l’on peut voir combien cet exercice est différent de l’examen de [226] conscience. Premièrement. L’examen se fait en certains temps réglés. La garde du cœur se pratique à toute heure, et n’a point de temps limité. Deuxièmement. L’examen est une revue des actions passées, et de plusieurs actions ensemble, et d’ordinaire d’une partie de la journée. La garde du cœur est une vue des actions présentes, et une application d’esprit aux diverses parties d’une action, à mesure qu’on la fait. Troisièmement. L’examen envisage les choses plus en gros et plus superficiellement. La garde du cœur les considère en détail et d’une manière plus distincte et plus intime. Quatrièmement. L’examen travaille la mémoire. La garde du cœur ne la fatigue nullement, et n’est pas si gênante qu’on se pourrait peut-être d’abord figurer. Elle ne demande point une contention violente qui doive rendre l’esprit abstrait, mais seulement une attention d’esprit modérée, qui produit un fond de paix intérieure, et qui est la source des plus douces consolations qu’on puisse goûter en cette vie. ...

« Chapitre II. De l’obscure nuit de l’âme...

« Paragraphe 6. De la nuit, ou mortification passive du sens et de l’esprit. [266]

« Pour arriver au dernier point de pureté requis à l’union divine, il faut que Dieu même mette lui-même l’âme dans cette sorte de mortification que l’on appelle nuit surnaturelle ou passive. À quoi il ne manque pas d’ordinaire quand l’âme de son côté est fidèle et constante à pratiquer l’application qui dépend d’elle et que l’on nomme nuit naturelle, ou active. ... C’est ainsi que Dieu achève de purifier l’âme, lui ôtant sa manière d’agir naturelle et humaine, pour lui en donner une surnaturelle et toute divine. Ensuite de quoi la mémoire et l’imagination vide de cette confusion de objets qui les [269] remplissaient, ne sont plus occupées que de la seule vue de Dieu et des choses qu’il faut faire par Son ordre, et qui ne se présentent à elles qu’à mesure qu’il les faut faire. »


1659 Jean de Bernières (1600 - 1659)

Jean de Bernières787, né en 1602 d’un trésorier général de France, mène une vie laïque, sensible à l’amitié, insensible aux différences sociales :

«Ses serviteurs... ne sont pas pour lui de simple laquais, mais de  véritables frères en Jésus-Christ... Jean rapporte cette conversation... étonnante : Vous êtes mon maître, je vous dois tout dire comme à mon père spirituel — Vous le pouvez, lui dis-je, car je vous aime en Jésus-Christ, et je vous ai tenu auprès de moi, afin que vous fussiez tout à lui788.»  

Bernières est ferme dans ses convictions :

Lorsqu’on attaque ses amis, il les défend avec énergie. Quand le grand archidiacre d’Évreux, Boudon, victime d’une sorte de conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui789.

Il paye de sa personne lorsque maladie et misère sont en cause, désirant la pauvreté : il veut faire donation de ses biens, mais :

« Ma belle-sœur fait de son mieux pour empêcher que je ne sois pauvre ; elle me fait parler pour ce sujet par de bons religieux  ... il n’y a plus moyen d’être pauvre790. »


Pendant ses dernières années, il ne vit plus que de ce que lui donne sa famille... j’embrasse la pauvreté, dit-il quoiqu’elle m’abrège la vie naturelle791. Mais il est tout à fait capable de conseiller Mme de la Peltrie en procès avec sa famille et de gérer des ressources pour la fondation des missions du Canada, pendant les vingt années qui suivront le célèbre voyage évoqué ci-dessous.

De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la charité auquel nous consacrons une section, Bernières contribue à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires.

Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital... porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice... il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui792.

« L’un des premiers et plus ardents confrères de cette société [de la sainte abjection], le Père Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce... Ce sentiment d’un directeur... adressé à un disciple... en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. Mais comme son bon directeur n’était plus ici-bas... il ne trouvait presque personne qui ne s’y opposât793. » 

Catherine de Bar se lie à Bernières et ils demeureront en correspondance. Devenue la Mère Mectilde du Saint-Sacrement appréciée de Madame Guyon, elle fonda les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement à Paris ; son ordre essaimera en Lorraine et jusqu’en Pologne794. Le père Jean-Chrysostome est son confesseur. Elle passe environ un an au monastère de Montmartre et au moins trois années à Caen795. Son nouveau confesseur Épiphane Louys (1614-1682), mystique attachant et lorrain comme elle, s’est lié aussi avec Bernières.

Ce dernier est donc au centre d’un large cercle : sur place M. de Gavrus, neveu de Jean, fonde l’hôpital général de Caen ; Boudon deviendra l’archidiacre « persécuté » d’Évreux, écrivain abondant auquel nous devons de précieuses informations ; Lambert de la Motte devenu Mgr de Béryte, est l’un des premiers évêques de la Chine.

L’influence de ce cercle s’étend surtout au Canada, dans des circonstances pour le moins inhabituelles : Mme de la Peltrie, veuve, aussi généreuse qu’originale, veut fonder une maison religieuse au Canada. Sa famille s’y oppose, elle consulte un religieux qui suggère l’expédient d’un mariage simulé. La proposition est présentée à M. de Bernières, ce « fort honnête homme qui vivait dans une odeur de sainteté ».  Ce dernier consulte son directeur :

Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô... Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage... du moins à se prêter au jeu... en faisant demander sa main.... La négociation réussit trop bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M. de Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « ... faisait tapisser et parer la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui devait dire pour les avantages du mariage »796.

Notons l’intervention positive du Père Chrysostome, qui peut être sévère, mais sans étroitesse d’esprit, et la liberté de tous dans cette affaire qui prend une pente assez comique quand Bernières est veillé à Paris par Mme de la Peltrie lors d’une maladie. Car le grand voyage pour le Canada a lieu, débutant par un « tour de ramassage » de deux sœurs à Tours suivi d’une présentation à la Cour et d’un séjour à Paris :

Le groupe comprenait sept personnes, Mme de la Peltrie et Charlotte Barré, M. de Bernières avec son homme de chambre et son laquais, et les deux Ursulines dont Marie de l’Incarnation, qui écrit : « M. de Bernières réglait notre temps et nos observances dans le carrosse, et nous les gardions aussi exactement que dans le monastère... À tous les gîtes, c’était lui qui allait pourvoir à tous nos besoins avec une charité singulière... Durant la dernière journée de route, M. de Bernières s’était senti mal : il arriva à Paris pour se coucher. » Mme de la Peltrie joua jusqu’au bout la comédie du mariage : « elle demeurait tout le jour en sa chambre, et les médecins lui faisaient le rapport de l’état de sa maladie et lui donnaient les ordonnances pour les remèdes ». Mme de la Peltrie et la sœur de Savonnières s’amusaient beaucoup de cette comédie. M. de Bernières un peu moins797.

 Finalement le grand départ de Dieppe de la flotte de printemps en 1639 emporte Mme de la Peltrie (? -1671), fondatrice temporelle de la communauté Ursuline du Québec, et surtout Marie de l’Incarnation (1599-1672) qui animera cette communauté :

Marie de l’Incarnation est encore sous le coup du ravissement qu’elle vient d’avoir en la chapelle de l’Hôtel-Dieu. M. de Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes... mais on lui conseilla de demeurer en France afin de recueillir les revenus de Mme de la Peltrie, pour satisfaire aux frais de la fondation798.

De nombreux familiers de l’Ermitage suivront le même chemin : Ango de Maizerets, dont la vie se confondra avec celle du séminaire fondé là-bas à l’imitation de l’Ermitage, et qui se dévouera à l’éducation des enfants ; M. de Bernières, neveu de Jean, qui meurt à Québec en 1700 ; François de Montmorency-Laval (1623-1708), évêque de Québec ; M. de Mésy, duelliste raffiné converti, premier gouverneur de Québec ; Roberge, le fidèle valet de chambre et disciple, après la mort de son maître…799. Bernières restera le correspondant préféré de Marie de l’Incarnation (avec le fils de cette dernière, dom Claude Martin), mais les longues lettres « de quinze ou seize pages » sont perdues.

Revenons à Jean  de Bernières qui se souvient de l’agonie douloureuse de son confesseur  Jean-Chrysostome : « Il avait pourtant peur de la mort... Une tradition de famille rapportait qu’il demandait toujours à Dieu de mourir subitement... Le 3 mai 1659... rentré à l’Ermitage, le soir venu, il se mit à dire ses prières. Son valet de chambre vint l’avertir qu’il était temps pour lui de se mettre au lit. Jean lui demanda un peu de répit, et continua de prier. Peu après le valet entendit un bruit sourd et rentra : Bernières venait de tomber de son prie-Dieu, mort800.

La forme de ses écrits a été considérablement revue, ce dont se plaignaient déjà ses contemporains801.


1661 Sarmad (? – 1661)

Juif arménien de Kashan, il suivit les cours de Molla Sadra Shirazi. Marchand qui amassa une grande fortune, il tomba amoureux fou en 1632 d’un jeune garçon prodige, Abhai Chand. Désormais il demeure nu (comme Lalla). Nombreux admirateurs à Lahore et Hyderabad dont Mir Jumla, ministre du sultan puis favori d’Aurangzeb. En 1654 à Delhi, il dirige Dara Shikoh. Exécuté près de la mosquée de Jami à Delhi en 1661 par Aurangzeb (l’exécution suit celle de Dara Shikoh). Sa tombe est l’objet d’un pèlerinage annuel. «One of the outstanding masters of the Persian quatrain» (Schimmel) . Je cite802 Rizvi 111-118 puie Munshi 105-118.

« Je ne sais pas si dans ce vieux monastère sphérique/Mon Dieu est Abhai Chand ou quelqu’un d’autre 111

« Ce monde est un complet mystère. /L’homme qui ne comprend pas ce secret est à plaindre 112

« Les habitants de la Kaaba,  de la mosquée et de la chapelle évidemment ne peuvent le reconnaître/Entrez le domaine de l’unité et regardez l’unicité tout autour de vous/Séparez la rose de l’épine et l’amoureux de l’aimé – si vous le pouvez 118

« Tu manifestes ta gloire dans d’innombrables formes/ Parfois dans la jacinthe, parfois dans le cyprès, souvent dans le jasmin/ Tu demeures caché dans les montagnes, dans le désert et dans le jardin/ À d’autres moments Tu es dans la lumière de la flamme.

« [Abhai Chand :] Je me soumets au Coran, au Pentateuque/Je suis un prêtre, je suis un moine chrétien/Je suis un rabbi des juifs, je suis un infidèle, je suis un musulman.

« Je ne sais pas si dans ce vieux monastère sphérique (le monde)/Mon Dieu est Abhai Chand ou quelqu’un d’autre

« il ne récitait que la première partie la Ilaha de la célèbre formule kalima : « Il n’y a pas de Dieu » (que Dieu). [cf. l’imprononçable nom du Dieu judaïque]

« 105 Si j’étais pur, je ne pourrais jamais goûter la douceur/de l’oubli des fautes, si j’étais saint je/ne pourrais jamais voir les larmes

« 109 Dieu ! Dans le désert de l’expérience/Mon trafic était du bon et du mauvais. /A part toi aucun n’écouta ma peine. /Quoique j’ai approché le meilleur et le pire

Les hommes trouvent leur bonheur dans la religion et dans le monde/ Délivre-moi des deux ; c’est mon bonheur. / Être amoureux de toi, c’est mon désir vain/ Tombe le voile, laisse-moi voir.

« 111 Ce monde est un complet mystère. /L’homme qui ne comprend pas ce secret est à plaindre.

« 112 Les habitants de la Kaaba, de la mosquée et de la chapelle évidemment ne peuvent reconnaître/Entrez le domaine de l’unité et regardez l’unicité tout autour de vous/Séparez la rose de l’épine et l’amoureux de l’aimé — si vous le pouvez.

« 113 Si les règles qu’il a édictées le permettent, il te visitera/Pourquoi errer et mendier de porte en porte ? /Assied-toi en paix. Il connaît ton cœur. Il viendra.

« 118 Tu manifestes ta gloire dans d’innombrables formes/ Parfois dans la jacinthe, parfois dans le cyprès, souvent dans le jasmin/ Dans les montagnes, dans le désert et dans le jardin Tu demeures caché  / À d’autres moments Tu es dans la lumière de la flamme…

1662 Pascal (1623 - 1662)

De nombreux textes803 témoignent de sa vie intérieure : qui aurait été composé à la fin de l’année 1653, le Mémorial de novembre 1654, le fragment 753 proche de la seconde lettre à Charlotte de Roannez, de septembre 1656, certains passages des Écrits sur la Grâce de 1655-1656, l’écrit sur la conversion et La Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies de novembre 1659. Les extraits sont cités en commençant par ce qui ne figure pas dans les Pensées.

Un sens aigu de la vanité du monde, ou desengaño, et de l’arbitraire pousse à la recherche du vrai bien :

 « [L’âme] se porte à la recherche du véritable bien. Elle comprend qu’il faut qu’il ait ces deux qualités, l’une qu’il dure autant qu’elle et qu’il ne puisse lui être ôté que de son consentement, et l’autre qu’il n’y ait rien de plus aimable.... Elle fait d’ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que comme Il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise de la conduire et lui faire naître les moyens d’y arriver…804. »

Mais nous sommes dans la caverne dont on ne peut sortir sans une lumière surnaturelle donnée par la grâce, car les mêmes choses découvrent ou cachent Dieu selon l’amour ou l’ignorance de l’amour :

 « nous devons nous considérer comme des criminels dans une prison toute remplie des images de leur libérateur et des instructions nécessaires pour sortir de la servitude ; mais il faut avouer qu’on ne peut apercevoir ces saints caractères sans une lumière surnaturelle ; car comme toutes choses parlent de Dieu à ceux qui le connaissent, et qu’elles le découvrent à tous ceux qui l’aiment, ces mêmes choses le cachent à tous ceux qui ne le connaissent pas805. »

Cherchant la conformité au modèle offert par le médiateur Jésus-Christ, Pascal rappelle, comme tous les spirituels, « … que tout ce qui est arrivé à Jésus-Christ doit se passer et dans l’âme et dans le corps de chaque chrétien806 », pour mener à la divinisation : « … saint Paul dit : Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi... Jésus-Christ dit lui-même… Ce n’est pas moi qui fais les œuvres, mais le Père qui est en moi…807 ». 

« Qu’alors on n’enseignera plus son prochain disant : « Voici le Seigneur »,

« Car Dieu se fera sentir à tous. Vos fils prophétiseront.

« Je mettrai mon esprit et ma crainte en votre cœur.

« Tout cela est la même chose.

«Prophétiser, c’est parler de Dieu non par preuves du dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat808»

Quelques fragments des Pensées confirment l’orientation mystique :

« 80 Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. … Le passé et le présent sont nos moyens, le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre.

« 339 La distance infinie des corps aux esprits, figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle.

« 471, Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous.

« 753 Nous ne souffrons qu’à proportion que le vice, qui nous est naturel, résiste à la grâce surnaturelle… il serait bien injuste d’imputer cette violence à Dieu, qui nous attire, au lieu de l’attribuer au monde, qui nous retient. C’est comme un enfant que sa mère arrache d’entre les bras des voleurs.

Le Mémorial constitue la découverte mystique de Pascal dans la joie :

« L’an de grâce 1654 809 .

Lundi 23 novembre [...]

Depuis environ dix heures et demie du soir jusques envi­ron minuit et demi.

Feu.

Dieu d Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob810.

non des philosophes et des savants.

Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.

Dieu de Jésus-Christ.

Deum meum et Deum vestrum811.

Ton Dieu sera mon Dieu812.

Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.

Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile.

Grandeur de l’âme humaine.

Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu813.

Joie, joie, joie, pleurs de joie.

Je m’en suis séparé.

Dereliquerunt me fontem aquae vivae814.

Mon Dieu, me quitterez-vous ?

Que je n’en sois pas séparé éternellement815. [...]»

La rédaction du Mémorial témoigne d’un respect de l’expérience de la part d’un esprit scientifique. En situant en premier le cadre objectif (date, durée) et en se limitant à des substantifs, Pascal rend compte de sensations immédiates sans introduire les formes verbales qui traduiraient des mises en relations ou des explications, c’est-à-dire la réflexion du sujet.

Des citations bibliques situent l’expérience comme inscrite dans la tradition et non comme illusion ou peut-être un délire, tout en la traduisant très discrètement, telle la citation évoquant la théophanie du Buisson ardent (Dieu d’Abraham…).

 Plus largement, un sentiment d’impermanence « bouddhique » hante Pascal : « Qu’est-ce que le moi ? … m’aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi. … On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. (fr. 567). » . « La fluidité de notre apparence physique… l’instabilité de notre être psychologique, tout cela conduit Pascal à la question la plus radicale… La réponse se trouve contenue tout entière dans le texte du Mémorial… La vie éternelle dès maintenant… permanence d’un même Dieu au-dessus du flux des siècles. » Pascal est « convaincu que, sous la fluidité de nos contenus de conscience, existe à jamais un lieu mystérieux que nous appelons âme… de préférence… cœur. »816

Ce fragment 567, pose aussi une question peut-être encore plus intime chez tous les êtres : m’aime-t-on moi ?  Car nous avons tous le désir profond d’être aimés et la crainte informulée que ce désir soit sans réponse possible, sinon dans des instants éphémères et peut-être illusoires. L’expérience d’amour, le « feu », est la réponse positive, probablement la seule preuve de l’existence de notre être qui n’est pas nécessaire (fr. 167) : l’énergie divine ne peut de fait se manifester et attirer en proposant  son amour à ce qui n’existe pas. « Donc » nous existons — approche réfutant le doute fondamental, approche plus profonde que le cogito.

Cet amour reçu (« Ton Dieu sera mon Dieu… je t’ai connu ») est à la source de « pleurs de joie » traduisant une intensité difficile à supporter. Une expérience mettant en jeu quelque forme de compréhension ou de vision ou de paix ne se traduirait pas par « l’oubli du monde et de tout ». Puis la paix qui suit cette joie confirme qu’elle a une source objective bien plus profonde que les couches de la psyché humaine. À la remontée vers la condition ordinaire, après une telle plongée très profonde, reparaissent, à la traversée des couches superficielles de l’être que nous nommons « moi », culpabilité et  peur d’être abandonné : « Je m’en suis séparé… me quitterez-vous ? ». Le compte-rendu est précis et ordonné, comme on est en droit de l’attendre de l’auteur De l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air.

Cette expérience introduit à une nouvelle vie, mystique, qui fait entrer dans une dynamique de recherche puis de parcours d’une voie : pour Pascal, retraite à Port-Royal des Champs du 7 au 28 janvier 1655, Écrits sur la grâce (fin 1655 — début 1656), Provinciales (janvier 1656 à mars 1657) et divers écrits aidant la cause chrétienne telle qu’il la percevait (1658), Projet de juin 1658 suivi de la rédaction du corps principal des Pensées (en 1658 jusqu’au tout début de 1659, la maladie réduisant l’activité sauf pour une brève rémission précédant de très peu la mort), Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies (novembre 1659), pour ne citer ici que les écrits spirituels les plus appréciés817.

Cette dynamique lui permit d’entreprendre l’apologie inachevée des Pensées. Elle traduit son désir de proposer à d’autres la découverte qui lui fut accordée, puis de partager la condition des pauvres, par la maladie, puis, lors de la rémission de 1662 par le lancement avec le duc de Roannez des « carrosses à cinq sols », enfin dans une dernière requête symbolique d’un transport à l’hôpital général818.

Pascal semble reprendre le schéma d’Augustin, qu’il avait médité profondément : préparer l’irruption possible de la grâce en faisant le vide préalable, c’est-à-dire en minant les certitudes de la sagesse humaine. D’où le plan du projet ébauché dans les Pensées : première partie, le monde sans la grâce, source d’incertitude, d’ennui, d’angoisse, qui attend sa rédemption ; deuxième partie, le monde nourri par l’Ecriture, trace de cette attente puis de la réponse de la grâce en Jésus-Christ.

Quittant la grandeur intime du témoignage pascalien, fallait-il donner toute la place à l’Écriture? Ce second volet des Pensées souffre de l’étroitesse temporelle du monde connu à son époque, malgré les découvertes récentes de Galilée qui élargissaient ses dimensions spatiales. Une dynamique évolutive sera l’apport des siècles suivants (et rencontrera à son tour une grande résistance des Églises). La Bible, à cause de sa grande antiquité, remontant à la Création pour des contemporains de Pascal,  était le fil auquel se rattachaient toutes les histoires particulières, celle des Grecs et des Romains (la Chine n’est pas encore largement présente, il faudra attendre la stabilisation mandchoue après le milieu du siècle précédant un peu son rayonnement); le monde est limité à quelques milliers d’années; la religion chrétienne  n’a guère que des «imitateurs». 

La brièveté de la vie de Pascal, et plus encore de la période active qui suit le grand don de grâce de 1654, limitée à cinq années compte tenu des progrès de sa maladie — elle ne lui laissera guère la possibilité de composer des écrits après 1659 —  n’a peut-être permis que l’expression de la découverte, première des phases classiquement distinguées dans un parcours mystique. Son exercice de la charité, issue trouvée à la « traque mystique », deuxième phase vécue par le Pascal des trois dernières années, ne put être exprimé par lui-même ; mais nous disposons du témoignage de Gilberte.

Port-Royal constituait un milieu critique vis-à-vis de nombreux aspects de la vie mystique, même si l’on en excepte mère Agnès. Il favorisait l’ascèse prise dans le sens d’un effort personnel plutôt que la quiétude prise dans le sens d’une ouverture au travail de la grâce, l’ascèse se transmuant alors en une garde du cœur. Cette influence ne fut peut-être pas toujours apaisante. Il est alors utile de se rappeler constamment le don reçu de la grâce, sans rétribution d’un mérite préalable, don véritable dont on ne peut parler. Pascal porte donc sur lui, secrètement, une « preuve » de sa réalité. Face à un tel écart par rapport à l’ordre de son milieu naturel, la preuve doit être sensible, expérimentale, éprouvée. On retrouve ici saint Augustin, profondément étudié par Pascal.


1665 Jean-Joseph Surin (1600 - 1665)

Jean de Seurin, issu d’un milieu parlementaire bordelais, entre au noviciat à seize ans. Prédicateur à Bordeaux et en Saintonge à partir de 1630, il est envoyé à Loudun dans le Poitou, dont le curé vient d’être brûlé vif comme « sorcier », pour exorciser la communauté des ursulines. Il délivre la prieure Jeanne des Anges, mais « au milieu d’un délire collectif, il succombe bientôt à la maladie mentale que préparaient sa fragilité nerveuse et des crises antérieures. » Vingt années durant (1637-1657), il reste quasi paralysé, le plus souvent incapable d’écrire et de marcher, certes visité, mais retenu dans une petite chambre d’infirmerie du collège où il a été élève. Convalescent (1654-1660), il entretient une intense correspon­dance. Il écrit alors la plupart de ses grandes œuvres819. Peu à peu, il reprend ses ministères, surtout pendant les trois dernières années de sa vie. Michel de Certeau cherche la cause profonde de sa fragilité ; peut-être sa mère ne lui a pas « permis d’exister » 820

Son plus ancien souvenir nous reporte au garçonnet de huit ans. Lors d’une peste à Bordeaux (1608), je fus envoyé, dira-t-il, « en une maison aux champs, près de la ville, en un très beau lieu, en la plus belle saison de l’année, et laissé seul avec une gouvernante qui n’avait soin que de me procurer tout plaisir ; et chaque jour, j’étais visité par mes proches qui, les uns après les autres, me venaient voir et m’apportaient des présents. Toute ma journée s’employait à jouer et à me promener, sans avoir crainte de personne. Après cette quarantaine, on me mit à apprendre les lettres et mon mauvais temps commença. » … « Depuis l’âge de huit ans » jusqu’à la soixante-troisième année, Surin « n’a jamais possédé » une pareille « liberté ». Le « beau lieu » où pay­sage et visages organisent un univers de sympathies n’est qu’un paradis solitaire, brève parenthèse dans une vie oppressée par la « crainte » au milieu des hommes. L’image d’un « ailleurs » trouant le tissu continu de l’angoisse manifeste une secrète déchirure.

D’autres femmes auront une influence sur lui, et pas seulement la mère Jeanne des Anges avec laquelle il correspond jusqu’à la fin de sa vie.  Lorsqu’il achevait ses études au collège, « les jours de congé, j’allais quelquefois voir la mère Isabelle des Anges, qui était la mère prieure et qui avait fait la fondation ». Nous avons déjà rencontré brièvement cette mère : « elle demeura la gardienne vénérée [du feu intérieur], seule carmélite espagnole restée en France… Isabelle Marquez Mexia avait abandonné sa patrie et son couvent de Salamanque pour cette grande mission ; elle était restée fidèle à la terre où elle avait suscité tant de carmels… pour y maintenir la fidélité au premier esprit qu’avaient nos premières mères. » 821. Le jeune jésuite fut ainsi initié à la mystique carmélitaine, comme il le rappelle à une prieure :

«J’appris par ma sœur Marica Isabelle en sa dernière lettre comment vous aviez la charge du monastère de Toulouse et qu’ainsi je pouvais m’adresser également à vous et à elle, quand notre Seigneur me mettrait en la disposition de parler de lui aux carmélites de Toulouse, qui est une chose que j’ai désiré longtemps et désirais aussi conserver la connaissance que j’avais acquise avec vous à Saintes, à cause que nous avons eu une même mère spiri­tuelle qui est la mère Isabelle des Anges. /Je ne crois pas que je vous puisse rien dire de mieux que de renouveler dans vos pensées les idées qui vivaient en l’esprit de cette bonne mère et vous y établir tellement qu’elles ne fussent jamais ôtées de votre souvenir. Il me semble que ses exemples et ses paroles opéraient un effet de grâce précieux, imprimant dans les cœurs la vivacité de la foi, les élevant aux choses éternelles et retirant des affections de l’être présent, en sorte que rien de temporel, sous quelque prétexte que ce fût, ne tirât l’âme de l’unique décharge en Dieu et du repos dans le sein de Sa provi­dence… C’est en ce plongement qu’est le bien des véritables carmélites… Ces rapports ne sont pas par des imaginations ou conceptions, mais par des liens du cœur…»

Il aura à faire face dès 1639 à des accusations à l’intérieur de la Compagnie, provenant de ceux qui ne partagent pas précisément l’esprit carmélitain, comme le représentant d’une « nouvelle spiritualité » 822 :

« Articles sur quelques points dont il a paru important d’informer le très révérend père général […] aussi ai-je estimé devoir joindre à cette lettre les enseignements du père, tels qu’il les a donnés et lui-même écrits,

1. L’âme qui veut progresser eu esprit doit s’en remettre à l’opération divine au point de ne pas chercher elle-même à y coopé­rer, à moins que ce ne soit, tout au plus, par un acquiescement insensible....

4. Elle doit s’en remettre à Dieu au point de se conduire exacte­ment comme un enfant privé de raison, ou comme de petits animaux guidés seulement par l’instinct, ou comme un agonisant absolument incapable d’agir, ou comme une jeune fille qui est parée et ornée par la main d’un autre.

5. Elle doit subir le mouvement intérieur sans faire elle-même d’efforts pour s’y exciter et pour accroître la ferveur, et ne jamais outrepasser l’instinct.

6. Elle ne doit rien demander à Dieu, à moins qu’il ne lui soit auparavant révélé que Dieu même forme et produit en elle une requête.

7. Elle ne doit jamais juger d’après ce qu’elle voit, mais d’après l’instinct intérieur.

8. Dans les désolations, elle ne doit pas recourir aux actes de pénitence ou à d’autres semblables remèdes, mais demeurer dans cet état, sans rien faire pendant tout ce temps. [...]

11. L’âme qui s’efforce de se soumettre à Dieu doit bannir toute appréhension, et vouloir se libérer non des ennemis, mais de leur crainte.

12. L’âme progresse d’autant plus qu’elle a moins le souci et la pensée de son progrès.

13. L’amour libère l’âme de tout souci, la rend passive en tout et lui retire tout ce qui pourrait lui servir d’appui. [...]

18. Dieu nous veut libres de cœur, c’est-à-dire délivrés de tout soin.

19. Dieu ne veut pas que nous nous occupions de ce qui se passe en nous, mais que nous restions parfaitement ignorants de la consolation dont nous jouissons ou de la désolation qui nous presse­.

20. Les apôtres ont péché quand, par crainte du naufrage, ils ont prié le Christ, car dans la nécessité chacun doit s’en remettre à la volonté divine, sans rien solliciter de Dieu.

Voilà ce qu’il écrivait. Quand il parlait, en chaire ou au cours d’entretiens privés, il détournait de la méditation, des prières vocales et autres semblables pratiques de piété, de sorte que beaucoup de religieuses croyaient devoir s’en abstenir et l’on eut toutes les peines du monde à les guérir de leur erreur.

On constate que tous ces enseignements sont bourrés d’erreurs, qu’ils anéantissent tout travail pour la perfection, et qu’ils sont surtout opposés à l’esprit de notre Compagnie…»

Surin fut au plus mal lorsqu’il tenta de se suicider en 1645 et le déroulement de cette tentation éclaire sur le désespoir de mystiques incompris et se sentant damné, compte tenu des croyances relatives aux sorciers et aux démons  Son cas rejoint celui de son aînée de dix ans, Marie des Vallées (1590-1656), et est exposé comme suit823:

« Il fut logé, continue Surin, en une de ces chambres qui sont sur la rivière et qui sont extrêmement élevées, à cause que la maison est bâtie sur un rocher au pied duquel passe la rivière de Garonne. La chambre où il était est l’infirmerie, laquelle est au troisième étage et sur la salle. Il passa quelques jours dans cette maison, dans une désolation aussi grande qu’il eût jamais eue en la vie, à cause de la pensée qu’il avait qu’il était déjà condamné et rejeté de Dieu.

« D’après une lettre de 1662, ces ténèbres furent pourtant traversées d’un « éclair » : « Je vous dirai, écrit-il à Jeanne des Anges, que le jour avant ma chute de Saint-Macaire [le 16 mai], comme j’étais abîmé dans ces eaux profondes du désespoir, il me vint une parole qui venait de la bouche propre et particulière de la Personne du Saint-Esprit, qui me dit, au milieu de mon trouble, une parole espagnole qui est dans le Cantique de sainte Thérèse, qui est “Espe­ranza larga”, c’est-à-dire amplitude d’espérance, qui est la chose la plus suave qui puisse jamais venir à l’esprit. Mais, à cause de la misère où j’étais, cela se renferma comme un éclair, et ensuite mes effrois ne furent point diminués. »­

« Comme son âme était remplie de cette pensée [de la damnation], poursuit le récit de la Science expérimentale, il eut encore une autre puissante suggestion, qui était de se jeter par la fenêtre de la chambre où il était logé, qui répond à ce rocher sur lequel la maison est bâtie. Il porta cette pensée qui lui venait d’une manière tout à fait affreuse. Il passa toute la nuit à la combattre et, le matin venu [le 17 mai], il alla devant le saint Sacrement à la petite tribune qui est vis-à-vis du grand autel et passa là une partie de la matinée, et, un peu avant le dîner, il se retira dans sa chambre.

«Comme il entra dedans, il vit la fenêtre ouverte. Il fut jusqu’à elle et, ayant considéré le précipice pour lequel il avait eu ce furieux instinct, il se retira au milieu de la chambre, tourné vers la fenêtre. Là, il perdit toute connaissance et soudain, comme s’il eût dormi, sans aucune vue de ce qu’il faisait, il fut élancé par cette fenêtre et jeté à trente pieds loin de la muraille, jusqu’au bord de la rivière, ayant sa robe vêtue, ses pantoufles aux pieds et son bonnet carré en tête. Le dire commun est qu’il tomba sur le rocher et de là bondit jusqu’au bord de la rivière, contre un petit saule qui se trouva entre ses jambes et empêcha qu’il ne tombât [473] dans l’eau. En tombant, il se cassa l’os de la cuisse, tout au haut, proche de la jointure de la hanche.» On peut constater, en examinant le fémur conservé aujourd’hui encore à Bordeaux, que les deux parties brisées se sont recollées en se chevauchant sur plusieurs centimètres, complètement déviées l’une par rapport à l’autre.

Enfin, en 1655, la grâce divine intervint824 :

« cela fit une opération de tendresse et d’amour d’une manière si puissante que je ne le saurais exprimer. Après, comme venant d’un profond sommeil, je dis encore : « Est-il bien possible que je sois capable de revenir à Dieu et d’espérer en lui ? » Il me fut répondu en même langage de vie : « En doutes-tu, que cela se puisse ? »

« La consolation, dans ce commencement que je viens de dire, était si grande en mon âme que je ne la pouvais contenir ; et comme je marchais par le couloir de l’infirmerie, je tombais tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, en la pensée que j’avais que Dieu me ferait miséricorde. Et ce qui m’accablait, c’est que les paroles que Dieu dit à mon âme étaient si douces et si pénétrantes qu’elles me renver­saient tantôt contre une muraille, tantôt contre une autre, et ce qui achevait de m’accabler, c’est que parfois il m’était demandé intérieurement : « Eh bien, Dieu est-il bon ? » [...]

Ainsi la guérison « fut un bien comme le jour qui arrive à ceux qui sont dans l’ombre de la nuit... La noire tristesse qui m’avait saisi ne s’en alla que peu à peu, et la sérénité ne revint dans mon âme que par degrés ».

Nous abordons maintenant le contenu doctrinal. Il critique avec pénétration les raisons — elles sont toujours actuelles — de ceux qui se contentent « de bons discours en leurs oraisons » 825 :

« Car souvent, pour le regard de Dieu, ils sont très peu instruits, quoiqu’ils soient très grands docteurs, parce que l’école de Jésus-Christ est, comme dit saint Ignace, une école d’affection. Ceux-là donc ont besoin de raisonner, sur les pra­tiques spirituelles ; et, si on les prive du discours, on les met incontinent à sec, à cause de l’habitude qu’ils ont à raisonner, et du peu qu’ils en ont à aimer et à goûter.

« La vraie raison de cela est que ces gens, quoi­qu’ils ne s’en aperçoivent pas, n’ont point donné leur volonté totalement à Dieu, ni, ne recherchant pas Dieu en tout et se contentant des idées com­munes, n’entrent pas bien avant en celles de la totale abnégation de leur intérêt, ne sachant pas même humilier leur entendement en agissant avec Dieu. Souvent ces personnes, parce qu’ils s’adon­nent fort par leur profession, qui est sainte et apos­tolique, à l’aide du prochain, ne gardant pas le déga­gement qu’il faut dans les choses extérieures [p.83 du ms.] et basses, ni n’y cherchant pas assez purement Dieu, il arrive que leur vie n’est qu’un mélange de bonnes choses et de conduites imparfaites. Ainsi, insen­siblement, ils se trouvent éloignés de Dieu et sont [102] plongés dans le goût des objets créés, et, dans cet état, se sentent dans leur oraison un peu loin de Dieu. Ils ont besoin de tirer l’aviron pour appro­cher de Lui, ce qu’ils font par les discours et con­sidérations. Et comme l’autre sorte d’oraison qui est affective leur est inutile, ils prêchent leur manière d’oraison et la louent grandement, tenant l’autre comme une chimère. Et comme ils ont pris cette habitude dans leur jeunesse, et dans leur plus grand âge ils suivent toujours cette méthode, et disent que c’est la meilleure. Et, véritablement, ils ont quelque raison, car il faut proportionner chaque chose à son sujet, aussi bien qu’à son prin­cipe.

« Toutefois, ceux qui tiennent une autre méthode et qui cherchent Dieu en tout, non seulement en faisant les actions de son service, mais les faisant pour lui, n’envisageant que lui et ne souffrant d’autre motif que sa gloire, ont un sujet bien diffé­rent en leur dévotion ; car ceux-là deviennent entiè­rement spirituels et sont en chemin évidents de se faire saints. Voilà pourquoi, n’ayant pas besoin d’avirons pour aller à Dieu, ni de grands discours pour le sentir, mais trouvant qu’ils sont vraiment en lui avec peu d’effort, leur oraison est de le goûter et de s’unir à lui, et, dans ce goût, croître en sa connaissance et en son amour.

Prenant l’image de la montagne, Surin décrit les divers accès possibles à son sommet, « par le dehors » pour ceux qui animés d’une « espérance certaine » qui les supporte surmontent les peines et les travaux, ou bien par le dedans, voie « des degrés obscurs » de la nuit spirituelle, qui fut la sienne :

« Ceux qui sont en bas, ayant ouï parler des mer­veilles qui sont au haut de la montagne, font réso­lution d’y aller et entreprennent d’y monter avec grand courage. Dans la montée il y a beaucoup de peine, à cause de la raideur et parce que souvent il n’y a que des sentiers étroits, difficiles à tenir et peu frayés. Il y a, outre cela, des bêtes sauvages, des précipices, des grands déserts arides avec une grande pauvreté et misère. En quelque endroit de cette montagne on trouve une grotte en laquelle, quand on entre, on trouve des degrés obscurs qui, par dedans la terre et par des voies obscures et occultes, donnent passage pour aller en haut, trouvant de temps en temps des soupiraux et des ouvertures par lesquelles on reçoit le jour pour voir où l’on est. Mais, communément, ces conduits sont fort ténébreux et, montant toujours par des voies secrètes, vont aboutir au haut de la mon­tagne, jusqu’au beau jour qui est au sommet. [111]

« Ceux qui ne passent pas ces degrés [p. 90 du ms.] obscurs et ténébreux vont par le dehors et trouvent tantôt des voleurs et mille traverses périlleuses. Enfin, aucun n’y va qu’en souffrant beaucoup ; mais c’est toujours avec une espérance certaine de parvenir à de grands biens.

« De même, ceux qui s’adonnent à la vie spiri­tuelle abandonnent la campagne de ce monde inconstant et voluptueux, et s’en vont jusqu’au pied de la montagne, et puis s’engagent à monter, sans s’étonner de la raideur et du peu de douceur que l’on trouve par les chemins. Il y a peu de retraites agréables, beaucoup de souffrances et de mauvais chemins. Quelques-uns arrivent à cette caverne où il y a des conduits souterrains et des degrés obscurs, qui sont les peines intérieures où l’homme souffre ce que personne ne sait, que ceux qui l’ont éprouvé ; ou bien ils vont, par les peines [112] extérieures et travaux qui sont les maladies, les persécutions des hommes et les traverses que la Providence divine permet qui leur arrivent. Enfin, les uns et les autres, après de grands travaux et de longs exercices de vertus, arrivent au haut de la montagne, et trouvent là des biens et des richesses dont nous voulons maintenant, avec nos paroles [p. 91 du ms.] grossières, donner une légère idée ; ce que nous faisons, pour persuader aux hommes de s’adonner au travail de la perfection, et pour leur donner l’impression que Dieu est un bon Maître, et qu’il y a beaucoup à gagner avec lui.

Enfin se présente la paix qui illumina les dernières années de ce mystique, grand malade d’angoisse. Dans un raccourci singulièrement prégnant, Surin a noté exactement un des caractères les plus saisissants des grandes marées d’équi­noxe par temps calme. Pas un souffle de vent, mais sur la grève, à perte de vue, la mer montant comme une masse animée, roulant et brassant elle-même ses eaux, les alignant en longues lames parallèles et les faisant une à une déferler, avec un rythme d’une puissance et d’une majesté souveraine. On trouverait difficilement, croyons-nous, dans toute la littérature du XVIIe siècle une page où le sentiment de la mer s’affirme à ce point. Surin a été de 1631 à 1634 à Marennes et il avait emporté de la mer une impression inoubliable. On la retrouve aussi ailleurs dans ses ouvrages, notamment dans ses Cantiques, comme ici :

« Quand Dieu a fait passer l’âme par les travaux ou par les passages ténébreux de la montagne, et qu’il commence à lui faire voir la lumière de cette région sublime de son amour, il fait écouler sur elle une paix abondante comme un grand fleuve. Ce sont des torrents de paix. Non seulement c’est un calme qui ressemble à la bonace [calme de la mer après un orage] de la mer, ou au cours tranquille des grands fleuves, mais cette paix et ce repos divin viennent dedans comme des torrents qui l’inondent, et l’âme sent vraiment, après les tempêtes passées, comme des inondations de [116] paix ; et le goût du repos divin non seulement entre dans l’âme et s’en saisit, mais la vient assaillir en la façon de quantité d’eaux. [...]

« Cette paix entrante fait ce qui ne [117] lui est pas propre, qui est des impétuosités très grandes, et il n’appartient qu’à la paix de Dieu de faire cela. C’est elle seule qui peut marcher en cet équipage, comme le bruit de la mer qui vient, non pour ravager la terre, mais pour remplir l’espace du lit que Dieu lui a donné. Cette mer vient comme farouche avec rugis­sement quoiqu’elle soit tranquille ; l’abondance des eaux fait seule ce bruit et non pas leur fureur, car ce ne sont pas les eaux [p.96 du ms.] agitées par la tempête, mais par les eaux, dans leur plus natu­rel calme, lorsqu’il n’y a pas un souffle de vent. La mer en sa plénitude vient visiter la terre, et baiser les bords que Dieu lui a donnés pour limite. Cette mer vient en majesté et en magni­ficence. Ainsi vient la paix dans l’âme, quand la grandeur de la paix la vient visiter après les souffrances, sans qu’il y ait un seul souffle de vent qui puisse faire sur elle une ride. Cette divine paix, portant avec soi les biens de Dieu et les richesses de son royaume, elle a aussi ses [118] avant-coureurs, qui sont les alcyons et les oiseaux qui marquent sa venue : ce sont les visites des anges qui la précèdent. Elle vient comme un élément de l’autre vie, avec un son de l’harmonie céleste et avec une telle raideur, que l’âme même en est toute renversée, non par aucune opposition à son bien, mais par abondance. »

Il décrit enfin l’union avec Dieu dans l’amour, dont la paix a été le signe avant-coureur de « cette lumière et sérénité » qui le mènent dorénavant :

« Dieu s’étant uni à l’homme en suite de l’exercice que nous avons pro­posé de le chercher en tout, il s’empare aussi des puissances intérieures qui sont l’entendement et la volonté. La lumière surnaturelle remplissant l’entendement, il se fait, à l’occasion des objets qui se présentent et à leur rencontre, un écoule­ment perpétuel de la lumière et de la vérité en l’homme, par lequel Dieu rayonne dans l’âme par ses rayons sereins et répond aux pensées de l’âme, l’éclaircissant secrètement et l’instruisant des vérités. Cela touchant aussi le cœur, par la [147] chaleur de l’amour l’âme [p.121 du ms.] est excitée, avec Dieu, et à s’adresser à lui. Quand l’âme parle à Dieu, jamais Dieu ne manque de faire sa réponse, et la vertu divine opère alors dans l’âme, je dis quand l’âme est déjà unie à Dieu et assujettie à sa lumière. Et, pour avoir le commencement de cette communication, il n’est pas nécessaire que l’âme soit parfaite. Dieu souvent fait cela aux âmes dès qu’elles entrent dans la lumière surnaturelle, quoiqu’il y ait en elles un grand mélange de ténèbres. Et cette réponse divine se fait si subtile­ment que souvent, l’âme ne l’aperçoit pas. [...]

« Car vraiment la vie intérieure de l’âme consiste en ce commerce continuel que l’âme a avec Dieu, Dieu lui parlant sans cesse. Et quoique ceci semble incroyable à ceux qui n’y sont pas habitués, parce qu’ils ne seront peut-être pas engagés si avant avec Dieu, il est pourtant très véritable qu’il s’établit une perpétuelle communication vitale entre Dieu et l’âme, Dieu répondant à toutes les pensées de l’âme ; selon qu’elle connaît sensiblement la parole de son Dieu qui, au fond, est son inspiration, et quelquefois même parole distincte : et l’âme sent que Dieu lui parle ; sans aucune prononcia­tion ni vocale, ni verbale distincte : néanmoins elle sent que c’est la Parole de Dieu qui lui étale sa doctrine.

« À cette lumière s’ajoute l’amour, car Dieu, par­lant à l’âme, l’enflamme et même la caresse, comme deux amoureux qui se parlent… Enfin, le fruit dont je prétends parler ici est [150] que, quand l’âme a tenu longtemps cette pratique et que Dieu lui a donné son amour, il se fait un perpétuel commerce et une communication qui n’est jamais interrompue, comme d’ami à ami, sans aucun bandement, sans aucune charge, avec une grande amplitude et soulagement de l’âme ; et même, si elle interrompait tant soit peu, l’âme semblerait perdre la vie et trouverait une diminu­tion comme de sa propre vie.

« Il semble que sainte Catherine de Gênes voulait expliquer cela, quand elle disait « Qu’il y avait comme un tuyau qui de son cœur allait au cœur de Dieu et portait à tous moments une communi­cation du cœur de Dieu au sien. »

Comment atteindre — sans entrer dans la déréliction qui affligea Surin — cette union ? Son  Guide Spirituel, écrit dans ce but, invoque Catherine de Gênes, de nombreux mystiques dont Constantin de Barbanson, Jean de Saint-Samson, et probablement Chrysostome de Saint-Lô dont la doctrine de l’Abjection est proche de celle de Surin, Thérèse. Il répond avec une précision issue de son expérience aux questions qui se posent sur le chemin826 :

« Qu’est-ce que l’oraison de quiétude et silence ? C’est un repos que l’âme prend en la pensée de Dieu sans opérer beaucoup par son propre effort. Nous l’appelons le premier degré de la contemplation parce qu’il n’y a rien de cela, mis dans l’ordre de l’oraison, qui passe la grâce commune. Il est vrai que ceux qui traitent des degrés de l’oraison les multiplient fort. … On lui donne quatre noms différents : le premier est l’orai­son de présence à Dieu ; le second, de recueillement ; le troisième, de quiétude, et le quatrième, de silence. Entre ces quatre choses, il y a quelque différence, mais non pas si grande qu’on en puisse faire des degrés à part. L’oraison de la présence de Dieu n’est pas une simple représentation que le chrétien peut faire en soi-même d’avoir Dieu présent ; c’est un don très relevé par lequel l’âme sent manifestement en soi la pré­sence divine ou celle de notre Seigneur Jésus Christ, ce qui l’élève beaucoup au-dessus de ses forces naturelles. L’oraison de recueillement est quand l’âme, ensuite ou au moyen de [284] cette présence, se trouve ramassée en son intérieur et séparée de toutes choses créées pour être attentive à Dieu. Celle de quiétude est quand cela est accompagné d’un goût très suave qui lui fait savourer la douceur divine, comme celui qu’aurait un enfant à sucer le lait de sa mère… Le silence est quand l’âme, par cette opéra­tion, est contrainte de cesser en la sienne propre et d’écouter Dieu, demeurant accoisée sans s’émouvoir en rien. Or nous trouvons que toutes ces quatre choses viennent quasi à une. Il faut seulement remarquer la différence qu’il y a entre quiétude et silence ; et c’est que la quiétude est avec goût et saveur, le silence est parfois avec très grande aridité. Ainsi, c’est la même sorte d’oraison parce que le principal point de ce degré est que l’âme demeure tranquille, sans beaucoup opérer de soi-même.

Surin aborde le sujet de la suspension des sens — suspension qui inclut toute intelligence et tout souvenir —, car cette « vacance » pose souvent problème aux mystiques comme à leurs examinateurs : les uns comme les autres ne peuvent concevoir quoi que ce soit au-delà du ressenti humain — mais les premiers l’admettent, par suite de leur expérience indirecte de son effet bénéfique. Nous citons là encore longuement le texte de Surin parce qu’il demeure une tentative unique, provoqué par le doute exprimé dans son entourage immédiat, peu préparé par la Compagnie à comprendre un vécu mystique et dont on imagine le scepticisme renforcé par l’évidence de sa maladie. Les autres mystiques, moins éprouvés en eux-mêmes par le doute induit de l’absence apparente d’effet bénéfique comme par leur entourage immédiat, négligent en général de répondre à de telles objections :

« Est-il vrai que l’âme, en cette sorte d’oraison, puisse être dite demeurer sans opération ? Sur le sujet de cette question, il y a grand différend entre plusieurs docteurs et les mystiques auxquels on trouve à redire parce qu’ils disent franchement qu’en telles contempla­tions l’âme n’agit point, mais que Dieu opère en elle ; les autres se fâchent de cela, disant qu’il ne se peut que l’âme soit sans opération, c’est-à-dire sans connaissance et sans affection. Pour les accorder, nous dirons que l’âme, à la vérité, a grande connaissance et grande affection, mais qu’elle ne l’a pas par son action propre ou par son effort, mais qu’elle la reçoit de Dieu. [...]

« Qu’est-ce que l’extase ? C’est une défaillance du cœur assailli de l’amour, qui fait cesser les opérations des sens afin que l’âme vaque aux impressions de ce même amour. Cela se fait lorsque l’âme reçoit quelque effet puissant du divin amour duquel le cœur demeure faible, et ne peut fournir aux fonctions des sens qui demeurent interdits pendant que l’âme vaque à ce qui lui est communiqué de la part de Dieu. Cette opération aussi bien que la suivante qui est le ravissement, dont nous [291] par­lerons par après, ne font point un degré différent de con­templation, mais se rapportent à l’oraison d’union, encore bien que, parfois, pendant l’extase, l’imagination demeure troublée parce que le grand effet s’en va au cœur et moins aux parties supérieures de l’âme comme pourrait être l’intelligence laquelle, quand elle est fortement arrêtée, emmène après soi tout le reste. Ce qui est ici de plus notable, c’est que l’âme est inter­dite en ses sentiments.

«Les examinateurs de la mystique donnent ici une grande attaque… parce que, disent-ils, cela serait contre l’intention de Dieu, lequel a donné la vie à l’homme pour opérer et mériter, et que, dans l’extase, l’homme n’étant pas à soi, il ne peut rien mériter827. Ce sont des raisons prises du sentiment humain, comme si les noces de Dieu étaient faites comme les nôtres. On pourrait dire de même que le sommeil que Dieu a donné aux hommes est contre son intention, parce qu’il a donné la vie aux hommes pour opérer et que toutefois, pendant le sommeil, les opéra­tions cessent; mais on peut répondre à cela que le sommeil n’est pas inutile parce que, encore que, tandis qu’il dure, l’homme cesse d’opérer, néanmoins il prend des forces pour agir plus vigoureusement par après. En même façon, dans les opérations surnaturelles, quand bien l’âme demeurerait inter­dite pour un temps, cela n’empêcherait pas le dessein de Dieu qui est de faire agir l’âme parfaitement, à cause qu’elle peut prendre là des forces pour cet effet.»

Surin parle des travaux de la purification nocturne :

« Ce travail, quoiqu’il semble n’être qu’en imagination, est néanmoins fort terrible et vient des autres peines que nous avons dites, qui fait qu’elle est réduite à l’étroit. Comme le serpent quand il se dépouille de sa peau, qui se met entre deux pierres, ainsi l’âme, pour être renouvelée, est obligée de passer par un chemin si étroit. À cause des choses qui y sont traitées et de cette censure, nous avons dit qu’elle ne sait comment vivre et les moindres choses l’accablent. Cependant il faut qu’elle vaque à tous ses devoirs si c’est un prédicateur, il faut qu’il prêche, et enfin, de quelque condition qu’il soit, il faut qu’il vaque aux devoirs de son état ; ou si c’est une mère de famille, il faut qu’elle pourvoie à ses enfants, qu’elle soutienne la charge de toute une maison, des procès qui surviennent, et fournisse à tout ce qu’il faut, sans avoir égard à ses peines. D’où vient que cet exercice est très grand et cela tient lieu de purgatoire. [301] »

Enfin Dieu met l’âme dans « l’avant-goût de la gloire future » :

« [315] Quels sont les biens que l’homme reçoit en cet état ? On les peut réduire à trois chefs. Le premier est un plonge­ment de l’âme dans l’essence divine, qui est une union de son fond, c’est-à-dire de l’origine de toutes ses opérations, de son centre et de son être plus intime avec Dieu… Tout ainsi que les personnes qui sont mariées ensemble n’ont point besoin d’étude ni de réflexion pour s’entretenir et vivre avec mutuelle affection, mais ils éprouvent comme une douce loi qui, à la rencontre et aux occasions, leur prescrit cette même affection ; de même l’âme, en suite et par la vertu de cet état de mariage avec Dieu, se trouve liée à lui et attirée à l’aimer. … Or cet état fondamental dit trois choses. Premièrement, une lumière perpétuelle dans l’âme, qui la fait marcher en plein jour avec une disposition de connaître aux occasions ce qui est pour son besoin et pour celui d’autrui : « Ut filii lucis ambulate [Éph. 5, 8 : « Marchez en fils de lumière. »]. La seconde chose est un goût perpétuel de Dieu, fort doux et universel, à la façon qu’un poisson dans la mer ne perd jamais le goût de la mer. Parfois, cette âme est plon­gée dans cet océan du divin amour ; elle savoure comme ferait un homme s’il avait tout son corps disposé et imbu [rempli, pénétré (Furetière).] de la même faculté que la langue pour goûter, et qui serait trempé par moments dans un océan de lait et de sucre. La troisième chose propre à cet état est une perpétuelle et très douce pente à tout bien et à ce qui regarde Dieu et son service, et cette pente vient de la loi très suave dont nous avons parlé [Guide spirituelle, VI, 3], gravée au fond de l’homme, c’est-à-dire en sa plus intime faculté d’opérer, vouloir et aimer.... Ainsi que nous avons dit au commencement, que celui qui s’est marié ne se considère plus comme seul, mais comme attaché à une personne inséparablement, ainsi de même l’âme ne peut rien entreprendre sans lui, ni former aucun dessein sans qu’il y consente. Si elle est en peine, il la conseille ; si elle est en doute, il l’éclaire ; si elle est seule, il lui sert d’entretien.

Il oriente vers l’immensité divine et l’abandon à son action qui apporte la joie :

« Elle doit regarder Dieu comme une immensité d’être qui n’a point de bornes et, suivant cette idée, quelque bien qui se présente, étendant sa vue infiniment au-delà, elle dira en elle-même : « Dieu est cela et infiniment davantage. » Ainsi elle ne se bornera jamais et, ne se restreignant d’elle-même à rien en particulier, elle jouira de toute la liberté dont un cœur est capable. Cet espace sans limites, cette immensité d’être qui est Dieu sera sa demeure, son élément et son fonds. Elle n’en pourra sortir et tâchera d’asseoir tous ses projets, toutes ses entreprises, tous ses désirs, tous ses biens sur ce fonds solide et immuable828.

« Vous dites que vous vous sentez deux dispositions bien diffé­rentes, l’une paisible au fond de votre intérieur, et l’autre active dans vos puissances.... Vous devez donc sérieusement vous appliquer à diminuer et affaiblir vos efforts et activités naturelles, par laquelle vous prenez en vous-même un petit contentement et une petite satisfaction, croyant que ce travail contente Dieu. Il n’en est pas si content que vous croyez, ma chère fille, et, quoique vos diligences lui plaisent, il se plaît encore davantage que nous l’écoutions et le laissions faire. Il semble qu’il n’y ait rien de si aisé à faire, mais pourtant je trouve fort peu de gens qui l’entendent, et j’en vois plusieurs qui se repaissent des sentiments auxquels ils ont contribué et les préfèrent à cette délicate paix qui est au fond du cœur, parce qu’elle est moins sensible, mais beaucoup plus efficace. Si vous vous défaites de vos empressements, votre extérieur sera libre ; vous ne paraîtrez plus gênée et angoissée comme vous êtes... Mettez, je vous prie, votre cœur au large et tâchez d’aller à Dieu par le chemin de l’amour829.

« Et tout cela doit être sans gêne ni torture d’esprit, car Dieu veut les âmes gaies et au large, et non pas rampantes dans les créatures et la faiblesse des sens. Il faut toujours avoir un respir vers le ciel et, par une foi vive, prendre souvent l’air de l’autre monde et ne participer à celui d’ici-bas que par humilité, charité, condescen­dance aux petits et aux affligés. Il ne faut être ni abattue, ni triste, ni égarée, l’âme doit être gaie, tranquille et fervente. Je tiens heureuses, ma chère sœur, celles qui ont Dieu présent en leur intérieur et qui ne perdent jamais le doux sentiment de sa grâce : cela maintient l’âme en joie et dans son devoir.

Cette disposition s’acquiert en peu de temps quand le cœur est dégagé. Nous avons quantité de petits desseins et de petites appré­hensions qui arrêtent notre âme et l’empêchent de voler vers Dieu. Quand une personne aime qu’on la méprise et ne désire au fond de son âme que d’entrer en familiarité avec Dieu, elle trouve bien­tôt la paix et, le cabinet intérieur étant ouvert, elle y trouve bien­tôt sa retraite assurée et son entretien avec l’époux. Et si la grâce sensible lui manque, elle s’estimera heureuse de travailler à froid, se fortifiant par l’oraison, et sera en toutes choses veillante sur son cœur, attisant toujours son petit feu, soufflant toujours dessus pour tâcher de le faire plus grand, jusqu’à ce qu’enfin elle gagne la miséricorde de Dieu et obtienne que la flamme du ciel vienne enflammer le bois qu’elle aura préparé830. »

Je propose un choix pour aborder Surin831.

1668 Antoine Civoré (1608 - 1668)

Il naît et meurt à Lille, et fit profession jésuite à Tournai. Les secrets de la science des saints…, « un des livres oubliés de la spiritualité française », explique les termes mystiques et décrit psychologiquement les actes de la contemplation. C’est une des sources utiles pour l’analyse du vocabulaire, avec Sandaeus, Madame Guyon, Honoré de Sainte-Marie. Le troisième traité consacré à la contemplation est tout à fait remarquable par son extrême clarté et pour sa pénétration, n’hésitant pas à faire appel à des comparaisons adaptées à son époque832 :

« L’union de l’âme avec Dieu sans aucun milieu ou entre-deux c’est le même exercice. L’optique et l’expérience nous apprend que l’œil corporel ne reconnaît point la distance de deux corps qui sont en droite ligne dans ou sous le rayon visuel, que par la vue de ce qui est entre-deux. Ainsi l’œil de l’âme, quand il va droit à Dieu, sans aucune réflexion sur son opération, ne connaît point de distance entre lui et Dieu. [290]. »


1670 Le Jour Mystique de Pierre de Poitiers (– 1683)

Pierre de Poitiers prend l’habit capucin en 1625 et assure de nombreuses charges à partir de 1648, séjourne à Rome où il est apprécié par deux papes et par Christine de Suède. Il publie un ouvrage longuement médité de 1600 pages en deux tomes comportant dix traités, où il se propose d’apporter toute la lumière possible sur la science amoureuse. Il défend ainsi auprès de Rome l’exercice de l’oraison de foi nue contre Nicole et d’autres « anti-mystiques » 833.

Le Jour mystique834 est cité par madame Guyon dans ses Justifications, anthologie des auteurs mystiques de toutes époques établie835 durant l’été 1694 pour préparer les célèbres « rencontres d’Issy », (nom pudique donné au procès fait aux « nouveaux mystiques »). Cité trente fois836 comme l’« Auteur du Jour mystique », Pierre de Poitiers se place ainsi entre saint Bernard cité vingt-huit fois et Canfield cité vingt-quatre fois ; il est le seul contemporain prenant une très honorable place dans une anthologie couvrant tous les siècles et il faut remonter au début du XVIIe siècle pour trouver deux autres noms plus présents : Jean de Saint-Samson et François de Sales. De plus elle renvoie trois fois (sans les reproduire, par suite de leur longueur) à d’importants développements837, ce qui est très exceptionnel, signe d’une considération partagée seulement pour Canfield.

Dans le florilège qui suit, des extraits relevés par madame Guyon sont combinés à ceux de notre choix, en suivant le plan du Jour mystique838. Je donne en références leurs situations dans l’œuvre et souvent en indiquant les clés des Justifications.

Le Jour mystique (1671), un florilège

Il constitue le dernier grand manuel mystique qui ferme une longue tradition illustrée par Hugues de Balma. Aussi j’y consacre un espace exceptionnel (en caractères réduits) œuvre collective  qui résume (et cite) un grand nombre de textes comparables.

Préface.

J’y parle aux  âmes mystiques de cet amour savant et de cette science amoureuse, ou de cette sublime Sagesse dont  votre apôtre entretenait les parfaits ; et c’est vous mon sauveur qui êtes le principe et le seigneur des sciences ; c’est en vous que sont cachés et renfermés tous les trésors de la Sagesse ; c’est vous qui en avez la clef comme le Maître, et qui seul pouvez ouvrir et fermer comme il vous plaît.

Je découvre le fond de l’âme mystique que vous avez rendu un abîme qui ne peut être rempli que de Dieu, qui a pour objet la connaissance et l’amour de ses incompréhensibles perfections ; et c’est vous, mon seigneur, qui seul pouvez combler cet abîme qui soupire après vous, parce que vous êtes l’objet et le trésor de son entendement, sous la considération d’une ineffable beauté, comme vous êtes la vie et le repos de sa volonté par l’amour jouissant de son infinie bonté.

Cet objet est si éminent que de toutes les lumières celle de la foi nue est seule capable de l’éclaircir et de le découvrir à l’âme qui vous connaît d’autant plus, qu’elle sait que vous surpassez toutes ses connaissances, toutes les idées et les images de l’être créé, et vous êtes d’autant plus cher et plus précieux à son cœur qu’elle prend plaisir d’adorer et [3] d’aimer en silence une beauté et une bonté qui se peut seule parfaitement connaître, et qui surpasse infiniment tout ce qu’elle en peut comprendre et concevoir839.



Livre premier. de la nature de l’oraison mystique, et de l’excessive activité ou propriété d’images.

Traité 1. De l’existence, de la nature, de l’objet et des espèces de l’oraison mystique.

Chapitre 1. Pour servir de préface à tout l’ouvrage.

L’oraison, ainsi que disent les saints Pères, est une élévation de l’âme en Dieu, un entretien familier et réciproque entre la créature et son Créateur, qui lui découvre ses secrets, et lui révèle ses mystères, pour se faire aimer d’elle en se faisant connaître : mais il ne fait cette grâce qu’à celles qui sont petites à leurs propres yeux, et qui demeurent abaissées devant lui par la connaissance de leur néant, par l’aveu de leur faiblesse et par le sentiment de leurs misères et de leur indignité840.

Cette âme ayant tout abandonné à son Dieu, son être et la capacité de son être ; tout son plaisir est de se laisser faire en elle et par elle tout ce qui Lui plaira, par les ténèbres ou par les lumières, par les rebuts ou par les caresses, par les privations ou par l’abondance ; demeurant tranquille dans l’inquiétude des sens, dans le soulèvement des passions, dans les obscurités et tentations, en vue et par le respect de Celui qui est et qui opère toutes choses en elle, selon qu’Il l’entend et le veut, par le motif de son bon plaisir, le suivant en tout ; aimant tous les états qu’Il y opère, même les plus obscurs et dénués, et lui adhérant pour lors par un repos mystique, c’est-à-dire, par des actes non réfléchis et aperçus de foi et d’amour nu en la pointe de son esprit. Par ce nu consentement, par cet abandon muet, par cet amour pur, l’incompréhensible est aimé en l’âme au-dessus de toutes pensées et de tout acte apercevable841.

Dans l’oraison mystique, l’âme par la foi nue s’élève à un très pur amour ; et c’est par cet amour que Dieu est connu. Il est connu et aperçu, parce qu’Il est goûté et savouré, et que, comme dit très bien saint Grégoire, l’amour même est une connaissance, qui procède dans les âmes de l’union avec celui qu’elles aiment ; outre que d’autant plus que l’amour est exquis dans les opérations mystiques, d’autant plus l’union y est étroite842.

C’est par l’humilité, je veux dire par l’anéantissement et le dénuement de lumière, de sentiments, de facilité à produire ses actes et ses affections, que Dieu veut introduire l’âme au secret de sa face. On a beau lui recommander cette mort entière d’elle-même, cet abaissement et cet assujettissement de son entendement, cette humilité qui la doit rendre aussi simple qu’un enfant : toutes ces théories ne la peuvent instruire du secret de son néant et de l’humilité, si vous-même, ô mon Dieu, qui êtes descendu du plus haut des cieux pour nous enseigner, ne lui apprenez cette vertu.... C’est ainsi que l’âme entre dans les sentiments d’une vraie humilité, et d’une dépendance continuelle de son Dieu ; auquel elle dit avec plaisir, par les paroles d’un prophète parfaitement éclairé (Isaïe 26, 12) : C’est vous, ô mon Dieu, qui opérez tout en nous ; ne faisant presque autre chose de sa part, qu’anéantir comme imperceptiblement ses propres mouvements et ses opérations, pour laisser vivre en elle la vie et les opérations de Dieu843.

Chapitre 2. De l’oraison en général.

... Mais selon ma pensée la meilleure définition de l’oraison, qui lui est plus essentielle, et qui aussi est la plus communément reçue, et celle que lui donnent quelques Pères disant, qu’elle est une ascension, une montée, une élévation de l’âme en Dieu. Je dis qu’elle est la meilleure, parce qu’elle comprend toutes sortes d’actes intérieurs qui occupent l’âme de Dieu, et la disposent à son union, que prétend l’oraison.

D’où il faut conclure que bien que quelques-uns restreignent l’oraison mentale ou vocale au point de la simple demande qu’on fait à Dieu de quelque chose convenable ; néanmoins dans le sens le plus commun des Pères et des auteurs qui ont écrit de l’oraison, elle a plus d’étendue, et comprend tous les actes intérieurs qui tendent au culte divin ; et ainsi nous pouvons dire que l’oraison mentale est une sérieuse application de l’entendement à la contemplation ou méditation de Dieu, des choses divines et des vérités importantes au salut, ordonnée pour enflammer la volonté à fuir les vices, à pratiquer les vertus, et enfin à aimer Dieu de tout son cœur.

Sous cette définition quelques-uns comprennent, et avec beaucoup de raison, toutes choses qui peuvent être opérées en la vue de Dieu par le motif de sa gloire et [95] de son divin plaisir, de quelque nature qu’elles puissent être, non seulement les choses commandées et qui sont d’obligation, mais aussi les naturelles, ou nécessaires, comme sont le boire, le manger, et semblables.

C’est pourquoi un saint évêque de nos jours [saint François de Sales] grand maître en l’art de bien prier, considérant que Notre Seigneur nous enseignait et recommandait une oraison sans relâche et sans interruption, en tirait cette conséquence ; qu’on pouvait donc prier par pensée, par paroles, par actions, et par souffrances, et qu’ainsi il n’était pas nécessaire à celui qui veut faire oraison d’être toujours à genoux ou en méditation actuelle, ni même de quitter ses occupations et emplois, quand ils sont nécessaires, ou prescrits par la volonté de Dieu : mais qu’il pouvait faire oraison en tout lieu, en tout temps, en toute rencontre, s’il voulait porter Jésus-Christ en son cœur par l’amour844.

Le vrai Dieu d’infinie Majesté regarde, aime et traite l’âme qui lui est unie par la charité, comme son épouse845 et l’âme réciproquement regarde et aime Dieu, et traite avec Lui comme avec son époux : tout est commun entre eux ; ils s’accordent partout ; ils agissent et conversent amoureusement ensemble avec une mutuelle intelligence. L’exercice de cette amitié, qui procède en l’âme d’une charité parfaite, fait qu’elle veut à Dieu tous ces biens, qu’elle se réjouit, et qu’elle s’y complaît pour l’amour de Lui-même ; et Dieu réciproquement aime efficacement l’âme, en sorte qu’Il lui veut et lui communique ses mêmes biens : et plus l’union est étroite, plus ces deux esprits observent les loix de cette amitié divine, plus ils s’embrassent et jouissent l’un de l’autre par une mutuelle bienveillance846.

Chapitre 3. Du nom de l’oraison mystique, et en quel sens on le doit prendre.

L’oraison mystique est celle que les théologiens mystiques appellent communément sans formes et images, et que nous pouvons dire être sans actes et sans pensées. Ou bien comme parlent les autres, c’est un repos de l’âme en Dieu, qui n’est pas appelé acte, quoiqu’en effet il le soit, parce que ni son opération ni l’objet de son repos ne sont aperçus.

Et comme il est difficile à ceux qui n’ont pas l’intelligence de cette mystique Théologie de comprendre comment l’âme peut faire oraison sans formes et images, et en sorte qu’elle soit sans pensées, ou production d’actes d’entendement et de volonté, puisque l’oraison étant un parler avec Dieu, et les pensées étant les paroles de l’âme, il semble qu’on ne peut pas parler à Dieu sans penser en lui, non plus que l’aimer sans affection. C’est pourquoi il faut remarquer d’abord :

Premièrement, qu’il y a deux sortes de [124] formes et images, ou pour parler plus intelligiblement, deux sortes de pensées ou d’actes intérieurs ; les uns sont appelés mystiques, c’est-à-dire non aperçus ni réfléchis, sans lesquelles l’oraison de repos ne se peut pratiquer. Les autres peuvent être aperçus et réfléchis. Or quand nous disons qu’il faut quelquefois faire oraison sans formes ou images ; sans pensées ou actes ; nous n’entendons pas parler des images ou des actes mystiques et non apercevables ; mais seulement des autres, qui peuvent être réfléchis et aperçus.

Secondement, que sous le nom de pensées, actes, formes, et images, je comprends les opérations de l’affection, ou de la volonté, aussi bien que celles de l’entendement et de l’imagination, qui semblent s’expliquer mieux par le mot d’actes, comprenant ceux de toutes ces puissances.

Troisièmement, que le mot d’images vient de l’imagination, et que celui de formes signifie les images formées par l’imagination, sans lesquelles l’entendement et la volonté ne peuvent opérer communément et naturellement. D’où vient que les mystiques par les formes et les images entendent les opérations apercevables de nos puissances intérieures, tant de la partie inférieure que de la supérieure. [125]

Quatrièmement, que bien que les mots de formes ou images soient plus usités parmi les mystiques, que ceux de pensées et d’actes, je me servirai plus ordinairement de ceux-ci, comme plus intelligibles. Et

cinquièmement, que la connaissance de ceci est très nécessaire, parce que sans elle nous ne pouvons bien entendre et moins encore bien pratiquer tout ce que nous avons à dire et à expliquer sur le sujet de l’oraison mystique847. 

Chapitre 4. De l’existence de l’oraison mystique, appelée communément contemplation sans formes ou images.

Section première. S’il y a quelque oraison mystique, où il faille quitter les actes ou les pensées.

Cette question fondamentale est des plus disputées, et dont la connaissance est la plus nécessaire puisque toute la fabrique et l’édifice de cette oraison ne peut subsister ni s’élever que sur la supposition de son existence, sur quoi je trouve deux opinions fort contraires : l’une est qu’il n’y a pas d’oraison mentale qui exclut les formes et les images, en sorte qu’elle soit sans pensées et sans production d’actes d’entendement et de volonté. Cette opinion est assez commune chez les scolastiques, et chez les autres qui ne sont pas appelés mystiques. Entre lesquels Crombecius [127] la tient formellement, soutenant que l’inaction dans l’oraison, ou l’oraison sans pensées, est une chose inconnue à plusieurs, obscure, difficile à comprendre, et telle que jusqu’à présent on a eu peine de connaître en fond ce que c’est. Et il dit ailleurs, que les saints Pères ont estimé que ne s’occuper pas de bonnes pensées en l’oraison était une pernicieuse oisiveté.

Les raisons qu’ils apportent pour combattre cette sorte d’oraison sont :

Premièrement, qu’il semble y avoir de la contradiction à dire qu’on puisse faire oraison, ou parler à Dieu sans penser ; on ne peut parler à quelqu’un sans penser à lui, les pensées sont les paroles de notre esprit, on ne peut donc parler à Dieu sans penser à lui.

Secondement, les pensées de Dieu non seulement nous servent pour faire oraison, mais sont la même oraison.

Troisièmement, l’oraison étant union avec Dieu, une oraison ne peut être contraire à l’autre, non plus que le jour au jour.

Quatrièmement, les âmes les plus dévotes sont celles qui pensent de plus en Dieu.

Cinquièmement, l’expérience journalière fait connaître que si on veut chasser une pensée, il en naît une autre. [128]

Sixièmement, une âme sans pensées est comme une souche de bois, la raison n’opérant pas en elle puisqu’elle n’opère que par pensées.

Septièmement, il semble que rejeter les pensées soit mépriser les actes de charité et des autres vertus.

Huitièmement, ce serait tenter Dieu que d’agir de la sorte.

Neuvièmement, cette sorte d’oraison comme on la décrit, a quelquefois tant d’attraits pour l’âme qui la pratique, qu’elle semble perdre la dévotion aux saints, aux oraisons vocales, et cesser de demander à Dieu ce qui est nécessaire à l’Église et aux particuliers.

En dixième lieu, il semble que cette sorte d’oraison empêche la commune méthode de prier, que saint Ignace a  enseigné, et que les Docteurs recommandent ordinairement848.

Chapitre 5. Description de l’oraison mystique, et de ses différentes espèces.

Section 1. Ce que c’est que l’oraison mystique.

L’oraison mystique de laquelle nous traitons, autrement appelée de quiétude, ou l’oraison sans formes et sans images, sans actes et sans pensées, est à proprement parler un certain repos de l’âme en Dieu, qui n’est pas appelé opération ou acte, quoi que vraiment il le soit, parce que ni l’objet de son repos, ni son opération ne sont aperçus, ou bien parce qu’elle ne connaît pas distinctement son objet et la façon dont elle s’y repose....

Section 2. L’oraison mystique expliquée...

[133] Nous ne pouvons pas, dit-elle [Thérèse] en son Château, entrer dans ce cellier par nos propres diligences ; sa Majesté est celle qui nous y doit mettre, et qui doit entrer au centre de notre âme : et pour faire davantage paraître ses merveilles, il ne veut pas que de notre part il y ait autre chose sinon que la volonté soit toute rendue à lui ; il ne veut pas qu’on lui ouvre la porte des puissances et des sens, mais il veut entrer dans le centre de notre âme sans aucune porte.

Je mets ensuite le témoignage du bienheureux père Jean de la Croix, que je puis appeler le fils et tout ensemble le père et le directeur spirituel de cette sainte mère, qui en plusieurs endroits de ses écrits enseigne que dans cet état d’oraison de repos, [134] Dieu conduit l’âme dans une voie telle, que si elle voulait opérer d’elle-même et par son industrie, elle troublerait l’action de Dieu en elle au lieu de l’aider. Qu’on ne doit pas contraindre ni obliger l’âme à méditer ni à s’exercer dans les actes tirés à force de discours, ni à les procurer avec attachement, faveur et ferveur ; parce que ce serait mettre un obstacle à Dieu qui infond la notion amoureuse sans beaucoup de différence, expression et multiplication d’actes. Il le prouve par la comparaison d’un peintre qui voudrait colorer un visage branlant et agité, qui au lieu d’asseoir et d’appliquer ses couleurs à propos, ne feraient que barbouiller, en disant ; de même que quand l’âme est en paix et en repos intérieur, elle sera troublée et distraite par les opérations et affections, tel qu’elles puissent être. Il viendra, dit-il, quelqu’un qui ne sait que frapper sur l’enclume comme un forgeron, qui dira : allez, tirez-vous de là, c’est perdre le temps et demeurer oisif, méditez et faites des actes, car il est besoin que vous fassiez des diligences de votre part, ce sont des illusions et des tromperies ; parce que ne comprenant pas que cette âme est déjà en la vie de l’esprit, en laquelle il n’y a plus de discours, où le sens cesse ; [135] et où Dieu est particulièrement agent, ils lui ôtent la solitude et la retraite et ruinent par conséquent l’ouvrage excellent que Dieu peignait en elle849.

Section 3. L’oraison mystique décrite et expliquée sous les termes de contemplation sans formes et images.

Cette oraison mystique est aussi souvent appelée contemplation sans formes ou images, c’est-à-dire sans actes, pensées ou opérations qui puissent être aperçues.

Les créatures, dit Thaulere850 parlant de cette oraison sous le nom de Royaume de Dieu, nous servent d’empêchement, en ce que notre esprit s’en forme les images, et y adhère avec propriété : car si nous pouvions nous rendre libres de toute image, propriété et affection, rien ne pourrait faire obstacle au Royaume de Dieu en nous.

Si l’esprit, dit Rusbroche851, entreprend de contempler Dieu par lui-même dans sa propre lumière sans moyen, il est nécessaire qu’il soit libre de tout acte extérieur, comme s’il était sans action : car si l’esprit s’occupe au-dedans des actes des vertus, dès là il s’embarrasse  d’images en son intérieur, pendant lesquelles il ne jouira jamais de la liberté requise pour la contemplation.

Tenez pour assuré, dit le père Benoît852, que nuls actes, méditations, pensées, [137] aspirations ou opérations ne profitent ici (il entend l’oraison mystique) nul discours, exercice, enseignement, ni aucun moyen ne doit être entre l’âme et la volonté de Dieu. Et il dit plus bas853, qu’il ne faut pas combattre les pensées superflues et distractions, ni attacher son esprit à quelque exercice particulier ; qu’il ne faut retenir aucune forme ou image, tant subtiles puissent-elles être, non pas même de Dieu et de ses perfections, qu’il ne faut pas désirer l’union sensible, ni chercher assurance ou connaissance expérimentale de son union : parce que tout cela se fait par des actes qui ne sont pas Dieu, auquel l’âme doit s’attacher immédiatement sans aucun moyen.

Il ne faut plus, dit le père Jean de la Croix854, embarrasser l’âme dans les formes, les imaginations ou autres discours, de peur de l’inquiéter et la retirer de sa paix.

Et c’est le sentiment commun des théologiens mystiques, que l’âme en cette oraison étant capable de s’unir à Dieu intimement, le moindre petit entre-deux peut empêcher l’écoulement de la divine clarté, ce qu’ils entendent non pas seulement des péchés les plus menus ; mais aussi des formes, des images et des notions ; parce que toutes ces choses sont un milieu entre le soleil divin et le miroir de l’âme, qui en doit être [138] revêtu. Ce qui est bien conforme à la doctrine de saint Denys, qui dit que les choses divines étant sans limites et incompréhensibles, nous les devons entendre autant qu’il est possible, sans bornes, moyens, figure ou proportion, n’attirant pas l’objet à nous et ne joignant notre entendement sinon à ce qui est suressentiel, et ainsi le séparant des formes, des figures ou des images, sans s’arrêter en chose ni moyen créé ; et c’est cela même que veulent entendre les mystiques quand ils disent qu’il faut fuir tout concept de Dieu855.

Et bien que la commune façon de prier se doive ordinairement proposer à tous, si toutefois Notre Seigneur admet dès le commencement quelqu’un à l’oraison de quiétude, il doit y être aidé. On la peut aussi conseiller à ceux qui se sont exercés quelques années aux méditations, et qui sont déjà bien avancés, et disposer à cette manière de prier avec quiétude intérieure, en la présence de Dieu ; leur donnant avis856 de ne pas quitter tout à coup les actes, mais peu à peu : Et cela ne cause point de division dans les Communautés, d’autant que la forme de prier par affections avec peu de discours, est commune à plusieurs857.

L’objet de l’oraison de repos, n’est autre que Dieu, auquel l’âme se repose tant que dure cette quiétude qui n’admet aucune pensée : ce qui se prouve par les raisons suivantes.

La première est prise de la façon avec laquelle la volonté se repose en son objet ; car cet objet n’est point aperçu de la volonté, disent plusieurs. Ou s’il l’est, comme il est plus probable, cette connaissance est si déliée et si directe, qu’elle ne peut pas savoir en quoi elle se repose ; d’autant que l’entendement ne lui peut donner plus de connaissance qu’il n’en a. Or l’entendement ne saurait dire quel est l’objet auquel la volonté se repose encore qu’il le voit, comme on ne peut discerner une chose qu’on voit de loin. L’entendement présent bien à la volonté un objet désirable, mais il ne peut dire ce que c’est : de sorte qu’en cette oraison la volonté se repose sans savoir en quoi ; ce qui donne une grande conjecture, que l’objet de cette oraison n’est pas créé, puisque la volonté étant une puissance libre, ne se porte jamais à aimer un objet créé, que l’entendement ne lui fasse voir la convenance, qu’il y a entre elle et son objet, et le bien qui y est. Car un objet créé n’a pas une telle sympathie avec la volonté, qu’il la tire à soi comme naturellement. Il faut donc que le bien de cet objet soit aperçu d’elle comme convenable ; et pour cet effet il est nécessaire que l’entendement raisonne et discours sur les convenances que cet objet présente à la volonté ; ce qui ne se peut faire sans un acte réfléchi ou aperçu, ou au moins qui le puisse être par l’entendement, lorsqu’il se réfléchira sur son acte. C’est pourquoi quand la volonté se porte à un objet qui n’est point aperçu, et qui ne le peut être, il faut dire que c’est le Souverain bien qui lui est représenté, auquel elle se porte sans savoir à quoi elle tend.

Secondement : dans cette oraison la volonté se repose en Dieu, plutôt par sympathie que par connaissance, comme les choses pesantes se portent à leur centre, sans connaissance de la convenance qu’il y a entre elles et leur centre : ainsi le fer est tiré par l’aimant, sans connaître la convenance qu’il a avec lui. ... L’entendement en cette oraison ne fait autre chose que ce que fait la main de l’homme, qui prend la pierre d’aimant pour l’approcher du fer d’une distance proportionnée, lequel sans être poussé ni élevé autrement que d’une sympathie naturelle, malgré sa pesanteur, va embrasser ce cher aimant : ainsi l’entendement présente et approche son objet de la volonté, sans lui découvrir quel il est, et sans l’aider à s’élever vers lui ; néanmoins858 par une sympathie naturelle, avec les forces que la grâce lui donne, elle se porte à lui ; et s’y repose sans savoir en quoi, non plus que le fer attaché à l’aimant. Or qui peut avoir une si grande sympathie et convenance avec notre âme, que Dieu, à l’image duquel elle est créée ? La ressemblance est cause d’amour et d’union ; et comme Dieu est la source de tout bien, chacun a inclination naturelle de l’aimer, comme un bien commun, de même que les fleuves sortant de la mer y retournent par instinct naturel. Le bien commun est préféré au particulier, et chaque partie s’incline et se porte au bien du tout, ce qui fait que la main s’expose beaucoup pour préserver le chef ; ainsi par un instinct naturel, chacun se dédie à Dieu comme à la fontaine de la béatitude, et comme une partie au bien du tout : mais cela s’accomplit bien plus parfaitement par la vertu de charité.

La troisième raison est prise de la façon avec laquelle la volonté embrasse son objet en cette oraison : car c’est en s’élevant au-dessus de tout ce qui est créé et d’elle-même, au-dessus des sens et même de la partie raisonnable, jusqu’au faîte de la pointe de l’esprit ; montrant bien que son objet est plus relevé qu’elle-même, et que tout ce qui est créé ; puisque pour l’atteindre il faut s’élever au-dessus de tout, et monter au-dessus de soi. Et ce qui est plus considérable, c’est que cette âme, ainsi élevée au-dessus des plus hautes montagnes des choses créées, étendant les rayons de la vue autant qu’elle veut, elle voit néanmoins son objet si obscurément, qu’elle ne s’en peut apercevoir, tant il se montre élevé au-dessus de tout. Or qui peut être si fort élevé au-dessus de l’âme faite à l’image de Dieu, que Dieu même ? Ce qui confirme ceci est que l’âme ne pourrait s’élever plus haut pour atteindre un objet, sans savoir quel il est, si elle n’avait pour lui une inclination naturelle, qui est créée avec elle859.

Livre second. De la foi nue, tant divine qu’humaine, et de la satisfaction que la foi nue doit produire en l’âme.

Traité 3. De la foi nue, divine et humaine.

Je puis tirer de ce que dessus cette définition de la foi divine, en tant qu’elle sert à l’oraison mystique, que c’est une connaissance générale du souverain bien, sans distinction des personnes ou des attributs particuliers, et qui ne peut être réfléchie860.

L’acte de foi nu ou mystique est enveloppé dans un autre, qui humainement n’est pas apercevable, parce qu’encore que dans cette oraison on s’aperçoive bien qu’on repose, on ne sait pourtant pas en quoi : ainsi l’acte de ce repos et simplement non aperçu ; puisque l’objet ne se peut voir, qui est celui qui spécifie cette oraison.

La foi nue a son siège au sommet de l’entendement ; comme le repos l’a au sommet de la volonté. La foi commune à son siège dans l’entendement ; c’est pourquoi encore que ces deux sortes de croyances soient par-dessus le sens, et même au-dessus de la raison, la foi mystique pourtant prend son effort plus haut, s’élevant au-dessus de toute opération apercevable. D’où suit une autre différence, qui est, que la foi commune ne simplifie pas l’entendement, comme fait la foi mystique, qui le dépouille de toutes pensées. C’est pourquoi elle est appelée simple et non la commune861 .

Chapitre 6. De l’existence de la Foi Nue Divine.

Section première. Cette existence prouvée par raisons.

...[446] Ceux qui pratiquent l’oraison de repos sans goût doivent être persuadés en leur entendement, que le souverain bien est en ce repos ; qui fait qu’ils ne s’y ennuient, et ne croient pas perdre le temps d’y demeurer.

Section II : Suite des raisons pour la preuve de l’existence de la Foi nue.  

...[447] Sixièmement, bien que le repos soit sans saveur, et souvent amer en soi, la volonté néanmoins s’y arrête, et s’y plaît en même façon que s’il était bien savoureux, sans se mettre en peine d’être en l’un ou l’autre état, d’amertume ou de suavité : ce qui fait voir que la volonté prend un goût raisonnable et indépendant des sens. Si quelqu’un prenait une potion ou un morceau bien amer aussi volontiers que les viandes les plus savoureuses, on dirait que c’est à cause qu’il les croit fort utile à sa santé. De même, quand on voit une âme également satisfaite du repos sans goût et de celui qui est savoureux, ce que l’expérience apprendra à ceux qui en auront acquis l’habitude, il faut que l’âme croie que l’un lui est autant profitable et agréable à Dieu que l’autre. Et comme dans le repos savoureux, elle reconnaît par le goût qu’elle y a, si conforme à sa volonté et qui lui donne tant de plaisir spirituel et surnaturel, que c’est son Dieu et son souverain bien ; elle s’attache de même au repos sans goût où elle croie le même objet, et parce que cette croyance n’est pas aperçue de l’âme, elle est appelée Foi nue.

...[448] Neuvièmement, l’assurance avec laquelle la volonté se tient en cette oraison de repos sans avoir aucune lumière ni des sens ni de la raison, qui lui fasse connaître qu’elle est en bon chemin, est une bonne raison pour prouver qu’il y a une Foi Nue Divine. Si un aveugle se trouvait la nuit dans un bois plein de tant et de si différents chemins que le jour même les plus clairvoyants des routiers eussent de la peine à les tenir sans s’égarer, et que cependant ce pauvre [449] aveugle arrivât sans guide au but où il prétend, il n’y a personne qui ne dît que quelque bon génie l’aurait conduit si droit. De même quand on voit notre volonté aveugle cheminant par la nuit obscure d’une oraison où les plus éclairés ne voient goutte, et allant droit à Dieu avec si grande assurance, n’a-t-on pas sujet de dire que quelque lumière secrète et non aperçue la conduit ? 862.

Taulère dit qu’Albert le Grand assure que le centre de l’âme est très merveilleux, très pur et très certain ; que c’est la chose qu’on peut le moins arracher, et qui de toutes peut être le moins empêchée ; qu’elle est la plus inhérente et qui persévère le plus ; que nulle contrariété ni adversité ne se trouve dans ce fond ; point d’image, point de sensualité, point de mutabilité ; il est sans aucune différence ou distinctions, qui procèdent de la fantaisie, comme dit saint Denys ; ... il est le suprême entre toutes les choses, et il n’y a rien qui soit au-dessus de lui. Il est appelé très pur863 parce qu’il n’a rien de commun avec la matière, ni avec les choses matérielles ; très certain, d’autant que ses voies donnent la certitude à toutes les autres.... Ce fond ne peut être arraché ni par la sensualité, ni par les défauts des vices et des tentations charnelles : il ne peut non plus être empêché, l’âme ayant acquis une grande lumière par son étude, par son effort, et par sa diligence, qui lui est tournée en nature et en habitude ; en sorte qu’elle n’y ressent plus aucune peine ou difficulté. Il est fixe et invariable, parce qu’il ne ressent aucune contrariété, et que le plaisir qui se ressent en ce fond, n’est mêlé d’aucune douleur, ni goûté dans la partie sensible864.

ARGUMENT [ouvre le t. II du Jour mystique]

Je suis, dit-elle [laSagesse], non comme une fleur renfermée dans un parterre environné de murailles de toutes parts, pour en empêcher l’abord à ceux qui la voudraient cueillir : mais plutôt comme une fleur qui pousse sa tige, épanouit, et développe ses feuilles autant odorantes que belles et éclatantes, au milieu des champs nullement clos, ou comme un lys argentin aux filaments et martelets d’or dans une vallée qui marque l’abaissement où je me suis réduit vivant sur terre. Il ne tient qu’aux âmes d’approcher de Moi… Le saint Évangile nous représente cette même Sagesse incarnée, comme une fontaine publique, qui souffre par l’abondance de ses eaux, et qui en demande la décharge… Il y convie et sollicite les âmes mêmes qui semblaient en être les plus indignes et les plus incapables, telle qu’était la Samaritaine… Il ne manquera jamais de sa part à communiquer ses dons à tous ceux qu’il trouvera disposés à les recevoir… Il leur donnera cette eau vive et vivifiante, non goutte à goutte, mais avec abondance…

C’est ce que je prétends faire voir par ordre en ce petit traité, dans lequel il paraîtra que toutes les âmes chrétiennes sont capables de l’oraison et de la théologie mystique, qu’elle peut être utilement enseignée aux personnes qui vivent dans le siècle, et à celles mêmes qui y sont le plus occupées ; qu’on y doit instruire les novices ou commençants, les simples et les ignorants, aussi bien que les doctes…

[11] L’oraison sans actes et pensées, et qui n’a qu’un repos sans savoir en quoi on se repose, doit être enseignée aux novices, et à ceux qui ne font que commencer la pratique de l’oraison mentale, aussi bien qu’à ceux qui s’y sont depuis longtemps exercés ; et les livres qui en traitent ne doivent point être défendus aux uns, non plus qu’aux autres.

Pour preuve… [suite intéressante]

Livre troisième. Du sujet éloigné et du sujet prochain de l’oraison mystique.

Traité 5. Du sujet éloigné de l’oraison mystique, ou qui sont ceux à qui elle doit être enseignée, et qui sont capables de la pratiquer.

Chapitre 1. Des personnes capables ou incapables de l’oraison mystique.

Section 3. L’oraison mystique doit être enseignée aux Commençants et aux Novices.

L’oraison sans actes et pensées, et qui n’a qu’un repos sans savoir en quoi on se repose, doit être enseignée aux novices, et à ceux qui ne font que commencer la pratique de l’oraison mentale, aussi bien qu’à ceux qui s’y sont depuis longtemps exercés ; et les livres qui en traitent doivent pas être défendus aux uns non plus qu’aux autres.

Pour preuve de cette conclusion qui paraîtra d’abord contraire aux sentiments de tous les Docteurs tant mystiques qu’autres, il faut remarquer que ceux qui ne sont pas mystiques, c’est-à-dire qui n’ont pas expérimenté cette oraison sans pensées et sans discours, bien qu’ils la croient, se persuadent que pour la pratiquer, il faut quitter tout à fait les bonnes pensées, ne plus méditer, oublier la Passion de Jésus-Christ et les autres mystères de la foi, et qu’ainsi cette oraison doit être pratiquée, non par des  Commençants, mais par ceux qui ont déjà l’habitude de ces méditations, et qui sont tellement remplis de bonnes pensées, qu’ils en ont fait un magasin au-dedans de [12] leur mémoire. Ils veulent qu’ils aient déjà acquis toutes les vertus, parce que n’en produisant plus d’actes on ne les acquerrait pas, puisque leurs habitudes ne se peuvent que difficilement obtenir sans de bons actes. Et comme on dit qu’une absurdité posée, il s’ensuit plusieurs autres, de cette opinion absurde et sans vérité, il s’ensuit une autre qui l’est encore plus, savoir qu’il ne faut pas permettre aux Commençants et Novices la lecture des livres qui traitent  de telle oraison, ni en avoir connaissance.... [Suite intéressante]

Section 5. Il faut enseigner aux Commençants l’oraison de repos sans goût.

Il faut enseigner aux Commençants et aux Novices non seulement la pratique de l’oraison de repos savoureuse, mais encore celle qui est sans pensées et sans goût ; je veux dire qu’ils doivent être instruit comment il faut prendre patience durant les sécheresses : car s’il leur est nécessaire de savoir l’oraison qui se fait par le moyen des bonnes pensées et des discours, pourquoi ignoreraient-ils le moyen de bien employer le temps par union avec Dieu, quand ils ne peuvent avoir des bonnes pensées et discours intérieurs ? Ce serait être semblable à ceux qui refuseraient du pain aux faméliques, pour en donner aux autres qui seraient remplis. Vous apprenez à vos Novices à bien méditer quand ils peuvent aisément faire oraison ; et quand ils sont en disette et comme affamés, vous leur enfermez le pain, leur cachant l’oraison, qui lors les peut sustenter. Mais j’arraisonne ainsi les Pères maîtres : si vos Novices [21] demandant conseil, vous disent qu’ils ne peuvent méditer ni avoir aucunes bonnes pensées tant ils se trouvent arides, que leur direz-vous : sinon qu’il faut avoir patience, se résigner et se tenir en repos selon le bon plaisir de Dieu ? Nous disons aussi la même chose quand nous enseignons l’oraison de repos sans goût. La différence qu’il peut y avoir, est que nous leur disons que, prenant patience, et se tenant en un repos souffrant, ils font aussi bonne oraison que s’ils méditaient et avaient de bonnes pensées. Et vous qui ne connaissez pas d’oraison de quiétude sans goût, vous les laissez dans la créance qu’ils sont sans oraison, tandis qu’ils ne peuvent produire de bons actes. De là arrive que comme il y a des âmes qui sont quasi toujours dans ces états d’aridité, croyant ne pas faire oraison, elles perdent courage et quittent tout là. Au contraire, j’ai vu quelques-uns de ces novices qui, ayant été instruit de cette oraison souffrante et attendante, témoignaient grande joie de pouvoir faire oraison dans un état où ils la croyaient impossible, se tenant fort fidèle sur l’assurance qu’on leur donnait que dans cette attente ils étaient aussi agréables à Dieu et souvent plus, que dans une plus douce oraison.

Et je puis dire que le défaut de cette [22] croyance, est la pierre de scandale et d’achoppement où la plupart des commençants trébuchent, perdent cœur, et souvent quittent tout à fait l’oraison ; parce que s’y trouvant en aridité et s’y jugeant inutiles, ils pensent que hors de là ils s’emploieraient en quelque bonne action plus utile ; et que même ils pourraient exercer mieux et plus fructueusement la patience. Car c’est tout au plus ce qu’on leur dit, que demeurant ainsi il pratiqueront la patience ; mais ils ne se persuaderont jamais que ce soit une patience si utile, comme de sortir de l’oraison et aller travailler manuellement faire quelque autre action pénible, dont le profit est évident plus que demeurer ainsi à ne rien faire, ce leur semble ; et l’aversion naturelle qu’a l’âme de demeurer ainsi en sécheresse aidera fort à cette persuasion ; d’où il arrivera qu’elle cherchera toutes les occasions de sortir de l’oraison contre la doctrine des saints ; ou si elle y demeure, ce sera avec trouble et inquiétude ; et ainsi elle n’aura garde de pratiquer l’oraison de repos sans goût, mais plutôt d’inquiétude très amère, sans pouvoir acquérir aucune habitude de tranquillité. Et même quand nos jeunes contemplatifs se persuaderaient que demeurer ainsi en l’oraison c’est bien pratiquer la patience, si vous n’y [23] ajoutez qu’ils font une fort bonne oraison, à la longue ils s’ennuieront. Que si quelque âme plus stimulée ne quitte pas l’oraison, se voyant toujours distraite et sans pouvoir de la faire, elle tombera en une espèce de désespoir, pensant être délaissée de Dieu, parce qu’elle ne croit pas qu’il y ait d’oraison sans bonnes pensées et actes intérieurs ou celle en laquelle on médite ; ou au moins celle en laquelle Dieu opère par quelque opération surnaturelle. Elle voit qu’elle n’a rien de tout cela, car pour ce qui est des oraisons savoureuses et surnaturelles, ces âmes inquiètes qui ne pratiquent pas l’oraison de repos ne les ressentent guère.

Ajoutez à ce que dessus, que cette âme entendra dire, que l’oraison est si profitable que sans elle on ne peut arriver à la perfection, elle en ressent même de grands désirs ; voyez en quel désarroi vous mettez cette pauvre âme pour ne lui pas enseigner l’oraison de repos sans goût, et si elle n’entre pas dans un labyrinthe dont elle ne pourra pas trouver l’issue ; parce que vous lui cachez l’oraison de repos, qui est le fils d’Ariane seul capable de l’en tirer.

Ce qui doit encore obliger les directeurs prudents et charitables à découvrir le secret de cette oraison à leurs enfants, c’est qu’elle est un amour de Dieu sur toutes choses, une [24] élévation d’esprit à ce divin Objet, et une union immédiate avec lui, le sûr chemin qui conduit à l’oraison continuelle. Il ne faut pas frustrer les Novices de tant de biens, dont ils sont capables avec la grâce de Dieu, sans laquelle les plus anciens ne le seraient pas. Et quand on fait exception des Novices, cela doit être entendu de ceux qui en abusent, comme il est prouvé ailleurs.

 Et à ce qu’on pourrait opposer qu’il faut commencer par les choses plus faciles, comme dit Aristote, et que cette oraison est presque inconcevable, je réponds que l’oraison sans pensées n’est pas plus difficile à entendre que celle qui se fait avec pensées et avec production d’actes, si elle est bien expliquée ; comme il paraît par ce que j’en dis ailleurs ; et c’est une fausse persuasion de penser que l’oraison avec pensées est le rudiment et que celle de repos ne se doit pratiquer qu’ensuite : car elles doivent être exercées toutes deux dès le commencement, ainsi que je le prouverai en montrant quand il la faut pratiquer.

Les raisons que nous venons d’apporter, pour faire voir que l’oraison mystique doit être enseignée aux commençants, prouvent encore que la lecture des livres qui en traitent leur doit être permise865

Chapitre 2. Si la Théologie mystique doit être enseignée…

Section 2. Cette Théologie doit être enseignée ou simples et aux ignorants.

... Ce n’est pas à la faveur de la science humaine que l’on arrive à la connaissance de la Théologie mystique, qui est sans formes et sans images, c’est-à-dire qui enseigne l’oraison sans pensées et sans autres actes qu’un repos obscur. C’est le sentiment des mystiques. Personne, disent quelques-uns 866 ne peut comprendre les secrets mystiques [30] par la profondeur de la science, ou par la subtilité de l’intelligence, ou par quelque exercice que ce soit, mais la seule très heureuse expérience y conduira ceux auxquels il plaira à la divine libéralité de se communiquer par sa bonté867.

Cette sapience, disent quelques autres, n’est pas de la terre, mais du ciel ; ne gît pas en belles paroles et bien agencées, mais en la vertu du Saint Eprit ; ne procède pas de la subtilité d’esprit, mais de la pureté de vie. En vain vous feuilletterez les livres, si vous n’en cherchez la jouissance, car on ne la tire pas de la science, mais de l’expérience, sans laquelle en entendra bien peu de tous ces parlers mystiques ; ce sont des secrets d’amour céleste ; si on ne les goûte, on ne les comprendra pas868.

Traité 6. Du sujet prochain de l’oraison mystique, ou du fond de l’âme.

Chapitre 9. Qualité, noblesse et excellence de la suprême partie de l’âme.

Section 11. Effets de l’introversion de l’âme en son fond.

L’oraison de repos, ou la fonction de la pointe de l’esprit, qui est une introversion de l’âme en son fond, produit en elle beaucoup de biens et d’excellents effets.

Premièrement, elle l’unit à Dieu, parce que cette introversion est un amour très pur et très ardent, et que, comme dit saint Denys, l’amour tend à l’union, faisant sortir l’âme de soi-même pour l’unir à l’objet aimé, dans lequel elle est plus vivante que dans le sujet qu’elle anime.

Secondement, l’âme, en vertu de cette conjonction et union si intime et si étroite avec Dieu, devient son épouse consacrée et dédiée à ses plaisirs, l’objet de ses complaisances, toute éclatante des rayons de son ineffable beauté, et comblée de ses dons et richesses inestimables.

Troisièmement, dans cette union Dieu se découvre à l’âme ôtant le voile des images et des nuages des créatures, et bien que cette manifestation ou vision ne soit pas [272] intuitive, comme est celle des bienheureux, elle est néanmoins la plus grande qui soit sous le ciel, et l’âme y est enseignée de Dieu  même, comme parle Isaïe [Chapitre 54]. Là parmi ses divins embrassements il lui révèle ses secrets, et cette âme étant comme une belle glace vive, et profonde, sans tache, des images et des affections créées, il lui communique sa clarté ; aussi cette union est appelée du nom de mystique Théologie, c’est-à-dire connaissance de Dieu très secrète, parce qu’au moyen de cette union l’âme acquiert une certaine connaissance expérimentale qui surpasse la science, et qui pour cela est appelé Sapience par saint Denys, ou très divine connaissance.

Quatrièmement, la suavité, la paix et le repos découlent encore de cette même source de l’expérience et de l’union de Dieu. Car cette introversion étant une conjonction très étroite à ce de l’âme aimante avec le Bien-aimé, il faut que la joie soit abondante, et que d’elle suivre la paix et le repos, qui même donnent le nom à cette Théologie et oraison mystique.

Cinquièmement, la perfection de l’âme par l’ornement de toutes les vertus, est encore l’effet de cette amoureuse introversion ; l’amour tend à l’union, transportant l’amant, et le faisant sortir de soi-même pour [273] l’unir à l’objet aimé et le transformer en lui. L’âme qui aime puissamment Dieu, se transforme si fort en lui de cœur et de volonté, qu’elle ne veut plus que ce que Dieu veut, et la volonté étant unie, toutes les autres puissances qui en dépendent demeurent transformées ; et la vie de l’âme changée en la vie du Bien-aimé par une ressemblance la plus grande qui se puisse trouver entre Dieu et la créature. C’est pourquoi elle doit avoir toutes les vertus en un degré héroïque, comme il est bien céans à une âme qui a acquis la divine ressemblance avec le Dieu des vertus. Cette âme ainsi arrivée aux très purs et très aimables embrassements de l’Époux céleste, se trouve très conforme à l’image de Jésus-Christ souffrant, se plaisant non seulement à faire des choses grandes pour lui, mais à souffrir toutes sortes de peines extérieures et intérieures, par un amour nu, et soutenue de sa seule générosité, qui ne trouve de consolation qu’au seul accomplissement de sa sainte volonté.

Sixièmement, cette introversion conduit l’âme à l’état d’une oraison et présence de Dieu habituelle ou continuelle, qui est le but de la vie contemplative, parce qu’elle y apprend à ne voir que Dieu et adhérer à lui seul en toutes choses : et comme nos yeux ne peuvent apercevoir les choses de ce [274] bas monde sans voir la lumière, par laquelle elles sont vues et rendues visibles ; de même cette âme élevée par cette lumineuse introversion, voit Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu, par lequel et pour lequel elles subsistent ; sans être divertie de cette divine présence, ni par les occupations extérieures, ni par la fréquence des hommes conservant par une intime, stable et essentielle introversion, l’unité d’esprit en toute multiplicité869.

Livre quatrième. De l’oraison de repos mystique savoureux et de celui qui est sec et sans goût.

Traité 7. Des diverses espèces d’oraison mystique savoureuse.

Chapitre 1. De la première espèce de l’oraison de repos mystique savoureux, qui est dans l’imagination et qui s’appelle assoupissement délicieux.

Section 4. Différences entre l’assoupissement mystique et le corporel.

Ces deux assoupissements diffèrent :

Premièrement, en ce que le corporel charge la tête de vapeurs, rends le corps pesant et paresseux au travail ; mais l’assoupissement mystique n’appesantit pas le corps. S’il demande  la retraite, ce n’est pas par paresse, mais pour vaquer plus aisément à Dieu et se reposer en lui.

Secondement, le travail et l’occupation réveillent le corps, mais ils ne divertissent pas l’âme de son assoupissement, quand elle ne s’y porte pas par excès. [297]

Troisièmement, l’homme peut ou procurer ou éloigner par son industrie l’assoupissement corporel, le mystique dépend de Dieu ; l’âme pourtant le pourrait empêcher par un grand divertissement, ou par la résistance qu’elle y apporterait.

Quatrièmement, si l’assoupissement corporel cause la paresse, qui est une espèce de tristesse, le mystique est bien différent, puisqu’il rend l’âme allègre et contente.

Cinquièmement, l’assoupissement corporel rend l’homme terrestre, brutal, hébété, empêche les pensées des choses spirituelles ; le mystique rend l’âme dévote, intérieure, la confit en douceur et la plonge en Dieu.

Sixièmement, l’assoupissement corporel procède quelquefois de lassitude et empêche les fonctions du corps et de l’esprit ; le mystique rend l’âme allègre, prompte et plus propre à opérer, au moins spirituellement.

Section 6. Quelques raisons qui prouvent qu’en cet assoupissement mystique l’âme a une attention particulière à un objet qui n’est pas aperçu.

...   La quatrième raison. L’expérience apprend que cet assoupissement mystique s’entretient mieux, se conserve et se rappelle quand il diminue, par des imaginations que par des raisonnements et des discours d’entendement. Car quand ce repos savoureux diminue, l’âme le rappellera facilement par de petites imaginations. Par exemple que tout ce monde n’est rien ; que Dieu est tout ; et par un rebut de tout ce qui n’est pas Dieu, formé plutôt avec l’imagination ; comme si elle chassait assez loin toutes choses, que non pas par discours et raisonnements. Ou bien s’imaginant une grandeur immense, à laquelle seule elle adhère en rejetant tout le reste. Ce qui me fait croire que ce repos assoupi est dans l’imagination et que c’est un rebut mystique imaginaire de tout ce qui n’est pas Dieu ; parce que, selon la maxime de la philosophie, chaque chose est nourrie et entretenue de ce dont elle est composée ; et puisque ce repos mystique est entretenu et conservé par des imaginations, il doit être une opération de l’imagination, et je crois que c’est la même chose que l’imagination de cette grandeur immense et de ce rebut ; mais l’un est mystique et direct, et l’autre réfléchi ; et [303] le direct est entretenu et conservé par le réfléchi.. ...

Section 8. Les sens externes sont à demi liés dans cet assoupissement mystique, et comment.

J’ai dit que les sens externes sont à demi liés dans cet assoupissement mystique par un repos savoureux de la volonté, et par une connaissance mystique directe, tant de l’entendement que de l’imagination. Ce que pour mieux entendre, il faut savoir : premièrement, que la Concupiscible et l’Irascible n’y opèrent pas du tout. Secondement, que la volonté n’y produit aucun acte. Troisièmement, qu’il n’y a aucune pensée ni de Dieu ni d’autre chose, la volonté se tient en un repos agréable adhérant à un objet qui n’est pas aperçu, auquel nonobstant elle a si grande attention, qu’il l’élève, la suspend, la tient occupée sans produire ni acte, ni pensée, mais une simple suspension. C’est encore une grande tranquillité de l’âme qui s’essore et s’élève vers ce bien non-aperçu, elle s’agrandit même au-dessus de soi et de tout ce qui n’est pas goûté dans ce Repos, avec un désaveu, au moins virtuel, de tout ce qui est au-dessous de lui870.

... puisque ce tourment et agitation de la partie inférieure ne nous ôte point le goût et le repos de la quiétude de la volonté, de quoi nous mettons-nous en peine ? Qu’il demeure tant qu’il voudra : il suffit que nous soyons assurés que Dieu nous le laisse pour exercer notre patience.

Le second avis que je donne à l’âme, est de ne s’efforcer pas plus que de raison, de ramener le sens à son devoir ; parce que cet effort qu’elle fera pour l’apaiser et l’attirer à son goût, ne lui peut être que préjudiciable en tel état pour plusieurs raisons : premièrement, parce qu’il est inutile, le sens n’obéissant pas à la raison. Secondement, voyant ses efforts inutiles, elle aura de l’inquiétude, croyant que la furie de cette partie inférieure est un empêchement pour jouir de son doux repos, et que ce désarroi est un grand mal ; et cette inquiétude est très contraire à cette oraison de repos, et la tristesse à son goût. Le troisième raison est, que travaillant son esprit pour apaiser les révoltes de la partie inférieure, la volonté embrasse plus d’affaires qu’elle n’en peut digérer. Le soin d’apaiser ses sens est seul capable d’engloutir toute son attention ; celui d’entretenir le goût de Dieu n’en demande pas moins : ayant deux fusées à démêler, si difficile qu’à peine peut-elle satisfaire à une, comment le pourrait-elle à toutes deux ? Et ainsi elle tombera accablée sous le faix, comme l’a remarqué sainte Thérèse. La quatrième raison est, que le pénible et inutile travail que prend l’âme d’apaiser le sens troublé, lui fait perdre le goût de son repos savoureux ; parce que l’attention qu’elle donne aux sens, diminue celle qu’elle doit à l’entretien de ce goût ; et que le défaut d’attention et de coopération à telles grâces les diminue, ou fait évanouir tout à fait.... L’entendement a honte de voir qu’il n’entend pas ce que l’âme veut, et ainsi il va de par à autre comme étourdi et tout étonné, car il ne s’assied et ne se repose en chose aucune. La volonté est si plongée en Dieu que l’inquiétude de l’entendement lui donne une grande peine ; et partant il ne faut point qu’elle en fasse cas, car il lui ferait perdre beaucoup de ce dont elle jouit : mais il faut qu’elle le laisse là et qu’elle s’abandonne entre les bras de l’amour : car sa Majesté lui enseignera ce qu’elle doit faire en ce temps-là ; et presque le tout gît à s’estimer indigne d’un si grand bien, et à s’employer en action de grâces. Il arrive souvent que quelqu’un voulant empêcher un autre de se noyer, se noie avec lui et perd la vie qu’il lui veut sauver : ainsi l’âme voulant tirer le sens au point de tranquillité et de repos, se noie avec lui dans les eaux de ses inquiétudes, perdant la grâce de son précieux repos871.

Traité 8. Des différentes espèces d’oraison mystique sans goût.

Chapitre 1. L’oraison mystique sans goût produit ses actes sèchement et difficilement.

Section 2. De la nature des sécheresses. [501]

Les sécheresses qu’on appelle autrement des noms de délaissements, d’abandons, de privations et semblables, ne sont autre chose que la difficulté que ressent l’âme à faire oraison. Ces sécheresses rendent le cœur stérile de bonnes pensées, et sont semblables à une bise ou à un vent froid qui flétrit les fleurs de la dévotion, et qui amortit et éteint toute suavité et suc spirituel.

Et comme le palmier produit ses dattes en des lieux arides, comme l’or se tire d’une terre sèche et stérile, crevassée ; et la nacre de perle de la mer salée ; cette oraison de même produit ses actes en amertume de cœur, ses bonnes pensées sont sèches et arides. Il ne faut pas parler à une âme qui est en telles sécheresses de garder de méthode en la production de ces actes, non plus qu’un prédicateur ou orateur qui a perdu la mémoire du discours qu’il avait prémédité ; il faut qu’il dise ce qui lui viendra en bouche le mieux qu’il pourra, à peine d’être sifflé. Que l’âme d’eux-mêmes qui se trouvant ce pitoyable état d’oraison, s’échappe et se tire de ce bourbier le mieux qu’elle pourra872.

Section 2. Le mot de négligence ou nonchalance mystique usité et approuvé dans la Théologie mystique.

... Nos mystiques sont quelquefois contraints d’user de termes extraordinaires pour signifier des choses fort difficiles à connaître et expliquer, et spécialement cette union avec Dieu qui se fait sans pensées. ... En tête de cet escadron marchera une [669] Deborah, car Dieu a donné le salut en la main d’une femme. C’est sainte Thérèse qui ne déguise pas les mots, mais les prend en leur plus naïve signification pour se donner à entendre. Voici ses paroles873 : il faut, dit-elle, laisser l’âme entre les mains de Dieu, qui fasse ce qui lui plaira d’elle avec la plus grande négligence de son profit et la plus grande résignation à la volonté de Dieu. En cet endroit on ne peut prendre ce mot que pour une négligence mystique, voulant dire que l’âme se doit laisser conduire à Dieu par la voie qu’il lui plaira, négligeant son propre profit ; et que quand il lui semblera qu’elle avance par l’oraison, n’ayant aucune bonne pensée, elle ne se doit pas mettre en peine de ce prétendu avancement ; mais s’unir à Dieu par la voie ou par le moyen qui lui plaira davantage. Le bienheureux Jean de la Croix parlant de l’oraison de quiétude ou de repos, laquelle opère parmi les aridités et des sécheresses, dit874 que si en aridité et en sécheresse qui excite l’âme d’être seul et en repos, ceux à qui cela arrive, se savaient calmer et négliger, toute œuvre intérieur et extérieur qu’ils prétendent faire par leurs industries et par leurs discours, ne se souciant d’autre chose que de se laisser conduire à Dieu, ils jouiraient en ce loisir sans souci de cette [670] délicate réfection intérieure, laquelle opère au plus grand loisir et négligence de l’âme.

Le Père Jacques de Jésus dans les notes qu’il a faites sur les œuvres de ce bienheureux Père, use aussi mot de sainte négligence ; et en la phrase seconde875. iIl montre qu’il ne faut pas avoir soin ni souci d’opérer ; c’est-à-dire, d’avoir de bonnes pensées pour jouir d’une autre opération. C’est, dit-il parlant de lui, ce qu’il savourait souvent, et qu’il répète savoureusement, que nous laissions l’âme libre et  sans souci, ajoutant que comme cette opération et cette faveur que reçoit l’âme, est réellement de Dieu, le soin et la prétention nuit pour lors, voir même au spirituel. Or quiconque dit prétention, dit affection avec effet que l’âme a de tenir ce qu’elle a prétendu, y ayant en cela un peu de propriété et regardant cette œuvre comme fille de ses diligences, où elle a bonne part.

Le père Constantin use aussi de ce mot de négligence876.

Section 3. Le mot de négligence mystique en sa propre signification…

Cette nonchalance ou négligence mystique est donc en l’âme un acte de grande résignation à la volonté de Dieu, qui pour lors ne veut pas qu’elle puisse avoir de pensées. [673] C’est une indifférence de les avoir ou non qui la rend satisfaite de ce que Dieu ordonne : ce qu’elle peut faire en deux façons. La première, c’est lorsqu’étant en telle sécheresse qu’elle ne peut avoir de bonnes pensées, ou qu’ayant un repos savoureux, où un goût qui l’entretient suffisamment sans autre pensée, elle ne se met pas en peine d’en procurer, et pour lors bien qu’elle ne fasse pas de réflexion que c’est par un tel motif qu’elle néglige ces bonnes pensées et se contente de se tenir en repos et en tranquillité, elle ne laisse pas de les négliger en effet. La seconde, c’est quand elle a une lumière et une vue que pour se tenir en ce repos mystique, et mieux pratiquer la tranquille patience, elle doit négliger ces bonnes pensées et demeurer indifférente ; et pour lors cette négligence est exprimée et signifiée à son entendement par cette vue et lumière. ...

Section 4. Comment l’entendement et la volonté opèrent dans cette oraison.

L’entendement opère en cette oraison par une vue simple sans discours, et la volonté par un repos délicat.

Nous avons dit ci-dessus que la volonté avait une nonchalance de produire des actes et ne se souciait pas d’avoir de bonnes pensées, parce que l’entendement lui fait voir qu’elles ne lui sont pas possibles, et qu’elle se peut unir à Dieu sans elles ; et qu’ainsi Dieu ne lui en voulant pas donner, elle se devait tenir soumise à sa volonté, ce qui lui donne ce repos.

Mais il faut savoir que l’entendement n’a pas toutes ces connaissances par forme de discours et de plusieurs pensées, mais par une simple vue contemplative sans raisonnement, et par une lumière fort déliée qui lui fait voir qu’elle se doit tenir contente bien qu’elle ne puisse opérer par bonnes pensées, ni faire autre chose que se tenir en repos mystique. Cette lumière vient de la foi nue humaine qui est réfléchie en tant qu’elle est humaine; mais directe, en tant qu’elle est divine. C’est-à-dire que cette lumière donne une connaissance réfléchie à [676] l’âme qui lui fait voir qu’elle ne peut opérer, et qu’elle ne s’en doit pas mettre en peine, ni s’inquiéter de ce qu’elle ne peut pas avoir de bonnes pensées, et qu’elle ne s’unira pas moins à Dieu par une patience tranquille, que par l’opération. Toute cette connaissance lui est donnée par une lumière de la foi nue en tant qu’elle est humaine, non par discours ou diverses pensées, mais par une simple vue; et cette même lumière excite la volonté à se tenir en repos sans qu’elle voie par connaissance réfléchie en quoi elle se repose; et c’est la foi nue, en tant qu’elle est divine qui lui donne cette connaissance qui est seulement directe mystiquement. Cette lumière lui montre encore, non seulement qu’elle ne peut pas opérer, mais qu’en l’état auquel elle est, elle ne doit pas s’y efforcer; parce que si elle voulait opérer et chercher de bonnes pensées et des méditations, elle empêcherait l’oraison de repos, qui pour lors est en son droit et en ses appartenances; et la lumière qui lui fait produire cet acte de ne vouloir pas opérer porte toutes les raisons et les motifs qui l’y doivent induire, mais la plupart virtuellement; au moins l’âme ne s’en aperçoit guère877.»


1671 Armelle Nicolas (1606-1671)

La vie et la très profonde expérience mystique d’Armelle Nicolas nous ont été transmises par son amie religieuse, l’ursuline Jeanne de la Nativité, rédactrice du texte édité sous le titre : Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu nommée Armelle Nicolas... par une religieuse du monastère de Sainte-Ursule de Vennes878.

Comme autant de diamants enchâssés dans le récit, les « dits » sont rapportés très probablement avec exactitude, puisqu’ils sont soigneusement mis entre guillemets dans l’édition. Alors qu’on a l’habitude de parler de la « bonne Armelle », on s’aperçoit rapidement que ces dits traduisent une liberté de ton et une fermeté souveraine qui ne s’accordent guère avec l’image d’une « pauvre servante » bretonne, naïve et illettrée, dont l’histoire est là pour nous enchanter.

Ils sont remarquables par leur ampleur et leur optimisme, basés sur une confiance envers la grâce divine qui rejoint celui d’un Ruusbroec, dont elle n’a certainement jamais entendu parler. Mais c’est surtout à Catherine de Gênes qu’on peut la comparer : elles sont sœurs dans leur intensité, l’ardeur de leur amour pour Dieu, leur don absolu d’elles-mêmes. Armelle le reconnut d’ailleurs lors d’une lecture de la vie de Catherine : « Il me souvient qu’elle me raconta qu’un jour une personne de ses familiers lui lut dans la vie de sainte Catherine de Gênes879, les chapitres qui traitent de son grand amour ; et qu’entendant cette lecture, il lui semblait que ce même amour avait parfaitement accompli en elle ce qu’autrefois il avait exercé dans le cœur de cette grande sainte ; d’où elle entra dans un si grand sentiment de reconnaissance et d’amour qu’elle fut contrainte de prier de cesser cette lecture… »880.

Trop intense, Armelle « manque de charme » pour l’abbé Bremond881, qui la compare « à une pierre de lave » : Armelle le dérange par « la crise obscure et laborieuse de sa vocation », la purification « d’une servante longtemps bornée ». Mais justement, l’intérêt du Triomphe ne réside pas dans la description d’une âme parfaite dès le début, mais, et c’est tant mieux, dans sa dynamique opiniâtre qui dépasse tous les obstacles pour courir à l’union avec l’Amour-Dieu.

La relation que l’on va lire transcende aussi de nombreux témoignages parallèles contemporains, parce qu’elle reflète la rencontre exceptionnelle entre quatre mystiques : Armelle, son amie rédactrice et ses deux principaux confesseurs. Par ailleurs, leur cadre de vie, certes rude, s’avéra plutôt favorable.

Un pays prospère et chrétien

La Bretagne connut en effet une période prospère avant que la politique d’une France tournée vers les aventures continentales et sa défense contre les puissances maritimes ne l’appauvrisse. En témoignent de nos jours les très nombreuses églises et calvaires construits avant le milieu du XVIIe siècle avec l’argent d’une bourgeoisie enrichie du commerce des draps et de la broderie. 

Les missionnaires, qui arrivèrent du Royaume de France après l’Union entre la Bretagne et la France — non sans quelque retard lié aux luttes civiles entre catholiques et protestants, — n’eurent donc pas à apporter la civilisation dans un pays qui n’était pas plus arriéré que l’ensemble des autres provinces françaises — il avait d’ailleurs été épargné des feux les plus violents provoqués par ces luttes.

On voit d’ailleurs que, bien avant de rencontrer des jésuites, Armelle vit dès son enfance un christianisme ardent comme tout son entourage. Dans son village, elle assiste aux messes, aux processions, aux sacrements. Chez les maîtres de la ville voisine où elle est bonne, elle bénéficie de lectures pieuses faites en commun882. Elle rentre en contact avec les ursulines de Ploërmel, la petite cité voisine du « pays » où s’est déroulée son enfance.

Trois directeurs mystiques (Lallemant, Rigoleuc, Huby)

Les missionnaires étaient censés en premier lieu seconder les pouvoirs civils d’un Royaume centralisé, en unifiant et en confortant des pratiques religieuses déjà largement présentes. Mais particulièrement dans le pays vannetais où la ferveur était grande, certains d’entre eux furent des directeurs spirituels accomplis, qui comprirent, encouragèrent et dirigèrent les nombreux témoins d’une vie mystique née « aux champs »883. La chance d’Armelle fut d’être reconnue par un père carme, un parent dominicain et l’amie ursuline qui deviendra l’intelligente rédactrice du Triomphe de l’Amour divin : elle fut donc en contact quasi permanent avec de remarquables spirituels qui la comprenaient même s’ils n’avaient pas la profondeur de son expérience. Ils ont respecté et accompagné la grâce qui agissait librement en elle.

Ses confesseurs furent en effet formé par le mystique Louis Lallemant (1588-1635) Il s’agit de Jean Rigoleuc (1596-1658), breton de naissance, d’éducation et de tempérament, et de Vincent Huby (1608-1693). Entrées disponibles pour « 1635 Lallemant » et pour « 1658 Rigoleu [c] ».

Vincent Huby (1608-1693) occupe une place privilégiée dans Le Triomphe de l’Amour divin. Il révisa très probablement l’écrit de la sœur Jeanne de la Nativité, auquel il contribue directement par son « Témoignage »884. Il n’est toutefois pas directement nommé par la rédactrice, sinon comme « le Père », probablement par discrétion, puisqu’il était en pleine activité à l’époque. Il eut Vannes pour point d’attache : de 1631 à 1635, de 1639 à 1641 comme professeur, de 1646 à 1649 comme père spirituel et prédicateur, de 1654 à 1693 comme missionnaire. Premier supérieur de la maison de retraite jusqu’à sa mort en 1693 (sauf en 1675-1676), il fut le directeur spirituel de prêtres, de notables… et de simples servantes, dont Armelle885. Il fut le premier à établir une maison de retraite ouverte aux laïcs (ce qui était promis à un grand avenir dans l’histoire de l’apostolat jésuite) ; il composa « des livres, cahiers et feuilles » à l’usage de ses retraitants, donnait des Exercices aux religieuses dans leurs couvents, prenait largement la plume886. « Tout ne respirait en lui que l’amour de Dieu », nous dit Champion887.

Quant à la rédactrice du Triomphe de l’Amour divin, sœur Jeanne [Le Corvaisier Pelaine] de la Nativité, elle fut deux fois supérieure des ursulines de Vannes (1666-1672, 1684-1690), et dirigea les retraites créées au couvent en 1672 par Catherine de Francheville888.



Une humble servante

En fait on connaît peu de chose d’Armelle Nicolas (1606-1671), en dehors de ce qui est rapporté dans Le Triomphe de l’Amour divin et qui fournit la matière reprise par ses biographes889. Comme on va lire ce texte dans son intégralité, nous ne donnerons qu’une courte chronologie de sa vie.

Elle naît le 19 septembre 1606 en Bretagne, au village de Quelneuc, près de Campénéac, petit bourg distant de sept kilomètres de Ploërmel. Il est probable que sa vie spirituelle commence très tôt puisque, toute jeune, elle aime prier seule dans la lande où elle garde les troupeaux de son père ; son entourage apprécie sa bonté et sa douceur. Elle refuse qu’on la marie et préfère devenir servante : après quelques essais qui ne lui conviennent pas, elle est placée chez des bienfaiteurs des ursulines, la famille Charpentier du Tertre à Ploërmel. Une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau sépareront Ploërmel de Vannes, où elle vivra par la suite : voilà le petit « pays » où se dérouleront les soixante-cinq années de sa vie.

Armelle mène la dure vie des domestiques de bas rang à l’époque. Toutefois la fille de la maison a de l’amitié pour elle et lui lit l’Imitation : le récit de la Passion la jette dans un amour violent pour le Seigneur. Elle parcourt son chemin intérieur dans une grande solitude890. Comme elle cache ses états mystiques, qui la rendent languissante, sa maîtresse la prend pour une idiote et une paresseuse : elle l’accable de travail (chercher l’eau à la fontaine, ramasser le fumier…) et Armelle tombe malade pendant six mois ; puis Mme du Tertre comprend enfin la nature de sa servante et cesse de la tourmenter.

En 1636, Armelle accompagne la fille de sa maîtresse, qui se marie avec Gabriel du Bois de la Salle, et va habiter à Arradon, à sept kilomètres de Vannes. Elle sera attachée au couple trente-cinq ans, si l’on excepte une courte période de trois années au service des ursulines de Vannes.

Après des purifications très difficiles de deux ans sans personne à qui se confier, elle est délivrée : Amour divin, larmes, feu… Mais sa santé s’altère, car parallèlement à la mystique, elle travaille très dur pour sa patronne : « L’amour la transportait... Sitôt qu’elle avait la moindre santé, elle travaillait infatigablement... [et] retombait malade » ; « Elle passa de la sorte les trois ou quatre premières années après sa délivrance de l’état des tentations dont nous avons parlé, tant devant qu’après cette fièvre de huit mois »891. Elle fait la connaissance d’un confesseur dont on ignore l’identité, mais qui lui fait connaître le Père Rigoleuc et le Père Huby, jésuites : ces profonds spirituels reconnaissent son état intérieur et la rassurent. Ils l’accompagneront désormais de leur appui.

Après cette période de presque dix années, elle approche maintenant des quarante ans. Son bon confesseur s’inquiète pour sa santé et l’envoie se reposer chez les ursulines (1642-1645), où elle rencontre la sœur Jeanne de la Nativité, qui comprend ses états, la soutient et écrira sa vie. Au poste de tourière, elle se « fortifie » ; puis les sœurs, qui l’aiment beaucoup et veulent la garder, la mettent au service des pensionnaires : elle déploie alors toute sa douceur et sa tendresse pour les petites filles. Après un songe et sous l’influence d’un proche parent dominicain, elle préfère sortir du couvent, où elle trouve sa situation trop confortable pour sa vie intérieure : elle retrouve son ancienne maîtresse, mais garde cependant contact avec la communauté. Ses maîtres lui font entièrement confiance pour tenir leur manoir et élever les enfants, dont elle est très aimée. Cependant la vie n’est pas facile, car ses maîtres se mettent facilement en colère, et les serviteurs méprisent cette bigote : elle supporte tout avec grande patience, prie pour eux et les soigne.

En 1649, Huby et Rigoleuc sont nommés à Quimper : ils la quittent en la confiant à la sœur Jeanne. Dans cette épreuve, il lui est donné d’entrer dans le Cœur du Seigneur. En 1649 aussi, le Seigneur lui dit : « Ma fille, cède-moi la place » (Tr. I. 15). En 1650 est attesté un vœu d’obéissance et chasteté.

 Elle devient connue : tous viennent la voir pour lui demander conseils et prières. En janvier 1655, elle fait vœu de pauvreté, ce qui se réalise sous la forme d’un état de profonde pauvreté spirituelle. Après un état de plénitude d’un mois, puis une longue maladie de dix-huit mois, elle soigne attentivement sa maîtresse : celle-ci meurt en octobre 1656.

À soixante et un ans, une de ses jambes est brisée par un cheval, ce qui lui occasionne de grandes douleurs et l’immobilise quinze mois passés au lit ou sur une chaise ; elle s’aidera dorénavant de béquilles. Elle recouvre miraculeusement la marche deux ans plus tard, pour mourir à la suite d’une fièvre, à l’âge de soixante-cinq ans, le 24 octobre 1671.

La fournaise d’amour

La merveille du Triomphe de l’Amour est qu’il nous donne le récit d’une vie mystique achevée : sa progression depuis les débuts passionnés, la traversée des difficultés, l’abandon de plus en plus profond jusqu’à l’unité divine et la paix insondable. Cette biographie mêle intimement vie concrète et accomplissement spirituel, de sorte qu’Armelle devient très vivante et présente à nos yeux.

Ce qui frappe tout de suite chez elle, c’est la force de son appel vers Dieu et du don total d’elle-même qu’elle lui fait jusqu’à la fin de sa vie : elle ne déviera jamais. Tout est orienté vers et par l’Amour. Elle est de ces âmes que Mme Guyon compare aux « torrents qui sortent des hautes montagnes » : « … Elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdues en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur aux plus assurées. »892.

Armelle n’est conduite que par la foi :

« … Elle fuyait comme la mort toutes expériences et raisonnements humains, même toute vision ou révélation, […] et par la force de son esprit, elle passait par-dessus tout cela, se portant de toutes ses forces à ce qu’elle ne savait ni ne connaissait. “Parce, disait-elle, que tout ce que nous concevons ou expérimentons, pour haut et relevé qu’il puisse être, n’est pas Dieu, et partant nous devons passer outre et ne nous y arrêter, de crainte de nous attacher à autre chose qu’à Dieu » (Tr. II. 1). »

Sa confiance en Dieu est absolue ; elle le considère comme un Père qui prend soin d’elle, à qui elle demande avec simplicité tout ce dont elle a besoin. Il est son compagnon intime : « … Je m’entretenais confidemment avec lui, je lui racontais toutes mes peines, tous mes besoins et nécessités, je me consolais avec lui, je me réjouissais de ses divines perfections, je lui demandais ce qui m’était nécessaire et à mon prochain… » (Tr. I 7). Si on lui demandait conseil, le plus souvent  elle « ne pouvait dire autre chose que ces mots : « Confiance, confiance infinie en une bonté infinie, qui ne délaisse et n’abandonne jamais ceux qui espèrent en elle » (Tr. II 2).

Lors d’un récit fait devant elle de la Passion du Christ, elle est foudroyée par l’amour dont fait preuve Jésus : elle se jette tout entière vers l’Amour et lui donne sa vie. Les débuts sont chaotiques, car elle traverse seule des alternances bouleversantes entre des états merveilleux où « il lui semblait n’être, tant dedans que dehors, que feu et flamme » (Tr. I 4), et des tentations insupportables où elle se voit comme une criminelle et dont elle est délivrée brusquement. La purification la plus intense dure deux ans, deux ans de désert où elle perd jusqu’au souvenir des grâces qu’elle a eues et où se déploie la « rage du démon d’impureté » : elle tient le coup grâce à sa soumission totale à Dieu ; mais un jour où elle est si désespérée qu’elle demande de mourir plutôt que de rester dans cet état, elle est délivrée dans l’instant : « Les chaînes, qui jusqu’alors m’avaient tenue en si grande captivité, furent entièrement rompues et brisées pour jamais, me trouvant au-dedans de moi-même en une telle liberté que je ne me connaissais plus » (Tr. I 9). Elle était allée au plus profond de « l’amour désordonné de la créature », et la délivrance fut si complète qu’elle ne ressentit plus « jamais la moindre étincelle d’affection pour aucune créature qu’autant que Dieu le lui ordonnait » (Tr. I 9). Après ce tournant capital, « jamais son cœur ne fut assailli de la moindre tentation, difficulté ou répugnance qui l’eût tant soit peu détournée de l’ardeur et de la véhémence avec laquelle elle se portait continuellement vers son unique bien, qui était Dieu » (Tr. I 10). D’où ce beau passage : « … Elle n’eut plus d’yeux que pour contempler son Amour, plus d’oreilles que pour entendre sa voix, plus de langue que pour le bénir et raconter ses louanges, plus de bras que pour travailler pour lui, plus de pieds que pour marcher en la voie de ses divins conseils, plus de corps que pour l’emporter toute à son service, plus de désirs que pour accroître sa gloire, plus de volonté que pour lui obéir, enfin plus de cœur que pour être consumée de ses flammes » (Tr. II 3).

C’est alors qu’elle chercha un confesseur, car elle avait depuis toujours « dans l’esprit que pourvu qu’elle ne fît point sa volonté, il n’y avait rien à craindre pour elle » (Tr. I 10). Toute sa vie, elle refusera d’agir par décision personnelle, s’en remettant à la volonté de Dieu, exprimée intérieurement ou par des personnes extérieures : « Il n’y avait chétive créature au monde à laquelle, en cette considération, je ne me fusse aussi volontiers soumise qu’aux plus grands saints du paradis, car jamais je n’envisageais la personne à qui j’obéissais, mais celui pour l’amour duquel je le faisais » (Tr. II 12).

Elle rencontra le Père Huby : elle le supplia «  à chaudes larmes de ne rien épargner de tout ce qu’il verrait être requis afin que Dieu fût absolument le maître de son cœur, et qu’il n’eût égard ni à vie, ni à santé, ni à commodité, ni à son honneur, ni à sa satisfaction, ni à quoi que ce fût au monde, et elle disait ceci avec tant d’ardeur et de véhémence qu’il semblait qu’elle fût hors d’elle-même » (Tr. I 10). Cette rencontre fut capitale : cet homme de grande expérience intérieure lui assura que tout ce qui se passait en elle était de Dieu, lui enlevant tous ses doutes (son confesseur précédent préférait ne rien lui dire). Il la présenta à Rigoleuc, et tous deux aimaient venir l’entendre parler de Dieu : « Nous ne sommes que froideurs et glaces auprès de son ardeur à aimer Dieu », dira Rigoleuc (Tr. II 22).

Huby eut la délicatesse de ne rien superposer d’humain à l’œuvre de Dieu, se contentant d’accompagner l’œuvre de la grâce et de dépouiller Armelle de ses imperfections : son action est le parfait exemple du bien que peut faire un véritable confesseur à un mystique. Compétent par son expérience personnelle et sa connaissance des textes, il sut reconnaître le travail de la grâce et se contenter de le favoriser : « entendre et approuver ce que Dieu opérait au-dedans d’elle-même ». « Il la portait à agir le plus simplement qu’il lui était possible au-dedans d’elle-même, sans réfléchir beaucoup sur ses vues et ses sentiments » et surtout il « la laissait agir selon les mouvements de l’Esprit, se contentant de sa part de la disposer, tout de loin, à ce qu’il prévoyait que Dieu voulait opérer en elle » (Tr. I 15). Il va la guider vers l’abandon total.

Quant à elle, l’obéissance qu’elle lui voue est absolue : « J’avais la croyance si certaine dans mon esprit que mes directeurs me tenaient la place de Dieu en terre, que je n’en pouvais aucunement douter ; et cette pensée me saisit dès le premier moment que Dieu me donna le mouvement de me laisser conduire, et jamais depuis ne m’a quittée ; ce qui faisait qu’en toutes choses je m’adressais à eux comme j’eusse fait à Dieu même, ne faisant aucune distinction entre ce qu’ils me commandaient et ce que Dieu m’eût dit de sa propre bouche » (Tr. II 12).

Huby s’inquiète de la santé d’Armelle, dont le corps est anéanti sous le feu divin. Il a peur qu’elle n’en meure : « La douleur qu’elle ressentait [au cœur] était une douleur vive et ardente, accompagnée d’une force et d’une véhémence si grandes qu’il lui était avis qu’elle avait au-dedans d’elle-même un feu cuisant et dévorant, qui la détruisait et consommait toute, de sorte qu’elle était contrainte par la violence du feu et de la douleur qu’elle ressentait de faire des actions extraordinaires, et comme d’une personne hors du sens. » Terrassée de « fièvre », elle tombe de faiblesse. Huby la fait transporter chez une veuve, mais on ne peut la soigner. Elle lui dit : « Mon Père, je suis dans une fournaise, mais c’est la fournaise de l’Amour » (Tr. I 11).

La modération de ses confesseurs au sujet de l’ascétisme est à souligner, car remarquable : ils lui interdisent la discipline et toute macération, probablement parce qu’ils sentent chez elle une hantise trop forte de vaincre le corps. Ce masochisme est pourtant très courant à l’époque : il suscitait une admiration dont on voit encore des traces dans le Triomphe. Par contre, Armelle gardera un grand amour pour les souffrances involontaires, qu’elle considérait comme « des messagers exprès envoyés de [son] divin Amour » et qu’elle demandait volontiers à Dieu : elles servent à purifier « la rouille des péchés ». Les fuir l’aurait empêchée de ressentir des douleurs comme le Christ : « Fuir la Croix, c’est s’éloigner de la source et du principe de tous biens, puisque Dieu y est attaché et que c’est là où seulement où il se trouve. » Enfin, la souffrance fait partie de la réalité : elle doit donc être intégrée au vécu mystique sans la fuir et sans que le fond ne bouge : «  … La vertu qui y est plus expressément requise, c’est la patience, qui fait que l’âme se possède en paix au milieu des peines et travaux qu’il faut endurer pour se rendre semblable à Jésus-Christ » (Tr. II 13). Cette patience concerne également les « grandes caresses » d’amour divin difficiles à supporter : « Il faut avoir patience, et le laisser faire tout ce que bon lui semblera », avait-elle coutume de dire (Tr. II 13). Ce feu qui n’épargnait rien exauçait sa prière « qu’il brûlât et consommât tout au feu de son divin Amour, sans rien épargner, jusqu’à la plus petite racine ; et c’est ce que, par sa grande bonté, il a fait en moi, sa chétive créature » (Tr. II 14).

Soucieux de l’épuisement d’Armelle, Huby la fait entrer chez les ursulines pour recouvrer la santé : elle y est très bien et est très aimée. La sœur Jeanne prend soin d’elle et protège ses états mystiques. Sa santé s’améliore, mais Armelle se sent trop à son aise dans cet endroit si amical et paisible. Elle sent « un certain mouvement qui lui faisait connaître que ce n’était pas le lieu où Dieu la voulait » (Tr. I 13). Alors qu’elle aurait pu finir ses jours au couvent, elle va obéir à cette impulsion intérieure et retourner travailler chez Mme de la Salle.

