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Filiation II de Fénelon à nos jour (Fénelon, Lacombe, Mortemart, Mystics of the NE)












La Filiation après Mme Guyon






De Fénelon à nos jours




François Lacombe 1640-1715

François de Fénelon 1652-1715

Marie-Anne de Mortemart 1665-1750

Mémoires de Saint-Simon (extraits)

Ecole au siècle des Lumières

Mystics of the North-East

















François de Fénelon






Le Gnostique

de saint Clément d’Alexandrie


La Tradition secrète des Mystiques












Arfuyen

Préface


Eté 1694 : Fénelon a quarante-trois ans, il est précepteur du Dauphin et protégé de Bossuet. Mais depuis six ans, il a fait la connaissance de madame Guyon, qui a bouleversé sa vie en l’introduisant dans la vie mystique. Le groupe dont elle assume la direction spirituelle, comprend des Grands de la Cour et des filles de Saint-Cyr1.


On les qualifie de « quiétistes » , comme le mystique Molinos, en prison à Rome. Leur influence sur le précepteur et leur indépendance intérieure inquiètent les pouvoirs royal et ecclésiastique. Madame de Maintenon et Bossuet vont remettre de l’ordre : madame Guyon est soumise à un contrôle concernant ses opinions et ses mœurs. Les examinateurs, dont Bossuet, se réunissent à Issy dès le mois de juillet.


Fénelon, fidèle à son expérience intérieure et au lien mystique qui l’unit à madame Guyon, refuse de la condamner. Ils passent l’été à chercher dans les écrits reconnus par l’Eglise la confirmation de leur expérience personnelle, dans l’espoir de « faire taire tous ceux qui osent parler sans expérience d’un don de Dieu2 ». Tout le mois d’août, ils collationnent des milliers de pages de textes, qui conduiront aux Justifications signées par madame Guyon et à deux mémoires de Fénelon, le premier sur Cassien, le second, rédigé en septembre, sur Clément d’Alexandrie.


Fénelon veut démontrer que les « nouveaux mystiques » s’inscrivent dans la tradition chrétienne, en remontant le plus loin possible dans le temps et retrouvant une tradition apostolique reliée par filiation à Jésus-Christ. En septembre, il lit le texte grec des Stromates de saint Clément d’Alexandrie et s’enthousiasme immédiatement. Il lui semble retrouver chez cet ancien Père l’expérience vécue par les « nouveaux mystiques ». Il reconnaît dans sa « gnose », aboutissement mystique suprême chez Clément, un état identique à l’état passif que décrit madame Guyon dans son Moyen Court.


Clément d’Alexandrie, né vers 150, disparu avant 215, est une figure vénérable et le premier Père dont nous puissions lire des ouvrages entiers. Grec converti, il est le maître d’Origène. Son œuvre se fait l’écho des voix chrétiennes et païennes. Le vieux maître, dans ses Stromates, transmet à son tour à ses disciples « la vraie tradition de la bienheureuse doctrine, qu’ils avaient reçue immédiatement des saints apôtres, de Pierre, de Jacques, de Jean, et de Paul, chacun comme un fils de son père3. » Il présente et défend aussi le « travail préparatoire » de la philosophie grecque, dans une vision trop rare de l’universalité du salut4. Il possède la fraîcheur et l’enthousiasme qui animaient les enfants de la première Eglise.


Ecrit dans la fièvre, le commentaire de Fénelon sur Clément dit tout son bonheur d’avoir trouvé un frère en expérience dans un passé si proche du Christ. Son exaltation est telle qu’il va livrer ingénuement toutes ses pensées pour convaincre Bossuet que l’expérience mystique est bonne, qu’elle existe identique à toute époque, et que les affirmations de madame Guyon sont vraies, puisqu’on les retrouve chez Clément. Il martelle ses convictions, multiplie les citations, s’indigne : « Selon saint Clément, ce qu’on écrit sur la gnose est, pour un grand nombre d’hommes, ce que le son de la lyre serait pour des ânes5 » ! Pour Fénelon, il ne s’agit pas de défendre des théories, mais de justifier un vécu personnel.


Nous possédons le texte tel que l’a lu Bossuet en 1694, émouvant par sa véracité, sa spontanéité, sa passion chez un prélat pourtant réputé pour sa froideur. Dans ce manifeste de la pensée guyonnienne, Fénelon retrouve sous la plume de Clément tous les thèmes chers à madame Guyon6. Le pivot en est le pur amour où l’âme se tient sans cesse sans désir autre, même de son propre salut : « Si quelqu’un, par supposition, demandait au gnostique ce qu’il choisirait, ou de la gnose de Dieu, ou du salut éternel, et que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu7 », proclamait Clément bien avant le Grand Siècle. Cet amour anéantit l’âme et la met dans l’état passif, qui donne « une entière souplesse à toutes les volontés que Dieu imprime8 ».


Là, on est « consommé dans l’union inamissible et inaltérable, ayant passé au-delà des œuvres aussi bien que de toute purification. » Cette « habitude de contemplation et de charité perpétuelle » est l’état ultime du chrétien que Clément appelle « gnose ». Celle-ci implique un abandon total à Dieu : « Sa contemplation est infuse et passive, car elle attire le gnostique comme l’aimant attire le fer, ou l’ancre le vaisseau : elle le contraint, elle le violente pour de bon ; il ne l’est plus par choix mais par nécessité. » Le gnostique n’est mû que par l’Esprit Saint, sa liberté absolue est proclamée face aux « théologiens rigides » et à tous ceux qui n’ont aucune expérience mystique : « ...c’est l’onction qui lui enseigne tout ; et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut être entendu ni compris. » 9.


Bien que les mystiques partagent la vie commune des chrétiens, ils se transmettent une « tradition secrète » qui s’enseigne aux âmes choisies : « Le Seigneur a donné à ses apôtres la tradition non écrite d’une chose écrite, c’est-à-dire une explication secrète et de vive voix du sens le plus profond des Ecritures, où le mystère de la gnose se trouve renfermé10». Seul un mystique peut saisir le sens intime de l’Ecriture et transmettre ce sens à quelqu’un qu’il a choisi : la gnose « ne doit pas être ouverte ni populaire, puisqu’il ne s’agit pas d’une voie commune qu’il faille prêcher sur les toits ; il s’agit de la sagesse la plus profonde puisqu’elle n’est annoncée qu’entre les parfaits11».


En fait, Fénelon décrit là le rôle que joue madame Guyon pour lui. La passiveté entraîne un état apostolique qui permet au mystique de répandre la grâce autour de lui : « Il est dans l’état apostolique, et suppléant à l’absence des apôtres, non seulement il enseigne à ses disciples les profondeurs des Ecritures, mais encore il transporte les montagnes et aplanit les vallées du prochain ; il souffre intérieurement des tentations pour purifier ses frères12».


Toutes ces affirmations, d’expérience pour Fénelon et ses amis, étaient scandaleuses pour leurs juges. Il en avait bien conscience : « Ce Père les surpasse tous dans ce qui scandalise le plus les docteurs13». Il comptait beaucoup sur la bienveillance et l’humilité du lecteur : « Que le lecteur qui lit ces choses n’entreprenne pas de les comprendre s’il n’en a aucune expérience ; et qu’il croie humblement cette sainte tradition, dont saint Clément est un témoin si vénérable14. »


Malheureusement, Bossuet n’était pas ce lecteur de rêve : il pensait que l’expérience mystique conduisait souvent à des chimères ; il était très attaché à un christianisme traditionnel pour tous, à la prière discursive, à la recherche du salut par le mérite ; toutes ces déclarations lui paraissaient manquer de foi, d’humilité et de simple prudence. Cette liberté de ton, ces certitudes le scandalisaient. Il était atterré de voir son jeune protégé subjugué par une femme qu’il jugeait exaltée.


Les juges essayèrent de ramener Fénelon à leur point de vue et de le tirer hors de l’influence de madame Guyon. Fénelon prendra conscience des excès de son texte, notamment sur la perfection impassible du gnostique, la volonté de secret et l’orgueil de se croire au-dessus du simple chrétien, qui font redouter le sectarisme, etc. Il écrira plus tard : « Je ne prétends pas que toutes les expressions puissent être également précautionnées, dans cette multitude d’écrits si longs que j’ai faits avec tant de hâte … Mais enfin la suite de mes écrits fait voir clairement ce que j’ai toujours pensé 15». Des discussions de plusieurs années vont user Fénelon. Mais il continuera à soutenir madame Guyon avec une fidélité absolue, tandis que les membres de leur groupe resteront indéfectiblement liés.


Le Gnostique fut un premier essai d’expression par Fénelon de la mystique guyonnienne. Cet affrontement témoigne de la difficulté pour les mystiques d’exister à l’intérieur de leur Eglise : face à des juges qui n’ont pas une expérience comparable, ils peinent à trouver un langage qui rende compte de leur vécu, surtout si celui-ci doit coïncider avec une théologie. Bossuet rendra son manuscrit à Fénelon, qui ne parlera plus jamais du thème du secret. Mais il approfondira inlassablement les points qu’il jugeait essentiels : pur amour et passivité. Il tentera, de façon mesurée et réfléchie, de prouver que le vocabulaire et l’expérience des mystiques « modernes » se justifient par les écrits des autorités reconnues de l’Eglise et que l’état passif est l’essence même du christianisme. Mais sans succès.


Si orgueil il y eut, il fut laminé par l’épreuve : n’étant qu’une simple femme et laïque, madame Guyon subira des interrogatoires éprouvants, puis des années de prison, avant d’être libérée, quittant la Bastille en 1703 sur un brancard, tant elle était affaiblie. Fénelon sera préservé, nommé archevêque de Cambrai, mais ainsi éloigné de la Cour. Il se distinguera par l’exercice de la charité lors des guerres de la fin du règne de Louis XIV. Parallèlement à madame Guyon, qui voyait en lui son successeur, il assumera la direction mystique de nombreuses personnes qui les considéraient comme leur « père et mère » spirituels. Mais tout ceci s’accomplira à la fin de leur vie dans le silence et la discrétion.


*


Il nous a semblé que le titre de Gnostique…, qui ne suggère pas le contenu de l’œuvre, risque également d’induire en erreur le lecteur d’aujourd’hui sur l’intention de son auteur, car « gnostique » a pris de nos jours un sens technique étroit, en désignant surtout des sectaires qui vivaient aux premiers siècles.


Nous fondant sur le titre du chapitre 16, « La gnose est fondée sur une tradition secrète », et en écho au titre de l’ouvrage de Bossuet qui veut apporter une réfutation doctrinale intitulée La Tradition des nouveaux mystiques16, nous avons donné un sous-titre au présent texte : La Tradition secrète des mystiques. Il attire l’attention sur deux thèmes chers à notre auteur.


Le « christianisme intérieur » n’est secret que par suite d’un voile d’aveuglement et non par suite de la volonté des mystiques : « … ceux qui ne sont pas gnostiques, voient et ne croient pas, entendent et ne comprennent pas, et lisent les mystères de la gnose avec un voile sur le cœur17 ». Mais il est offert à tous et ne dépend que de la grâce divine.


Il s’inscrit dans une tradition chrétienne sous la forme d’un courant mystique qui traverse tous les siècles. Ainsi, le carme historien Honoré de Sainte-Marie (1651-1729), un contemporain de Fénelon, mit en valeur ce courant en décrivant siècle après siècle ses principales figures : pour lui, « Jésus apparaît comme le premier des mystiques, ayant connu toutes les manières de contempler18 ». 


Dominique et Murielle Tronc.











Le Gnostique

de saint Clément d’Alexandrie


1. Idée générale de la Gnose



Comme le Pédagogue est fait pour représenter celui qu’on introduit dans le christianisme, les Stromates sont destinées à dépeindre le gnostique qui est le parfait chrétien19. Si saint Clément n’en parle pas toujours, c’est qu’il veut, comme les tapissiers, mélanger et varier les objets20 ; mais il ne s’écarte jamais un peu de son gnostique que pour y revenir bientôt ; ce qu’il dit, quand il n’en parle point, n’est qu’une digression pour délasser le lecteur et pour cacher mieux son dessein.


En parlant du gnostique, dont il veut donner une haute idée et montrer aux païens qu’il n’est pas athée, il avertit qu’il ne peut dévoiler les mystères de la gnose. Il ne faut donc pas être étonné qu’il n’explique pas nettement le fond de cet état ; il faut au contraire être surpris de ce qu’il en dit certaines choses, qui signifient beaucoup, comme nous le verrons dans la suite, pour ceux qui connaissent déjà cet état. Saint Clément parle, dans cet ouvrage, non seulement à des fidèles imparfaits, mais encore aux païens, aux philosophes, aux impies. Il donne toujours, comme les autres Pères grecs, un tour philosophique au christianisme, pour l’insinuer21 mieux ; ainsi, il ne veut dire de la gnose que ce qui peut passer pour une philosophie. Il en dit même plusieurs choses, qui, prises à la rigueur, ne conviendraient pas avec d’autres qu’il dit ailleurs. Ces espèces de contradictions, comme il le dit lui-même, sont donc un art pour cacher le secret de la gnose.


Il faut observer soigneusement les endroits qui sont les clés d’un état secret et singulier. Ces endroits-là doivent être pris à la lettre ; autrement, ce serait un mystère ridicule, qui se réduirait aux choses les plus vulgaires ; et c’est une conduite insensée, qu’il n’est pas permis d’imputer à un Père si éclairé. Les autres passages, qui retombent dans l’état commun et qui ne sont qu’une description philosophique des vertus pour les philosophes, doivent être pris avec une certaine modification ; et on doit les réduire à un sens qui les accommode aux autres passages essentiels du système secret, afin d’éviter une formelle contradiction. C’est la règle qu’on suit, pour le même auteur, quand il s’agit de la divinité du Verbe et de l’Eucharistie. Cette règle ne doit donc pas être suspecte, puisqu’on l’admet déjà pour les plus grands mystères. Sans elle, saint Clément se contredit, ne peut être entendu et n’a aucun sens supportable.


II avertit lui-même partout qu’il n’a garde de parler claire­ment et précisément sur la matière particulière de la gnose. Il commence et finit son ouvrage, en assurant qu’il écrit avec le dessein formel d’obscurcir et d’envelopper ce mystère. Le lecteur doit donc se tenir pour averti, afin d’entendre à demi mot, et de juger de tout ce qui est dit pour les philosophes, par certains endroits qui sont singuliers et décisifs. Le lecteur gnostique entend tout à demi mot ; le lecteur qui ne l’est pas est toujours embarrassé par un mélange affecté de voies extraordinaires et de voies com­munes.


Saint Clément, qui a eu quelque opinion singulière sur d’autres choses, ne peut être soupçonné de favoriser les hérétiques gnos­tiques ; il les combat ouvertement en plusieurs endroits ; et il n’élève son vrai gnostique qu’en réfutant le faux avec beaucoup d’horreur. En parlant même du véritable, il dit sans cesse qu’il ne peut être tel, sans être bon, juste, chaste, modéré, orné de toutes les vertus et maître de sa chair.


On peut donc regarder saint Clément comme un témoin irré­prochable de la tradition sur la gnose ; d’autant plus qu’il ne parle jamais de cet état comme de son état propre, ou d’une chose sur laquelle il avance son sentiment particulier; c’est toujours la tra­dition apostolique sur laquelle il se fonde, comme un homme qui sait bien que personne n’oserait la contredire.


Il ne reste donc plus qu’à bien examiner, par certaines paroles de saint Clément, en quoi consiste cette gnose qu’il déclare partout qu’il enveloppe22, et qu’il n’a garde de découvrir. La gnose, selon saint Clément, n’est point l’état des chrétiens ordinaires qui ont reçu la foi et la grâce de Dieu dans le baptême ; c’est quelque chose de bien plus pur et de plus sublime. À la vérité, ce n’est rien de distingué23 du christianisme ; mais c’est le comble de la perfection du christianisme où un petit nombre d’âmes est élevé ; c’est un état où tous sont appelés et peu sont élus ; peu d’âmes ont assez de fidélité à la grâce pour y parvenir. Remarquez que le secret de saint Clément ne tombe point en général sur les vérités communes du christianisme ; il s’agit d’un secret particulier et inviolable, sur la gnose, qui est un état de perfection, distingué de l’état de grâce des justes ordinaires.


Quoique la perfection des vertus fût une chose si belle à montrer aux païens, pour la gloire du christianisme, et que les Pères prissent tant de soin d’en montrer l’éclat, néanmoins il y a, dans la gnose, outre les vertus sublimes que saint Clément y dépeint, un fond caché, un profond mystère, qu’il n’est pas permis de dévoiler, et qui demande la même économie que les mystères fondamentaux du christianisme. La gnose est au-dessus de l’état de foi des justes ordinaires, comme la foi des justes ordinaires est au-dessus de la sagesse des philosophes païens. Voilà sans doute un état bien digne d’attention ; et le secret avec lequel il est voilé doit bien encore redoubler notre zèle pour l’approfondir.


Ce gnostique, distingué du juste, paraît déjà avoir une grande conformité avec l’homme spirituel de saint Paul24 ; avec l’homme à qui, selon saint Jean25, l’onction seule enseigne toutes choses ; avec le contemplatif déiforme de saint Denis ; avec les solitaires de Cassien, qui étaient dans l’oraison continuelle et dans l’immobilité de l’âme ; avec ces hommes sublimes, dont saint Augustin dit qu’ils sont instruits de Dieu seul ; avec l’âme passive et transformée du bienheureux Jean de la Croix ; avec le contemplatif de saint François de Sales, qui est toujours dans la sainte indifférence. Chacun donne des noms différents ; mais le fond de la chose est le même, dans les anciens et dans les modernes.


C’est une chose très remarquable de voir que saint Clément parle sans cesse de tradition apostolique, et de secret sur la gnose, comme Cassien parle de tradition secrète pour cette oraison plus sublime que la dominicale. Saint Clément ne parle que de paix, d’impassibilité, d’immobilité ; et Cassien parle de paix, d’immobilité ; et l’un et l’autre assure que tout ce que fait l’âme alors est de Dieu même. Saint Denis et les autres parlent le même langage. On ne peut donc douter, si peu qu’on les lise attentivement, qu’ils n’aient tous voulu désigner la même chose. Saint Denis et saint Clément déclarent qu’il y a en cela un profond mystère, qu’il ne faut pas dévoiler ; mais Cassien, qui rapporte les entretiens d’un solitaire à d’autres solitaires, s’explique avec moins de précaution, et avec un peu plus de suite et d’ordre, quoiqu’il reconnaisse néanmoins que c’est une tradition mystérieuse26.


On ne peut point dire que, selon saint Clément, le gnostique n’est autre chose que le bon chrétien, qui est d’ailleurs docte et philosophe. On pourrait se prévenir de cette pensée, sur ce que le mot de gnose signifie connaissance ; et que ce Père représente sans cesse le gnostique, comme sachant, par démonstration et avec certitude, toutes les vérités. Cependant il est aisé de voir qu’il ne s’agit pas de philosophie et de science spéculative dans le fond de la gnose ; quoiqu’il lui donne, pour ceux de dehors, une apparence philosophique autant qu’il le peut. D’ailleurs, il donne de la gnose aux femmes, aux esprits simples et ignorants ; il veut que les deux extrémités de la religion : savoir la simple foi des catéchumènes et la gnose des parfaits, consistent à croire sans voir ; il veut que la gnose laisse la foi, l’espérance, pour être toute dans l’amour ; enfin, il fait de son gnostique un homme inspiré, un prophète, un homme tout miraculeux ; ce qui ne convient point à la philosophie.


Le lecteur conclura donc par nécessité que le gnostique n’est autre chose que le parfait chrétien ; et moi je conclurai aussi que le parfait chrétien est l’homme passif des mystiques modernes ; parce qu’il est certain que le gnostique de saint Clément et l’homme passif des mystiques de ces derniers siècles ne sont que deux noms donnés à une seule et même chose. C’est ce que je vais prouver en détail par l’examen des passages.



2. De la fausse Gnose



La première chose que j’ai à prouver est que saint Clément a bien connu l’abomination des faux gnostiques ; et qu’il n’a eu garde de rien dire qui ait pu les favoriser indirectement. Un saint très éclairé, qui est averti, qui parle dans un temps où une erreur est répandue, qui parle aux païens les plus faciles à scandaliser, ne dit rien de trop et n’avance rien qu’avec une extrême précaution. Voyons donc si saint Clément connaissait les gnostiques que l’Église déteste.


« J’ai connu une hérésie, dit-il ; celui qui en était le chef disait qu’il fallait combattre la volupté par l’usage de la volupté même. Ce merveilleux gnostique se jetant lui-même dans les bras de la volupté, sous la fausse apparence de la combattre, prétendait être un véritable gnostique. Il disait qu’il n’y avait rien de grand à s’abstenir de la volupté, quand on ne l’éprouve point ; mais que la force consiste à n’en être point vaincu, quand on est au milieu d’elle ; que c’était pour cette raison, qu’il s’exerçait dans la volupté contre la volupté. Il ignorait, ce malheureux, qu’il se trompait lui-même, par cette discipline qui ne tendait qu’à rechercher les plaisirs. Aristippe a été du même sentiment que ce sophiste qui se glorifie d’avoir trouvé la vérité. Comme on lui reprochait qu’il était continuellement avec une courtisane de Corinthe, il répondait : “Je possède Laïs et elle ne me possède pas.” Tels sont ceux qui disent qu’ils suivent Nicolas ». En effet, nous croyons que les gnostiques sont une branche des nicolaïtes, qui étaient connus longtemps avant l’âge de saint Clément. « Ils abusent de ce qu’il a dit qu’il fallait se servir de la chair. Car il entendait qu’il faut réprimer les passions et l’amour des plaisirs, et qu’il faut, par cet exercice, amortir les saillies de la chair. Mais ceux-ci se plongent, comme des boucs, dans la volupté, goûtent les plaisirs, croyant par là humilier leurs corps. Leur âme est plongée dans un bourbier d’iniquité. Ils suivent le dogme de la volupté et non celui d’un homme apostolique27. »


Voilà Nicolas, disciple des apôtres, véritable gnostique, qui est justifié. Voilà ses paroles prises de travers, dans un sens égaré et corrompu, qui est précisément celui qu’on attribue aux quiétistes. Notre auteur défend et explique la doctrine de Nicolas28. Quoique saint Épiphane29 parle autrement de ce diacre et qu’il rapporte l’histoire de sa chute, il est aisé de voir que saint Clément doit être bien plutôt cru, non seulement parce qu’il est si près du temps où Nicolas a vécu, mais encore parce qu’il est bien plus sûr en toutes choses que saint Épiphane. Et ainsi, voilà la fausse gnose tirée de la véritable, qui la précède dès les temps apostoliques, comme la vérité précède toujours l’erreur. Voilà les illusions impies et les infamies des faux gnostiques, découvertes dans toute leur étendue.


Mais écoutons encore saint Clément dans un autre endroit : « Je me ressouviens ici, dit-il, que quelques hétérodoxes, qui suivent l’hérésie de Prodicus, disent qu’il ne faut point prier. Mais afin qu’ils ne se glorifient point d’être les auteurs de cette doctrine impie, qu’ils sachent qu’ils la tiennent des philosophes cyrénaïques. Cette gnose impie sera réfutée en son lieu. »


Vous voyez qu’il parle ici de cette fausse gnose, comme dans l’endroit précédent ; il la rend odieuse, en lui attribuant la philosophie, décriée et impudente, de la secte cyrénaïque et d’Aristippe30. II dit que ces faux gnostiques soutiennent qu’il ne faut point prier. Selon les apparences, ils avaient pris de travers l’apathie, que nous verrons dans la véritable gnose31, comme ils avaient pris de travers la maxime de Nicolas sur l’usage de la chair. Leurs discours et leurs mœurs exécrables, dont saint Épiphane nous a laissé un détail qui fait frémir, avaient apparemment fait conclure aux païens que les gnostiques s’abandonnaient aux plus monstrueuses infamies, qu’ils ne priaient point, qu’ils ne croyaient ne devoir se soucier de rien et ne demander jamais rien à la Divinité. C’est pour justifier là-dessus le véritable gnostique que saint Clément, après avoir condamné le faux avec horreur, a entrepris, dans ses Stromates, de montrer aux païens l’excellence de la gnose. « Le chrétien, dit-il, n’est donc pas athée – car c’est là ce que je voulais faire voir aux philosophes – en sorte qu’il ne fera, en aucune manière, rien de mauvais, de honteux, ni d’injuste32. » Voilà ce qui l’oblige à dire si souvent qu’il n’y a que le gnostique qui soit pieux et qui honore Dieu d’une manière qui soit digne de Lui ; il répète que c’est là ce qu’il se propose de montrer.


On ne saurait donc plus douter que saint Clément n’ait écrit sur la gnose dans le fort du scandale, dans un temps où la gnose était décriée comme une impiété et une infamie, dans des circonstances où l’on avait besoin d’une apologie aussi étendue que ces Stromates, enfin dans des circonstances où il ne fallait dire d’elle que ce qu’on ne pouvait pas s’empêcher d’en dire et que les hommes du dehors étaient capables de porter. Par conséquent, jamais homme n’a été plus pressé que lui de retrancher toutes les exagérations, de lever toutes les équivoques, dont les faux gnostiques avaient si indignement abusé ; d’adoucir même les expressions nécessaires ; de rapprocher le plus qu’il pouvait la gnose de la voie commune, en lui attribuant toutes les vertus et toutes les pratiques que les païens pouvaient comprendre et estimer dans le christianisme33. Examinons donc dans cet esprit les paroles de saint Clément ; et voyons, suivant cette idée, celle qu’il nous donnera de son gnostique.



3. De la vraie Gnose



Après avoir bien cherché dans saint Clément la différence essentielle qu’il met entre le juste ordinaire et son gnostique, il me semble qu’il la met certainement dans l’habitude du pur amour, où son gnostique est établi, quand il est arrivé au dernier degré de la gnose. Cette espèce de définition explique nettement toutes les diverses expressions de l’auteur et il n’y en a aucune qui soit contraire à cette définition. Tout vient de là, tout se rapporte là, toutes les choses qui paraissent les plus éloignées les unes des autres reviennent également à ce point, qui est comme le centre34.


Je dis que c’est l’amour qui fait le comble de la gnose. Ce n’est pas que le simple juste n’ait l’amour à un certain degré ; mais l’amour pur, l’amour qui absorbe toutes les autres vertus en lui, est l’essence de la gnose parfaite. Je vais expliquer ceci dans toutes ces parties et le prouver par les paroles de notre auteur. Il faut toujours se souvenir que mon soin doit être de démêler ce que saint Clément a brouillé à dessein, et de découvrir, par la liaison des principes et par le rapport des expressions, un système suivi, dans un ouvrage très long et très varié où l’auteur déclare lui-même qu’il n’a voulu laisser aucun tissu, aucune suite, aucun vestige de système, à ceux qui ne sont pas dans l’état dont il veut parler. Je dois donc montrer : 1° que la gnose n’est point le simple état du fidèle ; 2° qu’elle consiste dans la contemplation et dans la charité ; 3° que c’est une contemplation et une charité habituelle et fixe ; 4° que c’est une charité pure et désintéressée.


« Le premier pas vers le salut, dit saint Clément, est la foi ; ensuite la crainte, l’espérance et la pénitence qui, nous disposant par la tempérance et la patience, nous conduisent à la charité et à la gnose. »


« Le premier degré du corps, dit-il ailleurs, est l’instruction avec la crainte par laquelle nous nous abstenons de l’injustice ; le deuxième est l’espérance par laquelle nous désirons les choses qui sont très bonnes. Mais la charité met le comble de la perfection, comme il convient, en instruisant gnostiquement35. »


« Ceux qui s’exercent à la perfection ont la gnose devant eux, dont le fondement est la foi, l’espérance et la charité ; mais la charité est la plus grande des trois36. »


Vous voyez qu’il marque divers degrés, sur lesquels ses expressions varient assez souvent ; mais ce qui est le plus marqué et le plus suivi, dans son ouvrage, est que la foi fait le premier degré de l’âme convertie et justifiée ; le second est l’espérance qui excite aux vertus ; le troisième est la charité, qui est la gnose ou qui est unie à elle. La charité, selon la parole de saint Paul, est la plus grande de ces trois vertus, c’est elle qui absorbe, qui consomme tout. Aussi voyons-nous que saint Clément dit positivement que « la gnose finit en la charité ». II avait dit un peu au-dessus : « On donnera à celui qui a la foi, la gnose ; à la gnose la charité37. »


C’est pourquoi, en parlant du Verbe divin qui enseigne les hommes, il dit : « Le maître instruit le gnostique par les mystères, le fidèle par de bonnes espérances, et celui dont le cœur est encore dur par une discipline capable de corriger38 »

.

« La foi, dit-il ailleurs, est une gnose abrégée pour les choses les plus nécessaires ; la gnose est une démonstration ou compréhension forte et solide des choses vénérées par la foi ; elle est édifiée sur la foi. » Il dit encore, au même endroit : « Il y a un premier changement salutaire de l’idolâtrie à la foi, et le second de la foi en la gnose39. » Mais il serait trop long de rapporter le grand nombre d’endroits où il représente comme des degrés, pour distinguer la foi du commun des fidèles et la gnose qui est la perfection.


Afin qu’on ne se trompe pas, quand il parle de la foi, il explique ce que c’est que son fidèle. L’homme, selon lui, « en tant qu’il est juste est fidèle. » La foi dont il parle n’est donc pas une foi morte et stérile ; c’est une foi de justice, qui rend le fidèle juste et agréable à Dieu. Mais il ajoute les paroles suivantes : « En tant que fidèle, il n’est pas juste dans la perfection ; j’entends parler de la justice selon laquelle le gnostique est appelé juste40. » Celui qui a la foi est juste, mais il ne l’est point de cette justice parfaite du gnostique. Aussi dit-il expressément ailleurs : « Nous savons que nous avons tous une foi commune, pour les choses communes, qui est qu’il n’y a qu’un Dieu ; mais la gnose n’est pas dans tous, elle est donnée à peu41. » Quand il dit : « Nous avons tous une foi commune », il parle des chrétiens qui étaient dans l’actuelle communion de l’Église ; et par conséquent de ceux qui sont nommés saints par saint Paul. Mais, parmi ces saints qui ont une foi commune, sur les mystères de la religion, il y en a peu qui soient élevés jusqu’à la gnose. De même que, parmi les solitaires qui vivaient comme des anges dans le désert, il y en avait fort peu qui fussent dans l’immobilité de l’âme dont parle Cassien.


Pour montrer combien cette doctrine de divers degrés parmi les chrétiens est suivie de notre auteur, je remarquerai encore qu’il dit que l’instruction de la foi n’est que l’instruction de la gnose ; c’est, ainsi qu’il explique ces paroles de saint Paul : Odorem notitiae. Selon lui, la connaissance des mystères de la foi, de la substance des sacrements, en un mot tout ce qui formait, après tant d’épreuves et de catéchèses, un vrai chrétien, n’est encore qu’une odeur de la gnose, qu’un abrégé des choses plus nécessaires et les plus pressées. « C’est par elle, dit-il ailleurs, que la foi se perfectionne ; et c’est par elle seule que le fidèle est parfait ». « Car la perfection de la foi, dit-il, est distinguée de la foi commune42. »


C’est pourquoi il remarque « que la gloire de Moïse avait été plus découverte à Josué qu’à Caleb ; et que Josué raconta ce qu’il avait contemplé, étant plus capable de voir que l’autre, et étant plus purifié que lui; l’histoire nous montrant par là que tous n’ont pas la gnose. »


Enfin il rapporte des paroles de saint Paul aux Corinthiens, où cet apôtre dit : « J’espère que votre foi augmentera et que j’aurai un sujet plus abondant de me glorifier en vous par votre perfection, afin que je puisse vous annoncer les choses qui sont au-dessus de vous. » Par là, saint Paul nous montre « que la gnose, qui est la perfection de la foi, s’étend au-delà de l’instruction ordinaire, comme il convient à la majesté de la doctrine du Seigneur et à la règle de l’Église43. »


Vous voyez par ce passage qu’on gardait à l’égard des fidèles, sur la gnose, la même économie qu’à l’égard de ceux de dehors, pour les mystères de la foi. Je crois qu’en voilà assez pour être bien persuadé que la gnose est un degré de la perfection chrétienne, très distingué de la perfection commune de ces justes de la primitive Église, qui étaient néanmoins nommés saints et qui étaient effectivement des anges dans des corps mortels. Nous verrons même encore dans la suite, par d’autres circonstances encore plus fortes, l’éminence de l’état gnostique.


Il est temps de montrer que c’est par la charité que le gnostique est distingué du simple juste.



4. La gnose consiste dans une habitude d’amour et de contemplation.



Notre auteur, parlant aux philosophes, emploie l’autorité de Platon dont il rapporte ce sentiment tiré du Théétète : « Le commencement de l’amour qui rend sage, est d’admirer les ouvrages de la sagesse. » Pour s’insinuer, il montre aux païens que saint Mathias a pensé comme Platon44 : « admirez, dit cet apôtre, dans ses traditions, les choses que vous voyez »  ; posant l’admiration comme le premier degré d’une gnose plus avancée et ultérieure.


Tous ceux qui ont lu ce que divers auteurs ont écrit de la contemplation, ne peuvent ignorer qu’ils l’ont représentée comme une admiration amoureuse, sans raisonnement ; pour la distinguer de la méditation discursive par actes réfléchis. Ainsi voilà le gnostique, dont le partage est de contempler et non de méditer.


« Le gnostique, dit ailleurs saint Clément, s’applique autant qu’il peut à acquérir cette puissance de la contemplation perpétuelle. » Mais comment peut-on l’acquérir ? Le même auteur l’explique en divers endroits. « Par un exercice gnostique, dit-il, il se forme une habitude. » Et ailleurs : « de serviteur il devient ami, à cause de la perfection de l’habitude qu’il a acquise par l’instruction et par le grand exercice vrai et pur45. Notre auteur mêle partout la contemplation avec l’habitude. Il dit « que le gnostique prie en tous lieux, sans que cela paraisse, en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant toutes les choses raisonnables46. » Comment cela se fait-il ? « Par l’habitude qui vient de l’exercice, il s’en approche plus aisément », dit-il. « Il convient, dit-il encore ailleurs, à celui qui est parvenu à cette habitude, d’être saint. » Et ailleurs : « La ressemblance avec Dieu consiste, autant qu’il est possible, à conserver son esprit dans une seule disposition à l’égard des mêmes choses47. » Il n’y a donc ni actes passagers, ni méditation discursive, dans cette contemplation qui exclut toute variété de dispositions et d’objet. Il dit encore ailleurs : « S’étant exercé dans cette stabilité égale de l’esprit48. »


Vous voyez partout que le chemin de la gnose est de s’exercer activement à la contemplation, et de parvenir à l’habitude, qui est la fin de cet exercice. On commence par admirer, ce qui est sans doute une contemplation ; puis on la rend peu à peu continuelle, par l’habitude qui résulte de la fréquente répétition des actes. En lisant ces choses, je crois voir et entendre les solitaires dont parle Cassien, lesquels, à force de demeurer indéclinablement fixés dans leur verset : Deus in adjutorium, etc...49 s’exerçaient pour parvenir à l’habitude de la perpétuelle contemplation, sans image ni discours, qui est l’immobile tranquillité de l’âme50. C’est sans doute à cause de cet exercice de contemplation que les contemplatifs étaient nommés des exercitants.


Mais cette ressemblance du gnostique qui s’exerce à la contemplation, avec les solitaires de Cassien, qui ne cessent de s’occuper du même verset, frappe encore plus sensiblement, lorsqu’on entend dire à saint Clément : « Soit donc qu’on dise que la gnose est une habitude ou qu’elle est une disposition, ce qui conduit en elle demeure inaltérable; les différentes pensées n’y entrant point, il ne reçoit point la diversité des images, ne songeant pas même pendant le sommeil aux images que forment les occupations du jour. » Voilà sans doute ce vide de l’esprit, cette inattention aux images, cette inaction des puissances, dont les mystiques parlent tant. Et c’est ainsi qu’Isaac, dans Cassien, veut que l’oraison pure se conserve même pendant le sommeil. Il dit que, pour arriver à la gnose, il faut « exclure ce qui appartient au corps, même aux choses incorporelles » ; qu’il faut « se jeter dans la grandeur de Jésus Christ, avançant par la sainteté dans cette immensité, pour être conduit à la connaissance du Tout-Puissant, connaissant, non ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas51. »


Pour justifier cette contemplation qui exclut toute image des choses corporelles et incorporelles, il cite Zénon, chef des Stoïciens, qui disait, dans le livre de sa République, qu’il ne fallait ni des temples, ni des statues qui sont indignes des dieux. Il cite aussi Platon, qui veut que personne n’ait en particulier aucune image de nulle divinité.


Il y a, dans saint Clément, un grand nombre d’autres endroits semblables, où il représente toujours la gnose, comme une disposition fixe ou une habitude de contemplation sans images, et par conséquent sans discours, où l’on parvient par l’exercice. « Heureux, dit-il, celui qui a la science de la contemplation. Contemplant la beauté toujours subsistante de la nature immortelle, comment ou de quelle manière jamais la pensée d’une mauvaise action entrerait-elle dans ces hommes ? Platon a eu raison de dire de celui qui contemple les Idées que c’est un dieu qui vit parmi les hommes. L’esprit est le lieu des idées et Dieu est le lieu de l’esprit. Il appelle celui qui contemple un dieu caché, un dieu vivant parmi les hommes. Dans le Sophiste, Socrate appelle dieu l’étranger Éleate, qui était dialecticien, comme les dieux qui viennent dans les villes sous la figure des étrangers. Quand donc l’homme, s’élevant au-dessus de sa nature est avec elle-même et converse avec les idées, comme le chef du chœur dans le Théétète ; cet homme, devenu semblable à un ange, sera avec Jésus-Christ occupé de la contemplation, considérant toujours la volonté de Dieu. Celui-là est le seul sage, les autres voltigent comme les ombres52. »

Mais il serait inutile de rapporter tous les passages de saint Clément ; ce ne serait qu’une répétition sans fin ; d’ailleurs, nous reverrons encore assez cette matière, quand nous parlerons de l’immutabilité de la gnose.


Ce grand « exercice vrai et pur », dont il parle, et qui fait la continuelle contemplation, est l’amour de Dieu, parce que, comme nous l’avons déjà vu, le commencement de la justice chrétienne consiste dans la foi, dans la crainte, dans la pénitence ; le progrès consiste dans l’espérance qui anime, pour les vertus et pour les œuvres ; la perfection consiste dans la gnose et dans la charité, qui sont toujours mises ensemble comme inséparables. Ainsi l’état de la gnose, élevé au-dessus de la foi, de l’espérance, se trouve dans. une habitude de charité et de contemplation perpétuelle. Il exprime encore cette contemplation, en disant, « qu’à l’égard de ceux qui ont le sens exercé, comme dit l’apôtre, et qui sont les gnostiques, leur culte est un soin continuel de l’âme et une occupation perpétuelle de la Divinité, par une charité qui ne cesse jamais53. » Voilà partout la contemplation amoureuse des mystiques.


Voilà sans doute des degrés qui ressemblent bien à ce que les mystiques nous représentent des trois voies : savoir, de la purgative, de l’illuminative, de l’unitive ou contemplative. La purgative répond à cet état de foi où notre auteur dit que l’âme est occupée de la crainte et de la résistance à ses passions ; la voie illuminative ou effective répond à cet état d’espérance, où l’on s’anime aux vertus et aux bonnes œuvres ; enfin la voie unitive ou contemplative répond à la gnose, où notre auteur veut que l’âme soit, par habitude, dans la charité et dans la contemplation perpétuelle ; c’est alors qu’elle a outrepassé toute purification, et toute œuvre de vertu pénible.


Le même Père marque encore ces trois états, sous la figure de trois journées d’Abraham. « Le premier jour, dit-il, est la vue des choses belles ; le deuxième est le désir d’une âme excellente ; le troisième, l’esprit voit les choses spirituelles, les yeux de l’intelligence étant ouverts par celui qui est ressuscité54. » D’abord il montre la foi dans la conversion, puis le désir de la perfection, enfin la contemplation pure.


Quand on lit ces choses, dans un Père aussi ancien et aussi savant que saint Clément, on les respecte, sans les approfondir. Quand on les trouve dans les modernes, on n’en remarque point la conformité avec saint Clément, avec Cassien et avec les autres ; et on les méprise, comme imagination de dévots ignorants, qui ont voulu, dans les derniers siècles, raffiner sur l’Évangile.


5. La gnose est une habitude de charité pure et désintéressée



On me demandera sans doute : pourquoi cet état de perfection, où la gnose est la charité plutôt que les autres vertus ? La foi y est-elle éteinte ? L’espérance y est-elle détruite ? Est-ce que dans les degrés précédents où l’âme était déjà justifiée, il n’y avait point de charité ? Pourquoi donc distinguer ainsi ces trois degrés par ces trois vertus théologales ?


À cela je réponds que, dans tous les divers degrés, le juste n’est point sans charité. Mais, quoique ces trois vertus se trouvent dès le premier degré, cependant la foi domine dans le degré des commençants, c’est-à-dire cette foi qui remue le cœur pour le détromper de ses erreurs passées, pour lui faire embrasser le christianisme, pour le tourner à la pénitence, et pour le détacher de ses passions. L’espérance domine dans le second, pour animer à la pratique des vertus et des bonnes œuvres. Le troisième est la gnose, qui se consomme dans la charité pure et sans retour, sans aucun intérêt propre. Alors l’homme est uni à Dieu seul, dans une contemplation pure et fixe. C’est ce que nous voyons qu’il a déjà exprimé par ces trois journées : la première, on commence par la foi à voir le beau qu’on ne voyait pas ; la seconde, on désire une âme excellente : voilà les désirs de perfection du second degré qui est la vie affective ; enfin, on entre dans un troisième état où les yeux de l’intelligence et de la contemplation sont ouverts par celui qui a ressuscité.


L’amour pur, nourri par cette contemplation, a deux caractères qui le distinguent de la charité des deux premiers états. Premièrement, cette charité est affermie par l’habitude de la contemplation ; en sorte que, comme nous le verrons dans la suite du système de saint Clément, elle n’unit plus l’âme à Dieu par des efforts ou actes passagers et interrompus, mais elle le tient toujours uni d’une union stable et non interrompue. Secondement, elle est pure et sans intérêt propre ; car, en cet état, l’âme ne veut plus rien pour elle, comme je vais le montrer par les paroles mêmes de saint Clément. Ainsi la gnose est l’état de charité par excellence à cause de la perfection et de la permanence de cette charité du véritable et parfait gnostique.


Voici comme il parle de cet amour désintéressé, qui ne regarde plus rien par rapport à soi ; nous y reconnaîtrons sans peine, à travers ces obscurités affectées, tous les caractères de l’amour pur et de l’abandon des mystiques. Il dit d’abord : « Si vous ôtez le péché, qui est la cause de la crainte, vous ôtez la crainte et à plus forte raison la punition, parce que vous avez retranché ce qui de sa nature cause les désirs ». Selon lui, c’est le péché qui cause les désirs ; quand l’âme est entièrement purifiée du péché, elle est exempte de désirs ; qui n’a plus de péché, ni de désirs, ne craint plus la punition. Il ajoute aussitôt : « car la loi, selon l’ Écriture, n’est pas établie pour le juste ». Puis il cite Héraclite, qui confirme ce sentiment ; et Socrate qui dit que la loi n’a point été faite pour les bons55.


Après avoir posé ces fondements, il dit : « Je crois qu’il faut ne s’approcher du Verbe salutaire, ni par la crainte du châtiment, ni à cause de la récompense des dons, mais à cause qu’il est bon simplement.» Voilà sans doute une exclusion formelle et absolue de toute crainte des peines et de toute espérance des récompenses. L’amour du vrai gnostique est bien simple et bien exempt de tout retour sur soi, puisqu’il ne lui est permis ici d’aimer sinon ce qui est bon, mais peut-être que ce Père ne parle que des peines et des récompenses périssables de cette vie ; la suite montre évidemment le contraire. « Ceux qui sont tels, dit-il, sont à la droite du sanctuaire ; mais ceux qui, par le don qu’ils font des choses périssables, espèrent de recevoir en échange les biens de l’incorruptibilité, sont appelés mercenaires, dans la parabole des deux frères56. » Ceux qui renoncent aux biens temporels pour la récompense céleste sont donc, selon lui, mercenaires, exclus de l’amour pur de la gnose, et relégués au côté gauche du sanctuaire.


Il va bien plus avant. Car il fait divers degrés d’hommes qui servent Dieu. Et parlant de celui qui, selon saint Paul, livre son corps pour être brûlé, il dit: « Je distribue tous mes biens, non selon la règle de la communication de la charité, mais selon la règle de la récompense, regardant ou le bienfait à recevoir, ou le Seigneur qui promet. Quand j’aurais toute la foi en sorte que je transportasse les montagnes, si je ne suis pas fidèle au Seigneur par la charité, je ne suis rien et je ne suis compté pour rien, en comparaison de celui qui rend témoignage gnostiquement devant la multitude57. » Il paraît manifestement, par cet endroit, qu’il met la gnose infiniment au-dessus de toutes les bonnes œuvres, des dons miraculeux, et du martyre même séparé de l’état gnostique.


Vous voyez que les plus grands sacrifices de la religion, faits par l’attente de la récompense, même promise par le Seigneur, lui paraissent défectueux ; et qu’il les compte pour rien, en comparaison des œuvres du gnostique qui n’agit que par le pur amour, sans intérêt. Saint Clément pousse cette pensée jusqu’à un point qui a besoin d’être adouci par quelque explication ; car il veut que Dieu ait préparé au vrai et pur amour du gnostique ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce qui n’est point montré dans le cœur de l’homme ; et que, pour le fidèle qui n’a eu qu’une simple foi, il lui assure seulement le centuple de ce qu’il a laissé. « Quel est, dit-il encore, un peu plus loin, le gnostique? Son ouvrage ne consiste pas à s’abstenir du mal, car ce n’est là que le fondement d’un plus grand progrès ; ni d’agir pour la récompense promise selon qu’il est écrit : voilà le Seigneur et sa récompense est devant sa Face afin qu’Il rende à chacun suivant ses oeuvres. Faire le bien, uniquement par amour et à cause du beau même, c’est le partage du gnostique. »


Il dit au même endroit : « II ne lui faut point d’autre cause ou motif de contemplation que la gnose même ; et je ne crains point de le dire : celui qui suit la gnose par cette science divine ne la choisit point pour vouloir être sauvé. L’habitude qu’il a de connaître s’étend à connaître toujours ; connaître toujours est la substance du gnostique ; elle est sans interruption : c’est une contemplation continuelle et une vive substance qui est permanente. Si quelqu’un, par supposition, demandait au gnostique ce qu’il choisirait, ou de la gnose de Dieu ou du salut éternel, et que ces deux choses qui sont la même fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu, jugeant qu’il faudrait choisir cette gnose pour elle-même, puisqu’elle surpasse la foi par la charité58. »


Vous voyez toujours une sorte de charité pure et permanente, qui surpasse la foi et même l’espérance, qui fait le caractère de la gnose, et qui la met infiniment au-dessus de la foi simple, animée par un amour intéressé pour la récompense telle qu’elle est dans le commun des justes. Vous voyez que la gnose, si on pouvait la séparer du salut, serait préférable au salut même, pour une âme généreuse et gnostique, qui n’a point d’autre motif, en aimant Dieu, que l’amour de Dieu même. Voilà saint Clément qui fait ces suppositions impossibles et ces précisions métaphysiques que les savants modernes regardent, dans les mystiques, comme des raffinements ridicules et des nouveautés inventées par des cerveaux creux. Les voilà dans les mêmes termes. C’est que l’amour pur est de tous les temps, et que l’amour pur, dans la délicatesse infinie de sa jalousie, va jusqu’au dernier raffinement. Il sait bien que la vertu et la récompense ne peuvent être réellement séparées ; mais il ne sait pas moins que le motif de servir Dieu, uniquement pour son bon plaisir, sans aucune vue de la récompense, et le motif de le servir pour être récompensé, sont très différents. Et ainsi, c’est avec raison qu’il sépare, du côté des motifs, ce qui ne peut être séparé, du côté de l’objet.