C’est une constante chez elle que de fuir les situations confortables. (Déjà, au moment où Mme du Tertre la traitait mieux, elle avait préféré partir chez sa fille.) Sa voie se situe au milieu de la vie de tous les jours, dans le travail et les difficultés avec l’entourage. Être responsable du ménage, de la cuisine, des approvisionnements pour toute une famille dans un manoir implique beaucoup de travail. Elle est objet de mépris pour les domestiques, parce que les forces lui manquent quand l’Amour l’envahit et parce que sa vie est sans reproche. Ses maîtres la houspillent, mais elle leur obéit comme à Dieu. Elle se réjouit de n’être qu’une simple servante : « … Tout le monde a le pouvoir de la reprendre et mépriser, et trouver à redire sur tout ce qu’elle fait ou dit. Hé ! cela n’est-il pas aimable ? Cela n’apprend-il pas bien à se tenir en humilité, à mettre tout son appui et sa confiance en Dieu, et ne chercher qu’à plaire à lui seul ? » (Tr. II 10.) Elle observe avec humour que le Seigneur la laisse tranquille quand elle a du travail, pour revenir dès qu’elle a achevé sa tâche ; ou bien elle s’acquitte de ses courses sans en avoir conscience, et pourtant tout est fait parfaitement. De toute façon, elle remarquait que « plus elle travaillait et s’employait pour son Amour en tous les embarras de son ménage, et plus il se communiquait à elle ; qu’elle eût cru commettre une grande infidélité de quitter son travail pour chercher le repos… » (Tr. II 10.)

Son cas est particulièrement intéressant pour nous modernes, puisqu’elle vit la vie mystique totalement, tout en accomplissant les charges d’une vie ordinaire de laïque. Selon le conseil de Rigoleuc, elle était dans le monde « ferme et inébranlable, comme un rocher au milieu de la mer qui, pour être battu de divers flots et attaqué des vents, ne remue et ne penche de côté ni d’autre » (Tr. I 13).

C’est pourquoi elle fait de la fidélité l’axe de la vie en Dieu : la seule chose qui importe est de suivre les mouvements de la grâce à chaque instant. C’est une « fidélité qui s’étend sur toutes choses, grandes et petites, sans rien excepter ». Ce n’est pas facile : Je « me suis portée avec une vigilance nonpareille à tout ce que j’ai reconnu être de sa sainte volonté, quelque peine ou répugnance que je ressente en moi, je ne le pouvais différer d’un moment à les accomplir, quoique souvent j’eusse bien voulu remettre à un autre temps sous prétexte de maladie ou de travail, ou de mille autres raisons que me produisait l’amour-propre pour s’exempter de ce grand assujettissement à toutes choses, tant grandes que petites » (Tr. II 9).

En 1649, Huby et Rigoleuc sont nommés à Quimper et elle doit les quitter. En réponse à son inquiétude, le Seigneur lui dit qu’il la retire des bras de ses nourrices : « Je veux te loger en ma maison » (Tr. I 15), et il la fait entrer dans son Cœur « d’une si grande étendue que mille mondes entiers n’eussent pas été suffisants pour le remplir » (Tr. I 21). Après ces années de transports et de langueurs dans un amour brûlant, où « jusqu’alors Lui et elle avaient travaillé ensemble » (Tr. II 3), elle passe à une autre étape, où le Seigneur règne seul, dans le repos de tous les sens et des puissances. Elle s’aperçoit à peine du départ des deux jésuites, car, bien qu’elle paraisse comme d’habitude, elle est inconsciente, dans un repos « où il n’y a rien de distinct ni de particulier ». Elle en sort dans un état de silence et de cessation complète de toutes les opérations intérieures. Le jour de la Saint Thomas, le Seigneur lui dit : « Ma fille, cède-moi la place. » Tout ce qui a précédé n’avait existé que pour préparer cet état. Elle comprend tout ce qu’Huby lui avait dit sur l’abandon, et que ce sera désormais sa voie. Elle obéira à l’ordre du Seigneur : quand elle lui demandait ce qu’elle pouvait faire, il répond : « Rien, rien du tout, sinon t’abandonner et me laisser faire » (Tr. I 20). De 1650 à sa mort, la sœur Jeanne considère qu’il ne reste plus chez Armelle que l’action divine (Tr. I 17).

À la Toussaint 1650, le Seigneur lui dit : « Ma fille, tu es la fille de l’Amour » (Tr. I 16).

Elle rêve d’un combat entre le corps et l’esprit où l’esprit l’emporte et les deux se rangent dans un même lieu : alors que, jusqu’à cette époque, elle avait le corps brisé de douleurs par les états d’amour, elle ne ressentira plus de douleurs. Son corps souffrait quand les puissances, seulement calmées, résistaient encore ; mais les vingt dernières années, le corps et tous les sentiments étaient spiritualisés, tant l’abandon était total. Plus tard, elle dira qu’il « lui semblait être devenue comme dans l’état d’innocence, de sorte que, quand bien elle aurait lâché la bride à tous ses appétits naturels, ils n’auraient recherché autre chose que Dieu, vers qui ils se portaient d’eux-mêmes comme ils faisaient naturellement auparavant vers les choses de ce monde » (Tr. I 17). Son corps est très faible : « Entre Dieu et moi, il n’y a plus que la fragilité de ce pauvre corps, qui est devenu si miné à force d’aimer qu’il ne faut plus qu’un petit souffle pour le casser et le rompre tout à fait » (Tr. I 17).

Son état s’approfondit, la grande unité avec le Divin s’accomplit : « Tu n’es plus. Tu es plus perdue dans l’océan de ma Divinité que le poisson ne l’est dans la mer » (Tr. I 20).

Elle dit à sœur Jeanne :

«  Je n’ai plus aucune pensée, ni rien qui m’arrête, ni m’occupe comme de coutume ; il y a un seul objet, qui est l’être et l’immensité de Dieu, qui pénètre et consume mon âme d’une manière inconcevable, et la rend, en la consumant, d’une si grande étendue que je n’en puis plus savoir les bornes. Autrefois je voulais tout faire et tout embrasser, mais maintenant il n’en va pas ainsi, car rien n’approche plus de moi. Je comprends tout et ne suis comprise de rien ; mon âme est seule, simple et pure ; et quand je la vois ainsi, c’est comme une merveille que je ne meure à chaque moment ; et si cela continue encore quelque temps en moi, je crois qu’il en faudra mourir. Je vais et j’agis à mon ordinaire, pour le dehors, sans que je perde cette vue, mais mon Dieu me l’ôte parfois, permettant qu’il passe quelques pensées par mon esprit qui m’en détournent ; autrement je serais déjà morte. L’amour qui me consume ne se peut exprimer ni concevoir, il est comme infini et tous les jours il croît davantage » (Tr. I 20).

La mystique la plus profonde est vécue au milieu de la vie quotidienne la plus ordinaire : elle n’avait pas « besoin de travailler à se recueillir ni rentrer en elle-même, pour rechercher quelque lieu à l’écart pour s’occuper avec son Dieu ; tout cela ne lui était point nécessaire, car au milieu des rues, en plein marché, dans l’embarras d’un grand ménage, elle était aussi attentive à contempler les perfections de son Bien-Aimé que si elle eût été dans un désert ; d’autant que partout où elle allait, elle portait toujours son feu et son amour au-dedans de soi, et ainsi quelque part qu’elle fût, elle en recevait la lumière et la chaleur ». Et pourtant tout son travail était parfait : « Elle ne manquait à rien, son Amour lui fournissant si à propos le souvenir des choses qu’il fallait, dans le temps qu’il les fallait accomplir, qu’elle ne s’en pouvait aucunement mettre en peine, lui laissant tout ce soin, afin de se pouvoir toute employer à l’aimer » (Tr. II section unique).

Cet amour infini va se répandre autour d’elle puisque, dès l651, elle demande à Dieu « affectueusement de décharger sur elle toutes les peines qu’il lui plairait, afin d’empêcher qu’il ne fût point offensé » (Tr. I 17). Elle est immédiatement accablée de douleurs qui l’obligent à se coucher, mais sœur Jeanne atteste que le Carnaval de cette année-là fut beaucoup plus tranquille, à l’étonnement de tous ! En 1652, le Seigneur lui imprime son Nom au cœur, ce nom qui a le pouvoir de sauver les hommes. Elle prie donc pour tous et connaît leur état à distance. Nombreux seront les témoignages de ceux qu’elle a aidés. Les gens l’abordent pour lui raconter leurs peines ou leurs péchés, et elle souffre beaucoup de leurs douleurs. Cependant le centre reste inaltérable : « Cela n’empêchait aucunement les joies ineffables qu’elle recevait de la douce union de son âme avec son Bien-Aimé, dont elle jouissait à souhait, dans un calme et une tranquillité si admirables qu’on l’eût plutôt prise pour être le crayon d’une âme bienheureuse que d’une âme revêtue de chair mortelle » (Tr. I 22).

 Son rôle sur terre est d’empêcher par ses prières que Dieu ne soit offensé : « Il semble […] que mon divin Amour ne me laisse plus en ce monde que pour être la procureuse de son honneur, et que je n’ai autre chose à faire qu’à voir si sa gloire est accrue et augmentée : c’est là tout mon emploi et mon office […] Pour dire le vrai, je ne me regarde point moi-même en cela, mais Dieu seul, dans lequel je suis si perdue et abîmée que, la plupart du temps, je crois n’avoir plus d’âme, de vie, d’esprit, mais qu’ils se sont tout fondu et perdus en lui, qui seul me tient lieu de tout cela. Et ainsi son honneur est mon honneur, sa gloire est ma gloire, ses mépris sont mes mépris, tout ce qui le touche me touche, enfin il est tout mien comme je suis toute sienne » (Tr. I 19). Et en effet, à l’ouverture du jubilé de 1652, « la dévotion et le concours du peuple à s’approcher des saints sacrements et à entendre la parole de Dieu était si grand que les églises avaient peine de les contenir ; et les confesseurs ne pouvaient suffire à entendre ceux qui se présentaient pour recevoir l’absolution de leurs péchés » (Tr. I 19)

En 1657, son état devient si nu, si profond qu’elle ne peut plus en parler : « Ce qu’il opérait au plus intime de son âme était si divin et relevé qu’elle ne le comprenait pas » (Tr. I 26). « Son âme était si perdue et abîmée dans ce divin regard qu’elle ne se comprenait pas elle-même ; et nonobstant cela, elle était aussi libre pour agir au-dehors, comme si rien ne se fût passé au-dedans ; et même elle avait la santé assez bonne pour s’acquitter de tout ce qui était nécessaire dans le ménage » (Tr. I 25). Même après avoir été estropiée par un cheval en 1666, elle continue à se rendre utile dans la cuisine : « Elle demeurait dans un petit coin de la cuisine à donner ordre au ménage, et à faire quelque occupation pour l’utilité de la maison, n’étant jamais oisive. Plusieurs personnes de toutes sortes de conditions l’allaient voir pour se consoler avec elle et jouir  de la douceur de son entretien » (Tr. I 27). Un très grand nombre de personnes avouaient qu’ils sortaient d’avec elle « tout changé [s] et renouvelé [s] » (Tr. II 16).

Pendant les trois jours précédant sa mort, la chambre était pleine d’une foule qui la vénérait. On se disputa ses reliques et les bouts de tissu qui l’avaient touchée ; une procession énorme escorta son corps… Tout ceci l’aurait bien étonnée : « Jamais... je n’ai su ce que c’était que vanité... Il me semblait qu’à moins de perdre l’esprit je ne pouvais entrer en aucune estime de moi, car je voyais si clairement que tout ce qui était en moi venait de Dieu » (Tr. II 10).

          Une biographie et son influence

L’édition du Triomphe de l’Amour divin ne traîna pas, puisqu’il parut dès l’année suivant la mort d’Armelle. Les événements domestiques et intérieurs en forment la trame. Il est divisé en deux parties : Vie puis Vertus, en conformité avec le genre hagiographique obligatoire à l’époque. De mauvais esprits se demanderont donc quelle est la vérité de ce récit : le Père Huby rédigea le « Témoignage » associé au récit et supervisa certainement l’ensemble. La mission de Vannes est trop heureuse d’avoir un grand exemple à montrer. Les lecteurs bretons demandent des exemples de sainteté et de dévotion ? Leurs attentes sont ici (trop ?) largement satisfaites par le récit d’une héroïcité ascétique en accord avec le canon classique du genre. Les comptes-rendus des conversations sont forcément traduits du breton et sont bien écrits : sont-ils fidèles au style et au vécu d’une simple servante ?

Cependant on sera tenté d’accorder foi à l’honnêteté et à la véracité du récit quand on lit la Préface en forme d’épître rédigée par la sœur Jeanne de la Nativité : ce texte que l’on pourrait être tenté de sauter, mérite en fait une lecture attentive. Pleine de noblesse et de rectitude, Jeanne y rend compte de la genèse du Triomphe et nous fait part de sa volonté d’exactitude avec une humilité qui émeut : « Je me suis rendue la plus exacte qu’il m’a été possible à décrire toutes les opérations du divin Amour […] J’ai cru que plus les termes seraient simples et naïfs, et plus ils auraient de force pour toucher les cœurs. » Elle nous dit qu’elle a fait contrôler ce qu’elle écrivait par Armelle elle-même et a pris soin de mettre ses paroles entre guillemets. Armelle a eu cette chance incomparable de rencontrer une amie attentive et intelligente, des jésuites eux-mêmes mystiques, qui tous ont protégé la liberté de la grâce en elle. La beauté de ce texte résulte de leur rencontre : la qualité de l’entourage d’Armelle permet de penser que ce qu’ils ont écrit sur elle a respecté sa vérité.

A priori très improbable hors de la province bretonne, l’influence du Triomphe fut très grande et se répandit hors des frontières du royaume. À la fin du siècle, l’ouvrage fut redécouvert par Pierre Poiret (1646-1719) : ce pasteur piétiste d’origine française établi en Hollande à Rijnsburg était un grand éditeur de textes mystiques et devint un disciple aimé de madame Guyon893. Qui se ressemble (intérieurement) s’assemble : certes, « la pauvre servante bretonne était aussi différente que possible de Mme Guyon : pourtant leurs expériences, indépendantes l’une de l’autre, ne sont pas sans analogie et ont enchanté les mêmes âmes894.

L’influence de la servante bretonne s’exerça alors en Hollande et en Allemagne895. Elle franchit les mers, car les éditions de Poiret et de ses amis étaient distribuées au-delà du Channel dès le début du XVIIIe siècle par l’intermédiaire du docteur James Keyth de Londres896. Le texte se répandit chez des piétistes et des réformateurs protestants, dont certains étaient des intellectuels (proches de Londres) ou des voyageurs (tel Wesley) d’expériences très différentes de celle d’Armelle. La simple fille est en effet admirée en Angleterre et en Écosse, où on la voit figurer dans les bibliothèques des disciples écossais de madame Guyon, Lords Deskford et Forbes. De même en Amérique, où John Wesley, fondateur du méthodisme, insère en 1778 des extraits de The life of Armelle Nicolas dans sa revue l’Arminian magazine ; pour lui, « her deep, solid, unaffected piety has recommended her to those of all denominations who regarded not mere opinions, but the genuine work of God. . . » 897. Le récit attirera les spirituels du siècle des Lumières, accompagnant ainsi deux autres textes : ceux de l’ermite Grégoire Lopez898, et ceux du frère carme convers Laurent de la Résurrection (1614-1691), qui lui ressemble par sa concision, sa simplicité et sa netteté.

À nous modernes, il reste à redécouvrir aujourd’hui Le Triomphe de l’Amour divin comme une perle qui a toute sa place dans une bibliothèque des grands témoignages mystiques rédigés en notre langue.


1672 Marie de l’Incarnation [Guyart] (1599-1672).

La seconde Marie de l’Incarnation est peut-être la plus célèbre des mystiques du XVIIe siècle, appréciée au Canada comme en France899 . Née Marie Guyart, quatrième enfant d’un maître boulanger, elle est mariée à moins de dix-sept ans à un maître ouvrier en soie, Claude Martin. Il meurt en 1619, peu après la naissance d’un fils — le futur bénédictin Claude Martin — et la jeune veuve prend la tête de la fabrique, termine les procès en cours, rembourse les créanciers. Elle reçoit une grâce de conversion l’année suivante : ses péchés lui sont représentés et une dure période ascétique commence où elle entreprend des mortifications excessives. Elle se fait « la servante des servantes de la maison », appelée à seconder son beau-frère dans la direction même de son entreprise de transports par voie d’eau et de terre où elle a « le soin de tout le négoce ». Elle entre finalement en 1631, à l’âge déjà avancé (pour l’époque) de trente et un ans, chez les ursulines où contemplation et action s’équilibrent — et où elle est accueillie sans dot. Elle souffre de la rencontre avec son fils désespéré (rencontre provoquée par sa famille). 

Après un songe qui lui dévoile un pays mystérieux plongé dans la brume, mais à la suite de circonstances indépendantes de sa volonté, elle s’embarque en 1639 pour la Nouvelle-France. Elle est accompagnée d’une moniale de Tours et d’une autre de Dieppe, ainsi que d’une « jeune veuve d’Alençon, Marie-Madeleine de la Peltrie, fondatrice temporelle, aussi géné­reuse qu’originale ». À Québec, à l’époque un village de deux cent cinquante colons, commence une seconde vie : construction du couvent, contact avec les Hurons d’où venaient les petites filles à éduquer selon la tradition ursuline. Les épreuves ne manquent pas : destruction de la communauté des Hurons, nuit intérieure jusqu’en 1647, incendie du couvent. Parvenue à la maturité spirituelle, elle exercera une grande influence sur le cou­vent, la colonie, les jésuites de la Mission, ses corres­pondants de France, dont son fils devenu bénédictin. La guerre indienne décime les Français laissés sans secours de la métropole, elle-même déchirée par les luttes de la Fronde. Puis viennent les maladies très douloureuses, les infirmités. Parvenue à un état d’union très intime à Dieu, « d’une simplicité telle qu’il lui est difficile d’en rendre compte », elle meurt le 30 avril 1672.

Dom Oury résume son enseignement spirituel en lui donnant une note volontariste qui rend compte du tempérament énergique de Marie Guyart : « Le point de départ de tout itinéraire vers Dieu consiste dans une résolu­tion virile de se donner à lui, une disposition de géné­rosité et de courage, être impitoyable à soi-même. Une fois ce premier point acquis, il faut aller de l’avant, courir sans relâche pour arriver au Roi900. Pour assurer cette exécution courageuse de la volonté de Dieu, le plus sûr moyen est de ne perdre ni temps ni forces à discuter avec soi-même, mais d’emporter tout d’un premier assaut : Depuis qu’une âme veut une chose, si elle est courageuse, c’est demi-fait... Pour prendre un chemin bien court, il me semble que le retranchement des réflexions sur les choses qui sont capables de donner de la peine est absolument nécessaire. Il importe de fortifier son âme contre une certaine humeur plaintive et contre de certaines tendresses sur soi-même901. »

 Dans la pratique, c’est par la voie de l’amour que l’âme grandira : Dieu ne m’a jamais conduite par un esprit de crainte, mais par celui de l’amour et de la confiance902. Dieu s’étant révélé à elle comme l’Amour, elle ne voit pas d’autre moyen de lui apporter une réponse : Il est si passionné [de notre âme] qu’il en veut faire les approches903. À son fils facilement craintif dans les débuts de sa vie religieuse, elle écrivait : Hé ! pourquoi ne vous familiarisez-vous pas avec un Dieu si bon et si amoureux...904. L’amour est actif et agissant ; il est aussi transformant, car si l’âme ne peut apporter que peu de choses, Dieu l’agran­dit et assure sa croissance dans l’amour : « Les petits font de petits présents, mais un Dieu divinise ses enfants et leur donne des qualités conformes à cette haute dignité. C’est pour cela que je me plais plus à l’aimer qu’à me tant arrêter à considérer mes bassesses et mes indignités905.

La meilleure façon de la découvrir est de la lire! Elle n’a en effet besoin d’aucune interprétation, sinon du bref soulignement du thème de l’amour, ce que nous venons de faire avec dom Oury. Ses Relations comme sa Correspondance forment un ensemble vaste — près de deux mille pages —, mais qui demeure tout au long très vivant. À l’édition critique des Écritspar dom Jamet906, nous préférons sa source par dom Claude Martin907 : il explique, avec une grande précision issue de sa propre expérience, les états qu’elle rapporte. L’ensemble, alternant les écrits de la mère et les gloses du fils et complété par quelques témoignages savoureux provenant d’autres religieuses et éclairant les conditions du temps, forme une tresse à première vue étrange, en fait présentant avec profondeur diverses manifestations de la vie mystique.

La comparaison des deux Relations écrites à près de vingt ans d’intervalle, en 1633 puis en 1653-1654,  indépendantes l’une de l’autre par suite de la perte par l’auteur de tous ses documents, à la suite de l’incendie du couvent canadien, mais couvrant en grande partie les mêmes périodes de sa vie, est fascinante : elle nous éclaire sur l’évolution de la vie mystique qui se caractérise par un élargissement et par une simplification. Ainsi la description des instants forts ou d’événements intérieurs précis laisse place à celle d’états continus ou de phases conscientes qui prennent place dans la durée. Dans sa deuxième Relation « elle a le sentiment que sa vie spirituelle est beaucoup plus une suite d’états qu’une suite de grâces et de faits extraordinaires »908. Disposer d’une telle « répétition » du sujet qui est traité si différemment dans l’une et l’autre relations séparées par près de vingt ans, sans interférence909 , est un cas unique parmi tous les témoignages que nous ont laissés les mystiques. La seconde Relation, écrite à la demande d’un fils très cher engagé dans le même chemin intérieur, est particulièrement belle, intime et couvre tout le chemin.

 La Correspondance apporte des témoignages de la pleine maturité et de la fin de vie en même temps  qu’elle décrit la vie en terre indienne, par celle qui apprit et composa dans leur langue910. Elle constitue un témoignage vivant sur l’isolement et l’insécurité de la dure vie canadienne, sur le retentissement de l’isolement et des menaces exercées sur une petite communauté, sur la possibilité de vivre intériorisé, soumis à ces contraintes.

L’isolement favorise une involution culturelle et l’essor de croyances en des manifestations provoquées par le diable ou par un sorcier ; maintenir un niveau convenable d’éducation des filles nées à Québec est difficile911; il serait intéressant de rapprocher ces témoignages relatifs à la colonie de Québec à ceux montrant à la même époque l’involution qui prend place dans les colonies puritaines américaines.

Au-delà d’aspects colorés, parfois étranges ou sanglants, les lettres apportent un complément précieux en ce qui concerne la vie intérieure, compte tenu de la longue période de dix-neuf années qui va de la seconde Relation à sa mort. Certaines sont longues et s’apparentent à de petits traités parce qu’elles étaient écrites annuellement, au rythme de voyages maritimes saisonniers. Enfin les lettres sont plus spontanées que les Relations.

Marie décrit les contraintes sous lesquelles elle écrit : temps limité à la fois par les occupations nombreuses à la bonne saison et par la brièveté de la période séparant l’arrivée des bateaux de France en juillet de leur départ fin août ou début septembre. On note le soin des rédactions qui nous sont parvenues (certes retouchées par son fils Dom Claude Martin) : il est vraisemblable que leur contenu profond étant déjà médité longtemps dans le cœur,  la précipitation affecte seulement le travail de transcription écrite, mais non l’essentiel. Il en sera de même pour Madame Guyon dont les poignets pourront gonfler à l’écriture sans perdre la précision du message. De telles contraintes, portant sur la description rapide d’un fruit mûr, sont plutôt favorables, car elles évitent les repentirs et les interférences intellectuelles.

Un tel caractère concret et complet de témoignages, délivrés de toute théorie, ne se retrouve que chez Madame Guyon. Les deux mystiques mériteraient un travail comparatif — sans utiliser une grille d’analyse externe à leurs témoignages912.

L’étude de M.-F. Bruneau nous apprend peu sur  Marie Guyard ou sur Jeanne-Marie Guyon — et ne leur donne guère la parole.  Nous sommes par contre introduits avec clarté aux diverses hypothèses interprétatives ingénieuses caractéristiques de notre époque, jeu de miroirs si général et si dissocié de ces cas réels que l’on ne peut en évaluer sa pertinence.  Quant au contenu mystique, tout comme un poème qui tend à nous ramener à la réalité perçue directement, il ne peut, lui, « s’interpréter », comme l’analyse si profondément G. Steiner913.

Elles sont toutefois chronologiquement séparées d’un demi-siècle. Marie de l’Incarnation est citée dans les Justifications de cette dernière, superposée peut-être au souvenir de dits de Marie des Vallées914 :

La Mère Marie de l’Incarnation... rapporte en sa Vie l’acte admirable et héroïque de satisfaction à la divine Justice, qu’elle fit par un mouvement de Dieu, en lui sacrifiant son salut et son éternité : Je me fusse perdue en cette tentation (de désespoir), si par une vertu secrète la bonté de Dieu ne m’eût soutenue ; car réellement je me voyais sur le bord de l’enfer... Cet acte était une simple vue de foi qui me tirait de ce grand précipice : je voyais que je méritais l’enfer et que la Justice divine ne m’eût point fait de tort de me jeter dans l’abîme ; et je le voulais bien, pourvu que je ne fusse point privée de l’amitié de Dieu. 

Plusieurs liens sont communs : leur rattachement à Bernières (Marie de l’Incarnation le rencontre jusqu’à son départ de Dieppe, puis poursuit une relation épistolaire privilégiée, Madame Guyon recevra son influence par l’intermédiaire de Bertot), la consultation de Dom Claude Martin, au moment de la décision de Madame Guyon de sortir de France, enfin un lien indirect avec Fénelon par son frère missionnaire, l’abbé François de Fénelon, sulpicien et missionnaire au Canada915. Le « grand » Fénelon fera copier plus de cent trente passages de Marie de l’Incarnation pour « étayer sa propre doctrine916», c’est-à-dire défendre le bien commun aux mystiques.

Voici quelques thèmes mystiques communs exposés « dans la conversation et parmi le bruit des marchands », au début de sa vie, repris  avec la saveur de l’expérience acquise lorsqu’elle est proche de son terme : « marchant par la maison, je vais chancelant », écrit-elle de son état qui n’est toutefois pas ici la suite d’une faiblesse naturelle917:

« les respirs qui me font vivre sont de mon Époux ; ce qui me consume de telle sorte par intervalle, que si la miséricorde n’accommodoit sa grâce à la nature, j’y succomberois, et cette vie me feroit mourir, quoique rien de tout cela ne tombe dans les sens, ni ne m’empêche de faire mes fonctions régulières. Je m’apperçois quelquefois, et je ne sçai si d’autres le remarquent, que marchant par la maison, je vais chancelant ; c’est que mon esprit pâtit un transport qui me consume. »  

Dieu est un abîme sans fond, une grande mer qui rejette l’impur et veut une grande rectitude,

« étant en moi-même toute hors de moi-même, il me fut montré que Dieu était comme une grande mer ; et que, comme la mer ne souffre rien d’impur, mais qu’elle le jette hors de soi-même, ainsi cette grande mer de pureté qui est Dieu ne voulait rien que de pur, rejetant hors de Lui tout ce qui ressent la mort et l’impureté.... Il voulait de moi une grande pureté de cœur... une grande rectitude918.

C’est un amour qui nous soutient et permet de vivre :

« On peut parler de tout, on peut lire, écrire, travailler... demeurer collé à Lui par une union d’amour dans le fond de son âme, où tout est dans le calme et dégagé des sens919.

« Mon âme se tenant collée bien fortement à son Objet, sans pourtant se servir de son propre agir, car elle ne pouvait rien que pâtir ce que voulait l’Objet... je l’ose dire, tous biens sont communs et il n’y a plus de distinction du mien et du Sien... elle veut être rien et qu’Il soit tout, et c’est en cela qu’elle trouve son contentement920

Son œuvre  est d’anéantissement vivement ressenti comme impuissance :

« Premièrement j’ai souffert une peine extrême de ne pas assez aimer... Il m’est demeuré en l’âme une impression qui m’a toujours continué depuis, qui est que je me vois comme immobile et impuissante... je voy très clairement qu’il est tout et que je ne suis rien, qu’il me donne tout et que je ne puis luy rien donner 921.

... il me demeura cette vue gravée en l’esprit que j’étais le rien propre pour le Tout922.

... je suis extrêmement consolée de la disposition où il vous met touchant les larmes : car bien que ce soit un don, si est-ce pourtant que la nature s’y peut prendre en tant que cela lui plaist en quelque façons. Or l’esprit épuré de toutes choses, sans s’arrêter aux dons, s’élance en Dieu par un certain transport qui ne lui permet pas de s’arrêter à ce qui est moindre que cet objet pour lequel il a été créé, et c’est en cela que consiste la parfaite nudité. Une fois que j’estois bien fort unie à cette divine Majesté, luy offrant, ainsi que je croy, quelques âmes qui s’étoient recommandées à mes froides prières, cette parole intérieure me fut dite : Apporte-moi des vaisseaux vides 923.

La pureté requise est parfois insupportable :

« plus je m’approche... plus je connais que j’ai encore quelque chose qui me nuit et qu’il me faut ôter... je crie... que sans pitié, Il m’ôte tout ce qui me pourrait nuire... Il le fait donc 924.

Mon âme se voit dans ce grand Tout comme dans une glace très claire, où elle découvre toutes ses défectuosités925.

L’Amour divin est terrible, pénétrant et inexorable en matière de cette pureté... Dieu... semble se cacher... Il demeure comme si c’était une vacuité, qui est une chose insupportable. Et c’est d’où naissent les désespoirs  ... Une fois... il me parut une grande flamme... tout moi-même voulait s’y jeter par un mépris de Dieu.... Or donc, sans pitié, exterminez le néant et la poussière ! 926.

ce qui est très proche de l’expression donnée par Marie des Vallées, que nous avons cité précédemment :

« Mais l’amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais il frappe bien rudement…927.

Dieu conduit à un état sans vision ni imagination et rebelle à toute analyse. Dans cet état d’union et de simplicité, Il opère dans le fond.

« Ce ne sont pas des désirs ny des élans, ny de certains actes... Non, c’est une vacuité de toutes choses, qui fait que Dieu demeure seul en l’âme, et l’âme dans un dénuement qui ne se peut exprimer.... Ce n’est pas que de temps en temps sa bonté ne me fit expérimenter de grands effets de son amour928..

« Mais Dieu, qui sçait que l’âme est encore foible, luy cache son progrez et la grâce même qu’il luy donne, parce que n’ayant pas encore l’esprit assez convaincu de son néant et de son impuissance au bien, elle s’attribueroit ce qui est dû à son Bienfaiteur. /Elle voit clair en toutes ses opérations, n’étant plus dans des transports de désir et d’amour comme elle a été autrefois. C’est ici la liberté des enfans de Dieu qui les introduit dans sa familiarité sainte par la confiance et par le libre accez qu’il luy donne. Dans les états passez elle étoit dans un ennyvrement et transport qui la faisoit oublier elle-même ; mais ici elle est à son bien-aimé, et son bien-aimé est à elle avec une communauté d’intérests et de biens, si j’ose ainsi parler… Car remarquez que plus l’âme s’approche de Dieu plus elle connoît son néant, et quoy qu’elle soit élevée à un Très-Haut degré d’amour, elle ne laisse pas de s’abaisser à un très profond degré d’humilité, ces deux dispositions s’accordent parfaitement ensemble929 .

Elle résume un chemin mystique poursuivi pendant de nombreuses années :

« I. Cette âme venant à connaître sa dignité par l’opération de la grâce, qui efficacement lui découvre ce à quoi elle est appelée... veut tâcher de correspondre par la tendance continuelle vers son souverain et unique bien. Si cette tendance est pure, la divine Bonté... fait fondre en cette âme des torrents de lumière… Jusques-là, il n’y a point de circoncision en cette vie intérieure. Il semble à l’âme qu’il n’y a rien au-delà de la jouissance qu’elle possède. Ce divin esprit qui est infiniment jaloux et qui, en matière de pureté intérieure, est inexorable et veut seul posséder son domaine, commence à attaquer la partie sensitive/II. (suspension de l’entendement,) la volonté... n’ayant plus besoin de l’entendement... au contraire il lui nuit à cause de sa grande et abondante fécondité... des années passent de la sorte. III. la volonté... est arrêtée et mise au rang de la mémoire et de l’entendement/IV... la personne... entre dans des craintes, ne pouvant comprendre être dans le vrai chemin, puisqu’elle ne peut s’arrêter en ce qui est de plus saint et de plus célèbre en l’Église [pour Marie de l’Incarnation ; en ce qui est le plus estimable pour d’autres]. V. La volonté ayant perdu son amoureuse activité, l’âme dans son unité et dans son centre demeure dans un amour actuel... respir doux930.

L’index de la seconde Relation de 1654 décrit plus analytiquement ce chemin :

« 1. Détachement, 2. Dieu illumine l’âme qui voit sa difformité, 3. Amour pour les humiliations, 4. Vue de son néant, passiveté, 5. Pratique vertueuse selon Jésus-Christ, 6. Pureté intérieure, 7. Mariage, extase dans l’amour, martyre de l’amour [elle quitte le monde et ses parents], 8. Peines intérieures, 9. Grâce d’aider spirituellement le prochain, [vocation canadienne] 10. Mort à ses désirs et à son zèle, 11. abandon à ce qu’elle voit des souffrances à venir, 12. Souffrances, révolte des passions et tentations, sentiment d’être déchue, 13. Délivrance subite et grande paix dans l’amour931 .

« Le respir doux et amoureux qui suit l’anéantissement des puissances, se doit entendre ainsi : savoir, que comme notre vie naturelle se soutient et se maintient par la respiration, sans laquelle il faudrait mourir, ainsi l’âme... ne vit plus que de la vie de son Époux... vie qu’Il lui influe, et c’est ce que j’appelle commerce d’esprit à esprit et d’esprit dans l’esprit932.

La « certitude de foi » est bien différente de la croyance :

« L’âme a une expérience et une certitude de foi que Dieu non seulement lui est présent, mais encore qu’Il habite en elle, qu’Il y agit  ... Quant elle agit par elle-même, elle a ses vues et ses desseins... (agie par l’Esprit saint qui la gouverne,) l’âme qui en comparaison n’est qu’une goutte d’eau, se perd en cette source, n’ayant plus d’opération que par son mouvement933.

Elle définit avec clarté et précision les oraisons de quiétude, d’union, et surtout l’état « d’oraison » passive :

« Le premier état est l’oraison de quiétude, où l’âme qui dans ses commencemens avait coutume de s’occuper à la considération des mystères, est élevée par un attrait surnaturel de la grâce, en sorte qu’elle s’étonne elle-même, de ce que sans aucun travail son entendement est emporté et éclairé dans les attributs divins où il est si fortement attaché qu’il n’y a rien qui l’en puisse séparer. Elle demeure dans ces illustrations sans qu’elle puisse opérer d’elle-même, mais elle reçoit et pâtit les opérations de Dieu autant qu’il plaît à sa divine bonté d’agir en elle et par elle. Après cela elle se trouve comme une éponge dans ce grand océan, où elle ne voit plus par distinction les perfections divines... /Le second état de l’oraison surnaturelle, est l’oraison d’union, dans laquelle Dieu après avoir enyvré l’âme des douceurs de l’oraison de quiétude, l’enferme dans les celliers de ses vins pour introduire en elle la parfaite charité. /... [dans le] troisiéme état de l’oraison passive ou surnaturelle... les sens sont tellement libres que l’âme qui y est parvenue peut agir sans distraction dans les emplois où sa condition l’engage. Il lui faut néanmoins avoir un grand courage, parce que la nature demeure dénuée de tout secours sensible du côté de l’âme, Dieu s’étant tellement emparé d’elle, qu’Il est comme le fonds de sa substance. Ce qui se passe est si subtil et si divin, que l’on n’en peut parler comme il faut. C’est un état permanent où l’âme demeure calme et tranquille, en sorte que rien ne la peut distraire. Ses soupirs et ses respirs sont à son bien-aimé dans un état épuré de tout mélange, autant qu’il le peut être en cette vie : et par ces mêmes respirs elle lui parle sans peine de ses mystères et de tout ce qu’elle veut. Il lui est impossible de faire les méditations et les réflexions ordinaires, parce qu’elle voit les choses d’un simple regard, et c’est ce qui fait sa félicité dans laquelle elle peut dire : Ma demeure est dans la paix. Elle expérimente ce que c’est que la véritable pauvreté d’esprit, ne pouvant vouloir que ce que la divine Volonté veut en elle. Une chose la fait gémir, qui est, de se voir en cette vie sujette à l’imperfection, et d’être obligée de porter une nature si corruptible, encore que ce soit ce qui la fonde dans l’humilité934.

« Dieu ne m’a jamais conduite par un esprit de crainte, mais par celui de l’amour et de la confiance935.

« touchant mon état présent, je vous dirai que quelque sujet d’oraison que je puisse prendre, quoique je l’aye lu ou entendu lire avec toute l’attention possible, je l’oublie.... mon âme contemple Dieu, dans lequel elle est. Je lui parle selon le mouvement qu’Il me donne, et cette grande privauté ne me permet pas de Le contempler sans Lui parler, et en ce parler, de suivre son attrait.... cet amour n’est jamais oisif, et mon cœur ne peut respirer que cela. J’ai dit que les respirs qui me font vivre sont de mon Époux ; ce qui me consume de telle sorte par intervalle, que si la miséricorde n’accommodoit sa grâce à la nature, j’y succomberais, et cette vie me ferait mourir, quoique rien de tout cela ne tombe dans les sens, ni ne m’empêche de faire mes fonctions régulières. Je m’aperçois quelquefois, et je ne sais si d’autres le remarquent, que marchant par la maison, je vais chancelant ; c’est que mon esprit pâtit un transport qui me consume. Je ne fais presque point d’actes dans ces occasions, parce que cet amour consumant ne me le permet pas.... mais quelque privauté qu’il me permette, je n’oublie point mon néant, et c’est un abyme dans un autre abyme qui n’a point de fond.... Comme rien de matériel ne se trouve en cette occupation intérieure, parfois mon imagination me travaille par des bagatelles, qui n’ayant point de fondement, s’en vont comme elles viennent. La raison est que comme elle n’a point de part à ce qui se passe au-dedans, elle cherche de quoi entretenir son activité naturelle et inconstante ; mais cela ne fait rien à mon fond qui demeure inaltérable.... si cette vue et cette expérience est d’amour, comme Celui que j’aime n’est qu’amour, les actes qu’Il me fait produire sont tous d’amour, et mon âme aimant l’amour, conçoit qu’elle est toute amour en Lui : en voilà l’explication. « Je voudrais me pouvoir mieux expliquer, mon très cher fils, mais je ne puis936.


1674 Geneviève Granger (1600 - 1674)

La supérieure du couvent des bénédictines de Montargis fut le soutien « maternel » de la jeune Madame Guyon en prise avec un vieux mari et une belle-mère difficile. Elle guidera et inspirera la jeune mystique à partir de 1668.

Témoignages de madame Guyon

Un choix des passages qui mettent en jeu leurs relations sous toutes ses formes constitue un récit attachant de la bonne direction, celle qui sait joindre la prudence, l’encouragement très concret, l’incitation au retour intérieur, l’engagement, le dépassement.

« À mon retour, je fus trouver la mère Granger, à qui je contai toutes mes misères et mes échappées [infidélités, 1.14.1sv.]. Elle me remit, et m’encouragea à reprendre mon premier train ; elle me dit de couvrir entièrement ma gorge avec un mouchoir… [1.14.5.]

« Sitôt que je vis la petite vérole au logis, je ne doutai point que je ne la dusse prendre. Je fus consulter la Mère Granger aux Bénédictines qui me dit de m’éloigner si je pouvais. [1.15.1]

« Vous me faisiez trouver des providences toutes prêtes pour écrire à la Mère Granger lorsque j’étais le plus pressée de peines, et je sentais de forts instincts de sortir quelquefois jusqu’à la porte, où je trouvais un messager de sa part qui m’apportait une lettre qui n’aurait pu tomber entre mes mains sans cela. [1.17.5]

« J’avais une extrême confiance à la Mère Granger. Je ne lui cachais rien, ni de mes péchés, ni de mes peines, je n’aurais pas fait la moindre chose sans la lui dire : je ne faisais d’austérités que celles qu’elle me voulait permettre.... J’avais une telle amitié pour elle que si je l’avais sentie pareille pour un homme je ne l’aurais jamais vu. Mon confesseur et mon mari me défendirent de nouveau de la voir. Il m’était presque impossible d’obéir.... comme je l’aimais beaucoup, je ne pouvais m’empêcher de la justifier et d’en dire du bien ; et cela les mettait en telle colère qu’ils veillaient encore de plus près pour m’empêcher de l’aller voir... Je prenais prétexte d’aller voir mon père et j’y courais, mais sitôt que cela était découvert, c’était des croix que je ne puis exprimer... Ma belle-mère se mettait sur un certain petit vestibule, personne ne pouvait sortir du logis qu’elle ne les vît et qu’ils ne passassent auprès d’elle. Elle leur demandait où ils allaient, et ce qu’ils portaient : il fallait le lui dire, de sorte que quand elle savait que j’avais écrit à la Mère Granger, c’était un bruit terrible.... Je m’en plaignais quelquefois à la Mère Granger, qui me disait : Comment les contenteriez-vous puisque, depuis plus de vingt ans, je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout ? [1.17.6-7]

La mère Granger était en fait rigoureuse, parfois inconsciemment par une réaction vive, dont l’efficace se constate au moment même :

« Un jour que pénétrée vivement de cette pensée et de cette peine [l’absence de Dieu] je lui dis que je ne vous aimais plus, unique objet de mon amour, elle me dit en me regardant : « Quoi ! vous n’aimez plus Dieu ? » Ce mot me fut plus pénétrant qu’une flèche ardente. Je sentais une peine si terrible et une interdiction si forte, que je ne pus lui répondre, parce que ce qui s’était caché dans le fond se fit d’autant plus paraître dans ce moment que je le croyais plus perdu. [1.23.3]

Elle engage sa protégée à préparer puis signer symboliquement un contrat, selon une coutume du siècle, le jour de la Madeleine ; cette dernière sera délivrée d’une longue nuit intérieure lors d’un autre de ses anniversaires six années après la mort de la religieuse.

« La veille de la Madeleine de la même année [le 22 juillet 1672], la Mère Granger m’envoya un petit contrat tout dressé, je ne sais par quelle inspiration. Elle me manda de jeûner ce jour-là et de faire quelques aumônes extraordinaires, et le lendemain dès le matin, jour de la Madeleine, d’aller communier une bague dans mon doigt, et lorsque je serais revenue au logis, de monter dans mon cabinet... que je lusse à ses pieds mon contrat, le signasse et lui misse ma bague. Le contrat était tel : « Je promets de prendre pour mon époux Notre-Seigneur Enfant, et me donner à lui pour épouse, quoiqu’indigne. » [1.19.10.]

L’aide inclut celle, cachée, que permet la « science des saints », ce dont témoigne les derniers fragments de la même séquence :

« J’appris avant de m’en retourner que la Mère Granger était morte. J’avoue que ce coup me fut le plus sensible que j’eusse encore eu. ... Il me semblait que si j’avais été à sa mort, j’aurais pu lui parler et m’instruire de quelque chose... Il est vrai que quelques mois avant sa mort, j’eus une vue que quoique je ne la pusse voir qu’avec une extrême difficulté et sans souffrir, elle m’était encore un soutien. [1.20.4] 

« M. Bertot, quoiqu’à cent lieues du lieu où la mère Granger mourut, eut connaissance de sa mort [5 octobre 1674] et de sa béatitude, et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l’ai toujours aimée en Dieu » et ne parla plus depuis. Je n’eus aucun pressentiment de sa mort. [1.20.7]

« À quelques années de là, la Mère Granger m’apparut en songe, et me dit : « Soyez assurée que Notre-Seigneur pour l’amour qu’il vous porte a délivré votre mari du purgatoire le jour de la Madeleine... » [1.22.7]

L’Éloge937 de Geneviève Granger par la Mère de Blémur, repris par Bremond qui remarqua cette belle figure de religieuse938, nous donne des précisions. Nous préférons citer longuement sans les paraphraser, présentant dans le langage du temps ce médaillon représentatif de nombreuses autres  figures féminines :

Éloge par la Mère de Blémur

« (418) Elle avait pris l’habit et fait sa profession religieuse dans la maison de Hautebrières de l’ordre de Fontevrault... était d’une humeur modérée, mais cependant civile et prévenante ; en sorte que les religieuses de Hautebrières, qui l’ont (419) gouvernée dix-neuf ans, ont protesté qu’elle n’avait jamais dit seulement une parole qui pût déplaire à la moindre de leur communauté. C’est une chose très rare... elle fut choisie pour mère commune dans cette sainte maison avant l’âge prescrit par la règle : il est vrai que Notre Seigneur qui la destinait ailleurs, ne permit pas que cette élection eût son effet, et que la servante de Dieu eut de la joie de sa rupture, aimant beaucoup mieux obéir que commander ; elle avait déjà le sentiment qu’elle a depuis tant répété à ses filles, qu’il ne fallait pas avoir l’esprit raisonnable pour aimer les charges... (420) Elle eut bien des combats à rendre quand il fallut sortir de la maison de profession, pour venir à Montargis assister Madame sa sœur939, qui l’avait demandée à Madame de Fontevrault son Abbesse... la Révérende Mère supérieure et fondatrice des bénédictines de Montargis, étant allée pour lui faire la révérence, elle [Mme  de Fontevrault] s’écria : « N’approchez pas ma Mère, vous m’avez fait un tort irréparable, enlevant de Hautebrières la Mère de Saint-Benoist. (421)... il y a pourtant une distinction notable entre les filles de cet Institut et les autres bénédictines, ce qui obligea la mère de l’Assomption de faire faire un noviciat à sa sœur... Cette année passée, on mit la Mère dans les grandes charges de Sous-prieure et de Maîtresse des novices... (423) six ans s’étant passé... (424) A peine eut-elle fermé les yeux de Madame sa sœur, qu’elle vit que tous les suffrages... étaient réunis pour la nommer prieure... elle usa de mille artifices pour éloigner les sœurs, ce n’était plus la charitable mère de Saint-Benoist, c’était une mère rebutante... La communauté fut confirmée... [par l’] archevêque de Sens... »

Ce panégyrique laisse entendre qu’elle eut des épreuves et pratiqua une intense mortification :

« (425) [Déplacée] à l’abbaye de Ville Chasson, pour aider à y mettre la réforme, la répugnance fut terrible de son côté... [elle] eut le plaisir de pratiquer une obéissance aveugle, et le temps qu’elle demeura dans ce monastère, elle ne fit jamais paraître qu’elle fut supérieure, étant soumise à l’Abbesse comme une novice... (432)... elle lui [son corps] a fait essuyer des choses dont le récit nous fait horreur, comme de baiser des chancres940... Elle avait défendu aux infirmières de rendre certains offices aux malades, qui sont les plus répugnants à des filles propres, parce qu’elle s’était réservé cet exercice... c’est bientôt dit, mais la pratique en est bien difficile.... sa pauvreté :... après sa mort ses amis ayant demandé quelque chose à garder pour l’amour d’elle, on fut contraint de les refuser, son thrésor ne renfermait que deux choses, un pauvre crucifix et un chapelet.... C’était par ce principe qu’elle se levait la nuit sans chandelle... faisant toutes choses dans l’obscurité... (434) aux pauvres gens qui venaient au tour du monastère, elle avait des respects... prenait plus de plaisir à converser avec eux qu’avec les grands du monde, elle ne pouvait souffrir qu’une religieuse parlât de sa naissance... elle se regardait comme une cloche qui avertit les autres d’aller à Dieu... avait en horreur sa propre excellence, disant qu’il n’y avait rien qui éloignât davantage les âmes de la perfection que l’estime secrète... »

La vie surnaturelle est mise en avant et lui donne clairvoyance :

« (436) Elle voulait que l’on fit des actions ordinaires d’une façon surnaturelle, et qu’on reçut avec soumission toutes les rencontres qui arrivent contre notre inclination... (437) Elle avait reçu de Dieu une lumière surnaturelle pour connaître l’intérieur de ses filles... elles n’avaient point là peine de lui déclarer leur état... en approchant d’elles leurs nuages étaient dissipés... elle demandait à Dieu de faire son ouvrage lui-même dans les âmes afin... qu’elle n’y eût point de part.... ce fut elle qui dressa les Constitutions, qui fit le Cérémonial et plusieurs autres écrits nécessaires pour l’institution des religieuses... »

Des paroles montrent une rigoureuse remise de soi en Dieu :

« (439) Elle arriva au point de cette bienheureuse indifférence, où l’âme laisse agir Dieu purement, sans rien voir ni connaître... Elle disait : “je souffre comme un voleur qui est pris sur le fait... je suis incapable d’amour de Dieu, je n’ai rien.” (440) Dans sa dernière maladie : “je n’ai rien, je ne sais rien, je n’ai pas même la consolation de voir la beauté de la souffrance, mais mon Dieu mettez-moi en l’état qu’il vous plaira.”  … Dans cette nudité elle se moquait d’elle-même, disant : “avez-vous jamais vu quelque chose de pareil, on ne me permet pas seulement de penser aux saints, sinon en tant qu’ils sont cachés en Dieu.”  (442) Elle avait trouvé le secret de pacifier les âmes les plus travaillées de peines intérieures... on trouvait le calme en l’approchant et on se sentait recueillie en sa présence.  (443) Elle disait souvent... qu’en mourant à ses propres lumières et à ses intérêts pour établir l’union, on se perdait soi-même, mais qu’en récompense on trouve Dieu. ...Tant qu’elle a eu de la santé, elle n’a point manqué d’aller (445) tous les matins laver les écuelles et balayer la cuisine, avant que la communauté fut levée... (450) on a trouvé ce qui suit écrit : “je dois tout commettre à Dieu, me reposant sur sa divine providence, sans empressement ni trouble... si je veux mériter les miséricordes de Dieu, je dois être très simple en sa présence, sans m’appuyer sur la sagesse humaine ni sur les maximes du monde, que j’aie l’âme outrée de voir qu’on met Dieu le dernier... (451) Je ne m’attacherai personne que pour les unir à Dieu... je ne m’inquiéterai jamais des fautes des autres, attendant avec confiance leur amendement et le mien.” (452) Sans parler du blé que l’on donne à l’hôpital de la ville, elle en faisait distribuer une telle quantité aux autres nécessiteux que si l’on n’eut mis quelques bornes à sa libéralité, elle eut  donné plus que la maison n’avait de revenu : il fallut que... l’archevêque de Sens lui lia les mains... »(454) Peut-on mettre sans beaucoup prier et sans un rare exemple, une grande communauté dans l’esprit d’oraison, de silence de simplicité ? »

Le couvent de Montargis dirigée par Geneviève Granger ne fut pas seulement le refuge de la jeune Madame Guyon. Le duc de Beauvillier y fera élever ses enfants.


1674 Thomas Traherne (1637 - 1674)

Nous ne pouvons présenter de nombreuxpoètes métaphysiciens et mystiques anglais, mais la figure choisie ici, dont les manuscrits de poèmes ont été redécouvert récemment941 [1031], rend compte de leur esprit qui célèbre la beauté de la création dans la tradition platonicienne et dans la joie.

First Century of Meditations, n ° 2: “Do not Wonder, that I promise to fill it, with those Truths you love, but know not: For tho it be a Maxime in the Scholes,That there is no Lov of a thing unknown: yet I hav found, that Things unknown have a Secret Influence on the Soul: and like the Centre of the Earth unseen, violently Attract it. We lov we know not what: and therfore evry Thing allures us. As iron at a Distance is drawn by the Loadstone, there being some Invisible Communications between them: So is there in us a World of Lov to somwhat, tho we know not what in the World that should be. There are Invisible Ways of Conveyance, by which som Great Thing doth touch our Souls, and by which we tend to it. Do you not feel your self Drawn with the Expectation and Desire of som Great Thing?

N ° 30: “Till your Spirit filleth the whole World, and the Stars are your Jewels, till you are as Familiar with the Ways of God in all Ages as with your Walk and Table: till you are intimatly Acquainted with that Shady Nothing out of which the World was made: till you lov Men so as to Desire their Happiness, with a Thirst equal to the zeal of your own: till you Delight in GOD for being Good to all: you never Enjoy the World. Till you more feel it then your Privat Estate, and are more present in the Hemisphere, Considering the Glories and the Beauties there, then in your own Hous. Till you remember how lately you were made, and how wonderfull it was when you came into it: and more rejoyce in the palace of your Glory, then if it had been made but to Day Morning.

Second Century, n ° 68: “. . . They lov a Creature for Sparkling Eys and Curled Hair, Lillie Brests and Ruddy Cheeks; which they should love moreover for being GODS Image, Queen of the Univers, Beloved by Angels, Redeemed by Jesus Christ, an Heires of Heaven, and Temple of the Holy Ghost: a Mine and fountain of all Vertues, a Treasurie of Graces, and a Child of GOD. But these Excellencies are unknown. They lov her perhaps, but do not lov God more: nor Men as much: nor Heaven and Earth at all. And so being Defectiv to other Things, perish by a seeming Excesse to that. We should be all Life and Mettle and Vigor and Lov to evry Thing. And that would Poys us. I dare Confidently  say, that evry Person in the Whole World ought to be Beloved as much as this. . .

Fourth century, n ° 55: “He was a Strict and Severe Applier of all Things to Himself: And would first hav his Self Lov satisfied, and then his Lov of all others. It is true that Self Lov is Dishonorable, but then it is when it is alone. And Self endedness is Mercinary, but then it is when it endeth in oneself. It is more Glorious to lov others, and more desirable, but by Natural Means to be attained. That Pool must first be filled, that shall be made to overflow. He was ten veers studying before he could satisfy his Self Lov. And now finds nothing more easy then to lov others better than oneself. And that to love Mankind so is the comprehensiv Method to all felicity. For it makes a Man Delightfull to GOD and Men, to Himself and Spectators, and God and Men Delightfull to Him, and all creatures infinitly in them. But as not to lov oneself at all is Bruitish: or rather Absurd and Stonish: (for Beasts do lov themselvs) so hath GOD by rational Methods enabled us to lov others better then our selvs, and therby made us the most Glorious Creatures. Had we not loved our selvs at all we could never hav been obliged to lov any thing. So that self Lov is the Basis of all Lov. But when we do Lov our selvs, and self Lov is satisfied infinitly in all its Desires and possible Demands, then it is easily led to regard the Benefactor more then it self, and for his sake overflows abundantly to all others. So that God by satisfying my self Lov, hath enabled, and engaged me to love others.”


1677 Baruch de Spinoza (1632 - 1677)

Le philosophe peut être considéré comme mystique alors même que son panthéisme et  sa mise à plat des textes bibliques en font aux yeux de ses contemporains l’ennemi premier des religions942. Mystique pour qui « c’est par la raison que l’on connaît la volonté de Dieu et non par les prétendues révélations qu’invoquent les Églises943 . »

La vision large de Spinoza a pâti de sa condamnation par Bayle comme athée alors que « l’on pourrait même dire que Spinoza ne parle que de Dieu » comme H. Laux  le montre dans une présentation des cinq premières définitions de  l’Éthique944 : Dieu est un « être unique dont toutes les autres choses ne sont que des modifications », « Il ne crée pas, il produit, il est ce qu’il produit, de sorte que tout est Dieu ». Nous sommes en présence d’une « expérience de paix intérieure par rapport à soi et de générosité vis-à-vis d’autrui », « mystique de pleine affirmation et d’intelligibilité ».

« Voyant que tout ce qui était pour moi cause ou objet de crainte ne contenait rien de bon ou de mauvais en soi, mais dans la seule mesure où l’âme en était émue, je me décidai en fin de compte à rechercher s’il n’existait pas un bien véritable et qui pût se communiquer, quelque chose enfin dont la découverte et l’acquisition me procurerait pour l’éternité la jouissance d’une joie suprême et incessante945… » Programme que Spinoza mit en place dans l’exercice d’une courageuse liberté.

1677 Charlotte Le Sergent (1604 - 1677).

Cette religieuse bénédictine eut un grand rayonnement : « … on la consultait de tous côtés… Monsieur de Bernières… la sœur Antoinette de Jésus… la Révérende Mère du Saint-Sacrement [Catherine de Bar] et plusieurs autres946.

Elle est attirée par le carmel et après « quinze ou seize ans » d’instruction « d’une infinité de merveilles947 »  elle connaît une nuit dont elle sera délivrée ainsi :

«J’agirai à ma mode : vous irez par un chemin que vous ne connaissez pas… Cette occupation intérieure dura cinq heures ou environ, pendant laquelle il lui parut que Dieu fit un vide dans son âme, comme quand on prend un balai, et que l’on pousse les ordures hors d’une chambre : en effet, elle se trouva si déchargée, qu’elle respirait à son aise et sans nulle peine : elle allait à l’oraison comme au festin de noces, et l’espace d’un an elle ne manqua guère d’y employer quatre ou cinq heures chaque jour, ne portant avec elle que la nudité d’esprit et la cessation de tout acte. Elle voyait Dieu présent par une foi simple948 . 

Dix-huit ans avant sa mort, elle cesse d’écrire ses dispositions, « parce que Dieu produisait en son âme des abîmes si impénétrables qu’elle les adorait sans les pouvoir ni vouloir comprendre ». Madame de Beauvilliers  lui donne « un pouvoir absolu pour la direction de la Communauté ; elle a été trente-deux ans prieure en différentes nominations949. On lui demande son avis sur une religieuse :

«que pouvez-vous espérer d’une créature qui est dans un abîme de ténèbres et qui marche à l’aveugle dans sa petite voie… C’est une vérité que l’âme est comme perdue sans savoir où elle est, ni ce qui se passe en elle… Il me semble pourtant qu’elle réfléchit un peu trop sur ce qui se passe en elle… Mais enfin Dieu ne conduit pas toutes les âmes par un même sentier : elles ne sont pas toutes appelées pour être des bêtes en la Maison du Seigneur. Il y a des personnes auxquelles on ne peut donner de lois; il les faut abandonner aux règles de l’amour.950

Elle dirige la Mère du Saint-Sacrement (entrée « 1698 Mectilde ») :

«vous n’avez rien à craindre, ce je ne sais quoi qui vous va séparant de toute douceur, est ce que j’estime le plus simple et le plus sûr  en votre voie.  … J’ai vu tout votre être absorbé dans une lumière, devant laquelle la vôtre est disparue, et je voyais en cette région lumineuse, un jour sans ténèbres où la créature n’était plus rien, Dieu étant tout. L’âme demeure entre les bras de son Seigneur sans le connaître et sans même s’en apercevoir951.

Elle dirige Bernières dont elle discerne l’excès dans l’activité et une compréhension imparfaite de « l’abjection » par ailleurs chère à elle-même comme au P. Chrysostome : 

«il m’a semblé que votre âme se rabaissait par trop en réfléchissant sur elle-même et sur les opérations divines en son intérieur : elle doit, à mon avis être plus simple, et s’attacher uniquement à l’auteur de cet ouvrage et non pas à ses effets… Vous me parlez… d’un état de déréliction… il faut s’élever en Dieu par la partie suprême de l’âme, et s’y tenir fixe, négligeant beaucoup ce qui se passe dans la partie inférieure …  On croit quelquefois que tout est perdu, parce que l’on ne sait pas quel est le prix de la nudité d’esprit… si l’âme veut agir par elle-même, elle oppose son opération basse et ravalée, à celle de Dieu. Cette inclination d’agir est un reste des activités passées qu’il faut anéantir et écouler en Dieu, pour lui laisser l’âme abandonnée… [pour] pratiquer notre toute aimable abjection. J’attends de votre charité, que vous me donniez les règles nécessaires pour y être fidèle952.

Elle lui adresse une longue lettre le dissuadant de pratiquer la pauvreté matérielle extérieure,  car on sait combien Bernières fut écartelé entre son désir d’être délivré du soucis des biens et le recours que l’on fit à ses capacités (il n’est pas question pour lui d’accompagner Marie de l’Incarnation au Canada !) Elle l’incite à pratiquer une pauvreté toute intérieure :

« Ne faites aucune élection pour l’intérieur ni pour l’extérieur : tout exercice vous doit sembler bon : consolation, désolation, tentation… C’est en ce point que consiste la pauvreté d’esprit dans ce vide et dans ce dénuement de toute propre élection… L’âme ne doit être liée qu’au seul bon plaisir de l’amour ; qu’il nous mette en l’état qu’il lui plaira, il n’importe. Celui du sacré silence convient fort à l’oraison, il est vrai, mais la soumission aux attraits de l’amour vaut beaucoup mieux953.


1678 Antoinette de Jésus (1612 - 1678)

Antoinette Journel, devenue veuve, entra à vingt-cinq ans chez les augustines. De rares écrits, qui ont échappé à la destruction ordonnée par la supérieure, nous révèlent une âme jeune et limpide et surtout libre :

«mon âme demeure en grand repos et silence et ne fait rien que recevoir... Mais quand il faut agir c’est avec une extrême et très grande liberté et simplicité d’esprit, ayant les sens extrêmement libres sans que pourtant rien me demeure dans l’esprit... En cette disposition je me laisse aller au coulant de l’eau... gaie paisible et contente... ne ressentant jamais aucune peine ni difficulté soit intérieure ou extérieure954.

Il n’est pas nécessaire de passer par la croix spécifique à Jésus-Christ pour atteindre à l’unité avec Dieu ; nous ne relevons aucun passage parallèle aussi nettement affirmé chez ses contemporain [e] s :

«Dieu m’appelait à l’unité de Son esprit et à Sa vie intérieure, me donnant à entendre qu’Il ne m’appelait pas à sa croix ni à ses autres “états”, mais à ce qu’il avait de plus essentiel à Lui-même, qui est la pureté de son divin Esprit955.

Mais il se trouve toujours des personnes effrayées par l’exercice du pur amour :

« je pensais y passer ma vie [dans l’état de pureté décrit précédemment], lorsque par l’ordre et la conduite du Père Marin... il m’ordonna de sortir de ce bel Être... pour me plonger dans le sein du néant, où je suis demeurée abîmée plus de trois années, sans jamais avoir la pensée de retrourner dans ce sein adorable où je puisais ma vie, et dont l’habitude était si fort établie, que la seule obéissance m’en empêchait l’entrée ; et si elle ne m’en avait empêché depuis tant d’années, je m’y élancerais encore comme un poisson dans la mer. » 

Heureusement, elle sortira de cette nuit et de toute direction spirituelle :

« Depuis un an  ... je me suis sentie tirée à perdre la vue de mon néant, pour entrer dans le pur regard de Dieu, par une opération forte qui ruine tout en moi, pour faire place au règne de Dieu... toutes vues, réflexions et retours sont impurs pour moi... Je ne puis pas vous exprimer le fond de paix... depuis plus de vingt ans956.

« Je me sens un esprit net, nu, dégagé... Pour ce qui est de mon intérieur, je n’ai rapport à personne... m’appliquant seulement aux emplois que la Religion me donne. Celle du Tour  ... quelque occupation pressante que j’y aie, le dedans de mon âme est aussi paisible et calme... que si j’étais seule957.


1678 Henry Scougal (1650 - 1678).

The Life of God in the Soul of Man est l’œuvre toujours vivante d’un admirateur de Renty et d’un disciple des platoniciens de Cambridge, mort trop tôt, qui eut cependant le temps d’être Professor of Divinity at King’s College, Aberdeen. Ce fut le cas de John Forbes auteur de The Spiritual Exercises (1624-1647) et de James Garden, auteur de la Comparative Theology (1699) appréciée par Poiret.

Forbes, Scougal et Garden se succèdent ainsi dans une tradition spirituelle propre à Aberdeen, autour de la « cathédrale » d’Old Machar, belle église entourée de tombes, au centre du vieil Aberdeen, lieu de promenade paisible et presque champêtre, proche de la neuve et vivante capitale du pétrole.

Le livre de Scougal fut publié en 1677 et exerça son influence au siècle suivant sur J. Wesley (1703-1791), le fondateur du méthodisme, ainsi que sur G. Whitefield (1714-1770), évangéliste célèbre qui exerça des deux côtés de l’Atlantique. The Life of God in the Soul of Man reste apprécié958, car le texte limpide est remarquable par sa fraîcheur, par l’absence de tout caractère morbide (trop souvent présent dans le catholicisme français de l’époque), enfin par son refus de tout sectarisme comme de tout « enthousiasme » fanatique.

Il comporte trois parties : I. Présentation de la vie naturelle et divine, dont Jésus-Christ est le prototype, II. Sur l’amour divin, III. Sur les difficultés concrètes rencontrées  dans une vie chrétienne. Le début de la première partie situe clairement la position du christianisme intérieur vécu en liberté ou vraie religion dans les formes religieuses ou sectes du temps :

« Je ne peux parler de la religion, mais dois regretter que dans le nombre de ceux qui y prétendent, si peu comprennent ce qu’elle signifie : quelques-uns la réduisent à la compréhension, aux notions orthodoxes et aux opinions ; le témoignage qu’ils peuvent en donner tient en ce qu’ils ont tel ou tel avis, qu’ils se sont attachés à l’une ou l’autre des nombreuses sectes entre lesquelles le christianisme est bien malheureusement divisé.

D’autres placent la religion à l’extérieur de l’homme, dans une course perpétuelle pour accomplir des devoirs selon un modèle performant. S’ils vivent en paix avec leurs voisins, observent la tempérance, le calendrier des obligations en fréquentant l’église et si parfois ils font l’aumône, ils pensent s’être acquittés de leurs devoirs.

D’autres placent toute la religion dans les sentiments, dans les cœurs exaltés et la dévotion extatique ; tout leur but est de prier passionnément, de penser au ciel et d’être sensibles à ces expressions tendres par lesquelles ils font la cour à leur Seigneur, jusqu’à ce qu’ils se persuadent qu’ils sont amoureux de Lui : ils affichent alors une grande confiance dans leur salut, qu’ils estiment être la principale grâce chrétienne...

Mais la religion est très certainement toute autre chose ; ceux qui en ont la pratique ont des pensées bien différentes et dédaignent toutes ces ombres et fausses imitations.  Ils savent par expérience que la vraie religion est l’union de l’âme avec Dieu, une participation réelle à la nature divine, la véritable image de Dieu dessinée en l’âme, ou, selon l’Apôtre, « le Christ formé en notre intérieur. » - Je ne vois pas comment la nature de la religion peut être mieux et pleinement exprimée de manière brève, qu’en la nommant une Vie Divine : et je vais en parler sous ces termes, montrant d’abord, comment elle est nommée une vie ; et ensuite, comment elle est appelée divine. /J’ai choisi premièrement de l’exprimer sous le nom de vie à cause de sa permanence et de sa stabilité. La religion n’est pas un départ soudain, ou une passion de l’esprit ; on ne doit pas penser qu’elle doive s’élever à la hauteur d’un rapt et sembler porter l’homme à des performances extraordinaires. […]

«La religion peut encore être désignée du nom de vie, parce qu’elle est intérieure, libre, principe automoteur : ceux qui ont progressé ne sont pas seulement conduits par des motifs extérieurs, par des craintes, ni achetés par des promesses, ni limités par des lois; mais ils sont puissamment inclinés vers ce qui est bon, et trouvent leur joie dans cet accomplissement. L’amour qu’un homme pieux porte à Dieu et à la bonté, n’est pas tant le fait d’un commandement lui enjoignant d’agir ainsi, que de une nouvelle nature l’instruisant et le poussant959.

La seconde partie est un hymne à l’amour non sans référence à l’expérience de l’amour humain :

L'amour est la chose la plus grande et la plus excellente dont nous sommes les maîtres, et la donner indignement est donc une folie et une bassesse. En effet, elle est la seule chose qui est vraiment à nous: nous pouvons être privés d'autres choses par la violence, mais personne ne peut nous ravir notre amour. […]

Je dis d'abord que quand son objet n'est pas assez digne et excellent pour répondre à l'immensité de sa capacité, l'amour doit nécessairement être triste, et plein de peines et d'inquiétude. ...

Encore, l'Amour est accompagné de peines quand il manque un retour approprié d'affection. L'amour est la chose la plus précieuse que nous pouvons donner, et en le donnant, nous donnons en effet tout ce que nous possédons; et il doit donc être pénible de trouver qu'un si grand don est méprisé, que le don qu'on a fait de tout son coeur ne peut réussir à obtenir une quelconque réponse. L'amour parfait est une sorte d'abandon de soi, un départ de nous-mêmes; il est une sorte de mort volontaire par laquelle l'amant meurt à lui-même et à tous ses intérêts propres, auxquels il ne pense et dont il ne s'occupe plus, ne pensant à rien d'autre que de satisfaire et plaire à la personne qu'il aime. Ainsi il est tout perdu sauf s'il rencontre une affection réciproque...

In fine, un amant est triste si la personne qu'il aime l'est. Ceux qui ont fait un échange de coeurs par amour obtiennent ainsi chacun un intérêt en le bonheur et la tristesse de l'autre; et ceci rend l'amour une passion pénible quand il est placé sur terre. ...

Les austérités d'une vie sainte, et la garde constante que nous sommes obligés de retenir sur nos coeurs et nos habitudes, sont très pénibles pour ceux qui sont gouvernés et motivés seulement par une loi extérieure, et qui n'ont dans leurs esprits aucune loi qui les encourage à remplir leur devoir; mais quand l'amour divin possède l'âme, il est comme une sentinelle qui empêche l'entrée de toute chose qui pourrait offenser l'aimé, et repousse avec mépris ces tentations qui l'attaquent; elle obéit allégrement non seulement aux commandes expresses, mais aussi aux indications les plus secrètes du plaisir de l'Aimé, et est ingénieuse pour découvrir ce qui lui sera le plus reconnaissant et le plus acceptable; elle transforme les noms sévères et terribles de la mortification et de l'abnégation, pour qu'elles deviennent des choses faciles, douces et agréables.960

La dernière partie, la plus longue, tente avec moins de bonheur de trouver un chemin :

Il peut s'asseoir dans la tristesse et se lamenter, et avec un esprit d'angoisse et d'amertume dire, 'Ceux dont les âmes sont réveillées à la vie divine, qui sont ainsi renouvelés dans la vie de leurs esprit, sont vraiment heureux; mais hélas, mon caractère est tout différent, et je ne suis pas capable de réaliser une transformation si puissante. Si les observances extérieures eussent pu faire l'affaire, j'aurais pu espérer de m'acquitter par la diligence et l'attention; mais puisque seulement une nature nouvelle peut faire l'affaire, que puis-je faire? Je pourrais donner tous mes biens en oblations à Dieu ou comme aumônes aux pauvres, mais je ne puis commander cet amour et cette charité sans lesquelles ces dépenses me seraient inutiles. ...

Tout l'art et toute l'industrie de l'homme ne peuvent créer la plus petite herbe ou faire pousser une tige de blé dans le champ; ce sont l'énergie de la nature et l'influence du Ciel qui produisent cet effet. C'est Dieu "qui fait pousser l'herbe et les plantes pour servir l'homme", mais personne ne dira que les travaux du cultivateur sont inutiles ou pas nécessaires. ...

En particulier, si nous y ajoutons la considération de la faveur et la bienveillance de Dieu envers nous, rien n'a plus de pouvoir pour inspirer notre affection, que de trouver que nous sommes aimés. Les expressions de gentillesse nous plaisent et nous agréent toujours, même si la personne est autrement pauvre et méprisable; mais avoir l'amour de celui qui est tout à fait aimable, savoir que la Majesté glorieuse du ciel s'occupe de nous, cela doit nous stupéfier et nous enchanter, cela doit vaincre nos esprits et faire fondre nos coeurs, et enflammer toute notre âme!961


1680 Alexandrin de la Ciotat (1629 - 1706).

Honoré Colomb est né à la Ciotat. Son père était capitaine de vaisseau marchand. Il fait profession en 1648 comme frère mineur capucin et remplit la charge de gardien dans plusieurs couvents. Son ouvrage unique a été lu et détermine donc notre date d’entrée962. Il fut apprécié par le P. Piny, le « spirituel du pur amour »963.

Le Partait dénuement de l’âme contemplative (1680)

Épître au divin enfant Jésus :... Et je remarque qu’il n’y en a qu’une seule [science], dont vous êtes si jaloux que vous n’y voulez pas d’autre maître que vous ; car vous voulez que la Mystique qui nous fait connaître et votre Père et vous, soit toute à vous, vienne de vous, retourne à vous, et qu’on ne la puisse apprendre que de vous-même, comme une science toute divine... Je vous présente dans ce livre ce que vous m’en avez communiqué dans mes oraisons...

Du motif et de l’intention de l’auteur :... Je connais même des personnes spirituelles qui n’avancent pas dans les voies de l’oraison parce qu’elles n’y marchent qu’à tâtons et qu’on ne leur fait pas comprendre que les voies par lesquelles Dieu les conduit sont des élévations à la contemplation. Ces pauvres âmes souffrent les peines d’une amante fidèle, à laquelle on défendrait d’aimer, de converser, et de parler du langage de son bien-aimé... Dans ce petit livre, l’âme bien intentionnée trouvera, comme dans une carte céleste, les voies qu’elle doit prendre pour quitter le monde et revenir à Dieu... L’âme contemplative s’instruira que les cessations d’actes, que les connaissances sans réflexion, que l’amour sans sentiment, que les anéantissements passifs et actifs, que la sainte oisiveté, et que les abandonnements qu’elle expérimente dans  l’oraison, sont des voies et des effets de la mystique... Je prie mon lecteur de considérer que le chemin de la vie mystique est si raboteux, et si mal aplani, pour être si relevé et si peu fréquenté, que si ceux qui sont plus habiles que moi, n’y bronchent pas si fréquemment, ils ont de grandes obligations à Dieu...

Introduction très nécessaire... suivie d’une Approbation du R.P. Piny.

[L’ensemble est divisé en trois journées puis en pas pour chaque journée]

[78] il est bien vrai que trop de raisonnement et un jugement trop actif met un grand obstacle à la vie contemplative ; parce que l’oraison demande qu’on agisse plus de cœur que de tête, et un esprit actif y est moins propre que l’affectif. Mais aussi d’éteindre tout d’un coup tout le discours et de retrancher absolument tout raisonnement, c’est une illusion à la mode... Ce grand repos n’est que pour des âmes choisies, lesquelles Dieu ne laisse jamais dans l’oisiveté...

Je dis qu’il n’y a personne qui ne sache très bien faire tout ce qui se fait dans la méditation. Les jeunes et les vieux ; les ignorants et les savants, les pauvres et les riches ; et vous serez surpris, si je vous dis que cet avare, que ce libertin, que ce cavalier, et que cette jeune demoiselle qui ne se plaît qu’à la belle compagnie et qui ne s’emploie qu’à dérober des cœurs à Dieu, tous ceux-là sont très propres à bien faire l’oraison et tous savent très bien faire la méditation. Mais vous serez encore plus surpris, si je vous dis que non seulement ils savent, [95], mais encore qu’ils font très bien chacun à sa mode, puisqu’il n’est pas un de tout ceux-là, qui ne fasse pour plaire au monde tout ce qu’on fait pour plaire à Dieu dans la parfaite méditation.

Car dites-moi... Cette jeune délicate ne sait-elle pas très bien l’art d’aimer et de se faire aimer ? Or pour bien et parfaitement méditer, le tout consiste à aimer et à se faire aimer. ...

Si l’on considérait que l’oraison est une union, où la volonté étant élevée par la grâce et enflammée des lumières de la foi, n’a pas besoin des autres puissances, où la perfection ne se trouve que dans le repos ; l’on ferait connaître à cette âme qu’elle peut aimer, et qu’elle peut être unie avec Dieu sans la participation des puissances sensibles ; et que lorsque sans son congé elles s’unissent avec les créatures, l’âme ne doit pas sortir de son fond, où elle est unie avec son bien-aimé, pour arrêter une imagination [126] qui se plaît dans le changement.

... On lui dirait que l’oraison est une école où il faut apprendre peu à peu à ne rien faire ; et qu’une des belles leçons qu’on y fait, est de souffrir la suspension des opérations naturelles. On lui ferait comprendre qu’il peut y avoir des excès aux actes mêmes de la volonté.... On lui ferait concevoir que, comme dans un bassin plein d’eau claire, le moindre mouvement empêche ; que le soleil ne s’y représente pas parfaitement ; qu’ainsi ces empressements durant les attraits divins, cette multitude d’actes, ces épanchements, ces aspirations, ces élancements, cette grande activité sont des mouvements qui empêchent l’époux sacré d’achever[127] ses plus belles unions dans le fond de l’âme, où il ne demande que le repos et un entier abandonnement. ...

Premièrement, la contemplation est un regard et non pas une considération, parce que considérer tient du raisonnement et du discours ; et la contemplation est une vue en Dieu sans discours, qui nous dépouille peu à peu de la vue des sens et de la raison, afin de donner lieu aux lumières divines, qui nous font connaître plusieurs objets sans multiplicité et nous manifestent plusieurs vérités cachées.

Secondement, ce regard doit être simple et sans distinction, ou très peu, c’est-à-dire sans images distinctes et dans une foi nue et obscure, aidée de la foi humaine, afin d’apprendre à se perdre peu à peu dans l’universelle unité de Dieu et dans l’abîme de ses mystères qui nous sont toujours plus cachés que connus. [140], Car remarquez que lors même qu’une âme reçoit quelque connaissance distincte par des notions surnaturelles, il lui reste toujours quelque chose de caché et d’obscur, dont elle fait le plus de cas et se sent la plus touchée.

Troisièmement ce regard doit être respectueux et dans une crainte filiale sans aucune familiarité ; car Dieu ne la permet jamais aux âmes, mêmes qu’il traite le plus familièrement, c’est pourquoi un simple souvenir de leur propre néant et de la grandeur de Dieu leur est très nécessaire...

Enfin en quatrième lieu ce regard simple et respectueux doit être encore amoureux c’est-à-dire fervent et affectif et non pas paresseux et assoupi, et qui participe plus des ardeurs de la volonté que des lumières de l’entendement. Car si la vraie contemplation n’est qu’une transformation de l’âme en Dieu, c’est l’amour principalement [141], et non la connaissance, qui doit faire cet heureux changement.

Remarquez, s’il vous plaît, que bien que la contemplation infuse soit sans moyen, puisqu’elle est une grâce extraordinaire de la pure miséricorde divine, qui ne dépend pas de nos efforts ni de notre industrie...

[142], car si chaque fois qu’on se présente l’oraison on a la pensée de s’unir à Dieu, cette pensée produit le désir et ce désir produit un subtil et un tranquille ressouvenir de Dieu, et à force de se souvenir de Dieu si souvent, on vient à s’en souvenir toujours ; de sorte que ce n’est plus un simple ressouvenir, mais une vue continuelle dans laquelle consiste la vraie contemplation....

[153] L’acte de pure intelligence est une contemplation sans discours, mais non pas sans regard ni sans images, qui sont connues ou qui le peuvent être, parce qu’elle ne surpasse pas la force de l’imagination et de l’entendement. Et au contraire l’acte de pure intelligence est une contemplation toute nue qui ne reçoit ni regards ni images ; ou si elle en admet, elles sont indistinctes et dénudées en telle façon qu’elles ne sont ni connues et ne le sauraient être parce qu’elles surpassent nos connaissances. Et si on veut savoir pourquoi cette contemplation est sans pensée et sans image, on répond que c’est parce qu’elle tend à une vérité qui est toute simple et toute nue...

Car comme un joueur d’instrument qui n’entend pas les divers sons des cordes ne saurait tirer justement celles qui sont trop lâches et lâcher [156] celles qui sont trop tendues, pour mettre son luth dans une cadence bien assurée : au contraire il le met toujours plus en désordre et court risque de tout rompre : comment voulez-vous donc que le directeur qui n’a pas de connaissance des opérations intellectuelles puisse juger des différents états des âmes afin de tirer et d’exciter les trop lâches, à agir et aimer et de modérer celles qui sont trop ardentes...

[161]... Comme la vue des péchés qu’on a commis produit une amertume et une confusion qui trouble, qui obscurcit les yeux de l’âme ; il faut après les avoir submergés dans les abîmes de la miséricorde divine, s’élever en Dieu avec un cœur libre et un esprit affranchi de toute crainte. ...

[164]... nous avons dit qu’il y a deux parties dans l’âme savoir l’inférieure ou animale, qui consiste en un assemblage de tous les sens ; et la supérieure ou raisonnable, qui comprend toutes les puissances intellectuelles ; et que quand nous parlons d’une troisième partie, qui est la pointe de l’esprit, c’est plutôt pour faire comprendre qu’il y a trois sortes d’opérations différentes qui sont les sensibles ou animales ; et raisonnables ou intellectuelles qui sont connues ou qui le peuvent être ; et les mystiques qui ne sont ni connues, qui ne peuvent être, que pour ajouter une troisième partie aux deux premières.

[204] vous devez demeurer tranquille et recueilli, afin de vous laisser occuper par sa présence. Et pour faciliter ce dénuement, souvenez-vous qu’en vous mettant en la présence de Dieu, vous ne devez former aucune idée de son être ni de ses attributs en particulier ; mais regarder fixement cette universelle unité, qui exclut toutes les images et toutes les formes qu’on saurait lui donner ; c’est-à-dire qu’il ne faut pas s’imaginer la présence de Dieu, car c’est ce que nous ne saurions faire ; mais il le faut croire... [205] si vous entrez bien dans cet exercice, il vous pourra servir d’entretien pendant toutes les actions de votre vie en quel état que vous soyez et que vous puissiez être.

[Voici un des « pas » du chemin qui certes demandera plus des trois jours d’une retraite :] Quatrième pas. De la contemplation purement mystique ou négative en général.

Lorsque les mystiques disent que la contemplation de la pointe de l’esprit nous élève au-dessus de l’entendement et de toutes les puissances, ils ne prétendent pas dire que cette suprême pointe de l’esprit ne [332] soit pas quelque puissance, mais c’est pour nous faire entendre que cette façon de contempler met les puissances hors de leurs opérations ordinaires, les élevant à une autre contemplation plus sublime, qui est la négative et obscure.

La contemplation négative et purement mystique est celle qui est sans formes, sans images, où l’oraison de quiétude <qui> n’a ni pensées ni actes, mais un seul repos obscur, parce que l’âme n’y aperçoit point l’objet qu’elle contemple, ni comment elle y tend et s’y repose, ni de quelle manière elle s’y est perdue. Or cette manière de contempler et ce repos mystique est la fonction propre qui distingue et marque la suprême pointe de l’esprit, et pour la bien comprendre il faut remarquer qu’il y a trois sortes d’oraisons, qui conviennent chacune à une des trois parties de l’âme.

Premièrement, l’oraison qui est accompagnée de dévotion sensible est la fonction propre de la partie inférieure qui contient tous les sens [333] en unité de cœur. Secondement, l’oraison qui se fait sans aucune dévotion sensible en produisant des actes, qui sont les bonnes pensées et les discours, comme aussi la contemplation claire et affirmative, qui aperçoit son objet par les espèces de la fantaisie et imagination, et même toutes les oraisons dépouillées de sensibilité, à l’exception de la contemplation sans formes ; toutes celles-là sont la fonction propre de la seconde partie, qui est la supérieure ou raisonnable. Mais la contemplation sans pensées, qui n’est autre que la contemplation obscure en l’oraison de quiétude, qui n’a autre acte qu’un repos ; cette fonction est tellement particulière à la suprême pointe de l’esprit, qu’elle n’est en nulle autre.

Remarquez qu’il y a encore une manière de contempler, qu’on appelle pure, ou proprement intellectuelle, qui est naturelle à l’âme séparée du corps, et si fort extraordinaire quand elle anime le corps. Elle se fait par des espèces purement intellectuelles que Dieu communique à l’âme, et [334] avec lesquelles l’entendement opère sans regarder les fantômes et les espèces imaginaires, et la volonté se repose à son objet purement connu. Cette fonction est si particulière à la partie supérieure et raisonnable, qu’elle est incommunicable à la suprême, quoiqu’il y en ait qui veulent qu’elle soit encore propre à la pointe de l’esprit ; il s’ensuit donc de ce que nous venons de dire que l’oraison sensible est la fonction particulière de la partie inférieure ; la contemplation pure est celle de la partie supérieure ; la contemplation sans forme est celle de la suprême ; et toutes les autres oraisons et contemplations avec la participation des sens, sont communes aux parties inférieures et supérieures :  [introduire le schéma de Max] néanmoins ce n’est pas à dire qu’une partie ne puisse concourir avec l’autre dans l’oraison qui lui est propre et particulière, puisque toutes les puissances, les sensibles en unité de cœur, et les raisonnables en unité d’essence peuvent toutes concourir au repos mystique, quoique l’oraison de quiétude sans formes et [335] pensées soit tellement affectée à la suprême pointe de esprit, qu’elle ne se trouve jamais en nul autre sujet.

Or pour expliquer autant clairement que je puis cette opération particulièrement de la pointe de l’esprit, il faut supposer que l’âme ne saurait agir naturellement tant qu’elle est dans le corps sans formes, sans images, c’est-à-dire sans pensées : car il faut premièrement qu’elle forme et imagine ses actes avant qu’elle les produisent ; d’où il s’ensuit nécessairement qu’étant sans connaissances distinctes dans l’oraison de quiétude, il faut qu’elle soit en repos et qu’elle cesse d’agir, ou qu’elle agisse surnaturellement comme elle fait, c’est-à-dire par des actes directs, qui ne peuvent être réfléchis et aperçus, parce qu’il surpasse toutes les puissances en leur manière d’agir. [difficile à saisir pour un esprit sans imagination alors que le même pouvait plus facilement se jeter dans l’inconnu]

On ne dit pas aussi que l’âme agisse, mais bien qu’elle est simplement passive et qu’elle souffre l’inaction divine, qui n’est autre de la part de l’âme qu’un entier anéantissement de toutes ses opérations propres et [336] naturelles, et un abandonnement simplement passif au bon plaisir de Dieu, sans rien faire de son propre mouvement pour augmenter l’opération divine ni pour la conserver, craignant qu’elle ne s’échappe, car ce serait une grande faute à laquelle les âmes contemplatives doivent bien prendre garde ; parce qu’il faut remarquer que l’âme dans cet état n’a rien de plus à craindre que sa propre opération qui n’a nulle proportion avec l’opération divine, et même quand celle-ci vient à manquer, un seul regard de contemplation lui doit suffire pour se relever, et quand elle est distraite, elle ne doit rappeler son attention que par un simple souvenir.

L’on ne dit pas même que l’âme se repose en Dieu dans l’oraison de quiétude et purement mystique, parce que ce serait la faire agir naturellement en quelque manière, puisque se reposer est une action naturelle, et qu’elle pourrait apercevoir son repos comme dans la contemplation affirmative ; mais on dit que c’est Dieu qui se repose dans le fond de l’âme, qui la remplit de sa présence et qui l’occupe toute de son opération.

Pour faire mieux comprendre cette oraison si peu connue, il faut savoir qu’il y a deux sortes d’unions mystiques où l’âme est immédiatement unie à Dieu et sans milieu : l’une se fait dans les douceurs et l’autre dans les amertumes, la première que nous ne saurions avoir de nous-mêmes et sans une grâce extraordinaire est pleine de lumières et de grâces que Dieu verse dans l’âme ; mais quoique ces grâces et ces dons se communiquent quelquefois jusqu’aux puissances, l’âme est si intimement unie et perdue en Dieu et jouit en telle manière de sa divine présence, qu’elle ne saurait faire réflexion sur le bonheur de son heureux état ni sentir la douceur de son repos.

Car si elle sentait cette douceur, ou si elle connaissait son bonheur, elle ne serait pas immédiatement unie à Dieu ni toute occupée de sa présence, parce qu’il y aurait un goût, une douceur, une lumière entre l’âme et Dieu, qui sont des obstacles à cette [338] même union : vous devez donc inférer de cela que tous les milieux quoique saints, ne sont pas dans l’oraison purement mystique, qui est l’état du parfait anéantissement et d’un parfait contemplatif.

La seconde sorte d’union dans l’oraison purement mystique est une union stérile, sans lumière et pleine de pure souffrance, qu’on appelle l’oraison sans goût, où l’oraison dans les sécheresses, dans les abandons et d’autres termes qui ne signifient qu’une difficulté de faire oraison, parce que pour lors Dieu suspend toutes ses grâces et prive l’âme de tous ses dons ; dans cet état de privation, quoique stérile de toutes sortes de bonnes pensées, l’âme n’interrompt pas pourtant l’union que Dieu fait avec elle : car bien qu’elle soit abîmée dans les peines intérieures qui l’occupent toute, elle ne perd jamais dans son fond le repos en Dieu, ni son intime présence, quoique cette présence ne lui soit pas connue, ni son repos aperçu.

Car si ce repos et cette présence sont obscurcis par la suspension des [339] lumières, ou par les souffrances qui accablent une âme, ils ne sont pas pourtant anéantis ni du côté de Dieu ni du côté de l’âme ; cela n’arrive pas de la part de Dieu, puisqu’il la soutient dans cette union de pure souffrance par des grâces qui sont toutes spirituelles et nullement sensibles. Cela n’arrive pas non plus du côté de l’âme, puisqu’elle persévère dans son heureux abandon au bon plaisir de Dieu, qui l’anéantit et la transforme en lui.

La première réunion est une abondance de lumières divines qui cause ce repos mystique, et cette jouissance essentielle qui fait le Paradis de l’âme contemplative.

La seconde union mystique est une privation de cette même lumière et un abandon dans les peines intérieures ; mais l’une et l’autre union dans leur perfection ne sont qu’une perte, un absorbement, un anéantissement de l’âme en Dieu, ou pour mieux dire une élévation, une transformation que Dieu opère dans le fond de l’âme.

Car dans cet heureux état Dieu [340] élève l’âme au-dessus de toutes ses opérations ; dans cet heureux anéantissement l’âme est si bien perdue en Dieu, et Dieu consomme si bien dans l’âme tout ce qu’elle a de créé, qu’elle n’a ni vue ni sentiment de son être, elle ne connaît pas même son anéantissement ; de sorte qu’elle est si heureusement perdue dans l’être infini, qu’elle ne voit rien de ce qu’elle voit, elle ne sent rien de ce qu’elle sent, elle ne sait rien de ce qu’elle sait, parce que tout ce que l’âme voit, tout ce qu’elle sent et tout ce qu’elle sait surpasse sa vue, son sentiment et sa connaissance, et c’est ce que les mystiques appellent la sainte oisiveté.

Mais ce qui est à craindre dans cet heureux état, c’est que bien souvent le Démon se sert du propre raisonnement pour persuader aux âmes contemplatives qu’elles perdent le temps dans cette occupation toute divine, et qu’elles sont oisives durant cet anéantissement, parce qu’elles n’y ont rien de sensible ; les Directeurs mêmes, s’ils n’ont pas l’expérience de [341] cette heureuse oisiveté, obligent ces âmes anéanties dans l’être infini de revenir dans l’être créé, et veulent qu’elles s’élèvent en Dieu par des actes qui les en éloignent et qui les abaissent au lieu de les élever.

Je ne prétends pas dire que l’âme est tellement absorbée et abîmée dans l’être incréé, qu’elle ne puisse revenir quelquefois dans son être propre et fini, où elle sent et connaît le bonheur qu’elle a de s’être divinement perdue dans l’être infini ; mais je dis que ce sont des vues très simples, et qu’il faut que Dieu les lui donne sans qu’elle les recherche ; et encore l’âme contemplative ne doit s’en servir que pour se laisser perdre davantage, parce que Dieu ne lui permet ces vues et ne lui laisse sentir cette surabondance de grâce que pour l’engager dans un plus grand anéantissement d’elle et de tout ce qu’il y a de créé ; et vous voyez bien par là que l’oraison de repos n’exclut pas toujours et incessamment toutes sortes de pensées, et que quand l’inaction divine [342] diminue, l’âme doit reprendre doucement et par un simple souvenir ses images que Dieu n’avait suspendues que pour une meilleure attention au repos mystique, ou les vues les plus simples et les sentiments les plus dénués sont des empêchements.

Cinquième pas. Du système ou constitution de l’âme contemplative, et pour connaître si elle est en vue de la contemplation passive et purement mystique.

Si vous désirez savoir en quoi consiste la perfection nécessaire aux âmes contemplatives, et comment on peut connaître si elles sont dans la disposition que Dieu demande pour les élever à la contemplation purement mystique ; je ne sais rien de plus fort pour appuyer un jugement solide touchant cette question si difficile, et je n’expérimente rien de plus convaincant, selon mon sens, pour faire cette expérience si dangereuse où tant de personnes [343] d’oraison se trompent et sont trompées ; que cet endroit des épîtres aux Galates où l’Apôtre dit avec justice de lui-même : « je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi. »

Ce sont ces mêmes paroles que je voudrais faire dire à l’âme contemplative, pour lui servir de conviction touchant les qualités qu’elle n’a pas et qu’elle doit avoir pour être élevée à la contemplation passive si elle y prétend, et dans laquelle Dieu n’attire que les âmes anéanties en toutes les créatures et en elles-mêmes dont elle n’est pas peut-être du nombre. Car s’il faut expirer dans la vie des sens et de la raison pour vivre de la vie de Jésus-Christ, et si la vie de Jésus-Christ est une vie de croix, de mortification, d’humiliation, il s’ensuit légitimement que l’âme, quoique contemplative, qui ne vit pas encore de cette vie de souffrance et d’anéantissement, et qui adhère aux sentiments de nature, ne saurait dire dans son oraison sans sentir dans son [344] intérieur des sensibles reproches de ses recherches...

[Reprise de citations :]

Remarquez bien ceci, âmes contemplatives, et souvenez-vous pour n’être pas trompées que la contemplation négative n’est pas toujours et dans toute son étendue une aliénation et une abstraction continuelle de toutes sortes de pensées et images, comme ont pourrait s’imaginer ; [355] au contraire elle commence d’ordinaire par des ressemblances, par des vues simples et dénuées, lesquelles se dénuent et se perfectionnent de plus en plus à mesure que les opérations sont plus spirituelles, et enfin elles s’anéantissent dans un repos qui ne laisse pas seulement dans l’âme la liberté d’avoir des désirs ni de former nulle sorte de pensées ; parce qu’étant toute pleine de Dieu, toute absorbée dans son amour et entièrement occupée de son intime présence, elle en reste toute éprise au lieu de la comprendre et de se posséder....

Pour trouver Dieu dans la pure contemplation, il faut le chercher seulement par un simple ressouvenir et non par des élancements sensibles qui sont contraires à cet état de perfection où on ne doit avoir qu’une foi nue et sans vue, et non une vue expérimentale comme vous souhaitez. Souvenez-vous donc que Dieu est un pur esprit qui ne tombe pas sous les sens, et qui s’unit parfaitement dans le fond de [365] l’âme où il n’entre ni vue ni expérience, mais seulement un amour pur, nu et vide de tout sentiment.

... Car pourquoi s’amuser à examiner tous les mouvements intérieurs et faire des réflexions sur toutes les pensées, si ce n’est pour en produire à l’infini dans un temps où il n’en faut pas avoir....

[373]... ne pas interrompre ces touches divines par vos propres efforts, sous prétexte d’y coopérer, ni confondre ces lumières expérimentales par vos propres réflexions, sous prétexte de vous les imprimer davantage : tout le secret consiste à les conserver tant qu’elles durent, et souffrir doucement le dénuement qu’elles opèrent, sans rien contribuer de votre part qu’un consentement efficace pour tout ce que l’esprit de Dieu vous inspire ; parce qu’il ne faut jamais mêler l’humain avec le divin ni adhérer non plus à ces grâces expérimentales pour vous les rendre plus sensibles. ...

[378] La seconde condition de l’âme contemplative est qu’elle adhère incessamment à Dieu, et s’unit immédiatement à lui et sans milieu, par voie d’amour et non par voie de connaissance ; car bien que selon l’École on ne puisse rien aimer d’inconnu, néanmoins selon la mystique, cette partie supérieure de l’âme dont nous avons parlé, recevant quelque touche de l’esprit divin, s’élève incessamment à Dieu par voie d’amour et non par voie d’entendement, et tend à lui comme à son centre ; ainsi qu’une aiguille touchée de la pierre d’aimant, tourne toujours vers le pôle du monde, par voie de sympathie et non par voie de jugement.


~1680 Catharina Regina von Greiffenberg (1633-1694)

Sur le malheur, mer amère

Naviguer devient trop rude.

Je me jette par temps rude

En Dieu grand comme la mer964.


1681 Monsieur Bertot (1622-1681), Directeur Mystique.

Nous disposons de très peu de renseignements sur le prêtre Jacques Bertot (1620-1681) qui a réussi à effacer ses traces personnelles au point qu’il a été confondu avec des homonymes. Madame Guyon a rassemblé les œuvres de son maître sous le titre de « Directeur mistique »965. Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage sur la fidélité de disciples est inclus dans l’Avertissement placé en tête : 

Monsieur Bertot... natif de Coutances966... grand ami de... Jean [5] de Bernières... s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses... [à diriger] plusieurs personnes... engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre... Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans [6] jusqu’à sa mort... [au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur.... [7] [Il fut] enterré dans l’Église de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes... ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières. 

D’autres sources le font apparaître successivement comme le jeune compagnon voyageant aux côtés de son aîné Jean de Bernières, et qui s’épuise à la tâche, selon des extraits de correspondances entre religieuses ; comme un confesseur inflexible dans une chronique tardive racontant l’histoire de son premier monastère ; comme la cheville ouvrière responsable de la naissance du groupe quiétiste parisien.

Après des études au collège de Caen, il devint prêtre et s’attacha à Jean de Bernières et à son groupe de l’Ermitage, comme le souligne le titre Le directeur Mistique [...] ami intime de feu Mr de Bernières… Ce dernier lui écrivit des lettres qui tranchent par leur ton et leur profondeur spirituelle particulière sur l’ensemble de sa correspondance967. Elles sont adressées à « l’ami intime » : on y sent l’autorité de l’expérience, mais aussi la certitude d’être parfaitement compris d’un compagnon qui suit le même chemin968 :

      … Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…969.

Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien970.

Bertot sera de 1655 à 1675 le confesseur du monastère des ursulines de Caen, tout proche de l’Ermitage et où vivait la sœur de Bernières, Jourdaine. Il fut lié à Catherine de Bar ce qui est attesté par plusieurs lettres qu’elle adresse à des tiers :

De l’Ermitage du Saint Sacrement, le 30 juillet 1645 971

Monsieur,

Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence [52] nous a touchées, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il nous a donné à toutes tant de grâce par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […], mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne [53] vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer. […]

Dans la dernière partie de sa vie, à partir de 1675, J. Bertot fut confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre, proche du pèlerinage à St Denis972. Le lieu à cette époque isolé de l’agglomération parisienne a été visité par de nombreux visiteurs depuis les carmélites arrivant d’Espagne jusqu’à madame Guyon.

 En milieu parisien, l’amitié de l’abbesse de Montmartre et de Madame de Guise aide à la constitution d’un cercle dévot autour de Bertot, qualifié de « directeur de conscience apprécié973 ou de « conférencier très apprécié de l’aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille Colbert974. »

Son rayonnement déborde sur un cercle laïque dont on retrouvera les membres groupés autour de madame Guyon. Il est reconnu comme le chef du « petit troupeau » quiétiste par Saint-Simon, toujours précisément informé par ses amis les ducs de Chevreuse et Beauvilliers : « [on pouvait] entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait975. » Un témoignage capital donné par un informateur confirme son rôle et met aussi en lumière son activité auprès des Nouvelles Catholiques, auxquelles Madame Guyon et Fénelon furent attachés. Le lecteur appréciera le parfum d’enquête policière qui se dégage d’un document par ailleurs fort bien informé976:

Il y a plus de vingt ans que l’on voit à la tête de ce parti [quiétiste] Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur, quelquefois l’intérieur par écrit courait la campagne. Mr B [ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu’elles n’entendaient pas. […] Madame G [uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou cachée. […]

La vie de Bertot fut donc bien remplie : ce prêtre entièrement dévoué à la tâche de direction spirituelle, assura la transmission de la spiritualité vécue par le groupe normand constitué autour de l’Ermitage de Jean de Bernières et du monastère de Jourdaine de Bernières, vers le groupe de Paris, constitué autour du monastère de Montmartre et dans le cercle qui sera repris par madame Guyon quand elle succédera à son directeur spirituel. Pourtant, grâce aux très rares confidences échappées au fil des lettres du Directeur Mystique977, on sait que son rôle ne fut pas dicté par volonté personnelle :

Les affaires sont un poison pour moi et une mort continuelle qui ne fait nul bien à mon âme, sinon que la mort, de quelque part qu’elle vienne, y donne toujours un repos. Mais je n’expérimente pas que cela soit ma vocation; et ainsi ce repos n’est pas de toute mon âme, mais seulement de la pointe de la volonté978.

Nous ne pouvons ici étudier la dimension mystique de la direction spirituelle assurée sans compromis par Monsieur Bertot. Dans le décalogue suivant, Bertot montre un esprit concret, raisonnable, mais exigeant envers son interlocutrice (nous allégeons le contenu des paragraphes) :

Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières. /Lisez et relisez souvent ceci ; car c’est le fondement de ce que Dieu demande de vous.  ...

1.... Si le bon Dieu vous donne des lumières... vous pouvez vous y appliquer par simple vue et recevoir de sa bonté ce qu’il lui plaira de vous donner ; et si votre âme n’a aucun désir de cette application, il ne faut que continuer votre simple occupation.

2. Continuez votre oraison, quoique obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous nos sens.

3. Conservez doucement ce je ne sais quoi qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez dans le fond de votre âme ; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans savoir ce que c’est.

4. Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la discerner et à y réfléchir par scrupule ; mais souffrez la peine qu’elle vous cause, que vous dites fort bien être un feu dévorant, qui ne doit cesser que le défaut ne soit purifié et remédié.

5. Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes ni mesures. …

6. Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter…

7. Soyez fort silencieuse, mais néanmoins selon votre état... en observant ce que vous devez à un mari, à vos enfants...

8. Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but… Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement.

9. Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette manière, plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement auprès de Dieu durant le jour, quoique dans l’obscurité : au lieu de vous nuire, cela vous y servira.

10. Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié... oubliez-les par retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes979.


Cette rigueur exista aussi chez le « bon franciscain » Archange Enguerrand et se retrouvera, mais avec souplesse, gant de fer sous un gant de velours, chez Madame Guyon980. C’est une caractéristique de l’école : l’amour du directeur se manifeste dans sa rigueur : il sait que l’on n’affronte rien qui soit au-dessus de ses forces, car tout est apporté par la grâce.  Voici un exemple pris d’une lettre de Bertot à sa dirigée :

Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure ; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir ; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses... Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu ; si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une... N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais981.

Il parle de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples. Il les porte comme un père dans ses prières et les amène à l’union avec lui dans le même état spirituel :

Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul...982.

Monsieur Bertot distingue deux degrés qui correspondent à la découverte de l’intériorité puis à l’établissement dans l’unité, un  troisième qui correspond à la désappropriation, un dernier à la renaissance à une nouvelle vie : la foi commence à simplifier l’âme, et le feu de ses opérations diminue sans savoir comment ; s’ensuit le repos qui consiste à trouver Dieu en son fond de même que l’on clarifie de l’eau en la laissant reposer ; l’âme se laisse alors couler et perdre dans l’abîme, non par son action, mais par une inclination centrale ; enfin l’âme ayant perdu son soi-même en Dieu devenu son principe divin, elle fait ce que Dieu veut faire d’elle et par elle. On retrouve là l’écho de son maître Jean de Bernières :

La pure oraison cause la perte de l’âme en Dieu où elle s’abîme comme dans un océan de grandeur, avec une foi nue et dégagée des sens et des créatures. Jusqu’à ce que l’âme en [237] soit arrivée là, elle n’est point en Dieu parfaitement, mais en quelque chose créée qui la peut conduire à ce bienheureux centre ; c’est pourquoi il faut qu’elle se laisse conduire peu à peu aux attraits de la grâce pour ainsi s’élever à une nudité totale par sa fidélité. [...] Cette perte en Dieu ne se peut exprimer que grossièrement, comme par la comparaison d’une goutte d’eau qui tombe dans la mer : par cette chute elle s’y abîme et s’y perd et devient en quelque manière la mer même par la pleine participation de toutes ses qualités. Ainsi une âme élevée en Dieu par la foi nue s’y unit, s’y abîme et s’y perd, participant aux perfections de Dieu qui la déifient en quelque [238] manière...983.

Une longue description précise le chemin :

Il y a quatre degrés en la vie spirituelle, et par lesquels l’âme est conduite en cette vie. Le premier est celui des bonnes lumières et des bons désirs... Le second... est l’oraison passive en lumière, qui n’est autre chose qu’une quantité de lumières divines données de Dieu dans les puissances ; et leur effet particulier est de les purifier, en leur faisant voir la beauté... Ce troisième degré est commencer à entrer dans l’intérieur du temple, je veux dire de Dieu même ; et pour cet effet Dieu lui soustrait ses lumières, ses goûts et les désirs de Lui. ... Elle se débat et fait des efforts pour donner ordre à ce malheur... c’est une divine lumière obscure et inconnue qui est donnée à l’âme dans le fond et non dans les puissances, qui fait évanouir votre première lumière qui était dans les puissances et fait voir ainsi leur vie et malignité.... Comme la première lumière des puissances faisait voir les ordures du dehors... celle-ci fait voir la vie et la saleté de la créature.... comme les effets de la première lumière étaient de remplir et de nettoyer, les effets de celle-ci sont de vider et de faire mourir... Après un long temps de mort et que l’âme y a été bien fidèle et y a bien souffert ce qui ne se peut dire, par la purification de son intérieur selon toutes ses parties, mais comme en bloc et en confusion, car la lumière y est générale, Dieu lui ôte encore toute la dévotion qu’elle avait… Elle se résout donc de plus en plus à mourir et de se laisser ainsi tuer toute vive et malgré elle.... C’est pour lors que l’on découvre cette beauté admirable de notre âme dans sa ressemblance avec Dieu : Vous avez gravé en nous et sur nous la beauté de votre visage. Et un pauvre paysan... vous dira des merveilles de l’unité de Dieu... Il voit dans son âme comme dans une glace cette unité divine et dans l’opération de ses puissances revivifiées...

Dans le monde catholique, les noms de Bertot et Bernières furent engloutis dans la catastrophe de la condamnation du quiétisme. Par contre leur importance mystique fut reconnue par des protestants de générations éloignés par le temps.]Monsieur Bertot a été lu dans les cercles guyoniens en Europe au XVIIIe siècle. Un choix d’extraits du Directeur mystique est réédité en milieu piétiste984. On retrouve ce titre ainsi que le Chrétien intérieur de Bernières dans les rares livres possédés par le pasteur Dutoit985 et saisis par la police bernoise, lorsque l’activité jugée suspecte de ce dernier provoque une descente chez lui en 1769 :

« Inventaire et verbal de la saisie des livres et écrits de Monsieur Dutoit, [réalisé en] 1769 :

« [...] la Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, Monsieur de Bernières, soit le Chrétien intérieur, la Théologie du Cœur, Le Directeur mystique de Monsieur Bertot, Œuvres de Ste Thérèse [en note : appartient à Mr Grenus], La Bible de Martin, l’Imitation d’A. Kempis […] 986.

Les noms de Madame Guyon et de Bertot sont associés dans une lettre de Fleischbein, dont l’épouse, Pétronille d’Eschweiller, fut présente à Blois, auprès de Madame Guyon. Il déclare à son jeune disciple suédois, le comte de Klinckowström :

« Dévorez, consumez  écrivent madame Guyon et M. Bertot... [et plus loin :]... C’est ce que conseillent et attestent madame Guyon, M. Bertot, tous les mystiques...987.

Le nom nom de Berthod réapparaît dans l’Histoire du sentiment religieux de Bremond988  qui redécouvre de grands spirituels en retournant aux textes eux-mêmes. Bertot a droit, cette fois sous son vrai nom, à un article de Pourrat dans le Dictionnaire de Spiritualité : « J’ai peur de trop bien comprendre. Les actions de l’âme ne sont plus les siennes, mais celles de Dieu ». Oui, c’est bien compris, car son étude est documentée et sérieuse.  Seule une première moitié du XXe siècle qui se souvient de la querelle du modernisme et reste méfiante vis-à-vis de tout abandon mystique à la grâce (abandon quiétiste… ou luthérien ?) explique sa sévérité non seulement envers Bernières et Bertot condamnés, mais aussi envers le grand carme Maur de l’Enfant-Jésus disciple de Jean de Saint-Samson, le frère Laurent de la Résurrection (!)989.


1682 Marie (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686)

Voici un couple dont le P. Crasset nous donne le témoignage remarquable par l’absence de toute médiation entre le Divin et la mystique Marie Hélyot990, dans la pure tradition flamande :

« Dès lors qu’elle commençait son oraison, elle s’élevait par une vue transcendante au-dessus de tout ce qui est créé et contemplait la Divinité sans forme et sans figure, sachant bien que Dieu n’est rien de ce qui tombe sous les sens et qu’étant infini et incompréhensible de sa nature, il est impossible à l’esprit humain de le renfermer dans ses connaissances... Elle entrait dans un abîme de ténèbres qui environnent le trône de la Divinité et qui le rendent inaccessible à tous les esprits créés s’ils ne sont éclairés et fortifiés par la lumière de la gloire. Comme Dieu n’est que lumière, il est impossible qu’il y ait des ténèbres dans son palais ; mais ce grand abîme de clarté est à notre esprit qui n’en peut supporter l’éclat, un abîme de ténèbres qui l’éblouissent, qui l’aveuglent et qui lui dérobent la connaissance des créatures.

« Après qu’elle avait fait s’évanouir toutes les images dont la nature a tant de peine à se défaire, qu’elle s’était plongée dans ces ténèbres mystérieuses qui font tant de frayeurs aux âmes qui n’ont point marché dans ces routes, elle se trouvait tout à coup élevée dans la Jérusalem céleste, où il n’y a ni lune ni soleil, parce que c’est l’agneau de Dieu qui en est la lumière. Elle se voyait comme plongée dans ce grand et vaste océan de la Divi­nité où elle se perdait heureusement. Elle voyait l’être de Dieu. sans pouvoir rien comprendre de sa nature que sa grandeur immense... Son esprit, pénétré comme un globe de cristal, de cette lumière substantielle, demeurait tout ravi de se trouver dans Dieu, sans pouvoir dire ce qu’il voyait et par cette perte heureuse de sa raison, elle arrivait jusqu’à ces obscurités lumi­neuses qui surpassent toutes nos vues et toutes nos intelli­gences...

« Un fleuve est toujours fleuve, tandis qu’il est resserré et bordé de deux rivages ; mais dès lors qu’il a quitté ce lit de terre et qu’il s’est déchargé dans la mer, il cesse d’être fleuve et devient mer par le mélange et la confusion de ses eaux avec celles de l’océan... Il en est de même de notre âme ; elle se resserre et se rétrécit en quelque façon dans elle-même, tant qu’elle est bornée par ces espèces créées et ces images sen­sibles, mais dès lors qu’elle s’est plongée dans Dieu... elle se transforme en quelque manière en Lui, non pas par la perte de son être qu’elle conserve toujours, mais par un écoulement dans celui de Dieu et une union sacrée qui des deux n’en fait qu’un (p.118). »

Claude Hélyot écrivait au P. Crasset :

« J’ai bien de la peine à me tenir dans la contemplation après la communion ; car il me semble toujours que si l’esprit et les autres puissances de l’âme ne trouvent de quoi discourir, c’est perdre le temps inutilement. Néanmoins je puis vous dire que le jour de Pâques-fleuries, Dieu me fit la grâce de m’en faire comprendre quelque chose, si je ne me trompe. Car m’étant recueilli quelque temps après, j’entrai dans un si grand repos que toutes les facultés qui ont coutume d’agir en pareilles occa­sions d’une manière si distinguée et si sensible me parurent comme liées et sans action.

« Il m’arriva quelque temps après cette grâce sensible dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir quelquefois et dont j’avais été sevré il y a plus de trois mois, que je ne puis vous mieux représenter que par un vaisseau qu’on vide et que l’on remplit aussitôt d’une autre liqueur. Car il me semblait que c’était un silence de ces mêmes puissances qui facilitait l’entrée à quelque chose de plus noble et de plus grand ; et ayant été près d’une demi-heure en cet état, je sentis un mouvement intérieur, comme une voix douce qui me disait au cœur que je devais servir Dieu dans la personne des pauvres (Œuvres, p. 15). »

Enfin il faut souligner l’accord profond entre les époux :

« Il gagna sa dernière maladie, étant chez un graveur où il prenait soin de faire tirer des images de Mme Hélyot (qu’il avait dessinée, car il avait ce don) Comme il fut longtemps dans un grenier exposé à l’air, il fut saisi de froid et retourna avec le frisson à son logis. (Œuvres, p. 32). »


1686  Nicolas Barré (1621 - 1686).

Cette nuit est un excellent jour,

On y voit tout sans rien y voir,

On y sait tout sans rien savoir,

On y possède tout sans crainte. […]

44

Ne sortir point hors de soi-même,

se trouver toujours être en Dieu,

N’avoir ni ne voir de milieu,

être animé par ce qu’on aime,

Sentir Dieu agir dedans soi,

ne plus se conduire par soi,

Laisser tout à la Providence,

n’opérer plus humainement,

Font encore la différence

de ce ténébreux monument.

45

O Dieu, par qui tout est en être,

ô fond, par qui tout se soutient,

O milieu, en qui tout se tient,

ô Roi, que tout a pour son maître,

O Esprit pur et souverain,

qui portez tout dans votre main,

Vie qui animez toute âme,

soyez ainsi, par vos bontés,

L’esprit, le principe, et la flamme

qui anime nos volontés991.

Les frères minimes fondés par François de Paule (1416-1507), après un pèlerinage à Assise, étaient initialement inspirés par l’érémitisme. L’ordre atteignit son plus grand développement au XVIIe siècle. Comptant 156 couvents en France, il est alors présent dans tous les secteurs de la vie intellectuelle : Mersenne (-1648) en est la figure la plus illustre, en relation avec tous les scientifiques de l’époque et cherchant à éclairer les rapports entre la foi et la nouvelle explication scientifique du monde.

Nicolas Barré (1621-1686) est une autre figure brillante de l’ordre : il sera très tôt chargé de la grande bibliothèque du couvent de la place Royale fréquenté par les élites intellectuelles. Mais  à l’âge de trente-six ans, épuisé, dans l’angoisse et le doute, il est envoyé à Amiens, sa ville natale, pour refaire ses forces, puis à Rouen. « Peu à peu un chemin de paix, de sérénité, s’ouvre en lui : consentir à Dieu au plus profond de l’obscurité… ».

Il acquiert un don pour lire dans les cœurs : « une expression quasi proverbiale court dans la ville lorsqu’on parle d’un mécréant : Il faudrait le conduire au père Barré. » Touché par la misère des jeunes de quartiers pauvres, il soutient la naissance d’écoles populaires à Rouen puis à Paris tout en continuant sa tâche de directeur spirituel.

À sa mort, « des foules se précipitent jusqu’à son couvent au quartier du Marais, en s’écriant : « Le saint des Minimes est mort!»992.

Il est  un poète exprimant très sobrement une expérience mystique dont on sent qu’elle a été précédée par la nuit totale. Une telle expérience est distincte des sentiments religieux exprimés par de nombreux auteurs, par ailleurs remarquables, mais qui sortent du cadre que nous nous fixons, tels ses prédécesseurs Jean de La Ceppède (~1550 - 1623) et Claude Hopil (av.1585 - apr.1633).

Par la suite madame Guyon (1648-1717) exprimera avec une précision admirable le vécu mystique dans des poésies écrites en prison et des cantiques, mais sans atteindre la qualité poétique des poèmes de Surin ou de Barré.


1690 Robert Barclay (1648 - 1690) et les Quakers.

Robert Barclay

Homme exceptionnellement cultivé dans  la communauté de « la secte des trembleurs », il devint le « théologien  quaker » ; son Apologie993 nous éclaire très profondément sur la Lumière intérieure ou Grâce ou Vie, expérience mystique vécue en silence :

« Ainsi donc, la conscience naturelle de l’homme se distingue nettement de la Lumière, car la conscience suit le jugement, mais ne l’éclaire pas ; la Lumière, au contraire, si elle est bien accueillie, dissipe l’aveuglement du jugement, ouvre l’entendement et rectifie à la fois le jugement et la conscience (187)... c’est donc vers la lumière du Christ dans leur conscience, et non vers cette conscience naturelle, que nous invitons sans cesse les hommes à se tourner... Mais cette lumière ou semence de Dieu en lui, il ne peut l’éveiller et la faire agir quand il veut : ce n’est que lorsque le Seigneur le juge bon qu’elle se manifeste, brille et lutte avec l’homme (188) [...]

« C’est donc de ce principe, à savoir que l’homme doit rester en silence et ne pas agir de lui-même dans les choses de Dieu tant qu’il n’y est pas poussé par sa Lumière et sa grâce dans le cœur, qu’a pris tout naturellement naissance cette manière de s’asseoir ensemble en silence et de s’attendre à Dieu. (249)… [Le cas suivant] peut même se produire. Plusieurs personnes réunies, gardant extérieurement le silence, mais laissant cependant leur esprit errer à l’aventure, ne prêtent pas attention à la mesure de grâce qui est en elles… mais en revanche, il se trouve dans l’assemblée, ou il y entre, quelqu’un qui, lui, y est attentif, et en qui la Vie se manifeste intensément. Ce dernier… sent alors un travail secret en faveur des autres personnes… et comme il veille fidèlement dans la Lumière et persévère dans cette œuvre divine, Dieu répond souvent à ce travail secret de sa propre semence à travers lui, et touche alors les autres au plus intime d’eux-mêmes, sans l’aide d’aucune parole. Semblable à une sage-femme, ce fidèle, par le travail secret de son âme, fait naître ainsi la Vie en eux, tout comme un peu d’eau versée dans une pompe y fait monter le reste. Cette Vie s’épanouit alors en tous, leurs vaines imaginations sont réduites à néant… (251)

Les Quakers.

Je présente cette « secte » protestante dont la pratique tout intérieure d’une prière en silence s’apparente à celle de cercles quiétistes dont l’influence est confirmée sur leurs membres par des traductions qu’ils firent en anglais de textes de madame Guyon.

Le mouvement fut fondé par Georges Fox (1624-1691), un véritable apôtre Paul du XVIIe siècle, homme simple, mystique994 d’une énergie prodigieuse — et d’une santé à toute épreuve — ce qui lui permit de résister à de terribles épreuves…

à Doomsdale dans un cachot dont, généralement, on ne sortait pas vivant. Les excréments des prisonniers qui y avaient déjà séjourné n’avaient pas été enlevés depuis des années et, par places, on enfonçait jusqu’aux chevilles dans l’eau et dans l’urine. Des personnes compatissantes leur apportaient des chandelles et un peu de paille, et ils brûlaient un peu de leur paille pour combattre la puanteur995.

Sa « patience vis-à-vis des insultes ou même des coups, possédé qu’il était par sa conviction d’avoir à répondre à ce qu’il y a de Dieu en chacun » 996, n’est pas étrangère à l’émergence d’une solide communauté. À sa mort il laissait cinquante mille Quakers dans les Îles britanniques ainsi que des groupes en Hollande et dans les colonies américaines. Beaucoup quittaient ainsi croyances et dogmes, sources de terribles conflits dans l’Angleterre du XVIIe siècle, au profit de la « lumière intérieure », découverte intime dans le silence de leurs réunions (car les excès des premiers « trembleurs » furent limités après les troubles provoqués par J. Nayler, le courageux, mais fol disciple de Fox). Après stabilisation du mouvement, et parce que la vie mystique provient d’une source unique, « Aubrey de la Mottraye, en 1727, remarque la ressemblance qui existait entre le Quakerisme et le Quiétisme de Madame Guyon et de Fénelon, (dont on trouvait, du reste, les œuvres presque dans chaque foyer quaker, tant en Angleterre qu’en Amérique). »997.

Les quakers, mystiques cherchant la « lumière intérieure », furent fort actifs, luttant contre l’esclavage dès le XVIIIe siècle. L’émouvant Journal de John Woolman (1720-1772), grand texte du début de la littérature américaine, fait revivre l’existence aventureuse d’un visiteur des petites communautés isolées. On y trouve le contact avec  la nature (qualité américaine qui sera bientôt révélée dans les romans de F. Cooper), le sens de l’unité profonde dans toute la création (autre qualité rencontrée chez des poètes américains) :

We then secured our horses and gathering some bushes under an oak we lay down; but  the mosquitoes being numerous and the ground damp I slept but little. Thus lying in the wilderness, and looking at the stars, I was led to contemplate on the condition of our first parents when they were sent forth from the garden; how the Almighty, though they had been disobedient, continued to be a father to them. . .

. . . I was brought so near the gates of death that I forgot my name. Being then desirous to know who I was, I saw a mass of matter of a dull gloomy color between the south and the west, and was informed that this mass was human beings in as great misery as they could be, and live, and that I was mixed with them, and that henceforth I might not consider myself as a distinct or separate being998.

Les Quakers ne furent jamais nombreux, compte tenu de l’exigence de vie impliquée, telle au XVIIIe siècle, celle de la libération des esclaves, grande richesse perdue volontairement par les premiers abolitionistes. Actuellement la Religious Society of Friends ne comporte que seize mille membres en Grande-Bretagne999. Mais le mouvement est toujours vivant et ouvert comme l’indique le témoignage suivant venant du lointain Maryland1000 :

There was a real spiritual power among the Friends. . . The experience was strong and sure enough, I felt, to warrant belief in the resurrection of Jesus . . . [follows an interesting review of the problem of control of “enthusiasm” encountered by Fox leading to] tension between individual and community claims to divine revelation. . . Quaker practice “works” only when love is paramount. . . When individual and group desires are “brought low” under love’s leading, all participants in the process are equal, and the community primary goal is not to judge but to love each other. . . And there I found the key: Quaker practice is nothing more or less than the actualization of love.

Les quakers firent beaucoup « pour la renommée de la victime de Bossuet » comme l’indique précisément Orcibal :

Après avoir publié, en 1727, une courte Letter to J.O. being an account of Madam Guyon, Josiah Martin traduisait plusieurs de ses poèmes dans The Archbishop of Cambray’s dissertation on pure love (Londres, 1735, pp. 122-138) – et en note il souligne « nettement l’importance que prit dès lors chez les Quakers son idée de la fécondité spirituelle [que nous trouvons un apport saisissant à la lecture de son Cantique]. Et il insiste sur le rôle que jouèrent après Martin, les ouvrages de Gough et surtout A Guide to true Peace (Stockton, 1813) où W. Backhouse et J. Janson groupèrent des extraits de Fénelon, de madame Guyon et de Molinos. »1001.

le « Friend » Josiah Martin, intéressant écrivain qui devait répondre aux Lettres philosophiques de Voltaire, fit plus encore pour la réputation de l’archevêque de Cambrai, en qui il voyait « aussi un quaker », puisqu’il publia entre 1727 et 1738 divers recueils d’écrits du prélat auxquels il joignit des cantiques de madame Guyon et une apologie des idées de celle-ci1002.

L’année 1772 « marque un tournant décisif dans l’histoire du guyonisme anglo-saxon. Le Quaker de Bristol James Gough donna, en deux volumes, une traduction de la Vie de madame Guyon. Quelques mois plus tard, Cornelius Cayley accordait des éloges également vifs à la tolérance de l’héroïne et à l’esprit catholique de l’éditeur »1003. Enfin l’idée de fécondité spirituelle propre à madame Guyon, que nous trouvons particulièrement mise en valeur à l’occasion de son Commentaire au Cantique ainsi rendu très original, fut largement reprise1004.


1689 Jean Aumont (1608 - 1689)

Autre disciple de Jean-Chrysostome de Saint-Lô, frère laïc membre du Tiers Ordre, Jean Aumont vécut dans le monde : il possédait peut-être un petit vignoble à Montmorency1005. Il fut en relation assez étroite avec Catherine de Bar : d’après elle, le « bon frère Jean » aurait été envoyé en exil en 1646 par suite de son ardeur à propager les maximes de Jean-Chrysostome mort la même année (ce qui laisse entrevoir des tensions assez fortes entre ces mystiques et leur entourage) ! Il est « tellement rempli de la divine grâce à présent, qu’il a perdu tout autre désir. Il se laisse consommer. » dit-elle. Il rencontrera de nouveau Catherine à Caen en 1648 et à Paris en 1654.

L’Agneau occis dans nos cœurs (1660)

Il nous a laissé un livre atypique1006,  mais beau, original et savoureux, dont les illustrations (de même que les images publiées par Querdu Le Gall1007) ont fait la joie de Bremond lorsque celui-ci présenta « le vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale ». Le texte est peu structuré ; l’auteur est parfois trop abondant et imaginatif, le style est rocailleux1008. Mais il recèle de grandes beautés et témoigne d’une « intelligence extrêmement vive, pénétrante et limpide au didactisme le plus subtil1009. »

Cet homme apparemment si simple avait atteint les profondeurs de la vie en Dieu : il nous transmet son élan qui fait fi de tous les obstacles. L’ouvrage rare n’ayant jamais été réédité et reflétant avec originalité de suggestives représentations propres à l’ancienne astrologie médiévale, nous en livrons ici d’assez longs extraits. Tout d’abord une vive analogie imagée :

« Mais dites-moi de grâce si quelqu’un enfermé en votre cave, et frappant à la porte pour se faire ouvrir, vous alliez cependant au plus haut et dernier étage la maison demander qui est là : vous n’auriez sans doute aucune bonne réponse, car la grande distance du grenier à la cave ne permettrait pas que votre  « Qui va là ?’   fût entendu. Mais peut-être que cette personne-là n’ayant pas encore bien appris tous les lieux et endroits de la maison pourrait bien être excusée d’aller répondre au grenier quand on frappe à la porte de la cave, et ignorant principalement ces bas étages et lieux souterrains : c’est pourtant d’ordinaire où l’on a de coutume de loger le meilleur et le plus excellent vin ; mais assez souvent l’on se contente d’y envoyer la servante sans se donner la peine d’y descendre soi-même pour en puiser à son aise et se rassasier. Je veux dire que Dieu étant l’intime de notre intime1010, il frappe à la porte de ce fond et plus profond étage de nos âmes, et que partant il y faut descendre en esprit et par foi pour y écouter en toute humilité ce qu’il plaira à Sa divine Majesté de nous y ordonner pour son contentement, et ne nous pas contenter d’y envoyer la servante de quelque chétive considération, laquelle ne peut descendre jusqu’au caveau de l’Époux, mais seulement sans s’abaisser elle demande du faîte de la maison qui est là. […]

«Voici donc, âmes chrétiennes, que tout le secret et l’importance de l’affaire de notre salut est qu’il faut bien apprendre et bien savoir une bonne fois pour toute notre vie, que toute la beauté, le trésor et les richesses de l’âme chrétienne sont par dedans elle-même, et que c’est par ce dedans que Dieu nous frappe, et nous appelle d’une voix de père et de cordial ami...1011.

Il passe d’une image empruntée à la vie concrète d’une maison à une analogie prise dans l’Évangile :

«[15], Mais tout ainsi que le Lazare sortant du sépulcre et échappé de la mort resta encore lié [de bandelettes], ainsi l’âme échappée des chaînes de la mort éternelle et du sceau du péché, reste encore liée aux choses mondaines et scellée des autres sceaux et habitudes ci mentionnés; pour la poursuite et la victoire desquels il faut absolument la sainte persévérance, que nous devons demander à Dieu, et l’attendre en toute confiance de son divin amour.

Et ainsi de comparaison en comparaison, se poursuit la parole du « Socrate campagnard, qui ne connaîtrait que son catéchisme, et dont les paraboles abondantes rejoindraient toutes, sans qu’il s’en doutât d’abord, la philosophie de M. Bergson1012» !

«Tout le but et l’intention de ce petit œuvre, âme chrétienne, est de vous découvrir et ouvrir la porte étroite de la vie, et vous donner les moyens de vous échapper de la mort des ténèbres, en vous montrant comme il se faut retirer et recueillir dans votre temple intérieur, et, comme nous sommes corporels et spirituels, la loi de Dieu nous a bâti des temples corporels pour nous y retirer et y rendre un culte visible à la divinité pour le bon exemple et l’édification du simple peuple; mais lorsque nous entrons [26] dans cette église extérieure, il nous faut souvenir que Dieu par sa bonté s’en est bâti une intérieure dans le fond de notre âme, où il veut être aussi servi d’un culte intérieur et spirituel; et partant qu’il nous convient de passer en esprit de cette église visible et matérielle, dans l’église intérieure et spirituelle de notre âme, et de ces deux églises n’en faire plus qu’une l’une dans l’autre. Là où vous remarquerez trois étages, la nef, le chœur et le sanctuaire divin qui ont rapport aux trois étages de l’oraison, savoir : un entretien actif, un entretien actif et passif ensemble, et un entretien purement passif; lesquels s’exercent et se doivent exercer au fond du cœur chrétien par trois sortes d’emplois de l’amour divin intérieurement exercé dans les trois cieux de l’âme, par ces trois moyens susdits.»

Suit la description du premier ciel qui a pour soleil Jésus-Christ, pour lune la très sainte Vierge, pour étoiles nos saints patrons. Puis :

« [28] le second ciel de notre temple intérieur a pour soleil le Saint-Esprit et pour lune l’imitation de la vie souffrante de Jésus-Christ et de sa très aimée mère… [qui disposent les âmes] pour entrer plus avant dans le désert de leur cœur, et d’y opérer de cœur, c’est-à-dire faire cesser l’activité du propre intellect… et ouïr de l’oreille du cœur ce que l’amour divin dit au cœur. […]

« Il faut enfin entrer, et se retirer en esprit, en foi et en amour dans notre église intérieure, d’étage en étage, de degré en degré, et de dedans en dedans jusque dans le sanctuaire divin. Et là l’âme toute ramassée et réunie en elle-même, et toute réduite à son point central, et toute passive et abandonnée aux impérieux débords du divin [31] amour, qui la pénètrent au-dedans et qui la revêtent et investissent de divinité, et ainsi, l’âme croissant en amour croît aussi en lumière…

« [33] Enfin il faut avouer que Dieu aime infiniment le cœur humain, au fond duquel est la capacité amatique [d’aimer] propre à recevoir ce Dieu d’amour dans le fourneau de sa volonté : car comme Il est infiniment aimant, Il cherche des cœurs qui se veulent donner tout entiers en proie à son divin amour afin que, les en ayant tous remplis jusques à en regorger, ils le puissent aimer en sa manière infinie avec son même amour.

Il faut passer  au-delà du fonctionnement « dans la tête » :

«[57] C’est la maladie naturelle de l’homme de vouloir être homme raisonnant et à soi sans démission; et roulant dans sa tête le chariot naturel de ses pensées, il se figure une foi plus imaginaire qu’infuse, et partant plus acquise que donnée, et ainsi avec certaine pratique spirituelle et non intérieure, puisqu’il ne tend pas en dedans au fond du cœur, mais demeurant seulement dans la nature du propre esprit bien policé et prudemment exercé par les temps, les lieux, les motifs, les actes, les sujets et les raisonnements sur tout cela; et cependant on ne s’avise pas que l’on tient continuellement le dos tourné à Dieu et à ce divin soleil intérieur qui luit au fond de nos âmes, et dont ils ne sont point éclairés, parce qu’ils se tiennent la face de l’âme tournée en dehors sur leurs actes, sur les points et motifs des sujets et objets de leur méditation avec la roue du raisonnement, tout ainsi qu’un écureuil enfermé dans une cage en forme de roue qui court sans cesse à l’entour de soi-même, et n’entre jamais dedans, et ne cessant de tournoyer sans rien avancer, ni bouger d’un pas, ni sortir de sa place, ni même changer de posture; ainsi fait l’homme qui cherche Dieu à la naturelle ne cessant de rôder, et tournoyer à l’entour de la roue de ses propres raisonnements...

Notre mystique décrit sept degrés de récollection intérieure par lesquels sont levés les sept sceaux de l’Apocalypse qui tenaient l’âme captive. Ce texte dense fait bien voir la tentative très intéressante, car non polluée par quelque culture théologique mal assimilée, de décrire le vécu phénoménologique. Comme Ruusbroec, il insiste sur l’absence d’entre-deux au sommet de la vie mystique :   

« Le sixième degré d’abstraction intérieure conduit jusqu’à son centre, et y fait savourer à l’âme un repos tout divin, tout spirituel, et centralement et également amoureux et lumineux. Et d’autant plus pur et parfait que la vie de l’âme est noble dans son intégrité spirituelle, et selon son opération impérieuse mue du divin Amour, il lui est donné pouvoir sur toutes les choses au-dessous d’elle et l’empire sur elle-même, puisqu’elle a ici le courage héroïque de sacrifier et immoler à Dieu au fond de son être ce qu’elle a de plus cher, ce qu’elle aime davantage, qui est l’attache à sa propre vie ; et pour lors l’âme cessant de vivre à elle et pour elle, commence à vivre de Dieu et pour Dieu, et selon la manière de Dieu ; et partant l’âme fait ici le parfait sacrifice d’elle-même, donnant à Dieu tout ce qu’elle a et ce qu’elle est en elle-même ; et Dieu la reçoit et lui est agréable. Mais il n’est pas encore content que l’âme se donne à lui, et que lui se donne à elle dans elle-même avec tous les dons, mais elle veut encore qu’elle se désapproprie de tout cela et qu’elle meure à cette complaisance, à cette jouissance de lui dans elle-même, pour l’aller posséder dans lui-même dans l’Éternité.

«Et c’est ce qui fait le septième et le dernier degré plus qu’intime, puisqu’il est outre l’âme en Dieu; et par lequel enfoncement central l’âme demeure détachée, libre et affranchie de tout servage, entrant humblement et librement à Dieu sans milieu, ni entre-deux, sans voile, ni sans figure, lui rendant par amour et hommage souverain tous les dons avec elle-même… Et partant, âmes chrétiennes, vous pourrez voir clairement et distinctement comme la récollection, l’abstraction et l’introversion centrale doit être conduite à sa fin qui est Dieu au septième jour qui est le sabbat divin, le jour de liesse…

Jean utilise une comparaison avec le cycle de la nature, comme chez Ruusbroec1013, dans la section intitulée…

« L’âme dans ses trois différents états de commencement, de progrès et de perfection en la sainte oraison, agréablement comparée à l’arbre fruitier, selon trois différentes saisons de son fruit, en fleur, en verdeur, et en maturité, et planté en différents terroirs sous différents climats :

« Le premier regard du soleil corporel sur les arbres fruitiers fait épanouir les fleurs et y dessèche humide que la rosée du matin y avait accueilli dedans la fleur, afin qu’étant réchauffée le fruit s’y forme [...]

« Le second regard du soleil sur l’arbre fruitier est que [298] réchauffant la terre, il la soulage et l’aide à produire l’humeur où la sève, laquelle nourrit le fruit et le conduit à sa grosseur. Et comme dans cette saison la sève est en sa grande vigueur, elle fait aussi que le fruit quoique gros, est cependant de couleur très verte et de goût très âcre, et tient beaucoup à l’arbre.

« Le troisième regard et la troisième opération du soleil sur l’arbre fruitier envisageant ce fruit dans sa grosseur, et le soleil étant selon cette saison très ardent, il dessèche la terre et en purifie l’humeur, et y fournit la couleur selon chaque espèce, accommodant sa vertu au sujet qu’il atteint. [...]

« De même le premier regard de l’Amour divin sur la terre de notre cœur et l’arbre fruitier de notre volonté, c’est de réchauffer cette terre morfondue par les glaces de l’hiver du péché, et lui faire produire les premières fleurs de la dévotion, en y desséchant l’humide que les vapeurs du propre amour y avaient amassé. [...]

« Le second regard de ce soleil amoureux sur l’arbre fruitier de [299] notre volonté est que, réchauffant la terre de notre cœur, il y produit l’humeur ou la sève de la grâce, laquelle nourrit ce fruit et le conduit à sa grosseur après avoir purifié la terre de notre cœur [...]

« Le troisième regard et la troisième opération du soleil éternel sur l’arbre intérieur de notre volonté, et qui regardant les fruits dans leurs grosseurs, dessèche la terre de notre cœur des ardeurs de son midi, y purifie l’humeur de la complaisance de sa propre vie et y fournit la couleur de chaque vertu, comme la fermeté de la foi sous la blancheur de l’Agneau, et la couleur jaune de sa très simple mort et Passion, la candeur de l’espérance sous le rouge et l’attente des flammes du Saint-Esprit, et le doré de la Charité sous la couleur panachée [300] de la plénitude du Saint-Esprit, lequel amène en l’âme toutes les vertus chrétiennes vivifiées en charité, et chargées de toutes les divines couleurs du divin Amour. Et partant sont des fruits arrivés à leur maturité, et propres à être servis sur la table du grand Seigneur, car la sève de l’attrait de la grâce se retirant avec le propre Esprit au centre de la racine de la volonté, outre la substance rend ses fruits dans la terre sainte de l’humanité glorieuse de Jésus-Christ, pour être servis par lui et en lui devant Sa Majesté divine.

1691 Laurent de la Résurrection (1614 – 1691)

Partager l’expérience de la présence de Dieu forme le sujet des conversations de Laurent et de ses lettres. Leur regroupement moderne ne couvre qu’une centaine de pages1014. Nous avons probablement perdu une grande partie de ses écrits : « On a supprimé tous les livres du frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers.... ils en ont fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce qu’avait l’autre. »1015. Les Entretiens sont un « composite Laurent-Beaufort » et la Pratique un « condensé de la doctrine du frère Laurent » nous dit Conrad de Meester, son éditeur récent1016. On doit donc considérer ce qui nous est parvenu de Laurent avec prudence.

Insister sur la pratique proposée pour accéder à cette expérience, rend compte de l’apport de Laurent de la Résurrection. Son second éditeur, P. Poiret, souligne justement dans le titre de l’essai qu’il donne à la suite des œuvres de Laurent, « l’importance et les avantages de la pratique de la présence de Dieu1017. » Il s’agit d’aimer sans perdre de temps, par le « moyen court » de cette mise en présence.

Nicolas Herman naquit à Hériménil, village proche de Lunéville, en 1614.

« Je vis le Frère Laurent pour la première fois ; il me dit que Dieu lui avait fait une grâce singulière dans sa conversion, étant encore dans le monde, âgé de dix-huit ans. Qu’un jour en hiver, regardant un arbre dépouillé de ses feuilles, et considérant que quelque temps après ces feuilles paraîtraient de nouveau, puis des fleurs et des fruits, il reçut une haute vue de la providence et de la puissance de Dieu, qui ne s’est jamais effacée de son âme ; que cette vue le détacha entièrement du monde, et lui donna un tel amour pour Dieu qu’il ne pouvait pas dire s’il était augmenté, depuis plus de quarante ans qu’il avait reçu cette grâce1018.

Il est engagé comme soldat et « La Lorraine l’ayant engagé dans le malheur de ses troubles », des troupes allemandes l’ayant fait prisonnier, il fut pris et traité comme un espion, car « les chefs s’écrivaient de quartiers à quartiers […] on y employait ordinairement des paysans ou des soldats sans armes, portant à la main un bâton creux, dans lequel ils introduisaient les missives dont ils étaient chargés1019 ». « On le menaça de le faire pendre ; mais lui, sans s’effrayer, répondit qu’il n’était pas tel... que sa conscience ne lui reprochant aucun crime, il regardait la mort avec indifférence...

Les Suédois ayant fait une incursion dans la Lorraine et attaqué en passant la petite ville de Rambervillers, notre jeune soldat y fut blessé en 1635. »1020. Finalement la petite cité tomba entre les mains du duc Charles IV et de là « il provoqua la levée en masse de ses sujets ; puis, en présence des renforts reçus par l’armée française, il se retrancha sur un plateau, au nord de Rambervillers, qui porte encore aujourd’hui le nom de camp des Suédois. Peut-être la terreur qu’à juste titre ces troupes inspiraient aux Lorrains s’est-elle ainsi perpétuée... »1021.

À la suite de quoi, il suit les traces d’un oncle carme et devient pendant une période indéterminée ermite, conseillé par un gentilhomme. Il hésite à prendre un engagement perpétuel, mais finalement vient à Paris1022. À vingt-six ans, il se décide à devenir convers de l’ordre des Carmes déchaussés au couvent de la rue de Vaugirard, en 1640, et fait profession le 14 août 1642 1023. Il semble avoir traversé une période de purification de 1640 à 1651 environ, soit sur plus de dix années, dont les quatre dernières furent très intenses1024.

«Qu’il avait eu une très grande peine d’esprit, croyant certainement qu’il était damné; que tous les hommes du monde ne lui auraient pu ôter cette opinion; mais qu’il avait sur cela raisonné en cette manière : “Je ne suis venu en religion que pour l’amour de Dieu, je n’ai tâché à agir que pour lui; que je sois damné ou sauvé, je veux toujours continuer à agir purement pour l’amour de Dieu; j’aurai du moins cela de bon que, jusqu’à la mort, je ferai ce qui sera en moi pour l’aimer.” Que cette peine lui avait duré quatre ans pendant lesquels il avait beaucoup souffert. /Que depuis il ne songeait ni à paradis ni à enfer; que toute sa vie n’était qu’un libertinage et une réjouissance continuelle; qu’il mettait ses péchés entre Dieu et lui, comme pour lui dire qu’il ne méritait pas ses grâces, mais que cela n’empêchait pas Dieu de l’en combler. Qu’il le prenait quelquefois comme par la main et le menait devant toute la cour céleste, pour faire voir le misérable auquel il prenait plaisir de faire ses grâces1025.

Il est pendant quinze ans cuisinier — ce  fut le cas de Jan van Leeuwen, le « bon cuisinier » de Groenendael —, puis trouve un emploi à la savaterie1026.

«Qu’on lui avait dit depuis peu de jours d’aller faire la provision du vin en Bourgogne, ce qui lui était fort pénible, parce qu’outre qu’il n’avait point d’adresse pour les affaires, il était estropié d’une jambe et ne pouvait marcher sur le bateau qu’en se roulant sur les tonneaux, mais qu’il ne s’en mettait point en peine, non plus que de toute son emplette de vin; qu’il disait à Dieu que c’était son affaire; après quoi il trouvait que tout se faisait, et se faisait bien. ... De même en la cuisine, qui était sa plus grande aversion naturelle, s’étant accoutumé à y tout faire pour l’amour de Dieu, et en lui demandant en toute occasion sa grâce pour faire son ouvrage, il y avait trouvé une très grande facilité pendant quinze ans qu’il y avait été occupé. /Qu’il était alors à la savaterie où étaient ses délices, mais qu’il était prêt de quitter cet emploi comme les autres, ne faisant que se réjouir partout en faisant de petites choses pour l’amour de Dieu1027.

Un grand ulcère lui survient à la jambe, qui oblige les supérieurs de l’employer à un office plus doux1028. Son caractère est d’une grande netteté :

« quand ses supérieurs l’obligeaient à dire naïvement sa pensée sur les difficultés qu’on proposait dans les conférences, il répondait si juste et avec tant de netteté, que ses réponses ne souffraient aucune réplique1029

«Un autre caractère du Frère Laurent était une fermeté extraordinaire, qu’on aurait nommé intrépidité dans un autre genre de vie, et qui montrait une âme grande et élevée au-dessus de la crainte et de l’espérance de tout ce qui n’était point Dieu1030 .

Fénelon qui le rencontre vers la fin de sa vie, en témoigne1031. Laurent meurt à soixante-dix-sept ans, le 12 février 1691.

Ses Maximes spirituelles offrent une admirable anthologie de brèves injonctions à trouver un Dieu qui est d’ailleurs toujours présent, en attente :

« [79] Après m’être donné... j’ai cru n’avoir plus rien à faire... que de vivre comme s’il n’y avait plus que Dieu et moi au monde.

« [92] Toutes choses sont possibles à celui qui croit, encore plus à celui qui espère, encore plus à celui qui aime.

« [94] La pratique la plus sainte, la plus commune et la plus nécessaire en la vie spirituelle est la présence de Dieu, c’est de se plaire et s’accoutumer en sa divine compagnie, parlant humblement et s’entretenant amoureusement avec lui en tout temps, à tous moments, sans règle ni mesure, surtout dans le temps des tentations, des peines, des aridités... il faut s’appliquer continuellement à ce qu’indifféremment toutes nos actions soient une manière de petits entretiens avec Dieu, pourtant sans étude, mais comme ils viennent de la pureté et simplicité du cœur.

 « [100] [Il réside] au fond et au centre de l’âme ; c’est là que l’âme parle à Dieu cœur à cœur et toujours dans une grande et profonde paix... ce qui se passe au dehors... [est un] feu de paille qui s’éteint à mesure qu’il s’allume.

Pour acquérir la présence de Dieu. 1. Le premier moyen est une grande pureté de vie. 2. Le second, une grande fidélité à la pratique de cette présence et au regard intérieur de Dieu en soi, qui se doit toujours faire doucement, humblement et amoureusement, sans se laisser aller à aucun trouble ou inquiétude.

« [104] l’âme se familiarise avec Dieu de telle manière qu’elle passe presque toute sa vie en des actes continuels... quelquefois même elle ne devient plus qu’un seul acte qui ne passe plus.

« [109] Qu’il s’était toujours gouverné par amour, sans aucun autre intérêt, sans se soucier s’il serait damné ou s’il serait sauvé..... Qu’il était content quand il pouvait lever une paille de terre pour l’amour de Dieu ... /Que cette conduite de l’âme obligeait Dieu à lui faire des grâces infinies, mais qu’en prenant le fruit de ces grâces, c’est-à-dire l’amour qui en naît, il en fallait rejeter le goût, en disant que tout cela n’était point Dieu, puisqu’on savait par la foi qu’il était infiniment plus grand et tout autre que ce que l’on en sentait. Qu’en cette manière d’agir, il se passait entre Dieu et l’âme un merveilleux combat…

« [111] Qu’il s’adressait toujours à Dieu quand il se présentait quelque vertu à pratiquer, en lui disant : « Mon Dieu, je ne saurais faire cela si vous ne me le faites faire », et qu’on lui donnait aussitôt de la force et au-delà.

« [112] Sachant qu’il fallait aimer Dieu en toutes choses et travaillant à s’acquitter de ce devoir, qu’il n’avait pas besoin de directeur ... Que dans ses peines il n’avait consulté personne ; mais qu’avec la lumière de la foi, sachant seulement que Dieu était présent, il se contentait d’agir pour Lui, arrive ce qui pourra, et qu’il se voulait bien perdre ainsi pour l’amour de Dieu, dont il s’était bien trouvé. /[116] que la bonté de Dieu l’assurait qu’il ne le quitterait point absolument et qu’il lui donnerait la force de supporter le mal qu’il permettrait lui arriver : qu’avec cela, il ne craignait rien et n’avait besoin de communiquer de son âme avec personne. Que, quand il l’avait voulu faire, il en était toujours sorti plus embarrassé, et qu’en voulant mourir et se perdre pour l’amour de Dieu, il n’avait nulle appréhension ; que l’abandon entier à Dieu était la voie sûre et dans laquelle on avait toujours lumière pour se conduire. /Qu’il fallait être fidèle à agir et à se renoncer dans le commencement ; mais qu’après cela il n’y avait plus que contentements indicibles.

«  Que toutes les pénitences et autres exercices ne servaient que pour arriver à l’union avec Dieu par amour : qu’après y avoir bien pensé, il avait trouvé qu’il était encore plus court d’y aller tout droit par un exercice continuel d’amour, en faisant tout pour l’amour de Dieu. /Qu’il fallait faire grande différence entre les actions de l’entendement et celles de la volonté ; que les premières étaient peu de chose, et les autres tout : qu’il n’y avait qu’à aimer et à se réjouir avec Dieu.

« [114] Qu’il ne pensait ni à la mort, ni à ses péchés, ni au paradis, ni à l’enfer, mais seulement à faire de petites choses pour l’amour de Dieu, n’étant pas capable d’en faire de grandes ; qu’après cela il arriverait de lui tout ce qu’il plairait à Dieu, dont il n’était point en peine.

« [115] Qu’il était impossible, non seulement que Dieu trompât, mais même qu’il laissât longtemps souffrir une âme tout abandonnée à lui, et résolue de tout endurer pour lui. /Que, sur cette même expérience, quand il avait quelque affaire extérieure, il n’y pensait point par avance, mais que dans le temps nécessaire à l’action, il trouvait en Dieu comme dans un clair miroir ce qu’il était nécessaire qu’il fît pour le temps présent. Que depuis quelque temps il avait agi de la sorte sans aucun soin anticipé/Qu’il n’avait aucune mémoire des choses qu’il faisait et presque point d’advertance lors même qu’il s’y occupait : qu’en sortant de table il ne savait ce qu’il avait mangé.

« [118] Que notre sanctification dépendait, non du changement de nos œuvres, mais de faire pour Dieu ce que nous faisons ordinairement pour nous-mêmes.

« [122] Sentant en lui continuellement un si grand trésor, il n’est plus dans l’inquiétude de le trouver, il n’est plus en peine de le chercher, il lui est entièrement découvert, et libre d’y prendre ce qu’il lui plaît. /Il se plaint souvent de notre aveuglement et il s’écrie sans cesse que nous sommes dignes de compassion de nous contenter de si peu. Dieu, dit-il, a des trésors infinis à nous donner... [123] lorsqu’il trouve une... foi vive, il lui verse des grâces en abondance. C’est un torrent arrêté par force contre son cours ordinaire qui, ayant trouvé une issue, se répand avec impétuosité et avec abondance.... rentrons en nous-mêmes, rompons cette digue, faisons jour à la grâce, réparons le temps perdu.

« [133] comme une pierre devant un sculpteur de laquelle il veut faire une statue ; me présentant ainsi devant Dieu je le prie de former en mon âme sa parfaite image et de me rendre entièrement semblable à lui.

« [140] penser souvent à Dieu, le jour, la nuit, en toutes vos occupations, vos exercices, même pendant vos divertissements ; il est toujours auprès de vous et avec vous, ne le laissez pas seul : vous croiriez être incivil de laisser seul un ami.



1696 Molinos (1628 - 1696).

Le confesseur Miguel de Molinos (1628-1696) fut considéré à tort comme l’inventeur du quiétisme, ce qui s’accorde difficilement au manque d’originalité de sa Guià — qui ne réduit en rien la valeur de ce guide spirituel. Il mourut dans la prison de l’Inquisition romaine. Les documents du procès ont disparu, mais sa mémoire est aujourd’hui réhabilitée.  Nous séparons le profil que nous donnons de Molinos, première section, de la description d’une terrible journée d’abjuration organisée pour l’exemple par l’Inquisition et dont la portée se veut ainsi plus large, section suivante.

Molinos naît en Aragon, dans une simple famille paysanne. Prêtre en 1652, il occupe des postes de responsabilité dans l’Escuela de Cristo de Valencia et arrive à Rome en 1663 pour y activer une cause de béatification. Sa réputation de directeur spirituel s’accompagne de la publication d’écrits. Son prestige est tel que les premiers écrits qui attaquèrent directement sa doctrine sont mis à l’Index (1681). Mais la situation se retourne et il est arrêté en 1685 après avoir été plusieurs années en butte à l’hostilité. Il passe le reste de sa vie dans les prisons de l’Inquisition, période dont nous ne savons rien.

La Guià est présentée comme un simple manuel de doctrine orthodoxe1032 :

« L’expérience à laquelle Molinos fait appel n’est pas celle de la contemplation parfaite, mais celle du contact avec des âmes contemplatives. Au nom de la Guià (et partout ailleurs), jamais l’auteur ne fait appel à des expériences personnelles qui seraient proposées comme exemple ou paradigmes, à l’imitation de sainte Thérèse. Il s’agit d’une expérience impersonnelle, de type didactique, proposée comme norme et critère d’enseignement. C’est là, à notre sens, une observation d’importance primordiale pour l’interprétation correcte de Molinos. Son but n’est pas de disserter sur la contemplation... Ce qui l’intéresse c’est de servir de guide pratique... La spiritualité annoncée et proposée est irréprochable ; n’importe quel auteur, par exemple de l’école thérésienne, serait prêt à y souscrire. »

La Guià dépend de Falconi. Nous y avons retrouvé des passages cités presque textuellement1033. Sa première lecture donne l’impression d’un assemblage qui manque de cohérence, réalisé à partir de notes mises bout à bout. À la relecture n’apparaît toujours aucune doctrine saillante, mais se révèle une très fine et profonde expérience psychologique acquise auprès de dirigé(e)s.

Demeure une certaine dureté, fréquente chez les Espagnols, et un certain flottement qui laisse penser que l’on a affaire à un observateur précis, mais non pas à l’expérience elle-même, du moins sous sa forme la plus profonde. Peut-être que « le domaine de l’infus (mystique au sens strict) déborde son expérience personnelle et néanmoins son équivoque de base l’oblige à traiter de thèmes qui en relèvent et à y intervenir en sa direction spirituelle1034».

Molinos aborde dans un certain désordre, mais non sans charme et avec onction un grand nombre de thèmes dont se détachent les points suivants :

L’expérience seule importe :

« La science mystique n’est pas science de l’esprit, mais de l’expérience,… n’entre pas dans l’âme par l’ouïe, ni par la lecture assidue des livres, mais par la généreuse infusion de l’esprit divin. [trad. 1997, “Au lecteur”]. »

Marie est privilégiée par rapport à Marthe. La voie est  celle de la soumission à la Volonté divine afin d’être purifié par son in-action :

« Les âmes spirituelles sont ou extérieures ou intérieures. Nous appelons âmes extérieures celles qui cherchent Dieu au-dehors, par le raisonnement, l’imagination ou l’étude. Elles s’efforcent d’acquérir des vertus à force d’abstinences, d’austérité et d’ascétisme... Ce chemin est bon, mais il ne mène pas à la perfection.... § 2. Il y a d’autres âmes vraiment spirituelles... C’est dans un oubli complet de soi-même, dans une véritable résignation à la volonté de Dieu, dans une soumission parfaite, que, recueillie au plus profond d’elle-même, se tenant par la foi dénuée d’images, d’idées et de figures, en la présence du Seigneur, l’âme se concentre en Dieu, pleine de sérénité et de confiance. [trad. 1970, L.3, § 1] »

La primauté de l’action de la grâce sur l’ascèse est soulignée lorsque cette dernière provient de l’exercice d’une volonté humaine alors qu’elle n’est pas encore devenue naturelle. L’action divine est la source d’où proviennent une (apparente) ascèse et le détachement des biens spirituels :

« Vous ne parviendrez jamais à cet heureux état de béatitude par les travaux ou les mortifications que vous vous imposerez ni par des actes de résignation. Il faut que le Seigneur vous purifie intérieurement, qu’Il vous exerce comme Il le jugera à propos, Lui seul sachant comment purifier les âmes de leurs défauts secrets. Si, constante est votre persévérance, Dieu vous délivrera de votre attachement aux biens de ce monde. Il vous purifiera même de votre attachement aux biens surnaturels, tels que : communications intérieures, ravissements, extases, et autres grâces que nous considérons souvent comme le soutien et la consolation de l’âme. [1970, L.1, § 43] »

Tout cela conduit à une précieuse liberté :

« Pour se perfectionner, on s’efforce, dans la voie extérieure, d’accomplir sans cesse des actes vertueux. On essaie partout les moyens d’arracher le vice, de déraciner la après l’autre de la nature humaine des attachements ; mais tout cela en vain, car nous ne pouvons rien par nous-mêmes et nous ne sommes qu’imperfection et que misère. § 7. Dans la vie intérieure, c’est le Seigneur qui opère. Le recueillement plein de dévotion et la vertu deviennent plus forts ; les liens se rompent ; les imperfections disparaissent ; les passions s’évanouissent et l’âme se trouve libre, sans avoir attendu de la miséricorde divine la grâce qu’elle en reçoit. [1970, L.3, § 6]

Savez-vous comment beaucoup d’âmes arrêtent en elles l’afflux des grâces divines ? C’est en voulant agir, c’est en souhaitant de croître. Elles s’éloignent ainsi d’humilité intérieure et de l’anéantissement volontaire, et elles s’opposent aux merveilles que la bonté infinie voudrait opérer en leur faveur. [1970, L.3, §195]. »

Molinos conforte les âmes en peine de sécheresse :

« Sous ce voile de la sécheresse, Dieu est présent, c’est Lui qui œuvre en nous. Il veut se cacher à nos yeux, afin que nous demeurions humbles, car, si Sa présence nous était révélée, nous nous imaginerions avoir fait quelque chose de bon, pour être si proches du Seigneur, et cela seul éloignerait de nous cette Divine Présence. [1970, L.1, § 28.].

« Si, en effet, nous sentions et discernions ce qu’il opère dans nos âmes, le contentement et l’orgueil pénétreraient en nous. [1997, L.1, §28].

« [L’âme] ne sens pas… par conséquent l’âme ne sait pas si elle aime, et le plus souvent elle ne sent pas si elle agit. [1997, L.1, §35].

« Là où tu ne trouveras pas de douceur sensible, tu trouveras une porte pour pénétrer dans ton néant, en sachant que tu n’es rien, que tu ne peux rien, pas même avoir une bonne pensée. [1997, L.1, §78]. »

Sur le fil du rasoir…

« L’âme qui se trouve dans cet heureux état a deux choses à fuir. Tout d’abord l’activité de l’esprit humain, qui au lieu de mourir à lui-même veut toujours agir et discourir, attaché à ces actions, en sorte qu’il faut une grande fidélité et un absolu dépouillement pour s’élever jusqu’à être capable de ressentir les divines influences. L’habitude constante d’agir sans soumission empêche l’anéantissement de l’âme. § 134. Le second écueil à éviter est l’attachement à la contemplation même. On doit se défaire au-dedans comme au-dehors de tout ce qui n’est pas Dieu et ne se proposer autre chose que la volonté divine. [1970, L.3, § 133]. »

Conformité à la volonté divine par…

« Le mépris de soi-même... Une vénération profonde pour Dieu... De ces deux principes naît une conformité efficace et entière à la volonté divine, et c’est par elle que l’âme est conduite à l’anéantissement et à la transformation en Dieu. Cela se produit sans aucun mélange de ravissements, d’extases extérieures, de sentiments d’amour exalté... [1970, L.3, §188]. »

« D’un simple regard ou avec une amoureuse attention à Dieu, l’âme se présente comme un humble mendiant devant son Seigneur. [1997, L.1, §8].

En résumé, sobrement, mais confiant,

« Chemine avec une foi ferme, dans le silence qui sanctifie, mourant à ta propre personne et à tous ses talents, car Dieu est qui il est, et il ne change pas ; et il ne peut errer ni vouloir autre chose que ton bien. [1997, L.1, §13]. »

Demeurant calme malgré la division intime :

« On voit, pendant un violent orage, du sommet d’une haute montagne, la terre couverte de nuages épais ; les éclairs brillent ; la foudre et la grêle tombent pendant que cette hauteur reste inaccessible aux tempêtes et toute resplendissante de lumière dans un calme profond et une sérénité inaltérable. § 210. Il en est de même pour l’âme heureuse. Pendant que l’être inférieur est agité de maintes tribulations, de combats, de ténèbres, de désolations, de tourments et d’un vrai martyre, l’être supérieur est semblable à la cible élevée, éclatante de lumière, calme, sereine, tranquille, séjour de joie et de paix. § 211. La paix de cette âme pure, le contentement de son esprit, sa sérénité et son calme intérieur sont si intenses qu’ils brillent même au-dehors, comme un faible rayon et une étincelle de la divinité. [1970, L.3, §209]. »

Pour atteindre l’amour :

« L’âme alors voit aussi que la bonté et la beauté de son Dieu surpassent toutes les compréhensions humaines et que les créatures sont incapables de lui servir de guide dans la connaissance des choses divines. § 26. Alors, l’âme brûle d’amour et ne comprend pas comment elle aime ; elle est pleine de joie sans savoir pourquoi. § 28. Cette conformité est le joug aisé qui nous introduit dans la région de la paix et du calme intérieurs. [1970, Section I à IV, § 3]. »

Outre Denys, Bernard, Thomas, etc., Molinos invoque l’autorité de Jeanne de Chantal en restituant son texte :

« Mon esprit en sa fine pointe est une très simple unité : il ne s’unit pas… il ne se peut pas unir, mais demeurer uni ; l’âme voudrait bouger de là : elle n’y pense ni fait chose quelconque, sinon un certain enfoncement de désir… que Dieu fasse d’elle… tout ce qu’il lui plaira. » [1997, L.1, §90].  « Et cette lumière est que je ne dois jamais me regarder moi-même, mais cheminer les yeux fermés, appuyée sur mon bien-aimé, sans chercher ni à voir, ni à connaître le chemin par lequel il me guide, sans penser à rien… [id., § 98]. »

1698 Mectilde / Catherine de Bar (1614-1698)

Catherine/Mectilde de Bar naît le dernier jour de l’année 1614 à Saint-Dié1035. Elle fait profession chez les Annonciades en 1633. Nommée supérieure, elle fuit avec ses religieuses l’entrée de soldats en Lorraine et trouve refuge au monastère des bénédictines de Rambervillers puis à l’abbaye de Montmartre où elle passe l’année 1641. En Normandie elle rencontre Jean de Bernières et tout le groupe qui l’entoure, dont Jean Eudes et Marie des Vallées. En août 1643 elle reconstitue sa communauté à Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris. Elle se confie alors à Jean-Chrysostome de Saint­-Lô qui « trou­vait plus de spiritualité dans le petit hospice de Saint­-Maur que dans tout Paris ». Le 21 juin 1647, Mechtilde est nommée prieure du monastère du Bon-Secours à Caen, puis retourne à Rambervillers comme en août 1650. La guerre la chasse de nouveau ; on la retrouve en mars 1651 en pleine Fronde à Paris où elle rejoint ses sœurs de Saint-Maur réfugiées rue du Bac.

Elle reçoit quelques secours de son amie la comtesse de Chateau­vieux et s’ouvre pour la première fois de son dessein de fonder un monastère destiné à l’ado­ration perpétuelle du Saint-Sacrement, ce qui est accompli en 1654. La communauté s’accroît rapidement et en 1659 Mechtilde prend possession de son premier monas­tère, rue Cassette, puis commence ses fonda­tions : 1664, Toul avec l’appui d’Épiphane Louys, mystique sur lequel nous reviendrons; en 1666, agrégation du monastère de Rambervillers ; en 1669 de Notre-Dame de Consolation de Nancy. Les fondations se poursuivront jusqu’à sa mort survenue à Paris le 6 avril 1698 1036. Elle laisse comme testament les deux seuls mots : adhérer-adorer : « adorer Dieu dans le temple de notre âme, dans notre prochain, dans tout événement, et adhérer à cette « volonté de Dieu qui est Dieu même ». L’oraison est vue et vécue dans le même mouvement1037. De nombreux textes livrent le parfum de « conférences » adressées par la « sainte mère » à ses religieuses. Voici en quelques citations la substance de l’une d’entre elles :

« Pour moi, je ne veux que la sainteté, je veux tout donner pour l’acquérir. Vous me direz peut-être qu’elle est trop rigou­reuse et trop difficile à contenter. Hélas, qu’est-ce donc que ces sacrifices qu’elle exige de nous ? Que nous lui donnions de l’humain pour le divin, y a-t-il à balancer ? ... Laissez à cette divine sainteté la liberté d’opérer en vous, et elle vous divinisera, et je vous puis dire comme saint Paul que vous verrez et éprouverez ce que la langue ne peut expliquer, ce que l’esprit ne peut concevoir, ce que la volonté et le cœur ne peuvent espérer ni oser désirer. Mais personne ne veut des opérations de cette adorable sainteté. Presque toutes les âmes s’y opposent. Dès qu’elles se trouvent dans quelque état de sécheresse ou de ténèbres, elles crient, elles se plaignent, elles s’imaginent que Dieu les oublie ou les abandonne.

« Ah ! quelque désir que vous ayez de votre perfection, Dieu en a un désir infiniment plus grand, plus vif et plus ardent. Sa divine volonté ne peut souffrir vos imperfections. Sacrifiez-les donc toutes à toute heure et à tout moment, et vous deviendrez toute lumineuse. Mais l’on veut se donner la liberté d’aller partout, [91] de tout dire, tout voir, tout entendre, tout censurer, juger celle-ci, contrarier celle-là : ainsi l’on s’attire bien des sujets de distraction et de dissipation dont on ne se défait point si facilement. On sort de son intérieur, on ne veut point de captivité, point de recueillement.... Transportez-vous dans le Paradis, mes sœurs, je vous le permets....

«Il n’y a pas de plus ou de moins en Dieu, cela n’est que selon notre manière de voir les choses, mais pour parler notre langa­ge, on peut dire que la sainteté de Dieu est la plus abstraite de ses adorables perfections. Elle est toute retirée en elle-même. Si nous n’avons pas de grandes lumières,, des pénétrations extraordinaires et que nous ne soyons même pas capables de ces grâces éminentes, aimons notre petitesse et demeurons au moins dans l’anéantissement, sans retour sur nous-mêmes pour le temps et pour l’éternité. Ce n’est pas moi qui vous parle, je ne le fais pas en mon nom, je ne suis rien, et je suis moins que personne, mais je le fais de la part de mon Maître qui m’a mise dans la place où je suis. Finissons; je ne sais pas ce que je vous dis. Priez Notre-Seigneur pour moi1038.

Une autre conférence, datée de l’année 1694, livre l’intimité mystique vécue à la fin d’une longue vie qui fut riche en épreuves :

«Il n’est pas nécessaire pour adorer toujours de dire : «Mon Dieu, je vous adore», il suffit que nous ayons une certaine tendance intérieure à Dieu présent, un respect profond par hommage à sa grandeur, le croyant en vous comme il y est en vérité... C’est donc dans l’intime de votre [98] âme, où ce Dieu de majesté réside, que vous devez l’adorer continuellement. Mettez de fois à autre la main sur votre cœur, vous disant à vous-même : «Dieu est en moi. Il y est non seule­ment pour soutenir mon être, comme dans les créatures inani­mées, mais il y est agissant, opérant, et pour m’élever à la plus haute perfection, si je ne mets point d’obstacle à sa grâce»1039.

Une très belle lettre de 1667 — sur plus de deux milles qui nous sont parvenues — éclaire ainsi une âme scrupuleuse :

« À la mère Marie de saint François de Paule [Charbonnier] :

« Ayant appris que vous continuez d’être dans la douleur, j’ai cru que je devais vous dire ce que Notre Seigneur me donne sur vos dispo­sitions.

« Premièrement, je trouve que vous êtes tombée imperceptiblement dans une très grande réflexion et application à vous-même... je vous dis de la part de Dieu que vous êtes trop occupée de vos misères de vos péchés, de vos malices, de vos sacrilèges, de votre damnation, de votre enfer et de la perte que vous faites de Dieu. Je vois qu’au lieu d’aller à la mort de tout, vous avez réfléchi sur votre vide, et vous vous en êtes effrayée. Vous avez voulu y apporter remède par vos industries inté­rieures et, au lieu de trouver du secours, vous avez trouvé le trouble dans l’impuissance et l’enfer dans la pauvreté. Vous avez été abîmée dans la douleur, vous n’avez plus observé de règle ni de mesure. Vous avez pris des assurances de votre perte éternelle, bref tout est perdu, sans miséricorde, et il n’y a pas lieu d’espérer aucun retour. Ajoutez, si vous voulez, à tout ceci tout ce que votre esprit vous peut suggérer de vice et de péché. J’accorde tout. Soyez, si vous voulez, pis que tous les diables. Cela ne m’effraye et ne m’étonne pas. Vous n’avez de tout cela qu’un péché, c’est d’avoir quitté le néant pour quelque chose, d’avoir quitté l’état de mort pour prendre vie, d’avoir voulu être quelque chose en Dieu et dans la grâce, et vous n’êtes qu’un malheureux néant, qui doit être non seulement oublié de tout le monde, mais de Dieu même, vous croyant indigne de son souvenir. Si j’étais auprès de vous, je vous convaincrais des vérités que je vous dis, mais, ne le pouvant, je vous prie de prêter croyance à ce que ma plume vous dit. Et commencez [286] au moment que vous aurez vu ce que dessus à vous mettre à genoux, disant de cœur et de bouche : « mon Dieu et mon sauveur Jésus-Christ, je vous demande pardon d’avoir voulu être, et d’avoir empêché votre grâce de m’anéantir ; je reçois toutes mes misères en pénitence, et renouvelle en votre Esprit mon vœu de victime qui me destine à la mort et qui me prive de tous les droits que mon amour propre a prétendu avoir sur moi et de tous mes intérêts de grâce, de temps et d’éternité. Je vous rends tout sans réserve, et ne retiens pour moi qu’un néant en tout et partout pour jamais, pour vous laisser être et opérer en moi tout ce qu’il vous plaira. » Après cet acte, cessez vos examens, vos retours, vos réflexions, vos craintes, vos résistances à l’obéissance et à la communion. Nous vous ordonnons de la part de Dieu de vous tenir comme une bête dans la perte de tout et même de votre salut et perfection. Il n’est plus question de tout cela, mais seule­ment de vous tenir dans ce simple abandon avec tant de fermeté que, si vous voyiez l’enfer ouvert pour vous engloutir, vous ne feriez pas un détour de votre pur abandon pour vous en préserver.

« Voilà jusqu’où il faut mourir, et où vous ne voulez pas passer. Volon­tiers je vous gronderais de résister comme vous faites à la conduite miséricordieuse de Dieu ; ne permettez pas à votre esprit humain ni à votre raison de répliquer ni raisonner sur ce que nous vous ordonnons de faire. Marchez tête baissée sous la loi du Seigneur, il vous fait trop de grâce ; ne soyez pas si misérable que de le rejeter sous prétexte que vous l’offensez. Je vous défends de vous amuser à penser à vos péchés ni de regarder vos communions comme des sacrilèges. Perdez et abî­mez tous ces retours et réflexions dans l’abandon simple comme je vous le propose. Ne prenez aucune part en rien de ce qui se passe en vous ; soit bien, soit mal, laissez tout cela sans le discuter. Dieu en jugera et en fera ce qu’il lui plaira. Et vous, tenez-vous dans un néant éternel, qui ne voit plus, qui n’entend plus et qui ne parle plus pour soi-­même, ni pour autre. Mais je vous répète encore une fois, demeurez comme un mort à votre égard et même à l’égard de Dieu, comme ce qui n’est plus et qui ne doit plus être. Et si vous êtes fidèle à suivre la règle que je vous donne de la part de Dieu, vous trouverez ce que vous ne pouvez vous imaginer et que je ne dois point présentement vous expli­quer. Allez aveuglément où je vous mène, et croyez que par la grâce de Dieu je sais ce que je vous dis. Marchez sûrement dans l’obéissance, et ne laissez pas de prier Dieu pour celle qui est en Jésus toute à vous. Souvenez-vous donc de demeurer comme une bête en la présence du Seigneur, sans pensée, sans acte et sans force ; le néant n’a rien de tout cela.

«Lorsque vous serez dans la croyance que vous êtes damnée, laissez tout ce jugement à Dieu, croyant qu’il fera justice s’il vous met en enfer. N’en soyez pas plus inquiétée, laissez tout pour vous tenir encore au-dessous de tout l’enfer et des démons. Le rien n’est rien de tout cela1040.

Donnons des extraits d’une lettre où elle dirige et encourage une religieuse de Toul : 

« Ma chère Fille ... Je veux votre sainteté ; vous êtes une petite paysanne que l’on mène à la cour. On en veut faire une dame, on lui ôte ses vieux haillons et ses petites guenilles. Elle ne le peut souffrir, ne voulant point de robe plus belle ni plus riche, et s’y trouvant emprun­tée. Elle dit : « Ôtez-moi cela, donnez-moi mes hardes, j’aime mieux ma liberté que toutes ces belles choses ». Voilà votre portrait tout fait. Quand Dieu vous aura dépouillée, quelle perte ferez-vous ? Il veut vous ôter vos guenilles pour vous revêtir de Lui-même...

«Pourquoi pensez-vous que le Saint-Esprit ait descendu sur les Apôtres avec un grand vent et du feu? C’est que le vent renverse tout, mais étant cessé, les choses se peuvent relever. Il n’en est pas de même du feu, il consomme tout et ne fait aucune réserve. Donnez-vous au pouvoir du Saint-Esprit, et vous trouverez un exterminateur qui n’é­pargne rien : il met le feu partout. ... Vous avez trop de compassion sur vous-même; oubliez-vous une bonne fois, et laissez toutes vos, pensées et raisonnements à la porte, sans amuser à contester avec cette marmaille qui vous nuira si vous n’y prenez garde.... Toutes ces réflexions et tendresses de nature, et de compassion de vos propres intérêts, ne sont que des jeux de petits enfants qui crient devant les portes. Laissez-les crier tant qu’ils voudront. “Mais quel moyen de vivre? J’aimerais mieux perdre toutes créatures que de perdre le goût de Dieu”. C’est l’amour propre qui crie ainsi. ... Demeurez en paix...1041 .

De très nombreux passages montrent l’élan qu’elle tente de transmettre à ses nombreuses religieuses1042 :

« Rien ne charme Dieu comme une personne humble. Il se précipite dans cette âme avec la même vitesse comme vous voyez l’éclair qui précède le tonnerre ou un trait d’arbalète…1043 .

« Les saints ne sont remplis de Dieu qu’autant qu’ils se sont vidés d’eux-mêmes. Hélas ! si l’on nous pressait et que l’on nous réduisit en liqueur, l’on ne verrait qu’amour de nous-mêmes1044.

« Si la croix vous fait trop peur et que vous préfériez l’amour, aimez1045.

« Vous m’avez quelquefois demandé comment il faut prier pour le prochain. … quelquefois Dieu donne mouvement à l’âme de prier pour les misères d’autrui et, quand vous sentez en vous cette disposition, vous devez prier en la manière qu’on vous donne le mouvement. La plus ordinaire façon… c’est en foi, par un simple regard vers Dieu qui connaît les besoins de ses créatures ; vous le priez qu’Il les sanctifie toutes…1046» « Dieu est de soi, indépendant de toutes les créatures, et la créature n’est rien de soi et ne doit rien être pour soi. Dieu est, et vous n’êtes point 1047.

« N’ayez point de répugnance d’être en la présence de Dieu sans rien faire, puisqu’il ne veut rien de vous que le silence et l’anéantissement, vous ferez toujours beaucoup lorsque vous vous laisserez et abandonnerez sans réserve à sa toute-puissance1048. »

« L’oraison du cœur n’est autre chose que de croire Dieu dans son cœur, de l’y adorer et de se laisser amoureusement à lui. Cette oraison ne demande point d’autre instruction que les inventions que le Saint-Esprit inspire à l’âme. C’est l’amour divin qui en est le maître et le directeur, et voilà le secret ; les créatures ne doivent point s’ingérer de faire son office1049.

« Mais, me direz-vous, je me chagrine parce que je crois que ma sécheresse vient à cause de mes infidélités et qu’elles sont la marque de la disgrâce de Notre Sei­gneur. Ces raisons-là ne sont qu’amour-propre. Si c’est vos infidélités qui vous les ont attirées, vous les devez souffrir comme une pénitence que vous avez méri­tée. Il ne faut pas tant se réfléchir, il faut s’abandonner... ne pensons qu’à l’aimer, qu’à le contenter. Voilà l’unique nécessaire, tout le reste n’est rien1050.

« Car si, au dedans, il semble que les organes de l’âme soient obscurcis et comme impuissants de s’élever pour trouver Dieu, la vérité le fait posséder en foi puisqu’il est vrai qu’il nous envi­ronne, qu’il est tout notre être plus nous que nous-mêmes. Et si l’âme dit “Je ne puis être unie à Dieu à cause de mes impuretés”, je lui réponds qu’elle est en Dieu, qu’elle vit en Lui ... Si on savait le bien que l’âme reçoit de cette présence quand elle s’y exerce en foi à toute heure ! Elle se trouve investie de Dieu jusqu’à des pénétrations inexplicables. Tout notre mal est que nous ne voulons pas nous captiver sous cette loi d’amour et de simple application à Dieu présent1051 .


1711 Machrab (1657-1711)

Que faire de la poussière de ce corps et d'un esprit volage,

Si ma belle est loin de ma vue que faire de mon âme?



Pourquoi partir pour La Mecque sans vin ni amour,

Que faire de cette vieille bicoque abandonnée par Abraham?



Dois-je briser sur ma tête les huit enfers et les huit paradis?

Si je ne la trouve pas, que faire des deux mondes?



Je pose mes pieds au sommet du ciel,

Et prends la place de l'absence : que faire de cet espace?



Si chaque fragment de lumière n'est pas semblable au soleil,

Que faire, jusqu'à la fin des temps, du secret caché?



Toutes choses, à part Dieu, ô Machrab, sont étranges...

Si je tiens une rose à la main, que faire des épines ?1052



§



Le paradis et sa porte, les houris et les anges,

L'eau même de l'être je veux les vendre un sou, peut-être.



Si je crie « Je suis la Vérité », tous diront que c'est vrai

Comme Mansour, je veux mettre ma tête sous la potence1053.



Machrab, pour les flammes de ton amour, le feu de l'enfer

sera de l'eau,

Aux flammes de ton amour, je vais l'assécher.


1715 Fénelon (1651 - 1715)

Eh bien : c’est fait : je ne sais plus si j’aime,

Je ne veux plus songer à le savoir.

Dieu dans mon cœur s’aimera seul lui-même :

Il fera tout sans me le laisser voir.



Malgré un enthousiasme modéré pour les conversions forcées, Fénelon 1054 fut nommé à vingt-sept ans supérieur des Nouvelles Catholiques. Chargé de convertir les protestants saintongeais, aidé par son aîné Bossuet, il était promis à une brillante carrière. À trente-sept ans, en octobre 1688, il fit la rencontre décisive de Madame Guyon. Nommé l’année suivante précepteur du duc de Bourgogne, le succès de sa méthode éducative ouvrit tous les espoirs au parti dévot. Mais l’affrontement avec Madame de Maintenon et Bossuet, suivi d’un refus incompréhensible à leurs yeux d’abandonner madame Guyon à son sort, le conduisit à une disgrâce relative : nommé archevêque de Cambrai, il fut ainsi éloigné de la Cour. Lorsque les Maximes des Saints furent condamnées en mars 1699 par le bref Cum alias, Fénelon s’inclina immédiatement, mais conserva des relations avec Madame Guyon par l’intermédiaire d’un neveu et des pèlerins étrangers qui rendaient visite à la vieille dame de Blois. Il se révéla un pasteur attentif aux misères de la guerre, les soulagea autant que possible et mourut à soixante-quatre ans sans laisser ni fortune ni dettes.

Il fallut attendre 1907 et le travail d’un érudit originaire de Lausanne, ville proche de Morges où un groupe de disciples guyonniens perdura jusqu’en 1838, pour prouver l’authenticité de leur correspondence1055. Elle relate au jour le jour la « mise au monde » d’un mystique par une mystique servant de canal à la grâce1056. Le lecteur contemporain imprégné de psychanalyse qui interpréterait cette relation comme traduisant un érotisme frustré réduit à un connu élémentaire ce qui le dépasse. Madame Guyon a rencontré Fénelon le 13 septembre 1688, après qu’il lui eut été désigné par un rêve. Leur correspondance abordée avec honnêteté témoigne de la découverte expérimentale d’un au-delà du monde corporel et psychologique, qu’ils ont appelé Dieu.

Le fondement de la relation de Madame Guyon avec ses enfants spirituels était la communication de la grâce dans le silence d’un cœur à cœur qui se poursuivait même à distance. Elle va lui faire quitter peu à peu tous ses appuis, à commencer par le domaine de l’intellect auquel s’accroche cet homme raisonnable et scrupuleux :

Vous raisonnez assurément trop sur les choses [...] Je vous plains, par ce que je conçois de la conduite de Dieu sur vous. Mais vous êtes à Lui, il ne faut pas reculer. (Lettre 128).

Elle le ramène sans cesse à l’essentiel : “Il faut que nous cessions d’être et d’agir afin que Dieu seul soit.” (L. 26)

On mesure les difficultés de Fénelon : dans cette société profondément patriarcale, ce prince de l’Église à qui toute femme devait obéissance a dû s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce. Elle ne s’y trompe pas et lui dit carrément :

Il me paraît que c’est une conduite de Dieu rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille me donner ce qui vous est propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il l’a ainsi voulu. (L. 124).

Plus tard, elle lui écrira avec humour et tendresse :

Recevez donc cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que l’esprit de mon Maître qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une colombe [...],mais sous celle d’une petite femmelette. (L. 292).

Leurs deux tempéraments étaient opposés : il était un intellectuel sec et raisonnable, un esprit analytique très fin, un ecclésiastique rempli de scrupules ; elle était passionnée, parfois un peu trop exaltée, et surtout elle ne pouvait rien contre les « mouvements » de la grâce, si prompts qu’elle agissait et écrivait sans y pouvoir rien (L. 253). Elle s’excuse souvent de ce qu’elle est :

Dieu m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie votre sagesse, non en ne me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis. (L. 171).

On le voit peu à peu abandonner ses préjugés et ses peurs, il la rassure : Rien ne me scandalise en vous et je ne suis jamais importuné de vos expressions. Je suis convaincu que Dieu vous les donne selon mes besoins et il termine en souriant sur lui-même Rien n’égale mon attachement froid et sec pour vous. (L. 172).

Surtout il accède à l’essence même de la relation spirituelle :

Je ne saurais penser à vous que cette pensée ne m’enfonce davantage dans cet inconnu de Dieu, où je veux me perdre à jamais. (L. 195).

Il règne entre eux deux un rapport complexe d’autorité réciproque : bien qu’elle lui laisse son entière liberté, il sait bien que sa parole est vérité et avertissement divin (L. 220). Inversement, elle le considère comme signe de Dieu pour elle et lui affirme toujours sa soumission en tout :

Il n’y a rien au monde que je ne condamnasse au feu de ce qui m’appartient, sitôt que vous me le diriez […] Comptez, monsieur, que je vous obéirai toujours en enfant.  (L. 169).

Si Madame Guyon a été source de souffrances purificatrices pour Fénelon, il a été pour elle le support de projections psychologiques intenses, qui elles aussi ont été détruites par la Providence. Fénelon fut gouverneur du Dauphin de 1689 à 1695 et aurait pu devenir son Premier ministre après la mort de Louis XIV. Madame Guyon et son entourage ont rêvé d’une France enfin gouvernée par un prince bien entouré et imprégné de spiritualité, au point qu’elle s’est laissée aller à des prédictions à propos de ce prince : “Il redressera ce qui est presque détruit [...] par le vrai esprit de la foi.” (L. 184). On sait que le Dauphin mourut en 1712.

Madame Guyon lui donnait des conseils pour diriger certains amis, et il expérimente à son tour la communication de la grâce cœur à cœur avec ses propres disciples :

Je me sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma1057. Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme des petits enfants ensemble, et vous y êtes aussi quoique vous soyez loin de nous. (L. 266).

Ceci ne peut exister que dans son union avec elle, lui explique Madame Guyon :

Vous ne ferez rien sans celle qui est comme votre racine, vous enté en elle comme elle l’est en Jésus-Christ [...] Elle est comme la sève qui vous donne la vie. (L. 289).

Comme on le voit très clairement dans les lettres aux autres disciples, il s’est formé autour de Fénelon un cercle spirituel équivalent à celui de Madame Guyon à Blois, au point que tous les appelaient « père » et « mère ». Tout au long de ces années, Madame Guyon s’émerveilla de leur union si totale en Dieu : « Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni d’avec moi, ni être désuni d’avec moi sans sortir de Dieu. » (L. 271). Elle célèbre la liberté absolue de cette union au-delà de l’humain « au-dessus de ce que le monde renferme de cérémonies et de lois. »  Même sa mort en janvier 1715 ne pouvait les désunir :

Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoiqu’assez éloignée de lui, d’une douleur profonde, mais suave. Toute douleur cessa à sa mort et nous sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie. (L. 385 à Poiret).

L’état fixe d’oraison continuelle

Fénelon a collaboré aux “Justifications” de madame Guyon en présentant des auteurs latins et grecs. “La Tradition des ss. Pères du Désert sur l’état fixe d’oraison continuelle ou Examen de la IX. et X. Conférence de Cassien…” 1058 contient la belle description suivante :

Et il [Cassien] assure que l'Oraison et les vertus sont [336] inséparables, en sorte qu'on ne parvient à ce genre d'Oraison perpétuelle et sublime, qu'après avoir vidé du cœur tout ce qu'on en arrache en le purgeant et tous les débris des passions mortes […] Il faut donc qu'il y ait une certaine disposition fixe et habituelle de l'âme, toujours tournée vers Dieu par état, qui soit cette oraison continuelle, et que les affaires ni même les distractions continuelles ne puissent interrompre. Il faut qu'elle dure lors même que l'âme ne l'aperçoit point et que l'imagination présente d'autres objets. C'est une tendance secrète et continuelle de la volonté vers Dieu, qui n'est point un mouvement interrompu et par secousse ; mais une pente habituelle et uniforme, qui fait que la volonté par son état et par son fond ne veut plus que Dieu, et le laisse sans cesse faire tout en elle.

Cette union à Dieu ne peut être ni par effort [337] ni par excitation du coeur, ni par contention d'esprit ni par une vue distincte. Rien de tout cela ne peut être absolument continuel : car tout ce qui est distinct et marqué, ne l'est que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit ; d'où il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères. Aussi voyons-nous que ceux qui parlent de cette Oraison sans interruption, ne veulent pas même la nommer union, mais unité, pour en exclure toute action distincte. C'est ce que dit saint François de Sales1059 : c'est pour cela que le même saint dit que l'Oraison, dont il parle, dure même en dormant1060. C'est cette présence de Dieu que l'Écriture représente comme continuelle dans certains hommes de l'Ancien Testament1061 : Ils marchaient en la présence de Dieu. Toute leur voie, toute leur conduite , toutes leurs actions communes n'étaient que présence de Dieu.

On ne pense pas toujours à la lumière, mais on la voit toujours sans réflexion et c'est par elle qu'on voit tout le reste. Il en est de même pour certaines âmes. Elles ne pensent pas toujours à Dieu d'une façon distincte et aperçue : mais elles en ont toujours une certaine occupation d'autant plus secrète et confuse, qu'elle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes d'amour, mais ils aiment sans penser à aimer ; comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement [338] ni plaisir, ni intérêt, ni bonheur. L'âme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voilà donc un état où l'on fait Oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. C'est-à-dire que toutes les fois que l'âme s'aperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à faire des actes ; mais dans une conversion constante, habituelle, et fixe vers Dieu qui est une espèce d'unité avec lui. Dans le moment où l'âme aperçoit Dieu , elle ne commence point à s'unir ; mais elle se trouve déjà tout unie et elle sent qu’elle l'a toujours été, lors même qu'elle n'y pensait pas actuellement.

Voilà ce que les mystiques appellent état d'oraison continuelle.

Correspondances et opuscules

Fénelon écrivit beaucoup pour répondre à des besoins exprimés au gré des circonstances. De cette œuvre foisonnante sont rédigés à fins spirituelles 1062 des Opuscules, des lettres de direction, des contributions aux Justifications. Mais la grande édition critique de la Correspondance active et passive fut amputée des lettres que madame Guyon adressa à son dirigé 1063 tandis que les plus beaux textes de directions spirituelles de Fénelon choisis par des disciples qui enlevèrent dates et destinataires 1064 n’ont bénéficié de cette édition critique que tout récemment sous un titre qui ne retient guère l’attention 1065. Pourtant Fénelon analyse sans concession, avec grande finesse et complétude le domaine intérieur demeuré caché aux plus grands moralistes du XVIIe siècle, parce qu’il suppose un vécu mystique traversant les couches humaines les plus profondes. Proposons quelques extraits de l’édition de 1717-1718.

Tome second de la Correspondance 1066 :

Concluez, Madame, que, pour faire tout ce que Dieu veut, il y a bien peu à faire en un certain sens. Il est vrai qu'il y a prodigieusement à faire, parce qu'il ne faut jamais rien réserver ni résister un seul moment à cet amour jaloux, qui va poursuivant toujours sans relâche, dans les derniers replis de l'âme, jusques aux moindres attachements propres, jusques aux moindres attachements dont il n'est pas lui-même l'auteur. Mais aussi, d'un autre côté, ce n'est point la multitude des vues ni des pratiques dures, ce n'est point la gêne et la contention qui font le véritable avancement. Au contraire, il n'est question que de ne rien vouloir, et de tout vouloir sans restriction et sans choix, d'aller gaiement au jour la journée, comme la providence nous mène, de ne chercher rien, de ne rebuter rien, de trouver tout dans le moment présent, de laisser faire celui qui fait tout, et de laisser sa volonté sans mouvement dans la sienne. Ô qu'on est heureux en cet état, et que le coeur est rassasié, lors même qu'il paraît vide de tout ! [VI. Sur la dissipation et la tristesse (probablement adressé à madame de Chevreuse) 573, 85]

Quand on est ainsi prêt à tout, c'est dans le fond de l'abîme que l'on commence à prendre pied1067 ; on est aussi tranquille sur le passé que sur l'avenir. On sup­pose de soi tout le pis qu'on en peut supposer; mais on se jette aveuglément dans les bras de Dieu ; on s'oublie, on se perd ; et c'est la plus parfaite pénitence que cet oubli de soi-même, car toute la conversion ne consiste qu'à se renoncer pour s'occuper de Dieu. Cet oubli est le martyre de l'amour-propre ; on aime­rait cent fois mieux se contredire, se condamner, se tourmenter le corps et l'esprit, que de s'oublier. Cet oubli est un anéantissement de l'amour-propre, où il ne trouve aucune ressource. Alors le cœur s'élargit ; on est soulagé en se déchargeant de tout le poids de soi-même dont on s'accablait ; on est étonné de voir combien la voie est droite et simple. On croyait qu'il fallait une contention perpétuelle et toujours quelque nouvelle action sans relâche ; au contraire, on aperçoit qu'il y a peu à faire ; [Id. 577, 94]

Qui vous tendra la main pour sortir du bourbier ? Sera-ce vous ? Hé ! c'est vous-même qui vous y êtes enfoncé, et qui ne pouvez en sortir. De plus, ce bour­bier c'est vous-même ; tout le fond de votre mal est de ne pouvoir sortir de vous. Espérez-vous d'en sortir en vous entretenant toujours avec vous-même, et en nourrissant votre sensibilité par la vue de vos fai­blesses ? Vous ne faites que vous attendrir sur vous-­même par tous vos retours. Mais le moindre regard de Dieu calmerait bien mieux votre coeur troublé par cette occupation de vous-même. Sa présence opère toujours la sortie de soi-même, et c'est ce qu'il vous faut. Sortez donc de vous-même, et vous serez en paix. Mais comment en sortir ? Il ne faut que se tour­ner doucement du côté de Dieu, et en former peu à peu l'habitude par la fidélité à y revenir toutes les fois qu'on s'aperçoit de sa distraction. Pour la tristesse naturelle qui vient de la mélancolie, elle ne vient que des corps ; [Id. 578, 96]

Il est donc vrai que nous sommes sans cesse inspi­rés, et que nous ne vivons de la vie de la grâce qu'au­tant que nous avons cette inspiration intérieure. Mais, mon Dieu, peu de chrétiens la sentent ; car il y en a bien peu qui ne l'anéantissent par leur dissipation volontaire ou par leur résistance. Cette inspiration ne doit point nous persuader que nous soyons semblables aux prophètes. L'inspiration des prophètes était pleine de certitude pour les choses que Dieu leur découvrait ou leur commandait de faire; c'était un mouvement extraordinaire, ou pour révéler les choses futures, ou pour faire des miracles, ou pour agir avec toute l'autorité divine. Ici, tout au contraire, l'inspi­ration est sans lumière, sans certitude ; elle se borne à nous insinuer l'obéissance, la patience, la douceur, l’humilité […] Ce n’est point un mouvement divin pour prédire, pour changer les lois de la nature, et pour commander aux hommes de la part de Dieu […] elle n’a par elle-même, si l’imagination des hommes n’y ajoute rien, aucun piège de présomption ni d’illusion. [X De la parole intérieure (à Madame de Maintenon) 591-592, 109]

On est contristé et découragé quand le goût sensible et quand les grâces aperçues échappent ; en un mot, c'est presque toujours de soi et non de Dieu qu'il est ques­tion.

De là vient que toutes les vertus aperçues ont besoin d'être purifiées, parce qu'elles nourrissent la vie naturelle en nous. La nature corrompue se fait un aliment très subtil des grâces les plus contraires à la nature; l'amour-propre se nourrit, non seulement d'austérités et d'humiliations, non seulement d'orai­son fervente et de renoncement à soi, mais encore de l'abandon le plus pur et des sacrifices les plus extrêmes. C'est un soutien infini que de penser qu'on n'est plus soutenu de rien, et qu'on ne cesse point, dans cette épreuve horrible, de s'abandonner fidèle­ment et sans réserve. Pour consommer le sacrifice de purification en nous des dons de Dieu, il faut donc achever de détruire l'holocauste, il faut tout perdre, même l'abandon aperçu par lequel on se voyait livré ­à sa perte.

On ne trouve Dieu seul purement que dans cette perte de tous ses dons, et dans ce réel sacrifice de tout soi-même, après avoir perdu toute ressource inté­rieure. La jalousie infinie de Dieu nous pousse jusque-là, et notre amour-propre le met, pour ainsi dire, dans cette nécessité, parce que nous ne nous perdons totalement en Dieu, que quand tout le reste nous manque. C'est comme un homme qui tombe dans un abîme; il n'achève de s'y laisser aller qu'après que tous les appuis du bord lui échappent des mains. L'amour-propre, que Dieu précipite, se prend dans son désespoir à toutes les ombres de grâce, comme un homme qui se noie se prend à toutes les ronces qu'il trouve en tombant dans l'eau.

Il faut donc bien comprendre la nécessité de cette soustraction qui se fait peu à peu en nous de tous les dons divins. Il n'y a pas un seul don, si éminent qu'il soit, qui, après avoir été un moyen d'avancement, ne devienne d'ordinaire pour la suite un piège et un obs­tacle par les retours de propriété qui salissent l'âme. De là vient que Dieu ôte ce qu'il avait donné. Mais il ne l'ôte pas pour en priver toujours ; il l'ôte pour le mieux donner, et pour le tendre sans l'impureté de cette appropriation maligne que nous en faisons sans nous en apercevoir. La perte du don sert à en ôter la propriété; et, la propriété étant ôtée, le don est rendu au centuple. Alors le don n'est plus don de Dieu; il est Dieu même à l'âme. Ce n'est plus don de Dieu, car on ne le regarde plus comme quelque chose de distingué de lui et que l'âme peut posséder ; c'est Dieu lui seul immédiatement qu'on regarde, et qui, sans être possédé par l'âme, la possède selon tous ses bons plaisirs. [XI Nécessité de la purification de l’âme par rapport aux dons de Dieu… (adressé à Madame de Maintenon) 605-606, 171-172].

Le pur amour n'est que dans la seule volonté1068 ; ainsi ce n'est point un amour de sentiment, car l'ima­gination n'y a aucune part ; c'est un amour qui aime sans sentir, comme la pure foi croit sans voir. Il ne faut pas craindre que cet amour soit imaginaire, car rien ne l'est moins que la volonté détachée de toute imagination. Plus les opérations sont purement intel­lectuelles et spirituelles, plus elles ont, non seulement la réalité, mais encore la perfection que Dieu demande : l'opération en est donc plus parfaite ; en même temps la foi s'y exerce, et l'humilité s'y conserve. [XII Sur la prière (à Madame de Maintenon) 610, 44].

Il n'y a point de pénitence plus amère que cet état de pure foi sans soutien sensible ; d'où je conclus que c'est la pénitence la plus effective, la plus crucifiante, et la plus exempte de toute illusion. Étrange tenta­tion ! On cherche impatiemment la consolation sen­sible par la crainte de n'être pas assez pénitent ! Hé ! que ne prend-on pour pénitence le renoncement à la consolation qu'on est si tenté de chercher ? Enfin il faut se ressouvenir de Jésus-Christ, que son Père abandonna sur la croix; Dieu retira tout sentiment et toute réflexion pour se cacher à Jésus-Christ; ce fut le dernier coup de la main de Dieu qui frappait l'homme de douleur ; voilà ce qui consomma le sacrifice. Il ne faut jamais tant s'abandonner à Dieu que quand il nous abandonne. [XII Sur la prière 612, 47].

Il n'y a point de milieu : il faut rapporter tout à Dieu ou à nous-mêmes. Si nous rapportons tout à nous-mêmes, nous n'avons point d'autre dieu que ce moi dont j'ai tant parlé ; si au contraire nous rappor­tons tout à Dieu, nous sommes dans l'ordre ; et alors, ne nous regardant plus que comme les autres créa­tures, sans intérêt propre et par la seule vue d'ac­complir la volonté de Dieu, nous entrons dans ce renoncement à nous-mêmes que vous souhaitez de bien comprendre. [XIII Sur le renoncement à soi-même (à Madame de Maintenon) 615, 63].

Chacun porte au fond de son coeur un amas d'ordures, qui ferait mourir de honte si Dieu nous en montrait tout le poison et toute l'horreur ; l'amour-propre serait dans un supplice insupportable. Je ne parle pas ici de ceux qui ont le coeur gangrené par des vices énormes ; je parle des âmes qui parais­sent droites et pures. On verrait une folle vanité qui n'ose se découvrir, et qui demeure toute honteuse dans les derniers replis du cœur. … Laissons donc faire Dieu, et contentons-nous d'être fidèles à la lumière du moment présent. Elle apporte avec elle tout ce qu'il nous faut pour nous préparer à la lumière du moment qui suit ; et cet enchaînement de grâces, qui entrent, comme les anneaux d'une chaîne, les unes dans les autres, nous prépare insen­siblement aux sacrifices éloignés dont nous n'avons pas même la vue. [XIV Sur le détachement de soi-même (à Madame de Maintenon) 627, 77].

Les découragements inté­rieurs nous font aller plus vite que tout le reste, dans la voie de la foi, pourvu qu'ils ne nous arrêtent point, et que la lâcheté involontaire de l'âme ne la livre point à cette tristesse qui s'empare, comme par force, de tout l'intérieur. [XX De la tristesse (à Madame de Maintenon ?) 648, 87].

Nous sommes-nous faits nous-mêmes ? Sommes-nous à Dieu ou à nous ? Nous a-t-il fait pour nous ou pour lui ? À qui nous devons-nous ? Est-ce pour notre béatitude propre ou pour sa gloire que Dieu nous a créés ? Si c'est pour sa gloire, il faut donc nous conformer à l'ordre essentiel de notre création, il faut vouloir sa gloire plus que notre béa­titude, en sorte que nous rapportions toute notre béatitude à sa propre gloire. [XXIII Sur le pur amour (dissertation, à partir de 1697) 658, 251].

Ce n'est pas que l'homme qui aime sans intérêt n'aime la récompense; il l'aime en tant qu'elle est Dieu même, et non en tant qu'elle est son intérêt propre ; il la veut parce que Dieu veut qu'il la veuille ; c'est l'ordre, et non pas son intérêt qu'il y cherche ; il s'aime, mais il ne s'aime que pour l'amour de Dieu, comme un étranger, et pour aimer ce que Dieu fait. [Id. 659, 253].

Je suppose que je vais mourir; il ne me reste plus qu'un seul moment à vivre, qui doit être suivi d'une extinction entière et éternelle. Ce moment, à quoi l'emploierai-je ? Je conjure mon lecteur de me répondre dans la plus exacte précision. Dans ce der­nier instant, me dispenserai-je d'aimer Dieu, faute de pouvoir le regarder comme une récompense ? Renon­cerai-je à lui dès qu'il ne sera plus béatifiant pour moi ? Abandonnerai-je la fin essentielle de ma création ? Dieu, en m'excluant de la bienheureuse éternité, qu'il ne me devait pas, a-t-il pu se dépouiller de ce qu'il se doit essentiellement à lui-même ? [Id. 662, 257]

Platon fait dire à Socrate, dans son Festin1069, « qu'il y a quelque chose de plus divin dans celui qui aime que dans celui qui est aimé. » Voilà toute la délicatesse de l'amour le plus pur. Celui qui est aimé, et qui veut l'être, est occupé de soi; celui qui aime sans songer à être aimé a ce que l'amour renferme de plus divin, je veux dire le transport, l'oubli de soi, le désintéresse­ment. « Le beau, dit ce philosophe, ne consiste en aucune des choses particulières, telles que les animaux, la terre ou le ciel... mais le beau est lui-même par lui­-même, étant toujours uniforme avec soi. Toutes les autres choses belles participent de ce beau, en sorte que si elles naissent ou périssent, elles ne lui ôtent et ne lui ajoutent rien, et qu'il n'en souffre aucune perte; si donc quelqu'un s'élève dans la bonne amitié, il commence à voir le beau, il touche presque au terme1070. »

Il est aisé de voir que Platon parle d'un amour du beau en lui-même, sans aucun retour d'intérêt. C'est ce beau universel qui enlève le coeur, et qui fait oublier toute beauté particulière. Ce philosophe assure, dans le même dialogue, que l'amour divinise l'homme, qu'il l'inspire, qu'il le transporte. [Id. 667, 265].

Pourquoi aime-t-on mieux voir les dons de Dieu en soi qu'en autrui, si ce n'est par attachement à soi ? Quiconque aime mieux les voir en soi que dans les autres, s'affligera aussi de les voir dans les autres plus parfaits qu'en soi; et voilà la jalousie. Que faut-il donc faire ? Il faut se réjouir de ce que Dieu fait sa volonté en nous, et y règne, non pour notre bonheur, ni pour notre perfection en tant qu'elle est la nôtre, mais pour le bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire.

Remarquez là-dessus deux choses . l'une, que tout ceci n'est point une subtilité creuse, car Dieu, qui veut dépouiller l'âme pour la perfectionner et la poursuivre sans relâche jusqu'au plus pur amour, la fait passer réellement par ces épreuves d'elle-même, et ne la laisse point en repos jusqu'à ce qu'il ait ôté à son amour tout retour et appui en soi. [­XXIV L’amour désintéressé… 671, 274].

Cette vie de lumières et de goûts sensibles, quand on s'y attache jusqu'à s'y borner, est un piège très dangereux.

1. Quiconque n'a d'autre appui quittera l'oraison, et avec l'oraison Dieu même, dès que cette source de plaisir tarira. Vous savez que sainte Thérèse disait qu'un grand nombre d'âmes quittaient l'oraison quand l'oraison commençait à être véritable. […]

2. De l’attachement aux goûts sensibles naissent toutes les illusions. [XXV Que la voie de la foi nue et de la pure charité est meilleure et plus sûre… 674-675, 201-202].

C'est pourquoi il faut moins compter sur une fer­veur sensible et sur certaines mesures de sagesse que l'on prend avec soi-même pour sa perfection, que sur une simplicité, une petitesse, un renoncement à tout mouvement propre et une souplesse parfaite pour se laisser aller à toutes les impressions de la grâce. Tout le reste, en établissant des vertus éclatantes, ne ferait que nous inspirer secrètement plus de confiance en nos propres efforts. [XXVII De la confiance en Dieu 688, 103].

C'est donc, ô mon Dieu, ne vous point connaître que de vous regarder hors de nous, comme un être tout-puissant qui donne des lois à toute la nature, et qui a fait tout ce que nous voyons. C'est ne connaître encore qu'une partie de ce que vous êtes ; c'est ignorer ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus touchant pour vos créatures raisonnables. Ce qui m'enlève et qui m'attendrit, c'est que vous êtes le Dieu de mon coeur1071. Vous y faites tout ce qu'il vous plaît. Quand je suis bon, c'est vous qui me rendez tel ; non seule­ment vous tournez mon coeur comme il vous plaît, mais encore vous me donnez un coeur selon le vôtre. C'est vous qui vous aimez vous-même en moi; c'est vous qui animez mon âme, comme mon âme anime mon corps ; vous m'êtes plus présent et plus intime que je ne le suis à moi-même. Ce moi, auquel je suis si sensible et que j'ai tant aimé, me doit être étranger en comparaison de vous : c'est vous qui me l'avez donné ; sans vous il ne serait rien. Voilà pourquoi vous voulez que je vous aime plus que lui. [XXXII De la nécessité de connaître et d’aimer Dieu 701, 11].

C'est une fausse humilité, que de se croire indigne des bontés de Dieu, et de n'oser les attendre avec confiance […] Mais Dieu n'a besoin de rien trouver en nous : il n'y peut jamais trouver que ce qu'il y a mis lui-même par sa grâce. [40]

Presque tout ceux qui songent à servir Dieu, n'y songent que pour eux-mêmes. Ils songent à gagner, et point à perdre ; à se consoler et point à souffrir ; à posséder, et non à être privé ; à croître et jamais à diminuer. Et au contraire, tout l'ouvrage intérieur consiste à perdre, à sacrifier, à diminuer, à s'apetisser et à se dépouiller même des dons de Dieu, pour ne tenir plus qu'à lui seul. [147]

L'amour-propre malade est attendri sur lui-même, il ne peut être touché sans crier les hauts cris. [...]L'unique remède pour trouver la paix est de sortir de soi. Il faut se renoncer, et perdre tout intérêt propre, pour n'avoir plus rien à perdre, ni à craindre, ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté, c'est-à-dire à ceux qui n'ont plus d'autre volonté que celle de Dieu qui devient la leur. [165]

Lettres spirituelles (vol. 2 de 1718) :

Se livrer à la grâce par un choix libre, c'est sans doute y coopérer de la manière la plus réelle et la plus parfaite. Il n'y a donc point d'oisiveté, ni de cessation d'actes dans ces moments de recueillement et de paix où vous dites que notre travail doit cesser. Ce sont des moments où Dieu veut bien agir par lui-même. (Lettre 66, 124)

Ce n'est pas assez de se détacher : il faut s'apetisser. En se détachant, on ne renonce qu'aux choses extérieures, en s’apetissant on renonce à soi. (Lettre 85,154)

Dieu a retiré ces dons sensibles pour vous s'en détacher [...] Tournez-vous vers l'Amour tout-puissant et ne vous défiez jamais de son secours [...] quoiqu'il vous semble que vous n'ayez pas la force ni le courage de mettre un pied devant l'autre. Tant mieux que le courage humain vous manque ! [Lettre 109, 190-191]

Il me semble qu'il ne me reste plus ni force ni haleine pour respirer dans la souffrance. La croix me fait horreur, et ma lâcheté m'en fait aussi. Je suis entre ces deux horreurs à charge à moi-même. Je frémis toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion de souffrance. [...] Il y a en moi, ce me semble, un fonds d'intérêt propre, et une [198] légèreté dont je suis content. La moindre chose triste pour moi m'accable. La moindre, qui me flatte un peu, me relève sans mesure. [...] Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire quand il nous fait lire dans notre propre coeur. [Lettre 113].

[211] Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s'efface pas. Ce recueillement passif est très différent de l'actif, qu'on se procure par travail et par industrie en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci [le passif] n'est qu'un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l'objet distinct de nos pensées au-dehors, qu'il est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état ont fait en paix sans empressement ni inquiétude tout ce qu'on a à faire. L'esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action dès que l'activité de l'amour-propre commence à s'y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel, et remet l'âme avec Dieu pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état, l'âme est libre dans toutes les sujétions extérieures ; parce qu'elle ne prend rien pour elle de tout ce qu'elle fait. [...][212] Le silence que nous lui devons pour l'écouter n'est qu'une simple fidélité à n'agir que par dépendance, et à cesser dès qu'il nous fait sentir que cette dépendance commence à s'altérer. Il ne faut qu'une volonté souple, docile, et dégagée de tout, pour s'accommoder à cette impression. L'esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion. Ce n'est point une inspiration miraculeuse, qui expose à l'illusion et au fanatisme. Ce n'est qu'une paix du fond, pour se prêter sans cesse à l'Esprit de Dieu dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien [213] pratiquer que les commandements évangéliques. [Lettre 119].

Il faut imiter la foi d'Abraham, et aller toujours sans savoir où. On ne s'égare que par se proposer un but de son propre choix. Quiconque ne veut rien que la seule volonté de Dieu, la trouve partout de quelque côté que la Providence le tourne ; et par conséquent il ne s'égare jamais. Le véritable abandon n'ayant aucun chemin propre ni dessein de se contenter, va toujours droit comme il plaît à Dieu. La voie droite est de se renoncer, afin que Dieu seul soit tout et que nous ne soyons rien. J'espère que celui qui nourrit les petits oiseaux aura soin de vous. [Lettre 128, 224].

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C'est sur le rien qu'il n'y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n'a point un moi dont il s'occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l'être. Souffrez en paix, abandonnez-vous : aller comme Abraham, sans savoir où. Recevez des hommes le soulagement que Dieu vous donnera par eux. Ce n'est pas d'eux, mais de lui par eux qu'il faut les recevoir. Ne mêlez rien à l'abandon non plus qu'au rien. Un tel vin doit être bu tout pur et sans mélange : une goutte d'eau lui ôte toute sa vertu. On perd infiniment à vouloir retenir la moindre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure. [Lettre 162, 299]

Que puis-je être auprès de vous ! Mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement en lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous ; je porte avec vous votre croix et toutes vos langueurs. [Lettre 164, 305]

On serait tenté de croire que la faiblesse et la petitesse sont incompatibles avec l'abandon, parce qu'on se représente l'abandon comme une force de l'âme, qui fait par générosité d'amour et par grandeur de sentiments les plus héroïques sacrifices. Mais l'abandon véritable ne ressemble pas à cet abandon flatteur. L'abandon est un simple délaissement dans les bras de Dieu comme celui d'un petit enfant dans les bras de sa mère. L'abandon parfait va jusqu'à abandonner l'abandon même. On s'abandonne sans savoir qu'on est abandonné : si on le savait, on ne le serait plus ; car y a-t-il un plus puissant soutien qu'un abandon connu et possédé ? L'abandon se réduit non à faire de grandes choses qu'on puisse se dire à soi-même, mais à souffrir sa faiblesse et son impuissance ; mais à laisser faire Dieu sans pouvoir se rendre témoignage qu'on le laisse faire.(Lettre 171, 318)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu'une même chose. [...]Il ne faut être qu'un. Je ne veux connaître que l'unité. Tout ce que l'on compte au-delà vient de la division et de la propriété d'un chacun... Comme ceux qui n'ont qu'un seul amour sans propriété ont dépouillé le moi, ils n'aiment rien qu'en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire, chaque homme possédé de l'amour-propre n'aime son prochain qu'en soi et pour soi-même. Soyons donc unis pour n'être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu, sans ombre de distinction. C'est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C'est dans ce point indivisible que la Chine et le Canada se viennent joindre, c'est ce qui anéantit toutes les distances. (Lettre 172, 319-320)

Votre amour propre est au désespoir quand d'un côté vous sentez au-dedans de vous une jalousie si vive et si indigne, et quand d'autre côté vous ne sentez que distraction, que sécheresse, qu'ennui, que dégoût pour Dieu. Mais l'œuvre de Dieu ne se fait en nous qu'en nous dépossédant de nous-mêmes à force d'ôter toute ressource de confiance et de complaisance à l'amour-propre. Vous voudriez vous sentir bonne, droite, forte et incapable de tout le mal. Si vous vous trouviez ainsi, vous seriez d'autant plus mal que vous vous croiriez assurée d'être bien. Il faut se voir pauvre, se sentir corrompue et injuste, ne trouver en soi que misère, en avoir horreur, désespérer de soi, n'espérer plus qu'en Dieu, et se supporter soi-même avec une humble patience sans se flatter. (Lettre 195, 364-365)

Maximes des Saints

Terminons sur un extrait de l’Explication des Maximes des Saints ouvrage paru en 1697 et condamné en 1699 1072 :

Article XXXV, VRAI :

L'état de transformation dont tant de saints anciens et nouveaux ont si souvent parlé, n'est que l'état le plus passif, c'est-à-dire le plus exempt de toute activité ou inquiétude intéressée. L'âme paisible et également souple à toutes les impulsions les plus délicates de grâce, est comme un globe sur un plan qui n'a plus de situation propre et naturelle. Il va également en tous sens, et la plus insensible impulsion suffit pour le mouvoir. En cet état, une âme n'a plus qu'un seul amour et elle ne sait plus qu'aimer. L'amour est sa vie, il est comme son être et comme sa substance, parce qu'il est le seul principe de toutes ses affections. Comme cette âme ne se donne aucun mouvement empressé, elle ne fait plus de contretemps dans la main de Dieu qui la pousse : ainsi elle ne sent plus qu’un seul mouvement, savoir celui qui lui est [1082] imprimé, de même qu'une personne poussée par une autre ne sent plus que cette impulsion, quand elle ne la déconcerte point par une agitation à contretemps. Alors l'âme dit avec simplicité après saint Paul : Je vis, mais ce n'est pas moi, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. Jésus-Christ se manifeste dans sa chair mortelle, comme l'apôtre veut qu'il se manifeste en nous tous. Alors l'image de Dieu, obscurcie et presque effacée en nous par le péché, s'y retrace plus parfaitement et y renouvelle une ressemblance qu'on a nommée trans­formation. Alors si cette âme parle d'elle par simple conscience, elle dit comme sainte Catherine de Gênes Je ne trouve plus de moi; il n’y a plus d'autre moi que Dieu. Si au contraire elle se cherche par réflexion, elle se hait elle-même en tant qu'elle est quelque chose hors de Dieu; c'est-à-dire qu'elle condamne le moi en tant qu'il est séparé de la pure impression de l'esprit de grâce, comme la même sainte le faisait avec horreur. Cet état n'est ni fixe ni invariable. Il est vrai seulement qu'on ne doit pas croire que l'âme en déchoie sans aucune infidélité, parce que les dons de Dieu sont sans repentir et que les âmes fidèles à leur grâce n'en souffriront point de diminution. Mais enfin la moindre hésitation ou la plus subtile com­plaisance peuvent rendre une âme indigne, d'une grâce si éminente.




1717 Jeanne-Marie Guyon (1648 - 1717)

Seconde longue section après celle consacrée à Fénelon !

Une vie courageuse

La timidité et le respect des conventions par la jeune femme au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affrontent avec intelligence une coalition des structures civiles et religieuses. Après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision ample et paisible qui associe le respect des traditions chrétiennes à une grande liberté. 

   La petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Elle sait comment éviter un simulacre de martyre en leur objectant de manière décidée1073 : “Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de mon père !” Sa demi-sœur religieuse du côté de son père l’éveille à la vie de l’esprit, mais la jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent l’adolescence.

Elle est mariée à seize ans avec un mari âgé : “J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre qui était de pleurer… L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche. Après douze ans de mariage, son mari qu'elle assista avec constance lui donne des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens.” 

À trente-deux ans, la riche veuve part ‘pour Genève’ : “Je donnai dès Paris … tout l'argent que j'avais … Je n'avais ni cassette fermant à clef, ni bourse.” À Gex, on lui propose l'engagement et la supériorité des Nouvelles Catholiques, religieuses chargées d’élever des filles d’origine protestante, mais elle refuse, car “certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas”. 

Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papiers, sans peine et sans aucun souci de l'avenir, elle compose à Thonon les Torrents : “Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire … Je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole.” Elle découvre une autre manière de converser avec son confesseur Lacombe : “J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait … Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence.” Autre manière qui s’étend à des proches.

Suivent des séjours fructueux à Turin, capitale du royaume de Savoie-Piémont, à Verceil (Vercelli) pendant près d’une année, puis de retour en France, à Grenoble.

À trente-huit ans, elle arrive en juillet 1686 à Paris, peu avant la chute du quiétiste Molinos en 1685 suivi de sa condamnation romaine (décret de l'Index porté le 22 novembre 1689). Des jalousies entre religieux firent entendre que le père Lacombe, d’origine italienne, était son ami ; il est arrêté. Et de même madame Guyon, à qui l’on signifia que “l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule … au mois de juillet dans une chambre surchauffée.” On veut en effet marier sa fille au neveu dissolu de l’archevêque de Paris.

Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter une petite maison éloignée du monde. Estimée par madame de Miramion, elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr madame de Maintenon lui marquait “beaucoup de bontés.” Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet qui accède au manuscrit de la Vie écrite par elle-même  : il la considère comme si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait “une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu.”

Cela ne dure pas. Elle a quarante-sept ans lorsque commence à partir de l'été 1693 une seconde et longue période d’épreuves. Son Moyen court est saisi lors d'une visite canonique. Elle se rend spontanément au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle conquiert l’estime des religieuses tandis qu’elle est malmenée par l'évêque Bossuet, soumis lui-même aux pressions de madame de Maintenon ; les causes du changement d’attitude de l’épouse secrète du Grand Roi ne sont pas clairement établies : interviennent l’attitude de Fénelon opposé à son mariage, la crainte du scandale, une jalousie spirituelle.

Madame Guyon est saisie de corps et enfermée par lettre de cachet à Vincennes (27 décembre 1695).  Les interrogatoires se succèdent : ils durent parfois une journée. Transférée à Vaugirard dans un couvent-prison constitué pour l'occasion, “la gardienne venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère.” On bascule de la contrainte à la terreur et son confesseur imposé lui “dit un jour qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir … défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre.” Après un chantage exercé sur ses proches sans succès, elle est embastillée.

L’archevêque de Paris s’abaisse à lui présenter une lettre forgée attribuée au Père Lacombe tandis que le confesseur  lui dit : ‘ On vous perdra.’ On la sépare de ses filles de compagnie qui seront maltraitées : “Il y en a encore une dans la peine [tourment] depuis dix ans ... L’autre dont l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on ne pût jamais tirer un mot d'elle contre moi … elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur.” On les remplace par une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi.

Un prisonnier tente de se suicider ? Elle explique: “Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté … sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir … Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question.”  

Âgée de cinquante-quatre ans, elle est libérée le 24 mai 1703. Durant ses douze dernières années à Blois, elle reste en relation avec Fénelon et forme des disciples français et étrangers qui rapportent :

Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais] comme une mère avec ses enfants. … ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence et lui en demandait son avis, elle leur répondait : “Oui mes enfants, comme vous voulez.” … Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle.

Elle meurt en paix à l'âge de soixante-neuf ans, le 9 juin 1717.

Une oeuvre préservée et d'influence souterraine

 L’intérêt des écrits mystiques de madame Guyon provient non seulement de leur valeur intrinsèque, mais également de leur excellente préservation. Ils furent assez largement édités de son vivant tandis que de nombreux manuscrits furent rassemblés à l’époque du procès - les « rencontres d’Issy » qui eurent lieu en 1694 et 1695 - puis furent copiés par des membres du cercle qu'elle animait et enfin préservés. En fait on possède tout ce qu’elle a écrit (à l’exception d'écrits de jeunesse qu'elle n'a pas jugé bon de conserver et de lettres perdues), ce qui est très exceptionnel, car un auteur mystique ne se préoccupe généralement pas de la survie de son œuvre écrite. L'essentiel du corpus vient récemment d’être rendu de nouveau accessible 1074.

 L'influence de l'oeuvre demeura souterraine pour plusieurs raisons : l’auteur livre des informations ordinairement tenues cachées ; il ne se soucie guère de la mise en forme par souci de ne pas interférer avec la spontanéité de l’inspiration ; vu du monde catholique de l’époque, le rôle des éditeurs ministres protestants Poiret puis Dutoit et la présence parmi les proches de la fin de sa vie à Blois de nombreux Écossais, Hollandais, Suisses - qu’elle n’incite d’ailleurs pas à se convertir - n’est-il pas détestable ? Vu du monde protestant, demeure l’équivoque d’une femme qui s’est occupée au début de sa vie publique de Nouvelles Catholiques converties après la révocation de l’édit de Nantes, et qui n’a jamais rejeté la messe ni les sacrements.

 Il s’agit plus intimement de l’appréciation difficile d’écrits qui abordent la communication en prière silencieuse et le rôle apostolique du mystique. Des réactions compréhensibles sur ces points délicats ne sont pas atténuées par une appartenance religieuse, comme cela fut le cas par exemple pour Marie de l’Incarnation, l’autre grande mystique du siècle. Car ils mettent ici en cause le rôle d'enseignement assumé par des clercs - dont quelques-uns s'emparent parfois indûment du rôle de médiateur réservé à Jésus-Christ.

La liste des défenseurs qui ont surmonté une certaine « étrangeté » est cependant de qualité : on en détachera sur trois siècles les noms de Fénelon, des éditeurs Poiret et Dutoit, des érudits Chavannes, Masson,  Brémond, du philosophe Bergson, et plus récemment, de l'abbé Cognet, de la romancière Mallet-Joris, de madame Gondal, de nombreux érudits.

Son très large spectre

 L’expérience intime, l’enseignement qui constitue un système cohérent, la connaissance des deux Traditions scripturaire et mystique offrent des approches de la vie mystique qui se complètent harmonieusement, cas très rare de compétences assurées simultanément en ces domaines distincts. 

 En premier lieu, les témoignages de sa vie et de son expérience intérieure se distinguent par une grande acuité psychologique propre au siècle de Racine et par un fort désir de comprendre tout ce qui lui arrive, dont elle ne trouve pas autour d’elle une explication satisfaisante. On note, surtout dans des écrits de jeunesse, une forte volonté appliquée à ne rien laisser sans tenter une explication, défaut dont elle se corrigera ensuite. Elle demeurerait ensuite , dit-on, « bavarde » : en fait cette abondance est liée à l'irruption toute moderne de la dimension subjective psychologique. Elle influera plus particulièrement des auteurs sensibles à cette dimension, tels Rousseau, Constant, Amiel.

 En second lieu, un enseignement est mis en forme dont témoigne tôt le Moyen court qui a atteint un large public avant sa condamnation grâce à la simplification qui caractérise ce texte direct. Cette simplification vient de l’affranchissement vis-à-vis de tout moyen préalable qui apparaît trop souvent comme une condition humaine posée en préalable à l’exercice de la grâce divine. Acquis théologiques et dogmatiques, méthodes de prières et exercices, sélections sociales ou culturelles sont écartés ; seul demeure le recours à l’expérience intérieure faisant appel à la médiation du « petit maître » Jésus. Cette simplification permet une ouverture à tous, car la liberté sauvage des torrents est préférable aux canaux faits de mains d’hommes. Ceci pouvait faire peur aux hommes du métier. À leur décharge, les événements vécus dans les convulsions de la Réforme et Contre-réforme étaient encore proches et peu encourageants. Cette remise en cause par l’intérieur de l’ordre traditionnel sera d’ailleurs appliquée au siècle des Lumières sous une forme subversive qui conduira à des révolutions politiques et sociales.

 En troisième lieu, un recours aux Traditions confrontées avec l’expérience intérieure a conduit aux très amples Explications de l’Écriture et du Nouveau Testament complétées dix ans plus tard par les Justifications, large anthologie de textes mystiques assemblée autour de thèmes annoncés par des mots-clefs et toujours actuels.

Un enseignement qui couvre la carrière mystique

 On peut distinguer chez Madame Guyon et chez ses prédécesseurs Bertot et Bernières, comme chez la majorité des mystiques, sans en faire le seul système possible, trois périodes s’étendant chacune sur plusieurs années :

 La découverte de l’intériorité, accompagnée d’une simplification et d’une pacification progressive peut s’accompagner d’événements intimes variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs instants ou états pouvant durer des jours. Leur caractère extraordinaire a toujours attiré une attention exagérée au détriment de la dynamique vitale qu’ils alimentent, de la part de scrutateurs qui ont vite fait de repérer dans ces phénomènes divers alliages impurs de la nature à la grâce. Très utiles pour confirmer le commençant dans sa voie, ils relativisent les jouissances, réelles et bonnes, dont notre nature est capable. Ils substituent l’expérience réelle directe aux croyances.

 De longues années de désappropriations correspondent au stade de purification décrit par tous. Le terme de « purification » est ambigu dans la mesure où il risque de laisser croire qu’elle conduirait à son terme à un « nous-mêmes » délivré de ses défauts !  Le « nous-mêmes » ne pourra subsister. Sera-t-il transformé ou fondu dans une « vastitude », appelant la comparaison classique de la  goutte d’eau dans l’océan ? Mais cette fusion ne voit disparaître ni les capacités, ni les infirmités, ni la structure individuelle, même si cette dernière s’efface à la mort ; elle permet leur mise au service de ce qui vient prendre la place centrale au cœur de la structure, comme l’exprime l’apôtre Paul dans le verset repris le plus fréquemment par madame Guyon : « Et je vis, non plus moi-même ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi » [épître aux Galates, 2, 20].  Des épreuves sont fréquentes durant cette longue période - sans lesquelles l’amour propre ne serait jamais réduit en cendre pour laisser place à une renaissance dans le pur amour. 

 Cette naissance à une vie nouvelle peut très exceptionnellement permettre une transmission. Le terme de vie  « apostolique » souvent utilisé par Madame Guyon se réfère directement à la description imagée des Apôtres lorsqu’ils sont compris par tous leurs « auditeurs » après leur Pentecôte : ce n’est pas leur discours qui compte - il ne pouvait être entendu physiquement en diverses langues ! mais ce qui passe de cœur à cœur  à travers les mots et qui peut aussi bien être transmis en silence.

Nous suivons ici une séquence au fil d'oeuvres prises dans l’ordre presque chronologique : Moyen court, Torrents, Vie par elle-même,  plus largement dans les Discours qui concernent la vie intérieure rassemblant de nombreux opuscules qui circulaient à la fin de sa vie dans le cercle des disciples, enfin dans une Correspondance longtemps demeurée inédite. Dans ces textes, appelés par l’urgence et rédigés sans repentir, les événements de la vie concrète, la vie intérieure à l’écoute de la grâce, l'enseignement mystique perçus et mis au service du « petit maître » et médiateur Jésus, forment une tresse.

Moyen court

Le Moyen court fut édité dès 1685 à Grenoble, avant même le début de l'apostolat parisien, et fut un succès de librairie réédité à Lyon, Paris, Rouen, avant d'être repris par l'éditeur protestant Pierre Poiret - au total 7 éditions se succèdent jusqu'en 1720. Seul texte normatif de madame Guyon publié dans le Royaume avant 1700, il lance sur le chemin du long pèlerinage mystique. Pour les débutants, Mme Guyon suggère de pratiquer l’oraison en s’appuyant sur une lecture :

 Après s'être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s'arrêter doucement dessus non avec raisonnement, mais seulement pour fixer l'esprit, observant que l'exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l'esprit que pour l'exercer au raisonnement [Chapitre II].

Elle regrette qu’on n’enseigne pas l’oraison, car

Le Royaume de Dieu est au-dedans. […] Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas à jouir de leur fin [Ch. III] .

Comme l’on n’est pas toujours orienté vers Dieu, elle reconnaît la nécessité de parfois « faire des actes » :

Si je suis tourné vers la créature, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu. […] Jusqu'à ce que je sois parfaitement converti, j'ai besoin d'actes pour me tourner vers Dieu [Ch. XXII, §2].

Il ne s’agit donc pas de « rêver sur son balai », comme telle pensionnaire de Saint-Cyr ! Une comparaison éclaire le passage de l’acte « volontaire » à la coopération naturelle au travail de la grâce :

Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l'arracher de là pour le mettre en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent aisément du côté qu'ils veulent aller. Lorsque l'âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut, avec bien des efforts, la tirer de là : il faut défaire les cordages qui la tiennent liée. Puis ramant par le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de l'attirer au-dedans, l'éloignant peu à peu de son propre port…

Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte […] plus il s'éloigne de la terre, moins il faut d'effort pour l'attirer. Enfin, on commence à voguer très doucement et le vaisseau s'éloigne si fort qu'il faut quitter la rame, rendue inutile. Que fait alors le pilote ? Il se contente d'étendre les voiles et de tenir le gouvernail.

Torrents

 Les Torrents décrivent le parcours mystique à l’image de la Dranse, petite rivière au cours irrégulier issue des Alpes, qui termine sa course dans le lac Léman près de Thonon, où séjourna madame Guyon. Facilement accessible, ce texte connu, composé relativement tôt, dès la fin 1682, ne fut publié que tardivement par Poiret (1704, 1712, 1720). Il faut apprécier son contenu comme traduisant une expérience encore récente - Madame Guyon est âgée de trente-cinq ans environ lorsqu’elle rédige rapidement le texte. Mais il est très précis malgré un style souvent lyrique. Voici des extraits sautant loin devant sur le chemin ouvert précédemment.

 La lente purification ou « mort » mystique mène à la vie divine sans limitation visible :

  Chapitre 7.

  5. Ce degré de mort est extrêmement long et dure quelquefois les vingt et trente années à moins que Dieu n'ait des desseins particuliers sur les âmes. … 30. Ici Dieu va chercher jusque dans le plus profond de l'âme son impureté [impureté foncière, qui est l'effet de l'amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire. Ajout de l’édition de 1720]. Il la presse et la fait sortir. Prenez une éponge qui est pleine de saletés, lavez-la tant qu'il vous plaira : vous nettoierez le dehors, mais vous ne la rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l'éponge pour en exprimer toute l'ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C'est ainsi que Dieu fait : il serre cette âme d'une manière pénible et douloureuse, puis il en fait sortir ce qu'il y a de plus caché.

  Chapitre 9.

  5. Il faut remarquer que comme elle n'a été dépouillée que très peu à peu et par degré, elle n'est enrichie et revivifiée que peu à peu. Plus elle se perd en Dieu, plus sa capacité devient grande : comme plus ce torrent se perd dans la mer, plus il est élargi et devient immense …

  6. Cette vie divine devient toute naturelle à l'âme. Comme l'âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus, elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien. Il n'y a plus d'amour, de lumières, ni de connaissances. Dieu ne lui paraît plus comme autrefois quelque chose de distinct d'elle, mais elle ne sait plus rien sinon que Dieu est et qu'elle n'est plus, ne subsiste et ne vit plus qu'en lui.

 Vie par elle-même

 Cette autobiographie fut rédigée tout au long de la vie, en plusieurs reprises, et parfois en prison, entre 1683 et 1709. C’est ce qui explique des reprises, une modification progressive du style, mais surtout l’extraordinaire qualité intuitive et vivante d'un récit toujours proche des événements. Nous en citons ici un court passage extrait de la conclusion rédigée par la vieille dame qui a traversé les plus grandes épreuves :

  3.21. L’état simple et invariable  [dernières pages de la troisième partie de la Vie].

  Dans ces derniers temps je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions, c’est que mon état est devenu simple et invariable. …  Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu'il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir ni penser. … [Décembre 1709]. 

Discours

 Madame Guyon ne va pas s’arrêter sur cette perte dans l’immense : elle va former des disciples français et étrangers, catholiques et protestants. Des opuscules rassemblent les points communs expérimentaux et répondent aux uns et aux autres. Parfois issus de lettres, ils furent rassemblés sous le titre de Discours chrétiens et spirituels … qui concernent la vie intérieure, publiés en 1716. Le titre n’est guère attirant pour notre époque, mais les écrits qu’il recouvre sont les plus achevés de la mystique. L’ouverture de cette collection de textes est un appel à gravir le mont qui rassemble à son sommet tous les mystiques :

  1.01 De deux sortes d’Écrivains des choses mystiques ou intérieures1075.

  … comme une personne qui est sur une montagne élevée, voit les divers chemins qui y conduisent, le commencement, le progrès, et la fin où tous les chemins doivent aboutir pour arriver à cette montagne, on voit avec plaisir que ces chemins si éloignés se rapprochant peu à peu et enfin se joignant en un seul et unique point, comme des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se rapprochent insensiblement. On voit aussi alors, avec douleur, une infinité d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir point quitter l’entrée de leur chemin, d’autres pour ne vouloir pas franchir certaines barrières qui traversent de temps en temps leur chemin...

 L’amour est le « moyen » utilisé pour connaître Dieu, dans la tradition de la mystique affective, mais non sensible, particulièrement développé chez des franciscains, des chartreux et des carmes. La belle image d’une balance lie notre abaissement et l’élévation vers Dieu :

  1.49 Divers effets de l’amour.

  … Plus il y a de charité dans une âme, plus il y a d’humilité - de cette humilité profonde qui, causée par la réelle expérience de ce que nous sommes, fait que, quand nous le voudrions, nous ne pourrions nous attribuer aucun bien. Car l’esprit d’amour est aussi un esprit de vérité. En sorte que l’amour fait ces deux fonctions, qui n’en sont qu’une, qui est de nous mettre en vérité sitôt que nous sommes en charité, car l’amour est vérité. Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance : plus vous la chargez, plus elle s’abaisse et plus elle s’abaisse d’un côté, plus elle s’élève de l’autre. Plus le poids de l’amour est grand, plus elle s’abaisse au-dessous de tout et plus l’autre côté de la balance s’élève vers cet amour-vérité qui fait connaître ce que Dieu est et ce qu’Il mérite. Tout s’élève pour rendre gloire à Dieu et pour L’aimer au-dessus de tout, à mesure que nous sommes plus rabaissés.

 Cet amour est pur, net et droit, sans retour sur soi et sans motif intéressé ; sa forme passive est proprement « mystique », cachée par sa lumière même, parce qu’elle reçoit tout de Dieu, dépasse tout entendement et ne peut être décrite ; c’est Dieu lui-même qui agit :

  1.53 Du repos en Dieu.

  … Pour aimer Dieu comme Il le mérite … il faut L’aimer d’un Amour pur, net, droit, qui ne regarde que Lui-même : il faut que cet amour surpasse toutes choses et soi-même, sans qu’il lui soit permis d’avoir d’autre regard ni retour sur aucun objet que sur Dieu même en Lui-même, pour Lui-même. Toute autre vue ou motif est indigne de Dieu et n’est pas le pur amour, qui est seul proportionné, sans proportion, à ce que Dieu est. Il aime Dieu dans la totalité de ce qu’Il est : il aime, comme dit saint Denis, le beau pour le beau1076 … C’est ainsi qu’on aime Dieu dans le ciel, sans retour ni raison d’aimer. L’amour est la seule raison d’aimer, l’amour est la récompense de l’amour. Et comme la foi ne discerne rien en Dieu et croit ce qu’Il est dans Sa totalité, l’amour ne discerne rien, mais il aime Dieu dans Sa totalité.

  … Ensuite elle devient passive, recevant les pures lumières de l’Esprit de Dieu sans y rien ajouter, faisant cesser les lumières du propre esprit. Puis la lumière de Dieu qui devient plus abondante fait cesser nos propres limites, les mettant en obscurité, comme la lumière du soleil fait disparaître celle des étoiles. Et c’est alors que la foi pure et nue, que la lumière de vérité s’empare de l’esprit, le fait défaillir et mourir à toute lumière et action propre pour recevoir passivement la vérité telle qu’elle est en elle-même et non en image. La volonté est ensuite privée de toute action propre, d’amour, d’affections, de toute action, quelle qu’elle soit, pour recevoir purement l’action de Dieu, soit qu’Il la purifie ou qu’Il la vivifie. Et c’est l’amour qui fait toutes ces choses, pour être lui-même l’action de la volonté.

  1.60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu.         

  Vous me demandez la différence de ceux qui sont saints en eux-mêmes et de ceux en qui Dieu seul est saint. Quoique j’aie expliqué diverses fois cette différence, je vous en dirai quelques mots. Les premiers sentent et connaissent leur sainteté, elle leur sert d’appui et d’assurance. Leurs œuvres leur paraissent des œuvres de justice, dont ils attendent des récompenses et des couronnes.

  ... Ceux en qui Dieu est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la perte de toute leur propriété et de tous les apanages de la volonté propre…

 La voie mystique n’est pas une voie de facilité, même si elle ne requiert pas un effort volontaire et une pratique constante des œuvres ; elle inclut parfois la nuit achevant l’abandon par la perte de soi-même :

  1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets.

  Aussi est-ce la conduite de Dieu que nous pouvons voir pas à pas. Dieu ôte à l’âme tout appui extérieur pour la perdre dans l’intérieur. Ensuite il lui ôte la pratique des bonnes choses extérieures pour la perdre davantage. Puis il lui ôte l’usage des vertus pour l’arracher à elle-même. Il lui fait enfin éprouver les plus extrêmes faiblesses et misères qui sont des coups de grâce, et par là Il la perd en Lui. Au commencement de l’expérience des misères, l’âme se perd dans l’abandon, dans la confiance et le sacrifice. Mais comme ce sacrifice, cet abandon, etc., sont encore comme des fils subtils, Dieu lui ôte tout abandon aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme malgré elle de se perdre. Mais où se perdre ? Encore si c’était en Dieu aperçu, elle serait trop heureuse. C’est dans l’abîme où elle ne voit rien ni ne connaît rien. Et après enfin elle tombe en Dieu, non pour jouir de Dieu pour elle, mais elle pour Dieu et Dieu pour Lui-même.

 Mais auparavant un long chemin aura été parcouru, dont la mémoire est d’ailleurs utile pour ne pas abandonner lorsque l’espoir de survie se perd ; la comparaison de la tempête et du naufrage est menée sans concession jusqu’à son terme : 

  2.15 Différence de la foi obscure à la Foi nue.

  Vous demandez la différence de la foi obscure à la foi nue. On commence par la foi savoureuse, qui est comme voguer sur mer avec le vent en poupe, guidé par un excellent pilote. Vous faites beaucoup de chemin avec joie et en plein jour. Vous vous confiez au pilote, mais tout va si bien que vous n’avez nulle occasion d’exercer votre confiance.

  La nuit vient : vous craignez de vous égarer, mais vous vous confiez à votre pilote, qui vous dit de ne rien craindre. Ensuite les vents deviennent contraires, les ondes s’élèvent, la mer grossit, votre crainte augmente ; cependant vous êtes soutenus et par l’excellence du pilote et par la bonté du vaisseau. La tempête augmente, la nuit devient plus noire. Il faut jeter les marchandises dans la mer. On espère le jour et que la bonté du vaisseau résistera aux coups de mer ; mais le jour ne vient point, la tempête redouble. On espère un sort favorable, lorsque le vaisseau tout à coup se brise contre les rochers.

  Quelle transe, quel effroi ! On se sert du débris du naufrage pour arriver au port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on n’attend plus que la mort, tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une planche. Il vient un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les flots. On s’abandonne à une mort qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer sans ressource, sans espoir de revivre jamais.

  Mais qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qu’elle n’était dans le vaisseau… 

 Si les hommes diffèrent, Dieu est un et Il est toujours le premier à nous aimer, comme l’attestent les mystiques dont le chemin a été ainsi ouvert, parfois par un contact fort : cas de François d’Assise, d’Angèle de Foligno, de Catherine de Gênes.

 2.25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes.

  La conduite de Dieu sur l’âme est une conduite toujours uniforme. Et ce que nous appelons foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et indistincte de Dieu, qui nous porte à Le laisser opérer en nous parce qu’Il a droit de le faire.

  … Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme et ce regard le consume et détruit ses impuretés. Dieu est d’abord occupé à combattre notre activité et tous les obstacles qui empêchent Son entière pénétration dans notre âme. … Car il faut concevoir que toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. Ce regard brûle et détruit, comme je l’ai dit, les obstacles. 

  3.11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite1077 [

    Il ne faut pas croire que Dieu endurcisse le cœur de l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence. Plus les pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme s’éloignant de son Dieu et ne s’en rapprochant plus, devient une glace pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu’il ne retourne à son Dieu. Alors il Le retrouve au même lieu où il L’avait laissé, toujours prêt à lui faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil, plus il se fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété, qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace est entièrement fondue et rendue toute fluide, s’écoule nécessairement dans son être original, où tous les obstacles sont ôtés. C’est le feu de l’Amour pur qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du Purgatoire qui le fera en l’autre.

  Alors il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun vestige. Alors l’âme dans son rien ne peut rien, n’est propre à rien. Il n’y a que l’Être Créateur qui la rende propre à tout ce qu’il lui plaît, et qui agisse sans résistance sur ce rien, qui lui a remis le caractère propre de l’homme, qui est la liberté. Alors l’homme dans son rien, ayant remis à son Dieu et à son Père cette liberté qu’il lui avait donnée, Dieu le crée de nouveau : Emitte  Spiritum tuum, et creabuntur ; et renovabis faciem terræ [Ps 104, 30 : « Envoyez votre esprit et ces choses seront créées ; et vous renouvellerez la face de la terre.]

  Mais cette recréation n’est plus au pouvoir de l’homme, ni à son usage, mais au pouvoir de Dieu et à sa volonté...

Correspondance

  Des lettres furent le moyen second utilisé par Madame Guyon pour animer ses disciples : l’illustre Fénelon, le fidèle duc de Chevreuse, plus tard l’éditeur Poiret, le baron de Metternich, les Écossais Duplin et Lord Deskford, ainsi que des figures plus cachées telle la paysanne qui conclura cet aperçu. Mais le moyen premier le plus efficace, qui explique la ferme fidélité de Fénelon et d’autres sur plus de vingt années, malgré la parenthèse du secret durant cinq ans à la Bastille, est celui de la transmission de la grâce par communication intime de cœur à cœur dont nous trouvons parfois l’affirmation :

  À Fénelon.  21 juin (?) 1689.

  … Il a permis que je m’en allasse avec vous, pour vous apprendre qu’il y a un autre langage, lequel Lui seul peut apprendre et opérer, [où] Il n’emplit le cœur de l’onction pure de la grâce que pour vider l’esprit, et Il ne donne que pour ôter : c’est une expérience qui demeure, lorsque la conviction de l’esprit est ôtée. Je vous demande donc audience de cette sorte, de vouloir bien cesser toute autre action et même autre prière que celle du silence. Lorsque l’on a une fois appris ce langage (plus propre aux enfants qu’aux hommes, qui l’ignorent d’ordinaire), on apprend à être uni en tout lieu sans espèces et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. C’est la prière de Jésus-Christ : qu’ils soient un comme nous sommes un [Jean, 17, 22].

 Ces communications parurent extravagantes à la fin du XVIIe siècle cartésien, mais elles sont attestées de façon voilée par de nombreux spirituels chrétiens. On peut concevoir qu’il n’y ait point de coupure entre ce monde visible et sa totalité : madame Guyon a recours aux hiérarchies de Denys, l’auteur traditionnellement invoqué par les mystiques ; elle se réfère au mystère de l’aimant pour suggérer la plausibilité de telles circulations d’amour divin. Il s’agit de reconnaître l’efficace de la prière :

  Au duc de Chevreuse.  Octobre 1693.

  La main du Seigneur n’est point raccourcie. Il me semble qu’il n’y aura pas de peine à concevoir les communications intérieures des purs esprits si nous concevons ce que c’est que la céleste hiérarchie où Dieu pénètre tous les anges et ces esprits bienheureux se pénètrent les uns les autres. C’est la même lumière divine qui les pénètre et qui, faisant une réflexion des uns sur les autres, se communique de cette sorte. Si nos esprits étaient purs et simples, ils seraient illuminés. Et cette illumination est telle, à cause de la pureté et simplicité du sujet, que les cœurs bien disposés qui en approchent ressentent cette pénétration. Combien de saints qui s’entendaient sans se parler ! Ce n’est point une conversation de paroles successives, mais une communication d’onction, de lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant attire comme l’aimant même. Une âme désappropriée, dénuée et simple et pleine de Dieu attire les autres âmes à Lui, comme les hommes déréglés communiquent un certain esprit de dérèglement. C’est que sa simplicité et pureté est telle que Dieu attire par elle les autres cœurs.

 Puis madame Guyon utilise l’image souple de l’eau pour tenter de faire comprendre à Bossuet la simplicité d’une vie intérieure sans phénomènes extraordinaires, comme ce dernier les appréciait chez certaines religieuses imaginatives :

  À Bossuet. Vers le 10 février 1694.

 ... Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité ; elle a aussi une qualité, que, n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions : elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle prend toutes les couleurs. L’esprit, en cet état, et la volonté sont si purs et simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que, quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut, à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve dans mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. 

 Mais Bossuet ne comprend pas. Suivront de longues périodes d'enfermement suivi d'un rétablissement progressif.

Dans les toutes dernières années, la vieille dame prépare l'avenir auprès de disciples "cis" - français - et "trans" - étrangers - auprès desquels elle doit mettre un terme à certaines pratiques lorsqu’elles font appel à un effort de concentration opposé à l’abandon à la providence divine :  

  À Milord Duplin. Vers 1714.

 ... Ce que vous me dites de la violence que vous vous faites pour rendre votre esprit abstrait n’est nullement ce que Dieu demande de vous, et ce n’est point la voie dont il s’agit. Nous tâchons que tout se concentre dans le cœur, sans nul effort de tête, car Dieu souvent cache ce qu’Il opère dans l’intime de l’âme sous des distractions vagues et involontaires, afin de le dérober à la connaissance du démon et de l’amour propre.

  À Lord Deskford. 15 avril 1715.

 ... Ce que j’ai prétendu, monsieur, a été de vous inspirer une oraison libre dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la tête : quelques douces affections mêlées de silence. Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire tomber l’activité de l’esprit par une foi simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul, excitant la volonté par une tendance de cette volonté vers son divin Objet. 

Comment prier, comment se détacher - sans pour cela quitter le monde -, comment lâcher intellectuellement prise ? Cela était difficile pour le baron de Metternich, protestant subtil et questionneur :

Au baron de Metternich. Vers 1715.

... Demeurez simplement exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil et au feu pour se réchauffer et, quoiqu’il ne vous paraisse aucune action de votre part que la simple exposition de vous-même devant Dieu, la chaleur divine de Son amour ne laissera pas de vous pénétrer imperceptiblement, comme le feu pénètre insensiblement les corps qui sont à une certaine distance, et leur donne une chaleur qui s’insinue partout, ce qui n’est pas si sensible. Nous sommes souples sous Sa main. Je me trouve fort unie à vous en Notre Seigneur.

... Ce que vous devez faire le plus présentement est de vous détacher universellement de toutes choses et de vous-même, sans quoi la solitude vous serait peu utile … Une des raisons qui fait que je désire qu’on ne quitte point son état, quoique je désire qu’on soit parfaitement détaché, c’est que Dieu voulant à présent et dans les siècles à venir introduire Son Esprit intérieur dans tous les lieux, parmi toutes les nations, dans tous états et conditions, je ne crois pas qu’on doive facilement quitter son état à moins d’une vocation particulière...

... Vous dites que vous voulez être abandonné à Dieu, et [cependant] vous voulez qu’à chaque pas Il vous rende raison des lieux où Il vous mène, et pourquoi Il vous y mène. Vous ne feriez pas ce tort à un guide que vous croiriez honnête homme : vous vous laisseriez conduire…

 Lettre [D.2.1]. Abrégé des voies de Dieu [D.2.1 : Première lettre du deuxième volume publié par Dutoit].

 Monsieur, Soyez donc persuadé qu’il n’y a rien de violent dans la conduite de Dieu que ce que nous y ajoutons, que Sa conduite est douce et suave : s’il y a quelque violence, c’est ou parce que notre volonté n’est pas encore parfaitement gagnée, ou parce que notre amour propre la cause … Lors donc que toutes ces choses sont, la volonté meurt à soi véritablement, non d’un trépas douloureux et sensible, mais d’un passage doux et tout naturel, qui fait que cette volonté cessant d’être arrêtée en elle-même par ce qu’il y a même de plus délicat, passe infailliblement et nécessairement en Dieu. C’est ce que l’on appelle mort. Elle [la volonté] est morte quant à son propre, mais elle ne fut jamais plus vivante : elle vit en Dieu, non de la première vie, ou d’une vie qui lui soit propre, mais d’une vie que Dieu lui communique, qui n’est autre que Sa propre vie et Sa volonté. … Et c’est alors qu’elle participe aux qualités de Dieu, qui est de se communiquer aux autres, ou plutôt, c’est comme une rivière qui, s’étant perdue dans un grand fleuve, suit sa course et n’en suit point d’autre...

 ... Ceci, loin d’être une chose forgée par l’imagination, est toute l’économie de la Divinité hors d’Elle-même. C’est la fin et de la création, et de toutes religions, qui n’ont été établies de Dieu que pour conduire l’homme en Dieu même, comme les lits de chaque fleuve sont pour les perdre dans la mer. C’est tout le travail de Dieu sur Ses créatures, c’est toute la gloire qu’Il en peut et doit tirer. Tout ce qui n’est point cela, sont des moyens ou éloignés, ou plus proches, mais ce n’est point ni notre fin ni notre essentielle béatitude.

 Lettre [D.3.74].

On m’a lu votre lettre, monsieur. … Il faut devenir enfant après avoir été homme. Il faut plus, car il faut renaître de nouveau afin de devenir une nouvelle créature en Jésus-Christ. Mais avant ce temps, il faut que tout ce qui est du vieil homme soit détruit, savoir la propriété, l’amour de la propre excellence, enfin tout amour propre, ce qui s’entend de tout ce qui nous concerne et qui a rapport à nous, quel qu’il soit. Le petit enfant se laisse porter où l’on veut : si son père le couche sur un fumier, il n’y pense pas, il n’en sait pas même faire le discernement, il y dort comme dans son berceau, abandonné qu’il est aux soins de son père. Abandonnez-vous donc en la main de Dieu avec un grand courage...

 Une mise en garde vis-à-vis du « sentiment » et surtout des voies extraordinaires préconisées par le prophétisme de certains jeunes émigrés protestants, - considérés comme des martyrs après la terrible répression qui suivit la guerre des Cévennes, et qui firent le tour d’Angleterre et d’Écosse, inspirés par les annonces publiques des prophètes de l’Ancien Testament -, confirme la sobriété de Madame Guyon :

 Lettre [D.2.111].

 Il y a deux sortes de goûts, celui du fond et celui du sentiment. Il est de la dernière conséquence pour vous et pour les autres que vous ne vous conduisiez pas par le dernier. … N'allez donc jamais par ce que vous sentez ou ne sentez pas. Mais allez par un je ne sais quoi qui, bien que sec, détermine d'abord et ne laisse nulle hésitation. Il détermine sans goût et sans lumière de la raison parce qu'il détermine par la vérité de Dieu. Comme vous n'êtes pas par état dans la pure lumière de Dieu, et qu'il s'en faut bien, vous ferez souvent des fautes là-dessus. Mais à force d'en faire, vous vous accoutumerez à la nue opération de Dieu, non seulement pour être dépouillé, mais pour être agi. Hors de là, tout est méprise.

 Lettre [D.4.124].

 … Le règne de Dieu ne viendra point par aucun bruit extérieur, mais l’Esprit  Saint, étant répandu par tous nos cœurs, préparera par l’onction de sa grâce le règne de Jésus-Christ. La plupart des recueillements des personnes agitées comme cela [les jeunes cévenols] ne sont qu’un bandement et une occupation forte de la tête et du cerveau pour contraindre leur entendement à la cessation, et ces personnes-là ont un recueillement plutôt d’assoupissement. Ce que nous appelons vrai recueillement n'occupe point la tête, mais c'est une tendance du cœur, ou plutôt de la volonté vers Dieu, qui fait que la volonté étant toute occupée de son Dieu, à L'aimer, à Le goûter, ne fait plus aucune attention à ce qui se passe dans l'esprit et en est comme entièrement séparée.

 Vous pouvez tirer de là, mon cher frère, que toutes ces voies extraordinaires, quand même elles seraient vraies, ne pourraient nous unir au Souverain Bien, puisqu'il est bien éloigné de consister en ces choses. L'état de ces prophètes ne peut donner ce qu'on appelle un véritable silence intérieur. Ce que j'appelle silence intérieur est quelque chose de si tranquille, de si paisible, de si un, qu'il ne peut compatir avec aucune agitation corporelle, puisqu'une personne même qui possède ce silence intérieur dans les plus violentes douleurs ne donne aucune marque d'agitation, et peut se plaindre comme un enfant, mais ne s'agitera jamais. Saint Jean dit en l'Apocalypse qu'il se fit un grand silence au ciel [Ap 3, 1]. Lorsque ce silence est fait dans l'âme, il se communique jusqu'au-dehors. Il y a deux sortes de silence extérieur : 1° l'un, que nous faisons nous-mêmes par pratique en nous imposant une suppression de toutes paroles. Ce silence, quoique bon, n'est pas pareil à : 2° l'autre silence qui vient [du silence intérieur] et qui est opéré par le silence intérieur. Dans le premier, c'est nous qui nous taisons ; dans le second, c'est l'amour qui fait taire, et l'âme sent bien que, lorsqu'elle veut parler, elle s'arrache à un je ne sais quoi qui l'attire au-dedans d'elle-même…

Achevons sur un poème rédigé en prison :

Que je suis contente,

N'étant bonne à rien!

Je vis sans attente

En moi de nul bien,

Mais mon Sauveur

Est seul tout mon bonheur.

[…]

Que je suis bien

Quand je suis dans le rien !

[…]

Dieu Se voit sans cesse

Dans cet heureux rien :

Là, de ses richesses,

On n'usurpe rien.

Tout est pour Lui :

Sagesse, force, appui.

L'esprit se promène

Dans Son vaste sein,

Sa grâce l'entraîne

Selon Son dessein :

Car pour le rien,

Il n'est ni mal ni bien. 1078

[…]





La perte la plus extrême

N'est pas trop grande à mon gré.

Je suis défait de moi-même

Et je vis en liberté.

Enfin j'ai tout ce que j'aime,

Et j'aime tout ce que j'ai. 1079.


1720 Claude-François Milley (1668 - 1720)

Le frère de l’historien Bremond lui a consacré une biographie attachante, éditant une moitié de ses lettres dont se détachent celles adressées à la mère de Siry1080. Cette dernière figure, qui fut supérieure de la Visitation de Caen (la ville de Bernières), reste à étudier 1081. Le jésuite vécut en Provence, assurant les emplois ordinaires de l’enseignant, du prêcheur et du confesseur successivement à Apt, Embrun, Aix, Nîmes. Il rencontra à Apt la visitandine qui l’orienta mystiquement ; il devint « messager de la voie d’abandon », en cela proche de l’esprit qui animera J.-P. de Caussade à une époque où la réserve vis-à-vis de la mystique “s'étendait même aux ouvrages des Saints canonisés 1082”.

Résidant à Marseille à partir de 1710, il se dévouera lors de la grande épidémie de 1720, y laissant sa vie, seul religieux cité nommément dans le mémorial qui rappelle l’héroïsme de quelques-uns : « Milley, jésuite, commissaire pour la rue de l’Escale, principal foyer de la contagion », quartier populaire qui fut interdit et barricadé pendant cette peste.

Soyez d’une indifférence qui aille jusqu’à vous oublier et à ne pas jeter un regard sur vous, si ce n’est pour y voir Dieu que vous portez en vous.104 

Je le demande ce rien et je le souhaite de tout mon coeur… je ne trouve point de plus doux parti que de fermer les yeux sur ma faiblesse et mes chutes, et de me jeter à corps perdu dans cet abîme sans fond de la divinité.179

L’amour divin … ne peut se sentir, quand il est bien pur. 183

Résolu de me laisser aller à l’aventure … Je me suis jeté à corps perdu je ne sais où, je demeurerai là…195

Ce je ne sais quoi … c’est ce qu’on appelle la Présence de Dieu dans l’intime de l’âme. Cela n’est pas fort sensible, mais les effets le sont … regardez ce rien perdu dans l’immensité de Dieu d’où vous ne sauriez sortir que par les fautes volontaires et considérables. 206 

La seule pensée qu’on n’est qu’un petit atome perdu dans cette immensité … qu’un petit rien réuni à ce tout unique … opère plus …que toutes les pratiques … Quelle témérité de prétendre par son opération et son travail arriver à ce terme invisible et insensible… comme un insensé qui veut construire une échelle pour monter au soleil. 213

Jamais nous ne sommes assez persuadés de notre impuissance pour le bien et de l’inutilité de tous nos efforts, c’est pour cela que nous voulons toujours les y faire entrer pour quelque chose ; mais c’est aussi pour cela que (268) Dieu, pour nous en faire voir l’inutilité, renverse tous nos projets et nous laisse dans le vide 269 le pays des âmes perdues267

Aussi ne devez-vous plus vous regarder que comme une ombre que Dieu anime, sous laquelle Il se rend sensible… 348

C’est le néant, c’est le rien, c’est / Milley, Jésuite. 391




~1751 L’Abandon à la Providence divine

L’Abandon à la Providence divine est largement lu par nos contemporains, aux États-Unis comme en France. Nous sommes ici devant une résurgence en milieu catholique, avec quelque précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme, de la spiritualité propre à l’école de l’amour pur.

Son réviseur, le P. de Caussade, fut un propagateur de l’œuvre guyonienne. Le texte a été retravaillé pour lui donner un très beau style classique. Nous avons fournis les compléments et références utiles à l’entrée précédente. On complétera par l’Introduction du dernier éditeur 1083.

Le lyrique et guyonien chapitre IX :

[…]1084 Action de mon Dieu, vous êtes mon livre, ma doctrine, ma science ! En vous sont mes pensées, mes paroles, mes actions, mes croix. Ce n'est pas en consultant vos autres ouvrages que je deviendrai ce que vous voudrez faire de moi, c'est en vous recevant en toutes choses par cette unique voie royale, voie ancienne, voie de mes pères. Je penserai, je serai éclairé, je parlerai comme eux. C'est en cela que je veux tous les imiter, tous citer, tous copier. Ce n'est faute que de savoir faire tout l'usage que l'on peut de l'action divine qu'on a recours à tant de moyens. Cette multiplicité ne peut donner ce qu'on trouve dans l'unité d'origine, dans laquelle chaque instrument trouve un mouvement original qui le fait agir incomparablement. […]

L'immense action qui, dans le commencement des siècles et jusqu'à la fin, est toujours la même en soi, s'écoule sur tous les moments, et elle se donne dans son immensité et identité à l'âme simple qui l'adore, l'aime et en jouit uniquement. Vous seriez ravie, dites-vous, de trouver une occasion de mourir pour Dieu. Une action de cette force, une vie de cette manière (144) vous seraient agréables : tout perdre, mourir délaissée, se sacrifier pour les autres, ces idées vous charment. […]

Il me semble, action divine, que vous m'avez dévoilé votre immensité, je ne fais plus de démarches que dans votre soin infini. Tout ce qui coule aujourd'hui de vous, coula hier. Votre fonds est le lit de torrent de grâces qui se répand incessamment : vous les soutenez, vous les agitez. Ce n'est donc plus dans les bornes étroites d'un livre, d'une vie de saints ou d'une idée sublime que je dois vous chercher. Ce ne sont là que des gouttes de cette mer que je vois répandue sur toutes les créatures. L'action divine les inonde toutes. Ce sont des atomes qui disparaissent dans cet abîme. Je ne chercherai plus cette action dans les pensées des personnes spirituelles, je n'irai plus demander mon pain de porte en porte, je ne leur ferai plus la cour. […]

O Amour, faut-il que cela soit ignoré et que vous vous jetiez pour ainsi dire à la tête de tout le monde avec toutes vos faveurs, et qu'on vous recherche dans les coins et recoins où l'on ne vous trouve pas ? Quelle folie de ne point respirer dans l'air, de chercher où mettre les pieds en pleine campagne, de ne pas trouver d'eau dans le déluge, de ne pas trouver Dieu, de ne pas le goûter, de ne pas recevoir son onction en toutes choses ! Vous cherchez des secrets (146) d'être à Dieu, chères âmes ? Il n'y en a point, sinon celui de se servir de tout ce qui se présente. Tout mène à cette union, tout perfectionne, excepté ce qui est péché et hors du devoir. Il n'y a qu'à recevoir tout et laisser faire. Tout vous dirige, vous redresse et vous porte. Tout est bannière, litière et voiture commode. Tout est main de Dieu, tout est terre, air, eau divine. Son action est plus étendue, plus présente que les éléments. Il entre en vous par tous vos sens, supposé que l'on [n'en] use que par l'ordre de Dieu, car il faut les fermer et résister à ce tout qui n'est point de sa volonté. Il n'y a point d'atomes qui en vous [ne] pénètrent et ne la fassent pénétrer, cette action divine, jusqu'à la moelle de vos os. Toutes ces liqueurs sublimes qui coulent dans vos veines, ne coulent que par le mouvement qu'elle leur donne. Toute la différence que cela fait dans vos mouvements, la force ou la faiblesse, la langueur ou la vivacité, la vie ou la mort, ce sont les instruments divins qui [l’]opèrent. Tous les états corporels sont des opérations de grâce. Tous vos sentiments, vos pensées, de quelque part que cela vienne, tout cela part de cette main invisible. Il n'y a ni coeur ni esprit créé qui puissent vous apprendre ce que cette action fera en vous : vous l'apprendrez par l'expérience successive. Votre vie coule sans cesse dans cet abîme inconnu où il n'y a qu'à toujours aimer pour le meilleur ce qui est présent, par une parfaite confiance en cette action qui ne peut faire par soi-même que du bien. […]

Venez, âmes simples, qui n'avez aucune teinture de dévotion, qui n'avez aucun talent, pas même les premiers éléments d'instruction, ni méthode, et n'entendez rien aux termes spirituels, qui êtes étonnées et admirez l'éloquence des savants, venez ! Je vous apprendrai un secret pour surpasser tous ces habiles esprits, et je vous mettrai si au large pour la perfection que vous la trouverez toujours sous vos pieds, sur votre tête et autour de vous. Je vous unirai à Dieu et je vous ferai tenir par la main dès le premier (148) moment que vous pratiquerez ce que je vous dirai. Venez ! non pour savoir la carte du pays de la spiritualité, mais pour la posséder et vous promener à l'aise sans crainte de vous égarer. Venez à nous ! non pour savoir l'histoire de l'action divine, mais pour en être les objets ; non pour apprendre ce qu'elle a fait dans tous les siècles et ce qu'elle fait encore, mais pour être les simples sujets de son opération. Vous n'avez pas besoin de savoir les paroles qu'elle a fait[es] aux autres pour les réciter ingénieusement, elle vous en donnera qui vous seront propres.

C'est là l'Esprit universel qui s'écoule dans tous les coeurs pour leur donner une vie toute particulière. Il parle dans Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, dans les Apôtres. Et tous, sans étudier les écrits des uns des autres, servent d'organes à cet Esprit pour donner au monde des ouvrages toujours nouveaux. Et si les âmes savaient s'unir à cette action, leur vie ne serait qu'une suite des divines Écritures qui, jusqu'à la fin du monde, la continuent, non avec de l'encre et le papier, mais sur les coeurs. Et [c'est] de tout cela qu'est rempli ce livre de vie qui ne sera pas, comme l'Écriture Sainte, l'histoire de l'action divine de quelques siècles : depuis la création du monde jusqu'au jugement, toutes les actions, pensées, paroles, souffrances des âmes saintes seront écrites, et l'Écriture sera alors une histoire complète de l'action divine.

La suite du Nouveau Testament s'écrit donc présentement par des actions et des souffrances. Les âmes saintes ont succédé aux prophètes et aux Apôtres, non pour écrire des livres canoniques, mais pour continuer l'histoire de l'action divine par leur vie dont les moments sont autant de syllabes et de phrases par lesquelles cette action s'exprime d'une manière vivante. Les livres que le Saint-Esprit dicte présentement sont des livres vivants, chaque âme sainte est un volume, et cet écrivain céleste est une véritable révélation de l'opération intérieure s'expliquant dans tous les coeurs et se développant dans tous les moments. L'action divine exécute dans la suite des temps les idées que la Sagesse a formées de toutes choses. […]

Ne voit-on (150) pas que l'unique secret de recevoir le caractère de cette idée éternelle est d'être un sujet souple en ses mains ? que les effets, les spéculations de l'esprit ne peuvent rien faire de cela ? que cet ouvrage ne se fait point par voie d'adresse, d'intelligence, de subtilité d'esprit, mais par voie passive d'abandon, à recevoir, à se prêter, comme le métal dans un moule, comme une toile sous le pinceau ou une pierre sous la main du sculpteur ? Ne voit-on pas que la connaissance de tous ces mystères divins que la volonté de Dieu opère et opérera dans tous les siècles, n'est point ce qui fait que cette même volonté nous rend conformes à l'image que le Verbe a conçue de nous ? Que c'est le cachet ou l'impression de ce cachet mystérieux ? Et que cette impression ne se fait pas dans l'esprit par des idées, mais dans les facultés par abandon ? […]

Insensés que nous sommes ! Nous admirons, nous bénissons cette action divine dans les écrits qui vantent son histoire et, lors même qu'elle veut la continuer en écrivant sur nos coeurs non avec l'encre, nous tenons le papier dans une inquiétude continuelle et nous l'empêchons d'agir par la curiosité de voir ce qu'il fait en nous et ce qu'il fait ailleurs.


1769 Gerhard Tersteegen (1697 - 1769)

Gerhard Tersteegen (1697-1769), influencé par Madame Guyon, par l’intermédiaire de Pierre Poiret dont il fut disciple, devient un véritable maître spirituel : « Son Dieu est calme, et il crée la paix dans l’âme de ses amis. Mais il est aussi dynamique » et façonne son serviteur qui s’abandonne totalement à lui 1085. À partir de son illumination de 1724, travaillant en communauté avec H. Sommer comme tisserand rubanier, ce qui rendait possible une vie quasi monacale, « de  6 h. à 11 h., ils travaillaient ; ils consacraient ensuite une heure à la prière privée. Le travail reprenait de 13 h. à 18 h., suivi d’une autre heure de prière. Tersteegen occupait la soirée à la lecture ou à la traduction de textes spirituels 1086. » Il fonda une maison communautaire, fut en contact avec les frères de Herrnut, de Zizendorf, avec des mennonites. Il rédigea des strophes exaltant le cœur de l’homme habité par Dieu 1087, traduisit Le Chrétien intérieur de Bernières, le Soliloquium de G. Peters, Madame Guyon. Il apprécia enfin la spiritualité carmélitaine, ce qui est original pour un protestant. On complétera ces brèves indications par la présentation donnée en tête de la traduction toute récente de trois Traités spirituels 1088. Ils incitent à se mettre en route sur le chemin de la « réalisation de la vérité », celle-ci comprise comme une vie en union à Dieu.

Nous devons seulement aimer, nous devons seulement être reconvertis dans l’amour ; et, tout en étant par nous-mêmes des sarments secs, nous laisser pénétrer par la pure et divine sève et par la force du suave amour du Christ. … [par l’amour ] il accomplit mille bonnes œuvres, sans qu’on se demande si l’on doit en accomplir, et il ne se soucie nullement du mérite 1089.

1782 La Philocalie, une bibliothèque spirituelle.

Publiés par Macaire de Corinthe et Nicodème du Mont Athos, les écrits fondamentaux des Pères du désert aux Pères de l’Église du IVe au XIVe siècle regroupent de nombreuses figures ascétiques et mystiques : Maxime le confesseur, le Pseudo-Macaire, Jean Climaque (~650 au monastère du mont Sinaï), Syméon le pieux (-949 du Stoudios), Arsène (de l’Athos), Grégoire le Sinaïte (-1346), Théolepte (~1315), Grégoire Palamas (-1359), Nicolas Cabasilas… Leur traduction française couvre près de mille six cents pages pleines renfermant ces trésors spirituels « sauvés » par les deux moines orthodoxes qui éditèrent ce choix à Venise aux temps assez sombres de la fin du XVIIIe siècle1090. Cette « bibliothèque » choisie inspira le renouveau spirituel russe au siècle suivant et influencera de nombreux intellectuels visiteurs du monastère d’Optino situé au sud-ouest de Moscou, dont Dostoievsky1091.





1823 Sheikh Al-Arabi ad-Darqawi (-1823)

L'un de nos frères me dit: "Je ne suis rien"; je lui répondis: "Ne dis pas: je ne suis rien, et ne dis pas non plus: je suis quelque chose. Ne dis pas: il me faut telle chose, ni: il ne me faut aucune chose, mais dis: Allâh! et tu verras merveille."

Un autre me dit: "Comment guérir l'âme (an-nafs)?" Je lui répondis: "Oublie-la et n'y pense guère; car ne se souvient pas de Dieu qui n'oublie pas son âme (ou: qui ne s'oublie pas lui-même)." Vous ne pouvez donc pas concevoir que c'est l'existence du monde qui nous fait oublier notre Seigneur; ce qui nous Le fait oublier, c'est l'existence de nous-mêmes, de notre égo. Rien d'autre nous Le voile que le fait de nous occuper, non de l'existence comme telle, mais de nos désirs. Si nous pouvions oublier notre propre existence, nous trouverions Celui qui est l'origine de toute existence, et nous verrions en même temps que nous n'existons pas du tout. Comment pouvez-vous concevoir que l'homme puisse perdre la conscience du monde sans perdre celle de son égo? Cela ne se produira jamais.1092 37

c'est à lui qu'affluent les intuitions de I'Essence divine jusqu'à ce qu'il s'éteigne en Elle, en s'affranchissant de l'illusion d'une réalité autre qu'Elle, car c'est vers cela qu'Elle conduit tous ceux qui sont continuellement fixés sur Elle. Par contre, celui qui n'aspire qu'à la science ou à l'action exclusivement, ne reçoit pas intuition sur intuition; il ne s'en réjouirait d'ailleurs pas, puisque son aspiration vise autre chose que l'Essence divine, et que Dieu (exalté soit-Il) comble son serviteur selon la mesure de son aspiration . Certes, chaque homme participe de l'Esprit, de même que l'océan a des vagues, mais l'expérience sensuelle accapare la plupart des hommes: elle a saisi leurs coeurs et leurs membres et ne les laisse pas s'ouvrir à l'Esprit, puisque la sensualité est à l'opposé de la spiritualité et que les opposés ne se rejoignent pas. /Nous voyons d'ailleurs que le but spirituel n'est pas atteint par beaucoup d'oeuvres ni par peu, mais par la seule grâce, ainsi que le dit le saint Ibn’ Atâï-Llâh (que Dieu soit satisfait de lui) dans ses Hikam: "Si tu ne devais parvenir à Lui qu'après l'extinction de tes défauts et l'effacement de tes prétentions, tu ne parviendrais jamais à Lui. Mais lorsqu'Il veut te ramener vers Lui, Il recouvre ta qualité par la Sienne et tes attributs par les Siens et te ramène ainsi vers Lui par ce qui te revient de Sa part, non pas par ce qui Lui revient de ta part." Un des effets de la bonté, grâce et générosité divines, c'est qu'on trouve le maître qui éduque spirituellement, car sans grâce divine personne ne le trouverait ni ne le reconnaîtrait… 52-53

dans ses Hikam: "Dieu ne t'est pas voilé par quelque réalité qui coexisterait avec Lui, puisqu'il n'y a pas de réalité hormis Lui; ce qui te Le voile n'est que l'illusion qu'il y ait une réalité outre Lui." 56

Le vénérable maître, le saint Ibn al-Bannâ (que Dieu soit satisfait de lui) dit dans ses "Enquêtes" :

"Comprends, car tu es une copie de l'Existence,

Pour Dieu, de sorte que rien de l'Existence ne te fait défaut.

N'y a-t-il pas en toi le Trône et l'Escabeau

Et le monde supérieur comme le monde inférieur ?

Le cosmos n'est qu'un homme en grand,

Et toi tu es comme le cosmos en petit."

Et le vénérable maître, le saint al-Mursî (que Dieu soit satisfait de lui) dit:

« O toi qui erre dans la compréhension de ton propre secret,

Regarde, car tu trouveras en toi l’Existence en sa totalité ;

Tu es l’Infini, en tant que Voie et en tant que Vérité :

O synthèse du mystère divin dans sa totalité ! » 100-101

Si tu désires t'affranchir de ton âme passionnelle (nafs), rejette ce qu'elle essaye de te suggérer et ne t'occupes point d'elle, car certes, elle ne cessera pas de t'assaillir et ne te laissera pas en paix ; elle te dira par exemple : tu es perdu ! Que ses insinuations ne te troublent ni ne t'effrayent, quoi qu'elle dise, mais restes assis, si tu étais assis, ou debout, si tu étais debout ; continue de dormir, si tu dormais, de manger, si tu mangeais, de boire, si tu buvais, de rire, si tu riais, de prier, si tu priais, ou de réciter, si tu récitais, et ainsi de suite. Ne l'écoutes pas, sauf si elle te dit : tu fais partie des croyants, de ceux qui connaissent Dieu, ou : tu es dans la main de Dieu, et Sa grâce et Sa générosité sont immenses. Car elle ne cessera pas de te harceler avec ses insinuations, tant que tu ne restes impassible comme nous l'indiquions, tout en te conformant à la coutume (sunnah) mohammédienne. Mais si tu lui prêtes l'oreille, elle te dira d'abord: tu es en perte! Puis: tu es un malfaiteur! Et si l'incroyance n'était pas la limite même de l'épreuve1093 elle te dirait: tu es un incroyant, puis elle augmenterait encore ses accusations...


1827 Dov Baer de Loubavitch (1773 - 1827)

Dov Baer a dirigé l’approche habad en faveur d’une contemplation mentale sobre, qui prit place par son père Schnéour Zalman au sein du mouvement hassidique créé par Israël ben Eliézer, le « Maître du Nom » ou Ba’al Shem Tov 1094. Pour le habad, « ce n’est que du point de vue de Ses créatures que le monde semble jouir d’une existence indépendante … Il a voilé à leurs yeux la divine lumière afin que puissent durer les créatures…1095 ». Dieu est ainsi transcendant par rapport à l’univers, bien qu’il n’y ait pas d’univers sans Lui, ce qui distingue cette conception du panthéisme de Spinoza. « L’âme divine est revêtue de l’âme naturelle à travers laquelle elle s’exprime, tout comme l’âme naturelle est revêtue de volonté, pensée, émotions et actes 1096 ».

Nous allons citer assez longuement l’« échelle » habad parce que, loin d’être théorie, elle traduit avec précision une expérience mystique vécue du côté juif – égale aux plus profondes rapportées dans ce volume du côté chrétien. Les cinq degrés de l’âme sont présentés avec clarté par L. Jacobs : « Le plus bas est celui de néphesh ; c'est un simple désir, pas davantage, d'être proche de Dieu ; l'homme réfléchit sur son indignité et son grand éloignement du divin ; il souhaite ressentir le divin, mais ne trouve aucune réponse en son âme. (C'est ce que Dov Baer exprime par l'« entendre-du-lointain ».) Mais, comme il a reconnu qu'il est loin de Dieu, il décide de mener une vie meilleure. Le degré de néphesh a donc des implications dans l'action, mais sans chaleur spirituelle, même pas dans l'action. Vient ensuite le degré de rouah qui engage les émo­tions. Dieu est suffisamment proche pour que soit pris l'enga­gement de mener une vie selon le bien, et la chaleur spirituelle est assez grande pour être transmise à l'acte. Celui qui parvient à ce stade se comporte suivant l'importance du bien qu'il accorde à la proximité de Dieu. Mais la véritable expérience du divin est encore très faible ici. Vient ensuite le degré de neshamah : le cœur est vraiment impliqué. Il ne s'agit plus seulement de désirer Dieu ou de vouloir accomplir Sa volonté. L'homme jouit véritablement de Dieu. Plus haut est le degré de hayyah où le mental, autant que le cœur, est transporté d'extase. À ce degré, l'homme est si proche de Dieu que le divin est perçu avec une grande plénitude. Aussi le ravissement peut-il se prolonger. Enfin, supérieur à tous, est le degré de yehidah où il y a « simple vouloir », volonté pure de connaître Dieu, plus haute que tout intellect et toute émotion. À ce stade, l'homme a virtuellement accompli le dépassement de soi, et il aborde le divin par-delà toutes les limites normales impo­sées par sa nature physique 1097. » On retrouve ainsi une expérience comparable à celle des mystiques chrétiens qui donnent la première place à la volonté, comme par ex. Canfield (qui suit une longue tradition). Au-delà de ce bref résumé, citons Dov Baer qui précise et donne vie aux trois derniers degrés de la vie mystique, en commençant par celui de neshamah :

extase essentielle de l'âme divine. Si même elle pénètre dans le cœur avec une forte sensation, elle n'est en rien une extase consciente. Elle est en effet si peu ressentie par celui qui l'éprouve, que, au moment de l'extase, il ne se rend absolument pas compte qu'il est transporté d'extase. ... Telle est la nature de toute extase essentielle ; par exemple, de l'extase essentielle de l'âme naturelle dans le désir physique. Nous voyons bien que lors­qu'on est transporté d'extase à cause de quelque chose d'agréable, on est totalement inconscient de cet état : l'extase est vécue dans le cœur, mais sans conscience de soi. Plus l'extase essentielle est profonde (par exemple, l'amour ou la volonté, et le ravissement d'une très grande profondeur), moins on la sent. On rencontre ce stade chez la plupart des hommes dont l'âme divine n'est pas devenue impure et n'a pas été fortement souillée par la contamination du corps dans le désir étranger du cœur charnel extérieur. Comme il est écrit (Ps. 24, 4) : « Celui dont les mains sont sans tache et le coeur pur... » L'intention de son esprit irradiant son cœur, il est dit de lui (Ps. 119, 10) : « De tout mon cœur je Te cherche »1098.

Le degré de hayyah :

doit, par la force des choses, venir sponta­nément et sans artifice. Exactement comme survient sponta­nément, par exemple, une soudaine extase de l'âme qui vous fait frapper des mains, etc., de même ce chant pénètre de lui­-même et involontairement le cœur charnel à la manière de toute extase essentielle. Et ce spontané est la principale carac­téristique du divin … Cette concentration donc n'est autre que celle de la véritable lumière divine en elle-même, et ne provient pas de la compré­hension ou de l'intelligence de la lumière divine 1099.

Enfin le dernier degré de yehidah est :

l'essence véritable qui s'élève dans le chant, chant simple essentiel [la mélodie avant qu’elle ne soit traduite dans la suite des notes, (n. Jacobs)], et non « chant double ». Car le « chant double » dont nous avons parlé est le ravissement essentiel qui se produit de manière détaillée ... cela s'appelle aussi simple vouloir essentiel, qui n'est pas res­senti et ne se morcelle pas ... le vouloir essentiel est un. Il comprend toutes les volontés, et celles-ci lui sont secondes. On peut en donner une illustration. Lorsqu'un homme lutte contre une mort toute proche, toute la pointe de la volonté essentielle de l'âme s'éveille en lui, car ce qui est enjeu est de la plus haute importance pour son essence véritable. Toutes ses autres volontés à propos d'autres sujets qui ne concernent pas son essence véritable, comme l'amour de la nourriture ou l'amour pour sa femme et ses enfants, sont toutes considérées comme rien, car elles sont toutes incluses dans sa volonté essentielle qui concerne son essence tout entière. C'est cela « l'extase de l'essence tout entière ». En d'autres termes, tout son être est si totalement absorbé que rien ne subsiste et qu'il n'a aucune conscience de soi. Tel est l'amour sans limite ... Ce stade est radicalement plus élevé que la raison et la connais­sance 1100.