Mais reprenons les paroles de notre auteur : « Celui qui est parfait, dit-il, fait le bien, mais ce n’est point à cause de son utilité. Quand il a jugé qu’il est bon de faire une chose, il s’y porte sans relâche, non en négligeant ceci et en faisant cela ; mais, étant établi dans l’habitude de faire le bien sans discontinuer, non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée, ni pour la récompense qui vient des hommes ou de Dieu, il rend sa vie parfaite selon l’image et la ressemblance du Seigneur. » Saint Clément conclut, en cet endroit, que celui qui est véritablement bon, et établi dans cette habitude, imite la nature du bien, c’est-à-dire « qu’il se communique et qu’il n’agit que selon sa nature, sans autre pente que celle de bien faire ».


Il reprend encore, un peu au-dessous, la même matière, sur les mêmes principes : « Celui qui s’abstient de faire l’injustice, à cause de l’espérance de la récompense que Dieu a promise aux justes, n’est pas bon par un pur mouvement de sa volonté, parce qu’Il doit être choisi et aimé pour lui-même59Il met encore ailleurs une très notable différence entre celui qui sert Dieu avec un amour d’espérance, et le pur gnostique, , qui est conforme à ce qu’il avait déjà dit du côté droit et du côté gauche du sanctuaire, du bonheur que l’œil n’a point vu et du centuple de ce qu’on a quitté. «  Celui-là, dit-il, est le serviteur de Dieu, qui se soumet de lui-même aux préceptes, mais celui qui est pur de cœur, non à cause des préceptes, mais à cause de la gnose, est l’ami de Dieu60. »


Remarquez les deux degrés du serviteur et de l’ami. L’un obéit à cause du commandement. Il obéit pourtant de lui-même et de bon cœur ; par là, il est bien au-dessus de celui qui ne s’abstient du mal que par la crainte. Cependant, il n’est rien en comparaison de celui qui agit sans être touché de la récompense. Ce dernier est pur, par l’amour de la pureté qui est la gnose. Ce serait affaiblir l’évidence de ces passages sur l’amour qui exclut autant l’espérance intéressée que la crainte, que de vouloir les expliquer.


Il dit encore dans la suite : «  Il faut choisir la charité pour elle-même, et non pour autre chose. » Et encore un peu au-dessous : « Quand donc on est juste, non par nécessité, ni par crainte, ni par espérance, mais par choix, cette voie est appelée royale. Par elle marche une nation royale. Les autres voies sont sujettes aux chutes, on peut en être renversé et elles ont des précipices61. »


La voie royale et de liberté, dont parle saint Jacques62, est donc selon saint Clément, cette voie de leur amour, sans espérance ni crainte pour soi-même. Bien loin que cette voie de liberté porte au relâchement et à l’illusion, l’âme n’est jamais tant en sûreté que quand elle ne fait le bien que par l’amour du bien même, sans y être excitée ni par la crainte de l’enfer, ni par l’espérance du para­dis. L’état qui est à craindre est celui des âmes qui ne sont point encore dans cette liberté de la gnose, et dans ce désintéressement absolu et tranquille sur leur éternité. Cette voie moins parfaite des mercenaires est sujette à des chutes et pleine de précipices. La gnose, comme il le dit ailleurs, n’enfle point, mais elle remplit d’un culte plus élevé.


On subtilisera, si on veut, là-dessus, pour éluder les paroles expresses de saint Clément qui exclut tout motif, non seulement de crainte des peines, mais d’espérance des récompenses éternelles. Ce qui est manifeste, c’est que les mystiques, dont les expressions ont le plus scandalisé sur cette matière, n’ont rien de plus fort que les termes dont saint Clément se sert. Il regarde le motif du salut et de la béatitude comme un motif intéressé et imparfait, qui n’est point la vraie vertu, ou du moins qui n’en est que le plus bas degré, qui expose à des chutes et à des précipices ; et il met ceux qui servent Dieu, par ce motif, dans un rang, parmi les bienheureux, entièrement séparé de celui des vrais gnostiques, qui n’ont d’autre motif, en aimant Dieu, que d’aimer ce qui est uniquement aimable.


Qu’il est maintenant aisé d’entendre pourquoi ce Père a fait trois classes de fidèles : les premiers, qu’il met dans l’état de la foi, pour croire les vérités de la religion, pour se convertir et pour s’abstenir de tous les vices par ce principe de foi (c’est la vie purgative). Les seconds sont dans l’espérance, qui les anime pour cultiver en eux avec ferveur toutes les vertus (et c’est la vie qu’on nomme illuminative). Les troisièmes sont au-dessus de cette espérance intéressée de la récompense ; ils sont établis, par l’exercice des actes, par une habitude toute formée, dans un amour fixe et permanent, qui n’a d’autre motif que l’amour même, sans envisager ni réprobation à éviter, ni salut, ni félicité à attendre (et c’est sans doute la vie unitive) ; ils n’aiment Dieu que pour Dieu même, sans retour d’intérêt propre. Les autres ne sont que les serviteurs, ceux-là sont les amis qui suivent la loi royale de la liberté. Les autres aiment, parce qu’ils sont fidèles et justes, mais ils aiment par l’espérance d’être récompensés ; ceux-ci aiment, sans songer à eux : ils ne craignent ni n’espèrent rien pour eux, en aimant. Voilà ce qui fait que leur état est nommé l’état d’amour par excellence.


Tel est le véritable gnostique. Il contemple sans cesse la même chose, sans images, ni discours ; il contemple par la foi, observe sans rien voir de distinct, car il passe au-delà de tout ce qui peut être conçu même de plus incorporel, et ne s’arrête qu’à Dieu seul et incompréhensible ; il contemple, en tous temps et en tous lieux. Sa contemplation se fait par amour ; et son amour est pur et per­manent. Il est permanent, comme nous le verrons dans la suite, et cette permanence s’acquiert par l’exercice et par l’habitude ; il est pur, parce que le gnostique, en aimant, ne se regarde plus même pour l’éternité. Peut-on voir attentivement toutes ces circonstances et ne pas reconnaître, dans le gnostique de saint Clément, l’homme passif63 des mystiques ?


Mais entrons encore davantage dans le détail ; et après avoir vu que cette contemplation est fondée sur le pur amour, sans intérêt propre, considérons le second caractère de cette contemplation, qui est d’être fixe et permanente.



6. La gnose est une contemplation permanente



Saint Clément, qui nous a dit qu’il y a plusieurs degrés dans la gnose, et que le gnostique tend à une gnose ultérieure, assure que le gnostique s’applique, autant qu’il le peut, à posséder la puissance de la contemplation permanente. Voilà le gnostique qui n’est encore que dans ses commencements ou dans son progrès ; il tend à la permanence et n’y est pas encore arrivé. II est devenu le maître de ce qui combat contre l’esprit ; et demeurant perpétuellement dans la contemplation, voilà l’état où il arrive : il est sorti de l’état de combat contre les sens, il a dompté tout ce qui s’oppose à l’esprit. C’est ce que le Bienheureux Jean de la Croix appelle être sorti de l’abnégation64 sensitive.


« Celui qui s’est ainsi exercé, continue saint Clément, peut arriver à la sublimité de la gnose et de l’homme parfait65. » Ce n’est donc pas un terme auquel l’on tend toujours, et auquel on n’arrive qu’après la mort ; au contraire, on y arrive dès cette vie. Tous les temps, dit-il, et tous les lieux lui conviennent, ayant une fois choisi de mener une vie exempte de chutes et s’étant exercé par cette stabilité égale de l’esprit.


Mais cette contemplation perpétuelle et immuable est-elle une considération perpétuelle de divers objets qui se présentent successivement ? Non. « C’est un état de ressemblance avec Dieu, autant qu’il est possible ; en ce que le gnostique conserve son esprit dans une même disposition, à l’égard des mêmes choses66. » Il n’admet ni les images, ni la diversité des pensées.


Voilà donc une contemplation, qui exclut toutes variétés d’actes, de dispositions et d’objets, hors ce qui est incompréhensible en Dieu, excluant tout ce qui est intelligible, même dans les choses incorporelles. C’est sans doute la contemplation négative, le rayon ténébreux et l’inconnu de Dieu dont parle saint Denys67. C’est sans doute cette nuit de la foi, dont parle le Bienheureux Jean de la Croix68, où l’âme outre-passant tout ce qui peut être compris, elle atteint jusqu’à Dieu même, au-dessus de tout savoir.


Mais cette contemplation se fait-elle par l’effort de l’esprit ? Non. Elle a commencé, comme nous l’avons vu, par un exercice actif qui a produit l’habitude et l’état fixe. Cet état fixe de contemplation n’est point une saillie et un effort continuel de l’esprit.. C’est cette oraison du cœur, dont Tertullien dit que les chrétiens prient. C’est cet amour pur qui prie et qui contemple sans cesse le bien-aimé. C’est cette contemplation ou regard amoureux, dont parlent tous les mystiques, qui ne consiste point, dans le travail des puissances de l’âme, mais dans l’union habituelle de l’âme avec Dieu.


Le gnostique, dit saint Clément, « demeure dans une même situation et immuable, aimant gnostiquement69. » Remarquez en passant combien l’amour gnostique, qui est le désintéressé, est au-dessus de l’autre amour.


Mais cette contemplation est-elle une espèce d’extase, qui empêche les occupations communes de la vie ? Tout au contraire, c’est une union habituelle avec Dieu, qui anime l’homme et qui facilite toutes les fonctions de la vie où la Providence nous met. Écoutez saint Clément : « Ce n’est point dans un lieu marqué, dans un temple choisi, ni en un certain jour de fête marqué, mais c’est pendant toute la vie, et en tout lieu, soit que le gnostique soit seul, soit qu’il se trouve avec plusieurs fidèles, qu’il honore Dieu. C’est-à-dire qu’il lui rend grâce de l’avoir établi dans la gnose. » Il ajoute encore que « le gnostique est toujours présent avec Dieu sans interruption ». « Toute notre vie, dit-il encore, étant un jour de fête, persuadés que Dieu est présent partout, nous labourons en le louant, nous naviguons en chantant ses louanges. » Il prie, dit encore ce Père, « en tous lieux et cela ne paraîtra pas à plusieurs ; il prie en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant des choses raisonnables ; il prie en toutes manières70 » ; c’est à quelque chose qu’il fasse.


Toutes ces expressions marquent clairement une contemplation habituelle, sans actes réfléchis et distincts, sans effort ni contention d’esprit, sans extase ni lumière particulière : les différentes pensées n’y entrant point, comme l’assure notre auteur, et les images en étant exclues. C’est une contemplation d’état permanent et fixe, que nulle occupation extérieure n’interrompt, qui est du cœur, et non pas de l’esprit ; de l’amour, et non pas du raisonnement. Aussi saint Clément dit-il que son gnostique « est attaché à la force toute-puissante, s’appliquant à être spirituel par une charité sans bornes ». Qui dit sans bornes dit tout.


Voilà cet amour d’abandon, duquel on fait un crime aux mystiques. Ils n’entendent, par abandon total, qu’un amour qui n’est borné à aucune épreuve. Au reste, le mot de spirituel est, dans ce langage, plus fort et plus remarquable que dans le nôtre. Car, selon le langage de saint Paul71, il veut dire inspiré par l’esprit de Dieu ; au lieu que parmi nous, d’ordinaire, il signifie seulement un homme éclairé sur les choses qui regardent les vertus. Vous voyez que c’est par un amour sans bornes et sans réserve qu’on devient l’homme spirituel, « et qu’on est fait une même chose avec l’esprit de Dieu. »


Il dit encore ailleurs72 que l’état où le gnostique est affermi est « une compréhension des choses futures ». Voilà l’esprit de prophétie. Mais comment est-ce que le gnostique connaît l’avenir ? Est-ce par des visions et des révélations sensibles ? Non, c’est par un état nu, de pure foi et de pur amour. « Il va, dit-il, par l’amour au-devant de l’avenir. » Voilà précisément ce que disent les spirituels modernes, qui veulent une contemplation de pure foi et d’une entière nudité d’esprit, où l’âme est enseignée par la seule onction du pur amour.


Nous voyons donc une contemplation, qui ne consiste point dans des ravissements, ni dans des extases, ni dans des paroles intérieures, ni dans des communications qui ne peuvent être que passagères ; tout au contraire, c’est une contemplation d’amour habituel, qui consiste dans la préparation du cœur, que nulle affaire n’interrompt depuis le matin jusqu’au soir. Tout ce qui est raisonnable et innocent, tout ce qui n’est point contraire à la raison souveraine qui est le Verbe, loin d’interrompre cette oraison, en est l’exercice et le fruit. On y est arrivé par les actes qui ont produit l’habitude ; mais elle ne consiste point en actes réfléchis et passagers, ce qui renfermerait des retours et des interruptions. Au lieu que cette contemplation est simple, unie, non interrompue ; c’est une union d’amour avec Dieu, toute établie et toute fixe ; et non pas un effort du cœur, réitéré de temps en temps pour parvenir à l’union.


Saint Clément veut tellement établir cette union immobile et permanente du gnostique avec Dieu, qu’il use de plusieurs expressions qui ont besoin d’être adoucies et tempérées. L’excès de ces expressions, loin d’affaiblir la vérité qu’il veut établir, montre au contraire combien les merveilles de cet état intérieur surpassent toutes les expressions communes, auxquelles les théologiens rigides et scrupuleux veulent que les spirituels se bornent. Qu’on ne trouve donc pas mauvais que les mystiques paraissent un peu exagérés, sur une matière où les Pères les plus autorisés le paraissent encore plus qu’eux.


Saint Clément dit que l’âme, « par cet exercice gnostique, a acquis une vertu qui ne se peut perdre ; et comme la pesanteur ne peut être séparée de la pierre, de même le gnostique ne peut perdre la gnose ». Elle est affermie « volontairement, et non involontairement » ; elle parvient à « ne pouvoir être perdue ». C’est donc une grande chose, continue-t-il, que la gnose, puisqu’elle conserve « ce qui rend la vertu inamissible73 ». Il dit aussi a que « la gnose fondée sur la foi, par l’instruction du Seigneur, conduit à un état où l’homme connaît, comprend et est inébranlable74 ». Nous avons vu ailleurs que « connaître toujours est la substance » du gnostique, que cet état est sans interruption, que c’est une contemplation continuelle et « une substance vive qui est permanente75 ». Il va encore plus loin, et semble se contredire lui-même, car nous avons remarqué qu’il avait dit, parlant de la gnose : « elle est affermie volontairement, et non involontairement ». À quelques pages au-dessous, il ajoute : « Le gnostique ne loue pas seulement les bonnes choses, mais il est contraint lui-même d’être bon ; de serviteur bon et fidèle, devenant ami, par la charité, à cause de la perfection de l’habitude qu’il a acquise par l’instruction et par le grand exercice vrai et pur76. » Quand saint Clément paraît se contredire, il faut se souvenir qu’il ne fait que tenir parole à son lecteur, puisqu’il a promis qu’on ne pourrait développer ce qu’il dit avec une obscurité affectée, sur les mystères de la gnose. Mais ce que nous voyons clairement, c’est que le gnostique est distingué du simple juste par deux choses : la première est le pur amour sans crainte, ni espérance pour soi-même ; et la seconde est la permanence acquise par l’habitude, qui établit l’âme dans une contemplation continuelle et dans une union à Dieu qu’il ne craint pas de nommer « inamissible. »


Mais, continuons. « S’il arrive, dit-il, quelque accident, le gnostique n’est jamais ébranlé de sa disposition propre, car la possession éclairée de ce qui est excellent est ferme et inébranlable ; la gnose ne devient jamais ignorance et l’excellent ne se change point en mal. C’est pourquoi il boit, il mange, il se marie, si la raison le dit, non par choix, mais par nécessité, c’est-à-dire qu’il se marie, si la raison le dit. »


Dans la suite, il dit encore que « le gnostique mangeant, buvant et se mariant si le Verbe le dit, et dans les songes mêmes qu’il voit en dormant, fait et pense des choses saintes, étant ainsi toujours pur pour la prière. Car il prie avec les anges, étant déjà égal à eux ; il n’est jamais hors d’une sainte garde ». Enfin, pour marquer que la perfection du gnostique est dans un état de consistance, il dit que, par l’amour, il est véritablement parfait ; et qu’il « a crû jusqu’à la mesure de l’âge de l’homme parfait77. »


Que si quelqu’un résiste encore à tant d’expressions étonnantes, qui marquent avec évidence une contemplation continuelle et permanente, qu’il écoute le même Père qui assure que ceux dont les sens sont exercés, comme dit l’apôtre, sont les gnostiques. « Le culte de Dieu est, dit-il, le soin continuel de leur âme et une occupation perpétuelle de sa divinité, par un amour qui ne cesse jamais ». « Il ne souhaitera point, dit-il ailleurs, de ressembler aux bons et aux bonnes choses, ayant par l’amour l’être de la beauté même78. » Vous voyez qu’il donne au gnostique la substance même de la vertu, de la beauté et de la bonté, et non pas des actes passagers qui y tendent. Le gnostique possède tellement le bien, ou pour mieux dire, il l’a tellement converti en sa propre substance, il est tellement devenu lui-même le bien, par la perfection et la stabilité de son amour, qu’il ne lui reste pas même à désirer quelque chose de plus permanent. Cet endroit est si fort que nous ne pouvons l’appliquer qu’au seul gnostique qui est arrivé au dernier degré de la gnose, par l’amour ; puisque la gnose a bien des degrés, selon saint Clément.


II dit enfin que l’âme du gnostique « s’étant avancée dans ce qui lui est naturel, demeure dans le repos de Dieu79. » Il faut observer qu’il représente, au milieu de la vraie Église, une portion plus pure que le reste, qu’il nomme « l’Église spirituelle », c’est-à-dire mue et agie par le Saint-Esprit. Cet état d’inspiration et de repos de Dieu est un état, non seulement permanent, mais devenu naturel au gnostique.


Si toutes ces expressions ne suffisent pas pour convaincre qu’il a voulu marquer un état très permanent, je demande quels termes peuvent rester, dans le langage des hommes, pour signifier cette permanence, quand on veut l’exprimer.


Mais, pour trancher les difficultés, il n’y a qu’à montrer ce qui reste de cet auteur.


7. La gnose est un état d’impassibilité



Saint Clément, qui cherche à se proportionner aux idées des philosophes dont il était rempli et pour lesquels il écrivait, représente son gnostique comme le sage des Stoïciens ; et il veut montrer que ce qui n’a été chez eux qu’une vaine idée est une réalité dans la gnose. Il dit que le gnostique est dans l’apathie.80 C’est que, selon lui, le parfait gnostique ayant passé au delà de toute purification, de toute œuvre de vertu, de tout exercice (qui est ce que les mystiques nomment l’abnégation sensitive), il n’est plus sujet aux mêmes inconstances qu’auparavant, l’exercice des vertus et de l’oraison l’avant affermi dans l’union avec Dieu.


« Quel besoin, dit saint Clément, le gnostique peut-il avoir de courage et de désirs, lui qui a vécu par l’âme, la conjonction, l’union, la familiarité avec un Dieu impassible et qui par là, s’est inscrit au nombre de ses amis ? Il faut donc séparer le parfait et le gnostique, de tout mouvement de l’âme. Cet état produit l’apathie, et non une modération de désirs ; l’apathie est le fruit du retranchement total des désirs81. »

Rien ne me paraît plus digne d’attention que cet endroit. Quand on a une fois établi l’amour pur, qui ne s’intéresse plus pour soi-même, qui ne craint ni n’espère plus pour soi, ni les biens, ni les maux éternels, qui se perfectionne pour obéir à Dieu et non pour l’intérêt de sa propre perfection, on a coupé la racine de tous désirs. C’est la sainte indifférence de saint François de Sales82. On fait excellemment toutes les choses qui mènent au salut, par la voie la plus droite ; mais on ne le fait jamais par le désir de se sauver et de s’assurer une gloire éternelle. « On a soin de son âme, comme dit saint Clément, mais c’est sans s’occuper du salut de son âme et par un culte continuel de Dieu. » On sait bien que la gloire et la félicité résultent infailliblement de la fidélité et de la pureté de l’amour ; mais ce n’est point à cause de la gloire attachée à l’amour, qu’on aime. « On aime, comme dit saint Clément, uniquement pour aimer, sans autre raison de son amour que son amour même83. »


Voilà la véritable et parfaite apathie, dont celle des Stoïciens n’était qu’une fausse image. Que reste-t-il à désirer pour les biens temporels puisqu’on n’a plus même aucun désir des biens de l’éternité ? À la vérité, on aime souverainement ces biens, en tant qu’ils sont Dieu même : car l’amour ne se dément ni ne se détruit point par une perfection chimérique ; mais on ne désire plus ces biens pour soi et pour s’intéresser à soi-même. Ce n’est plus le motif de ce qui attache l’âme à Dieu. Quand Dieu ne serait point béatifiant, on ne L’en aimerait pas moins ; et on ne L’aime point davantage, à cause qu’Il est la béatitude de l’âme. Ainsi le motif de la béatitude n’entre point dans le cœur du gnostique. L’amour pur met l’âme dans une extinction universelle de tous désirs, même spirituels ; et c’est cette sainte indifférence qui, ôtant à l’âme tous mouvements propres, la rend souple ou passive pour recevoir toutes les impressions divines. Ne voulant plus rien par son propre choix, ni au ciel ni en la terre, elle ne veut plus rien que ce que Dieu veut en elle et lui fait vouloir.


« Le gnostique, continue saint Clément, n’a point de part avec les bons qui sont agités par des sentiments, avec les bons qui sont encore pathiques84 : il n’est sujet ni à la joie, ni au plaisir, ni à la tristesse, ni à l’affliction, ni aux soucis, ni à la crainte, ni à la véhémence, car elle est proche de la colère. Celui qui est consommé par l’amour, qui se nourrit perpétuellement, d’une manière insatiable, de la joie de la contemplation, ne peut jamais trouver de joie dans des choses petites et basses : il a reçu une lumière inaccessible, ce n’est ni pour le temps ni pour le lieu qu’il l’a reçue ; il l’a reçue par cet amour gnostique qui donne l’héritage, la parfaite constitution et la stabilité. II n’est plus dans le pèlerinage, à l’égard du Seigneur, par l’amour qu’il a pour lui, quoique sa demeure paraisse sur la terre. Il ne se délivre point de cette vie (car cela ne lui est pas permis) ; mais il a tiré son âme des passions (car cela lui est permis). Il vit, ayant fait mourir ses désirs ; il ne se sert plus de son corps ; il lui permet seulement l’usage des choses nécessaires, de peur de causer sa destruction.»


« Comment cet homme a-t-il encore besoin de courage, n’étant plus dans les maux ; n’étant plus présent, mais étant tout entier avec Celui qu’il aime ? Quel besoin a-t-il de la tempérance ? Il n’en a que faire. Avoir encore des désirs qui rendent la tempérance nécessaire pour les vaincre, ce n’est pas l’état d’un homme pur, mais d’un homme sujet aux mouvements, la force n’est nécessaire qu’à cause de la crainte ; or il ne convient plus que celui que Dieu a choisi, avant la création du monde, pour le faire entrer dans la parfaite adoption, soit encore sujet aux craintes et aux plaisirs et qu’il soit encore occupé à vaincre ses passions85. »


Voici la raison pour laquelle il exclut ainsi les vertus ou forces de l’âme pour combattre. C’est qu’elle n’a plus de mal à réprimer, « c’est que Dieu est impassible. Dieu n’est pas tempérant, pour commander à ses cupidités ; sa nature ne peut tomber dans rien de pénible. II n’a point de peur à vaincre, ni de désirs à dominer86. » L’homme donc, divinisé jusqu’à l’apathie, n’ayant plus de souillure, « devient unique », c’est-à-dire qu’il imite par grâce la nature simple, paisible et impassible de Celui dont il est l’image.


Qu’on se mette un peu à la place des gens dont on veut juger. Si un mystique de notre temps écrivait que l’homme passif n’est plus dans le pèlerinage, et qu’il n’a plus besoin de vertus, parce qu’il n’a plus aucun mal à réprimer, quelle horreur, quel scandale ne causerait-il pas dans l’esprit du lecteur ! Cependant il ne parlerait que comme saint Clément qui parlait aux philosophes païens, et qui parlait dans un temps où la précaution en cette matière n’était pas moins importante que dans notre siècle, puisqu’il y avait alors de faux gnostiques qui étaient abominables et contagieux.


Au reste, ce Père ne se contente pas de donner à son gnostique l’apathie, il lui donne aussi l’imperturbabilité. « Il est austère, dit-il ailleurs, non seulement à cause qu’il n’est point corrompu, mais encore parce qu’il n’est point tenté ; car la tristesse ni la volupté ne peuvent ni le vaincre, ni même trouver entrée dans son esprit » ; c’est ce que signifie le mot διχαστήζ. « Il ne donne rien au mouvement de l’âme, allant, d’une manière immuable où la justice le demande. Il se complaît dans tout ce qui arrive, étant persuadé que tout ce qui regarde le monde est bien conduit. »


« La tempérance, dit-il ailleurs, qui doit être choisie pour elle-même, étant perfectionnée par la gnose qui est toujours permanente, rend l’homme maître de lui-même, en sorte qu’il est un gnostique tempérant, et impassible à l’égard de la volupté ; il ne peut être touché par les afflictions, comme on dit que le diamant ne le peut être par le feu87. »


« Comme la mort, dit-il encore, est la séparation de l’âme d’avec le corps, ainsi la gnose est comme la mort spirituelle, séparant l’âme, et l’attirant avec force hors des passions pour la conduire dans la vie où l’on fait le bien ; en sorte qu’elle dit alors à Dieu avec assurance : je vis comme vous voulez. » Il dit ailleurs que « le gnostique fait de son tombeau un temple au Seigneur ». Il ajoute, dans la suite : le gnostique « ne tombe d’aucune manière dans aucunes passions, il est déjà comme sans chair et ne se ressent plus de cette terre88. »


Il est évident que toutes ces expressions, loin de ne pas prouver ce que nous en voulons conclure, disent au contraire en rigueur beaucoup plus que nous ne voulons ; et que si on les prenait aussi rigoureusement que celles des mystiques modernes, il faudrait les condamner, pendant que les mystiques, beaucoup plus précautionnés que saint Clément dans leurs expressions, demeureraient absous.


Cependant, il faut remarquer que la gnose, qui est un si grand mystère, est, selon saint Clément, cette mort spirituelle dont les mystiques ont tant parlé, et que les savants s’imaginent que les dévots modernes ont inventée sur des expériences visionnaires. Ce qu’il résulte de cette impassibilité, c’est que l’âme, après avoir passé par l’abnégation sensitive du Bienheureux Jean de la Croix, qui est la pénitence active89, et après avoir passé aussi dans toutes les purifications passives, qui sont une espèce de purgatoire en cette vie, l’âme entre dans une union paisible avec Dieu, où le corps est soumis à l’esprit, quoique la concupiscence ne soit point déracinée et que l’âme demeure toujours libre pour pécher et pour déchoir de son état. C’est sans doute la conclusion la plus tempérée qu’on puisse tirer des termes de saint Clément et voilà à quoi les mystiques se bornent.


8. La gnose est la passiveté des mystiques



Nous avons déjà vu plusieurs choses de saint Clément qui marquent l’état passif90. Il dit que le gnostique est spirituel, c’est-à-dire mû par l’Esprit de Dieu ; il est fait une même chose avec cet Esprit. Cette unité avec l’Esprit est cette immobilité de l’âme dont parle Cassien, par laquelle s’accomplit ici-bas cette demande de Jésus-Christ à son Père : qu’ils soient un et qu’ils soient con­sommés dans l’unité ! C’est le mariage mystique, dont le Bienheu­reux Jean de la Croix et les autres parlent, qui fait que l’âme et Dieu ne sont qu’un même esprit, comme l’époux et l’épouse, dans les mariages sensibles, ne sont qu’une même chair. C’est dans ce mélange de l’âme avec Dieu qu’elle s’accoutume, comme dit notre auteur, à contempler la volonté par la volonté, et le Saint-Esprit par le Saint-Esprit, parce que « l’esprit sonde les profondeurs de Dieu, et que l’homme animal ne comprend point les choses de l’Esprit 91».


Les expressions de saint Clément, qui sont si étonnantes, marquent au moins un état où l’âme est mue et déterminée par l’Esprit de Dieu. Il dit que la gnose est inamissible, que le gnos­tique est contraint d’être bon : qui dit contraint, dit au moins une impulsion étrangère et efficace. Le bien qu’il fait, dit-il, il le fait par nécessité et non par choix. Mais remarquez comme il explique cette nécessité qui ne leur laisse aucune volonté propre ni aucun choix, qui le prévient et qui le détermine sans cesse, en sorte qu’il est dans l’état de sainte indifférence que certains mystiques ont appelé involonté propre. Voici son explication qui décide : c’est, dit ce Père, que « le gnostique se marie, boit et mange, si le Verbe le dit ». C’est donc l’inspiration continuelle du Verbe, qui ne lui laisse aucun mouvement propre, et qui le tient dans une nécessité, sans interruption, pour tout le détail de la vie. Tantôt il représente la gnose comme « une lumière qui s’unit à l’âme par une charité inséparable, qui porte Dieu et qui est portée par Lui ». Tantôt il assure que les « pensées de ces hommes vertueux se forment par l’inspiration divine, l’âme étant, en quelque manière, affectée et le vouloir divin étant répandu en elle92. » Peut-on rien voir de plus passif dans les auteurs mystiques qui ont écrit sur la passiveté ? Voilà sans doute un état où l’âme est agie.


Cet état où le Verbe parle et décide sans cesse n’est pas même interrompu pendant le sommeil. Voilà ce que plusieurs mystiques ont dit et ce qui leur a attiré la risée des savants, encore plus que des libertins, et que l’on trouve néanmoins dans un des plus anciens et des plus savants Pères de l’Église.


Il dit ailleurs que « comme le plus petit morceau de fer est attiré et mû par l’aimant, à travers plusieurs anneaux de fer, de même ceux qui sont attirés par le Saint Esprit habitent dans la première demeure93. » Ceux qui sont accoutumés à la valeur des termes, dans les écoles de théologie, savent combien une telle expression serait censurée dans un théologien particulier ; on ne manquerait pas de croire que cette comparaison de l’aimant, qui attire le fer, jointe aux autres expressions que nous avons rapportées, marquerait, non seulement un état passif, mais encore une extinction de toute liberté et une absolue inaction de la volonté de l’homme qui serait mue par l’Esprit de Dieu.


Il se sert encore d’une autre comparaison très forte, pour exprimer l’attrait divin et ce que les mystiques nomment l’entraînement de l’âme. L’homme divinisé, dit-il, jusqu’à l’apathie, n’ayant plus de souillure, devient unique. De même donc que ceux qui sont sur la mer jettent l’ancre qui les affermit, en sorte qu’ils sont attirés vers l’ancre et qu’ils ne l’attirent point à eux, de même ceux qui attirent Dieu par la vie gnostique ne s’aperçoivent pas qu’ils sont attirés eux-mêmes vers Dieu.


Qu’on en rabatte tout ce qu’il faudra pour sauver le dogme de la foi, il nous en restera encore assez pour établir, par de si fortes expressions de saint Clément, que l’âme du gnostique est dans une désappropriation d’elle-même par le pur amour sans intérêt ; et dans une si entière souplesse de volonté par ce détachement universel, que Dieu veut en elle, sans aucune résistance, tout ce qui lui plait.


C’est ce que les mystiques nomment passiveté. Il ne faut point disputer des termes, ni vouloir faire dire aux gens plus qu’ils ne prétendent ; je suis sûr de n’être désavoué par aucun des mystiques un peu éclairés. Encore une fois la passiveté de l’âme ne consiste que dans ce pur amour, qui fait une espèce d’involonté, pour tout ce que Dieu, par l’inspiration intérieure, ne fait pas vouloir ; et par une entière souplesse à toutes les volontés qu’Il imprime. Quand je parle d’inspiration intérieure, je ne veux point parler d’une inspiration prophétique et miraculeuse. Je ne parle ici que de cette inspiration commune et journalière, par laquelle il est de foi que l’esprit de grâce agit et parle sans cesse au-dedans de nous pour nous faire accomplir sa volonté. Plus l’âme est morte à elle-même, souple et attentive, plus la voix du Saint Esprit demande en nous l’accomplissement « de la volonté de Dieu bonne, agréable et parfaite94. » Voilà à quoi se réduit cette passiveté qui fait tant de peur à ceux qui ne la connaissent pas. On n’en connaît, on n’en soutient point d’autre ; c’est nier la perfection chrétienne que de la nier.


Saint Clément nous la montre dans le gnostique, qui ne fait en chaque moment que ce que le Verbe lui fait faire, par une espèce de contrainte, de violence et de nécessité, en sorte qu’il ne laisse jamais rien à son choix. Il dit ailleurs que son gnostique, « qui est un holocauste, est éclairé ou enlevé jusqu’à l’union qu’on ne peut discerner. » Ailleurs, il se sert de l’exemple de l’enthousiasme et de l’esprit sacré des poètes païens pour représenter l’inspiration prophétique de la gnose. Il ajoute ailleurs que « toutes choses sont données gnostiquement aux gnostiques. » II dit, en un autre endroit, qu’il parvient à la contemplation par une « efficace gnostique95. » Le mot de vertu efficace est lui seul très fort. Il ne faut pas douter que le terme de gnostique qui y est ajouté ne signifie quelque chose de considérable et de très mystérieux, dans un auteur qui donne la gnose pour un si profond mystère.


Il dit, au même endroit, que le gnostique a compris le psaume où il est écrit : Entourez Sion, environnez-la, racontez sur ses tours. Il assure que ceux qui reçoivent le Verbe d’une manière élevée seront comme de hautes tours et qu’ils seront affermis dans la foi et dans la gnose. Il exprime encore que la contemplation du gnostique est passive, quand il dit qu’il « contemple saintement le Dieu saint », et que, « la Sagesse qui l’assiste, Se considérant et Se contemplant elle-même sans relâche, il devient semblable à Dieu autant que cela est possible96. »


Vous voyez que le Verbe imprime continuellement à l’âme gnostique tout ce qu’il faut qu’elle connaisse ou qu’elle fasse et que l’âme ne fait que suivre par une espèce de nécessité cette impulsion efficace et continuelle, ne la prévenant jamais.


Vous voyez que l’âme et son action propre disparaissent, en quelque sorte, et que c’est Dieu qui se contemple Lui-même.


Voilà précisément l’état où Cassien assure que s’accomplit, dans l’âme du solitaire, la parole d’Isaïe par une unité consommée avec Dieu : Il sera toutes choses en toutes choses – et erit Deus omnia in omnibus – ; c’est-à-dire que Dieu, dans chaque action et en chaque moment, fait tout dans l’âme, et que l’âme ne fait plus d’autre usage de sa liberté que de ne résister point à Dieu et de se livrer, par un choix très libre et par conséquent très actif, à l’impulsion de la grâce97.


C’est ce que notre auteur appelle agir, penser, parler gnostiquement, et c’est ce que les mystiques appellent l’état passif.


9. La gnose est un état où l’âme n’a plus besoin des pratiques

de la piété ordinaire



Ce que les spirituels appellent pratiques doit être d’abord défini. Ils appellent pratiques certains exercices de vertu excitée et méthodique, très saints en eux-mêmes, qui auront été longtemps le soutien et la nourriture de l’âme lorsqu’elle avait un besoin continuel de règles précises et d’arrangements dans tous ses exercices. Ces pratiques, si essentielles en un temps, deviennent inutiles dans un autre plus avancé, où Dieu, se communiquant davantage à l’âme, la fait entrer par ces communications dans une voie plus simple et plus libre. C’est ainsi que tous les spirituels, même les plus opposés aux voies mystiques, s’assujettissent moins aux méthodes d’oraison, et à quelque autre règle des commençants, quand ils sont affermis dans une longue habitude de la vertu et de l’oraison. On ne peut pas douter qu’il n’y ait, dans les voies intérieures, le lait des enfants et le pain solide des forts98.


Quand même quelqu’un en voudrait douter, pour les pratiques, saint Clément l’en convaincrait. Le gnostique, suivant ce Père, « n’a plus de part avec les bons qui sont encore agités par des sentiments », avec les bons pathiques ; et ainsi, il n’a plus besoin des pratiques qui leur sont nécessaires : il est consommé par l’amour, et «  se nourrit perpétuellement d’une manière insatiable, de la joie de contemplation ». Il ne saurait donc, au milieu de cette joie que rien n’interrompt, rentrer dans les actes de tristesse, de componction, de crainte et de gémissement sur soi-même, qui sont essentiels au commun des fidèles. Ce n’est « ni pour le temps, ni pour le lieu qu’il a reçu la lumière inaccessible » ; il l’a reçue par « l’amour gnostique » qui donne la stabilité entière. « Il n’est plus dans le pèlerinage, à l’égard du Seigneur, quoiqu’il paraisse encore sur la terre. » Le voilà donc exempt des vicissitudes et des précautions du pèlerinage99.


Aussi voyons-nous saint Clément, appuyé sur ce principe, entrer dans le détail, pour montrer que le gnostique n’est point assujetti aux règles des autres fidèles. « Les autres, dit-il, prennent des heures marquées pour l’oraison, la troisième, la sixième ou la neuvième ; mais le gnostique fait oraison pendant toute sa vie, étant appliqué à y rester avec Dieu. Celui qui est en cet état laisse toutes les choses qui ne sont pas utiles, étant parvenu à la perfection de ce qui se fait par l’amour. » Ne voit-on pas que cette régularité, qui est d’ordinaire si utile et si sainte au simple fidèle pour les heures d’oraison, devient inutile au gnostique qui est entré dans la perfection et dans la liberté de l’esprit, en sorte qu’il n’a plus, dans son amour pur, d’autre règle que son amour même ? Alors il laisse toute cette régularité d’exercices actifs. Toutes ces choses ne sont plus utiles, le gnostique « étant parvenu à la perfection de ce qui se fait par l’amour100. »


La raison fondamentale de cette liberté, c’est que le gnostique a achevé la victoire sur ses passions, c’est-à-dire la vie purgative des mystiques, qui est nommée abnégation sensitive par le Bienheureux Jean de la Croix. Saint Clément dit qu’il a délivré son âme des passions. D’où il tire cette étonnante conclusion : « Comment cet homme aurait-il encore besoin de courage, n’étant plus dans les maux, n’étant plus présent, et étant tout entier avec Celui qu’il aime ? » Voilà évidemment l’homme passif, mort à lui-même, sorti de soi-même et passé en Dieu, selon le langage des mystiques tant contredit par les savants. « Quel besoin a-t-il de la tempérance ? ajoute saint Clément, il n’en a que faire. » Le voilà donc ce gnostique au-dessus des pratiques des plus excellentes vertus. Il ne lui permet pas même d’avoir besoin de vaincre la tentation : « La force, dit-il encore, n’est nécessaire qu’à cause de la crainte » ; et il ne veut pas que le gnostique soit encore sujet ni à la crainte, ni à la volupté. Sans doute, un tel homme est bien éloigné des retours continuels sur soi-même et des combats journaliers qui sont essentiels dans la voie de la vigilance et de la pénitence active des pécheurs convertis. Saint Clément ne veut pas même qu’il lui reste ni courage, ni force, ni tempérance, parce qu’en perdant, comme disent les mystiques, toutes ressources en lui-même, il doit tout retrouver en Dieu sans propriété.


Ce langage, qui serait scandaleux dans tout auteur moderne, est d’une merveilleuse autorité pour les mystiques, dans un Père du second siècle. Ne doit-on pas être étonné de lui entendre dire que le gnostique n’a plus besoin des vertus, parce qu’il n’y a plus en lui aucun mal à réprimer ? Voilà sans doute ce qu’on ne peut souffrir dans les mystiques, qui est de prendre les pratiques méthodiques des vertus pour les vertus mêmes, et de regarder les vertus comme imparfaites, parce qu’on les conçoit comme des pratiques d’un état où l’âme est encore à elle-même et n’est point consommée dans l’unité par la mort spirituelle.


C’est pourquoi nous lisons, dans notre auteur, une chose qui achève de confirmer tout ce que nous venons de dire : c’est que toutes les vertus de l’état actif, qui est l’état des simples fidèles, ont besoin d’être renouvelées et purifiées. Alors, dit-il, « tout ce qui est vertueux est changé en mieux, ayant pour cause de ce changement le choix de la gnose101. » Faut-il donc s’étonner si les mystiques qui ont eu besoin de distinguer les choses pour les mieux expliquer, ont donné le nom de vertus humaines et naturelles aux actions de forces, de courage et de tempérance, qu’on pratique dans la voie active ; et s’ils ont exclu ce terme, des actions qu’ils ont nommées surhumaines et divines, qu’on fait lorsqu’on a passé en Dieu par cette mort spirituelle et cette unité consommée, dont saint Clément parle ?


Il est vrai que saint Clément dit « qu’il arrivera peut-être que quelqu’un des gnostiques s’abstiendra de viande, de peur que la chair ne soit trop portée au plaisir ». Mais ces termes de « quelqu’un d’entre les gnostiques » et celui de « peut-être » marquent une pratique rare ; et il est évident qu’il s’agit là d’un gnostique qui n’est point encore parvenu, au travers des progrès mystiques, jusqu’à l’apathie où il n’y a plus ni vertus à exercer, ni tentations à vaincre.


Le même Père assure qu’il est permis « à celui qui a appris suffisamment les choses qui conduisent à la gnose, de demeurer ensuite dans la quiétude en se reposant102. » Quand je voudrais faire un passage, pourrais-je le faire plus formel pour lever toute équivoque, pour prévenir toutes les subtilités, et pour faire taire tous ceux qui osent parler sans expérience d’un don de Dieu ? Il n’y a plus de pratiques des vertus méthodiques à suivre, pour ce gnostique suffisamment instruit et purifié ; il ne lui reste plus qu’à demeurer uni à Dieu, dans le repos inaltérable d’une perpétuelle contemplation. Tout ceci est une suite du principe que saint Clément a posé d’abord, qui est que la purification et les pratiques sont pour les deux états précédents.


« Le Verbe, dit-il ailleurs, est le Maître qui instruit « le gnostique par les mystères, le fidèle par de bonnes espérances, et celui dont le cœur est encore dur, par une discipline capable de le corriger ». Le premier état est celui du pécheur pénitent, qui a encore besoin d’être frappé sensiblement, par la crainte des peines et par la discipline austère de l’Église. Le second est celui des chrétiens fervents, que les bonnes espérances des biens célestes excitent aux vertus. Le troisième est celui du gnostique que le Verbe, Maître intérieur, instruit des mystères, et qui n’a plus d’autre loi que celle de l’onction et de l’amour pur. Vouloir mettre dans l’état supérieur ce qui convient aux inférieurs, c’est renverser l’ordre ; c’est gêner l’Esprit de Dieu, c’est ignorer ces voies.


Je ne puis m’empêcher d’ajouter encore ici un autre endroit de saint Clément, où il dit que l’âme du gnostique, « entrant clans l’unique demeure du Seigneur qui est la Sainte Semaine, doit être, pour ainsi parler, dans une lumière stable et proprement permanente, qui ne peut, en quelque manière que ce soit, être sujette à aucun changement ». C’est dans le même endroit, un peu au-dessus, qu’il avait dit : « nous vivrons selon Dieu avec les dieux, étant délivrés de toute peine et de tout châtiment que nous souffrons de nos péchés pour une instruction salutaire. Après laquelle purification, les prix et les récompenses sont donnés aux parfaits, qui ont cessé de se purifier, et qui cessent alors de faire aucune autre fonction sainte dans les choses saintes. »


Il ne me reste plus qu’à rapporter encore là-dessus un passage de notre auteur. « Les apôtres, dit-il, ayant surmonté, par l’instruction gnostique du Seigneur, la colère, ils n’eurent plus en eux les suites des passions qui semblent avantageuses comme le zèle, la joie, la hardiesse ou courage, et l’ardeur. Par la constitution ferme de leur esprit, ils ne pouvaient plus éprouver aucun change­ment ; par l’habitude de l’exercice, ils demeurèrent toujours inaltérables, depuis la résurrection du Sauveur. Quoiqu’on regarde ces choses comme bonnes, on ne doit pas les admettre dans l’homme parfait, il n’a point de courage car il n’a point de quoi être coura­geux, car il ne se trouve point dans les choses fâcheuses103. »


Il faudrait se fermer les yeux tout exprès, pour ne pas voir qu’après cette entière purification du gnostique, il exclut non seulement les craintes et les peines du premier degré, qui est la pénitence, et l’éloignement des vices, mais encore toutes les pra­tiques des vertus actives, fondées sur une espérance intéressée du second degré. Il ne lui reste plus que son repos de la Sainte Semaine, sa contemplation, son amour libre, son union stable. II n’y a plus d’autres fonctions saintes, pour le gnostique, même dans les choses les plus saintes. La raison de cette liberté, c’est qu’il a achevé et cessé de se purifier.


10. La gnose parfaite exclut tout désir excité


Jusqu’ici la conformité entre la gnose de saint Clément et la

Jusqu’ici, la conformité entre la gnose de saint Clément et la voie des mystiques est entière. Cette conformité ne se dément en rien : tous les morceaux que nous trouvons épars çà et là, comme les débris d’un édifice, quand on les rassemble, composent aussitôt d’eux-mêmes une architecture parfaite. C’est, du premier coup d’œil, le système de l’état passif que l’on reconnaît sans qu’on n’ait besoin de rien ajouter.


Il n’y a dans toute l’étendue du système qu’une seule objection à faire, la voici : l’homme passif, dira-t-on, ne fait point d’acte, il ne demande ni ne désire rien ; tout au contraire, le gnostique de saint Clément fait des actes pour remercier Dieu, car il rend grâce de tout ce qui arrive ; et il forme plusieurs désirs et fait plusieurs demandes. Il a soin de son âme ; il craint d’être tenté et se prive de manger de la viande, pour éviter la tentation ; il demande la persévérance et l’accroissement de sa charité ; il demande pour lui-même la rémission de ses péchés, il la demande pour son prochain. Il fait encore plusieurs autres prières distinctes, qui sont incompatibles avec cet état de passiveté et d’inaction, que les mystiques décrivent. Le gnostique et l’homme passif ne sont donc pas entièrement la même chose.

Pour éclaircir cette difficulté, il ne faut que s’entendre les uns ales autres à bien prendre la voie passive. L’on y fait presque sanscesse des actes, mais en deux manières bien différentes : il y a les

Pour éclairer cette difficulté, il ne faut que s’entendre les uns les autres à bien prendre la voie passive. L’on y fait presque sans cesse des actes, mais en deux manières bien différentes : il y a des actes excités, que l’on fait faute d’être entièrement passif ; il y a ceux que l’on fait ensuite, non en s’excitant, mais en les recevant de Dieu d’une manière passive.


L’âme, disent tous les mystiques, n’est encore qu’imparfaitement passive jusqu’à ce qu’elle soit désappropriée d’elle-même et transformée en Dieu. Tandis qu’elle n’est encore qu’imparfaitement passive, quoiqu’elle ne l’aperçoive pas, elle s’excite aux actes ; et par conséquent il y a encore en elle quelque mélange d’actes passagers et excités quoique plus simples et moins aperçus.


Quand la passiveté est consommée par la transformation, il n’y a plus rien d’actif, c’est-à-dire rien de l’action propre et excitée ; il ne reste que l’usage de la liberté, pour laisser agir la grâce et pour vouloir tout ce que Dieu fait vouloir. Alors l’équilibre de l’âme, dont parle saint François de Sales104, est parfait, pour ne se donner à elle-même aucun penchant. Alors les actes et les désirs sont encore d’usage, mais d’une autre façon que dans la voie active : ce sont des actes faits passivement et des désirs imprimés. Ainsi, à proprement parler, l’âme n’est jamais sans désirs, quoiqu’elle ne l’aperçoive pas. Elle en a toujours, par un reste d’activité, jusqu’à ce que la passiveté soit consommée en elle ; alors tous les désirs excités sont éteints, elle ne s’excite plus, même pour les meilleures choses. On quitte toute fonction sainte, même dans les choses les plus saintes, comme l’assure notre auteur, parce que la fidélité de l’âme consiste à suivre sa grâce et l’attrait divin. En cet état, elle est morte à tous désirs propres pour ne plus vouloir que ce que Dieu veut en elle ; d’autres désirs plus purs renaissent dans son cœur : c’est Dieu qui les lui imprime, de moment à autre, comme il Lui plaît, sans que l’âme y mette autre chose qu’une non-résistance très simple et très libre à l’opération de Dieu en elle.