Ce qui touche le plus chez Dov Baer, c’est son souci de répondre à la tâche écrasante qui lui est confié auprès des « amis » qu’il corrige et réveille du sommeil provoqué par leurs soucis de la dure survie dans l’empire russe. En même temps est décrite avec vivacité la pesanteur de novices qu’il doit éveiller. Car le spirituel non accompli :

paraît humble et méprisable à ses propres yeux et semble être parvenu à l'« anéantissement de soi », mais c'est en réalité le contraire : il a une haute idée de lui-même, c'est l'orgueil dans toute son ampleur. La preuve en est que lorsqu'on le réprimande vertement (on lui dit Shah !) , il est grande­ment troublé jusqu'à tomber malade. Il désirait parvenir au stade de l'« anéantissement », comme si c'était bien la seule chose qui manquait en lui. De là surgissent, chez de nombreux jeunes, les divers appétits de domination, le besoin d'influencer les autres, et cela n'est dû qu'à l'illusion que leur but est désintéressé. Cette maladie se rencontre fréquemment chez la majorité des « enfants », ces hommes jeunes et fragiles qui n'ont jamais vraiment goûté la saveur de la vraie amertume de la mélancolie naturelle [non la dépression, mais celle du « cœur brisé » qui apprend à ne désirer rien pour lui-même], de la « brisure », et qui aspirent à atteindre trop rapidement la divine sagesse dans toute son ampleur. Cela est dû principalement à l'enchevêtrement (du bien et du mal) dans l'âme naturelle qui lui a été transmise par ses parents, - et le résultat en est qu'il est conscient de soi, et cela, comme on le sait, est le mal de nogah [excès de conscience de soi (n. J.)]. C'est pourquoi, dans tout ce qu'il entreprend, même à propos de sujets divins, il ne se débarrasse jamais [de la conscience de soi].

C'est là une des causes fondamentales. Tel homme possède peut-être une âme [parcelle de Dieu] plus haute que d'autres, et pourtant l'âme naturelle, quant à elle, peut provenir d'un « lieu » très bas. C'est pourquoi il possède un plus haut degré d'extase divine essentielle, mais, dans les vêtements de nogah dans le corps, elle est d'une grande conscience de soi. Réciproquement, tel autre aura l'âme divine humble et éloignée de l'extase divine, par comparaison à d'autres, mais son âme naturelle peut être très affinée, au niveau de l' « anéantissement » et de l'absence de conscience de soi ; il n'a même pas le sens du bien qu'il fait, ignorant être parvenu à accomplir quelque chose. Et celui dont l'âme et le corps viennent tous deux d'un « lieu » élevé, le Seigneur est avec lui puisqu'il est un vase prêt à rece­voir toute chose.

Ceux qui sont parvenus au degré le plus haut dans ce domaine, ce sont les plus anciens d'entre nous qui ont reçu en leur âme chaque goutte amère à l'âme même, et cela en rap­port avec les paroles du Dieu vivant [par l’exercice du « cœur brisé » (n. J.)]. Lorsque même ils parviennent à l'extase de l'esprit, ce n'est pas dans l'intention d'atteindre un « degré », ni dans leur propre intérêt, mais, au fond d'eux-mêmes, ils désirent seulement la proximité de Dieu. Ce sont alors délices divines en intention droite. Là réside le Seigneur, en chacun selon le degré de pureté dans les profon­deurs de la concentration divine. La preuve en est qu'ensuite, on parvient à l'humilité vraie, au « rien » ; on n'est rien, en essence et non de ce « rien » artificiel qui vient en considérant sa propre indignité [réfléchir à son néant serait attirer l’attention sur son moi (n. J.)] C'est pourquoi il n'est nullement ému par une insulte (comme ce « chut ! ») et ne la sent même pas, car il est vraiment méprisable à ses propres yeux, puisqu'il ne possède rien en propre, et c'est là le contraire même de l'orgueil 1101.

En conclusion il affirme avec autorité un pouvoir spirituel dont il est le canal :

Je veux également mentionner cette indulgence que l'on s'ac­corde en engageant tout son cœur dans la recherche de sa sub­sistance au point que tous les jours de l'homme sont gaspillés en vain. Car telle est la cause principale de l'effondrement pour la majorité de nos amis, grands et petits, anciens et nouveaux, jusqu'à ce que le Seigneur répande des Hauts ­Lieux Son esprit sur eux, et qu'ils s'éveillent de leur torpeur. ... Mais, ô mes frères bien-aimés ! vous dont l'âme est attachée à la mienne, qui cherchez les paroles du Dieu vivant ... vous me croirez lorsque je dis que toutes les paroles de ma bouche sortent en vérité de la pointe de mon cœur, telles qu'elles sont dans mon cœur et mon âme, en ma nature et mon être essen­tiels, telles que j'y ai été formé depuis ma jeunesse sous la direction de mon Maître et père, qui m'a enseigné et instruit - bénie est sa mémoire, jour après jour. On ne doit pas dire - Dieu nous en garde - qu'il y a ici des secrets à ne révéler qu'au « modeste » (c'est-à-dire : aux « initiés »), ou au contraire des choses qui ne s'adressent qu'à ceux qui n'ont pas encore été formés à la vérité ... je jure, par ma vie, que pas même la moitié d'un mot, dans tous les sujets que je vous ai expliqués, ne vient d'ailleurs que de la pointe de mon cœur, et tous sont destinés à être découverts et compris par chacun de ceux qui ont goûté la saveur de l'engagement depuis sa jeunesse dans les paroles du Dieu vivant. Car toutes ces paroles que j'ai pro­noncées sont bâties sur l'expérience que j'ai acquise depuis ma jeunesse, depuis vingt années et plus, dans le saint temple de mon Maître et père qui m'a enseigné et guidé, - bénie est sa mémoire -. De lui, j'ai connu dans tous leurs détails les souffrances de nos amis, et j'ai examiné par moi-même le cœur de chacun et l'erreur de chacun, autant que l'a permis ma compréhension. C'est pourquoi, que celui qui le désire, obéisse. J'attends votre réponse de la main de notre distingué ami, le messager ... Dov Baer, fils du Rabbi notre Maître et père, qui nous a enseignés et guidés, le vrai Gaon…1102.

Le hassidisme fut très présent dans toute l’Europe orientale. On connaît surtout ses beaux apologues 1103. Il a été cependant décrit de première main par un ami de Kafka (entrée suivante). La branche des « Loubavitch » a survécue à la shoah.


1833 Seraphim de Sarov (1759-1833)

Cet ermite, après avoir atteint l’âge avancé de soixante-six ans, fut un père spirituel ou « staretz ». L’Entretien avec Motovilov, « Sur la lumière du Saint-Esprit », reflète un enseignement qu’il ne dicta jamais. Si l’interprétation littérale biblique n’est plus de notre goût, l’appel à la prière y demeure brûlant :

Supposez que vous m’eussiez invité chez vous, que je me fusse rendu à votre invitation … et vous, malgré cela, auriez quand même continué à m’inviter : « Veuillez venir chez moi ! ». J’aurais dit certainement : « Qu’a-t-il ? Il n’est plus en possession de sa tête… » C’est la même chose avec le Seigneur Dieu, l’Esprit-Saint.

C’est pour cela qu’il est dit : « Effacez-vous et comprenez que je suis Dieu ! J’apparaîtrai aux peuples. J’apparaîtrai sur la terre. » Cela veut dire : Je vais apparaître à celui qui croit en Moi, qui M’appelle, et je vais m’entretenir avec lui…1104.

Les signes de la présence du Saint-Esprit en saint Séraphim furent, selon ses biographes, la joie et la paix surnaturelles qu’il répandait autour de lui. … « l’état d’âme du starets semblait couler dans l’âme des affligés et ils s’en retournaient ranimés par sa joie » (Annales de Divéév) … la source profonde de cette action spirituelle était un amour sans bornes pour les humains, qui, avec la paix et la joie, lui apparaissait comme le don essentiel du Saint-Esprit. Il a exprimé la nature de sa propre tendresse pour ses enfants spirituels par l’exhortation adressée à un higoumène [abbé de monastère] d’être pour les siens « non seulement comme un père, mais comme une mère ». 1105.

La seconde partie  de l’Entretien avec Motovilov 1106 témoigne de la plénitude ressentie en sa présence et décrit une transfiguration corporelle qui n’est perçue que lorsque le témoin perçoit l’état mystique de celui qui la porte. Il ne s’agit donc pas seulement d’un phénomène physique :

VI Différence entre l’action de l’Esprit Saint et celle de l’ennemi. La grâce de l’Esprit Saint est Lumière.

Je dois encore, humble Séraphin, expliquer à votre Théophilie en quoi consiste la différence entre l'action de l'Esprit Saint, Qui vient, en un saint mystère, habiter le coeur de ceux qui croient au Seigneur Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ, et l'action de la « ténèbre du péché », ténèbre à l'instigation du diable et enflammée par lui, agissant en nous comme une voleuse. L'Esprit de Dieu remet constamment en notre mémoire les paroles du Seigneur Jésus-Christ avec Qui Il agit toujours solennellement, créant la joie dans nos coeurs et dirigeant nos pas vers le chemin de la paix. […]

Rappelez-vous Moïse après sa conversation avec Dieu sur la montagne de Sinaï. Les hommes ne pouvaient le regarder, tellement sa face était nimbée d'une lumière extraordinaire; il était même obligé de n'apparaître au peuple que sous un voile.

Rappelez-vous la « Transfiguration » du Seigneur sur la montagne de Thabor! Une grande lumière Le saisit, « Ses vêtements devinrent blancs comme de la neige éclatante et Ses disciples, pris de crainte, tombèrent la face contre terre ». Et quand Moïse et Élie apparurent baignés de la même lumière, alors il est dit: « Un nuage » cacha le rayonnement de la Lumière divine, afin de préserver les yeux aveuglés des disciples.

Ainsi, la Grâce du Saint Esprit apparaît comme une ineffable Lumière à tous ceux auxquels Dieu veut bien la manifester.

Mais, demandai-je, petit Père Séraphim, de quelle manière puis-je reconnaître si je me trouve en la Grâce du Saint Esprit?

- C'est fort simple, votre Théophilie, répondit-il, puisque Dieu dit : « Tout est simple pour celui qui acquiert la Sagesse ». Notre malheur, c'est que nous ne la recherchions point, cette Sagesse divine qui n'est pas présomptueuse, n'étant pas de ce monde. Cette Sagesse, remplie d'amour pour Dieu et le prochain, recrée chaque homme pour son salut.

C'est en parlant de cette Sagesse que le Seigneur a dit: « Dieu veut que tous soient sauvés et parviennent à la Sagesse de la Vérité ».

En parlant du manque de cette Sagesse, le Seigneur dit à Ses Apôtres: « Combien vous manquez de Sagesse! N'avez-vous pourtant pas lu les Écritures pour pouvoir comprendre cette parabole! »

Et encore, de cette Sagesse d'esprit il est dit dans les Évangiles, en parlant des Apôtres: « Dieu a ouvert leur intelligence » et les Apôtres savaient toujours si l'Esprit de Dieu était avec eux ou non. Pénétrés par Lui, reconnaissant Sa présence en eux, ils disaient affirmativement que leur cause était sainte et agréable à Dieu.

Ceci explique pourquoi, dans leurs Epitres, ils écrivaient: « Il a plu au Saint Esprit et à nous... », et seulement sur ces bases proposaient leurs Épîtres comme vérité infaillible, utile à tous les croyants, puisqu'ils reconnaissaient en eux d'une façon qui leur était tangible là présence de l'Esprit Saint. Aussi, votre Théophilie, voyez comme c'est simple!

VII. La manifestation de la présence de l'Esprit Saint. — La lumière, le bien-être, le silence, la douceur, la chaleur, l'aromate, la joie. — « Le Royaume des Cieux est la paix et la joie en l'Esprit Saint » .

- Quand même, répondis-je, je ne comprends pas encore comment je puis être vraiment sûr d'être dans l'Esprit Saint ! Comment puis-je en moi-même reconnaître Sa véritable présence ?

Petit Père Séraphim répondit : « J'ai déjà dit, votre Théophilie, que c'était fort simple et vous ai raconté d'une façon détaillée comment les hommes peuvent être en la plénitude de l'Esprit Saint et comment il faut reconnaître Son apparition en nous. Alors, petit père, que voulez-vous de plus ? ».

- Il me faut, dis-je, pouvoir le comprendre mieux encore !

Alors Père Séraphim me serra fortement les épaules et dit :

- Nous sommes tous les deux en la plénitude de l'Esprit Saint ! Pourquoi ne me regardes-tu pas ?

- Je ne le puis, dis-je, petit Père, car des foudres jaillissent de vos yeux. Votre face est devenue plus lumineuse que le soleil et mes yeux sont broyés de douleur !

- N'ayez pas peur, dit saint Séraphim. Vous êtes devenu aussi lumineux que moi; vous êtes aussi, à présent, en la plénitude de l'Esprit Saint. Autrement, vous n'auriez pu me voir ainsi ». Et inclinant la tête vers moi, il me dit doucement à l'oreille: « Remerciez le Seigneur de nous avoir donné Sa Grâce ineffable. Vous avez vu que je n'ai même pas fait un signe de croix; seulement, dans mon coeur, en pensée, j'ai prié le Seigneur Dieu et j'ai dit: « Seigneur, rends-le digne de voir clairement avec ses yeux de chair la descente Cie l'Esprit Saint, comme Tu l'as fait voir à Tes serviteurs élus quand Tu daignas apparaître dans la magnificence de Ta Gloire ! ». Et voilà, petit père, Dieu exauça immédiatement l'humble rire de l'humble Séraphim ! Comment pourrions-nous ne pas Le remercier pour ce don inexprimable accordé à nous deux ?

Réalisez, petit père, que ce n'est pas toujours aux grands ermites que manifeste ainsi Sa Grâce. Telle une mère compatissante, cette Grâce de Dieu a daigné panser votre coeur douloureux par l'intercession de la Mère de Dieu elle-même !

Alors, pourquoi ne me regardez-vous pas dans les yeux ? Osez me regarder simplement et sans crainte ! Dieu est avec nous !

Après ces mots, je regardai sa face et une peur surnaturelle encore plus grande m'envahit. Représentez-vous la face d'un homme qui vous parle au milieu d'un soleil de midi. Vous voyez les mouvements de ses lèvres, l’expression changeante de ses yeux, vous entendez sa voix, vous savez que quelqu'un vous serre les épaules de ses mains, mais vous n’apercevez ni ses mains, ni son corps, ni le vôtre, mais seulement cette éclatante lumière qui se propage à plusieurs mètres de distance tout autour, éclairant la surface de neige recouvrant la prairie, et la neige qui continue à nous saupoudrer, le grand Staretz et moi-même. Qui pourrait imaginer mon état d'alors !

- Que sentez-vous à présent ? demanda saint Séraphim.

- Je me sens extraordinairement bien !

- Mais... Comment cela, « bien » ? En quoi consiste ce « bien ?

- Je ressens en mon âme un silence, une paix, tels que je ne puis l'exprimer par des paroles...

- C'est là, votre Théophilie, dit le petit Père Séraphim, cette paix même que le Seigneur désignait à Ses disciples lorsqu'Il leur disait: « Je vous donne Ma paix, non comme le monde la donne. C'est Moi qui vous la donne. Si vous étiez de ce monde, le monde aurait aimé les siens. Je vous ai élus et le monde vous hait. Soyez donc téméraires, car J'ai vaincu le monde ».

C'est à ces hommes, que le monde hait, élus de Dieu, que le Seigneur donne la paix que vous ressentez à présent - « cette paix », dit l'Apôtre, « qui dépasse tout entendement a.

L'Apôtre désigne ainsi cette paix parce qu'on ne peut exprimer par /aucune parole le bien-être que ressent l'âme des _hommes dans le coeur desquels le Seigneur Dieu l'enracine. Le Christ Sauveur 'l'appelle « Sa paix a, venant de Sa propre générosité et non de ce monde, parce qu'aucun bonheur terrestre provisoire ne peut donner cette paix. Elle est donnée d'En Haut par le Seigneur Dieu Lui-même, c'est pourquoi elle se nomme : la paix du Seigneur,

Mais que ressentez-vous en plus de la paix ? demanda saint Séraphim.

- ... une douceur extraordinaire...

- C'est cette douceur dont parlent les Saintes Écritures: « Ils boiront le breuvage de Ta maison et Tu les désaltéreras par le torrent de Ta douceur ». C'est cette douceur qui déborde dans nos coeurs et s'écoule »dans toutes nos veines en un inexprimable délice. On dirait qu'elle fait fondre nos coeurs, les emplissant d'une telle béatitude qu'aucune parole ne saurait la décrire. Et que sentez-vous encore ?

- Tout mon coeur déborde d'une joie indicible.

- Quand le Saint Esprit, continua saint Séraphim, descend vers l'homme et le couvre de la plénitude de Ses dons, l'âme de l'homme se remplit d'une inexprimable joie, parce que le Saint Esprit recrée en joie tout ce qu'Il a effleuré ! C'est de cette même joie dont parle le Seigneur dans l'Evangile: « Quand la femme enfante, elle est dans la douleur, car son heure est arrivée. Mais, ayant mis au monde un enfant, elle ne se souvient plus de la douleur. tant la joie d'avoir enfanté est grande.. Vous aurez de la douleur dans le monde, mais quand Je vous visiterai, vos coeurs se réjouiront et votre joie ne vous sera point ravie ».

Pour autant qu'elle soit consolation, cette joie que vous ressentez à présent dans votre coeur, votre Théophilie, n'est rien en comparaison de celle dont le Seigneur Lui-même a dit par la voix de Son Apôtre:

« La joie que Dieu réserve à ceux qui l'aiment ne peut être vue, ni entendue, ni ressentie par le coeur de l'homme dans ce monde ».

Ce ne sont que des « acomptes » de cette joie qui nous sont à présent accordés, et si déjà nous ressentons en nos coeurs douceur, jubilation et bien-être, que dire alors de cette autre joie qui nous est réservée dans le ciel à nous qui pleurons ici-bas.


~1840 Optino et la Paternité spirituelle en Russie.

Toutes les voies spirituelles de la Russie au déclin du XIXe siècle passent par Optino. Vladimir Soloviev et Dostoievsky y sont venus. … La même image du "moine russe" se présenta à l'esprit de Dostoievsky lorsqu'il voulut incarner dans son oeuvre l'idéal de la sainteté. Il ne pouvait pas ne pas penser à sa rencontre avec le starets Ambroise [présenté infra] en créant le personnage du starets Zossima dans Les Frères Karamazov. Tout le décor extérieur, la description du monastère jusqu'aux moindres détails, l'attente des visiteurs, la scène de la réception chez le starets, font penser à Optino. Mais le starets Zossima n'a presque rien de commun avec le Père Ambroise. C'est une figure assez pâle, trop idéalisée pour être un portrait peint sur le vif…1107.

Nous ne pouvons trouver mieux comme présentation de la lignée des mystiques orthodoxes au XIXe siècle - les starsi propres à cette section étendue seront suivis des figures présentées aux sections suivantes - que la belle description suivante portant sur ce centre le plus vivant de la Russie spirituelle1108 :

Le monastère d'Optina Poustyn ["Désert", "Solitude" d’Optina] se trouve dans la région de Kalouga, à deux kilomètres de Korelsk, sur la rive droite de la Jizdra, rivière profonde et poissonneuse qui borde la lisière de forêts impénétrables. Un bac desservi par les moines donnait accès au monastère. Les abbés d'Optino n'ont jamais voulu construire un pont, soucieux de garder la limite naturelle qui séparait leur monastère de la vie du siècle.

Les origines d'Optino nous restent inconnues. On croit pouvoir affirmer, toutefois, que ce monastère existait déjà au milieu du XVIe siècle. Sous le règne "éclairé" de Catherine II, qui fut l'époque de la grande désolation des monastères de Russie, Optino ne comptait que trois moines. Vers la fin du XVIIIe siècle, le métropolite Platon de Moscou, de passage à Optino, frappé par la beauté du site, prit les mesures nécessaires pour rétablir la vie cénobitique dans ce petit monastère sylvestre. Mais l'époque de la grande renommée d'Optino commence trente ans plus tard,après 1821, lorsque Philarète de Kiev, qui était alors évêque de Kalouga, créa en dépendance étroite du monastère un petit ermitage ou "skite" dédié à la Décollation de saint Jean Baptiste. Ces quelques cellules isolées, à trois cents mètres de l'enceinte du monastère, en plein fourré, devaient abriter les moines désireux de se consacrer entièrement à la vie de prière et de contemplation. Pour fonder ce nouvel ermitage, l'évêque Philarète envoya à Optino quatre moines qui menaient depuis dix ans la vie solitaire dans les forêts de Roslavl sous la direction des disciples de Paissi [Paissi Vélitchkovsky 1722-1794], le grand rénovateur du monachisme russe.

Par des liens multiples, les débuts du startchestvo à Optino se rattachent à l'oeuvre de Paissi Velitchkovsky qui fait renaître la tradition antique de Byzance, cette union indissoluble de la spiritualité et du savoir, de la sainteté et de la spéculation théologique. Optino achève en Russie ce que Paissi n'a pu terminer en Moldavie. En effet, c'est le monastère d'Optino qui entreprend, après 1840, la publication des oeuvres ascétiques des Pères, traduites par l'archimandrite Paissi et ses disciples. Continuant les travaux de Paissi, les moines d'Optino vont effectuer de nouvelles traductions, encouragés dans leur zèle patristique par le grand Philarète de Moscou. Les éditions d'Optino n'étaient pas destinées à faire les délices de quelques érudits; ces textes anciens, rédigés par de grands contemplatifs d'Égypte, de Syrie et de Grèce, devaient être vécus de nouveau, ils devaient servir de guides dans la voie de l'ascension spirituelle. La sainteté des temps passés revient à la vie, renaît dans la sainteté moderne, sous la forme du startchestvo, à la fois si traditionnelle et si étonnante par sa nouveauté.

Optino comptait jusqu'à trois cents moines avant la révolution. Personne n'avait de propriété privée. Les moines recevaient du monastère tout le nécessaire pour leur vie : la nourriture, les vêtements, des chaussures. Chacun,même novice, avait une cellule à lui, où il pouvait vaquer à la prière, à la lecture, aux études, ou bien aux travaux manuels. La journée était réglée d'après les offices ecclésiastiques qui occupaient de sept à huit heures par jour. Aucune règle formelle n'obligeait les religieux d'assister à tous les offices, chacun était libre de se comporter selon sa propre conscience de moine. Le même esprit de liberté permettait aux moines et aux novices de disposer selon leur propre jugement des heures qui n'étaient pas occupées par les travaux d' "obédience", imposés par l'abbé. On n'avait jamais recours à la main-d'oeuvre étrangère au monastère : tous les travaux agricoles, forestiers et autres, ainsi que les "obédiences" de cuisine et des divers ateliers étaient exécutés par les moines ou les novices. Aucune contrainte, aucun contrôle gênant ne se faisait sentir dans la vie de la communauté d'Optino : la discipline fondée sur la confiance s'exerçait spontanément. La présence des startsi habitant le "skite" silencieux au milieu de la forêt se faisait sentir en tout; elle créait dans la vie du monastère cette atmosphère spécifique de recueillement et de sérénité qui pénétrait tous les pèlerins dès leur arrivée à Optino.

Un petit chemin forestier conduisait du monastère au "skite". L'aspect extérieur de cet ermitage a été rendu assez fidèlement par Dostoïevsky, dans Les Frères Karamazov. Un petit clocher en stuc rose surmontait la porte d'entrée. Des deux côtés, en dehors de l'enceinte, les "maisonnettes", espèces de parloirs où les startsi se rendaient pour recevoir les femmes qui n'avaient pas le droit d'entrer dans le "skite". Un silence absolu régnait dans l'enceinte de l'ermitage. C'était un beau jardin plein de fleurs multicolores autour de l'église et de quelques cellules. Tel était le décor dans lequel le startchestvo russe a produit ses meilleurs fruits spirituels pendant presque un siècle.

Le staretz Macaire (1788-1860) 

Après le premier starets Léonide (1768-1841) et avec le père Moïse (1782-1862) abbé d’Optino durant 37 ans et grand bâtisseur « riche de pauvreté », car accueillant des personnes « inutiles » (infirmes, aveugles), le starets Macaire connaît l’ouverture d’Optino à des problèmes sociaux, politiques, culturels (mais nous n’avons aucun détail sur la visite de Gogol) :

Pour acquérir les dons de la grâce, il ne faut pas les chercher : ce serait méconnaître le caractère de l'amour divin, sa gratuité. "La grâce de Dieu se donne à tous, mais dans une mesure différente : elle nous comble de dons, selon le degré de notre humilité. Ne cherche pas les choses suprêmes, mais laisse-toi guider par l'humilité1109.

Le staretz Ambroise (1812-1891)

Une jeune fille, une étudiante de Moscou, qui n'avait jamais vu le starets, manifestait une grande animosité à son égard, le traitant de "vieil hypocrite". Poussée par la curiosité, elle vint un jour à Optino et se plaça près de la porte, derrière les autres visiteurs qui attendaient. Le starets entra dans le parloir, fit une courte prière, regarda un moment l'assistance et, s'adressant à la jeune personne : "Ah ! mais c'est Véra, elle est venue voir le vieil hypocrite !" Après une longue conversation en tête-à-tête avec Ambroise, la jeune fille changea d'opinion. Elle devint plus tard religieuse au couvent de Chamordino, fondé par le starets1110.

"Ne discutez jamais avec moi. Je suis faible, je pourrais vous céder et ce serait toujours nuisible pour vous." On rapporte l'histoire d'un artisan qui, après avoir fabriqué une nouvelle iconostase pour l'église d'Optino, vint chez le starets Ambroise pour recevoir sa bénédiction avant de rentrer chez lui, à Kalouga, à 60 kilomètres du monastère. Les chevaux étaient déjà attelés, l'artisan était pressé de regagner son atelier, sachant qu'une commande avantageuse l'attendait. Mais le starets, après l'avoir retenu longtemps, l'invita à revenir le lendemain, après la messe, prendre le thé dans sa cellule. L'artisan, flatté par cette attention du saint homme, n'osa pas refuser. Il espérait trouver encore son client à Kalouga en y arrivant vers la fin de l'après-midi. Mais le starets ne voulut pas le laisser partir; il fallut que l'artisan revienne prendre le thé dans sa cellule encore une fois, avant les vêpres. Le soir, le Père Ambroise renouvela son invitation pour le lendemain. L'artisan, très déçu, mais n'osant point protester, obéit Lie nouveau. Cette manoeuvre se renouvela pendant trois jours. Le starets congédia finalement l'artisan : "Merci, mon ami, pour m'avoir obéi; Dieu te gardera, va en paix." Quelque temps après, l'artisan apprit que deux de ses anciens apprentis, sachant qu'il devait rentrer d'Optino avec une somme d'argent considérable, l'avaient guetté trois jours et trois nuits dans la forêt, près de la grand-route de Kalouga, avec l'intention de le tuer1111.

Le staretz Théophane le Reclus ou de Vycha (1815-1894)

Nous quitttons le lieu privilégié d’Optino qui n’est certes pas le seul monastère vivant comme déjà indiqué par la grande figure de Séraphim (de Sarov, ville située à l’est de Moscou).

Théophane de Vycha assura une large direction spirituelle épistolaire depuis son monastère où il vécut après avoir quitté son siège épiscopal1112 :

C'est le Seigneur qui gagne le combat. Nous devons nous remettre à lui. Il fait de nous des êtres nouveaux. Nous ne sommes pas des instruments inanimés dans sa main, mais au contraire des êtres vivants. Il ne fait pas de nous des marionnettes, mais des hommes nouveaux, appelés à devenir ses enfants qui respirent l'air de la liberté, le suivent, le servent et combattent armés de sa force.

Remettez-vous au Seigneur. Il vous montrera la voie. Ii vous éclairera de sa vérité et vous remplira de vie. Aimez-le, et quand vous serez uni à lui dans cet amour, pensez à lui plus souvent encore que vous n'aspirez l'air1113.

Efforce-toi de chercher sans cesse comme un poisson sur la glace frappe autour de lui avec sa queue. Mais tu recevras ce qu'il plaît au Seigneur de te donner et quand il lui plaira.

Il faut chercher, s'écrier d'un coeur contrit, avec un sentiment d'humilité extrême et la ferme conviction que le Seigneur fera le nécessaire. Et quand nous obtenons quelque chose, ce n'est pas notre propriété... Tout le salut est remis aux mains du Seigneur, c'est /a voie la plus sûre, la meilleure, c'est celle qui va le plus loin.

Le plus important, c'est de s'abandonner aux mains du Seigneur et Sauveur en s'écriant d'un coeur contrit : sauve-moi selon tes propres jugements... Car il n'y a de salut qu'en lui. Dans cet abandon, que soit inclut en même temps un zèle ferme, plein d'abnégation, pour accomplir sa sainte volonté.

Quiconque ne travaille pas spirituellement, de toutes ses forces, ne fait pas effort jusqu'à se sentir impuissant, et ne pousse pas le cri d'appel qui viendrait de cette impuissance, n'en acquerra pas le sentiment... Vous, agissez de même : dans le sentiment de votre propre impuissance, appelez à l'aide et, même après avoir accompli quelque chose, demeurez dans ce sentiment de votre impuissance1114.

Le 17 juin 1858. Tu continues d'aspirer aux performances les plus élevées de la vie spirituelle et à des règles qui ne sont pas encore à ta mesure. Mais tu dois simplement suivre la voie humble, comme d'autres vivent, sans éprouver de trouble intérieur. Toi non plus, ne te laisse pas aller au trouble intérieur quand tu as commis quelque bévue ou quelque faute, mais descends dans la profondeur de l'humilité et relève-toi par la pénitence; et bientôt tu retrouveras la voie droite...1115

L’auteur des Récits d’un pèlerin russe aurait été un familier d’Optino.

Chariton de Valamo

Plus près de nous, l’Higoumène Chariton de Valamo vécut en URSS puis en exil en Finlande. Il compila en 1936 une anthologie reprenant en particulier les conseils de nombreux staretz du siècle précédent1116, dont celui-ci de Théophane le Reclus :

Je me souviens que vous m'avez écrit que vous attrapiez mal à la tête quand vous cherchiez à soutenir votre attention. C'est ce qui arrive quand on ne travaille qu'avec la tête ; mais si vous descendez dans le coeur, vous n'aurez plus aucune difficulté. Votre tête se videra et vos pensées tariront. Elles sont toujours dans la tête, se pourchassant l'une l'autre, et on ne parvient pas à les contrôler. Mais si vous entrez dans votre coeur, et si vous êtes capable d'y rester, alors chaque fois que les pensées vous envahiront, vous n'aurez qu'à descendre dans votre coeur et les pensées s'envoleront. Vous vous trouverez dans un havre réconfortant et sûr. Ne soyez pas paresseux, descendez. C'est dans le coeur que se trouve la vie, et c'est là que vous devez vivre. Ne vous imaginez pas qu'il s'agit là de quelque chose qui ne regarde que les parfaits. Non, cela concerne tous ceux qui ont commencé à chercher le Seigneur.




1852 François Libermann (1802 - 1852)

Le plus grand spirituel d’une époque aux témoignages mystiques rares. Juif converti, il se consacra à « l’oeuvre des noirs ». Profondes Lettres spirituelles qui tranchent avec l’épanchement littéraire romantique1117.

plus vous travaillerez à obtenir cette union avec Dieu, plus il y aura de l’action propre, et plus il y aura de l’action propre, moins il y aura de l’action de l’Esprit-Saint …évitez l’effort …excepté quand vous sentez une impression qui vous pousse et vous entraîne en quelque sorte…(15)

Si nous avions des moyens puissants en mains, nous ne ferions pas grande chose de bon ; mais attendu que nous ne sommes rien, que nous n’avons rien et ne valons rien, nous pouvons former de grands projets…(295)

quand la sensibilité a disparu, quand on n’a plus que la foi pure, alors on devient homme ; Dieu nous conduit par la foi. La foi pure suppose qu’il n’y a plus rien de sensible pour appuyer sa conduite, et, par conséquent, on est disposé à être privé de tout, même de direction. (381)

Lettre 299 à une supérieure de communauté :

La Neuville, le 8 août 1843, Ma très honorée soeur,

Voici une règle générale, qui renferme tout ce qui concerne la charge d'une supérieure : c'est qu'on ne vient pas en religion pour être servi, mais pour servir les autres.

Notre domination est une sainte servitude, vouée à Jésus-Christ et aux âmes qu'il nous confie. Il nous l'a ordonné : Que celui qui est le premier, devienne comme le serviteur de tous, a-t-il dit.

Mais comment faire pour être servante, et pour que l'autorité de Jésus-Christ soit respectée ? C'est de vous comporter comme il a fait lui-même. Ayez une conduite sainte, modeste, grave, paisible, égale, uniforme, humble; renoncez à vous-même en tout ; ne paraissez jamais vous rechercher en rien ; soyez uniquement dépendante de Dieu seul. En faisant ainsi, vous n'avez pas besoin de chercher l'estime de vos sœurs ; il n'y faut même pas penser. Ne cherchez pas non plus à en être aimée, mais aimez-les toutes tendrement et également; traitez-les avec douceur et avec une fermeté suave, sans rigueur et sans dureté. Si vous faites cela, vous serez aimée et estimée. Si, au contraire, vous y tenez, si vous cherchez à l'être, quelque pures que soient vos vues, vous serez dépendante des hommes, vous ne pourrez plus être dans l'unique dépendance de Dieu.

Notez bien que la rigueur, la résistance directe aux âmes dans leurs mauvaises dispositions les brisent, mais ne les guérissent presque jamais. Supportez le mal bien longtemps; et si parfois, vous croyez qu'il ne faut plus le supporter, supportez-le encore, et vous finirez par voir que vous aurez bien fait; tandis que vous ne verrez presque jamais d'heureux résultats provenir de la rigueur et de la résistance directe dont vous aurez usé.

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit à Paris : la plupart des âmes se perdent par le découragement. C'est le mal universel, surtout parmi les âmes pieuses. Soutenez, encouragez, et vous verrez que Notre-Seigneur viendra à votre secours. Souvent on reprend, on poursuit une pauvre âme qui fait mal, sous le prétexte d'empêcher une offense de Dieu; et souvent cela n'est pas vrai, c'est par impatience qu'on agit. Nous sommes trop faibles et trop imparfaits pour supporter les faiblesses et les imperfections d'autrui, et nous nous faisons accroire que c'est par zèle; mais nous parvenons rarement à nous convaincre tout à fait en cela. …

Lettre 320 à un missionnaire :

La Neuville, le 8 mars 1844. Très cher frère,

Votre lettre m'a rempli de compassion pour votre pauvre âme affligée.

Il n'est nullement nécessaire que vous ayez, sensibles et palpables, cette présence de Dieu et cette union avec lui. Votre volonté tend vers Dieu, cela seul devrait vous suffire; mais il y a plus : votre esprit même est uni à Dieu dans les moments où vous le croyez le moins. Soyez content de votre état réel, et ne cherchez pas à vous mettre dans celui que vous imaginez; ce serait vous rendre coupable que de faire des efforts pour cela. Vivez dans la paix et la confiance en la miséricorde de Dieu. Bannissez les craintes et les contentions, car cela n'est que du pur naturel. Ayez une grande liberté dans vos actions, comme cela doit être dans toute votre âme, qui veut être à Dieu. Lorsque vous trouverez en vous quelque chose de défectueux, humiliez-vous en paix.

Vous vous inquiétez de ce que vous ne pouvez pas ouvrir votre âme à monsieur N..., et vous faites mal. Je vous assure que j'étais bien sûr d'avance que, tôt ou tard, vous ne pourriez plus avoir avec votre directeur toute l'ouverture que vous aviez ici. Vous seriez encore avec moi que ce serait la même chose. Dans les commencements, quand on est dans la voie sensible — et vous l'étiez encore au noviciat, quoique cela fût un peu faible vers la fin, — on est encore dans une voie d'enfance, on a besoin de la main d'autrui pour se conduire. C'est une imperfection.

Notez bien : je ne dis pas que la direction, l'obéissance et l'ouverture envers son directeur soient une imperfection, mais le besoin qu'on en a. On s'appuie encore sur la créature. Plus tard, quand la sensibilité a disparu, quand on n'a plus que la foi pure, alors on devient homme; Dieu nous conduit par la foi. La foi pure suppose qu'il n'y a plus rien de sensible pour appuyer sa conduite, et, par conséquent, on est disposé à être privé de tout, même de direction. Il est certain que vous êtes dans cet état, où le sensible est passé et où la foi pure doit régner. Restez donc purement et simplement attaché à Dieu, et ne vous tracassez pas si vous n'avez rien pour vous appuyer. Vous avez Dieu et Dieu seul ; il doit vous suffire. Cela coûte, c'est pénible, il semble que toute notre vie est comme un fantôme, que l'âme est vide et qu'on n'a plus de vie spirituelle et surnaturelle. On se trompe très fort; la vie intérieure devient plus pure et plus simple. Je dis : Cela coûte ; mais seulement dans le principe, et avant qu'on soit parvenu à la soumission et à l'abandon parfait de son âme à Dieu.

Vous ne devez plus rien avoir sur la terre pour vous soutenir : Dieu seul par la foi et la charité pures, sans rien de sensible. La théologie servait à vous conserver dans un repos sensible, mais le sensible est terminé pour vous.

Ne dites plus que vous êtes sorti de votre état ; cela n'est pas, mais vous voulez en sortir ; encore une fois, votre état n'est plus sensible. Suivez la marche que la divine Bonté vous trace ; tenez-vous dans l'état où elle vous met maintenant, état qui est le même que l'union, mais non plus une union sensible. …







~1870 Récits d’un pèlerin [russe]

Paru à Kazan vers 1870 d’un auteur inconnu qui aurait été familier du monastère d’Optino : « il manquait cette note cristalline qui en est sans doute la tonique secrète »1118.

Un matin de bonne heure, je fus comme réveillé par la prière. Je commençais à dire mes oraisons du matin, mais ma langue s’y embarrassait… Je suis devenu un peu bizarre. Je n’ai souci de rien… (Premier récit, 36, 40)

Je cessai de remuer les lèvres et j’écoutai attentivement ce que disait mon cœur … Je voyais parfois en songe mon défunt staretz qui m’expliquait beaucoup de difficultées et inclinai toujours plus mon âme incompréhensive à l’humilité. (Deuxième récit, 42, 43)

En ce qui concerne l'absence de formes c'est- à-dire le fait de ne pas user de l'imagination et de ne pas accepter de vision pendant la contemplation, que ce soit celle d'une lumière, d'un ange, du Christ ou de n'importe quel saint, et de se détourner de toute rêverie , cela, bien entendu, est prescrit par les Pères expérimentés, pour la raison suivante : la puissance de l'imagination peut facilement incarner les représentations mentales, ou pour ainsi dire leur donner vie, de sorte que les gens inexpérimentés pourraient être aisément attirés par ces fictions, les prendre pour des visions de la grâce, et tomber ainsi dans l'illusion …Que l'esprit puisse naturellement et facilement être dans un état d' absence d' images, et s'y maintenir, tout en se rappelant la présence de Dieu, on le voit bien puisque la force de l'imagination peut présenter une chose de façon perceptible dans ce vide et donner une consistance à cette représentation. Ainsi, par exemple, la représentation de l'âme, de l'air, de la chaleur ou du froid. Quand vous avez froid, vous pouvez vous faire mentalement une idée vivante de la chaleur, bien que la chaleur n'ait pas de contour, ne puisse être un objet de vision, et ne soit pas mesurée par la sensation physique de celui qui se trouve exposé au froid. De la même manière aussi la présence spirituelle et incompréhensible de Dieu peut être connue de l'esprit et identifiée dans le coeur dans un absolu vide de formes. (Septième récit, 111-112),

Car celui qui veille en silence … aide au bien spirituel et au salut de ses frères. … L'homme qui vit dans le monde et qui entend parler d'un pieux reclus, ou qui passe devant la porte de son ermitage, ressent un appel à la vie spirituelle, se souvient de ce que l'homme peut être sur la Terre, et qu'il lui est possible de revenir à cet état contemplatif originel dans lequel il sortit des mains du Créateur. Le silencieux enseigne par son silence même, et par sa vie même il fait du bien, édifie et persuade de chercher Dieu. (Septième récit, 116-117)

il faut observer que le pouvoir de cette sorte de prière réside dans la vraie compassion chrétienne pour le prochain, et qu'elle agit sur son âme dans la seule mesure de cette compassion. Aussi, quand il nous arrive de nous souvenir du prochain, ou au moment fixé pour le faire, il est bon d'introduire sa présence dans la présence de Dieu, et d'offrir la prière dans les termes suivants : « Dieu très miséricordieux, que ta volonté soit faite, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ; sauve et secours ton serviteur N. Prends ce désir que j'exprime comme un cri d'amour que tu as commandé. » (Septième récit, 123-124)


1881 Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)

Samedi 30 Août 56. (11 h 1/4 heures soir.)1119

Journée merveilleusement belle de limpidité, d'éclat et de fraîcheur. Matinée, lac, montagnes, couchant, nuit, tout a été à souhait, resplendissant de grâce, ravissant de pureté. — Vécu à l'aventure, en flâneur et admirateur. Cela m'a servi. Le voile de mélancolie qui entourait mon coeur s'est peu à peu éclairci et je finis par rentrer assez gai chez moi, à 11 heures du soir, treize heures après être sorti de la maison. La nature avait commencé, les enfants et les amis avaient continué, la femme seule a pu achever cette guérison quotidienne dont j'ai actuellement besoin. J'ai beau me le dissimuler, me le masquer ou le nier, c'est l'amour qu'il me faut ou son ombre. Tout le reste me distrait sans m'apaiser et endort ma souffrance sans me réjouir. / Ainsi mes yeux se sont nourris du spectacle inépuisable des eaux, du ciel, de la lumière et du paysage, pendant des heures. [...]

Dimanche 31 Août 56.

(11 heures matin.) Je ne trouve aucune voix pour ce que j'éprouve. La rue est silencieuse, un rayon de soleil tombe dans ma chambre, un recueillement profond se fait en moi ; j'entends battre mon coeur et passer ma vie. Je ne sais quoi de solennel, la paix des tombes sur lesquelles chantent les oiseaux, l'immensité tranquille, le calme infini du repos m'envahit, me pénètre, me subjugue. Il me semble que je suis devenu une statue sur les bords du fleuve du temps, que j'assiste à quelque mystère, d'où je vais sortir vieux ou sans âge. Je ne sens ni désir, ni crainte, ni mouvement, ni élan particuliers ; je me sens anonyme, impersonnel, l'oeil fixe comme un mort, l'esprit vague et universel comme le néant ou l'absolu ; je suis en suspens, je suis comme n'étant pas. — Dans ce moment, il me semble que ma conscience se retire dans son éternité ; elle regarde circuler en dedans d'elle ses astres et sa nature avec ses saisons et ses myriades de choses individuelles, elle s'aperçoit dans sa substance même, supérieure à toute forme, contenant son passé, son présent et son avenir, vide qui renferme tout, milieu invisible et fécond, virtualité d'un monde, qui se dégage de sa propre existence pour se ressaisir dans son intimité pure. En ces instants sublimes, le corps a disparu, l'esprit s'est simplifié, unifié ; passions, souffrances, volontés, idées se sont résorbées dans l'être, comme les gouttes de pluie dans l'océan (lui les a engendrées. L'âme est rentrée en soi, retournée à l'indétermination, elle s'est réimpliquée au-delà de sa propre vie ; elle remonte dans le sein de sa mère, redevient embryon divin. Jours vécus, habitudes formées, plis marqués, individualité façonnée, tout s'efface, se détend, se dissout, reprend l'état primitif, se replonge dans la fluidité originelle, sans figure, sans angle, sans dessin arrêté. C'est l'état sphéroïdal, l'indivise et homogène unité, l'état de l'oeuf où la vie va germer. Ce retour à la semence est un phénomène connu des druides et des brahmanes, des néoplatoniciens et des hiérophantes. Il est contemplation et non stupeur ; il n'est ni douloureux, ni joyeux, ni triste ; il est en dehors de tout sentiment spécial, comme de toute pensée finie. Il est la conscience de l'être, et la conscience de l'omni-possibilité latente au fond de cet être. C'est la sensation de l'infini spirituel. C'est le fond de la liberté. — À quoi sert-il ? à dominer tout le fini, à se dominer soi-même, à donner la clé de toutes les métamorphoses, à guérir de toutes les courbatures morales, à maîtriser le temps et l'espace, à reconquérir sa propre totalité en se dépouillant de tout ce qui nous est adventice, artificiel, meurtri, altéré. Ce retour à la semence est un rajeunissement momentané, et de plus il est un moyen de mesurer le chemin parcouru par la vie, puisqu'il ramène jusqu'au point de départ. [...]


1883 Abd el-Kader (1807-1883)

3. Du pur amour1120

Dieu a dit à l'un de Ses serviteurs" : "Prétends-tu M'aimer ? Si tel est le cas, sache que ton amour pour Moi est seulement une conséquence de Mon amour pour toi. Tu aimes Celui qui est. Mais Je t'ai aimé, Moi, alors que tu n'étais pas !"

Il lui dit ensuite : "Prétends-tu que tu cherches à t'approcher de Moi, et à te perdre en Moi ? Mais Je te cherche, Moi, bien plus que tu ne Me cherches ! Je t'ai cherché afin que tu sois en Ma présence, sans nul intermédiaire, le Jour où J'ai dit "Ne suis-je pas votre Seigneur ?" (Cor. 7 : 172)16, alors que tu n'étais qu'esprit (n'il!). Puis tu M'as oublié, et Je t'ai cherché de nouveau, en envoyant vers toi Mes envoyés, lorsque tu as eu un corps. Tout cela était amour de toi pour toi et non pour Moi."

Il lui dit encore : "Que penses-tu que tu ferais si, alors que tu te trouvais dans un état extrême de faim, de soif et d'épuisement, Je t'appelais à Moi tout en t'offrant Mon paradis avec ses houris, ses palais, ses fleuves, ses fruits, ses pages, ses échansons, après t'avoir prévenu qu'auprès de Moi tu ne trouverais rien de cela ?"

Le serviteur répondit : "Je me réfugierais en Toi contre Toi"."

§

14. Quand le soleil se lèvera à son couchant.

La foi ne profite en effet qu'aussi longtemps que l'on est voilé et que l'on n'a pas obtenu l'évidence et la vision directe. Mais le lever du soleil rend les preuves inutiles. Lorsque ce qui était caché devient évident, que ce dont on était seulement informé est vu directement, l'âme ne tire plus profit de ce qu'elle croit, mais seulement de ce qu'elle contemple et voit. Les états, les intentions, les buts qui étaient les siens dans la phase de foi sont transformés. Cette transformation doit s'entendre comme purement intérieure. Quant à l'extérieur de cet être, il ne se modifie pas d'un iota. Il continue de se comporter de la manière qui est agréée par la Loi sacrée et louable selon la coutume et la loi naturelle…

§

15. De l'identité suprême

Dieu (al-haqq : la Réalité suprême) — qu'Il soit exalté ! — m'a dit : "Sais-tu qui tu es ?" Je répondis : "Oui, je suis le néant" manifesté par Ta manifestation ; je suis la ténèbre qu'illumine Ta lumière."

Il me dit alors : "Puisque tu sais, persévère fermement [en cette connaissance] et garde-toi de revendiquer ce qui ne t'appartient pas : car le dépôt (amâna) doit être remis à son propriétaire, et l'emprunt restitué. Le nom d'"être contingent" t'appartient depuis toujours et pour toujours."

Il me dit encore : "Sais-tu qui tu es ?" Je répondis : "Oui. Je suis réellement Dieu (al-haqq). Mais, métaphoriquement et sous le rapport de la Voie, je suis créature (al-khalq). Je suis l'être contingent quant à ma forme, mais je ne peux pas ne pas être l'Être nécessaire. C'est le nom divin al-haqq qui m'appartient par droit d'origine (asp ; le nom de créature n'est qu'un nom d'emprunt et une formule distinctive…


1897 Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897)

Manuscrit C1121.

[243] …il me semble que les ténèbres … me disent en se moquant de moi : « Tu rêves la lumière … la possession éternelle du Créateur … réjouis-toi de la mort qui te donnera non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. »

[270] …cela m’étonnait d’autant plus d’être tombée si juste. Je sentais bien que le bon Dieu était tout près, que, sans m’en apercevoir, j’avais dit, comme un enfant, des paroles qui ne venaient pas de moi, mais de Lui.



Le Carnet jaune.

[1054] …nous ne devons pas penser à ce qui peut nous arriver de douloureux dans l’avenir, car alors c’est manquer de confiance et c’est comme se mêler de créer.

[1085] …j’admire le ciel matériel ; l’autre m’est de plus en plus fermé. Puis aussitôt je me dis avec une grande douceur : Oh ! mais si, c’est bien par amour que je regarde le ciel … les mouvements, les regards, tout … c’est par amour.

[1104, note des Cahiers verts] Elle conjure que l’on prie pour elle, par ce que, dit-elle, « c’est à en perdre la raison ». Elle demande que l’on ne laisse pas à sa portée les médicaments-poisons pour l’usage externe et conseille qu’on n’en laisse jamais près des malades qui souffriraient les mêmes tortures.

[1114] Tenez, voyez-vous là-bas le trou noir où l’on ne distingue plus rien ; c’est dans un trou comme cela que je suis pour l’âme et pour le corps. Ah ! oui, quelles ténèbres ! Mais j’y suis dans la paix.

[1136] Si vous saviez dans quelle pauvreté je suis ! Je ne sais rien de ce que vous savez ; je ne devine rien que par ce que je vois et sens. Mais mon âme, malgré ses ténèbres est dans une paix étonnante.


~1906 Archimandrite Spiridon

Pierre Pascal découvre le récit dans une obscure revue parue de janvier 1916 à octobre 1917 : « …je trouvais là l'éveil religieux d'un enfant russe, son passage éphémère dans un monastère rural, ses pèlerinages, son ministère dans l'Altaï, en Sibérie, parmi les indigènes, parmi les forçats… » Venu à Moscou près de Lénine étudier les révolutionnaires du XIXème siècle, il découvre la religion russe à travers les « vieux croyants » dont il nous conte l’histoire fascinante, Avvakum1122 dont il traduit le terrible témoignage1123, Spiridon1124 :

Tu sais, père, cela m'est bien pénible et bien douloureux maintenant, d'avoir changé mon Dieu contre le vôtre, un nouveau Dieu. » À ces mots, le Bouriate se mit à pleurer. J'eus grand pitié de lui, jusqu'à en souffrir moi-même, et en même temps de tous ceux qui lui ressemblaient. Je compris alors tout d'un coup ce que c'est que de voler à quelqu'un son âme, de le priver de son bien le plus précieux, de lui arracher et de lui ravir son saint des saints, sa religion et sa philosophie naturelles, pour ne rien lui donner en échange qu'un nouveau nom et une croix sur la poitrine. Le Bouriate dont je parle m'apparut comme l'homme du monde le plus pitoyable et le plus malheureux, privé de son ancienne religion et jeté au hasard de la destinée. Depuis lors, je me promis de ne pas baptiser les indigènes, mais de leur prêcher seulement le Christ et l'Évangile. C'est ma conviction que convertir les gens au Christ, comme ont fait nos missionnaires avec ce Bouriate, ce serait agir avant tout en vrai bourreau des âmes, et non en apôtre du Christ. Je ne sais si j'ai eu raison ou tort, mais depuis ce moment je n'ai fait que prêcher la parole de Dieu, laissant à d'autres le soin de baptiser. (58-59)

« C'est que voilà, mon père, dit le détenu hérétique, depuis ma plus tendre enfance je cherche Dieu, et j'ai beau regarder, regarder, je ne le trouve nulle part ». - Je lui dis : « Mon cher ami, si tu ne le trouves pas en toi-même, tu ne le trouveras nulle part. C'est avant tout en soi-même qu'il faut le chercher. S'il n'y est pas, alors il faut détruire en soi cette vie ancienne et en commencer une autre, où Dieu ait sa place. Dieu existe en dehors de nous, mais il ne se fait connaître qu'en dedans de nous-mêmes. Il n'y a pas d'autre moyen de connaître Dieu ». (108)

Il y avait avec lui encore un autre Tatar, qui me raconta comment et pourquoi il avait été condamné. J'avais grand-pitié de lui. Il y avait en vérité en lui je ne sais quelle spiritualité intérieure, qui m'attirait comme un aimant. J'étais ravi jusqu'au fond du coeur. Je m'enhardis jusqu'à lui demander pourquoi il était si sympathique, si bon. Il me répondit : « Ce matin, j'ai prié Dieu ; à déjeuner, j'ai prié Dieu ; ce soir j'ai prié Dieu ; la nuit, j'ai prié. Dieu, y a être devenu moi. Deux fois y en a moi voir Allah ! ». À ces mots, en se cachant les yeux avec les mains, il se mit à pleurer. Je compris que c'était la prière qui l'avait rendu si bon, et que deux fois dans son existence il avait mérité la grâce de voir une sainte apparition. Je l'embrassai. Quand il quitta le bagne, et vint me rendre visite à Tchita avec le mullah de cette ville, je l'accueillis, Dieu m'en est témoin, comme mon propre père, et nous nous jetâmes en même temps au cou l'un de l'autre, en nous arrosant l'un l'autre à chaudes larmes. (131)


1910 William James (1842-1910)

En revenant sur ma propre expérience1125 [toutes ces formes de consciences] convergent en direction d'une espèce d' "insight" au sujet duquel je ne puis éviter d'attribuer une certaine signification métaphysique. Le point principal en est invariablement la réconciliation. C'est comme si les opposés du monde, dont le caractère contradictoire et conflictif provoque toutes nos difficultés et troubles, se dissolvaient dans l'unité. Non seulement, comme espèces, elles appartiennent à un et au même genre, mais une de ces espèces, la plus noble et la meilleure, est elle-même le genre, et imprègne et absorbe ses opposés en elle-même.

Ceci est une manière obscure de le dire, je le sais, quand c'est exprimé en termes de logique commune, mais je n'arrive pas à échapper complètement à son autorité. Je sens que cela doit signifier quelque chose, quelque chose comme la philosophie hégélienne...





1918 Marie-Antoinette de Geuser « consummata » (1889-1918)

Laïque, lorsqu’elle comprit que la maladie s’installait définitivement en elle, elle entra dans la voie de l’abandon …consummate, comme elle aimait dire …elle vécut sa vie spirituelles avec une lucidité et une limpidité remarquables qui rappellent parfois Marie de l’Incarnation l’ursuline1126.

282-283

« Mais j'aime surtout faire sentir à ceux qui me touchent cette tendresse infinie de l'Amour Divin en les aimant en Lui, et en le leur prouvant par ces petites attentions de rien qui sont comme les signes sensibles de cet immense amour. Je voudrais faire autour de moi une atmosphère très douce, et tout ramener à l'unité par l'Amour. Et pour réaliser cela, je sens que je dois seulement demeurer en Lui et Lui en moi et Le laisser déborder librement.

Je ne puis vous dire toutes ces petites délicatesses de charité que mon Jésus apprend à sa pauvre petite chose, mais il suffit de les vivre pour Lui plaire.

Parfois le cher prochain ne comprend pas toute la tendresse dont il est l'objet... » (On croit percevoir ici, à peine suggéré, qu'autour d'elle subsistent des incompréhensions... la terre n'est pas le ciel !) « mais alors si on n'a pas réussi à lui faire plaisir, on croit que la semence d'amour répandue en lui sans qu'il le sache produit son fruit de sanctification sinon de joie. [...] Je sens en moi des désirs immenses de sainteté, des désirs d'une intensité sans nom. Mais je ne voudrais pas être sainte seulement dans une voie, mais dans toutes les voies. Je voudrais surtout être un vrai apôtre... Tous mes désirs montent à Lui comme ils me viennent de Lui ; et j'ai confiance que tout cela n'est pas perdu.

286-287

« Il me semble donc que je dois tout simplement demeurer 'in unum' au sein de la Trinité bienheureuse afin de me pénétrer toujours davantage de la 'Lumière de Vie’ et de devenir de plus en plus limpide et resplendissante. C'est ainsi que je pourrai, avec sa grâce, rayonner la Vérité sur ceux qui m'approchent selon leurs besoins à chacun. Je dis, selon leurs besoins, car, de même que pour rendre violet un vêtement de couleur horizon, il faut mettre plus de rouge que de bleu, de même, pour sanctifier les âmes dans la Vérité, il faut leur donner surtout les nuances qui leur manquent davantage. Celui qui est l'unique Moteur de l'Évangélisation suggère à mesure tous les petits moyens, mais il y a certains cas pratiques qui reviennent si souvent qu'on s'y habitue comme à une règle. J'ai remarqué, par exemple, que, dans les entretiens particuliers, il ne faut pas présenter aux autres une perfection plus haute que celle à laquelle ils sont appelés dans le présent, mais les aider à suivre leur vocation actuelle. À mesure qu'ils avancent, ils voient d'eux-mêmes leurs horizons s'élargir.

292

Dans tout cela, je ne vois que matière à louer Dieu. Son oeuvre s'accomplit en vous, et votre coopération personnelle me paraît clairement indiquée : tendre vers l'adaptation complète de votre volonté à la Sienne en exploitant les défaillances inévitables. Ces défaillances ont été prévues par notre Père céleste quand II a fait son plan pour vous, et sa miséricorde les y a fait entrer comme agents sanctificateurs. 'Tout tourne au bien de ceux qui aiment Dieu !'

295

Vous savez ce que c'est : faire la planche ? C'est le moyen dont se servent ceux qui ne savent pas nager pour `surnager'. Pour y réussir, il faut n'avoir pas peur et se laisser aller tout droit sans bouger. Eh bien ! pour l'âme, c'est tout à fait la même chose : lorsqu'on ne sent plus aucune raison stable d"espérer', il faut 'super-espérer'. Et c'est très simple : il faut seulement avoir une confiance aveugle et s'abandonner sans réserve entre les bras du Père sans s'agiter le moins du monde. Et cette foi en Celui qui mène tout admirablement, cette confiance basée sur Lui seul avec le total abandon que, jointes à l'amour, ces vertus engendrent, font bien plus avancer l'âme vers Dieu que les plus douces consolations sensibles.

297-298

On ne peut s'unir à Dieu que dans la Vérité, et la Vérité est tellement faussée dans les âmes, qu'elles arrivent souvent à en séparer l'humilité et à opter pour leur faux dieu, délaissant ainsi le vrai qu'elles ne voient pas. Je m'explique. On dit par exemple : l'humilité c'est la vérité ; or je ne vois rien à me reprocher sur ce point ou cet autre. On oublie ainsi la première vérité sur laquelle est basée l'humilité : nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, nous nous voyons toujours en beau, car le péché a obscurci notre intelligence, qui ne voit pas vrai. Alors, comment devenir humble, me direz-vous ? en disant des choses qu'on ne pense pas ? — Non ! bien sûr ! Mais en attirant la lumière qui transformera notre intelligence. Et comment ? — Comme se font toutes les oeuvres surnaturelles : par la prière pour attirer la grâce, par l'exercice pour y correspondre.

330

Et très haut, au-dessus des relations humaines, même très pures, je me suis trouvée chez moi. Il me disait que ma part était la meilleure et je le voyais bien... Les horizons étaient larges comme l'Infini et j'en embrassais du regard les moindres détails. Il n'y avait plus que Lui et son Oeuvre, et je me sentais si libre pour Le donner. Et je sens que c'est bien là ma vocation : « consummata »... ne plus rien être, Le laisser Seul travailler à sa Gloire : 'que tous soient un' au sein de la Trinité bienheureuse ! Et je suis contente que vous ne trouviez pas que ce soit mieux de chercher pour moi, même la consolation surnaturelle, car cela me libère. J'ai besoin de ne penser qu'à Lui et à son Oeuvre... Je ne peux que donner...

332

« Oui, je me sens plus que jamais dans ma vocation maintenant que je ne suis plus et que Lui seul vit en moi pour sa plus grande Gloire. Totalement affranchie de la servitude du `moi', je donne les trésors divins que je puise à leur Source inépuisable : je les donne à profusion et sans arrière-pensée, tellement certaine que tout cela vient de Lui seul. De même qu'en Jésus tout était orienté vers la Rédemption pour la Gloire du Père, de même je dois faire converger tout ce qui est en moi vers l'apostolat auquel Il m'appelle pour sa Gloire. En tout, je dois faire abstraction de mes attraits personnels pour ne viser que le bien des autres.

C'est pour cela que je veux paraître très ordinaire, 'plus imitable qu'admirable', afin d'entraîner dans la voie sainte tous ceux qui me touchent.

[…] Avec cela, j'ai conscience que je suis plus pauvre que personne, et que notre Grand Dieu ne peut m'embellir que de sa propre beauté... »

337

Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur, il me semble que pour moi, tout est là. `Consummata in unum', je n'ai plus qu'à travailler à ce que 'tous soient consommés dans l'unité' 218. Cette vie intérieure rend la vie extérieure admirablement belle. Chaque âme a sa place dans l'édifice de la Gloire de Dieu, et c'est un travail splendide celui qui consiste à révéler aux autres leur vocation spé-338-ciale et ses beautés afin de les aider à la réaliser. On sent que rien n'est négligeable dans cette grande Œuvre…

« Pour moi, `Consummata' est une petite chose toute perdue en Dieu, qui ne vit plus que de Sa Vie et qui en vit de plus en plus... Elle voit tout dans la Vérité, elle fait tout dans l'Amour, elle vit dans l'Unité ! Elle connaît et elle aime, elle contemple et elle agit avec une spontanéité pleine d'onction. Toute sa puissance d'amour est épanouie en acte, et la grâce demeure en action dans toutes les fibres de son être, de sorte que ses organes contemplatifs lui transmettent intégralement les bons plaisirs de Dieu, et que ses organes actifs les lui font accomplir sans hésitation. Délivrée des obscurités qui lui voilaient la Volonté Divine et des résistances qui en retardaient l'accomplissement, elle ne vit plus que de cette Volonté Adorable en toute liberté.

[…] Elle aime les âmes non pas attirée par elles, mais poussée par Dieu, non pas pour elles, mais pour Dieu. Son amour s'étend donc à tous 'sans aucune acception de personnes' donnant à chacun sa part selon le Bon Plaisir de Dieu. Cet Amour ne va chercher les âmes que pour les amener à l'Unique Réalité vivante qui est Dieu. Ceci laisse entrevoir que d'être désintéressée et comme impersonnelle est une des marques distinctives de « Consummata ». Ce que je ne peux pas expliquer, c'est comment ce mot `Consummata in unum' représente pour moi l'idéal de l'apostolat autant que celui de la louange, comment à lui seul il répond à ces deux besoins de mon âme. Ma vocation à l'apostolat est née de ma vocation à la louange comme les fruits mûrissent sur l'arbre arrivé à cette maturité qui produit sans cesser de croître. Et maintenant ces deux vocations n'en font qu'une à laquelle je corresponds par une vie de plus en plus `consommée en l'Unité pour une toujours plus grande Gloire de Dieu'.

382

Adhérez à sa Volonté... Lui fait tout en nous... l'oeuvre magnifique se fait en nous, mais nous ne la voyons pas, il faut avoir confiance. La grâce s'accroît en nous... correspondre à cette grâce, il n'y a que cela... ne regardons pas en bas, mais vers Lui seul... Je vous serai très unie toujours, je vous aiderai... Vivez pour Lui... Si vous ne sentez rien, pourtant je serai avec vous... ce sera toujours la Vie... au ciel, je vous entendrai, je ne serai pas morte, je serai vivante...




1932 Ramakrishna ( - 1932)


Ramakrishna raconte à son disciple Saradananda comment il avait longtemps cherché en vain à obtenir une vision de Kali, la « Mère Divine » - car c’est sous ce visage qu’il se représentait préférentiellement l’absolu - et comment son désespoir de ne pas y parvenir s’exaspéra au point qu’un jour il saisit une épée qui pendait dans le sanctuaire de la Déesse... et alors : « Les bâtiments dans leurs différentes parties, le temple et tout le reste s’évanouirent à mes yeux, ne laissant aucune trace. Je vis à leur place un océan de conscience sans limites, infini, éblouissant. Aussi loin que pouvait aller mon regard, j’apercevais de brillantes vagues qui surgissaient de tous côtés et déferlaient sur moi avec un bruit terrifiant, prêtes à m’engloutir, je ne pouvais plus respirer. Pris dans le tourbillon des vagues, je tombai inanimé. Que se passait-il dans le monde extérieur, je l’ignorais. Mais en moi un flot constant de félicité ineffable, tout à fait inconnu, m’inondait…1127


The Master continued1128 : " But you should remember that the heart of the devotee is the abode of God. He dwells, no doubt, in an beings, but He especially manifests Himself in the heart of the devotee. A landlord may at one time or another visit all parts of his estate, but people say he is generally to be found in a particular drawing-room. The heart of the devotee is the drawing-room of God. …

" But the bhaktas accept all the states of consciousness. They take the waking state to be real also. They don't think the world to be illusory, like a dream. They say that the universe is a manifestation of God's power and glory. God has created ail these—sky, stars, moon, sun, mountains, ocean, men, animais. They constitute His glory. He is within us, in our hearts. Again, He is outside. The most advanced devotees say that He Himself has become ail this—the twenty-four cosmic principles, the universe, and all living beings. The devotee of God wants to eat sugar, not to become sugar. (All laugh.)

" Do you know how a lover of God feels ? His attitude is : O God, Thou art the Master, and I am Thy servant. Thou art the Mother, and I am Thy child.' Or again : Thou art my Father and Mother. Thou art the Whole, and I am a part.' He doesn't like to say, I am Brahman.' …

" Thus Brahman and Sakti are identical. If you accept the one, you must accept the other. It is like fire and its power to burn. If you see the fire, you must recognize its power to burn aise. You cannot think of fire without its power to burn, nor can you think of the power to burn without lire. You cannot conceive of the sun's rays without the sun, nor can you conceive of the sun without its rays. 62-64

" Once someone gave me a book of the Christians. I asked him to read it to me. It talked about nothing but sin. (To Keshab) Sin is the only thing one hears of at your Brahmo Samaj too. The wretch who constantly says, I am bound, I am bound ' only succeeds in being bound. He who says day and night, I am a sinner, I am a sinner ' verily becomes a sinner.

" One should have such burning faith in God that one can say : What ? I have repeated the name of God, and can sin still cling to me ? How can I be a sinner any more ? How can I be in bondage any more ? '

" If a man repeats the name of God, his body, mind, and everything becornes pure. Why should one talk only about sin and hen, and such things ? Say but once, O Lord, I have undoubtedly done wicked things, but I won't repeat them.' And have faith in His name." 68

A DEVOTEE : " Sir, what is the way ? "

MASTER : " Discrimination between the Real and the unreal. One should aiways discriminate to the effect that God alone is real and the world unreal. And one should gray with sincere longing."

ANOTHER DEVOTEE : " Sir, to see you is the same as to see God."

MASTER : " Don't ever say that again. The waves belong to the Ganges, not the Ganges to the waves.

DEVOTEE : " Why do we not feel intense restlessness to realize Him ? " MASTER : " A man does not feel restless for God until all his worldly desires are satisfied. He does not remember the Mother of the Universe until his share of the enjoyment of woman ' and ‘gold ' is completed. A child absorbed in play does not seek his mother. But after his play is over, he says, Mother ! I must go to my mother.' 334

" The partial knower ' limits God to one object only. He thinks that God cannot exist in anything beyond that.

" There are three classes of devotees. The lowest one says, God is up there.' That is, he points to heaven. The mediocre devotee says that God dwells in the heart as the Inner Controller '. But the highest devotee says : God alone has become everything. All that we perceive is so many forms of God.' Narendra used to make fun of me and say Yes, God has become ail ! Then a pot is God, a cup is God ! ' (Laughter.)

" All doubts disappear when one sees God. It is one thing to hear of God, but quite a different thing to see Him. A man cannot have one hundred per cent conviction through mere hearing. But if he beholds God face to face, then he is wholly convinced. 346

ACTOR : " Sir, what is the proof that the soul is separate from the body ? "

MASTER : " Proof ? God can be seen. By practising spiritual discipline one sees God, through His grace. The rishis directly realized the Self. One cannot know the truth about God through science. Science gives us information only about things perceived by the senses, as for instance : this material mixed with that material gives such and such a result, and that material mixed with this material gives such and such a result.

" For this reason a man cannot comprehend spiritual things with his ordinary intelligence. To understand them he must live in the company of holy persons. You learn to feel the pulse by living with a physician." 381

MASTER : " You see, all these sufferings are because of a piece of loincloth '(note6 : A reference to the following story, which Sri Ramakrishna often told his devotees : There was a sannyasi whose only possession was two pairs of loin-cloths. One day a mouse nibbled at one piece. So the holy man kept a cat to protect his loin-cloths from the mouse. Then he had to keep a cow to supply milk for the cat. Later he had to engage a servant to look after the cow. Gradually the number of his cows multiplied. He acquired pastures and farm land. He had to engage a number of servants. Thus he became, in course of time, a sort of landiord. And, last of all, he had to take a wife to look after his big household. One day, one of his friends, another monk, happened to visit him and was surprised to see his altered circumstances. When asked the reason, the holy man said, "It is all for the sake of a piece of loin-cloth " 388

HAZRA : " The devotee really prays to his own Self."

MASTER : " What you say is a very lofty thought. The aim of spiritual discipline, of chanting God's name and glories, is to realize just that. A man attains everything when he discovers his true Self in himself. The object ot sadhana is to realize that. That also is the purpose of assuming a human body. One needs the clay mould as long as the gold image has not been cast ; but when the image is made, the mould is thrown away. The body may be given up after the realization of God. God is not only inside us ; He is both inside and outside. 480


1934 Ahmad al-‘Alawî (-1934)

À…llâ …ah !

C'était comme un appel désespéré, une imploration éperdue que, du fond d'une cellule, lançait un disciple solitaire, en méditation. L'appel se répétait d'ordinaire plusieurs fois de suite, puis tout retombait dans le silence.

Des profondeurs de l'abîme

J'ai élevé ma voix vers Toi, Seigneur !

[…] Ces versets des psaumes me revenaient à la mémoire. C'était en somme la même supplication, l'appel suprême d'une âme en détresse vers la divinité.

Je ne me trompais pas, car, plus tard, lorsque je demandai au cheikh ce que signifiait ce cri qui venait encore de se faire entendre, il me répondit :

C'est un disciple qui demande à Allah de l'aider dans sa méditation.

Et peut-on savoir quel est l'objet de sa méditation ?

Arriver à se réaliser en Dieu.

Tous les disciples y parviennent-ils ?

Rarement. Cela n'est possible qu'à un petit nombre.

Alors, ceux qui n'y parviennent pas restent désespérés

Non, ils s'élèvent toujours assez pour avoir au moins la paix intérieure.

La paix intérieure. C'était le point sur lequel il revenait le plus souvent. Et c'était à cela sans doute qu'était due sa grande influence. Car, quel est l'homme qui n'aspire pas, d'une manière ou d'une autre, à la paix intérieure ? 25-26

Ce qui l'étonnait le plus, c'est que je pusse vivre en pleine sérénité d'esprit avec la conviction de l'anéantissement total, car il voyait bien que j'étais profondément sincère. Fragmentairement, à intervalles variés, quand il revenait sur cette question, je lui faisais entendre que c'était là plutôt humilité et non orgueil de ma part. L'inquiétude de l'homme vient de ce qu'il veut à tout prix se survivre à lui-même. Le calme est obtenu lorsqu'on s'est complètement débarrassé de ce désir d'immortalité. Le monde existait avant moi, il existerait après, sans moi... […]

Le corps sans doute, fit-il. Mais l'esprit ?

En effet, il y a l'esprit. Cette conscience que nous avons de nous-même. Mais nous ne l'avions pas en naissant. Elle s'est formée lentement avec nos sensations. Elle ne nous est venue que progressivement, peu à peu, avec la connaissance. Elle s'est développée parallèlement avec notre corps, a grandi avec lui, s'est fortifiée avec lui, comme une résultante de notions acquises, et je ne parviens pas à me convaincre qu'elle puisse survivre à ce corps qui, en somme, lui a donné naissance.

Il y eut un long silence. Puis, sortant de sa méditation, le cheikh me dit :

Voulez-vous savoir ce qui vous manque ?

Et quoi donc ?

Il vous manque, pour être des nôtres et percevoir la vérité, le désir d'élever votre esprit au-dessus de vous-même. Et cela est irrémédiable.

Il me considéra longuement comme s'il lisait dans ma pensée. Puis, me regardant plus loin que les yeux, il me dit lentement :

[…]

-- Il est dommage que vous refusiez de laisser votre esprit s'élever au-dessus de vous-même. Mais quoi que vous en disiez et quoi que vous en pensiez, vous êtes plus près de Dieu que vous ne croyez. 31-33

Peut-être les initiés souriront-ils en lisant certaines de mes impressions, mais ils me sauront gré d'avoir été sincère et volontairement simple. Ils remarqueront aussi qu'en aucun endroit je n'ai employé le mot : foi. Cette réserve m'a été dictée par un scrupule. Je crois avoir compris que, dans l'esprit du cheikh, la doctrine ne constituait pas un acte de foi, mais une constatation de l'évidence.

Je me souviens lui avoir dit un jour que ce qui m'empêchait de chercher, selon son expression, à élever mon esprit au-dessus de moi-même, était, sans doute, le manque de foi.

Il me répondit par ces paroles :

La foi est nécessaire pour les religions, mais elle cesse de l'être pour ceux qui vont plus loin et parviennent à se réaliser en Dieu. Alors, on ne croit plus, on voit. Il n'est plus besoin de croire quand on voit la vérité. » 37 1129.


1938 Starets Silouane (1866-1938)

Récits d'expériences vécues1130

[417] Mais ne pensez pas que je sois dans une grande grâce, ou que je sois dans l'illusion. Non, j'ai seulement connu la grâce dans sa perfection, mais je vis d'une manière pire que le dernier et le plus ignorant des hommes. Je suis moine du grand habit, mais je suis indigne de cet état. Je ne désire qu'une chose : être sauvé ; quant aux efforts et aux sacrifices, je n'en fais aucun. Et pourtant, le Seigneur m'a donné de goûter la grâce du Saint-Esprit, et c'est elle qui fait connaître à mon âme la voie de Dieu menant au Royaume des Cieux.

Je suis attristé parce que je vis avec négligence, mais je ne peux pas faire mieux. Je sais que je suis peu intelligent, presque illettré et pécheur ; mais voici, le Seigneur aime aussi de tels hommes, et c'est pourquoi mon âme aspire de toutes ses forces à travailler pour Lui.

Oh ! que la bonté de Dieu est grande ! Je suis un homme vraiment misérable, et pourtant le Seigneur m'aime. C'est qu'Il est l'Amour en personne ; Il aime tous les hommes et les appelle à Lui : « Venez à Moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et Je vous soulagerai » (Matth. 11,28). Ce repos dans le Saint-Esprit, l'âme humble le reçoit pour son repentir.

Nous sommes maintenant les derniers moines. Mais, même maintenant, il y a encore de nombreux ascètes que le Seigneur soustrait au regard des hommes, car ils ne font pas de miracles visibles ; mais dans leur âme, chaque jour, s'accomplissent de vrais miracles, seulement les gens ne peuvent pas les voir. Voici un miracle : quand l'âme incline à l'orgueil, elle sombre dans les ténèbres et la mélancolie ; mais lorsqu'elle s'humilie, alors viennent la joie, l'humble attendrissement du coeur et la lumière.

L'âme de l'humble1131 est comme une mer; si quelqu'un jette une pierre à la mer, la surface de l'eau est troublée pendant un instant, puis la pierre s'enfonce dans l'abîme. Ainsi toute peine est engloutie dans le coeur de l'humble puisqu'en lui est la Force de Dieu. Où es-tu, âme humble ? Qui habite en toi ? À qui pouvons-nous te comparer ? Tu resplendis, claire comme le soleil, mais en brûlant, tu ne te consumes pas; tu réchauffes tout par contre de ton ardeur. À toi appartient la terre des doux, selon la Parole du Seigneur. Tu es semblable à un jardin de fleurs au centre duquel se trouve une belle maison où Dieu habite.


1941 Thomas Kelly (1893-1941), quaker

Nous rattachons les quakers à l’École du cœur. Indépendants vis-à-vis des rites, des structures et des théologies1132, ils suivent leur fondateur Georges Fox pour qui on ne bavarde pas sur les paroles du Seigneur, on les met en pratique. 

Des quakers s’établirent à Pyrmont, petite cité où Friedrich von Fleischbein (1700-1774) reçut en son château l’influence de madame Guyon par sa jeune épouse Pétronille d’Eschweiler. L’un d’entre eux souligne comment

Aubrey de la Mottraye, en 1727, remarque la ressemblance qui existait entre le Quakerisme et le Quiétisme de Mme Guyon et de Fénelon (dont on trouvait, du reste, les œuvres presque dans chaque foyer quaker, tant en Angleterre qu’en Amérique). Enfin Bossuet clame que le Quakerisme ‘est le cœur de l’hérésie’ et le janséniste Arnauld partage son opinion1133.

Les quakers ne tentent aucune entreprise missionnaire. Ils sont donc peu nombreux, mais toujours bien vivants après plusieurs siècles. Leur présence est attestée ainsi par Thomas Kelly qui décrit aussi leur pratique1134 :

La vie qui a sa source dans le ‘centre’ est une vie de paix, de calme puissance. Elle est simple. Elle est sereine. Elle est merveilleuse. Elle est triomphale. Elle est rayonnante. Elle ne demande pas de temps, mais elle nous occupe tout le temps. Elle nous propose un nouveau programme, de nouvelles victoires. Nous n’avons pas besoin de nous affoler. Dieu est au gouvernail. Et lorsque notre brève journée touche à sa fin, nous pouvons nous coucher tranquilles, en paix, car tout est bien. […]

Lorsque nous commençons à pratiquer la prière intérieure, nous sommes persuadés que cela vient de nous, que nous créons nos habitudes par notre volonté, mais une expérience plus mûre nous donne le sentiment d’être soutenus et enseignés, purifiés et disciplinés, simplifiés et rendus dociles à sa sainte volonté, par une force qui était en nous et qui nous attendait. Car Dieu lui-même agit dans le tréfonds de notre âme et Il prend de plus en plus la direction de notre vie, au fur et à mesure que nous consentons à Le laisser accomplir son œuvre en nous.


1942 Brandsma (1881-1942)

La première étape est l'offrande de soi-même et. de toute la création à Dieu. Agir ainsi est la meilleure manière de concentrer l'offrande entière sur une seule idée : tout est à Lui, et l'on ne porte aucune attention particulière sur l'une quelconque de ses oeuvres. Nous sommes créés pour voir Dieu, non la créature, et si l'on voit la créature, c'est dans la mesure où elle nous permet de remonter jusqu'à Dieu. La seconde étape est une demande de ses dons, pour que, lui qui est capable de les donner, puisse les donner, pour que lui si riche et si puissant, puisse répandre cette splendeur. La troisième étape consiste à se rendre semblable à Dieu, en l'aimant avec ferveur, en désirant accueillir l'amour qu'il nous offre et qu'il nous faut stimuler en nous. La dernière étape est l'union parfaite avec Dieu. Cela inclut toutes les étapes précédentes, mais à des niveaux plus élevés.

Tout cela est loin d'être facile, par conséquent, le frère sait bien que le succès ne vient pas d'un seul coup ; il souhaite toutefois que nous nous en donnions la peine. Peu à peu nous réussirons. La pratique a la possibilité, si l'on peut dire, de toujours s'intensifier pour enfin, un jour, déboucher sur quelque chose comme une vision immédiate ou une saisie de Dieu et pour devenir familière au point d'être considérée comme une seconde nature. Toutes les images alors disparaissent, nous passons par-dessus tout pour atteindre immédiatement Dieu. Seulement. nous ne devons pas pousser cela trop loin au point d'exclure l'humanité du Christ de notre envol vers Dieu. Il est et restera notre intercesseur et notre médiateur. 1135.

1942 Edith Stein (1891-1942)

Philosophe assistante de Husserl, juive convertie (en 1922), marquée par le thomisme, entrée au Carmel (en 1933), devenue progressivement mystique, gazée à Auschwitz. Elle propose une doctrine spirituelle distinguant dans la personne trois éléments1136.

De la Personne, Corps, âme, esprit 1137 :

[22] À la vie psychique naïve-naturelle nous opposons une vie psychique de structure essentiellement différente, que nous appelons libérée (terme qui demande quelques éclaircisse­rnents) : la vie de l'âme qui n'est pas mue de l'extérieur, mais qui est conduite d'en haut. Le d'en haut est en même temps un de l'intérieur. Car être élevé au royaume du Haut signifie pour l'âme qu'elle est totalement implantée en soi. Et inversement : elle ne peut pas être solidement établie chez soi si elle n'est pas élevée au-dessus de soi - - précisément dans le royaume du Haut. Ainsi ramenée à soi-même et ancrée en Haut, elle est pacifiée; délivrée des impressions glu monde, elle ne lui est plus livrée sans défense. C'est cela que nous appelons libérée. / Le sujet psychique libéré, comme le sujet naturel-naïf, accueille le monde avec son intelligence /Geist/. Il reçoit aussi en son âme /Seele/ les impressions du monde. Mais l'âme n'est pas mue immédiatement par ces impressions. Elle les accueille à partir de ce centre, d'où elle est ancrée dans le Haut; ses prises de position partent de ce centre et lui sont dictées d'en Haut. Tel est l'habitus spirituel des enfants de Dieu. Leur liberté est la liberté du chrétien; ce n'est pas la liberté dont il vient d'être question. On y est libéré du monde. Le genre d'attitude qui correspond à cette liberté est à son tour une activité passive, mais d'une autre sorte que celle du royaume de la nature. Les processus de la vie psychique natu­relle restent éloignés du centre, où la liberté a son lieu et l'activité sa source. Depuis ce centre, l'âme oriente son écoute vers le haut, reçoit les messages d'en haut, et soumise, elle se laisse conduire par eux. L'activité cesse à sa source même, au lieu même de la liberté il n'est fait aucun usage de la liberté.

L’être fini et l’être éternel, essai d’une atteinte du sens de l’être 1138:

La vie consciente de l'âme relative à son fondement n'est na­turellement possible que lorsqu'elle s'éveille à la raison. Alors déjà elle porte la marque de ce qui s'est produit auparavant en elle et avec elle: elle ne peut se saisir dès le début de son existence et ce qu'elle était au début de son existence. D'ailleurs sa vie naturelle se pose en s'opposant au monde et en agissant en lui. C'est pour­quoi l'orientation naturelle de sa vie c'est l'extériorisation hors d'elle-même et ce n'est pas le retour sur soi ni le séjour prolongé en elle-même. Elle doit être ramenée à l'intérieur d'elle-même: ce qui se produit grâce aux exigences qui se présentent à elle et à la voie de la conscience; mais naturellement l'appel vers l'extérieur sera toujours plus fort, si bien que le séjour dans l'intériorité ne dure pas longtemps. Nous ne devons pas oublier non plus que le Je ne rencontre pas grand-chose lorsqu'il rentre en lui-même et rompt tout lien avec le monde extérieur: c'est-à-dire non seulement lors­qu'il ferme les portes des sens, mais aussi lorsqu'il fait abstraction des impressions du monde conservées dans la mémoire et de ce qu'il perçoit en lui-même, en se considérant comme un homme dans ce monde, autrement dit le rôle qu'il joue dans le monde, ses talents et ses aptitudes. En tant qu'objet de la perception, de l'ex­périence et de l'observation intérieure, l'homme - et l'âme autant que le corps - offre une ample matière à réflexion. Ainsi même [439] pour beaucoup, le Je personnel est plus important que le reste du monde tout entier. Mais ce qui est saisi dans cette per­ception et cette observation intérieures, ce sont des forces et des capacités d'agir dans le monde et les effets d'une telle action: Il ne s'agit point de l'intériorité proprement dite, mais d'un dépôt de la vie psychique originelle, des croûtes qui se déposent, en augmentant continuellement, autour de l'intériorité. Si l'on quitte tout cela pour se retirer réellement dans l'intériorité, on ne ren­contre sans doute pas le néant, mais un vide et un silence inha­bituels. Le fait d'écouter les battements de son propre cœur, c'est­-à-dire l'être psychique intérieur lui-même, ne saurait satisfaire la tendance à la vie et à l'action du Je. Il ne s'y arrêtera pas long­temps s'il n'est pas retenu par quelque chose d'autre, si l'intériorité de l'âme n'est pas remplie et mise en mouvement par autre chose que le monde extérieur. C'est bien une telle expérience qu'ont fait de tout temps ceux qui connaissent la vie intérieure: ils ont été entraînés dans leur intériorité la plus profonde par quelque chose qui a exercé une pression plus forte que l'ensemble du monde extérieur: là ils ont éprouvé la présence d'une vie nouvelle, puissante, supérieure, celle de la vie surnaturelle, divine. […]

[444] Dieu est l'amour, c'est là le point de départ d'Augustin et c'est déjà en soi la Trinité. En effet, font partie de l'amour un aimant, un aimé et enfin l'amour lui-même. Lorsque l'esprit s'aime lui­-même, l'aimant et l'aimé sont alors une seule et même chose, et l'amour qui appartient aussi à l'esprit et à la volonté ne fait qu'un avec l'aimant. Ainsi l'esprit créé, qui s'aime lui-même, devient une image de Dieu. Cependant, pour s'aimer lui-même il doit se con­naître. L'esprit, l'amour et la connaissance sont trois et un. Ils se trouvent dans un juste rapport lorsque l'esprit n'est ni plus ni moins aimé que ce qui lui correspond: ni moins que le corps et ni plus que Dieu. Ils sont un, puisque la connaissance et l'amour se trouvent dans l'esprit; ils sont trois, puisque l'amour et la connaissance sont différents en soi et se rapportent l'un à l'autre. Ils sont semblables à deux matières corporelles dans un mélange: chacune se trouve dans chaque partie du tout et cependant elle est distincte de l'autre. […]

[454] comment parviendra-t-il à l'amour de Dieu, qu'il ne voit pas, sans être aimé d'abord par Lui ? Toute connaissance divine naturelle venant des créatures ne découvre certes pas son essence cachée. En dépit de toute l'analogie qui doit unir la créature et le créateur, cette con­naissance le conçoit toujours comme l'être entièrement autre. Cette conception pourrait déjà suffire - dans la nature corrompue -pour reconnaître qu'un amour plus grand que celui de n'im­porte quelle créature revient au Créateur. Mais pour se donner à lui en l'aimant, nous devons apprendre à Le connaître en tant qu'aimant. Ainsi Lui seul peut s'ouvrir à nous. […] / Puisque l'âme accueille en elle-même l'esprit de Dieu, elle mérite le nom de réceptacle spirituel. Mais le mot réceptacle ne nous fournit qu'une image assez inexacte pour la sorte d'ac­cueil dont il est ici question. Un réceptacle spatial et son contenu restent extérieurs l'un à l'autre; ils ne se fondent pas en un seul étant et lorsqu'ils sont de nouveau séparés, chacun redevient ce qu'il était avant l'union (à moins que ce soient des matières qui se compénètrent, mais dans ce cas le réceptacle serait imparfait; même s'il est pénétrable, il demeure impropre en tant que ré­ceptable). L'union d'une matière avec sa forme - par exemple l'union entre le corps et l'âme - est beaucoup plus intime. Ici nous nous trouvons en présence d'une imbrication que l'on ne peut plus comprendre spatialement. […]

[456] À partir de maintenant, nous comprenons mieux la trilogie dont nous avons déjà parlé, corps-âme-esprit. En tant que forme du corps, l'âme occupe la place intermédiaire entre l'esprit et la matière, qui appartient aux formes des choses corporelles. En tant qu'esprit, elle possède son être en elle-même et elle peut en toute liberté personnelle s'élever au-dessus d'elle-même et rece­voir en elle une vie plus haute.

La science de la croix, passion d’amour de saint Jean de la Croix 1139:

Pour parvenir à l'union avec Dieu, il faut « simplement croi­re que Dieu est, ce qui n'est l'affaire ni de l'entendement, ni de l'imagination, ni d'un sens quelconque. En cette vie en ef­fet, on ne peut le connaître tel qu'Il est. Aurait-on ici-bas les connaissances, les sentiments et les goûts les plus relevés qui soient sur Dieu, tout cela est à une distance infinie de ce qu'il est en Lui-même et de ce que sera pour nous sa pure pos­session». / […] L'âme s'appuie-t-elle encore sur ses propres forces, elle se prépare ainsi uniquement des difficultés et des obsta­cles. L'abandon de sa propre voie équivaut, en ce qui concerne son but, à prendre la véritable voie. Au fond, «son effort vers le but, l'abandon de son mode propre c'est déjà arriver à ce but, qui n'a pas de mode et qui est Dieu. Car l'âme qui par­vient à cet état n'a plus ni modes ni manières d'agir qui lui soient propres. [64] Elle n'est plus liée à ses manières d'entendre, de goûter et de sentir. Elle les possède toutes en même temps comme celui qui n'a rien et qui cependant possède tout [Ed. Cr. I, p.108] / En franchissant ses limites naturelles, tant intérieures qu'ex­térieures, «elle entre pleinement dans le surnaturel qui ne connaît plus, lui, ni modes ni manières parce qu'il les contient toutes en substance». Elle doit s'élever au-dessus de tout le spirituel qu'elle peut connaître et comprendre par voie natu­relle, même au-dessus de tout le spirituel que l'on peut goûter et percevoir en cette vie par les sens. Plus elle estime que tout cela est de grand prix, plus elle s'éloigne du plus grand des biens. Considère-t-elle cependant: que tout cela est de peu de valeur par rapport au Bien suprême, alors «dans l'obscurité elle s'avance à grands pas vers l'union au moyen de la loi» [Montée, vol. II, chap. 3 (Ed. Cr. I, p.108 sv.)]. / Arrivé à cet endroit, le Bienheureux a inséré un bref com­mentaire nous permettant de mieux comprendre ce qu'il en­tend dans tous ces exposés, par union. Il ne s'agit pas de cette union essentielle que Dieu possède avec toutes choses et par laquelle elles sont maintenues dans leur être, mais d'une «union et une transformation de l'âme en Dieu par amour. Celle-­ci ne persiste pas toujours comme celle-là, mais seulement lorsque l'âme a atteint à la ressemblance par amour». Cette union-là est naturelle, celle-ci surnaturelle. / […] / La surnaturelle se produit lorsque la volonté de l'âme et: la volonté de Dieu se confondent en une seule, si bien qu'il n'y a rien dans l'une qui puisse s'opposer à l'autre. Quand l'âme «se sera dépouillée intérieurement de ce qui répugne et n'est pas conforme à la volonté divine, elle demeurera transformée en Dieu par amour. Ce qui doit s'entendre non seulement de ce qui lui répugne selon l'acte, mais aussi selon l'habitude ... Et parce qu'il n'est rien de créé qui par son action et sa capacité puisse atteindre à l'être de Dieu ou avoir un rapport avec lui, ainsi l'âme doit-elle se détacher de tout le créé, de toutes ses [65] actions, de tout ce dont elle est capable ... Ainsi seulement peut s'accomplir sa transformation en Dieu». La lumière divi­ne habite déjà naturellement dans l'âme. Mais celle-ci ne peut être illuminée et transformée en Dieu que lorsqu'elle se vide, selon la volonté divine, de tout ce qui n'est pas Dieu. Et c'est ce qui s'appelle aimer !


1943 Jiri Langer (1894-1943)

« Pour écrire ce livre, mon frère Jiri dut se transporter de la réalité vivante de ce siècle dans l'atmosphère de la mystique du Moyen Age. Et cela non seulement métaphoriquement, sur les ailes de l'imagination, mais d'une façon bien réaliste, en achetant un billet de chemin de fer dans une gare de Prague à destination d'une petite ville de l'est de la Galicie. C'était très facile, car la monarchie austro-hongroise existait encore au début du siècle, elle unissait des nations parfois très éloignées les unes des autres géographiquement et culturellement. C'est ainsi qu'après vingt-quatre heures de voyage ou un peu plus, dans un train crasseux, Jiri se retrouva à cinq cents kilomètres à l'est et, simultanément, à deux ou même cinq siècles en arrière. Un jeune homme qui venait de la belle ville de Prague, un jeune homme appartenant à une famille juive habituée à tout le confort dont on pouvait disposer au début du 20e siècle, s'était installé dans une communauté de croyants qui vivait comme une petite nation autonome, entourée par un mur intérieur, et par là d'autant plus impénétrable, qui la séparait du temps et de l'espace environnants.

« Je lus tout d'une traite. Il n'y avait rien de nébuleux ou d'incompréhensible dans le mysticisme de ce livre : les miracles et prodiges qui en formaient la trame, loin d'être surchargés de pathos et coupés de la réalité, étaient « taillés » à la mesure de l'homme ; il s'en dégageait un charme émouvant. Ces légendes parlaient de saints rabbins capables de faire des miracles et vivant une relation d'intimité avec le Seigneur telle qu'ils pouvaient même se permettre d'être insolents avec lui ; dans cette atmosphère, un miracle accompli par Dieu ne semblait rien de plus qu'un simple geste d'entraide de bon voisinage. Les histoires parlaient des hassidim, ces enfants spécialement aimés de Dieu, qui avaient, en vertu de leur piété infinie, le rare privilège de réclamer à la Providence, par l'intercession de leurs saints, tout ce dont ils avaient besoin pour vivre.

« La beauté de la doctrine hassidique réside principalement dans sa proclamation de la nature spirituelle de toutes choses. Selon la conception hassidique, tout est surnaturel, rempli des étincelles de la sainteté divine, et tout acte purement physique de la vie humaine, comme manger et boire, se baigner et dormir, danser et aimer, n'est pas seulement matériel, mais une action sublime accomplie pour le service de Dieu. La légende hassidique n'est pas dépourvue d'humeurs sombres. Mais dans l'ensemble, on peut dire que la mystique des légendes hassidiques est lumineuse et remplie de joie, ce qui lui donne cette extraordinaire fascination sans nuire à sa profondeur spirituelle.1140

Sholem apprit beaucoup du Voyant de Lublin. Par exemple, vous savez ce qu'est un kvitel : quand un hassid va demander à un saint d'intercéder en sa faveur auprès du Très-Haut, il écrit sur un morceau de papier appelé kvitel en yiddish, ou kvitlach au pluriel, le nom de sa mère et l'endroit où il vit, il donne ce papier au saint qui sait mieux que personne ce qu'il faut demander à Dieu pour cet individu. Eh bien, ce fut le saint de Lublin qui apprit à Reb Sholem comment lire correctement les kvitlach. Reb Sholem raconte ainsi : « Il m'a appris à lire, dans le kvitel de chaque personne, où étaient les racines de son âme, dans Adam, Caïn ou Abel, combien de fois son âme s'est réincarnée, quelle transgression il a commise pour parvenir à telle ou telle réincarnation, quel mal il a fait, quel vice a pris racine en lui et quel mérite il a acquis. Il m'a aussi appris à reconnaître quelles constellations d'étoiles étaient propices lorsqu'on priait pour ceci ou pour cela, et lesquelles ne l'étaient pas. Il avait la sainte habitude de fixer longuement un kvitel apporté par un homme bon ; mais il écartait rapidement le kvitel amené par quelqu'un de méchant. Il ne voulait pas contempler l'ignominie des hommes. » 

§

Mayerl intercéda pour un pécheur particulièrement endurci et impudent, mais le bon Dieu, cette fois-là, ne voulut pas pardonner. Alors Mayerl tapa du pied devant Dieu, imaginez-vous seulement la chose ! Et le pécheur fut immédiatement pardonné. Si vous êtes un papa ou une maman, vous le comprendrez sans difficulté : rappelez-vous votre bonheur quand votre tout-petit tapa du pied pour la première fois devant vous. Seulement la première fois, bien sûr, et ce devait être la dernière.

§

Le saint Reb Naftali avait un fils qui, quoique très doué, préférait les jeux à l'étude. Reb Naftali lui en fit reproche :

« Sais-tu que le saint Baal-Shem disait qu'il fallait prendre modèle sur le Tentateur ? De même que le Tentateur ne cesse de remplir la mission que lui a confiée le Créateur, à savoir entraîner l'homme vers le péché à tout moment, de même un homme ne devrait pas cesser de remplir sa mission, qui est de servir assidûment son Créateur et d'apprendre à faire le bien.

Tout ceci est bien beau, lui riposta son fils, mais le Tentateur a la tâche facile. Il ne lui est pas difficile de suivre sans cesse la volonté du Créateur, car lui, le Tentateur, n'est jamais tenté par un autre alors que moi, je suis toujours tenté par le Tentateur.»

À une autre occasion, Reb Naftali dit à son fils :

« Je te donnerai un ducat si tu me dis où est Dieu.

Papa, dit l'enfant, je te donnerai mille ducats si tu me dis où Dieu n'est pas... »

§

« Est-ce qu'au moins je serai heureux après ma mort ? demanda cet homme.

Que tu es sot ! répliqua Reb Naftali. Il ne t'est pas accordé de retirer quelque satisfaction de ce monde alors que tu te donnes tant de mal à cette fin, comment peux-tu supposer que tu auras quelque bonheur dans l'autre monde, alors que tu ne fais aucun effort dans ce but ?... »

§

Chaque lettre de la Torah cache un profond mystère. Les plus sublimes mystères sont contenus dans les voyelles et d'autres, encore plus sublimes, se trouvent dans les annotations. Mais les plus sublimes de tous restent immergés sous l'indéfinie mer de blancheur qui entoure les lettres de tous côtés. Personne ne peut éclaircir ce mystère, il n'existe personne qui puisse en sonder les profondeurs. Le mystère de la blancheur du parchemin est si immense que ce monde entier dans lequel nous vivons est incapable de le contenir. Aucun vase n'est propre à le recevoir. Il ne sera compris que dans le monde à venir. Alors seulement on pourra lire, non ce qui est écrit dans la Torah, mais ce qui ne l'est pas : le parchemin blanc.

§

Il dit un jour à des disciples : « Chacun doit prendre conscience qu'il est unique en son genre dans le monde, qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'y aura jamais plus quelqu'un comme lui. Aussi devons-nous tous faire le meilleur usage de nos qualités morales et améliorer nos personnalités autant que possible. Ce n'est que de cette manière que le monde s'approchera de la perfection. »

Une autre fois, il dit : « Un homme vit un jour un objet précieux posé très haut. Voulant le prendre, il demanda à un certain nombre de personnes de faire "une tour", en sorte que la personne se trouvant au sommet puisse atteindre l'objet. Supposons que l'une de ces personnes, par exemple celle se trouvant tout en bas, se dise : ",Mais qu'est-ce que je fais ici ? Après tout, je ne parviendrai moi jamais assez haut !" Supposons que, en disant cela, elle saute de côté : son acte aura été complètement absurde et aura mis en péril la vie de tous les autres. De même, nous sommes tous nécessaires les uns aux autres, le plus "haut" comme le plus "bas". Si une seule personne vient à faire défaut, l'ensemble ne pourra atteindre le but désiré. »

En une autre occasion, le saint Reb Schloïmele dit : « Dieu ne souhaite pas que nous vivions dans un état d'extase perpétuelle, comme les anges. Au contraire, Il souhaite que nous chutions de temps à autre, car, ensuite, lorsque nous nous sommes repentis de notre faute, nous nous élevons, par notre repentance, à un niveau supérieur à celui qui était le nôtre avant notre chute. Et, dans notre mouvement vers le haut, nous entraînons le monde entier avec nous. Dieu nous demande donc de descendre, par amour du prochain, au niveau des autres hommes. »

§

Les hassidim de Strelisk étaient tout aussi pauvres que leur saint Reb Urele. La raison en était, comme vous le savez probablement déjà, qu'Urele ne priait jamais pour obtenir à ses hassidim des biens matériels, ainsi qu'avaient coutume de le faire les autres tsaddikim ; il priait seulement pour le bien spirituel de ses ouailles.

Cette étrange habitude lui fut reprochée par un autre saint qui vint lui rendre visite. Que fit Reb Urele ? Il appela un hassid qui passait justement par là et lui dit :

« Sache que ce moment où je suis assis avec ce tsaddik est un moment de grâce spécial. Quel que soit le désir que tu exprimes, il sera exaucé. Même si tu demandes à être l'homme le plus riche du monde, il sera fait selon ta volonté. »

Le hassid ne fut pas long à se décider.

« Je souhaite que le Seigneur m'aide à dire la prière "Que soit loué celui qui parla et ce monde fut créé..." avec autant de ferveur que lorsque, toi, tu la dis !

Tu vois, dit Urele à son hôte, tu vois quel genre de richesse mes hassidim désirent. »

§

Le saint Rebe Reb Sische

Un jour, Sische passa devant un marchand d'oiseaux chez qui il vit une immense cage où se trouvait un grand nombre d'oiseaux chanteurs. Que fit Sische ? Il raisonna ainsi : David, roi d'Israël, a chanté dans ses Psaumes : « Dieu prend pitié de toutes ses créatures. » En disant cela, Sische entra et ouvrit la cage. En un clin d'oeil, les petits prisonniers s'échappèrent vers la liberté des créatures du Seigneur du monde. C'est ce que fit Sische, mais l'oiseleur, lui, comment réagit-il ? Il s'empara d'un bâton et se mit à frapper Sische de belle manière. Pensez-vous que Sische ait tant soit peu crié ? Allons donc ! Il se rompait les côtes à force de rire!

[…]

Ces ivrognes se rappelèrent tout d'un coup qu'il y avait un juif sur le poêle et décidèrent qu'il devait être battu, ce paresseux. Ils se levèrent et s'emparèrent du saint Rebe Reb Sische, commençant par lui, car il se trouvait tout au bord. Ils le mirent sur ses pieds et lui ordonnèrent de danser pour eux. Le saint Rebe Reb obéit et dansa devant les moujiks comme la princesse Salomé devant le roi Hérode. Il dansa, tourna et sauta pendant que les rustres riaient et hurlaient. Quand il se trouvait mal, ils le maintenaient sur pied avec un fouet. Ils s'arrêtèrent seulement quand le saint Rebe Reb Sische tomba à terre, évanoui.

Mais ces moujiks n'étaient pas dépourvus de coeur. Quand ils virent que le pauvre juif ne bougeait plus, ils le remirent sur le poêle pour le laisser retrouver son souffle. Un moment après, le saint Rebe Reb Sische reprit connaissance. Voyant cela, le saint Rebe Reb Melech se pencha et lui murmura à l'oreille : « Sische, mon frère, viens, étends-toi à ma place un instant et je m'étendrai à la tienne. » Mais Sische ne bougea pas. Il ne voulait rien entendre. Le saint Rebe Reb Melech se mit alors à sangloter et dit : « Crois-tu donc qu'il n'y ait que toi qui aies droit à toute la souffrance du monde ? Tu veux toujours la boire entièrement tout seul et ne pas laisser aux autres la moindre goutte amère. Tu ne veux même pas m'en laisser une goutte à moi, ton propre frère. N'ai-je pas aussi droit à un peu de souffrance pour la gloire de Dieu ? » Et le saint Rebe Reb Melech pleurait et se lamentait...

Le saint Rebe Reb Sische finit par se laisser attendrir par son cher frère, lui céda sa place au bord du poêle et prit la sienne. « Maintenant, occupons-nous de l'autre juif », crièrent les moujiks qui, de nouveau, s'ennuyaient. Ils grimpèrent alors sur le poêle et s'emparèrent de « l'autre ».

[…]

Durant toutes les années qu'il passa à Mezeritz, il n'entendit pas une seule explication de la Parole de Dieu de la bouche de son maître. Le saint Rebe Reb Ber ouvrait le livre et commençait à lire : « Et le Seigneur dit... » et cela suffisait à notre Sische. Une telle extase s'emparait de lui dès qu'il entendait ces quatre mots qu'il n'était plus capable d'en écouter davantage. Et cela se reproduisait à chaque fois. À peine entendait-il les mots « Le Seigneur a dit... », il tombait en extase de telle sorte qu'il se mettait à crier de toutes ses forces : « Le Seigneur a dit, le Seigneur a dit... » et il ne s'arrêtait plus, si bien que ses condisciples se voyaient dans l'obligation de l'envoyer dans la cour pour avoir enfin la paix. Sische n'offrait aucune résistance, il n'avait aucune idée de ce qui se passait. L'extase qui s'emparait de lui agitait tout son corps. Il continuait de crier dans la cour : « Le Seigneur a parlé, le Seigneur a parlé.... » et s'agitait comme un épileptique. Il ne se calmait qu'après un long moment. Quand il était enfin en état de revenir, son maître avait depuis longtemps terminé son explication. Et c'est pourquoi Sische n'entendit jamais une seule explication du saint Rebe Reb Ber.

[…]

Toute sa vie durant, Sische ne servit Dieu que par l'Amour. Mais il lui arriva un jour de souhaiter ardemment avoir les deux ailes et servir le Très-Haut par la Crainte également, comme les anges de Dieu. Aussi pria-t-il Dieu de lui accorder la grâce de sa Crainte. Le Seigneur entendit sa prière et lui emplit le coeur de crainte. Mais n'allez pas imaginer que Sische, dès qu'il eut deux ailes, s'envola au plus haut des cieux comme un oiseau. Tout au contraire ! Saisi d'une grande crainte devant le Seigneur de l'Univers, il se cacha sous son lit, comme un chien peureux, tremblant d'effroi.

« Assez, Seigneur, assez ! s'écria-t-il depuis sa cachette comme Jonas du plus profond des eaux. Retire de moi ta sainte Crainte ! Je ne suis pas capable de Te servir comme le font tes anges. Je préférerais Te servir de nouveau comme simple Sische ! »

Et le Seigneur miséricordieux exauça de nouveau la prière de Sische. L'aile fut coupée et Sische put sortir de dessous son lit. À partir de ce jour, il servit le Seigneur uniquement comme simple Sische, par rien d'autre que l'Amour pur.

§

il connaissait par coeur toutes les dissertations talmudiques les plus difficiles et c'est de mémoire qu'il donnait toutesses leçons à ses disciples. Un jour, ce rabbin Nathan Adler — que la paix soit sur lui ! — fit cette déclaration à Francfort « Ces juifs polonais sont vraiment terribles, avec leur façon d'être collants. Chaque fois que mon âme s'élève jusqu'au Ciel, j'aperçois toujours de loin ce Sische debout devant la porte du Paradis, Dieu seul sait comment il arrive à trouver son chemin jusque-là. Mais chaque fois que j'y arrive, il est toujours là avant moi. Il n'y a aucun doute, ces juifs polonais sont bien collants ! répétait-il.

§

Il allait plonger sa cuiller dans la soupe lorsque, brusquement, à l'improviste, le saint Rebe Reb Melech se saisit de la nappe, la tira en renversant la soupe qui se répandit sur la table. Si ce jour avait été la fête de Pourim, vous auriez pu supposer que le saint Rebe Reb Melech nous jouait un tour. Mais le saint Rebe Reb Melech n'était pas un homme à plaisanter et ce n'était pas le jour de Pourim... Le saint Reb Mendele de Rimanov pâlit et, de frayeur, laissa tomber sa cuiller. « Mais que faites-vous là ? cria-t-il au saint Rebe Reb Melech, voulez-vous qu'on nous arrête ? — Chut, chut ! s'écria le saint Rebe Reb Melech en essayant de tranquilliser son hôte. Ne perdons pas notre confiance dans le Tout-Puissant ! […] À la fin de sa lettre, Arn Shiya avait ajouté ce post-scriptum : «J'allais oublier la nouvelle la plus importante. J’ai appris de source sûre qu'hier, à midi, le jour du shabbat, l'Empereur s'apprêtait à signer un décret selon lequel tous nos fils devaient servir dans l'armée, ce dont Dieu nous préserve. L'Empereur allait signer le décret, il avait déjà plongé sa plume dans l'encrier d'or quand, de façon soudaine et inattendue, ce dernier se renversa et le décret se noya dans l'encre. L'Empereur déclara que c'était un mauvais présage et il refusa de signer le décret.

§

Dans les saints livres de notre Cabale, les mystères des neuf voyelles sont complètement expliqués. La voyelle a, ce petit trait horizontal sous une consonne, est le seuil qui précède la Porte de la Sagesse de Dieu. Ces deux petits points côte à côte qui dessinent la voyelle ei sont l'origine et le terme, le trône sublime du Seigneur de qui toute âme provient et vers qui elle retourne (et devant qui les anges tremblent de toutes leurs ailes). Les trois points en forme de coeur, e, symbolisent l'Amour. Et ainsi de suite avec tous ces signes précieux. Mais je n'en dirai pas plus ici. Je n'ai mentionné cela que pour éclairer mon histoire.

Le saint Rebe Reb Melech n'écrivit aucun livre. Mais, un jour, un homme de lettres vint lui rendre visite. Cet honorable personnage, comme la plupart de ses semblables, n'était pas capable de parler d'un autre sujet que de ses propres écrits. S'imaginant avoir ainsi fort agréablement entretenu le saint, il lui demanda par pure politesse :

« Et qu'en est-il de vous ? Travaillez-vous sur un ouvrage ?

Oui, répondit le saint Rebe Reb Melech. — Et comment sera-t-il intitulé ?

Il s'appellera Nekides Halev en hébreu ou Die Pintelech funm Harz en yiddish, c'est-à-dire "Les Petits Points du coeur". J'ai déjà fini deux petits points, ceux que nous prononçons ei, de sorte que la première partie est terminée. Son titre est Eimes Halev, "La Crainte du coeur". Maintenant, je n'ai plus qu'à ajouter un petit point et j'obtiendrai Emes Halev, "L'Intégrité du coeur", car nous écrivons e avec trois points. J'espère qu'avec l'aide de Dieu, je pourrai finir ce travail avant ma mort. »

§

« Seigneur de l'Univers ! Tu sais les pensées les plus secrètes de l'homme et Tu sais combien j'aspire à Te servir de tout mon coeur et de toute mon âme. Tu sais aussi que je souffre quand mes pensées sont alourdies par le doute. Mais nos savants, de sainte mémoire, nous enseignent dans le Talmud que "celui qui désire être purifié recevra de l'aide". Évidemment, le Talmud ne précise pas que l'aide vient de Dieu, il parle seulement de recevoir une aide. Cela signifie que Tu aides l'homme à se purifier, non seulement Toi-même directement, mais aussi par l'intermédiaire de tes saints, nos maîtres. Fais donc en sorte que le saint de Lublin puisse m'aider à connaître la Vérité afin de bannir mes doutes à jamais ! »

C'est ainsi que le saint Yismach Moïsche pria en son coeur avant de se mettre en route vers Lublin. À son arrivée, le saint de Lublin le regarda droit dans les yeux et lui dit :

« Pourquoi es-tu si triste ? Certes, nous devons toujours nous désoler de la destruction de Jérusalem et de l'incendie du Temple, mais elle est aussi vraie, cette salutation donnée jadis par un sage : "Laisse la joie sur ton visage et la tristesse dans ton coeur !" Mon ancien maître, Rebe Reb Schmelke de Nikolsburg, poursuivit le saint Voyant, avait l'habitude de l'illustrer par une belle parabole. Il y avait une fois un roi qui fut destitué de son trône et chassé de son royaume. Pendant longtemps, il erra de par le monde, n'ayant nul endroit où reposer sa tête. Toutefois, ce roi infortuné gardait un ami de jeunesse et il se réfugia finalement chez lui. Cet homme était pauvre, mais il accueillit à bras ouverts le royal fugitif et lui offrit l'hospitalité dans sa pauvre cabane. Il se mit en quatre pour deviner les désirs de son ami et adoucir son triste sort. En son âme, il se désolait sur le sort du roi infortuné, mais, à l'extérieur, il se montrait gai et amusait le roi de toutes les façons possibles. Ce roi chassé par son propre peuple, c'est le Roi des Rois, le Dieu miséricordieux, qu'Il soit loué ! Et nous sommes ses vieux amis.

§

Le rêve étrange du repenti1141 :

"Absolument pas, dit l'inconnu. Votre cas mérite d'être porté devant un tribunal juridique. Vous êtes sommé de vous y présenter et la cour a, sans nul doute, ses raisons pour agir ainsi." L'apparence de cet inconnu imposait tant le respect, sa voix était si grave que je me levai de table bon gré mal gré et le suivis sans avoir avalé la moindre bouchée. Nous entrâmes dans le bâtiment du tribunal. Dans le hall d'entrée, un domestique alla vers nous pour me demander mon nom. Quand je le lui eus dit, il fronça les sourcils et dit : "Oui, vous avez été convoqué. Cependant, en ce moment, le tribunal n'a pas le temps de s'occuper de votre cas. Retournez d'où vous venez et attendez !" Je retournai donc à l'auberge et m'assis devant mon repas. Mais, une nouvelle fois, l'inconnu alla vers moi et me demanda de le suivre jusqu'au tribunal.

« Je lui répondis avec mauvaise humeur. Ne savait-il pas que le tribunal était occupé par un autre cas et, en outre, n'étais-je pas prêt à dédommager de tout, comme je l'avais déjà dit ? Je lui demandai de me laisser seul et de me permettre de continuer mon repas dans la paix et la tranquillité. Mais l'homme persista dans sa demande et je ne pus faire que ce qu'il disait, car j'étais subjugué par son apparence remplie de dignité. Tout se déroula exactement comme la première fois. De nouveau, le domestique revint me dire que le tribunal n'avait pas le temps d'étudier mon cas en ce moment et que je pouvais m'en retourner et attendre. Je retournai à l'auberge dans une colère noire et m'attablai pour manger. J'étais cette fois réellement affamé. Pour la troisième fois, l'inconnu alla vers moi et me demanda de le suivre. Je n'en avais nulle envie et refusai énergiquement. Mais, de nouveau, ma résistance fut vaincue par la mystérieuse gravité de cet homme. Cette fois, le domestique ouvrit les portes de la cour tout grand devant moi et me cria : "Entrez ! Vous allez être jugé maintenant."

« J'entrai dans une pièce somptueuse au milieu de laquelle était placée une table imposante. Autour de la table étaient assis des vieillards très dignes avec de longues barbes blanches : c'étaient les juges. L'homme qui m'accompagnait s'avança alors devant les juges et leur énuméra tous les péchés que j'avais commis. Il y avait des péchés graves, si graves que les cheveux de ma tête finirent par se hérisser d'horreur ; les autres péchés, à la fois moins nombreux et plus graves, s'étaient effacés peu à peu, car c'étaient des péchés que je m'imaginais avoir oubliés depuis longtemps. Le plaignant les décrivait avec tant de détails que je me les rappelais tous. Je me tenais debout comme pétrifié d'effroi. J'aurais voulu m'enfuir en courant, mais j'en étais incapable. Mes jambes étaient comme en bois. Des gouttes de sueur d'agonie perlaient sur mon front. Cette énumération semblait ne devoir jamais finir. Mes péchés s'amoncelaient devant moi comme des monceaux hideux de rats morts et d'autres animaux impurs, tels scorpions et rats. Finalement, le plaignant s'arrêta de parler. Il s'ensuivit un silence de mort. Tout ce que j'entendais, c'étaient les battements de mon propre coeur comme s'ils provenaient d'infiniment loin. Ce furent des instants horribles, en vérité. Ils pesèrent sur moi comme une chape de plomb et s'éloignèrent en se fondant dans la nébuleuse sans limite de l'éternité.

« Un des vieillards brisa enfin le silence : "Quel châtiment devons-nous lui infliger ?

« — Quel châtiment devons-nous lui infliger ?" répétèrent les autres comme un choeur de fantômes. Et le silence s'installa de nouveau.

« Cela va nécessiter beaucoup de temps pour prononcer le jugement contre lui, déclarèrent-ils après un moment. Entre-temps, qu'il se tienne ici jusqu'à ce que nous ayons fait le tour exhaustif de la questio


1948 Vital Lehodey (1857-1948)

Dom Vital Lehodey prône un abandon très proche de celui des quiétistes et sa direction forme un contrepoint moderne à celle de madame Guyon, inspirée par François de Sales et Caussade. On note une filiation par influences Guyon > Caussade > Ramières > Lehodey.1142.

Au fond, le manque de confiance, et le découragement qu’il inspire, sont le grand obstacle aux desseins de Dieu ; ils sont même l’unique danger, mais un danger redoutable ; car ils pourraient nous précipiter dans l’abîme du désespoir. 406.

[l’âme] évite de chercher ou même d’accepter des considérations suivies, des affections variées et compliquées … Mais elle reçoit l’action divine avec révérence et soumission, avec confiance et reconnaissance ; elle s’y adapte. 454.



1950 Simon Frank (-1950)

L’humain en l’homme est sa théandrie … l’homme est destiné à être le vase de la Divinité (150/1). 1143.

L’Église du Christ » n’est pas autre chose que l’unité des hommes en Dieu … qui se révèle à l’amour, c’est-à-dire à une religieuse et respectueuse perception de la nature divine en la figure humaine comme telle. (156).

Le Christ a proclamé et manifesté non pas la religion de la loi, mais celle de la grâce ; Il ne pouvait donc absolument rien « fonder », ni être un « législateur ». (230)

Les anciens Pères de l’Église comprenaient déjà qu’à tout le moins des personnalités comme Héraclite, Socrate, Platon, étaient des « chrétiens avant le Christ ». En ce sens toute l’humanité qui a cherché et pressenti la vérité du Christ à toutes les époques de l’histoire humaine, est incluse dans l’Église mystique du Christ. (232).



1950 Ramana Maharshi (1879 - 1950)

"L'illumination vient du coeur et arrive au cerveau, siège de l'esprit. Le monde est vu avec l'esprit ; ainsi vous voyez le monde par la lumière réfléchie du Soi. Le monde est perçu par un acte de l'esprit. Quand l'esprit est illuminé il est conscient du monde, quand il n'est pas illuminé, il n'est pas conscient du monde.

Le Soi dans sa pureté est vécu dans l'intervalle entre deux états ou entre deux pensées. L'ego est comme une chenille qui lâche prise d'une feuille seulement quand elle s'est saisie d'une autre. Sa vraie nature est connue quand il est coupé du contact avec les objets ou les pensées. Il vous faut réaliser cet intervalle comme étant la permanente Réalité sans changement, votre être réel, grâce à la conviction acquise par l'étude des trois états...

... Quel que soit l'état dans lequel on se trouve, nos perceptions participent de cet état. L'explication en est que dans l'état d'éveil le corps physique perçoit des noms et des formes physiques ; dans l'état de rêve le corps mental perçoit les créations mentales dans leurs multiples formes et noms ; dans le sommeil profond sans rêve, l'identification avec le corps n'existant plus, il n'y a pas de perceptions ; de même dans l'Etat transcendantal l'identité avec Brahman (le Soi) met l'homme en harmonie avec tout, et il n'y a rien en dehors du Soi.

"Connais-toi toi-même" est ce qu'on a l'habitude de dire. Même cela n'est pas correct. Car, si nous parlons de connaître le Soi, il devrait y avoir deux Soi, l'un connaissant le Soi, un autre étant le Soi qui est connu, ainsi que le processus de la connaissance. L'état que nous appelons la réalisation consiste simplement à être soi-même, ne connaissant rien ni ne devenant rien. Si l'on a réalisé, on est ce qui seul est et qui seul a toujours été.

La réalisation du Soi est la plus grande aide qui peut être prêtée à l'humanité. Voilà pourquoi on dit que les saints sont utiles, même s'ils restent dans des forêts. L'aide est imperceptible mais est pourtant présente. Un saint aide toute l'humanité, bien qu'ignoré par celle-ci.

Il n'y a pas de plus grand mystère que ceci — qu'étant nous-même la Réalité, nous cherchons à atteindre la Réalité. Nous pensons qu'il y a quelque chose paralysant notre Réalité qui doit être détruit avant d'atteindre la Réalité. Ceci est ridicule. Un jour viendra, où vous rirez de votre propre effort."1144


CHAPITRE III 1145 LA DISCIPLINE MENTALE

D - Comment puis-je discipliner mon esprit ?

M — Aucun esprit n'est à discipliner, si l'on réalise le Soi. Le Soi resplendit lorsque le mental disparaît. Le mental d'un Réalisé peut être actif ou inactif, chez lui le Soi existe seul. Car le mental, le corps, et le monde ne sont pas séparés du Soi. Ils ne peuvent demeurer en dehors du Soi. Pourraient-ils être quelque chose d'autre que le Soi ? Lorsqu'on en est conscient, lorsqu'on a compris cette vérité, pourquoi se tourmenter de ces ombres vaines ? Comment pourraient-elles affecter le Soi ?

D — Mais si le mental n'est qu'une ombre, comment fera-t-on pour connaître le Soi ?

M — Le Soi, c'est le Coeur *, qui brille de sa propre lumière. L'illumination vient du Coeur et se rend au cerveau, siège du mental. On voit le monde avec le mental, donc par la lumière réfléchie du Soi. Le monde se perçoit par un acte du mental. Lorsque ce dernier est illuminé, il est conscient du monde ; lorsqu'au contraire il est dans la nuit, il n'a connaissance de rien.

Si l'on dirige le mental vers l'intérieur, vers la source de l'illumination, la connaissance objective cesse et le Soi brille seul dans le Coeur.

La lune brille parce qu'elle réfléchit la lumière du soleil. Lorsque le soleil est couché, la lune permet de distinguer les objets grâce à la lumière qu'elle reflète. 46 Mais quant à nouveau le soleil se lève, personne n'a plus besoin de la lune, dont le disque est pourtant visible dans le ciel. On peut leur comparer le mental et le Coeur. Le mental nous est utile grâce à la lumière qu'il reflète. On l'emploie pour voir les objets. Lorsqu'on le tourne vers l'intérieur, il s'immerge dans la Source d'illumination, laquelle brille par elle-même. Le mental est alors comme la lune pendant le jour.

Lorsqu'il fait sombre, on a besoin d'une lampe pour s'éclairer. Mais quand le soleil est levé, toute lampe devient inutile, car les objets sont visibles. Pour voir le soleil, aucune lampe n'est nécessaire, il suffit de diriger le regard vers l'astre lumineux du jour. De même, pour voir les objets, la lumière que le mental réfléchit est nécessaire. Pour voir le Coeur, il suffit que notre esprit se dirige vers lui. Alors le mental ne compte plus et le Coeur brille seul, de sa propre lumière.

D — Après avoir quitté l'Ashram * en octobre, je me suis senti enveloppé durant une dizaine de jours par cette paix qui règne auprès de Sri Bhagavan. À chaque instant, au plus fort de mes activités, je sentais au fond de moi-même cette paix au sein de l'unité ; cela ressemblait au double état de conscience qui saisit lorsqu'on somnole au cours d'une conférence ennuyeuse. Puis, tout disparut et les bêtises accoutumées revinrent à la place. Le travail ne nous laisse pas assez de temps pour la méditation. Suffit-il de se souvenir constamment que « JE SUIS » pendant que l'on travaille ?

M — (Après un court moment de silence). Si vous renforcez votre esprit, cette paix continuera sans interruption. Sa durée est proportionnelle à la force mentale acquise par une pratique assidue. Un esprit trempé de la sorte arrive à suivre le courant. En ce cas, qu'il y ait ou non activité, le courant ne se trouve ni affecté, ni interrompu. Le travail n'est pas l'obstacle, mais bien l'idée que c'est vous qui le faites.

D — Faut-il méditer de propos délibéré pour rendre le mental plus fort ?

M — Non, si vous gardez toujours à l'esprit cette idée qu'il ne s'agit pas de votre travail à vous. Au début, il faut faire effort pour s'en souvenir constamment, mais plus tard cela devient naturel et continu. Le travail se fait alors tout seul et votre paix garde sa pureté.

La méditation est votre vraie nature. Vous l'appelez en ce moment méditation, parce que des pensées étrangères vous distraient. Mais lorsqu'elles sont expulsées, vous demeurez seul — c'est-à-dire, dans l'état de méditation, délivré de toutes pensées. C'est votre véritable nature, que vous essayez actuellement d'acquérir, en éliminant d'autres pensées. Cette élimination des pensées adventices, vous l'appelez pour lors la méditation. Mais lorsque la pratique s'établit enfin sur des bases solides, la nature réelle se déploie, et l'on découvre qu'elle est la vraie méditation.

§

CHAPITRE VI LA RÉALISATION DU SOI

D — Comment puis-je obtenir la Réalisation du Soi ?

M — La Réalisation n'est pas quelque chose qu'il faille obtenir ; elle est déjà là. Ce qu'il faut faire, c'est rejeter l'idée : « Je n'ai pas réalisé. »

La sérénité, ou paix, c'est la Réalisation. Il n'y a aucun moment où le Soi n'existe pas. Tant qu'il se présente des doutes, ou le sentiment qu'on n'a pas réalisé, il faut s'efforcer d'extirper ces pensées. Elles sont dues à la confusion entre le Soi et le non-Soi. Lorsque ce dernier disparaît, le Soi seul demeure. Pour faire de la place, il suffit d'enlever l'encombrement : nul besoin d'apporter l'espace nécessaire en le prenant ailleurs.

D — Puisque la Réalisation n'est pas possible sans vâsanâkshaya*, comment vais-je réaliser cet état dans lequel les vâsanâ* sont détruits d'une manière effective ?

M — Vous êtes dans cet état en ce moment !

D — Cela signifie-t-il qu'en m'accrochant au Soi, les

vâsanâ seront détruits à mesure qu'ils se présentent ? M — Ils se détruiront d'eux-mêmes si vous demeurez

tel que vous êtes.

D — Comment vais-je atteindre le Soi ?

M — Il n'y a pas à obtenir le Soi. S'Il était quelque chose qu'il fallût conquérir, cela signifierait qu'il ne

se trouve pas déjà ici, maintenant, et à jamais. Toute chose acquise sera un jour perdue, elle est par conséquent impermanente. Ce qui ne dure pas vaut-il la peine de tant d'efforts ? C'est pourquoi, je le déclare, le Soi ne se conquiert pas. Vous êtes le Soi, vous êtes déjà Cela.

En réalité, vous êtes ignorant de votre état bienheureux. Cette ignorance vous domine et tire un voile sur le soi pur qui est béatitude. Vos efforts doivent être uniquement dirigés vers l'élimination de ce voile qui est l'identification du Soi avec le corps, le mental, etc. C'est elle qui doit disparaître, pour laisser place au Soi.

La Réalisation est donc pour tous ; elle ne fait aucune différence entre les aspirants. Les seuls obstacles proviennent de vos doutes concernant vos capacités et de la conviction qui vous fait dire : « Je n'ai pas réalisé. » Il faut vous débarrasser entièrement de ces obstacles.

D — Quelle est l'utilité du samâdhi ? La pensée y subsiste-t-elle ?

M — Le samâdhi permet Seul de découvrir la Vérité. Les pensées jettent un voile sur la Réalité, qu'il est ainsi impossible d'atteindre en son intégrité dans des états autres que le samâdhi.

Dans le samâdhi, un seul et unique sentiment surnage : « JE SUIS », à l'exclusion de toute autre pensée. — « JE SUIS » —, c'est « DEMEURER EN PAIX »

§

D — Il est des moments où jaillissent de brusques lumières sur une conscience dont le centre est à l'extérieur du moi normal, et qui paraît inclure la. Totalité. Indépendamment de tout concept philosophique, comment Bhagavan me conseillerait-il de m'y prendre pour obtenir, retenir et accentuer ces trop rares illuminations ? L'abhyâsa* dans de telles expériences exige-t-il la retraite ?

M — À l'extérieur !... Qui fait l'expérience d'un extérieur et d'un intérieur ? Ils sont concomitants à l'existence du sujet et de l'objet. Mais qui, à nouveau, est conscient de ces derniers ? Après mûr examen, vous découvrirez qu'ils n'ont jamais été qu'un seul : le sujet. Cherchez alors qui peut bien être ce sujet unique ; cette analyse finira par vous conduire à la pure conscience, au-delà du sujet.

Ce que vous appelez le « moi normal », c'est le mental, ou esprit. D'étroites limites enserrent ce mental, tandis que la conscience pure est au-delà de toute limitation. On y parvient par l'investigation telle que je l'ai déjà esquissée.

Obtenir : Le Soi est toujours là. Vous n'avez qu'une seule chose à faire, c'est d'arracher le voile qui vous Le cache.

Retenir : Le Soi, dès qu'Il est réalisé, devient votre expérience directe et immédiate. On ne Le perd jamais.

Accentuer : Il n'est pas question d'accentuer le Soi, car I1 est toujours semblable, sans contraction ni expansion.

Retraite : Demeurer dans le Soi, c'est la solitude. Rien n'est étranger au Soi. La retraite implique le passage d'un lieu ou d'un état à un autre. Or, ni l'un ni l'autre ne peuvent être extérieurs au Soi. Tout est le Soi ; la retraite est impossible, inconcevable.

Abhyâsa : c'est empêcher que rien ne vienne troubler la paix inhérente. Mais vous êtes toujours dans votre état naturel, qu'il y ait ou non pratique de l'abhyâsa. Rester tel que vous êtes, sans questions ni doutes, c'est votre état naturel.

D — Lorsqu'on a fait l'expérience du samâdhi, peut-on obtenir également les siddhi* ?

M — Pour que l'on exhibe les siddhi, il faut que d'autres les reconnaissent. Toute personne qui montre ainsi ses pouvoirs ne peut donc être un jnâni. Par conséquent, les siddhi ne méritent même pas l'ombre d'une pensée. jnâ'na doit être le seul but de vos recherches.

D — Ma Réalisation aide-t-elle les autres ?

M — Oui ; c'est le service le plus grand que vous puissiez leur rendre. Ceux qui ont découvert de grandes vérités y sont parvenus dans les profondeurs tranquilles du Soi. Mais il n'y a réellement aucun « autre » que l'on doive secourir. L'être Réalisé voit uniquement le Soi, comme l'orfèvre ne prête attention qu'à l'or des bijoux ornés de pierres précieuses qu'on lui donne à évaluer. Lorsque vous vous identifiez avec le corps, vous êtes fatalement conscient aussi du nom-et-de-la-forme *. Mais lorsque vous transcendez votre corps, les « autres » aussi disparaissent. L'être Réalisé ne voit pas que le monde diffère de lui-même.

D — Ne serait-il pas préférable que les saints vivent en compagnie d'autrui ?

M — Il n'existe pas « d'autrui » avec qui on puisse vivre. Le Soi est la seule Réalité.

D — Ne devrais-je pas tenter de porter secours au monde qui souffre ?

M — La Puissance qui vous a créé a créé le monde aussi. Si elle prend soin de vous, elle peut bien prendre soin du monde... Puisque Dieu a créé le monde, c'est Son affaire de s'en occuper, pas la vôtre.

D — Et notre devoir de patriote ?

M — Votre devoir consiste à ETRE, et non à être ceci ou cela *. « JE SUIS CELUI QUI SUIS », voilà le résumé de la vérité toute entière. On en décrit la méthode par la phrase : « DEMEURE EN PAIX ».

62 Et que signifie la paix ? Elle veut dire : « Détruis-toi », car chaque nom et chaque forme sont une cause de tourment. « JE-JE », c'est le Soi. « Je suis ceci », c'est l'ego. Lorsque le « Je » demeure seul et unique, c'est le Soi. Lorsqu'il prend la tangente et dit : « Je suis ceci ou cela, je suis comme ci ou comme cela », c'est l'ego.

D — Qui est Dieu alors ?

M — Le Soi est Dieu. « JE SUIS » est Dieu. Si Dieu était extérieur au Soi, Il serait un Dieu dépourvu de Soi, ce qui est absurde.

Tout ce qui est requis pour réaliser le Soi, c'est d'ETRE PAISIBLE. Que peut-il y avoir de plus aisé ? C'est pourquoi * âtma-vidyâ est la voie la plus facile à suivre.

§

66 M — La grâce est le Soi. Elle non plus ne s'acquiert pas : vous devez simplement savoir qu'elle existe.

Le soleil n'est que lumière. Il ne connaît pas l'obscurité. Pourtant, vous parlez des ténèbres qui fuient à l'approche du soleil. De même l'ignorance du fidèle, comme les vaines ombres, s'évanouit devant le regard du guru. Vous êtes entouré de lumière solaire ; cependant, si vous voulez voir le soleil, vous devez vous tourner dans sa direction et le regarder. Il en est de même pour la grâce, que vous découvrez par une approche convenable, alors qu'elle est pourtant toujours là, à tout instant.

D — La grâce aide-t-elle le chercheur à mûrir plus vite ?

M — Laissez tout cela au maître ; abandonnez-vous à lui sans réserve.

De deux choses l'une : ou vous vous abandonnez, parce que vous avez compris votre incapacité et senti le besoin d'un Pouvoir Supérieur qui vous aide ou vous cherchez à comprendre la cause de vos misères, vous remontez à la Source, et vous y trouvez le Soi. De toutes façons, vous serez délivré de vos tourments. Ni Dieu ni guru, n'abandonnent jamais l'adorateur qui s'est abandonné tout entier.

D — Que signifie la prosternation devant le guru ou devant Dieu ?

M — Elle signifie la soumission de l'ego et l'union complète avec la Source. Dieu, ou guru, ne peuvent à aucun moment s'illusionner sur les génuflexions, les saluts et les prosternations. Ils voient si l'ego est encore là, ou s'il a disparu.

§

84 M — Pourquoi spéculer sur ce qui arrivera plus tard ? Tout le monde sait que le « Je » existe. À quelque école qu'il appartienne, le chercheur fervent doit trouver d'abord ce qu'est le « Je ». Il sera temps ensuite de découvrir l'Etat final et de savoir si le « Je » s'unit à l'Être Suprême, ou s'il reste en dehors de Lui. Ne cherchons pas à deviner la conclusion, mais gardons l'esprit ouvert.

D — Une sorte de compréhension de l'état final ne serait-elle pas cependant un guide efficace, même pour l'aspirant ?

M — Essayer de définir en ce moment ce que sera l'état final de Réalisation ne sert à rien. Cela n'a aucune valeur intrinsèque.

D — Pourquoi donc ?

M — Parce que vous procédez selon un principe erroné. Votre raisonnement dépend obligatoirement de l'intellect, dont la lumière procède du Soi. L'intellect n'est-il pas présomptueux de s'ériger en juge, de vouloir mesurer ce dont il n'est lui-même qu'une manifestation bornée et d'où il tient le peu de lumière qu'il a ?

Comment l'intellect, qui ne peut atteindre le Soi, serait-il compétent pour apprécier la nature de l'état final de Réalisation et à plus forte raison pour la définir ? C'est comme si l'on essayait de mesurer la lumière du soleil à sa source en prenant comme étalon la lueur d'une bougie. La cire fondra bien avant que la bougie ne parvienne au voisinage du soleil.

Au lieu de vous complaire dans de simples spéculations, consacrez-vous dès à présent à la recherche de la vérité qui se trouve à jamais au fond de votre cœur.

§

[quelques dits extraits de La Connaissance de l’Être :]

1.Étant donné qu’il y a une perception de nous-mêmes et du monde, nous devons nécessairement admettre qu’il y a un Principe unique doué du pouvoir d’apparaître comme multiple.

7…découvrir son propre être dans son Etre et, se retirant en Lui être un avec Lui.

33.’Je ne me connais pas moi-même’ ou ‘Je me connais moi-même’, parler ainsi est ridicule. Quoi ! Y at-il donc deux soi, l’un destiné à objectiver l’autre ?


1963 Ramdas (– 1963)

Avant Propos1146

Il y a environ deux ans que Râm éveilla pour la première fois, dans le cœur de Râmdas, Son humble esclave, l'ardent désir de réaliser Son amour infini. Essayer de s'approcher de Râm et de Le comprendre, c'est se retirer du monde des formes évanescentes, car Râm est la seule réalité. Râm est la puissance mystérieuse et subtile qui pénètre et soutient l'univers tout entier. Il n'a ni naissance ni mort. Il est présent dans toutes choses et dans toutes créatures, qui n'apparaissent comme entités séparées que grâce à leurs formes toujours changeantes. Se libérer de cette illusion des formes, c'est réaliser immédiatement l'Unité, l'Amour de Râm. L'amour de Râm, c'est l'amour de tous les êtres, de toutes les créatures, de toute vie, de tout ce qui est en ce monde, car Râm est en tout, tout est en Lui, et II est tout en tous. Pour réaliser cette grande vérité, il faut nous soumettre, nous qui, par ignorance, croyons être des personnalités séparées, à la volonté et à l'action de cette puissance infinie, de cet amour infini qu'est Râm, l'Un qui pénètre tout. Par une soumission entière à Sa volonté, nous perdons cette conscience du corps qui nous retient éloignés de Lui, et nous nous trouvons dans un état d'union complète et d'identification avec Râm qui est en nous et tout autour de nous. Dans cet état, la haine, qui n'est que la conscience de la diversité, prend fin, et l'amour, qui est la conscience de l'unité, est réalisé. Nous atteignons cet amour divin lorsque notre humilité est si complète que notre affirmation de personnalité séparée, [18] notre égoïsme, en est complètement anéanti. Quand ce stade est atteint, nous sommes naturellement portés par la conscience éveillée de l'unité et de l'amour, à faire le sacrifice de tous nos intérêts matériels pour le bien de nos compagnons et des créatures qui sont les manifestations du même Râm. Tels furent le sacrifice de Bouddha, celui de Jésus-Christ et, de notre temps, celui du Mahâtmâ Gandhi. Ces trois grands hommes sont les plus parfaites manifestations de Râm, la grande Vérité, l'Amour infini. Om Shri Râm.

Luttes et initiations .

Pendant près d'une année, Râmdâs se débattit dans un monde plein de soucis, d'anxiétés et de peines. Ce fut, par sa propre faute, une période terrible d’inquiétude et de tension. Dans cet état de misère désespérée, un cri jaillit du cœur de Râmdâs : « Où trouver le soulagement ? Où trouver la paix ? » Sa plainte fut entendue, et dans le grand vide retentit une voix : « Ne désespère pas, aie confiance en Moi, et tu seras libéré. » C'était la voix de Râm. Cet encouragement fut comme une planche de salut jetée au nageur en péril qui se débat dans la mer déchaînée. Une grande assurance tomba sur le cœur meurtri du malheureux Râmdâs comme une douce pluie sur la terre assoiffée. Dès lors, une partie du temps occupé auparavant par les choses du monde fut consacré à méditer sur Râm qui octroya, dans cette période, paix et soulagement véritables. Peu à peu, son amour pour Râm, le Donneur de Paix, augmenta. Plus Râmdâs répétait le nom de Râm et méditait sur Lui, plus il ressentait de joie et de soulagement. Les nuits, qui étaient libres de tout devoir terrestre, furent consacrées, à part deux heures de repos, à chanter les louanges de Râm (Râm-bhajan). Sa dévotion pour Râm progressait par sauts et par bonds.

Le jour, alors qu'il était envahi par l'anxiété et le souci que lui causaient des ennuis d'argent, des soucis de toute espèce, Râm venait à son aide d'une façon inattendue. Aussi,[19] dès qu'il pouvait se libérer, même pour peu de temps, de ses occupations matérielles, se mettait-il à méditer en prononçant le nom de Râm. En marchant dans la rue il répétait : Râm. Râm. Il perdait toute attraction pour les choses de ce monde. Habits recherchés et toiles fines furent remplacés par le grossier khaddar1147 ; une simple natte fut substituée au lit. Pour sa nourriture, il réduisit à un seul les deux repas de la journée, et plus tard, ce repas ne consista plus qu'en bananes et pommes de terre bouillies. Les piments et le sel furent complètement abandonnés. Il n'avait plus de goût que pour Râm, et sa méditation sur Râm devenait continue, englobant toutes les heures de la journée et les prétendus devoirs sociaux.

§

Donnez-moi donc un conseil, dit alors le Persan, pour que je puisse éloigner de moi tout ce qui est illusoire et délivrer mon esprit des agitations qui font son tourment en réalisant Dieu. Je me sens enchaîné par des attaches à mes biens, ma maison, ma femme, mon argent.

Vous avez trouvé le diagnostic de votre mal, répondit Râmdâs, et vous avez une saine compréhension du remède qu'il faut y apporter. Sachez tout d'abord que le Dieu que vous cherchez est en vous. Il est la Lumière et l'Âme de l'Univers, et l'unique et suprême but de la vie est de L'atteindre. Tout le mal vient de ce que vous croyez être séparé de cette universelle Vérité. C'est votre ego qui a dressé ce mur de séparation. Ayez un désir intense de Le réaliser, c'est-à-dire d'apprendre à savoir que votre vie forme un tout avec la vie de l'Univers. Abandonnez votre ego par une union constante avec Lui par la prière et la méditation, et accomplissez tous vos actes sans aucun désir d'en obtenir quelque gain. Au fur et à mesure que vous avancerez sur cette voie, qui est celle de la dévotion, de la connaissance et du renoncement, votre attache aux choses irréelles de la vie s'amoindrira et toutes les illusions qui encombrent votre mental s'évanouiront. Votre cœur se remplira de l'Amour divin et votre vision sera purifiée et égalisée, tandis que vos actions deviendront comme le flot spontané de votre être immortel en vous apportant la joie et la paix véritables. Tel est le point culminant auquel peut atteindre l'effort humain, et l'unique but de la vie. (232)

§

Il faut mentionner en passant que Râmdâs ne voyait nulle part ni impureté ni mal, mais il se plaisait à témoigner des cas particuliers de pureté et de grandeur d'âme qu'il rencontrait. Sa tâche ici est simplement de rapporter ses expériences touchant les événements de sa vie errante ou les gens qu'il a eu l'occasion d'observer. Il ne fait que présenter les faits comme un simple témoignage des manifestations diverses de Dieu. Car le monde est une scène sur laquelle Il se manifeste sous des milliers de formes, dans quantité de rôles. Râmdâs considère tout en une même et seule vision lumineuse, et son amour pour tous est invariable ; qu'il s'agisse de saints ou de pécheurs, il ne voit aucune différence. C'est le Seigneur qui remplit tous les rôles dans le drame terrestre.

Un Anglais nommé Abbot, désirant s'entretenir avec Râmdâs, l'emmena un jour en auto dans son bungalow, où lui et sa sœur le reçurent sur la véranda. La bonne dame anglaise parla avec enthousiasme du Christ et de son enseignement, et Râmdâs acquiesça parfaitement aux louanges qu'elle fit du Divin Maître. Mais son enthousiasme alla si loin qu'elle s'exprima assez dédaigneusement sur le compte de Shri Krishna, de Bouddha, etc.

« Mère, lui dit-il, Râmdâs ne peut être d’accord avec vous sur ce point. Râmdâs tient Shrî Krishna et Bouddha en aussi haute estime que Jésus , si ce n’est plus. Vous portez ce jugement sur eux parce que vous ne les comprenez pas, de mêm que certains Hindous portent un faux jugement sur le Christ parce qu’ils ne le connaissent pas. » (262)

§

« Mahârâj, dit-il, je suis dégoûté de cette vie. Moi aussi, je voudrais mener la vie d'un sâdhu, car j'ai tourné le dos à une vie pleine de soucis et de chagrins. Considérez-moi comme votre disciple et prenez-moi sous votre protection.

Râmji, répliqua Râmdâs, rien n'est mauvais en ce monde ; c'est votre esprit qui est tourmenté. Tant que votre esprit n'a pas l'ardent désir de déchirer le voile d'illusion qui vous cache la Vérité, une renonciation extérieure ne sert de rien. C'est comme si vous sautiez de la poêle à frire dans le feu. Le véritable bonheur réside dans une attitude correcte vis-à-vis de la vie et du monde, et cette attitude dépend d'une juste vision. Or celle-ci se trouve dans la Réalisation de la Vérité de Dieu. Ne vous laissez pas tromper. Vous ne pouvez atteindre la libération et la paix si vous vous contentez de tourner le dos au monde. Apprenez à connaître votre état d'esprit. La liberté et la joie sont en vous, mais pour y arriver, il vous faut maîtriser les désirs, l'âpreté au gain, et les emportements. Ne vous attachez pas à Râmdâs, il n'est pas un gourou ; il ne peut que vous montrer la voie. L'effort et la lutte sont vôtres ; soyez donc un disciple de la Vérité. » (264)


1964 R.H. Blyth [on Zen](1898-1964)

[...] Cowper says “ universal nature ” but he actually means what he views of beautiful or grand In nature. This kind of thing only, « Prompts with remembrance of a présent God ! »"

The division here of God and nature is very disagreeable. Not to be able to look at the broad oak or “ the green blade that twinkles in the sun ” without being “ prompted ” to think of something else, must cause a perpétuai splitting of the mind. This is what Christ warns us against, in “ Judge not ” and “ Let not thy right hand know what thy left hand doeth.”

The nature mystics, on the other hand, are forgetful of God, either leave him out altogether or put him in perfunctorily, or use the word God as a synonym for Nature or Reality. As pointed out above, passion distinguishes their attitude from pantheism, though there is often an insensible flowing from one to the other. The finest example of nature myslicism is found in Wordsworth, The Excursion, (I, 199.)

He beheld the sun

Rise up, and bathe the world in light ! He looked—

Océan and earth, the solid frame of earth

And ocean’s liquid mass, in gladncss lay

Beneath him :—Far and wide the clouds were touched,

And in their silent faces could he read

Unutterable love. Sound needed none

Nor any voice of joy ; his spirit drank

The spectacle : sensation, soul and form

All melted in him ; they swallowed up

His animal being ; in them did he live,

And by them did he live ; they were his life.

Wordsworth then inserts two lines that might well have been omitted from the poem, since they represent an intellectual after-thought :

In such access of mind, in such high hour

Of visitation from the living God,

but continues, showing that there was actually no “ visiting ” of one person, by Another:

Thought was not ; in enjoyment it expired.

No thanks he breathed, he proffered no request;

Rapt in the still communion that transcends

The imperfect offices of prayer and praise.

One more ex tract, from Tintern Abbey :

A sense sublime

Of something far more deeply interfused,

Whose dwelling is the light of setting suns,

And the round océan and the living air

And the blue sky, and in the mind of man—

A motion and a spirit, that impels

Ail thinking things, all objects of all thought,

And rolls through all things.

These two passages represent the high water mark of nature mysticism in English Literature. They are full of Zen.

They portray a condition of ‘satori,’ of illumination. But the next point is of cardinal importance; these lines of the Daffodils,

They stretch’d in neverending line Along the margin of a bay :

Ten thousand saw I at a glance Tossing their heads in spirightly dance,

are alsofull of Zen but are not mystical, still less pantheistic.

The first example, from the Excursion, shows us the mind of Man in its union with the universe. The second, from Tintern Abbey, shows us the universe as perceived by the man in union with it. The third, Daffodils, shows us something very different, apparently, from either. We see, not the mind of man, nor the universe, but the daffodils, and when we see them as Wordsworth also saw them, as they really are, that is sufficient. Mysticism is like Zen, in this respect, that you cannot believe or disbelieve in mysticism. You are either a mystic or nothing. But the great gulf fixed between mysticism and Zen is this. Mysticism uses the object, the finite, as a telescope to look into the infinité. Zen looks at the telescope.

We say, very loosely, “There is Zen in this,” “ This is far from Zen,” but we must notice there is a great difference, both in art and life, between Zen and talking about Zen. Compare with the extract from the Excursion, the following poem of Bashô on a similar subject :

A wild sea,

The Milky Way stretching across

To the isle of Sado.

Another of Bashô, to compare with the Daffodils. (Note that though both poems speak of the author’s feelings, both are equally objective, since they do so to express the nature of the flower itself.)

How they pull the heart-strings—

Corning along the mountain road—

These violets !

The most famous of all haiku, of which I give an unconventional translation, has this same quality, that is, of expressing an unsymbolical, unallegorical fact, which is never- theless a Fact, and The Fact.

The old pond.

A frog jumps in—

Plop!

Against this translation it may be urged that “ plop ” is an unpoetical, rather humorous word. To this I would answer, “ Read it over slowly, about a dozen times, and this association will disappear largely.” Further, it may be said, the expression “ plop ” is utterly different in sound from “ mizu no oto.” This is not quite correct. The English “sound of the water” is too gentle, suggesting a running stream or brook. The Japanese word “ oto ” has an onomatopoeic value much nearer to “plop.” Other translations are wide of the mark. “Sp’ash” sounds as if Bashô himself had fallen in. Yone Noguchi’s “List the water sound,” shows Bashô in a graceful pose with finger in air. “Plash,” by Henderson, is also a misuse of words. Anyway, it is lucky for Bashô that he was born a Japanese, because probably not even he could have said it in English.

[…]

At the moment of the ‘plop,’ the sound and the silence, the movement and the stillness, were perceived unseparated, uncontrasted, unantagonised, as they were before the Spirit of God brooded over the Chaos. And if you have seen one piece of reality, you have seen ail, for the parts are not less than the whole. Montaigne says,

Et si vous avez vécu un jour, vous avez tout vu. Un jour est égal à tous jours. Il n’y a point d’autre lumière, ny d’autre nuit. Ce Soleil, cette Lune, ces Etoiles, cette disposition, c’est celle même que vos aïeux ont jouyé, et qui entretiendra vos arrière-neveux.

Non alium videre patres : aliumve nepotes

Aspicent.

Suzuki says, “ This leap is just as weighty a matter as the fall of Adam from Eden.” This is true enough, but this is mysticism1148.

1966 D.T.Suzuki (1870-1966)

Souvenirs de jeunesse1149.

[Introduction :] En lisant ces lignes, on serait tenté de croire qu'il faut s'élever jusqu'à des régions abstraites, sublimes, que l'homme n'atteint qu'exceptionnellement, qu'en de rares moments de son existence. Suzuki nous fait voir avec une simplicité qui pourrait sembler peu conforme à l'importance et à la grandeur du sujet que l'essence de la religion ne consiste pas dans une exaltation momentanée, mais dans notre aptitude, dans notre disposition à rechercher, à découvrir, à libérer dans l'ordinaire de la vie, dans les choses quotidiennes, dans ce qui se passe partout et toujours et qui occupe les hommes constamment, les étincelles cachées du divin.

Ma famille se compose de médecins établis depuis plusieurs générations dans la ville de Kanazawa1150. Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père étaient médecins et, de façon inattendue, ils sont tous morts jeunes. Bien sûr, il n'était pas rare de mourir jeune en ce temps-là, mais dans le cas d'un médecin exerçant sous l'ancien régime féodal, c'était une double infortune, car la pension versée à la famille par le seigneur tutélaire était sensiblement réduite. Ma famille, bien que de rang samouraï, était déjà frappée par la pauvreté du vivant de mon père, et après sa mort, alors que j'avais à peine six ans, nous devînmes encore plus pauvres à cause des dif-(36)ficultés économiques qui touchèrent la caste des samouraïs, dès l'abolition du système féodal.

La perte d'un père à cette époque était sans doute plus dramatique qu'aujourd'hui ; tout dépendait de lui en tant que chef de famille, tous les pas importants dans la vie : l'instruction puis la recherche d'une situation sociale. Tout cela, je le perdis lorsque j'avais dix-sept ou dix-huit ans. Ces épreuves me firent penser à mon destin (karma). Pourquoi devais-je rencontrer de telles embûches à l'aube de ma vie ?

Ma réflexion commençait à s'orienter vers la philosophie et la religion, et comme ma famille appartenait à la branche zen Rinzaï, il était tout naturel que je me tourne du côté du zen pour trouver des réponses à mes problèmes. Je me souviens d'être allé au temple zen où ma famille était inscrite — c'était le plus petit temple de Kanazawa — pour questionner le prêtre au sujet du zen. Comme beaucoup de prêtres officiant dans des temples ruraux, il n'était pas très instruit ; de fait, il n'avait même pas lu le Hekiganroku1151 . Aussi l'entretien que j'eus avec lui fut-il de courte durée.

Je pris l'habitude de débattre de questions philosophiques et religieuses avec les étudiants de mon âge ; je me souviens que quelque chose me rendait toujours perplexe : qu'est-ce qui fait pleuvoir ? Pourquoi est-il nécessaire que la pluie tombe ? Aujourd'hui, lorsque je regarde en arrière, je me dis qu'il a pu y avoir dans mon esprit quelque chose qui rappelle l'enseignement chrétien au sujet de la pluie qui tombe également sur le juste et l'injuste. Au fil des circonstances, j'entrai en relation, à la même époque, avec des missionnaires chrétiens. Lorsque j'avais quinze ans environ, il y avait à Kanazawa un missionnaire de l'Église orthodoxe [grecque]. Je me souviens qu'il me prêta un exemplaire de la traduction japonaise de la Genèse en me recommandant de la lire. Je la lus, mais cela me semblait dénué de sens. Au commencement était Dieu. Mais pourquoi Dieu devait-il créer le monde ? Voilà ce qui me préoccupait au fond.

La même année, un de mes amis se convertit au protestantisme. Il voulait que je devienne chrétien et m'incitait à recevoir le baptême. Mais je lui répondis que je ne pouvais pas être baptisé avant d'être convaincu de la vérité du christianisme. J'étais toujours suspendu à cette question : pourquoi Dieu devait-il créer le monde ? J'allai voir un autre missionnaire, protestant celui-là, et je lui 37 posai la question. Il me dit que toute chose devait avoir un créateur pour venir à l'existence et que le monde devait avoir un Créateur aussi. « Alors qui a créé Dieu ? » demandai-je. « Dieu s'est créé lui-même, répondit-il, ce n'est pas une créature. » Sa réponse ne me satisfaisait pas, et cette interrogation est toujours restée la pierre d'achoppement à ma conversion au christianisme.

Je me souviens aussi que ce missionnaire avait toujours avec lui un gros trousseau de clefs. Cela me semblait étrange, car à cette époque personne au Japon ne tenait rien sous clef. Aussi, lorsque je le vis avec toutes ses clefs, je me demandai d'où lui venait le besoin de mettre en sûreté tant de choses.

C'est alors qu'un nouveau professeur fut nommé dans mon école. Il enseignait les mathématiques. Il les enseignait si bien que je commençai à y prendre goût. Il s'intéressait aussi beaucoup au zen. Il avait d'ailleurs été l'élève de roshi Kosen1152, un des grands maîtres zen de ce temps. Il faisait de son mieux pour éveiller la curiosité de ses élèves pour le zen en faisant circuler des copies de l'oeuvre de Hakuin Zenji, Orategama1153. De prime abord, je n'y compris pas grand-chose, mais cela m'intéressait tellement que, pour en savoir plus, je décidai d'aller voir un maître zen, roshi Setsumon, qui vivait dans le temple Kokutaiji dans la province d'Etchu.

Je quittai la maison sans savoir au juste comment me rendre au temple, avec cette seule information qu'il se trouvait près de Takaoka. Je me rappelle avoir voyagé dans une vieille voiture à chevaux, juste assez grande pour transporter cinq à six personnes, et que nous avons passé le col de Kurikara à travers les montagnes. La route et la voiture étaient en piteux état, je n'arrêtais pas de me cogner la tête contre le toit. À partir de Takaoka, je pense avoir fait le reste du trajet à pied jusqu'au temple.

J'arrivai là-bas sans aucune introduction. Les moines semblaient bien disposés à m'accueillir. Ils me dirent que le roshi était sorti, mais que je pouvais pratiquer zazen dans une pièce du temple si j'en avais envie. Ils me montrèrent comment 40 m'asseoir et comment respirer et me laissèrent seul dans une petite pièce en me disant de continuer ainsi. Après un jour ou deux consacrés à cette pratique, le roshi revint et on m'amena le voir. Il est clair qu'à l'époque j'ignorais tout du zen et de l'étiquette qui s'impose en sanzen. On m'avait simplement dit de venir voir le roshi et je me présentai à lui en apportant ma copie de l' Orategama.

L'essentiel de l' Orategama est écrit dans une langue assez simple. Mais il y avait là-dedans quelques termes zen difficiles que je ne pouvais saisir. J'en demandai l'explication au roshi. Il se tourna vers moi en colère et me dit : « Pourquoi me posez-vous une question aussi stupide ? » Je fus renvoyé dans ma chambre sans aucun enseignement et on me dit de rester en position assise, jambes croisées.

Je suis resté seul. Personne ne mç disait rien. Les moines qui m'apportaient les repas ne m'adressaient pas la parole. C'était la première fois que j'étais loin de la maison et j'éprouvai bientôt un sentiment de solitude et la nostalgie du foyer. Ma mère me manquait beaucoup. Après quatre ou cinq jours, je quittai le temple et revins chez moi. Je ne me souviens pas de la manière dont je pris congé du roshi, mais je me souviens bien de la joie qui m'habitait en retrouvant la maison.

Je commençai alors à enseigner l'anglais dans le petit village de Takojima qui se dresse sur la péninsule de Noto — péninsule qui s'avance dans la mer du Japon. Il y avait là un temple Shin habité par un prêtre lettré qui me montra un texte de l'école Yuishiki intitulé Hyappo Mondo (Questions-Réponses sur les cent dharmas). Mais c'était si ancien et si abstrus qu'en dépit de ma soif d'apprendre, je n'en saisis pour ainsi dire rien.

J'obtins une autre affectation comme enseignant à Mikawa, une ville située à environ cinq lis (vingt-quatre kilomètres) de notre maison à Kanazawa. Là aussi ma mère me manquait beaucoup et tous les week-ends, je faisais le chemin à pied pour me retrouver près d'elle. Cela me prenait environ cinq heures et m'obligeait à quitter la maison le lundi à une heure du matin de façon à être à l'école dans les temps. Je restais accroché à la maison jusqu'à la dernière minute pour profiter de ma mère aussi longtemps que possible.

J'ajouterai incidemment que l'enseignement de l'anglais que je dispensais alors était assez particulier, tellement particulier que, lorsque j'allai pour la première fois aux États-Unis, personne ne comprenait ce que je voulais dire. Nous avions pris l'habitude de tout transposer littéralement et je me rappelle que j'étais très embarrassé par la façon (42) dont on dit en anglais : « Le chien a quatre pattes », « Le chat a une queue ». En japonais, le verbe « avoir » n'est jamais utilisé en ce sens. Si vous dites : « J'ai deux mains », cela s'entend comme si vous teniez deux mains étrangères dans les vôtres. Plus tard, je développai l'idée selon laquelle l'insistance mise par la mentalité occidentale sur la possession est le signe de la place prépondérante accordée au pouvoir, à la dualité, à la compétition, traits qui sont absents de la sensibilité orientale.

Pendant les six mois que je passai à Mikawa, j'arrêtai mes études sur le zen. Je déménageai à Kobe où mon frère travaillait comme avocat, et peu après il m'envoya à Tokyo pour y suivre des études en me versant une pension de six yens par mois.

À cette époque, le coût d'hébergement et d'entretien d'un étudiant s'élevait à environ trois yens et cinquante sens. Je choisis d'étudier à l'université de Waseda, mais une des premières choses que je fis en arrivant à Tokyo fut de me rendre à Kamakura pour étudier le zen sous la direction de roshi Kosen qui était alors abbé de Engakuji. Je garde le souvenir d'avoir marché tout le jour de Tokyo à Kamakura, quittant Tokyo à la tombée de la nuit pour arriver à Kamakura tôt le matin suivants1154.

Le moine shika, l'hospitalier, ménagea mon premier entretien avec le roshi en présentant une offrande de dix sens d'encens enveloppés dans du papier. La scène faisait penser aux peintures de Daruma1155 que j'avais déjà vues ; il s'en dégageait un authentique parfum zen. Le roshi avait soixante-seize ans lorsque je le rencontrai pour la première fois. C'était un grand homme, à la fois par la stature et la personnalité. Il marchait avec peine à cause d'un choc récent. Il me demanda d'où je venais et, lorsque je lui dis que j'étais né à Kanazawa, il s'en réjouit et m'encouragea à persévérer dans la pratique du zen. Sûrement parce que les gens de la région d'Hohuriku, aux alentours de Kanazawa, ont la réputation d'être patients et appliqués.

La deuxième fois que j'eus l'occasion de le rencontrer en entretien privé, il me donna le koan1156 Sekishu, le « claquement d'une seule main ». Je n'étais pas du tout préparé à ce moment-là à recevoir un koan. Sur le plan du zen, mon esprit était 44 comme une page blanche, tout pouvait y être écrit. À chaque fois que je le voyais en sanzen, il faisait simplement le geste de sortir sa main gauche en la dirigeant vers moi, sans un mot, ce qui me plongeait dans un état de grande perplexité. Je me souviens que je faisais tous les efforts possibles pour apporter des réponses rationnelles à ce koan sur le claquement d'une main, mais naturellement roshi Kosen les refusait toutes, et après quelques expériences de sanzen je me sentis dans une sorte d'impasse.

Un entretien avec lui me laissa une impression forte. Il prenait son petit déjeuner sur une véranda donnant sur un bassin, assis sur une petite chaise assez rustique. Il mangeait du gruau de riz qu'il retirait à la louche d'un pot de terre et il en mettait dans son assiette. Après que je me fus prosterné trois fois devant lui, il me demanda de m'asseoir en face sur une autre chaise. Je ne me rappelle pas ce qui a été dit à cette occasion, mais chaque geste qu'il faisait — la manière dont il me fit bouger pour m'installer sur la chaise, celle dont il se servait de riz dans le pot — se grava en moi de façon indélébile. « Oui, me disais-je, c'est ainsi qu'un moine zen doit se comporter. » Tout ce qui sortait de lui était direct, simple, rempli de sincérité et, bien sûr, traversé par quelque chose de plus qui ne peut être dit avec des mots.

Je n'oublierai jamais non plus le premier enseignement que je suivis. C'était un événement tout à fait solennel, commençant par la récitation du Sutra du Coeur par les moines et par les derniers mots de Muso Kokushi1157 : « J'ai trois sortes de disciples... » Le roshi se prosternait devant la statue du Bouddha et se relevait ensuite sur son siège, en face de l'autel, comme s'il entendait s'adresser au Bouddha plutôt qu'à l'assistance. Son assesseur lui apporta le pupitre et, à ce moment-là, les chants prirent fin. Il put alors commencer son enseignement doctrinal.

Celui-ci portait sur le 42e chapitre de l' Hekiganroku, celui où Ho-kojo rend visite à Yakusan, lequel, après leur entretien, invite dix moines à l'accompagner au bas de la montagne, à la porte du temple. Chemin faisant, l'échange suivant a lieu : « La neige fine tombe, flocon par flocon. Chaque flocon tombe à sa juste place. »

Il m'apparaissait que c'était là un bien étrange sujet de conversation pour des moines zen, mais le roshi s'en tint à la lecture du passage sans ajouter de commentaire, lisant comme s'il était à la fois absorbé et transporté par chaque mot du texte. Je fus tellement saisi par cette lecture qu'alors même 46 que je n'y entendais rien, je le revois encore assis sur sa chaise, le texte devant lui, lisant : « La neige fine tombe flocon par flocon. »

Tout ceci se passait en 1891. Il avait soixante-seize ans. J'en avais vingt et un. Il me revient à la mémoire que cette année encore je participai au rite Toji, au solstice d'hiver. Les moines travaillaient le riz pour en faire des galettes et eurent une nuit entière de récréation. La première de ces galettes était offerte au Bouddha, la seconde au roshi. Roshi Kosen était si friand de galettes de riz trempées dans la sauce au daikon1158 râpé qu'il n'en était jamais rassasié. Ce jour-là, il demanda un second service que lui refusa son moine assistant au motif qu'il ne serait pas bon pour lui de manger autant. Le roshi répondit : « Ça ira bien si je prends un médicament pour la digestion. »

Le 16 janvier de l'année suivante, en 1892, le roshi mourut. J'étais présent. Je me trouvais en compagnie de ses moines assistants dans la pièce voisine. Tout d'un coup nous entendîmes le bruit d'une lourde chute dans la chambre du roshi. Le moine de service bondit dans la chambre et trouva le roshi gisant, inconscient, par terre. Il semble qu'il ait eu une crise cardiaque en sortant des toilettes et qu'il se soit cogné la tête en tombant. On appela immédiatement le médecin, mais lorsqu'il arriva il constata qu'il était trop tard. Le roshi était déjà mort.

Shaku Soen1159 succéda à roshi Kosen comme abbé d'Engakuji. À la mort de Kosen, il revenait d'un séjour d'études à Ceylan sur le bouddhisme Theravada et c'était déjà une personnalité montante. Très brillant intellectuellement, il avait aussi reçu son inka shomei; ou diplôme pour être roshi, alors qu'il était encore assez jeune, chose inhabituelle à cette époque où l'on exigeait au moins quinze ans de pratique pour atteindre un tel état de maturité spirituelle. Titulaire de son inka, il était allé à l'université de Keio pour étudier des sujets propres à l'Occident, ce qui, là encore, était assez inhabituel pour un prêtre zen. Beaucoup de gens l'avaient critiqué d'avoir franchi ce pas, roshi Kosen compris, qui l'avait averti que toutes ses études se rapportant à des thèmes occidentaux ne 48 lui serviraient à rien. Mais Shaku Soen ne prêtait pas attention aux critiques des gens et faisait son propre chemin. Ce fut dans l'ensemble une personnalité remarquable, remplie d'élans non conventionnels.

C'est lui qui accomplit les rites funéraires de roshi Kosen. Au printemps 1892, il était nommé nouvel abbé et je commençai à le fréquenter en sanzen.

Il me donna Mu1160 comme nouveau koan, voyant que je ne m'en sortais pas avec le « claquement d'une seule main » ; il pensait que je pourrais obtenir mon kensho1161 plus vite et plus tôt avec Mu. Il ne m'apporta aucune aide pour la résolution de ce koan et, après quelques séances de sanzen avec lui, je dus reconnaître que je n'avais plus rien à dire.

Suivirent quatre années d'âpre lutte, de combat mental, physique, moral, intellectuel. Je sentais qu'il était certainement assez facile de comprendre Mu dans son principe intellectuel, mais comment soutenir une relation vécue, sur le terrain de l'expérience, avec une chose aussi simple ? L'explication devait se trouver dans un livre. Je lus donc tous les livres zen sur lesquels je pouvais mettre la main. Dans le temple de Butsunichi où je vivais alors, il y avait un sanctuaire consacré à Hojo Tokimune1162, et l'on conservait dans une pièce de ce sanctuaire tous les livres et documents appartenant au temple. Je passai tout l'été à lire tous les livres que je trouvais. Bien que ma connaissance du chinois fût encore embryonnaire et que cela m'interdisait l'accès au sens de bon nombre de textes, je faisais de mon mieux pour recenser tout ce qui se rapportait à Mu, intellectuellement.

Un livre m'intéressait tout particulièrement. C'était le Zenkan Sakushin (Coups de fouets pour vous aider à franchir les barrières zen), compilé par un maître chinois de la dynastie Ming répondant au nom de Shenko. C'était un recueil d'écrits sur la discipline zen et sur les conseils donnés par différents maîtres zen sur la manière de s'y prendre avec le koan.

Il me parut évident de suivre un des conseils de ce livre : « Lorsque tu as assez de foi, ton doute est assez grand. Quand ton doute est assez grand, tu as 50 suffisamment de satori. Toute la connaissance, l'expérience, les sentences merveilleuses, les sentiments de fierté que tu as accumulés avant ton étude du zen, tout cela tu dois le jeter par-dessus bord. Mets toute ton énergie dans la résolution du koan. Tiens-toi assis, dos droit, sans te soucier de savoir s'il fait jour ou nuit, le mental uni-pointé sur le koan. Lorsque tu auras pratiqué cela pendant quelque temps, tu sentiras que tu sors du cadre espace-temps, comme un homme mort. Arrivé à cet état, quelque chose commence à monter en toi et c'est comme si ton crâne allait voler en éclats. L'expérience soudaine que tu fais alors ne vient pas de l'extérieur, elle jaillit du fond intime de ton être. »

Ainsi engagé sur la voie de l'effort moral, je pris l'habitude de passer plusieurs nuits dans une grotte située à l'arrière du temple de Shariden1163, où une dent du Bouddha est conservée comme relique. Mais il y avait encore en moi une fêlure dans la volonté, de sorte que je me laissais souvent aller à quitter la posture assise dos droit et que je cherchais de bons prétextes pour partir, comme la présence importune des moustiques.

J'étais très pris pendant ces quatre ans par différents écrits, notamment par la traduction en japonais de L’Évangile du Bouddha du Dr Carus, mais le koan continuait tout le temps à me travailler dans les couches profondes de mon esprit. C'était, sans aucun doute, mon « souci » dominant, et je me revois assis dans un champ, adossé à une meule de riz, me disant que si je n'arrivais pas à comprendre Mu, la vie n'avait plus de sens pour moi. Nishita Kitaro1164 écrit quelque part dans son journal que je parlais souvent de suicide à cette époque, bien que, personnellement, je ne m'en souvienne pas. Dès que je réalisai que je n'avais plus rien à dire sur Mu, je cessai d'aller voir Shaku Soen en sanzen, sauf pour le sosan ou sanzen obligatoire pendant la sesshin1165. Il était alors fréquent que le roshi me batte.

Il arrive souvent qu'une espèce de crise soit nécessaire dans la vie d'un homme pour le forcer à investir toute son énergie dans la résolution du koan. Il en existe une belle illustration dans le livre Keilyoku Soden (Histoires de ronces et de chardons), composé par un disciple d'Hakuin, qui relate une série d'anecdotes piquantes sur la pratique zen. 52

Un moine venait d'Okinawa pour étudier le zen sous la guidance de Suio, un des grands disciples d'Hakuin, homme rugueux et au caractère trempé. C'est lui qui apprit la peinture à Hakuin. Le moine passa trois ans auprès de Suio à travailler sur le koan du « claquement d'une seule main ». Le temps pour lui de revenir à Okinawa approchait à grands pas et il n'avait toujours pas résolu son koan, ce qui le rendait très déprimé. Il alla vers Suio en larmes. Le maître le consola en disant : « Ne t'inquiète pas. Diffère ton départ d'une semaine et reste dans la posture assise avec toute la détermination dont tu es capable. » Sept jours passèrent, le koan était irrésolu. Le moine revint vers Suio qui lui conseilla de repousser son départ d'une semaine encore. Lorsque cette semaine se fut écoulée et alors qu'il n'avait toujours pas trouvé la solution de son koan, le maître dit : « Il y a beaucoup d'exemples chez les anciens de gens qui ont atteint le satori au bout de trois semaines, essayez donc une troisième semaine. » Mais la troisième semaine passa sans que le sens du koan soit dévoilé. Alors le maître dit : « Essayez cinq jours de plus. » Les cinq jours passèrent sans que le moine soit plus avancé dans la résolution du koan. À la fin le maître dit : « Cette fois essayez trois jours de plus et si, après ces trois jours, vous n'avez toujours pas trouvé la solution, vous devrez mourir. » Alors, pour la première fois, le moine décida de consacrer le peu de vie qui lui restait à la résolution du koan. Et au bout de trois jours il la trouva.

La morale de l'histoire c'est que chacun doit décider de mettre tout ce qu'il a dans l'effort. « L'extrémité de l'homme est l'occasion de Dieu. » Il arrive souvent qu'à l'instant même où l'homme tombe dans l'abîme du désespoir et décide de mettre fin à ses jours, le satori vienne. Je reconnais que dans beaucoup de cas le satori aurait pu survenir alors qu'on est déjà sur le chemin de la mort.

Dans le cours de la vie ordinaire chacun se donne des possibilités de choix ainsi que de bonnes raisons pour se justifier à ses propres yeux. Mais pour résoudre un koan chacun doit aller jusqu'au bout de lui-même, sans se laisser d'échappatoire. Une chose seulement doit être faite.

Cette crise ou situation extrême survint pour moi lorsqu'il fut finalement convenu que je devais aller en Amérique pour aider le docteur Carus à traduire le Tao te king. Je compris que la sesshin rohatsu1166 du 54 prochain hiver 1896 était la dernière opportunité qui m'était offerte de participer à une sesshin et que si je ne parvenais pas, là, à résoudre mon koan, jamais sans doute je ne serais capable de le faire. Il me fallait mettre toute mon énergie spirituelle dans la sesshin.

Jusqu'à ce moment j'avais toujours eu conscience que Mu occupait une place dans mon esprit. Or tant que j'avais conscience de Mu, cela signifiait que je me considérais comme une entité séparée de Mu, et ce n'était pas là le vrai samadhi. Mais vers la fin de la sesshin, aux alentours du cinquième jour, je cessai d'être conscient de Mu. J'étais un avec Mu, le « même » que Mu, si bien qu'il ne restait plus trace de séparation impliquée dans la conscience de Mu. C'est cela le vrai samadhi.

Et pourtant, cette forme de samadhi n'est pas encore complète. Il faut émerger de cet état, s'en réveiller, et cet éveil est prajna. Cet instant d'irruption hors du samadhi et de vision pénétrante de ce « ce qui est », voilà le satori. Lorsque je sortis du samadhi pendant la sesshin, je dis : « Je vois, c'est ça. »

Je n'ai aucune idée du temps que je passai en samadhi. J'en fus réveillé par un son de cloche. Je me rendis au sanzen avec le roshi qui me posa quelques sassho ou questions tests sur Mu. Je répondis à chacune d'elles à l'exception d'une seule sur laquelle j'hésitai. Aussitôt il me mit dehors. Mais le matin suivant, de très bonne heure, je me présentai en sanzen, et cette fois je pus répondre. Je me souviens de cette nuit où je marchai du monastère vers le temple où je résidais à Kigenin : je contemplais les arbres baignés par la lumière de la lune ; ils me semblaient transparents. J'étais transparent aussi.

Je voudrais souligner l'importance de la prise de conscience de ce qui a été véritablement expérimenté. Après kensho, je n'étais pas complètement éveillé à mon expérience. C'était encore une sorte de rêve. Un degré plus profond de réalisation devait se révéler plus tard, aux États-Unis, lorsque j'entendis cette sentence zen : Hiji soto ni magarazu, « Le coude ne s'ouvre pas vers l'extérieur ». Cela devint immédiatement clair à mes yeux. « Le coude ne s'ouvre pas vers l'extérieur : cela semble décrire un état de contrainte, mais je vis en un instant que ce qui pouvait passer pour une restriction naturelle était en fait l'expression de la vraie liberté, et je sentis que toute la question du libre arbitre venait de se résoudre pour moi.

Par la suite je ne rencontrai plus aucune difficulté pour résoudre les koans. Bien sûr d'autres koans sont nécessaires pour rendre kensho, l'expérience initiale, transparente, mais c'est elle qui 56 demeure primordiale. Les autres viennent pour la compléter et rendre possible une compréhension plus profonde et plus claire de sa nature.



1970 Khempo Janyang Dorje (1896-1970)

[...] J'ai pu rencontrer1167 un maître spirituel sans pareil, un joyau tombé du ciel.

Ma foi en lui est aussi pure qu 'une mer de lait, blanche sur la surface aux tréfonds,

Alors, comme les cailloux ordinaires, au pied d'une montagne d'or sont aussi teintés d'un merveilleux éclat,

Mon esprit — pris au filet de la pensée discursive, me réserve l'erreur fondamentale,

Prisonnier des chaînes cloutées du dualisme sujet-objet et de la croyance en quelque chose de solide — mon esprit a trouvé le repos.

Je suis un vagabond, je n'ai rien à faire et je dors l'âme heureuse et dilatée ;

J'ai rembobiné les cordes de l'espoir et de l'appréhension qui me liaient aux illusoires huit soucis mondains

Et, comme dit Longchempa, le roi du Dharma, puisque "Sans fin sont nos activités, telles des rides sur l'eau qui cassent lorsqu'on les laisse, car telle est leur nature".

Grâce à mon maître qui m'apprend que tout arrive de soi-même sans qu'on y fasse rien,

L'idée m'est venue de l'accomplissement spontané de toutes choses sans que nul n'y ait contribué...

Je n'ai devant moi personne à protéger, je suis un Yogi et je suis bien content !

Je n'ai derrière moi personne à nourir, je suis tout seul, et comme je suis heureux !

Pas de travail à toujours ajourner, je ne perds pas mon temps, et je suis bien content !

Pas de projets à long terme, quelle détente, ah, comme je suis heureux !

Tout ce qui arrive me satisfait, c'est tout simple, et je suis bien content !

Je n'éprouve pas d'orgueil à être approuvé, sans prétention, ah, comme je suis heureux!

Les critiques ne me rendent pas triste, rien ne me décourage, et je suis bien content !



1973 Jacques Maritain (1882-1973)

Comment est-il possible que je sois né? 1168 [...]

Là où je suis maintenant en acte d'intellection et de conscience de ma pensée, un jour il n'y a eu rien ? C'est impossible, il n'est pas possible qu'à un certain moment ce qui pense maintenant n'ait pas été du tout, ait été un peu rien. Comment cela pourrait-il être né à l'existence ? Je ne suis pas ici en face d'une contradiction logique, je suis en face d'une contradiction vécue, d'une incompatibilité de fait (connue in actes, exercite): comme si je me trouvais dans une salle sans l'avoir quittée un instant, et qu'on me dise que je viens d'y entrer — je sais que ce qu'on me dit là est impossible. Ainsi moi qui suis maintenant dans l'acte de penser j'ai toujours existé ; cette vue s'impose à moi et ne me parait bizarre que si je m'en retire pour la considérer du dehors. Mais je sais bien que je suis né... C'est cette certitude d'être né, commune à tous les hommes, qui réprime en nous l'éclosion — quand s'active en nous la spiritualité naturelle de l'intelligence — de l'autre certitude, celle de l'impossibilité que notre existence d'esprits pensants ait commencé ou succédé au néant d'elle-même, et qui empêche cette autre certitude de parvenir à la conscience. Me voilà pris entre deux certitudes contraires. Il n'y a qu'une issue : j'ai toujours existé, moi qui pense, mais non pas en moi-même... Où donc ? Il faut que ce soit dans un être à la personnalité transcendante... et qui dans son propre soi infini était, avant que je fusse, et est maintenant que je suis, plus que moi-même, et qui est éternel, et duquel mon moi qui pense maintenant a un jour procédé dans l'existence temporelle. J'avais (mais sans pouvoir dire moi) une existence éternelle en Dieu avant de recevoir une existence temporelle dans ma propre nature et ma propre personnalité.


1973 Henri Le Saux / Swami Abhishtktananda (1910-1973)

Né en Bretagne en 1910, Henri Le Saux entre à dix-neuf ans à l'Abbaye de Kergonan. Ayant commencé à apprendre le sanskrit et le tamoul, il part pour l'Inde avec l'autorisation de ses supérieurs et fonde l'ashram de Shantivanam avec le Père Monchanin. Il croise Ramana Maharshi (1879-1950). Rencontre fondamentale malheureusement très brève. Comme de nombreux ermites, Le Saux se retire un temps dans une grotte de la montagne d’Arunachala :

Du fond du coeur, j'entendais sourdre un autre chant, au-delà de tout élan du désir comme de toute quiétude qui pût encore se sentir. Arunâchala est inexorable. Il sèvre de tout, il dépouille de tout, il arrache tout point d'appui où on serait encore tenté de s'agripper : car tel il a voulu celui qu'il a appelé, et tel il le rendra, libre et nu en la solitude de son coeur, libre et nu de la liberté et de la nudité du Soi.

Arunâchala, guru impitoyable, /qui me sevras de tout ce que j'aimais jusque-là, /de tout ce que je savourais jusque-là, /de tout sur quoi je m'appuyais jusque-là, / les choses de ce monde comme les choses de l'autre, / et me laissais suspendu / libre et nu…1169

Puis il « fait le saut » et le sannyasi se fixe dans les Himalayas. Terrassé par une crise cardiaque en juillet 1973, il meurt le 7 décembre. Extraits de ses dernières lettres :

Mais par rapport à tout cela [vocations de jeunes dans certains monastères], je suis comme celui qui a des repas merveilleux à sa disposition et qui souffre de voir ses frères réduits à juste casser la croûte, car ils ne savent pas et sont tellement conditionnés qu’ils ne savent même pas qu’il y a « cela » ! (8 mars 1973)

Pour le moment, je suis partout frappé par la vie de moines hindous en marge du monde des swamis. Rencontre récemment d’un garçon de vingt ans, vivant seul dans une maison abandonnée, dans la jungle, en silence. Puis deux autres, dont un garçon nepali de dix-huit ans, cachés dans un creux de falaise, nus ou vêtus de sacs, vivant de blé macéré dans de l’eau et de fruits de la jungle. Gens auxquels nul ne prête attention et qui sont bien plus vrais que tous nos swamis à robe orange et tous nos moines à grande coule ! / L’Esprit n’est pas à chercher dans un souvenir ni une institution. (22 mai 1973 ?)

L’autre jour, je rencontrai dans un ashram hindou un Malayali qui avait goûté de Kurisumala [ashram du P. Mahieu] et Shantivanam et qui maintenant est « parti », va d’ashram en ashram dans un dénuement total. Tels sont les vrais moines chrétiens de l’Inde, même s’ils ne participent plus que fort rarement au rite. L’Esprit les a appelés au-delà de tout signe. (7 juillet 1973).

Un infarctus qui me prit alors que j’allais prendre le bus et que des circonstances providentielles maintiennent dans des limites guérissables. En même temps une expérience merveilleuse de « croiser » entre mort et vie, découverte que l’on EST1170 ! Qu’importent les situations ? Joie et sérénité qui rendirent inoubliables les deux semaines que je passais immobile au lit. (22 septembre 1973).1171


1979 Jeanne Schmitz-Rouly (1891-1979)

Mère de famille ordinaire née à Mons, morte à Bruxelles, notes découvertes fortuitement après sa mort1172.

Description de la contemplation:

[46] …je pensais donc à tout autre chose. En une fois, je me suis sentie plongée dans le bonheur et je voyais. C'est toujours du reste la même chose, et cependant elle semble toujours nouvelle. Je voyais : ",Mais quel bonheur c'est donc de pouvoir aimer Dieu !" Et tout était bonheur en moi. Et je me rappelle que je regardais quelques arbres d'un square, et qu'il faisait sombre ce jour-là. Et cette idée me venait : c'est comme si je disais que ce paysage terne et insignifiant que je vois, c'est une apothéose d'un printemps lumineux, tellement je me sens comme transportée dans d'autres régions. Je ne sais pas si on voit, mais on voit cependant les rues et les maisons. Mais on regarde sans voir, et il serait impossible d'exprimer ce que l'on ressent, sinon en disant que l'on sent qu'on (n'] existe plus. Et je crois que c'est l'unique chose que l'on sache constater, je dirais, et qui donne, pour ma part, un surcroît de bonheur, si cela était possible. On perçoit sans doute que la contemplation dans laquelle on se trouve, ne vient pas le moins du monde de soi, de son intelligence, de son entendement, de sa volonté. Rien de soi n'y contribue. […] p.46

[47] À l'improviste, au moment où je prenais un paletot dans l'armoire, j'ai été terrassée par cette présence sensible de Dieu en nous, qui est inexprimable, mais plus réelle à l'esprit que tout ce qui existe ici-bas. Je pensais : "Ils se mirent à parler selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer."1173 Et je me sentais envahie par un bonheur que Dieu seul peut donner. Et immédiatement je le reconnais, après que des semaines j'en ai été privée, à son sceau. Je dirais qu'il n'y a pas moyen de [ne pas lei reconnaître, lorsqu'on l'a éprouvé. Et je me rappelle seulement que je n'aurais plus su bouger, et que je suis tombée à genoux, les yeux toujours fermés, et que je ne savais plus rien. […] Notre ‘moi’ n’existant momentanément plus, nous aimons Dieu ‘en vérité’, car nous lui donnons l’adoration de l’anéantissement devant lui. p.47

L’alternance :

[54] […] Ce n'est pas un manque de résignation, qu'on sait s'efforcer d'avoir dans les obscurités et les sécheresses, mais ici, c'est la privation, et c'est tellement atroce qu'on se sent mourir de douleur. Et je dis ça, je sais toujours le dire : "Mon Dieu, aie pitié de moi, donne-moi ta main !" Tout à coup, sentiment ineffable de la Présence de Dieu ; et je suis tombée à genoux, et je disais : "Même de connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance !"I Et je disais : "La paix qui dépasse tout sentiment."1174 Et j'étais plongée, le mot est juste, dans un bonheur total et parfait. Et je me suis dit : "Quand on doit exprimer le bonheur de la Présence de Dieu, on ne sait que dire des choses qui semblent au-delà de tout : surpasser, dépasser ; mais qu'on n'explique pas davantage, car on ne saurait l'expliquer. Il faut l'avoir éprouvé pour le comprendre. […] p.54

[90] …je lui disais : ",Mais comment est-ce possible ? Je ne suis cependant pas une insensée ! Chaque fois que je souffre ces douleurs de l'esprit, je dis toujours la même chose, et cependant je sais que chaque fois Dieu me donne l'inexprimable bonheur de sa Présence retrouvée par après." Et alors il me disait qu'à ce moment-là, cela doit être ainsi. On a réellement l'esprit obscurci. Car si on était certain de retrouver ce bonheur qu'on a perdu, il est évident qu'on ne souffrirait pas. C'est tout à fait évident. Aucune consolation de la terre ne sait exister, car on les ignore, sachant qu'elles ne sauraient nous aider à rien. […] p.76

[103] "Car Il a fait en moi de grandes choses. Il a regardé la bassesse de sa servante1, et voici que je suis bienheureuse." Je me sens lavée. Je commence seulement à comprendre que je ne suis rien. Je commence seulement à me détacher de moi. Dieu me mène dans cette nuit où je croyais être et où peut-être j'étais déjà, mais où je ne sentais cependant pas rien de moi pour me soutenir. Car j'étais soutenue par des illusions sur moi, parce que je sentais comme un attachement à ce qui est bon en moi. Pas cette perception, que je sais cependant être réelle, que cela ne m'appartient nullement. Car c'est un peu dans l'esprit comme si cela vous était propre. La pauvreté de l'esprit m'était présentée, mais avec une clarté sur moi qui me montrait comme les souffrances de la nuit de l'esprit sont nécessaires. Je sens à quel degré du médiocre je descends, alors que mon âme venait de se trouver à un sommet, tellement je me trouvais plongée dans une savoureuse contemplation. Et qu'elle n'est plus capable d'un acte d'amour comme ceux qu'elle venait d'avoir. — Je vois que je ne sais plus rien dire. Et tout est effort. Et toujours la conscience de plus en plus nette de mon indignité et de mon incapacité. C'est une grâce de souffrir ainsi, car je ne l'ai jamais autant compris. Sans ces souffrances, je ne serais jamais parvenue à corn-prendre que ce n'est que lorsque par la grâce de cette nuit de l'esprit nous sentons notre totale incapacité, notre totale indignité, [quel nous arrivons en une fois à comprendre aussi notre totale pauvreté. "C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis.2 Dans cette nuit de l'esprit, rien n'arrive à vous aider, et la douleur de la privation de Dieu, et l'angoisse de le désirer de tout son être et de ne pas le trouver... Prière pour demander à Dieu de me donner le don de l'intelligence pour comprendre. Et mon confesseur me l'a dit déjà plusieurs fois avec insistance. Est-ce parce que j'ai de suite accompli de dire souvent cette prière ? Mais j'ai eu une si lumineuse compréhension de ceci : "Bienheureux les pauvres en esprit !3; Mais je comprenais en même temps : "être pauvre, car nous ne sommes que des pauvres." C'est la conscience que nous sommes (inconsciemment, peut-être, tellement nous sommes égocentriques), mais que nous sommes conscients de nos tendances vertueuses, et que nous ne savons comme plus que celles-ci viennent de Dieu. Car c'est un peu comme si néanmoins elles nous appartenaient. Nous sommes souvent contents, fiers de nos tendances, de nos jugements, et nous jugeons les autres. Nous avons perdu la conscience de la réalité : nous sommes des pauvres. Et lorsque nous sentons l'impuissance, l'obscurité, l'angoisse, la terrible souffrance de la privation de Dieu, qui, en même temps, nous le savons, est notre unique désir, nous sentons notre pauvreté. Car nous savons très bien notre incapacité totale, et aussi que personne au monde ne saurait nous aider. Mais j'ai cette fois-ci corn-pris comme jamais, que l'obstacle entre Dieu et moi, c'est que je ne suis pas pauvre de bien des attachements à moi, et que ces attachements je dois les combattre. J'ai compris que le détachement des vertus que l'on sent en soi, est une pauvreté essentielle qui vous enlève toute satisfaction de soi-même, et que c'est cela la béatitude qui dit : "Bienheureux (tout à fait heureux) les pauvres en esprit !"4 p.87-88

1 Lc 1, 48-49. 2 'Co 15, 10. 3 Mt 5, 3. 4 Mt 5, 3.

[14] En une fois, à l'improviste, je vois cette Lumière à nulle comparable. […]. C'était son incompréhensible Présence. Et à un moment j'ai dit en moi (car j'avais peur de ce que je suis) : "Mon Dieu, pardon de ce que je suis !" Et je me sentais néant devant la majesté de Dieu, ou plutôt anéantie par la réalité de Dieu. Et alors la clarté a disparu. Mais le sentiment de néant, d'indignité face à l'infinie Réalité et Majesté de Dieu, me plongeait dans l'adoration et dans l'étonnement craintif de ce que Dieu me donne. p.108

[39]

J'attendais le tram et, tout à coup, j'ai eu en moi une telle révélation de l'amour de Dieu que cela devait être ce que dit saint Paul : "Même de connaître l'amour du Christ qui dépasse toute connaissance."1 Je me sentais, je le voyais, aimée de Dieu, et l'aimant à un point tellement inouï que j'étais dans un abîme de bonheur (Je ne l'ai jamais ressenti aussi fort). Je n'étais vraiment plus. Mais il s'y ajoutait une impression que je n'ai encore jamais eue : je sentais comme le poids du bonheur, l'étendue. C'était sans fin et sans limite. […] p.123

[44] Cc jour-là, j'ai souffert des douleurs de la privation de Dieu. C'était la privation totale et le désespoir du néant. Et je disais : "Mon Dieu, aide-moi, car je ne sais plus !" Je sentais mon absolue solitude, totale et sans issue, semblait-il, et je pensais à mon désir du bonheur de la solitude : "Seule avec Celui qui est le Seul. " Et je me disais : "Maintenant, je suis seule, mais devant le néant." Et cette angoisse augmentait toujours, et ma douleur était le désespoir. Et je disais : "Mon Dieu, j'ai peur de ce que je sens." Et cependant, un moment donné, je me suis dit : "C'est le moment d'offrir à Dieu ce que je souffre pour la conversion des pécheurs et pour les âmes du purgatoire. Ainsi cette souffrance pourra aider et aura une utilité vis-à-vis de Dieu. Et presque aussitôt, très vite, je me sentais vidée de ma souffrance : elle n'était plus ! C'était presque stupéfiant de soudaineté. Je pensais, je voyais, ou plutôt je contemplais les ineffables paroles de Notre-Seigneur : "Votre tristesse se changera en joie1175", car je les sentais vivre en moi. […]



Mrs. D. K. (Avant 1980)

Lentement mon optique changea1176 et je me dis : "Je suis mort ! Il n'y a rien qui s'appelle moi ! Il n'y a jamais eu un moi ! C'est une allégorie, une image mentale, un schéma sur lequel rien n'a jamais été modelé !" La joie me donnait le vertige. Les objets solides m'apparaissaient comme des fantômes et tout ce sur quoi mon regard se posait était d'une beauté radieuse.

Je ne puis qu'indiquer sommairement ici ce qui me fut révélé d'une manière éclatante au cours des jours suivants :

1. Le monde que perçoivent nos sens est la partie... la moins importante d'une immense "géométrie de l'existence"

2. Les mots sont maladroits et simplistes... lorsque l'on essaie de donner une idée du fonctionnement multiple d'un vaste complexe de forces...

3. ...En fait il n'y a rien à connaître, rien qui puisse être connu.

4. Le monde physique est une infinité de mouvements, de Temps existentiel mais... en même temps... de Silence et de Vide.

5 . ... Il n'y a rien à faire : le seul fait d'être est un acte absolu.

6. Quand je regarde des visages, je vois un peu de la longue chaîne de leurs existences passées, et parfois un peu de leur avenir.

7. ... Chaque chose a sa propre chanson... Pourtant derrière cette variété infinie, tout cela se fond en une unité...

8. J'éprouve un amour sans objet, un "état d'amour" . Mes vieilles réactions émotionnelles contrarient encore cet "état d'amour" suprêmement doux et naturel.

9. Je me sens une conscience qui n'est ni moi-même, ni étrangère à moi. Elle me protège et me conduit.




1980 Lev Gillet (1893 – 1980)

Moine bénédictin brillant envoyé en mission en Galicie uniate, il rejoindra l’orthodoxie en 1928, ce qui n’ira pas sans apporter son lot d’incompréhensions et d’épreuves. Mais en naîtra le rayonnement spirituel qui permit par la suite à de jeunes communautés orthodoxes de langue française de se développer à Paris - plaque tournante de l’émigration russe - et à Beyrouth1177. Nous choisissons de citer Communion in the Messiah, plutôt que l’une de ses nombreuses allocutions spirituelles et textes à fins spirituelles1178, pour quelques passages rapprochant chrétiens et juifs1179 :

As Abelson said, speaking of the Zohar : “Some of the cardinal doctrines of Christianity are embedded in these ideas [of the shekinah, etc.]. It seems that the starting point of such ideas was a spiritual experience, a deep need of a " coming down " of God to man and of the expiation of sin by a perfect Mediator. These inner experiences, which agreed with several passages of the Scripture, gave birth to certain thought-tendencies, still vague. At a further stage of development these thought-tendencies became crystallized in definite conceptions. [97]

The Jewish book Kuzair (12th century) said that Judaism, Christianity and Islam, are like three rings having such a close resemblance that one can hardly distinguish one from the other. [104]

In each Thou we address the eternal Thou. If I have both, will and grace, the tree on which I gaze is now no longer it. [...] The Thou meets me through grace ; it is not found by seeking.[117]

S’impose comme traduisant une grande liberté intérieure, un témoignage fort et qui s’avérera mystique au cours d’une progression du récit. Exceptionnellement nous n’omettons rien :

Interview avec le Père Lev Gillet1180

En 1972, le père Lev Gillet accorda une interview à Edward Robinson, un « chercheur en expérience religieuse » du collège Manchester de l'université Oxford1181. Père Lev a 79 ans au moment de l'interview. Cette interview constitue un document unique sur la vie intérieure du père Lev, bien qu'il comprenne aussi de longs échanges, en apparence secs et académiques, avec le chercheur. Car le père Lev et le chercheur ne tiennent pas le même discours : le chercheur est un académique qui se veut scientifique, alors que le père Lev, qui comprend très bien le milieu académique et le point de vue de son interlocuteur, est avant tout un spirituel, un « libre croyant universaliste, évangélique et mystique »1182, qui a une longue expérience en tant que conseiller spirituel auprès de toutes sortes de personnes aux appartenances les plus variées. De fait, l'interview [298] débute difficilement, sur une discussion quelque peu intellectuelle concernant le sens et la nature de l'« expérience religieuse », et alors que la pensée du père Lev s'oriente tout naturellement vers le concret, le vécu, le chercheur introduit à plusieurs reprises des notions abstraites dans la discussion. Ce sont justement ces paroles du père Lev relatant ses expériences intimes intérieures et ses convictions personnelles au-delà de tout credo formel, qui témoignent dans cette interview d'un grand spirituel.

Les parties en italiques sont les questions et remarques du chercheur et celles en caractères normaux, les réponses du père Lev.

Au point de départ on a demandé à des personnes d'écrire un rapport de toute expérience où ils sentaient qu'ils avaient été sous l'influence d'une puissance soit au-delà ou en partie au-delà d'elles-mêmes et de nous raconter l'effet qu'une telle expérience avait produite sur leur vie. Nous avons reçu un grand nombre de comptes-rendus très variés ; ils vont de descriptions les plus sensationnelles du super-naturel et de l'occulte, des apparitions des morts et des rencontres avec des soucoupes volantes jusqu'à une forme plus traditionnelle d'expérience religieuse. Quelle approche faites-vous d'un tel ensemble ?

Je pense que chaque cas doit être considéré à part, étudié et analysé très attentivement.

En faisant cela, on trouve certains traits communs.

Qu'attendez-vous de trouver qui présente un intérêt particulier ?

Cela dépend de votre conception d'un phénomène religieux. J'ai bien sûr, ma propre idée là-dessus.

Pouvez-vous nous dire quels sont vos critères ?

Je pense qu'il s'agit d'un phénomène religieux lorsque vous avez conscience, d'abord, de quelque chose qui vous transcende : quelque chose de plus grand que vous-même, au-delà de vos limites. Deuxièmement, bien que ce soit transcendant, cela doit de quelque façon être immanent à vous-même, vous devez le rencontrer en vous. Troisièmement, entre ces deux expressions d'une réalité suprême (que je ne définirai pas pour le moment), il existe une possibilité d'échange dynamique. Vous en recevez quelque chose et vous lui donnez quelque chose. C'est ma conception d'un phénomène religieux. Ceci s'applique à beaucoup de cas où Dieu n'est pas en question. Vous pouvez envisager le sexe, par exemple, comme cette réalité à la fois transcendante et immanente. Ce pourrait être une sorte de religion. Vous pourriez prendre la société, ou le cosmos, pris au sens scientifique. Vous pouvez aussi la considérer comme une réalité personnelle ou supra personnelle — Dieu.

Dans quel sens le sexe, la société ou le cosmos peuvent-ils être transcendants?

Prenons le cas d'un psychologue freudien. Il peut envisager la libido comme un pouvoir qui est transcendant et cependant immanent à tout homme et constituant la réalité suprême : quelque chose qui correspond à l' élan vital de Bergson.

[300] Est-ce que ceci ne consiste pas à prendre ses désirs pour des réalités ? En fait, il le projette et le considère comme transcendant parce qu'il veut avoir quelque chose qui de fait est au-delà de lui-même, n'est-ce pas ?

Je ne le juge pas. Je m'intéresse seulement de savoir si pour lui cela possède une valeur transcendante ou non.

Diriez-vous alors que tout le monde est religieux en un certain sens ?

Je ne sais pas ; je n'en suis pas sûr ; il peut y avoir des personnes qui ne le sont pas du tout. Mais je suppose que la plupart des gens le sont de mille façons différentes.

Comment reconnaîtriez-vous alors une personne non-religieuse ? Serait-ce quelqu'un pour qui l'existence n'a pas de sens ?

Oui. Ou bien quelqu'un qui ne veut reconnaître rien au-delà de sa propre réalité physique ou mentale. Prenez un marxiste : je ne le considère pas comme non religieux. Le marxisme est bien une théologie. Le matérialisme dialectique, pour autant que d'abord ce soit le matérialisme, est dogmatique et deuxièmement « dialectique », implique cette sorte de structure cosmique, universelle.

À partir de ceci, vous pouvez dire que tous ceux qui trouvent un quelconque sens à la vie sont religieux.

Peut-être ; mais je pense qu'il y a pas mal de gens qui n'ont pas du tout de quête de sens ; des gens qui n'ont pas d'intérêt, qui n'accusent pas ou qui ne reconnaissent pas un tel besoin. Ils vivent un jour après l'autre sans se poser de questions.

Existe-t-il vraiment de telles personnes qui ne cherchent pas du tout de sens ?

J'en ai rencontré pas mal. D'abord, j'étais victime d'une illusion : je pensais que ces personnes vivaient vraiment une sorte d'anxiété intérieure, mais ne savaient pas comment l'exprimer, ou bien qu'elles n'en étaient pas conscientes. J'ai changé d'avis maintenant que j'ai rencontré à Londres pas mal d'hommes et de femmes qui ne se posent certainement pas la moindre question ; elles n'éprouvent aucun besoin de chercher du sens, cela ne les intéresse pas. De toutes apparences, leur expérience est simplement une réaction aux événements et aux circonstances au fur et à mesure qu'ils se présentent.

Diriez-vous que cette attitude peut survivre à une crise qui pourrait se présenter dans leur vie ? Je m'intéresse à un certain nombre de personnes qui nous écrivent pour dire les effets de toute sorte de crises, et comment, jusqu'au moment où elles furent confrontées à des événements qui exigeaient un sens — le deuil et ainsi de suite — elles ne cherchaient vraiment aucun sens. Diriez-vous que les personnes que vous décrivez n'ont jamais eu à affronter des problèmes qui demandent quelque chose de plus profond que l'existence quotidienne ?

Permettez-moi de vous raconter une étrange expérience que j'ai vécue l'an passé [1971]. Au mois de mars, [302] à cette époque, j'étais très malade. J'étais en train de mourir. Pendant une semaine environ j'étais inconscient et je délirais. D'une part, je disais des choses dépourvues de sens aux personnes autour de moi. Mais tout le temps, il y avait le développement d'une sorte de dialectique à l'intérieur de moi, dont j'étais conscient et qui tenait la route. Il s'agissait de l'extension d'un rêve ou d'une vision, que je vais vous raconter maintenant.

Le premier jour de ma maladie, j'avais rendu visite à une femme persane qui avait une enfant handicapé moteur (spastique). Je lui rendais visite avec mon médecin. Je vis cet enfant bouger sur le lit, émettant des gémissements, essayant de faire des mouvements, mais incapable de les coordonner. Il tenait simplement une bouteille de lait en main, gémissant et cherchant quelque chose. Ensuite, quelques personnes sont arrivées ainsi qu'une famille persane. La situation était plutôt drôle : la mère ennuyée, ça sautait aux yeux, aurait préféré qu'elles partent. Soudain, l'enfant spastique semblait prendre conscience de la situation et se leva quelque peu disant : « Maman, kawa ! » Cela voulait dire que l'enfant savait que l'on offre du café à tout hôte ; il rappelait à sa mère de leur présenter du café. Ce qui était frappant, profondément émouvant, était de voir cet enfant sortir tout à coup de ses limites, sa prison d'enfant spastique, et de manifester un intérêt altruiste pour ces personnes. J'en étais fortement impressionné.

La nuit suivante, je devins très malade ; je commençai à perdre conscience. Puis j'eus un rêve — ou bien le vis-je d'une façon imaginaire ? — je ne sais. Je me vis sur une plaine très blanche pendant une nuit noire ; j'étais couché sur le sol. Je ne pouvais voir aucune lumière ni à droite ni à gauche, pas de maison, rien, sauf sortant de terre, par-ci par-là, de petits êtres spastiques semblables à des vers de terre. Certains d'entre eux prononçaient le mot « café » (kawa en perse) ; ils portaient une très petite lumière, comme des vers luisants. Soudain j'avais l'impression d'avoir une vision de l'univers entier : notre univers est tel où chacun, jusqu'à un certain degré, est un enfant spastique. Chacun se meut selon son propre spasme, qui peut être l'ambition, l'argent, le sexe, n'importe quoi. Chacun est prisonnier de son propre spasme comme cet enfant spastique. Mais il arrive que soudain certains d'entre eux prennent conscience de réalités en dehors d'eux-mêmes et commencent à demander du café pour les autres.

Pour moi, c'était une forme de dialectique qui se développa pendant toute une semaine dans mon inconscient alors que je délirais aux yeux des autres personnes. Il me sembla que tout l'univers était ainsi. Le sens de tout progrès dans le monde était que nous devrions aider toutes ces personnes spastiques autour de nous de façon à devenir capables, à certains moments, de demander du café pour les autres. Ceci dura toute une semaine avec des développements que je ne préciserai pas maintenant. Il y avait une séquence dialectique dans tout ceci.

Je pense maintenant que vous avez raison, quand vous avez dit qu'il y a des personnes qui, à moins de faire une crise, ne sont pas conscientes de tout ceci. Ce sont en effet des personnes spastiques, qui se meuvent [304] seulement de façon quelque peu mécanique, jusqu'au moment où leurs yeux s'ouvrent tout à coup et ils prennent conscience des autres.

Ceci suggère que notre état naturel n'est pas d'être conscient du sens, et que tous nous devons sortir de cet état.

Selon ma propre conception qui est purement individuelle et que je ne peux ni prouver ni réfuter, je pense que l'enfant spastique ne pourrait jamais être capable de songer à du café pour d'autres personnes si cela ne lui était pas donné ou suggéré par quelque chose ou quelqu'un qui lui est transcendant : ce qu'un chrétien appelle la grâce.

Quelles limites mettriez-vous à ce qu'on appelle le transcendant ? Nous avons un grand nombre de personnes parmi nos correspondants qui disent : « Nous avons trouvé un sens, c'est cela notre expérience religieuse ». Nous ne pouvons approcher entièrement cette réalité sans préconceptions, sans certaines valeurs qui nous soient propres. Nous devons demander comment le pouvoir transcendant peut être reconnu, et comment percevoir la bonté ou la malignité des influences de ce genre.

Je ne me posais aucune question à ce sujet : j'en étais venu à cette interprétation du rêve parce que j'avais déjà mes propres convictions religieuses. Celles-ci sont en relation avec une puissance personnelle ou super-personnelle, avec qui je pense avoir eu un contact personnel à certains moments de ma vie — aux moments décisifs de ma vie. J'ai eu dans ma vie tout à fait personnelle et intime, d'abord un sentiment de présence, d'une présence donnée et super personnelle. Ce sentiment demeurait en moi une heure entière de façon très intense, m'envahissant, me faisant pleurer sans la moindre raison, me submergeant complètement. Ceci m'est arrivé aux bords du lac de Galilée, peut être sous l'influence de l'environnement, le paysage et les souvenirs associés au lac de Galilée dans l'Évangile. Mais c'était tellement saisissant que je vis soudainement que l'intention que j'avais eue d'aller à Jérusalem était tout à fait inutile. Ce que j'avais vu et ressenti dépassait tout ce que j'aurais pu faire à Jérusalem. Il ne me restait qu'à retourner immédiatement en Europe et rien d'autre.

Avez-vous connu à d'autres moments cette sensation de présence ?

Oui, beaucoup, mais celle-ci, ainsi que le rêve des personnes spastiques, étaient les plus frappants. L'impact de ce rêve sur moi était le suivant : si je voulais voir les enfants spastiques sortir du sol, je ne pouvais le faire que si moi-même j'étais couché par terre tout à fait à plat, perdant toute sensation de ma propre importance, réalisant que tout ce que je faisais : écrire, parler aux gens, n'avait aucune importance. La seule chose qui importait était d'être capable de rester couché sur le sol. Alors je pouvais voir ces personnes spastiques qui se levaient. La seule chose que je peux faire est d'aider de telles personnes.

Comment mettriez-vous en rapport ces expériences en rêve et le sens de présence que vous avez ressentie avec les expé- [306] riences que d'autres personnes appelleraient purement psychiques ?

Je n'ai aucune expérience psychique de quelque nature que ce soit. Ces choses me sont entièrement étrangères.

Beaucoup de personnes nous écrivent en décrivant ce qui leur semble être une véritable expérience religieuse alors qu'ils ont vu une lumière, ou des lumières, ou leurs environnements illuminés ; ceci se combine avec la joie et parfois de la crainte. Pourquoi est-ce si courant ?

Je pense que c'est un phénomène courant dans toutes les religions. Moi-même, par exemple, j'éprouve très souvent un sentiment, non d'une lumière extérieure, mais d'une sorte d'illumination intérieure, quelque chose de radieux associé au nom de Jésus. J'ai beaucoup pratiqué ce que les orthodoxes appellent la prière de Jésus, qui consiste simplement dans la répétition du nom de Jésus. Cette expérience du nom de Jésus peut devenir quelque chose qui vous imprègne et vous donne une sorte de lumière intérieure : vous vous sentez entouré d'une lumière intérieure que vous ne pouvez décrire.

Comment pouvez-vous défendre ceci devant la critique du sceptique qui y verrait simplement une technique dont le contenu est sans rapport ? N'importe quelle philosophie que vous aimez pourrait servir de contexte à cette sorte d'expérience.

Je ne veux pas le nier. Je pense que c'est tout à fait possible qu'il y ait une origine psychologique. Mais je dirais en même temps que je ne dissocie pas Jésus de Mohammed, ni de Bouddha ou de Krishna, ou de beaucoup d'autres divinités, Isis ou Aphrodite. Je pense que beaucoup de personnes ont des contacts authentiques avec Jésus sous d'autres noms et formes.

Et je suppose qu'elles prendraient les mêmes attitudes que vous ?

Un Hindou certainement.

Vous dites ne pas avoir d'expérience psychique. Mais que diriez-vous à quelqu'un qui décrirait votre expérience comme psychique ? Votre sens de la présence par exemple ?

Je ne dirais rien. Sa déclaration pas plus que la mienne ne peuvent se prouver. J'en resterais là.

Un de nos grands problèmes consiste en la difficulté de distinguer entre ce que certaines personnes écarteraient d'emblée comme étant psychique et ce que d'autres apprécieraient comme étant de grande valeur et appelleraient religieuses. Et le cœur même de ces expériences qui, dans beaucoup de cas, paraît être semblable. Ce qui semble constituer l'élément religieux est la façon dont les gens réagissent, la façon dont ils reçoivent et répondent.

Ce sont des choses qu'on peut partager ou pas. Si quelqu'un ne partage pas son expérience, c'est inutile d'en parler. Dans ce domaine il n'y a pas de vérification au sens scientifique. Là où on ne peut pas mesurer, la vérification est impossible, et il n'y a pas de mesures à appliquer à ce genre de choses. C'est un domaine qui relève du qualitatif sans aucune recherche possible sur le quantitatif

[308] Vous diriez alors, qu'à moins de pouvoir présenter des résultats sous forme quantitative, votre travail n'est pas scientifique ?

Il fut un temps [1917-1918] où je travaillais dans le laboratoire de psychologie expérimentale à Genève avec [Édouard] Claparède. Il avait placé ces paroles de Lord Kelvin sur la porte de son laboratoire : « Si tu peux exprimer en chiffres ce dont tu parles, tu en possèdes une certaine connaissance. Sinon, tu n'en connais rien et ce que tu dis n'a guère de valeur ».

Seriez-vous encore d'accord maintenant avec ce point de vue ?

Certainement, d'un point de vue scientifique. Dans mon esprit je fais une distinction très nette entre ce qui peut être analysé par la recherche scientifique et ce qui ne peut l'être. Il n'y a pas de pont entre le quantitatif et le qualitatif.

L'un est-il plus réel que l'autre ou ne portez-vous pas de jugement ?

Il ne m'appartient pas de juger. D'une certaine façon, je suis un parfait agnostique et un parfait croyant d'autre part.

N'êtes-vous pas ouvert à la compartimentation, à penser en termes de deux mondes qui ne peuvent pas entrer en contact l'un avec l'autre ?

Je ne dirais pas cela. Je dis simplement que je ne me permets pas de dire que je sais, si je ne peux pas prouver par l'expérience ce que je sais.

Alors, la seule sorte de psychologie que vous accepteriez comme scientifique est une sorte de psychologie behavioriste ?

Non, je rejette le behaviorisme comme je rejette la psychanalyse. En ce qui me concerne, la seule forme de psychologie scientifique prouvée est la psycho-statistique.

On pourrait objecter à Lord Kelvin qu'en fait les nombres n'ont d'autre signification que mythique.

Les nombres sont la seule façon pratique d'appliquer la connaissance à la vie. Sans les nombres, il n'y a pas de connaissance scientifique, pas de technique scientifique. Je ne crois pas du tout dans une mystique des nombres.

Je pense que Kelvin disait aussi qu'il ne pouvait réellement comprendre une théorie que s’il pouvait construire un modèle.

C'est de l'imagination. Cette phrase n'a aucune valeur pour moi. Ce qui a de la valeur est le nombre, la réalité. Le modèle n'a pas de réalité ; c'est une illusion de l'esprit. Dans le domaine de la science, les modèles peuvent changer tous les vingt ans, les nombres restent.

Mais un modèle est utile pour communiquer vos idées à quelqu'un d'autre.

Oui, de façon purement empirique.

Je pense qu'on peut soutenir que les nombres sont aussi un simple modèle, que toute description scientifique est peut-être un modèle dans un langage différent : un langage qui [310] est plus pratique dans un certain sens; vous pouvez vous en servir pour contrôler ou pour prédire. Mais c'est cependant un modèle : cela ne nous rapproche pas davantage de ce qui est vraiment là.

Je ne comprends pas l'idée de « ce qui est vraiment là ». J'ai été impressionné profondément par quelque chose qui s'est passé dans un laboratoire de botanique. J'essayais de dessiner ce que je voyais sous le microscope. Le professeur vint voir ce que chacun faisait. Moi, je dessinais des cellules ; mais à la place de laisser des intervalles entre elles je les dessinais tout à fait contiguës. Le professeur me dit : « Que pensez-vous que vous êtes en train de faire ? » Je dis : « J'essaie de dessiner ces cellules ». « Pas du tout, répondit-il, vous faites de la métaphysique ». Ces paroles me sont restées et ont eu une énorme influence éducative sur moi.

Que voulait-il dire ?

Il voulait dire que j'étais en train de dessiner quelque chose qui n'était pas une réalité physique. Les intervalles entre les cellules étaient la réalité ; mais moi, j'étais en train de dessiner des cellules qui se touchaient, ce qui n'était donc pas une réalité physique et par conséquent pas de la physique non plus ; donc de la métaphysique, de la spéculation.

Voulait-il dire que vous aviez permis que votre perception soit influencée par une théorie métaphysique ?

Je ne pense pas qu'il soit allé aussi loin. Je pense que pour lui la métaphysique était une des pires qualifications. Je dessinais simplement quelque chose que je ne voyais pas.

Vous venez justement de dire maintenant que vous n'acceptiez pas la conception de « ce qui est réellement présent là ». Mais au début, vous parliez de l'expérience religieuse comme expérience d'une réalité transcendante.

Veuillez m'excuser, je déteste les mots « expérience religieuse ». Je pense qu'ils sont la cause d'une grande confusion et j'en veux à William James [philosophe pragmatique américain 1842-1910] d'avoir introduit pareille idée. Essayez par conséquent de trouver d'autres mots. Il y a quelques mots que j'aimerais faire disparaître du dictionnaire, tels que « expérience religieuse » ou le mot « mysticisme ».

Pourrais-je définir l'expérience religieuse comme l'expérience d'un phénomène religieux, en d'autres termes, comme quelque chose qui est l'objet propre de notre intérêt religieux ?

Le mot « phénomène » suffit amplement — « ce qui apparaît ». Qu'y a-t-il derrière l'apparence ? Je ne le sais ; quantitativement, scientifiquement, je ne le sais.

Mais vous avez des critères pour dire : « J'ai fait l'expérience de ceci ; je suis maintenant dans le « domaine religieux » ».

Je peux dire que ceci est le domaine des expériences religieuses ; vu de l'extérieur, je pense qu'un sociologue ou un psychologue athée seraient d'accord avec moi sur la définition d'un phénomène religieux.

[312]Vous ne pensez pas que c'est nécessaire d'avoir soi-même un intérêt religieux, d'être sensible à quelque chose avant qu'on puisse reconnaître ce qui est important dans ce domaine ? Je ne pense pas qu'un athée ait assez d'intérêt dans le domaine de la religion pour percevoir les caractéristiques importantes d'un phénomène religieux.

Je connais des psychologues de la religion qui sont des athées et qui s'intéressent très fort aux phénomènes mystiques, etc.

Sont-ils qualifiés pour les interpréter correctement ?

Oui, parce qu'ils ont un esprit scientifique. L'interprétation ne m'intéresse pas tellement, ce qui m'intéresse, c'est la description.

Mais si vous décrivez un phénomène comme étant religieux, ce mot a alors sûrement une valeur interprétative ?

Il a seulement un sens conventionnel. Je déteste également les mots « religion » et « religieux ». De même que le mot « mysticisme », la « religion » ne trouve pas place dans la Bible.

Vous finissez par adopter une position purement phénoménologique. Vous dites : « Je ne demande pas une interprétation de ces expériences ; tout ce que je ferai est simplement les approcher toutes ».

Oui, exactement.

[313] Ceci semble être plutôt réducteur. Ce qui est important pour la personne qui a vécu l’expérience en est l’interprétation.

Je suis incapable d’en donner l’interprétation. Je peux simplement essayer de tâtonner, de voir ma voie à un moment donné.

Comment pouvez-vous alors évaluer l'expérience d'autres personnes ?

Je n'évalue pas l'expérience d'autres personnes.

Diriez-vous que ceci est une attitude scientifique ?

Oui, exactement. Le mot « valeur » n'a pas sa place en science.

D'où viennent les valeurs alors ?

Je n'ai probablement pas de valeurs.

Vous n'avez pas de valeurs ?

Je ne pense pas. J'ai des réactions.

Vous pensez que les principes du comportement humain sont purement relatifs au moment ?

C'est une question d'éthique personnelle.

Oui, mais cela n'est pas en rapport avec la question de valeur ?

Je ne sais pas. Je hais le mot « valeur ». Je hais tous ces termes philosophiques. Je peux peut-être parler de [314] guidance ; je sais ce que cela signifie ; je sais ce que je ferais dans des cas particuliers. Ou même d'amour, qui est un mot terrible.

Dites-vous que toutes ces choses sont intuitives, qu'il ne sert à rien d'essayer d'en faire un système ?

Je ne sais pas ce que signifie « intuitif », bien que je fusse un disciple de Bergson dans ma jeunesse. Mais je crois qu'il peut y avoir cette conviction, qui n'a rien à voir avec la science, qu'il y a une lumière intérieure donnée par Dieu. J'en parle dans le sens que lui donnent les quakers.

En fin de compte, la seule guidance valable est justement ce que tout un chacun éprouve comme sa propre expérience individuelle ?

Il n'y a pas deux cas qui soient semblables. Il ne peut y avoir de valeurs absolues qui ont la même force pour des personnes différentes. Bien que j'admette tout à fait qu'un État doit avoir des lois.

Lorsque saint Jean dit : « Il faut éprouver les esprits » (1 in 4, 1), pour voir quels sont les bons et les mauvais, n'incluait-il pas que vous deviez avoir quelques critères de jugement ?

Oui, j'ai des critères.

D’où viennent-ils?

Je pense qu'ils viennent de Dieu.

Ceci ne nous amène-t-il pas à une position où chacun peut dire : «Je possède mes propres valeurs intuitives, ma propre guidance, qui sont aussi bonnes que les vôtres » ?

Je pense certainement que vous avez toujours le droit de dire « ma guidance est aussi bonne que la vôtre ». Si c'est vraiment de la guidance, elle est aussi bonne que celle de n'importe qui. Il n'y a pas de guidance commune à deux personnes.

Mais notre connaissance de Dieu est imparfaite et chacun de nous interprète la volonté de Dieu selon sa propre expérience. Vous direz sûrement que certaines personnes sont plus proches de l'Esprit de Dieu que d'autres ?

Certainement. Mais Dieu a une façon différente d'agir selon chaque personne. Je rejetterais absolument comme une hérésie horrible — pour autant que je sois un chasseur d'hérésies, ce que je suis — l'idée que Dieu aime certaines personnes plus que d'autres. Je dirais qu'il n'y a rien de quantitatif en Dieu, en lui il n'y a pas de plus ni de moins. Ne quantifiez pas Dieu. N'évaluez pas son amour. L'amour de Dieu est une sorte de pression atmosphérique qui porte chacun de façon égale. La seule différence est qu'il y a des personnes qui s'ouvrent à cette pression, tandis que d'autres se ferment. Mais c'est le même amour entier, total, divin, absolu qui entoure chacun, qui parle à chacun, qui agit en chacun. [317]

Et un Hitler, un Staline sont complètement fermés à cela, pensez-vous ?

Certainement. Ils ont été entourés par la même pression d'amour divin que n'importe quel autre saint, mais ils se sont fermés.

Comme disciple de Bergson, pourriez-vous nous dire comment il approchait des questions de cette sorte ? Il aurait sûrement validé l'expérience d'autres personnes.

Oui, certainement.

Plus que vous ?

Non. J'ai le plus grand respect pour l'expérience sincère d'autres personnes. Comme disait Bergson, lorsque vous voulez connaître un sujet, vous allez trouver un spécialiste. Lorsque je veux connaître la réalité des choses spirituelles je vais directement trouver les mystiques, les saints, les personnes qui ont des visions ou des extases. Ils connaissent des choses que moi je ne connais pas ; je dois me renseigner auprès d'eux. Si j'ai des réparations électriques à faire dans ma maison, je fais venir un électricien.

Vous diriez alors qu'il peut y avoir une certaine valeur dans l'étude de l'expérience religieuse d'autres personnes ?

L'expérience religieuse d'autres personnes peut m'ouvrir de formidables paysages, d'énormes et nouvelles visions. Et je serai toujours reconnaissant à ceux et celles dont les visions ont enrichi les miennes.

Ceci comprendrait William James ?

Eh bien, j'ai des sentiments très complexes à l'égard de William James.

Beaucoup de personnes sont reconnaissantes à James parce que par ses travaux, il a ouvert leurs esprits à la possibilité de l'expérience religieuse.

Oui, son livre [Les variétés de l’expérience religieuse, 1902] a eu une influence énorme. Mais je me demande s'il n'a pas seulement soulevé un intérêt pour cette question. A-t-il mené à une foi plus grande dans la validité de ces expériences ? D'un point de vue scientifique, c'est très intéressant, mais pas du tout d'un point de vue religieux. La seule question religieuse pourrait être : est-ce que le livre de James a créé chez les personnes qui l'ont lu plus d'amour pour Dieu et pour leur prochain ?

Il a créé chez beaucoup de personnes, j'en suis sûr, qui auparavant n'étaient pas prêtes à regarder ces choses sérieusement, un empressement à se demander: «Je me demande s'il y a quelque chose en tout ceci ou non » ? Et ceci a fait tomber pas mal de personnes au bas de l'échelle qui...

Oui, probablement. Je pense que son influence peut avoir été très positive.

[318] Vous avez introduit beaucoup de valeurs ; vous les avez glissées par la porte arrière : des attitudes positives, l'amour de Dieu — pourquoi est-ce que ces choses en valent la peine ?

Oh, parce qu'on m'a dit que cela en valait la peine, Dieu me l'a dit.

Que diriez-vous de la personne qui aurait fait l'expérience contraire ?

Je dirais probablement qu'elle a fait une expérience authentique et que Dieu lui a parlé par sa conviction qui est très différente de la mienne. Mais il doit y avoir une faille quelque part. Je pense que toute expérience qui est authentique, immédiate, sincère est vraie. Je dirais qu'une expérience authentique conduit à un contact authentique avec Dieu.

Il me semble que ceci conduit à une grande richesse et en même temps à un désordre suprême.

Je ne suis pas sûr que cet univers soit bien ordonné. Selon moi, cet univers n'est pas celui que Dieu a fait : c'est un univers imparfait. Et ce Dieu, mon Dieu, est un Dieu qui souffre.

Comment en arrivez-vous à ce jugement sur votre Dieu ? Vous avez choisi votre Dieu.

Non, je n'ai pas choisi mon Dieu. Dieu a choisi la sorte d'expérience, si vous aimez ce mot, qu'il m'a donnée. Ce n'est pas mon choix : c'est une sorte de révélation que Dieu m'a faite de lui-même.

Mais c'est vous qui choisissez. Vous dites que vous allez trouver les experts qui ont l'expérience. Mais il y a beaucoup de personnes qui vous donneraient des conseils différents, qui prétendent avoir eu une expérience directe et authentique.

Je suis toujours disposé à les écouter.

Et alors vous discernez pour vous ce qui est valable ou pas.

Je pense que Dieu me guide dans mon interprétation et mon choix.

« Dieu » semble alors être simplement un nom pour ce que vous pensez être la réalité la plus valable.

Je suis tout à fait d'accord d'éliminer le mot « Dieu ». Il ne signifie rien. Il ne contient rien de précis ni d'instructif ni d'éclairant sur lui.

C'est dans la Bible, à la différence de « religion » et « mysticisme ».

Il ne se trouve pas dans la Bible. Dans la Bible, il a un nom très personnel, Yahvé. L'Ancien Testament ne parle jamais de Dieu de façon abstraite. Je pense que nous avons vidé le mot « Dieu » de toute signification. Si nous voulons vraiment que notre prière soit authentique, nous devrons nous adresser dans tous les cas à Dieu personnellement avec nos besoins actuels qui nous font nous adresser à lui. Il y a des moments où je lui dirais : « Seigneur de Beauté » ; à d'autres : « Seigneur de Vérité ». Mais pas : « Dieu », qui est simplement une abstraction. [320]

Où trouvez-vous l'unité dans ces différents aspects de Dieu ?

Je pense que toutes ces qualifications que nous donnons à Dieu, toutes nos demandes pour nos besoins, peuvent toutes se ramener à quelque chose que nous recevons de Dieu : « Tu es aimé », les paroles mêmes adressées par l'ange au prophète Daniel (Dn 9, 23). Et ma réaction : « Je t'aime et j'aime les autres » — c'est l'Évangile. « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? », demande l'Évangile : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout toi-même » (Mt 22, 37-40). C'est tout.

Mais ceci ne veut pas dire que vous devriez aimer tout ce qui, pour vous, a une signification au sens le plus large.

Je pense qu'un mot très important dans cette phrase de Jésus est « ton ». «Le Seigneur ton Dieu » est un Dieu dont tu peux faire l'expérience comme ton Dieu.

Pourriez-vous dire quelque chose au sujet du mal ?

Le problème du mal est insoluble pour moi si vous le séparez de l'idée d'une chute. La véritable tragédie n'est pas apparue avec le premier homme, mais avec la première séparation de ce que l'Évangile appelle la puissance des ténèbres, le Prince des ténèbres. À un moment donné, il y a eu un affrontement que nous ne connaissons pas entièrement, une séparation. Depuis lors, les créatures qui étaient créées pour vivre en synchronisation, pour coopérer, ont commencé à se dénaturer en se développant indépendamment. Je suis d'accord avec Teilhard de Chardin lorsqu'il dit que l'origine du mal peut déjà se rencontrer en biologie lorsqu'un tissu ou une cellule veut vivre une vie indépendante, ne dépendant plus des autres. C'est à ce moment que le cancer commence. Le cancer est vraiment un modèle du mal parce que c'est le genre de chose qui se déclare indépendant et qui veut croître indépendamment en rompant la coopération avec d'autres éléments. Il y eut à un certain moment, un temps de refus, lorsque Dieu demanda un « oui » ou un « non » à certaines puissances. Certaines dirent « non » et en disant ce « non » elles devinrent indépendantes. Et l'harmonie entière de tout l'univers fut brisée. Alors les différentes espèces biologiques commencèrent à se manger les unes les autres, etc. Ce n'est pas cela que Dieu voulait.

Je pense maintenant que Dieu est un Dieu souffrant, non un Dieu assis sur un trône, mais luttant avec nous, parmi nous. Et durant cette lutte, il lui arrive d'être blessé, même d'être apparemment tué dans telles ou telles âmes. Et pourtant nous croyons qu'il sera le plus fort à la fin. Comment un Dieu tout-puissant, comme je le crois, peut-il être en même temps un Dieu souffrant ? Être un Dieu souffrant ne veut pas dire qu'on peut lui imposer de force la souffrance. On ne peut forcer Dieu en rien. Mais volontairement, spontanément, il peut prendre la souffrance humaine sur lui partager notre souffrance, parce que c'est nécessaire pour que notre propre « oui » à son égard puisse être totalement libre.

Il veut que nous lui disions « oui ». Si nous devons pouvoir dire « oui » valablement, nous devons aussi être capables de dire « non ». Et si nous sommes capables de [322] dire « non », cela ouvre la porte à tous les reniements, les refus, les chagrins, les catastrophes et tout le reste.

Je m'étonne combien cette harmonie qui existait jadis et qui a été cassée est, à vos yeux, en relation avec l'expérience que beaucoup de personnes rapportent comme étant une sorte de sentiment « océanique », un sens d'unité cosmique, comme formant d'une certaine façon « un » avec leur environnement — la sorte de chose que [William] Wordsworth a décrit ?

Je pense que dans cette vie déjà cette harmonie, cette unité peut être établie par quelques personnes privilégiées. Je pense qu'il y a des personnes, des saints par exemple, qui peuvent obtenir un pouvoir sur le monde physique, le monde animal et végétal.

Mais l'établissement de cette harmonie même est peut-être quelque chose de différent de la vision momentanée que beaucoup de personnes décrivent dans leur expérience.

Cet instant de vision est une partie de l'harmonie originelle, je pense, une anticipation de ce que nous aurons ou pourrons avoir.

Qu'en est-il alors de la doctrine chrétienne de la création qui dit qu'elle est très bonne ?

Elle était très bonne. Je pense que l'important est ce qui s'est passé dans le monde des anges. Je crois fermement en un monde angélique qui est plus important que notre monde humain. Je pense que de grandes décisions ont été prises dans le monde des anges et des démons.

Je pense que la seule représentation correcte de la grande personne du démon est la représentation musulmane. La représentation chrétienne est une caricature. Le Satan musulman est Iblis. Le péché d'Iblis fut un excès d'amour pour Dieu. Il était tellement attiré par la beauté de Dieu, la splendeur de Dieu, qu'il ne pouvait pas supporter l'idée que Dieu puisse un jour venir parmi les hommes. Il rejeta cette idée afin de sauvegarder l'unicité de Dieu, la suprême beauté de Dieu. C'est la conception musulmane, qui est très belle.

Mais n'est-ce pas l'élément d'indépendance que vous trouviez être au centre de la conception chrétienne de la chute ?

Je pense que le lien entre les deux conceptions est une certaine recherche de noblesse et de pureté. Nous ne devons pas voir Satan dans la caricature du monde occidental. Il est un personnage de grande noblesse, beauté et importance. Il demeure un Prince des anges. Et les vraies tentations qui viennent de Satan ne sont pas des tentations ignobles, comme celles qui viennent des instincts. Elles viennent sous la plus belle forme de l'intellect, le moral, le spirituel et l'esthétique : des créations séparées de Dieu. Elles se trouvent en toute création artistique qui nous mène au désespoir ou qui est une expression de désespoir. Je vais dire quelque chose qui pourrait vous scandaliser. Je considère les œuvres de Wagner et des musiques comme la neuvième symphonie de Beethoven et les nocturnes de Chopin comme influencées par le diable, parce qu'elles sont souvent l'expression d'un pur désespoir, sans la moindre lueur d'espoir du monde beau, grand, mais séparé. [324

Est-ce que celles-ci n'expriment pas une authentique expérience ?

Si, mais il n'y a pas de place pour Dieu.

Mais est-ce qu'on ne trouve pas Dieu dans cette conscience existentielle de désespoir et dans le fait d'y faire face ?

Certainement, si ce désespoir est transformé par une lueur de lumière, Dieu y serait présent. Mais dans le cas de Schopenhauer, par exemple, c'est diabolique.

Mais le désespoir peut de fait être un état créatif. Beaucoup de personnes décrivent qu'elles ont seulement été capables d'atteindre une nouvelle conscience de la vérité, résultat d'un désespoir total ; elles se sentent au fond du panier.

Vous revenez alors à cette image dont j'ai parlé quand j'ai moi-même fait l'expérience d'être couché à terre incapable de descendre plus bas encore. Comme une balle qui touche le sol et doit alors rebondir. Mais il y a des personnes qui restent à terre et ne voient aucune lueur d'espoir.

Est-ce que je peux revenir à Bergson ? Comment interpréteriez-vous son idée de l'élan vital en termes religieux ? Quelle relation y a-t-il entre ceci et ce que nous appellerions l'expérience religieuse ?

Jung a fait un lien entre eux. Pour lui, la libido était l'élan vital. Il y a une tendance vers quelque chose de toujours plus grand, tendant, comme dirait Teilhard de Chardin, vers le Point Oméga.

Mais est-ce que l’élan vital est quelque chose d'immanent ou est-ce quelque chose qui vient d'au-delà de l'homme ?

D'au-delà de l'homme, oui. Bergson a écrit explicitement dans une phrase dont je me souviens : « Je crois en un Dieu, libre et personnel, libre et créateur ».

Mais l'idée de la libido de Jung n'est pas aussi transcendante que cela.

Dans les deux dernières années de sa vie, Jung pensa cet élan comme existant vraiment. Et il ajouta à ceci son idée des Archétypes qui agissent sur nous depuis le commencement.

Pensez-vous que le mal puisse prendre une initiative ? Lorsque nous parlons de guidance, je pense à des démons déguisés en anges de lumière.

Il y a des critères très précis pour juger la guidance. D'abord la guidance ne doit pas venir seulement une fois ; elle doit être répétée. Deuxièmement, elle doit être prononcée dans le style de Dieu ; c'est très important. Dieu a son langage, à lui. Je dirai que vous pouvez reconnaître grammaticalement une phrase parlée par Dieu. Troisièmement, vous pouvez tester une guidance en la partageant avec d'autres personnes. Demandez à quatre ou cinq personnes qui comprennent votre problème de prier pour trouver une solution et demander une guidance, et voyez si les réponses convergent. Quatrièmement, celle sans équivoque : est-ce que cette guidance vous cause de la tristesse, de l'amertume, de la [326] haine ou bien la joie et l'amour envers Dieu et les autres ? Jugez l'arbre à son fruit.

Pourriez-vous dire quelque chose sur le style ? Différentes personnes le décrivent de façon différente. Les variétés d'expériences religieuses reflètent les variétés de la grammaire de Dieu. Comment pouvez-vous dire que tel est un vrai style et un autre un faux ? Que se passe-t-il si quelqu'un n'est pas d'accord avec vous sur le style ?

J'ai posé ces questions à plusieurs personnes et j'ai vu qu'elles s'accordaient sur le style de Dieu. Mais souvent, dans leurs interprétations, leurs développements des paroles prononcées par Dieu, elles essayaient de les formuler de façon humaine — en de longues phrases que l'on ne peut pas attribuer à Dieu. Dieu parle toujours en de très courtes phrases. Souvent il ne dépasse pas plus de cinq ou six mots. Ils sont prononcés d'une façon telle que je ne trouve qu'un adjectif : IRRÉVOCABLE. Il ne laisse la porte ouverte à aucun argument, aucune contestation, aucun questionnement. Je pense que ce sont les deux caractéristiques : une grande brièveté et un caractère absolu.

Beaucoup de personnes qui nous écrivent disent que leur première conscience de cette autre dimension leur vint sous forme de doutes. Des questions s'élevèrent elles-mêmes. Ceci semble être un problème différent du verdict final, autoritaire et définitif &la ressemble davantage à de l'incompréhension.

C'est un autre problème. C'est ce que j'appellerais la méthode d'infiltration par Dieu. Vous vous rappelez l'épisode dans l'Évangile des deux disciples sur la route d'Emmaüs. Ils discutent entre eux quand Jésus arrive (cf. Lc 24, 13-16). Dans l'Évangile, lorsque Jésus rencontre des personnes, il leur fait face. Ceci est le seul cas où Il s'approche d'eux par-derrière. Il les suit, les écoute, les entend et entre dans leur conversation. Ceci n'est pas la façon de parler avec autorité, mais la méthode d'infiltration. Il peut entrer en nous comme l'encre peut pénétrer dans du papier buvard.

Il se peut qu'il y en ait qui ne soient conscients d'aucune guidance au moment même, rien de transcendant, mais plus tard ils regarderont en arrière et verront un style; ils verront que des portes furent ouvertes et fermées.

Oui, cela arrive.

Je me demande si les idées de Michael Polanyi vous intéressent, lorsqu'il fait la distinction entre la connaissance explicite et tacite, et suggère que la connaissance tacite est plus fondamentale que la connaissance explicite. Je pense que la connaissance explicite s'ajoute à la connaissance tacite de façon continue.

Je tiens seulement beaucoup à ne pas mélanger ce qui est science avec ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire, ce qui n'est pas vérifiable, mesurable.

Mais toute science ne peut pas s'exprimer en termes de choses matérielles.

Je ne réduis pas la réalité à des choses matérielles. Pour l'instant, je parle seulement des critères de la connaissance scientifique. [328]

Est-ce que Bergson aurait admis que l’élan vital soit ouvert à l’investigation scientifique ?

Non. Il insista là-dessus.

Comment alors défendre sa philosophie contre l’accusation de produire un deus ex machina dans cet élan vital, une sorte de Dieu qui remplisse les lacunes dans les parties que la science ne peut expliquer ?

C’était simple pour Bergson : il ne s’appuya pas sur la science, mais sur l’intuition, et l’intuition est quelque chose de tour à fait différent de l’approche scientifique.

Et le critique dira que vous déplacez gentiment le problème dans un monde où vous ne pouvez plus le questionner. Selon Polanyi, il n’est pas nécessaire de prendre cette sorte d’action défensive, puisque d’après lui, la science dépend davantage de l’intuition ; on est actuellement prêt à le reconnaître.

Ne compliquons pas les choses. je parle de la connaissance scientifique. Lorsque je dis que le roi Louis XV1 fut décapité le 21 janvier 1793, ie parle de quelque chose que l'on peut vérifier. Ceci est de la connaissance scientifique. Mais il y a beaucoup de choses qui ne sont pas de la connaissance scientifique. Nous parlons des lois de la nature: elles n'existent pas. Nous avons seulement les calculs des probabilités et les statistiques. Vous ne pouvez pas, par exemple, prouver qu’il ne peut pas y avoir une résurrection des morts. La seule chose que nous pouvons dire est que jusqu'à maintenant, nous ne disposons pas d'un cas vérifiable de résurrection d'un mort. Cela ne signifie pas que, parce que quatre-vingt-dix-neuf ne sont pas ressuscités, le centième ne ressuscitera pas. C'est une question de probabilité : il n'y a pas de lois. Les lois de la nature sont une fiction de l'imagination. En ce qui me concerne, je ne vois pas de conflit entre la religion et la science parce qu'elles ne se mélangent d'aucune façon.

Vivons-nous alors dans un ordre dualiste ?

Exactement, je suis d'accord avec vous. Du point de vue de la connaissance, nous ne pouvons jamais mélanger ce qui est vérifiable avec ce qui ne l'est pas. Du point de vue de la connaissance, nous vivons dans un monde dualiste. Mais je ne dis pas que la science nous donne l'essence du monde.



1988 Sayd Bahodine Majrouh (-1988)

Rien à dire d'un état mystique.

Que l'on en parle, et il n'y a plus d'état

mystique. Seulement du savoir.

Kharraqâni:

(TuO, 197 1183)

§

Le misérable Shebli chemine au désert en compagnie de ses disciples, quand ils découvrent un crâne portant
cette inscription « Ce misérable aura perdu ce monde-ci ainsi que l'autre. »

Ce devait être un prophète ou un saint, quelqu'un qui a trouvé Dieu, murmure respectueusement Shebli.

Comment cela ? s'exclament les disciples, interloqués.

« Faute d'abandonner aussi bien l'autre monde que celui-ci, comme l'a fait ce sage, répond Shebli, nul ne saurait atteindre Dieu. »

(TuO, 143)

§

Nuit et jour un ignorant ânonnait cette prière :

« Seigneur ! Ouvrez-moi une porte par où fuir ma misère. »

Rab'ia, la sainte femme soufre, l'entendit :

« Pauvre idiot ! Cette porte n'a jamais été fermée. »

(MuT, 174)

§

Surgit la Voix :

« O Abdul Hassan, Je dois te donner tout ce

que tu souhaites, sauf Mon divin pouvoir. »

Seigneur, murmure Kharraqânî, « don-

ner, ne pas donner » : à quoi rime ce dis-

cours ?... Seuls des étrangers peuvent se parler

de la sorte, et nous ne sommes pas des étrangers.

(TuO, 188)

§

On demande à Kharraqânî :

Maître, les gens disent que vous avez vu Dieu. L'avez-vous réellement vu ? Quand, et où ?

Bien sûr : en tout lieu et à tout instant où je ne me vois pas, je Le vois, Lui.

(TuO, 199)

§

Le déploiement

L'univers et son mouvement, de l'inexistence vers l'être ?

Le déploiement même de l'amour.

Ibn Arabî

(FuH, 105)




1993 Lilian Silburn (1909 – 1993)

Témoignage

Depuis des années j’étais à la recherche d’un maître capable, par sa propre puissance spirituelle de me faire réaliser la Félicité. J’avais déjà rencontré des personnes fort éclairées appartenant à diverses sectes et écouté beaucoup de savants discours, mais ni les unes ni les autres ne pouvaient me donner la connaissance et l’expérience que je désirais.

Au cours de l’été 1937, un de mes vieux amis me présenta au Mahātma Raghubar qui allait devenir mon guru. Dès les premières visites que je lui rendis, je vis beaucoup de gens assis auprès de lui dans un état semi-conscient et je lui adressai quelques questions à ce sujet. Il me demanda quelles étaient mes conceptions et mes pratiques, et me donna un marakba 1184 six jours après ma première visite, ce qui était assez rare.

Pendant ce marakba, j’eus plusieurs expériences nouvelles — lumières colorées, vibrations sonores, vagues de paix et de félicité — qui durèrent une heure environ. Ceci suffit à me convaincre de l’efficacité du système, et m’attacha à lui pour toujours. C’est en vérité une école merveilleuse, unique, de transmission et de discipline spirituelles, car je crois que l’exemple vaut mieux que l’enseignement, et l’expérience mieux encore que tous les deux.

Mon guru était un homme parfait. Exempt de sensualité, de colère, d’attachement, de vanité et de jalousie, toujours gai, plein d’amour et de compassion pour tous, offrant aide pécuniaire aux étudiants pauvres de haute ou de basse classe et nourriture aux gens qui, de près et de loin, affluaient chez lui, il menait une vie admirable, bel exemple d’abnégation librement consentie. À tous, il nous enseigna à vivre et à mourir. Des vagues de paix et de félicité irradiaient de lui sur les personnes assises alentour et celles-ci les absorbaient selon leur capacité propre et le stade atteint dans leur quête. Cela durait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, y compris les deux seules heures du milieu de la nuit pendant lesquelles on pouvait dire que Guruji dormait. Même alors, certains s’étendaient près de son lit pour ressentir cette félicité.

Nous avions journellement la preuve qu’il pouvait connaître les pensées et les sentiments intimes de ses disciples, mais il ne les dévoilait jamais en public. Chaque fois que je venais le voir, préoccupé par tel ou tel problème, il le devinait et donnait sa réponse sans que la question eût été formulée. Il avait le pouvoir miraculeux d’enlever à ses disciples leurs difficultés et leurs souffrances. Jamais bénédiction venant de lui ne manqua de se réaliser.

Il pouvait communiquer son propre pouvoir de transmettre à autrui. Je sais que personnellement j’ai pu mettre des personnes en samādhi sans aucun effort de ma part, grâce au seul pouvoir qu’il m’avait ainsi transféré.

J’ai eu le privilège de connaître un autre homme doué d’une grande puissance spirituelle : le maître de mon guru. Puis, après la mort de ce dernier, j’ai eu comme guide son fils, disciple du même maître, qui a bien voulu m’accorder de temps à autre son tavajjuh1185 et m’aider à progresser. C’est grâce à leur rayonnement que, débarrassé de beaucoup de mes erreurs et de mes imperfections, je jouis à présent de la paix de l’esprit et de la Félicité.

Le trait distinctif de cette école consiste en ceci : le pouvoir spirituel est transmis au disciple par la grâce du maître. C’est là un don merveilleux, car il permet, sans autre moyen que la grâce divine et la bénédiction du guru, non seulement de jouir soi-même de la félicité, mais de la transmettre aux autres sans effort. De nombreuses personnes en ont fait l’expérience.

Le Vide, le rien, l’abîme1186.

L’expérience spirituelle est bien plus une expérience de plénitude qu’une expérience de vide; pourtant l’une n’est pas possible sans l’autre, la vie mystique étant constituée par une alternance ininterrompue de vides et de pleins qui vont s’approfondissant de concert.

Avant d’entrer dans cette vie nouvelle, on ne peut imaginer ni se faire quelque idée, même approximative, du vide mystique, car on voit seulement des reflets de surface, jeux de lumières et d’ombres sur un écran qui n’offre qu’une illusion de profondeur; mais dès que l’on aborde la vie réelle, l’écran s’évanouit, une troisième dimension se présente soudain, tout se creuse, s’approfondit, l’espace s’ouvre à l’infini, devient ce domaine immense dans lequel vacuité et plénitude prennent un sens parce qu’elles touchent à l’être substantiel.

Ainsi le vide donne relief et intensité aux êtres et aux choses qu’il enveloppe, il les situe à leur juste place et permet leur vivante interpénétration. Vide ou énergie vacuitante, pénétration et plénitude dépendent donc les uns des autres et engendrent une manière très nouvelle d’éprouver et de comprendre. Dès que les cavernes de l’entendement et de l’imagination sont vacantes, l’essence divine se révèle; mais on pourrait aussi bien dire qu’une chose indicible s’infuse constamment dans l’intime de l’être et le vide de son contenu; trop subtile pour être appréhendée, elle produit l’impression d’une étrange vacuité; reconnue ensuite, elle devient plénitude; trop puissante, elle cause ivresse, extase et ravissement. Mais à leur tour, des états qui ont d’abord fulguré comme plénitude apparaissent comme vide une fois dépassés.

En fait le vide mystique est d’une richesse inépuisable. […]


CONCENTRATION MENTALE ET VIDE MYSTIQUE SPONTANÉ

Le terme «vide» prête à équivoque. Il faut donc distinguer le vide mort et stérile de la concentration volontaire du vide spontané, vivant, qui apporte des énergies. Le premier vide mental acquis par un effort intense et persévérant vise à l’inhibition ou à l’arrêt de la pensée; c’est un vide punctiforme où la conscience se resserre et se rétrécit sur un point. Par contraste avec cette vacuité rigide, figée, fermée sur soi que caractérise la contraction, le second vide, mobile et fluide où la conscience se relâche, s’élargit, est «ouverture», car il n’a pas de limite.

On peut encore préciser : si dans le vide-concentration le moi est actif et le vide immobile, dans le vide spontané au contraire, le moi est passif et le vide dynamique.

Je fabrique le premier, j’accueille et reçois le second.

[…]

Par contraste avec le vide passif issu de l’activité mentale, le Vide mystique ne résulte jamais d’un effort, on ne peut pas même le provoquer; il s’établit soudain, sans qu’on le cherche, sans qu’on le désire. En conséquence les maîtres des disciplines les plus diverses, chrétiens, Indiens, musulmans et autres font dépendre ce vide de la grâce, pur don gratuit et indéterminé. En agissant, la grâce commence par précipiter qui la reçoit dans le vide ou ce que l’on appréhende comme tel lorsque l’agitation a pris fin. En effet la grâce est infiniment délicate, elle pénètre [18] de façon trop intime, trop silencieuse pour qu’on la décèle. Perçue ou conçue, elle n’aurait rien de suprême. Sens, mémoire, imagination, pensée, intuition ne peuvent l’appréhender; mieux encore, dès que la grâce s’infuse dans les profondeurs du Soi, ces facultés se trouvent privées de leurs activités. N’éprouvant rien, on se croit vide :

«Si l’effort tendu vers une tâche, un devoir à accomplir est anéanti, l’ignorant imagine que lui aussi est réduit à rien. Il n’en est pas de même quant à la Réalité intériorisée, siège de l’omniscience : elle ne peut jamais être anéantie, puisqu’elle est la seule chose que l’on puisse percevoir» (Spandakārikā, I, 15-16).

Plus tard les effets de la grâce, devenus sensibles, se manifestent clairement. […]


VIDE ET DÉTACHEMENT DE LA QUIÉTUDE

En ce premier vide le Soi est saisi dans son intimité apaisée; le cœur repose dans la douceur d’un calme vide et silencieux; les préoccupations s’évanouissent comme par magie; on y jouit sans se lasser de la simplicité de sa nature, de l’essence nue de son être. On y est conscient, mais sans faire acte de conscience.

[…]

À ce stade il ne sent plus son amour, il ne le proclame plus, mais ses actes en portent témoignage. L’amour véritable commence ici, dans l’oubli du moi et de l’autre : plus de retour sur soi, plus d’objet séparé; identifié à l’aimé, comment pourrait-il dire «j’aime»? Comment pourrait-il penser à celui qui réside dans l’intime de son être, se confond à sa substance? Alors, que l’aimé vive ou meure, qu’importe! Ainsi le cœur est vraiment vide, il n’a plus ni passion, ni émotion, ni attachement. Quelque chose qui ressemble à l’amour le remplit, ou plutôt il n’est plus qu’amour.

Sur le plan de la volonté, il se passe une évolution parallèle à celle du cœur. La volonté n’est plus tendue vers ses satisfactions habituelles et cesse d’osciller sans fin entre prendre et rejeter; elle s’assouplit et se dégage, orientée vers un seul but, obscur il est vrai. La vacuité porte ici sur l’intentionnalité, ce que l’Inde appelle arthakrijākāritva, ou «préoccupation prévoyante» de Heidegger, c’est-à-dire la préoccupation de l’homme pour son individualité en tant que telle. L’ego une fois éliminé, le Je profond se dévoile, libre des tourments vis-à-vis de soi et des autres, caractéristiques de l’ego. […]


VIDES INCONSCIENTS

Au sortir de la nuit, l’âme est établie en une telle paix qu’elle est comme silencieuse et endormie. Elle jouit de plus en plus souvent de précieuses inconsciences échelonnées tout au long de l’itinéraire mystique et qui peuvent durer de quelques secondes à plusieurs heures.

[…]

Grâce au vide du dénuement, le «je» façonné et impur (que l’Inde nomme ahamkāra), après avoir perdu ses possessions, est détruit; puis, le «je» naturel et profond qui demeurait encore, meurt à son tour dans la Nuit. Néanmoins l’anéantissement n’est pas complet tant que le mystique n’a pas obtenu la nudité essentielle en s’immergeant dans le «Je» universel. Pour parvenir à ce niveau cosmique, les traces d’attachement et d’habitudes ancestrales qui subsistent dans son inconscient doivent être détruites, à l’aide d’une vacuité nue, aveugle, qui l’amènera au Rien.

[…]

Un problème analogue se pose quant au souvenir : si l’âme ne se souvient plus ensuite de ces hautes faveurs, quel profit en retire-t-elle? À cela sainte Thérèse répond : «Bien que l’on ne puisse expliquer ces faveurs, elles demeurent parfaitement gravées dans le plus intime de l’âme, et l’on n’en perd jamais le souvenir. Mais, ajouterez-vous, si elles n’ont aucune image qui les représente, et si les puissances ne peuvent les comprendre, comment peut-on s’en souvenir? Moi non plus je ne le comprends pas. » 1187. Quant à l’effet extraordinaire de cette oraison, il consiste en un

«tel oubli de soi que l’âme semble véritablement n’avoir plus d’être... Elle est tellement transformée qu’elle ne se reconnaît plus. Elle ne songe plus qu’il doit y avoir pour elle un ciel, une vie, un honneur propre, parce qu’elle est tout entière occupée à la gloire de Dieu... Ainsi non seulement, elle ne se préoccupe pas de ce qui peut arriver, mais elle est sous ce rapport dans un oubli tellement étrange que, je répète, il semble qu’elle n’est et qu’elle voudrait n’être rien en rien...» 1188. [42]

Afin de parvenir à ce degré élevé d’oraison, l’âme selon la comparaison de Thérèse d’Avila, a dû s’enfermer comme le ver à soie dans un cocon étroit et obscur qu’il a filé lui-même. C’est là qu’il meurt au monde, là qu’il perd ensuite sa vie de ver afin de renaître papillon 1189 […]


ANÉANTISSEMENT ET RIEN

L’inconscience de ces profondes immersions permet donc l’anéantissement par lequel se parachève le dénuement.

[…]

Ibn'Atā'Allāh décrit ainsi l’anéantissement (fanā») :

«L’homme disparaît de lui-même, il ne sent rien des apparences extérieures de ses membres, ni du monde extérieur, ni de ce qui se passe en lui; il disparaît de tout cela, et tout cela disparaît de lui, fuyant vers Dieu d’abord, en Dieu ensuite.» […]


CONSCIENCE REVENUE SE DÉTACHANT SUR UN FOND DE VIDE INCONSCIENT

[…]

Bien que trente rayons convergent au moyeu

c’est le vide médian

qui fait marcher le char.

L’argile est employée à façonner des vases,

mais c’est du vide interne

que dépend leur usage. [52]

Il n’est chambre où ne soient percées porte et fenêtre

c’est donc le vide encore

qui permet l’habitat.

L’être a des aptitudes

que le non-être emploie (XI).

De même un être est efficace en tant seulement qu’il est vide, et ce vide se traduit par le non-agir. Tchoang-tzeu déclare au sujet des anciens sages : «Ils se tenaient sur l’abîme et se promenaient dans le néant. » 1190. Pour eux tout suit alors son cours naturel.

[…]

«L’absence de pensée, c’est au sein de la pensée, demeurer sans pensée.» 1191. «Lorsque l’esprit n’est plus que vacuité, on est capable de voir, d’entendre, de percevoir et de connaître, mais au milieu de toutes ces impressions, on reste dans une vacuité et une quiétude constantes... On n’est pas lié par le bien ou par le mal.» 1192 […]


L’ABÎME

[…]

«Or l’abîme sans chemin de la divinité est si ténébreux et si inconditionné qu’il engloutit en lui-même tous les chemins divins, les activités et les attributs des (trois) Personnes dans le magnifique embrassement de l’unité essentielle; et la fruition divine s’accomplit dans l’abîme de l’Ineffable. Ici l’esprit trépasse dans la béatitude de fruition, il fond et s’écoule dans la nudité essentielle où tous les noms de Dieu, toutes les conditions et toutes les images qui se reflètent dans le miroir de la Vérité divine sombrent dans la Simplicité sans nom de l’essence, dans le sans chemin où nulle raison n’a prise.

«Or dans cet abîme insondable de la Simplicité, toutes choses sont embrassées dans la béatitude fruitive. Mais l’abîme lui-même ne peut être embrassé par rien si ce n’est par l’Unité essentielle. C’est en lui que doivent se résorber les personnes divines et tout ce qui vit en Dieu, car il n’y a ici que repos dans l’embrassement fruitif du flot de l’amour... C’est là le ténébreux silence dans lequel vont se perdre tous les amants. » 1193.

Intériorité (références et plan)

[Page 1]

En-deçà/En marge du temps et de l’espace habituels, jusqu’au samskara, impressions obscures

[un trait sous ce «titre»]

dhvani» en marge]

Le présent évoque seulement et fait résonner notre inconscience (dvani) Instant poétique?

Exemple, un spectateur ému qui voit un cerf affolé bondir sur scène poursuivi par des chasseurs, s’il est un homme de cœur (sarhdaya, un sympatisant) il est lui aussi plongé dans la terreur, une terreur pure, indépendante du lieu et du temps. Ce n’est pas sa propre terreur actuelle, car elle le ferait fuir (causée par des circonstances précises) : mais sa propre personnalité s’efface, tandis que ses imprégnations inconscientes de peur s’éveillent et submergent sa conscience, évoquant une peur ancestrale, indéfinissable, d’où surgit une émotion vaste, universelle, peur-en-soi indépendante de temps et d’espace. Les samskara seuls sont touchés, écho indirect qui échappe à la claire pensée. D’où impression artistique possible… On en jouit et on en souffre au même instant : Bachelard. Abhinavagupta.

On plonge alors dans la pure énergie – en-soi, libérée de contingences?




§

[manuscrit :]

Masui» en marge]

Poe et inspiration de Nietzche

Chez l’être extériorisé Masuit p134 Conscience universelle

P149 sur le poète : il s’étonne toujours, mais…? … jamais surpris. Tout est là en même temps. Masuis p XIII reconquête


[Machine :]

Intériorité et les poètes : M.B., Wordsworth.

Leur pressentiment fugace. N’en ont pas pleine conscience et n’en ont pas la maîtrise.

Le mystique emploie un mot, il ne s’y perd pas, sait combien il est inapproprié. Tandis que mot pour le poète est plus grand que lui, il le dépasse. Le poète est traversé par des courants, comme le mystique, mais s’il les capte, ils sont trop grands par rapport à lui.

§

[page 2]

[ms.]

[non transcrit : suppose compréhension de termes sanscrit etc]

.. Poète capte des courants qui le dépassent….

[trait]

Il faut une dissociation de l’intentionnel et une autre harmonie agencement

Relâchement = gratuité

Suggéré, car dans l’inconscient

pas de conformité entre ce qui est saisi et ce qui est dit

= parole poétique : fait résonner par delà ou en deçà de la notion.

D’où communion et non-communication.

§

[page 3]

[tableau :]

Col.1 Texte tantrasara

Col.2 Textes et introduction : Ruysbroeck, Les Torrents Mme Guyon, Nuage d’inconnaissance, Pseudo-Denys? Sufi : Les 3 dévoilements Jili

Col.3 Conclusion : Ressemblance entre ces traditions – voies dans le différencié, non-voie quant à l’essence indifférenciée – flux et reflux – Essence et attributs – Auto dévoilement (Jili et Sivaisme) – Effet des Voies [souligné deux fois] : homme divinisé/presqu’en ses organes (je suis l’œil par lequel il voit)/la samata égalité du jivanmukta/Le Juste.

L’homme universel. – L’homme commun R.[uysbroeck]


De L.S. ms. :

La lumière blanche éblouissante

«Au Cachemire : Quelques mois avant la rencontre avec mon guru je vivais seule dans une cabane — temple de Siva travaillant à des textes sivaïtes : le site à flanc de montagne dominant le lac de Srinagar était splendide :

Je ne sais plus si c’était de jour ou à la tombée de la nuit, dans le jardin alors que je cherchais de l’eau à la source; je fus environnée d’une lumière intense : en moi, hors de moi. J’étais éblouie, émerveillée : je ne sais combien de temps cela dura.

Pourtant je ne le reconnus pas comme une illumination mystique : quand j’en parlais au swami L. J. le lendemain, il haussa les épaules dubitivement et ceci me confirma dans mon opinion. Plu jamais je ne vis une telle lumière, car la véritable illumination est éveil à la connaissance intime.

Il faut considérer ces lumières ou sons extraordinaires avec les sivaïtes et les Yoga sutra comme avant-coureurs [une retombée biffé] : [mots illisibles en interligne au-dessus de :] de ce qui aurait pu avoir lieu.

Néanmoins il y a là rupture dans la durée? dans l’espace?

Est-ce la lumière telle qu’elle devrait être si les vikalpa n’obstruaient pas notre conscience; ou les structures spatiales; appartiendrait au pramâna pur? Ou est-ce là quelque effet d’ordre physiologique?1194




1993 Toshihiko Izutsu [on Zen](1914-1993)

Every one of us, as a human being, has self-consciousness and is conscious of other human beings surrounding him. Hence it naturally cornes about that at the level of ordinary existence ail of us possess a more or less definite idea as to what kind of a thing man is. The classical Western philosophy going back to Aristotle élaborates and defines this common-sense image of man as a ‘rational animal’.

The image of Man peculiar to Zen Buddhism emerges exactly when such a common-sense image of man, be it pre-philosophical or philosophical, is smashed to pièces. The ordinary image of man on which our daily life is based, and on which our social life is carried out, does not, according to the typically Zen conception, represent the true reality of Man. For man, as pictured in such a way, is but a ‘thing’ in the sense that it is nothing but an objectified man, i.e. man as an object. Such cannot be a true picture, because according to Zen, Man in his true reality is, and must be, an absolute selfhood.

Without tarrying on the plane of common-sense or empirical thinking, where the primary expérience of Reality, including even the absolute ego, in its pure ‘is-ness’ is necessarily broken up into objectified pièces, Zen proposes to grasp Man directly as an absolute selfhood prior to his being objectified into a ‘thing’. Only then, it maintains, can we hope to obtain a true image of Man representing him as he really is, that is, in his real, immédiate ‘is-ness’.

The image of Man peculiar to Zen is thus derived from a dimension which absolutely transcends the bifurcation, so characteristic of the human intellect, of the subject and object. As will be easy to see, such an image of Man can never be obtained as long as we pursue the question in the form of ‘what is man?’ The question must necessarily and inevitably take on the form of ‘who am I?’ Otherwise expressed, Man must be intuited in his most intimate subjectivity. For, no matter how far we may go searching after our own ‘self on the plane of intellectual analysis, the ‘self goes on being objectified. However far we may go in this direction, we always end up by obtaining the image of our ‘self seen as an object. The ‘self itself, the real subjective subject which goes on searching after itself, remains always beyond our reach, eluding forever our grasp. The pure subjectivity is reached only when man steps beyond the ken of the dichotomizing activity of intellect, ceases to look at his own ‘self’ from the outside as an object, and becomes immediately his own ‘self’. The Zazen, ‘sitting cross-legged in méditation’, is a way specifically devised in order that the subject might delve ever deeper into its own interior so that the bifurcated ‘self’ - the ‘self’ as dichotomized into the ‘self’ as subject and the ‘self’ as object- might regain its own original unity. When, at the extremity of such a unity, man becomes truly himself and tums into a pure and absolute selfhood, when, in other words, there remains absolutely no distinction any longer between the ‘self’ qua subject and the ‘self’ qua object, an epistemological stage is reached where the ‘self’ has become so perfectly identified with itself and has so completely become one with itself that it has transcended even being a ‘self’. The precise point at which the ‘self’ becomes one with it -‘self’ in such an absolute manner has come to be known, in accordance with the technical terminology of Dôgen, as ‘the-mind-and-body-dropping- off ’ (shin jin datsu raku). This is immediately followed by the next stage - to be more strictly exact, it is a stage which is actualized at the very same moment as the actualization of the first one - that of ‘the-dropped-off-mind-and-body’ (datsu raku shin jin). This second stage refers to the experiential fact that the moment the mind-and-body, i.e. the ‘self’, falls off into Nothingness, there is resuscitated out of the Nothingness the same mind-and-body, i.e. the same old ‘self’ itself, but this time completely transformed into an absolute Self. The ‘self’ thus resuscitated from its death to itself carries outwardly the same mind-and-body, but the latter is the mind-and-body that has ‘dropped off’, that is, transcended itself once for ail. The image of Man in Zen Buddhism is an image of Man who has already passed through such an absolute transformation of himself, the ‘True Man without any ranks’ as Lin Chi calls him.

It is évident that such an image of Man as has just been sketched implicitly occupied in Zen Buddhism a place of cardinal importance throughout its entire history. This is évident because from the very beginning Zen centered around the radical and drastic transformation of Man from the relative into the absolute selfhood.

Man was but a natural product of the special emphasis which Zen laid on the expérience of enlightenment.

Explicitly, however, and in terms of the history of thought, the concept or image of Man did not occupy a key-position in Zen Buddhism prior to the appearance of Lin Chi. Before him, Man had always remained in the background. The image had always been there implicitly, but not explicitly. ‘Man’ had never played the rôle of a key-term in the history of Zen thought before Lin Chi. Rather, the real key-terms had been words like Mind, Nature, (Transcendental) Wisdom, Reality (or Absolute-dharma) and the like, ail of which were directly or indirectly of an Indian origin and which, therefore, inevita- bly had a strong flavor of Indian metaphysics.

With the appearance of Lin Chi, however, the whole picture begins to assume an entirely different, unprecedented aspect. For Lin Chi sets out to put Man at the very center of Zen thought, and to build up around this center an extremely vigorous and dynamic world-view. The image of Man as absolute selfhood which, as we have seen, had always been there implicitly hidden, so to speak, behind the scenes I was suddenly brought out by Lin Chi into the dazzlingly bright light of the main stage. At the same time we witness here the birth of a thought5 which is truly original and indigenous to the Chinese soil.

Lin Chi’s thought is characteristically Chinese in that it puts Man at the very center of a whole world-view, and that, further, his conception of Man is extremely realistic to the extent of being almost pragmatic. It is pragmatic in the sense that it always pictures Man as the most concrete individual who exists at this very place and at this very moment, eating, drinking, sitting and walking around, or even ‘attending to his natural wants’. ‘O Brethren in the Way’, he says in one of his discourses, ‘you must know that there is in the reality of Buddhism nothing extraordinary for you to perform. You just live as usual without ever trying to do anything particular, attending to your natural wants, putting on clothes, eating meals, and lying down if you feel tired. Let the ignorant people laugh at me. The wise men know what I mean to say’.

The pragmatic Man, however, is not at ail an ordinary ‘man’ as we represent him at the level of common-sense thinking, for he is a Man who has corne back to this world of phenomena from the dimension of absolute Reality. His is a two-dimensional personality. He, as a most concrète individual, living among the concretely existent things, does embody something supra-individual. He is an individual who is a supra-individual - two persons fused into a perfect unity of one single person. ‘Do you want to know who is our (spiritual) ancestor, Buddha (i.e. the Absolute)? He is no other than yourself who are here and now listening to my discourse !’ (Lin Chi) The world-view presented by Lin Chi is a very peculiar view of the world as seen through the eyes of such a two-dimensional person. But in order to have a real understanding of the nature of this kind of world-view, we must go back to our starting-point and try to analyze the whole problem in a more theoretical way. In so doing, our emphasis will be laid on two cardinal points: (1) the epis- temological structure of the process by which such a double- natured person cornes into being, and (2) the metaphysical structure of the world as it appears to his eyes1195.

2002 Marie-Dominique Molinié (1918-2002)

Dominicain atypique, excessif, mais profond et vrai. V. www.asett.com., « Une interview… »

[20] Aimer, ce n'est pas d'abord être héroïque dans le désinté­ressement : au contraire, cette perfection ne vient qu'à la fin. Aimer, c'est d'abord être attiré, séduit, captivé. Le premier acte libre et méritoire qui nous est demandé, c'est de céder à cette séduction, à cet attrait, de se laisser prendre, de se laisser « avoir »... de se laisser faire. ... Les efforts les plus durs que nous faisons sont quelquefois désespérés et désespérants, parce qu'ils procèdent très peu de l'amour, et beaucoup de la volonté de se convaincre qu'on aime : ce qui revient à vouloir faire les œuvres de l'amour sans aimer.

[21] « Je n'ai rien fait humainement - je n'ai rien fait surnaturellement : je suis prête pour la Miséricorde de Dieu. »

[31] La psychanalyse enseigne qu'un homme guéri de ses complexes débouche dans un état qu'elle aussi appelle oblatif, un état où l'intéressé s'offre à la « réalité » sans inter­poser entre elle et lui le jeu de ses pulsions et de son imagi­nation. Seulement, pour la psychanalyse, la réalité c'est la société. Pour nous c'est Dieu et, pour l'amour de Dieu, les autres, donc la société : on est offert au réel quand on est offert à Dieu ; on est réconcilié avec le réel quand on est réconcilié avec Dieu. C'est le seul équilibre véritable, celui qui nous donne le bonheur. / Si on va jusqu'au bout de cette oblation pour aimer Dieu par-dessus toutes choses et le prochain comme soi-même, on accomplit la loi. La loi n'est pas cette chose extérieure que constitue le droit positif. La loi d'un germe est de grandir, la loi de chaque nature est de s'épanouir... la loi de la nature humaine est d'aimer Dieu et le prochain. Cette loi n'est pas dans le code civil ni même le code sacerdotal, c'est la loi du bonheur, en dehors de laquelle l'homme sera profondément malheureux.

[54] Le Christ Lui-même en tant qu'homme n'ajoute rien à Dieu : Il est un serviteur inutile, et la Sainte Vierge aussi. Elle le proclame, elle met sa joie à le proclamer. Elle sait que tout cela est gratuit, que c'est le luxe de Dieu... et elle le chante dans un Magnificat éternel. ... / Cela doit nous délivrer de toute inquiétude (Ne vous inquiétez de rien, dit S. Paul). Dans la mesure où une créa­ture pourrit d'inutilité, elle remplit parfaitement sa fonction de créature. L’intérêt de notre vie c’est de ne pas en avoir : nous sommes un chant à la gloire de Dieu et nous ne sommes que cela.

[55] La vie est sérieuse parce qu'il ne faut pas perdre son temps : il ne faut pas oublier un seul instant d'être insouciant. La moindre goutte de notre vie, Dieu peut en faire quelque chose de merveilleux si nous voulons bien la Lui offrir, mais telle qu'elle est. Pour être délivré de nos complexes, le plus simple est de les donner tels qu'ils sont: ne pas essayer de s'en délivrer avant de se présenter à Dieu. Ceux qui font leur toilette avant de se présenter, cela veut dire qu'ils ne veulent pas tout donner, ils ne veulent donner que ce qui est beau.

[62] Réjouis-toi de mon Être comme je me réjouis de ton néant parce que je l'aime, et réjouis-toi de ton néant comme tu te réjouis de mon Être, car c'est grâce à lui que tu m'offres un visage nouveau…

[64] …notre tendance naturelle est évidemment de fuir cette misère - non par un effort constructif pour la guérir ou l'améliorer, mais par le refus, obscur et farouche, d'en prendre conscience, d'être affronté au spectacle d'une indigence dont la profondeur métaphysique dépasse tout ce que nous pouvons soupçonner. Il est plus facile de reconnaître « ses péchés » - dans lesquels nous voyons au fond des accidents - que de contempler cette indigence fondamentale…

[65] dans cette misère même l'arme absolue qui nous donne tout pouvoir sur le coeur de Dieu - parce que c'est cela qui Le séduit en nous et non pas les dons qu'Il nous a déjà faits, ni aucun de ceux qu'Il est prêt a déverser en avalanche sur cette misère qui L'attire (ce qui se comprend bien au fond si l'on songe qu'elle est la seule chose qu'il ne puisse pas trouver en Lui, la seule par conséquent qu'Il puisse aimer en dehors de Lui). / La réaction humaine qui consiste à « avoir un faible pour les êtres les plus ingrats, les moins doués, les plus malheureux, ne relève pas seulement de la psychanalyse, elle est porteuse d'une immense vérité métaphysique et théologique : là encore, les coeurs purs risquent d'aller plus vite que les sages et les intelligents.

[82] Il y a en effet incompatibilité absolue entre le mouvement de recevoir et le mouvement de s'emparer - et le renoncement porte justement, non sur le Bien convoité, mais sur la prétention de nous en emparer si peu que ce soit : recevoir n'est pas moins actif que prendre -, mais c'est une activité d'un autre ordre et qui, aux yeux de l'impatience humaine, ressemble fâcheusement à de la passivité.

[83] [témoignage « d’un Kafka » :] Ce qui est nouveau, c'est que je réalise maintenant ce que je savais intellectuellement, à savoir que : La Porte s’ouvre dans l’autre sens, et qu'étant toujours à presser derrière, je la force à rester fermée ; de l'autre côté, je crois que Dieu essaie de l'ouvrir. ... Jusqu'à présent, il a donc été toujours question de moi. / Dieu aussi était évoqué dans la mesure où il était tout « pour moi ».

[94] Ce qui est douloureux, dans l'agitation de certains pour « se réformer », c'est l'effort de la créature pour substituer son initiative à la seule activité infinie qui nous soit offerte, et qui est le silence. Il n'y a pas d'autre choix - le silence ou l'action : savoir attendre ou ne pas savoir attendre... ... Préférer une oeuvre humaine à une oeuvre divine, c'est renoncer à faire tout parce qu'on veut faire quelque chose. Il n'y a qu'une seule manière de faire tout : c'est de se laisser faire complètement par Dieu. Alors notre action aura les dimensions de la sienne, elle sera aussi vaste « que les rivages de la mer »...

[95] l.a difficulté, même pour Dieu, c'est de trouver une liberté qui se donne vraiment.

[98] La grâce de la conversion n'est pas d'abord une grâce de force, mais de lumière - une lumière que nous ne pouvons pas fabriquer nous-mêmes. Dieu ne nous demande pas de la fabriquer, mais de l'accueillir, et pour nous y disposer de l'attendre avec désir : telle est la fidélité de ceux qui veillent en attendant la visite du Maître. Nous obtiendrons la grâce de cette visite dans la mesure où nous accepterons d'en avoir besoin, de plus en plus douloureusement.

[99] Extraordinaire exemple de ce qu'on peut appeler les purifications passives. Toute conversion est essentiellement passive: c'est une grâce qui fond sur nous, une lumière imprévue et imprévisible par laquelle on se laisse prendre jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit. On est retourné…

[122] Comment faire ce discernement' ? En recherchant le domaine où s'exerce le plus profondément l'orgueil de la vie. Certaines fautes sont presque de pure faiblesse en nous ... la plupart du temps elles ne le sont pas, car elles n'impliquent pas ce vertige, cette griserie agréable ou douloureuse dans laquelle nous sentons une certaine exaltation de notre moi, un épanouissement et une autosatisfaction auxquels notre subconscient est férocement attaché (c'est pourquoi cela coïncide souvent avec ce que la psychanalyse appelle nos complexes).

[123] Bien souvent - les psychanalystes l'ont remarqué après S. Augustin - l'orgueil de la vie vient se fixer sur une certaine idée de nous-mêmes, un idéal que nous cherchons à atteindre à travers l'ambition ou la vertu (peu importe), ce que Freud appelle « l'idéal du moi ». ... Nous croyons avoir le droit et même le devoir de nous cramponner à certaines valeurs, naturelles et surnaturelles…

[212] Cela explique pourquoi certaines gens très simples sont imprégnés de Dieu sans s'en apercevoir. Ils mènent leur vie tranquillement au service des autres, toujours paisibles, toujours dans la joie. On les cite en exemple en disant « Vous voyez bien qu'il n'y a pas besoin d'être mystique pour être un saint! » Mais justement, ce sont des mystiques. ... Angèle de Foligno dit par exemple : « J'ai été introduite en Dieu, et j'ai été faite le Non-Amour, ayant perdu l'amour que je traînais jusque-là. »

[213] Quelqu'un me disait à propos d'une souffrance physique : « Elle n'a rien de comparable avec une souffrance connue. Avec les pires souffrances, vous pouvez encore être un homme - tandis qu'avec ça, on ne peut plus être un homme. » Au fond, ce qu'on appelle supporter la souffrance, c'est essayer de rester un homme sous ses coups. C'est justement ce que les saints et le Christ n'ont pas essayé de faire : ils n'avaient pas besoin d'essayer de rester un homme, ils n'avaient rien à craindre - ils pouvaient tout lâcher parce qu'ils avaient l'onction du Saint-Esprit. Moins on lutte, plus cette onction nous pénètre : elle est stable, car c'est Dieu.


Lu ‘K’uan Yü (1898 - ?) & Hsu Yun

Foreword (p.10) : The aim1196 of the Ch'an sect is to strip the mind of all feelings and passions for the purpose of disentangling it from the phenomenal so that the self-nature can return to its normal state and operate in the normal way without hindrance. With this in view, Ch'an masters rarely used those Buddhist terms found in all sutras. For men are always prone to cling to the terminology which, in their quest for more learning and wider knowledge, can only stimulate their faculties of thought and intensify their discriminations. The masters taught their disciples to refrain from seeking enlightenment and Buddhahood, for the very idea of enlightenment and Buddhahood gave rise to the twin concept of reality of ego and reality of dharma which split their undivided whole into subject and object, the cause of their illusion and suffering. This is the reason why the usual terms found in sutras are rarely found in Ch'an texts, which seem very strange and incomprehensible even to Buddhists of the other schools. Those texts are as obscure and incomprehensible as Nostradamus's Prophecies of world events and puzzled readers frequently put them aside for ever, after reading a few pages. No learned masters took the trouble of giving a clear explanation of or comprehensive commentary on the sayings of their enlightened predecessors. Even if they quoted ancient sayings when giving instruction to their own disciples, their commentaries varying from a sentence to an entire gatha or poem, were equally obscure and confusing to beginners. […] If one applies one's discriminating mind to commenting on ancient sayings, one will behold only the linger instead of the moon which is actually pointed at.

We cannot, however, blame these masters for their seemingly obscure and abstruse sayings, because as soon as they used the terminology coined by the conditioned human intelligence, their disciples would cling to it, thus straying from the normal course of training. When a monk aske Yun Men: 'What is Buddha?' the master, knew that the questioner’s mind was stirred by the empty word `Buddha' and, in order to disentangle it from the illusion of Buddha, replied : 'A toilet stick.' In this, there was no disrespect for the Enlightened One, as the reply served only to wash the deluded mind of the disciple from this impure conception, for the Buddha as conceived by a deluded mind could never be the pure Buddha, who is beyond description. This particular case should not, however, be generalized, for the reply was appropriate only for the question at that particular moment. For this reason, Yun Men forbade his disciples to record his sayings. Likewise, we cannot follow master Tan Hsia's example and burn wooden statues of Buddha. Tan Hsia realized that the moment was ripe for enlightening a deluded monk who clung to these statues and disregarded his self-natured Buddha.

I Prerequisites… (pp.19 sq.)

From the Hsu Yun Ho Shang Fa Hui. The object of Ch'an training is to realize the mind for the perception of (self-) nature, that is to wipe out the impurities which soil the mind so that the fundamental face of self-nature can really be perceived. Impurities are our false thinking and clinging (to things as real). Self-nature is the meritorious characteristic of the Tathagata wisdom which is the same in both Buddhas and living beings. If one's false thinking and grasping are cast aside, one will bear witness to the meritorious characteristic of one's Tathagata wisdom and will become a Buddha, otherwise one will remain a living being. …

The outright cognizance of this pure and clean self-nature together with complete harmony with it, without contamination from attachment (to anything) and without the least mental differentiation, while walking, standing, sitting and lying by day or night is nothing but the self-evident Buddha(hood). It does not require any application of mind or use of effort. Moreover, there is no place for either action or deed, and no use for words, speech and thought. For this reason, it is said that the attainment of Buddhahood is the most free and easy thing which relies only on oneself and does not depend on others. …

Where does its easiness lie for a beginner? It only requires a believing, a long enduring and a mindless mind. A believing mind is, firstly, belief that this mind of ours is fundamentally Buddha, not differing from all Buddhas and all living beings of the three times in the ten directions of space, and secondly, belief that all Dharmas expounded by sakyamuni Buddha can enable us to put an end to birth and death and to attain Buddhahood. …

Hua t'ou [koan] This One-Mind of yours and mine is neither within nor without nor between the two. It is also within, without and between the two and is like Space which is immutable and is all-embracing.