De là vient que les mystiques appellent les désirs actifs et excités, des désirs humains et vertueux ; au lieu qu’ils appellent les désirs reçus et imprimés passivement des désirs surnaturels et divins. Mais enfin, dans toutes les voies, on a presque toujours des désirs qui s’expriment, même par des actes et par des demandes.


Il ne reste plus maintenant qu’à examiner si l’on peut objecter, comme une chose incompatible avec un système, ce qu’il renferme formellement et essentiellement. Le système de la voie passive renferme essentiellement des désirs actifs, qui vont toujours diminuant jusqu’à ce que la passiveté soit consommée ; il renferme encore d’autres désirs passifs, après la consommation. On ne peut donc alléguer les désirs du gnostique, comme une preuve de différence entre lui et l’homme passif. Ce serait faire une objection absurde, faute de savoir le système que l’on veut combattre. Cela paraîtra encore plus par le détail des passages de saint Clément.


Nous avons vu, par plusieurs passages, que la gnose, de même que la voie passive, a plusieurs degrés. Nous avons vu que le gnostique tend à une gnose ultérieure. Et, au travers des progrès mystiques, il marque aussi le gnostique qui est arrivé au comble de la gnose. Enfin, nous voyons que, suivant ce Père, l’homme n’est point encore unique, exempt de toute souillure et divinisé, jusqu’à ce qu’il arrive à l’apathie qui est le comble de la gnose. Dès qu’on a posé les divers degrés de la gnose, aussi bien que de la voie passive, il est aisé de conclure que le gnostique, en certains degrés, est encore imparfait, et qu’il désire encore pour lui-même la rémission du péché, comme le marque saint Clément. Vous voyez même les degrés qu’il marque : premièrement, dit-il, il demande la rémission des péchés, ensuite de ne plus pécher, puis de pouvoir bien faire et de connaître les ouvrages et l’économie du Seigneur, afin qu’étant rendu pur de cœur par l’épignose105 qui vient du Fils de Dieu, il soit initié à l’heureuse vision de face à face. Il est donc manifeste que ce gnostique, quand il fait de telles demandes, n’est point encore arrivé à l’apathie inamissible, où il ne reste plus ni exercice des vertus, ni force, ni courage, ni maux à réprimer, ni purgation à faire : il n’est encore ni pur de cœur, ni arrivé par l’épignose, ni initié à l’heureuse vision de face à face, il n’est point encore dans l’habitude de l’apathie qui est selon saint Clément l’état de l’homme parfait, le comble de la gnose et de l’héritage.


En voilà assez, pour montrer évidemment aux gens de bonne foi que les désirs actifs du gnostique, qui est commençant, sont entièrement conformes avec ceux de l’homme passif qui n’est point encore consommé. C’est ainsi qu’il faut entendre les différentes demandes que saint Clément attribue aux gnostiques. Il demande la permanence des choses qu’il possède, l’aptitude pour celles qui doivent arriver et la perpétuité de celles qu’il recevra106 ; il demande aussi d’être dans la chair en gnostique et en homme qui n’a point de chair. Ces demandes sont sans doute du gnostique commençant, ou du moins qui n’est point encore unique, imperturbable, immobile, à la même disposition à l’égard des mêmes choses, parvenu à l’union stable, abandonnant toutes fonctions saintes même dans les choses les plus saintes et n’ayant plus dans cette union inaltérable que le repos de la sainte semaine. Au contraire, le gnostique, tandis qu’il n’est pas consommé dans la charité stable, est encore dans les jours pénibles et laborieux de la semaine ; et ce n’est qu’au dernier qu’il entrera dans le parfait repos.


Saint Clément dit encore ailleurs que « le gnostique demande le vrai bien de l’âme, coopérant ainsi lui-même pour arriver à l’habitude de la bonté, afin qu’il n’ait plus les biens comme des instructions proposées, mais qu’il soit bon ». Il est manifeste que ce gnostique coopérant dans ses demandes n’est encore ni bon par état, ni parvenu à l’habitude de la bonté qui est la parfaite gnose, et qu’il est encore pathique.


Il est vrai que ce Père dit encore que « le gnostique Coryphée demande que la contemplation croisse et soit permanente, comme le fidèle commun demande la santé du corps107. » La difficulté de ce passage roule sur le mot de Coryphée, qui signifie celui qui porte la parole pour les autres dans un chœur, ou celui qui excelle au-dessus des autres. Ainsi, il semble que saint Clément attribue des demandes pour sa propre perfection, au gnostique, après même qu’il est parvenu au degré plus sublime de la gnose. Voilà sans doute l’objection dans toute sa force ; et on ne peut pas se plaindre que je dissimule rien de tout ce qui peut le fortifier. II est aisé de voir que ce gnostique, quoiqu’il le nomme Coryphée, n’est point parvenu par la gnose jusqu’à l’habitude de l’amour pur, qu’il nomme inamissible. Ce gnostique n’est point encore en cet état où saint Clément assure que le gnostique ne désire plus rien, parce que rien ne lui manque alors pour ressembler au beau ; et il n’a plus aucun désir, n’ayant plus besoin de rien même pour l’âme. Voilà tous les désirs pour l’accroissement des biens spirituels formellement exclus.


Saint Clément ajoute qu’il est heureux à cause de l’abondance de ces biens, qu’il ne désire rien de ce qu’il n’a pas, étant content de ce qu’il a, car il ne manque point des biens qui lui sont propres, étant suffisant à lui-même, et, dans cette suffisance, n’ayant pas besoin d’autre chose. Ce même gnostique passe, dit notre auteur, des progrès mystiques jusqu’au lieu le plus éminent du repos, où il contemple Dieu face à face, avec connaissance et compréhension. « Il doit avoir surmonté l’obstacle de tout désir, pour ne plus voir la gnose de Dieu avec un miroir. » On ne saurait lire ces passages de bonne foi, et douter qu’ils n’excluent sans réserve tous désirs pour l’âme, c’est-à-dire pour l’accroissement de la perfection ou pour la persévérance.


Il faut donc que le gnostique nommé Coryphée par saint Clément ne soit pas dans le dernier degré qui est le lieu le plus éminent du repos. Celui qui demande l’accroissement de sa contemplation n’est pas encore heureux et suffisant à lui-même ; il n’a pas encore surmonté tous désirs pour contempler Dieu face à face, avec compréhension ; il lui manque quelque chose pour ressembler au beau ; il a encore quelque désir et quelque besoin pour son âme. Ce Coryphée n’est donc pas dans le dernier degré qui est le lieu le plus éminent du repos ; il lui reste encore quelques vertus à pratiquer, quelque œuvre sainte à faire. Ce Coryphée demande la persévérance, il n’est donc pas encore dans cet état de repos où il est forcé d’être bon, où il est l’être même de la bonté par une substance vive et permanente. En un mot, il n’est pas encore dans la permanence puisqu’il la demande ; ou s’il la demande y étant déjà, il faut que ce soit une demande sans actes formels et réfléchis, une demande de l’esprit qui prie sans cesse secrètement en nous et pour nous former en lui sans qu’il y réfléchisse.


Ce qui confirme ce sentiment est ce que nous voyons partout dans les livres de saint Clément. Le gnostique, selon lui, prie ; mais qu’est-ce que sa prière ? Elle consiste dans toute sa vie qui est un commerce familier avec Dieu ; son genre de prière est l’action de grâces, laquelle action n’est qu’une simple complaisance dans tout ce qui arrive. D’ailleurs, il faut observer que saint Clément, quand on l’examine de près, ne représente point la gnose comme le terme de la perfection, mais seulement comme la voie qui y conduit : le terme, c’est l’amour pur et permanent. Nous avons vu qu’il dit souvent que la gnose finit en la charité. Ailleurs il dit : il est donné à celui qui a la foi la gnose, et à la gnose la charité. Il semble mettre la charité pure et permanente autant au-dessus de la gnose que la gnose est au-dessus de la foi commune. On trouve souvent, dans ce Père, de semblables expressions. Et ainsi, le Coryphée de la gnose pourrait bien être au-dessous du gnostique divinisé et consommé dans l’amour pur et permanent. Le moins qu’on puisse faire pour n’imputer pas à un si grand docteur des contradictions extravagantes, c’est de peser ainsi chaque terme dont il s’est servi. D’autant plus qu’il parle si mystérieusement et qu’il assure que le lecteur ne le pourra jamais entendre, s’il n’est point gnostique.


Tout ce que je viens de marquer me paraît démonstratif pour prouver que le gnostique Coryphée de saint Clément ou n’est point encore divinisé et dans la consommation de l’amour pur et permanent, ou que ses demandes ne sont point des actes formels excités et réfléchis, tels qu’on les fait dans la voie active. Cela paraîtra encore plus clair lorsque nous verrons, dans la suite, ce que saint Clément dit pour montrer que, quand on entre dans le divin de l’amour, cet amour parfait n’est plus un désir, mais une union fixe.


Cependant je reconnais, avec le Bienheureux Jean de la Croix, que l’homme passif et transformé peut avoir des désirs, pour voir croître et continuer sa contemplation. Remarquez qu’il y a une extrême différence entre désirer l’accroissement de la contemplation et la persévérance finale par la recherche intéressée de sa perfection et de son salut, et désirer l’accroissement et la durée de la contemplation par l’amour pur et désintéressé des vérités divines que cette contemplation découvre. Le second désir convient au gnostique divinisé ; et le premier ne peut point lui convenir, puisqu’il n’est point gnostique, comme dit saint Clément, pour vouloir être sauvé. L’amour pur de la contemplation des vérités divines est aussi loin de la demande de la persévérance pour sa sûreté propre, que le ciel est au-dessus de la terre. Quand j’entends parler saint Clément des désirs du gnostique pour pénétrer les vérités et les mystères de Dieu, loin d’être embarrassé de cette objection, je suis consolé de voir la conformité de ce Père avec les plus grands saints d’entre les mystiques modernes.


Je m’imagine entendre le Bienheureux Jean de la Croix qui dit que, l’âme étant déifiée, l’épouse et l’époux ne font plus qu’un même esprit selon la loi des noces spirituelles ; que l’épouse désappropriée d’elle-même forme alors des désirs, sans mêler aucun propriété dans ces désirs, qu’elle reçoit de Dieu ; et qu’usant de ces droits sur l’esprit de l’époux, elle veut que tout soit commun entre eux, pour jouir de tous les trésors de la sagesse divine. L’amour de l’épouse veut tout avoir et l’amour de l’époux ne lui saurait rien refuser. Aussi voyons-nous, dans saint Clément, que de tels désirs sont toujours efficaces : « Dieu, dit-il, accorde les demandes de ceux qui n’ont pas toujours cru fermement et qui se sont repentis de leurs péchés ; mais, pour ceux qui vivent sans péché et gnostiquement, Dieu leur accorde lorsqu’ils ne font plus que penser. »


Il dit, en un autre endroit, que si « le gnostique pense seulement et invoque le Père par des gémissements inénarrables, il est auprès de Lui dès qu’il parle. » Dieu, dit-il encore, « n’attend point la voix du gnostique dans la prière, Lui qui a dit : demandez et je ferai, pensez et je donnerai. » Ailleurs, il dit : « Au seul gnostique est accordé ce qu’il demande, selon la volonté de Dieu, soit qu’il demande, soit qu’il ne fasse que penser108. » Il ne demande pas, dit-il ailleurs, mais « il exige » du Seigneur. Cette expression marque l’autorité de l’épouse sur l’époux, après la communication de l’unité spirituelle.


Une chose qui marque combien le gnostique est incapable de faire des actes réglés pour désirer les vertus, c’est que saint Clément dit que le gnostique ne doit point savoir qui il est, ni ce qu’il fait. Par exemple, « celui qui fait miséricorde ne doit point savoir qu’il est miséricordieux109» ; quelquefois il aura ce sentiment de miséricorde et quelquefois il ne l’aura pas. Vous voyez qu’il n’a rien de réglé, ni de sûr, et qu’il est tel que Dieu le fait être, dans chaque moment.


Voulez-vous savoir encore de saint Clément comment son gnostique fait des demandes ? Il est dans une entière indifférence par lui-même, pour les choses que l’esprit intérieur lui fait demander, étant, préférablement à tout, aussi prêt de n’obtenir pas ce qu’il demande que d’avoir ce qu’il ne demande pas. Toute sa vie et son commerce avec Dieu sont pour lui une prière. Vous voyez que son repos même en Dieu est pour lui une demande éminente de tout ce qu’il ne demande point par des actes formels.


Voulez-vous savoir encore comment le gnostique prie ? Nous l’avons déjà dit, et je le répète, n’attendez pas des actes variés. Son genre de prière est « l’action de grâce pour le passé, le présent et le futur comme déjà présent par la foi. » Mais cette action de grâces, comment se fait-elle ? Cette apparente multitude d’actes se réduit à se « complaire simplement dans tout ce qui arrive110. » Ainsi ce qui est exprimé, d’une manière active et multipliée, se réduit à une disposition simple et passive.


Mais rien ne nous montrera davantage la véritable pensée de saint Clément qu’une objection qu’il se fait à lui-même : « Toute union, dit-il, avec les choses belles et excellentes se fait par le désir ; comment donc peut demeurer dans l’apathie celui qui désire ce qui est beau ? » Voici sa réponse : « Ceux qui parlent ainsi ne connaissent pas ce qu’il y a de divin dans l’amour ; car l’amour n’est plus le désir de celui qui aime, mais une ferme conjonction qui établit le gnostique dans l’unité de foi. Il n’a plus besoin ni de temps, ni de lieu. Celui qui est ainsi par l’amour dans les choses où il doit être, ayant reçu son espérance par la gnose, ne souhaite plus rien, puisqu’il a autant qu’il est possible ce qui est désirable111. »


Pour donner le dernier degré d’évidence à notre matière, nous n’avons plus qu’à examiner, de suite et en détail, les trois genres auxquels tous les désirs de l’homme se réduisent. Il ne peut désirer que les choses sensibles et passagères, ou les biens invisibles et éternels, ou enfin sa persévérance et son accroissement dans la charité. Il est évident que le parfait gnostique ne peut plus désirer aucuns biens sensibles et passagers, puisqu’il est dans l’apathie qui est l’extinction de tout désir sensible ; et qu’il est distinct des fidèles simplement vertueux, que saint Clément appelle les bons pathiques. Ce Père dit même en termes formels « que le gnostique ne désire aucune des choses nécessaires à la vie, persuadé que Dieu qui connaît tout donne aux bons ce qui leur convient sans qu’ils le demandent112. » Le gnostique ne demande donc point, pour lui-même, avec l’Église, la santé, les fruits de la terre et les autres propriétés, parce que Dieu donne sans qu’on Lui demande. Et cette maxime générale tombe sur toutes choses sans restriction, car toutes choses sont données gnostiquement au gnostique. Secondement, il ne peut désirer les biens invisibles et éternels puisque nous avons vu que l’amour gnostique est si pur qu’il ne peut admettre aucun désir de récompense, et qu’en choisissant la gnose, il ne veut point être sauvé. Il ne reste donc plus que la persévérance et l’accroissement dans l’amour qu’on puisse faire désirer au gnostique. Mais, outre que le désir de la persévérance est exclu par l’exclusion formelle de tous désirs pour le salut, d’ailleurs ce désir de salut trompe beaucoup de personnes sans expérience : ils s’imaginent que, plus on aime Dieu, plus on craint de ne L’aimer pas toujours et qu’on désire de plus en plus que cet amour augmente. Ces personnes jugent absolument de tout amour par le leur, qui est très imparfait. Comme elles sont encore dans une voie multipliée d’actes fervents, excités et réfléchis, elles sont sans cesse occupées de leur amour, encore plus que du Bien-aimé ; au lieu que l’âme qui aime avec une pureté et une simplicité entières, regarde, comme dit saint François de Sales113, non son amour, mais son Bien-aimé. Aussi voyons-nous que saint Clément parle dès le second siècle comme saint François de Sales a parlé dans le nôtre : ceux qui raisonnent ainsi, dit-il, ne connaissent point ce qu’il y a de divin dans l’amour. Vous voyez que ces personnes qui n’ont qu’un amour fervent et excité, ignorent les voies du pur amour, qui est une opération toute divine dans l’âme gnostique ou passive. Cette âme est trop simple et trop aimante, pour prévenir, au-delà du moment présent, si elle aimera plus ou moins dans la suite. Bien loin de prévenir l’avenir, elle n’aperçoit pas même le présent. Non seulement elle aime sans songer si elle aimera toujours, mais elle aime sans penser si elle aime actuellement.


Nous en portons un exemple bien sensible et bien continuel au-dedans de nous-mêmes : nous n’examinons point si nous aimerons toujours, ni si nous aimons actuellement une personne, pour qui nous avons la plus tendre et la plus forte amitié. Tout de même, l’âme gnostique ou passive, en aimant, ne songe qu’à aimer ; ou plutôt, elle aime, sans penser si elle aime, par un amour direct dont elle suit sans réflexion l’attrait tout-puissant. Et le moindre examen de son amour lui paraîtrait une distraction. Comme elle aime sans réfléchir sur son amour, elle aime aussi sans désirer d’aimer. De là vient cette grande et décisive parole de saint Clément, car « l’amour, dit-il, n’est plus le désir de celui qui aime, mais une ferme conjonction » qui établit le gnostique dans l’unité de la foi. Il y a seulement une pente directe de tout le fond de l’âme à contempler sans cesse et de plus en plus le Bien-aimé. Mais cette pente n’est ni un désir formel ou actif, ni une demande distincte, à moins que l’époux ne l’imprime dans le cœur de l’épouse où il fait tout ce qui lui plaît. Ce gnostique n’a plus besoin ni de temps, ni de lieu. Celui qui est ainsi « par l’amour dans les choses où il doit être, ayant reçu son espérance par la gnose, ne souhaite plus rien puisqu’il a autant qu’il est possible ce qui est désirable. »


Vous voyez que saint Clément, après avoir exclu tous les désirs sensibles par l’apathie, et tous ceux des récompenses éternelles par l’amour gnostique, qui est tout désintéressé, finit par exclure encore, de la parfaite gnose, cet amour inquiet qui craint de n’aimer pas toujours, et qui désire d’aimer de plus en plus. « L’amour, dit-il, n’est plus le désir de celui qui aime ; c’est une ferme conjonction du gnostique dans l’unité de la foi ; il a reçu son espérance par la gnose », c’est-à-dire que sa pure charité absorbe son espérance et contient éminemment tout ce qu’elle avait de meilleur ; « il ne désire plus rien parce qu’il a ce qui est désirable. » En juger autrement, c’est « ne pas connaître, dit saint Clément, ce qu’il y a de divin dans l’amour114. »


Après cet éclaircissement, fait avec tant d’exactitude, je ne crois pas qu’on puisse douter que saint Clément n’ait exclu tout désir actif et excité, de son parfait gnostique. Quand même il ne l’aurait pas dit en termes formels, comme j’ai montré qu’il l’a fait, son système entier le montrerait. Évidemment, pour lui, nous avons vu que ce Père assure que le Verbe fait en chaque moment dans l’âme gnostique, par la parole intérieure, toutes les choses les plus communes et les plus indifférentes de la vie : le gnostique se marie, se promène, boit, mange, se repose, si le Verbe le dit. A plus forte raison, ne fera-t-il point les actes intérieurs les plus importants, si le Verbe ne le dit par son inspiration intérieure. Obéir à cette parole, c’est ce qu’on appelle agir passivement.


Au reste, il faut observer que Prodicus, et les autres faux gnostiques, ayant abusé des principes de la gnose, comme nous l’avons vu, jusqu’à l’excès horrible de rejeter toute prière, tout culte et tout recours à la divinité, saint Clément entreprit de justifier la véritable gnose, que la fausse avait rendu odieuse. Son but, comme il le dit lui-même, est de montrer, dans les Stromates, que le gnostique n’est ni impie, ni athée ; et qu’au contraire il est le seul qui honore Dieu parfaitement. Le moins qu’il pouvait faire, dans ce dessein, était de dire ce qui est véritable, à la lettre, qui est que le gnostique, ou fidèle passif, forme des désirs et des demandes conformément aux divers états où il se trouve, c’est-à-dire activement, tandis qu’il lui reste encore quelque activité ; et enfin passivement, après qu’il est entièrement sorti de l’état qu’on appelle actif.


Ce qui est remarquable, c’est ce que saint Clément a cru nécessaire de nous avertir que « le gnostique ne laisse pas de prier avec ceux qui sont nouveaux dans la foi et que sa vie est une fête115 ». Après nous avoir montré la prodigieuse disproportion entre l’intérieur du gnostique et celui du simple fidèle, il avait besoin de nous faire entendre que ces deux hommes ne laissent pas de vivre, dans une société extérieure de religion, et même dans une communion réelle et intérieure de prière. En effet, l’Église, toujours mue par le Saint-Esprit, ne forme aucune demande, non plus que le gnostique, qui ne soit selon Dieu et inspirée par Lui. Ces demandes sont toujours efficaces pour quelques-uns ; si les uns n’en profitent pas à cause de leur indisposition, d’autres, mieux disposés, en reçoivent l’effet.


Ainsi le gnostique, que l’esprit intérieur mène, est toujours uni à l’Église, pour les demandes générales que l’esprit de grâce lui met dans la bouche. Et quoique cet homme divin n’ait plus ni règles, ni pratiques, ni exercices, ni demandes à faire pour lui, il ne laisse pas d’aller aux assemblées et de s’y accommoder même à ceux qui sont plus nouveaux dans la foi. Vous voyez que saint Clément va au-devant de toutes les difficultés qu’on fait contre l’état passif ; et qu’il entre dans un détail précis, comme s’il écrivait de notre temps.


11. Le gnostique est déifié


Quand on entend dire aux mystiques qu’après les épreuves et la mort intérieure, l’âme est transformée, en sorte qu’elle est déiforme, cet état divinisé ou déifié paraît une chimère à tous les docteurs spéculatifs. Ce n’est pourtant pas une invention moderne : saint Clément, Cassien et saint Denys ne nous permettent pas de le croire. « Celui, dit saint Clément, qui obéit au Seigneur, qui suit l’inspiration et la prophétie donnée par Lui, devient parfaitement, selon l’image du Maître, un Dieu conversant dans la chair ». « Le gnostique, dit-il ailleurs, est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu116. » La traduction latine dit : Deo afflat et afflatur ; quand il parle de prophétie, il entend celle du gnostique, qu’il représente comme prophète, ainsi qu’il paraîtra dans la suite.


« Celui, dit-il encore ailleurs, qui abandonne sa vie, à la vérité devient en quelque manière Dieu, d’homme qu’il était ». « Le Verbe, dit-il ailleurs, scelle dans le gnostique une parfaite contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine, semblable, autant qu’il est possible, à la seconde cause et à la véritable vie par laquelle nous vivons véritablement ». Ces passages sont si formels, et les expressions en sont si étonnantes qu’ils n’ont besoin d’aucun commentaire pour en sentir la force. On n’a qu’à se représenter toujours combien on serait scandalisé d’un mystique de notre temps qui oserait parler ainsi. Le même Père dit encore qu’il y a une espèce d’égalité entre Dieu et l’âme du gnostique en sorte que, « comme Dieu prédestine l’âme, l’âme prédestine réciproquement Dieu, c’est-à-dire que, comme Dieu a élu cette âme par un choix éternel, de même, à son tour, cette âme a choisi Dieu117 » et Le préfère à tout par un choix immuable.


Voulez-vous savoir comment la créature peut être ainsi divinisée ? C’est, dit saint Clément, que « l’esprit pur et délivré du mal devient capable de recevoir la puissance divine, l’image de Dieu se formant en lui ». Remarquez que ce Père parle précisément comme les mystiques. Dieu cherche tellement à se communiquer à l’âme et à n’être qu’un même esprit avec elle, qu’Il la rend déiforme, dès le moment qu’elle est purifiée. La voie de la pure foi et de la mort entière à tout amour propre est celle qui nous communique, sans danger d’illusion, cette sagesse et cette puissance qui divinisent l’âme. Le même Père dit encore que l’âme étant dans cette excellence, « l’homme devient déiforme et semblable à Dieu ; et Dieu devient aussi semblable à l’homme» ou homiforme, s’il est permis de parler ainsi118.


Ce n’est pas même assez que d’avoir démontré combien ce Père les surpasse tous dans ce qui scandalise le plus les docteurs. Il faut observer encore que ces expressions, si outrées et si fréquentes, ne sont point des exagérations, mises au hasard, mais des expressions choisies, pour composer un système régulier et suivi, qui est précisément, dans toutes ses parties, celui des mystiques. Saint Clément ayant établi que l’âme devient un même esprit avec Dieu dans la gnose, remarquez que cette union est bien différente de celle qui se fait d’un homme avec une créature mortelle : qui adhaeret meretrici unum corpus efficitur119. Il dit qu’il arrive tout au contraire dans le gnostique que « son corps même devient spirituel. » Le commun des théologiens est bien persuadé qu’après la résurrection, les corps glorieux des justes deviendront en quelque sorte spirituels : surget corpus spirituale. Mais où sont les théologiens qui permettent de dire que le corps spirituel soit formé dès cette vie ?


Saint Clément ajoute qu’en cet état « le gnostique reçoit, avec l’apathie, la parfaite adoption et qu’il est fils ». Il dit encore ailleurs : « L’homme divinisé jusqu’à l’apathie, n’ayant plus de souillure devient, unique120. » Vous voyez que l’homme étant ainsi passé de l’état vertueux et actif, où il combattait contre lui-même et contre les tentations, en cet état divin où il n’a plus aucune résistance dans son propre fonds, il devient unique ; c’est-à-dire, qu’étant auparavant composé de deux natures, dont l’une était charnelle et animale et l’autre spirituelle, alors tout se réunit à l’esprit ; et la chair même, purifiée, entre dans les inclinations de l’esprit divinisé. L’homme, n’ayant plus de vertus à pratiquer parce qu’il n’a plus rien à vaincre en lui, se repose dans un amour simple, unique et tranquille du Bien-aimé.


On ne saurait réduire ces expressions à une doctrine plus modérée que celle des mystiques, qui veulent qu’après les épreuves de la purification passive, il y ait, dans l’état de transformation, non pas une extinction entière, mais une simple suspension de la concupiscence. La chair ne s’est révoltée contre l’esprit qu’à cause que l’esprit, s’aimant lui-même, rapportait les créatures à soi. Ainsi, quand l’esprit cesse de s’aimer et de se chercher dans l’usage des créatures, Dieu rappelle l’ancienne subordination. L’esprit uni à Dieu commande sans peine à la chair ; et ce qui était d’abord un état naturel à l’homme innocent, dans le paradis terrestre, n’est qu’une grâce journalière dans l’homme réparé. La distinction de ces deux états dont l’un est vertueux et encore pénible, l’autre tranquille et divin, est très remarquable. C’est pourquoi, quand saint Clément parle du dernier degré de la gnose, il en exclut toutes les vertus et veut que le gnostique consomme sa perfection seulement dans ce qui est divin.



12. Le gnostique voit Dieu face à face et est rassasié.



Nous avons vu que le gnostique, étant purifié par l’épignose qui vient du Fils de Dieu, doit être initié à l’heureuse vision de face à face. Le même Père dit, ailleurs, que la gnose fait passer l’homme à travers les progrès mystiques jusque dans le lieu le plus éminent du repos, en apprenant à contempler Dieu face à face avec connaissance et compréhension. La perfection de l’âme gnostique, continue-t-il, consiste à être avec le Seigneur, ayant outre-passé toute purification et toute œuvre ; c’est ce qui lui fait dire que son gnostique doit avoir surmonté l’obstacle de tous désirs, pour ne plus voir la gnose de Dieu avec un miroir. La conséquence de cette doctrine est que l’âme, voyant Dieu face à face, est rassasiée. De là vient ce que nous avons déjà vu tant de fois, que l’homme ne souhaite plus de ressembler aux bons ni aux bonnes choses, ayant, par l’amour, l’être même de la beauté. De là vient encore qu’il rapporte le sentiment des philosophes pour montrer que, « quiconque n’est encore que vertueux ne jouit ni du bonheur, ni de la perfection. Car le sage qui souffre, qui tombe dans plusieurs accidents contraires à la volonté, et qui, pour en être délivré, voudrait sortir de la vie, n’est point heureux121


Voilà manifestement un état, que l’on croit communément d’une sublime perfection, et qui est imparfait, selon saint Clément, en comparaison de celui du gnostique. Je veux dire l’état du fidèle, qui soupire après la mort, pour fuir les dangers et les imperfections de la vie. Quand on a parlé dans ces derniers temps d’un état plus avancé où l’âme est indifférente, les docteurs spéculatifs l’ont regardé comme une illusion et une nouveauté dangereuse.


Saint Clément ne s’arrête point là : « Le gnostique, dit-il, ne désire rien de ce qu’il n’a pas, étant content de ce qu’il a ; car il ne manque point des biens qui lui sont propres, étant suffisant à lui-même par la divine grâce et, par la gnose, étant dans cette suffisance et n’ayant pas besoin des autres choses ; ayant et priant tout ensemble, il est uni à l’esprit ». Il parle encore ainsi ailleurs : « il ne désire rien, car rien ne lui manque pour ressembler au beau et air bon ; il n’aime personne d’une amitié commune, mais il aime le Créateur dans les créatures ; il n’a besoin de rien pour l’âme122. » Remarquez en passant cette exclusion de tous désirs : elle est absolue et sans réserve, même pour les biens spirituels et pour la perfection. Étant par l’amour avec son Bien-aimé, avec qui il demeure familièrement, il est heureux à cause de l’abondance de ces biens. La raison pour laquelle tout désir est exclu d’un amour si parfait, c’est, comme nous avons déjà vu clans le même Père, que quand on entre dans ce qu’il y a de divin dans l’amour, alors l’amour n’est plus un désir dans celui qui aime : c’est une « ferme conjonction » qui établit le gnostique dans l’unité de foi. Ceux qui s’imaginent qu’aimer, c’est désirer le beau, ne connaissent point le divin de l’amour. Le gnostique n’a plus besoin ni de temps ni de lieu ; ayant reçu son espérance par la gnose, il ne souhaite plus rien ; possédant, autant qu’il est possible, tout ce qui est désirable. Voilà ce qui fait que l’âme n’a plus qu’à se reposer en Dieu, selon le même Père, dans le sabbat mystique, qui est la fin de la semaine. Voilà ce qui fait qu’il quitte toutes les choses devenues inutiles pour lui-même, les fonctions les plus saintes et dans les choses les plus saintes. En un mot, voilà ce rassasiement, et cette béatitude commencée, dont les mystiques ont tant parlé. C’est ce qui résulte de la vision que saint Clément appelle face à face, et que les mystiques ont appelée union immédiate ou essentielle.


Il est bon de remarquer que les mystiques ont parlé moins hardiment que ce Père. Ils n’ont parlé ni de vision face à face, ni de compréhension, ni d’un état de béatitude et de possession où l’on n’est plus dans le pèlerinage. Tous ces termes, si propres à effaroucher les théologiens, et dont saint Clément est rempli, ne se trouvent point dans les spirituels modernes. Il est vrai qu’ils parlent de béatitude commencée ; mais ce langage est apostolique. Nous sommes, selon saint Jacques, un « commencement de la nouvelle créature123 » ; nous avons, selon saint Paul, « les prémices de l’Esprit » ; ce même apôtre dit que « la gloire de Dieu doit être révélée en nous124 » ; il représente cette gloire comme étant déjà formée et cachée dans notre fond ; il ne faudra que lever le voile pour la faire éclater.


Il est vrai que les mystiques parlent d’une union essentielle et immédiate. Ils la nomment essentielle, seulement pour la distinguer des unions passagères qui se font par les actes réfléchis et interrompus des puissances, ce qui ne fait point une union aussi intime et aussi permanente. Mais ils n’ont jamais songé à prétendre qu’elle fût essentiellement la même que celle des saints dans le ciel. Il n’y a que des gens sans lecture et sans expérience sur cette matière, qui puissent leur imputer ce sentiment. Ils la nomment union immédiate pour marquer que l’âme ne tient plus à Dieu par aucun de ces dons distingués de Lui et de son pur amour, ni par aucun moyen, ni par aucune pratique extérieure et méthodique. Cette union, qu’ils nomment immédiate, n’empêche point la médiation de Jésus-Christ ; car l’union, quoique immédiate, ne se fait que passivement, par l’opération plus efficace que jamais du Médiateur. Cette union immédiate n’empêche pas que le voile de la foi ne couvre l’objet ; car il y a une grande différence entre tenir immédiatement à Dieu par la pure volonté, ou voir Dieu immédiatement Lui-même dans son essence, sans aucun voile. Les mystiques croient le premier, et déclarent sans cesse qu’ils aimeraient mieux mourir que de croire le second. Ainsi on ne peut leur imputer les erreurs des Bégards condamnés dans le Concile de Vienne, qu’en ignorant, avec un excès inexcusable, leur doctrine et leur langage.


Si on demande en quoi consiste ce fond intime de l’âme unie à Dieu, je réponds que c’est une manière de parler. En rigueur de philosophie, une substance spirituelle n’a ni fond ni superficie. Mais cette allégorie n’est point particulière aux mystiques ; elle est également répandue dans le langage de tous les hommes. Les docteurs les plus opposés aux mystiques diront tous les jours, quand ils parleront naturellement : la pénitence suivie de rechute n’était que superficielle ; la contrition qui opère une conversion stable est plus profonde ; l’amour qu’on doit à Dieu doit être dans le plus intime du coeur et dans le fond de l’âme. S’il y a de la difficulté à expliquer philosophiquement ces expressions si vulgaires et si naturelles, cette difficulté, qui est de pure philosophie, est commune à tous les docteurs, autant à celui qui la fait qu’à celui contre qui elle est faite. L’embarras même qu’on trouve à expliquer le mot de « philosophique » n’empêche point que ces allégories ne renferment un sens réel et indubitable. Quand on dispute pour décider en quoi consiste la substance d’un corps, il est certain, par avance, indépendamment de la dispute, que ce corps est une substance. Quand les mystiques se sont servis d’une mauvaise philosophie, pour expliquer leur expérience, ils n’ont pas prétendu rendre leur expérience dépendante de ces explications ; ils ont déclaré, au contraire, que tous leurs termes expliquaient trop imparfaitement ce qui est ineffable et incompréhensible. Ce serait tomber dans le défaut qu’on leur reproche que de vouloir faire dépendre le sublime mystère de la grâce, et l’opération divine dans les âmes plus parfaites, des différents systèmes des philosophes. Ce grand secret de Dieu, que la théologie même ne peut démêler, n’est point du ressort de la philosophie. Celle qui est la plus vraisemblable n’a pas plus de droit que la plus fausse de décider là-dessus.


Que si on me presse de dire, en philosophe, mes conjectures, j’avouerais que je ne vois nulle distinction réelle entre l’âme et ses trois puissances. Je ne suis pas même persuadé que le fond de la substance de l’âme soit autre chose que penser et vouloir. Dès que j’ôte penser et vouloir, je ne conçois plus rien qui reste. Une union, qui se fait par contemplation amoureuse ne peut se faire que par pensée et volonté. L’opération que j’appelle superficielle en l’âme, c’est une opération excitée et réfléchie ; qui dit excitation réitérée, dit des efforts passagers pour sortir de son état naturel et ordinaire, pour entrer dans un autre où l’on ne sera point fixé. Ce que j’appelle le fond de l’âme, c’est un état que la nature ou l’habitude lui a donné ; c’est une opération uniforme, qui n’a plus besoin d’être excitée et qui se fait toujours sans réflexion.


En veut-on un exemple ?... Je donne celui d’un homme, autant livré par l’habitude que par la nature à son amour-propre. Il s’aime toujours, sans actes formels ni réfléchis ; il ne craint point de ne s’aimer pas ; il ne s’excite point à s’aimer ; il ne songe point s’il s’aimera toujours ; il ne désire point de s’aimer encore davantage ; il n’examine pas s’il s’aime actuellement ; il s’aime trop pour l’examiner. Il s’aime, et ne fait que s’aimer ; il n’aime que soi, dans tout ce qu’il semble aimer ailleurs ; il n’est tout entier, en toutes choses, qu’amour de soi-même ; il ne se met jamais dans cet amour, mais il s’y trouve toujours actuellement, foncièrement et invariablement établi, toutes les fois qu’il veut s’observer. Il ne pense pas toujours à soi-même, d’une manière excitée, développée et réfléchie ; c’est au contraire une opération simple, directe et continuelle. Les pensées et les affaires qui l’occupent sont des distractions, si on les considère par rapport aux actes excités et réfléchis ; puisque, dans ce temps-là, il cesse de penser formellement et distinctement à lui-même. Mais, si vous regardez dans les affaires et dans les amusements journaliers, quelle est sa fin unique, directement connue et voulue sans relâche, vous trouverez qu’il s’est regardé et aimé, uniquement, sans interruption, dans tous les moments de la vie. Ces distractions n’ont donc rien de volontaires elles ne sont distractions que par rapport aux pensées réfléchies, qui sont les moindres ; elles n’interrompent jamais l’attention simple et intime, ni l’amour direct qui ne consiste point dans des actes réfléchis. Ces apparentes distractions ne peuvent distraire l’âme : au contraire, elles sont la pratique de l’attention unique de l’âme à elle-même, car elle rapporte tout à son intérêt et à son plaisir, dans les affaires et dans les amusements.


Changez seulement les noms et dites du gnostique, ou de l’homme passif, touchant l’amour de Dieu, tout ce que je viens de dire de l’homme livré à son amour-propre. Vous n’aurez plus de peine à entendre cette union substantielle, immédiate et permanente, où les formalités des actes excités et réfléchis, ni les pratiques méthodiques ne sont plus d’usage. Souvenez-vous seulement de croire que rien n’est impossible à Dieu ; et qu’Il ne peut pas moins, par sa grâce, que la nature, par sa corruption.



13. Le gnostique a le don de prophétie



Il est temps de considérer quelle est la science du gnostique. Cette science n’est point naturelle et philosophique : « La contemplation, dit saint Clément, qui n’est encore que philosophique, souhaite la science divine ». Il paraît, par ces paroles, que le philosophe peut devenir gnostique ; mais que la gnose est au-dessus de toute philosophie. Nous avons vu, d’ailleurs, que le simple fidèle, l’artisan et le laboureur exercent dans leur travail la contemplation gnostique. Ce qui est à remarquer, c’est qu’il prend soin d’avertir que les femmes n’en sont pas exclues : « Pour cette perfection, dit-il, l’homme et la femme en sont également capables125. »


Il ne faut point demander comment est-ce que cette science gnostique peut s’acquérir. Cassien dit que c’est par l’appauvrissement de l’esprit qu’on parvient à l’oraison sublime et à tous les dons d’intelligence. De même, saint Clément assure que « l’esprit pur et délivré du mal devient capable de recevoir la puissance divine, l’image de Dieu se formant en lui ». Voici encore comment il parle : « L’Esprit de Dieu est un flambeau qui pénètre le plus profond des cœurs. Plus un homme accomplissant la justice devient gnostique, plus l’esprit illuminant lui est communiqué126 » : c’est-à-dire que, plus un homme est dans le pur amour et dans la mort à lui-même, au milieu d’une simple et obscure foi, plus Dieu se communique à lui. Il ne faut donc s’imaginer, dans le gnostique, ni extase, ni vision. Il suffit qu’il soit purifié. Dieu ne cherche qu’à se communiquer aux âmes purifiées en leur mettant simplement au cœur, pour chaque moment, tout ce qu’il Lui plaît. Après que cela est passé, il ne leur en reste aucune trace de lumière. Il les tire de l’obscurité de la pure foi ; c’est une sublimité toujours momentanée, et comme par prêt, avec une dépendance et une impuissance, une petitesse et une désappropriation incroyables.


« Le gnostique, dit saint Clément, comprend ce qui paraît incompréhensible aux autres, persuadé que rien n’est incompréhensible au Fils de Dieu et par conséquent que tout peut être enseigné, car Celui qui a souffert pour nous n’a rien omis pour l’instruction de la gnose127. » Remarquez qu’il suppose que l’âme gnostique est l’épouse du pur amour à laquelle l’ Époux ne peut rien refuser, ni cacher ses plus incompréhensibles mystères, comme saint Jean de la Croix nous l’assure128.


Il parle encore ici : « Nous osons le dire, celui qui a la foi gnostique sait tout, comprend tout. Et quand il est véritablement gnostique, tels qu’ont été Jacques, Pierre, Jean, Paul et les autres apôtres, il pénètre, par une sûre compréhension, les choses sur lesquelles nous hésitons. La prophétie est aussi pleine de gnose, ayant été donnée par le Seigneur et découverte aux apôtres. » Voilà, suivant ce Père, la gnose qui est le fond de l’inspiration des apôtres et des prophètes. C’est pourquoi nous avons déjà vu qu’il dit ailleurs : « Celui qui obéit au Seigneur, qui suit l’inspiration et la prophétie, devient parfaitement, selon l’image du maître, un Dieu conversant dans la chair ». C’est toujours l’amour pur, selon saint Clément, qui porte la lumière divine dans l’âme ; il n’en faut point chercher d’autre source. « Celui, dit-il, qui est consommé dans la charité, et qui se nourrit perpétuellement et insatiablement de la joie d’une contemplation inépuisable129. » Et un peu au-dessus, il ajoute encore ces fortes paroles : « Celui qui sait que l’état où il est affermi, est une compréhension des choses futures, va, par l’amour, au-devant de l’avenir ». « Touchant les choses futures, dit-il ailleurs, que le gnostique connaît et qui ne se voyaient pas encore, il en est si persuadé qu’il les croit plus présentes que celles qui sont proches de lui. » Enfin il dit de son gnostique que, « quand il a reçu la compréhension d’une contemplation éclairée, portant ses yeux sur les choses visibles, il croit voir le Seigneur, quoiqu’il paraisse voir ce qu’il ne veut pas voir. » « De même, dit-il encore, qu’il paraissait un rayon de gloire sur le visage de Moïse, à cause de sa vertu et de son entretien continuel avec Dieu, ainsi la force divine de la bonté qui s’attache à l’âme juste par l’inspiration, par la prophétie et par l’opération efficace et familière, imprime avec un sceau, sur elle, un caractère brillant de justice, qui est comme une splendeur intelligente ou comme la chaleur du soleil. C’est une lumière qui s’unit à l’âme, par une charité inséparable, qui porte Dieu et qui est portée par Lui130. »


Au reste, cette science divine et prophétique n’a, selon lui, aucune borne. Les choses, dit-il, que le Seigneur a enseignées sont claires et découvertes pour lui, quoiqu’elles soient cachées pour les autres ; car il a reçu la gnose de toutes choses. « La charité, dit-il ailleurs, persuade tout au gnostique qui ne connaît que Dieu. » Voici encore un passage étonnant : « Le gnostique, dit-il, n’a pas de peine à connaître l’avenir. Comme plusieurs, qui vivent en conjecturant, il comprend, par la foi gnostique, ce qui est inconnu aux autres ; et le futur est présent en lui, par la charité ; car il croit à Dieu qui ne trompe point. Et à cause de la prophétie et à cause de la présence, il a ce qu’il croit et il tient ce qui est promis131. » Vous voyez que le gnostique est sûr de n’être point trompé, non seulement à cause de la vérité qui promet, mais encore parce que les choses promises, quoique éloignées, dans l’avenir, sont déjà présentes en Dieu, pour celui à qui tout est présent dans la présence divine.


Nous avons déjà remarqué que le gnostique entend clairement, dans la parole divine, ce que les fidèles n’y entendent pas, son nom même de gnostique vient de γνώσις. Il nous a été donné, dit Jésus-Christ, de connaître les mystères du royaume des cieux, et aux autres seulement en paraboles. La gnose est l’intelligence des sens profonds et mystérieux, non seulement des paraboles manifestes, mais encore de toutes les allégories cachées. C’est ainsi que saint Paul nous a appris à trouver, dans l’Ancien Testament, beaucoup de figures allégoriques que la seule lettre ne nous aurait jamais fait soupçonner. Les plus anciens auteurs ecclésiastiques, entre autres saint Clément, sont les plus attachés à ces sens mystiques et allégoriques, dont les savants dédaigneux des derniers siècles ont un si grand dégoût et un mépris si déclaré, lorsqu’ils les trouvent dans les mystiques. Tous les fidèles, dit saint Clément, n’ont pas la gnose. Vous voyez en passant que comme la foi, selon saint Paul, n’est pas pour tous les hommes, ainsi la gnose n’est pas pour tous les fidèles. Les uns, dit-il, regardent le corps des Écritures, c’est-à-dire les dictions et la lettre, les autres en pénètrent le sens et ce qui est signifié par la lettre, cherchant comme Josué à découvrir Moïse caché avec les anges, pendant que Caleb moins éclairé ne pouvait pénétrer jusque-là132.


Saint Clément dit encore ailleurs que le gnostique entend toutes choses, dans l’Écriture, d’une manière véritable et élevée, comme comprenant la science divine. Il pousse la chose jusqu’à prétendre que son gnostique donne aux passages de l’Écriture les plus communs, et qui semblent ne pouvoir souffrir qu’un sens littéral, des sens profonds et mystérieux, qui sont plus propres et plus véritables. Par exemple, il assure que le gnostique seul entend le propre sens de ces paroles : vous ne commettrez point de fornication, vous ne tuerez point. Il sait de quelle manière cela est dit au gnostique, et non de la façon dont cela est compris par la multitude. « Les gnostiques, dit-il, dans un autre endroit, entendront bien en quel sens il a été dit par le Seigneur : devenez parfaits comme votre Père, remettant les offenses qu’on vous fait, en perdant le souvenir et vivant dans l’habitude d’impassibilité ». Le gnostique trouve son impassibilité dans ce passage : un docteur pathique, borné à la lettre, ne l’y trouverait jamais. Aussi ajoute-t-il, ailleurs, que « les Écritures inconnues aux hérésies et rejetées par elles comme stériles, ont été fécondes et ont conçu pour les gnostiques. » « Les hérétiques, continue-t-il un peu au-dessous, n’ayant point appris les mystères de la gnose de l’Église et ne comprenant point la grandeur de la vérité, négligent de pénétrer jusqu’à la profondeur des choses et, ne lisant que superficiellemont, ont rejeté les Écritures. » Il dit encore que le gnostique voit « comment les hérésies, c’est-à-dire les hérétiques, se sont égarés ; et comment la très exacte gnose,- et le choix véritablement excellent,- se trouve dans la seule vérité et dans l’ancienne Église133. »


Quand je lis ces choses dans saint Clément, je me rappelle aussitôt ce que Cassien a dit de ces solitaires, sans études et sans lettres, qui, par l’oraison simple et continuelle, devenaient des prophètes et entendaient les mystères de l’Écriture même134. Ils ne lisaient plus l’Écriture, ils la faisaient. Je crois voir Grégoire Lopez135 qui, sans aucune instruction, avait fait une explication historique de l’Apocalypse, si précise et si littérale. Nous avons vu que le gnostique comprend les choses que nul des autres fidèles ne peut comprendre, parce qu’il a reçu la gnose de toutes choses. Il en a même la compréhension, il sait tout, il comprend tout ; il pénètre, par une sûre compréhension, les choses sur lesquelles nous hésitons. D’où il s’ensuit, par une conséquence nécessaire, que le véritable gnostique, étant instruit immédiatement de Dieu, ne peut l’être par les hommes. Voilà l’homme spirituel de saint Paul qui juge de toute chose, et que personne ne peut juger ; voilà l’homme de saint Jean à qui l’onction enseigne tout et qui n’a besoin que personne l’instruise dans aucune chose ; voilà ces hommes que saint Denys nomme « déiformes »136; voilà ces âmes sublimes que Dieu a tellement élevées, dit saint Augustin137, qu’étant enseignées de Dieu, elles ne peuvent plus l’être par aucun des hommes.