Dom Georges Lefebvre

Bénédictin particulièrement discret dont nous ne savons la biographie, auteur de plusieurs livres à visée intérieure1197

Le don d'elle-même que l'âme fait à Dieu n'est qu'une réponse au don que Dieu lui fait de lui-même : ce n'est pas elle qui, par un acte qui serait le sien propre, s'offre à Dieu, c'est Dieu qui prend possession d'elle en se donnant à elle : si elle est toute donnée, c'est parce qu'elle vit de la vie de Dieu, qui est une vie donnée. […]

Et ainsi l'âme en cet état aime Dieu autant qu'elle est aimée de lui, puisqu'un seul amour est leur, à tous deux... et partant elle demeure contente, car elle ne l'est point jusqu'à tant qu'elle soit parvenue à cet amour, qui est aimer Dieu parfaitement, avec le même amour dont il s'aime » (Cantique, str. 3).

(42) Plus cette union de volonté se fait profonde, plus elle devient le mouvement naturel, spontané, de l'âme vers Dieu. L'âme vit, vraiment, dans la volonté de Dieu ; toute sa vie est devenue amour : « Elle ne tient plus d'autre style ni façon de traiter [trois traits] que l'exercice de l'amour... elle a troqué et changé toute sa première façon de procéder en amour » ; elle emploie « sa volonté à aimer tout ce qui plaît à Dieu, et à affectionner en toutes choses la volonté de Dieu » […]

L'âme goûte une joie « d'autant plus assurée, substantielle et délectable que plus elle est intérieure ; parce que plus elle est intérieure plus elle est pure ; et que plus il y a de pureté, d'autant plus abondamment et plus souvent et plus généralement Dieu se communique — et ainsi les délices et la joie de l'âme et de l'esprit en sont plus grands, parce que c'est Dieu qui fait tout, sans que l'âme fasse rien de son côté... Et ainsi tous les mouvements d'une telle âme sont divins [trois traits annotés ‘délices théoph[aniques] 1er ébranlement.’]; et encore qu'ils soient de lui, ils sont d'elle aussi parce que Dieu les fait en elle et avec elle, qui donne sa volonté et prête son consentement » (Vive Flamme, str. 1, v. 3). […]

Et si cette grâce très pure peut être en quelque manière perceptible : s'il arrive que l'âme en perçoive la très délicate saveur et jouisse très purement de cette simplicité même et de cette pureté, il arrive aussi qu'elle en vive d'une façon plus secrète encore et plus dépouillée, dans cette simple netteté intérieure qui est le fruit d'une parfaite souplesse à la grâce et d'une inclination toute spontanée à répondre au moindre de ses appels. […]

Le prophète royal, parlant à Dieu, dit ceci de ce chemin de l'âme : « Votre voie est dans la mer et vos sentiers en de nombreuses eaux ; et vos vestiges ne seront point connus. » ... Dire que la voie et le chemin de Dieu par où l'âme s'achemine vers lui est dans la mer et ses pistes en de nombreuses eaux, et que pour cela elles seront inconnues, c'est dire que la voie pour aller à Dieu est aussi secrète et cachée pour le sens de l'âme que l'est pour celui du corps celle qui va par la mer, qui ne laisse ni trace ni piste. […]

Un silence intérieur dans lequel l'âme ne peut demeurer recueillie sans se sentir intérieurement fortifiée, comme si elle y recevait une nourriture cachée. Si vide qu'il puisse paraître, elle y revient comme d'instinct. C'est là qu'elle est attirée, là seulement elle se sent dans la paix.

Un pur silence, qui pourrait sembler entièrement vide, et pourtant l'âme sent qu'elle n'y peut introduire un acte d'affirmation ou de recherche de soi, qu'il y serait déplacé.[…]

Les indices que l'âme peut percevoir de cette présence de la grâce et de son action en elle ne sont pas nécessairement proportionnés à son intensité — ils sont des moyens dont Dieu se sert dans la mesure où il le juge bon pour attirer son attention sur l'oeuvre qu'il accomplit en elle. Ces indices peuvent être très légers, très ténus, à peine perceptibles : plutôt un moyen d'entrer en quelque manière en contact avec cette action de la grâce que d'en prendre vraiment conscience — et pourtant il y a en eux quelque chose qui révèle la grandeur de cette réalité qu'ils supposent, dont ils font deviner la présence.

Que sont ces indices ? Une certaine paix intérieure, certaines nuances de l' « atmosphère intérieure », par où se traduit l'adhésion profonde de la volonté à Dieu, à mesure qu'elle s'affermit. Une certaine paix, toute pleine d'un certain sens de Dieu, d'un certain pressentiment de Dieu. Une adhésion de l'âme à Dieu, qu'elle trouve au fond de cette paix, mais en la dépassant : en elle, et pourtant au delà d'elle. […]

C'est dans la prière toute pure et secrète, décrite par saint Grégoire le Grand et saint Jean de la Croix, que se trouvent cachées les divines richesses qu'il peut être donné à l'âme d'entrevoir parfois « comme dans un éclair » ; car, en toute vérité, elle se sent comblée par cette grâce si délicate, si subtile que « tout en la possédant, elle ne la remarque pas et ne l'expérimente pas. » [trois traits][…]

Écoutons sainte Jeanne de Chantal nous décrire cette action secrète de la grâce dans l'âme qui se tient simplement attentive : « Le chemin que tient l'Esprit de Dieu lorsqu'il entre dans une âme nous est inconnu... C'est assez de savoir qu'on l'a reçu par les effets qu'il produit tous les jours et qu'on se sente plus forte qu'on n'était, sans savoir comment ni quand cette grâce est venue dans nous. Il est certain qu'elle ne peut être venue que dans l'oraison et par suite des fréquentes oblations que nous avons faites de notre coeur à Dieu. On ne voit point croître les arbres ni le corps des hommes, quand bien même on les regarderait depuis le matin jusqu'au soir, mais on est étonné de voir ensuite leur accroissement. Il en est de même des âmes : elles avancent dans la vie de Dieu, bien qu'elles ne s'en aperçoivent pas, pourvu qu'elles soient fidèles à correspondre aux lumières et attraits de la grâce » (Œuvres, t. II, pp. 325, 326).[…]

Elle trouve plus de joie à donner qu'à recevoir : sa joie est de vivre avec tous, comme avec son Dieu, sous cette loi de gratuité qui est celle de l'amour.

C'est ainsi qu'elle s'établit peu à peu dans « le centre de son humilité », selon la belle expression de saint Jean de la Croix, et c'est là, et là seulement, qu'elle peut trouver Dieu.

C'est en suivant cette voie qu'elle parviendra à la plus parfaite soumission. La soumission d'une âme qui sent son absolu dénuement, sa radicale pauvreté [humilité dénuement Lalla]: il n'y a rien en elle à quoi puisse encore s'accrocher une quelconque appartenance, une quelconque possession. […]

La pureté qu'exige de nous l'amour de Dieu est la pureté vivante, heureuse, d'un unique amour qui s'épanouit dans notre coeur et y vivifie tout. Ce n'est certes pas la pureté d'un désert aride, desséché […]

Si le renoncement est nécessaire, c'est parce qu'il est la condition en dehors de laquelle il ne peut y avoir véritable union de volonté avec Dieu. Aussi (114) ne s'agit-il nullement de tendre vers une sorte d'indifférence stoïque à l'égard de toutes choses.[…]

« Nous ne traitons pas ici de la privation des choses — car cela ne dépouille point l'âme si elle en a l'appétit — mais de la nudité du goût et de l'appétit qu'on y prend : c'est ce qui laisse l'âme libre et vide, quoiqu'elle les possède,[…]

il ne faut jamais perdre courage. C'est pourquoi aussi, au moment de la prière, si nous sentons en nous les résistances d'un égoïsme encore bien vivant et contre lequel nous avons de la peine à nous défendre, nous ne devons pas chercher à nous en débarrasser avant d'oser nous approcher de Dieu, mais plutôt nous approcher de lui d'abord : placer notre âme sous l'influence bienfaisante de sa présence […]

Ce n'est pas une grâce dont on est digne ou indigne, mais une grâce dont on a besoin, qui est nécessaire à notre misère pour la sauver d'elle-même.[…]

La grâce est toute gratuité, c'est ce qui fait sa pureté : elle est étrangère à tout égoïsme, à tout esprit de propriété. C'est un don que nous ne pouvons recevoir qu'à condition de ne pas le faire nôtre, de ne pas le replier sur nous-même. Il est dans sa nature de ne pouvoir être le bien d'un seul [grâce à tous]: c'est une atmosphère que nous respirons tous sans qu'aucun puisse la retenir, l'enfermer en lui. C'est un bien commun, parce que c'est un bien de Dieu. (150 ) Quiconque en vit appartient à Dieu. Quiconque en vit entre dans cet ordre de la grâce qui est l'ordre de la gratuité, du don de soi, et doit se conformer à ses lois, à son esprit.

Notre vie surnaturelle n'est pas notre bien propre. Non seulement parce qu'elle appartient à Dieu, mais aussi parce qu'elle appartient à tous ceux qui nous ont aidés.[…]

La joie de cette vie, c'est de la vivre en gratuité, de savoir que nous l'avons reçue gratuitement, et qu'elle reste en nous comme un don qui se répand, et non comme un trésor que nous enfermerions en nous-même.[…]







Jean-Yves Leloup (1950-)

Avant de définir ce qu'est le Royaume1198, il convient de se poser la question : "Qu'est-ce qui règne sur nous ?" — notre passé, notre inconscient, l'environnement, une passion ou une idée quelconque ?

Le Royaume, c'est le Règne de l'Esprit en nous, dans toutes nos facultés ; ce n'est plus seulement notre ego avec ses mémoires, ses craintes, ses désirs qui règne sur nous, c'est l'Esprit même du Vivant qui nous anime.

Ce logion nous indique que le Royaume, la Présence de l'Esprit de Dieu en nous, n'est pas à chercher à l'intérieur seulement ou à l'extérieur seulement ; il nous invite à sortir de la dualité qui est le climat de notre conscience ordinaire.

Le climat dualiste des oppositions, des conflits, des exclusions... On connaît par exemple les difficultés que peut créer une phrase comme : "Hors de l'Eglise, pas de salut" ; il y a ceux qui sont dehors et ceux qui sont dedans, et quand le terme "Eglise" est pris dans un sens institutionnel, cela fait beaucoup de monde "dehors", beaucoup d'inaptes au salut... Saint Augustin pressentait les limites de ce langage dualiste lorsqu'il affirmait : "Il y a beaucoup de gens qui, se disant dans l'Eglise, sont en réalité au-dehors parce qu'ils ne pratiquent pas l'amour et la vie du Christ et beaucoup de gens que l'on dit "au-dehors" sont en réalité au coeur de l'Eglise parce qu'ils pratiquent l'amour et la vie du Christ."

Par ailleurs, toute extériorité est une intériorité, ce qui est hors de nous est à l'intérieur d'un espace plus vaste. Une maison est à l' "intérieur" d'une ville qui est elle-même à l'intérieur d'un pays, etc., et toute intériorité est habitée par l'extérieur, que ce soit notre respiration, nos pensées (les mots, les paroles des autres), nos désirs intimes ("L'homme est désir du désir de l'autre"), etc.

On pressent la sagesse de ce langage non duel : si l'Evangile disait seulement : "Le Royaume est à l'intérieur de vous", on privilégierait les expériences, les méditations intérieures. Il serait alors préférable de fuir le monde, de fermer les yeux à ce qui nous entoure.



Catalogue pour une bibliothèque mystique

Dominique Tronc


Une centaine de figures ont été retenues pour leur expérience intérieure. Au sein de chaque série de livres, elles sont présentées en respectant l’ordre chronologique des naissances. Ainsi peuvent apparaître les influences partagées et les rencontres d’où naissent parfois des filiations.

Des œuvres difficiles d’accès constituent le corps de bibliothèque1199.

Deux mystiques capables de communiquer la grâce à de proches disciples ont leurs corpus édités en deux séries. Elles respectent l’ordre de leurs vécus. Ainsi sont restituées les dynamiques propres à toute vie mystique.

Des extraits — assez longs et sans coupures — d’écrits majeurs ouvrent sur les grands mystiques de Traditions en terres occidentales, en terres d’Islam, en Inde, en Chine et au Japon.



Attention ! Ce « catalogue » doit demeurer confidentiel.

Des livres ouverts à tous acheteurs sont disponibles chez divers éditeurs et sur

www.lulu.com

La majorité des ouvrages sont « hors commerce », car ils ne respectent pas les droits des éditeurs. Consulter

www.cheminsmystiques.fr

S’adresser à

dominique.tronc@gmail.com







Présentation

Il s’agit de rassembler les textes parus chez divers éditeurs ou disponibles en ligne ainsi que des fichiers disponibles sur demande. Tous en format « livres » donc prêts pour édition papier.

Le présent « catalogue_date.odt » explicite les contenus des sources distribuées sous /LIVRES/... Il résume mon travail d’éditeur et de présentateur de textes jugés mystiques1200.

En première partie longue, un choix de textes mystiques sont regroupés en dix séries avec pages de titre et bref résumés des contenus. Une seconde partie brève reprend des bibliographies rangées par figures mystiques — par ordre de constitution — par éditeurs.

Le présent Catalogue remplit un double rôle : informer l’existence de textes mystiques — rendre possible de futures rééditions. D’où une certaine complexité. il est l’outil qui permet de retrouver la « bonne » source numérique d’un livre rangée dans l’arborescence /LIVRES DT/ séries/ fichiers

Pour chaque « livre » je souligne le nom du fichier pertinent. Il existe en effet sous d’autres répertoires de nombreux fichiers caducs.





Base mystique

Présentation technique ! - Déborde ce catalogue !


/B

Photos sources constituant une vaste « bibliothèque mystique » en photos jpeg doubles pages ; classement alphabétique par siècles puis auteurs ou parfois par sujets :

// MYS (104,8 Go en août 20) : global étendu sur la durée et couvrant diverses traditions mystiques

// MYS_17 (143,2 Go en août 20) : le dix-septième siècle surtout français


// BBB (~7 Go) est au coeur de ma base et contient (entre autres sous-répertoires) :

///LIVRES DT. (~1 Go), l’essentiel, la « bouteille à la mer » ! arborescence de travail contenant les dernier états en séries 1 à 10 du présent catalogue. Je « signe » un état *.odt jugé achevé en créant des clones *.pdf, *.epub, *.zip1201

///SOURCES. (~ 4 Go), l’arborescence ‘historique’, noms différents et plus nombreux. Fichiers parfois caducs. Photos, états antérieurs, etc. Éléments parfois nécessaires pour une réédition.



Ordinateurs ACER & ASUS + Disques durs

+ Chez Nicolas sauvegarde sur CASTERLYROCK /Home

https://dsm.casterlyrock.fr, dominique qR….

Séries


Les séries ou « chantiers » regroupent une centaine de titres autour d’auteur (Guyon) ou d’appartenance (Franciscains…) ou de thèmes (Mystiques du monde...).


Le quart fut édité traditionnellement. La moitié est accessible en ligne. Le reste sur demande. Ces séries renvoient à / LIVRES DT/séries/ fichiers




Série 1 « Expériences mystiques en Occident » — Présentations chronologiques

Expériences mystiques en Occident : Tome I. Des origines à 1600 — II. Ordres anciens — III. Ordres nouveaux et figures féminines — IV. École du cœur (de l’origine franciscaine à Mme Guyon) VFiliations de la quiétude (de Fénelon à nos jours) — VI. Mystiques des Traditions — VII. Mystiques hors cadres.

7 tomes.

Présentation chronologique : I. Des origines à 1600 — II. De 1600 à nos jours.

2 tomes.


Série 2 Mystiques du Moyen âge au XVIIe siècle

Hadewijch béguine d’Anvers ~ 1280 – Imitation de NSJC ~ 1370 – Nuage d’Inconnaissance ~ 1370 – Sirhindi ~ 1620 — Jeanne de Chantal 1572-1641 – Jeanne de Cambry 1581-1639 – Jean-Joseph Surin 1600-1665 – Armelle Nicolas 1606-1671.

10 ouvrages.



Série 3 Mystiques des deux Carmels

La réforme espagnole : José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628 — Carmélites en France.

La réforme de Touraine : Jean de Saint-Samson 1571-1636 — Dominique de Saint-Albert — Maur de l’Enfant-Jésus 1617-1690 — Maria Petyt 1623-1677.

8 ouvrages.


Série 4 François d’Assise et franciscains au XVIIe siècle

François d’Assise 1181-1226.

Franciscains au XVIIe siècle – Benoît de Canfield 1562-1610 – Martial d’Étampes 1575-1635 — Constantin de Barbanson 1582-1631 – Pierre de Poitiers ~ 1683. …

12 ouvrages.


Série 5 Filiation ou école de l’Amour pur

Marie des Vallées 1590-1656 —Jean-Chrysostome de Saint-Lô 1594-1646 —Jean de Bernières de Louvigny 1602-1659 —Mère Mectilde 1614-1698 —Les Amis des Ermitages de Caen et de Québec —Monsieur Bertot 1620-1681 – Fénelon 1652-1714 – Père Lacombe 1640-1715 – La « Petite Duchesse » de Mortemart 1665-1750 — Exraits des Mémoires de Saint-Simon —Guyonniens du Siècle des Lumières —Disciples Ecossais : Henderson, Mystics of the North-East.

19 ouvrages.




Série 6 Jeanne-Marie Guyon

Corpus de ses écrits mis en ordre chronologique.

12 tomes.

Études et Témoignages, Tables.

2 tomes.

Éditions précédentes. 6 vol. chez l’éditeur Champion, 2 vol. en collection Sources mystiques, etc. 

~10 ouvrages


Série 7 Lilian Silburn

corpus des écrits (édition future)

8 tomes.

Éditions disponibles

2 ouvrages.


Série 8 « Mystiques du monde »

Mystiques du monde :

Antiquité – Europe chrétienne et moderne – Mystiques en terres d’Islam — en Inde et en Chine – Bouddhistes,

12 tomes.

Approches poétiques :

4 recueils.


Série 9 Synthèses

Le présent guide/catalogue.

Etudes I à IV ; présentations des textes mystiques édités accompagnées de tables des contenus.

5 ouvrages.

Compléments et Index.












Reprises par série ou « chantier »

puis au sein de chaque série par titre ou « livre » dont on reproduit brièvement titre , fichier source - nombre de pages - date - contenu :


1 « Expériences mystiques en Occident » — Présentations chronologique


Expériences mystiques en Occident : Tome I. Des origines à 1600 — II. Ordres anciens — III. Ordres nouveaux et figures féminines — IV. École du cœur (de l’origines franciscaine à Mme Guyon) VFiliations de la quiétude (de Fénelon à nos jours) — VI. Mystiques des Traditions — VII. Mystiques Hors cadres.

7 tomes.

Présentation chronologique : I. Des origines à 1600 — II. De 1600 à nos jours.

2 tomes.



Expériences mystiques en Occident

    I à III furent antérieurement édités aux Deux Océans.

      I Des origines à 1600

Édition révisée (2018)

(3) 7. Expériences I Des Origines. Lulu 17mars18.odt

1-349

Table des matières :

INTRODUCTION

1. L’antiquité et le haut moyen âge

2. Le nord de l’Europe du XIIe au XVe siècle

3. Le sud de l’Europe aux XIIe — XVe siècles

4. l’effervescence du XVIE siècle

ANNEXES

CHOIX bibliographique


II L’Invasion mystique des Ordres anciens

(4) 8. Expériences II Ordres anciens (Lulu) 16mars18.odt

1-400

Table des matières

PRÉSENTATION

1. des textes et des hommes

2. Traditions et réformes monastiques

3. Le carmel « déchaussé »

4. franciscains

quatorze mystiques

III Ordres nouveaux et Figures singulières

(5) 9. Expériences III Ordres et Figures (Lulu) 16mars18.odt

1-403

Table des matières :

Présentation

1. Un monde en mutation.

2. les ordres nouveaux.

Jeanne de Chantal et François de Sales : la Visitation

Une vague mystique chez les jésuites

Des spirituels dominicains

Pierre de Bérulle et l’Oratoire.

Jean-Jacques Olier (1608-1657) et Saint-Sulpice.

Des poètes chrétiens

3.  mystiques actifs dans le monde.

Monsieur de Bernières (1602-1659)

Pratiques de la charité

Port-Royal…

Des capucins défendent la mystique.

Des jésuites défendent la mystique

4.Figures féminines

L’influente « sœur Marie » des Vallées (1590-1656).

La « bonne Armelle » (1606-1671)

Claudine Moine (1618 — apr.1655), couturière.

La béguine Marie Petyt (1623-1677)

Le couple Hélyot

5. Mystiques d’ailleurs

Mystiques juifs.

Des mystiques d’outre-Rhin

Mystiques des îles britanniques

Conclusion

IV Une École du Cœur

10 (217). Expériences IV École du cœur REVU 1oct20.odt

1-455

Table des matières :

PRÉSENTATION

MYSTIQUES  ?

LA RÉPRESSION EN ESPAGNE ET EN ITALIE 

TIERS ORDRE FRANCISCAIN & PÈRE CHRYSOSTOME (-1646)

MONSIEUR de BERNIÈRES (1601-1659)

L’ERMITAGE NORMAND

MIGRATIONS CANADIENNES

Mère MECTILDE (1614-1698) autre disciple du P. Chrysostome

Monsieur BERTOT (1620-1680) successeur de Bernières

Madame GUYON (1648-1717) : jeunesse et formation mystique

UNE VIE MYSTIQUE

UNE ŒUVRE SAUVÉE

LA VOIE

ANNEXES

TABLE  : IV ÉCOLE DU CŒUR

V Filiations de la Quiétude

(11) 217b.Expériences V REVU 2oct20.odt

1-356+124annexes =1-481

Table des matières :

PRÉSENTATION

FRANÇOIS DE FÉNELON

La relation mystique de Madame Guyon et Fénelon

Oeuvres

LE CERCLE DES DISCIPLES

MARIE-ANNE de MORTEMART

Succéderait à Mme Guyon  ?

La formation par Fénelon et Guyon

Des correspondances

FILIATION ÉCOSSAISE

FILIATION HOLLANDAISE

FILIATION GERMANIQUE

FILIATION SUISSE

INFLUENCES

Un « second cercle »

Influences en terres catholiques

Influences en terres protestantes

ÉCHOS ET RECONNAISSANCE

Échos au XIXe Siècle

Reconnaissance au XXe Siècle

CONCLUSION. UNE CHAÎNE MYSTIQUE

ANNEXES

TABLE  : FILIATIONS DE LA QUIÉTUDE

VI Figures au sein de Traditions après 1700

Tronc Expériences VI Traditions 3oct20.odt

1-362

Table des matières :

1. ÉCOLE DU CŒUR

2. CHRISTIANISME OCCIDENTAL

3. CHRISTIANISME ORIENTAL

4. RELIGIONS DU LIVRE

5. ORIENTS

SYNTHÈSES relatives aux Traditions


VII Figures hors cadres après 1800

Tronc Expériences VII hors cadres 3oct20.odt

1-440

Table des matières :

« Étoilement mystique »

6. CHERCHEURS

7. POÈTES

8. TÉMOINS DE L’INSTANT

9. TÉMOINS DANS L’ÉPREUVE

10. TÉMOINS POUR NOTRE TEMPS


Chronologies

Chronologie mystique I Des Origines à 1600

(1) 5. Chronologie I… revu fév20.odt

1-445

Table des matières :

Présentation

Choix large

Après un étoilement demeure le vécu mystique

Mystique

Florilège

0000 Pygmées

AC ~1350 Hymne d’Akhnaton.

AC ~ 575 Livre de Job

AC ~ 540 Isaïe

[……]

1591 Jean de la Croix (1542-1591)

1596 Grégoire Lopez (1542 - 1596)

1598 Philippe Desportes

1600 Giordano Bruno (~1550 – 1600)

Lorsque vint le temps pour moi de devenir chamane


Chronologie mystique II De 1600 à nos jours

(2) 6. Chronologie II de 1600 à nos jours.odt

1-620

Choix large à réduire après appréciation par des Amis !


Avertissement

1603 Dadu (1544–1603) and the Bauls of Bengal

1610 Benoît de Canfield (1562-1610)

1618 Madame Acarie, [Première] Marie de l’Incarnation (1566-1618). 

1622 François de Sales (1567-1622).

1623 Exercices sacrés de l’amour de Séverin Rubéric (- apr.1625).

1624 Shaykh Ahmad Sirhindi (1564-1624)

1624 Jacob Böhme (1575–1624).

1628 Joseph de Jésus Maria [Quiroga] (1562-1628).

1631 Constantin de Barbanson (1582-1631).

[…………]

1950 Ramana Maharshi (1879 - 1950)

1963 Ramdas (– 1963)

1964 R.H. Blyth [on Zen](1898-1964)

1966 D.T.Suzuki (1870-1966)

1970 Khempo Janyang Dorje (1896-1970

1973 Jacques Maritain (1882-1973)

1973 Henri Le Saux/Swami Abhishtktananda (1910-1973)

1979 Jeanne Schmitz-Rouly (1891-1979)

Mrs. D. K. (Avant 1980)

1980 Lev Gillet (1893 – 1980)

1988 Sayd Bahodine Majrouh (-1988)

1993 Lilian Silburn (1909 – 1993)

1993 Toshihiko Izutsu [on Zen](1914-1993

2002 Marie-Dominique Molinié (1918-2002)

Lu “K’uan Yü (1898 - ?) & Hsu Yun

Dom Georges Lefebvre

Jean-Yves Leloup (1950 —)

2 Mystiques du Moyen âge au XVIIe siècle





Hadewijch béguine d’Anvers ~ 1280 – Imitation de NSJC ~ 1370 – Nuage d’Inconnaissance ~ 1370 – Sirhindi ~ 1620 — Jeanne de Chantal 1572-1641 – Jeanne de Cambry 1581-1639 – Carmélites -– Jean — Joseph Surin 1600-1665 – Armelle Nicolas 1606-1671.

10 ouvrages.


Hadewijch béguine d’Anvers

Hadewijch Lettres

2019, 1-267

108. Hadewijch Lilian & Lettres 12fév19.docx

une sélection ? 109. Hadewijch choix Lilian reformaté A4 bis.docx

I

Un florilège mystique relevé par

Lilian Silburn

II

Hadewijch

LETTRES SPIRITUELLES

Béatrice de Nazareth

SEPT DEGRÉS D’AMOUR

Traduction du moyen néerlandais par Fr. J.-B. M. P. Jean-Baptiste Porion

Claude Martingay, Genève, 197

Grande-Chartreuse, en la fête de la Bse Béatrice d’Ornacieux, le 13 février 1971. fr. André, Prieur de Chartreuse

III

Béguines et Moniales


Imitation de NSJC

Imitation de la vie pauvre de N S J C

Tauler Imitation de la Vie pauvre.... doc


Publié par Arfuyen en 2012 sous le titre

Le Livre de la pauvreté spirituelle

Avec une Préface de Rémy Vallejo




Un texte majeur publié dans les Oeuvres complètes de Tauler, Tralin, 1914, « oublié » parce qu’il traduit une contestation sociale.




Le Nuage d’Inconnaissance

Le Nuage d’Inconnaissance

Le Nuage d’Inconnaissance

The Cloud of unknowing

&

L’Épître de la direction intime

2017, 1-308

111. Nuage & Épître 14 x 21,6 au 9 fév17.doc



Quelques pages par Lilian Silburn ouvrent à la lecture de « l'un des plus profonds [textes] de la mystique chrétienne ».

Suit la belle version de ce Nuage d’Inconnaissance par Armel Guerne1202.

Elle est complétée par le Cloud of Unknowing dans l’anglais moderne proposé par Evelyn Underhill1203.

L’ensemble s’achève sur la « mise en pratique » offerte dans l’Epître de la direction intime. Cette dernière fut traduite par dom Noetinger1204.





Ahmad Sirhindi


Ahmad Sirhindi,

Maktubat Epistles 1-131

2020, 1-704

Epistles 1-313 de Sirhindi Maktubat trad. Wajihuddin REVU format 14x21.6.odt


Volume – I consisting of the first 213 epistles from the original

Institute of Naqshbandy-Mujaddidy Works, Lahore, Pakistan.



Travail de révision limité pour l’instant à une mise en forme générale avec sélections : « ++ texte sélectionné + » 

Jeanne de Chantal

JEANNE DE CHANTAL  RECUEIL DES BONNES CHOSES & EXTRAITS DE LETTRES

2015, 1-252

125. JdeCh Recueil etc — 14x21.6 éd2e 21janvier15.doc


RECUEIL DES BONNES CHOSES & EXTRAITS DE LETTRES


Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil transcrit par

Béatrice Bernard

Introduction et extraits de la Correspondance par

Dominique Tronc




JEANNE DE CHANTAL ÉCRITS RELEVÉS DANS L’ÉDITION DE 1875

2015, 2020, 1-659

126. JdeCh 1875corrigé… au 6fév15.doc

ÉCRITS RELEVÉS DANS L’ÉDITION DE 1875

Par Dominique Tronc

Jeanne de Cambry

JEANNE DE CAMBRY 1581-1639

Dossier

2019, 1-644

124. Cambry et Vie et Boissieu 18fév20.odt

Textes présentés et annotés par Dominique Tronc

Introduction

Comtesse Henri de Boissieu

Une Recluse au dix-septième siècle


Choix d’écrits mystiques de Jeanne de Cambry

L’Exercice de l’amour, La Ruine de l’amour propre I à IV, Le Flambeau mystique

(édition in-folio de 1665)


Pierre de Cambry

Abréggé de la vie de Dame Ienne de Cambry

(édition augmentée de 1663)

Annexes



Armelle Nicolas


129. Armelle Nicolas Triomphe de l’Amour divin… D & M Tronc (coll.SM c. JnX 2012) .doc

Armelle Nicolas Témoin du Pur Amour, Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu,

Texte présenté par Dominique et Murielle Tronc,

Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2011, 519 p.

Comme autant de diamants enchâssés dans le récit, les « dits » sont rapportés très probablement avec exactitude, puisqu’ils sont soigneusement mis entre guillemets dans l’édition. Alors qu’on a l’habitude de parler de la « bonne Armelle », on s’aperçoit rapidement que ces dits traduisent une liberté de ton et une fermeté souveraine qui ne s’accordent guère avec l’image d’une « pauvre servante » bretonne, naïve et illettrée, dont l’histoire serait là pour nous enchanter. Ils sont remarquables par leur ampleur et leur optimisme, basé sur une confiance envers la grâce divine qui rejoint celui d’un Ruusbroec. Mais c’est surtout à Catherine de Gênes qu’on peut la comparer […]


128.LA_BONNE_ARMELLE_Arfuyen_20oct.doc

Armelle Nicolas/« Aime-Moi »/Faits et dits de la Bonne Armelle, servante bretonne

1-166 (resté inédité)



Jean-Joseph Surin



Jean-Joseph SURIN

2017, 1-216

127. Surin Florilège Correspondance 14x21.6 et +. docx


Lettres

Un choix dans l’édition par Michel de Certeau

de la Correspondance

Suivi d’une brève présentation de leur auteur

Par Dominique Tronc pour ses Amis

3 Mystiques des deux Carmels



La réforme espagnole : Jose de Jesus Maria [Quiroga] – L’arrivée des carmélites en France.


La réforme de Touraine : Jean de Saint-Samson 1571-1636 — Dominique de Saint-Albert — Maur de l’Enfant-Jésus 1617-1690 — Maria Petyt 1623-1677.




8 ouvrages.







Jose de Jesus-Maria (Quiroga)

I. José de Jésus Maria (Quiroga) 1562-1628

2016, 1-340

n° 118.Quiroga_Historia & notices_révisé_accentué_antidoté_éd.2.docx

Historia de la Vida y Virtudes del Venerable P. F. Juan de la Cruz

& Études


Lorsqu’il publie sans autorisation en 1628 son grand travail, une Vida y virtudes del Venerable P.F. Juan de la Cruz achevée depuis quelques années, mais qui met en cause le renom de l’Ordre, Quiroga est destitué. “Exilé” à Cuenca, il meurt la même année. Des confrères carmes seront chargés à leur tour de rendre compte à nouveau de la vie de San Juan de la Cruz.

Quiroga quant à lui se veut véridique, visite les lieux d’épreuves, enquête, n’omet aucun des faits vécus par son héros. Formé lui-même par des novices eux-même formés par Jean de la Croix, il eut accès à tous ces témoins et à toutes les carmélites, au-delà de leurs dépositions signées. Il les utilise généralement deux par deux pour confirmer leur force.

Enfin l’historien passionné illustre et défend l’approche mystique de son Maître. Mais elle ne pouvait être partagée par la majorité des membres de communautés carmes.



II. Jose de Jesus Maria Quiroga 1562-1628

2016, 1-622

n°120.Quiroga_SubidaI&II-Don-Repuestas-Apologia.docx

Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union (1656)

Segunda parte: De la entrada del alma al Parayso Espiritual (1659)

Don que tuvo sans Juan de la Cruz

Repuestas

Apología mística en defensa de la Contemplación divina



L’oeuvre écrite est importante et méconnue, car l’orientation prise par les carmes espagnols sous l’influence de Thomas de Jésus s’écarteront, dans une voie de méditation matinée d’ascèse, de la voie contemplative que Jean de la Croix enseignait pour conduire à la vie mystique.

III. José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628

2016, 1-417

n° 119.Quiroga_Oraison & apologie 4mars17.docx

L’Oraison

Adaptation par la Mère Marie du Saint-Sacrement

La matière de ce livre nous a été fournie par un frère de saint Jean de la Croix, son contemporain, profondément imbu de ses enseignements. […] il composa deux opuscules, dont le premier est intitulé : Don que tuvo el venerable Padre, Fray Juan de la Cruz para guiar las almas à Dios, et le second: Respuesta a algunas razones contrarias a la contemplación afectiva y oscura que N. santo Padre Fr. Juan de la Cruz, guiado de Dios, de la Escritura y de los Santos, enseño en sus escritos. […] publiés en entier dans le Tome III des Œuvres de saint Jean de la Croix (Édition de Tolède, 1912 – 1914).

Ces opuscules furent écrits au XVIIe siècle, en vue de défendre et expliquer la doctrine spirituelle de notre Docteur mystique, que l’ignorance s’efforçait alors d’obscurcir [...] répandent tant de clarté sur la voie de l’oraison, qu’il nous a paru désirable de les faire connaître, dans les pays de langue française, aux âmes avides d’union avec Dieu

&

Réponse à un doute

Apologie mystique en défense de la Contemplation divine

Traductions par le Père Max de Longchamp

« Prologue au lecteur [par Quiroga] L’un des plus grands dommages dont la vertu ait à souffrir de nos jours, est le grand abandon dans lequel on tient la contemplation véritable que Dieu a concédée aux hommes comme un bienfait très remarquable, afin d’avoir sur terre avec eux une communication familière et de les rendre participants de sa divinité et des richesses du ciel. Non seulement les ignorants, mais aussi beaucoup de ceux qui se prennent pour maîtres en théologie scolastique, n’atteignent qu’à une si pauvre connaissance de la mystique, qu’ils font peu de différence entre la véritable contemplation enseignée par Dieu à ses fidèles, et la fausse et trompeuse que le démon à introduite chez les personnes vaniteuses et orgueilleuses, au notable dommage des personnes simples et dévotes. Et comme notre Vénérable Père Frère Jean de la Croix a abondamment illuminé notre siècle par sa connaissance véritable de la contemplation de Dieu, l’enseignant dans sa pureté...

Carmélites françaises

D Tronc Carmélites francaises à l’âge classique, Histoire et Florilège-2014repris2017 — 477k.docx

1-142

Carmélites françaises à l’âge classique, Histoire et Florilège de leurs écrits spirituels,

En cours de reprise par Moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».

Belles pages oubliées de carmélites des trois premières générations françaises.

I. Fondations et figures à l’âge classique.

Introduction

Une greffe réussie.

L’essor.

Contraintes et influences.

II. Ecrits et témoignages

La première génération :

Madame Acarie.

La deuxième génération :

Madeleine de Saint-Joseph.

Marie de Jésus, de Bréauté

Les générations suivantes.


Jean de Saint-Samson


JEAN DE SAINT-SAMSON

Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites.


121. Jean de Saint-Samson Le Vrai Esprit du Carmel (D Tronc & M. de Longchamp (coll.SM c. JnX) .doc

1-607

Jean de Saint-Samson (1571-1636)

Les sources – La présente édition — L’enseignement

Le Vrai Esprit du carmel édité par le P. Donatien

Sources manuscrites [mises en concordance]

Les manuscrits de Rennes


Édition critique présentée par D. Tronc

avec une étude par Max Huot de Longchamp

Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012






JEAN DE SAINT-SAMSON

Un Florilège présenté par Dominique Tronc

122. Saint-Samson Florilège. odt

1-481


Lire Jean de Saint-Samson, un mode d’emploi

Le Cabinet mystique & extrais de l’Œuvre assemblée par le Père Donatien de Saint-Nicolas. Sources manuscrites.

Textes choisis.

La direction de Dominique de Saint-Albert

Une autorité pour Madame Guyon





Dominique de Saint-Albert


Dominique de Saint-Albert, Œuvres mystiques, fr. Klaus & D. Tronc.


1-449

123.Dominique de Saint-Albert Oeuvres mystiques 14,0 21,6 antidoté révisé 22nov20.odt


Présentation générale

La vie par le P. Nicolas de Saint Donatien

La Doctrine (E.Tonna)

Traité très exquis et mistique (mss. D’Avignon — de Tours)

Traité sur la Théologie mystique — de l’Oraison infuse

Exercice spirituel

Correspondance de Dominique de Saint-Albert avec Jean de Saint-Samson

Témoignages sur Dominique

Supplément de correspondance



Le carme le plus proche de l’esprit qui animait Jean de Saint-Samson (1571-1636) fut son disciple bien-aimé Dominique de Saint-Albert (1596-1634), malheureusement disparu précocement à l’âge de trente-sept ans. Brûlant d’amour, il définissait les mystiques comme ceux « qui sentent en eux un incendie d’amour éternel qui ne s’éteint ni jour ni nuit ».

Maur de l’Enfant-Jésus


Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Éditions du Carmel, 2007,


(66) Maur I Oe de maturité juin 2006.doc

1-342


Lettres de direction

Le royaume intérieur de Jésus-Christ dans les âmes

Deux Traités de la vie intérieure et mystique


Édition critique précédée d’une étude par Dominique Tronc.




Maur de l’Enfant-Jésus, Entrée à la Divine Sagesse, Éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008,


(67] Maur de l’EJ Entrée à la Divine Sagesse A EDITER REVU ! ! 2.doc

1-263


Théologie chrétienne et mystique

Sanctuaire de la divine sapience

Montée spirituelle

Exposition des communications divines

Traité de la fidélité

Les trois portes du palais de la divine sapience


Édition critique présentée par Dominique et Murielle Tronc.





Maria Petyt

MARIA PETYT (1623-1677) I. Notices & Études par Albert Deblaere

Mystique flamande, 2017, 1-413

sous/n° 124-133 mystiques XVIIe & récents :

130.Petyt-11mars17-I-Deblaere.docx



Maria Petyt (1623-1677) est une figure flamande qui égale les plus grandes mystiques françaises de son siècle. Elle vécut peu après Marie de l’Incarnation du Canada (1599-1672) et avant Madame Guyon (1648-1717). Maria témoigne comme ces dernières d’une expérience mystique menée à terme, partage leur indépendance et connut parfois la solitude propre aux spirituels. Moins célèbre que ses compagnes à cause du rayonnement moindre de la langue flamande et par une vie cachée au sein d’une des nombreuses petites communautés béguinales qui restaient indépendantes des grands Ordres (même si Maria se rattacha au carmel sous l’influence du confesseur).

En attendant que paraisse un jour une traduction complète de ses témoignages écrits en flamand, j’assemble un dossier de celles qui, rendues disponible en français depuis longtemps, sont pourtant devenues pratiquement inaccessible. Les publications de son premier traducteur furent en effet disséminées dans des revues spécialisées en diverses contributions.

L’intérêt du dossier dépasse celui d’un assemblage de traductions de la mystique Maria grâce à la valeur du pénétrant et profond spirituel Albert Deblaere



MARIA PETYT (1623-1677) II. Textes traduits par Louis van den Bossche & leurs contextes

Mystique flamande, 2017, 1-386

sous/n° 124-133 mystiques XVIIe & récents :

131.Petyt-11mars17-II-Trad Bossche&Contexte.docx

Après avoir bénéficié de l’intérêt qui fut porté avec constance sur Marie Petyt par le très pénétrant spirituel Albert Deblaere, voici en tome II les traductions antérieures entreprises par Louis van den Bossche, dont se détache une suite continue autobiographique.

Cet ensemble de textes livre une expérience mystique menée sur toute la durée d’une vie en suivant un cheminement divers, mais ascendant. L’intériorité est associée au rendu précis et vivant d’une vie journalière concrète menée de façon discrète au sein du monde bourgeois flamand.

4 François d’Assise et disciples du XVIIsiècle



François d’Assise 1181-1226 – Franciscains mystiques au XVIIe siècle – Benoît de Canfield 1562-1610 – Martial d’Étampes 1575-1635 — Constantin de Barbanson 1582-1631 – Maria Petyt 1623-1677 – Pierre de Poitiers ~ 1683 —…



François d’Assise

François d’Assise et ses disciples

2018, 1-662 en version longue, 1-327 en version allégée

(27] 21. François vu par ses disciples édition 7.odt (28) François vu par ses disciples allégé 1mars20.odt



Quelques « pages » de François

Du commencement de l’Ordre

Légende des trois compagnons

Compilation d’Assise anciennement dénommée Légende de Pérouse

Actes du bienheureux François

Histoire de Tertiaires


Franciscains mystiques au XVIIe siècle



D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle :


Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines [Observants, Tiers Ordres, récollets]

[29] Franciscains I. docx

2014, 1-397


Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme capucine.

(30) Franciscains II.doc

2014, 1-398



Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini], Nécrologe capucin - Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil], Figures mystiques féminines, minimes, Un regard sur les héritiers - Tables.

(31) Franciscains III.doc

2014,1-268




Éditions du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection « Sources mystiques », 2014.

Compte tenu de l’importance de la permière étude francisaine traitant de la France au XVIIe siècle, voici la table réduite aux deux premiers niveaux de titres :


LA VIE MYSTIQUE CHEZ LES FRANCISCAINS I

INTRODUCTION

Présentation générale

Résumé de l’ouvrage

L’humus

Figures mystiques du XIVe au XVIe siècle


FIGURES MYSTIQUES DES TRADITIONS FRANCISCAINES AU XVIIe SIÈCLE

OBSERVANTS.

Pierre Petit (vers 1530)

Pierre David (-1672)

TERTIAIRES REGULIERS ET LAICS

La règle commentée par Denys le chartreux et Vincent Mussart

Billets de Noël

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646)

Jean de Bernières (1602-1659)

Catherine de Bar (1614-1698)

Jean Aumont (1608-1689)

L’école du Cœur

Jean-Marie de Vernon († apr. 1686)

RECOLLETS.

Séverin Rubéric († après 1625)

Victorin Aubertin (1604-1669)

Eloy Hardouin de S. Jacques (1612 ?-1661)

Archange Enguerrand (1631-1699)

Maximien de Bernezay


LA VIE MYSTIQUE CHEZ LES FRANCISCAINS II

Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine.

LES FONDATEURS

Benoît de Canfield (1562-1610)

Archange de Pembroke (†1632), dirige la Mère Angéliqu

Joseph de Paris (1577-1638) , « l’Éminence grise 

Martial d’Étampes (1575-1635)

Jean-François de Reims (†1660)

Des Capucins spirituels

UNE EXTENSION EUROPÉENNE

Gregorio da Napoli (1577-1641)

Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635)

LES DÉFENSEURS DU VÉCU MYSTIQUE

Pierre de Poitiers

Simon de Bourg-en-Bresse (†1694)

Paul de Lagny (†1694)

Alexandrin de La Ciotat (1629-1706)


LA VIE MYSTIQUE CHEZ LES FRANCISCAINS III

Figures mystiques féminines, Minimes, Un regard sur les héritiers.

Le cadre historique.

FRANCISCAINES

Ana Maria de San José (1581-1632), clarisse

Anne-Marie du Calvaire (1644-1673), clairette

MINIMES

Nicolas Barré (1621-1686)

Boniface Maes (1627-1706)

UN REGARD SUR LES HÉRITIERS 

Les successeurs dans « l’école de l’amour pur 

Ambroise de Lombez (1708-1778)

Jeanne de la Nativité [Le Royer] (1731-1798), clarisse.


LE CADRE HISTORIQUE

LE FRANCISCANISME ET L’INVASION MYSTIQUE. [Jean-Marie Gourvil]

UN GRAND SIECLE FRANCISCAIN A PARIS (1574-1689) [P. Moracchini]

1) L’héritage médiéval

2) Les capucins

3) La réforme du Tiers-Ordre régulier

4) les récollets

5) les implantations féminines au XVIIe siècle

6) Le Tiers-Ordre séculier.

7) La famille franciscaine

NECROLOGE DES CAPUCINS DE LA PROVINCE DE PARIS [Dominique Tronc]


ANNEXES

Annexe I : TURBA MAGNA

Annexe II : ESSOR ET MATURITÉ CAPUCINE

Annexe III : FILIATIONS CAPUCINES ET INFLUENCES

Annexe IV : L’IMPORTANCE DES BRANCHES FRANCISCAINES en France au XVIIe siècle



Cette table d’ensemble des trois tomes figure dans le fichier livré pour édition, à la fois plus complet que cette dernière et imparfaite si l’on tient compte de dernières corrections :

Mys franciscains 3tomes 24 juin titré antidoté BIS.odt



Benoît de Canfield



Benoît de Canfield, La Règle de perfection, Quinze chapitres de De la volonté de Dieu essentielle, d’après la première édition, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc,

Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009

1-170

(32) Canfield Règle [Arfuyen] pour JCh.doc


[Troisième partie de la Reigle collationnée sur le ms. de Troyes.]







Martial d’Étampes



Martial d’Étampes, Maître en Oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen et D. Tronc, Éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2008, 247 p. [comporte une étude et des écrits de cet éminent mystique capucin du début du XVIIe siècle.]



Constantin de Barbanson

I LES SECRETS SENTIERS DE

L’ESPRIT DIVIN

Manuscrit précédant


LES SECRETS SENTIERS DE

L’AMOUR DIVIN

Ouvrage publié à Douai en 1629



Œuvres mystiques présentées et annotées par

Dominique Tronc

1-515


(33) Constantin de Barbanson Les Secrets sentiers de l'Esprit - de l'Amour divin.odt



I. Les Secrets sentiers de l’Esprit divin reproduit le manuscrit d’une retraite faite à des franciscaines capucines. Constantin livre dans cet Esprit divin un exposé de la vie mystique délivré oralement et sans détour. Ce premier texte est assez bref en comparaison de l’Amour divin qui suivra. Nous le faisons précéder d’une étude sur Constantin et le faisons suivre de documents devenus difficilement accessibles.

II. Les Secrets sentiers de l’Amour divin furent imprimés plusieurs années après l’exposé oral de l’Esprit divin. Cette mise en forme réfléchie et prudente fut la seule œuvre rééditée de Constantin.



Constantin de Barbanson

II ANATOMIE DE L’ÂME

Première partie : Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu’à l’état expérimental de la grâce supernaturelle.

Deuxième partie : Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l’être de la déiformité, après la mort de la propriété

Troisième partie : En laquelle est enseigné comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter, pour faire progrès en icelle, et y acquérir plusieurs degrés jusqu’à la fin de sa vie.


Œuvres mystiques présentées et annotées par

Dominique Tronc

1-555


(35) Constantin de Barbanson Anatomie de l'âme en un tome.odt


Il venait de terminer le manuscrit de l’Anatomie de l’âme lorsque la mort brutale par hémorragie cérébrale le surprit le 26 novembre 1631. L’édition, un «  cube » de plus d’un millier de pages denses, fut établie grâce à la fidélité d’un compagnon pour rendre hommage à une vie exemplaire : « Tous les témoignages nous [le] montrent bon jusqu’à l’extrême limite, celle qui voisine avec la faiblesse, bon par détachement, aimé et vénéré de tous… ». Il présente une « voie affective ou mystique par négation… Aussi la volonté est-elle, d’après les Secrets sentiers, la principale faculté mystique. Entendez… surtout l’amour. »

L’ouvrage demeura rare et méconnu malgré sa très grande valeur et originalité : je le réédite pour la première fois...

Pierre de Poitiers


LE JOUR MYSTIQUE

Ou l’éclaircissement de l’oraison ou théologie mystique

Choix établi et présenté par moniale-ermite

Marie de l’Enfant-Jésus



Coll. « Sources mystiques », Ed. du Centre Saint-Jean dela-Croix

2016, 1-413



(38) Pierre de Poitiers Le Jour Mystique...après relecture(s.Marie)- rev.DT(annot. & table & lect).doc

« LE JOUR MYSTIQUE »

DE

PIERRE DE POITIERS


Edition intégrale

Lulu, 2020, 1-601 (en petit corps)



(38) Pierre de Poitiers Le Jour Mystique (intégral) révisé. docx



Pierre de Poitiers est un «médecin de l’âme» qui a tenté de couvrir son domaine d’expertise. Il mérite un effort allant au-delà d’une appréciation accordée à bien d’autres mystiques. On ne feuillettera pas d’une traite l’outil ici assemblé. Il sera consulté comme on le fait d’un manuel de santé.

C’est l’unique et dernier exposé paru en occident chrétien couvrant la vie mystique considérée dans sa pratique et dans son ensemble. En 1671 les novices franciscains capucins se font rares et la littérature de direction pratique va disparaître de notre horizon culturel. Mais il demeure ce testament de Pierre de Poitiers, édifice construit en défense de la vraie mystique.



5 Filiation ou école de l’Amour pur

/n° 40-51 Filiation [articles-Chrysosotme-Bernières] &

/n° 52-67 Filiation [Marie des Vallées-Mectilde-Bertot] &/

/n° 100-107 Filiation [Fénelon et disciples

Comporte  les volumes édités chez lulu — parfois à reprendre en correction fine harmonisant styles et présentation1205.

Liste des auteurs repris infra un par un dans l’ordre chronologique. Certains font l’objet de plusieurs ouvrages ainsi regroupés

Marie des Vallées 1590-1656

Jean-Chrysostome de Saint-Lô 1594-1646

Jean de Bernières de Louvigny 1602-1659

Mère Mectilde 1614-1698

Les Amis des Ermitages de Caen et de Québec

Monsieur Bertot 1620-1681

Fénelon 1652-1715

Père Lacombe 1640-1715

La « Petite Duchesse » de Mortemart 1665-1750

Exraits des Mémoires de Saint-Simon

Guyonniens du Siècle des Lumières

Disciples Ecossais

Etudes



Marie des Vallées

La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé Rédigés par Jean Eudes suivis de Conseils d’une grande servante de Dieu

Sources mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix

2013, 1-315 en grand format A4

[53] MdV_DEFINITIF_3jan13_nettoyé_antidoté.doc

édité :

La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis de Conseils d’une grande servante de Dieu/Textes présentés et édités par Dominique Tronc et Joseph Racapé, cjm/Avec la collaboration de la Congrégation des Eudistes, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection « Sources mystiques »

2013, 1-693



« La Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire […]: « Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! [] Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort. » (Julien Green)

Influence mystique et postérité de Marie des Vallées

Journée du 1er juin 2013 à Coutances

Dominique Tronc

2013, 1-8 en A4

[54] Influence mystique et postérité de M des V [Coutances] 1juin13). docx


édité :


Revue Vie Eudiste, Hors série « Marie des Vallées Colloque du 1er juin 2013 », 2014, contribution 39-48.

Marie des Vallées La Vie Admirable [choix]

Choix établi et présenté par Dominique et Murielle Tronc


(52) MARIE_DES_VALLEES_Arfuyen_20oct2010.doc

(52) Correctif… juin 2013.doc

édité :

Arfuyen

2010, 1-209.





Jean-Chrysostome de Saint-Lô

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646)

Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise,

Fondateur de l’École du Pur Amour.



Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc.

2017, 1-377, Lulu

(43) Chrysostome 18 avril antidoté. docx





Ce dossier contient  de larges extraits prélevés dans les sources qui nous éclairent sur les débuts de «l’école du cœur» : rédigées, outre par le P. Chrysostome, par l’historien de l’Ordre Vernon, par le spirituel Boudon, par Bernières et Mectilde. Voir au verso la table :





Présentation

Les débuts du tiers Ordre franciscain — Vincent Mussart — Notices (J.-M. de Vernon)

La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest (J.-M. de Vernon)

L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome (Henri-Marie Boudon)

Divers exercices de piété et de perfection (Chrysostome de Saint-Lô édité par M. de Bernières)

Divers traités spirituels et méditatifs (Chrysostome de Saint-Lô édité par Mère Mectilde)

Deux directions : Monsieur de Bernières et Mère Mectilde (Extraits prélevés dans les sources précédentes)







Jean de Bernières

Jean de Bernières Le Chrétien intérieur/textes choisi suivis des Lettres à l’Ami intime



(44) BERNIÈRES ARFUYEN Chrétien et lettres à l’ami .doc

+ Correctif

Edité

Arfuyen

2009, 1-200



Jean de Bernières Œuvres mystiques I L’Intérieur Chrétien suivi du Chrétien Intérieur et des Pensées


Edité

Sources Mystiques, Editons du Carmel et du Centre Jean-de-la-Croix, 2011, 1-518

& Lulu 1-278 en A4



page de titre :

JEAN DE BERNIÈRES

Œuvres mystiques I

L’Intérieur Chrétien/suivi du/Chrétien Intérieur/Et des Pensées

/Édition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc


(45) Bernières Oe mys I Chrétiens… D Tronc (collSM Ed.du.Carmel) .doc







Jean de Bernières

Tome I Lettres & Maximes 1631-1646

Tome II Lettres & Maximes 1647-1659

Suivant l’ordre chronologique de la Correspondance

Citant des extraits du Chrétien Intérieur et d’auteurs mystiques

2019, 1-686 & 1-687 Lulu en préparation de l’édition en

Deux tomes sous presse chez Champion

(47) Correspondance Bernières 1631-1646 Champion 8fév19.odt

(48) Correspondance Bernières 1647-1659Champion 8fév19.odt

Correspondance établie et commentée par Dom Éric de Reviers, o.s. b., (avec contributions par D. Tronc et par Jean-Marie Gourvil)


Jean de Bernières, Florilège de la Correspondance

2019, 1-108, Lulu

(46) Cor.Bernières CHX revu avec add et thèmes. odt

Un choix de lettres opéré sur les tomes précédents I et II par D. Tronc


Dossiers Bernières, Mectilde, Bertot


(49) Correspondance… Mectilde.odt

destiné à la collection Mectildiana

(50) Corrrespondance… Bertot

Sélections de lettres par corrrespondants opérées sur les tomes précédents I et II par D. Tronc



Rencontres autour de Jean de Bernières mystique de l’abandon et de la quiétude

Thierry Barbeau

John Dickinson

Jean-Marie Gourvil

Isabelle Landy

Joël Letellier

Bernard Pitaud

Joseph Racapé

Éric de Reviers

Dominique Tronc

Annamaria Valli

Avec des textes de Jean de Bernières


édité :

PAROLE ET SILENCE

2013, 1-596

collection « Mectildiana »

(51) Rencontres autour de Jean de Bernières (Parole et Silence 2013

Mère Mectilde



Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698)

Page de titre :

Catherine de Bar/1614-1698/Moniale et fondatrice bénédictine au XVIIe siècle

Dominique Tronc/avec l’aide de moniales

de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement

Mectildiana/Parole et silence

édité :

2017, 1-343 (Parole et Silence)

&

2017, 1-420 (Lulu)

(55) Mectilde Amitiés éd.7 b.docx

Un Florilège établi par/Dominique Tronc/avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement.

Itinéraire spirituel & origine des conférences

Par Véronique Andral, osb. ap. 1997

Suivi des

Entretiens familiers

Par Marie-Catherine Castel, osb. ap. 1984

Réimpression par D. Tronc

2016, 1-308

(56) Mectilde, Itinéraire & Entretiens & Recueil.docx








TOTUM d’écrits de MECTILDE

2015, 1-1574 [!] en grand format A4 


(57) MECTILDE totum intégral (ocr éditions modernes). docx

Ce TOTUM contient les principaux ouvrages publiés par les Bénédictines du Saint-Sacrement photographiés et reconnus - les ocr restent à corriger : appel à une « cbonne âme » ! Il a été constitué par D. T. pour établir ses « Amitiés mystiques de Mère Mectilde » 


Vaste ensemble photographié de manuscrits de l’Ordre fondé par Mectilde

L’entrée « /MYS_17revu/17e s MECTILDE/etc. »

couvre 38,4 Go soit de dimension comparable à l’entrée GUYON.! L’exploration de ce fond parfois « quiétiste » protégé par l’Ordre fondé par Mectilde reste à exploiter !








Les Amis des Ermitages de Caen et de Québec

LES AMIS DES ERMITAGES DE CAEN & DE QUEBEC

Dossier assemblé par Dominique Tronc


I. FILIATION ET AMIS

II. DIRECTIONS MYSTIQUES

III. MEMBRES DU CERCLE NORMAND

IV. MARIE DE L’INCARNATION

V. LIENS (MI-Bernières)

VI. DOCUMENTS (Québec)


2015, 1-532

Amis ermitages Caen Québec 1juillet15.doc + Quatrième…

= texte complet incluant

IV. MARIE DE L’INCARNATION (Correspondance) 271-506


&


2017, 1-193

(58) Amis ermitages Caen Québec 1juillet16-revu17.docx

= un début de choix   



Monsieur Bertot

JACQUES BERTOT Directeur Mystique

Textes présentés par Dominique Tronc

Sources mystiques

Éditions du Carmel

2005, 1-580

(60) BERTOT DM sept 05 (avec p titre & 4è couv) .doc

(60 Bertot DM.pdf

[un choix]



[l’opus complet  du Directeur mistique de Madame Guyon et d’autres :]



MONSIEUR BERTOT Directeur mystique I Opuscules et Lettres

2019, 1-713 

(61) Bertot Traités Lettres octobre Digest.odt


MONSIEUR BERTOT Directeur mystique II Lettres

2019, 1-710

(62) II Bertot.odt

MONSIEUR BERTOT Directeur mystique III Retraites et Amis

2019, 1-725

(63) III Bertot.odt

Marie des Vallées —Jean de Bernières —Mère Mectilde —Maur de l’Enfant-Jésus —Jeanne-Marie Guyon


Opus complet : travail mené par Dominique Tronc avec la collaboration de Benoît-michel Emond.

Après vingt années qui ont permis de faire mieux connaître Madame Guyon il est temps de mettre en valeur son propre maître. Ce directeur discret  nous apparaît aujourd’hui comme parfois plus dense et par là il est le préféré de quelques-un(e)s.

On trouvera donc l’intégrale de ce qui nous en est parvenu, primitivement édité en sept volumes égrenés au cours du temps sans nom d’auteur. Le choix que nous avions établi il y a vingt ans  ne serait plus le même aujourd’hui.




Archange Enguerrand

Archange ENGUERRAND


2017, 1-199

(59) Enguerrand total formaté 14x21.6.docx


Directeur franciscain récollet (1631-1699) — Le « Bon religieux » qui introduisit Madame Guyon à la vie intérieure


Étude et Lettres par A. Derville, S.J.

Dossier de correspondances assemblé par Dominique Tronc







Père La Combe

FRANÇOIS LA COMBE (1640-1715)

2016, 1-665

103. François Lacombe 3e édition. docx


VIE, ŒUVRES, ÉPREUVES

du Père Confesseur de Madame GUYON

Dossier des Sources assemblé et commenté par Dominique Tronc



TABLE

FRANÇOIS LACOMBE MYSTIQUE ET MARTYR


I. UN SAVOYARD ACTIF (1640 - 1687)

UN RELIGIEUX PLEIN D’AVENIR 1640-1681

MADAME GUYON TEMOIGNE DE LEUR RENCONTRE ET DE LEUR ACTION COMMUNE (1681-1686)

PREMIERS ÉCHANGES ÉPISTOLAIRES (1683, 1685)

Echanges avec Madame Guyon

Echanges avec Mgr d’Aranthon d’Alex

II. ECRITS D’UN DIRECTEUR SPIRITUEL

UNE BREVE INSTRUCTION (1682 – 1687)

MAXIMES SPIRITUELLES (– 1720)

PRÉFACE AU CANTIQUE DE MADAME GUYON (1683 – 1684)

ORATIONIS MENTALIS (1685) : DE L’ORAISON MENTALE traduit sous le titre VOIES DE LA VÉRITÉ (1795)

III. VINGT-HUIT ANNÉES DE PRISON (1687 – 1715)

MADAME GUYON TÉMOIGNE DANS SA VIE PAR ELLE-MEME

LETTRES DE PRISONS (1690 - 1695)

APOLOGIE du P. La Combe par lui-même

Réponse à ce qui est dit du Père La Combe et d’une Dame dans la Vie de Mre Jean d’Aranton, évêque de Genève

Dernière trace

Madame Guyon se souvient

Témoignages de Dupuy


ETUDE [en cours] :

Choix orienté vers une lecture « spirituelle »


SOURCES ASSOCIEES

« La Combe » étudié par Jean Orcibal

Le P. Lacombe cité dans le « Supplément à la Vie de madame Guyon »

Un renseignement sur le sort du confesseur.

Un résumé (tendancieux) de la doctrine du P. Lacombe

Mère Bon (1636-1680) contemplative ursuline influente sur le P. Lacombe.

Vittorio Augustin Ripa (-1691) évêque ‘quiétiste’ 


Fénelon

FRANÇOIS DE FÉNELON

Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie

Arfuyen

2002, 1-195

100. FÉNELON LE GNOSTIQUE LA TRADITION.doc


Le Gnostique s’inscrit dans une tradition chrétienne sous la forme d’un courant mystique qui traverse les siècles. Ainsi, le carme historien Honoré de Sainte-Marie (1651-1729) mit en valeur ce courant en décrivant siècle après siècle ses figures : pour lui, « Jésus apparaît comme le premier des mystiques, ayant connu toutes les manières de contempler


FÉNELON MYSTIQUE un Florilège

Choix établi et présenté par Dominique Tronc

2016, 1-475

101. Fénelon_mystique_21nov20.odt


Une rencontre mystique

Le témoignage de madame Guyon

Des premiers échanges

Fénelon défend madame Guyon

Fénelon maintient secrètement le contact

Oeuvres & Opuscules spirituels

Lettres de direction

Madame de Maintenon (1635-1719)

Marquis de Blainville (1663-1704)

Comtesse de Gramont (1640 ?-1708)

Dom François Lamy (1636-1711)

Duc (1656-1712) puis duchesse (-1752) de Chevreuse

Comtesse de Montberon (~1646-1720)

Duc (1648-1714) et duchesse (-1733)de Beauvillier

À Marie-Christine de Salm (1655- ?)

A la Marquise de Risbourg ( ~~1670-1720)

Madame de la Maisonfort (1663-après 1717)

Vidame d’Amiens 1676-1744

Marquis de Fénelon (1688-1746)

Charlotte de Saint-Cyprien (~1670-1747)

Duchesse de Mortemart (1665-1750)

À une Dame (Y) - À une demoiselle (Z)

Au duc de Bourgogne - À des correspondants connus

À des religieuses - À des dames  - À des Inconnus

« Conclusion »





LA DIRECTION DE FÉNELON PAR MADAME GUYON

Correspondance présentée et éditée par Murielle et Dominique Tronc

[extraite de Madame Guyon Correspondance I Directions]

1-519

102. Guyon -Fénelon 8fév15.doc




OCR de la Correspondance de Fénelon

143.OCR CF I à IX formaté.docx

144.OCR CF X à XVIII fin formaté.docx

La « Petite duchesse » de Mortemart

MARIE-ANNE DE MORTEMART (1665-1750)


2016, 1-275

104. Mortemart 18oct16.docx


La «  petite duchesse » en relation avec madame Guyon,

Fénelon et son neveu


UNE ESQUISSE BIOGRAPHIQUE

Esquisse

Le successeur dans la filiation ?

Opinions de Fénelon et de Chevreuse

Traits relevés par Saint-Simon

LETTRES DES DEUX DIRECTEURS

DE MADAME GUYON

DE FENELON

Choix de citations extrait de la série complète des lettres

Série complète des lettres

LETTRES DE MORTEMART AU MARQUIS DE FENELON

Annexe. Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie : une équipe ?

Annexe. Les enfants Colbert

Annexe. Les enfants Mortemart





Extraits des Mémoires du Duc de Saint-Simon

Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches

Un choix d’extraits établi par Dominique Tronc

1-367

105. Saint-Simon révisé formaté antidoté.docx



Guyonniens du Siècle des Lumières

ÉCOLES DU CŒUR AU SIÈCLE DES LUMIÈRES

Disciples de madame Guyon & Influences

1-255

106. Ecoles...Lumières-avril2016.docx

Repris en grande partie dans Expériences V Filiations de la Quiétude

Disciples écossais

MYSTICS OF THE NORTH-EAST

INCLUDING

I. LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS TO LORD DESKFORD

II. CORRESPONDENCE BETWEEN DR. GEORGE GARDEN AND JAMES CUNNINGHAM


EDITED, WITH INTRODUCTION AND NOTES, BY G. D. HENDERSON, B.D., D.LITT.


1-390

Réédition de « l’introuvable » ouvrage d’Henderson ~ 1930

107. Henderson Mystics Introduction et Lettres. doc

Etudes DT

3 [2003] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116. [Wikipedia, article sur Madame Guyon révisé, présente un lien vers cairn.be (la distribution électronique Cairn pour les éditions des Presses Universitaires de France) qui reproduit « Une filiation… » — par ailleurs traduit  in Recherchen XXVI, Benediktinerinnen, « Weitergabe eines mystichen Erbes… », Köln 2008.]

(40) Une filiation mystique… [txt pour art., 2003] .doc

5 [2004] D. Tronc, « L’expérience “quiétiste” de Madame Guyon », Mélanges Carmélitains, Téqui éd., vol. 2 [2004], 349-395. [Florilège].

136. L’expérience quiétiste de Madame G [Mélanges carmélitains 2004] — modifié .doc

6 [2004] D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, Inst. Cath. de Paris, n° 91, juillet-septembre 2004, 121-149. [Repris partiellement en 2009, Les années d’épreuve…, « Annexes, Le procès des mœurs », 450-462.]

(41) Mme Guyon au centre d’une filiation 1mars18.docx

[42] Madame Guyon at the centre of a mystical transmission. odt

137.D. et M. Tronc Contemplation et vie ordinaire au 15Juin2019.odt


Consulter le dossier/« n° 134-148 Dominique Études » pour des conributions secondaires.





6 Jeanne-Marie Guyon



Corpus de ses écrits mis en ordre chronologique. 12 tomes

Études et Témoignages, Tables. 2 tomes

Éditions précédentes. 6 vol. chez l’éditeur Champion, 2 vol. en Sources mystiques, etc. : voir bibliographies infra.



Corpus d’écrits mystiques essentiels.

/n° 87-99 Guyon (opus)

14 volumes assemblés et révisés.

Avertissement 

Cette série reprend et complète des textes édités et présentés par Dominique Tronc dans les collections « Sources classiques », « Bibliothèque des correspondances », « Pages d’archives » de l’éditeur Champion ; dans la collection « Sources mystiques » publiée au Centre Jean-de-la-Croix ; dans la série « Chemins mystiques » imprimée en ligne. On trouvera les références antérieurement publiées dans la seconde partie du présent « catalogue ».

À court terme il s’agit d’assurer l’accès aux principaux écrits mystiques de Madame Guyon en imprimés à coûts accessibles et en fichiers électroniques.

À long terme il s’agit de préparer une édition critique de l’essentiel mystique guyonien : travail inachevé, « work in progress » !

La reprise d’éditions déjà imprimées — aux numéros 1 à 3, 5 à 9 sur quatorzepose un problème de droits en ce qui concerne l’éditeur Champion ; le problème est levé pour la collection « Sources mystiques ».

Tous les volumes seront diffusés à prix coûtant. Les numéros sous droits sont réservés aux amis ou seront rendus disponibles après demande.

Le présent Corpus représente environ la moitié des écrits de la « Dame directrice ». Ordre chronologique. Omissions signalées1206.

Il est ordonné en suivant autant que possible l’ordre chronologique pour mieux rendre compte d’une trajectoire mystique ascendante.


Douze tomes de Guyon, treizième sur Guyon enfin quatorzième d’outils :




1. La Vie par elle-même I « Jeunesse » - Témoignages – II « Voyages »

Fichier : 1 (87) Vie I II Témoignages. odt

Pages 1-643

2. Explications des Écritures

2 (90) Explications ATNT.odt

1-556

Les Explications des Écritures représentent vingt tomes publiés au dix-huitième siècle. Nous les réduisons à un choix ne couvrant moins du dixième de notre édition des œuvres choisies de Madame Guyon.

3. Oeuvres mystiques : Moyen Court – Torrents – Abrégé – Cantique — Poèmes

(95) Oeuvres MC Cantique Poèmes. odt

1-576

Présentation générale (Dominique Tronc)

Jeanne Guyon dans la Tradition mystique chrétienne (Max Huot de Longchamp)

Préface aux Opuscules (Pierre Poiret)


ŒUVRES de Madame GUYON :

Les Opuscules spirituels

Moyen Court et très facile de faire oraison

Les Torrents spirituels

Petit abrégé de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu

Abrégé de la Perfection chrétienne

Le Cantique… interprété selon le sens mistique…

Traité du Purgatoire

Renvoi à d’autres écrits normatifs

Poésies et cantiques spirituels

L’âme amante de son Dieu représentée dans les emblèmes…

Les effets différents de l’amour sacré et profane



4. Correspondance I Mme Guyon dirigée puis directrice de Fénelon

4 (91) Corresp I …. odt

1-714


Présentations

Madame Guyon dirigée

[par Le P. Maur de l’Enfant-Jésus et par Monsieur Bertot]

Lettres et témoignages 1681-1688

[textes «  de jeunesse » ou écrits durant la première moitié de vie]

Madame Guyon établie «  dame directrice  »  

[21 de ses lettres concluent le «  Directeur mistique »]

La direction de Fénelon à partir de fin 1688

[années 1689 - 1690 — non datées ou d’après 1703]


5. Correspondance II Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694

5 (92) Corresp II …. odt

1-653


Directions du marquis de Fénelon

Lettres à d’autres correspondants

Directions de Poiret & Homfelt, de Metternich, d’écossais, de suisses.

Correspondance 1682-1694

[hors Fénelon : lettres au duc de Chevreuse, à la «  petite duchesse » de Mortemart, à Bossuet, de Lacombe…]

6. Justifications I clés 1 à 44

(6) 97 Justifications clés 1-44.odt

1-532

Édition introduite par Dominique Tronc, 2020

Page de titre :

«LES JUSTIFICATIONS»

Un Florilège mystique assemblé par Madame Guyon et Fénelon

I

Clés 1 à 44



7. Justifications II clés 45 à 69 — Autorités des Pères grecs 

(7) 98 Justifications clés 45sv.odt

1-531

8. La Vie par elle-même III « Paris » – Les Prisons — Compléments

8 (88) Vie III Prisons compléments. odt

1-614


LaVie par elle-même III « Paris »

[troisième partie depuis son retour en France]

Les prisons, récit autobiographique

La Vie, Compléments biographiques

[sept lettres & quatre cantiques]

Textes complémentaires

[dont « Supplément à la Vie », « Histoire des dernières années »]

Textes des procès

[Lettres, protestations de soumission, attestations, etc]

Variantes

[de l’ensemble : Vies I II III Prisons Compléments]


9. Correspondance III Août 1694 à Mai 1698 


9 (93) Corresp III De 1694 à la Bastille.odt

1-476

Page de titre :

MADAME GUYON

CORRESPONDANCE III

Procès et prisons

Août 1694 — Mai 1698

[Lettres à ses correspondants  : au duc de Chevreuse puis à la « petite duchesse » de Mortemart — plus rarement à d’autres]



10. Correspondance IV Chemins mystiques 


(10) 94 Corresp IV Voies mystiques.odt

1-676

Page de titre :


MADAME GUYON


CORRESPONDANCE IV


CHEMINS MYSTIQUES


[Lettres éditées au XVIIIe siècle par Poiret puis Dutoit en cinq tomes regroupées en I. « » état des commençants », II. « Un état plus avançé », III. « Un progrès qui va encore plus loin »]


11. Les années d’épreuves, emprisonnements et interrogatoires

11 (89) Epreuves.odt

1-565

Page de titre :

LES ANNÉES D’ÉPREUVES DE MADAME GUYON

Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi très Chrétien

Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement

Dominique Tronc


12. Discours sur la Vie intérieure

12 (96) 156 Discours.odt

1-663

Page de titre :


Madame GUYON


Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets

qui regardent la vie intérieure [intégrale]


Présentés par Murielle et Dominique TRONC


[édition intégrale après celles de notre choix]



13. Biographie & Études

13 (99) Biographie & Etudes.odt

1-487


Éléments biographiques

Accès à l’Oeuvre

Témoignages (du Duc de Chevreuse — d’Isaac Dupuy)

Études (de J. Baruzi, L. Cognet, J. Orcibal)

Études (D. Tronc)



14. Des Tables & des Index

14 (99) Indexes & Tables.odt

1-244


Table générale des pièces figurant dans les trois volumes de la Correspondance publiés par Champion-Slatkine.

Table des principaux titres de tous [12] les tomes.

Etc.



§


L’« Opus Guyon » reprend les textes édités et présentés par D. Tronc dans les collections de l’éditeur Champion ; et ailleurs dans les collections « Sources mystiques » et « Chemins mystiques ».


À court terme il s’agit d’assurer l’accès aux principaux écrits mystiques de Madame Guyon sous forme d’imprimés à coûts accessibles et de fichiers électroniques.


À plus long terme, il s’agira d’éditer un essentiel mystique guyonien.



Éditions antérieures ou hors corpus

/n° 68-81 Guyon &/n° 82-86 Guyon (suite)


Éditions Lulu.com (intérêt par leur choix ou par complément au corpus)


Titres et noms de fichiers confondus :(71) Mme Guyon extraits (Elisabeth Toulouse 2016) .pdf


(73) Madame Guyon écrit sur la vie intérieure D & M Tronc (Arfuyen 2005) .doc [= un choix]


Madame Guyon Oeuvres mystiques D Tronc & ét. M. de Longchamp (Champion 2008).doc

Les Œuvres mystiques de Madame Guyon couvrent l’ensemble de ses productions (à l’exception de l’autobiographie), et couronnent la série des volumes précédents (Vie par elle-même et Correspondance en trois tomes). L’ordre chronologique adopté permet de suivre l’évolution de la mystique sur plus de trente années, depuis l’élan initial de la jeune femme jusqu’à son plein accomplissement. La théorie appuyée sur la tradition permet la direction : la pensée spirituelle est présentée de façon vivante par le Moyen court, dans les Torrents et l’Abrégé, et par les réflexions très profondes des Justifications. Les Explications de l’Écriture montrent une ample connaissance de la Tradition. La direction est couverte par un choix de Lettres et d’opuscules assemblés sous le nom de Discours spirituels, chef-d’œuvre jamais reproduit depuis trois siècles. [Quatrième].


(78) Madame Guyon 95 Lettres de Direction, un florilège. docx [= un choix]


OPUS Guyon description & accès. odt


L’âme amante avec images-complet.odt


Louis Cognet Crépuscule (14nov20).odt

Le célèbre Crépuscule des mystiques avec notes et corrections de J. Orcibal et annotations « en dialogue » de D. Tronc

Guyon dossier bio révisée (19nov20).odt

« Madame Guyon, un Florilège » par choix de privilégier les écrits originesl de Guyon et de proches contemporains.



Éditions Phénix/Procure

1 [2000] Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par D. Tronc, Paris, Phénix Éditions —La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ; puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-76

10 [2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix Éditions & hors commerce 2005, 441 p. [tirages limités épuisés ; aperçu in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382

Éditions Champion

2 [2001] Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Étude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. « de jeunesse » de Saint-Brieuc.]

4 [2003] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la première fois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

8 [2004] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier » utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

11 [2005] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle]

17 [2008] Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par D. Tronc, Étude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues — Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique… Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]

19 [2009] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la « décennie silencieuse » vécue à Blois après les prisons.]

Édition Centre Jean-de-la-Croix

49 [2016] Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, présentés par Murielle et Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection « Sources mystiques » Tome I et II, 344 + 314 pages [l’édition de ce choix de la plus grande partie des Discours achève la mise à disposition de l’essentiel de l’œuvre de Madame Guyon.]

Éditions sur le web

36 [2014] Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, Un choix, Ed. électronique Amazon Kindle, 2014, ~220 p. & Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

37 [2014] Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

38 [2014] Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 642 p.


12 [2005] Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discour





7 Lilian Silburn

Attention ! La communication de tomes de cette série1207 n’est pas d’actualité. Il ne pourra se faire sans l’accord préalable d’Amis. Ce travail a été fait pour faciliter une édition future lorsque les droits deviendront caducs soit après ~2030.


Présentation

[Futur] corpus des écrits

8 tomes.


Éditions précédentes [disponibles]

2 ouvrages.





LILIAN SILBURN

Lilian Silburn redécouvrit une Tradition mystique indienne oubliée, car aujourd’hui disparue. Ses travaux restent encore peu visités, car ils ont été publiés en français dans des ouvrages spécialisés ou sous forme de contributions dans une revue exigeante.

Mystique sans religion, n’appartenant à aucun groupement, n’en critiquant aucun, elle apprécia Plotin, Spinoza, Bergson. Elle entreprit une recherche qui la mena de l’Avesta à un Bouddhisme dont le « ni ceci ni cela » évite toute dogmatique réductrice — ce qui l’attirait. En témoigneront Instant et Cause  et Aux sources du Bouddhisme. Lilian S. s’attachera ensuite à une synthèse exceptionnelle qui se produisit puis fut protégée dans le Cachemire montagneux du nord de l’Inde.

L’érudite qui était en recherche d’une expérience purement intérieure menée de cœur à cœur, la trouva ! mais hors de son champ d’études, par la rencontre inopinée d’un mystique de culture sufi. Ainsi naquit une synthèse improbable, hors de toute croyance, mais vérifiée par expérience intérieure et contrôlée par un solide esprit critique. Lilian S. communiquera par la suite une expérience semblable autour d’elle.

La rencontre de traditions parfois tantriques de l’Inde classique avec le deuxième bouddhisme dit du Grand Véhicule, constitue un achèvement qui s’est produit paisiblement, peu avant le Xe siècle. Lilian Silburn n’affirme rien, elle traduit, elle explique et donne sens à un corpus de textes choisis d’accès difficile. Elle en découvre le fil d’or : la puissance mystique vécue par leurs auteurs.

L’ŒUVRE

Les tomes I à IV sont des études générales. Lilian S. et ses amis les mettent autant qu’il est possible à portée de tous. Les tomes V à VIII restituent le corpus rédigé par des mystiques sivaïstes cachemiri. Plus précisément, voici titres  et « signatures » :

I. Vie1208 et premiers travaux sur l’Inde classique expose recherche, rencontre et échanges avec un maître d’une toute autre origine, reproduit des contributions à L’Inde Classique, présente deux Upanisad (et un « programme d’études »). II. Instant et Cause cerne le mystère de notre « prison temporelle » tel qu’elle est analysée des Veda et des Upanisad aux bouddhismes. III. Revue « Hermès » est un recueil de contributions à une revue consacrée à une vie intérieure sans barrières, mais avec exigence. Elle inclut celles d’amis de Lilian Silburn. IV. Aux sources du Bouddhisme » expose un bouddhisme vécu mystiquement en éclairant ses textes essentiels.

V-VIII livrent quarante années d’études sivaïtes présentées chronologiquement. Il s’agit des traductions et d’éclairages portés sur le corpus sivaïte mystique reconstitué. La confluence entre Bouddhisme du grand Véhicule ouvert aux laïcs et une partie de l’Inde libérée des contraintes propres à l’ascèse, constitue une synthèse adaptée au monde d’aujourd’hui. Onze (ou treize) titres : V Paramartha, Vatulanatha, Vijnana Bairava, Bhakti ; VI Mahartamanjari, Hymnes de Abhinavagupta, Hymnes aux Kali Sivanandanatha, VII Sivasutra & Vimarsini, Kundalini VIII Spandakarika de Vasugupta, Tantraloka chapitres 1-5.



[Futur] Corpus des écrits.

8 tomes assemblés et révisés.

Volume 3 et 5 édité

LILIAN SILBURN I VIE ET PREMIERS TRAVAUX

LILIAN SILBURN, UNE VIE MYSTIQUE

DEUX UPANISADS

CONTRIBUTIONS A L’INDE CLASSIQUE

UNE LECTURE ANNOTÉE

1-635

151.L.ilian Silburn Tome I Vie & premiers travaux.odt


LILIAN SILBURN II INSTANT ET CAUSE

1-709

152. Lilian Silburn Tome II Instant et Cause.odt


LILIAN SILBURN ET SES AMIS dans la revue « HERMÈS »

1-708

Tome achevé au début novembre 2020

153. Lilian Silburn Tome III Hermès REVU.odt




LILIAN SILBURN IV AUX SOURCES DU BOUDDHISME

1-667

154. Lilian Silburn Tome IV Bouddhisme.. odt



LILIAN SILBURN V SIVAISME 1957-1964

LE PARAMÂRTHASÂRA

VATHULANATHA sûtra

LE VIJÑANA BHAIRAVA

LA BHAKTI

1-728

155.Lilian Silburn Tome V Sivaisme 1-2-3-4.odt

LILIAN SILBURN VI SIVAISME 2

La MAHARTAMANJARI DE MAHESVARANANDA AVEC DES EXTRAITS DU PARIMALA



HYMNES DE ABHINAVAGUPTA



HYMNES AU KÂLI LA ROUE DES ÉNERGIES DIVINES

1-721

156. Lilian Silburn Tome VI Sivaisme 5-6-7.odt



LILIAN SILBURN VII SIVAÏSME 3

SlVASÛTRA et VIMARSINI DE KSEMARÂJA

LA KUNDALINÏ ou L’ÉNERGIE DES PROFONDEURS

1— 488

157. Lilian Silburn Tome VII Sivaisme 8-9.odt

LILIAN SILBURN VIII SIVAÏSME

SPANDAKÀRIKÀ STANCES SUR LA VIBRATION DE VASUGUPTA & GLOSES

ABHINAVAGUPTA CHAPITRES 1 À 5 DU TANTRÂLOKA

1-698

158. Lilian Silburn Tome VIII Sivaisme 10-11.odt


Éditions précédentes [disponibles]

LILIAN SILBURN, LE VIDE, LES VOIES, LE MAÎTRE

Dossier rassemblant des contributions de Lilian Silburn dont celles parues dans la revue Hermès


1-264, Lulu, 2016, 2020

! Lilian Silburn Le Vide, les Voies, le Maître 21juin16.odt




TABLE DES MATIÈRES

LILIAN SILBURN 3

LE VIDE, LES VOIES, LE MAÎTRE 3

Dossier rassemblant des contributions de Lilian Silburn dont celles parues dans la revue Hermès 3

LE VIDE 7

Le Vide, le rien, l’abîme. 9

LES MODALITÉS DU VIDE 10

CONCENTRATION MENTALE ET VIDE MYSTIQUE SPONTANÉ 10

ASPECTS PASSIF ET ACTIF DU VIDE MYSTIQUE 14

VIDE INTERSTITIEL 18

VIDE DU DÉNUEMENT 21

VIDE ET DÉTACHEMENT DE LA QUIÉTUDE 21

VIDE ET COAGULATION 28

NUIT DE L’AMÈRE DESTRUCTION 32

VIDES INCONSCIENTS 36

ANÉANTISSEMENT ET RIEN 44

CONSCIENCE REVENUE SE DÉTACHANT SUR UN FOND DE VIDE INCONSCIENT 53

L’ABÎME 64

Les sept vacuités d’après le çivaïsme du Cachemire. 69

KHA, MOYEU, ET VIDE DE L’INTÉRIORITÉ 70

VYOMAN OU IMMENSITÉ DE LA CONSCIENCE 71

INTÉRIORITÉ ET VIDE INTERSTITIEL 72

VIDE INFÉRIEUR 73

VIDE INTERMÉDIAIRE 74

VIDE SUPÉRIEUR 75

VIDE UNIVERSEL DE L’ÉNERGIE OMNIPÉNÉTRANTE 76

VYOMAN OU IMMENSITÉ COSMIQUE 76

VIDE DE L’ÉGALITÉ (SAMANÂ) 76

VIDE SUPRAMENTAL (UNMANÂ) 77

SEPTIÈME VIDE 78

Introduction : « Accès au Sans-accès ». 81

L’ESSENCE 81

L’Essence unique et incomparable 82

L’indicible Essence 84

L’Essence vivante 87

Le Tout 97

LES VOILES 100

Intensité omnipénétrante de la lumière 101

Opacités des voiles ou des attributs divins 103

La taie sur l’œil ou le voile de la dualité 104

Le théâtre d’ombres 106

LES VOIES 110

La saisie par le cœur 110

La grâce 113

L’eau et la glace 116

Les trois voies 119

Les trois voies et la non-voie dans le Śivaïsme non dualiste du Cachemire. 123

Manifestation et retour à la source : le jeu divin 123

STANCES FINALES DU PREMIER CHAPITRE DU TANTRÂLOKA d’ABHINAVAGUPTA. 127

Les voies libératrices 128

STANCES DU TANTRÂLOKA : LA TRIPLE VOIE 131

La grâce et la triple absorption 132

VOIE DE L’INDIVIDU OU DE L’ACTIVITÉ 142

Opérations purificatrices 143

Les yogānga ou membres du yoga 144

Recueillement ou méditation (buddhidhyāna) 147

Le sacrifice du monde objectif 150

LA VOIE DE L’ÉNERGIE COGNITIVE 152

VOIE DIVINE OU DE LA VOLONTÉ 161

Triple aspect du reflet de l’univers dans la Conscience 166

L’ABSENCE DE TOUTE VOIE (ANUPÂYA) 170

LE TANTRASARA D’ABHINAVAGUPTA. 174

Chapitre I 176

Chapitre II 177

Chapitre III 178

Chapitre IV 183

Chapitre V 188

Le domptage du buffle.. 195

LES DIX ÉTAPES DANS L’ART DE GARDER LA VACHE par K'UO AN. 195

Avant-propos 195

Les dix étapes 197

Analyse : le domptage du buffle 204



LE MAÎTRE 207

Techniques de la transmission mystique dans le sivaïsme du Cachemire. 209

RÔLE DE LA GRÂCE 210

LES MAÎTRES 212

MODALITÉS DE LA TRANSMISSION 216

LES INITIATIONS 223

1. — Initiation du fils spirituel. 223

2. — Onction du guide spirituel (abhisheka). 228

De l’imposture à l’incompétence. Bons et mauvais disciples.. 232

Inde 233

Extrême-Orient 236

Christianisme 241

BONS ET MAUVAIS DISCIPLES 247

Autour d’un sadguru de l’Inde contemporaine. 252

TÉMOIGNAGES 254

I 254

II . 256

III . 265



VARIA 275

Un fil d’Ariane.  276

Sur le Nuage d’Inconnaissance. 279

Œuvres et abréviations. 284




Dom Georges Lefebvre Prière pure et pureté du cœur

1-131

132.dom Lefebvre prière pure et pureté du coeur.docx

Note de la réédition

Je réédite à l’usage d’amis un texte que nous n’avons pu retrouver en achat même d’occasion sur le Web.

Les notes sont données en petit corps ; de même également en petit corps les références marginales à Saint Grégoire.

Je souligne des passages que Lilian S. a marqués en marge d’un trait de crayon double, en ajoutant parfois entre crochets l’annotation marginale de L.



8 Mystiques du monde


Mystiques du monde : Antiquité – Europe chrétienne et moderne – Mystiques en terres d’Islam — Inde et Chine – Bouddhismes

12 tomes, bleu-vert.


Approches poétiques :

4 tomes, rouge.


On trouvera les fichiers 1. I antiquité 20fev20.odt jusqu’à 16.poètes d’occident chron 4avril T. TROISIEME.odt sous//n° Myst. du monde 1-6 et//n° Myst. du monde7-16.



1. Antiquité 444 pages

2. Antiquité 5e -10e 410

3.Moyen Age chrétien 457

4.Renaissance 561

5.Dix-septième 534

6.Europe 422

7.Islam I 496

8.Islam II 557

9.Inde 570

10.bouddhisme I Inde-Tibet 449

11.Bouddhisme II Chine-Japon 414

12.Chine 480

13.Poèmes Chine-Japon 612

14.Poèmes Occident I 608

15.Poèmes Occident II 628

16.Poèmes Occident III 516








MYSTIQUES DE L’ANTIQUITÉ JUDÉO-CHRÉTIENNE & GRECQUE Des origines au troisième siècle



Textes réunis par Dominique Tronc, 2020.


Livre de Job 

PLATON 

PHILON d’ALEXANDRIE

MATHIEU L’ÉVANGÉLISTE

PAUL de TARSE

CLÉMENT d’ALEXANDRIE

PLOTIN


1. I.Antiquité 20fev20.odt




MYSTIQUES DE L’ANTIQUITÉ Du Cinquième au Dixième siècle

Textes réunis par Dominique Tronc, 2020.


Saint AUGUSTIN -430

DENYS l’Aréopagite ~ 500

DAMASCIUS ~ 530

BARSANUPHE et Jean de GAZA ~ 540

ISAAC le syrien ~ 660

Jean de DALYATHA ~ 750

SYMEON le Nouveau Théologien 949-1022


2. II. Antiquité 5e -10e siècles janv2020.odt







MYSTIQUES CHRÉTIENS DU MOYEN ÂGE Douzième au Quatorzième siècle

Textes réunis par Dominique Tronc, 2020.


Présentation

GUILLAUME DE SAINT-THIERRY  1085-1148

FRANÇOIS D’ASSISE 1191-1226

HADEWIJCH ~ 1260

MARGUERITE PORETE ~1250-1310

TAULER ~ 1300-1361

RUUSBROEC 1293-1381


3. III. Moyen Âge chrétien janv2020. odt



MYSTIQUES CHRÉTIENS DE LA RENAISSANCE Quinzième et Seizième siècles

Textes réunis par Dominique Tronc, 2020.


Le Nuage d’Inconnaissance  ~ 1400

JULIENNE DE NORWICH ~ 1343-apr.1416

CATHERINE DE GÊNES 1447-1510

La Perle Evangélique 1535

JEAN DE LA CROIX 1541-1591

JOSEPH DE JESUS-MARIA  1562-1628


4. IV. Chétiens à la Renaissance janvi2020.

MYSTIQUES CHRÉTIENS Au dix-septième siècle

BENOIT DE CANFIELD 1562-1610

MARIE DE L’INCARNATION 1599-1672

JEAN DE BERNIÈRES 1601-1659

JACQUES BERTOT 1620-1681

MARIE PETYT 1623-1677

ROBERT BARCLAY 1648-1690

FRANÇOIS DE FÉNELON 1651-1715

JEANNE-MARIE GUYON 1648-1717

5. V.Mystiques chrétiens 17e siècle janv2020.odt



MYSTIQUES en EUROPE Dix-huitième au Vingtième siècle

DOV BAER DE LOUBAVITCH

ARCHIMANDRITE SPIRIDON

Instants ou révélations

ETTY HILLESUM

UN MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT

LILIAN SILBURN 

6. VI. Mystiques en Europe janv2020.odt

MYSTIQUES EN TERRES D’ISLAM I. DU NEUVIÈME AU TREIZIÈME SIÈCLE

Terres d’Islam & Table géographique


RAB’IA — 801

BISTAMI 777-841

JUNAID 830-911

SULAMI 937-1021

KHARAQANI 960-1033

ANSARI 1006-1089

GHAZALI 1058-1111

ATTAR 1142-1220

Traité de l’Unité adaptant IBN ARABI -1240

RUMI -1273

NASAFI -1290


7. VII. Mystiques en terres d’Islam I premierjuillet20.odt

MYSTIQUES D’ISLAM II. DU QUATORZIÈME AU VINGTIÈME SIÈCLE

SULTAN VALAD 1226-1318

IBN ABBAD DE RONDA 1332 —

SHABESTARI -1340 & LAHIJI -1507

HAFEZ DE CHIRAZ ~ 1316~1390

NAQSBAND 1317-1389

JILI apr.1428

JAMI apr.1492

LILIAN SILBURN 1908-1993

SAYD BAHODINE MAJROUH 1928-1988

8. VIII Mystiques en terres d’Islam II deuxième juillet20avecLS.odt

MYSTIQUES DE L’INDE

L’Inde classique

Deux UPANISADS ~ 400 AC

BHAGAVAD-GITA ~200 AC

VASUGUPTA Stances sur la vibration et leur glose

La BHAKTI dans le Sivaïsme du Kasmir

DNYANDEV Gita commentary ~1300

KABÎR ~ 1500

RAMANA MAHARSHI ~ 1950

9.Mystiques de l’Inde janvi2020.odt





MYSTIQUES DE LA CHINE

Chine

CONFUCIUS ~ 551 — ~479

LAO-TSEU ~300 AC

TCHOANG-TSEU ~ 200 AC

HUAINAN ZI

Tao poétique

WANG-YANG-MING ~ 1550

IZUTSU

Dream Trippers

12.Mystiques de la Chine janv20.odt



MYSTIQUES BOUDDHISTES I DE L’INDE ET DU TIBET

Le Bouddhisme ancien

VIMALAKIRTI ~400

ÉCOLE DE LA VOIE DU MILIEU

MORTS TIBÉTAINS ~1000

MILAREPA ~ 1200

BRUG-PA ~ 1500

Bouddhistes modernes

10. MYS Bouddhisme I Inde Thibet janv2020.odt



MYSTIQUES BOUDDHISTES de la CHINE et du JAPON


«  Un bouddhisme sino-japonais  »

The forty Transmission thas

Founders of the five Ch'an sects

Soutra de l’Estrade/Altar sûtra de HOUEI-NENG (638-713)

Sûtra of complete Enlightment

Entretiens de CHEN-HOUEI (668-760)

La Terre pure selon HONEN (1133-1212) & SHINRAN

Shôbôgenzô de DOGEN (1200-1253)

«  Brindilles  » du TCH’AN/ZEN

11.Bouddhisme II Chine Japon 7sept20.odt



POÈMES DE CHINE, CORÉE, JAPON Collectes au sein de traductions françaises et anglaises

13.Poème Chine Corée Japon 22juin2020.odt

Pages 1-610


Table des matières :

Avertissement

PAR AUTEURS

Tao Yuan Ming (365-427)

Seng Ts'an (— ~606 ?)

Cent quatrains des T’ang

Wang Wei (701-761) (Wei-penn Chang & L. Drivod)

Wang Wei (Moundarren)

Wang Wei (G.W.Robinson)

Li Po ou Li Bai (701-762)

Tu Fu (712-770)

Lu Yu (733-804)

Po chu yi ou Po Kiu-yi ou Bai Juyi (772-846)

Han-shan (P. Carré) (~800)

Han-shan (Watson)

Li Shangyin (812-858)

Le Dit du Genji (~1000)

Su Dongpo (1037-1101) (Claude Roy)

Su Tung po = Su Dongpo (Moundarren)

Su Dongpo (Watson)

Yang Wan Li (1127-1206) (Moundarren)

Yang Wan-Li (J.D.Schmidt)

Chu Hsi ou Zhu Xi (1130-1200)

Ikkyû (1394-1481)

Bashô (1644-1694)(Sieffert)

Bashô (Blyth)

Tsu Yun (1840-1960)

DANS DES ANTHOLOGIES

La littérature chinoise par Basile Alexéiev (1937)

Zen flesh, zen bones (P. Reps 1957)

Anthologie (Paul Demiéville 1962)

Anthologie japonaise (C. Renondeau 1971)

Poems From Korea (P.H.Lee 1974)

Le clodo du dharma (J.Pimpaneau 1975)

Poèmes chinois d’avant la mort (Paul Demiéville 1984)

« Tao poétique » (Cheng Wing fun & Hervé Collet 1986)

Trésor de la poésie universelle (R. Caillois & J.-C. Lambert 1987)

La Montagne vide (P Carré & Z.Bianu 1987)

Entre source et nuage, la poésie chinoise réinventée (F. Cheng 1990)

Anthologie bilingue de la poésie chinoise classique (M.Coyaud 1997)

Jeux de montagnes et d’eaux (J.-P. Diény 2001)

Anthologie (Jacques Pimpaneau 2004)

Annexe & Tables

Chronologie des poètes disposant d’une entrée au premier niveau

Table avec les noms ou les incipit de poèmes

Table réduite aux noms de poètes et aux anthologies



POÉSIE MYSTIQUE EN OCCIDENT I. Oeuvres et Figures des origines à 1600


14.Poètes d’occident chrono 4avril [2020] T.PREMIER.odt

1-605


MYSTIQUE «  DES ORIGINES    »

ISAÏE

PSAUMES

GRECS

ÉPHREM de Nisibe, Syrie ~ 306-373

AUGUSTIN d’Hippone 354-430

RABAN MAUR ~780-856

SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN 949-1022

FRANÇOIS d’Assise 1181-1226 & DANTE -1321 & autres

JACOPONE DA TODI ~ 1230-1306

Édition par Stefano et Irène Mangano

Édition par Henry Spitzmuller

RAMON LLULL ~1232 — ~1315

HADEWIJCH I ~1250

ANONYME DE LA VALLÉE DU RHIN ~ 1250

HADEWIJCH II ~1280

Marguerite PORETE ~ 1250 - 1310

Maître ECKHART ~ 1260 -1328

JAN VAN RUUSBROEC 1293-1381

PÉTRARQUE 1304-1374

JULIAN DE NORWICH (~1343 – ap.1416)

L’INSTANT MYSTIQUE (R.B. & L.S.)



POÉSIE MYSTIQUE EN OCCIDENT II. Depuis le Moyen âge

15.Poètes d’occident chrono 4avril T.SECOND.odt

1-623



Le deuxième tome de la poésie mystique en Occident s’ouvre sur l’Espagne où s’illustre Jean de la Croix, puuis se poursuit par des anglais, français, allemands et un italien :


La PERLE évangélique ~1635

LUIS DE LÉON (1528-1591)

THÉRÈSE de Jésus (1515 – 1582)

JUAN DE LA CRUZ/JEAN DE LA CROIX 1542-1591

ENGLISHMEN (XVIe-XVIIe centuries)

John DONNE 1572-1631

MARIE des VALEES 1590-1656

George HERBERT 1593-1633

POÉSIE DU CONTINENT

ANGELUS SILESIUS 1624-1677

Catharina Regina von GREIFFENBERG 1633- 1694

Jean-Joseph SURIN 1600-1665

PASCAL (1623 – 1662)

NICOLAS BARRÉ 1621-1686

Thomas TRAHERNE 1636-1674

Mme GUYON 1648-1717 & FÉNELON 1651-1715

DE LA POÉSIE À LA MUSIQUE (I)

L’instant mystique (L.S. et R.B.)



POÉSIE MYSTIQUE EN OCCIDENT III. Modernes


16.poètes d’occident chrono 4avril T. TROISIEME.odt

1-514


Friedrich HOLDERLIN 1770-1843

NOVALIS (Frierich v. Hardenberg) 1772-1801

Giacomo LEOPARDI 1789 - 1837

ENGLISH ROMANTICS

POST ROMANTICISM

Algernon Charles SWINBURNE (1837-1909)

Gerard Manley HOPKINS 1844-1889

ANTHOLOGIE DE LA POÉSIE RUSSE

Haïm Nahman BIALIK 1873-1934

Marina TSVÉTAÉVA 1892-1921

Ossip MANDELSTAM 1891-1938

POÈTES MODERNES (J. Mambrino)

René DAUMAL 1908-1944

Henri MICHAUX 1899-1984

RETOUR AUX ORIGINES

TÉMOINS DE L’INSTANT

DE LA POÉSIE À LA MUSIQUE (II)

Lieder de Schubert

Mystère de la musique

L’INSTANT MYSTIQUE (R.B. & L.S.)

Incipit suivant l’ordre des pièces collectées


Collectes par Dominique Tronc

2020.

Liste alphabétique des mystiques du monde


«  Brindilles  » du TCH’AN/ZEN

«  Un bouddhisme sino-japonais  »

ANSARI 1006-1089

ARCHIMANDRITE SPIRIDON

ATTAR 1142-1220

BARSANUPHE et Jean de GAZA ~ 540

BENOIT DE CANFIELD 1562-1610

BHAGAVAD-GITA ~200 AC

BISTAMI 777-841

Bouddhistes modernes

BRUG-PA ~ 1500

CATHERINE DE GÊNES 1447-1510

Chine

CLÉMENT d’ALEXANDRIE

CONFUCIUS ~ 551 — ~479

DAMASCIUS ~530

DENYS l’Aréopagite ~ 500

Deux UPANISADS ~ 400 AC

DNYANDEV Gita commentary ~1300

DOV BAER DE LOUBAVITCH

Dream Trippers

DU QUATORZIÈME AU VINGTIÈME SIÈCLE

ÉCOLE DE LA VOIE DU MILIEU

Entretiens de CHEN-HOUEI (668-760)

ETTY HILLESUM

Founders of the five Ch'an sects

FRANÇOIS D’ASSISE 1191-1226

FRANÇOIS DE FÉNELON 1651-1715

GHAZALI 1058-1111

GUILLAUME DE SAINT-THIERRY  1085-1148

HADEWIJCH ~ 1260

HAFEZ DE CHIRAZ ~ 1316~1390

HUAINAN ZI

IBN ABBAD DE RONDA 1332 —

Instants ou révélations

ISAAC le syrien ~ 660

IZUTSU

JACQUES BERTOT 1620-1681

JAMI apr.1492

JEAN DE BERNIÈRES 1601-1659

Jean de DALYATHA ~ 750

JEAN DE LA CROIX 1541-1591

JEANNE-MARIE GUYON 1648-1717

JILI apr.1428

JOSEPH DE JESUS-MARIA  1562-1628

JULIENNE DE NORWICH ~ 1343-apr.1416

JUNAID 830-911

KABÎR ~ 1500

KHARAQANI 960-1033

L’Inde classique

La BHAKTI dans le Sivaïsme du Kasmir

La Perle Evangélique 1535

La Terre pure selon HONEN (1133-1212) & SHINRAN

LAO-TSEU ~300 AC

Le Bouddhisme ancien

Le Nuage d’Inconnaissance  ~ 1400

LILIAN SILBURN 

LILIAN SILBURN 1908-1993

Livre de Job 

MARGUERITE PORETE ~ 1250-1310

MARIE DE L’INCARNATION 1599-1672

MARIE PETYT 1623-1677

MATHIEU L’ÉVANGÉLISTE

MILAREPA ~ 1200

MORTS TIBÉTAINS ~1000

NAQSBAND 1317-1389

NASAFI -1290

PAUL de TARSE

PHILON d’ALEXANDRIE

PLATON 

PLOTIN

Présentation

RAB’IA — 801

RAMANA MAHARSHI ~ 1950

ROBERT BARCLAY 1648-1690

RUMI -1273

RUUSBROEC 1293-1381

Saint AUGUSTIN -430

SAYD BAHODINE MAJROUH 1928-1988

SHABESTARI -1340 & LAHIJI -1507

Shôbôgenzô de DOGEN (1200-1253)

Soutra de l’Estrade/Altar sûtra de HOUEI-NENG (638-713)

SULAMI 937-1021

SULTAN VALAD 1226-1318

Sûtra of complete Enlightment

SYMEON le Nouveau Théologien 949-1022

Tao poétique

TAULER ~ 1300-1361

TCHOANG-TSEU ~ 200 AC

Terres d’Islam & Table géographique

The forty Transmission thas

Traité de l’Unité adaptant IBN ARABI -1240

UN MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT

VASUGUPTA Stances sur la vibration et leur glose

VIMALAKIRTI ~400

WANG-YANG-MING ~ 1550

9 Synthèses et Études

Outil de travail.

Comporte les introductions DT et les tables allégées des textes réédités des auteurs mystiques.

I à IV édités Lulu.


Synthèse

«LISEZ_SYNTHESE — date.odt

Dominique Tronc

2020

Synthèses et Études I/Études générales — Mystiques du monde — Mystiques Francicains

Dominique Tronc

2020, 1-353

DT Études 1 Chronos&Exp_eriences — Monde — Franciscains + tables+ REVU.odt



Synthèses et Études II/Origine d’une Filiation mystique

Dominique Tronc

2020, 1-409

DT Études 2 Filiation mystique.odt

Synthèses et Études III/Madame Guyon

/Dominique Tronc

2020, 1-373

DT Études 3 Madame Guyon.odt


Synthèses et Études IV/Filiation, mystiques, Carmels

/Dominique Tronc

2020, 1-382

DT Études 4 Filiation —Mystiques —Carmels —Mystiques —Lilian.odt



§

Diverses études et contributions

À retrouver sous le répertoire /LIVRES DT/10 n°134-…


et sous /LIVRES DT/ f.[ichiers]hors catalogue

livrant des sources mystiques (Noces spirituelles de Ruusbroec, Catherine de Gênes)

et des projets inachevés (Juan de la Cruz, Vocabulaire)



§

Pour rechercher par mot-clé


Par nom d’auteur ou partie d’un titre on l’effectuera

sur le répertoire qui tient lieu d’« index »

/LIVRES DT/TOUT assemblé daté /





Bibliographies

Le plus souvent ces références sont « doublée » par insertion dans les séries « thématiques » précédentes, mais l’ordre chronologique d’élaboration préserve un intérêt.

De plus on intègre ici des tomes absents supra de la collection « chemins mystiques » animée par le P. Max de Longchamp, (centre Jean-de-la-Croix), dom Thierry Barbeau (abbaye de Solesmes).

État à la fin 2017

Liste de titres

23 novembre 2020, Lulu


« Anatomie de l'âme »

« Jour mystique »

« Justifications" I II

« Secrets sentiers »

Bertot I II III

Catalogue

Chronologie mystique I II

Constantin de Barbanson

Ecole du coeur

Etudes I II III

Expériences IV Une Ecole du Coeur

Expériences V Figures au sein de Traditions après 1700

Expériences VI Figures hors cadres après 1800

Franciscains I II III

François d'Assise et ses disciples

Guyon [nombreux]

Hadewijch Lettres spirituelles

Jacques Bertot I II III

Jean de Bernières I 1631-1646 II 1647-1659

Jean de Saint-Samson

Jeanne de Cambry

Lilian Silburn et ses amis III "Hermès"

Lilian Silburn V Sivaïsme 1957-1964

Madame de Chantal Ecrits choisis dans l'édition de 1875

Madame de Chantal Recueil & extraits de Lettres

Moyen Court

Mystiques bouddhistes de l’Inde et du Tibet

Mystiques bouddhistes de la Chine et du Japon

Mystiques chrétiens I II III

Mystiques d'Islam I II

Mystiques de l'Antiquité I II

Mystiques de l'Inde

Mystiques de la Chine

Mystiques en Europe IV

Nouveau Testament

Pierre de Poitiers

Poèmes de Chine, Corée, Japon

Poésie Mystique en Occident I II III

Vide, Voies, Maître



Par Auteurs mystiques

Armelle Nicolas

22 [2012] Armelle Nicolas Témoin du Pur Amour, Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu, Texte présenté par Dominique et Murielle Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2011, 519 p.

Carmélites

[en préparation, ouvrage associé] Carmélites françaises à l’âge classique, Histoire et Florilège de leurs écrits spirituels, par moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ». [Belles pages oubliées issues de carmélites des trois premières générations françaises.]

Benoît de Canfeld

18 [2009] Benoît de Canfield, La Règle de perfection, Quinze chapitres de De la volonté de Dieu essentielle, d’après la première édition, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 170 p. [Troisième partie de la Reigle collationnée sur le ms. de Troyes.]

Constantin de Barbanson

32 [2014] Constantin de Barbanson, I, Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier de l’Amour divin, Introduction et annotations par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 364 p. [le ms.… de l’Esprit divin est une source très spontanée qui diffère largement du volume publié Secrets sentiers de de l’Amour divin]

33 [2014] Constantin de Barbanson, II, Les Secrets sentiers de l’Amour divin, Ouvrage publié à Douai en 1629, Oeuvre mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 350 p.

34 [2014] Constantin de Barbanson, III & IV, Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu’à l’état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l’être de la déiformité, après la mort de la propriété. Oeuvres mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 407 p. [L’Anatomie de l’âme est un ouvrage très rare réédité la première fois comme défense et illustration de la pratique mystique.]

35 [2014] Constantin de Barbanson, V, Anatomie de l’âme, Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès…, Présentation et notes par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 346 p.

Dominique de Saint-Albert

[en préparation, ouvrage associé] Dominique de Saint-Albert, Œuvres mystiques, fr. Klaus & D. Tronc.

Dominique & Murielle Tronc

3 [2003] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116. [Wikipedia, article révisé sur Madame Guyon, présente un lien vers cairn.be (la distribution électronique Cairn pour les éditions des Presses Universitaires de France) qui reproduit « Une filiation… » — par ailleurs traduit  in Recherchen XXVI, Benediktinerinnen, « Weitergabe eines mystichen Erbes… », Köln 2008.]

5 [2004] D. Tronc, “L’expérience « quiétiste » de Madame Guyon”, Mélanges Carmélitains, Téqui éd., vol. 2 (2004), 349-395. [Florilège].

6 [2004] D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, Inst. Cath. de Paris, n° 91, juillet-septembre 2004, 121-149. [Repris partiellement en 2009, Les années d’épreuve…, « Annexes, Le procès des mœurs », 450-462.]

7 [2004] D. Tronc, “Un mystique réformateur des carmes, Jean de Saint-Samson (1571-1636)”, Carmel, n° 112, juin 2004, 71-83. [Florilège].

24 [2012] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident I. Des Origines à la Renaissance, Éditions Les Deux Océans, 2012, 344 p. [guide & florilège introduisant aux principales figures mystiques de la Tradition chrétienne.]

25 [2012] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens, Éditions Les Deux Océans, 2012, 378 p.

30 [2014] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident III. Ordres nouveaux et Figures singulières. Éditions Les Deux Océans. ~394 p.

29 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets) — Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme capucine. Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 p. + 400 p.

31 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini] & Nécrologe capucin —Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil] —Figures mystiques féminines, minimes, Un regard sur les héritiers —Tables. Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».

43 [2015] Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors commerce [Filiations et amis, directions mystiques, membres du cercle normand, Marie de l’Incarnation, liens et documents]

50 [2016] D.Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, hors commerce, 260 p. [Présentation, Filiations de la quiétude : Française, Écossaise, Hollandaise, Suisse et germanique, & Influences en terres catholiques, en terres protestantes, Échos au XIXe siècle, Reconnaissance au XXe siècle, Synthèse.]

François d’Assise

44 [2016] François d’Assise vu par ses disciples, Un choix de sources à l’usage de Dominique Tronc et d’Amis, Reprenant des textes de l’Édition du VIIIe centenaire, 510 p. [Présentation, Quelques « pages » de François, Du commencement de l’Ordre, Légende des trois compagnons, Compilation d’Assise anciennement dénommée Légende de Pérouse, Témoignages sur des Spirituels issus principalement des Actes.]

François de Fénelon

13 [2006] François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques ou Le Gnostique de Clément d’Alexandrie, présentation par Dominique et Murielle Tronc, « Les carnets spirituels », Paris, Arfuyen, 2006, 216 p. [Le Gnostique, précédemment publié par Dudon, revu et corrigé sur le ms. des Archives de Saint-Sulpice.]

41 [2015] La Direction de Fénelon par Madame Guyon, Correspondance présentée et éditée par Murielle et D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 504 p.

42 [2015] Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, hors commerce. 457 p. [« Une rencontre mystique », brefs extraits des « Œuvres et opuscules, » large choix de « Lettres de direction » par destinataires].

54 [2017] Chronologie de Mystiques et Associés I Des origines à 1700, Un Florilège établi par Dominique Tronc, hors commerce, 704 p. [Présentation, I. AC à 1148 des origines à Guillaume de Saint-Thierry, II. 1148 à 1381 de Guillaume à Ruusbroec, III. 1381 à 1591 de Ruusbroec à Jean de la Croix, IV. 1591 à 1662 de Jean de la Croix à Pascal, V. 1662 à 1717 : De Pascal à madame Guyon.]

55 [2017] Chronologie de Mystiques et Associés II De 1700 au temps présent, Un Florilège établi par Dominique Tronc, hors commerce, 588 p. [Présentation du tome II, VI. 1700 à 2000 Fidèles aux Traditions, VII. 1700 à 2000 Hors des cadres traditionnels.]

56 [2017] Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur, Éditions Dervy, 592 p. [Ouverture & table ; Quiétismes ; I L’école du cœur en France et Nouvelle France 1601-1671 : École du cœur et Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada ; II Mme Guyon, Fénelon et leurs amis 1648-1717 : Mme Guyon, Fénelon, L’œuvre, La Voie ; III Filiations 1717-1792 : France, Écosse, Hollande, Suisse & Allemagne ; IV Influences : Chez les catholiques, Chez les protestants, Échos au XIXe siècle, Échos et usage au XXe s. ; Synthèse ; Tableaux.

François Lacombe

45 [2016] François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, hors commerce, 648 p.

Henderson

48 [2016] D. Henderson, Mystics of the North-east, hors commerce, 390 p. [réédition de l’ouvrage « introuvable » publié en 1934 à Aberdeen. Il comporte des lettres de disciples de Mme Guyon.

Jan van Ruusbroec

[2010] Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante (Traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp), suivi de l’Ornement des Noces spirituelles (Traduction de 1606 par un chartreux de Paris), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2010, 283 p.

Jean de Bernières

20 [2009] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 200 p. [septième livre du Chrétien intérieur et « Lettres à l’Ami intime ».]

21 [2011] Jean de Bernières, Œuvres mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011, 518 p.

27 [2013] « Jean de Bernières, son influence sur l’histoire de la spiritualité », 381-421, & « Des éditions anciennes aux éditions contemporaines », 583-588, in : Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana », Éditions Parole et Silence, 2013, 594 p. [ce collectif assemblé par J-M. Gourvil & D. Tronc regroupe les contributions de dom T. Barbeau, J. Dickinson, J.-M. Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B. Pitaud, J. Racapé, dom E. de Reviers, D. Tronc, A. Valli.]

Jean de Saint-Samson

23 [2012] Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, Edition critique présentée par D. Tronc avec une étude par Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 607 p.

[En préparation et en cours de saisie pour les lettres] Jean de Saint-Samson, Le Cabinet mistique et un choix de lettres.

Jean-Pierre de Caussade

[2009] Jean-Pierre de Caussade, Lectures Caussadiennes ; le manuscrit Cailhau et le recueil de Langres, textes présentés par Marie-Paule Brunet-Jailly, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2009, 323 p.

Jean-Nicolas Grou

Jean-Nicolas Grou, Manuel des âmes intérieures, texte présenté par le Père Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 365 p.

Jeanne de Chantal

39 [2015] Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal », 664 p. [environ la moitié des tomes II & III de l’édition de 1875].

40 [2015] Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Extraits de Lettres, D. Tronc et Béatrice Bernard, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal ». 2015, 256 p. [« Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil » transcrit par Béatrice Bernard ; Introduction et extraits de la Correspondance par D. Tronc.]

Madame Guyon

1 [2000] Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par D. Tronc, Paris, Phénix Éditions —La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ; puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-762.]

2 [2001] Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Étude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. « de jeunesse » de Saint-Brieuc.]

4 [2003] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la première fois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

8 [2004] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier » utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

11 [2005] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].

10 [2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix Éditions & hors commerce 2005, 441 p. [tirages limités épuisés ; aperçu in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]

12 [2005] Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]

17 [2008] Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par D. Tronc, Étude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues — Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique… Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]

19 [2009] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la « décennie silencieuse » vécue à Blois après les prisons.]

36 [2014] Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, Un choix, Ed. électronique Amazon Kindle, 2014, ~220 p. & Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

37 [2014] Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

38 [2014] Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 642 p.

49 [2016] Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, présentés par Murielle et Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection « Sources mystiques » Tome I et II, 344 + 314 pages [l’édition de ce choix de la plus grande partie des Discours achève la mise à disposition de l’essentiel de l’œuvre de Madame Guyon.]

[En cours de saisie] Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique, [Les Justifications préparées en 1694 à l’occasion du « procès » d’Issy.]

Marc de la Nativité

[en préparation, ouvrage associé] Marc de la Nativité, Méthode claire et facile pour bien faire l’oraison, fr. Klaus & D. Tronc.

Marie-Anne de Mortemart

46 [2016] Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, hors commerce, 270 p. [Esquisse biographique, Lettres des deux directeurs : madame Guyon et Fénelon ; Lettres au marquis de Fénelon]

Marie des Vallées

26 [2013] La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2013, 693 p.

28 [2013] Marie des Vallées, Le Jardin de l’Amour divin, Textes choisis et présentés par Dominique et Murielle Tronc, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2013, 207 p.

Martial d’Étampes

16 [2008] Martial d’Étampes, Maître en Oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen et D. Tronc, Éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2008, 247 p. [comporte une étude et des écrits de cet éminent mystique capucin du début du XVIIe siècle.]

Maur de l’Enfant-Jésus

14 [2007] Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Éditions du Carmel, 2007, 344 p. [le principal auteur mystique Grand Carme depuis le réformateur Jean de Saint-Samson fut en relation avec madame Guyon.]

15 [2008] Maur de l’Enfant-Jésus, Entrée à la Divine Sagesse, Éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008, 263 p. [Cinq courts, mais profonds traités mystiques achèvent la restitution du corpus.]

Max Huot de Longchamp

[2010] Max Huot de Longchamp, Saint Jean de la Croix, Pour lire le Docteur mystique (Nouvelle édition, revue et augmentée), suivi de La Vive Flamme d’Amour (Introduction, traduction et commentaire), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2010, 245 p.

Mère Mectilde

57 [2017] Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. « Chemins mystiques », Série « Mectilde », hors commerce, 457 p.

Monsieur Bertot

9 [2005] Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005. [La première étude présentant le résultat de recherches sur la « vie cachée » de monsieur Bertot et la reconstitution du corpus de ses écrits précède le choix d’un septième de leur volume].

[En cours de saisie] Monsieur Bertot, Le Directeur mistique, intégrale.

Pierre de Poitiers

[en préparation, ouvrage associé] Pierre de Poitiers, Le Jour mystique, traités de Théologie mystique, choix établi et présenté par moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».

Quiroga

51 [2016] José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628, Historia de la Vida y Virtudes del Venerable P. F. Juan de la Cruz & Études, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors commerce, 338 p. [Sections françaises sur les épreuves à Tolède et en fin de vie avec leurs originaux espagnols augmentés d’un choix de chapitres, notices et études sur Quiroga.]

52 [2016] José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, L’Oraison (adaptation par la Mère Marie du Saint-Sacrement) & Réponse à un doute, Apologie mystique en défense de la Contemplation divine (traductions par le Père Max de Longchamp), hors-commerce, 440 p.

53 [2016] José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union (1656) Segunda parte : De la entrada del alma al Parayso Espiritual (1659), Don que tuvo sans Juan de la Cruz, Repuestas, Apología mística en defensa de la Contemplación divina, hors-commerce, 604 p.

Saint-Simon

47 [2016] Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, Un choix d’extraits établi par D.Tronc, hors commerce, 363 p. [Ce dossier…, Extraits des tomes 1 à 13 des Mémoires concernant Mme Guyon, Fénelon, Chevreuse & Beauvilliers, le Dauphin & la Dauphine, Mme de Maintenon.]

Thérèse de Jésus

Saint Thérèse de Jésus, Le Château ou Demeures de l’âme, Traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 278 p. [« Lire le Château de l’âme » par le P. Max H. de Longchamp, « L’édition de Jean de Brétigny » par Emmanuel Pénicaut, « Traité du Château ou Demeures de l’âme »]

La Vie de la Mère Thérèse de Jésus écrite par elle-même, Traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 489

Le Chemin de Perfection Sainte Thérèse de Jésus dans la traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 294

Par Éditeurs

Mise en ligne

www.cheminsmystiques.com ou

www.cheminsmystiques.fr ou

www.madameguyon.fr

présentent des chemins tracés par nos aînés aux siècles passés et nos éditions. De nombreux textes peuvent être téléchargés.

Honoré Champion

Coll. « Sources Classiques » & coll. « Pièces d’Archives » : http://www.champion.ch/

Arfuyen

« Les carnets spirituels » :

http: // www.arfuyen.fr/

Centre Saint-Jean-de-la-Croix

Coll. « Sources mystiques »

http://www.paroisseetfamille.net/mag/category.php?id_category=10

Titres intégrés dans la Bibliographie par auteurs.

Jean-Pierre de Caussade, Lectures Caussadiennes ; le manuscrit Cailhau et le recueil de Langres, textes présentés par Marie-Paule Brunet-Jailly, 2009.

Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante, suivi de l’Ornement des Noces spirituelles, traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp, 2010.

Max Huot de Longchamp, Saint Jean de la Croix, Pour lire le Docteur mystique, suivi de La Vive Flamme d’Amour, 2010.

Jean-Nicolas Grou, Manuel des âmes intérieures, texte présenté par Max Huot de Longchamp, 2012.

Saint Thérèse de Jésus, Le Château ou Demeures de l’âme, Traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015.

La Vie de la Mère Thérèse de Jésus écrite par elle-même, Traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 489 p.

Le Chemin de Perfection Sainte Thérèse de Jésus dans la traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 294 p.


Parole et silence

Coll. « Mectildiana » :

http://www.paroleetsilence.com/Rencontres-autour-de-Jean-de-Bernieres-1602-1659_oeuvre_11081.html

Éditions « Les Deux Océans » > Dervy

« Chemins mystiques » 

http: //www.lulu.co

Chronologique

2000-2010

1 [2000] Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par D. Tronc, Paris, Phénix Éditions —La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ; puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-762.]

2 [2001] Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Étude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. « de jeunesse » de Saint-Brieuc.]

3 [2003] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116. [Wikipedia, article sur Madame Guyon révisé, présente un lien vers cairn.be (la distribution électronique Cairn pour les éditions des Presses Universitaires de France) qui reproduit « Une filiation… » — par ailleurs traduit  in Recherchen XXVI, Benediktinerinnen, « Weitergabe eines mystichen Erbes… », Köln 2008.]

4 [2003] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la première fois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

5 [2004] D. Tronc, « L’expérience “quiétiste” de Madame Guyon », Mélanges Carmélitains, Téqui éd., vol. 2 (2004), 349-395. [Florilège].

6 [2004] D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, Inst. Cath. de Paris, n° 91, juillet-septembre 2004, 121-149. [Repris partiellement en 2009, Les années d’épreuve…, « Annexes, Le procès des mœurs », 450-462.]

7 [2004] D. Tronc, « Un mystique réformateur des carmes, Jean de Saint-Samson (1571-1636) », Carmel, n° 112, juin 2004, 71-83. [Florilège].

8 [2004] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier » utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

9 [2005] Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005. [La première étude présentant le résultat de recherches sur la « vie cachée » de monsieur Bertot et la reconstitution du corpus de ses écrits précède le choix d’un septième de leur volume].

10 [2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix Éditions & hors commerce 2005, 441 p. [tirages limités épuisés ; aperçu in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]

11 [2005] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].

12 [2005] Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]

13 [2006] François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques ou Le Gnostique de Clément d’Alexandrie, présentation par Dominique et Murielle Tronc, « Les carnets spirituels », Paris, Arfuyen, 2006, 216 p. [Le Gnostique, précédemment publié par Dudon, revu et corrigé sur le ms. des Archives de Saint-Sulpice.]

14 [2007] Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Éditions du Carmel, 2007, 344 p. [le principal auteur mystique Grand Carme depuis le réformateur Jean de Saint-Samson fut en relation avec madame Guyon.]

15 [2008] Maur de l’Enfant-Jésus, Entrée à la Divine Sagesse, Éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008, 263 p. [Cinq courts, mais profonds traités mystiques achèvent la restitution du corpus.]

16 [2008] Martial d’Étampes, Maître en Oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen et D. Tronc, Éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2008, 247 p. [comporte une étude et des écrits de cet éminent mystique capucin du début du XVIIe siècle.]

17 [2008] Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par D. Tronc, Étude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues — Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique… Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]

18 [2009] Benoît de Canfield, La Règle de perfection, Quinze chapitres de De la volonté de Dieu essentielle, d’après la première édition, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 170 p. [Troisième partie de la Reigle collationnée sur le ms. de Troyes.]

19 [2009] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la « décennie silencieuse » vécue à Blois après les prisons.]

20 [2009] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 200 p. [septième livre du Chrétien intérieur et « Lettres à l’Ami intime ».]

2011-2015 :

21 [2011] Jean de Bernières, Œuvres mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011, 518 p.

22 [2012] Armelle Nicolas Témoin du Pur Amour, Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu, Texte présenté par Dominique et Murielle Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2011, 519 p.

23 [2012] Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, Edition critique présentée par D. Tronc avec une étude par Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 607 p.

24 [2012] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident I. Des Origines à la Renaissance, Éditions Les Deux Océans, 2012, 344 p. [guide & florilège introduisant aux principales figures mystiques de la Tradition chrétienne.]

25 [2012] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens, Editions Les Deux Océans, 2012, 378 p.

26 [2013] La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2013, 693 p.

27 [2013] « Jean de Bernières, son influence sur l’histoire de la spiritualité », 381-421, & « Des éditions anciennes aux éditions contemporaines », 583-588, in : Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana », Éditions Parole et Silence, 2013, 594 p. [ce collectif assemblé par J-M. Gourvil & D. Tronc regroupe les contributions de dom T. Barbeau, J. Dickinson, J.-M. Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B. Pitaud, J. Racapé, dom E. de Reviers, D. Tronc, A. Valli.]

28 [2013] Marie des Vallées, Le Jardin de l’Amour divin, Textes choisis et présentés par Dominique et Murielle Tronc, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2013, 207 p.

29 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets) — Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme capucine. Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 p. + 400 p.

30 [2014] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident III. Ordres nouveaux et Figures singulières. Éditions Les Deux Océans. ~394 p.

31 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini] & Nécrologe capucin —Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil] —Figures mystiques féminines, minimes, Un regard sur les héritiers —Tables. Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».

32 [2014] Constantin de Barbanson, I, Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier de l’Amour divin, Introduction et annotations par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 364 p. [le ms.… de l’Esprit divin est une source très spontanée qui diffère largement du volume publié Secrets sentiers de de l’Amour divin]

33 [2014] Constantin de Barbanson, II, Les Secrets sentiers de l’Amour divin, Ouvrage publié à Douai en 1629, Oeuvres mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 350 p.

34 [2014] Constantin de Barbanson, [III & IV] Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu’à l’état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l’être de la déiformité, après la mort de la propriété. Oeuvres mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 407 p. [L’Anatomie de l’âme est un ouvrage très rare réédité la première fois comme défense et illustration de la pratique mystique.]

35 [2014] Constantin de Barbanson, V, Anatomie de l’âme, Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès…, Présentation et notes par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 346 p.

36 [2014] Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, Un choix, Ed. électronique Amazon Kindle, 2014, ~220 p. & Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

37 [2014] Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

38 [2014] Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, hors commerce, 642 p.

39 [2015] Jeanne de Chantal, Écrits relevés dans l’édition de 1875 par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal », 664 p. [environ la moitié des tomes II & III de l’édition de 1875].

40 [2015] Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Extraits de Lettres, D. Tronc et Béatrice Bernard, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal ». 2015, 256 p. [« Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil » transcrit par Béatrice Bernard ; Introduction et extraits de la Correspondance par D. Tronc.]

41 [2015] La Direction de Fénelon par Madame Guyon, Correspondance présentée et éditée par Murielle et D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 504 p.

42 [2015] Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, hors commerce, 480 p. [« Une rencontre mystique », brefs extraits des « Œuvres et opuscules, » large choix de « Lettres de direction » par destinataires].

46 [2015] Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors commerce. [Filiations et amis, directions mystiques, membres du cercle normand, Marie de l’Incarnation, liens et documents].

2016 — 2017

44 [2016] François d’Assise vu par ses disciples, Un choix de sources à l’usage de Dominique Tronc et d’Amis, Reprenant des textes de l’Édition du VIIIe centenaire, 510 p. [Présentation, Quelques « pages » de François, Du commencement de l’Ordre, Légende des trois compagnons, Compilation d’Assise anciennement dénommée Légende de Pérouse, Témoignages sur des Spirituels issus principalement des Actes.]

45 [2016] François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, hors commerce, 648 p.

46 [2016] Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, hors commerce, 270 p. [Esquisse biographique, Lettres des deux directeurs : madame Guyon et Fénelon ; Lettres au marquis de Fénelon]

47 [2016] Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, Un choix d’extraits établi par D.Tronc, hors commerce, 363 p. [Ce dossier…, Extraits des tomes 1 à 13 des Mémoires concernant Mme Guyon, Fénelon, Chevreuse & Beauvilliers, le Dauphin & la Dauphine, Mme de Maintenon.]

48 [2016] D. Henderson, Mystics of the North-east, hors commerce, 390 p. [réédition de l’ouvrage « introuvable » publié en 1934 à Aberdeen. Il comporte des lettres de disciples de Mme Guyon.]

49 [2016] Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, présentés par Murielle et Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection « Sources mystiques » Tome I et II, 344 + 314 pages [l’édition de ce choix de la plus grande partie des Discours achève la mise à disposition de l’essentiel de l’œuvre de Madame Guyon.]

50 [2016] D.Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, hors commerce, 260 p. [Présentation, Filiations de la quiétude : Française, Écossaise, Hollandaise, Suisse et germanique, & Influences en terres catholiques, en terres protestantes, Échos au XIXe siècle, Reconnaissance au XXe siècle, Synthèse.]

51 [2016] José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628, Historia de la Vida y Virtudes del Venerable P. F. Juan de la Cruz & Études, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors commerce, 338 p. [Sections françaises sur les épreuves à Tolède et en fin de vie avec leurs originaux espagnols augmentés d’un choix de chapitres, notices et études sur Quiroga.]

52 [2016] José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, L’Oraison (adaptation par la Mère Marie du Saint-Sacrement) & Réponse à un doute, Apologie mystique en défense de la Contemplation divine (traductions par le Père Max de Longchamp), hors-commerce, 440 p.

53 [2016] José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union (1656) Segunda parte : De la entrada del alma al Parayso Espiritual (1659), Don que tuvo sans Juan de la Cruz, Repuestas, Apología mística en defensa de la Contemplación divina, hors commerce, 604 p.

54 [2017] Chronologie de Mystiques et Associés I Des origines à 1700, Un Florilège établi par Dominique Tronc, hors commerce, 704 p. [Présentation, I. AC à 1148 des origines à Guillaume de Saint-Thierry, II. 1148 à 1381 de Guillaume à Ruusbroec, III. 1381 à 1591 de Ruusbroec à Jean de la Croix, IV. 1591 à 1662 de Jean de la Croix à Pascal, V. 1662 à 1717 : De Pascal à madame Guyon.]

55 [2017] Chronologie de Mystiques et Associés II De 1700 au temps présent, Un Florilège établi par Dominique Tronc, hors commerce, 588 p. [Présentation du tome II, VI. 1700 à 2000 Fidèles aux Traditions, VII. 1700 à 2000 Hors des cadres traditionnels.]

56 [2017] Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur, Éditions Dervy, 592 p. [Ouverture & table ; Quiétismes ; I L’école du cœur en France et Nouvelle France 1601-1671 : École du cœur et Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada.

57 [2017] Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. « Chemins mystiques », Série « Mectilde », hors commerce, 457 p.

Bibliographie ancienne présentée par François Trémolières : « Donner à lire Mme Guyon », XVIIe siècle, PUF n° 3 - 2010, 547-554.

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TABLE DES MATIÈRES


Table des matières

CHRONOLOGIE MYSTIQUE 3

Des origines à nos jours 3

Présentation 7

Présentation chronologique 7

Choix large 8

Après un étoilement demeure le vécu mystique 9

Mystique 9

Florilège 10

Avertissement 12

Chronologie des mystiques Origines à 1600 13

0000 Pygmées 14

AC ~1350 Hymne d’Akhnaton. 15

AC ~ 575 Livre de Job 18

AC ~ 540 Isaïe 19

AC ~ 500 Parménide 20

AC 399 Socrate (AC 470 — AC 399) & Platon (AC 427 — AC 348/7) 21

AC ~350 ? Mundaka Upanishad 22

AC ~300 Lao Tseu/Laozi 23

AC ~250 Hymne à Zeus 24

AC ~ 250 Tchoang-tseu/Zuangzi 25

~70 Paul l’Apôtre 26

~80 L’Évangile selon Matthieu 27

~170 Textes bouddhiques dont L’enseignement de Vimalakîrti 28

270 Les Ennéades de Plotin (205-270) 29

~390 La Vie de Moïse de Grégoire de Nysse (~331 apr. 394). 30

~430 Cassien (~360 ~430) 31

430 Augustin (~354 - 430) 32

485 Proclus (412 - 485). 33

~ 500 ? Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayâlankâra). 35

~500 Denys l’Aréopagite 36

~529 Damascius 38

632 Le Coran de Muhammad (~570 - 632) 39

713 Houei-neng (638-713), Soûtra de l’Estrade 41

761 Wang Wei (701-761) & 762 Li po (701-762) 45

~780 Jean de Dalyatha (~690 ~780) 46

~800 ? Le cycle de La grande libération attribué à Padmasambhava. 47

801 Râbi’a (~713-801) 49

Femmes soufies des premiers siècles de l’Hégire 51

Ukht al Fudayl, sœur (« ukht ») de Al Fudayl ibn « Iyâz, du Khurasân, m. 187 H. 51

Râyi’a bint Ismâ-îl, de Damas 51

« Atika al Ghanawîya 51

Muwaffaqa, de Mossoul 51

Maymûna al sawdâ al majnûna al `’âqila 51

La sœur d’al-Foudayl (8e siècle) 51

Rouqayya de Mossoul (8e siècle) 51

Abida al-Ma’nawiyya (8e siècle) 52

Fatima de Nichapour (9e siècle) 52

Hommes soufis des premiers siècles de l’Hégire 52

Bichr al-Hafi (841) 52

Dhou’l-noun l’égyptien (860) 52

Sari al-Saqati (870) 52

Abou’l-Hasan al-Nouri (907) 52

Ibn al-A'rabi qui vécut près de La Mekke (951) 53

911 Junayd (830-911) 54

922 Hallaj (857-922) présenté par Hamadani 56

849 Bistami/Bayazid (777-848/9) 57

965 Niffari (879-965) 58

995 Traité de soufisme de Kalâbâdhi (? – 995) 59

1021 Sulami (937–1021) 60

1022 Symeon le Nouveau Théologien (949 - 1022) 62

~1030 Abhinavagupta (~955 - ~1030) et le Sivaïsme du Cachemire. 64

1033 Abû’l-Hasan Kharaqânî (960-1033) 65

1049 Abu Sa’id (? – 1049) 66

~1050 Milarepa 69

1064 Ibn Hazm (994-1064) 70

1089 Khwadja « Abdullah Ansâri (1006-1089) 71

1111 Hamid al-Ghazali (1058-1111) et son frère Ahmad (-1126) 73

Erreur et délivrance, extraits 73

1131 Ayn Al-Quzat Hamadani (1098 – 1131) 79

1141 Hugues et Richard de Saint-Victor (– 1141). 80

1141 Ibn Al-Arif (-1141) 82

1148 Guillaume de Saint-Thierry (~1085-1148) 85

1153 Bernard de Clairvaux (1091-1153) 87

1188 Guigues II (? – 1188) 89

1191 Sohravardi (1155 – 1191) 90

Le récit de l’Archange empourpré 90

Le bruissement des ailes de Gabriel 92

1209 Rûzbehân (1128-1209) 93

Majnûn, le « miroir de Dieu » par H. Corbin 93

Le dévoilement des secrets. 94

L’ennuagement du cœur 95

1220 Najmoddîn Kubrâ (1145-1220) 96

1226 François d’Assise (1182-1226) 98

Vertu de « pauvreté » et écrits. 99

Il cantico delle creature / Cantique de frère soleil ou des créatures. 100

François à frère Léon sur la route de Pérouse 101

Récit symbolique « des trois pièces d’or »  102

Délivrance du frère Richer : 103

1230 Attâr (1142-1230) 104

Le mémorial des saints 104

Le Cantique des Oiseaux 104

Le livre de l’épreuve 106

Le livre divin 107

Le livre des secrets 108

1235 Ibn al Faridh 109

1240 Ibn « Arabî (1165-1240) 110

 « Amour essentiel qui meut tout l’univers »  111

1240 Hirrali (? – 1240) 113

~1240 Traité de l’Unité 114

Moniales, béguine, simple paysanne, nouveau mode de vie! 116

~1240 & ~1280 Hadewijch I & II 118

1273 Rûmî (1207-1273) 123

~1280 Le Zohar compilé par Moïse de Leon (1240-1305). 125

1290 Nasafi (?-1290) & Traités du soufisme. 126

~1300 Hugues de Balma  128

1306 Jacopone da Todi (~1233 - 1306). 130

1309 Angèle de Foligno (1248 - 1309). 133

1310 Marguerite Porete (~1250 - 1310). 136

1318 Sultan Valad (1226-1318) 138

1320 Shabestarî (?-1320). 140

1321 Dante Alighieri (-1321) 144

1328 Maître Eckhart (~1260 - 1328). 145

Poème 145

Présentation et discussion 147

Trois courts extraits 148

1349 Richard Rolle (~1295 ? – 1349) 150

1361 Tauler (~1300-1361) 152

~ 1361 L’Imitation de la Vie Pauvre de N.S.J.C. 157

1366 Suso (~1295-1366) 159

~1370 Le Nuage d’Inconnaissance. 160

NUAGE 161

EPITRE DE LA DIRECTION INTIME 162

~1370 La Theologia Deutsch ou Livre de la Vie Parfaite. 164

1376 Hyegun (1320-1376) 166

1381 Maneri (~1263-1381) 167

1381 Jan van Ruusbroec (1293-1381) 168

Un siècle de troubles dans les Flandres 168

La vie et les œuvres. 168

L’incertitude des traductions. 172

Les Noces spirituelles. 173

1389 Baha’ Al-din Naqshband (1317-1389) 175

1390 Hâfez de Chiraz (1316/1317 - 1390) 176

1390 Ibn Abbad de Ronda (1332 – 1390) 178

~1390  Lalla (~1320 - ~1390). 179

~1408 L’Imitation de Jésus-Christ, Thomas a Kempis (1379 – 1471). 181

1411 Gerlach Peters (1378-1411). 182

~1420 Julian de Norwich (~1343 - après1416) 182

1428 Jîlî (1366-1428) 185

The book of Margery Kempe (~1373 ~1440) 186

1471 Denys le chartreux (1402-1471). 187

1477 Henri van Herp/Harphius (1400 - 1477). 188

1492 Jâmî (1414-1492). 190

~1500 ? Derviches anatoliens 191

1508 Nil Sorskij (1433-1508), influence 193

1510 Catherine de Gênes (1447 - 1510) 194

La “doctrine”. 196

 Dits » de l’Amour 197

« Dits » de Catherine 197

Le cercle génois ; influences reçues et exercées. 198

1518 Kabir (~1440 - 1518) 199

Granthavali (Doha) 199

1529 « Brug-pa (1455-1529) 200

1535 La Perle évangélique. 201

1538 Subida del Monte Sion de Bernardino de Laredo (1482 ~1540). 203

1546 Martin Luther (1483-1546) 205

1548 Institutions pseudo-taulériennes  206

1562 Pierre d’Alcantara (1499 - 1562) 207

1566 Louis de Blois (1506 - 1566) et son Institution spirituelle 208

1582 Thérèse de Jésus (1515 - 1582). 210

Alma, buscarte has en mi . 210

Jeu d’influences. 211

Filles pieuses. 212

Sept demeures. 213

1588 Breve compendio d’Isabelle Bellinzaga. 216

1591 Luis de Leon (1528-1591). 218

1591 Jean de la Croix (1542-1591). 221

Le fondateur des carmes réformés. 221

Les traces écrites. 222

Le mont Carmel. 223

Vide et unité. 225

1596 Grégoire Lopez (1542 - 1596) 227

1598 Philippe Desportes 230

1600 Giordano Bruno (~1550 – 1600) 231

Lorsque vint le temps pour moi de devenir chamane... 232

Appeler les esprits pour la première fois 233

De 1600 à nos jours 235

Avertissement 237

1603 Dadu (1544–1603) and the Bauls of Bengal 238

1610 Benoît de Canfield (1562-1610) 240

La Règle de Perfection 240

Règle de Perfection, Troisième partie, De la volonté de Dieu essentielle parlant de la vie suréminente. 241

1618 Madame Acarie, [Première] Marie de l’Incarnation (1566-1618).  245

1622 François de Sales (1567-1622). 253

1623 Exercices sacrés de l’amour de Séverin Rubéric (- apr.1625). 256

La voie d’amour (1623), Avis sur les quatre méditations de la vie unitive. 256

1624 Shaykh Ahmad Sirhindi (1564-1624) 257

The Naqshbandi Order 258

Maktubat, recueil de lettres de Sirhindî, extraits :  259

1624 Jacob Böhme (1575–1624). 263

Böhme par N.Berdiaeff 263

Mysterium Magnum (extraits) 263

1628 Joseph de Jésus Maria [Quiroga] (1562-1628). 265

1631 Constantin de Barbanson (1582-1631). 267

1635 Martial d’Étampes (1575 - 1635).  273

1635 Louis Lallemant (1588 - 1635). 277

1636 Jean de Saint-Samson (1571 - 1636). 279

Multiples réformes. 279

La vie d’un frère convers aveugle. 280

Le sentier de l’amour divin. 281

1638 Falconi (1596 - 1638) 287

1639 Jeanne de Cambry (1581-1639) 289

1641 Jeanne de Chantal (1572 - 1641) 292

1644 Isabelle des Anges (1565 - 1644) 296

1646 Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594 - 1646) 297

Une direction mystique 298

« Notre bon Père Chrysostome » 298

Une anthologie spirituelle   299

La vertu d’Abjection. 301

1649 Gaston de Renty (1611 - 1649) 304

~1650 Pierre Cluniac (1606 - après 1642). 306

1654 Marie de Valernod, dame d’Herculais (1619 - 1654). 307

~1656 Claudine Moine (1618 - après 1655) 308

1656 Marie des Vallées (1590-1656) 312

1657 Le Pèlerin Chérubinique d’Angelus Silesius (1624 - 1677). 318

1657 Jean-Jacques Olier (1608-1657) 319

1657 Madeleine de Neuvillette (1610 - 1657) 322

1658 Jean Rigoleu[c] (1596 - 1658). 323

1659 Jean de Bernières (1600 - 1659) 324

1661 Sarmad (? – 1661) 327

1662 Pascal (1623 - 1662) 328

1665 Jean-Joseph Surin (1600 - 1665) 331

1668 Antoine Civoré (1608 - 1668) 338

1670 Le Jour Mystique de Pierre de Poitiers (– 1683) 339

Le Jour mystique (1671), un florilège 340

Livre premier. de la nature de l’oraison mystique, et de l’excessive activité ou propriété d’images. 340

Livre second. De la foi nue, tant divine qu’humaine, et de la satisfaction que la foi nue doit produire en l’âme. 345

Livre troisième. Du sujet éloigné et du sujet prochain de l’oraison mystique. 346

Livre quatrième. De l’oraison de repos mystique savoureux et de celui qui est sec et sans goût. 349

1671 Armelle Nicolas (1606-1671) 352

Un pays prospère et chrétien 352

Trois directeurs mystiques (Lallemant, Rigoleuc, Huby) 353

Une humble servante 353

La fournaise d’amour 355

          Une biographie et son influence 358

1672 Marie de l’Incarnation [Guyart] (1599-1672). 360

1674 Geneviève Granger (1600 - 1674) 366

Témoignages de madame Guyon 366

Éloge par la Mère de Blémur 367

1674 Thomas Traherne (1637 - 1674) 369

1677 Baruch de Spinoza (1632 - 1677) 370

1677 Charlotte Le Sergent (1604 - 1677). 371

1678 Antoinette de Jésus (1612 - 1678) 373

1678 Henry Scougal (1650 - 1678). 374

1680 Alexandrin de la Ciotat (1629 - 1706). 376

Le Partait dénuement de l’âme contemplative (1680) 376

~1680 Catharina Regina von Greiffenberg (1633-1694) 381

1681 Monsieur Bertot (1622-1681), Directeur Mystique. 382

1682 Marie (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686) 387

1686  Nicolas Barré (1621 - 1686). 388

1690 Robert Barclay (1648 - 1690) et les Quakers. 390

Robert Barclay 390

Les Quakers. 390

1689 Jean Aumont (1608 - 1689) 392

L’Agneau occis dans nos cœurs (1660) 392

1691 Laurent de la Résurrection (1614 – 1691) 396

1696 Molinos (1628 - 1696). 400

1698 Mectilde / Catherine de Bar (1614-1698) 403

1711 Machrab (1657-1711) 407

1715 Fénelon (1651 - 1715) 408

L’état fixe d’oraison continuelle 409

Correspondances et opuscules 410

Maximes des Saints 415

1717 Jeanne-Marie Guyon (1648 - 1717) 416

Une vie courageuse 416

Une oeuvre préservée et d'influence souterraine 417

Son très large spectre 418

Un enseignement qui couvre la carrière mystique 418

Moyen court 419

Torrents 419

 Vie par elle-même 420

Discours 420

Correspondance 422

1720 Claude-François Milley (1668 - 1720) 426

~1751 L’Abandon à la Providence divine 428

Le lyrique et guyonien chapitre IX : 428

1769 Gerhard Tersteegen (1697 - 1769) 430

1782 La Philocalie, une bibliothèque spirituelle. 430

1823 Sheikh Al-Arabi ad-Darqawi (-1823) 431

1827 Dov Baer de Loubavitch (1773 - 1827) 433

1833 Seraphim de Sarov (1759-1833) 436

~1840 Optino et la Paternité spirituelle en Russie. 439

Le staretz Macaire (1788-1860)  440

Le staretz Ambroise (1812-1891) 440

Le staretz Théophane le Reclus ou de Vycha (1815-1894) 440

Chariton de Valamo 441

1852 François Libermann (1802 - 1852) 442

~1870 Récits d’un pèlerin [russe] 444

1881 Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) 445

1883 Abd el-Kader (1807-1883) 445

1897 Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897) 447

~1906 Archimandrite Spiridon 448

1910 William James (1842-1910) 449

1918 Marie-Antoinette de Geuser « consummata » (1889-1918) 450

1932 Ramakrishna ( - 1932) 452

1934 Ahmad al-‘Alawî (-1934) 454

1938 Starets Silouane (1866-1938) 456

1941 Thomas Kelly (1893-1941), quaker 457

1942 Brandsma (1881-1942) 458

1942 Edith Stein (1891-1942) 459

1943 Jiri Langer (1894-1943) 461

1948 Vital Lehodey (1857-1948) 466

1950 Simon Frank (-1950) 467

1950 Ramana Maharshi (1879 - 1950) 468

1963 Ramdas (– 1963) 472

1964 R.H. Blyth [on Zen](1898-1964) 474

1966 D.T.Suzuki (1870-1966) 476

1970 Khempo Janyang Dorje (1896-1970) 481

1973 Jacques Maritain (1882-1973) 482

1973 Henri Le Saux / Swami Abhishtktananda (1910-1973) 483

1979 Jeanne Schmitz-Rouly (1891-1979) 484

Mrs. D. K. (Avant 1980) 486

1980 Lev Gillet (1893 – 1980) 487

Interview avec le Père Lev Gillet 487

1988 Sayd Bahodine Majrouh (-1988) 496

1993 Lilian Silburn (1909 – 1993) 498

Témoignage 498

Le Vide, le rien, l’abîme. 498

Intériorité (références et plan) 501

La lumière blanche éblouissante 502

1993 Toshihiko Izutsu [on Zen](1914-1993) 504

2002 Marie-Dominique Molinié (1918-2002) 506

Lu ‘K’uan Yü (1898 - ?) & Hsu Yun 508

Dom Georges Lefebvre 509

Jean-Yves Leloup (1950-) 511

Catalogue pour une bibliothèque mystique 513

Dominique Tronc 513

Présentation 514

Base mystique 515

Séries 516

Reprises par série ou « chantier » 519

1 « Expériences mystiques en Occident » — Présentations chronologique 519

Expériences mystiques en Occident 521

I Des origines à 1600 521

II L’Invasion mystique des Ordres anciens 521

III Ordres nouveaux et Figures singulières 521

IV Une École du Cœur 522

V Filiations de la Quiétude 522

VI Figures au sein de Traditions après 1700 523

VII Figures hors cadres après 1800 523

Chronologies 523

Chronologie mystique I Des Origines à 1600 523

Chronologie mystique II De 1600 à nos jours 524

525

2 Mystiques du Moyen âge au XVIIe siècle 525

Hadewijch béguine d’Anvers 526

Hadewijch Lettres 526

Imitation de NSJC 526

526

Imitation de la vie pauvre de N S J C 526

Le Livre de la pauvreté spirituelle 526

Le Nuage d’Inconnaissance 527

Le Nuage d’Inconnaissance 527

Ahmad Sirhindi 528

Ahmad Sirhindi, 528

Jeanne de Chantal 529

JEANNE DE CHANTAL  RECUEIL DES BONNES CHOSES & EXTRAITS DE LETTRES 529

JEANNE DE CHANTAL ÉCRITS RELEVÉS DANS L’ÉDITION DE 1875 529

Jeanne de Cambry 530

JEANNE DE CAMBRY 1581-1639 530

Armelle Nicolas 531

Jean-Joseph Surin 532

Jean-Joseph SURIN 532

3 Mystiques des deux Carmels 533

Jose de Jesus-Maria (Quiroga) 534

I. José de Jésus Maria (Quiroga) 1562-1628 534

II. Jose de Jesus Maria Quiroga 1562-1628 534

III. José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628 535

Carmélites françaises 536

Jean de Saint-Samson 537

Dominique de Saint-Albert 538

538

Maur de l’Enfant-Jésus 539

Maria Petyt 540

MARIA PETYT (1623-1677) I. Notices & Études par Albert Deblaere 540

MARIA PETYT (1623-1677) II. Textes traduits par Louis van den Bossche & leurs contextes 540

540

4 François d’Assise et disciples du XVIIsiècle 541

François d’Assise 542

François d’Assise et ses disciples 542

Franciscains mystiques au XVIIe siècle 542

Benoît de Canfield 545

Martial d’Étampes 546

Constantin de Barbanson 547

I LES SECRETS SENTIERS DE 547

Constantin de Barbanson 547

II ANATOMIE DE L’ÂME 547

Pierre de Poitiers 549

LE JOUR MYSTIQUE 549

Ou l’éclaircissement de l’oraison ou théologie mystique 549

« LE JOUR MYSTIQUE » 549

DE 549

PIERRE DE POITIERS 549

5 Filiation ou école de l’Amour pur 551

Marie des Vallées 552

La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé Rédigés par Jean Eudes suivis de Conseils d’une grande servante de Dieu 552

Influence mystique et postérité de Marie des Vallées 552

Marie des Vallées La Vie Admirable [choix] 552

Jean-Chrysostome de Saint-Lô 553

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) 553

Jean de Bernières 554

554

Jean de Bernières Le Chrétien intérieur/textes choisi suivis des Lettres à l’Ami intime 554

Jean de Bernières Œuvres mystiques I L’Intérieur Chrétien suivi du Chrétien Intérieur et des Pensées 554

Jean de Bernières 555

Tome I Lettres & Maximes 1631-1646 555

Tome II Lettres & Maximes 1647-1659 555

555

Jean de Bernières, Florilège de la Correspondance 555

Dossiers Bernières, Mectilde, Bertot 555

Rencontres autour de Jean de Bernières mystique de l’abandon et de la quiétude 556

Mère Mectilde 557

Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698) 557

557

Itinéraire spirituel & origine des conférences 557

Entretiens familiers 557

TOTUM d’écrits de MECTILDE 558

Vaste ensemble photographié de manuscrits de l’Ordre fondé par Mectilde 558

Les Amis des Ermitages de Caen et de Québec 559

LES AMIS DES ERMITAGES DE CAEN & DE QUEBEC 559

Monsieur Bertot 560

JACQUES BERTOT Directeur Mystique 560

MONSIEUR BERTOT Directeur mystique I Opuscules et Lettres 560

MONSIEUR BERTOT Directeur mystique II Lettres 560

MONSIEUR BERTOT Directeur mystique III Retraites et Amis 560

Archange Enguerrand 561

Archange ENGUERRAND 561

Père La Combe 562

FRANÇOIS LA COMBE (1640-1715) 562

Fénelon 563

FRANÇOIS DE FÉNELON 563

Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie 563

FÉNELON MYSTIQUE un Florilège 563

LA DIRECTION DE FÉNELON PAR MADAME GUYON 564

OCR de la Correspondance de Fénelon 564

La « Petite duchesse » de Mortemart 565

MARIE-ANNE DE MORTEMART (1665-1750) 565

Extraits des Mémoires du Duc de Saint-Simon 566

Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches 566

Guyonniens du Siècle des Lumières 566

ÉCOLES DU CŒUR AU SIÈCLE DES LUMIÈRES 566

Disciples écossais 566

MYSTICS OF THE NORTH-EAST 566

Etudes DT 567

6 Jeanne-Marie Guyon 569

Corpus d’écrits mystiques essentiels. 570

Avertissement  570

1. La Vie par elle-même I « Jeunesse » - Témoignages – II « Voyages » 571

2. Explications des Écritures 571

3. Oeuvres mystiques : Moyen Court – Torrents – Abrégé – Cantique — Poèmes 571

4. Correspondance I Mme Guyon dirigée puis directrice de Fénelon 572

5. Correspondance II Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694 572

6. Justifications I clés 1 à 44 572

7. Justifications II clés 45 à 69 — Autorités des Pères grecs  573

8. La Vie par elle-même III « Paris » – Les Prisons — Compléments 573

9. Correspondance III Août 1694 à Mai 1698  573

10. Correspondance IV Chemins mystiques  574

11. Les années d’épreuves, emprisonnements et interrogatoires 574

12. Discours sur la Vie intérieure 574

13. Biographie & Études 575

14. Des Tables & des Index 575

Éditions antérieures ou hors corpus 577

Éditions Lulu.com (intérêt par leur choix ou par complément au corpus) 577

Le célèbre Crépuscule des mystiques avec notes et corrections de J. Orcibal et annotations « en dialogue » de D. Tronc 577

Guyon dossier bio révisée (19nov20).odt 577

« Madame Guyon, un Florilège » par choix de privilégier les écrits originesl de Guyon et de proches contemporains. 577

Éditions Phénix/Procure 578

Éditions Champion 578

Édition Centre Jean-de-la-Croix 578

Éditions sur le web 578

7 Lilian Silburn 581

LILIAN SILBURN 582

L’ŒUVRE 582

[Futur] Corpus des écrits. 583

LILIAN SILBURN I VIE ET PREMIERS TRAVAUX 583

LILIAN SILBURN, UNE VIE MYSTIQUE 583

DEUX UPANISADS 583

CONTRIBUTIONS A L’INDE CLASSIQUE 583

UNE LECTURE ANNOTÉE 583

LILIAN SILBURN II INSTANT ET CAUSE 583

LILIAN SILBURN ET SES AMIS dans la revue « HERMÈS » 583

LILIAN SILBURN IV AUX SOURCES DU BOUDDHISME 584

LILIAN SILBURN V SIVAISME 1957-1964 584

LE PARAMÂRTHASÂRA 584

VATHULANATHA sûtra 584

LE VIJÑANA BHAIRAVA 584

LA BHAKTI 584

584

LILIAN SILBURN VI SIVAISME 2 584

La MAHARTAMANJARI DE MAHESVARANANDA AVEC DES EXTRAITS DU PARIMALA 584

HYMNES DE ABHINAVAGUPTA 584

HYMNES AU KÂLI LA ROUE DES ÉNERGIES DIVINES 584

LILIAN SILBURN VII SIVAÏSME 3 585

SlVASÛTRA et VIMARSINI DE KSEMARÂJA 585

585

LA KUNDALINÏ ou L’ÉNERGIE DES PROFONDEURS 585

LILIAN SILBURN VIII SIVAÏSME 585

SPANDAKÀRIKÀ STANCES SUR LA VIBRATION DE VASUGUPTA & GLOSES 585

ABHINAVAGUPTA CHAPITRES 1 À 5 DU TANTRÂLOKA 585

Éditions précédentes [disponibles] 586

LILIAN SILBURN, LE VIDE, LES VOIES, LE MAÎTRE 586

Dom Georges Lefebvre Prière pure et pureté du cœur 588

8 Mystiques du monde 589

590

MYSTIQUES DE L’ANTIQUITÉ JUDÉO-CHRÉTIENNE & GRECQUE Des origines au troisième siècle 590

MYSTIQUES DE L’ANTIQUITÉ Du Cinquième au Dixième siècle 590

MYSTIQUES CHRÉTIENS DU MOYEN ÂGE Douzième au Quatorzième siècle 591

MYSTIQUES CHRÉTIENS DE LA RENAISSANCE Quinzième et Seizième siècles 591

MYSTIQUES CHRÉTIENS Au dix-septième siècle 591

MYSTIQUES en EUROPE Dix-huitième au Vingtième siècle 592

MYSTIQUES EN TERRES D’ISLAM I. DU NEUVIÈME AU TREIZIÈME SIÈCLE 592

MYSTIQUES D’ISLAM II. DU QUATORZIÈME AU VINGTIÈME SIÈCLE 592

MYSTIQUES DE L’INDE 593

MYSTIQUES DE LA CHINE 593

MYSTIQUES BOUDDHISTES I DE L’INDE ET DU TIBET 594

MYSTIQUES BOUDDHISTES de la CHINE et du JAPON 594

POÈMES DE CHINE, CORÉE, JAPON Collectes au sein de traductions françaises et anglaises 595

POÉSIE MYSTIQUE EN OCCIDENT I. Oeuvres et Figures des origines à 1600 596

POÉSIE MYSTIQUE EN OCCIDENT II. Depuis le Moyen âge 596

POÉSIE MYSTIQUE EN OCCIDENT III. Modernes 597

Liste alphabétique des mystiques du monde 598

9 Synthèses et Études 601

Synthèse 601

Synthèses et Études I/Études générales — Mystiques du monde — Mystiques Francicains 601

Synthèses et Études II/Origine d’une Filiation mystique 601

601

Synthèses et Études III/Madame Guyon 602

Synthèses et Études IV/Filiation, mystiques, Carmels 602

Diverses études et contributions 602

Pour rechercher par mot-clé 602

Bibliographies 603

Liste de titres 603

Par Auteurs mystiques 604

Armelle Nicolas 604

Carmélites 604

Benoît de Canfeld 604

Constantin de Barbanson 604

Dominique de Saint-Albert 605

Dominique & Murielle Tronc 605

François d’Assise 605

François de Fénelon 606

François Lacombe 606

Henderson 606

Jan van Ruusbroec 606

Jean de Bernières 606

Jean de Saint-Samson 607

Jean-Pierre de Caussade 607

Jean-Nicolas Grou 607

Jeanne de Chantal 607

Madame Guyon 607

Marc de la Nativité 608

Marie-Anne de Mortemart 608

Marie des Vallées 609

Martial d’Étampes 609

Maur de l’Enfant-Jésus 609

Max Huot de Longchamp 609

Mère Mectilde 609

Monsieur Bertot 609

Pierre de Poitiers 609

Quiroga 610

Saint-Simon 610

Thérèse de Jésus 610

Par Éditeurs 611

Mise en ligne 611

Honoré Champion 611

Arfuyen 611

Centre Saint-Jean-de-la-Croix 611

Parole et silence 611

Chronologique 613

2000-2010 613

2011-2015 : 614

2016 — 2017 615

note technique 617

Mise en page et styles 617

TABLE DES MATIÈRES 618

Fin 629

TABLE 631

Fin 660


Fin



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Lulu, novembre 2020 (version 2)

Diffusion limitée  à quelques Amis


version révisée le 21 novembre 20


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TABLE

Table des matières

CHRONOLOGIE MYSTIQUE 3

Des origines à nos jours 3

Présentation 7

Présentation chronologique 7

Choix large 8

Après un étoilement demeure le vécu mystique 9

Mystique 9

Florilège 10

Avertissement 12

Chronologie des mystiques Origines à 1600 13

0000 Pygmées 14

AC ~1350 Hymne d’Akhnaton. 15

AC ~ 575 Livre de Job 18

AC ~ 540 Isaïe 19

AC ~ 500 Parménide 20

AC 399 Socrate (AC 470 — AC 399) & Platon (AC 427 — AC 348/7) 21

AC ~350 ? Mundaka Upanishad 22

AC ~300 Lao Tseu/Laozi 23

AC ~250 Hymne à Zeus 24

AC ~ 250 Tchoang-tseu/Zuangzi 25

~70 Paul l’Apôtre 27

~80 L’Évangile selon Matthieu 28

~170 Textes bouddhiques dont L’enseignement de Vimalakîrti 29

270 Les Ennéades de Plotin (205-270) 30

~390 La Vie de Moïse de Grégoire de Nysse (~331 apr. 394). 31

~430 Cassien (~360 ~430) 32

430 Augustin (~354 - 430) 33

485 Proclus (412 - 485). 34

~ 500 ? Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayâlankâra). 36

~500 Denys l’Aréopagite 37

~529 Damascius 39

632 Le Coran de Muhammad (~570 - 632) 40

713 Houei-neng (638-713), Soûtra de l’Estrade 42

761 Wang Wei (701-761) & 762 Li po (701-762) 46

~780 Jean de Dalyatha (~690 ~780) 47

~800 ? Le cycle de La grande libération attribué à Padmasambhava. 48

801 Râbi’a (~713-801) 50

Femmes soufies des premiers siècles de l’Hégire 52

Ukht al Fudayl, sœur (« ukht ») de Al Fudayl ibn « Iyâz, du Khurasân, m. 187 H. 52

Râyi’a bint Ismâ-îl, de Damas 52

« Atika al Ghanawîya 52

Muwaffaqa, de Mossoul 52

Maymûna al sawdâ al majnûna al `’âqila 52

La sœur d’al-Foudayl (8e siècle) 52

Rouqayya de Mossoul (8e siècle) 52

Abida al-Ma’nawiyya (8e siècle) 53

Fatima de Nichapour (9e siècle) 53

Hommes soufis des premiers siècles de l’Hégire 53

Bichr al-Hafi (841) 53

Dhou’l-noun l’égyptien (860) 53

Sari al-Saqati (870) 53

Abou’l-Hasan al-Nouri (907) 53

Ibn al-A'rabi qui vécut près de La Mekke (951) 54

911 Junayd (830-911) 55

922 Hallaj (857-922) présenté par Hamadani 57

849 Bistami/Bayazid (777-848/9) 58

965 Niffari (879-965) 59

995 Traité de soufisme de Kalâbâdhi (? – 995) 60

1021 Sulami (937–1021) 61

1022 Symeon le Nouveau Théologien (949 - 1022) 63

~1030 Abhinavagupta (~955 - ~1030) et le Sivaïsme du Cachemire. 65

1033 Abû’l-Hasan Kharaqânî (960-1033) 66

1049 Abu Sa’id (? – 1049) 67

~1050 Milarepa 70

1064 Ibn Hazm (994-1064) 71

1089 Khwadja « Abdullah Ansâri (1006-1089) 72

1111 Hamid al-Ghazali (1058-1111) et son frère Ahmad (-1126) 74

Erreur et délivrance, extraits 74

1131 Ayn Al-Quzat Hamadani (1098 – 1131) 80

1141 Hugues et Richard de Saint-Victor (– 1141). 81

1141 Ibn Al-Arif (-1141) 83

1148 Guillaume de Saint-Thierry (~1085-1148) 86

1153 Bernard de Clairvaux (1091-1153) 88

1188 Guigues II (? – 1188) 90

1191 Sohravardi (1155 – 1191) 91

Le récit de l’Archange empourpré 91

Le bruissement des ailes de Gabriel 93

1209 Rûzbehân (1128-1209) 94

Majnûn, le « miroir de Dieu » par H. Corbin 94

Le dévoilement des secrets. 95

L’ennuagement du cœur 96

1220 Najmoddîn Kubrâ (1145-1220) 97

1226 François d’Assise (1182-1226) 99

Vertu de « pauvreté » et écrits. 100

Il cantico delle creature / Cantique de frère soleil ou des créatures. 101

François à frère Léon sur la route de Pérouse 102

Récit symbolique « des trois pièces d’or »  103

Délivrance du frère Richer : 103

1230 Attâr (1142-1230) 105

Le mémorial des saints 105

Le Cantique des Oiseaux 105

Le livre de l’épreuve 107

Le livre divin 108

Le livre des secrets 109

1235 Ibn al Faridh 110

1240 Ibn « Arabî (1165-1240) 111

 « Amour essentiel qui meut tout l’univers »  112

1240 Hirrali (? – 1240) 114

~1240 Traité de l’Unité 115

Moniales, béguine, simple paysanne, nouveau mode de vie! 117

~1240 & ~1280 Hadewijch I & II 119

1273 Rûmî (1207-1273) 124

~1280 Le Zohar compilé par Moïse de Leon (1240-1305). 126

1290 Nasafi (?-1290) & Traités du soufisme. 127

~1300 Hugues de Balma  129

1306 Jacopone da Todi (~1233 - 1306). 131

1309 Angèle de Foligno (1248 - 1309). 134

1310 Marguerite Porete (~1250 - 1310). 137

1318 Sultan Valad (1226-1318) 139

1320 Shabestarî (?-1320). 141

1321 Dante Alighieri (-1321) 145

1328 Maître Eckhart (~1260 - 1328). 146

Poème 146

Présentation et discussion 148

Trois courts extraits 149

1349 Richard Rolle (~1295 ? – 1349) 151

1361 Tauler (~1300-1361) 153

~ 1361 L’Imitation de la Vie Pauvre de N.S.J.C. 158

1366 Suso (~1295-1366) 160

~1370 Le Nuage d’Inconnaissance. 161

NUAGE 162

EPITRE DE LA DIRECTION INTIME 163

~1370 La Theologia Deutsch ou Livre de la Vie Parfaite. 165

1376 Hyegun (1320-1376) 167

1381 Maneri (~1263-1381) 168

1381 Jan van Ruusbroec (1293-1381) 169

Un siècle de troubles dans les Flandres 169

La vie et les œuvres. 169

L’incertitude des traductions. 173

Les Noces spirituelles. 173

1389 Baha’ Al-din Naqshband (1317-1389) 176

1390 Hâfez de Chiraz (1316/1317 - 1390) 177

1390 Ibn Abbad de Ronda (1332 – 1390) 179

~1390  Lalla (~1320 - ~1390). 180

~1408 L’Imitation de Jésus-Christ, Thomas a Kempis (1379 – 1471). 182

1411 Gerlach Peters (1378-1411). 183

~1420 Julian de Norwich (~1343 - après1416) 183

1428 Jîlî (1366-1428) 186

The book of Margery Kempe (~1373 ~1440) 187

1471 Denys le chartreux (1402-1471). 188

1477 Henri van Herp/Harphius (1400 - 1477). 189

1492 Jâmî (1414-1492). 190

~1500 ? Derviches anatoliens 191

1508 Nil Sorskij (1433-1508), influence 193

1510 Catherine de Gênes (1447 - 1510) 194

La “doctrine”. 196

 Dits » de l’Amour 197

« Dits » de Catherine 197

Le cercle génois ; influences reçues et exercées. 198

1518 Kabir (~1440 - 1518) 199

Granthavali (Doha) 199

1529 « Brug-pa (1455-1529) 200

1535 La Perle évangélique. 201

1538 Subida del Monte Sion de Bernardino de Laredo (1482 ~1540). 203

1546 Martin Luther (1483-1546) 205

1548 Institutions pseudo-taulériennes  206

1562 Pierre d’Alcantara (1499 - 1562) 207

1566 Louis de Blois (1506 - 1566) et son Institution spirituelle 208

1582 Thérèse de Jésus (1515 - 1582). 210

Alma, buscarte has en mi . 210

Jeu d’influences. 211

Filles pieuses. 212

Sept demeures. 213

1588 Breve compendio d’Isabelle Bellinzaga. 216

1591 Luis de Leon (1528-1591). 218

1591 Jean de la Croix (1542-1591). 221

Le fondateur des carmes réformés. 221

Les traces écrites. 222

Le mont Carmel. 223

Vide et unité. 225

1596 Grégoire Lopez (1542 - 1596) 227

1598 Philippe Desportes 230

1600 Giordano Bruno (~1550 – 1600) 231

Lorsque vint le temps pour moi de devenir chamane... 232

Appeler les esprits pour la première fois 233

De 1600 à nos jours 235

Avertissement 237

1603 Dadu (1544–1603) and the Bauls of Bengal 238

1610 Benoît de Canfield (1562-1610) 240

La Règle de Perfection 240

Règle de Perfection, Troisième partie, De la volonté de Dieu essentielle parlant de la vie suréminente. 241

1618 Madame Acarie, [Première] Marie de l’Incarnation (1566-1618).  245

1622 François de Sales (1567-1622). 253

1623 Exercices sacrés de l’amour de Séverin Rubéric (- apr.1625). 256

La voie d’amour (1623), Avis sur les quatre méditations de la vie unitive. 256

1624 Shaykh Ahmad Sirhindi (1564-1624) 257

The Naqshbandi Order 258

Maktubat, recueil de lettres de Sirhindî, extraits :  259

1624 Jacob Böhme (1575–1624). 263

Böhme par N.Berdiaeff 263

Mysterium Magnum (extraits) 263

1628 Joseph de Jésus Maria [Quiroga] (1562-1628). 265

1631 Constantin de Barbanson (1582-1631). 267

1635 Martial d’Étampes (1575 - 1635).  273

1635 Louis Lallemant (1588 - 1635). 277

1636 Jean de Saint-Samson (1571 - 1636). 279

Multiples réformes. 279

La vie d’un frère convers aveugle. 280

Le sentier de l’amour divin. 281

1638 Falconi (1596 - 1638) 287

1639 Jeanne de Cambry (1581-1639) 289

1641 Jeanne de Chantal (1572 - 1641) 292

1644 Isabelle des Anges (1565 - 1644) 296

1646 Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594 - 1646) 297

Une direction mystique 298

« Notre bon Père Chrysostome » 298

Une anthologie spirituelle   299

La vertu d’Abjection. 301

1649 Gaston de Renty (1611 - 1649) 304

~1650 Pierre Cluniac (1606 - après 1642). 306

1654 Marie de Valernod, dame d’Herculais (1619 - 1654). 307

~1656 Claudine Moine (1618 - après 1655) 308

1656 Marie des Vallées (1590-1656) 312

1657 Le Pèlerin Chérubinique d’Angelus Silesius (1624 - 1677). 318

1657 Jean-Jacques Olier (1608-1657) 319

1657 Madeleine de Neuvillette (1610 - 1657) 322

1658 Jean Rigoleu[c] (1596 - 1658). 323

1659 Jean de Bernières (1600 - 1659) 324

1661 Sarmad (? – 1661) 327

1662 Pascal (1623 - 1662) 328

1665 Jean-Joseph Surin (1600 - 1665) 331

1668 Antoine Civoré (1608 - 1668) 338

1670 Le Jour Mystique de Pierre de Poitiers (– 1683) 339

Le Jour mystique (1671), un florilège 340

Livre premier. de la nature de l’oraison mystique, et de l’excessive activité ou propriété d’images. 340

Livre second. De la foi nue, tant divine qu’humaine, et de la satisfaction que la foi nue doit produire en l’âme. 345

Livre troisième. Du sujet éloigné et du sujet prochain de l’oraison mystique. 346

Livre quatrième. De l’oraison de repos mystique savoureux et de celui qui est sec et sans goût. 349

1671 Armelle Nicolas (1606-1671) 352

Un pays prospère et chrétien 352

Trois directeurs mystiques (Lallemant, Rigoleuc, Huby) 353

Une humble servante 353

La fournaise d’amour 355

          Une biographie et son influence 358

1672 Marie de l’Incarnation [Guyart] (1599-1672). 360

1674 Geneviève Granger (1600 - 1674) 366

Témoignages de madame Guyon 366

Éloge par la Mère de Blémur 367

1674 Thomas Traherne (1637 - 1674) 369

1677 Baruch de Spinoza (1632 - 1677) 370

1677 Charlotte Le Sergent (1604 - 1677). 371

1678 Antoinette de Jésus (1612 - 1678) 373

1678 Henry Scougal (1650 - 1678). 374

1680 Alexandrin de la Ciotat (1629 - 1706). 376

Le Partait dénuement de l’âme contemplative (1680) 376

~1680 Catharina Regina von Greiffenberg (1633-1694) 381

1681 Monsieur Bertot (1622-1681), Directeur Mystique. 382

1682 Marie (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686) 387

1686  Nicolas Barré (1621 - 1686). 388

1690 Robert Barclay (1648 - 1690) et les Quakers. 390

Robert Barclay 390

Les Quakers. 390

1689 Jean Aumont (1608 - 1689) 392

L’Agneau occis dans nos cœurs (1660) 392

1691 Laurent de la Résurrection (1614 – 1691) 396

1696 Molinos (1628 - 1696). 400

1698 Mectilde / Catherine de Bar (1614-1698) 403

1711 Machrab (1657-1711) 407

1715 Fénelon (1651 - 1715) 408

L’état fixe d’oraison continuelle 409

Correspondances et opuscules 410

Maximes des Saints 415

1717 Jeanne-Marie Guyon (1648 - 1717) 416

Une vie courageuse 416

Une oeuvre préservée et d'influence souterraine 417

Son très large spectre 418

Un enseignement qui couvre la carrière mystique 418

Moyen court 419

Torrents 419

 Vie par elle-même 420

Discours 420

Correspondance 422

1720 Claude-François Milley (1668 - 1720) 426

~1751 L’Abandon à la Providence divine 427

Le lyrique et guyonien chapitre IX : 427

1769 Gerhard Tersteegen (1697 - 1769) 429

1782 La Philocalie, une bibliothèque spirituelle. 429

1823 Sheikh Al-Arabi ad-Darqawi (-1823) 430

1827 Dov Baer de Loubavitch (1773 - 1827) 432

1833 Seraphim de Sarov (1759-1833) 435

~1840 Optino et la Paternité spirituelle en Russie. 438

Le staretz Macaire (1788-1860)  439

Le staretz Ambroise (1812-1891) 439

Le staretz Théophane le Reclus ou de Vycha (1815-1894) 439

Chariton de Valamo 440

1852 François Libermann (1802 - 1852) 441

~1870 Récits d’un pèlerin [russe] 443

1881 Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) 444

1883 Abd el-Kader (1807-1883) 444

1897 Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897) 446

~1906 Archimandrite Spiridon 447

1910 William James (1842-1910) 448

1918 Marie-Antoinette de Geuser « consummata » (1889-1918) 449

1932 Ramakrishna ( - 1932) 451

1934 Ahmad al-‘Alawî (-1934) 453

1938 Starets Silouane (1866-1938) 455

1941 Thomas Kelly (1893-1941), quaker 456

1942 Brandsma (1881-1942) 457

1942 Edith Stein (1891-1942) 458

1943 Jiri Langer (1894-1943) 460

1948 Vital Lehodey (1857-1948) 465

1950 Simon Frank (-1950) 466

1950 Ramana Maharshi (1879 - 1950) 467

1963 Ramdas (– 1963) 471

1964 R.H. Blyth [on Zen](1898-1964) 473

1966 D.T.Suzuki (1870-1966) 475

1970 Khempo Janyang Dorje (1896-1970) 480

1973 Jacques Maritain (1882-1973) 481

1973 Henri Le Saux / Swami Abhishtktananda (1910-1973) 482

1979 Jeanne Schmitz-Rouly (1891-1979) 483

Mrs. D. K. (Avant 1980) 485

1980 Lev Gillet (1893 – 1980) 486

Interview avec le Père Lev Gillet 486

1988 Sayd Bahodine Majrouh (-1988) 495

1993 Lilian Silburn (1909 – 1993) 497

Témoignage 497

Le Vide, le rien, l’abîme. 497

Intériorité (références et plan) 500

La lumière blanche éblouissante 501

1993 Toshihiko Izutsu [on Zen](1914-1993) 503

2002 Marie-Dominique Molinié (1918-2002) 505

Lu ‘K’uan Yü (1898 - ?) & Hsu Yun 507

Dom Georges Lefebvre 508

Jean-Yves Leloup (1950-) 510

TABLE 511


Fin








1John C.Eccles, Évolution du cerveau et création de la conscience, 1989; Jared Diamond : Le troisième chimpanzé, De l’inégalité parmi les sociétés, Effondrement, 2005; The world until yesterday, 2012 ; Richard Feynman, Lectures on physics, 1969 ; Benoît Mandelbrot, The fractal geometry of Nature, 1977; Stephen Wolfram, A new kind of science, 2002; Brian Greene, The fabric of the cosmos, 2004; Frank Wilczek, The lighness of being, 2008. Etc.


22 Je privilégie la date de disparition de leur auteur s’il est connu pour être le rédacteur original, plutôt que la date de composition souvent inconnue ou de publication parfois fort décalée par rapport à la circulation de manuscrits. Les auteurs composent dans leur maturité et vivaient souvent moins longtemps que ce n’est aujourd’hui le cas.

Je cite parfois des œuvres pour assurer la présence de traditions qui font fi des signatures (c’est le cas de traditions extrême-orientales par exemple bouddhique). L’incertitude de datation est alors plus grande, soulignée par un voire deux tilde.

3Entrées «1111 al-Ghazali» et, tome IV, «1941 Des avocats» citant Les deux sources de la morale et de la religion.

Les religions seraient issues de fondateurs mystiques et souvent à leur insu. Observez le passage de l’usage central du terme Apostolus chez Tertullien au second siècle (dans le De praescriptione haereticorum qui remonte par une chaîne humaine aux premiers apôtres) à celui du terme Deus observé chez Ambroise de Milan au quatrième siècle (dans le De Interpellatione Job et David). La comparaison quantifiée et figurée « chimiquement » souligne une dérive menant de l’individu porteur de vérité vers un corps de doctrine. (Nuevas formas de analisis de textos con cerbros electronicos, A. Barcala, J. de Montgolfier, D.Tronc, Univ. Comillas Madrid, 1976, 36, 120.)


4Dans le Dictionnaire de Spiritualité, 95 % des entrées individuelles présentent des membres d’ordres religieux : la turba magna des témoignages écrits de mystiques anonymes laïcs a disparue. Diverses raisons peuvent être avancées dont au simple plan matériel la survie des seuls fonds non privés d’archives et de bibliothèques.

5Honoré de Sainte-Marie (1651-1729), Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation, tome I, 1708.

6Benoît de Canfield, Règle de perfection III, 7, éd.  Arfuyen, 2008.

7Lilian Silburn, « Le Vide, le Rien, l’Abîme”, Coll. Hermès n° 6, 1969.

8Entrée : «~1370 Le Nuage d’Inconnaissance».

9Galates 2, 20.

10On trouve un parallèle dans les historiographies composés de notices par figures, littérature des Tabaqât développée et couronnée par Sulami (Entrée 1021 Sulami »).

11Roger Caillois, Jean-Clarence Lambert,  Trésor de la poésie universelle, Gallimard/Unesco 1987, «Complaintes mortuaires à deux voix (Afrique Équatoriale, Pygmées)», 44.


12Ibid., 161-162, cit. d’après A. Erman, La Religion des Égyptiens, Payot.


13Jean Steinmann, Le Livre de Job, Cerf, Paris, 1955, Chapitre 30, 184, Chap. 38,  190.


14La Bible, traduction œcuménique, 1988, 874. [traduction établie sur la Biblia hebraica de R. Kittel, 1937].

La Bible, Ancien Testament, coll. Pléiade, II, dir. E. Dhorme, 188, donne des variantes dont : «… familier de la maladie… mais lui, il était traité en impie à cause de nos forfaits, il était écrasé par nos fautes…».


15Trésor de la Poésie universelle, op.cit., 204-205, [reprend Auguste Dies, in Platon, Parménide, Les Belles Lettres, fragment 8].


16 Une introduction ? Emile Bréhier, Histoire de la  Philosophie, PUF, 1930, «Quadrige» 2004, Livre premier, Chap. II & III, 80-151. Citation : 85.


17Voir L’hindouisme, textes et traditions sacrées…, Anne-Marie Esnoul, Fayard, 1972.

Je cite la Mundaka Upanisad, trad. J. Maury, Adrien-Maisonneuve, 1943, suivi d’une précision donnée par Lilian Silburn, Instant et Cause, 1955, 1989,  Chap. III, 105.


18Lao Tseu, Tao Te King, [2e] trad. par Claude Larre,  «Les Carnets», DDB, 1994, extr. du dernier chap. 81. Dans sa première traduction de 1977 :

«… Plus il est aux autres/Plus il est pour lui-même…»

Littérature commentariale immense, variété d’interprétations. Stanislas Julien, Le doctrinal de Lao Tseu, 1842, est déjà pertinent : «Le Sage ne thésaurise pas. Il se donne aux autres; et il s’enrichit toujours plus»; utile translittération chinese-english donnée par P. Carus, 1898; Arthur Waley, The Way and its power, London, 1934: “. . . When his own last scrap has been used up on behalf of others / Lo, he has more than before!…” ; Lao-tzu Te-Tao Ching, a new translation based on the recently discovered Ma-wang-tui texts, by Robert G. Hendricks, 1989. Etc.

Textes introductifs : Max Kaltenmark, Lao Tseu et le taoïsme, “Maîtres spirituels”, Seuil, 1965; Jean Grenier [maître d’Albert Camus], L’Esprit du Tao, 1973. Etc.


19Les Stoïciens, Textes traduits par Emile Bréhier…, Pléiade Gallimard, 1962, “Hymne à Zeus”, 7-8. Issu de Cléanthe (~312 – 232).


20Léon Wieger, Les Pères du Système Taoïste, Cathasia, 1950, 209, 259.

À compléter par les Grands traités du Huainan Zi, ~~AC150 : « …on comprend : Les êtres ne sont plus rien, seule la vie propre a du prix … on atteint l’Ultime : On évacue les êtres, on fait retour aux motions personnelles… » (Les grands traités du Huainan zi, Cerf, 1993).

À compléter par le « Vrai classique du vide parfait »  attribué à Lie tzeu/zi, en fait œuvre tardive ~~400 : « Lie tzeu apprit l'art de chevaucher sur le vent. Yinncheng l'ayant su, alla demeurer avec lui, dans l'intention d'apprendre de lui cet art, et assista à ses extases qui le privaient de sentiment pour un temps notable. Plusieurs fois il en demanda la recette, mais fut éconduit à chaque fois. Mécontent, il demanda son congé. Lie-tzeu ne lui répondit pas. Yinn-cheng s'en alla. Mais, toujours travaillé par le même désir, au bout de quelques mois il retourna chez Lie-tzeu. Celui-ci lui demanda: pourquoi est-tu parti? pourquoi es-tu revenu? — Yinn-cheng dit: vous avez repoussé toutes mes demandes ; je vous ai pris en grippe et suis parti ; maintenant mon ressentiment étant éteint, je suis revenu. — Lie-tzeu dit: je te croyais l'âme mieux faite que cela ; se peut-il que tu l'aies vile à ce point? Je vais te dire comment moi j'ai été formé par mon maître. J'entrai chez lui avec un ami. Je passai dans sa maison trois années entières, occupé à brider mon coeur et ma bouche, sans qu'il m'honorât d'un seul regard. Comme je progressais, au bout de cinq ans il me sourit pour la première fois. Mon progrès s'accentuant, au bout de sept ans il me fit asseoir sur sa natte. Au bout de neuf années d'efforts, j'eus enfin perdu toute notion du oui et du non, de l'avantage et du désavantage, de la supériorité de mon maître et de l'amitié de mon condisciple. Alors l'usage spécifique de mes divers sens, fut remplacé par un sens général; mon esprit se condensa, tandis que mon corps se raréfiait; mes os et mes chairs se liquéfièrent ; je perdis la sensation que je pesais sur mon siège, que j'appuyais sur mes pieds ; enfin je partis, au gré du vent, vers l'est, vers l'ouest, dans toutes les directions, comme une feuille morte emportée, sans me rendre compte si c'est le vent qui m'enlevait, ou si c'est moi qui enfourchais le vent. Voilà par quel long exercice de dépouillement, de retour à la nature, j'ai dû passer, pour arriver à l'extase… » (Wieger, 85).

Par A source book in Chinese philosophy by Wing-tsit Chan, Princeton, 1969; Henri Maspero, Le Taoïsme et les religions chinoises, 1971; John Blofeld, Le Taoïsme vivant, trad. 1977 ; Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, 1997. Etc.

Par la poésie chinoise dont le texte que nous venons de lire fournit un exemple en prose. Ici Entrée “762 Li-po”.

Par la pratique de la calligraphie et du lavis propres à la “peinture” chinoise qui utilise un “alphabet” d’éléments picturaux la liant très naturellement à l’exercice d’écriture. Ici Entrée “761 Wang Wei”.


21Charles Perrot, Jésus, coll. Que sais-je?, 1998, 122, citant Philippiens 2, 6-11.

22Galates, 2, 20, cité ici selon la traduction catholique du XVIIe siècle de la Vulgate ancienne revue par Amelote.

Nous ne sommes plus à nous-mêmes sitôt que nous sommes désappropriés, que nous avons perdu notre propre âme en Dieu. Nous sommes transformés en l’image de Dieu [2 Co 3, 18] c’est-à-dire, transformés en Jésus-Christ, qui est l’image du Père, de sorte, dit-il ailleurs, que je ne vis plus, moi, mais Jésus-Christ vit seul en moi. Je Lui ai cédé par une entière désappropriation la place que je tenais en moi et que j’avais usurpée. Lorsque les mystiques parlent de l’incarnation mystique, c’est la même chose dont parle saint Paul par le terme de formation de Jésus-Christ en nous [Ga 4, 19], qu’il appelle aussi révélation de Jésus-Christ [Ga 1, 16].” (Madame Guyon, Oeuvres  mystiques, Champion, 2008, ‘Discours spirituels’, 1.02 § II, 558–559).

23Jean 13, 4-5, une « action humiliante que l’on ne pouvait même pas imposer à un esclave juif » (note TOB).

24La Concentration de la Marche héroïque (Sûramgama-samâdhi-sûtra), traduit et annoté par Etienne Lamotte, Bruxelles, 1975, pp.185 sv. puis p. 30 “Le Bodhissatva se fixe...”.

25L’enseignement de Vimalakîrti (Vimalakîrti-nirdesa) traduit et annoté par Etienne Lamotte, Louvain, ­1962; voir aussi Sengzhao, Introduction aux pratiques de la non-dualité, Commentaire du Soûtra de la Liberté inconcevable, Traduit du chinois et annoté par Patrick Carré, Fayard; 2004.

26«Vie de Plotin» [par son disciple Porphyre qui avait vécu alors auprès de lui cinq ans], Plotin, Ennéades, I, 27.

27Plotin, Ennéades, trad. Émile Bréhier, Belles-Lettres, 1924, 1963, III, 2 «De la Providence I», 25 sq. Synthèse : Emile Bréhier, Histoire de la Philosophie, op.cit., Chap. VII « Développement du néoplatonisme, I Plotin».

28La vie de Moïse…, Sources  Chrétiennes n° 1bis; sur G. de Nysse, Dict. Spir. 6971/1011.

29Préface à La vie de Moïse…, 26-27.

30La vie de Moïse, § 24-25, SC n° 1bis, 121.

31Ibid., § 120-121, 179.

32Ibid., § 229 à 236, 265 à 269.

3324 Conférences traduites par Dom E. Pichery, «Sources Chrétiennes», Cerf, 3 vol., 1955-1959. — Citation  : Conférence I, «Du but et de la fin du moine»,  SC n° 42, 1955,  p. 87.

34Œuvres de Saint Augustin, 13 & 14, Les Confessions, Trad. Tréhorel et Bouissou, “Études Augustiniennes”, éd. bilingue, Desclée, 1962. –  Dans l’immense œuvre, privilégiez aux mêmes “Études Augustiniennes”, les volumes 15 & 16, La Trinité (profonde introduction et notes par le mystique P. Agaesse, entrée : t. III, « Fidèles aux Traditions », « 1979 Agaësse ».

35Proclus, Théologie platonicienne, Belles Lettres, 6 vol., Introduction par H. D. Saffrey au vol. I, 1968, XXVII; voir : “L’école d’Athènes au IVe siècle”, XXXV-XLVIII.

36reproduit dans l’entrée “AC ~250 Hymne à Zeus”. 

37Proclus, Hymnes et prières, trad. de H. D. Saffrey, Arfuyen, Paris, 1994, 79; v. Firmicus —  Porphyre — Sallustus, Trois dévots païens, trad. de A.J. Festugière, Arfuyen, Paris, 1998.

38Proclus, Hymnes et prières, trad. de H. D. Saffrey, Arfuyen, Paris, 1994, 79; v. Firmicus —  Porphyre — Sallustus, Trois dévots païens, trad. de A.J. Festugière, Arfuyen, Paris, 1998.

39Entrée “~529 Damascius”.

40The Large Sutra on Perfect Wisdom, with the divisions of the Abhisamayâlankâra, translated by Edward Conze, Univ. of California press, Berkeley, 1975, I-XI, 1-679. Reconstitution par concaténation de diverses sources, donc péché de « contamination » aux yeux érudits, mais prise de risque heureuse pour nous !

41[renvoi en note attachée par Conze:] « Nag[arjuna] : All people love their friends and hate their ennemies ; the Bodhisattva [nous devons en devenir un], however, treats friends and foe as the same, as identical. »

42[renvoi:] « 1,3 : When he sees beings happy, he exercises Friendliness and Sympathetic joy, and makes a vow that he will lead all beings to the happiness of Buddhahood. 2 : When he see them unhappy, he exercises Compassion…  […] » : Honnêtement cela n’est pas facile ! aussi le texte d’un tel « bon » sutra est à lire très lentement pour « réaliser » ses contenus exigeants. Les textes d’origine collective sont souvent monotone et répétitifs à une appréciation intellectuelle mais ils visent une autre fin.

43 [renvoi:] « Through his attachment to the two extremes [of eternalism and annihilationism] which is the result of his self-assertion. S. P. AdT. »

44Dict. critique de théologie, 1998, 964a.

45Entrée  “~529 Damascius”.

46Pseudo-Denys, Œuvres complètes…  trad.  Gandillac, Aubier, [1943], 1980. [Noms divins : 701C-708A sur le bien, le beau, l’intériorité, 712C-713D sur l’amour, 872A-873A sur l’inconnaissance. Hiérarchie céleste : 165A-168A]; DS 3.244/429; J. Krynen [v. sa thèse, disponible aux Archives Saint-Sulpice, annotée par Orcibal]; R. Roques, L’univers dionysien, 1983; etc.

47Œuvres…, op.cit., “Les noms divins” 101 et 102, [704 A et 705 A].

48Attracteur : dans une représentation géométrique du monde matériel, le centre de révolution caché qui détermine les frontières au sein desquelles sont canalisés certains phénomènes dynamiques, tels que des trajectoires fermées qui, considérées  individuellement, sont chaotiques (dont les révolutions ne répètent jamais le même parcours).

49Ibid., 104 [708A-B].

50Ibid., “La hiérarchie céleste”, 198 [168 A].

51L’analogie optique d’Amoli (?-1385) utilisant les moyens connus à son époque (optique “par réflexion”) est explicitée par H. Corbin, Le paradoxe du monothéisme, L’Herne, 1981, “Livre de Poche”, 1992, 27 sq. Elle permet “d’intégrer et de différencier”, de voir à la fois la flamme unique divine (centrale) et les multiples miroirs (ces derniers seuls perçus par la plupart des hommes malgré l’Image unique qu’ils reflètent).

52Correspondance I, Paris, Champion, 2003, lettre à Fénelon n° 201, novembre 1689, 423. Ces “miroirs pénétrés” sont des lentilles dont les propriétés optiques furent découvertes au début du XVIIsiècle; en 1609 Galilée apprend l’existence du télescope hollandais, qu’il réinvente, publiant l’année suivante Sidereus nuncius, “le messager des étoiles”.

53Bréhier, Histoire de la Philosophie, op.cit., 433 (rééd. 2004).

54Damascius, Des premiers principes, trad. Galpérine [en un volume!], Verdier, 1987, p. 31 résumant la p. 170 :

«  Est-ce donc que l’indicible, à la vérité, entoure tout le discible à la ma nièred’une couronne, le dépassant en haut, étant en bas l’ssise de tout ? … il n’y a rien de lui qui soit premier ni dernier, car en lui il n’y a pas non plus de procession… »

55Ibid., 222. Galpérine réfère à Plotin, Ennéades, V, 3, 8, où nous relevons : “Cette lumière éclaire l’âme de ses rayons… la faisant semblable à elle-même…” (trad. Bréhier).

56Le Coran, Traduction par Yaya Alawi et Javad Hadidi, Centre pour la traduction du Saint Coran, Qom, 2000.

La difficultés de traduire/adapter débute dès le premier terme de la prière introduisant le texte sacré ! Pour nos traducteurs, « Grâce au nom de Dieu » lève l’ambiguité liée à la traditionnelle ouverture « Au nom de Dieu » reprise des premiers traducteurs européens. Car il faut lever l’ambiguité : il ne s’agit pas de s’exprimer ou d’agir « de la part de Dieu » , « par délégation », comme peuvent le faire des « vicaires du Christ » dans les Eglises chrétiennes. Les intermédiaires n’existent pas en Islam.

Alawi et Hadidi reconnaissent la traduction de Blachère comme un « modèle de rigueur grammaticale et logique … [qui] constitue un tournant dans l’histoire des traductions du Coran en français. » (pp. 14-15). Régis Blachère (Le Coran, Maisonneuve et Larose, 1956, rééd. 2005) distingue par ses titrages ajoutés [entre crochets] les diverses « blocs de sens » au sein d’une même sourate, suggère une séquence d’élaboration des parties, souligne en italiques des apports tardifs… Ces aides ne sont peut-être pas acceptables par tous mais me semblent indispensables pour aborder l’ensemble avec fruit. Une lecture lente et fractionnée de ce qui n’a jamais été conçu comme un texte suivi (d’où le classement arbitraire à nos yeux des sourates par longueurs décroissantes) s’impose, comme souligné précédemment pour un sutra.

Al-Sîra ou la « chronique de la vie du Prophète » par Ibn Ishaq est le complément nécessaire accessible (traduction intégrale A. Guillaume, Oxford, 1955, ou choix Mahmoud Hussein, Grasset, 2005).

Coran & Al-Sîra ou « Dits & Vie » remplacent bien des lectures inutiles.


57Trad. D. Masson. ; Nelly et Laroussi Amri, Les femmes soufies ou la passion de Dieu, Dangles 45800 St-Jean-de-Braye, 1992, 23, Qur’ân II, 136

58Trad. D. Masson citée par Lilian Silburn dans “Accès au Sans-accès”, Les Voies de la mystique, Hermès, 1981, 44.

59Fa-Hai, Manifeste de l’Eveil, Le Soûtra de l’Estrade de Houei-neng, traduit du chinois et commenté par Patrick Carré, Seuil, 1995, réédition 2011.

Traduction plus récente : Hui neng, Le soutra de l’estrade du don de la loi, Trad. du chinois par Françoise Morel, Edition bilingue, Hors collection, La Table Ronde, 2001, accompagnée des « textes essentiels du canon bouddhique indien » .

J’utilise Patrick Carré en indiquant les numéros de sections ou chapitres (« 3. » etc.) et/ou les (pages). Je cite l’ « Avant propos », page 9, et accompagne en note d’une explication éclairant le mot « Estrade » :

[Commentaire du titre « Soûtra de l’Estrade », P. Carré, p.116 :]

De quel don [Estrade = tan = don, selon l’interprétation proposée par P. C.] alors, peut-il bien s'agir ? « De la forme supérieure de la générosité, le don de la Méthode, ou du Dharma (ssk., dharmadâna; chin., fa-che), les deux autres dons de la générosité transcendante, première des six vertus transcendantes (pâramitâ, po-lo-mi) des Bodhisattvas, consistant à procurer toutes espèces de biens — argent, objets — à ceux qui en ont besoin et à garantir l'absence de peur à tous les êtres vivants. »

60commentaire de P. C., p.132.

61[commentaire de P. C., p.133 :] « Cette essence, notre nature de Bouddha, Houei-neng l'a vue en entendant le [Soûtra du] Diamant et la voit encore lorsqu'il proclame la non-différence ultime du macaque et de l'abbé. »

62[commentaire de P. Carré, p.147/8, que je cite pour le beau poème de Ting Fou-pao :]

« La bouddhéité est toujours immaculée », la poussière — le voile des passions — lui est « extérieure » : la bouddhéité, qui est l'essence de l'homme et la nature ultime de toutes choses, transcende l'être, le non-être et le devenir, alors que l'ignorance, la haine et les autres passions, sous l'apparence de l'être et du devenir, se ramènent au non-être, au néant qui ne saurait décider de quoi que ce soit. « « Tout est pur » est une manière positive de dire que « tout est vide », insubstantiel, dépourvu d'être en soi, irréel.

« D'ailleurs, toutes les versions postérieures à notre manuscrit du Soûtra de l'Estrade ont adopté la leçon du vide plutôt que de la pureté — le célèbre pen-lai wou yi wou, « au fond, rien n'existe », que Ting Fou-pao commente avec inspiration en ces termes :

[Notre essence] se dresse solitaire, sans appui,

Consciente et vive infiniment :

C'est un oiseau qui fonce dans l'espace

Sans jamais s'y fixer,

Un poisson qui file dans l'eau

Sans jamais s'y figer.

Dès son origine rien ne peut la bloquer. »

[fin de note]

63[Suite du long commentaire de P.Carré sur la stance, p.151:]

« La chose a été réfutée jusqu'à n'être plus, mais comment réfuterez-vous le non-être laissé par cette réfutation ? En le réfutant, vous retombez dans l'être, puisqu'en niant le non-être vous affirmez l'être, puisque l'in-substantialité est l'antidote suprême, et pour d'autres raisons semblables.

« Il est temporairement nécessaire de prouver le non-être et de s'y habituer, lorsqu'on songe à cette fixation sur l' être qui dure depuis la nuit des temps. En effet, si l'on ignore que les choses n'ont pas d'être en soi, on n'aura jamais la certitude que, dans leur état naturel, elles sont libres de tous les extrêmes .

« Il demeure toutefois que ce simple non-être n'est pas l'ultime état naturel des choses. Lorsque l'examen et l'analyse aboutissent à l'impossibilité d'observer que la chose examinée est, conventionnellement, née par elle-même, etc., lorsque « rien, les formes ni aucune autre chose, n'existe », l'irréalité de la chose n'a plus le support de la chose, elle est irréelle aussi, et, en conséquence, elle ne peut plus se présenter à l'esprit comme l'objet de quelque réification que ce soit, tout comme on ne peut se représenter la mort du fils d'une femme stérile, lequel n'est jamais venu au monde. Voilà pourquoi le non-être ne peut être posé qu'à partir de l'être : jamais il n'a existé dans l'absolu et par essence. »

6466 Enfin je compare à la traduction à la fois élégante et précise de Françoise Morel, Soutra de l’Estrade du don de la loi, op.cit. :

Il n’y a pas d’arbre de la Bodhi

De clair miroir, pas plus.

La nature de Bouddha est toujours vide et pure

Comment, où, y aurait-il une quelconque poussière ?

65François Cheng, L’écriture poétique chinoise», Seuil, 1977, 32; Wang Wei, Paysages : Miroirs du cœur, trad. par Wei -penn Chang et Lucien Drivod, Gallimard, 1990; Les saisons bleues, l’œuvre de Wang Wei poète et peintre, par Patrick Carré, Phébus, 1989.

66Li po l’Immortel banni, buvant seul sous la lune, poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet, Moundarren, Millemont 78940.

D’autres volumes publiés par Moundarren et consacrés aux poètes de Chine ont le grand mérite d’être «bilingues» ce qui permet de «perdre son temps» et de «rêver» en remontant de caractère en caractère au français (Dictionnaire français de la langue chinoise préparé par l’Institut Ricci, 1990 … aidé de la «Liste des caractères difficiles à trouver»).

Aussi : Paul Demiéville, Anthologie de la poésie chinoise classique, Gallimard, 1962.

67Robert Beulay, L’enseignement spirituel de Jean de Dalyatha, mystique syro-oriental du VIIIe siècle, Beauchesne, 1990. Citation : 406.

68Rolf A. Stein, La Civilisation Tibétaine, 1996.

69Evans-Wentz, Jung, etc., marqués par des «prismes déformants théosophiques, hindouisants ou psychologiques» (note du traducteur cité ci-dessous, 962).

70Padmasambhava, Le Livre des Morts Tibétain, La Grande Libération par l’écoute dans les états intermédiaires, Bardo Thödröl Chenmo, traduit et commenté par Philippe Cornu,  Buchet/Chastel, 2009.

71Râb’ia, Les chants de la recluse, traduit de l’arabe par Mohamed Oudaimah, Paris, Arfuyen, 2002, 71. — Farid-ud-Din «Attar, Le mémorial des saints, «Sentences de Râb’ia “Adaviyeh», trad. du ouïgour par A. Pavet de Courteille, Seuil, «Sagesses», 1976, 82-100.

72Ibid., 19. Citation suivantes, Ibid., 22, 35, 49.

73Râbi’a de feu et de larmes, Salah Stétié, Fata Morgana, Paris, pour les belles adaptations citées référées en suivant l’ordre du recueil comprenant des poèmes suivis de fragments en prose.

74Râb’ia, Les chants de la recluse, op.cit., 35.

75 Nelly et Laroussi Amri, Les femmes soufies ou la passion de Dieu, Dangles 45800 Saint-Jean-de-Braye, 1992, 23.



76Nelly et Laroussi Amri, Les femmes soufies ou la passion de Dieu, op.cit., un choix de figures pages 90, 120, 133, 150, 151 (Maymûna al sawdâ al majnûna al’âqila).



77René Khawam, Propos d’Amour des Mystiques musulmans, Paris, 1960, pour « La sœur d’Al-Foudayl » et pour (le choix) des figures suivantes (v. la table des matières, deuxième partie).

78René Khawam, Propos d’amour des mystiques musulmans choisis, Paris, 1960, pour Bichr al-Hafi et pour (le choix) des figures suivantes (v. la table des matières, première partie ; ici pages entre parenthèses).

79Junayd, Enseignement spirituel, Traités, lettres, oraisons et sentences, traduit et présenté par Roger Deladrière, Sindbad, Paris, 1983.

80René Khawam, Propos d’amour des mystiques musulmans choisis, Paris, 1960, pour cette citation de la p. 92, et celle de la p. 123.


81La Passion de Hallâj, martyr mystique de l’Islam, 1922, Gallimard, 1975 (4 vol. assemblés par L. Gardet); rééd. poche récente. – Voir aussi les autres écrits de Massignon et de Gardet.

82Ayn Al-Quzât Hamadâni, Les Tentations Métaphysiques, Introduction, traduction et notes par Christiane Tortel, Les Deux Océans, Paris, 1992, 225-226.


83[Note Tortel :] « Traduction (contestable) de Louis Massignon, Passion III, p.55 et Diwân, p.104. »

84[Note Tortel :] « La traduction proposée par Massignon comporte de nombreuses variantes : Passion II, p.178. »

85“Abû Yazîd”, H. Ritter, Encycl. of  Islam. — Autre source : Adle C., Bestâm/Bâstam, Encycl. Iranica, vol.IV, 1990, p. 177–180 [cit. Kharaqânî …Tortel, p.67 note 24]

86Schimmel, Mystical dimensions of Islam, Chapel Hill, 1975, 47–51

87Dermenghem E., Vie des saints musulmans, Baconnier, Alger, 1947, 197-246

88Hujwiri, Kashf Al-Mahjub, Nicholson, Luzac, 1976, 106-108 & 184-188 ; citation 185.

89Bistami, Les dits de Bistami (shatahât), présentation et trad. A. Meddeb, Fayard, 1989.

90René Khawam, Propos d’amour des mystiques musulmans choisis, Éd. de l’Orante, Paris, 1960, pour cette dernière citation.


91Niffari, Le Livre des Stations, Traduit de l’arabe et présenté par Maati Kâbbal, Éditions de l’Éclat, 1989, 80.

Extrait complémentaire : « Niffari ».

92Kalâbâdhî, Traité de Soufisme, Les Maîtres et les Étapes, traduit et présenté par Roger Deladrière, Sindbad, Paris, 1981, «Présentation».

93Kasf Al-Mahjûb of Al Hujwiri . . . transl. by R. A. Nicholson, 1911 (Luzac, 1976). (mon paperback n’a plus une page qui ne soit décollée). – Il existe une traduction française.

94Sulami, La lucidité implacable, Epître des Hommes du Blâme, trad. R. Deladrière, Arlea, 1991; voir aussi : Schimmel, Mystical dimensions of Islam, Univ. of North Carolina, 1975, 85–88.

95Jean-Jacques Thibon, L’œuvre d’Abû «Abd al-Rahmân al-Sulamî (325/937-412/1021) et la formation du soufisme, Institut français du Proche-Orient, Damas, 2009, ici p. 283 pour le v. Cor. (22, 66) « C’est lui qui vous a fait vivre et puis vous fera mourir ».


96DS 14.1391

97Syméon, Chapitres Théologiques Gnostiques et pratiques, coll. «Sources Chrétiennes» [SC] : SC 51bis (1957); Catéchèses I,  II, III, SC 96, 104, 113; Traités Théologiques et éthiques I & II, SC 122 & 129; Hymnes I, II, III, SC 156, 174, 196 (1973).


98Hymne III.

99Hymne XXXIII.

100Hymne XVI.

101Hymne XV.

102DS 14.1398; Citation : SC 129, 247.

103SC 129, 221. 

104Chapitres théologiques..., Centuries, deuxième série, 4.

105Ibid., 11, 13.

106Ibid., troisième série, 38.

107Publications de l’Institut de Civilisation Indienne, 10 ouvrages parus  de 1957 à 1998 (Paris, E. de Boccard) dont le plus accessible : La Bhakti, 1964. – Leur découverte est possible par une lecture adoptant l’ordre chronologique. L’ensemble révèle alors sa grandeur et sa profondeur -- dignes d’une cathédrale.

108Instant et Cause, le discontinu dans la pensée philosophique de l’Inde, Lilian Silburn, Vrin, 1955, De Boccard, 1989, couvre en une progression intérieure continue : Veda, Brahmana, Upanisad, «sectes» du Bouddhisme.

109V. entrées «~170 Sûramgama-samâdhi-sûtra.  L’enseignement de Vimalakîrti» & «~500? Large Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayâlankâra)». — Aux Sources du Bouddhisme, sous la direction de L. Silburn, Fayard, 1977, 1997,  présente ses textes canoniques dans une approche privilégiant la vie mystique.

110Sur Abhinavagupta : une introduction par L. Silburn in Le Vijnana Bhairava, Paris, E. de Boccard, 1961, 11-65. – V. aussi La lumière sur les Tantras, 1998.

111Hymnes de Abhinavagupta, Paris, E. de Boccard, 1970, 25.

112Kharaqânî, Paroles d’un soufi, présentation et trad. C. Tortel, Seuil, 1998 [7-71, riche introduction en 4 sections comportant des digressions; suivent les Paroles]; Adle C., Recherches archéologiques…, CR de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, 1984, 271-299 & du même, Bestâm-Bastâm, Encycl. Iranica, vol. IV, 1990, 177-180; Abu Sa'id, Les étapes mystiques du shaykh Abu Sa'id, M. Monawwar, DDB, 1974, p.150-156.

113M. E. E. Monawwar, Les étapes mystiques du shaykh Abu Sa’id, trad. M. Achena, Desclée, 1974, d’où proviennent nos citations; Nicholson, Studies in Islamic mysticism, ch.1: Abu Sa’id, 1-76 [cit. : 51 54 58 62 64].

114Milarépa, Œuvres complètes. La vie. Les cent mille chants. Par Marie-José Lamothe, Fayard, 2006.

115Entrée «1529 “Brug-pa».

116Trésor de la Poésie universelle, op.cit., Chant de l’Ermite : 245-246 (traduction référencée : J.Bacot, Milarepa, Bossard).

117Trésor de la Poésie universelle, op.cit. (Trad. H. Massé, Anthologie persane, Payot), 255.

118Ibn Hazm de Cordoba, El collar de la paloma, Tratado sobre el amor y los amantes, traducido por Emilio Garcia Gomez, Madrid, 1971, « Introduccion », 42 réfère à : Abenhazam de Cordoba y su Historia critica de las ideas religiosas, trad. Asin Palacios, 5 vols., Madrid, 1927-1932.


119Khwadja Abdullah Ansari, S. De Laugier de Beaurecueil, Beyrouth, 1965. — Biographie passionnante faisant revivre l’époque mouvementée des luttes entre Seljoukides et Ghaznavides et les alternances de conditions de vie, précédant des «extraits des principales œuvres».

120«Si tu vas en Égypte, c’est pour n’y voir qu’un seul homme… à Nishâpûr il s’y trouve tout un groupe de maîtres; si tu en manques un, tu atteindras ceux qui restent» (Borqânî cité p. 47).

121Entrées «1049 Abu Saïd» et «1033 Abû'l-Hasan Kharaqânî».

122J.S. Trimingham, The sufi orders in Islam, Oxford, 1971, le situe dans la table suivant la page 30 et le présente pages 32-33 («The key figure in this [Rifâ’î] tradition. . .» qui remonte à Kharaqânî).


123Al-Ghazali,  Al-Munqid min Adalâl, (Erreur et délivrance), Beyrouth, 1969, que nous utilisons – W. Montgomery Watt, The faith and practice of Al-Ghazali, London, 1953 («Deliverance from error» couvre la plus grande partie du volume).

124Littéralement : «un autre œil» (c’est-à-dire : «un troisième œil»).

125Il ne s’agit pas ici de la Sagesse ni de la philosophie proprement dite, mais plutôt d’une sorte d’éthique empirique basée sur la connaissance de Dieu, et qui était alors considérée comme une technique au sens propre du terme, ayant ses lois et son objet.

126«Ayn Al-Quzât Hamadâni, Les Tentations Métaphysiques (Tamhidat), Introduction, traduction et notes par Christiane Tortel, Les Deux Océans, Paris, 1992; ’Ain Al-Qudat al-Hamadani, A Sufi martyr, the Apologia of—, transl. [de la Shakwâ] A.J. Arberry, Allen, 1969.

127La spiritualité du Moyen-Age, Deuxième partie par Dom Fr. Vandenbroucke, Aubier, 1961, v. 282 sq., citation : 294; v. DS 7.901/939.

128R. Baron, Hugues et Richard de Saint-Victor, introduction et choix de textes, «Le Gage des divines fiançailles», traduction du De arrha animae, 94-102. 

129Galates, 2, 20, le verset invoqué par tous les mystiques.

130R. Baron, op.cit., 125-133.

131Ibn Al-Arif, Mahasin Al-Majalis, traduction Asin Palacios, Geuthner, 1933. Mon aperçu biographique condense Palacios; les citations proviennent de sa traduction de l’arabe mises en français par F. Cavallera.

132[Nous citons le premier des onze extraits de cette œuvre traduits par Palacios, Fotoûhât, I, 119] : «Quelle relation d’analogie peut-il y avoir entre le temporel et l’éternel et comment peut-on comprendre qu’il y ait ressemblance entre Celui qui n’a pas de semblable et celui qui a un semblable? C’est impossible, comme le dit Aboû al `Abbâs ibn al `Arîf al Sinhâdjî dans le Mahâsin al Madjâlis, livre qu’on lui attribue : «Entre Lui [Dieu] et les dévots, il n’y a pas d’autre relation que celle de la providence divine ni d’autre cause que les divins décrets ni d’autre moment présent que l’éternité. Ce qui reste est aveuglement et ambiguïté équivoque». … Toute expression verbale [qui cherche à expliquer ce qu’est Dieu] par l’intermédiaire de comparaisons avec les choses crées ou à l’imaginer [par analogie] avec les êtres composés et simples, est complètement différente, aux yeux d’un entendement sain, de ce que Dieu est par sa grandeur. Rationnellement cette conception imaginative de Dieu n’est pas permise, et on ne peut lui appliquer non plus cette expression verbale, de la manière dont l’une et l’autre sont propres aux créatures. Si donc parfois on en vient à les employer, ce sera seulement d’une manière approximative, qui facilite à l’intelligence de l’auditeur la perception de l’existence de Dieu, mais non la compréhension de son essence.»


133Lettre aux frères du Mont-Dieu, SC 223, § 1, 145.

134J. Déchanet, Guillaume de Saint-Thierry, Beauchesne, Paris, 1978, 137 & 132.

135P. Verdeyen, La théologie mystique de Guillaume de Saint-Thierry, FAC, Paris, 1990, 14.

136Lettre…, op.cit., 381.

137Miroir de la foi, 390d.

138Exposé sur le Cantique, SC 82, 166.


139La contemplation de Dieu, 12, SC 61 bis, 113.

140Miroir de la foi, 394a. Cité par Déchanet dans ses notes à la Lettre…, op.cit., 410-411.

141Attar, Le langage des oiseaux, trad. Garcin de Tassy, 1843, chap. XXXVI, 169.

142DS 13.791. Sur les cisterciens v. DS 13.736/7, (section I. Robert de Molesme); DS 13.737/814 (II. La spiritualité cistercienne); DS 5.274/87 (Feuillants). 

143DS 1.1454/99 (Bernard de Clairvaux).

144Saint Bernard, Œuvres I, Aubier, 1945, Introduction de M.-M. Davy, 33, cit. Epist. CIV, 3, c., 240 a.

145Ibid.,  I, 267, faisant référence à I Cor. 12, 3.

146Ibid., I, 217/8, inspiré de Sévère de Milève : «… la sagesse incarnée de Dieu... demande que Dieu soit aimé sans mesure».


147Ibid., II, 126/7.

148Ibid., II, 71.

149Ibid., I, 254, faisant référence à I Jean, 4, 8.

150Ibid., II, 152-155.

151DS 6.1169.

152Guignes II, Lettre sur le vie contemplative (l’Échelle des moines)/Douze méditations, SC 163, 1970, «Introduction»,  33 et 48.

153DS 6.1169/75 (Guigues I); DS 6.1175/6 (Guigues II); DS 61176/9 (Guigues du Pont) - Outre les volumes SC 88 ou 274 (Lettres des premiers chartreux) et SC 163, v. Guigues du Pont, Traité sur la Contemplation, Analecta Cartusiana, 1985. 

154Guigues II, Lettre…, SC 163, «Lettre, XII Récapitulation», 107-109.

155Ibid., «Lettre…», 103..

156Ibid., «Lettre…», 105-107.

157Ibid., «Méditation V», 151.

158Ibid., «Lettre…», page 115 faisant référence à Matthieu 7, 7 et 11, 12.

159Ibid., «Méditation X, 185; vertu pour virtus : qualité, vigueur, énergie.

Texte complémentaire : « Guigues Scala Paradisi (extraits) »


160Citations extraites de l’introduction par Christian Jambet, éditeur de la traduction  restée manuscrite à la mort d’Henry Corbin  : Sohravardi, Le Livre de la Sagesse orientale, Verdier, 1986. – Une citation  du Livre lui-même éclaire le sens du terme lumière  si présent dans ces écrits : «La Lumière est le substitut de l’Etre Nécessaire, tandis que la Ténèbre est le substitut de l’Etre Possible. Ce n’est pas que le Principe primordial se dédouble en deux principes…, 245. – L’œuvre majeure de Sohravardi  qui retourne aux sources de la Perse préislamique se prête mal à des extraits : aussi nous nous limitons à un récit, écrit peut-être une année auparavant  d’une vie courte, qui se veut initiation plutôt que symbole.

161 Shihaboddin Yahyâ Sohravardi Shaykh al-Ishrâq, L’Archange empourpré, Quinze traités et récits mystiques traduits du persan et de l’arabe par Henry Corbin, Fayard, 1976 : Récit complet de ce Traité VI,  pages 201-213, à mettre en parallèle avec le Langage des oiseaux d’Attar.


162Ibid., 233.


163Entrée «1390 Hâfez de Chiraz».

164Ruzbihan Baqli, Ernst C. W., Curzon, 1996.

165Rûbezhân, Le jasmin des fidèles d’amour, par Henry Corbin, Verdier, 1991, «Prologue». — voir aussi  du même H. Corbin : En Islam iranien III Les fidèles d’amour, Corbin H, Gallimard, 1972.


166Rûzbehân, Le dévoilement des secrets…, journal spirituel…, présenté et traduit par Paul Ballanfat, Seuil, 1996.


167Rûsbehân, L’ennuagement du cœur, suivi de Les éclosions de la lumière de l’affirmation de l’Unicité, présenté et traduit par Paul Balllanfat, Seuil, 1996.

168Stéphane Ruspoli, Ecrits des Maîtres soufis, 1, Trois traités de Najm Kubrâ, Arfuyen, 2006.

169Sur Bagdadî, auquel nous ne consacrons que cette note, voir Stéphane Ruspoli, Ecrits des Maîtres soufis, 2, Trois traités de Bagdadî et Semnânî, Arfuyen, 2008. Citation de l’Épître du Voyage spirituel, 64 : «… le pèlerin doit poser résolument le pied de l’ambition spirituelle sur la tête des cieux du cœur, afin d’entreprendre l’ascension céleste»; 69 : «Moïse dit : «Seigneur, montre-toi à moi… – Tu ne me verras pas! (Coran 7, 143) – toi vivant, parce que la vision implique l’existence de celui qui voit, et il est impossible que les lumières de l’Éternel apparaissent à travers l’existence des attributs de la servitude.»; 72-73 : «… si l’œil du serviteur regarde, “c’est par moi qu’il voit”… “Je suis devenu Celui que j’aime, /et Celui que j’aime est devenu moi.”… Qu’y a-t-il d’affirmé dans l’incarnation? la persistance du réceptacle…» — Sur ce type de controverse sur le Fils de Dieu voir le commentaire de S. Ruspoli, 37 : «En termes chrétiens, selon l’Évangile, le Fils révèle le Père, il donne à contempler le Dieu vivant qui habite en sa personne, et tel est bien le sens profond de l’Incarnation. C’est pourquoi Jésus déclare à ses disciples : «Moi et le Père nous sommes un», et «celui qui m’a vu a vu le Père.» [et en note :] Le Christ efface sa personne humaine et proclame la gloire du Dieu et Père, non la sienne. En cela Halllâj et Bastâmî professent une forme de théosis assez comparable… à l’union du Père et du Fils selon l’Evangile, ce que leurs détracteurs ont souvent ressenti.»

170Huitième condition de La Missive au voyageur errant de Kubrâ, Ibid., 132.

171S.Ruspoli, Ibid., 99-100.

172Les Dix Fondements de la vie spirituelle de Kubrâ, Ibid., 72-74.


173La Missive au voyageur errant de Kubrâ, Ibid., 127-129.

174François d’Assise Écrits, Vies témoignages Édition du VIIIe centenaire, Sources franciscaines-Cerf, sous la direction de J. Dalarun, 2010, tome I, 61-396 (écrits et leurs introductions). [cit. : Édition du VIIIe centenaire]. Les deux tomes totalisant 3418 pages alternent introductions et textes, ce qui assure une «respiration» rendant l’ensemble lisible, malgré sa taille et un souci de précision scientifique assuré sans faille par la présence de textes (mineurs d’un point de vue intérieur). - Un beau «parfum» reste attaché au Saint François d’Assise, Documents, écrits et premières biographies par T. Desbonnets et D. Vorreux, Éd. Franciscaines, Paris, 1re éd. 1968. [cit. : Documents…], qui ne compte «que» 1599 pages.

Quelques références : Gli scritti di Francesco e Chiara d’Assisi, Ed. Messagero, Padova, 1978; DS 72141/2311, art. «Italie»; DS 51271/1303, bel article «François d’Assise» par E. Longpré; DS 51167/1188, art. «Fraticelles».

Un choix : Dominique Tronc, François d’Assise vu par ses disciples, un choix de sources, dossier [Quelques pages de François, Du commencement de l’Ordre, Légende des trois compagnons, Compilation d’Assise anciennement dénommée Légende de Pérouse, Témoignages sur des Spirituels issus prinicpalement des Actes], 2016, hors commerce. Comporte un diagramme des relations entre ces sources.

Deux films : Rossellini, 1950 : Les Onze Fioretti de François d'Assise (Francesco, giullare di Dio), […], Renaud Fely et Arnaud Louve, 2015, L'Ami, François d'Assise et ses frères.

175Isaïe, 53, 3 : «Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement.»

176Matthieu 10, 7-14 : Jésus envoie les douze apôtres en mission : « …vous avez rçu gratuitement, donnez gratuitement… ».

177Matthieu 19, 21; Luc 9, 23; Matthieu 16, 26.

178Citations : DS 5.1271/75.

179L. Mariani et al., Angèle Mérici, Contribution pour une biographie, Editrice Ancora Milano, Mediaspaul, 1987.

180A. Vauchez peut ainsi établir une chronologie datée (François d’Assise, Fayard, 2009, pages 523-526).

181Simone Weil, Œuvres, Quarto Gallimard, 1999, «Autobiographie spirituelle», 769, 771.

182DS 51294 (E. Longpré).

183Saint François d’Assise, Documents, op.cit., «Admonition», 77.

184Documents…, «Prière»,  174.

185Dans le «Desbonnets-Vorreux». Couvre par contre les pages 61-396 dans l’Édition du VIIIe centenaire, où les textes sont divisés en 13 sections couvrant 31 entrées, ce qui assure une meilleure assimilation (commentaires extensifs au fil des écrits).

186Documents…, 32.

187Édition du VIIIe centenaire, 378.


188Traduction de J.-F. Godet-Calogeras, Édition du VIIIe centenaire, pages 173-174, plus fidèle à l’italien que celle du «Desbonnets-Vorreux».

189V. Branca, Il Can­tico di Frate Sole, Firen­ze, 1950.


190Noter l’usage répété de «par» au lieu de «pour» (Desbonnets-Vorreux), ce qui change le sens profond.

191Terre : l’un des quatre élément matière et planète nourricière (extrait de la NdT)

192Au sens de «prendre soin de» (de la NdT).

193Mort corporelle, précédée de celle du moi égoïste (de la NdT).

194Edition du VIIIe centenaire, 388, note 1 pour la réf. précise du ms.; p. 393 pour le texte traduit par J.-F. Godet-Calogeras.


195Édition du VIIIe centenaire, «Introduction» par Michael W. Blastic, 390-391.

196Nous reprenons deux sources des Documents…. Le célèbre texte du Speculum découvert en 1898 et publié par P. Sabatier est aujourd’hui considéré comme un «réaménagement tardif du contenu des rouleaux de frère Léon» (Édition du VIIIe centenaire, 2678). Nous le reprenons toutefois en le faisant suivre du texte parallèle extrait du «Manuscrit de Pérouse» (aujourd’hui «Compilation d’Assise») :

Comment il décrivit létat de parfaite humilité daprès lui-même, in Documents…, «Miroir de la Perfection», Ch. 64, 1071 :

«Le temps du Chapitre approchait, saint François dit à son compagnon : «  Il ne me semble pas que je sois un vrai frère mineur si je ne suis pas dans la condition que je vais te dire : Voici que les frères m’invitent au chapitre avec grand respect et dévotion. Touché de cette piété j’y vais. En réunion, ils me demandent d’annoncer la parole de Dieu et de prêcher. Je me lève et leur prêche ce que le Saint-Esprit m’a enseigné.

«Le sermon fini je suppose que tous crient après moi : «Nous ne voulons plus que tu nous diriges, tu nas pas l’élo­quence qui convient et tu es trop simple et trop ignorant. Nous rougissons davoir un supérieur aussi simple et aussi méprisé, nous ne voulons plus t’appeler notre supérieur. De cette façon ils me déposent avec honte et mépris. Il me semble que je ne suis pas un vrai frère mineur si je ne me réjouis pas de la même façon quand ils m’humilient et me déposent honteusement ne voulant pas de moi pour supé­rieur que quand ils me respectent et m’honorent. Dans les deux cas le profit et l’utilité sont les mêmes. Si je me suis réjoui quand ils m’exaltent et m’honorent à cause du profit qu’ils en tirent, et de leur piété, ce qui peut être un danger pour mon âme, je dois d’autant plus me réjouir du profit et du salut de mon âme quand ils me méprisent, car il y a pour moi un gain spirituel assuré.»

Portrait du vrai frère mineur, in Documents…, «Ms. de Pérouse», Ch. 83, 956 [=  «Compilation d’Assise» in Édition du VIIIe centenaire, Ch. 109, 1384] :

«... Supposons qu’à la suite de ce sermon ils réfléchissent et s’élèvent contre moi en disant : Nous ne voulons plus que tu règnes sur nous; tu n’as aucune éloquence, tu es trop simple, et nous rougissons d’avoir pour supérieur un rustre et un illet­tré; désormais, naie plus la prétention de te dire notre supé­rieur! Ils me conspuent et me chassent... Eh bien! je ne me considérerais pas comme un Frère mineur si je n’étais aussi joyeux quand ils me vilipendent, me rejettent honteusement, m’enlèvent ma charge, que lorsqu’ils m’honorent et me vénè­rent, pourvu que dans les deux cas le profit soit le même pour eux. Car si je me réjouis de leur profit et de leur dévotion quand ils m’exaltent et m’honorent (alors que mon âme peut ainsi courir un danger) combien plus dois-je me réjouir du profit et du salut de mon âme quand ils me vitupèrent en me rejetant honteusement, puisque c’est là pour moi un gain véritable!»


197Actes du bienheureux François (Actus), 52, in Édition du VIIIe centenaire, 2772.

198Ibid., 2847.

199Rizvi, A History of Sufism in India, I, 80: ses dates — indiquées ici entre parenthèses diffèrent — de celles données par Rouhani in Le livre divin, réf. ci-dessous - Étude biogr. par S. Naficy, 1941; H. Ritter, Das Meer der Seele, (« the comprehensive work about Attar », Schimmel).

200Attar, Le mémorial des saints, trad. Pavet de Courteille, préf. Vitray-Meyerovich, Seuil, 1976.


201Attar, Le Cantique des Oiseaux, trad. Leili Anvar, Diane de Selliers, 2012, remplace Le langage des Oiseaux, trad. Garcin de Tassy, Paris, 1863, 1975. Admirables traduction illustrée par la peinture en Islam d’orient que l’oeuvre l’a inspirée pendant des siècles.


202Attar, Le livre de l’épreuve, trad. Isabelle de Gastine, Fayard, 1981.


203 Attar, Le livre divin, trad. Fuad Rouhani, Albin Michel, 1961.


204Attar, Le livres des secrets, Les Deux Océans, 1985.


205Émile Dermenghem, L’Éloge du vin (al Khamriya), poème mystique de «Omar ibn al Fâridh », L’anneau d’or «, Les éditions VEGA, Paris, 1931.


206Ibn «Arabi, Traité de l’Amour, Introduction, traduction et notes de Maurice Gloton, Albin Michel, 1986.


207 Ibn «Arabi, L’interprète des désirs, Présentation et traduction de Maurice Gloton, Albin Michel, 1996.


208Trésor de la Poésie universelle, op.cit., 258-259 : Tr. Dermenghem-Bouchouchi, Les plus beaux textes arabes, La Colombe.

209«Abdul-Hâdî (John Gustav Agelli) Ecrits pour la Gnose comprenant la trad. du Traité de l’Unité, Archè, Milano, 1988 – Editions de l’Echelle, Paris, 1977.



210 DS 12.715.

211 DS 13.725 (P. Verdeyen, art. « Ruusbroec et ses disciples »).

212DS 12. 719 sq. (P. Verdeyen, art. « Les béguines »)

213L’Amour et la Dilection, La vie de Christine de Stommeln suivie de Lettre de Pierre et de Christine (1267-1289), 2005, William Blake and Co, diffusion Les Belles Lettres., 21. – À mes yeux le poème intitulé «  Les vertus de Christine de Stommeln ou l’enrichissement de la nature par la grâce » qui ouvre cette « idylle mystique », cité ici très partiellement, n’est autre que le compte-rendu d’un vrai rapport entre disciple et maître spirituel.

214B. P [orion], Hadewijch d’Anvers, Seuil, 1954,78-79 [l’introduction, qui couvre cinquante pages denses, ainsi que les notes de cette éd., sont très précieuses], rééd. 1994 ;  Hadewijch, Lettres spirituelles…, Genève, 1972; Hadewijch, The complete works, New-York, 1980.

215Ibid., 117.

216Hadewijch, Lettres spirituelles & Béatrice de Nazareth Sept degrés d’amour, trad. Par fr. J.-B. M. P[orion], Ad Solem, 1972. – Les quatre passages que nous citons ont été relevés par L. Silburn qui renvoie également à la Lettre que nous reproduisons intégralement (sans les notes ni son lintroduction par Fr. P[orion].

217Citation de Ruusbroec (« Annexe A, Lieux de comparaison chez Ruusbroec et chez Maître Eckhart »)

218Citation d’Eckhart (« Annexe A »)

219Cette belle définition comporte un jeu de mots entre sienleec (visible, transparent) et siele (âme). [note du traducteur Porion]

220Hadewijch d’Anvers, Les Visions, trad. Georgette Epinay-Burgard, Ad Solem, 2008. – cette belle citation conclut la longue vision. – Les visions tributaires d’un genre propre au Moyen Age et suivies d’une étrange « liste des parfaits » touchent moins en comparaison des poèmes et des lettres.

221DS 12721 sq.

Du « Bon Cuisinier » : « L’amour est donc de telle nature qu’il est plus large et plus vaste, plus haut, plus profond et plus étendu que tout ce qu’embrassent ou peuvent embrasser la terre et le ciel, car l’amour de Dieu lui-même dépasse toute chose. Ainsi s’exprime une sainte et glorieuse famme nommée Hadewijch, authentique maîtresse (de spiritualité). » Hadewijch, Lettres…, op.cit., Introduction, 8).

222B. P[orion], Hadewijch d’Anvers, op.cit., 170-171. Les poèmes de la seconde Hadewijch figurent pages 116-182, comme venant d’une «plume différente» (Introduction, 45).

223Ibid., 182.

224Hadewijch, The complete works, New-York, 1980, pages 4–5.: “ . . . Hadewijch’s authority among the Beguines met with opposition . . . she was threatened with an accusation of teaching quietism . . . was evicted. . . It may perhaps be conjectured that . . . she offered her services to a leprosarium or hospital for the poor. . .”

225Entrée “1310 Porete ”

226Regret tardif (à l’âge où l’on n’est plus censé lire le Tintin de la Belgique moderne). Il est facile de s’appuyer sur l‘ Introduction à l’étude du Moyen-Néerlandais par A. Van Loey, Aubier, 1951 : base de grammaire avec des extraits, dont ceux de nos « créateurs », suivis d’un glossaire complet. On est entre l’anglais du Nuage et/ou le haut-allemand. Aidé aussi par les glossaires de l’admirable édition multilingue de l’oeuvre de Ruusbroec (9 vol., Brepols, dont Die geestelike brulocht – The Spiruals Espousals, v. infra l’entrée « 1381 Ruusbroec »).

Apprendre ? du moins approfondir quelques phrases, puisque « traduction, trahison » à l’exception du presque translittéré Spirituals Espousals cité.

227The Mathnawî of Jalâlu’ddin Rûmî, edited and translated by Reynord A. Nicholson, 1926; rééd. Luzac, 1977, 3 vol. ; Mathnawî, La Quête de l’Absolu, trad. Par Eva de Vitray Meyerovitch et Djamchid Mortazavi, Éd. du Rocher, 1990.

228Rumi, Odes mystiques, trad. E. De Vitray-Meyerovitch et M. Mokri, Klincksieck, 1973 : ici l’«ouverture» de la première ode.



229Djalâl-od-Dîn Rûmî, Rubâi’yât, traduit du persan par Eva de Vitray-Meyerovitch et Djamchid Mortazavi, Albin Michel, 1987, (1997, 225) : ici quatre quatrains achèvent un choix opéré sur deux mille quatrains de l’édition de Foruzanfar. –  Voir aussi parmi de nombreuses adaptations et trad. : Selected poems from the Dîvâni Shamsi Tabrîz by Reynods A.Nicholson, [ed. bilingue], 1898, (Cambridge, 1952); Discourses of Rûmî, by A.J. Arberry, 1961, (Curzon, 1975); Le livre du Dedans, trad. Eva de Meyerovitch, Sindbad, 1975, (Albin Michel, 1997).

230The Zohar, Pritzker Edition by Daniel C. Matt, Stanford, 2004—. Citation : I, 111. – La profonde introduction, I-LXXXI, qui aborde les dix Sephirot, justifie à elle seule l’acquisition du vol. I.



231Entrée “995 Le Traité de soufisme de Kalâbâdhi (? – 995) ”.

232Description dans : Lloyd Ridgeon, ‘Aziz Nasafî, Curzon, 1998. – Dans cette monographie figure une intéressante citation soulignant la difficulté  pour découvrir un bon maître : “ You will not find this wise man or this Verifier of the Truth in mosques, preaching from the minbar  or reciting dikr. You will not find him in the religious schools giving lessons . . . you will not find him in the the exterior of common people. . .” (p.127).

233Nuruddin Isfarayani, Le révélateur des Mystères, H. Landolt, Verdier, 1986. [le traité de soufisme traduit sous ce nom occupe les pages 129 à 190; v. table p. 227; textes persan et arabe édités à la suite]  Notes de lecture : 18 sq. pour la biographie, 129 131 135 140-1 143-4146 147 148 160 161 166168 170 etc. “ Mourez avant de mourir’, [que] lorsque nous serons affranchis de cet état de séparation  et de ce désert inculte que nous sommes, nous retrouvions l’Union avec sa Présence majestueuse! ” 190. – Nous ne pouvions pas multiplier dans cette chronologie les entrées par trop de noms inconnus.

234Traduction latine, 1655; utilisation du traité par Tholuck, 1821; adaptation Palmer, 1867 ;  études par Fritz Meier; “tâche essentielle” de restitution accomplie par Marijan Molé, 1962.

235Nasafî, Le Livre de l’Homme Parfait, trad. Isabelle de Gastines, Fayard, 1984.

236DS 7.859/873; Hugues de Balma, Théologie mystique, SC 408, 1995.

237DS 7.871.



238Jacopone de Todi, Chants de Pauvreté, traduction de Stefano et Irène Mangano, Arfuyen, 1994, “Amor de caritate”, 67.

239Jacopone de Todi, Chants de pauvreté, op.cit. : éd. bilingue de huit laudes. Nous reprenons et citons la biographie donnée dans l’«Avant-propos», pages 7-13 ;) ; J. Pacheu, Jacopone da Todi, Tralin, 1914 : éd. bilingue translitérée de très nombreux laudes, facilitant ainsi le retour au texte par ailleurs modernisé; Iacopone da Todi, Laude, reprint a cura di Franco Mancini, Laterza, 1977 ; DS 8.20-26.

240Chants…, op. cit., «Avant-propos», 7, «Poésie franciscaine et poésie populaire», 105. 

241Chants…, op. cit., 23 & 31..

242DS 8.20/26.

243Jacopone da Todi, Laude, Reprint a cura di Franco Mancini, Laterza, 1977 ; Debongnies, La Dame du pur amour…, 1959; J. Pacheu, Jacopone da Todi, Paris, Tralin, 1914 -La numérotation des Laudes varie entre Mancini et Debongnies; l’éd. bilingue de Pacheu donne une traduction peu élégante, mais très utile car fidèle.

244Laude 36 (fin).


245Laude 39 (fin).



246Le livre de l’expérience des vrais fidèles, texte latin publié d’après le manuscrit d’Assise par M.-J. Ferré, traduit  avec la collaboration de L. Baudry, Droz, 1927.

247Le livre…, op.cit., 3.

248Le livre…, op.cit., 23.

249Ibid., 41.

250Marguerite Porete, Le miroir des âmes simples et anéanties, trad. M. Huot de Longchamp, Albin Michel, 1984. Nous reprenons des éléments biographiques donnés dans sa vivante introduction.

251Le lecteur sera aidé par  les «indications scéniques» et les «Quelques points de repère…» donnés en fin de l’introduction citée, Ibid., 32-35.

252Ibid., 55 et 64 (pour les commentaires II à IV), 68.


253Ibid., page 95. Cette image rappelle l’image marine que nous avons citée de Syméon. On pourrait faire deux anthologies des comparaisons naturelles de l’Immense déité, l’une avec la mer, l’autre avec la montagne.

254Ibid., 116.

255Ibid., 200.

256Hadewijch d’Anvers, op.cit., note de J.-B. P [orion], 185.

257Sultân Valad, Maître et disciple, trad. Eva de Vitray-Meyerovitch, Sindbad, Paris, 1982 : c’est le Kitâb al-Ma’ârif assez bref d’où proviennent nos extraits…

258Traduit sous le titre suivant : La parole secrète par Djamchid Mortazavi et Eva de Vitray-Meyerovitch, Éd. du Rocher, Paris, 1988. Existe également la traduction d’une autre œuvre : Le livre du dedans, Sindbad, Paris, 1976. – A noter l’apparition de Djamchid Mortazvi, fidèle collaborateur

259Lewisohn L,, Beyond faith and infidelity, the sufi poetry and teachings of Shabistari, Curzon, 1995.

260Shabestari, La roseraie du mystère suivi du Commentaire de Lahiji, Sindbad, 1991. -Source de nos citations.



261Commentaire de Lahijî fondé sur son propre témoignage de la «Question 5… :

Qui donc parvient au secret de l’Unité? Que comprend le connaissant? Va balayer la chambre de ton cœur» : «128. Au début de ma recherche mystique, j’étais ignorant; je me suis attaché à l’imam Sayyed Mohammad Nûrbaksh. Au cours de ma deuxième retraite de quarante jours, je vis en rêve l’imam qui me demandait : “Peux-tu te lever et céder ta place à quelqu’un d’autre?” Au réveil, je pensai que, comme je n’avais guère accompli de progrès, ce rêve voulait nie suggérer de laisser ma place à un autre pour qu’il puisse bénéficier de la présence du shavkh. Le soir, je racontai mon songe à ce dernier et ce que j’en avais déduit. Il nie répondit : “Voici l’interprétation de ton rêve : tu dois t’oublier toi-même et laisser la place à la Réalité suprême.” Cette parole, qui causa une douleur dans mon cœur, marqua le début de mon évolution spirituelle. Voilà pourquoi Shabestarî dit ici qu’il ne faut rien voir d’autre que Dieu, et ne pas même se considérer soi-même comme une entité.»

262Vandenbroucke, La spiritualité du Moyen Age, Aubier, 1961, «Dante, poète mystique», 438-447. Citation 446.

263A. Masseron, La Divine Comédie, Albin Michel, 1947.

264A. Pézard, Œuvres complètes, Pléiade, 1965.

265Miguel Asin Palacios, La escatologia musulmana en le Divina Comedia. Historia y critica de una polemica. Trad. italienne : Dante el’Islam, 1994. (on trouvera aussi des éléments dans Corbin, par ex. en L’Archange empourpré, «VIII. Le récit de l’exil occidental» trad. de Sohravardi.).



266Les Traités et le Poème, Maître Eckhart, traduits et présentés par Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière, Albin Michel, «Spiritualités», 1996, 2011.



267v. DS 4.93/116, art. «Eckhart»; L. Cognet, Introduction…; etc.

268DS 13.516-517. – Place à la pensée mais qui se doit de demeurer seconde, en dépendance de l’expérience mystique. Je préfère lire Ekhart plutôt que des analystes intellectuels pour qui « la mystique rhénane est le fruit d’une théologie spécifique » (Alain de Libera, Introduction à la mystique rhénane, ouverture du quatrième de couverture). Reiner Schürmann, Maître Ekhart ou la joie errante, 1972, assez tentant, risque de faire pencher vers la philosophie (celle de Heidegger ? dangereuse) ; etc.

269E. Gilson, La philosophie au Moyen Age, 2e éd., Payot, 1952, 699.  -Approche parallèle, mais plus brutale dans Kolakowski, Main currents of Marxism, Norton, 2004, 27 sq., §5. Eckhart and the dialectic of deification: “. . . unremitting conviction that Being and God are one and the same. . . Hence the question as to the reason of creation does not figure, properly speaking, in his sermons and writings.”

270DS 4.99/101 (et v. la suite : 4.101/110).

271Bréhier, Histoire…, op.cit., 2004, pages 658 sq. (et v. sa présentation de Guillaume d’Ockham, pages 650 sq.).

272DS 13.518/9.

273Introduction au Chant d’amour de Rolle, SC 168, 75.

274DS 13.513. La citation est de Tauler, Sermon, éd. Vetter, 15.

275DS 13.515.

276Eckhart, Œuvres, trad. P. Petit, Gallimard, 1942, 58. [Traduction inspirée, faite à partir de l’ancienne édition Buttner/Pfeiffer]. Les traductions plus récentes (elles ne manquent pas ! J. Ancelet-Hustache, 1974, A. de Libera, 1993, G. Jarczyk et P.-J. Labarrièrre, 1998, 2009…).sont établies à partir des travaux très critiques de J. Quint et de ses collaborateurs : « personne ne pourrait nous empêcher de penser in petto que le pseudo-Eckhart est, lui aussi, un vrai Eckhart -et de préférer les anciennes éditions» (P. Petit, Avant-propos, 11) :

277Ibid., 109.

278Ibid., 280-281.

279DS 13572/90, art. «Richard Rolle»; Le Chant d’Amour, SC 168 & SC 169; Incendium amoris, trad. M. Noetinger, 1929.

280Le Chant d’Amour, SC 168, 25.



281Ibid., Ch. 1, 99.

282Ibid., vol. I, 297 (Ch. 25).


283Ibid., vol. I, 175, 177, 179 (Ch. 2).

284Ibid., vol I, 211 (Ch. 14).



285Ibid., vol. I, 185 (Ch. 12) et v. Introduction, 82.

286Ibid., vol. II, 187 (Ch. 50).

287Sur Merswin, v. DS 101056/8. Sur tout le milieu, v. L. Cognet, Introduction..., chap. V, «Le mysticisme germanique médiéval»; B. Gorceix, Amis de Dieu en Allemagne au siècle de Maître Eckhart, Paris, 1984.



288DS 15.61/71, dont les citations précédentes.

289Tauler, Sermons, trad. E. Hugueny -G. Théry -M.A.L. Corin, Cerf, Paris, rééd.1991, 36.



290Ibid., 61.

291 Tauler, Sermons, op. cit., 16-17.

Voir aussi Le Vijñana Bhairava, traduit et commenté par L. Silburn, De Boccard, Paris, 1959, «Introduction», pages 15-16. Bhairava désigne, dans le Sivaisme du Cachemire médiéval, le Dieu suprême, Conscience encore indifférenciée.

292Ibid., 212-213.



293Ibid., 323-325.

294Ibid., 442.

295Ibid., 334.

296Ibid., 654-655.

297Ibid., 181-182.

298Œuvres complètes de Jean Tauler…, Paris, A.Tralin, 1911-1913. Huit tomes (auquels s’ajoutent un tome distinct qui va faire l’objet de l’entrée suivante : « ~1361 L’Imitation de la Vie Pauvre… »). Ici : I-V = 116 sermons (Tauler et autres auteurs d’intérêt), VI-VII = Exercices…(apocryphes), VIII = Institutions (d’influence majeure sur tous les mystiques au XVIIe siècle). Volume x 3,6 (x 1,4 pour les sermons). De plus les sermons issus de l’éd Surius ne se retrouvent que partiellement chez Vetter-Hugueny-Théry, ce qui justifie pleinement la lecture de tout le « complément » !»

299Inspira un beau poème du lecteur des Institutions. Surin (1600-1665).

300L’Imitation de la Vie pauvre de N.S.J.C, A. Tralin, Paris, 1914, constitue le 9e volume ajouté aux Œuvres complètes de J. T . traduites par E.P. Noël, op. cit. La traduction fut réalisée à partir de l’allemand «par un prêtre du diocèse de Strasbourg» qui a voulu rester anonyme. Plusieurs notes (dûes à Noël comme à l’inconnu traducteur) sont remarquables. Citation : «Introduction», 17.

Réédition sous le titre : Jean Tauler, Le Livre de la pauvreté spirituelle, traduit du moyen haut allemand par un prêtre du diocèse de Strasbourg et présenté par Rémy Vallejo, Arfuyen, 2012. [reprise du titre adopté par l’érudit P. Denifle  qui rejeta en 1877 l’attribution par Schmidt… La présentation de Noël demeure solide et expose l’histoire des publications mettant en relation Tauler avec Le Livre de la pauvreté spirituelle / L’Imitation de la vie pauvre.

301L’Imitation de la Vie pauvre de N.S.J.C, pages 50 à 75. – Les longues notes sont reprises sans commentaires (sauf note 43 p.21 : anonymat préservé de leur auteur) en rééd. de : Le Livre de la pauvreté spirituelle, n.8 pages 60 à 75.

302Ibid., 355.

303Ibid., 355-356.

304Ibid., 377.

305Ibid., 419-424.



306DS 7. 234.

307DS 7. 236/46.

308L’œuvre mystique de Henri Suso, «La Vie», Paris, 1946, chap. XX, 168.



309v. DS 11497/508.

310L’édition de base en anglais ancien a été établie par P. Hodgson, 2 vol. (The Cloud. . . & Dionise…), Oxford Univ. Press, 1958 ; e-text en anglais ancien disponible sur le net (The Cloud, P. Gallagher, Michigan Univ.); l’adaptation en anglais moderne du Cloud par Wolters, Penguin, 1961 (nombreuses rééd.), est décevante; la traduction du Nuage par Noetinger, Solesmes, 1925, (rééd. 1977), est très utile pour l’admirable Épîtres de la direction intime; la traduction d’Armel Guerne pour le Nuage seul est plus belle (Le Nuage d’Inconnaissance, Documents spirituels, Cahiers du sud 6, 1953).

311Commentaire par Lilian Silburn. -Nous conservons en corps droit l’ensemble de ce commentaire et de ses citations. V. entrée «1992 Silburn».



312 Ch. 5. Nous utilisons la traduction du Nuage par Armel Guerne, Cahiers du Sud, 1953.

313Nombreuses traductions en notre langue où l’opuscule a évidemment bénéficié en premier lieu d’une estime protestante : La Théologie germanique… par S. Castellion, Anvers, 1558; La Théologie réelle par P. Poiret, Amsterdam, 1676, 1700 (réimpr. Grenoble, 2000); Théologie Germanique par Marie Windstosser, Paris, 1911 (réimpr.1994); Le Livre de la Vie parfaite… par J. Paquier, Paris, 1928; Une Théologie Germanique… par J.-J. Anstett, 1983; Anonyme de Francfort, Le Petit Livre de la Vie Parfaite, par Gérard Pfister, préf. d’A. de Libera, Arfuyen, Orbey, 2000, dont nous tirons cette bibliographie et nos extraits.

314DS 15.459/63. Cit. : tome 15, colonne 461.

315Théologie Germanique par Marie Windstosser, Paris, 1911, 207.  



316Ibid., 191.

317Cette citation, ainsi que toutes les suivantes, sont reprises de la belle traduction par G. Pfister. Ici 36. Ensuite « Ibid., n° de page » en fin de citations.



318Poème coréen, Hyegun 1320-1376, cité in Koreana, hiver 1997.



319Sharafuddin Ahmad Ibn Yahya Maneri, The Hundred Letters, trad. P. Jackson, The Classics of Western Spirituality, Paulist Press, 1980,

Pages non traduites ! :

13,17,41/2,44/5,52/3,55, 67, 75, 89,94,98,105,126/7,134,136,145,

146,150 à 152,157/8,169,172/74,177,180/1,182,183,185,191,194/5,

201,209,210,217,219221,242,251,255,258,260,262/3,278/9,280/1,

287/8,311,358,365,369. 



320A. Wautier d’Aygaliers, Ruysbroeck l’Admirable, Cahors 1909, 1923, 105-108. L’approche «sociale» et des options affirmées portant sur la spiritualité de Ruusbroec ont nui à la réputation de cet ouvrage attachant. - Les luttes sociales se produisent aussi ailleurs, en Italie par exemple, à Lyon, etc. Il s’agit ici, comme précédemment pour d’autres contemporains de Ruusbroec, ne pas perdre de vue leur dur vécu social (allant jusqu’à l’oppression vécue par telle béguine brûlée). Les mémoires de Philippe de Commynes exposent la tuerie de la piétaille à laquelle il assista, suivie de la traque de misérables gens dans les forêts d’Ardenne par les gens d’armes (son Livre II, chap. XIII).

321M. de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, 1364-1477, Paris, 12 vol., 1837-1838.

322 Paul Verdeyen, Ruusbroec l’Admirable, Cerf, Paris, 1990, 7; v. DS 8659/97, art. «Jean Ruusbroec» d’A. Ampe; L. Cognet, Introduction aux mystiques Rhéno-flamands, Desclée, 1968, chap. VI «Ruusbroec»; v. les introductions à la grande édition critique en dix vol. des Œuvres de Ruusbroec (Corpus Christianorum, Brepols). – v. aussi : Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante (Traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp), suivi de l’Ornement des Noces spirituelles (Traduction de 1606 par un chartreux de Paris), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2010.

323D. Jean Rusbroch ou de Ruysbroeck, Vie et Gestes suivis de son livre très parfait des Sept degrés de l’amour, [par Hello], Paris, Chamonal, 1909, 1-68.

324Verdeyen, op. cit., 13.

325Vie et Gestes…, op. cit., chap. IV, 12-13.

326DS 2466, art. «chanoines réguliers».

327Verdeyen, op.cit., 34.

328Ibid., 38.

329DS 12724 (art. “Ruusbroec”, P. Verdeyen).

330Verdeyen, op. cit., 42.

331Vie et Gestes…, op. cit., 47. 



332Édition critique dans le Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis, volumes CI à CX, Brepols, 1989 sq., où le texte critique brabançon, l’anglais, le latin et les variantes sont donnés en parallèle; traduction récente par le bénédictin dom André Louf : Jan van Ruusbroec, écrits, Bellefontaine, 1993 sq. ; traductions anciennes de Wisques (puis d’Oosterhout) : Œuvres de Ruysbroeck l’Admirable, Bruxelles, Vromant, 1915-1938; introduction et excellentte traduction par Bizet : Ruysbroeck, Œuvres choisies, Aubier, 1946 (disponible : www.cheminsmystiques.com).

333Voici les titres en quatre langues des œuvres suivant  l’ordre de composition indiqué par Verdeyen, ce qui s’avèrera bien utile pour entreprendre une lecture suivie chronologique des douze pièces du corpus lorsque l’on fait presque nécessairement appel à plusieurs éditions (celle du Corpus Christianorum ne présente pas de traduction française, outre son coût) :

1. Royaume des amants —Dat rijcke der ghelieven —The realm of Lovers-Regnum Deum amantium,

2. Les Noces spirituelles —Die geestelike brulocht-The spiritual espousals-De ornatu spiritalium nuptiarum,

3. La Pierre brillante —Vanden blinkenden steen - The sparkling stone-De calculo…,

4. Les quatre tentations —Vanden vier becoringhen-The four temptations-De quatuor…,

5. De la foi chrétienne —Vanden kerstenen ghelove - The Christian faith-De fide et iudicio,

6. Le livre du Tabernacle spirituel —Van den geesteliken tabernakel-The Spiritual Tabernacle-In tabernaculum foederis commentaria,

7. [ici débutent les écrits achevés ou composés entre 1346 et 1361 à Groenendael :] Première lettre (à sœur Marguerite) -Brieven -Letters -Epistolae,

8. Les sept clôtures —Vanden seven sloten-The seven enclosures-De septem custodiis,

9. Le Miroir de la vie éternelle —Een spieghel der eeuwigher salicheit - A Mirror of Eternal Blessedness-Speculum aeternae salutis,

10. [peu avant 1359 :] Les sept degrés de l’échelle d’amour spirituelle —Van seven trappen-The seven rungs-De septem amoris gradibus,

11. Livre de la plus haute vérité —Boecsken der Verclaringhe —Little book of Enlightment-Samuel sive apologia,

12. Les Douze Béguines —Vanden XII beghinen-The twelve Beguines-De vera contemplatione.

[fin de note]

334J. Orcibal, «Vers le vrai Ruysbroeck» (1976), Études…, op.cit., pages 835-845.



335P. Verdeyen, DS 12.727/8.

336 Ibid., 12726.

337J. Chambron, «Les trois avènements du Christ dans l’âme d’après Ruysbroeck l’Admirable» in Hermès I, Paris, 1981, 119.

338Jan Van Ruusbroec, Die Geestelike Brulocht, “Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis ”, vol. CIII, Brepols, 1988, 148–601.



339Die Geestelike Brulocht, op.cit., 599. Le glossaire brabançon anglais, pages 637 sq., donne pour chaque mot toutes ses occurrences dans les Noces; pour la forme des mots les plus courants et pour une introduction grammaticale v. A. van Loey, Introduction à l’étude du Moyen-Néerlandais, Aubier, 1951. –  Il est ainsi facile, au moins pour une phrase-clé, aidé par la traduction-translittération anglaise (que nous faisons suivre avant les adaptations françaises), de remonter au brabançon, par ailleurs voisin de l’anglais médiéval.

340Mes italiques, ici et dans les traductions qui suivent pour un mot : encompassed, englouties, incluses, embrassées, étreinte... variations significatives !

De même pour le membre de phrase achevant la citation : enjoyable embrace of loving transport, embrassement de jouissance où l’on se perd amoureusement, embrassement exaltant où tout s’écoule dans l’amour, embrassement fruitif du flot de l’amour, étreinte fruitive de l’écoulement d’amour...

341Rolfson (1988) : Die Geestelike Brulocht, op.cit., 598.

342Bénédictins de Wisques (1920) : Œuvres…, op. cit., vol. III, 219.

343Bizet (1946), op. cit., 365.


344Silburn (1969), qui se réfère à Bizet : Le vide, expérience spirituelle…, «Le vide, le rien, l’abîme», Hermès 6, 62.

345Louf, (1993) : Jan van Ruusbroec, Écrits II, op.cit., 217.

346Bizet (1946), op. cit., «Les Noces spirituelles», 179-361; nous omettons les références de chaque  passage : cet aperçu n’est proposé que pour inciter à l’approche du texte complet, car chaque nouvelle lecture conduit à un choix différent… – On se reportera au choix ample proposé par J. Chambron, «Les trois avènements du Christ dans l’âme d’après Ruysbroeck l’Admirable» in Les Voies de la Mystique, Hermès I (nouvelle série), Deux Océans, 1981, 119-139.

347L’esprit est une demeure de Dieu qui ne saurait sortir de Lui-même.



348L’étude de Marijan Molé, Autour du Daré Mansour, l’apprentissage mystique de Baha’ Al-din Naqsband, Revue d’Études Islamiques, 35-66, rédigé en 1958/9, est à notre source. La biographie de Naqsband suit les pages 35 sq. qui concernent ses prédécesseurs dans la Voie dont se détache la figure de Yûsuf Hamadani. Elle couvre les pages 47-50. Suivent «quelques récits… où aucun obstacle ne lui paraît assez fort pour l’arrêter», pages 51 sq. Ils contiennent les passages traduits que nous citons.

349Daré Mansour, 51.

350Ibid., 52-53.

351Ibid., 54.

352Marijan Molé, « Autour du Daré Mansour, l’apprentissage mystique de Baha’ Al-din Naqsband », Revue d’Études Islamiques, 35-66, rédigé en 1958/9, est notre source. Molé en avance en note  la raison pour laquelle il cite Bistami : «La renommée provoque une séparation avec les autres hommes, et c’est également la raison pour laquelle il est recommandé de [ne] se distinguer par quoi que ce soit d’eux».

353 Puis les pages 59 sq. exposent la pratique de la Voie naqsbandie et ses figures de référence. D’où cette longue note. Page 59 note [de Molé] :  «Selon M. Massignon, le groupe des mystiques qui s’est formé autour de Kharaqâni [entrée « 1033 Abû’l-Hasan Kharaqânî... »] a constitué le noyau primitif dont sont sortis les Naqshbandîya, La Passion d’Al-Hallâdj, 466.» - 60 : «Le vrai mystique traverse les degrés de tous les grands maîtres du passé, mais ne s’y arrête pas». - 61 : «L’état dans lequel Hallâj fut amené à s’exclamer “Anâ l-Haqq”… il faut le dépasser pour progresser dans al voie mystique, et l’aide d’un bon maître est indispensable pour arracher le postulant à ses illusions.»; 62, note : «[Yûsuf al-Hamadani] dit : «Si Mansûr avait connu la vérité de la gnose, sa parole aurait été : «Je suis la poussière» au lieu de : «Je suis la Vérité».» — 63 : «… différence entre les Bektashis et Baha’ al-Dîn. Chez les premiers, l’état mystique atteint par Hallâj représente le degré suprême de l’expérience mystique. Chez les Naqsbandis, il s’agit d’un état passager qu’il faut dépasser…» - 65 : Le tableau de l’isnâd de Naqband montre comment Bektashis et Naqsbandis se réfèrent à Bistâmî et Kharaqâni puis se séparent. -66 : la conclusion : «les faits… permettent de reculer de quelques siècles les origines du naqsbandisme, issu du mouvement mystique sunnite du Khorassan… Les Yasawîya-Bektashîya accentueront les tendances antinomianistes… finiront par adopter des doctrines chiites extrémistes… Les Naqshbandîya, par contre, resteront fidèles à la grandeur austère de l’islam sunnite et, notamment à partir d’Ahmad Fârûqî Sarhindî, se feront champions de son orthodoxie.» 

De l’excellent Molé, citons d’autres articles rares : «… mais le “Toi, tu es Cela”, a dans les deux une valeur différente; chez Abu Yazid [Bistami] il s’agit de l’effacement de l’ego du mystique devant l’Absolu divin, tandis que dans les Upanisads il est question de l’extension de son moi jusqu’au point où il devient l’essence de toutes les choses…» (in « La version persone du Traité des dix principes de Najm al-din Kobrâ », note 2 à la sixième page); «… Le traité de Jâmi et celui de Jalâli Harawî représentent la grande époque de la tariqa naqsbandie, le siècle timouride. C’est alors la congrégation dominante de l’Iran… Bahâ’al-Din [Naqsband] lui-même, ses disciples directs comme «Ala» al-din Attâr et Mohammed Parsa; plus tard Sa’d-al Dîn Kâshgarî, le grand poète Jâmî, leur ami «Ubaidallâh Ahrar, le classique tchagataï «Alî Shîr Nawâ’î… On considère Bahâ’al-Din plutôt comme un réformateur que comme fondateur de la tarîqa; ce dernier est toujours «Abd al-Khâliq-i Ghujdawâni derrière qui se profile la grande personnalité de Yusûf Hamadânî…» (in I Quelques traités nadqsbandis, Téhéran, Institut Franco-iranien, 1958). - Sur Sîmnânî et son argumentation où «la source de l’erreur réside dans le fait de conférer une réalité objective à ce qui n’est qu’expérience subjective d’un état mystique passager» voir «Les Kubrawiya entre sunnisme et chiisme…», Revue des Études Islamiques, 1961, 61-142, Paris, Geuthner, 85; sur sa méthode de conversion, 89 : «Si un juif ou un chrétien vient chez moi, je le guide [mystiquement] dans la voie de la vérité et ne lui marchande pas mon effort, afin qu’il s’aperçoive dans son cheminement quelle est la religion la plus parfaite; son esprit l’adoptera nécessairement…»; sur le vécu du bon disciple, 101 : «Certains jours il voit son shaikh dix fois. Il est son aide aux heures des ablutions, il entre dans sa clausure et le sert personnellement… même si un mur le sépare de son shaikh, au moment où il éprouve une difficulté, il peut lui demander [intérieurement], pour qu’il la résolve. Cela dure jusqu’à ce que sa force intérieure ait atteint sa perfection et qu’il puisse, où qu’il soit, tirer profit de la walâya [charisme de la sainteté] du shaikh et que ce profit puisse être transmis aux hommes. Le shaikh lui ordonne : “Va dans telle ville guider les hommes!” Sur l’ordre du shaikh il s’en va et s’occupe de guider les hommes.  Un autre murid, fraîchement arrivé, prend sa place…»; sur la hiérarchie invisible du pôle de l’époque 107. - La meilleure des brèves introductions au soufisme : Les mystiques musulmans, par Marijan Molé, P.U.F., 1965.

354Hâfez de Chirâz, Le Divân, Œuvre lyrique d’un spirituel en Perse au XIVe siècle, Introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Verdier, 2006, 212. - Extrait du commentaire portant sur l’ensemble du poème : «Au début, le poète-amant congédie le prédicateur. À la fin, il congédie Hâfez lui-même, devenu conseiller de son cœur. Le prédicateur peut être aussi bien le juge intérieur, le surmoi qui parle en faveur de la loi de la raison. Hâfez doit se taire à son tour, car son poème ramène trop de choses à la mémoire. En effet, le ghazal ramasse en quelques lignes l’essentiel de l’aventure amoureuse. Elle est une captivité libératrice. Le paradoxe de l’amour tient dans la captivité où jettent les attributs de l’Aimé, Sa lèvre, Sa taille, pourtant impossible à atteindre. C’est justement là qu’est la vie de l’amant, dans cette injustice qui est la justice que l’Aimé décide pour lui. La vraie vie de l’amant se fonde sur l’état de délabrement où le met l’ivresse de l’amour. Là commence sa vraie vie.»



355[Ibn Abbad de Ronda], «Un précurseur hispano-musulman de Saint Jean de la Croix», M. Asin Palacios, Études Carmélitaines, avril 1932, cette sentence;

Ibn Abbad de Ronda (1332-1390), Paul Nwyia, Imprimerie catholique, Beyrouth, 1961;

Ibn Abbad de Ronda, Letters on the sûfî path, transl. J. Renard, Paulist press, 1986.



356Les dits de Lalla et la quête mystique, Présentation et traduction du cachemirien par Marinette Bruno, Les Deux Océans, Paris, 1999. Citations pages 19 & 23.

L’étude est riche en «échos» entre figures de diverses traditions pour conclure : «La véritable vie mystique -- qui n’est pas du tout un mysticisme -- à la fois très simple et infiniment subtile, comporte, dits et échos le prouvent, tout un ensemble d’états de conscience habituellement inconnus, mais nullement anormaux puisqu’ils constituent au contraire le plus haut accomplissement de l’être humain, ainsi aspiré dans l’infini souverainement vibrant du Seul.»

357DS 7.2339/67. 

358L’Imitation de Jésus-Christ, trad. de Lamennais, Livre troisième, chapitres I, II.

359Ibid., chap. XV.

360Ibid., III, 8,1 (choix de textes par le P. de Longchamp pour une «Retraite avec l’Imitation»).

361Gerlac Peters, Le Soliloque Enflammé, Trad. [de l’édition de Cologne de 1616] par Dom E. Assemaine, moine de Saint-Paul de Wisques, Saint-Maximin, Var,  c.1921, 45 puis pages 96, 143, 144,  pour les extraits suivants;

Gerlac, Les Soliloques enflammés avec Dieu, Arfuyen.

362DS 121193/4, citations extraites de l’art. «Peters» par Guido de Baere.

363Julienne de Norwich, Une révélation de l’amour de Dieu…, Bellefontaine, 1977, « Introduction », 30.

364The book of Margery Kempe, Penguin classics, 1985, chap. 18.

365 DS 8.1605/7, art. « Julienne de Norwich ».

366Une révélation…, op. cit., 36-37.

367 DS 8.1608. - Sagesse, 11, 21-24 : “Oui, le monde entier est devant toi comme le poids infime qui déséquilibre une balance, comme la goutte de rosée matinale ... Tu aimes tous les êtres…”

368Ch. 5, Première révélation.

369Julienne de Norwich, Une révélation de l’amour de Dieu…, op.cit., pagination.



370De l’Homme universel, extraits du livre Al-Insân Al-Kâmil, traduits et commentés par Titus Burckhardt, Dervy, 1975, cité et paginé infra.

371The Book of Margery Kempe, Penguin classics, 1985. L’introduction et les notes par B. A. Windeatt, le traducteur en anglais moderne, constitue une aide précieuse.

372Joan Nuth, Cinq amis de Dieu…, op.cit., 238 (citant le Livre II, Ch. 10).

373Joan Nuth, Cinq amis de Dieu…, op.cit., 234 (citant le Livre I, Ch. 14).

374 DS 2.705/776 (art. «Chartreux», dont en fait toute une partie est consacrée à ce Denys); DS 3.430/49 (art. «Denys le Chartreux»).

375De donis Spiritus Sancti, 523A (cité en DS 3436).

376Œuvres, Tome 38, 406 A & 394 A.



377DS 7.358. (v. DS, 7346/66, art. «Herp»).

378Formant à nos yeux le trésor de Mistici Francescani Secolo XV, III, Editrici Francescane, «2 Enrico Erp…», pages 259 à 449, précédées d’une solide introduction générale sur Herp, 217 à 258.

379Harphius, Théologie mystique…, traduction [sur l’édition postérieure à la censure romaine] par J.-B. de Machault, Paris, 1616, «Livre troisième intitulé… Paradis des Contemplatifs», 622-847, à laquelle nous empruntons les citations (pagination entre crochets).

380C. Janssen, L’oraison aspirative chez Herp, Carmelus, 1956, vol. III, 47.

381DS 7.361/4. -Pierre Poiret, Écrits sur la Théologie mystique, 1700, rééd. par M. Chevallier, Grenoble, Millon, 2005, 139-141 («Lettre sur les principes et les caractères des principaux auteurs mystiques…», notice II. Henry Harphius).

382Jâmi, Les Jaillissements de lumière, Lavâyeh, Texte persan édité et traduit par Yann Richard, Les Deux Océans, Paris, 1982, 43, 47, 65, 67. -« Abd-ar Rahmân al Jâmî, Vie des soufis ou les haleines de la familiarité, trad. du Persan par Sylvestre de Sacy, Éditions Orientales, Paris, 1977.



383La montagne d’en face, poèmes des derviches turcs anatoliens, Fata Morgana.



384DS 11.356/67 (art. E. Behr-Siegel).

385DS 11.366/67.

386P. Pascal, La vie de l’archiprêtre Avvakum écrite par lui-même…, Gallimard, 1960.

387 V. Lossky et N. Arseniev, La paternité spirituelle en Russie aux XVIIIe et XIXe siècles, «Spiritualité orientale, n° 21, Bellefontaine, 1977. Sur l’abandon p. 44 & 60; sur l’humilité, p. 66-

388 P. Debongnie, La grande Dame du pur amour, Sainte Catherine de Gênes 1447-1510, Etudes Carmélitaines, Desclée, 1960; DS 2290/325, art. «Catherine de Gênes», M. Viller et Umile Bonzi (1953); DS 5332, art. «Fieschi (Tommasina)»; DS 16461/7, art. «Vernazza»; Baron Friedrich von Hügel, The mystical element of religion as studied in saint Catherine of Genoa and her friends, London, New-York, 1908, 2 vol. [comportant en outre de très intéressants aperçus sur la mystique telle que von Hügel la perçoit : voir le vol. II, pages 360-364, 374, 378, 384, 390, 392].

389Vita, Ch. 45.

390Vita, Ch. 1.



391Ibid., Ch. 2.

392DS 2. 293.

393P. Umile Bonzi, S. Caterina Fieschi Adorno, vol. I : « Theologia mistica… », vol. II : « Edizione critica dei manoscritti Cateriniani. », Marietti, 1962.

394Ibid., Ch. 22.

395Ibid., Ch. 30.  

396DS 2.316.

397DS 2.319/20. 

398DS 16.464.

399J.-B. P [orion], Hadewijch d’Anvers, 50 note 65, 54 n. 68, 147 n. 6, 184.

400DS 2.322/5. Les traductions françaises du début du XVIIe siècle sont véridiques et préférables aux «belles infidèles» de la fin du siècle, ce que nous observons ici comme sur le Cantique A de Jean de la Croix

401Kabir Granthavali (Doha), avec introduction, traduction et notes par Charlotte Vaudeville, Institut français d’Indologie, Pondichéry, 1957, [voir aussi : Au cabaret de l’amour, trad. Ch. Vaudeville, Gallimard, 1959; Kabîr, Volume I, Ch. Vaudeville, Oxford, 1974; The Bîjak of Kabir, transl. By Linda Hess & Shukdev Singh, San Francisco, 1983].


402Vie et chants de «Brug-pa Kun-legs, traduit du tibétain par R.A.Stein, Maisonneuve, Collection Unesco d’œuvres représentatives, Paris, 1972, 192

403DS 12.705-789, art. «Pays-Bas» & DS, 12.1159-1169, art. «Perle évangélique». 

404Dom Richard Beaucousin (1561-1610) et son «équipe» de chartreux traduisent la Perle en 1602 (rééd. Millon, La Perle évangélique, éd. Vidal, Grenoble, 1997), et révisent leur travail en 1608 [cette dernière édition fut appréciée par Louis Cognet, qui travailla aux Archives Saint-Sulpice sur une reproduction d’un original bordelais aujourd’hui égaré].

405DS 12.731.


406DS 12.734.

407La traduction de 1608 est ici identique à celle de 1602

408DS 9.277/81 ; Misticos…, vol. II, «Subida del monte Sion », 25-442. – Via spiritus de Bernabé de  Palma [et] Subida del Monte Sion de Bernardino de Laredo, ed. B.A.C., 1998.

409Fidèle de Ros, Le Frère Bernardin de Laredo, Paris, 1948, 135.

410DS 9.277.



411DS 9280 & Fidèle de Ros, Le père François d’Osuna, Beauchesne, 1936.

412Misticos…, vol. II, «Subida del monte Sion», 370, que nous traduisons.

413Ibid., 373/4.

414Ibid., 387.

415Ibid., 388/9.

416 William James, The varieties of religious experience, a study in human nature, The Gifford Lectures delivered at Edinburgh. 1901-2, reed. Collins, 1960, 369. - W. James poursuit : « This sense of deeper significance is not confined to rational propositions. […] A more pronounced step forward on the mystical ladder is found in an extremely frequent phenomenon, that sudden feeling, namely, which sometimes sweeps over us, of having "been here before," as if at some indefinite past time, in just this place, with just these people, we were already saying just these things «  (369-370).

417Se reporter à l’entrée « 1361 Tauler » où j’ai abordé en note l’édition.

418Œuvres complètes de J. T., 8 volumes [les sermons occupent 4 volumes], traduction de E.-P. Noël, 1911-1913 - Tauler, Sermons, trad. sur l’allemand de E. Hugueny – G. Théry -M.A.L. Corin, Cerf, Paris, 3 vol., 1927-1935, rééd. 1991 en un volume que nous venons d’utiliser.

419DS. t.15. col.72.

420Entrée « 1361 Tauler ». «L’Imitation de la Vie pauvre de N.S.J.C.», édition A. Tralin, Paris, 1914, constitue le 9e volume ajouté aux Œuvres complètes de J. T . traduites par E.P. Noël, op. cit. La traduction fut réalisée à partir de l’allemand «par un prêtre du diocèse de Strasbourg» qui a voulu rester anonyme. Plusieurs notes (dûes à Noël comme à l’inconnu traducteur) sont remarquables.

421Institutions, Tralin, t.VIII, 1913, p.156. = description de la « plongée » mystique.

422DS 12.1489/95.

423Tratado de la oracion y meditacion  : Traité…, P. Ubald d’Alençon, Paris, 1923, p.7.

424Ibid., p.56.



425DS 1.730/38. -Voir : Louis de Blois, Institution spirituelle, Présentation, traduction et notes par Max Huot de Longchamp, [cit. : Institution…], Centre Saint-Jean-de-la-Croix & Éd. du Carmel, 2004, «Introduction» (voir pages 9-12 sur la diffusion de l’œuvre et les influences et pages 12-22 pour une analyse spirituelle et les termes définissant la structure de l’âme).

426En particulier vers la fin de l’ouvrage, lorsque son lecteur est prêt à se mettre en œuvre, 95 sq., 127 sq. -Les Moyens courts du siècle suivant, dont se détache celui de madame Guyon, seront adressés aux laïcs.

427Institution…, chap. I, 35.



428Ibid…, chap. VIII, § 2, 113. – La longue citation intègre des éléments des Institutions taulériennes, ch. XI, dont la plus grande partie est traduite au tome VIII, 136, de l’édition Noël des «Œuvres complètes de Jean Tauler», 1913.


429Ibid…, 171. -Associe des données du Royaume des Amants de Ruusbroec (NdT).

430Thérèse d’Avila, Cantiques du chemin, Traduction de Silvia Baron Supervielle, Arfuyen.



431Thomas Alvarez, Préface à la rééd. des Œuvres, Cerf, 1995, IV-V.

432v. Teresa de Jesus y el siglo XVI, Catedral de Avila, 1995, [catalogo de la exposicion Castillo Interior], art. «Ambiente historico», pp. 23-44, et «El ambiante familiar…», pp. 131 sq.

433Teresa de Jesus, con an essayo de Fray Tomas Alvarez, Santander, 1984, 38-39.

434Santa Teresa de Jesus, Obras completas, B.A.C., 1974 ; traduction par la carmélite Marie du Saint-Sacrement, 1907-1910 Cerf, 1995, 2 volumes : Œuvres & Lettres.

435Thomas Alvarez, Préface à la rééd. des Œuvres, Cerf, 1995.


436…sin ninguna fuerza ni ruido procure atajar el discurir del entendimiento, mas no el suspenderle, ni el pensamiento ; sino que es bien que se acuerde que està delante de Dios y quién es este Dios. Si lo mesmo que siente en si le embeviere, enhorabuena ; mas no procure entender lo que es, porque es dado a la voluntad.


437Nous omettons de fréquence références à la crainte des démons, etc. : Teresa partage les limitations de son époque. Il serait ainsi cruel de citer les deux passages contre les luthériens figurant au premier chapitre du Chemin de Perfection  écrit en 1566 -mais ne seraient-ils pas inspirés par le Père Garcia de Toledo?


438Breve compendio intorno alla perfettione christiania, dove si vede una prattica mirabile per unire l’anima con Dio. – Réédité dans La théologie du Cœur ou recueil de quelques traités qui contiennent les lumières les plus divines des âmes simples et pures, A Cologne [Amsterdam], 1690 [Première partie : I. Le Berger Illuminé (5-71), II. L’abrégé de la perfection chrétienne (72-220), III. La ruine de l’amour-propre (221-328). En préface à la première partie, P. Poiret indique que les parties II et III sont écrites en italien «par une Dame Milanaise». Il s’agit de notre Breve Compendio d’Isabelle Bellinzaga] -Édition moderne : Achille Gagliardi, Commentaire des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola (1590)/suivi de/Abrégé de la perfection chrétienne (1588), Introduction par A. Derville..., «Christus» n° 83, Desclée. [sous ce titre complexe se cache le Breve Compendio, 213-245, traduit par J. Kiryllo, revu par A. Derville qui lui adjoint une intéressante introduction].


439Introduction par A. Derville, op.cit., 18-19.

440La théologie du cœur…, op.cit., 100.

441Ibid., 113 et 114.

442Ibid., 141/2.

443Polyphonies sacrées pour les cathédrales d’Espagne au temps de Philippe II, La Capella Silvanensis, Direction : Jean Michel Hasler, L’harmonie des Sphères, Sylvanès. – Consulter aussi : Fray Luis de Leon, Poésies complètes, Nouvelle traduction intégrale et avant-propos de Bernard SESE, Les Cahiers Obsidiane. 



444Nous suivons  la «Vida de san Juan de la Cruz, por fray Crisogono de Jesus», ouvrant le volume Vida y obras de San Juan de la Cruz, B.A.C., 1974, (vie publiée séparément par la suite) -Trad. française disponible (avec moins de notes) : Crisogono de Jesus, Vie de Jean de la Croix, Cerf, 1998. -Cette biographie majeure doit être complétée par l’Historia de la vida… de José de Jesus Maria (Quiroga), Bruxelles, 1628, œuvre du disciple mystique défenseur de Jean, chargé des archives de l’ordre, qui a pu s’entretenir avec des témoins directs (avant d’être relégué dans un couvent), et livre ainsi des compléments très utiles tout particulièrement sur la vie intérieure.

445Fundaciones, cap.14.

446«Muchas veces oyo decir a religiosos que hablaban a la parte de afuera [del hueco sin ventana]: Qué aguardamos de este hombre? Empocémosle [du verbe empozar], que nadie sabrà de el?» (Relation d’Innocent de Saint-André, Crisogono, note 29131).

447« dedos de sus pies despellejados por el frio ... muchos años después conservarà aùn mal cerradas las cicatrices de estos latigazos» (Crisogono131 et 132).

448«Todas … oyendolo quedaban encendidos los corazones en amor de Dios» (Crisogono, 164, note 74, déclaration de Françoise de la Mère de Dieu).

449Angeles del Purisima Corazon de Maria, Las carmelitas descalzas de San José de Granada, Granada, 2005, apporte un éclairage très neuf sur les débuts du couvent (édition disponible en s’adressant au carmel de Grenade).