Le même saint Clément nous montre encore que la vérité et la vertu ne viennent plus au gnostique par le dehors ; et que tous les biens qu’il reçoit lui viennent du dedans, par une inspiration immédiate, lorsqu’il dit que quand le gnostique est parvenu à l’habitude de la bonté, il ne reçoit plus les biens comme des instructions qui lui sont proposées, mais « qu’il est bon en lui-même et qu’il a l’être de la bonté. » De là vient encore qu’il dit que les biens du gnostique lui sont propres et naturels. Tout cela signifie un état consistant, une substance vive et permanente, comme il le dit lui-même, où le gnostique ne reçoit plus rien du dehors. « Étant devenu semblable à Dieu, dit saint Clément, il se crée et se forme lui-même,... par un commerce et une union avec le Seigneur, de laquelle il ne peut être arraché138. »


Nous avons vu aussi qu’il est suffisant à lui-mémo et que, dans cette suffisance, il est bienheureux. « À l’égard des grands mystères, dit-il encore ailleurs, on ne peut en instruire, il faut en contempler et en pénétrer la nature et les effets. » Ainsi, selon lui, quiconque n’a point contemplé les mystères de la gnose, ne peut en concevoir ni en juger. Il dit encore une chose qui est d’une grande profondeur : « Croire en Dieu, dit-il, sans doute est le fondement de la gnose. Il est tout ensemble le fondement et l’édifice, le principe et la fin. Les extrémités ne s’enseignent point139. » Vous voyez que, selon lui, le commencement de la foi et le comble de la gnose sont les extrémités, où l’on n’arrive point par la simple instruction et par un progrès de connaissance acquise : il y faut l’infusion du Saint-Esprit.


14. La gnose est un état apostolique



Nous avons vu, et nous verrons encore, que les apôtres et les prophètes ont été gnostiques. II paraît que saint Clément attribue réciproquement aux gnostiques les mêmes dispositions qu’aux apôtres. Il veut que les vertus ne se trouvent plus dans le gnostique non plus que dans les apôtres. Ce qu’il entend par vertus, c’est une force active pour le bien ; et par laquelle on s’excite à combattre terriblement contre le mal.


« Les apôtres, dit-il, ayant surmonté la colère, la crainte, les désirs par l’instruction gnostique du Seigneur, ils n’eurent plus en eux les suites des passions qui paraissent avantageuses comme le zèle, l’ardeur ; et par la constitution ferme de leur esprit, ils ne pouvaient éprouver aucun changement ; par l’habitude de l’exercice, ils demeurèrent toujours inaltérables, depuis la résurrection du Seigneur. Car quoiqu’on regarde comme de bonnes choses celles dont on vient de parler, quand elles sont conduites par la raison, on ne doit pourtant pas les admettre dans l’homme parfait. Il n’a point de hardiesse ou de quoi être hardi, car il ne se trouve point en des choses fâcheuses, ne regardant nulle des choses de la vie comme contraire ; rien ne peut le séparer de la charité de Dieu. Il n’a pas besoin de tranquillité, car il ne tombe point dans la tristesse ; et il est persuadé que tout ce qui arrive est bon. Et il ne s’irrite point, car rien ne le peut porter à la colère, lui qui aime toujours Dieu et qui est tourné tout entier vers Lui seul. Il ne désire rien ; car rien ne lui manque pour ressembler au beau et au bon ; il n’a aucun désir, car il n’a besoin de rien pour l’âme, étant, par la charité, avec son bien-aimé, avec qui il demeure familièrement. Il est heureux, à cause de l’abondance des biens et devient déiforme et semblable à Dieu ; et Dieu devient semblable à l’homme140. »


En voilà assez, pour montrer évidemment que le gnostique est dans les dispositions les plus parfaites où les apôtres ont été avant lui. Ce n’est que par l’instruction gnostique du Seigneur, et par l’habitude de l’exercice, comme parle saint Clément un peu au-dessus de ce passage, que les apôtres, s’élevant au-dessus des vertus actives et pénibles, entrèrent dans l’apathie gnostique et dans un état inaltérable, depuis la résurrection du Seigneur. Vous voyez que les apôtres n’ont été si parfaits qu’à cause qu’ils sont devenus gnostiques depuis la résurrection du Seigneur. Ce que saint Clément dit, au commencement du passage, pour les apôtres, il le dit ensuite, sans exception, pour tous les autres gnostiques en général. Le gnostique n’a plus rien à désirer pour l’âme, il est heureux, il est déiforme et semblable à Dieu.


Mais, outre cette perfection apostolique, saint Clément lui attribue encore le don de divination pour le prochain. « Le gnostique, dit-il, comprend ce qui paraît incompréhensible aux autres, persuadé que rien n’est incompréhensible au Fils de Dieu, et par conséquent que tout peut être enseigné, car celui qui a souffert pour nous n’a rien omis pour l’instruction de la gnose. » Nous avons vu que le gnostique sait tout, par une sûre compréhension des mystères, et qu’il pénètre la profondeur des Écritures, tout autrement que les fidèles ne peuvent la pénétrer. « Les nuées, la grêle et les charbons de feu, comme dit encore saint Clément, ont passé devant le Seigneur, nous enseignant que les discours saints sont cachés mais qu’ils sont clairs et éclatants pour les gnostiques, Dieu les envoyant comme une grêle innocente141. » Voilà, sans doute, la science apostolique attribuée à la gnose. Le Père dit encore expressément que le gnostique « connaît et comprend la loi, comme elle a été donnée aux apôtres par le Seigneur, de qui viennent les Testaments ».


Il est aisé de voir que cette science divine et infuse dans le gnostique doit se répandre sur le prochain ; car saint Clément dit que le gnostique a soin de lui et ensuite de son prochain, afin qu’il devienne excellent. Le voilà occupé à conduire son prochain pour le rendre parfait ; c’est manifestement ce qu’on appelle direction. Saint Clément assure encore qu’il y a « trois effets de la puissance gnostique : le premier, de connaître le fond des mystères ; le second, de faire tout ce que prescrit le Verbe, c’est-à-dire, sans doute, de suivre l’inspiration comme les apôtres la suivaient ; le troisième, c’est de transmettre d’une manière digne de Dieu les choses cachées dans la vérité142. » Le même Père remarque, en un autre endroit, que « le pasteur, qui a soin de ses brebis, a pourtant un soin principal de celles qui, par leur nature excellente, sont capables d’être utiles à la multitude. Ce sont les personnes qui sont propres pour conduire et pour enseigner. C’est par elles que l’évidence de la Providence paraît, quand Dieu veut, soit par l’instruction, soit par la place où Il les met faire du bien aux hommes ; et Il le veut toujours. C’est pourquoi Il meut ceux qui sont propres aux choses qui procurent la vertu et la paix143. » Vous voyez de simples brebis veiller à la multitude, propres à conduire et à enseigner, qui font du bien aux hommes, tantôt par l’instruction sans place et tantôt par la place où on les met. Enfin, ces personnes sont mises pour procurer la vertu et la paix au monde : ce qui marque une inspiration gnostique.


Le gnostique, dit encore saint Clément, « devenu semblable à Dieu, se crée et se forme lui-même ; et il forme aussi ceux qui l’écoutent. » Voilà le gnostique qui n’a point besoin d’être conduit, et qui conduit les autres. Voilà les auditeurs du gnostique bien marqués ; il les instruit, et sa parole met en eux l’ornement de la perfection. Saint Clément ajoute des expressions si étonnantes qu’on ne pourrait les croire, si on ne les lisait. « Le gnostique, dit-il, supplée à l’absence des apôtres, vivant avec droiture, connaissant exactement ; et, dans ceux qui lui sont proches, transportant les montagnes de son prochain et aplanissant les inégalités de leurs âmes144. » On n’en peut plus douter, voilà le gnostique, qui, sans aucun caractère marqué, enseigne, dirige et perfectionne les âmes, avec une autorité apostolique : portant tout sur lui, comme saint Paul, et étant rempli d’une vertu efficace et miraculeuse, pour la sanctification des âmes. Dieu le fait ainsi, pour suppléer à l’absence des apôtres, laquelle doit durer jusqu’à la consommation des siècles, ce qui suppose nécessairement que Dieu donnera des gnostiques, dans tous les siècles, jusqu’à la fin.


Mais voici une chose bien remarquable et qui doit être prise comme une clé générale des Stromates. Le même saint Clément, qui nous assure tant de fois que le gnostique est dans une union inamissible, imperturbable, inaltérable et qu’après avoir consommé toute purification, il est entré dans l’apathie de Dieu, et qu’il ne peut plus être tenté, ni avoir besoin de vertu, le même Père, dis-je, nous assure que le gnostique « a des tentations » ; il ajoute aussitôt : « non pour sa purification, mais pour l’utilité de son prochain145. » Voilà le gnostique tenté comme Jésus-Christ, pour autrui. La tentation ne vient pas de son fonds, qui est dans une paix imperturbable ; elle vient d’une impulsion étrangère, c’est ce que semble exprimer cette expression.


C’est l’esprit de Dieu qui le mène pour être tenté, c’est un mystère de grâces. Ce qu’il a éprouvé autrefois pour lui-même, il l’éprouve de nouveau pour les enfants que Dieu donne selon la foi. Il souffre les douleurs de l’enfantement, comme l’apôtre. Il souffre, car le terme de tentations et d’épreuves comprend toutes sortes d’états violents et pénibles. Il souffre, et sa souffrance opère dans le cœur d’autrui, pour y faire germer la grâce146. Voilà un état bien gnostique, et bien conforme à celui de saint Paul147, qui souffrait une espèce de tourment de feu, et une impression de faiblesse, suivant que ses enfants en Jésus-Christ tombaient dans le mal ou éprouvaient quelque affaiblissement.


Mais pour revenir à cette clé générale dont j’ai parlé, il faut remarquer que saint Clément a voulu envelopper la gnose sous une espèce de paradoxe, quand il a dit : la gnose est une ; et là même, cependant, elle admet une multiplicité ; elle est sans aucun mouvement passionné et avec un désir perceptible ; elle est parfaite, et elle est défectueuse. Ceux qui connaissent par quelque expérience d’eux-mêmes, ou d’autrui, les états de la voix passive, sont bien éloignés d’être surpris par ces apparentes contradictions. Elles s’éludent toutes, comme celles que nous avons vues touchant les tentations du gnostique. Il est imperturbable, inaltérable pour lui-même, mais, quand Dieu le veut frapper pour autrui, il le rend sensible et faible comme un petit enfant, pour lui faire souffrir des peines inconcevables. Dans la tentation, il paye les dettes d’autrui et représente Jésus-Christ en portant les péchés des hommes. Voilà un genre de tentations passives.


Servez-vous de la même clé, pour les autres contradictions que j’ai rapportées. Le gnostique désire et ne désire pas ; il est toujours simple, toujours un, toujours le même ; cependant il admet la multiplicité ; la gnose en un sens est parfaite et en un autre est défectueuse. Tout cela s’accorde, si on considère les divers degrés et les diverses opérations de Dieu, pendant que l’âme meurt à tout, dans une passiveté qui n’est pas encore consommée. Elle perd de plus en plus tous les désirs actifs ; elle ne peut plus former ceux qu’elle formait autrefois avec tant de ferveur ; tout tombe peu à peu dans un abandon sans réserve, qui est l’amour sans bornes dont parle saint Clément.


Mais quand l’âme a passé au-delà de toute purification, et, qu’elle ressuscite, par sa transformation en Dieu, ces désirs ressuscitent aussi ; alors ce sont des désirs inspirés de Dieu, et vécus passivement par l’âme; alors il n’y a plus de désirs, de volonté propre, même vertueuse, c’est-à-dire excitée avec effort. La gnose est une et toujours la même ; cependant elle admet une multiplicité, c’est-à-dire que l’âme, réduite à une opération très simple qui exclut la multitude des actes excités et réfléchis, admet néanmoins passivement la multiplicité de tous les actes que Dieu imprime en elle. Elle ne sent plus rien par elle-même, et elle est dans une entière involonté , mais elle se laisse pour ainsi dire vouloir toutes les différentes choses que Dieu prend plaisir de vouloir en elle. Elle est toujours une, par son adhérence simple, directe et unique, au seul vouloir divin ; et elle est multipliée à l’infini par la variété des lumières et des dispositions qui lui sont infuses. En un mot, elle est comme la grâce, qui, étant très simple dans son principe, prend toutes les formes, comme dit l’apôtre multiformis gratiae a Dei148.


Enfin, la gnose est parfaite et défectueuse; défectueuse dans son commencement et dans tous ses degrés, jusqu’au dernier ; car saint Clément nous dépeint le gnostique qui passe au travers des progrès mystiques jusqu’à l’apathie ; elle est parfaite, quand l’âme est clans l’union inaltérable, où elle devient déiforme. En cet état même, si éminent, il reste encore un mélange de perfection et d’imperfection ; à parler en toute rigueur, l’âme n’est encore ni impeccable, ni infaillible. Bien loin de l’être, elle commet actuellement certaines fautes légères, comme celle de Moïse privé de la Terre Promise, et de saint Pierre repris par saint Paul. De plus, Dieu lui laisse certains petits défauts extérieurs, pour voiler les richesses de sa grâce. Enfin, cette âme éprouve encore, comme nous l’avons dit, des faiblesses et des tentations pour autrui. Et ainsi, elle est tout ensemble parfaite et défectueuse.


Quand je considère cet état prophétique et apostolique, attaché à la gnose, je me rappelle aussitôt avec étonnement qu’il doit y avoir des gnostiques, dans tous les siècles, pour suppléer à l’absence des apôtres ; que ces gnostiques sont de tous âges et de toutes conditions, laboureurs, artisans, gens sans lettres qui n’arrivent à cette sublimité que par le pur amour et point par leurs talents ; qu’ils sont de tous états, même gens mariés, et des deux sexes ; car les hommes et les femmes, dit saint Clément, sont également appelés à cet état apostolique. C’est une chose surprenante, et néanmoins bien manifeste dont notre auteur saint Clément, n’a parlé ainsi qu’après le prophète Joël, cité par saint Pierre, dans les Actes : « Je répandrai de mon esprit sur toute chair, sur mes serviteurs et sur mes servantes ; vos fils et vos filles prophétiseront et auront des songes149. »


Après cela, je ne m’étonne plus de voir un pauvre mendiant qui instruit et qui dirige le grand prédicateur Tauler150. Je ne suis plus surpris de voir sainte Catherine de Gênes, qui dirigeait un grand nombre d’enfants spirituels comme nous le voyons dans sa vie151. Je regarde de même la bienheureuse Angèle de Foligno, qui déclare en mourant, à tous ses enfants spirituels présents et absents152, qu’elle a été donnée de Dieu pour lui rassembler tous les élus de dessus la terre au deçà et au delà des mers. Enfin je ne m’étonne plus de voir sainte Thérèse qui dirige le bienheureux Jean de la Croix, le Père Antoine de Jésus et beaucoup d’autres prêtres et religieux, savants et vénérables. Remarquez que cette sainte a mérité que l’Église demande à Dieu d’être nourrie de sa céleste doctrine. Enfin je comprends par là avec quel esprit saint François de Sales révère, dans une mère religieuse, des conseils pour la vie intérieure et un genre d’oraison qu’il reconnaît être au-dessus de son expérience.



15. Quelle est la sûreté de la voie gnostique



On dira que ces choses sont dangereuses ; et je répondrai qu’elles ne sont dangereuses que quand elles ne sont pas vraies. Ce qui est dangereux, « sujet à des chutes, et rempli de précipices », comme dit saint Clément, c’est d’être encore pathique ; et de n’être point dans la gnose. Il se fait encore ailleurs cette même objection, en parlant ainsi : « et il y en a qui disent que la gnose enfle ; mais, nous leur répondrons peut-être qu’il est dit que celle qui paraît gnose peut enfler, si toutefois quelqu’un croit, que φυσιοΰν signifie enfler ; mais comme le terme de l’apôtre, comme il est plus vraisemblable, signifie penser, véritablement et d’une manière élevée, le doute se trouve résolu153. »


Ce qu’il faut conclure, c’est que rien n’est plus mauvais, ni moins sûr que de vouloir être plus sage que Dieu, et de rejeter ces dons véritables, par une crainte excessive des faux. Il faut être prêt à tout, croire, avec simplicité et petitesse, sans ardeur dédaigneuse, ni respect humain, ni hésitation dans la foi. Ensuite il ne faut croire en particulier rien que ce qu’on aura éprouvé solidement, pour voir s’il vient de Dieu. Mais il ne faut être surpris de rien, et ce serait avoir peu de foi, et un cœur bien étroit, que de rejeter les dons de Dieu, par défiance ou par mauvaise volonté. « Nul don de Dieu n’est faible, comme dit saint Clément. La vérité sera persécutée jusqu’à la fin, mais elle demeurera sans que les hommes puissent l’en empêcher154. »


Voulez-vous savoir quelle est la perfection du gnostique ? Souvenez-vous que, selon saint Clément, il est à la droite du sanctuaire, pendant que les autres fidèles pathiques et mercenaires ne sont qu’à gauche. Souvenez-vous qu’il est « le seul qui honore Dieu d’une manière véritable et digne de lui155. » Souvenez-vous encore que la doctrine commune des fidèles n’est qu’une gnose abrégée pour instruire des choses les plus pressées, qu’une semence et une odeur de la gnose. Voulez-vous voir la différence que saint Clément met entre les divers degrés des fidèles ? « Les prophètes, dit-il, sont parfaits dans la prophétie » ; il faut se souvenir que, suivant ce Père, les prophètes et les gnostiques sont la même chose. « Les justes le sont, dans la justice. Les martyrs, dans la confession; les autres dans la prédication, n’étant pas privés des vertus communes et ayant de la droiture dans les degrés où ils sont établis156. » Vous voyez qu’il met les justes, les martyrs et les docteurs de son temps, au-dessous de son gnostique qui a le don de prophétie. Ces autres hommes si éminents sont mis dans un état bien inférieur, où il leur donne seulement les vertus communes avec une droiture proportionnée à leur degré.


Nous lisons ailleurs, dans le même ouvrage, que « la gnose est uniforme, toujours d’accord avec elle-même et avec le Verbe divin. » C’est pourquoi l’apôtre dit : « Je ne vous serais point utile si je ne vous parlais ou en révélation, ou en gnose, ou en prophétie, ou en doctrine ». Ceux qui ne sont pas gnostiques « ne laissent pas néanmoins de faire quelque chose de bien, comme il arrive dans ce qui regarde le courage, mais ce n’est pas selon le Verbe157. » Ces paroles supposent manifestement qu’il y a toujours quelque reste d’imperfection dans toutes les vertus pénibles et excitées des pathiques, dans l’état actif, jusqu’à ce qu’elles soient purifiées passivement par la gnose et par l’inspiration habituelle du Verbe.


Nous avons vu que toutes les vertus changent par la gnose, jusque-là que saint Clément ne veut pas que les gnostiques se réjouissent comme le simple fidèle. « Autre est la joie, dit-il, qu’il faut assigner à l’Église comme lui étant convenable ; autre est la douceur qu’il faut attribuer au véritable gnostique158. »


Nous avons vu que le gnostique a passé au-delà de toute purification ; qu’il n’a plus ni tache, ni souillure. Le même Père dit encore que, « marchant sur les traces des apôtres, les gnostiques doivent être sans péché. » Il dit encore ailleurs que son gnostique « est pur de toutes les taches de l’âme159. » Ces expressions sont conformes à celles des mystiques, entre autres de saint Jean de la Croix qui dit, en plusieurs endroits160, que l’âme retourne à sa pureté originelle. Les théologiens spéculatifs se scandalisent de cette proposition ; mais ils devraient songer qu’elle est dans toute la rigueur du dogme. La concupiscence est une peine du péché, et une source de péché ; mais elle n’est pas le péché même. Elle est un désordre dans la nature, mais elle n’est point une souillure dans l’âme. Il est, de foi, que rien qui soit tant soit peu souillé n’entrera au royaume du Ciel. Les petits enfants baptisés ont la concupiscence, ils entrent dans le Ciel sans passer par le purgatoire. Voilà un exemple décisif pour montrer qu’on peut être sans aucune tache et dans la pureté originelle, avec la concupiscence.


Il faut encore remarquer que saint Augustin nous dépeint trois sortes d’hommes161. Les premiers meurent si parfaits qu’ils n’ont pas besoin des prières de l’Église. Les seconds ont si mal vécu que les prières de l’Église leur seraient inutiles. Les troisièmes sont les imparfaits qui n’ont pas assez mal vécu pour être exclus de ces prières, et qui n’ont pas assez bien vécu pour n’en avoir aucun besoin. De ces trois sortes de fidèles, les derniers passent par le purgatoire et les premiers n’y passent point. Cette doctrine de saint Augustin est fondée sur une tradition constante de toute l’Église, de laquelle il résulte qu’un certain nombre de justes sont exempts de toute souillure avant que de mourir, quoiqu’ils aient la concupiscence, puisqu’ils ne passent point par le purgatoire. Être exempt de toute souillure et de toute tache, c’est arriver à la pureté de la création. En vain chicanerait-on sur le terme de pureté, il ne peut et ne doit jamais signifier qu’une exception de toute souillure.


Quand saint Clément dit donc que le gnostique a passé au-delà de toute purification, et qu’il n’y en reste plus aucune à faire en lui, il signifie clairement par là que le gnostique est dans la pureté de la création et qu’étant sans tache, il peut aller au Ciel sans passer par le purgatoire. Il est évident qu’il n’y a plus de purgatoire pour celui dans lequel il ne reste plus ni souillure à effacer, ni purification à faire. C’est pourquoi tant de saints ont cru que certaines âmes, rigoureusement éprouvées par les peines extérieures, souffrent un purgatoire d’amour en cette vie, en sorte qu’elles n’en souffrent point. d’autres après la mort. Sainte Catherine de Gênes et sainte Thérèse ont fait une vive expérience de ce feu intérieur qui consume les âmes, comme celui du purgatoire après cette vie.


Remarquez la conformité de ces deux états : c’est une peine involontaire, et imprimée sans qu’on sache comment ; on ne peut ni l’éviter, ni l’adoucir, ni lui résister par courage, ni s’aider pour son propre soulagement. On ne peut qu’acquiescer passivement, pour laisser faire la justice de Dieu. Il faut que ce feu vengeur travaille seul, et par lui-même, à dissoudre l’âme et à la renouveler, par une espèce de force universelle. Ce n’est qu’en la détruisant qu’il la purifie, et qu’elle passe par le creuset pour y consommer jusqu’au moindre reste de l’amour-propre. Il faut qu’elle coule comme le métal fondu et qu’elle perde toute consistance en elle-même pour recevoir, dans les divers moules, toutes les formes qu’il plaira à Dieu. C’est par cette destruction de tout ce qui résiste et qui a encore quelque consistance propre, que l’âme, renouvelée dans le pur amour, ne tient plus à soi et se rapporte uniquement à Dieu selon la fin de la création. Il faut que cette purification foncière, qui ne s’opère que par la souffrance paisible, se fasse en ce monde, ou en l’autre. Les âmes lâches et imparfaites meurent, sans avoir laissé faire à Dieu cette opération douloureuse. Un petit nombre d’âmes généreuses se livrent, dès cette vie, aux tourments inexplicables du pur amour.


C’est ce que saint Clément nous assure que son gnostique a fait, quand il dit qu’il n’a plus besoin de vertu, ni combat à soutenir, ni taches à effacer ; et qu’il a passé au-delà de toute purification. La plupart des docteurs, qui savent que certaines âmes ne passent point par le purgatoire de l’autre vie, ne songent point assez au purgatoire intérieur, par lequel elles doivent avoir été entièrement renouvelées en Jésus-Christ avant la mort.


Encore une fois, je sais bien qu’on dira que ces voies extraordinaires sont dangereuses. Ce qui est dangereux, ce n’est pas d’être dans ces voies, mais de s’imaginer faussement qu’on y est. Qu’on éprouve les âmes, et qu’on respecte toujours la voie. Ce ne sera jamais en confondant l’illusion avec le véritable attrait de Dieu, que l’illusion sera dissipée pour nous. Je ne vois rien de si indigne du christianisme et de si honteux, que de craindre la perfection comme un chemin bordé de précipices, et de chercher la pureté dans l’imperfection d’une vie commune. Pourquoi craindre de ne s’aimer plus soi-même, et de n’aimer que Dieu seul ? Pourquoi craindre de renoncer entièrement à soi, et de n’avoir plus d’autre volonté que celle de Dieu ? Pourquoi craindre d’être, comme les apôtres, livrés à la grâce ? La vraie sûreté n’est ni dans les moyens, ni dans les actes que nous pouvons choisir.


C’est pourquoi saint Clément met une espèce d’indifférence dans tous les états ; il ne s’attache qu’à la gnose. « La viande, dit-il, ne nous rendra pas recommandables, ni le mariage, ni le renoncement au mariage, sans gnose; mais la vertu qui consiste à agir gnostiquement. Toutes les choses créées pour notre usage sont bonnes, comme le mariage avec un usage modéré. Le plus grand des biens, c’est de parvenir, par une vertu impassible, à la ressemblance de Dieu162. » La sûreté ne consiste donc qu’à suivre l’attrait divin, et l’Esprit qui souffle où Il veut. En tout cela, il ne s’agit de rien faire contre la règle immuable de la loi écrite, ni contre le cours journalier de la providence. Il ne s’agit pas même de s’arrêter à des lumières ou à des révélations. Quand il ne s’agit que de mourir à tout soi-même, dans la plus obscure foi et dans l’amour le plus désintéressé, faut-il tant craindre l’illusion ?

On me demandera peut-être s’il y a beaucoup de gens dans cet état. Je réponds que Dieu seul sait leur nombre. Saint Clément dit souvent que la gnose n’est pas dans tous, et qu’elle est donnée à peu de personnes. En effet il n’est que trop visible qu’il y a peu de chrétiens morts à eux-mêmes. Ce n’est pas que Dieu refuse cette grâce aux hommes : Il ne cherche qu’à se communiquer. Saint Clément dit souvent que la gnose est le bien propre et naturel à l’homme. Ce qui marque que c’est sa vocation et la fin essentielle pour laquelle il est créé. En effet, il faut que tout prédestiné parvienne à cette grâce sublime, par le purgatoire d’amour en cette vie, ou par un autre purgatoire après la mort. Il y a beaucoup d’appelés, et on peut dire même que tous sont appelés en général. La plupart des âmes n’ont pas le courage de laisser faire Dieu et de se renoncer. Elles se reprennent toujours, sur de beaux prétextes, après s’être renoncées, et ne font que languir, sans achever leurs sacrifices. Elles résistent à Dieu par les réserves secrètes qu’elles font, et ne trouvent aucune paix. Celles mêmes qui paraissent les plus courageuses ne laissent pas d’avoir encore certains retours subtils et imperceptibles sur elles-mêmes, qui entretiennent une vie secrète et maligne, dans les derniers replis d’un cœur où Dieu ne demande que mort. Tout cela contriste le Saint-Esprit, tout cela affaiblit et retarde l’opération divine.


Ainsi la multitude des fidèles lâches s’exclut elle-même de la perfection où elle était appelée ; et le petit nombre d’âmes élues rend, par ces résistances secrètes, très long et très pénible un ouvrage que la grâce rendrait court et facile, si elle trouvait des cœurs simples et toujours prêts à la recevoir dans toute sa force. C’est pourquoi je ne crains pas de dire, après saint Clément, que « la gnose purifie promptement et qu’elle est propre pour faire recevoir facilement un changement en mieux. C’est pourquoi, continue-t-il, elle conduit avec facilité à l’état simple et divin, qui est fait pour l’âme, et qui lui est naturel. Elle y conduit l’âme, par une lumière qui lui est propre, la faisant passer au travers des progrès mystiques, jusqu’à ce qu’elle l’ait établie dans le lieu plus éminent du repos163. »


On ne saurait trop remarquer que, suivant ce Père, des dons si éminents sont propres et naturels à l’homme ; et que cette voie, quand notre infidélité ne l’allonge point, est courte et facile. C’est pourquoi ce Père dit que la « gnose est la perfection de l’homme en tant qu’homme », qu’elle est « la propriété de l’âme raisonnable », et que l’âme du gnostique, devenue toute spirituelle et s’étant avancée vers ce que lui est naturel dans l’église spirituelle, elle demeure dans le repos de Dieu. Peut-on exprimer plus fortement que tous les hommes sont pour la gnose ?


Si nous voulons reprendre maintenant les choses déjà éclaircies dans ce chapitre, voici ce que nous pourrons rassembler.


Premièrement, la gnose est la plus parfaite de toutes les voies, puisqu’il n’y a qu’elle seule qui honore Dieu d’une manière digne de Lui et qu’elle fait passer l’âme au delà de toute purification.


Secondement, elle est la plus sûre de toutes les voies : quand elle est véritable, elle n’enfle point ; loin de jeter dans l’illusion et dans l’erreur, elle est le préservatif contre toutes les hérésies. Ce n’est que faute de suivre la gnose que tant d’hérétiques ont abandonné les Écritures. Je m’imagine entendre saint François de Sales, qui disait que l’amour de Dieu changerait plus d’hérétiques que toutes les controverses : en effet, si les docteurs, au lieu de se remplir la tête de questions subtiles, de faits et de passages pour montrer l’érudition, lisaient simplement les Écritures, avec le même esprit qui les a faites, l’Église n’aurait pas tant d’erreurs à combattre.


Troisièmement, les pathiques et mercenaires, qui n’ont pas la gnose, sont dans une voie sujette à des chutes et pleine de précipices.


Quatrièmement, la gnose est propre et naturelle à tous les hommes, car elle n’est que la voie pour les ramener à la fin de leur vocation. Mais quoique tous soient appelés à cette perfection, peu sont élus, à cause de leurs indispositions volontaires ; la grâce ne manque pas aux hommes, mais les hommes manquent à la grâce. Pour la perfection évangélique, il est vrai qu’il est dangereux de vouloir mettre tout le monde dans cette voie et de vouloir élever tout à coup les fidèles imparfaits, mal instruits, aux degrés sublimes, avant qu’ils se soient exercés dans les inférieurs. Mais ce n’est pas la faute de la gnose, ni de la grâce qui les invite tous, et qui est la propriété de l’âme raisonnable. C’est la faute des hommes qui, par leur indisposition, se rendent incapables des perfections extérieures.


Cinquièmement, la gnose change l’homme, de bien en mieux, avec promptitude et facilité, par une lumière qui lui est propre et naturelle. Ainsi, cette voie est courte et facile en elle-même, quoique les hommes, lâches et indociles, la rendent difficile et longue. C’est ainsi que raisonne saint Clément. Et l’abbé Isaac, dans Cassien164, raisonne de même. L’oraison sublime et continuelle est un état dont les plus simples et plus ignorants sont capables. Cependant il ne faut communiquer ce secret qu’à ceux qui ont la vraie soif. Cette oraison demande des préparations et des exercices, qui conduisent à l’habitude ; elle est néanmoins plus courte et plus facile que la voie ordinaire des méditations variées. Cette conformité de saint Clément avec Cassien me rappelle aussi la conformité de leurs sentiments avec ceux du bienheureux Jean de la Croix, qui dit que165, quand les âmes sont solidement instruites et mortifiées, surtout en communauté, Dieu les appelle en peu de temps à cette oraison qui n’est plus discursive. Je conclus toujours que tout dépend de l’expérience du directeur, qui doit éprouver ce qui vient de Dieu.



16. La gnose est fondée sur une tradition secrète



Nous avons déjà vu que les apôtres, Jacques, Pierre, Jean et Paul, étaient gnostiques. Nous avons vu aussi que Josué l’était, et à plus forte raison son maître Moïse. Nous avons vu aussi que sa prophétie est renfermée dans la gnose ; et par conséquent que les prophètes ont été gnostiques. II paraît que saint Clément a cru que la gnose était tout ensemble écrite et non écrite. Écrite, en ce que ceux qui en avaient l’intelligence et la pratique la trouvaient sans cesse dans les saints livres, et que ceux qui n’étaient pas gnostiques ne la trouvaient point. « La vie du gnostique, comme je le crois, dit-il, n’est autre chose qu’une suite d’actions et de discours conformes à la tradition du Seigneur. Mais la gnose n’est pas donnée à tous ; car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, dit l’apôtre, que tous ont été sous la nuée, que tous ont eu part à une nourriture et à une boisson spirituelles, faisant voir par là clairement que tous ceux qui ont entendu la parole n’ont compris, ni en pratique, ni en spéculation, la grandeur de la gnose166. » Nous voyons déjà la tradition du Seigneur et de ses apôtres, qui remonte jusqu’aux prophètes et à Moïse. Mais elle est une tradition secrète et enveloppée, en sorte que ceux qui ne sont pas gnostiques, voient et ne croient pas, entendent et ne comprennent pas, et lisent les mystères de la gnose avec un voile sur le cœur. « Vous trouverez donc, si vous le voulez, dit saint Clément, la gnose dans les actions et dans les écrits des apôtres. » En effet, les actions des apôtres ne montrent pas moins que leurs écrits, cet état passif, qui est tout inspiré, puisque l’Esprit de Dieu les meut en chaque chose et fait en eux tout ce qu’ils font. Cette souplesse de l’âme, qui se laisse mouvoir sans cesse à l’esprit intérieur, n’est que la perfection de notre coopération à la grâce pour pratiquer l’Evangile. Ainsi saint Clément ne craint point de dire : vous trouverez, si vous le voulez, la gnose dans leurs actions et dans leurs écrits. C’est pourquoi nous avons vu qu’il dit encore que la vie du gnostique n’est qu’une suite d’actions conformes à la tradition du Seigneur. Mais, quand il dit : « Vous trouverez si vous le voulez », il fait entendre qu’on ne trouve la gnose, dans les saintes Écritures, que quand on veut l’y trouver et qu’on l’y cherche avec préparation.

De là vient qu’il dit, ailleurs, que la gnose n’est point écrite, c’est-à-dire qu’elle ne l’est pas clairement et qu’on ne la trouve pas en rigueur dans le sens grammatical de la lettre. « La gnose, dit-il, ayant été laissée par les apôtres à un petit nombre de fidèles, sans écriture, elle est parvenue à nous. » Il faut donc exercer la gnose ou sagesse pour parvenir à une habitude de contemplation continuelle, et inaltérable. Il semble encore dire la même chose, d’une manière un peu confuse, dans un autre endroit au-dessus. « Dieu, dit-il, commande à Isaïe de prendre un livre nouveau et d’y écrire certaines choses ; l’Esprit a prédit par là que la sainte gnose qui vient de l’explication de l’Écriture lui serait postérieure, la gnose n’étant point encore écrite en ce temps-là, parce qu’elle n’était point encore connue. Elle avait été communiquée, dès le commencement, à ceux qui avaient l’intelligence ; ensuite, le Sauveur ayant instruit les apôtres, la tradition non écrite d’une chose écrite nous est donnée écrite sur des cœurs nouveaux par la puissance de Dieu, selon la nouveauté de ce livre167. »


Il semble résulter de ce passage que la gnose a été donnée de Dieu dès le commencement, sans écriture, à ceux qui en avaient l’intelligence, c’est-à-dire aux patriarches et aux autres saints qui ont précédé la loi écrite ; qu’ensuite elle a été écrite d’une manière enveloppée et allégorique, en sorte qu’elle est plutôt dans l’explication de l’Écriture, que dans l’Écriture même ; qu’enfin le Sauveur a donné à ses apôtres la tradition non écrite d’une chose écrite, c’est-à-dire une explication secrète et de vive voix, du sens le plus profond des Écritures, où le mystère de la gnose se trouve renfermé.


Le même Père dit encore : «  La gnose donnée par tradition, selon la grâce de Dieu, semblable à un dépôt, est mise dans les mains de ceux qui se rendent dignes de l’instruction par elle ; la grandeur de la charité brille de lumière en lumière, car il est dit : l’on donnera encore à celui qui a la foi, la gnose ; et à la gnose, la charité et l’héritage. C’est pourquoi la gnose est donnée, à la fin, à ceux qui y sont propres, et qui sont choisis ; car on a besoin d’une plus grande préparation et d’exercice précédent pour entendre les choses qui sont dites alors, pour disposer sa vie, et pour arriver avec connaissance à ce qui surpasse la justice de la loi168. »


Toutes ces choses signifient que la gnose est dans l’Écriture, mais d’une manière profonde et mystérieuse, dont on n’a la clé qu’à mesure qu’on avance, par les divers degrés de la gnose, jusqu’à la charité pure et permanente qui en est le comble.


Le même Père montre l’économie et la dispensation de ces mystères en parlant ainsi : « L’apôtre montre clairement que la gnose tient le lieu principal, pour ceux qui en ont l’intelligence, puisqu’il dit aux Corinthiens : “J’espère que votre foi augmentera et que j’aurai un sujet plus abondant de me glorifier en vous par votre perfection, afin que je vous puisse annoncer les choses qui sont au-dessus de vous.” Par là, il nous apprend que la gnose, qui est la perfection de la foi, s’étend au-delà de l’instruction ordinaire, comme il convient à la majesté, de la doctrine du Seigneur et à la règle de l’Église169. »

Les choses que saint Clément dit de la gnose sont si prodigieuses et si incroyables qu’il sent bien le besoin qu’il a d’une grande autorité pour appuyer tout ce qu’il dit. C’est pourquoi il allègue si souvent une tradition, qui a deux circonstances décisives : la première, de remonter sans interruption, par Jésus Christ, par ses apôtres et par les prophètes, jusqu’aux patriarches qui sont dès le commencement, et qui ont précédé tout ce qui est écrit ; la seconde circonstance est que saint Clément allègue une tradition constante, et reconnue de l’Église dans le temps même où il écrivait. Le moins qu’on puisse donner à ce grand docteur de l’Église apostolique d’Alexandrie, mère de tant d’autres Églises, c’est de supposer qu’il a connu ce qu’il disait lorsqu’il a parlé au nom de l’Église à tous les païens, d’une tradition actuelle. Il a vécu peu d’années après la mort des apôtres, surtout de saint Jean. Non seulement dans le temps où il a écrit, mais encore dans la suite de tous les siècles, il n’a jamais été ni soupçonné, ni contredit, en cette matière.


Lorsque j’entends ce Père parler si affirmativement d’une secrète tradition, je me rappelle avec joie une tradition semblable, que l’abbé Isaac rapporte de son côté dans Cassien, pour les solitaires, et qu’il fait remonter jusqu’à saint Antoine170. Mais ceux qui voudraient disputer contre cette tradition, et qui s’opiniâtreraient à demander des passages formels tirés de la lettre de l’Écriture, ne sauraient être plus incrédules que ceux qui ont été réfutés par saint Clément. Voici comment il les réfute : « Après, dit-il, que nous aurons montré les choses qui sont signifiées, ... alors leur foi étant plus abondante, nous leur découvrirons les témoignages de l’Écriture ; les choses que nous allons dire paraissent, à plusieurs de la multitude, différentes des Écritures du Seigneur ; mais qu’ils sachent que c’est des Écritures même que ces choses vivent et respirent ; elles en tirent tout leur fonds, mais elles n’en prendront que l’esprit et point le langage171. » Qu’on ne s’étonne donc plus si l’état passif ou gnostique paraît aux yeux de la multitude contraire au texte des Écritures ; et qu’on ne demande plus aux mystiques des passages formels pris dans la rigueur de la lettre. Selon saint Clément, il s’agit de l’esprit et point du langage.


Au reste je ne puis finir ce chapitre, sans remarquer la conformité de saint Denys aussi bien que celle de Cassien. Avec saint Clément, saint Denys dit qu’ « il y a deux théologies, l’une commune et l’autre mystique ; et que la mystique a ses traditions secrètes, comme l’autre a sa tradition qui est publique ».


Je finis, en concluant avec saint Clément par ces paroles : « Nous savons que nous avons tous une foi commune pour les choses communes, qui est qu’il n’y a qu’un Dieu ; mais la gnose n’est pas dans tous : elle est donnée à peu172. » Ceux qui connaissent l’antiquité n’auront garde de me demander si saint Clément a une autorité suffisante pour établir tout ce qu’il dit de la gnose. Quand il manquerait, par lui-même, d’autorité, il en recevrait une plus que suffisante par sa conformité manifeste avec la tradition secrète des solitaires, disciples de saint Antoine, rapportée par Cassien. D’ailleurs, saint Denys, cité par saint Grégoire le Grand et par les conciles œcuméniques, parle précisément de même. Enfin, il a une admirable conformité avec les saints des derniers siècles, tels que Tauler, le Bienheureux Jean de la Croix, sainte Catherine de Gênes, saint François de Sales, et beaucoup d’autres.


Mais quel théologien catholique oserait rejeter l’autorité de saint Clément ? C’est un sublime philosophe, et par conséquent, bien éloigné d’une crédulité puérile. C’est celui de tous les Pères, sans exception, en qui éclate une plus profonde et plus étendue érudition. Sa connaissance des Saintes Écritures est admirable ; aussi les a-t-il enseignées dans la plus célèbre école du monde, qui était celle d’Alexandrie. Origène même a été son disciple. Saint Jérôme dit de lui : Clemens Alexandrinus presbyter, meo judicio omnium eruditissimus... quid in libres ejus indoctum ? II a fleuri, dès la fin du second siècle, au commencement de l’empire de Sévère, à peu près dans le temps que saint Irénée souffrit le martyre. Il l’avait vu apparemment, car il avait beaucoup voyagé pour rechercher curieusement la tradition des hommes apostoliques. Il était à peu près contemporain de saint Justin martyr et de l’apologiste Athénagoras. Saint Clément pape, nommé par saint Paul dans ses Épîtres, était de la même race que le nôtre : c’est Eusèbe qui nous l’assure. Et le nôtre, qui est l’alexandrin, pouvait encore avoir appris bien des traditions importantes par sa propre famille.


Il fallait que ce Père fût déjà fort âgé, un peu avant la fin du second siècle, vers l’an 194, car il assure qu’il a été instruit par des hommes qui l’avaient été eux-mêmes immédiatement par les apôtres. L’endroit où il le dit est très remarquable, nous le trouvons dans les Stromates, et Eusèbe l’a rapporté dans son Histoire :


« Je n’ai point composé cet ouvrage pour l’ostentation, c’est un trésor de mémoire que j’amasse pour ma vieillesse, un remède sans art contre l’oubli ou la malice, un léger crayon de ces discours animés, et de ces hommes bienheureux et vraiment dignes de mémoire, que j’ai eu le bonheur d’entendre, l’un en Grèce, qui était Ionien, l’autre en Italie ; l’un était de Syrie, l’autre d’Égypte ; deux autres dans l’Orient ; l’un en Assyrie, l’autre en Palestine, hébreux d’origine. Ayant rencontré ce dernier, qui était le premier en mérite, je me suis arrêté en Égypte, l’étudiant sans qu’il s’en aperçût. C’était une abeille industrieuse, qui suçant les fleurs de la prairie des apôtres et des prophètes, a produit, dans les esprits de ses auditeurs, un trésor immortel de gnose. Ceux-là avaient conservé la vraie tradition de la bienheureuse doctrine, qu’ils avaient reçue immédiatement des saints apôtres, de Pierre, de Jacques, de Jean, et de Paul, chacun comme un fils de son père. Mais il y en a peu de semblables à leurs pères. Ils sont venus, par la grâce de Dieu, jusqu’à nous, pour nous confier cette semence divine ; et je sais qu’ils se réjouiront de voir ici leurs discours, non pas expliqués, mais seulement marqués, pour les conserver. Car je crois qu’on a voulu décrire une âme qui désire que la bienheureuse tradition demeure fixée quand on dit : un homme qui aime la sagesse réjouira son père173. »


Eusèbe et saint Jérôme ont cru que ce dernier homme, hébreu d’origine, auquel il s’était attaché, était Pantène, disciple des apôtres, le même qui, revenant des Indes où il avait annoncé l’Évangile, fonda l’école d’Alexandrie où saint Clément enseigna après lui.


Ainsi quand saint Clément parle de la tradition des apôtres, touchant la gnose, il parle avec la plus grande autorité qu’on puisse trouver sur la terre, après celle des apôtres. Même, il touche à leur temps : il dit que ses maîtres ont appris de Pierre, de Jacques, de Jean et de Paul. Il cite quatre principaux disciples de ces quatre apôtres qu’il a cherchés dans des pays si éloignés les uns des autres. Ces quatre hommes si merveilleux avaient reçu immédiatement la vraie tradition de la bienheureuse doctrine. Cette bienheureuse doctrine n’est pas la simple foi des chrétiens ordinaires : c’est la gnose, qui est la matière dont saint Clément veut traiter dans ces Stromates. Cette vraie tradition de la bienheureuse doctrine ne se divulguait pas, car saint Clément ne la découvrit dans son maître qu’en l’étudiant sans qu’il s’en aperçût. C’est une semence divine qui est confiée à certains hommes. On n’a garde de l’expliquer clairement, on « la marque seulement pour la conserver ». Dès le temps de saint Clément, cette tradition s’affaiblissait selon l’apparence, parmi les fidèles et parmi les pasteurs ; car il dit : « Il y en a peu de semblables à leurs pères. »  Il paraît même croire que ces hommes divins, qui avaient été instruits par les apôtres sur la gnose, avaient longtemps vécu par une providence particulière, pour transmettre ce dépôt secret : « Ils sont venus, dit-il, par la grâce de Dieu, jusqu’à nous, pour nous confier cette semence divine. » Qui osera douter du témoignage si positif et si précis d’un témoin, si instruit des temps apostoliques, si saint, si savant, si respecté de tous les siècles ?


17. Du secret qu’on doit garder sur la gnose



Selon saint Clément, ce qu’on écrit sur la gnose, est, pour un grand nombre d’hommes, ce que le son de la lyre serait pour des ânes. Nous avons vu que la gnose ne doit pas non plus être découverte aux simples fidèles que les mystères des simples fidèles aux païens ; cette économie paraît sans cesse de tous côtés, dans les Stromates de ce Père. Quand il a parlé de la contemplation du gnostique, il ajoute : « Nous montrerons que cette contemplation a des mystères ».


Il va même plus loin car, en parlant des mystères de la foi commune, il prétend qu’il n’y a que les gnostiques qui en aient une véritable intelligence. « Ceux, dit-il, qui apprennent encore en entendent ce qu’ils peuvent ; mais cela est entendu par ceux qui sont choisis pour la gnose174. » Qui est le sage ? dit-il ailleurs, et il entendra ces choses. Qui est l’intelligent ? et il comprendra ceci. Car les voies du Seigneur sont droites, dit le prophète, déclarant que le gnostique peut seul connaître et expliquer les choses dites d’une manière cachée par l’Esprit. Mais celui qui les comprend se taira à propos, dit l’Écriture, c’est-à-dire qu’il n’en parlera point à ceux qui en sont indignes. Il est du gnostique, dit-il encore ailleurs, de savoir quand, de quelle manière, et à qui il doit parler. Il avait déjà dit que « le gnostique est content, quoiqu’il ne trouve qu’un seul auditeur. » Il cite Pindare, qui dit qu’il ne faut point parler, devant tout le monde, des choses importantes ou anciennes ; on ne le doit faire que par les sûres voies du silence. Enfin il parle ainsi ailleurs : « Cet état suffit à ceux qui ont des oreilles, car il ne faut pas développer le mystère ; il faut le montrer, autant qu’il est nécessaire, pour se rappeler la mémoire de ceux qui participent à la gnose175. »


Ces passages montrent évidemment trois choses. La première, que le gnostique enseigne, quand même il serait réduit à un seul auditeur ; la seconde, que loin de pouvoir être examiné, jugé, par ceux qui sont encore pathiques, il ne peut être, ni entendu, ni compris par eux, en sorte qu’il ne doit pas leur confier les mystères de la gnose, et qu’ils ne sont pas même en état d’être instruits par lui ; la troisième, que tout ce que l’on dit de la gnose n’est point encore tout ce que l’expérience en a appris au véritable gnostique ; qu’il ne doit pas le divulguer : ce serait violer le secret de Dieu et trahir 1e mystère. « Ce discours, dit-il en un autre endroit, a plusieurs profondeurs », ce qui marque plusieurs degrés de profondeur dans les mystères ; en sorte qu’un homme qui a l’intelligence d’une profondeur, peut n’entrer point avec assez de lumière dans les autres plus grandes, faute d’être assez avancé.


Saint Clément ne cesse de dire, après avoir avancé les choses les plus étonnantes : « Je tais les autres choses, glorifiant le Seigneur ». « La perfection de la foi s’étend, dit-il ailleurs, au-delà de l’instruction ordinaire comme il convient à la majesté de la doctrine du Seigneur, et à la règle de l’Église. » « II ne faut pas, dit-il encore ailleurs, développer le mystère ; il faut seulement le montrer autant qu’il est nécessaire, pour rappeler la mémoire de ceux qui participent à la gnose, et qui entendront bien dans quel sens il a été dit par le Seigneur ; devenez parfaits comme votre Père, remettant les offenses qu’on nous fait, en perdant le souvenir, et vivant dans l’habitude d’impassibilité176. »


II y a une infinité de passages semblables pour marquer une tradition apostolique et secrète, confiée à un petit nombre de parfaits, et qu’il ne leur est pas permis de révéler aux chrétiens pathiques et mercenaires. Mais voici trois passages, dont l’un précède les plus importantes choses, que saint Clément dit sur le gnostique ; et les deux autres sont comme la conclusion de tout ce qu’il en a dit.


Voici le premier : « Nous avons décrit, dit-il, ce qui regarde les mœurs, comme en abrégé, jetant seulement les semences, comme nous l’avions promis ; et ayant jeté les dogmes vivifiants qui sont la vraie semence de la gnose, afin que la connaissance des saintes traditions ne soit pas facile à découvrir par ceux qui ne sont pas initiés177. » Vous voyez partout un auteur qui ne parle qu’en abrégé, qui ne veut jeter que des semences secrètes, et qui craint de laisser entrevoir les saintes traditions aux fidèles pathiques qui ne sont pas initiés dans la gnose.


Voici le second passage : «  Mes écrits, dit-il, sont fort variés, à cause de ceux qui pourraient les lire avec ignorance et mauvaise disposition. Ils ressemblent, comme leur nom le marque, à des tapisseries : ils passent continuellement d’une chose à l’autre ; ils paraissent montrer une chose par le fil du discours, et c’en est un autre qu’ils signifient ; à peine ce qui est écrit trouvera-t-il un homme qui l’entende ? 178 »


Il ne me reste qu’à rapporter encore le dernier passage où il achève d’expliquer la nature de ces écrits : « Ces livres des Stromates, dit-il, ne ressemblent point à des jardins, cultivés avec art, et plantés avec ordre, pour le plaisir de la vue ; ils ressemblent plutôt à une montagne couverte d’un ombrage épais, où sont plantés ensemble, des cyprès, des lauriers, des lierres, des pommiers, des oliviers, des figuiers, où les arbres qui portent du fruit sont mêlés, à dessein, avec ceux qui n’en portent pas. Cet ouvrage voulant être obscur, à cause de ceux qui ont la hardiesse d’enlever et dérober les fruits mûrs : ce laboureur prend de ces plantes, et les transportera ailleurs, pour en faire un jardin orné et agréable. Ces stromates, n’ont donc égard ni à l’ordre, ni à la diction. Les Grecs ne veulent point qu’on ait soin de la diction dans ce genre d’ouvrage. Et ils sèment les dogmes d’une manière obscure, et ne suivant pas ce que la vérité paraît demander. C’est afin d’exciter par là le lecteur à aimer le travail, et à devenir capable de trouver, car les appâts sont différents, à cause de la différence des poissons179. »


Il dit encore que le Seigneur « a révélé au grand nombre ce qui était pour le grand nombre, et aux petits, ce qu’Il savait qui ne convenait qu’aux petits, et qu’ils étaient capables de recevoir pour être formés ». Il ajoute que « cette instruction ne peut se faire qu’à l’égard de ceux qui sont éprouvés. Je les excite, dit-il, par ces monuments que je laisse ; j’en omets plusieurs, à dessein, choisissant avec discernement, et craignant d’écrire les choses que je me suis bien gardé de dire. Je ne garde point ce silence par envie, ce qui serait criminel ; mais je crains pour ceux dans les mains de qui cet ouvrage tomberait, de peur qu’ils ne tombassent en l’expliquant mal, et que je ne parusse fournir un glaive à un enfant, selon le proverbe. » Enfin il assure qu’il a « oublié » beau­coup de ces choses qu’il avait eu le bonheur d’entendre, car « il y avait, dit-il, une grande force dans ces hommes bienheureux ». Il dit que ces choses lui ont échappé, «par la longueur du temps ». D’autres, dit-il, « se sont éteintes en s’affaiblissant dans ma pensée180. »


Le profond secret avec lequel il croit devoir cacher religieusement la gnose suffirait seul pour démontrer qu’elle renferme, tout au moins, ce que les mystiques ont dit de plus fort sur la vie intérieure. Ce secret ne serait-il pas insensé et ridicule, s’il ne contenait que les vertus des meilleurs chrétiens qui vivent dans la voie commune ? Si la gnose était bornée là, les exagérations mystérieuses de saint Clément seraient, je l’ose dire, le comble de l’extravagance. C’en serait une très impie que de lui attribuer un dessein de si mauvais sens, suivi et soutenu dans un si long ouvrage.


Au reste, il est naturel qu’en lisant ces passages qui promettent une si profonde obscurité, avec des expressions si sobres, et si enveloppées, le sage lecteur me demande : qu’est-ce que saint Clément a pu donc vouloir cacher sur la gnose, puisqu’il dit si clairement, et avec tant de répétitions, des choses qui semblent si outrées ? À cela, je n’ai que deux choses à répondre. La première, c’est qu’il n’a point parlé des purifications, par lesquelles le simple fidèle devient gnostique. II montre seulement qu’on parvient à l’apathie par le « grand exercice véritable et pur » ; mais il n’explique point en détail en quoi consiste cet exercice. Il représente le gnostique comme s’étant élevé par le pur amour au-dessus de toute crainte et de toute espérance ; mais il n’explique point ce qu’il appelle « les progrès mystiques », au travers desquels on arrive à la gnose, et enfin à l’amour qui en est le comble. Il dit que le gnostique passe « au-delà de toute purification », et qu’il n’en reste plus à faire pour lui ; mais il passe légèrement, en deux mots, sur toutes ces purifications ; il en détourne adroitement la vue du lecteur ; il n’en parle que pour les représenter comme déjà finies. Ce n’est pas sans un grand mystère. Cet état d’épreuve et de purification rigoureuse, que les mystiques nomment état de mort et d’épreuves, et dont ils ont écrit des choses si humiliantes et si affreuses pour la nature, aurait pu scandaliser les philosophes païens, qui ne voulaient que des vertus héroïques et triomphantes. C’est le seul point de la gnose que saint Clément voile sous le silence, tout le reste est dit en des termes si forts qu’on a besoin de les adoucir pour sauver le dogme catholique.


Ma seconde réponse est que les choses qui paraissent les plus excessives dans saint Clément ne laissent pas de faire un tout aussi obscur et aussi embrouillé qu’il l’a prétendu. Si on en demande la preuve, j’alléguerai mon expérience et la peine avec laquelle il m’a fallu rassembler, dans sept livres fort longs, les morceaux épars d’un système qui sont entassés et confondus avec une infinité d’autres matières étrangères. Que si mon expérience ne satisfait pas le lecteur, je lui allèguerai la sienne propre, et celle de tant de savants hommes qui ont lu jusqu’ici saint Clément sans soupçonner même qu’il ait jamais parlé de la voie passive des mystiques.


Ce qui est néanmoins étonnant, c’est que ce Père, si sage et si éclairé, ait dit tant de choses sur un secret qu’il ne voulait pas découvrir. Que n’aurait-il pas dit, s’il eût parlé à découvert ? Il nous dépeint son gnostique, dans un état différent de celui du simple fidèle qui a la foi, l’espérance et la charité. Le gnostique contemple sans cesse, en tout temps et en tout lieu, sans images, ni diversité de pensées, et par conséquent sans actes ni discours. Il est toujours dans la même disposition à l’égard des mêmes choses, excluant même tous les objets incorporels qui ne sont pas Dieu, et Dieu, en tant qu’incompréhensible. Il est consommé dans l’union inamissible et inaltérable ; ayant passé au-delà de toutes oeuvres aussi bien que de toute purification, il n’a plus qu’à se reposer avec Dieu, qu’il voit face à face par la contemplation.


Il n’a plus besoin de vertu, parce qu’il n’a plus aucun mal à combattre, qu’il est dans l’apathie et l’imperturbabilité, que sa contemplation est devenue une substance vive et permanente, et qu’il a, ou pour mieux dire, qu’il est l’être même de la bonté. Il ne lui reste plus aucun désir à former, ni pour les biens temporels, ni pour son salut, dont l’espérance ne le touche plus, tant son amour est désintéressé ; ni pour son âme, car il n’agit point pour être sauvé. Il est suffisant à lui-même. Enfin il ne désire rien, même pour sa persévérance; car lorsqu’on est entré dans le divin de l’amour, l’amour parfait n’est plus un désir, mais une union ou unité fixée et tranquille.


Cette lumière est stable. C’est une égale stabilité de l’esprit ; on n’en peut jamais être arraché. C’est une vertu qui ne se peut perdre ; le gnostique en cet état est dans sa disposition propre et naturelle ; il a l’être même de la bonté. Il est toujours immuable dans ce que la justice demande. L’affliction ne peut pas non plus le troubler que le feu détruire un diamant. Sa contemplation est infuse et passive car elle attire le gnostique, comme l’aimant attire le fer, ou comme l’ancre, le vaisseau ; elle le contraint, elle le violente, pour être bon : il ne l’est plus par choix, mais par nécessité. La Sagesse se contemple elle-même en lui ; c’est dans la volonté du Seigneur qu’il connaît la volonté du Seigneur ; et par l’Esprit divin qu’il entre dans les profondeurs de l’Esprit.


Il est inspiré, prophète, mais prophète par le pur amour, qui lui rend l’avenir présent ; car c’est l’onction qui lui enseigne tout ; et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut être ni entendu, ni compris. Nul chrétien pathique et mercenaire, quand même il serait docteur, ne peut le comprendre, et encore moins le juger. Au contraire, c’est à lui à juger quels sont les fidèles dignes de son instruction sur la gnose. Il est dans l’état apostolique et, suppléant à l’absence des apôtres, non seulement, il enseigne à ses dis­ciples les profondeurs des Écritures, mais encore, il transporte les montagnes et aplanit les vallées dans l’âme du prochain. Il souffre intérieurement des tentations pour purifier ses frères. Enfin il est bienheureux, suffisant à lui-même, déiforme ou Dieu sur la terre ; vivant dans la chair, comme sans chair, arrivé à l’âge de l’homme parfait et hors du pèlerinage.


Que le lecteur qui lit ces choses n’entreprenne pas de les com­prendre s’il n’en a aucune expérience ; et qu’il croie humblement cette sainte tradition, dont saint Clément est un témoin si véné­rable. Qu’il ne juge point du don de Dieu, puisqu’il ne l’a pas encore reçu, et qu’il n’a pas même encore été digne d’en être instruit, par l’onction intérieure, comme simple disciple de la gnose. Qu’il craigne de se corrompre dans ce qu’il connaît, en blasphémant ce qu’il ignore. Qu’il prie seulement. Qu’il fasse taire sa raison, aussi bien que son imagination et ses sens, pour n’écouter plus, dans ce silence de toute créature, que la seule parole incréée. Qu’enfin, en purifiant son cœur et se renouvelant dans l’esprit intérieur, il mérite d’avoir ces yeux illuminés du cœur, dont parle l’apôtre, lesquels sont seuls dignes de découvrir le secret ineffable de l’amour divin.


Ce que je conjure le lecteur de bien remarquer à chaque page, c’est qu’il n’est pas permis de prendre les expressions de saint Clément comme un amas confus d’exagérations vagues et absurdes : ce serait une impiété. Toutes ces expressions sont précisément choisies pour former un corps régulier de système ; et toutes les parties de ce système, lorsqu’on les rassemble, se trouvent préci­sément les mêmes qui composent celui de nos mystiques. L’unique différence est que les mystiques expriment les mêmes choses, avec des termes plus précautionnés. De plus, ce qui est dit par saint Clément est dit de même par Cassien et par saint Denys. Au reste, on n’a qu’à réduire équitablement les expressions étonnantes de saint Clément au sens le plus modéré, le plus adouci et le plus correct qu’on voudra, en toute rigueur théolo­gique. Je déclare au nom de tous les mystiques véritablement pieux que ce sens le plus modéré renferme encore tout ce qu’ils demandent. Fin.




NOTE BIOGRAPHIQUE


François de Salignac de la Mothe-Fénelon est né à Fénelon, dans le Périgord, en 1651, et mort à Cambrai en 1715. Il étudie au collège jésuite de Cahors puis à Paris. Marqué par l’influence du P. Tronson, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, il est ordonné prêtre en 1675. Il est nommé trois ans plus tard supérieur d’une maison d’éducation pour les jeunes protestantes converties. Grâce au soutien de Bossuet, dans l’entourage duquel il travaille, il est nommé en 1689 précepteur du duc de Bourgogne. Mais, au même moment, il rencontre madame Guyon, qui lui fait découvrir la vie mystique. D’abord protégée par madame de Maintenon, elle est de plus en plus durement attaquée par Bossuet et ses amis. Fénelon lui demeure fidèle. Nommé archevêque de Cambrai en 1695, il est toutefois affaibli par les violentes réactions que suscite son Explication des maximes des saints (1697), puis les Aventures de Télémaque (1699), dans lesquelles Louis XIV voit avec raison une critique de son absolutisme. Dès lors, Fénelon se replie sur son diocèse pour lequel il travaille avec un zèle exemplaire et un rigoureux souci d’obéissance à l’Église. Il anime aussi un cercle spirituel et demeure en relation avec madame Guyon, retirée à Blois.


NOTE SUR LE PRÉSENT TEXTE


Le manuscrit du Gnostique de saint Clément d’Alexandrie est conservé aux Archives de Saint-Sulpice (ms. 2043 « Fénelon Lacombe Guyon »). Signalé comme œuvre de Fénelon dès le XVIIIe siècle, puis attribué au père Lacombe, confesseur de madame Guyon, il a été identifié de manière certaine par le père Paul Dudon s.j.

Nous pouvons aujourd’hui reconstituer sa chaîne de transmission. Madame Guyon s’intéresse au Gnostique dès le mois qui suit la rédaction : « Je voudrait si bien voir Saint Clément : si notre Général [Fénelon] me le voulait prêter, je ne le garderais point du tout et je le rendrais bien promptement 181. » Fénelon lui fait alors parvenir une copie de son double du Gnostique communiqué à Bossuet. Elle en fait faire à son tour une copie destinée au père Lacombe, qu’elle atteste postérieurement à la saisie de leur correspondance : « Je ne suis nullement en peine de l’écrit de Saint Clément, parce que c’est moi qui le lui ai envoyé. Je ne l’ai point eu de l’auteur, mais d’un copiste, lequel l’avait eu d’un autre à l’insu de l’auteur 182. » Lacombe avait accusé par deux fois la réception du texte : « Saint Clément alexandrin est un excellent ouvrage ; il paraît que son auteur a été singulièrement inspiré pour déterrer d’un auteur si grave et si ancien la véritable théologie mystique », et : « De quoi a servi le Saint Clément d’Alexandrie, tout utile qu’il est dans le fond ? » 183. On note les précautions prises pour protéger Fénelon dans les lettres échangées entre la prisonnière de Vincennes et le prisonnier de Lourdes.

La copie du ms. 2043, regroupée avec des écrits de Lacombe, est de la main de l’une des deux « filles » qui accompagnèrent madame Guyon dans ses prisons, comme le montre la comparaison avec le ms. 2057, folios 236 sv., donnant entre autres le poème de madame Guyon : « Je suis orpheline… ». Il s’agit peut-être de la main de « Famille » (Marie de Lavau) ou plus probablement de celle de la fidèle Françoise Marc, dont l’interrogateur La Reynie dira : « Cette fille a l'esprit très fin, elle écrit avec autant de facilité qu'en pourrait avoir le meilleur scribe du palais. » Son écriture ressemble à celle de Lacombe.

Accompagné d’une longue introduction du fervent bossuétiste Dudon, ainsi que de copieuses annexes, Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie a été publié pour la première fois dans la collection des Études de Théologie Historique, Gabriel Beauchesne éditeur, Paris, 1930.

Le texte ici reproduit est celui de l’édition du P. Dudon qui s’avère fidèle au manuscrit. Ce dernier n’est pas ponctué et n’est que rarement paraphé. Les citations sont référencées dans les marges. Ponctuation et paragraphes sont ici revus.

Nous avons jugé utile de donner les références des citations clémentines car la majorité des livres des Stromates sont devenus facilement accessibles dans la collection « Sources Chrétiennes ». Elles sont ici regroupées par paragraphe sous une même note. On est renvoyé soixante-deux fois au livre VII, trente-six fois au livre VI et vingt-huit fois au livre IV, mais seulement onze fois aux livres I à III et V.







FÉNELON MYSTIQUE

Un Florilège



Choix établi & présenté par Dominique Tronc



Présentation


François de Fénelon a fait l’objet d’un très grand nombre d’études, dont un bon millier pour le seul dernier demi-siècle184. Mais dès que l’on veut approcher son vécu au plan spirituel en négligeant les controverses, choix de textes et études sont plus rares185 et notre titre « Fénelon mystique » demeure original.

On l’a dépouillé de ce qui était essentiel à ses yeux pour le réduire parfois à un « homme de lettres ». Il y a de bonnes raisons à cela. Les autorités religieuses catholiques ou protestantes se méfient de la quiétude mystique. Souvent des critiques préfèrent Bossuet, prélat à la pensée simple et facilement partagée qui occupa une large place dans le canon littéraire français au XIXe siècle. Il succéda à Fénelon dont le rayonnement européen n’est grand qu’au Siècle des Lumières précédent. Les défenseurs de l’archevêque ont caché ses relations avec madame Guyon parce qu’elles étonnent en l’absence d’une sensibilité mystique186. Enfin certains des textes essentiels n’ont été rendus disponibles que fort récemment. Il s’agit de la correspondance complète avec madame Guyon187 et de la mise en valeur des fragments de lettres assemblés par les membres du cercle mystique animé par Fénelon. Ces derniers lui ont joué un mauvais tour. Ils ont supprimés des noms et des dates pour protéger les membres des deux cercles quiétistes de Cambrai et de Blois. Cette suppression est préjudiciable à toute édition critique 188.

Le choix de « bonnes pages » par des proches189 avait en effet sauvé l’essentiel mystique, mais ‘trop tôt’ en omettant les dates et les noms des correspondants. Ceci a conduit à minorer leur importance au bénéfice de textes complets signés mais souvent d’intérêt mineur.

Car les aspects visibles et multiformes ont été mis en valeur très tôt - ils intéressaient l’histoire du temps -, mais ils ont perdu depuis leur actualité : il s’agit de multiples opuscules rédigés en défense du quiétisme, de ceux rédigés en réaction à la seconde période janséniste, de textes éducatifs et de conseils politiques qui demeurèrent inutiles à la suite du décès du duc de Bourgogne, un temps dauphin.

L’image un peu molle de l’auteur du Télémaque destiné à un prince adolescent, ou bien celle de l’archevêque ferraillant contre le jansénisme, a caché la grandeur et la fermeté chirurgicale nécessaire du grand directeur spirituel ; il nous apparaît aujourd’hui comme le plus profond des moralistes190.

La trajectoire ascendante qui transforme la vie du jeune abbé, poulain de Bossuet promis à un brillant avenir de par ses capacités intellectuelles, conduira à la grandeur de l’archevêque combattant misères personnelles et collectives sans en tirer aucun profit personnel ou familial. Cette évolution n’a pas été suffisamment soulignée car la statue figée, érigée au siècle de sa mort, ne rend pas compte de l’homme cheminant vers son accomplissement intérieur 191.

Nous privilégions donc ici les écrits mystiques datant surtout de la fin d’une vie qui se déroule dans l’ombre portée par des politiques religieuses et royales contraires. L’image d’un auteur littéraire laisse place à celle du mystique sobre et sans illusion dont l’esprit subtil n’hésite pas lorsque l’essentiel à ses yeux est mis en cause.

Le desengaño192 parfois évoqué pour rendre compte d’un « tempérament sec » délivré de toute illusion se rattache souvent aux stades mystiques avancés. Il s’agit d’une vision des phénomènes vécus par qui a dépassé le senti et des interprétations tributaires d’époques et de croyances.

Notre florilège sera chronologique pour souligner la dynamique d’une vie consacrée puis donnée à Dieu. Tout commence par une rencontre improbable où l’attirance naturelle n’a guère de part, entre une ‘Dame directrice’ 193 et le jeune abbé. Rencontre sans sublime ni amalgame, contrairement à l’expression malicieuse de Saint-Simon. Puis vient la découverte rendue avec élan et fraîcheur par une identification avec les premiers chrétiens d’Alexandrie conduits par saint Clément.

Ensuite, le pasteur compose des essais titrés et ferraille avec finesse, mais sans fautes dans les combats de la ‘querelle quiétiste’. Enfin - condamnation acceptée et silence induit obligent -, le prélat se tait. Mais il s’opposera aux désunions des chrétiens en défendant l’autorité religieuse du pape tandis que sa charge d’âmes lui a fait produire des mandements qu’il jugeait nécessaires à leur conduite.

Plus discrètement il continua à diriger de Cambrai des âmes intérieures - membres du cercle constitué autour de « notre père » - outre la carmélite Charlotte de Saint-Cyprien dont nous reproduisons en premier l’ensemble des rares lettres qui nous sont parvenues – au moment même où madame Guyon, « notre mère », retirée sur les bords de la Loire près de Blois, agissait de même auprès de ses visiteurs. Les deux amis communiquaient par l’intermédiaire de ces derniers, en particulier par le neveu de l’archevêque.

On retiendra de ces aventures d’un passé évanoui la grandeur du moraliste qui traverse les couches superficielles des égoïsmes. Il sait révéler, au sein de ces couches intermédiaires nous séparant du cœur de nous-mêmes, reconnues aujourd’hui de psychologues et de psychanalystes, tous les fils échappatoires. Il les coupe avec une lame dont la précision est illustrée par le récit de Tchoang-tseu194. Son seul but est de mener droitement à Dieu. En même temps son devoir de pasteur archevêque lui fait guerroyer en théologie et philosopher assez intelligemment sur l’existence de Dieu195. L’abondance de ces derniers textes publics a voilé l’essentiel.

Notre florilège mystique est constitué de parties qui se succèdent chronologiquement : la rencontre mystique avec madame Guyon précède des extraits d’écrits titrés dont se détache le saint Clément. Puis une abondante correspondance de direction privilégie la période de maturité où Fénelon atteint le plein achèvement mystique.

Le florilège spirituel revivifie l’image de Fénelon, mais surtout veut être utile aujourd’hui. Aussi notre contribution dans le plein texte est-elle réduite,196 car, plutôt que de paraphraser des sources il faut laisser toute la place aux témoignages personnels : seul l’individu reflète une vie mystique.

Pour la chronologie des événements, on se reportera à celles établies par J. Orcibal dans la Correspondance de Fénelon197. Ainsi qu’à un « recueil de textes d’époque, rangés dans un ordre aussi rigoureusement chronologique que possible, reliés par une brève narration » pour approcher madame Guyon198.

Le dossier à incidences mystiques que nous proposons demande une certaine patience envers des textes qui ne recherchaient aucune diffusion, mais s’adressaient à tel(le) correspondant(e) ciblé(e). Elle est encouragée par le don d’écrire du directeur.

Son lecteur va commencer l’exploration par un témoignage « brut de décoffrage » provenant de sa « dame directrice », texte de sa Vie par elle-même qui n’était destiné qu’à un confesseur, le P. Lacombe199.



Avertissement


Notre but n’est ni historique ni théorique. Nous nous adressons aux chercheurs spirituels.

Toutefois nous mêlons - localement et en corps de caractères réduit - des aspects historiques au florilège proposé, afin de souligner un comportement exemplaire rare chez les prélats du temps, mais constant chez le pasteur et directeur spirituel François de Fénelon, digne successeur de François de Sales.

Prouver le rôle de la « dame directrice » qui l’initia à la vie mystique corrige « l’oubli » de siècles où l’on a dû protéger la figure illustre de l’Archevêque en l’occultant. Après le témoignage intime forcément subjectif de 1688 porté par Mme Guyon - Fénelon n’a jamais eu à exposer par écrit à la requête d’un confesseur la manière dont il a vécu une rencontre décisive - nous proposons quelques échanges entre directrice et dirigé, produisons les questions-réponses de l’échange de mai 1710, seul survivant des relations par questions-réponses rétablies après les prisons. Ensuite des extraits de correspondance témoignent d’une parfaite fidélité fénelonienne.

Les interactions entre Fénelon et ses dirigé(e)s furent éclairées magistralement par J. Orcibal : nous reprenons ses notes en les allégeant seulement de renvois, puisque le présent ouvrage ne prétend pas à érudition. Et de même pour celles par I. Noye dont son [CF 18] a été le moteur de notre travail. Ces reprises seront utiles aux chercheurs car nous ne disposons à ce jour d’aucun outil permettant de les retrouver facilement au sein des volumes impairs des études et notes de la [CF]200 ! Il en est de même d’une utilité offerte par les Relevés de correspondances figurant en fin des sections par destinataire et concernant les volumes pairs de lettres.

Notre disposition reste chronologique, par et dans les sections propres à chaque dirigé(e). Ceci permet de suivre « à la trace » chaque évolution, souvent de longue durée, pas toujours mystique. C’est le seul moyen de s’approcher d’un vécu intérieur. Nous privilégions l’expérience vécue, donc pas de théologie ! La distribution par destinataires permet d’apprécier la finesse du commun directeur envers des « commençants » ou des « pèlerins », tous considérés comme des « amis ». Fénelon aurait succédé à Mme Guyon s’il eût vécu.

Ce florilège est issu de lectures successives sur une dizaine d’années effectuées à travers mais sans couvrir l’immensité des écrits féneloniens. Il doit tout aux travaux de Gosselin [OC], d’Orcibal et de Noye [CF], de Le Brun [OP]. Table des sigles des sources, infra.

Nous pensons que ce travail met en valeur, outre la profondeur d’une Charlotte de Saint-Cyprien, la ‘Petite Duchesse’ de Mortemart : cette cadette du ‘clan Colbert’ sut s’imposer auprès de son frère et des membres du ‘petit troupeau’ mystique. Elle en prit la direction avec Fénelon au moment des épreuves de la ‘Dame Directrice’. Adoucie par l’expérience, après la disparition de Fénelon en janvier 1715 puis de Mme Guyon en juin 1717, elle continua leur apostolat en couvrant la première moitié du XVIIIe siècle, certes aidée par d’autres membres des deux cercles de spirituels, les un « cis » français, les autres « trans » européens. Nous avons approfondi son portrait placé en tête de la section qui lui est consacrée.





Table des sources

Œuvres de Fénelon 

OS, OC, GC, EP, OP, CF, LSP :

Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon… I & II, à Anvers, 1718 [OS 1 et 2].

Œuvres Complètes de Fénelon, édition en dix tomes dite de Paris, ou de Saint-Sulpice, « par les soins de MM. Gosselin et Caron » (1848-1852) [OP 1 à OP 10].

Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie […] de 1694, éd. Dudon, Paris, Beauchesne, 1930 ; éd. Tronc, Paris-Orbey, 2006 (« La tradition secrète des mystiques »). [GC]

J.-L. Goré, La notion d’indifférence chez Fénelon et ses sources, P.U.F., 1956, « Mémoire sur l’État passif » [EP], notes [G].

Fénelon, Œuvres I & II, éd. par Jacques le Brun, Paris, Gallimard Pléiade (1983 & 1997) [OP 1 et OP 2].

Correspondance de Fénelon, tomes II-XVIII, Klinksieck puis Droz (1972-1999, 2007) [CF 1-17, 18 : L. vol. pairs, comm. vol. impairs], notes [O] ; [CF 18] contient « II. Lettres spirituelles » [LSP].

Œuvres de Mme Guyon

VG, CG, EG :

Madame Guyon, La vie par elle-même […], Honoré Champion (2001) [VG]

Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles(2003), II Années de combats (2004), III Chemins mystiques (2005) Honoré Champion [CG 1 à 3].

«Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Honoré Champion, 2009 [ EG ].

Etudes

Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, « Bibliographie chronologique (1940-2000) ».

Fénelon, Œuvres spirituelles, Introduction et choix de textes par François Varillon S.J, Aubier, 1954. 

François Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.





Une rencontre mystique


L’éveil à la vie mystique commence par des relations liant « aîné » à « cadet ». Nous commençons par livrer le témoignage de « l’aîné(e) » - il s’agit ici de madame Guyon. Ce témoignage n’était pas destiné à être divulgué. Il nous est rapporté hors du manuscrit dit d’Oxford, la source des éditions anciennes de la Vie par elle-même. Il s’agit de deux manuscrits repris dans notre édition critique201.

Le témoignage de madame Guyon

[3.9.10]202 « Quelques jours après ma sortie203, je fus à B[eynes]204 chez M[adame] de Charost [...]205 ayant ouï parler de M. 206, je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur. Il me sembla que Notre Seigneur me l’unissait très intimement et plus que nul autre. Il me fut demandé un consentement : je le donnai; alors il me parut qu’il se fit de lui à moi comme une filiation spirituelle. J’eus occasion de le voir le lendemain, je sentais intérieurement que cette première entrevue ne le satisfaisait pas, qu’il ne me goûtait point, et j’éprouvai un je ne sais quoi qui me faisait tendre à verser mon cœur dans le sien, mais je ne trouvais pas de correspondance, ce qui me faisait beaucoup souffrir. La nuit, je souffris extrêmement à son occasion. Nous fûmes trois lieues enfermées en carrosse; le matin, je le vis, nous restâmes quelque temps en silence et le nuage s’éclaircit un peu, mais il n’était pas encore comme je le souhaitais. Je souffris huit jours entiers, après quoi je me trouvai unie à lui sans obstacle; et depuis ce temps je trouve toujours que l’union augmente d’une manière pure et ineffable. Il me semble que mon âme a un rapport entier avec la sienne, et ces paroles de David pour Jonathas, que son âme était collée à celle de David, me paraissaient propres à cette union. Notre Seigneur m’a fait comprendre les grands desseins qu’il a sur cette personne et combien elle lui est chère.

[3.10.1] […]207 « Il me semble que depuis qu’il me fut donné à B[eynes] que je l’acceptai et que je m’offris pour le porter dans mon sein et pour souffrir pour lui tout ce qu’il plairait à l’amour, que je l’ai porté dans mon sein, je le trouvai toujours en moi. Ce fut vers la saint François du mois d’octobre 1688 208.

« Depuis ce temps, je n’ai jamais été invitée de Dieu pour retourner dans mon fond, que je ne le trouvasse près de mon cœur; mais cela d’une manière autant pure, spirituelle que réelle, car, il n’y a rien d’imaginatif en moi, mais tout passe dans le fond en réalité. Comme je le portais de cette sorte dans mon cœur, il me semblait que toutes les grâces que Dieu lui faisait passaient par moi ; et, je n’en pouvais douter, je le sentais plus proche et plus présent que les enfants que j’ai portés dans mes entrailles, et de tous les enfants spirituels que Dieu m’a donnés, je n’en ai eu aucun qui me fût pareil à celui-là ; c’est une intimité qui ne se peut exprimer, et à moins d’être fait une même chose il ne se peut rien de plus intime. Il suffisait que je pensasse à lui pour être plus unie à Dieu, et lorsque Dieu me serrait plus fortement il me paraissait que des mêmes bras dont il me serrait, il le serrait aussi.

Depuis les huit premiers jours après notre première entrevue à B[eynes], où je souffris beaucoup, car je trouvais comme un chaos entre lui et moi qui empêchait mon cœur de se verser dans le sien, mais à mesure que je souffrais, je trouvais que ce chaos se détortillait, jusqu’à ce qu’enfin étant entièrement débrouillé, je trouvais qu’avec une suavité incomparable mon cœur se versait dans le sien sans que je le visse ni que je lui parlasse; mais au commencement avec moins de largeur, ensuite toujours plus facilement, en sorte que j’éprouvais qu’il se faisait un écoulement presque continuel de Dieu dans mon âme et de mon âme dans la sienne, comme ces cascades qui tombent d’un bassin dans l’autre; cela était souvent en sorte que je ne pouvais parler et je me tirais à l’écart pour me laisser posséder à Dieu et le laisser opérer en moi pour lui tout ce qu’il voulait. Il y avait des moments où l’on me réveillait avec une promptitude extrême, et je le trouvai tout prêt à recevoir, alors il recevait ; mais quelquefois je sentais cet écoulement comme suspendu, et j’éprouvais qu’il était alors mis en sécheresse.

Je ne lui disais pas cela, ne pouvant lui parler, je lui en écrivais quelque chose, mais il m’est impossible de bien exprimer ce que je sens à son égard. Dieu me fit comprendre les grands desseins qu’il avait sur cette âme et combien elle lui était chère. Je m’étonnais de ce qu’il me donnait plus pour lui seul que pour tous les autres ensembles, et l’on me faisait comprendre en cela que l’on voulait beaucoup l’avancer et qu’il ne lui serait rien donné que par ce misérable canal. Je n’osais m’expliquer de tout cela; cependant j’étais quelquefois si fort poussée que, pour ne pas résister, ne le pouvant plus malgré mes répugnances naturelles, je passais outre et j’en écrivais ; j’aspirais à une certaine liberté qui était de pouvoir agir avec lui sans gêne et qu’il put concevoir ce que je lui étais en Jésus-Christ, mais les avenues étant fermées, je ne pouvais assez m’en expliquer 209.

« Je connus que M.L.[M. L’abbé de F.] serait précepteur de M. le Duc de Bourgogne210 et je le lui ai mandé [en] mai 89 : Dieu se servira de lui d’une manière singulière, mais il faut qu’il soit anéanti et étrangement rapetissé. Dieu travaillera surtout à détruire sa propre sagesse et sa propre raison, et il se servira de ma folie pour accomplir son œuvre en lui.

« Il me fut donné à connaître que dès 1680 que Dieu me le fit voir en songe, il me le donna et qu’il me donna à lui, mais je ne le connus qu’en 1688. Son visage me fut d’abord connu : je le cherchais partout sans le rencontrer. Notre-Seigneur me fit connaître qu’il eut dès lors quelque attrait pour l’intérieur. Je n’ai point encore eu d’âme avec laquelle la mienne eût un si entier rapport. Je songeai de lui, assez près l’un de l’autre, deux songes qui me confirmèrent dans la certitude que Dieu voulait se servir de moi et qu’il le voulait beaucoup anéantir intérieurement et le mener par sa pure volonté. Je lui écrivis ingénument le songe. À quelques jours de là, c’était proche de la St Jean 1689, il me fut fait comprendre que Dieu le voulait conduire comme un enfant par la petitesse […] Dieu me donne cette simplicité à son égard de lui écrire selon le mouvement qu’il m’en donne, quoique je sache qu’ayant autant d’esprit et de science qu’il en a, il ne peut trouver dans mes expressions et dans ce que je lui écris que des pauvretés; mais tout cela ne me met pas en peine, je n’y peux faire d’attention et il saura discerner ce qui est de Dieu d’avec ce qui est de ma pauvreté, la petitesse qu’il exercera, me supportant, étant fort agréable à Dieu, et fait que ce qui est de Dieu a toujours son effet, quoique non toujours aperçu. Juin 89 211.

« Quelque union que j’aie eu pour le père La Combe j’avoue que celle que j’ai pour M. L. est encore tout d’une autre nature; et il y a quelque chose dans la nature de l’union que j’ai pour lui qui m’est entièrement nouvelle, ne l’ayant jamais éprouvée. Il en est de même pour ce que je souffre pour lui. Cette différence ne peut jamais tomber que sous l’expérience. Je crois que Dieu me l’a donné de cette sorte, pour l’exercer et le faire mourir par l’opposition de son naturel; aussi vois-je clairement qu’il ne sera point exercé par les fortes croix212, son état étant uni et non sujet aux alternatives de douleurs et de joie. Il faut donc détruire sa propre sagesse dans tous les endroits où elle se retranche et c’est à quoi il me paraît que Dieu me destine. […]

« J’ai oublié de dire qu’après l’état ressuscité, je fus quelques années avant que d’être mise dans l’état que l’on appelle apostolique ou de mission pour aider les autres. […] Mais lorsqu’il plut à Dieu de vouloir bien m’honorer de sa mission, il me fit comprendre que le véritable père en Jésus-Christ et le pasteur apostolique devait souffrir comme lui pour les hommes, porter leurs langueurs, payer leurs dettes, se vêtir de leurs faiblesses. Mais Dieu ne fait point ces sortes de choses sans demander à l’âme son consentement; mais qu’il est bien sûr que cette âme ne lui refusera pas ce qu’il demande! Il incline lui-même le cœur à ce qu’il veut obtenir […] Si j’avais demeuré dans ma vie cachée, je n’aurais jamais souffert aucune persécution, on ne persécute que ceux qui sont employés à aider aux âmes. » Il fallut alors un consentement d’immolation pour entrer dans tous les desseins de Dieu sur les âmes qu’il se destine.

[2.] « Il me fit comprendre qu’il ne m’appelait point, comme l’on avait cru, à une propagation de l’extérieur de l’Église, qui consiste à gagner les hérétiques, mais à la propagation de son Esprit, qui n’est autre que l’esprit intérieur, et que ce serait pour cet Esprit que je souffrirais. Il ne me destine pas même pour la première conversion des pécheurs, mais bien pour faire entrer ceux qui sont touchés du désir de se convertir, dans la parfaite conversion, qui n’est autre que cet esprit intérieur. Depuis ce temps Notre Seigneur ne m’a pas chargée d’une âme qu’il ne m’ait demandé mon consentement, et qu’après avoir accepté cette âme en moi, il ne m’ait immolée à souffrir pour elle. »

§


Après cet événement de l’automne 1688 va commencer le cheminement sur les Secrets sentiers de l’amour divin213. Nous plaçons ici une Chronologie couvrant deux années, suivie d’une Histoire et état documentaire des sources :


Chronologie couvrant les deux années qui suivent la rencontre

Ce qui nous a été conservé sur six trimestres (janvier 1689 – Juin 1690) présente une répartition uniforme correspondant à une lettre échangée par jour. La correspondance issue de Fénelon y contribue en moyenne par une lettre tous les trois jours.

On pense que des lettres de Madame Guyon furent adressées à Fénelon longtemps auparavant214. On sait que la correspondance continua après 1690, indirectement relayée par le duc de Chevreuse, interrompue par l’emprisonnement à la Bastille, pour reprendre ensuite : les courriers entre Cambrai et Blois étant assurés par le marquis neveu de Fénelon, Ramsay, Dupuy et d’autres.

Il est intéressant de regarder la distribution des lettres écrites par Fénelon à divers correspondants durant les années 1689-1690 : plus de la moitié des lettres sont adressées à Madame Guyon. Madame de Maintenon vient en seconde place suivie de près par les autres dirigé(e)s de l’abbé.

Il est utile d’évoquer ici le cadre événementiel par une chronologie couvrant ces années de correspondance, ce qui n’est pas facile en ce qui concerne madame Guyon car nous avons peu de renseignements précis sur cette période couvrant exceptionnellement deux années heureuses pour elle donc « sans problèmes », mais très bien établie pour Fénelon par Orcibal :

13 septembre 1688 : Madame Guyon sort de la prison de la Visitation du Faubourg Saint-Antoine, suite aux interventions de Mme de Miramion et d’une abbesse parente de Mme de Maintenon.

« Un peu avant le 3 octobre 1688 » : rencontre avec l’abbé de Fénelon au château de Beynes.

Madame Guyon est malade trois mois, avec un abcès à l’œil. Elle réside chez les dames de Mme de Miramion. Cette dernière découvre les calomnies du P. la Mothe.

2 décembre 1688 : Fénelon écrit à Mme Guyon.

Fénelon prêche successivement à des religieuses (28 novembre, 1er dimanche de l’Avent), aux Nouvelles Catholiques (12 décembre, 3e dimanche de l’Avent), à la maison professe des jésuites (1er jour de l’an 1689.)

Entre le 10 et le 14 avril 1689 : entrevue entre Fénelon et Madame Guyon.

À partir du 22 au 30 avril 1689 : séjour de Madame Guyon à la campagne.

20 juin 1689 : rencontre à Saint-Jacques de la Boucherie.

17 juillet 1689 : Fénelon écrit : « Je reviens de la campagne [Germigny ?] où j’ai demeuré cinq jours ».

24 et sans doute 28 août 1689 : Rencontres.

25 août 1689 : Armand-Jacques, le fils aîné de Madame Guyon, est blessé à l’engagement de Valcourt. Il restera estropié.

26 août 1689 : sa fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux.

29 août 1689 : Fénelon prête serment devant le roi comme précepteur du duc de Bourgogne. Il commence son enseignement le 3 septembre et réside désormais à Versailles.

Début octobre 1689 : Fénelon « n’a pas assez de foi ». Crise de novembre.

Janvier 1690 ? : Lettre de Fénelon à Mme de Maintenon, « sur ses défauts. »

Février 1690 : « Pour ma santé, elle est bien détruite… »

L’année 1690 est très mal documentée en ce qui concerne Madame Guyon : « Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison éloignée du monde… » Longue période sans événements datés.

Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, fils aîné du ministre, est assisté par Fénelon et meurt le 3 novembre 1690. (Les filles ont épousé les deux ducs de Beauvillier et de Chevreuse, disciples de Madame Guyon).

8 novembre 1690 : Fénelon va à Issy remettre une lettre à M. Tronson, son ancien confesseur, à la demande de Mme de Maintenon.

29 novembre 1690 : mise à l’index du Moyen court.

11 décembre 1690 : Fénelon participe à un conseil des directeurs de Saint-Cyr qui décide de la vocation de Mme de la Maisonfort.


Histoire et état documentaire des sources

La relation avec Fénelon constitue la plus importante série des directions spirituelles par Madame Guyon : nous renvoyons à [CG1].

Les deux derniers volumes sur quatre repérés sont perdus. L’histoire éditoriale est complexe mais elle a permis de mettre à jour le « dossier » des relations étroites liant la « dame directrice » à Fénelon :

(1) La « Correspondance secrète » de l’année 1689 » fut publiée par Dutoit en 1767-1768 et reconnue authentique tardivement par Masson en 1907. Elle couvre les quatorze premiers mois de la rencontre (octobre 1688 à décembre 1689). Elle est éditée en [CG 1], 215-458 215.

(2) « Le complément de l’année 1690 » couvre presque la même durée soit de fin décembre 1689 à la fin de l’année 1690. Cet apport du manuscrit de la B.N.F. découvert par I. Noye est éditée pour la première fois en [CG 1], 2003, 459-554.

(3) « Lettres écrites après 1703 », reprend les deux seuls témoignages sûrs qui nous sont parvenus de leur correspondance postérieure à la période des emprisonnements, dont se détache le dialogue daté de mai 1710. Le manuscrit a fait le voyage de Cambrai à Blois puis son retour, probablement porté par le marquis de Fénelon ou par Ramsay. Écrit sur deux colonnes comportant d’un côté des questions posées par l’archevêque et de l’autre les réponses de Madame Guyon il est reproduit en [CG 1], 555-563, comme ici infra, de façon compréhensible, c’est-à-dire en associant les réponses aux questions correspondantes216. Ce précieux témoin nous éclaire sur le type de relations qui perdura jusqu’à la mort de Fénelon : il y eut un courant de lettres portées par des amis sûrs entre Blois et Cambrai et vers l’étranger.

(4) Poésies spirituelles. Nous les omettons car elles sont d’attribution douteuse


Des premiers échanges

Voici un aperçu bref de l’échange épistolaire intense suivant la découverte de la vie mystique par Fénelon217. Il s’agit d’un dialogue remarquable par son recul pris vis-à-vis de manifestations visibles « mystiques » : elles sont totalement absentes.

La dépendance que manifeste Fénelon vis-à-vis de son initiatrice est fondée sur l’expérience intraduisible, mais très directe de communication de cœur à cœur qu’il ne peut rejeter, malgré son aversion pour certains traits féminins. Madame Guyon ne les désavoue pas : elle se sent d’ailleurs libre vis-à-vis de ses limites, sachant qu’elle n’est rien par elle-même, mais toute efficiente par grâce.

Je reprend leur analyse par Murielle Tronc publié en présentation de ces premiers échanges218 :

« La correspondance entre Madame Guyon et Fénelon eest d’un exceptionnel intérêt219 car elle constitue à notre connaissance le seul texte relatant au jour le jour la « mise au monde » d’un mystique par une autre mystique servant de canal à la grâce. Le lecteur contemporain imprégné de psychanalyse frémira parfois devant les dérapages sentimentaux de Madame Guyon. Mais interpréter cette relation comme traduisant un érotisme frustré réduit à un connu élémentaire ce qui le dépasse visiblement, si l’on se penche sur ces textes avec respect et honnêteté : ils témoignent de la découverte expérimentale d’un au-delà du monde corporel et psychologique, qu’ils ont appelé Dieu.

Il faut donc accepter d’entrer avec eux dans le territoire inconnu dont ils portent témoignage et que Madame Guyon a exploré seule sans personne pour la guider. Elle a rencontré Fénelon le 13 septembre 1688, après qu’il lui eut été désigné par un rêve :

Après vous avoir vu en songe, je vous cherchais dans toutes les personnes que je voyais, je ne vous trouvais point : vous ayant trouvé, j’ai été remplie de joie, parce que je vois que les yeux et le cœur de Dieu sont tout appliqués sur vous. [CG I] Lettre 154 220.

Il fut le disciple préféré, avec qui elle se sentait en union mystique complète ; il se révéla le seul dont les potentialités fussent égales aux siennes, ce qui explique son immense joie, le soin extrême qu’elle prit à le suivre pas à pas et les analyses remarquables qu’elle lui adressa durant de nombreuses années (dont ne demeurent que le début de leur relation et quelques vestiges) :

Dieu ne veut faire qu’un seul et unique tout de vous et de Lui : aussi n’ai-je jamais trouvé avec personne une si entière correspondance, et je suis certaine que la conduite intérieure de Dieu sur vous sera la même qu’Il a tenue sur moi, quoique l’extérieur soit infiniment différent. [CG I] Lettre 132.

Le fondement de la relation de Madame Guyon avec ses enfants spirituels était la communication de la grâce dans le silence d’un cœur à cœur qui se poursuivait même à distance. Elle eut donc à apprendre à Fénelon à aller au-delà du langage, à préférer une conversation silencieuse :

Lorsqu’on a une fois appris ce langage [...], on apprend à être uni en tout lieu sans espèce et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. [CG 1] L. 157.

Tout au long de ces lettres, elle tente par images d’exprimer le flux de grâce qui passe à travers elle :

Mon âme fait à présent à votre égard comme la mer qui entre dans le fleuve pour l’entraîner et comme l’inviter à se perdre en elle » (L. 276). Ou encore : « Dieu me tient incessamment devant Lui pour vous, comme une lampe qui se consume sans relâche […] Il me paraissait tantôt que je n’étais qu’un canal de communication, sans rien prendre. [CG 1] L. 114.

Sa mission est souvent lourde à supporter :

Dieu m’a associée à votre égard à Sa paternité divine […] Il veut que je vous aide à y marcher [vers la destruction], que je vous porte même sur mes bras et dans mon cœur, que je me charge de vos langueurs et que j’en porte la plus forte charge. [CG 1] L. 154.

Elle sait combien cela paraît extraordinaire et elle insiste souvent :

Ceci n’est point imaginaire, mais très réel : il se passe dans le plus intime de mon âme, dans cette noble portion où Dieu habite seul et où rien n’est reçu que ce qu’Il porte en Lui. [CG 1] L. 146.

Avec l’autorité que donne l’expérience, elle fonde ontologiquement la paternité spirituelle dans l’importante lettre 276 :

Le père en Christ ne se sert pas seulement de la force de la parole, mais de la substance de son âme, qui n’est autre que la communication centrale du Verbe.

Cette circulation de la grâce se fonde sur le « flux et reflux » qui a lieu dans la Trinité même. Elle affirme avec force : « Tout ce qui n’est point cela n’est point sainteté. » La tâche est immense et ne souffre aucun relâche :

Je me trouve disposée à vous poursuivre partout dans tous les lieux où vous pourriez trouver refuge et, quoi qu’il m’en puisse arriver, je ne vous laisserai point que je ne vous ai conduit où je suis. [CG 1] L. 220.

Elle va lui faire quitter peu à peu tous ses appuis, à commencer par le domaine de l’intellect auquel s’accroche cet homme si raisonnable et scrupuleux :

Vous raisonnez assurément trop sur les choses [...] Je vous plains, par ce que je conçois de la conduite de Dieu sur vous. Mais vous êtes à Lui, il ne faut pas reculer. (L. 128).