450La biographie de Crisogono est à compléter par Dieu parle dans la nuit, Saint Jean de la Croix sa vie, son message, son milieu, Paris, 1991, ouvrage utile non seulement par son texte, mais par ses très nombreuses illustrations : il peut servir de guide sur le terrain. En ce qui concerne des traces andalouses : nada! car rien ne reste d’accessible à La Penuela, une ville ayant été construite au XVIIIe siècle en ce lieu auparavant sauvage proche de la sierra Morena; rien non plus del ermita del Calvario, disparu dans les années 1930 - mais encore indiqué sur la carte détaillée (vendue encore en 2006) couvrant Beas de Segura et les sierras nord du parc naturel du Haut-Guadalquivir. Cette carte indique le début du chemin qui reliait à Beas l’ermitage situé au sud, tout proche de la plaque commémorative «En este paraje…» située au bord de la petite route qui longe le Guadalquivir, à mi-chemin entre Villanueva del Arzobispo et  le lieu-dit Tranco situé sur la rive du lac-retenue. Puis le chemin se perd dans les oliviers par suite du mode modernisé des cultures, mais la vue splendide vaut une marche de plus en plus pentue; et monter à partir de Beas risquerait de ne jamais conduire à l’emplacement supposé de l’ermitage… Des reliques sont exposées au couvent des carmélites de Beas, qui complémentent le petit musée du couvent d’Ubeda, belle ville qui mérite plus d’une journée, proche de Baeza. Il ne reste rien non plus de Los Martires à Grenade, détruit au XIXe siècle, sinon l’aqueduc dans le parc qui en a pris la place et le nom, au pied de l’Alhambra. Personne ne semble connaître dans le Grenade moderne l’adresse de la maison d’El gran capitan… vencedor de moros, franceses y turcos…, lieu du couvent des carmélites.

451Crisogono, 155. - Anne de Jésus fut scandalisée par une telle appréciation jugée cavalière compte tenu d’un écart d’âge de vingt-sept ans. Le mariage spirituel de la Madre se produisit en présence de Jean de la Croix. (Relation 35).

452Ibid., 156.

453Ibid., 164, note 74.

454Ibid., 185, n. 19.

455Ibid., 216, n. 45.

456 Dont : J. Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 2e ed.,  1924, 1931, rééd. récente; Marie du Saint-Sacrement, op. cit. [préfaces, 1933-1937]; Crisogono, op. cit., 1934; L. Cognet, Saint Jean de la Croix et la pensée chrétienne, cours ronéotypé donné à l’Institut Catholique, 1962-1963  [disponible aux A. S.-S., ref. gV181]; J. Orcibal, Saint Jean de la Croix et les Mystiques Rhéno-flamands, Desclée, 1966; DS 8408/447, 1972 ;  J. Krynen, Saint Jean de la Croix  et l’aventure de la mystique espagnole, 1990; M. Huot de Longchamp, Lectures de Jean de la Croix, essai d’anthropologie mystique, Beauchesne, Paris 1981; A. Bord, Jean de la Croix en France, PUF, 1993  & Les amours chez Jean de la Croix, PUF, 1998; M. Huot de Longchamp, Saint Jean de la Croix, pour lire le docteur mystique, FAC, Paris, 1991, nouvelle édition revue et augmentée suivie de la Vive flamme d’amour traduite et commentée, coll. «Sources mystiques», 2010.

457L’œuvre porte un titre identique à celui de l’œuvre également mystique du prédécesseur Bernardo de Laredo.

458Ce que montre un essai de translittération interlinéaire en vue d’établir une petite Initiation à l’espagnol de Jean de la Croix, aide encore étrangement indisponible. Le vocabulaire s’avère limité (ce qui a peut-être été voulu consciemment par Jean)  et la seule difficulté tient à quelques verbes irréguliers -problème réglé très simplement à l’aide du Gran diccionario moderne Larousse (l’espagnol fut fixé bien avant le français). Il vaut mieux aborder directement l’espagnol que de perdre du temps à comparer des traductions.

459Textes et traductions : Vida y obras… B.A.C., 1974 & Obras completas, Editorial de Espiritualidad, 1992 ; Obras completas preparada por E. Pacho, Editorial Monte Carmelo, Burgos [gros corps lisible! ] ; traduction/adaptation (avec parfois des adjonctions au texte précisant le sens) par sœur Marie du Saint-Sacrement (1933-1937), rééd. Jean de la Croix, Œuvres complètes, Cerf, 2001 (malheureusement les introductions et les notices sont alors omises). [Elle acheva ce travail après la traduction de Teresa et avant de partir fonder à un âge avancé un carmel en Indes à Mangalore]; Jean de la Croix, Œuvres complètes, Bibliothèque Européenne, Desclée de B., 1959 (traduction de Cyprien de la Nativité, 1641, belle infidèle, révision Lucien-Marie de Saint-Joseph); Saint Jean de la Croix, Œuvres spirituelles, trad. de Grégoire de Saint-Joseph, Seuil, 1947.

460Ordre de (B) rapporté aux couplets numérotés 1 à 39 de (A) : 1, 2… 10, Couplet supplémentaire, 11 [qui est donc le douzième de (B)] à 14, 25 à 32, 29, 30, 27, 28, 15 à 24, 23, 34 à 39.

461Une copie de (A) fut transportée à Paris en 1604 par Anne de Jésus et servit très probablement à la traduction par Gaultier, publiée en 1622 (il attendit très probablement la mort d’Anne en 1621 pour la publier) : elle s’avère, sinon élégante, du moins très précise, selon un sondage de comparaison avec le texte espagnol publié aux Pays-Bas espagnols en 1627. Gaultier est un spirituel qui prit la peine d’aller en Espagne chercher les carmélites; et au début de son siècle l’on ne se sent pas encore obligé d’adapter plutôt que de traduire, selon les recommandations de Port-Royal qui conduiront aux «belles infidèles» de la fin du siècle (la traduction admirable des poèmes par Cyprien de la Nativité, en 1641, sur le Càntico B, devient catastrophique dans celle de certains commentaires quand il ne pénètre pas intimement la portée du texte).

462Saint Jean de la Croix, Cantique d’Amour Divin traduit par René Gaultier, 1998, éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 36230 Mers-sur-Indre, «Introduction» par M. Huot de Longchamp, 10.

463Marie du Saint Sacrement défend (B) d’un point de vue intériorisé aussi bien qu’érudit -tout en traduisant les deux formes; l’édition B.A.C. de 1974 donne les deux textes : (B) et, en plus petit corps, le borrador [brouillon] (A). – On se reportera à R. Duvivier, La Genèse du «Cantique spirituel» de saint Jean de la Croix, 1971, pp. 254 ss. sur Gaultier et ses deux traductions françaises de 1621 (le canon officiel d’Alcala) et de 1622 (le Cantique A), ce qui laisse deviner son choix intime. Personnellement nous aimons (A)… et (B) : la querelle érudite divertit de l’essentiel!

464L. Cognet, La spiritualité moderne, 105. - v. 107 sur l’inachèvement de La nuit obscure de la montée du Mont-Carmel.

465J. Orcibal, Études…, «La Montée du Carmel a-t-elle été interpolée?», 673-707.

466v. San Juan de la Cruz, Obras completas, 5e ed., Editorial de Espiritualidad, Madrid, 1993,136-137.

467Iznatorafe, tout proche de Villanueva del Arzobispo. Les constructions de la cité sont invisibles de l’endroit d’où l’on peut supposer que Jean de la Croix voyait ce piton aplani par l’homme en son sommet depuis un temps immémorial : point de vue à partir du nord (et non de l’ermita del Calvario d’où la vision directe est barrée par les reliefs voisins). Jean a gravi lui-même plusieurs fois le chemin raide qui conduisait de la plaine à son sommet -devenu  une large route à lacets.

468M. Huot de Longchamp, Bien lire les mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 124. Il cite  La Montée du Carmel, livre 2 : chap. 26, § 2, & chap. 14, §10-11, comme aussi Saussure, Cours de Linguistique générale, 103.

469V. le Mémoire (2005, non publié) sur quatre Montées de Jean de la Croix, de Catherine Bouvier.

470Emblêmes de Vaenius (1615) et de Herman Hugo (1624) utilisés par des spirituels jusqu’à madame Guyon. Cf. A. Guiderdoni-Bruslé, “L’âme amante de son Dieu…” in: The Low countries as a crossroads of religious beliefs, Brill, 2004, 297 sq.

471Jean de la Croix, Œuvres, BAC, 5e éd., 195.

472Thérèse d’Avila, Œuvres…, Cerf, «Les Fondations», Chap. 14, 514.

473Cognet, op.cit., 144.

474Œuvres…, Cerf, 20011515/6.

475Trad. Cyprien de la Nativité, Nuit Obscure, II, Ch. VI, 554-555.

476J. Chambron, «Le vide chez St Jean de la Croix, dénuement et vive flamme», 144-156, dans Hermès 6, Le Vide, expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1960. Cit. : 151, 156.

477Traduction par Cyprien de la Nativité : dernier vers du second couplet (de la Vive Flamme), 990.

478Trad. Marie du Saint-Sacrement, commentaire au troisième couplet, 1533. Odombration par conformité.

479J. Orcibal, Saint Jean de la Croix et les Mystiques Rhéno-flamands, op.cit., 197.

480Vida que el siervo de Dios Gregorio Lopez hizo en algunos lugares de la Nueva Espana…, Mexico 1613, Lisbonne 1615 ; Séville et Madrid 1618 à 1727; cette Vida fut traduite en français par le jésuite Conart, 1644 et 1656, puis dans les Œuvres diverses de Monsieur Arnauld d’Andilly, Paris, chez Pierre le Petit, 1675, en trois in-folios (sur huit prévus), dont le tome I contient «La Vie du Bienheureux Grégoire Lopez» (153-301).

481Poiret réédite la traduction d’Arnauld d’Andilly (Le saint solitaire des Indes ou la vie de G.L., 1717), Tersteegen la remanie en allemand, Wesley l’abrège en anglais; traduction italienne en 1740.

482Traduction par Arnauld d’Andilly, 1675. Paginations données entre crochets.


483DS 9.997.

484DS 9.997/8.

485Repris en pièce n°21 in Terence Cave, Michel Jeanneret, La Muse sacrée Anthologie de la poésie spirituelle française (1570-1630), José Corti, Paris, 2007, 57. Cent Psaumes de David, Poesies chestiennes, f ° 16 v °.

486Des Fureur héroïques (De gl’Heorici Furori), texte établi et  traduit par Paul-Henri Michel, «Les Belles Lettres, Paris, 1954, 180. 



487 ANTHOLOGIE DU CHAMANISME, Cinq cents ans sur la piste du savoir, Une anthologie rassemblée et présentée par Jeremy Narby et Francis Huxley, « Ivalo et Knud Rasmussen », p. 95, Albin Michel, 2018.

488ANTHOLOGIE DU CHAMANISME, Cinq cents ans sur la piste du savoir, Une anthologie rassemblée et présentée par Jeremy Narby et Francis Huxley, « Elan-Noir et John G. Neihardt », Albin Michel, 2018.

489Théologie mise en valeur par Syméon « le Nouveau Théologien » ou dans la Théologie mystique d’Hugues de Balma.

490Expériences mystiques en Occident, I , 17 sq.

491Choix très personnel établi par rencontres et lectures ; donc à compléter.

492Kshitimohan Sen, Medieval Mysticism of India, Munshiram Manoharlal, New-Delhi, 1974. Authorized Translation From the Bengali by Manomohan Ghosh. Je cite les Appendices.


493Choix d’études sur Benoît : DS 1.1446/51, art. «Benoît de Canfeld», 1937; Optat de Veghel, Benoît de Canfield…, Rome, 1949; P. Renaudin, Un maître de la mystique française. Benoît de Canfeld, Paris, 1955; DS 2.1446, art. «Divinisation, V. Au 17esiècle, 1. Benoît de Canfield…» (J. Orcibal), 1957 (rééd. dans J. Orcibal, Études…, 1997, 409); DS 5.913/15, art. «France, 3. Vers l’épanouissement du XVIIe siècle… 7° Benoît de Canfield…» (J. Le Brun), 1963; L. Cognet, La spiritualité moderne, Aubier, 1966, 244-258; Benoît de Canfield, La Règle de Perfection – The rule of Perfection, J. Orcibal, P.U.F., 1982, Introduction.

494Véritable et miraculeuse conversion du R. P. Benoist de Canfeld... par le sieur de Nantilly, 1608, p. 58 de l’exemplaire disponible aux Archives Eudistes.


495Ibid., 65-70, intéressant récit de «visions» arrivées  au cours d’une promenade.

496Ibid., 126.

497DS 1.1446/7 (dont les citations).

498J. Orcibal, Règle…, 23 de l’Introduction, cite la réponse de Benoît à un jésuite, avant d’établir un parallèle avec les «journées» d’Issy (1694). – Les Trente-quatre Articles fixent un compromis établi entre Bossuet et Fénelon.

499DS 5.914 (art. «France», 5.785-5.1004 [exposé dense et long, mais le meilleur disponible], 16e siècle, 3. J.Orcibal : «Vers l’épanouissement du 17e siècle»).

500J. Orcibal, Règle…, 38 et 25.

501Ibid. Cette partie couvre les pages 327 à 428 de l’édition critique par J. Orcibal. Son «Introduction» déjà citée rend compte des variations entre les éditions successives, donne de nombreux éclaircissements et extraits de sources parallèles, renvoie à un utile glossaire. Mais le texte est difficile à lire car il concatène diverses versions : texte commun en romain; texte ne relevant que de A «pirate» éditée par Osmont en gras; texte ne relevant que de la version «officielle» éditée par Chastellain en italiques…

502J’ai présenté séparément à fin de lecture spirituelle : (1) la version Osmont  primitive (dont des extraits seuls sont reproduits ici) dans Benoît de Canfield, De la Volonté de Dieu, Quinze chapitres de la Règle de Perfection, Arfuyen, 2009; (2) la version Chastellain, « compromis » lu durant le Grand Siècle dans ses nombreuses rééditions, dans Mystiques Franciscains du XVIIe siècle, Tome II, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2014.

503Ce passage mis entre crochet est un ajout de l’édition Chastellain qui précise l’édition Osmond; de même pour celui donné en fin du même chapitre.

504Orcibal, Règle…, “Introduction”, 18.



505Les témoignages du procès informatif, recueillis au carmel de Pontoise, sont cités ici par le nom du témoin suivi du numéro de folio ou de la page relatif au ms. correspondant. Témoignage.doc dépasse le millier de pages.

506La Vie Admirable de sœur Marie de L’Incarnation, religieuse converse en l’ordre de Notre Dame du mont Carmel, et fondatrice d’iceluy en France, appelée au monde la Damoiselle Acarie, par M. André Du Val, Docteur en Théologie, l’un des supérieurs dudit ordre en France, 3e édition revue et augmentée, Paris, 1621. [Épître, Avertissement au lecteur, Approbation, Privilège, Portrait, (1-807) La Vie [en trois parties dont biographie 1-429 à laquelle fait suite les vertus…]; Vie de la bienheureuse sœur Marie de L’Incarnation,… par J. B. A. Boucher, Paris, 1800. [xxviii +570 En préface, intéressante histoire des Vies écrites dont se détache Duval]; DS 10.486/87. – Voir aussi les Communications à l’Association des Amis de Madame Acarie, 55 rue Pierre Butin, 95300 Pontoise; Ph. Bonnichon, Madame Acarie, Une petite voie à l’aube du grand siècle, Carmel Vivant, Toulouse, 2002; Madame Acarie, Ecrits spirituels, présentation par Bernard Sesé, Arfuyen, 2004.

507Marguerite du Saint-Sacrement, 521.

508Ibid., 538.

509Sœur Anne-Thérèse du carmel de Clamart cite le P. Duval : «Pour ce qui est des visions et des révélations qui lui arrivaient pendant ses extases, on n’en a rien pu savoir, bien qu’elle en ait eu de grandes qu’elle appelait “vues de l’esprit” plutôt que “visions”…» (Communication du 14 avril 2002 à l’Association des Amis de Madame Acarie de Pontoise, « L’amitié spirituelle de Fr de Sales…»).

510R. Coté, «Vivre en présence de Dieu…», Comm. du 27 avril 2003 à l’Association des Amis de Madame Acarie (Pontoise). Légère adaptation.

511Marguerite du Saint-Sacrement, 426.

512Agnès de Jésus [des Lyons], 52.

513C. Renoux, «Madame Acarie “lit” Thérèse d’Avila…», Actes du colloque de Lyon (25-26 septembre 1997), Cerf.

514Mère Marie du Saint-Sacrement [de St Leu], 217.

515A.Duval, La Vie admirable…, Paris, 1893, 353.

516Marie de Saint-Joseph [Castellet], 398.  Nombreux témoignages parallèles.

517Seguier, 830.

518Marie de Saint-Ursule [d’Amiens], 447.

519Marguerite de St Joseph, 59.

520Marie du St Sacrement [de St Leu], 184; nombreux témoignages parallèles dont celui de Marie de Saint-Joseph [Fournier], 103.

521Père Etienne Binet, 65.

522Père Pierre Coton, 62.

523Père Etienne Binet.

524Père Pierre Coton.

525Marie de Saint-Joseph [Fournier].

526Marie de Saint-Joseph [Castellet] -- Témoignage parallèle de Marie de Saint-Ursule [Amiens].

527Père Pierre Coton.

528Marie du St Sacrement [de St Leu]. 

529J.H. Houdret, «Madame Acarie, un abîme d’humilité», Comm. du 5 novembre 2000 à l’AAA.

530Sœur Marie du St Sacrement, de Marillac (Pontoise) P.A. témoin 102, f° 727 cité par J.H. Houdret, op. cit. (Absent de «Témoignages.doc»).

531Marie de Saint-Joseph [Fournier].

532 Jacques Gallement.

533Marie de Saint-Joseph [Fournier].

534Marie du St Sacrement [de St Leu]. 

535Marie de Saint-Joseph [Castellet]. 

536Marguerite du Saint Sacrement [Acarie]

537Anne de Saint Laurent [de St Leu].

538Seguier.

539 Marie de Saint-Ursule [Amiens].

540Marie de Saint-Joseph [Fournier].

541Jean-Baptiste.

542Marie de Saint-Joseph [Fournier].

543Chancelier Seguier.

544Marie de Saint-Joseph [Fournier].

545Marie du St Sacrement [de St Leu]. 

546 René Gaultier.

547Anne de Saint Laurent [de St Leu].

548Goube.

549Marie de Saint-Joseph [Fournier].

550Marie de Saint-Joseph [Fournier].

551«Au lieu d’un monastère de pauvres repenties qui l’appelaient leur père, comme lui reprochait sa cousine [qui l’avait appelé “padre de putas”!] et de cinquante enfants que lui souhaitait sa tante, Dieu avait voulu que les religieuses de plus de cinquante monastères… l’appelassent leur père…» Compagnot, La vie du Vén. Jean de Quintanadoine..., ms. (copie XVIIIe siècle), Archives de Clamart, 45.

552Père Jean Sublet de la Guichonnière.

553Anne de Saint Laurent [de St Leu].

554 Mère Françoise.

555 Marie de Saint-Joseph [Fournier].

556Sœur Anne-Thérèse, op.cit.

557Saint François de Sales, Œuvres, Bibl. de la Pléiade, 1969 [v. la préface d’A. Ravier, augmentée d’une chronologie : I-CXXXII],  Vie dévote, Traité de l’amour de Dieu, Entretiens : 1-1885]; François de Sales, DS 5.1057/97 (P. Serouet).

558Œuvres, Bibl. de la Pléiade, 1969, 715 (les citations suivantes et leur pagination proviennent de la même source).

559Exercices spirituels propres pour pousser une âme par voie d’abnégation et d’amour de Dieu, jusques au sommet de la perfection chrétienne et religieuse (1622), Ed. critique, introduite de annotée par Bernard Forthomme, Honoré Champion, 2015. – Sur Rubéric voir la précieuse note 5, pages 13-14.

560Exercices sacrés de l’amour de Jésus, consacrés à luy mesmes, par le R.P. Severin Ruberic Provincial des Recollets de Guiene, Caritas, Paris, 1623, folios numérotés 1 à 357, soit 714 pages (petites et en gros corps). - La Conduite des âmes fidèles depuis leur conversion du péché à la grâce iusques au sommet de la perfection enseignée par le Saint-Esprit au Cantique des cantiques, Paris, 1631, est un ouvrage massif de 614 pages en petit corps, de moindre intérêt mystique.

561Exercices sacrés... sont classiquement divisé en trois parties : vie purgative, vie illuminative, vie unitive. Les avis pour la vie unitive des folios 249 à 266 sont ici partiellement repris. Le titre reprend celui du bandeau d’en-tête.

562Cet historien collabora aux travaux littéraires entrepris par le fils aîné d’Akbar (éliminé par son cadet Jahângîr).

563Yohanan Friedmann, Shaikh Ahmad Sirhindî, An outline of his thought and a study of his image in the eyes of posterity, McGill Univ. press, 1971, Introduction (réductions et retouches). – Sur son influence voir Thomas Dahnhardt, Change and continuity in Indian Sufism, A Naqshbandi-Mujaddidi Branche in the Hindu Environment, D.K. Printworld, New Delhi, 2002, 2007.

564hizmetbooks.org, Waqf Ikhlas publications, “Endless Bliss”, http://www.hizmetbooks.org, Fascicles-1 à 3 (sur 5): “Bliss 1.pdf”. – Traduction en un anglais assez approximatif par un ingénieur turc né en 1911.

565Bliss 2.pdf

566Bliss 2.pdf

567Bliss 3.pdf – Depuis mon choix livré supra, j’ai apprécié : Epistles (Maktubat Sharif) of Imami Rabbani Mujaddid [...] Sirhindi, Transl. By Sheykh Muhammad Wajihuddin, vol. I & II, Lahore, 2000 & 2004 : Epistles 1 à 313 soit env. la moitié du Maktubat. Cette traduction sans omissions et annotée fut malheureusement interrompue suite à des problèmes de santé du Sheyck.

Sont disponibles sur demande motivée adressée au webmaster du site « www.cheminsmystiques.com »: (1) l’OCR couvrant les deux volumes (sous forme brute déjà communiquée au correspondant dont je suis l’obligé) qui fournissent la traduction intégrale de chaque pièce, (2) mon choix de « bonnes feuilles » lisibles par un non-spécialiste assumant cependant un effort de « décodage » : autre époque, autre civilisation… Ce Florilège couvre le cinquième du volume textuel (« Maktubat de Sirhindi Epitres 1-313 chx revu décembre 2013.doc »). La traduction citée en cette note de conclusion permet de découvrir le Sirhindi mystique s’adressant à des disciples (souvent d’humbles inconnus qui nous intéressent intimement) plutôt que le Sirhindi défenseur d’une cause face aux Puissants, donc interprété très diversement compte tenu des rapports politiques très conflictuels de nos jours (à ce sujet v. Rizvi).

568Première citation : De l’incarnation de Jésus-Christ… 1620, cité par C.-A. Keller et D. Müller, La spiritualité protestante, Labor et Fides, 1998, 41. — Toutes les autres dont celles de l’étude de Berdiaeff : v. Jacob Boehme, Mysterium Magnum, trad. N. Berdiaeff, Aubier, 2 tomes I & II, 1945. Avec deux études sur J. Boehme ouvrant le tome I.

569Obras del Mistico Doctor San Juan de la Cruz…, [« Éd. de Tolède »] : Tomo tercero, 1914, Apendice III, « Don que tuvo San Juan de la Cruz para guiar las almas a Dios », 505-576.

570La première édition de 1628 est aujourd’hui disponible, rééditée par Fortunato Antolin : José de Jesus Maria (Quiroga), Historia de la vida y vitudes del Venerable Padre Fray Juan de la Cruz, Junta de Castilla y Leon, 1992; Traductions d’Élisée de Saint-Bernard, Paris, 1638 & de Cyprien de la Nativité, Paris, 1642 – La Vida del P. Crisogono (1904-1945) est disponible : Vie de Jean de la Croix, Cerf, 1998.

571DS 8.1354-1359 par F. de Jesùs Sacramentado, 1974, avec bibliogr. espagnole — Quiroga avait été apprécié par la traductrice-adaptatrice inspirée de Thérèse d’Avila puis de Jean de la Croix, Marie du Saint-Sacrement. Ses ms. disponibles au carmel de Pontoise [anciennement au carmel de Clamart] comprennent les traductions des deux opuscules de Quiroga reproduits dans l’éd. de Tolède des œuvres de Jean de la Croix, 1912-1914, op.cit., et nous avons préparé  : Joseph de Jesus-Marie [Quiroga], L’Oraison, selon saint Jean de la Croix, saint Thomas d’Aquin et saint Denis, traduction et adaptation par la Mère Marie du Saint Sacrement.

572José de Jesùs Maria Quiroga, Apologie mystique en défense de la contemplation, texte espagnol et français, éd. par Max Huot de Longchamp, FAC, 1990; J. Krynen, L’Apologie mystique de Quiroga, 1990 (complément de 1955 à la thèse non éditée portant sur l’influence de Denys et d’auteurs médiévaux, appréciée et annotée par Orcibal, Archives Saint-Sulpice, réf. gV-189).

573Quiroga, Subida del alma, 1675 (transcription disponible à Solesmes; pdf disponible sous Google). Voir surtout le «Libro tercero, de la entrada en el Parayso Espiritual : donde se trata de al union habitual, y espiritual matrimonio».

574La Subida del alma a Dios de Quiroga fut dénoncée à l’Inquisition espagnole par le jésuite Casani et condamnée… en 1750, pour être levée en 1771 quatre ans après l’expulsion des jésuites d’Espagne.

575Apologie…, Chap. V, § 8 à §11.

576Apologie…,  Chap. VI, §1 et §6, «Où l’on expose plus à fond cette quiétude de la contemplation…».

577Apologie…, Chap. IX, §8.

578J. Krynen, op.cit., Préface,  p. X.

Depuis la notice supra j’ai transcrit une grande partie de ce dont on dispose du « vrai » successeur de Jean de la Croix, conduisant à trois dossiers de textes :

(I) José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628, Historia de la Vida y Virtudes del Venerable P. F. Juan de la Cruz & Etudes, 2016, 338 p.

(II) José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union (1656) Segunda parte: De la entrada del alma al Parayso Espiritual (1659), Don que tuvo sans Juan de la Cruz, Repuestas, Apología mística en defensa de la Contemplación divina, 2016, 604 p.

(III) José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, L’Oraison (adaptation par la Mère Marie du Saint-Sacrement) & Réponse à un doute, Apologie mystique en défense de la Contemplation divine, 2016, 440 p.

Il reste à vérifier sur les manuscrits originaux (BN. Madrid) alors que les dossiers précédents utilisent des éditions imprimées modifiées…


579Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit 2367 de la réserve de la Bibl. Franciscaine de Paris. Ce ms., signalé dans les Études Franciscaines, 1950, 97, «Note sur un ms. des Secrets sentiers…», présente une spontanéité remarquable et s’avère très différent de la version éditée (déjà les titres diffèrent, v. note suivante). Je propose la première édition de ce manuscrit précédé d’une étude sur l’auteur : Constantin de Barbanson, I, Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier de l’Amour divin, 2014, 364 p.

580Les Secrets sentiers de l’Amour divin esquels est cachée la vraie sapience céleste et le royaume de Dieu en nos âmes, composés par le P. Constantin de Barbanson prédicateur capucin et gardien du convent de Cologne, première édition en 1623 à Cologne; deuxième édition du vivant de l’auteur en 1629 à Douai; édition à Paris en 1634; traductions en latin et allemand. Les secrets sentiers de l’amour divin, par le P. Constantin de Barbanson capucin, Desclée, 1932; Constantin de Barbanson, II, Les Secrets sentiers de l’Amour divin, 2014, 350 p.

581Anatomie de l’âme et des opérations divines en icelle, qui est une addition au livre des Secrets sentiers de l’amour divin enseignant en quoy consiste l’avancement spirituel de l’âme dévote et le vray état de la perfection… par le R. Père Constantin de Barbanson, Prédicateur Capucin, Définiteur de la province de Cologne et gardien du couvent de Bonne, à Liège, 1635. – Je propose la première réédition de ce teste à mes yeux mystiquement unique pour son siècle : Constantin de Barbanson, III & IV, Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu'à l'état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l'être de la déiformité, après la mort de la propriété, 2014, 407 p.

582Tota provincia spiritualizata : multi patiebantur extases et raptus.

583DS 21635 et Secrets sentiers, «Préface», v. pages x-xiv sur les capucins.

584On relève les séquences suivantes traduisant les influences exercées soit par les textes (>) soit directement (>>) : Hugues de Balma > Harphius > Canfield > C. de Barbanson,  J. de Landen; F. Nugent >> C. de Barbanson > Bona, Gelen, Baker; C. de Barbanson >> dame de Werquignoeul, première abbesse de la Paix Notre-Dame de Douai, F. Sylvius de l’Université de Douai, et C. de B. >> capucines de Flandre dont sœur Ange de Douai. Bibliogr. : v. l’Histoire des capucines de Flandre; DS 21634/41 incluant un clair exposé de la doctrine en 21636/40; Secrets sentiers, rééd. 1932, «Préface», xv-xx sur Constantin; il n’existe pas de monographie notable sur Constantin.

585Constantin serait mort au moment où il portait un paquet manuscrit à l’inquisition de Douai et ni ses proches (ni moi-même) ne purent remettre la main sur le trésor. Ils éditèrent donc les «papiers» laissés lors du décès inattendu. (v. la préface de l’édition de 1635). – Ayant échappé aux censeurs par sa brusque disparition, par une difficulté évidente d’accès, par son excentrement vis-à-vis des centres de contrôle (Rome, Paris), Constantin demeure une autorité qui ne fut pas mise en cause dans le monde catholique, très utile donc pour justifier certaines affirmations (hardies tant qu’on les pose sur le plan d’idées toujours prêtes à être détachées de l’expérience qui les justifie).

586Tours, B.M., ms. 488, f. ° 274r, cité 188 par C. Janssen, «L’Oraison aspirative chez Jean de Saint-Samson», Carmelus, 1956, vol. III, 183 sq.

587Fragment du Prologue aux Secrets sentiers, 34 de sa réédition (1932).

588Secrets sentiers, rééd. 1932, Première partie, Chap. I, 46.

589Ibid., Chap. VI, 188.

590Ibid., Chap. VI, 194.

591Ibid., Ch. VIII : de la vraie et légitime tranquillité, 216.

592Ibid., Ch. IX : de la présence de Dieu…

593Ibid., Ch. X : de l’état de privation ou déréliction…

594Ibid., Ch. XI : de ce que Dieu a prétendu de l’âme…

595Ibid., Ch. XII : du dernier état qui est de la parfaite union…

596Première des trois parties de l’Anatomie, 39.

597DS 10.675/7 (art. «Martial d’Étampes») [v. l’analyse des sources] —DS 5 col. 1375 (art. «Spiritualité franciscaine») —P. Raoul de Sceaux, «Lettres inédites du P. Martial d’Étampes», Études franciscaines, XIV, n° 32, juin 64 89-102 [biographie suivie de lettres] — Traité très facile pour apprendre à faire l’oraison mentale, divisé en trois parties principales... Saint-Omer, 1630; Paris, Thierry, 1635 & Fremiot, 1639 & Coignard, 1671, 1682, 1722 (comporte 12 traités dont l’Exercice du silence intérieur) — L’exercice des trois cloux amoureux et douloureux, pour imiter JC, attaché sur la croix au Calvaire, et pour nous unir à luy, Jean Camusat, Paris, 1635. [l’étrange référence «aux clous» s’explique par le titre canonique de «filles de la Passion» donné aux capucines d’Amiens dont il fut le confesseur les quatre dernières années de sa vie]. — La vie mystique chez les franciscains du dix-septième…,  siècle op. cit. & le volume «récapitulatif» : Martial d’Étampes, Maître en oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen & Dominique Tronc, Éd. du Carmel, 2008 (Etude; Exercice du silence intérieur; Exercice des trois cloux).

598Nécrologe [des capucins de la province de Paris], ms. au château du Titre, f° 71-85 : l’importance exceptionnelle accordée à notre auteur dans ce ms. marque l’appréciation de ses confrères.

599Exercice des trois cloux, 25.

600Ibid., 50.

601DS 5.1375.

602P. Raoul de Sceaux, «Lettres inédites…», op. cit., Lettre 8.

603Traité très facile… divisé… [en 12 traités], op. cit., «Traité second : De L’oraison mentale, De la division générale de l’oraison mentale», 68. — Pour les citations suivantes du «Traité sixième : De l’oraison mentale, en faveur des âmes religieuses qui sont tirées à Dieu par quelque trait d’oraison extraordinaire», nous donnons les paginations entre crochets, comme nous le ferons dorénavant pour les citations extraites d’auteurs aux éditions rares.

604Traité très facile, «Traité sixième : De l’oraison mentale, en faveur des âmes religieuses qui sont tirées à Dieu par quelque trait d’oraison extraordinaire», pages 176, 183, 187. – v. Jean 12, 24, Si le grain ne meurt…, et parmi les mystiques du siècle Guyon, Torrents, chap. IX, Discours 1,17, 2, 36, etc.

605Traité onzième : « De l’exercice du silence que le Religieux doit garder de pensée, de parole et d’œuvre pour être tout uni et absorbé en Dieu seul » 305 à 337.

606Exercice, 641.

607Toutes les citations qui suivent sont extraites de cet Exercice des trois clous.

608Introduction à la Doctrine spirituelle…, Desclée, «Christus», 1959, 9.

609DS 9126/35, art. «Lallemant».

610M. de Certeau, La Fable mystique, 371-372.

611La Vie et la doctrine spirituelle du P. Louis Lallemant, Paris, 1694. – nous utilisons l’édition de 1959, Desclée, coll. «Christus».

612Texte d’annonce du plan suivi, figurant sous le titre : La Doctrine spirituelle

613Jésuites de la Nouvelle-France, Desclée, «Christus», 1960, 27; Sur Brébeuf, 93 sq.; sur Jogues, 163 sq. v. Pierre Champion, La Vie et la doctrine spirituelle du Père Louis Lallemant, Paris, 1694; Introduction à la Doctrine spirituelle…, Desclée, «Christus», 1959, 9, 53, 141, 157.

614P. Champion, «La Vie du Père Louis Lallemant», Doctrine spirituelle, op.cit., 53. Il ne pourra pas suivre les exemples offerts par Jean de Brébeuf et d’Isaac Jogues : ce dernier parcourut la France, les oreilles coupées par les Indiens, témoignant des missionnaires martyrs, avant son retour au Canada où il fut martyrisé. Rouen où Louis résida longtemps, n’est-elle pas la patrie de Corneille?

615Pierre Champion, La Vie et la doctrine spirituelle du Père Louis Lallemant, Paris, 1694; Introduction à la Doctrine spirituelle…, Desclée, «Christus», 1959, 9, 53, 141, 157.

616A.-E. Steinmann, La nuit et la flamme, chemins du Carmel, Paris-Fribourg, 1982; J. Smet, I Carmelitani (trad. de l’anglais), 4 vol., Roma, 1989.

617C. Janssen, Les origines de la réforme des Carmes en France au XVIIe siècle, Martinus Nijhoff, s’Gravenhage, 1963, 225, souligne l’influence des déchaux sur les pratiques; S.-M. Morgain, Pierre de Bérulle et les Carmélites de France, Cerf, 1995,69, souligne le rôle du chartreux dom Beaucousin en relation avec les deux groupes réformateurs.

618H. Bremond, Histoire… II L’Invasion mystique [chap. V sur Jean], 1930; S.-M. Bouchereaux, La réforme des Carmes en France et Jean de Saint-Samson, Vrin, 1950; H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson, L’éguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu…, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987 [l’étude sur Jean couvre les deux-tiers du volume].

Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, Edition critique présentée par D. Tronc avec une étude par Max Huot de Longchamp, 2012, 607 p.; Jean de Saint-Samson, Œuvres mystiques, texte établi et présenté par H. Blommestijn et M. Huot de Longchamp, Paris, O.E.I.L., 1984; ; Jean de Saint-Samson, La pratique essentielle de l’amour, Coll. «Sagesses chrétiennes», Cerf, 1989. [cinq de ses courts traités dont l’accès est aidée par les introductions des éditeurs H. Blommestijn et M. Huot de Longchamp, comme par la modernisation des textes.]; etc.

619Manuscrits aux Archives d’Ille-et-Vilaine à Rennes,  liasses 9 h 39 à 9 h 44; La Vie, les Maximes et partie des œuvres du très excellent contemplatif, le vénérable Fr. Ian de S.Samson..., par le R.P. Donatien de S. Nicolas, Paris, 1651; Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif f. Iean de S.Samson... avec un abrégé de sa vie, recueilly et composé par le P. Donatien de S.Nicolas, Pierre Coupard, Rennes, 1658-1659.

620L.Reypens S.J.,  Dict. Spir., art. «Âme», t. I, col. 462.

621En commençant par : Le cabinet mystique adressé aux âmes plus illuminées. (Première partie contenant Divers traités ou exercices proportionnés aux différents états de la vie contemplative.) suivi d’ Extraits du Vrai Esprit du Carmel incluant Une présentation de Jean de Saint-Samson (1571-1636), Florilège assemblé par Dominique Tronc, HC, 158 p.

622La Vie, les Maximes…, op.cit., 3.

623Ibid., 9 et 10.

624Voir H. Blommestijn, op. cit. en note 5,  «4. La vie de Jean de Saint-Samson», 69-87.

625Arias (-1605) et Louis de Grenade (1504-1588) dont les Traités spirituels peuvent «remplacer les ouvrages très médiocres de Nervèze» (Blommestijn, op. cit., 99).

626Choix éclairé des plus grands mystiques. Le Jardin des contemplatifs (1605) est une compilation didactique et pratique.

627La Vie, les Maximes…, op. cit., 17.

628Blommestijn, op.cit., 78. Ses citations sont extraites du ms. du P. Pinault, comme de la Vie par Donatien; nous en modernisons le style.

629Ibid., 79-80.

630Ibid., 81-82; Donatien, La Vie, les maximes…, op.cit., 27 et 28.

631Ibid., 83

632C. Janssen, L’oraison aspirative chez Jean de Saint-Samson, Carmelus, 1956, vol. II, 211, présente en parallèle les textes de Herp et de Jean.

633À l’exception d’une année à Dol.

634Ibid., 86-87. Expérience de l’amour.

635Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif…, op.cit., 60, repère B : ce que nous abrégeons par «R [ennes] 60 B».

636Cité par Donatien, La Vie, les Maximes..., op.cit., 6.

637Ibid., 8.

638R 755E.

639La Vie, les maximes…, op.cit., 126 : ce que nous abrégeons par «P [aris] 126».

640P 92.

641R 62 b.

642Mot vieilli. «Les oiseaux s’esgayent à leur gré dans la vasteté de l’air» (Fr. de Sales cité par Littré).

643R 762A.

644R 79 A.

645R 773e.

646R 79 a. 

647P 498.

648R50 D. Le thème du passage par la pourriture puis la cendre est fréquemment repris, par ex. par Madame Guyon dans ses Torrents

649R 78a.

650R 759E.

651R71D.

652R 760A.

653R 74 b.

654R 75C.

655R 78B.

656R 83e.

657R 87 A, R 91c.

658R 309 b

659P 495-497.

660P 510.

661R 683 c, R 683 B.

662R 754a.

663R 767c.

664R 145a.

665R 147C.

666Archives d’Ille-et-Vilaine, 9 h 42, folio 2 sq.

667R 169D.

668Méthode claire et facile pour bien faire Oraison Mentale. Et pour s’exercer avec fruict en la Presence de Dieu. Faisant le quatrième Traité de la Conduite spirituelle des Novices. Par le R. P. Marc de la Nativité de la Vierge. (1650), réimpression pdf, 610 p.

669DS 5.35/43, art. «Falconi» par A. Derville.

670Outre la célèbre Lettre du Serviteur de Dieu souvent reproduite, v. Falconi, Les œuvres spirituelles…, Aix, 1661, ouvrage rare donnant les traductions de sa vie par Arriola; Cartillas I et II [«Alphabets»]; Vida de DiosLa vie divine et incompréhensible»] et son appendice; Tratado de la oracion Traité de l’oraison»]; une «Méthode de perfection».

671«Lettre du serviteur de Dieu… Jean Falconi… à une de ses filles spirituelles», jointe au Moien court de l’édition de Rouen, 1690, reprise dans Les Opuscules spirituels, 1720, 79-93.

672La Vie divine et incompréhensible de Dieu, Sa perfection infinie, et les occupations de sa Toute-puissance, vues à la lumière du jugement humain guidé par l’Écriture sainte et par les Saints Pères, est l’«un des meilleurs ouvrages de lecture spirituelle sur Dieu écrit en espagnol» selon A. Derville, op.cit.


673D.S. 2.61/2, article Cambry (P. Droulers); H. de Boissieu, Une recluse au XVII ° siècle, Paris et Gembloux, 1934.

674«Le Flambeau mystique...», 95. On sait que les recluses conservaient souvent de nombreux contacts avec le monde extérieur, par le  biais d’une activité de conseil spirituel.

675par son «Traité de la réforme du mariage».

676par son «Traité de l’excellence de la solitude à la sollicitation de quelques saints ermites.»

677Tout le début du «Flambeau mystique» est destiné aux «Pères directeurs».

678Pierre de Cambry, Abbrégé (sic) de la vie de Dame Jeanne de Cambry... Anvers, 1659; 2e ed. augmentée, Abrégé de..., Tournai 1663.

679Les œuvres spirituelles de sœur Ienne Marie de la présentation, premièrement dame Ienne de Cambry, religieuse de l’ordre des chanoinesses régulières de St Augustin et en après recluse, décédée en son ermitage l’an 1639 dédiées à... Madame Marie Ferdinande de Croy, comtesse d’Egmont, etc., par P. de Cambry prêtre... à Tournay, imprimerie Adrien Quinque, 1665 [contient : Frontispice : portrait; lettre dédicatoire; lettre du vicaire générale de l’évêque de Tournai; Petit exercice pour pouvoir acquérir l’amour de Dieu... (1-17); Traité de la ruine de l’amour-propre et bâtiment de l’amour divin divisé en quatre livres... (1-328 et table); Le flambeau mystique (1-104 et table); Traité de la réforme du mariage (1-79 et table); Traité de l’excellence de la solitude (1-20 et table) à la sollicitation de quelques saints ermites...; Lamentation de l’âme captive... (1-51 et table)]

680«Traité de la ruine de l’amour-propre et bâtiment de l’amour divin divisé en quatre livres...», inclus dans les Œuvres spirituelles… La préface donne son plan : livre I : De la ruine de l’amour propre. Partie première, le vif portrait de l’amour propre... II : mortifications et consolations, III : imperfections secrètes anéanties, IV : union et transformation.

681punition : anéantissement.

682Le traité se termine (311-328) par un long développement sur l’amour qui est tout.

683«Le flambeau mystique ou adresse des âmes pieuses ès secrets et cachés sentiers de la vie intérieure, composé par Sœur Jenne Marie de la Présentation, recluse les Lille», avec approbations par des docteurs de Douai et Gand en 1631, inclus dans les Œuvres spirituelles… est une «clef mystique... des matières... (du) livre de la ruine de l’amour propre; sur le sujet desquelles ayant été par ses directeurs examinée l’espace de huit ans... ».

684DS 8.859/69. 

685Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, Correspondance, éd. critique établie et annotée par Sœur Marie-Patricia Burns, Cerf, 1996, 6 vol. 

686Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, sa vie et ses œuvres — Œuvres diverses, Paris, Plon [le vol. premier contient les mémoires sur sa vie et ses vertus par  la mère de Chaugy; les vol. II, 1875, 589 pp. & vol. III, 1876, 549 pp. conservent un très grand intérêt; les vol. IV àVIII de la Correspondance sont rendus caducs par l’éd. Burns].

687La source essentielle de toutes les biographies est le Memoire très fidelle pour la vie… de Françoise-Madeleine de Chaugy qui avait été communiqué aux premiers biographes, Fichet (1643,…) et Henri de Maupas (1644, huit éditions au moins) (DS 8.868); il figure  dans le vol. I des Œuvres, op. cit.

688Elle demanda en effet que l’on mette sur elle dans son cercueil, les papiers de ses vœux de chasteté, obéissance et pauvreté, propres à la vie religieuse, écrits par François de Sales et par elle, ce dernier signé de son sang. (Sa vie et ses œuvres, op.cit., vol. 2, 49).

689Cantique, 3, 6.

690Vie, 1.4.8.

691Citation de Boudon, édition Migne, I, «Le Règne de Dieu en l’oraison mentale», page 607; ce passage est reproduit également dans la note 4 attachée par sœur Burns à la lettre n° 1858, éd. 1996.

692Nous donnons les numéros des lettres [L.] de la Correspondance, op. cit., 1996, ou bien les paginations du tome (2.) de ses Œuvres, op.cit., 1875.

693Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal », 2015, 664 p. [environ la moitié des tomes II & III de l’édition de 1875]; Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Extraits de Lettres, D. Tronc et Béatrice Bernard, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal ». 2015, 256 p. [« Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil » transcrit par Béatrice Bernard; Introduction et extraits de la Correspondance par D. Tronc.]



694Françoise de Sainte-Thérèse, La vie de la vénérable Mère Isabelle des Anges, Paris, 1658 [d’où nous tirons  ces «quelques paroles…»]; DS 7.2055/57 (Sérouet); Pierre de la Croix, «Une carmélite espagnole en France : la M. Isa­belle des Anges. Lettres inédites... (1606-1614)», dans Ephemerides carmeliticae 9 (1958), 196-221; traductions de 117 lettres disponibles au Carmel de Limoges (en 176 doubles pages qui restent à éditer !).

695DS 51645 (art. «Spiritualité franciscaine»).

696[Henri-Marie Boudon], L’homme intérieur ou la vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S.François, à Paris chez Estienne Michallet, 1684.

697Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913.

698 DS 2881 sq. (art. «Chrysostome de Saint-Lô»).

699L'Homme intérieur, ou la Vie du vénérable père jean-Chrysostome, religieux pénitent du tiers-ordre de Saint-François, in "L'Imitation de Jésus-Christ", Brepols, Turnhout, 1905, cité dans Anthologie de L'Extase, Textes rassemblés par Pierre Weil, Question de / Albin Michel, N°77, 1989, p. 92.

700Ms. P 160, 242 sq., transcrit par les sœurs du couvent des bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen.

701Boudon, L’homme intérieur…, op.cit., 88.

702Ibid., 178, 198.

703Ibid., 200.

704Ibid., 284, 316.

705Ibid., 337.

706Ibid., 372 à 378.

707Nous avons repérés sept exemplaires des écrits «composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes» [le P. Chrysostome] : un des trois ex. de la B. M. de Valognes comporte son portrait gravé (réf. C4837); un ex. est à la B.N.F.; trois ex., consultés à Chantilly, sont actuellement à Lyon. Ils se ramènent — l’ordre des matières peut varier — à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651; Divers exercices de piété et de perfection, composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de N.S.J.C., à Paris, 1655. De nombreux autres titres, que nous n’avons pu localiser, sont donnés par Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1320 sq.

708Cantique Spirituel B, 11, 7; v. aussi Vive flamme A, 1, 24 : «Ces personnes meurent… au milieu des assauts délicieux que leur livre l’amour.»

709108, 130. Gilles d’Assise (-1262) : «Il n’a plus ni foi ni espérance, car il connaît et aime.»  (DS 6.379).

710140-141, 178-179.

711179-180.

712Divers exercices…, partie paginée 1 à 136 : «… diversités spirituelles…», 56 sq.

713Divers exercices…, partie paginée  3 à 236 : «La dévotion de la Sainte Agonie de Jésus».

714Voir le Dictionnaire de Port-Royal, 2004, 724 sur Claude Martin (vision fort critique, à corriger par dom Claude Martin, Les voies de la prière contemplative, Solesmes, 2005), puis 696a sur le duc de Luynes (vision fort plaisante… à lire); v. J.-M. Guyon, La Vie par elle-même, première partie; v. les comptes-rendus de retraites de dix jours dans des cahiers de carmélites. 

715Divers exercices…, partie paginée 1 à 212.

716Il s’agit d’une forme d’acédie. Le texte du médecin des âmes Jean-Chrysostome est rempli de telles précisions.

717Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’Ecole du Pur Amour. Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc. 2017, 378 p. Contient :

Les débuts du tiers Ordre franciscain — Vincent Mussart — Notices (J.-M. de Vernon)

La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest (J.-M. de Vernon)

L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome (Henri-Marie Boudon)

Divers exercices de piété et de perfection (Chrysostome de Saint-Lô édité par M. de Bernières)

Divers traités spirituels et méditatifs (Chrysostome de Saint-Lô édité par Mère Mectilde)

Deux directions : Monsieur de Bernières et Mère Mectilde (Extraits prélevés dans les sources précédentes)

718DS 13.363/9 (art. Renty, par R. Triboulet).

719La Vie de Monsieur de Renty par Saint-Jure (1651) est traduite et publiée à Londres dès 1658 puis adapté par Poiret et diffusé dans toute l’Europe sous le titre Le chrétien réel (1701). Voir sur l’influence du marquis les pages 166-170 par J. Orcibal, «Les spirituels français et espagnols… chez John Wesley et ses contemporains», Etudes…, op. cit.

720Renty, Correspondance, éd. par R.Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978, lettre 16, par ailleurs citée en DS 13.366.

721Lettre 164.

722DS 13.368.

723Lettre 176 à St Jure, p. 476-477.

724Lettre 315 à Mère Elisabeth de la Trinité, prieure de Beaune, 721.

725Lettre 322 à Mère Thérèse de Jésus-Languet, prieure de Dijon, 732. 

726Lettre 332 à St Jure, 746.

727Lettre 339 à St Jure, 754.

728Lettre 387 à St Jure, 818-819. 

729M. de Certeau, La Fable mystique, 357, cite N. du Sault, Caractères du vice et de la vertu, Paris, 1655, et ajoute : «C’est déjà du Bossuet…».

730Ibid., biographie 358-360; parmi les seize noms cités, on note la figure de Jean Labadie, «aventurier de génie».

731Ibid., 360 & 361 : les deux citations sont extraites par M. de Certeau de la «Relation de notre frère Pierre Cluniac sur les choses extraordinaires qui lui sont arrivées dans l’oraison…» adressée à Vitelleschi en 1627, Archivio romano societatis Iesu, Rome, 45, f ° 310r ° et v °.

732DS 161002 à 1010, (art. «Visitandines», cité col. 1008).

733DS 7.278/9 (I Noye). Le ms. «recueil des grâces» figure en copie aux A. S.-S.; F. Tournier, Vie de Madame D’Herculais..., Paris, 1903 — Notre extrait se situe au début d’un témoignage qui couvre les pages 209 à 211.  

734DS 10.1452/3.

735Rédacteur de La vie admirable de Marie des V et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle…, original et copie Lelièvre du manuscrit trouvé par Mgr Hamel bibliothécaire au séminaire de Québec et donné au R.P.Ange le Doré…, Archives Eudistes, Paris.

736Renty, Correspondance, op.cit., lettre 286, 669-671.

737Julien Green, Œuvres complètes, IV, Pléiade, 20. Il demeure plus mesuré que les biographes de Marie des Vallées : E. Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d’après des textes inédits, Paris, 1926 [Cette étude reste fondamentale] et M. Devoucoux, L’œuvre de Dieu en Marie des Vallées, 2000 [«Expression d’une passion militante à tonalité souvent apocalyptique» selon P. Milcent].

738La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2013, 693 p. - Marie des Vallées, Le Jardin de l’Amour divin, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2013, 207 p.

739Rue, plante médicinale d’un goût âcre et amer (Littré).

740Vie, livre I, Ch. 3 & Ch. 5.

741DS 16207, art. «Marie des Vallées» (Milcent).

742Vie, livre I, Ch. 8.

743Vie, livre II, Ch. 6.

744Vie, livre I, Ch. 9.

745Vie, livre 9. (p. 277).

746Vie, livre 7. (p. 230).

747Vie, livre 2, Ch. 4. Fine observation.

748Vie, livre 2, Ch. 5.

749Vie, livre 9. (p. 280-282).

750Memoriale beneficiorum Dei, n. 34. Le titre de «sœur» n’indique aucune appartenance religieuse. – Les quinze volumes édités des écrits de Jean Eudes n’incluent pas son témoignage sur Marie des Vallées! Une telle précaution prise par les eudistes s’explique par l’exploitation de la filiation spirituelle que reconnaissait  leur fondateur, lors de la querelle qui affecta la fin de sa vie.

751Vie citée par Milcent, DS 16210 : f ° 95v ° & 342 r °.

752Vie, livre III, Ch. 8.

753Vie, livre III, Ch. 9.

754Vie, livre III, Ch. 8.

755Vie, livre IV.

756Vie, livre VI, Ch. 13, section 1. (p. 215).

757«1644, Le deuxième jour de décembre», Ch. 9, section 11. (p.117-118 de la copie Lelièvre).

758Vie, livre IV, Ch.9, section 19. (p.127).

759Vie, Livre V, Ch. 2, section 4. (p.137).

760Vie, Livre V, Ch. 6, sections 6. (p. 150).

761Vie, livre VI, Ch. 2, section 5. (p. 189).

762Vie, livre VI, Ch. 4, précédant la section 1. (p. 193).

763Vie, Livre 7. (p. 218).

764«L’an 1653, le 29 de juillet», Vie, livre 9. (p. 268).

765Le directeur Mistique, op.cit., extraits : 410-420.

766Ibid., (p. 278).

767Vie, livre 10,  (p. 325-326)

768Vie, livre 10, le 29 janvier 1645. (p. 335).

769Vie, livre 10, (p. 336).

770Angelus Silesius, Pèlerin Chérubinique, Cherubinischer Wandersmann, traduit, préfacé et commenté par Henri Plard, Aubier, 1946, 106-107.

771289. Ohne warumb. / Die Ros’ ist ohn warumb, sie blühet weil sie blühet, / Sie acht nicht jher selbst, fragt nicht ob man sie sihet.

772Johannis Angeli Silesii Cherubinischer Wandersmann… 1675, ajoutant un sixième livre et atténuant partiellement les audaces de pensée de la première édition de 1657. (Scheffler est entre-temps devenu catholique)  – On se reportera à la traduction par H. Plard, éd. bilingue, Aubier, 1946, qui demeure inégalée, ainsi qu’à : H. Plard, La Mystique d’Angelus Silesius, Aubier, 1943.

773M. Sandaeus, Theologia mystica clavis . . ., 1640 (repr. Louvain, 1963).

774Ce que nous confirmerait Orcibal : «… nullement à notre avis, l’expression spontanée d’expériences personnelles, mais bien une traduction artistique en style baroque des idées qui ont le plus frappé l’auteur dans ses lectures.» (J. Orcibal, Les sources du «Cherubinischer Wandersmann», Etudes…, op. cit., 43.) — Orcibal insiste par ailleurs sur la source première constituée par Ruusbroec, choix très sûr de Silesius, et par l’importance probablement faible de Böhme, et quasi nulle de la littérature occulte provenant de Frankenberg (p. 35-36).

775Attributs divins, 61 (cité en DS 11.743).

776Note de Levesque à la lettre à la Mère de Saint-Michel, 422 du t. 1 des Lettres :  «Les pénitents de Saint-François (chez qui Olier commençait sa retraite) établis par le P. Vincent Muffart d’abord dans le diocèse de Beauvais en 1594, puis en 1601 à Paris dans le quartier de Picpus, comptèrent bientôt un grand nombre de couvents. M. Olier était particulièrement lié avec ces religieux dont il avait embrassé le tiers ordre et dont le dernier supérieur, le P. Chrysostome, avait été son intime ami.» — Il aurait embrassé aussi le Tiers Ordre de la pénitence de St Dominique (I. Noye, Chronologie, 35, ajout) ce qui s’accorde avec la dominicaine Agnès de Langeac.

777DS 11737/51, art. «Olier» (Noye et Dupuy) dont nous résumons la biographie en tenant compte d’une Chronologie établie par I. Noye (ronéotype, A. S.-S.).

778Lettres de M. Olier, éd. par E. Levesque, Paris, 1935 (2 volumes cités par leur numéro suivi de la page); voir aussi : Mémoires de Jean-Jacques Olier,  8 volumes dactylographiés, 1965-1975, par M. Charles Rabeaus. s., Archives Saint-Sulpice [dont il faudrait tirer avec discrétion une autobiographie de «crise mystique»].  

779DS 11.741.

780DS 11.743.

781DS 11.161/2.

782Cyprien de la nativité, Recueil des vertus et des écrits de Madame la baronne de Neuvillette..., Paris, 1660, extraits des pages 72 à 80.

783DS 13.674/80 (v. aussi Bremond, Histoire littéraire…, tome V, 1926) : «[Rigoleuc] faisait ses voyages à peu de frais, se traitant mal et vivant comme les pauvres… Il ne portait ordinairement point d’autre provision qu’un petit sac de farine… C’était un proverbe dans le pays pour exprimer la misère des serviteurs mal nourris, de dire qu’ils étaient traités comme le cheval du P. Rigoleuc» (Hist. V, 71). 

784Recueil inédit des archives S.J., dont la première partie est intitulée «Traité sur la recherche de la vérité», v. DS 13.678.

785La Vie du Père Jean Rigoleuc de la Compagnie de Jésus avec ses traitez de dévotion, et ses lettres spirituelles, par le P. Pierre Champion de la même compagnie, à Paris chez Estienne Michallet, 1686 [l’éd. que nous utilisons], et 1698 [cette dernière éd. plus complète est reprise dans :] La Vie du Père Jean Rigoleu [sic] de la Compagnie… à Lyon…, 1739.

786Voir D. Salin, Le Père Jean Rigoleuc un guide spirituel, revue «Christus», 2000, 482-491 : la Doctrine spirituelle de Lallemant est «tout bonnement une copie des originaux de la main de Rigoleuc», les trois premier traités dont De la garde du cœur sont de Lallemant, sept traités manuscrits des archives jésuites de France «révèlent une mystique nettement plus hardie». – Nous ne les avons pas étudié.

787Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938; L. Luypaert, «La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme», Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, pp. 19-130; rien de comparable depuis.

788Souriau 93; Œuvres Spirituelles II, 61.

789Souriau, Deux mystiques…, 92; Boudon, Œuvres I, Migne, 77.


790Œuvres de Boudon II, 1313. 

791Souriau 115; Chrétien Intérieur, 380.

792Souriau, Deux mystiques, 112; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.

793Boudon, L’homme intérieur ou vie du vénérable père Jean Chrysostome..., 339 sq.

794Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979.

795Conférence  de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit.

796Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, tome LVIII, 1973, pages 280 sq.

797Dom Oury 297-299. – Suivront des procès entre Mme de la Peltrie, aidée par Bernières, et sa famille qui tentait de la faire frapper d’interdiction comme prodigue de son bien parce qu’elle avait un peu trop rapidement réglé ses affaires françaises.

798Dom Oury, Marie de l’Incarnation, op. cit., 320; v. aussi Dict. Spir., vol. 10, col. 490.

799Souriau, Deux mystiques…, op. cit., 376.

800Souriau 119.

801. Ouvrages récemment publiés :

Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011, 518 p.

Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana », Editions Parole et Silence, 2013, 594 p.

Jean de Bernières et l'Ermitage de Caen, une école d'oraison contemplative au XVIIe siècle. Lettres & Maximes. Tome I 1631 – 1646 / Suivant l’ordre chronologique de la Correspondance / Citant des extraits du Chrétien Intérieur et d’Auteurs mystiques, par Dom Éric de Reviers, o.s.b., 2018, HC, 607 p. [public. prochaine].

Jean de Bernières / Lettres et Maximes mystiques / Un florilège établi par Dominique Tronc, 2018, HC, ~120 p. [public. prochaine d’un choix privilégiant l’achèvement mystique des dernières années].

802K.M. Munshi & R. R. Diwakar, Sufis, mystics and yogis of India, Bombay, 1962, 105–121; autres sources : S. A. A. Rizvi, A History of Sufism in India, II, 475–479; B. A. Hashmi, Sarmad, Islamic culture, 1933-34 [“is a good translation of his quatrains” Schimmel, Mystical dimensions . . . 362].

803Pascal, Œuvres  complètes, «L’Intégrale», Seuil, 1963, par L. Lafuma; Pascal, Pensées, «Classiques Garnier», par Ph. Sellier, 1991. — Un point de départ : Dict. de Port-Royal, 2004, «Pascal» (J. Mesnard), 779a-786b.

804Sur la conversion du pécheur, 1658, Lafuma 290b & 291ab.



805Lettre du 1er avril 1648 à sa sœur Gilberte.

806lettre à M. et Mme Périer… à l’occasion de la mort de M. Pascal le père… 17 octobre 1651, Lafuma, 278 a.

807Écrits sur la Grâce, Lafuma 311b.

808Fr. 360-328  (en italiques : souligné par Pascal). Voir Ph. Sellier, Port-Royal et la littérature, I Pascal, 90 [v. le comm. de Sellier : «Cette “inspiration”…] & 333.

809Pensées (Sellier), Fr. 742, 546 : «A la mort de Pascal, on trouva dans la doublure son pourpoint un petit parchemin plié et dans ce parchemin une feuille de papier. Sur chacun de ces deux supports figurait à peu près le même texte, autographe, trace d’une intense expérience religieuse. Gilberte et ses amis convinrent qu’il s’agissait là d’une sorte de “Mémorial, qu il gardait très soigneusement pour conserver le souvenir d’une chose qu’il voulait avoir toujours présente à ses yeux et à son esprit, puisque depuis huit ans il prenait soin de le coudre et découdre à mesure qu’il changeait d’habits” (3e manuscrit Guerrier). /L’autographe sur parchemin est perdu, mais il en subsiste une copie figurée, effectuée vers 1692 par Louis Périer et insérée maintenant en tête du Recueil original. Je donne le texte du papier autographe, avec en notes les variantes du parchemin (P.)...» (Ph. Sellier).

810Théophanie du buisson ardent, Exode, 3, 6.

811Jean, 20, 17.

812Ruth, 1, 16.

813Jean, 17, 25.

814Jérémie, 2, 13 : ils m’ont délaissé, moi qui suis la fontaine d’eau vive.

815Nous omettons dans le texte principal la suite :… «Jésus-Christ. / Jésus-Christ. / Je m’en suis séparé. Je l’ai fui, renoncé, crucifié. / Que je n’en sois jamais séparé [souvenir de la messe]. / Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile. / Renonciation totale et douce. / [P. ajoute :] Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur. / Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre. Non obliviscar sermones tuos [Ps. 118, 16 : Je n’oublierai point tes paroles.]

816Ph. Sellier, Port-Royal…, op. cit., «Sur les fleuves de Babylone», 243-244.

817Nous suivons la chronologie donnée dans Pensées (Sellier), op. cit., 93-102.

818Sur ce souci de la pauvreté et la dernière requête, v. Gilberte Pascal, «La Vie de M. Pascal», [80-86], dans Pensées (Sellier), op. cit, 132-134. (aucune numérotation chez Lafuma).

819Nous sont parvenus : les Cantiques spirituels (1639-1655), le Catéchisme spirituel (1654-1655), les Contrats spirituels (1655), les Dialogues spirituels (1655-1658), le Guide spiri­tuel (1660), le Triomphe de l’amour (1660), commencé en 1636, ses Poésies spirituelles (1660-1661), La science expérimentale (1663) et des Questions importantes à la vie spirituelle (1664).

820J.-J. Surin, Correspondance, Paris, 1966. Nous citons la «Préface», pages 43 & 45. Le premier extrait inclut un long extrait de la lettre 356 à Jeanne des Anges, écrite la mi-mars 1661 par l’homme âgé, ce qui explique que nous le considérions comme une citation d’époque (donc en retrait), même si M. de Certeau prend ensuite la main dans l’extrait qui lui fait suite. Sur le «délire collectif» et l’affaire de Loudun on lira les récits de M. de Certeau, 243-251, 301-304, 357-359... Il intercale ainsi, entre les lettres de Surin, de remarquables notices (qui ne sont malheusement pas signalées dans la table des matières).



821Ibid., Notice; la citation qui suit est extraite de la Lettre 320 «A la Mère Jeanne de la Croix, prieure des carmélites, à Toulouse», 996. Nous soulignons le dernier membre de la première phrase.

822Ibid., Notice 433-460, «La nouvelle spiritualité». Nous omettons quelques points de cette longue liste. Elle est importante, car ces accusations seront reprises dans le combat anti-mystique de la fin du siècle. Voir aussi : M. de Certeau, La Fable mystique, Gallimard, 1982, Chap. 8, «Les petits saints d’Aquitaine».

823Ibid., Notice «1645», 472.

824Ibid., «La guérison d’octobre 1655», 516, citant la Science expérimentale.

825Questions importantes à la vie spirituelle sur l’amour de Dieu, éd. Pottier & Mariès, Téqui, 1930 (ce passage et les suivants). 

826Guide Spirituel, Desclée, 1963. Voir VI, 5 « Des auteurs mystiques ».

827Note de M. de Certeau : Chéron revient plusieurs fois sur ce point. Cf. « Examen de la théo­logie mystique » [de Chéron], 88, 198 sq.



828Lettre 146 de 1653 pour la Mère Marie de la Trinité, carmélite, à Saintes.

829Lettre 164 du 17 février 1658 à la Mère Marie-Thérèse Cornulier, supérieure du second monastère de la Visitation, à Rennes.

830Lettre 188 du 26 août 1658 à Madame du Houx, à Rennes.

831Jean-Joseph SURIN Lettres, Un choix dans l’édition par Michel de Certeau de la Correspondance, Suivi d’une brève présentation de leur auteur, Par Dominique Tronc, coll. « Chemins mystiques », 212 p.



832A. Civoré, Les secrets de la science des saints… la nature et la pratique… de la vie intérieure et la théologie mystique, rendue claire et facile…, Lille, 1651; Voir le «Troisième traité, La nature et la pratique de l’oraison de repos et de la contemplation, jointe à l’action», pages 241 à 654; définitions aux pages 274 sq. ; DS. 2.921/2. – Réédition avec Introduction, notes et tables par Marie-Thérèse Lacroix, Religieuses de Saint André, 75120 Ramegnies-Chin (Tournai), 1994.

833Voir la notice qui lui est consacrée dans le Dict.de  Spir. 12, col. 1653/56 : «auteur capital… l’un des théologiens mystiques les plus complet et les plus profonds». Référence : Le Jour mystique ou l’éclaircissement de l’oraison et théologie mystique, par le Révérend Père P. de P. Provincial des Capucins de la province de Touraine, Chez Denys Thierry, 1671. -

834Pierre de Poitiers, Le Jour mystique, traités de Théologie mystique, choix établi et présenté par moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2015.

« Le jour mystique » de Pierre de Poitiers, coll. « Chemins mystiques », HC, 2017, 730 p. [l’intégrale].

835En collaboration avec Fénelon. La contribution assez courte de ce dernier apparaît au troisième tome de l’édition, couvrant les latins et les grecs en remontant jusqu’au premier père,  saint Clément d’Alexandrie. — Notre appréciation de l’œuvre de Pierre de Poitiers s’est produite indépendamment, n’ayant fait le lien avec l’Auteur du Jour mystique des Justifications que tardivement.

836Présent donc dans presque la moitié des soixante-sept clés où sont abordés tout à tour les principaux thèmes spirituels, on retrouvera facilement tous les passages dans les éditions Poiret et Dutoit, tous figurant en finale des clés, car le classement est chronologique dans l’édition (tandis que dans le manuscrit la précédence était accordée au fil conducteur intérieur).

837Il s’agit d’une fraction notable du Jour mystique : tout le troisième traité du livre II (renvoi dans clé XXIII «Foi nue»), de tout le livre II (renvoi dans la clé XL «Nudité»), du livre I, traité I, chap. 3 à 13 (renvoi dans la clé LI «Quiétude», § I).

838Celui des clés thématiques propres aux Justifications est alphabétique, donc arbitraire du point de vue spirituel.

Le Jour mystique… (que nous dénoterons JM) suit le plan suivant :

Préface. 11 f ° non paginés. Approbations dont François [Pallu] «évêque d’Héliopolis, vicaire apostolique de Tonquin» [Philippe de Chamesson-Foissy, neveu du père de madame Guyon, s’embarqua en 1662 avec Fr. Pallu et mourut à Golconde en 1674  (v. Vie par elle-même, 1.4.6)]. 2 f °.

Livre premier. De la nature de l’oraison mystique, et de l’excessive activité ou propriété d’images.

Traité 1. De l’existence, de la nature, de l’objet et des espèces de l’oraison mystique.

Traité 2. De la propriété des images, ou de l’excessive activité. 360.

Livre second. De la foi nue, tant divine qu’humaine et de la satisfaction que la foi nue doit produire en l’âme.

Traité 3. De la foi nue, divine et humaine. 417 [Le traité comprend 40 chapitres].

Traité 4. De la satisfaction que la foi nue doit produire... 681. [Chapitre unique].

Conclusion. 717 (fin : 719).

Approbations. 4 f ° non paginés. Table. [qui ouvrent le tome II de l’édition].

Argument.

Livre troisième. Du sujet éloigné et du sujet prochain de l’oraison mystique.

Traité 5. Du sujet éloigné de l’oraison mystique, ou qui sont ceux à qui elle doit être enseignée, et qui sont capables de la pratiquer. 1.

Traité 6. Du sujet prochain de l’oraison mystique, ou du fond de l’âme. 117

Livre quatrième. De l’oraison de repos mystique savoureux et de celui qui est sec et sans goût.

Traité 7. Des diverses espèces d’oraison mystique savoureuse. 283

Traité 8. Des différentes espèces d’oraison mystique sans goût. 497

Traité 9. Du sacrifice de Jésus-Christ, ou méthode succincte et facile... qui comprend les actes principaux et plus excellents de l’oraison. 702.

Traité 10. Quelques matières ou sujet propres à entretenir ou augmenter la paix et le repos de l’âme en Dieu... 780.

Conclusion. 848 (fin : 860).

839Préface (non paginée : verso du premier feuillet).

840JM 1-1, & Justifications (J) XVI «Dieu enseigne l’âme.» = Jour mystique, livre I, traité I, passage repris dans les Justifications, clé XVI «Dieu enseigne l’âme».

841JM 1-1-1-5, & J XL «Nudité.» = Jour mystique, livre I, traité I, chapitre 1, section 5.

842JM 1-1-1-9, & J LXVI «Union.»

843JM 1-1-1-10, & J XXVII «Humilité.»

844JM 1-1-2-1.

845« Voyez l’Explication du Cantique» (Guyon).

846JM 1-1-2-3, & J LXVI «Union.»

847JM 1-1-3.



848JM 1-1-4-1.

849JM 1-1-5-1 et 2.

850Sermons de Tauler, pour le dimanche avant la septuagésime, 45 (Sermons, Cerf, 1991).

851Ruusbroec, Ornement des Noces, livre 3 : «[lumière] accordée dans l’être simple de l’esprit… au-delà de tout don et de toute œuvre de créature, dans la vacuité totale de l’esprit… il reçoit la clarté de Dieu sans intermédiaire.» (trad. Louf).

852Benoît de Canfield, Reigle, troisième partie, chap. 2 «Qu’il n’y a nul moyen humain de parvenir à cette volonté essentielle…» (éd. Orcibal).

853Ibid., chap. 10 «Des empêchements… ».

854Montée, II, 15 : «Que l’homme spirituel apprenne à se tenir en amoureuse attention à Dieu et dans le repos de l’entendement…» (trad. Marie du S.Sacrement).

855JM 1-1-5-3.

856«Comme fait le Moyen Court.» (Guyon).

857JM 1-1-5-7, & J XLVII «Prière vocale.»

858«Voyez Moyen court, chapitre 11 paragraphe 3 de la pente centrale.» (Guyon).

859JM 1-1-10-2, & J LXVII «Volonté de Dieu», clé qui achève les Justifications (et précédant un dernier ajout donnant de nombreuses références à la Reigle de Canfield).

860JM 2-3-2, & J XXIII «Foi nue.»

861JM 2-3-6-1, & J XXIII «Foi nue.»

862JM 2-3-6-1 et 2.

863Madame Guyon note : «Parce que rien n’y entre et que tout demeure à la porte. Heureux qui demeure enfermé dans son fond! Il ne craint point ses ennemis. Malheureux qui en sort! Car il est presque assuré de sa ruine.» À prendre en deux sens : orientation mystique, contradiction provoquée par un comportement «apostolique».

864JM 2-3-10-8, & J X «Consistance». Rapporté par Tauler, sermon 2, dimanche 3 après la Trinité : «l’âme porte en elle-même une étincelle, un fond, dont Dieu, qui cependant peut tout, en peut pas éteindre la soif, si ce n’est en se donnant soi-même.» (Sermons, Cerf, 1991, 281).

865JM 3-5-1-3, 3-5-1-5.

866Harphius, Théologie mystique, livre 3, préface.

867JM 3-5-2-2, & J XIX «Expérience.»

868JM 3-5-2-2.

869JM 3-6-9-11.



870JM 4-7-1-4, 4-7-1 — 6, 4-7-1 — 8.

871JM 4-7-6-6, & J XVII «Distractions.»

872JM 4-8-1-2.

873Château, demeure 7, chap. 7.

874Nuit I, chap. 9.

875«Discours premier».

876Secrets sentiers, partie II, chap. 5.

877JM 4-8-12-2 à 4.

878Armelle Nicolas Témoin du Pur Amour, Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu, Texte présenté par Dominique et Murielle Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2011, 519 p. Nous avons disposé de l’édition de 1676 à Vannes, «chez Jean Galle près le séminaire», ici référencée Triomphe, partie. chapitre, page.

879L’édition (expurgée) de 1552 de la Vie de Catherine de Gênes est traduite dès le début du XVIIe siècle et très lue.

880Triomphe II. 3, 37.

881Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux…, Tome V, 122-123.

882«… la coutume dans cette maison était que tous les soirs, après le souper, on faisait la lecture de la vie des saints, ou autre livre spirituel qui traitait de même matière […] comme elle eut pris goût d’entendre les lectures, et que celles qu’on faisait le soir ne la satisfaisaient pas pleinement, elle pria une des filles de la maison, qui depuis a été religieuse chez les Ursulines de la même ville [Ploërmel], de lui lire quelque chose de fois à autre, ce que cette jeune demoiselle faisait fort volontiers; et Dieu permit qu’un jour elle lui lût un livre qui traitait de la Passion de Notre Seigneur et des travaux qu’il avait soufferts…» (Triomphe… I. 3).

883Henri Bremond cite pour les seules femmes : la Mère de Matel, Amice Picard, Catherine Daniélou, Mme du Houx… (Histoire littéraire…, t. V, chap. III, «Jean Rigoleuc et la Bretagne mystique»). On y ajoutera Anne-Toussainte de Volvire, plus tard Madeleine Morice… (André Moisan, Trois mystiques en Brocéliande, 2008, éd. Mine de Rien – Bretagne, Le Bois de la Roche, 56430 Néant-sur Yvel).

884Voir son témoignage à la fin du Triomphe : «Je m’estimerais coupable d’une omission très importante devant Dieu, et devant le monde, si je ne donnais le témoignage public que l’on me demande de la vérité de cette Vie, ayant eu le bien de connaître et de servir environ trente ans l’excellente âme dont elle parle…».

885André Moisan, Trois mystiques… op.cit., page 13, note 9; l’oubli d’Huby par Bremond est compensé par l’étude d’Henry Marsille : Dict. Spir., tome 7, col. 842-851.

886Ce qui donne lieu à une littérature d’opuscules («tracts», Dict. Spir., tome 7, col. 843; analysés en 54 entrées, col. 844-848).

887Dict. Spir., tome 7, col. 843. — «Il suffit de ces mots : Dieu est celui qui est, après quoi l’âme doit se tenir dans un profond silence, accoisant [calmant] doucement et sans effort les saillies de l’imagination qui ne laisse pas au commencement de courir comme une folle…» (col. 851).

888Dict. Spir., tome 8, col. 855.

889Hippolyte Le Gouvello, Une mystique bretonne au XVIIe siècle, Armelle Nicolas, dite la Bonne Armelle, Servante des Hommes et Amante du Christ, 1606-1671, Paris, 1913, 1934 — le visage d’Armelle présenté en vignette de notre couverture provient du tableau de 1654 reproduit en frontispice  - son texte reprend largement le Triomphe…; H. Bremond, Hist. littér. du sentiment religieux, t. V, p. 120-138 — voir la note attachée à la p. 120 : «… texte mystique de tout premier ordre… la plupart de ses 713 pages [édition parisienne de 1683 utilisé par Bremond] ont été lues à l’héroïne elle-même et approuvées par elle»; André Moisan, Trois mystiques…, op.cit. (Armelle couvre les pages 5-2

890On comparera ces craintes à celles de Marie des Vallées (1590-1656), de seize ans son aînée, qui demeura dans le Cotentin, dans un environnement assez comparable.

891Triomphe I. 12, [118, 119].

892Mme Guyon, Les Torrents, I 4.

893Pierre Poiret réédita les deux volumes de l’édition parisienne de 1683, regroupés en seul volume, sous le titre savoureux suivant : L’École du pur Amour de Dieu ouverte aux savans et aux ignorans dans la vie merveilleuse d’une pauvre fille idiote, païsanne de naissance et servante de condition, Armelle Nicolas vulgairement dite la bonne Armelle décédée depuis peu en Bretagne, par une fille religieuse de sa connaissance, A Cologne, chez Jean de la Pierre 1704.

894J.Orcibal, «Les spirituels Français et Espagnols», in Études d’histoire et de littérature religieuses, Klincksieck, 1997, p. 207.

895J. Byrom, disciple de P. Poiret, résume les dits de la bonne Armelle en vers [!] et en publie une traduction allemande faite par J. Chr. Jacobi (Jean Orcibal, Études…, op. cit., p. 208)

896Ce dernier était en relation avec des intellectuels (Wesley en tant que traducteur, J. Byrom, le docteur Cheyne, des membres du groupe d’Aberdeen, etc.) et des spirituels (consulter J. Orcibal, Études…, op. cit., index).

897J. Wesley la considérait comme un «complément naturel de son adaptation de la Vie de Mme Guyon»; et il loue l’une et l’autre au point de pouvoir être considéré comme leur disciple. (Malheureusement, il ne l’apprécia vraiment qu’à la fin de sa vie, donc trop tard pour influer fortement sur les méthodistes dont il est l’origine). Toutefois il met en garde contre l’insistance supposée des deux femmes sur la valeur de la souffrance (J. Orcibal, Études…, op.cit., p. 540 et p. 536 n. 12). Paraît en 1754 à Germantown (Georgia) The daily conversations with God exemplify’d in the holy life of A. Nicolas (Études…, p. 208).

898Espagnol cultivé dans sa jeunesse, passé de la Cour à la condition d’ermite dans le Mexique du XVIe siècle, et dont les dits, rapportés par son ami Llosa, traduits en France par Arnauld d’Andilly, sont de grande profondeur, au-delà du charme exotique.

899DS 10487/507 (Oury) que nous citons; Introduction (1-48) et choix de textes (49-230) par  P. Renaudin, Marie de l’Incarnation, Aubier, 1942; Une biographie très complète a été écrite par le dernier éditeur de sa correspondance : Dom G. Oury, «Marie de l’Incarnation», dans Mémoires de la société archéologique de Touraine, tomes LVIII et LIX, (1-311) et (312-607); nombreuses études récentes canadiennes et américaines : voir la bibliographie dans M.-F. Bruneau, Women mystics confront the modern world, Marie de l’Incarnation and Madame Guyon, State Univ. of New York Press (SUNY), 1998. –Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, « IV. MARIE DE L’INCARNATION extraits de correspondance, V. LIENS entre les deux principales figures de Marie de l’Incarnation et de Jean de Bernières », Coll. « Chemins mystiques », 2015, 564 p.

900DS 10498 sq. ; «O.» réfère à : Marie de l’Incarnation, Correspondance, nouvelle édition par Dom G. Oury, Solesmes, 1971; «J.» réfère à : Écrits spirituels et historiques publiés par Dom Claude Martin... édition par Dom Jamet, Paris-Québec 1929-1939. — Ici, cit. O.549, O.227

901O.374, O.299. En italiques les reprises de Marie.

902O.826.

903J., t. 2, 242.

904O., 295.

905O., 271.

906Écrits spirituels et historiques publiés par Dom Claude Martin... édition par Dom Jamet, Paris-Québec 1929-1939, 4 volumes [Vol. I : Introduction Générale (17-100) – I Les écrits spirituels : Introduction (103-130), Les écrits spirituels de Tours dont la première relation de 1633 (147-343) fin (424); Vol. II : Fin des écrits de Tours, Les écrits spirituels de Québec dont la seconde relation de 1654 (159-498) fin (512); (réédition des deux premiers tomes, les Ursulines de Québec, 1985; nous utilisons cet réédition repaginée : au tome deuxième, la page 130 devient 16); Vol. 3 & 4 Correspondance (rendue caduque par l’éd. de  dom Oury)]. Dom Jamet justifie ainsi son grand travail, 23 du vol. II : Que cherchons-nous dans les confidences des mystiques, sinon l’écho très pur de leur expérience? Tout le reste (n’est que)... commentaire ou orchestration du don de Dieu; à la 25 il compare la relation de 1654 avec la Vida de la grande Thérèse.

Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2015, 564 p. [dont : IV. MARIE DE L’INCARNATION extraits de correspondance. V. LIENS entre les deux principales figures de Marie de l’Incarnation et de Jean de Bernières.]

907Dom Claude Martin, La Vie de la vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677 (reprod. Solesmes, 1981). — On conseille donc cet ouvrage, ainsi que la Correspondance, (éd. Oury), Solesmes, 1971.

908Dom Jamet, 18.

909Contrairement à la  Vida de Thérèse, reprise, soumise à l’approbation des confesseurs, etc.

910Marie de l’Incarnation, Correspondance, nouvelle édition par Dom G. Oury, Solesmes, 1971, [elle comporte entre autres une très importante bibliographie]. — On a perdu le dictionnaire d’Algonquin composé par sœur Marie.

911Lettre 196 de septembre 1661 et lettre 235 d’août 1668.

912Women mystics, Marie de l’Incarnation and Madame Guyon, confront the modern world, SUNY, New-York, 1998.

913G. Steiner, Errata, Gallimard, 1997 (chapitres VI sur la musique et XI «entre intelligence et divin»).

914Justifications, XXXII §12, Éd. Dutoit, vol. I, 383-384.

915J.Orcibal, Correspondance de Fénelon, Tome I : Fénelon, sa famille et ses débuts : le chapitre VII est consacré à ce frère.

916DS 10.506.

917Lettre 274.

918(r154) et (rr93). Dans les Écrits…, éd. dom Jamet, nous désignons par «r» le vol. I (qui contient la première relation), par «rr» le vol. II (qui contient la seconde relation); la biographie de dom Oury sera désignée par «b»; la Correspondance, nouvelle éd. Oury, sera désignée par «c».

919(r235).

920(r355-356).

921c [orrespondance], Lettre 6, De Tours à Dom Raymond de S. Bernard,  27 juillet 1627 [Dom Raymond est son premier directeur Feuillant, sévère, mais bon spirituel].

922(r300).

923c, Lettre 5, De Tours à Dom Raymond de S. Bernard, début 1627 (?).

924(r367)

925(r304)

926(rr267, 268, 272)

927Marie des Vallées, Vie, livre VI, Ch. 4, précédant la section 1. (p. 193).

928c, Lettre 87, De Québec, à la Mère Françoise de S. Bernard, Sous-Prieure du monastère des Ursulines de Tours, 27 septembre 1644.

929c, Lettre 123.

930(rr342-349)


931(rr37-42)

932(rr384-385)

933(rr384)

934c, Lettre 216.

935c, Lettre 243, De Québec, à son fils, 16 octobre 1668.

936c, Lettre 274.

937«Éloge de feue la révérende mère Geneviève Granger de Saint Benoist, supérieure du monastère des Bénédictines de Montargis», p. 417 à 455 du tome second des Éloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoist décédées en ces derniers siècles (par la mère Jacqueline Bouëtte de Blémur), Paris, 1679.

938Bremond, Histoire…, II L’Invasion mystique, 463-467. Il note qu’elle «était mystique» et «conduite par une voie d’inaction et de ténèbres apparentes qui devait paraître singulièrement rude à cette âme claire, vive et décidée.»

939Marie Granger (1598-1636) qui fut maîtresse des novices à Montmartre, est probablement à l’origine du lien entre les couvents, poursuivis entre Bertot, confesseur à Montmartre, et Geneviève Granger, supérieure du couvent de Montargis. (v. sa notice par la mère de Blémur, tome premier, 184-239, et sa reprise par Bremond, op.cit., 458-463).

940Ce qui explique certains passages de la Vie par elle-même où Madame Guyon montre un excès ascétique.

941Thomas Traherne, Poetry and prose, selected and introduced by Denise Inge, SPCK, London, 2002; v. aussi sur cette «étoile montante» de la poésie anglaise : G. Mursell, English spirituality, vol. I, 335–342.

942Spinoza, Œuvres complètes, «La Pléiade», 1954.

943cité par Orcibal, «Les jansénistes face à Spinoza», Etudes…, op. cit., 61. (réf. au Tractatus, Préface, ch. iv, v, xii, xiii).

944H. Laux, «Penser Dieu en un temps de crise et de renouvellement : de la figure de Spinoza à quelques enseignements»,  Dieu au XVIIe siècle, éd. fac. jésuites de Paris, 2003, 277-295.

945Traité de la réforme de l’entendement, ouverture. - Lire aussi l’Appendice contenant les Pensées métaphysiques. - L’Ethique met en œuvre ce programme vital mais la forme « géométrique » rend difficile l’accès sans guide (par exemple : Robert Misrahi, Ethique, 2005, « complété » par la traduction Bernard Pautrat).

946Vie de la Vénérable Mère de S.Jean l’Evangéliste, religieuse de l’Abbaye royale de Montmartre. Par la Mère Jacqueline Bouette de Blémur, religieuse bénédictine de l’Abbaye de la Ste Trinité de Caen. À Paris, chez Nicolas Le Clerc, 1689, 108. — Œuvres citées, 151/2 : un «Abrégé des voies mystiques réimprimé plus dune fois des Méditations et une Explication de la règle de St Benoît, la Vie du Père Claude Le Sergent, son très cher frère, auquel elle servit longtemps de directrice.» 

947Ibid., 56.

948Ibid., 75.

949Ibid., 105.

950Ibid., 109-111.

951Ibid., 117 & 127.

952Ibid., 138-142.

953Ibid., 146-148.

954La vie de la mère Antoinette de Jésus, religieuse chanoinesse de l’ordre de S.Augustin... avec un abrégé de ses lettres..., Paris, 1685, 363 & 365.

955Ibid., 368. Cité par Bremond, Histoire Littéraire…, VI, : v. les pages 339 à 373 consacrées à Antoinette.

956Ibid., 380 sq.

957Ibid., 386.

958H. Scougal, The Life of God in the Soul of Man, Christian Heritage, Christian Focus publ., 1996 & Christian Classics Ethereal Library (internet); The works of Mr Henry Scougal, professor of divinity in the King’s College Aberdeen, containing the Life of God in the Soul of Man; On the nature and excellency of the Christian religion with nine other discourses on important subjects. Also a brief account of the author’s life and a sermon preached at his funeral by George Garden d d., in two volumes, Aberdeen,1759. [preface, Life of God 1–108, nine discourses -205 & vol II, 206–369, a sermon . . . -458 (fin)].

959Part I, from § 2 - 5.

960Part II, from § 2, 5, 7, 10, 14.

961Part III, from § 1, 5, 24. (trad. S. Lewis).

962Le parfait dénuement de l’âme contemplative, dans un chemin de trois jours, Par lequel Dieu nous appelle à la solitude intérieure…, par le R. P. Alexandrin de la Ciotat, Marseille, première éd. 1680, éd. augmentée 1681, dont nous utilisons l’exemplaire du carmel de Clamart.

963DS 1.302/3. Bremond, VIII, 89 : «… intelligence lucide, s’il en fut, directeur d’une rare expérience… écrivain de race… il aura, sans doute, appris bien des choses au P. Piny…»

964Poètes baroques allemands, trad. par M. Petit, Maspero, 1977, p. 75.

965Le Directeur Mistique, [sic] ou les Œuvres Spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières, & Directeur de Mad. Guion, avec un Recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs Anonimes, que du R. P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, et de Madame Guion, qui n’avoient point encore vu le jour. Divisé en quatre volumes. À Cologne Chez Jean de la Pierre [en fait à Amsterdam], 1726.

966En fait natif de Caen. Il a pu se glisser une confusion avec le lieu de naissance de Marie des Vallées, qui appartient au même réseau spirituel. Par ailleurs un Bertout (Claude) fut chanoine de la cathédrale de Coutances.

967Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Arfuyen. 

968Nous pensons pouvoir identifier le destinataire avec Bertot, grâce à quelques indices tels que : «Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B [énédictines] et à M [ontmartre] (lettre 43). Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappent que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit.

969Bernières, Œuvres spirituelles, II, «Voie  illuminative», lettre 30 (1652).

970Ibid., «Voie  unitive», lettre 61.

971Fonds du Chesnay, dossier R5-8 relevant des archives du monastère de Dumfries, Ecosse, pièce D 13 (une reproduction complète de ces archives existe au couvent des bénédictines de Rouen). On ne possède malheureusement pas les réponses de Jean à Catherine.

972Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris.



973DS 1.1537-1538, article «Bertot »  par Pourrat.

974Orcibal, note 1 à la lettre 78 de la Correspondance de Fénelon, (tome III).

975Saint-Simon, Édition Boislisle, t.  XXX, 71.

976A.S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, en l’an 1695, incluant les personnes du peuple. Il indique également la façon de s’y prendre, en commençant par les témoins défavorables, afin de pouvoir faire pression sur les autres…  Il est édité dans : Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, pièce 504.

977Tous les traits personnels sont éliminés de la correspondance de Madame Guyon établie par le même éditeur Poiret : leur rareté était donc prévisible pour celle de Bertot.

978DM, vol III, lettre 28, 94.

979DM, vol. II, lettre 6, p. 29; in Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Champion-Slatkine, 2003, lettre no 23; Jacques Bertot Directeur mystique, op.cit., 58-59.

980Une carmélite nous déclara, en appréciant la correspondance de Madame Guyon, que cette dernière lui semblait «terrible» dans son exigence spirituelle.

981DM, vol. IV, lettre 75, 247.

982Ibid., 248.

983Bernières, Œuvres Spirituelles I, Paris, 1677.

984Le Directeur Mistique [sic] ou extrait des œuvres spirituelles de Mons. Bertot, tiré des Quatre volumes de ces mêmes œuvres..., Berlebourg, 1742. 

985Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793) devint à Lausanne un pasteur aimé par un public qui goûtait ses exhortations pleines de flamme, à l’opposé des discours académiques du temps : «Quand il arrivait au temple, les avenues étaient si remplies de monde qu’il disait plaisamment : «Si je ne trouve pas de place, il faudra que je m’en retourne».

986Voir : Jean-Philippe Dutoit, par A. Favre, (thèse), Genève, 1911, p. 115. Le Chrétien intérieur désigne le très célèbre ouvrage de Bernières; La Théologie du Cœur est un recueil édité par Poiret et contenant divers traités dont le Breve Compendio de Gagliardi inspiré par I. Bellinzaga. La liste des livres saisis se limite aux titres de notre citation : il s’agit bien de quelques livres de chevet.

987Lettre 10 à Mr de Klinckowström, 1764, Bibl. Cantonale de Lausanne, ms. TS 1019 A.

988Bremond, Histoire du sentiment religieux, Tome XI.

989DS art. «Bertot»; Pourrat, La Spiritualit é Chrétienne, Lecoffre, 1947, tome IV, 183-195.

990Bremond, V La conquête mystique, chapitre VII, où il a recueilli les meilleures citations des deux ouvrages de Jean Crasset : La vie de Mme Helyot, 1683; Les œuvres spirituelles de M. Helyot…, Paris, 1710.

991Nicolas Barré, Le Cantique spirituel suivi de lettres spirituelles, Arfuyen, 2004 (v. note bibliographique des  pages 133 à 136 ainsi que la pièce 45 de la page 67); DS 101239/55, art. «Minimes»; B. Flourez, Marcheur dans la nuit…, op.cit.

992Nicolas Barré, Le Cantique spirituel suivi de lettres spirituelles, Arfuyen, 2004, (nous citons des extraits de la note bibliographique des  pages 133 à 136 ainsi que la pièce 45 de la page 67 – v. aussi ses belles lettres de directions); Nicolas Barré, Œuvres complètes, Cerf, 1994; DS 101239/55, art. «Minimes». 

993An Apology for the True Christian Divinity, 1678 (trad. par lui-même du latin de l’original de 1676), 2002, (www.qhtext.org) — trad. partielle française : R. Barclay, La lumière intérieure, source de vie, Apologie de la vraie théologie chrétienne…, Dervy, 1962 (?).

994V. le Journal de George Fox, dicté, car il ne sut jamais écrire correctement, trad. française, 1935.

995H. van Etten, Georges Fox et les Quakers, «Maîtres spirituels», Seuil, 1966, 63.

996Ibid., 50.

997Ibid., 131.

998Journal of J. Woolman, 1774, 1909, 1999, site Internet (Univ. of Virginia Library).

999The Economist, June 22nd, 2002, 41.

1000G. Amoss, 1999, The making of a Quaker Atheist, www.quaker.org — Noter sa confession : «The faith was lost when . . . my God was revealed  as the Church’s creation. . . I turned to Buddhism. . .»

1001J. Orcibal, Etudes…, 202 dont la n. 242.

1002J. Orcibal, Etudes…, 532.

1003A Tour through Holland, Flanders and part of France, 2e éd., Leeds, 1777, pp. 39, 91–95. La première édition porte la date du 25 juin 1773. À cette époque on voit d’ailleurs se multiplier les preuves du renouveau guyonien. En 1755 parut (à Bristol également) The worship of God in spirit and in truth. Short and easy method of prayer: deux lettres sur le même sujet adressées par madame Guyon à des Londoniens (Mr. B. et Mrs. T.) y sont jointes. La même année Th. D. BROOKE (cf. supra, n. 160 et infra, n. 260) publia à Dublin The exemplary life of the pious lady Guion . . . to which is added a new translation of her Short and easy method of prayer. [. . .] D. LI. GILBERT et R. POPE, The Cowper translation of Mme Guyon’s poems, P. M. I. A., décembre 1939, t. 54, pp. 1077–1098; L. HARTLEY, Cowper and Mme Guyon, Additional notes, ibid., juin 1941, t. 56, pp. 585–587.

1004J. Orcibal, Etudes…, 202. – Cite R. M. Jones (The later periods of Quakerism, Londres, 1921, t. I, pp. xxv, 57, 58, 73, 75, 83, 87–89, 238, t. II, p. 813) et insiste sur le rôle que jouèrent après Martin, les ouvrages de Gough et surtout A Guide to true Peace (Stockton, 1813) où W. Backhouse et J. Janson groupèrent des extraits de Fénelon, de madame Guyon et de Molinos.

1005DS 1. 1136/8; art. «Chrysostome de Saint-Lô» par R. Heurtevent, excellent connaisseur du groupe; DS 2. 884  et l’étude antérieure de Bremond, Histoire…, VII, Chapitre V, «Le vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale», [321-373]; DS 4. 1609 résume bien une vie mouvementée.

1006Jean Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de L’AGNEAU OCCIS dans nos cœurs avec le total assujettissement de l’âme à son divin empire, où il sera brièvement traité de la vraie et sainte oraison et récollection intérieure... y faisant voir premièrement les sept sortes de captivités et enchaînements du péché et du propre amour, qui scellent et captivent notre âme, la tiennent et retiennent à elle-même... par un PAUVRE VILLAGEOIS... Paris, Denys Bechet et Louis Billaine, 1660. [606 pages; suivi de] Abrégé pratique de l’oraison de recueillement intérieur en Jésus crucifié [104 pages] enfin d’une Table des matières [par sujets].

1007Auteur de L’oratoire du cœur, Paris, 1679.

1008Madame Guyon connaissait le livre sans l’apprécier : «L’Agneau occis est un livre où il y a du bon, mais il y a aussi bien des choses que vous ne devez pas approuver. Le bonhomme qui l’a fait est un saint homme, mais comme sa lumière n’était pas étendue, c’est un galimatias; de plus, il veut qu’on se forme une image de Jésus-Christ avec les armes de la Passion dans le cœur. Ces sortes d’images dans la suite rendent imaginaire et sujet aux visions et représentations, ce qui nuit à l’intérieur.» (Correspondance, III Chemins mystiques, lettre 160). — À distance de trois siècles et demi, le «galimatias» a pris du charme tandis que les «armes de la Passion» ont rouillé.

1009Bremond, op. cit., VII, [331].

1010En italiques dans l’imprimé, comme de nombreux passages qui suivront.

1011Des parties de ce passage sont citées par Bremond, VII, [332], avec ses propres italiques (les nôtres sont celles de l’édition de 1660).

1012Bremond, op. cit., VII, [331].



1013Ruusbroec utilise la comparaison avec les saisons dans ses Noces spirituelles (la gelée blanche du mois de mai à l’époque des consolations, le soleil qui entre dans le signe du Lion lorsque l’homme «sent bouillir le sang de son cœur»). Mais elle est distincte du cycle circulaire de la sève montant des racines aux fruits, ceux-ci croissant puis se détachant de l’arbre et retrouvant la terre pour être servis à la table de la Majesté divine, image de la croissance en l’homme d’une étincelle divine.

1014Éditions originales par l’abbé de Beaufort, grand vicaire du Cardinal de Noailles : Maximes spirituelles fort utiles aux âmes pieuses, pour acquérir la présence de Dieu, recueillies de quelques manuscrits du Frère Laurent de la Résurrection..., Paris, Couterot, 1692; Les mœurs et entretiens du Frère Laurent..., Châlons, J. Seneuze, 1694; suivirent deux éditions par Poiret (v. note détaillée ci-dessous).

1015Madame Guyon, Correspondance, II, années de Combat, 2004, fin d’une des lettres de décembre 1697 adressée à la «petite duchesse [de Mortemart], v. notice sur Laurent, 906.

1016On dispose de deux éditions modernes : Fr. Laurent de la Résurrection, L’expérience de la présence de Dieu, Seuil, 1948, avec une note liminaire et des notes historiques de S.-M. Bouchereaux, édition que nous utilisons, dénotée [B]; Conrad de Meester, Frère Laurent de la Résurrection, Écrits et entretiens sur la Pratique de la présence de Dieu, Cerf, 1991, édition que nous citons.

1017Les écrits de Laurent furent regroupés par P. Poiret avec le Moyen Court et le Cantique de Madame Guyon dans Recueil de divers traités de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du Quiétisme qui s’agite présentement en France, 1699. Les parties consacrées à Fr. Laurent couvrent les pages 343-492. — le même P. Poiret les réédita : La Théologie de la présence de Dieu contenant la Vie, les Mœurs, les Entretiens, la Pratique et les Lettres du Frère  Laurent de la Résurrection. Avec un Traité de l’importance et des avantages de la pratique de la présence de Dieu, qu’on appuie de témoignages divins et humains, 1710 [ce dernier Traité est l’œuvre de P. Poiret].

1018Premier entretien, le 3 août 1666, [B], 106; noter l’incertitude des dates : si l’on décompte 40 ans, l’on est ramené à 1626, ce qui lui donne 12 ans! La date de naissance de 1614 le fait mourir à 77 ans; or il s’en donne presque 80 dans une lettre qui serait de 1686, ce qui le fait naître vers 1607... Cf. la discussion 42, note 1; pourrait-on supposer une erreur sur sa date de naissance retenue du Necrologium carmelitarum?

1019[B]43, note 2.

1020Éloge du frère... (par l’abbé de Beaufort), 43.

1021[B] pages 43-44, note 3.

1022Entretiens, 107 : “Qu’il avait été laquais de M. de Fieubet, le Trésorier de l” Épargne, et était un gros lourdaud qui cassait tout. /qu’il avait demandé d" entrer en religion...».

1023[B] 48, n.1.

1024Éloge... pp. 49-51.

1025Entretiens, 110.

1026[B] 55, n.1.

1027Entretiens, pages 111-112.

1028Éloge... 55; 66 : «sans parler ici d’une espèce de goutte sciatique (qui l’avait rendu boiteux) qui l’a tourmenté environ vingt-cinq ans et qui, ayant dégénéré ensuite dans un ulcère à la jambe, lui causa des douleurs très aiguës, je m’arrête principalement à trois maladies...»

1029Éloge... 58.

1030Mœurs... 82.

1031«Le Frère Laurent est grossier par nature, et délicat par grâce; Ce mélange est aimable, et montre Dieu en lui. Je l’ai vu, et il y a un endroit du livre, où l’auteur [Joseph de Beaufort, un proche de Bossuet, v. Correspondance de Fénelon, tome VII, note 6 à la lettre 467], sans me nommer par mon nom, raconte en deux mots une conversation que j’eus avec lui sur la mort, pendant qu’il était fort malade et fort gai.» (Lettre 677, Correspondance de Fénelon, tome X, Droz, 1989. À la comtesse de Montboron, jeudi 5 août [1700]).

1032DS 10. 1486-1514, art. «Molinos» par E. Pacho — 1490-1505 pour la seule Guià — cit. : 1491-92 & 1506-07. – Miguel de Molinos, Guia espiritual, Ed. critica… de Jose Ignacio Telechea Idigoras, Madrid, 1975. — Deux traductions françaises parues en 1970 et 1997.



1033Citons un exemple parmi d’autres de la reprise de Falconi par Molinos : «O que ce grand homme et fameux spirituel Grégoire Lopez avait excellemment compris cette pureté d’esprit! Sa vie était une perpétuelle oraison, et un acte continuel de contemplation et d’amour de son Dieu, et de son prochain; et cet acte était en lui si pur, si spirituel,… réservé à ne donner rien au sensible…» (Falconi, dans sa «Lettre [1] du serviteur de Dieu Jean Falconi…», Opuscules spirituels de madame Guyon, 1720, p. 91), devient «Personne, mieux que Grégoire Lopez, le profond théologien mystique, n’a compris et mis en pratique cet acte d’amour pur. Sa vie a été une continuelle prière, une contemplation et une adoration perpétuelles, si pures et si spirituelles que les mouvements sensibles n’y ont jamais eu part »  (Molinos, dans sa Guide, traduction française de 1970, Livre I, § 134).

1034DS 10.1507.

1035Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, Parole et Silence, 2017.

Sur sa vie : Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973; DS 10.885/8; Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979; C. de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 [v. tout particulièrement la revue bibliogr. par Dom J. Letellier, 11-96]. — Écrits : Documents historiques, op.cit. Lettres inédites, Rouen, 1976; Fondation de Rouen, Rouen, 1977; Une amitié… Lettres à Marie de Châteauvieux, Téqui, 1989; A l’écoute de saint Benoît, Téqui, 1988  [beau choix de «dits» intérieurs]; Adorer et adhérer, Cerf, 1994; Il existe de nombreuses lettres non éditées entre C. de Bar, J. de Bernières, le  P. Chrysostome de Saint-Lô…

1036DS 10.885/6.

1037DS 10.886/7.

1038Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979, «Conférence sur l’appel à la sainteté», 90-91. 

1039Ibid., 97-98.

1040C. de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1 976 285-286. 



1041Ibid., 378-379.

1042À l’écoute de saint Benoît, Téqui, 1988. 

1043Conférence n° 659, 34.

1044Conférence n° 1075, 39.

1045Entretiens familiers, n ° 2401, 40.

1046À la comtesse de Châteauvieux, n° 33, 55.

1047n° 340, juillet 1662, 84.

1048n° 1746, A Mère Marie de Jésus Chopinel, Caen, 24 mai 1649104.

1049À la comtesse de Châteauvieux, no 2032105.

1050À une Religieuse en particulier, n° 2548107.

1051Chapitre, n° 592 107.

1052Machrab, Diwan : Anecdotes et poèmes soufis par Machrab traduit de l'ouzbek et présenté par Hamid Ismaïlov avec la collaboration de Jean-Pierre Balpe, Paris, Gallimard, 1993. Cit : 16, 126

1053Machrab fut pendu en 1711 sur l’ordre du roi de Balkh.

1054Immense bibliographie dont : DS 5.151-170, art. par L. Cognet ; Fénelon, Œuvres I & II, Pléiade, Gallimard, 1983 & 1997 [notices par J. Le Brun] ; Correspondance de Fénelon dont J. Orcibal, « I. Fénelon, sa famille et ses débuts », 1972, et « XVIII. Suppléments [dont Lettres spirituelles] » par I. Noye, 2007 ; Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, C.R.I.N.36, Amsterdam-Atlanta, 2000, « Bibliographie… (1940-2000) » ; F. Trémolières, Fénelon et le sublime, 2009 .

1055M. Masson, Fénelon et madame Guyon. Documents nouveaux et inédits, 1907.

1056Nous reprenons dans ce qui suit l’essentiel de l’étude de Murielle Tronc, « Une relation mystique » parue in Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., 216 sq.

1057La Marvalière, secrétaire du duc de Beauvillier ?

1058Les Justifications de Mad. J.M.B. de la Mothe Guion écrites par elle-même […] avec un Examen de la IX. & X. Conférence de Cassien, touchant L’état fixe de l’oraison continuelle, par feu Monsieur De Fénelon Archevêque de Cambrai, « Vincenti », A Cologne, Chez Jean de la Pierre, 1720, tome III, 330-368.

1059De l’amour de Dieu. Livr.IX. Ch.14. (note de l’édition).

1060De l’amour de Dieu. Livr.VI. Ch.11. (Ibid.)

1061Gen. 5. v.22.24. Ch.6 v.8,9. Ch.48. v.15. Ps.15 v.8. IV Rois 20. v.3. etc. (Ibid.)

1062V. Œuvres I, Pléiade, 1983, op.cit., « Œuvres spirituelles », 553-969 ; Correspondance de Fénelon, Tome XVIII Suppléments et corrections, 2007 ; La Tradition secrète des mystiques ou le Gnostique de Clément d’Alexandrie, Arfuyen, 2006, qui reprend en la corrigeant parfois l’édition de Dudon, 1930 ; pages extraites des Justifications, tome III, sur Cassien, outre la correspondance avec madame Guyon (Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles).

1063Correspondance de Fénelon, établie par Jean Orcibal ; puis Jean Orcibal, Jacques Le Brun & Irénée Noye ; Paris, Klincksieck, 1972-1976 ; puis Genève, Droz, 1987-2007. – Cette édition contient les correspondances passives et souvent même entre des tiers. - L’édition de référence par M. Gosselin, Fénelon, Œuvres complètes, Paris, J. Leroux et Jouby, et Gaume et Cie, 1851-1852 livre les lettres spirituelles regroupées par correspondants, tome huitième, 439-714.

1064Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de la Mothe-Fénelon, Archevêque-Duc de Cambrai, etc., Volume deuxième contenant ses Lettres spirituelles, A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718.

1065Le modeste sous-titre de Suppléments et corrections donné au dernier tome XVIII de la Correspondance voile son intérêt exceptionnel : en effet il présente en sa deuxième partie de loin la plus importante, 85-223, la séquence chronologique des Lettres spirituelles, en donnant les références de celles qui furent publiées dans les dix-sept tomes précédents à leurs dates attestées ou estimées, ce qui permet une lecture à la fois intérieure et informée, tout en les complétant par de nombreuses lettres ou fragments de lettres, merveilles choisies et publiées par le cercle des disciples en 1718 sans dates ni nom de destinataires qui n’avaient donc pas trouvé leur place dans une édition critique qui respecte la chronologie. Fénelon, dont la plus grande partie des écrits si appréciés au XVIIIe siècle a vieillie, demeure ici vivant par le cœur intemporel de son œuvre.

1066Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Anvers, 1718, t. I « Divers sentiments chrétiens… » & Fénelon, Œuvres I, 1983, « Œuvres spirituelles », 555-969. - Nous suivons l’ordre et donnons les titres et la pagination de l’édition critique de 1983 en les faisant suivre de la pagination de l’édition de 1718.

1067Sagesse, 16, 20-21.

1068Tradition du siècle depuis Benoît de Canfield, etc.

1069Le Banquet, 180b.

1070Le Banquet, 211a-b

1071Psaume 72, 26.

1072Explication des Maximes des Saints (à ne pas confondre avec l’Explication des articles d’Issy, un inédit jusqu’en 1915), v. Fénelon, Œuvres I, 1983, 999-1095 et sa notice, 1530-1549. Par suite de la condamnation papale suite à de fortes pressions ( « Le Roi a écrit au pape en représentant vivement le danger que les propositions contenues dans le livre peuvent faire courir à ses sujets... » ; lors de l'examen à Rome de sa traduction latine « ...à chaque audience Bouillon expose avec vivacité l'impatience royale... »), elle  ne figure pas dans les très nombreuses éditions de Fénelon éditées aux deux siècles suivants (sauf Œuvres de Fénelon , Didot, 1857, t. II, p. 1-39, édition « laïque » reproduite de celle d’Aimé Martin de 1835). On passe directement des éditions de 1698, dont celle de Poiret, à celle de 1911 par Cherel. Une telle anomalie n’est-elle pas l’une des nombreuses causes de la relative obscurité qui entoura longtemps la querelle quiétiste ?

1073Vie écrite par elle-même dont nous reprenons cette citation et celles qui suivent.


1074Au XVIIe siècle, éditions originales du Moyen court, de la Règle des associés et du Cantique. (Madame Guyon sera interrogée sur le Moyen court et sur le Cantique tandis que Bossuet exploitera une Vie manuscrite).

Au début du XVIIIe siècle, éditions en 39 volumes (dont 20 pour les seules Explications des deux Testaments) : Pierre Poiret et ses proches sauvent l’œuvre. Elle est rééditée fidèlement à la fin du même siècle par le pasteur suisse Dutoit en 40 volumes (s’ajoute un dernier volume comportant la « correspondance secrète » avec Fénelon, authentifiée en 1907).

Les Opuscules spirituels, avec une Introduction par J. Orcibal,  G. Olms, 1978.

Madame Guyon : la passion de croire, choix par M.-L. Gondal, Grenoble, 1990.

Torrents et Commentaire au Cantique, éd. par C. Morali, Grenoble, 1992.

Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, par M.-L. Gondal, Grenoble, 1995.

La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, par D. Tronc, Honoré Champion, 2001. (1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris, 4. Les prisons, 5. Compléments biographiques).

Correspondances : I Directions spirituelles, II Combats, III Thèmes mystiques, par D. Tronc, Honoré Champion, 2003, 2004, 2005 [I et II : le « dossier » de l’animatrice du cercle quiétiste, III : lettres de direction, écrits de jeunesse, table de ~1500 lettres et pièces].

 Œuvres mystiques, éd. par D. Tronc, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, [Présentation générale, Moyen court, Torrents, Petit Abrégé, choix d’Explications de l’Ecriture sainte, de Lettres, de Discours spirituels, extraits de poèmes].

Les années d’épreuves de madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc, Honoré Champion, 2009.


1075Il s’agit du premier tome, premier discours : 1.01.

1076Des Noms Divins, chap. 4.

10773.11 : onzième discours publié au tome cinquième des Lettres, éd. 1768, notre troisième source après les deux tomes des Discours chrétiens et spirituels.

1078Vol. 1, Ct 32, p. 49 : Bonheur de l'anéantissement. Sur l’air de : Songes agréables.

1079Vol. 3, Ct 141, p. 206 : Heureuse perte en Dieu. Sur l’air de : La bergère Célimène.

1080DS 10.1226/9 ; Père Jean Brémond, Le courant mystique au XVIII°siècle. L’abandon dans les lettres du P. Milley, Paris 1943.

1081DS 14.940/41, art. “Siry” (M.-P. Burns) ; J. Bremond, “Témoins de la Mystique au XVIIIe s., les écrits de la Mère de Siry”, RAM, t. 24, 1948, 240-68, 338-75 – On possède de cette dernière “une soixantaine” de lettres et divers textes dont des Maximes réparties selon les trois voies, v. Le courant mystique…, op.cit., liste & sources, 150 & 152. – “D'une noble famille bourguignonne, éduquée et admise à la profession religieuse par les visitandines de Bourbon-Lancy, envoyée en Provence, dans la petite ville d'Apt, elle y est choisie, malgré sa jeunesse, comme supérieure. La réputation de ses vertus et de son mérite qui s'est étendue par delà les murs de son monastère provençal, la fait élire comme supérieure par la communauté de Mamers, puis par celle de Caen [la ville illustrée auparavant par Bernières et son Ermitage]. De Normandie elle revient à Bourbon-Lancy. Elle y gouverne son monastère d'origine, elle y meurt en 1745 [en 1738 selon Burns].” (RAM, 245). “Autrefois je convertissais tout en moi, parce que je recevais tout propriétairement ; maintenant que Dieu s'est emparé de sa pauvre créature, qu'Il a absorbé son néant, Il a tout changé en Lui-même. Mes pensées, mes vues, mes sentiments ne sont plus une suite de réflexions ou considérations, mais impression, une plénitude de Dieu dans laquelle je me trouve comme dans mon centre : si l'on me demande comment cela se fait, de quelle manière je goûte, j'entends, je respire mon Dieu, je dirai que c'est Lui qui le fait et sans l'industrie humaine.” (RAM, 259).

1082« Au XVIIIe siècle, il y eut en Espagne cinq éditions ou rééditions de Saint Jean de la Croix, sept en Italie, une en Allemagne, aucune en France” (RAM, 245) – le royaume est marqué par l’anti-quiétisme et l’ascétisme janséniste. « Par quelle raison pourrait-on prouver qu'une continuelle tendance vers Dieu puisse être suspecte et qu'elle doive être interrompue par l'attention qu'en toute autre disposition, nous sommes obligés d'avoir sur nos actions ? Cette adhérence qui nous rend un même esprit avec Dieu ne nous tient-elle pas lieu de toute autre attention, qui ne pourrait nous fournir ou suggérer tout au plus que des moyens de chercher Dieu dont on jouit actuellement dans lequel et par lequel on fait beaucoup plus efficacement et parfaitement tout ce qu'Il nous commande et demande de nous que par nos propres forces et industries. » (Mère de Siry, RAM, 252).

1083Introduction à L’Abandon à la Providence divine /Autrefois attribué à Jean-Pierre de Caussade, Nouvelle édition établie et présentée par Dominique Salin, s.j., coll. « Christus », 2005, 7-30.

1084Choix effectués du bas de la p.142 à la p. 151 de l’édition Salin (241 à 250 de l’édition Gagey).

La relecture de ce texte lyrique (nous) suggère l’exposé à risque suivant (épaulé par les précisions données à l’entrée Caussade précédente) :

L’Abandon serait issu d’une composition de madame Guyon dictée à Meaux ou peu après sa sortie de la Visitation en juillet 1695, ce qui s’avérait encore possible compte tenu des liens étroits qui l’unissaient à la communauté visitandine (v. « 493. De la Mère Le Picard et de religieuses… » in Madame Guyon Corespondance II Combats, 784-785).

La dictée précède alors de quelques mois l’incarcération et disparition que madame Guyon prévoyait. Elle aura bien lieu et sera de longue durée (de fin décembre 1695 à juin 1703).

Il s’agirait alors d’un « testament » jeté à la mer par la mystique qui se savait traquée et promise au silence. En témoignent la liberté du texte, des affirmations tout à fait exceptionnelles, voire une certaine tension perceptible allant au-delà du lyrisme : « vous m’avez dévoilé votre immensité… », « des atomes qui disparaîssent dans cet abîme… », « je vous unirai à Dieu… » (allusion à une transmission mystique), etc.

Sortie de l’enfer, la « dame directrice » ne retrouvera certes pas l’élan lyrique typique de ses écrits de jeunesse (avant les prisons) ou de certains passages que nous citons. Le chapitre IX évoque certains Discours chrétiens et spirituels et des passages des Explications (en particulier ceux que l’on a pu qualifier de ‘millénaristes’).

Enfin une révision très XVIIIe siècle est évidente. Elle mettra de l’ordre et coulera en beau style le manuscrit transmis entre Visitations .

1085C.-A. Keller et D. Müller, La spiritualité protestante, Labor et Fides, 1998, 51.

1086DS 15.262.

1087DS 15.260/71.

1088Gerhard Tersteegen, Traités spirituels, introduits, traduits et commentés par Michel Cornuz, Labor et Fides, Genève, 2005, [v. 10, 30, 46, 55, 57, 110, 115 sq., 122, 124, 132], & M. Cornuz, Le protestantisme et la mystique. Entre répulsion et fascination, 2003 [p. 73-100 sur Tersteegen].

1089DS 15.267.

1090Philocalie des Pères Neptiques, trad. de Jacques Touraille, DDB & J.-C.Lattès, 1995.

1091On ne peut détailler ici le cheminement d’une renaissance spirituelle : l’ancienne tradition ascético-mystique russe est renouvelée par Païssi Velitchkovsky (1722-1794). Ce “grand staretz” né en Russie méridionale est moine à l’Athos, puis fonde le monastère de Niametz en Roumanie et traduit du grec en slavon la Philocalie. Cette dernière, augmentée, est publiée en 1793 à Saint-Pétersbourg. Le foyer d’études de Niametz exerce de multiples influences, par exemple sur des ermites forestiers dont les fondateurs du skite d’Optino, lieu de rayonnement décrit infra. (Vladimir Lossky et Nicolas Arseniev, La paternité spirituelle en Russie aux XVIIIe et XIXe siècles, Abbaye de Bellefontaine, 1977, 36 sq. & 95 sq.).

1092Lettres d'un maître soufi/le sheikh al-'Arabî ad-Darqawî /Traduites de l’Arabe par Titus Burckhardt, Arche Milano, 1978.



1093Car celui que ne croit pas à une réalité transcendante, ne peut pas être "éprouvé" ; il se trouve à l'aise dans son rêve terrestre. (note du traducteur).

1094Dov Baer de Loubavitch [1773-1827], Tract on Ectasy, intr. et notes par L. Jacobs, 1963 ; tr. fr. : Lettre aux Hassidim sur l’extase, Fayard, 1975 [on regrette certaines simplifications des notes].

1095Dov Baer… op. cit., « Introduction » par L. Jacobs, 10-11.

1096Ibid.,20.

1097Ibid., 21.

1098Ibid., 101.

1099Ibid., 102. Importance du spontané.

1100Ibid., 104-105.

1101Ibid., 127-128. Intéressant aperçu sur la typologie spirituelle : Tel homme possède…

1102Ibid., 133-134.

1103M. Buber, Contes hassidiques ; Adin Steinsaltz, Le maître de prière, six contes de Rabbi Nahman de Braslav, Albin Michel, 1994, (hébreu : 1981).

1104Seraphim de Sarov, Entretien avec Motovilov et Instruction pastorale, Abbaye de Bellefontaine, 1973 ; nous utilisons la trad. Mouraview citée infra ; sur la figure de Seraphim v. Spidlik, DS 14.632/6.

1105E. Behr-Sigel, Prière et sainteté dans l’église russe, 1950, Abbaye de Bellefontaine, 1982, 128 ; v. le chapitre VIII sur les starets dont les pages 118-130 sur Seraphim.

1106Saint Séraphin de Sarov, Sur la lumière du Saint-Esprit, entretien avec Motovilov, traduit du russe par Madame Mouraview, (fascicule sans référence d’éditeur).


1107Vladimir Lossky et Nicolas Arseniev, La paternité spirituelle en Russie aux XVIIIe et XIXe siècles, Abbaye de Bellefontaine, 1977, “Deuxième partie, Les starets d’Optino” par V. Lossky, 140.

1108La paternité spirituelle…, op.cit., “Deuxième partie, Les starets d’Optino” par V. Lossky, 92-94. - Cette description ouvre quatre sections d’une séquence de starsi formant une lignée couvrant un siècle (assez pauvre ailleurs) : Moïse, Léonide, Macaire, Ambroise.

1109Ibid., 114 sq., cit. : 121.

1110Ibid., 127 sq., cit. : 131.

1111Ibid., 136.

1112Ibid., 39.

1113Ibid., 44.

1114Ibid., 60.

1115Ibid., 67.

1116Higoumène Chariton de Valamo, L'art de la prière, Anthologie de textes spirituels sur la prière du cœur, Présentation par Mgr Kallistos Timothy Ware, Abbaye de Bellefontaine, 1976. Cit. : 189.


1117DS 9.764/80 ; Lettres spirituelles du Vénérable Libermann, 3 tomes, Poussielgue, Paris. Citations : 3ème éd., tome III.

1118Récits d’un pèlerin russe, trad. Jean Laloy, Seuil, 1966 [bien présenté ; consulter le bref index qui présente les « grands noms » de la mystique orthodoxe]. Le pèlerin russe, Trois récits inédits, Bellefontaine, 1976. Au total sept récits dont les quatre premiers ont une fraîcheur inégalée : « le salut par l’amour, réalisé dans la prière. ‘il n’y a pas de limite à la miséricorde de Dieu’, et tout le problème est de savoir accueillir cette miséricorde… » (Olivier Clément, introduction aux trois derniers récits).

1119JOURNAL INTIME, Edition intégrale publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Philippe M. Monnier, TOME TROISIÈME Mars 1856 - Décembre 1860, Texte établi et annoté par Philippe M. Monnier avec la collaboration de Anne Cottier-Duperrex. Ed. « L' Age d'Homme »,   1980.

Le manuscrit du Journal intime comporte 174 cahiers de 100 pages.


1120Abd el-Kader, Écrits spirituels présentés et traduits de l'arabe par Michel Chodkiewicz, Paris, Seuil, 1982. [Extraits du Livre des Haltes]. – sur la direction spirituelle qu’il reçut v. p.25 et n.21bis .

1121DS 15.576/611 – Thérèse de l’Enfant-Jésus, Œuvres complètes, Cerf, 2001.


1122Pierre Pascal, Avvakum et les débuts du Raskol. La crise religieuse en Russie au XVIIème siècle, Cerf ;

1123La Vie de l’Archiprêtre Avvakum écrite par lui-même et sa dernière épître au tsar Alexis, trad. Pierre Pascal, Gallimard, 1960 : « La Charité… Supposez un cercle marqué sur la terre … Imaginez-vous que ce cercle est le monde, et que le milieu de ce cercle est Dieu, et que les lignes droites qui du cercle vont vers ce milieu sont les voies, c’est-à-dire les vies des hommes … à proportion qu’ils entrent, ils sont plus près à la fois de Dieu et les uns des autres et, en s’approchant les uns des autres, ils s‘approchent aussi de Dieu. Imaginez-vous de même la séparation… »

1124Archimandrite Spiridon, Mes missions en Sibérie, souvenirs d’un Moine Orthodoxe Russe, Introduction et traduction de Pierre Pascal, Cerf, 1950.

1125William James, The varieties of religious experience, New York, The modern Library, Random House, 1926.

1126DS 6.341/2 (A. Derville). Nos extraits : Marie-Paule Vachez & Elisabeth Rimaud, Un itinéraire mystique, De Marie-Antoinette de Geuser à Consummata, Ad Solem, Claude Martingay, Genève, 1974.

1127Cité par Michel Hulin, La mystique sauvage Aux antipodes de l’esprit, Quadrige, PUF, 1re édition 1993, 2e édition 2014.

1128The Gospel of Sri Ramakrishna, 1964, transl. Swami Nikhilananda.

1129Récit du Dr Marcel Carret qui a soigné le cheikh : « Rencontre avec el cheikh Al-‘Alawî », 15-37, in Martin Lings, Un saint soufi du XXe siècle…», trad. de l’anglais, Seuil, 1990.

1130Archimandrite Sophrony, Starets Silouane Moine du Mont-Athos 1866 – 1938 Vie-Doctrine-Ecrits, traduit du russe par le hiéromoine Syméon, éditions Présence.

1131Silouane, Ecrits spirituels, extraits, « Spiritualité Orientale » n°5, 38.

1132Nous leur donnons ici une place sans pour autant ouvrir une « section Protestante » auprès de la Catholique et de l’Orthodoxe. Cela eût mal convenu aux « sectes » indépendantes des grandes dénominations. En leur sein desquelles se réfugièrent des mystiques. Fox fut profondément influencé par les écrits de Jacob Böhme ; il fut en liaison avec les Mennonites dont l’esprit s’avère très proche de celui des Quakers.

1133Henry van Etten, Georges Fox et les Quakers, Seuil, 1966, 131.

1134Thomas Kelly, La Présence ineffable, Labor et Fides, Genève, 1941, cité par Henry van Etten, Georges Fox et les Quakers, op.cit. – De ce dernier Henry van Etten, Le culte quaker d’après les données de la mystique, 1945 : « Il n’y a pas que l’influence de la parole, il y a l’expérience de la présence et de la lumière que chacun irradie autour de soi. Ceux qui n’ouvrent jamais ou presque jamais la bouche au culte ne sont pas moins indispensables pour créer cette ambiance de recueillement et d’adoration. Nous connaissons par expérience tout ce qu’apporte la seule présence de telle ou telle personne, homme ou femme. Voilà une richesse qu’ignore le culte solitaire et même les cultes liturgiques, car l’action individuelle y est nulle, les assistants n’y étant que des figurants et non des acteurs comme dans le culte quaker ».




1135Itinéraire spirituel du Carmel, Paris, Parole et Silence, 2003, p.134-135, cité par K.J.Healy; Les méthodes de prière du directoire de la réforme de Touraine chez les carmes, Bellefontaine, 2011, page 240, en note : “24. Le Père Brandsma décrit cet exercice [la prière aspirative, « manière de vivre en présence de Dieu » selon K.J.Healy, p.238 sq.] comme suit : [citation du texte principal].


1136DS 14.1198/1204.

1137De la Personne, Corps, âme, esprit, Cerf/ Fribourg, 1992 : un essai montrant la difficulté rencontrée pour expliciter l’expérience intérieure et non pas sa théorie – du moins la théorie colle à l’expérience ! D’où l’intérêt de citer.



1138Louvain/ Paris, 1972.

1139Louvain/ Paris, 1957.

1140Jiri Langer, Les Neuf Portes du Ciel, Prague, 1937, trad. du tchèque par Jacqueline et Cécile Rastoin, et Lena Korba-Novotna, Albin Michel, 1997, Avant-propos de Frantizek Langer.


1141p.262 sq. : inspira Kafka, Le Procès.

1142DS 9.546/8 - Dom Vital Lehodey, Le Saint Abandon, Paris, 1919.

1143 DS 13.1187, art. « Russie », « Le problème de la connaissance chrétienne » - Oeuvres de S. Frank : La conscience de l’être, 1937 ; God with us, 1941 (trad. citée : Dieu est avec nous, Aubier, 1955).

1144Anthologie de L'Extase, Textes rassemblés par Pierre Weil, Question de / Albin Michel, N°77, 1989, p. 104.

1145L'évangile de Ramana Maharshi (Maharshi's gospel), Le Courrier du Livre, 1970.


1146Swâmi Râmdâs, Carnet de Pèlerinage, Albin Michel, 1953.


1147Toile filée et tissée à la main.

1148Zen in english literature and oriental classics, pp.214 sq. by R. H. Blyth, a Dutton paperback, New york

1149D.T.Suzuki, The field of Zen, 1969 ; traduction : Derniers écrits au bord du vide, Traduits et présentés par Philippe Moulinet, Albin Michel, 2010, « I. Souvenirs de jeunesse ».

1150Kanazawa est la capitale de la préfecture d'Ishikawa, au milieu de la côte ouest. La ville fut trois siècles durant sous la juridiction du clan féodal des Maeda, à la cour duquel les ancêtres du Dr Suzuki exercèrent comme médecins. (NDE).

1151Le Recueil de la falaise verte, corpus de koans de maîtres du chan chinois compilé au XII' siècle (dynastie Song), est un des manuels majeurs du zen. Traduit par M. et M. Shibata, Albin Michel, 2000.

1152Le roshi est le maître d'un monastère zen. Il reçoit les disciples pour le sanzen, c'est-à-dire des entretiens personnels, et supervise leur méditation en zazen. Roshi Imagita Kosen était le prédécesseur de roshi Soen Shaku à Engakuji, dans la province de Kamakura, où il est enterré. Le Dr Suzuki lui a consacré une biographie (non traduite).

1153Orategama, « Moi, bouilloire à portée de main », est un recueil de lettres de Hakuin Zenji (1685-1769) à ses disciples. Traduction française : Orategama, t. I : Moi, bouilloire à portée de main, L'Originel, 1991.

1154Tokyo et Kamakura sont distantes de cinquante kilomètres.

1155Daruma est le nom japonais de Bodhidharma (Tamo pour les Chinois), premier patriarche du zen qui arriva en Chine depuis l'Inde en l'an 520.

1156Un koan est un mot ou une phrase qui ne peuvent pas être résolus par l'intellect. Il est délivré par un roshi à son disciple pour l'aider à apercevoir la réalité, laquelle est hors de portée de la pensée dualiste.

1157Ces dernières paroles sont reprises par le Dr Suzuki dans son Manuel de bouddhisme zen (Dervy, 1991).

1158Le daikon, parfois surnommé « radis chinois », est un gros radis blanc allongé, très populaire au Japon.

1159Shaku Soen est plus connu en Occident, particulièrement aux États-Unis, sous le nom de Soyen Shaku. Il est l'auteur d'un ouvrage très connu outre-Atlantique, Sermons of a Buddhist Abbot (« Les Sermons d'un abbé bouddhiste », Chicago, 1906). Disciple favori d'Imagita Kosen, il reçut le sceau (inka) de son maître à l'âge de vingt-quatre ans. Il participa en 1893 au Parlement mondial des religions à Chicago avant de voyager à travers l'Europe.

1160Un des koans les plus connus, qui s'énonce ainsi : « Un disciple demanda à Joshu : "Le chien a-t-il, ou non, la nature de bouddha ?". Joshu répondit : "Mu". »

1161Kensho : « vision de la nature véritable », étape préliminaire au satori.

1162Hojo Tokimune est le régent qui fonda en 1282 Engakuji, le monastère zen situé au nord de Kamakura où le Dr Suzuki passa de nombreuses années, résidant dans le bâtiment appelé Shoden-dan.

1163Le Shariden est un des temples qui composent le monastère d'Engakuji. Unique exemple encore existant de l'architecture Song au Japon, ce petit bâtiment dépouillé a été sévèrement endommagé par le grand tremblement de terre de 1923 ; il a depuis été restauré.

1164Nishida Kitaro (1870-1945) est le grand philosophe moderne du Japon. Le Dr Suzuki et lui étaient amis intimes depuis leur tendre enfance.

1165Session de méditation intense qui s'étend sur une semaine.

1166Ro désigne le mois de décembre, et hatsu (ou hachi) le chiffre 8. Le 8 décembre est la date traditionnelle de l'éveil du Bouddha. Chacun s'efforce, durant cette sesshin qui commence le 1" décembre pour s'achever à l'aube du 8, d'atteindre l'éveil — au point de se priver de sommeil pendant cette semaine.

1167Anthologie de L'Extase, Textes rassemblés par Pierre Weil, Question de / Albin Michel, N°77, 1989, p. 74 – Moine tibétain, "He was regarded as one of the most accomplished Dzogchen masters" (Wikipedia).

1168Jacques Maritain, Approches de Dieu, Paris, 1953, in Doctrine de la non-dualité et christianisme, Dervy Livres, Paris, 1982 ; cité dans Anthologie de L'Extase, Textes rassemblés par Pierre Weil, Question de / Albin Michel, N°77, 1989, p. 55-56.

1169Henri Le Saux, Souvenirs d’Arunachala, Paris, Epi, 1978. (Vivant témoignage sur le milieu où vivait le Maharshi et sur la vie d’ermite dans la « sainte montagne »).

1170« C’est uniquement en disant : ‘Il est’ qu’on peut l’atteindre ! » Katha Up. 6, 12, citée par Le Saux, Sagesse hindoue, mystique chrétienne, 217.

1171Henri Le Saux, Lettres d’un sannyasi chrétien à Joseph Lemarié, Paris, Cerf.

1172Jeanne Schmitz- Rouly, Journal spirituel, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 1998. «  Le mérite du travail … revient au Père Verdeyen. » -- Père Max Huot de Longchamp, Prier à l’école des saints, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2008, 220-221, un choix et présentation : « Née à Mons, Jeanne passera la plus grande partie de sa vie à Bruxelles, menant la vie la plus ordinaire de la petite bourgeoisie wallone. Après quelques difficultés dans sa foi lors de l’adolescence, elle pense à la vie religieuse, mais y renonce devant les réticences de sa famille. Mariée en 1919, mère de trois enfants, veuve en 1942, il n’y aurait rien à dire d’elle si cette façade un peu terne ne cachait une vie intérieure totalement inaperçue de son entourage dont témoigne les notes rédigées pour ses directeurs, retrouvées fortuitement en 1995. »




1173Actes 2, 4.

1174Phil. 4, 7.

1175Jn 16,20.

1176Philip Kapleau, Les Trois Piliers du zen, Stock, Paris, 1980. in Anthologie de L'Extase, Textes rassemblés par Pierre Weil, Question de / Albin Michel, N°77, 1989, p. 48

1177Elisabeth Behr-Sigel, Lev Gillet, Un moine de l’Eglise d’Orient / Un libre croyant universaliste, évangélique et mystique, Cerf, 1993. Dont on recommande : 290-291, 377…

1178La prière de Jésus, 1963, etc. Cf. Elisabeth Behr-Sigel, Lev Gillet…, op.cit., “L’oeuvre littéraire…”, 617-623.

1179Lev Gillet, Communion in the Messiah / Studies in the relationship between Judaism and Christianity, James Clarke, Cambridge, 1942, 2002.

1180Le Pasteur de nos âmes, Lev Gillet / Un moine de l’Eglise d’Orient, YMCA-Press / F.X. de Guibert, Paris, 2008, « Interview avec le père Lev Gillet », 297-329.

1181Edward Robinson, This Time-Bound Lacer Ten Dialogues on Religious Experience, Religious Experience Research Unit, Manchester College, Oxford, 1977.

1182Sous-titre de la biographie par Élisabeth Behr-Sigel, Lev Gillet, « Un moine de l'Église d'Orient », Cerf, 1993.

1183Abbréviations utilisées au cours de l’ouvrage de Majrouh donnant les sources (non traduites, en langues originelles) : Majrouh, Rire avec Dieu, aphorismes et contes soufis, texte français de Serge Sautreau, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 1995.

1184Il s'agit d'une séance particulière de transmission.

1185De l'arabe lawadjoh : mise en présence face à face.

1186Contribution parue dans : Hermès 6, « Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient », imprimé pour les Amis d’Hermès, 1969, 15-62 ; réimpr. : Hermès, Nouvelle série n°2, Ed. des Deux Océans, 1981, 15-62.

1187Id., p. 959.

1188VIIe demeure, ch. III, trad., p. 1042

1189Ve demeure, ch. II, trad., p. 904.

1190 L. Wieger, Les Pères du système taoïste. Belles Lettres, Cathasia, ch. VII, D.

1191Id., p. 13, note 5.

1192Id., p. 109, note 33, T'an King.

1193Dernières lignes des Noces.

1194Ici signalons que nous omettons les brouillons en forme inachevée

1195Toshihiko Izutsu, Toward a Philosophy of Zen Buddhism, Prajnâ press, Boulder 1982, pp.4 sq.



1196Pour ce disciple réfugié à Hong-Kong du Vénérable « Dharma successor of all five Ch’an sects of China … his sole ambition is « to present as many Chinese Buddhist texts as possible so that Buddhism can be preserved at least in the West, should it be fated to disappear in the East as it seems to be ». – on sait que la situation s’est améliorée depuis l’édition de ses traductions-adaptations, dont il se dégage une profonde paix, en particulier lisant le troisième et dernier volume : Chan and Zen teaching, Translated and Explained by Lu K'uan Yu / Charles Luk, London, Rider, 1960-1962.



1197Relevé sur viaouest.com : Vie et prière (1958), Le mystère de la divine charité (1959), Aimer Dieu (1960), Vie et prière (1962), La grâce de la prière (1965). Nous citons Prière pure et pureté du cœur (1953), oublié peut-être parce qu’il est d’accès un peu plus délicat car il témoigne de la tradition en confrontant Grégoire le Grand et Jean de la Croix. L’ouvrage fut lu et apprécié par Lilian Silburn : nous reprenons les principaux passages qu’elle annota au crayon. – Nous avons préparé une réédition de l’ouvrage en ligne : il témoigne de l’orientation chrétienne totue tournée vers l’amour reçu par grâce.

1198L'Evangile de Thomas, traduit par Jean-Yves Leloup, Paris, Albin Michel, 1986, p. 54-58, cité dans Anthologie de L'Extase, Textes rassemblés par Pierre Weil, Question de / Albin Michel, N°77, 1989, p. 86.

1199Bibliothèque à compléter ! Par les œuvres « occidentales » de Ruusbroec, Tauler, Jean de la Croix, Marie de l’Incarnation… Mais les stars ne sont jamais nombreuses même si des « histoires de la mystique » s’en contentent !

De nombreuses figures égales aux plus célèbres en accomplissement mystique ne sont pas appréciées justement. On en devine des causes : institutions dominantes fermées (Guyon), défauts d’écriture (l’anglais Benoît de Canfield et le germanique Constantin de Barbanson s’expriment en français, la langue de leur époque), appartenance à des minorités (le quaker Barclay), etc.

Plus grave : les cultures restent encore étrangères les unes des autres, mais se rencontrent, se comparent, parfois se heurtent. Proposer une série « mystiques du monde » comme le guide nécessaire au moment où l’occident redevient province est l’aventure osée qui permet de naviguer grand large.

1200 Etudes I à IV dans « Série Synthèse et Études » livrent des informations complémentaires, des présentations et des tables de contenus.

1201 un *.zip signale et surtout sauvegarde un *.odt pertinent. LibreOffice peut « exploser en plein vol » sans réparation possible, par ex. si l’on tente de coller un très long texte en haut de page par mauvais pointage lors d’un copier-coller. Il faut alors pêcher en eau profonde sa sauvegarde automatique *.BAK ...



1202 Le Nuage d’Inconnaissance, Documents spirituels, Cahiers du sud 6, 1953, rééditée en Points Sagesses, éditions du Seuil, 1977.

1203 Mise à disposition sur le net : A book of Contemplation the which is called the Cloud of Unknowing, in the which a soul is oned with God, with an Introduction by Evelyn Underhill. Le Cloud seul est repris infra.

1204 Le Nuage de l’Inconnaissance et les épîtres qui s’y rattachent... par dom Noetinger, Solesmes, 1925 réédition 1977, utile pour son honnête traduction du Nuage l’est beaucoup pour l’Épître de la direction intime et d’autres.

1205Ce que l’on fera au fur et à mesure de demandes de volumes imprimés.

1206Absence de la plus grande partie des Explications – qui couvrent vingt des trente-neuf volumes édités par Poiret et des poésies — cinq des quarante volumes édités par Dutoit. Présence des Correspondance, des Justifications, des Discours. Nos présentations et études sont distribuées au fil des tomes et couvrent le dixième du volume total.

1207 Trois Séries essentielles : opus Guyon (prochaine), Filiation guyonienne (prochaine), Mystiques du monde (future — sous droits), opus Silburn (future sous approbation — sous droits).

1208 Rédigée par Jacqueline Chambron à partir d’archives personnelles de L.S.

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