Il rend les armes et ironise sur lui-même :

 Je ménage ma tête, j’amuse mes sens, mon oraison va fort irrégulièrement ; et quand j’y suis, je ne fais presque rêver [...] Enfin je deviens un pauvre homme et je le veux bien. (L. 149).

Elle lui fait abandonner toute ses habitudes d’ecclésiastique, son bréviaire (L. 231 sq.) et même la confession :

Il faut que (Dieu) soit votre seul appui et votre seule purification. Dans l’état où vous êtes, toute autre purification vous salirait. Ceci est fort. (L. 267).

Elle lui fait dépasser toute référence morale humaine :

Je vous prie donc que, sans vous arrêter à nulles lois, vous suiviez la loi du cœur et que vous fassiez bonnement là-dessus ce que le Seigneur vous inspirera. Ce n’est plus la vertu que nous devons envisager en quoi que ce soit - cela n’est plus pour nous -,  mais la volonté de Dieu, qui est au-dessus de toutes vertus. (L. 219).

Le but est d’atteindre l’état d’enfance où Dieu seul est le maître et où nul attachement humain n’a plus cours :

C’est cet état d’enfance qui doit être votre propre caractère : c’est lui qui vous donnera toutes grâces. Vous ne sauriez être trop petit, ni trop enfant : c’est pourquoi Dieu vous a choisi une enfant pour vous tenir compagnie et vous apprendre la route des enfants. (L. 154).

Elle le ramène sans cesse à l’essentiel :

Il faut que nous cessions d’être et d’agir afin que Dieu seul soit. (L. 263).

On mesure facilement les difficultés de Fénelon : dans cette société profondément patriarcale, ce prince de l’Église à qui toute femme devait obéissance a dû s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce. Elle ne s’y trompe pas et lui dit carrément :

Il me paraît que c’est une conduite de Dieu rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille me donner ce qui vous est propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il l’a ainsi voulu. (L. 124).

Plus tard, elle lui écrit avec humour et tendresse :

Recevez donc cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que l’esprit de mon Maître qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une colombe [...], mais sous celle d’une petite femmelette. (L. 292).

Leurs deux tempéraments étaient opposés : il était un intellectuel sec et raisonnable, un esprit analytique très fin, un ecclésiastique rempli de scrupules ; elle était passionnée, parfois un peu trop exaltée, et surtout elle ne pouvait rien contre les « mouvements » de la grâce, si prompts qu’elle agissait et écrivait sans y pouvoir rien (L. 253). Elle s’excuse souvent de ce qu’elle est :

Dieu m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie votre sagesse, non en ne me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis. (L. 171).

Mais avec tendresse et rigueur, elle le bouscule pour lui faire lâcher ses attachements personnels et le ramener à tout prix vers l’essentiel. On le voit peu à peu abandonner ses préjugés et ses peurs, il la rassure : « Rien ne me scandalise en vous et je ne suis jamais importuné de vos expressions. Je suis convaincu que Dieu vous les donne selon mes besoins. » et il termine en souriant sur lui-même : « Rien n’égale mon attachement froid et sec pour vous. » (L. 172). Surtout il accède à l’essence même de la relation spirituelle :

Je ne saurais penser à vous que cette pensée ne m’enfonce davantage dans cet inconnu de Dieu, où je veux me perdre à jamais. (L. 195).

Il règne entre eux deux un rapport complexe d’autorité réciproque : bien qu’elle lui laisse son entière liberté, il sait bien que sa parole est vérité et avertissement divin (l . 220).

Quand elle manque de mourir, il lui écrit, éperdu : « Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? Ou bien serais-je à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer. » (L. 249).

Inversement, elle le considère comme signe de Dieu pour elle et lui affirme toujours sa soumission en tout : « Il n’y a rien au monde que je ne condamnasse au feu de ce qui m’appartient, sitôt que vous me le diriez [...] Comptez, monsieur, que je vous obéirai toujours en enfant. » (L. 169).

Avec une totale confiance et une grande estime, elle se confie à lui car elle est dans un état d’enfance, d’abandon trop profond à la volonté divine pour vouloir encore réfléchir ou décider par elle-même :

Notre Seigneur m’a fait entendre que vous êtes mon père et mon fils, et qu’en ces qualités vous me devez conduire et me faire faire ce que vous jugerez à propos, à cause de mon enfance qui ne me laisse du tout rien voir, ni bien ni mal, que ce qu’on me montre dans le moment actuel. (L. 280).

Il lui répondra toujours avec une déférence et une délicatesse extrêmes : sans oser lui donner d’ordres, il lui suggère des solutions dans des problèmes délicats ou familiaux.

Si Madame Guyon a été source de souffrances purificatrices pour Fénelon, il a été pour elle le support de projections psychologiques intenses, qui elles aussi ont été détruites par la Providence. Fénelon fut gouverneur du Dauphin de 1689 à 1695 et aurait pu devenir son Premier ministre après la mort de Louis XIV : Madame Guyon et son entourage ont rêvé d’une France enfin gouvernée par un prince bien entouré et imprégné de spiritualité, au point que Madame Guyon s’est laissée aller à des prédictions à propos de ce prince : « Il redressera ce qui est presque détruit [...] par le vrai esprit de la foi. » (L. 184). On sait que le Dauphin mourut en 1712.

De même, Madame Guyon vit en Fénelon son successeur après sa mort. En avril 1690, croyant mourir, elle lui confia sa charge spirituelle : « Je vous laisse l’Esprit directeur que Dieu m’a donné [...] Je vous fais l’héritier universel de ce que Dieu m’a confié. » (L. 248). Malheureusement Fénelon est mort avant elle en janvier 1715.

Si Fénelon n’a pas pu continuer après elle, il a été d’une grande aide puisqu’il a pris en charge ceux qui se trouvaient autour de lui. Petit à petit, on voit Madame Guyon lui donner des conseils pour diriger certains amis, et il expérimente à son tour la communication de la grâce cœur à cœur avec ses propres disciples :

Je me sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma. Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme des petits enfants ensemble, et vous y êtes aussi quoique vous soyez loin de nous. (L. 266).

Ceci ne peut exister que dans son union avec elle, lui explique Madame Guyon :

Vous ne ferez rien sans celle qui est comme votre racine, vous enté en elle comme elle l’est en Jésus-Christ [...] Elle est comme la sève qui vous donne la vie. (L. 289).

Comme on le voit très clairement dans les lettres aux autres disciples, il s’est formé autour de Fénelon un cercle spirituel équivalent à celui de Madame Guyon à Blois, au point que tous les appelaient « père » et « mère ».

Tout au long de ces années, Madame Guyon s’émerveilla de leur union si totale en Dieu :

« Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni d’avec moi, ni être désuni d’avec moi sans sortir de Dieu. » (L. 271).

Elle célèbre la liberté absolue de cette union au-delà de l’humain « au-dessus de ce que le monde renferme de cérémonies et de lois » ;  « les enfants de l’éternité […] se sentent dégagés de tous liens bons et mauvais, leur pays est celui du parfait repos et de l’entière liberté. » (L. 271).

Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoiqu’assez éloignée de lui, d’une douleur profonde, mais suave. Toute douleur cessa à sa mort et nous sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie. (L. 385 adressée à Poiret). 

Même la mort ne pouvait les désunir. »


Fénelon défend madame Guyon

On semble s’écarter ici du thème « Fénelon mystique » mais il importe de montrer sa rectitude, sa franchise et sa constance maintenues au fil des ans malgré des pressions multiples, tout d’abord séductrices puis rudes. Ce sont les marques du vrai mystique.

Toutefois les écrits du début sont « entortillés » par une souplesse naturelle qui pouvait être perçue comme une « diplomatie double » voire duplicité 221, dans les deux lettres adressées à Monsieur Tronson (qui fut son directeur et confesseur) puis à Madame de Maintenon (qu’il dirigea et confessa). Fénelon n’avait pas encore perdu toute illusion…


351. À M. TRONSON. À Versailles, 26 février [1696]222.

…Pour la personne, on veut que je la condamne avec ses écrits223. Quand l’Eglise fera là-dessus un formulaire, je serai le premier à le signer de mon sang et à le faire signer. Hors de là, je ne puis ni ne dois le faire. J’ai vu de près des faits certains qui m’ont infiniment édifié : pourquoi veut-on que je la condamne sur d’autres faits que je n’ai point vus, qui ne concluent rien par eux-mêmes, et sans l’entendre pour savoir ce qu’elle y répondrait ? Ai-je tort de vouloir croire le mal le plus tard que je pourrai, et de ne le dire point contre ma conscience, pour ménager la faveur ?

Pour les écrits, je déclare hautement que je me suis abstenu de les examiner, afin d’être hors de portée d’en parler ni en bien ni en mal à ceux qui voudraient malignement me faire parler. Je les suppose encore plus pernicieux qu’on ne le prétend : ne sont-ils pas assez condamnés par tant d’Ordonnances224, qui n’ont été contredites de personne, et auxquelles les amis de la personne et la personne même se sont soumis paisiblement ? Que veut-on de plus ? Je ne suis point obligé de censurer tous les mauvais livres, surtout ceux qui sont absolument inconnus dans mon diocèse. On ne pourrait exiger de moi cette censure, que pour lever les soupçons qu’on peut former sur mes sentiments : mais j’ai d’autres moyens bien plus naturels pour lever ces soupçons, sans aller accabler225 une pauvre personne, que tant d’autres ont déjà foudroyée, et dont j’ai été ami. Il ne me convient pas même d’aller me déclarer d’une manière affectée contre ses écrits ; car le public ne manquerait pas de croire que c’est une espèce d’abjuration qu’on m’a extorquée…

352. À Mme DE MAINTENON. 7 mars 1696.

Votre dernière lettre226, qui devrait m’affliger sensiblement, Madame, me remplit de consolation ; elle me montre un fonds de bonté, qui est la seule chose dont j’étais en peine. Si j’étais capable d’approuver une personne qui enseigne un nouvel Evangile227, j’aurais horreur de moi plus que du diable : il faudrait me déposer et me brûler, bien loin de me supporter comme vous faites. Mais je puis fort innocemment me tromper sur une personne que je crois sainte, parce que je crois qu’elle n’a jamais eu intention ni d’enseigner ni d’écrire rien de contraire à la doctrine de l’Église catholique. Si je me trompe dans ce fait, mon erreur est très innocente ; et comme je ne veux jamais ni parler ni écrire pour autoriser228 ou excuser cette personne, mon erreur est aussi indifférente à l’Eglise, qu’innocente pour moi.

Je dois savoir les vrais sentiments de Mme G[uyon], mieux que tous ceux qui l’ont examinée pour la condamner ; car elle m’a parlé avec plus de confiance qu’à eux. Je l’ai examinée en toute rigueur, et peut-être que je suis allé trop loin pour la contredire. Je n’ai jamais eu aucun goût naturel pour elle ni pour ses écrits. Je n’ai jamais éprouvé rien d’extraordinaire en elle, qui ait pu me prévenir en sa faveur. Dans l’état le plus libre et le plus naturel, elle m’a expliqué toutes ses expériences et tous ses sentiments. Il n’est pas question des termes, que je ne défends point, et qui importent peu dans une femme, pourvu que le sens soit catholique. C’est ce qui m’a toujours paru. Elle est naturellement exagérante, et peu précautionnée dans ses expressions. Elle a même un excès de confiance pour les gens qui la questionnent. La preuve en est bien claire, puisque M. de Meaux vous a redit comme des impiétés, des choses qu’elle lui avait confiées avec un cœur soumis et en secret de confession. Je ne compte pour rien ni ses prétendues prophéties ni ses prétendues révélations ; et je ferais peu de cas d’elle, si elle les comptait pour quelque chose. Une personne qui est bien à Dieu, peut dire dans le moment ce qu’elle a eu au cœur, sans en juger et sans vouloir que les autres s’y arrêtent. Ce peut être une impression de Dieu (car ses dons ne sont point taris), mais ce peut être aussi une imagination sans fondement. La voie où l’on aime Dieu uniquement pour lui, en se renonçant pleinement soi-même, est une voie de pure foi, qui n’a aucun rapport avec les miracles et les visions. Personne n’est plus précautionné ni plus sobre que moi là-dessus.

Je n’ai jamais lu ni entendu dire à Mme G[uyon], qu’elle fût la pierre angulaire : mais, supposé qu’elle l’ait dit ou écrit, je ne suis point en peine du sens de ces paroles. Si elle veut dire qu’elle est Jésus-Christ, elle est folle, elle est impie; je la déteste, et je le signerai de mon sang. Si elle veut dire seulement qu’elle est comme la pierre du coin, qui lie les autres pierres de l’édifice, c’est-à-dire qu’elle édifie, et qu’elle unit plusieurs personnes en société qui veulent servir Dieu; elle ne dit que ce qu’on peut dire de tous ceux qui édifient le prochain ; et cela est vrai de chacun, suivant son degré. Pour la petite Église229, elle ne signifie point dans le langage de saint Paul, d’où cette expression est tirée, une église séparée de la catholique ; c’est un membre très soumis. Je me souviens que le P. de Monchy, bien éloigné de l’esprit de schisme, ne m’écrivait jamais sans saluer notre petite église ; il voulait parler de ma famille. De telles expressions ne portent par elles-mêmes aucun mauvais sens ; il ne faut point juger par elles de la doctrine d’une personne : tout au contraire, il faut juger de ces expressions par le fond de la doctrine de la personne qui s’en sert. Je n’ai jamais ouï parler de ce grand et de ce petit lit230; mais je suis assuré qu’elle n’est point assez extravagante et assez impie pour se préférer à la sainte Vierge. Je parierais ma tête que tout cela ne veut rien dire de précis, et que M. de Meaux est inexcusable de vous avoir donné comme une doctrine de Mme G[uyon], ce qui n’est qu’un songe, ou quelque expression figurée, ou quelque autre chose d’équivalent, qu’elle ne lui avait même confié que sous le secret de la confession. Quoi qu’il en soit, si elle se comparait à la sainte Vierge pour s’égaler à elle, je ne trouverais point de termes assez forts et assez rigoureux pour abhorrer une si extravagante créature. Il est vrai qu’elle a parlé quelquefois comme une mère qui a des enfants en J.-C.231, et qu’elle leur a donné des conseils sur les voies de la perfection : mais il y a une grande différence entre la présomption d’une femme qui enseigne indépendamment de l’Église, et une femme qui aide les âmes, en leur donnant des conseils fondés sur ses expériences, et qui le fait avec soumission aux pasteurs. Toutes les supérieures de communauté doivent diriger de cette dernière façon, quand il n’est question que de consoler, d’avertir, de reprendre, de mettre les âmes dans de certaines pratiques de perfection, ou de retrancher certains soutiens de l’amour-propre. La supérieure, pleine de grâce et d’expérience, peut le faire très utilement ; mais elle doit renvoyer aux ministres de l’Église toutes les décisions qui ont rapport à la doctrine.

Si Mme G[uyon] a passé cette règle, elle est inexcusable ; si elle l’a passée seulement par zèle indiscret, elle ne mérite que d’être redressée charitablement, et cela ne doit pas empêcher qu’on ne puisse la croire bonne ; si elle y a manqué avec obstination et de mauvaise foi, cette conduite est incompatible avec la piété. Les choses avantageuses qu’elle a dites d’elle-même ne doivent pas être prises, ce me semble, dans toute la rigueur de la lettre. S. Paul dit qu’il accomplit ce qui manquait à la passion du Fils de Dieu. On voit bien que ces paroles seraient des blasphèmes, si on les prenait en toute rigueur, comme si le sacrifice de Jésus-Christ eût été imparfait, et qu’il fallût que saint Paul lui donnât le degré de perfection qui lui manquait. À Dieu ne plaise que je veuille comparer Mme G[uyon] à saint Paul ! mais saint Paul est encore plus loin du Fils de Dieu, que Mme G[uyon] ne l’est de cet apôtre. La plupart de ces expressions pleines de transport sont insoutenables, si on les prend dans toute la rigueur de la lettre. Il faut entendre la personne, et ne se point scandaliser de ces sortes d’excès, si d’ailleurs la doctrine est innocente, et la personne docile.

[…]

Permettez-moi de vous dire, Madame, qu’après avoir paru entrer dans notre opinion de l’innocence de cette femme232, vous passâtes tout à coup dans l’opinion contraire. Dès ce moment, vous vous défiâtes de mon entêtement, vous eûtes le cœur fermé pour moi : des gens, qui voulurent avoir occasion d’entrer en commerce avec vous, et de se rendre nécessaires, vous firent entendre, par des voies détournées, que j’étais dans l’illusion, et que je deviendrais peut-être un hérésiarque. On prépara plusieurs moyens de vous ébranler : vous fûtes frappée; vous passâtes de l’excès de simplicité et de confiance à un excès d’ombrage et d’effroi. Voilà tout ce qui a fait tous nos malheurs ; vous n’osâtes suivre votre cœur ni votre lumière. Vous voulûtes (et j’en suis édifié) marcher par la voie la plus sûre, qui est celle de l’autorité. La consultation des docteurs vous a livrée à des gens qui, sans malice, ont eu leurs préventions et leur politique. Si vous m’eussiez parlé à cœur ouvert et sans défiance, j’aurais en trois jours mis en paix tous les esprits échauffés de Saint-Cyr, dans une parfaite docilité sous la conduite de leur saint évêque. J’aurais fait écrire par Mme G[uyon] les explications les plus précises de tous les endroits de ses livres, qui paraissent ou excessifs ou équivoques. Ces explications ou rétractations ( comme on voudra les appeler) étant faites par elle de son propre mouvement, en pleine liberté, auraient été bien plus utiles, pour persuader les gens qui l’estiment, que des signatures faites en prison, et que des condamnations rigoureuses faites par des gens qui n’étaient certainement pas encore instruits de la matière, lorsqu’ils vous ont promis de censurer. Après ces explications ou rétractations écrites et données au public, je vous aurais répondu que Mme G[uyon] se serait retirée bien loin de nous, et dans le lieu que vous auriez voulu, avec assurance qu’elle aurait cessé tout commerce et toute écriture de spiritualité.

Dieu n’a pas permis qu’une chose si naturelle ait pu se faire. On n’a rien trouvé contre ses mœurs, que des calomnies. On ne peut lui imputer qu’un zèle indiscret, et des manières de parler d’elle-même, qui sont trop avantageuses. Pour sa doctrine, quand elle se serait trompée de bonne foi, est-ce un crime ? Mais n’est-il pas naturel d’en croire qu’une femme, qui a écrit sans précaution avant l’éclat de Molinos, a exagéré ses expériences, et qu’elle n’a pas su la juste valeur des termes ? Je suis si persuadé qu’elle n’a rien cru de mauvais, que je répondrais encore de lui faire donner une explication très précise et très claire de toute sa doctrine pour la réduire aux justes bornes, et pour détester tout ce qui va plus loin. Cette explication servirait pour détromper ceux qu’on prétend qu’elle a infectés de ses erreurs, et pour la décréditer233 auprès d’eux, si elle fait semblant de condamner ce qu’elle a enseigné.

Peut-être croirez-vous, Madame, que je ne fais cette offre que pour la faire mettre en liberté ? Non : je m’engage à lui faire faire cette explication précise et cette réfutation de toutes les erreurs condamnées, sans songer à la tirer de prison…

362. AU DUC DE CHEVREUSE. À Versailles, 24 juillet 1696.

…. Le moins que je puisse donner à une personne de mes amies qui est malheureuse, que j’estime toujours, et de qui je n’ai jamais reçu que de l’édification, c’est de me taire pendant que les autres la condamnent. On doit être content de mon procédé, puisque je ne la défends ni ne l’excuse, ni directement ni indirectement. J’ajoute que je condamnerais plus rigoureusement qu’aucun autre et sa personne et ses écrits, si j’étais convaincu qu’elle eût cru réellement les erreurs qu’on lui impose.

[…]

Quand l’Église jugera nécessaire de dresser un formulaire contre cette femme, pour flétrir sa personne et ses écrits, on ne me verra jamais distinguer le fait d’avec le droit234. Je serai le premier à signer, et à faire signer tout le clergé de mon diocèse. Personne ne surpassera ma fidélité et ma soumission aveugle : hors de là, je n’ai d’autre parti à prendre que celui d’un profond silence sur tout ce qui a rapport à elle. M. de M[eaux] n’a pas besoin d’une aussi faible approbation que la mienne. Il ne me la demande que pour montrer au public que je pense comme lui, et je lui suis bien obligé d’un soin si charitable ; mais cette approbation aurait de ma part l’air d’une abjuration déguisée qu’il aurait exigée de moi, et j’espère que Dieu ne me laissera point tomber dans cette lâcheté. ….

364. À Mme DE MAINTENON. [Septembre 1696].

235 On n’a pas manqué de me dire que je pouvais condamner les livres de Mad. G[uyon], sans diffamer sa personne, et sans me faire tort. Mais je conjure ceux qui parlent ainsi de peser devant Dieu les raisons que je vais leur représenter. Les erreurs qu’on impute à Mad. G[uyon] ne sont point excusables par l’ignorance de son sexe. Il n’y a point de villageoise grossière qui n’eût d’abord horreur de ce qu’on veut qu’elle ait enseigné.

[…]

Voilà ma sentence prononcée et signée par moi-même, à la tête du livre de Mgr de Meaux, où ce système est étalé dans toutes ses horreurs. Je soutiens que ce coup de plume donné contre ma conscience, par une lâche politique, me rendrait à jamais infâme et indigne à mon ministère. Voilà néanmoins ce que les personnes les plus sages et les plus affectionnées pour moi ont souhaité et ont préparé de loin. C’est donc pour assurer ma réputation qu’on veut que je signe que mon amie mérite évidemment d’être brûlée avec ses écrits, pour une spiritualité exécrable qui fait l’unique lien de notre amitié. …

Pendant ce temps voici un exemple édifiant de lettre à laquelle Fénelon doit faire face. Elle est écrite par le confesseur qui fut imposé à son amie en prison :

374A. DE L'ABBÉ J.J. BOILEAU A FÉNELON. A Paris, 26 novembre 1696. « Pour la Dame, j'avoue que son état m'épouvante. Il n'y a rien que je ne fisse pour la délivrer d'une illusion qui lui est si préjudiciable, et qui fait tant de tort à des personnes dont la réputation est si chère à l'Église. Mais le moyen d'éclairer une femme en qui l'orgueil a répandu ces ténèbres qui obscurcissent le coeur aussi bien que l'esprit ? […] Griselidis, don Quichotte, Peau d'âne, la belle Hélène, des opéras, des romans, les comédies de Molière. Jamais dévote jusqu'ici n'avait fait provision de tels livres. Je sais ce qu'elle allègue pour s'excuser, mais cela s'appelle s'accuser en s'excusant. C'est dans les livres saints que les âmes justes et affligées ont cherché de tout temps leur consolation et les soutiens de leur patience. C'est dans les Cantiques divins, et non dans des airs profanes et dangereux, que les chrétiens sont très persuadés qu'on peut apprendre à chanter le pur amour. […] Hé bien ! Monseigneur, ai-je tort encore d'avoir cru la Dame fanatique ? Et quand je l'aurais jugée, avec une infinité de gens et pieux, digne d'une prison perpétuelle, mon zèle aurait-il été si excessif ? Ma délicatesse pour mes amis, auxquels elle a tant nui, était-elle trop blâmable? Mais je n'ai pas été si noir qu'on me fait. M. le duc de C[hevreuse] n'aura peut-être pas oublié qu'avant l'éclat qui a causé à la fin la détention de la Dame, j'insinuai qu'elle devrait se mettre volontairement dans un monastère. Cette prison n'était pas trop rigoureuse pour une veuve qui aurait voulu vivre selon son état. Mais j'ai bien vu qu'elle avait ses raisons pour ne pas s'enfermer… »

403. À L. A. DE NOAILLES. 8 juin 1697.

… Je connus Mad. G.[uyon] à peu près vers le temps que je vins à la cour : j’étais prévenu contre elle. Je lui demandai des explications sur sa doctrine ; elle me les donna : je les crus suffisantes pour une femme. M. Boileau fut encore plus satisfait que moi de ces mêmes explications qu’elle lui donna sur son livre intitulé Moyen court. Il voulut même qu’on les imprimât dans une nouvelle édition du livre. M. Nicole les approuva aussi, et demanda seulement quelques additions. Je n’ai vu ni pu voir bien souvent Mad. G. Mon principal commerce avec elle a été par lettres, où je la questionnais sur toutes les matières d’oraison. Je n’ai jamais rien vu que de bon dans ses réponses, et j’ai été édifié d’elle, à cause qu’il ne m’y a paru que droiture et piété. Dès qu’on a parlé contre elle, j’ai cessé de la voir, de lui écrire, et de recevoir de ses lettres, pour ôter tout sujet de peine aux personnes alarmées.

[…]

Il est vrai que j’ai été édifié de Mad. G. pour toutes les choses que j’en ai vues. Est-ce un crime qui mérite un si grand scandale ? Je ne connais aucun ouvrage d’elle que son Moyen court et son Explication du Cantique. Elle m’a toujours protesté qu’elle n’était point dans les voies de visions et d’inspirations miraculeuses, mais au contraire dans celles de pure foi, où l’on n’a point d’autre lumière que celle qui est commune à tous les fidèles. Elle m’a toujours paru craindre les autres voies, comme sujettes à de très grandes illusions. …



En l’anno horribilis 1697, voici des extraits d’une série de longues lettres que Fénelon adresse à son envoyé à Rome, l’abbé de Chanterac236.

Fénelon n’a pas eu l’autorisation de Louis XIV de se rendre auprès des cardinaux romains pour défendre lui-même son livre. Comment répondre aux insinuations malveillantes de l’abbé neveu de Bossuet ?

454. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À Cambray, 25 septembre [1697].

… Quant à sa personne, j’en ai été très édifié, est-ce un crime : elle m’a paru soumise, ingénue, désintéressée, et même éclairée par expérience sur les choses d’oraison. Puis-je en dire le mal que je n’en sais pas ? On ne me prouvera jamais que je l’ai crue prophétesse quoiqu’elle ait des révélations. Je n’ai rien vu en elle qui ne fût d’un autre caractère. Quand même, ce qui n’est pas, j’aurais cru que c’était une sainte à révélations, fallait-il pour cela me traiter d’hérétique ? L’Église sera-t-elle en péril, quand je croirai de Madame Guion qu’on lui impute mal à propos des erreurs qu’elle m’a toujours assuré qu’elle détestait, et quand je la croirai une sainte extraordinaire, pourvu que je ne l’estime qu’autant qu’elle est soumise à la foi de l’Église. …

471. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À Cambrai 8 décembre [1697]

… Que peut-on donc craindre ? que je pense encore secrètement, avec un très petit nombre d’amis, que cette femme est une s[ain]te qu’on opprime, qu’elle a bien pensé, et qu’elle s’est mal expliquée ? Mais tout cela fait-il mal à quelqu’un ? L’Église est-elle par là en péril ?

[…]

J’ai vu cette femme d’une manière qui ne me permet pas de douter de sa sincérité, je l’ai observée ; je m’en suis défié ; j’ai été prévenu autant et peut-être plus que les autres contre elle ; j’ai voulu m’assurer de ses sentiments sur les erreurs qu’on lui impute ; je crois avoir vu clairement qu’elle les a autant en horreur que ceux qui l’en accusent. J’ai cessé de la voir dès qu’on a commencé à prendre des ombrages ; depuis ce temps-là, j’ai suspendu mon jugement sur toutes les accusations qu’on fait contre elle. L’animosité de ceux qui les font me les rend suspects, et je ne puis me fier aux accusations faites contre Mad. G[uyon] par des gens passionnés dont j’éprouve moi-même l’injustice, quoique j’aie toujours agi et parlé avec bien plus de précautions qu’elle.

[…]

J’oubliais de vous dire qu’on ne manquera pas de faire entendre à Rome que l’unique ressource pour apaiser le Roi, pour me rapprocher de la cour, et pour lever le scandale, c’est que je fasse certains pas pour effacer les mauvaises impressions, et pour reconnaître humblement que j’ai quelque tort. Mais je déclare que je ne pense de près ni de loin à retourner à la Cour, que je ne veux que me détromper de bonne foi, si je suis dans l’erreur, et que poursuivre sans relâche avec patience et humilité ma justification, si je ne me trompe pas, et si on me calomnie touchant ma foi. La Cour de Rome voudra au moins contenter le Roi, en me faisant peur pour me réduire à un accommodement, si elle ne croit pas le devoir contenter en me condamnant. Mais, s’il plaît à D[ieu], je n’aurai aucune peur jusqu’au bout ; car, supposé même qu’on voulût effectivement me condamner, j’aime mieux finir par une condamnation rigoureuse, et reçue avec une sincère soumission, que par un accommodement qui renfermerait la moindre équivoque. …

523. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 23 mai [1698].

… Pour Mad. Guion, vous avez tous les faits écrits de ma main. Faites-les bien valoir en cas de besoin ; plaignez-vous hautement et amèrement de ces manières indirectes et malignes de me flétrir par des faits, quand on succombe pour le dogme. Quelle foi peut-on avoir en mes parties sur des faits secrets, puisqu’ils ont interprété si injustement mes paroles claires, et qu’ils en ont tronqué et altéré à la face de toute l’Église ? Par quel esprit pourraient-ils publier ces faits, supposé même qu’ils fussent véritables ? et ne doit-on pas les soupçonner de faux, puisqu’ils ne pourraient (même s’ils étaient véritables) les divulguer que par passion et par malignité ? Enfin je dis comme S. Chrysostome, moi indigne : S’ils prouvent que j’aie manqué contre la foi ou contre les mœurs, je veux que mon nom soit rayé du catalogue des évêques, je donnerai une démission ; mais aussi, que leur fera-t-on, s’ils succombent comme des calomniateurs en accusant leur frère ? …

524. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 30 mai [1698].

… À l’égard des faits sur Mad. G[uyon], promettez une histoire bien prouvée par des témoins qui sont révérés de tout le public, et qui éclaircira tout ce que M. de Paris embrouille. Je vous réponds qu’ils trouveront encore moins leur compte sur les faits que sur les dogmes. Ils ne veulent (je le vois bien) que me flétrir par les faits de Mad. G[uyon], ne pouvant le faire par la doctrine, et qu’engager le Pape à me faire signer une espèce de formulaire pour condamner Mad. G[uyon], afin de pouvoir dire qu’ils ont enfin obtenu tout ce qu’ils voulaient, en m’arrachant cette souscription contre mes sentiments cachés ; mais vous voyez l’art pour me flétrir. Ce serait me flétrir pour contenter leur passion et leur point d’honneur. …

Au même moment l’abbé de Chanterac lui écrit sur l’usage romain de l’expression « bonne amie »237, tandis que Fénelon s’exprime sur elle en s’adressant à d’autres :

539. À L’ÉVÊQUE DE [SAINT-PONS ? 238]. À Cambray, 4 août [1698].

… Pour la personne de Mad. Guion, il est vrai que je l’ai estimée sur de bons témoignages de sa vertu. Elle m’a toujours protesté qu’elle n’avait que de l’horreur pour la doctrine qu’on lui impute. Elle a pu dissimuler et me tromper. Il s’en faut beaucoup que je ne sache pénétrer le fond des cœurs. Je ne me suis jamais mêlé de la justifier ; je l’abandonne, comme je l’ai fait, il y a déjà longtemps, au jugement de ses supérieurs. Personne n’a plus de zèle que moi contre les erreurs qu’on lui attribue, et personne n’aura plus d’indignation contre elle, dès qu’il sera vérifié qu’elle m’a trompé…

542. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 6 septembre [1698].

… Pour Mad. G[uyon], ne craignez point de dire qu’en croyant toujours ses livres censurables, ne connaissant point les visions, et ne doutant jamais sur ses mœurs, je l’ai estimée, révérée comme une sainte, et crue très expérimentée sur l’oraison. …

551. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 27 septembre [1698].

… J’ai cru Mad. G[uyon] une très sainte personne qui avait une lumière fort particulière par expérience sur la vie intérieure ; mais je n’ai aucune connaissance de curé. En général, tout homme qui a aimé les personnes de piété et d’oraison, est exposé, comme je le suis, à avoir pris pour des saints et pour des saintes des gens trompeurs. Si on recherchait de même pour d’autres, on trouverait peut-être qu’ils ont estimé ce qui ne le méritait pas239. Pour moi, je ne me rends pas caution de toutes les personnes dont j’ai été édifié. De plus, on fait en notre temps une grande injustice à la vie contemplative. C’est de la rendre suspecte à cause des hypocrites qui ont couvert leurs infamies de cette belle apparence. On veut chercher dans les principes des contemplatifs quelque chose de dangereux, qui mène au dérèglement. C’est par cette méthode que M. de Meaux se jette dans l’extrémité de n’admettre que l’amour d’espérance, de peur que celui de pure charité ne détache trop les hommes du désir du salut et de la crainte des peines. C’est par cette méthode que beaucoup de gens rejettent toute oraison de quiétude, toute contemplation, tout ce qui n’est pas l’oraison d’actes discursifs. S’ils osaient, ils supprimeraient tous les livres des saints mystiques. Enfin, je voudrais qu’on prît garde que la plupart de ces malheureux qui cachent des infamies sous une apparence d’oraison, sont plutôt des hypocrites qui veulent tromper les autres, et à qui la spiritualité ne sert que de prétexte, que des hommes trompés, et que la spiritualité ait jetés dans l’illusion. La mode est venue d’imputer au Quiétisme toutes les infamies que des fripons font sous prétexte de dévotion…

553. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 10 octobre [1698].

…7° Dites partout et hautement que j’ai cru Mad. Guion une vraie sainte fort expérimentée sur les choses d’oraison et de vie intérieure ; que, si elle est trompeuse comme on le dit, j’ai été fort trompé dans le fait par son hypocrisie. Comme M. de Meaux peut avoir quelque lettre que j’aie écrite avec une très particulière confiance à cette personne, il faut préparer les esprits là-dessus, pour empêcher la surprise que font ces sortes de choses, quand elles ne sont pas attendues. Du reste, je n’ai tant estimé Mad. G[uyon] qu’à force de la croire tout le contraire de ce qu’on dit qu’elle est. …

568. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 14 décembre [1698].

…. 2° J’ai composé, selon votre désir, une lettre au Pape dans les termes les plus forts contre le quiétisme, et les plus remplis de ménagement par rapport à la paix, que ma conscience m’a pu permettre. Vous verrez que j’y promets une soumission sans réserve pour le jugement de mon livre, tant sur le fait que sur le droit. Pour ceux de Mad. Guion, je montre que je les ai toujours condamnés sans distinction de fait et de droit. J’offre même au Pape de condamner jusqu’aux intentions de la personne, s’il connaît par lui-même, après l’avoir examinée, qu’elle est fanatique et hypocrite, comme on le dit. Enfin je lui promets de donner là-dessus une nouvelle déclaration faite exprès, quoiqu’un tel acte fût une espèce de formulaire et d’abjuration qui me flétrirait à jamais : je la lui promets, dis-je, par pure obéissance, contre toute la pente de mon esprit et de mon cœur, supposé qu’il veuille me flétrir ; car j’aime mieux être flétri que de manquer de soumission et de patience. …

Puis Fénelon s’adresse au confident ami de M. de Chartres (Godet des Marais) :

569. À PIERRE CLÉMENT [Vers le 14 décembre 1698].

…. 1° Je ne puis parler contre les intentions personnelles ou sentiments de Mad. G[uyon], qu’en blessant ma conscience. Je n’ai rien vu de tout ce qu’on en dit. Ces choses peuvent être vraies, mais je ne les sais pas ; et si je les disais, sans les savoir avec certitude, je parlerais témérairement. Que ses supérieurs les déclarent, s’ils les ont clairement vérifiées : pour moi, il ne m’est pas permis de les déclarer sans les savoir, et il ne convient point à un évêque de les déclarer sur l’examen d’autrui, sans les avoir examinées par lui-même. …

570. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À Cambray, 19 décembre [1698].

… Voudrait-on à Rome me condamner, à moins que je ne condamne les intentions intérieures de Mad. G[uyon], que j’ai un si grand intérêt de dire que je n’ai jamais connues telles qu’on les dépeint, et que ma conscience ne me permet pas de croire si abominables, sans en avoir vu aucune preuve. …

571. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 26 décembre [1698].

… D’un côté, vous m’assurez qu’on est bien persuadé à Rome que mon livre n’est point l’apologie de Mad. G[uyon] ; de l’autre, vous me dites, de la part de l’auteur du mémoire rebuté240, que tout est en un extrême péril, si je ne condamne encore, dans une lettre au Pape, les livres et la personne de Mad. G[uyon], sans restriction. Cela me ferait croire, ou que l’auteur du Mémoire vous pousse, étant secrètement poussé du côté de France, ou bien que Rome n’est point assurée, comme on vous le témoigne, sur l’apologie de Mad. G[uyon], et qu’on a reçu de ce côté-là quelque accusation secrète241. C’est pourquoi je vous conjure d’insister auprès du Pape, avec les plus vives instances, afin que, si on lui allègue quelque autre preuve secrète contre moi sur les faits, elle me soit promptement communiquée, et que je puisse réfuter la calomnie qui se cache avec une apparence de modestie, pour m’assassiner avec plus de sûreté. Pour Mad. G[uyon], je laisse au Pape le jugement de sa personne et de ses intentions, pour me conformer à ce qu’il en jugera après l’avoir examiné. Peut-on pousser plus loin la soumission, et l’éloignement de tout entêtement sur une personne ? Ce n’est pas une précaution qu’on cherche contre Mad. G[uyon] ; c’est une flétrissure qu’on veut me donner, en exigeant de moi une abjuration de cette personne….

578. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 16 janvier [1699].

…On mande de Paris que Mad. Guyon] est morte à la Bastille242. Je dois dire après sa mort, comme pendant sa vie, que je n’ai jamais rien connu d’elle qui ne m’ait fort édifié. Fût-elle un démon incarné, je ne pourrais dire en avoir su que ce qui m’en a paru dans le temps. Ce serait une lâcheté horrible que de parler ambigument là-dessus pour me tirer d’oppression. Je n’ai plus rien à ménager pour elle : la vérité seule me retient. …


Cette série de rapports entre Fénelon et son représentant à Rome précède la condamnation de leur cause par le bref de 1699. L’archevêque se tait alors pour tout ce qui touche le quiétisme et son amie. Cela ne l’empêchera pas de garder des contacts par l’intermédiaire des visiteurs et de son neveu le marquis de Fénelon. Faisant un grand saut dans le temps, on retrouve madame Guyon désignée par « N. » dans la lettre suivante :

1121. À LA DUCHESSE DE MORTEMART. À Cambray, 9 janvier 1707.

… Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autre les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés243. N’y en a-t-il point trop de copies ? ne les communique-t-on point trop facilement? chacun ne se mêle-t-il point de décider pour les communiquer comme il le juge à propos, quoiqu’il ne soit peut-être pas assez avancé pour faire cette décision? Je ne sais point ce qui se passe; ainsi je ne blâme aucun de nos amis. Mais en général je voudrais qu’ils eussent là-dessus une règle de l’auteur lui-même qui les retînt.

Il y a dans ces écrits un grand nombre de choses excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. …




Fénelon maintient secrètement le contact

Reste la seule longue lettre de mai 1711 qui nous soit parvenue en témoignage de la poursuite de leur contact épistolaire par questions-réponses. C’est une pièce essentielle et longue qui montre l’importance que Fénelon attachait aux avis de Madame Guyon 244.


De FÉNELON avec les réponses de Madame GUYON. 4 (?) Mai  1710.

‘Écrit de la propre main de M. l’Archevêque de Cambray que l’on a avec les réponses en marge de Madame Guion’ 245.

[Question :] Si la guerre dure nous allons être ruinés sans ressource. Les armées seront sur nos terres. D’ailleurs le moindre mauvais événement enlèvera toute cette frontière à la France 246. Il faut attendre en paix la volonté du P.[etit] M.[aître] et Le laisser Se jouer de nous.

J’ai fait réponse sur le mémoire 247 qu’il fallait suivre votre sentiment sur les gens et les places. Peut-être Dieu aidera-t-Il ce bon prince : Dieu peut tout. Je vous avoue que je suis fort affligée que le R[oi] tournât ses armes contre lui, mais, pour tout le reste, on peut le faire si on est sûr de la paix à ses conditions. Mais croyez-vous que les ennemis la donnent de bonne foi et qu’après avoir détrôné le fils, ils ne tâchent pas de détrôner le père 248 ? Je ne vois point qu’on se convertisse ni qu’on s’humilie. Il semble qu’on ne travaille qu’à augmenter la mesure des iniquités. J’en suis souvent affligée.

[Q.] Vous avez paru avoir quelque pensée que vous ne vivrez pas longtemps. Cette pensée subsiste-t-elle encore ? En quel état est votre santé ? N’avez-vous besoin d’aucun secours pour des commodités dans votre indisposition ? Je serais ravi de vous envoyer tout ce que vous voudriez bien souffrir que je vous envoyasse249.

Il est vrai que la pensée que je mourrais bientôt m’a resté quelque temps dans l’esprit, mais cela m’a été enlevé tout à coup. Tout est dans l’équilibre pour vivre ou mourir. Je vous ai écrit une lettre qu’il y a du temps que put [Dupuy] m’a mandé vous avoir envoyée par gens sûrs : vous ne m’en dites rien. C’était l’état de mon âme que je vous exposais, elle commençait benedic me pater.

[Q.] La p.[etite] D.[uchesse]250 ne m’écrit presque plus; pour moi je lui écris moitié vérité dite avec beaucoup de douceur et de ménagement, moitié raisonnant sur les nouvelles générales, et amitiés pour ne lui montrer point trop de changement, mais je vois bien que son cœur demeure malade parce qu’elle croit que tous nos bonnes gens5 ont changé et ont tort à son égard. Elle est piquée à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug.

Il est certain que la petite d[uchesse] est fort peinée du changement universel et qu’elle ne prend point le change, que toute amitié qui ne sera point accompagnée de confiance et de dépendance ne la contentera pas. C’est une crise. J’espère que cela passera et qu’elle rentrera dans la place où elle doit être 251. Il est plus sûr d’obéir que de commander.

[Q.] Le petit abbé fait fort bien ici, mais il dort une sixième partie de la journée252. Je trouve qu’il vieillit et s’appesantit. J’en crains les suites. D’ailleurs il est bon, accommodant, gai et simple. Il fait d’excellentes instructions dans notre séminaire.

Le petit abbé ne devrait pas se laisser aller au sommeil : c’est cela qui l’appesantit et qui le vieillit. Comme je dors peu la nuit à cause de mes infirmités, quelquefois je dormirais volontiers de jour une heure, mais je ne m’y laisse point aller. Me trouvant la tête embarrassée jusqu’à en avoir la fièvre, je prie le Seigneur de vous le conserver, car il vous est utile ; je ne puis m’empêcher de déplorer le temps qu’on lui a fait perdre. Quoi, n’est-on pas éclairé là-dessus et n’en est-on point touché, et vous, cher père, comment ne vous êtes-vous pas servi de l’autorité que Dieu vous avait donnée pour le tirer de cette léthargie ?

[Q.] L’abbé de Chanterac, homme savant, expérimenté, pour toutes les matières ecclésiastiques, et d’un très bon conseil pour le gouvernement d’un diocèse, (c’est lui qui a été à Rome pour moi, et qui s’y est acquis une grande vénération) est accablé d’incommodités et, à soixante-douze ans, il voudrait fort nous quitter pour aller chercher dans notre pays de Gascogne un climat plus doux dans sa vieillesse caduque253. Je n’ai que lui pour conseil éclairé dans les matières difficiles de droit canon. Je ne saurais compter sur les gens du pays. Lui ferais-je toujours violence pour le retenir, ou bien m’abandonnerais-je à la Providence pour m’en passer?

Je serais très fâchée que l’abbé de Ch[anterac] vous quitte. Croit-il se mieux porter ailleurs et peut-il mieux faire que de consacrer le reste de sa vie pour l’Église ? Que ne donnerais-je pas pour cette sainte Mère si déchirée, si combattue, qui porte dans Ses entrailles un millier d’Esaü pour un Jacob ? Si vous pouvez le retenir, tâchez de le faire avec votre douceur ordinaire. Je voudrais qu’il sentît une petite partie de ce que je sens pour l’Église : je ne prie que pour elle et je m’oublie absolument de tout le reste ; je vois ici un mal horrible. Vous avez pu apprendre de p[ut] [Dupuy] tout ce qui s’y passe : je le lui ai mandé afin que vous en fussiez instruit 254. S’il veut absolument s’en aller, que faire autre chose que s’abandonner ? mais arrêtez-le si vous pouvez.

[Q.] J’ai ici M. l’abbé de Laval, homme de grande condition255, plein d’honneur et de probité, sensible à l’amitié jusqu’à une délicatesse épineuse, assez savant, et véritablement désabusé du jansénisme dont il avait été fort prévenu. Son naturel est haut, sec, négatif, roide, âpre, critique et dédaigneux. Il ne se fait point aimer. Il sent son naturel et voudrait faire mieux, mais l’humeur le tourmente. Il a le cœur serré et ne peut l’ouvrir. Voilà bien des défauts pour l’épiscopat. Mais en comparaison de tant d’autres qui ne valent rien, voilà d’excellentes qualités. Le puis-je proposer comme un bon sujet en cas que le père confesseur du roi trouvât quelque ouverture pour le faire évêque ?

Ce qui fait qu’il y a si peu de gens qui réussissent, c’est qu’on ne connaît point la petitesse, la hauteur et le partage de ceux qui se disent honnêtes gens : il faut porter les défauts, et c’est ce qu’on trouve partout. On regarde l’humilité chrétienne comme une chose honteuse. Les gens mêmes qui en parlent et qui l’affectent en sont infiniment éloignés. Elle ne consiste pas dans les discours, mais dans une simplicité petite et naïve qui n’a rien de lâche et de pusillanime, qui est au-dessus et au-dessous de tout. Vous ne trouverez cela que dans les gens qui aiment Dieu réellement, car tant qu’on s’aime soi-même pour peu que ce soit, on n’est point parfait dans l’amour, et on veut quelque chose et être compté être bon à quelque chose. Que Dieu a peu de cœurs dont Il puisse disposer absolument. Il faut prendre les moins mauvais, et je crois que vous le pouvez proposer pour être é[vêque] 256. Ce qui m’effraye, c’est que les gens qui ont été placés parce qu’ils paraissaient opposés au Jan[sénisme], le deviennent dès qu’ils sont placés : on ne trouve que cela, les plus déréglés s’en piquent.

[Q.] L’abbé de Beaumont257 a un très bon esprit et une grande étendue de connaissances fort exactes avec un cœur noble, ingénu, et très pieux. Mais il est très lent, d’une exactitude excessive et amusé par ses curiosités258. Je ne trouve pas qu’il avance dans l’intérieur, comme je le désirerais. Il y a trop de raison en lui.

Que ne dites-vous à l’abbé de Beaumont votre pensée, car il croit vous obéir comme un enfant. Rien n’est plus nuisible à l’intérieur que la curiosité et la propre raison. Amour, vous aviez raison de dire qu’il faut devenir comme un enfant pour entrer au royaume des cieux, il faut être tel pour le royaume intérieur. Dieu ne demande pas de tous l’austérité, mais la mortification du propre esprit, qui n’est rendu souple, non plus que la volonté, que par un renoncement continuel jusqu’à ce qu’on n’ait plus rien à renoncer.

[Q.] Je suis bien embarrassé sur les jansénistes de ce pays. Tout notre clergé en est plein, et nous n’avons presque aucun bon sujet qui ne soit prévenu en faveur de la nouveauté. Si je tenais ferme pour n’admettre que les ecclésiastiques opposés à la nouvelle doctrine, je remplirais mal les places. Je n’aurais que des sujets ignorants et faibles. Le tempérament à prendre, ce me semble, est de se servir des moins mauvais qu’on trouve, de ne mettre point dans les places principales ceux qui sont les plus entêtés, de tâcher de gagner les autres, et cependant de travailler à former des sujets dans d’autres principes opposés. Qu’en pensez-vous ?

Le mal dont vous vous plaignez est universel. Je crois qu’il faut prendre les moins entêtés, tâcher de les éclairer comme vous faites, et abandonner le reste à Dieu : c’est sa chose. J’espère beaucoup des ouvrages sur saint Augustin et sur saint Thomas, parce que cela éclaire sans combat et effarouche moins les esprits qu’une controverse 259. J’ai été frappée de ce qu’on n’a pas admis la bulle contre M. de Saint Pons : cela me fait voir qu’on protège secrètement ceux qu’on fait semblant de ne pas approuver. Il n’y a que Dieu qui puisse remédier à un si grand mal et si universel, mais il faut tâcher d’en former d’opposés. Le mal est que, lorsqu’on met ses  sujets qui ne sont pas Jan[sénistes] dans les mêmes places où il y en a là, en moins de rien ils sont gagnés. Travaillez infatigablement pour l’Église, et j’espère que vous en recueillerez un jour les fruits et que Dieu vous conservera malgré votre délicatesse. Le R[oi] n’a pas de plus dangereux ennemis. Ils attendent la perte et la destruction de leur patrie avec une ardeur impatiente, ils s’en expliquent même d’une manière autant hardie que honteuse.

[Q.] Si M. l’abbé de Chanterac veut absolument nous quitter, je prierai M. l’abbé de Langeron de prendre sur notre séminaire l’inspection que M. L’abbé de Chanterac y a ; M. L’abbé de Leschelle260 est bon homme et bien à Dieu. Mais il a peu de fonds pour le travail ecclésiastique. Il a un neveu qui est incommodé, mais qui est de grande espérance, s’il peut rétablir sa faible santé.

C’est bien fait de mettre M. l’abbé de L[angeron] dans la place de L. de Ch[anterac]. S’il veut absolument quitter, qu’il dorme moins et Dieu l’aidera pour le mettre à portée de vous être plus utile.

Ce que vous dites de l’abbé de Leschelle est très vrai : il le sait et le connaît bien ; il a même des défauts, mais du reste bon et docile. Je donnerais ma vie pour un sujet. Il faut espérer que Dieu en donnera à l’Église. Je connais un ecclésiastique qui a été treize ans curé d’une paroisse de mon fils261. Il n’a quitté qu’à cause de son dérèglement d’œil. Il a quarante-huit ans, il sait prêcher, il a fort lu et goûté vos écrits contre le Jan[sénisme]. Il n’a pas de bénéfices. S’il était plus jeune, je vous le proposerais. Il est bachelier et n’a pu se pousser da[vantage]. [Il] est sage. Il approuve l’intérieur. Il a des défauts comme de n’avoir pas, à ce qu’on dit, tout le secret possible. Il comprend mieux qu’un autre ce qu’on lui dit et a du fonds. J’ai ouï dire à gens qui s’y connaissent mieux que moi qu’il était savant.

[Q.] Je ne suis point intéressé, mais il y a une certaine libéralité d’abandon qui n’est pas assez journalière et unie en moi. Je ne veux rien réserver ni pour moi ni pour les miens. Je suis ravi quand je donne beaucoup aux pauvres. Je me réduirais avec joie à une vie très petite et très simple : elle me débarrasserait. Je ne crains point de me trouver pour ma personne dans une pauvreté sans secours, si la guerre, qui est à la veille de me ruiner cette campagne, me fait tous les maux qu’il est presque certain qu’elle me fasse.

Je continuerais de faire comme vous avez fait, retranchant le superflu de la table, car je crois qu’il faut éviter la magnificence trop forte comme la lésine. Je suis très persuadée que, pensant comme vous pensez, vous seriez content d’une fortune médiocre, mais Dieu vous ayant mis sur le chandelier pour éclairer, il faut y rester jusqu’à ce qu’on vous en ôte. Je crois qu’Il vous a donné exprès du revenu afin de vous faire connaître et de vous rendre utile. Je le prie d’achever en vous son œuvre. Vous savez que rien au monde ne m’est aussi cher que vous : croissez, multipliez, remplissez la terre.

Je voudrais savoir si vous avez reçu mes deux lettres, mandez les mots à Put, qui disent que vous les avez reçus avec un oui ou non pour la dernière. Si je dois vous faire un plus grand détail, mandez que j’écrive plus amplement. Si ce que j’ai écrit suffit, usez-en auprès de Dieu comme il vous plaira pour lier ou délier. Si vous voulez que je fasse à l’abbé Colas 262 ce que je vous ai mandé, un oui me suffira. Ne lui nuirais-je point à lui-même par là ? Commandez : vous serez obéi.

[Q.] Je quitterais, même en pleine paix, mon revenu, qui est grand, pour me retirer dans une solitude où je n’aurais que le nécessaire avec du repos et de la liberté.  Je ne serais en peine que pour mon neveu, qui a besoin de mon secours. Mais je crains les grosses dépenses que je fais par l’abord continuel que nous avons sur cette frontière, et par la facilité avec laquelle nous faisons les honneurs à tous, allant et venant. D’un côté, j’aime à faire honneur à l’Église par une dépense noble et bienfaisante. D’un autre côté je me reproche de n’être pas dans une certaine frugalité apostolique. Il y a en tout cela quelque chose de mélangé et de vertueux humainement. Cela n’est pas assez simple. Qu’en dites-vous ? D[ieu] seul sait ce qu’Il fait en moi pour m’unir à vous.

J’entre dans toutes vos raisons sur le mémoire qu’on ne m’a jamais exposé de la sorte, mais par le seul revers il n’y a pas à hésiter et le scrupule ne vaut rien en cette occasion. Mille fois à vous dans notre petit Maître 263.

§

Après cette longue lettre de questions et réponses en deux colonnes ne nous est parvenue qu’une seule autre brève missive264 :

De FÉNELON. fin mai 1710 ?

… On [Fénelon] me charge de vous prier de croire qu’on veut être plus uni que jamais. On se trouve si dépourvu de tout fond au-dedans qu’on y aperçoit rien que la seule nature, sans aucun [don] de grâce. C’est un vide et un néant de tout ce qui est vertueux. On serait tenté de croire que l’on n’a plus aucun reste de foi, ni de trace de christianisme. Cependant on aimerait mieux mille morts que manquer à Dieu, mais tout cela est si obscurci et embrouillé, qu’on [n’]y trouve que de quoi se confondre et s’abandonner. On craint de ne pas avoir assez de foi pour transporter les montagnes, car il faudrait les transporter pour faire un si grand changement.

On fera aussi la neuvaine que vous avez demandée et on la commencera le 29 de ce mois265. On vous conjure de ménager votre santé et de ne mourir pas si tôt, car on a grand besoin de vous. On se trouve fort uni à P. P. [le duc de Bourgogne] et au petit abbé [de Langeron]. On aime de tout son cœur et on embrasse votre fils, M. F[orbes]266, avec une véritable tendresse. On est à vous sans mesure.



Œuvres & Opuscules spirituels



Sous le titre de cette seconde partie qui succède à « Une rencontre mystique » je regroupe des passages souvent brefs. Ils ont été relevés au fil de diverses lectures267, hors la plus récente qui porte sur la Correspondance.

Je suggère de se reporter pour compléments à la seconde moitié du volume [CP 1] : elle est aisément accessible dans la collection de la Pléïade et regroupe de nombreux textes spirituels.


Réfutation du Père Malebranche 


Fénelon aimera proposer une approche « philosophique » prouvant l’existence de Dieu268, ce qu’il débute dès 1687 par une « Réfutation du système du Père Malebranche sur la nature et la grâce »269 :

Je prétends que Dieu a mis dans son ouvrage une autre marque beaucoup plus éclatante et plus universelle de sa dépendance, je veux dire l’art divin qui règne dans toute la nature. […] Il ne faut qu’ouvrir les yeux. [OP 2], 85a 270.

…L’essence divine n’est point un être absolu et indépendant; car on ne peut la concevoir sans concevoir l’ordre, et on ne peut concevoir l’ordre sans concevoir aussi le monde existant, comme un être qui est hors de Dieu, et qui lui est pourtant nécessaire. [OP 2], 85b.

Son bon plaisir, et le décret de Sa volonté. Si nous le méditons bien, nous trouverons que la plus haute idée de perfection est celle d’un être qui dans son élévation infinie au-dessus de tout, ne peut jamais trouver de règle hors de lui, ni être déterminé par l’inégalité des objets qu’il voit; mais qui voit les choses les plus inégales, égalées en quelque façon, c’est-à-dire également rien, en les comparant à sa hauteur souve­raine; et qui trouve dans sa propre volonté la dernière raison de tout ce qu’il a fait. [OP 2], 88b.


Mémoire sur L’État Passif


Écrit à l’occasion des Conférences d’Issy, exposé par une lettre adressée à Bossuet le 28 juillet 1694 : « Je vous expose simplement, et sans y prendre part, ce que je crois avoir lu dans les ouvrages de plusieurs saints…271 ». Ce mémoire 272 précèderait donc de peu le Gnostique de saint Clément composé durant l’été 1694.

Si vous prouvez la vérité de l’amour pur d’abandon et de Sainte Indifférence, vous prouverez un état273. Cette Indifférence [195] n’est certainement pas une disposition passagère ni un transport de certains moments, c’est un état d’amour, [§ 2] si purifié qu’il n’admet plus que la conformité à la chose aimée. En sorte que l’âme ne s’occupe plus volontairement ni du goust quelle y peut trouver, ni de la peine quelle souffriroit si elle cessoit d’aimer, ni de la récompense attachée à l’amour, ni de son amour même, mais uniquement de son bien aimé. Cet amour si simple qui ne se regarde pas soi-même, pour ne regarder que le bien aymé, et pour vouloir tout ce qu’il veut en ne voulant jamais rien de distinct par soi-même, ne doit changer que pour se purifier davantage, et par consequent pour être de plus en plus dans l’habitude de la sainte indifférence. Si l’âme varie un peu pour de petites infidélités, il ne s’ensuit pas que cet état ne soit point permanent. L’état du Juste ordinaire qui a l’amour habituel, est sans doute permanent, quoy qu’il ne soit ni inamissible à l’esgard des pechez mortels, ni entierement invariable à cause [§ 3] des pechez veniels qui l’alterent un peu sans le détruire. L’état de la sainte indifférence est tout de même un état permanent, quoy qu’il ne soit ni inamissible dans les grands pechez ni inalterable par de petites infidelitez ou fautes passagères [196] qui altèrent la sainte indifference et qui ne la detruisent pourtant pas.

Dez qu’on a reconnu que la sainte indifférence est un état habituel, il s’ensuit que voilà un état où l’on est indifferent pour tout ce qui n’est pas Dieu même et sa volonté : on est indifferent pour toutes les choses temporelles et sensibles; on est indifférent pour tous les dons ou gousts spirituels qui ne sont pas l’amour de Dieu même. On n’est pas indifferent pour sa volonté qui est Luy même, ni par [§ 4] conséquent pour aucun des points de sa Loy et des pré­ceptes274 de son Église; mais on n’a plus de volonté pour tout le reste, qu’à mesure que la volonté de Dieu se déclare intérieurement ou extérieurement. C’est ce qui fait la nôtre. Nous sommes en suspens pour toutes les choses où la volonté de Dieu est encore suspendue à notre égard; ensuitte nous ne voulons que ce que Dieu nous paroist precisément vouloir275.

[197]. Non seulement nous ne voulons point, dans cette indiffe­rence, les choses que nous ne scavons pas si Dieu veut pour nous, mais nous ne nous regardons pas nous-même, ni nostre interest; cela va jusqu’à ne regarder pas même notre amour, pour ne voir que le bien aimé; en effet l’occu­pation libre a et volontaire de notre amour pour Dieu est une reflexion et un retour sur nous [§5]-mêmes, qui nous distrait un peu volontairement de l’occupation simple et directe du bien aimé276 ; par consequent, ce retour volon­taire seroit une petite altération de la sainte indifférence où l’âme est habituellement. Dez que vous avés admis cet état, vous le nommerez comme il vous plaira. Les mys­tiques ne disputeroient sur les noms, mais ils ne veulent point d’autre abandon ni d’autre état passif que celui-là; les actes réfléchis sur soy ne sont plus de saison : au lieu de renouveler l’amour, ils interrompent son mouve­ment simple et direct. Il est vray que tous les actes indif‑[198]ferents pour les choses communes de la vie n’interrompent point cet amour habituel et direct, parce que toutes ces choses sont dans l’ordre de cet amour et ne font point retourner l’âme volontairement sur elle-même et sur ce quelle fait.

Les distractions involontaires tout de même, par [§ 6] la raison qu’elles sont involontaires n’alterent point cette tendance simple et directe de la volonté. Il y a aussy beaucoup de retours involontaires sur soi-même, qu’il faut mettre au rang des distractions involontaires; ainsy il ne faut point s’estonner qu’une âme en cet état s’occupe de ses affaires et du commerce innocent de ses amis qui est dans l’ordre de Dieu, et qu’elle ait même beaucoup de distractions pendant qu’elle ne peut penser à son état intérieur277. Ces affaires se font par fidelité à l’amour sans retour278 ; ces distractions sont involontaires. Mais l’âme ne peut faire par grace une action de piété qui est contre son attrait de grace ; elle peut bien se distraire infidellement, mais non pas réfléchir par grace contre [199] son attrait279. Cela posé, vous excluez tous les actes reflechis [qui estoient volontaires,] vous excluez même l’occupation que vous auriez [§ 7] de vostre amour. N’est ce pas là cette nuict de l’esprit dont parle le B. H. J. de la Croix, où l’âme s’unit à Dieu par le non sçavoir et le non vouloir, les puissances estant suspendues pour tous les actes reflechis ? [EP-194/9].

C’est un état [“l’indifférence”] qui exclut toute gratitude, tout remerciement, tout acte reflechi et apperçu; où l’âme laisse tout vouloir à Dieu pour elle à son gré, où la volonté de Dieu donne seule le contrepoids au cœur, où l’on n’a plus aucun vouloir propre, où la volonté entierement abandonnée ne perit pourtant pas tout à fait; cet amour n’oseroit se regarder soy même mais le seul bien aimé; cette volonté trespassée en celle de Dieu ne peut presque cotre nommée d’aucuns termes. Ce n’est ni consentement ni acquiescement ni union qui est l’acte d’unir, mais unité qui est un estat stable. [EP-203].

il faut que Dieu seul donne le contrepoids au cœur, que l’âme n’ait plus aucune volonté propre; il faut que trespassée en Dieu elle se laisse porter par luy, qu’elle ne s’excite plus pour s’unir, mais qu’elle demeure dans l’unité280. Voila la Sainte Indifférence qui est un abandon sans reserve pour l’exterieur et pour l’interieur. [EP-206].

l’âme en parfait equilibre ne reçoit le contrepoids que de Dieu seul, n’ayant aucun mouvement ou desir propre elle est tournée en tout sens par toutes les impressions de la grâce : c’est comme une boule qui se tourne egalement de tous les costez, et que la moindre impulsion determine, parce qu’elle n’a ni situation ni determination propre281 -- cet état n’est que la parfaite mort à soy et l’entiere docilité à l’esprit Intérieur; c’est ce qu’on voit dans tout ce que faisoient les hommes divins. L’esprit les mene, les ramene, parle à eux, se tait en eux : ils sont livrez à la grâce, traditi gratiae dei282, ce qui est la vraye passivité; ils n’ont d’autre regle que l’esprit Intérieur qui les conduit. Ils sont des choses contraires à toute la sagesse humaine et sont souvent privez de ce qu’on appelle les pratiques regulieres et les moyens [§ 37] exterieurs de la vertu commune; cet état est un état de mort continuelle à soy et de foi semblable à celle d’Abraham qui va conduit par l’esprit intérieur sans sçavoir où; toutes les mortifications et les austérités imaginables qu’on choisit soy-même n’ont rien de comparable à cet état de foi sans goust ni soutien appere où l’on va toujours sans estre jamais sûr de ce que l’on fera et ou l’on se laisse toujours mener par cet esprit de grace et de mort contre tout amour propre. [EP-218/9].

[§ 41] Quoy qu’il n’y soit pas accompagné de ses dons sensibles et miraculeux qui ne sont pas luy même283 et qui luy sont infiniment inferieurs, n’est-il pas constant qu’il habite, qu’il agit, qu’il parle, qu’il demande, qu’il désire sans cesse en chacun de nous ? [Il n’est donc ques­tion suivant cette verité de notre foi, que de l’écouter, de luy faire un profond silence, de faire tomber tout mou­vement et toute pente propre pour recevoir plus librement dans le parfait équilibre toutes les impulsions les plus delicates de cet esprit qui ne cesse de demander.] Il ne cherche qu’à parler, qu’à demander, qu’à operer toutes choses en tous284. [L’unique obstacle vient de nos empressements, de nos preventions, de nos volontez determinées, de nos desirs auxquels nous tenons, de nos repugnances, de nos secrets retranchements, des bornes que nous donnons à cet esprit.] Si nous ne luy resistons pas directement, du moins nous le contristons par nos [§ 42] hesitations dans l’etat de foy et par nos petits melanges. Voila ce monstre de l’estat passif pour lequel on demande des preuves rigou­reuses comme contre les nouveautez des protestons; l’état passif c’est le christianisme tel qu’il est commandé dans l’Évangile, c’est le pur amour et l’abnegation entiere de soy même; c’est la conformité à toute volonté de Dieu, [222] c’est la fin essentielle pour laquelle nous avons esté créez c’est la souplesse de l’âme à toute impression de la grace en sorte que ne voulant rien de distinct par elle-même elle est toujours voulant ce qu’il plaist à Dieu de luy faire vouloir en chaque moment. [EP-221/2].

Il y a un Amour divin extatique qui ne permet point que les amants soient à eux-mêmes, mais à ce qu’ils aiment285. Le mot d’extatique ne doit donner aucune idée de ravissement sensible et passager. C’est un amour qui défie l’âme, qui la met hors d’elle, hors de tout retour et de tout interest propre, qui est la sainte indifference, qui ne [§ 49] permet plus à l’âme d’estre sienne, et qui ne l’occupe que du bien-aimé voila dans cet état passif l’indifference voyons quelle en est la raison.

L’âme dit St Denys286 entre dans la nuict de l’incomprehensibilité dans laquelle elle exclut toutes les apprehensions [227] scientifiques, elle s’attache entierement à ce qui ne peut estre ni touché, ni vu : elle est toute à celuy qui est au dela de tout, elle n’est ni à autruy, ni à aucune chose, ni à soy, mais avec ce qui est entierement inconnaissance incomprehensible par la cessation de toute connoissante, elle y est unie par la meilleure partie d’elle-même (qui est sans doute le fonds intime de la volonté sans reflexion) et par là même qu’elle ne connoit rien elle connoit au-dessus de toute connaissance; voila mot à mot ce que le B. H. J. de la Croix dit de l’evacuation des puissances. Ce n’est ni ravissement ni lumiere passagere. C’est l’estat d’amour [§ 50] et d’union dans la nuict de la foi et la cessation de tout acte apperçu. Il dit à Timothée dans la mystique contemplation : laissés les sens et les operations de l’entendement, tout ce qui est sensible et intelligible et tout ce qui est et tout ce qui n’est pas, afin que vous vous esleviez incomprehensiblement, autant qu’il est permis, à l’union [228] avec ce qui est au-dessus de toute essence et de toute sçience.

Il n’est pas permis de dire qu’il parle d’une contemplation par ravissement qui est passagere et involontaire; c’est des enseignements qu’il donne pour entrer dans cet état, c’est une contemplation libre et active qu’il propose pour les commençants; laissez, dit-il, les sens de l’entendement par un exercice fait avec attention. [EP-226/8].

cela nous fera entendre la force des paroles de saint Augustin qui raconte sa conversation avec sainte Monique. Il faudroit rapporter le chapitre entier. Il est manifeste que saint Augustin represente une Contem­plation absolument conforme à celle dont parle saint Denys; il s’eleve vers ce qu’il appelle ailleurs idipsum : nous verrons dans son explication des Psaumes que cet idipsum selon luy est l’être immobile de Dieu, il passe de degré en degré au dessus de tout ce qui est corporel, il monte inte­rieurement encore plus haut pensant neanmoins et raison­nant encore. Nous arrivâmes287, dit-il, à nos entendements, [232] et nous les surpassâmes (c’est ce que les mystiques appellent outrepasser) pour atteindre à la region [§ 56] d’abondance intarissable où vous nourrissez, ô Dieu, Israël de vostre eternelle verité. Nous y atteignismes un peu de tout l’élancement de notre cœur (foto ictu cordis), nous soupirâmes, dit-il, et nous laissâmes là comme des marques de notre navigation sur un rivage étranger, les premices de l’esprit attachées, et nous revinmes au bruit des paroles qui ont un commencement et une fin. Nous disions ensuitte si le Tumulte de la Chair se tait etc [...] si l’âme se tait à elle-même, ipsa sibi anima sileat […233] Voila manifestement l’exclusion de toute image, de tout discours, de tout acte reflechi, de tout retour sur soy même et sur sa propre operation; voila une oraison de silence où l’âme ne parle point à Dieu, mais ecoute en silence Dieu qui luy parle de cette parole eternelle et substantielle qui est sans succession de discours; voila l’amant qui est occupé du bien aimé et point de son amour; voilà la Contemplation active que saint Denys propose à Timothée commençant. Il est vray que saint Augustin ne l’a icy que passagere, aussy n’est il alors que commençant; nous trouvons encore precisement le même chose dans l’auteur des Meditations attribuées à St Augustin; il veut que dans le silence de toutes les creatures et de lame même, elle se quitte et parvienne [§ 58] à Dieu pour fixer en lui seul les yeux de la foy, oculos fidei figat. [EP-231/3].

Mais il n’est pas [§ 68] question de l’autorité de Cassien, il s’agit de celle de saint Anthoine patriarche des Solitaires et des Contemplateurs qui est sans doute de la plus grande autorité pour la vie interieure. Il s’agit d’une tradition constante, quoy que secrette, des plus sublimes solitaires sur une oraison qui est le but de tout leur état; qui est un état elle-même, et une immobilité de lame, une oraison perpetuelle et incorruptible sans discours, sans actes, sans images, qu’on commence selon la méthode de saint Denys par une contemplation active et toute reünie dans une seule occupation simple qui finit par un état de l’âme immobile et par une inspiration semblable à celle des ecrivains sacrez. Enfin remontez à saint Clement et vous trou-[239]verez dans son Gnostique toute la voye de l’oraison passive [§ 69] apprise des Disciples immediats des Apôtres. Voila sans doute une Tradition bien constante qui explique les passages mystérieux de l’ecriture sur lesquels elle est fondée. N’est il pas admirable d’entendre parler d’un costé saint Clément et saint Anthoine, et de l’autre saint Denys presque dans les mêmes termes ? [EP-238/9].



Le Gnostique de saint Clément


Le Gnostique, composé peu après le Mémoire sur l’Etat passif, est un opuscule de Fénelon du plus grand intérêt parce qu’il exprime avec bonheur ce que Fénelon entend par amour pur, hors de tout sentiment et ressenti. Il traduit également l’esprit qui animait le cercle quiétiste à l’époque des rencontres d’Issy, et le désir -- largement partagé, il existait également à Port-Royal -- de remonter aux véritables sources chrétiennes, par l’intermédiaire de saint Clément, le plus ancien des Pères. De nombreux thèmes sont repris par Fénelon et madame Guyon : les enfants, notion fondamentale chez Clément signifient jeunesse, nouveauté et non infantilisme ; le christianisme n’est pas une pure espérance, mais implique une certaine participation à la vie divine ; la bonté et l’amour de Dieu créateur sont soulignés et il vaut mieux imiter Jésus plutôt que d’être crucifié avec lui ; le thème de la divinisation est bien présent. En voici quelques extraits de notre édition 288 :

CHAPITRE III De la vraie Gnose.

[...] Je dis que c’est l’amour qui fait le comble de la gnose. Ce n’est pas que le simple juste n’ait l’amour à un certain degré ; mais l’amour pur, l’amour qui absorbe toutes les autres vertus en lui, est l’essence de la gnose parfaite. Je vais expliquer ceci dans toutes ces parties et le prouver par les paroles de notre auteur. [...] Je dois donc montrer : 1° que la gnose n’est point le simple état du fidèle ; 2° qu’elle consiste dans la contemplation et dans la charité ; 3° que c’est une contemplation et une charité habituelle et fixe ; 4° que c’est une charité pure et désintéressée. [...]

Vous voyez toujours une sorte de charité pure et permanente, qui surpasse la foi et même l’espérance, qui fait le caractère de la gnose, et qui la met infiniment au-dessus de la foi simple, animée par un amour intéressé pour la récompense telle qu’elle est dans le commun des justes. Vous voyez que la gnose, si on pouvait la séparer du salut, serait préférable au salut même, pour une âme généreuse et gnostique, qui n’a point d’autre motif, en aimant Dieu, que l’amour de Dieu même. Voilà saint Clément qui fait ces suppositions impossibles et ces précisions métaphysiques que les savants modernes regardent, dans les mystiques, comme des raffinements ridicules et des nouveautés inventées par des cerveaux creux. Les voilà dans les mêmes termes. C’est que l’amour pur est de tous les temps ; et que l’amour pur, dans la délicatesse infinie de sa jalousie, va jusqu’au dernier raffinement. […]

Mais reprenons les paroles de notre auteur [Strom. IV, 22, 137] : « Celui qui est parfait, dit-il, fait le bien, mais ce n’est point à cause de son utilité. Quand il a jugé qu’il est bon de faire une chose, il s’y porte sans relâche, non en négligeant ceci et en faisant cela ; mais, étant établi dans l’habitude de faire le bien sans discontinuer, non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée ni pour la récompense qui vient des hommes ou de Dieu, il rend sa vie parfaite selon l’image et la ressemblance du Seigneur. » Saint Clément conclut, en cet endroit [Strom. IV, 22, 138], que celui qui est véritablement bon, et établi dans cette habitude, imite la nature du bien, c’est-à-dire « qu’il se communique et qu’il n’agit que selon sa nature, sans autre pente que celle de bien faire ».

Le gnostique, dit saint Clément [Strom. VI, 9, 73], « demeure dans une même situation et immuable, aimant gnostiquement. » [...] Mais cette contemplation est-elle une espèce d’extase, empêche-t-elle les occupations communes de la vie ? Tout au contraire, c’est une union habituelle avec Dieu, qui anime l’homme et qui facilite toutes les fonctions de la vie où la Providence nous met.

Écoutez saint Clément [Strom. VII, 7, 35]: « ce n’est point dans un lieu marqué, dans un temple choisi, ni en un certain jour de fête marqué, mais c’est pendant toute la vie, et en tout lieu, soit que le gnostique soit seul, soit qu’il se trouve avec plusieurs fidèles, qu’il honore Dieu. C’est-à-dire qu’il lui rend grâce de l’avoir établi dans la gnose. » Il ajoute encore que « le gnostique est toujours avec Dieu sans interruption ». « Toute notre vie, dit-il encore, étant un jour de fête ; persuadés que Dieu est présent partout, nous labourons en le louant, nous naviguons en chantant ses louanges. » Il prie, dit encore ce Père [Strom. VII, 7, 19], « en tous lieux et cela ne paraîtra pas à plusieurs ; il prie en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant des choses raisonnables ; il prie en toutes manières » ; c’est-à-dire, quelque chose qu’il fasse.

Toutes ces expressions marquent clairement une contemplation habituelle ; sans actes réfléchis et distincts ; sans effort ni contention d’esprit, sans extase ni lumière particulière ; les différentes pensées n’y entrant point, comme l’assure notre auteur, et les images en étant exclues. C’est une contemplation d’état permanent et fixe, que nulle occupation extérieure n’interrompt, qui est du cœur, et non pas de l’esprit; de l’amour, et non pas du raisonnement. […]

Voilà cet, amour d’abandon, duquel on fait un crime aux mystiques. Ils n’entendent, par abandon total, qu’un amour qui n’est borné à aucune épreuve. Au reste, le mot de spirituel est, dans ce langage, plus fort et plus remarquable que dans le nôtre. Car, selon le langage de saint Paul [par ex. I Cor. 2, 15 ; Gal. 6, 1], il veut dire inspiré par l’esprit de Dieu ; au lieu que parmi nous, d’ordinaire, il signifie seulement un homme éclairé sur les choses qui regardent les vertus. Vous voyez que c’est par un amour sans bornes et sans réserve qu’on devient l’homme spirituel, « et qu’on est fait une même chose avec l’esprit de Dieu ». [...]

Voulez-vous savoir encore comment le gnostique prie ! [...] Nous l’avons déjà dit, et je le répète, n’attendez pas des actes variés. Son genre de prière est « l’action de grâce pour le passé, le présent et le futur comme déjà présent par la foi » [Strom. VII, 12, 69]. Mais cette action de grâces comment se fait-elle ? Cette apparente multitude d’actes se réduit à se « complaire simplement dans tout ce qui arrive » [Strom. VII, 7, 45].

Ainsi ce qui est exprimé, d’une manière active et multipliée, se réduit à une disposition simple et passive. Mais rien ne nous montrera davantage la véritable pensée de saint Clément qu’une objection qu’il se fait à lui-même : « Toute union, dit-il [Strom. VI, 9, 73], avec les choses belles et excellentes se fait par désir ; comment donc peut demeurer dans l’apathie celui qui désire ce qui est beau ? » Voici sa réponse : « Ceux qui parlent ainsi ne connaissent pas ce qu’il y a de divin dans l’amour ; car l’amour n’est plus le désir de celui qui aime, mais une ferme conjonction qui établit le gnostique dans l’unité de foi. Il n’a plus besoin ni temps, ni de lieu. Celui qui est ainsi par l’amour dans les choses où il doit être, ayant reçu son espérance par la gnose, ne souhaite plus rien, puisqu’il a autant qu’il est possible ce qui est désirable. »

CHAPITRE XI : Le gnostique est déifié. [217]

Quand on entend dire aux mystiques qu’après les épreuves et la mort intérieure, l’âme est transformée, en sorte qu’elle est déiforme, cet état divinisé ou déifié parait une chimère à tous les docteurs spéculatifs. Ce n’est pourtant pas une invention moderne : saint Clément, Cassien et saint Denys ne nous permettent pas de le croire. « Celui, dit, saint Clément, qui obéit au Seigneur, qui suit l’inspiration et la prophétie donnée par Lui, devient parfaitement, selon l’image du Maître, « un Dieu conversant dans la chair » [Strom. VII, 16, 101]. « Le gnostique, dit-il ailleurs, est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu » [Strom. VII, 13, 82]. […] « Celui, dit-il encore ailleurs, qui abandonne sa vie à la vérité devient en quelque manière dieu, d’homme qu’il était » [Strom. VII,16, 95]. « Le Verbe, dit-il ailleurs, scelle dans le gnostique une parfaite contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine, semblable autant qu’il est possible, à la seconde cause et à la véritable vie par laquelle nous vivons véritablement » [Strom. VII, 3,16]. Ces passages sont si formels, et les expressions en sont si étonnantes, qu’ils n’ont besoin d’aucun commentaire, pour en sentir la force. On n’a qu’à se représenter toujours combien on serait scandalisé d’un mystique de notre temps qui oserait parler ainsi. […]

Que si on me presse de dire, en philosophe, mes conjectures, j’avouerais que je ne vois nulle distinction réelle entre l’âme et ses trois puissances. Je ne suis pas même persuadé que le fond de la substance de l’âme soit autre chose que penser et vouloir. Dès que j’ôte penser et vouloir, je ne conçois plus rien qui reste289. Une union, qui se fait par contemplation amoureuse ne peut se faire que par pensée et volonté. […]

En veut-on un exemple ? [...] Je donne celui d’un homme, autant livré par l’habitude que par la nature à son amour-propre. Il s’aime toujours, sans actes formels ni réfléchis […] il ne se met jamais dans cet amour, mais il s’y trouve toujours actuellement, foncièrement [223] et invariablement établi, toutes les fois qu’il veut s’observer290. Il ne pense pas toujours à soi-même […] Les pensées et les affaires qui l’occupent sont des distractions, si on les considère par rapport aux actes excités et réfléchis ; puisque, dans ce temps-là, il cesse de penser formellement et distinctement à lui-même. […] Ces apparentes distractions ne peuvent distraire l’âme ; au contraire, elles sont la pratique de l’attention unique de l’âme à elle-même ; car elle rapporte tout à son intérêt et à son plaisir, dans les affaires et dans les amusements.

Changez seulement les noms ; et dites du gnostique, ou de l’homme passif, touchant l’amour de Dieu, tout ce que je viens de dire de l’homme livré à son amour-propre. Vous n’aurez plus de peine à entendre cette union substantielle, immédiate et permanente, où les formalités des actes excités et réfléchis, ni les pratiques méthodiques ne sont plus d’usage. [… 232]

Le gnostique, dit encore saint Clément, « devenu à Dieu, se crée et se forme lui-même ; et il forme aussi ceux qui l’écoutent » [Strom. VII, 3, 13]. Voilà le gnostique qui n’a point besoin d’être conduit, et qui conduit les autres. Voilà les auditeurs du gnostique bien marqués ; il les instruit, et sa parole met en eux l’ornement de la perfection. Saint Clément ajoute des expressions si étonnantes qu’on ne pourrait les croire, si on ne les lisait. « Le gnostique, dit-il, supplée à l’absence des apôtres; vivant avec droiture, connaissant exactement ; et, dans ceux qui lui sont proches, transportant les montagnes de son prochain et aplanissant les inégalités de leurs âmes » [Strom. VII, 12, 77]. On n’en peut plus douter, voilà le gnostique, qui, sans aucun caractère marqué, enseigne, dirige et perfectionne les âmes, avec une autorité apostolique : portant tout sur lui, comme saint Paul, et étant rempli d’une vertu efficace et miraculeuse, pour la sanctification des âmes. Dieu le fait ainsi, pour suppléer à l’absence des apôtres, laquelle doit durer jusqu’à la consommation des siècles ; ce qui suppose sûrement que Dieu donnera des gnostiques, dans tous les siècles, jusqu’à la fin.

Mais voici une chose bien remarquable, et qui doit être prise comme une clé générale des Stromates. Le même saint Clément, qui nous assure tant de fois que le gnostique est dans une union inamissible, imperturbable, inaltérable et qu’après avoir consommé toute purification, il est entré dans l’apathie de Dieu, et qu’il ne peut plus être tenté, ni avilir besoin de vertu ; le même Père, dis-je, nous assure que le gnostique « a des tentations » ; il ajoute aussitôt : « non pour sa purification, mais pour l’utilité de son prochain » [Strom VII, 12, 76]. Voilà le gnostique tenté comme Jésus-Christ, pour autrui. La tentation ne vient pas de son fonds, qui est dans une paix imperturbable ; elle vient d’une impulsion étrangère, c’est ce que semble exprimer cette expression. [...] C’est l’esprit de Dieu qui le mène pour être tenté, c’est un mystère de grâces. Ce qu’il a éprouvé autrefois pour lui-même, il l’éprouve de nouveau pour les enfants que Dieu donne selon la foi. Il souffre les douleurs de l’enfantement, comme l’apôtre. […] Ainsi quand saint Clément parle de la tradition des apôtres, touchant la gnose, il parle avec la plus grande autorité qu’on puisse trouver sur la terre, après celle des apôtres. Même, il touche à leur temps ; il dit que ses maîtres ont appris de Pierre, de Jacques, de Jean et de Paul. [… 255]

Il est suffisant à lui-même. Enfin il ne désire rien, même pour sa persévérance ; car lorsqu’on est entré dans le divin de l’amour, l’amour parfait n’est plus un désir, mais une union ou unité fixée et tranquille.

Cette lumière est stable. C’est une égale stabilité de l’esprit ; on n’en peut jamais être arraché. C’est une vertu qui ne se peut perdre ; le gnostique en cet état est dans sa disposition propre et naturelle ; il a l’être même de la bonté. Il est toujours immuable dans ce que la justice demande. L’affliction ne peut pas non plus le troubler, que le feu détruire un diamant. Sa contemplation est infuse et passive ; car elle attire le gnostique, comme l’aimant attire le fer, ou comme l’ancre, le vaisseau ; elle le contraint, elle le violente, pour être bon ; il ne l’est plus par choix, mais par nécessité. La sagesse se contemple elle-même en lui ; c’est dans la volonté du Seigneur qu’il connait la volonté du Seigneur ; et par l’esprit divin qu’il entre dans les profondeurs de l’esprit.

Il est inspiré, prophète, mais prophète par le pur amour, qui lui rend l’avenir présent ; car c’est l’onction qui lui enseigne tout ; et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut être ni entendu, ni compris. Nul chrétien pathique et mercenaire, quand même il serait docteur, ne peut le comprendre, et encore moins le juger. Au contraire, c’est à lui à juger quels sont les fidèles dignes de son instruction sur la gnose. Il est dans l’état apostolique, et suppléant à l’absence des apôtres, non seulement, il enseigne, à ses disciples, les profondeurs des Écritures, mais encore, il transporte les montagnes et aplanit les vallées dans l’âme du prochain. Il souffre intérieurement des tentations pour purifier ses frères. Enfin il est bien heureux, suffisant à lui-mème, déiforme ou Dieu sur la terre ; vivant dans la chair, comme sans chair, arrivé à l’âge de l’homme parfait et hors du pèlerinage.


L’Union chez Cassien


Tradition des ss. Pères du Désert sur l’état fixe d’oraison continuelle ou Examen de la IX. et X. Conférence de Cassien, par Feu Monsr. Fénelon, Archevêque-Duc de Cambrai.”291

[…] Et il assure que l’Oraison et les vertus sont [336] inséparables, en sorte qu’on ne parvient à ce genre d’Oraison perpétuelle et sublime, qu’après avoir vidé du cœur tout ce qu’on en arrache en le purgeant et tous les débris des passions mortes [...]

Il faut donc qu’il y ait une certaine disposition fixe et habituelle de l’âme, toujours tournée vers Dieu par état, qui soit cette oraison continuelle, et que les affaires ni même les distractions continuelles ne puissent interrompre. Il faut qu’elle dure lors même que l’âme ne l’aperçoit point et que l’imagination présente d’autres objets. C’est une tendance secrète et continuelle de la volonté vers Dieu, qui n’est point un mouvement interrompu et par secousse ; mais une pente habituelle et uniforme, qui fait que la volonté par son état et par son fond ne veut plus que Dieu, et le laisse sans cesse faire tout en elle.

Cette union à Dieu ne peut être ni par effort [337] ni par excitation du cœur, ni par contention d’esprit ni par une vue distincte. Rien de tout cela ne peut être absolument continuel : car tout ce qui est distinct et marqué, ne l’est que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit ; d’où il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères. Aussi voyons-nous que ceux qui parlent de cette Oraison sans interruption, ne veulent pas même la nommer union mais unité, pour en exclure toute action distincte. C’est ce que dit saint François de Sales292 : c’est pour cela que le même saint dit que l’Oraison, dont il parle, dure même en dormant293. C’est cette présence de Dieu que l’Écriture représente comme continuelle dans certains hommes de l’Ancien Testament294 : Ils marchaient en la présence de Dieu. Toute leur voie, toute leur conduite , toutes leurs actions communes n’étaient que présence de Dieu.

On ne pense pas toujours à la lumière, mais on la voit toujours sans réflexion et c’est par elle qu’on voit tout le reste. Il en est de même pour certaines âmes. Elles ne pensent pas toujours à Dieu d’une façon distincte et aperçue : mais elles en ont toujours une certaine occupation d’autant plus secrète et confuse, qu’elle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes d’amour, mais ils aiment sans penser à aimer ; comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement [338] ni plaisir, ni intérêt, ni bonheur. L’âme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voilà donc un état où l’on fait Oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. C’est-à-dire que toutes les fois que l’âme s’aperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à faire des actes ; mais dans une conversion constante, habituelle, et fixe vers Dieu qui est une espèce d’unité avec lui. Dans le moment où l’âme aperçoit Dieu , elle ne commence point à s’unir ; mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent qu’elle l’a toujours été, lors même qu’elle n’y pensait pas actuellement.

Voilà ce que les mystiques appellent état d’oraison continuelle.


Explication des Maximes (29 janvier 1697)


Ce n’est point une indolence stupide, une inaction intérieure, une non-volonté, une suspension générale, un équilibre perpétuel de l’âme. Au contraire, c’est une détermination positive et constante de vou­loir et de ne vouloir rien, comme parle le cardinal Bona. On ne veut rien pour soi; mais on veut tout pour Dieu : on ne veut rien pour être parfait ni bien­heureux, pour son propre intérêt; mais on veut toute perfection et toute béatitude, autant qu’il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses, par l’impres­sion de sa grâce, suivant sa loi écrite, qui est toujours notre règle inviolable. En cet état on ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éter­nelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts : mais on le veut d’une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu’il veut, et qu’il veut que nous voulions pour lui.

Il y aurait une extravagance manifeste à refuser par pur amour de vouloir le bien que Dieu veut nous faire et qu’il nous commande de vouloir. L’amour le plus désintéressé doit vouloir ce que Dieu veut pour nous, comme ce qu’il veut pour autrui. La détermination absolue à ne rien vouloir ne serait plus le désintéressement, mais l’extinction de l’amour, qui est un désir et une volonté véritable… [OP 1-1024].

O Dieu ! mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l’éter­nité, parce que le cas impossible lui paraît possible et actuellement réel, dans le trouble et l’obscurcisse­ment où elle se trouve. Encore une fois il n’est pas question de raisonner avec elle, car elle est incapable de tout raisonnement. Il n’est question que d’une conviction qui n’est pas intime, mais qui est apparente et invincible. En cet état une âme perd toute espé­rance pour son propre intérêt, mais elle ne perd jamais dans la partie supérieure, c’est-à-dire, dans ses actes directs et intimes, l’espérance parfaite qui est le désir désintéressé des promesses. Elle aime Dieu plus purement que jamais. Loin de consentir positi­vement à le haïr, elle ne consent pas même indirecte­ment à cesser un seul instant de l’aimer, ni à diminuer en rien son amour, ni à mettre jamais à l’accroissement de cet amour aucune borne volontaire, ni à commettre aucune faute même vénielle. [OP 1-1036].

Ainsi chaque âme, pour être pleine­ment fidèle à Dieu, ne peut rien faire de solide ni de méritoire que de suivre sans cesse la grâce, sans avoir besoin de la prévenir. Vouloir la prévenir, c’est vou­loir se donner ce qu’elle ne donne pas encore; c’est attendre quelque chose de soi-même et de son indus­trie ou de son propre effort […] Si on examine la chose de près, il est donc évident que tout se réduit à une coopération fidèle de pleine volonté et de toutes les forces de l’âme à la grâce de chaque moment. Tout ce qu’on pourrait ajouter à cette coopération bien prise dans toute son étendue ne serait qu’un zèle indiscret et précipité, qu’un effort empressé et inquiet d’une âme intéressée pour elle-même [OP 1-1038].

ARTICLE XXVI / VRAI / Pendant les intervalles qui interrompent la pure et directe contemplation, une âme très parfaite peut exercer les vertus distinctes dans tous ses actes délibérés, avec la même paix et la même pureté ou désin­téressement d’amour, dont elle contemple pendant que l’attrait de la contemplation est actuel. Le même exercice d’amour, qui se nomme contemplation ou quiétude quand il demeure dans sa généralité et qu’il n’est appliqué à aucune fonction particulière, devient chaque vertu distincte, suivant qu’il est appliqué aux occasions particulières… / FAUX / La contemplation pure et directe est sans aucune interruption, en sorte qu’elle ne laisse aucun inter­valle à l’exercice des vertus distinctes qui sont néces­saires à chaque état… [OP 1-1066].

Elles lui parlent à toute heure comme l’épouse à l’époux. Souvent elles ne voient plus que lui seul en elles. Elles portent successivement des impressions profondes de tous ses mystères et de tous les états de sa vie mortelle. Il est vrai qu’il devient quelque chose de si intime dans leur cœur qu’elles s’accoutument à le regarder moins comme un objet étranger et exté­rieur que comme le principe intérieur de leur vie. [OP 1-1070].

…repos de pure union. C’est ce qui fait que saint François de Sales ne veut pas qu’on l’appelle union, de peur d’exprimer un mouvement ou action pour s’unir, mais une simple et pure unité. De là vient que les uns, comme saint François d’Assise dans son grand cantique, ont dit qu’ils ne pouvaient plus faire d’actes, et que d’autres, comme Grégoire Lopez, ont dit qu’ils faisaient un acte continuel pendant toute leur vie. Les uns et les autres par des expressions qui semblent opposées veulent dire la même chose. Ils ne font plus d’actes empressés et marqués par une secousse inquiète. Ils font des actes si paisibles et si uniformes que ces actes, quoique très réels, très successifs et même interrom­pus, leur paraissent ou un seul acte sans interruption, ou un repos continuel. De là vient qu’on a nommé cette contemplation oraison de silence ou de quiétude. De là vient encore qu’on l’a appelée passive. À Dieu ne plaise qu’on la nomme jamais ainsi pour en exclure l’action réelle, positive et méritoire du libre arbitre, ni les actes réels et successifs qu’il faut réitérer à chaque moment. Elle n’est appelée passive que pour exclure l’activité ou empressement intéressé des âmes, lorsqu’elles veulent encore s’agiter pour sentir et pour voir leur opération qui serait moins marquée si elle était plus simple et plus unie. La contemplation passive n’est que la pure contemplation : l’active est celle qui est encore mêlée d’actes empressés et discur­sifs. [OP 1-1072].

…une eau tranquille devient comme la glace pure d’un miroir. Elle reçoit sans altération toutes les images des divers objets, et elle n’en garde aucune. L’âme pure et paisible est de même. Dieu y imprime son image et celle de tous les objets qu’il veut y imprimer. Tout s’imprime, tout s’efface. Cette âme n’a aucune forme propre, et elle a également toutes celles que la grâce lui donne. Il ne lui reste rien, et tout s’efface comme dans l’eau dès que Dieu veut faire des impressions nouvelles. Il n’y a que le pur amour qui donne cette paix et cette docilité parfaite. Cet état passif n’est point une contemplation toujours actuelle. La contemplation qui ne dure que des temps bornés fait seulement partie de cet état habituel. L’amour désintéressé ne doit pas être moins désintéressé, ni par conséquent moins paisible dans les actes distincts des vertus que dans les actes indis­tincts de la pure contemplation. [OP 1-1075].

L’âme désintéressée, comme ce grand saint disait de la mère de Chantal (Vie de Mme de Chantal, p. 246), ne se lave pas de ses fautes pour être pure et ne se pare pas des vertus pour être belle, mais pour plaire à son époux, auquel si la laideur eût été aussi agréable, elle l’eût autant aimé que la beauté. Alors on exerce toutes les vertus distinctes sans penser qu’elles sont vertus, on ne pense en chaque moment qu’à faire ce que Dieu veut… [OP 1-1079].

L’âme paisible et également souple à toutes les impulsions les plus délicates de la grâce, est comme un globe sur un plan qui n’a plus de situation propre et naturelle. Il va également en tous sens, et la plus insensible impulsion suffit pour le mouvoir. En cet état, une âme n’a plus qu’un seul amour et elle ne sait plus qu’aimer. L’amour est sa vie, il est comme son être et comme sa substance, parce qu’il est le seul principe de toutes ses affections. Comme cette âme ne se donne aucun mouvement empressé, elle ne fait plus de contretemps dans la main de Dieu qui la pousse : ainsi elle ne sent plus qu’un seul mouvement, savoir celui qui lui est imprimé [P1-1082] de même qu’une personne poussée par une autre ne sent plus que cette impulsion, quand elle ne la déconcerte point par une agitation à contretemps. Alors l’âme dit avec simplicité après saint Paul : Je vis, mais ce n’ai pas moi, c’est Jésus-Christ qui vit en moi. Jésus-Christ se manifeste dans sa chair mortelle, comme l’apôtre veut qu’il se manifeste en nous tous. Alors l’image de Dieu, obscurcie et presque effacée en nous par le péché, s’y retrace plus parfaitement et renouvelle une ressemblance qu’on a nommée trans­formation. Alors si cette âme parle d’elle par simple conscience, elle dit comme sainte Catherine de Gênes : Je ne trouve plus de moi; il n’y a plus d’autre moi que Dieu. [OP 1-1081/82].

CONCLUSION DE TOUS CES ARTICLES / La sainte indifférence n’est que le désintéresse­ment de l’amour. Les épreuves n’en sont que la purification. L’abandon n’est que son exercice dans les épreuves. La désappropriation des vertus n’est que le [OP 1-1095] dépouillement de toute complaisance, de toute conso­lation et de tout intérêt propre dans l’exercice des vertus par le pur amour. Le retranchement de toute activité n’est que le retranchement de toute inquiétude et de tout empressement intéressé par le pur amour. La contemplation n’est que l’exercice simple de cet amour réduit à un seul motif. La contemplation pas­sive n’est que la pure contemplation sans activité ou empressement. L’état passif, soit dans les temps bor­nés de contemplation pure et directe, soit dans les intervalles où l’on ne contemple pas, n’exclut ni l’ac­tion réelle ni les actes successifs de la volonté, ni la distinction spécifique des vertus par rapport à leurs objets propres, mais seulement la simple activité ou inquiétude intéressée : c’est un exercice paisible de l’oraison et des vertus par le pur amour. La transfor­mation et l’union la plus essentielle ou immédiate n’est que l’habitude de ce pur amour qui fait lui seul toute la vie intérieure et qui devient alors l’unique principe et l’unique motif de tous les actes délibérés et méritoires ; mais cet état habituel n’est jamais ni fixe, ni invariable, ni inamissible : Verus amor recti, comme dit saint Léon, habet in se aposlolicas auctoritates et canonicas sanctiones. [OP 1-1094/95].



Instruction pastorale sur l’Explication des maximes (15sept1697)

Tout le plan de mon livre se réduit à deux points essentiels. Le premier est de reconnaître que la charité, principale vertu théologale, est un amour de Dieu indépendant du motif de la récompense, quoiqu’on désire toujours la récompense dans l’état de la charité la plus parfaite. Le second est de reconnoitre un état de charité parfaite, où cette vertu prévient, anime tous les autres, en commande les actes, et les perfectionne sans leur ôter leurs motifs propres, ni leur distinction spécifique; en sorte que les âmes de cet état n’ont plus d’ordinaire aucune affection mercenaire ou intéressée. Voilà en gros le plan de l’ouvrage; venons au détail. (OC 2-287a)

il est certain par la foi que Dieu veut le salut de chacun de nous, et qu’il veut que nous le croyions. …on n’a qu’à lire ce que j’ai dit de la nécessité indispensable où nous sommes de nous aimer toujours nous-mêmes ; faute de quoi nous tomberions, suivant le principe des Manichéens, dans une haine impie de notre âme, en supposant une mauvaise nature, ce qui seroit le renversement de l’ordre. (OC 2-295b)

Celui qui ne s’aime plus d’ordinaire que par charité , et du même amour dont il aime son prochain en Dieu et pour Dieu, ne s’en aime pas moins que celui qui s’aime encore d’un amour natu­rel et mercenaire, outre l’amour de charité. Plus on s’aime d’un Pléiade

, plus on se désire tous les vrais biens. Alors on se désire tous les biens, même temporels, dans l’ordre de la Providence, sans inquiétude ni empres­sement. À combien plus forte raison se désire ­t-on tous les biens spirituels pour le salut, qui est la consommation du plus pur amour ? L’âme la plus parfaite désire et demande donc avec l’Église tous les mêmes biens que l’âme im­parfaite désire en formant les mêmes deman­des. Toute la différence qui est entre elles n’est point du côté de l’objet, mais du côté de l’affec­tion avec laquelle la volonté le désire. Elle se réduit à ce que l’âme parfaite ne se désire d’or­dinaire tous ces biens que par un pur amour de charité, au lieu que l’imparfaite se les désire aussi d’ordinaire par un amour naturel qui la rend mercenaire, ou intéressée. (OC 2-296a)

O mon Dieu, s’écrie ailleurs ce grand saint [Anselme, De mensuratione Crucis, cap. IV] celui qui se renonce tout entier pour vous avoir, qui périt à soi-même pour vivre en vous, qui n’est plus rien à soi pour n’être quelque chose qu’en vous , celui-là, pourvu qu’il n’ait plus rien en soi, ne craint plus de rien perdre de soi. Mais il est toujours assuré que vous conservez ce qui est à vous. Si les peines de l’enfer et celles du purgatoire le menacent, il ne s’en soucie guère, parce que le voyageur sans argent chante devant le voleur. Celui qui s’est renoncé ne craint plus de se perdre…” (OC 2-308b)

L’amour, dit ailleurs ce Père [saint Bernard, Serm. 83 in Cant.], se suffit et se plaît par lui-même et pour lui-même, il est son mérite et sa récompense[...] j’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer. L’amour pur n’est point mercenaire , il ne tire point de force de l’espérance.” (OC 2-310b)

Cet auteur [ Denis le chartreux, De vit. et fin. solit., lib. II, art. XIV] ajoute que « ces enfans cachés sont consumés par l’amour, réduits au néant, transformés en Dieu, et unis à lui indissolublement dans cette transformation. » Dans cette transformation « l’âme sortant de soi, et s’écoulant , est plongée et engloutie dans l’abîme de la divinité, après avoir dépouillé toute propriété de soi-même et de tout le reste des créatures. » Cette propriété dont elle se dépouille est l’intérêt propre. Elle est, dit-il, fondue, anéantie, et perdue à l’égard d’elle-même. Elle n’aperçoit plus de distinction entre Dieu et elle. » « Celui, dit-il encore, qui aime Dieu de toutes ses forces, le fait sans aucune vue d’avantage, ni de récompense, ni parce que Dieu lui convient, ou qu’il en a besoin. » Il ajoute que « cette âme l’aime pour sa beauté , sa sainteté ; etc. » (OC 2-312a) […] « Il nous a aimés n’espérant aucun bien de nous, car il n’a pas besoin de nos biens. Il nous a créés et régénérés pour notre salut, non pour notre justice, mais pour sa bonté très libérale; car il a fait toutes choses pour lui‑même. Ainsi, quand nous l’aimons pour sa très pure bonté, non par l’horreur des peines, ni par le désir des récompenses, nous devenons déiformes. » (OC 2-312b)

Voici ce qu’elle ajoute sur les âmes de la septième Demeure [sainte Thérèse, Ch.III] : « Le premier effet du mariage spirituel est un oubli de soi, en sorte qu’il semble à l’âme , en cet état, qu’elle n’est plus, parce qu’elle est toute en telle manière qu’elle ne se connaît plus. Elle ne songe plus s’il doit y avoir pour elle un ciel, une vie, une gloire, parce qu’elle est toute occupée de celle de Dieu[...]. Ces personnes ne désirent point de mourir, mais au contraire de vivre plusieurs années en souffrant de très grands travaux, pourvu que le Seigneur soit tant soit peu glorifié par là. » Quand elle dit que le motif de la gloire n’encourage plus ces âmes, c’est dans le même sens auquel nous avons vu, dans saint Bernard, que le pur amour ne tire plus de forces de l’espérance. (OC 2-316b)

Il ajoutait [Le frère Laurent de la Résurrection, p. 53] que « depuis il ne songeait ni à paradis; ni à enfer; que toute sa vie n’était qu’un libertinage et une réjouissance continuelle. » (OC 2-321a) [et aussi (OC 2-268b) après :] « cette peine lui avait duré quatre ans…»

Les suppositions impossibles de la priva­tion des biens éternels en aimant toujours Dieu, ne doivent pas être regardées comme des trans­ports aveugles et rapides qui ne signifient rien de précis. Les saints les ont faites tranquille­ment, pour exprimer leur disposition ordinaire… (OC 2-323a)

Le repos en Dieu doit être une action véritable. C’est une occupation réelle de Dieu qui consiste dans sa connoissance et dans son amour. Vacate, et videte quoniam ego sum Deus. Enseignez que toute la vie intérieure ne consiste que dans des actes réels successifs et délibérés, qu’il faut renouveler le plus souvent qu’on peut, sans inquiétude ni empressement. (OC 2-328a)

Sur les oppositions véritables…, XXIV. C’est dans les endroits où saint Thomas veut distinguer précisément la charité et l’espérance qu’on peut trouver ces véritables notions sur ces deux vertus. « Il y a , dit ce saint docteur [2.2 Quaest. XVII, art.VIII puis VI], un amour parfait, et un amour imparfait. Le parfait est celui par le­quel on aime quelqu’un en lui-même, en lui voulant du bien, comme un homme aime son ami. L’amour imparfait est celui par le­quel on aime quelque chose non en elle­-même, mais afin que quelque bien nous en revienne, comme un homme aime la chose pour laquelle il a une sorte de concupiscence. / Ce premier amour appartient à la charité qui s’attache à Dieu considéré en lui-même. L’espérance appartient au deuxième amour ; car celui qui espère tend à obtenir pour soi quelque bien. »

Voilà l’espérance moins parfaite que la charité, et pourquoi? Parce qu’elle cherche Dieu en tant qu’il nous en revient un bien , c’est-à-dire, la béatitude , et que la charité s’attache à lui , en le considérant simplement en lui-même. Cette doctrine est évidemment confirmée par ces paroles du même saint docteur. « Ce qui est par soi est plus parfait que ce qui est par autrui…» (OC 2-412ab)

Propositions des Maximes justifiées par de saints auteurs (15 décembre 1698)

La jouissance n’est que l’union ou repos dans le bien-aimé par le pur amour sans le motif de notre utilité. Suivant saint Thomas, plus l’âme s’occupe de cet amour sans chercher même ce qui la regarde dans la louange de Dieu, plus elle est parfaite. Cette perfection commence en ce monde. Elle est l’occupation ordinaire et principale des âmes parfaites. Le saint docteur recommande cette jouissance dans toutes nos œuvres et pour toutes nos œuvres, dans tous les dons et pour tous les dons. Rejeter cette voie, c’est être aveugle et insensé quoiqu’on soit juste, et toutes les œuvres en sont moins parfaites. (OC 3-254b)

« J’ai par la grâce de Dieu un contentement sans nourriture et un amour sans crainte c’est-à-dire qui ne manque jamais. La foi me semble du tout perdue, et l’espérance morte parce qu’il me semble que je tiens et possède ce que autrefois je croyais et j’espérais. Je ne vois plus d’union, parce que je ne puis plus voir autre chose que Dieu seul sans moi. Je ne sais où je suis, et je ne cherche pas à le savoir, et je ne veux pas le savoir, ni en avoir nouvelle. » Sainte Catherine de Gênes, Vie, Ch. XXII]. (OC 3-255a)

« Il faut tâcher de ne chercher en Dieu que l’amour de sa beauté, et non le plaisir qu’il y a en la beauté de son amour. » Saint François de Sales, Amour de Dieu, liv. IX, ch. X. (OC 3-259b)

« Que l’âme fidèle sache qu’aussitôt que l’es­prit atteint à cette sagesse, quand même tous les sages du monde et tous les philosophes vien­draient disputer, et lui dire : ‘Votre foi n’est pas la foi véritable; vous vous trompez;’ l’âme ré­pondrait : ‘C’est vous-même qui vous trompez, et c’est moi qui ai la véritable foi d’une ma­nière bien plus heureuse, ayant un fondement infaillible par l’union d’amour, que je ne pourrais l’avoir par les raisonnements et par les re­cherches. » [Saint Bonaventure, Myst. Theol., Liv.III, part. I.] […]« L’âme jouit, par cette union intime d’amour, d’une si grande liberté, qu’elle ne peut être conçue que par ceux qui en ont une connais­sance expérimentale. » (OC 3-264a)

« Qu’est-ce que chercher son propre intérêt, soit honorable, soit délectable, soit utile, dans le royaume éternel, sinon faire entrer un ennemi dans la Jérusalem céleste? Qu’est-ce, sinon désirer de trouver dans le paradis ce qui n’y fut et n’y sera jamais, qui est la propriété ? Le Camus, év. de Belley, De la souveraine fin des actions chrét. p. 27.

Si vous continuez à leur dire qu’il faut servir Dieu seulement pour Dieu ; qu’il faut renoncer à ses intérêts propres et temporels et éternels pour le seul amour, c’est-à-dire pour le seul intérêt de la gloire de Dieu ; qu’il ne faut aimer que Dieu en toutes choses, et n’aimer aucune chose qu’en Dieu ; aussitôt les plus modérés vous enverront au ciel, où ils diront que l’amour de Dieu se pratique de cette sorte, et non pas en terre : comme si le Sauveur nous avait enseigné dans l’oraison dominicale à demander à son Père une grâce d’impossible pratique ici-bas ; quand nous le prions que sa volonté soit faite par nous en la terre, comme elle est faite au ciel par ses élus. Et les moins réservés crieront aussitôt à l’extravagance, à la bizarrerie , ou peut-être à l’erreur ou à l’hérésie ; car étant nourris […]. en leurs anciennes opinions et coutumes serviles ou mercenaires ils ne peuvent comprendre ce que c’est d’aimer Dieu pour lui-même : comme s’il n’avait pas assez de propre mérite pour être aimé de cette sorte , quand il n’aurait point eu sa droite les délectations des récompenses qui n’ont point de fin, ni en sa gauche le glaive des supplices. Ibid. p. 123. » (OC 3-267ab)

« Ici l’homme déjà fondu recoule en Dieu son origine[...]. Etant transformé au-dessus des images, et n’ayant plus sa propre forme, il arrive à un certain état dénué d’images, et est tellement déifié, que tout ce qu’il est , et que tout ce qu’il fait, Dieu l’est et l’opère en lui ; en sorte que ce que Dieu est essentiellement par sa nature, cette âme le devienne par grâce ; car encore qu’elle ne cesse point d’être créature, elle devient néanmoins toute divine et déiforme. Elle meurt étant toute consumée du feu de l’amour […] C’est ici que l’homme aperçoit qu’il s’est perdu lui-même. Il ne se connoît, il ne se trouve, il ne se sent plus nulle part; car il ne connoît plus qu’une seule très simple essence qui est Dieu […] C’est pourquoi il n’y a plus la que la très-pure divinite et l’unit essentielle […]. Dans cet homme, qui devient un même esprit avec Dieu , Dieu lui-même opère sans intermission. Ainsi les œuvres de cet homme sont au-dessus des œuvres de tous ceux qui ne sont pas dans cette union avec Dieu. Instit. append. I. c. 1. / Dieu partage son royaume avec cette âme, (OF3-281a), car il lui donne une très pleine puissance sur le ciel et sur la terre, et, qui plus est, sur lui-même, en sorte qu’elle soit la maîtresse de toutes les choses dont il est le maître. Mais elle ne se repose point en ces choses en y regardant sa délectation : car elle est tellement mortifiée qu’elle ne cherche nulle part son propre avantage, nulle part son utilité propre. Ibid. » (OC 3-280b-281a)

« Ces anxiétés d’esprit, que nous avons pour avancer notre perfection et pour voir si nous avançons, ne sont nullement agréables à Dieu, et ne servent qu’à satisfaire l’amour propre qui est un grand tracasseur. Entret. VII. p.110.

Tenez vos yeux haut élevés, ma très chère fille, par une parfaite confiance en la bonté de Dieu. Ne vous empressez point pour lui ; car il a dit à Marthe , qu’il ne vouloit pas, ou du moins qu’il trouvoit meilleur , qu’on n’eût point d’empressement , non pas même à bien faire. Ne veuillez pas être si parfaite. Ep. XII. l.VI. p.423. » (OC 3-282a)

Blosius. « L’âme connaît Dieu mieux que ses yeux extérieurs ne connaissent le soleil visible. Elle est établie en Dieu jusqu’à un tel point qu’elle (OF3-285a) le sent plus près d’elle , qu’elle ne l’est elle­-même. De là vient que cet homme mène déjà une vie déiforme et suressentielle, devenant conforme à Jésus-Christ selon l’esprit , selon l’âme et selon le corps. Soit qu’il mange ou qu’il boive, soit qu’il veille ou qu’il dorme, Dieu, qui vit suressentiellement en lui, y opère toujours. Dieu lui-même enseigne un tel homme sur toutes choses, et lui découvre les sens spirituels et mystiques ; [...] car son âme est déjà un miroir clair et sans tache , conve­nablement exposé au divin soleil. Louis de Blois : Inst. c. XII. § 2.

« Quoique ces hommes aimables soient abon­damment éclairés par la lumière divine dans la­quelle ils connoissoient clairement ce qu’ils doi­vent faire et ne faire pas , ils se soumettent néanmoins volontiers aux autres pour l’amour de Dieu […] Ils n’ont aucun sentiment sur eux- mêmes. Ibid. § 4. » (OC 3-284b-285a)

Le frère Laurent. « Depuis mon entrée en religion (ce sont ses paroles) je ne pense plus ni à la vertu ni à mon salut. » Or l’espace de temps dont il s’agit étoit d’environ quarante ans. P. 14. (OC 3-287b)

XXVe PROPOSITION. / « On peut dire en ce sens que l’âme passive et désintéressée ne veut plus même l’amour en tant qu’il est sa perfection et son bonheur, mais seulement en tant qu’il est ce que Dieu veut de nous. » P. 226. / Note: On ne retranche ici le désir de l’amour qu’en tant qu’il est notre propre perfection et notre propre béatitude, comme tout le texte du livre le répète cent fois, c’est-à-dire que je ne retranche que la propriété. Mais on les désire alors en tant que voulues de Dieu pour sa gloire, et de cette manière on ajoute le motif de la charité à celui de l’espérance. » (OC 3-287b)

Vie du frère Laurent. […] Il disait que toutes les pénitences et autres exercices ne servaient que pour arriver à l’u­nion avec Dieu par amour : qu’après y avoir bien pensé, il avait trouvé qu’il était encore plus court d’y aller tout droit par un exercice continuel d’amour, en faisant tout pour l’a­mour de Dieu[...]. qu’il ne pensait ni à la mort, ni à ses péchés, ni au paradis, ni à l’enfer, mais seulement à faire des petites choses pour l’amour de Dieu. P. 61 et 62. (OC 3-292b)

Cassien. « […] Cela arrivera quand tout amour, tout désir, toute affection, tout effort, toute pensée en nous , quand tout ce que nous voyons, tout ce que nous disons, tout ce que nous espérons sera Dieu , et que l’unité qui est maintenant du Père avec le Fils, et du Fils avec le Père, sera transfuse dans nos âmes[...]. Telle est la fin de la perfection du solitaire… Cassien Conf. X, ch.VI. » (OC 3-297a)

« Sur quoi son expérimenté maître spirituel, pour l’affermir en ce chemin, lui disoit : N’ayez point soin de vous-même, non plus qu’un voyageur qui est embarqué de bonne foi sur un navire, qui ne prend garde qu’à s’y tenir. Vie de la Mère de Chantal, Part. III, Ch. IV. p. 398 et suiv. » (OC 3-298b)

BLOSIUS. / « Enfin toute image ou pensées des choses passagères, même des anges et de la passion du Seigneur, ou toute pensée intellectuelle est à l’homme en cette vie un obstacle, lorsqu’il veut s’élever à l’union mystique avec Dieu qui est au-dessus de toute substance et de toute intellection. Dans cette heure-là il faut éviter et laisser ces sortes de pensées et d’images saintes (qui en d’autres temps sont reçues et conservées très utilement), parce qu’elles mettent quelque milieu entre Dieu et l’âme. C’est pourquoi que le contemplatif qui désire arriver à l’union, aussitôt qu’il se sent enflammé d’un fort amour de Dieu , et enlevé en haut, retranche les images ; qu’il se hâte d’entrer dans le sanctuaire et dans le silence éternel , où il y a une opération toute divine , et non humaine. I. App. Inst. ch. XII. p. 325. » / Le fond caché de l’âme[...]. est entièrement simple, essentiel et uniforme. En lui il n’y a point de multiplicité, mais l’unité ou les trois puissances supérieures n’en font qu’une. Ici règnent une tranquillité et un silence suprême, parce qu’aucune image ne peut jamais atteindre jusque là. Ibid. Ch. XII. § 4. » (OC 3 -301a)



Œuvres spirituelles 

Nous reprenons les titres utilisés dans l’édition moderne du choix fénelonien [OP] édité par J. Le Brun295.

I. Lettres et opuscules spirituels

V. Sur les fautes volontaires296 […] Concluez, Madame, que, pour faire tout ce que Dieu veut, il y a bien peu à faire en un certain sens. Il est vrai qu’il y a prodigieusement à faire, parce qu’il ne faut jamais rien réserver, ni résister un seul moment à cet amour jaloux, qui va poursuivant toujours sans relâche, dans les derniers replis de l’âme, jusques aux moindres affections propres, jusques aux moindres attachements dont il n.’est pas lui-même l’auteur. Mais aussi, d’un autre côté, ce n’est point la multitude des vues ni des pratiques dures, ce n’est point la gêne et la contention qui font le véritable avancement. Au contraire, il n’est question que de ne rien vouloir, et de tout vouloir sans restriction et sans choix, d’aller gaiement au jour la journée, comme la providence nous mène, de ne chercher rien, de ne rebuter rien, de trouver tout dans le moment présent, de laisser faire celui qui fait tout, et de laisser sa volonté sans mouvement dans la sienne. O qu’on et heureux en cet état, et que le cœur et rassasié, lors même qu’il paraît vide de tout ! […] (OP 1-573).

Souvent la tristesse vient de ce que, cherchant Dieu, on ne le sent pas assez pour se contenter. Vouloir le sentir n’est pas vouloir le posséder, mais c’en vouloir s’assurer, pour l’amour de soi-même, qu’on le possède afin de se consoler. La nature abattue et découragée a impatience de se voir297 dans la pure foi; elle fait tous ses efforts pour s’en tirer, parce que là tout appui lui manque; elle y est comme en l’air; elle voudrait sentir son avancement. À la vue de ses fautes, l’orgueil se dépite, et l’on prend ce dépit de l’orgueil pour un sentiment de pénitence. On voudrait, par amour-propre, avoir le plaisir de se voir parfait; on se gronde de ne l’être pas; on est impatient, hautain et de mauvaise humeur contre soi et contre les autres. Erreur déplorable ! Comme si l’œuvre de Dieu pou­vait s’accomplir par notre chagrin ! Comme si on pou­vait s’unir au Dieu de paix en perdant la paix inté­rieure ! Marthe, Marthe, pourquoi vous troubler sur tant de choses pour le service de Jésus-Christ ? Une seule est nécessaire298, qui est de l’aimer et de se tenir immobile à ses pieds. (OP 1-576)

Quand on est ainsi prêt à tout, c’est dans le fond de l’abîme que l’on commence à prendre pied299 ; on est aussi tranquille sur le passé que sur l’avenir. On sup­pose de soi tout le pis qu’on en peut supposer; mais on se jette aveuglément dans les bras de Dieu ; on s’oublie, on se perd ; et c’est la plus parfaite pénitence que cet oubli de soi-même, car toute la conversion ne consiste qu’à se renoncer pour s’occuper de Dieu. Cet oubli est le martyre de l’amour-propre ; on aime­rait cent fois mieux se contredire, se condamner, se tourmenter le corps et l’esprit, que de s’oublier. Cet oubli est un anéantissement de l’amour-propre, où il ne trouve aucune ressource. Alors le cœur s’élargit ; on est soulagé en se déchargeant de tout le poids de soi-même dont on s’accablait ; on est étonné de voir combien la voie est droite et simple. On croyait qu’il fallait une contention perpétuelle et toujours quelque nouvelle action sans relâche ; au contraire, on aperçoit qu’il y a peu à faire… [OP 1-577, OS 1-94 300]

Qui vous tendra la main pour sortir du bourbier ? Sera-ce vous ? Hé ! c’est vous-même qui vous y êtes enfoncé, et qui ne pouvez en sortir. De plus, ce bour­bier c’est vous-même ; tout le fond de votre mal est de ne pouvoir sortir de vous. Espérez-vous d’en sortir en vous entretenant toujours avec vous-même, et en nourrissant votre sensibilité par la vue de vos fai­blesses ? Vous ne faites que vous attendrir sur vous-­même par tous vos retours. Mais le moindre regard de Dieu calmerait bien mieux votre cœur troublé par cette occupation de vous-même. Sa présence opère toujours la sortie de soi-même, et c’est ce qu’il vous faut. Sortez donc de vous-même, et vous serez en paix. Mais comment en sortir ? Il ne faut que se tour­ner doucement du côté de Dieu, et en former peu à peu l’habitude par la fidélité à y revenir toutes les fois qu’on s’aperçoit de sa distraction. Pour la tristesse naturelle qui vient de la mélancolie, elle ne vient que des corps… [OP 1-578, OS1-96]

ne se comptant plus pour rien, elles aiment autant le bon plaisir de Dieu, les richesses de sa grâce, et la gloire qu’il tire de la sanctification d’autrui, que celle qu’il tire de leur propre sanctification. Tout et alors égal, parce que le moi et perdu et anéanti, le moi n’est pas plus moi qu’autrui : c’est Dieu seul qui et tout en tous; c’est lui seul qu’on aime, qu’on admire, et qui fait toute la joie du cœur dans cet amour désintéressé. [OP 1-588]

Il est donc vrai que nous sommes sans cesse inspi­rés, et que nous ne vivons de la vie de la grâce qu’au­tant que nous avons cette inspiration intérieure. Mais, mon Dieu, peu de chrétiens la sentent ; car il y en a bien peu qui ne l’anéantissent par leur dissipation volontaire ou par leur résistance. Cette inspiration ne doit point nous persuader que nous soyons semblables aux prophètes. L’inspiration des prophètes était pleine de certitude pour les choses que Dieu leur découvrait ou leur commandait de faire; c’était un mouvement extraordinaire, ou pour révéler les choses futures, ou pour faire des miracles, ou pour agir avec toute l’autorité divine. Ici, tout au contraire, l’inspi­ration est sans lumière, sans certitude ; elle se borne à nous insinuer l’obéissance, la patience, la douceur, [592] l’humilité […] Ce n’est point un mouvement divin pour prédire, pour changer les lois de la nature, et pour commander aux hommes de la part de Dieu […] elle n’a par elle-même, si l’imagination des hommes n’y ajoute rien, aucun piège de présomption ni d’illusion. [X De la parole intérieure (à Mme de Maintenon) OP 1-591-592, OS1-109]

Dans les premiers dépouillements, ce qui reste console de ce qu’on perd; dans les derniers, il ne reste qu’amertume, nudité et confusion. / On demandera peut-être en quoi consistent ces dépouillements; mais je ne puis le dire. Ils sont aussi différents que les hommes sont différents entre eux. Chacun souffre les siens suivant ses besoins et les desseins de Dieu. Comment peut-on savoir de quoi on sera dépouillé, si on ne sait pas de quoi on est revêtu ? Chacun tient à une infinité de choses qu’il ne devinerait jamais. Il ne sent qu’il y était attaché que quand on les lui ôte. Je ne sens mes cheveux que quand on les arrache de ma tête. Dieu nous développe peu à peu notre fond qui nous était inconnu, et nous sommes tout étonnés de découvrir, dans nos vertus mêmes, des vices dont nous nous étions toujours crus incapables. C’est comme une grotte qui paraît sèche de tous côtés, et d’où l’eau rejaillit tout à coup par les endroits dont on se défiait le moins. Ces dépouillements que Dieu nous demande ne sont point d’ordinaire ce qu’on pourrait s’imaginer. Ce qui est attendu nous trouve préparés, et n’est guère propre à nous faire mourir. Dieu nous surprend par les choses les plus imprévues. Ce sont des riens, mais des riens qui désolent, et qui font le supplice de l’amour-propre. [OP 1-596]

Heureux celui qui présente hardiment toute l’étoffe dès qu’on lui demande un échantillon, et qui laisse tailler Dieu en plein drap ! Heureux celui qui, ne se comptant pour rien, ne met jamais Dieu dans la nécessité de le ména­ger. Heureux celui que tout ceci n’effraie point. / On croit que cet état est horrible, on se trompe, on se trompe ; c’est là qu’on trouve la paix, la liberté, et que le cœur, détaché de tout, s’élargit sans bornes, en sorte qu’il devient immense; rien ne le rétrécit, et, selon la promesse, il devient une même chose avec Dieu même. [OP 1-602].

On est contristé et découragé quand le goût sensible et quand les grâces aperçues échappent ; en un mot, c’est presque toujours de soi et non de Dieu qu’il est ques­tion.

De là vient que toutes les vertus aperçues ont besoin d’être purifiées, parce qu’elles nourrissent la vie naturelle en nous. La nature corrompue se fait un aliment très subtil des grâces les plus contraires à la nature; l’amour-propre se nourrit, non seulement d’austérités et d’humiliations, non seulement d’orai­son fervente et de renoncement à soi, mais encore de l’abandon le plus pur et des sacrifices les plus extrêmes. C’est un soutien infini que de penser qu’on n’est plus soutenu de rien, et qu’on ne cesse point, dans cette épreuve horrible, de s’abandonner fidèle­ment et sans réserve. Pour consommer le sacrifice de purification en nous des dons de Dieu, il faut donc achever de détruire l’holocauste, il faut tout perdre, même l’abandon aperçu par lequel on se voyait livré ­à sa perte.

On ne trouve Dieu seul purement que dans cette perte de tous ses dons, et dans ce réel sacrifice de tout soi-même, après avoir perdu toute ressource inté­rieure. La jalousie infinie de Dieu nous pousse jusque-là, et notre amour-propre le met, pour ainsi dire, dans cette nécessité, parce que nous ne nous perdons totalement en Dieu, que quand tout le reste nous manques. C’est comme un homme qui tombe dans un abîme; il n’achève de s’y laisser aller qu’après que tous les appuis du bord lui échappent des mains. L’amour-propre, que Dieu précipite, se prend dans son désespoir à toutes les ombres de grâce, comme un homme qui se noie se prend à toutes les ronces qu’il trouve en tombant dans l’eau.

Il faut donc bien comprendre la nécessité de cette soustraction qui se fait peu à peu en nous de tous les dons divins. Il n’y a pas un seul don, si éminent qu’il soit, qui, après avoir été un moyen d’avancement, ne devienne d’ordinaire pour la suite un piège et un obs­tacle par les retours de propriété qui salissent l’âme. De là vient que Dieu ôte ce qu’il avait donné. Mais il ne l’ôte pas pour en priver toujours ; il l’ôte pour le mieux donner, et pour le tendre sans l’impureté de cette appropriation maligne que nous en faisons sans nous en apercevoir. La perte du don sert à en ôter la propriété; et, la propriété étant ôtée, le don est rendu au centuple. Alors le don n’est plus don de Dieu; il est Dieu même à l’âme. Ce n’est plus don de Dieu, car on ne le regarde plus comme quelque chose de distingué de lui et que l’âme peut posséder ; c’est Dieu lui seul immédiatement qu’on regarde, et qui, sans être possédé par l’âme, la possède selon tous ses bons plaisirs. [XI Nécessité de la purification de l’âme par rapport aux dons de Dieu… (à Mme de Maintenon) OP 1-605-606, OS1-171-172]

L’amertume d’avoir perdu Dieu, qu’on avait senti si doux dans sa ferveur, est un absinthe répandu sur tout ce qu’on avait aimé parmi les créatures. On est comme un malade qui sent sa défaillance faute de nourriture, et qui a horreur de tous les aliments les plus exquis. Alors ne parlez point d’amitié; le nom même en est affligeant, et ferait venir les larmes aux yeux; tout vous surmonte, vous ne savez ce que vous voulez. Vous avez des amitiés et des peines, comme un enfant, dont vous ne sauriez dire de raison, et qui s’évanouissent comme un songe dans le moment que vous en parlez. Ce que vous dites de votre disposition vous paraît toujours un mensonge, parce qu’il cesse d’être vrai dès que vous commencez à le dire. Rien ne subsiste en vous; vous ne pouvez répondre de rien, ni vous promettre rien, ni même vous dépeindre. [OP 1-607].

XII Sur la Prière. On est tenté de croire qu’on ne prie plus Dieu dès qu’on cesse de goûter un certain plaisir dans la prière. Pour se détromper, il faudrait considérer que la par­faite prière et l’amour de Dieu sont la même chose. La prière n’est donc pas une douce sensation, ni le charme d’une imagination enflammée, ni la lumière de l’esprit qui découvre facilement en Dieu des vérités sublimes, ni même une certaine consolation dans la vue de Dieu ; toutes ces choses sont des dons exté­rieurs, sans lesquels l’amour peut subsister d’autant plus purement, qu’étant privé de toutes ces choses, qui ne sont que des dons de Dieu, on s’attachera uniquement et immédiatement à lui-même. Voilà l’amour de pure foi, qui désole la nature, parce qu’il ne lui laisse aucun soutien; elle croit que tout est perdu, et c’est par là même que tout est gagné. Le pur amour n’est que dans la seule volonté301 ; ainsi ce n’est point un amour de sentiment, car l’ima­gination n’y a aucune part ; c’est un amour qui aime sans sentir, comme la pure foi croit sans voir. Il ne faut pas craindre que cet amour soit imaginaire, car rien ne l’est moins que la volonté détachée de toute imagination. Plus les opérations sont purement intel­lectuelles et spirituelles, plus elles ont, non seulement la réalité, mais encore la perfection que Dieu demande : l’opération en est donc plus parfaite ; en même temps la foi s’y exerce, et l’humilité s’y conserve. [(à Mme de Maintenon) OP 1-610, OS1-44]

C’est par une espèce d’infidélité contre l’attrait de la pure foi, qu’on veut toujours s’assurer qu’on fait bien; c’est vouloir savoir ce qu’on fait, ce qu’on ne saura jamais, et que Dieu veut qu’on ignore; c’est s’amuser dans la voie pour raisonner sur la voie même. La voie la plus sûre et la plus courte est de se renoncer, de s’oublier, de s’abandonner, et de ne plus penser à soi que par fidélité pour Dieu. Toute la religion ne consiste qu’à sortir de soi et de son amour-propre pour tendre à Dieu. (OP 1-611).

Il n’y a point de pénitence plus amère que cet état de pure foi sans soutien sensible ; d’où je conclus que c’est la pénitence la plus effective, la plus crucifiante, et la plus exempte de toute illusion. Étrange tenta­tion ! On cherche impatiemment la consolation sen­sible par la crainte de n’être pas assez pénitent ! Hé ! que ne prend-on pour pénitence le renoncement à la consolation qu’on est si tenté de chercher ? Enfin il faut se ressouvenir de Jésus-Christ, que son Père abandonna sur la croix; Dieu retira tout sentiment et toute réflexion pour se cacher à Jésus-Christ; ce fut le dernier coup de la main de Dieu qui frappait l’homme de douleur ; voilà ce qui consomma le sacrifice. Il ne faut jamais tant s’abandonner à Dieu que quand il nous abandonne. [OP 1-612, OS1-47]

Il n’y a point de milieu : il faut rapporter tout à Dieu ou à nous-mêmes. Si nous rapportons tout à nous-mêmes, nous n’avons point d’autre dieu que ce moi dont j’ai tant parlé ; si au contraire nous rappor­tons tout à Dieu, nous sommes dans l’ordre ; et alors, ne nous regardant plus que comme les autres créa­tures, sans intérêt propre et par la seule vue d’ac­complir la volonté de Dieu, nous entrons dans ce renoncement à nous-mêmes que vous souhaitez de bien comprendre. [XIII Sur le renoncement à soi-même (à Mme de Maintenon) OP 1-615, OS1-63]

Ce qui fait qu’aucune créature ne peut nous tirer de nous-mêmes, c’est qu’il n’y en a aucune qui mérite que nous la préférions à nous. Il n’y en a aucune qui ait ni le droit de nous enlever à nous-mêmes, ni la perfection qui serait nécessaire pour nous attacher à elle sans retour sur nous, ni enfin le pouvoir de rassasier notre cœur dans cet attachement. De là vient que nous n’aimons rien hors de nous que pour le rapporter à nous : nous choisissons, ou selon nos passions grossières et brutales, si nous sommes brutaux et grossiers, ou selon le goût que notre orgueil a de la gloire, si nous avons assez de délicatesse pour ne nous contenter pas de ce qui et brutal et grossier.

Mais Dieu fait deux choses que lui seul peut faire ; l’une de se montrer à nous avec tous ses droits sur sa créature et avec tous les charmes de sa bonté. On sent bien qu’on ne s’est pas fait soi-même, et qu’ainsi on n’est pas fait pour soi, qu’on est fait pour la gloire de celui à qui il a plu de nous faire, qu’il est trop grand pour rien faire que pour lui-même, qu’ainsi toute notre perfection et tout notre bonheur est de nous perdre en lui. Voilà ce qu’aucune créature, quelque éblouissante qu’elle soit, ne peut jamais nous faire sentir pour elle. Bien loin d’y trouver cet infini qui nous remplit et qui nous transporte en Dieu, nous trouvons toujours au contraire, dans la créature, un vide, une impuissance de remplir notre cœur, une imperfection qui nous laisse toujours retomber en nous-mêmes.

La seconde merveille que Dieu fait, est de remuer notre cœur comme il lui plaît, après avoir éclairé notre esprit. Il ne se contente pas de se montrer infiniment aimable; mais il se fait aimer en produisant par sa grâce son amour dans nos cœurs ; ainsi il exécute lui-même en nous ce qu’il nous fait voir que nous lui devons. (OP 1-616).

Votre bonne volonté n’et pas moins un don de miséricorde, que l’être et la vie qui viennent de Dieu. Vivez comme à l’emprunt; tout ce qui est à vous et tout ce qui est vous-même n’est qu’un bien prêté ; servez-vous-en suivant l’intention de celui qui le prête, mais n’en dis­posez jamais comme d’un bien qui est à vous. C’est cet esprit de désappropriation et de simple usage de soi-même et de notre esprit, pour suivre les mouve­ments de Dieu, qui est le seul véritable propriétaire de sa créature, en quoi consiste le solide renoncement à nous-mêmes.

Vous me demanderez apparemment quelle doit être en détail la pratique de cette désappropriation et de ce renoncement. Mais je vous répondrai que ce senti­ment n’est pas plus tôt dans le fond de sa volonté, que Dieu mène lui-même l’âme comme par la main pour l’exercer dans ce renoncement en toutes les occa­sions de la journée.

Ce n’est point par des réflexions pénibles, et par une contention continuelle, qu’on se renonce ; c’est seulement en s’abstenant de se rechercher et de vou­loir se posséder à sa mode, qu’on se perd en Dieu.

Toutes les fois qu’on aperçoit un mouvement de hauteur, de vaine complaisance, de confiance en soi- même, de désir de suivre son inclination contre la règle, de recherche de son propre goût, d’impa­tience contre les faiblesses d’autrui ou contre les ennuis de son état, il faut laisser tomber toutes ces choses comme une pierre au fond de l’eau, se recueil­lir devant Dieu, et attendre à agir quand on sera dans la disposition où le recueillement doit mettre. (OP 1-620).

Chacun porte au fond de son cœur un amas d’ordure, qui ferait mourir de honte si Dieu nous en montrait tout le poison et toute l’horreur ; l’amour-propre serait dans un supplice insupportable. Je ne parle pas ici de ceux qui ont le cœur gangrené par des vices énormes ; je parle des âmes qui parais­sent droites et pures. On verrait une folle vanité qui n’ose se découvrir, et qui demeure toute honteuse dans les derniers replis du cœur. […] Laissons donc faire Dieu, et contentons-nous d’être fidèles à la lumière du moment présent. Elle apporte avec elle tout ce qu’il nous faut pour nous préparer à la lumière du moment qui suit ; et cet enchaînement de grâces, qui entrent, comme les anneaux d’une chaîne, les unes dans les autres, nous prépare insen­siblement aux sacrifices éloignés dont nous n’avons pas même la vue. [XIV Sur le détachement de soi-même (à Mme de Maintenon) OP 1-627, OS1-77]

…sans l’amour de Dieu tout est vide, et avec lui tout est rempli : la mesure d’aimer Dieu est de l’aimer sans mesure… [OP 1-635].

Les découragements inté­rieurs nous font aller plus vite que tout le reste, dans la voie de la foi, pourvu qu’ils ne nous arrêtent point, et que la lâcheté involontaire de l’âme ne la livre point à cette tristesse qui s’empare, comme par force, de tout l’intérieur. [XX De la tristesse (à Mme de Maintenon ?) OP 1-648, OS1-87]

Dieu cache son opération, dans l’ordre de la grâce comme dans celui de la nature, sous une suite insen­sible d’événements. C’est par là qu’il nous tient dans les obscurités de la foi. Non seulement il fait son ouvrage peu à peu, mais il le fait par des voies qui paraissent les plus simples et les plus convenables pour y réussir, afin que les moyens paraissant propres au succès, la sagesse humaine attribue le succès aux moyens qui sont comme naturels, et qu’ainsi le doigt de Dieu y soit moins marqué, autrement tout ce que Dieu fait serait un perpétuel miracle qui renverserait l’état de foi où Dieu veut que nous vivions. [OP 1-650].

Notre mal est d’être attaché aux créatures, et encore plus à nous-mêmes. Dieu prépare une suite d’événements qui nous détachent peu à peu des créatures, et qui nous arrachent enfin à nous-mêmes. […] Il ne nous prive des choses que nous aimons que pour nous les faire aimer d’un amour pur, solide et modéré, pour nous en assurer l’éternelle jouissance dans son sein, et pour nous faire cent fois plus de bien que nous ne saurions nous en désirer à nous-mêmes… [OP 1-651].

Nous sommes-nous faits nous-mêmes ? Sommes-nous à Dieu ou à nous ? Nous a-t-il fait pour nous ou pour lui ? À qui nous devons-nous ? Est-ce pour notre béatitude propre ou pour sa gloire que Dieu nous a créés ? Si c’est pour sa gloire, il faut donc nous conformer à l’ordre essentiel de notre création, il faut vouloir sa gloire plus que notre béa­titude, en sorte que nous rapportions toute notre béatitude à sa propre gloire. [XXIII Sur le pur amour (dissertation, à partir de 1697) OP 1-658, OS1-251]

Ce n’est pas que l’homme qui aime sans intérêt n’aime la récompense; il l’aime en tant qu’elle est Dieu même, et non en tant qu’elle est son intérêt propre ; il la veut parce que Dieu veut qu’il la veuille ; c’est l’ordre, et non pas son intérêt qu’il y cherche ; il s’aime, mais il ne s’aime que pour l’amour de Dieu, comme un étranger, et pour aimer ce que Dieu fait. [OP 1-659, OS1-253]

Je suppose que je vais mourir; il ne me reste plus qu’un seul moment à vivre, qui doit être suivi d’une extinction entière et éternelle. Ce moment, à quoi l’emploierai-je ? je conjure mon lecteur de me répondre dans la plus exacte précision. Dans ce der­nier instant, me dispenserai-je d’aimer Dieu, faute de pouvoir le regarder comme une récompense ? Renon­cerai-je à lui dès qu’il ne sera plus béatifiant pour moi ? Abandonnerai-je la fin essentielle de ma création ? Dieu, en m’excluant de la bienheureuse éternité, qu’il ne me devait pas, a-t-il pu se dépouiller de ce qu’il se doit essentiellement à lui-même ? [OP 1-662, OS1-257]

Platon fait dire à Socrate, dans son Festin302, « qu’il y a quelque chose de plus divin dans celui qui aime que dans celui qui est aimé. » Voilà toute la délicatesse de l’amour le plus pur. Celui qui est aimé, et qui veut l’être, est occupé de soi; celui qui aime sans songer à être aimé, à ce que l’amour renferme de plus divin, je veux dire le transport, l’oubli de soi, le désintéresse­ment. « Le beau, dit ce philosophe, ne consiste en aucune des choses particulières, telles que les animaux, la terre ou le ciel[...] mais le beau est lui-même par lui-­même, étant toujours uniforme avec soi. Toutes les autres choses belles participent de ce beau, en sorte que si elles naissent ou périssent, elles ne lui ôtent et ne lui ajoutent rien, et qu’il n’en souffre aucune perte; si donc quelqu’un s’élève dans la bonne amitié, il commence à voir le beau, il touche presque au terme303. »

Il est aisé de voir que Platon parle d’un amour du beau en lui-même, sans aucun retour d’intérêt. C’est ce beau universel qui enlève le cœur, et qui fait oublier toute beauté particulière. Ce philosophe assure, dans le même dialogue, que l’amour divinise l’homme, qu’il l’inspire, qu’il le transporte. [OP 1-667, OS1-265]

Pourquoi aime-t-on mieux voir les dons de Dieu en soi qu’en autrui, si ce n’est par attachement à soi ? quiconque aime mieux les voir en soi que dans les autres, s’affligera aussi de les voir dans les autres plus parfaits qu’en soi; et voilà la jalousie. Que faut-il donc faire ? Il faut se réjouir de ce que Dieu fait sa volonté en nous, et y règne, non pour notre bonheur, ni pour notre perfection en tant qu’elle est la nôtre, mais pour le bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire.

Remarquez là-dessus deux choses . l’une, que tout ceci n’est point une subtilité creuse, car Dieu, qui veut dépouiller l’âme pour la perfectionner et la poursuivre sans relâche jusqu’au plus pur amour, la fait passer réellement par ces épreuves d’elle-même, et ne la laisse point en repos jusqu’à ce qu’il ait ôté à son amour tout retour et appui en soi. [­XXIV L’amour désintéressé… OP 1-671, 0S1-274]

Cette vie de lumières et de goûts sensibles, quand on s’y attache jusqu’à s’y borner, est un piège très dangereux.

1. Quiconque n’a d’autre appui quittera l’oraison, et avec l’oraison Dieu même, dès que cette source de plaisir tarira. Vous savez que sainte Thérèse disait qu’un grand nombre d’âmes quittaient l’oraison quand l’oraison commençait à être véritable. […]

2. De l’attachement aux goûts sensibles naissent toutes les illusions. [XXV Que la voie de la foi nue et de la pure charité est meilleure et plus sûre… OP 1-674-675, OS1-201-202]

La simplicité est une droiture de l’âme qui retranche tour retour inutile sur elle-même et sur ses passions. Elle et différente de la sincérité. La sincérité est une vertu au-dessous de la simplicité. On voit beaucoup de gens qui sont sincères sans être simples ; ils ne disent rien qu’ils ne croient vrai, ils ne veulent passer que pour ce qu’ils sont, mais ils craignent sans cesse de passer pour ce qu’ils ne sont pas; ils sont toujours à s’étudier eux-mêmes, à compasser toutes leurs paroles et toutes leurs pensées et à repasser tout ce qu’ils ont fait dans la crainte d’avoir trop fait ou trop dit. Ces gens-là sont sincères, mais ils ne sont pas simples; ils ne sont point à leur aise avec les autres, et les autres ne sont point à leur aise avec eux; on n’y trouve rien d’aisé, rien de libre, rien d’ingénu, rien de naturel ; on aimerait mieux des gens moins réguliers et plus imparfaits, qui fussent moins composés. Voilà le goût des hommes, et celui de Dieu est de même : il veut des âmes qui ne soient point occupées d’elles, et comme toujours au miroir pour se composer. [OP 1-677].

Dans le troisième degré, elle n’a plus ces retours inquiets sur elle-même; elle commence à regarder Dieu plus souvent qu’elle ne se regarde, et insensible­ment elle tend à s’oublier pour s’occuper de Dieu par un amour sans intérêt propre. Ainsi l’âme, qui ne pensait point autrefois à elle-même, parce qu’elle était toujours entraînée par les objets extérieurs qui exci­taient ses passions, et qui dans la suite a passé par une sagesse qui la rappelait sans cesse à elle-même, vient enfin peu à peu à un autre état, où Dieu fait sur elle ce que les objets extérieurs faisaient autrefois, c’est-à-dire qu’il l’entraîne et la désoccupe d’elle­-même, en l’occupant de lui.

Plus l’âme est docile et souple pour se laisser entraîner sans résistance ni retardement, plus elle avance dans la simplicité. Ce n’est pas qu’elle devienne aveugle sur ses défauts, et qu’elle ne sente ses infidé­lités; elle les sent plus que jamais; elle a horreur des moindres fautes ; la lumière augmente toujours pour découvrir sa corruption, mais cette connaissance ne lui vient plus par des retours inquiets sur elle-même ; c’est par la lumière de Dieu présent qu’elle se voit contraire à la pureté infinie de Dieu. [OP 1-679].

C’est pourquoi il faut moins compter sur une fer­veur sensible et sur certaines mesures de sagesse que l’on prend avec soi-même pour sa perfection, que sur une simplicité, une petitesse, un renoncement à tout mouvement propre et une souplesse parfaite pour se laisser aller à toutes les impressions de la grâce. Tout le reste, en établissant des vertus éclatantes, ne ferait que nous inspirer secrètement plus de confiance en nos propres efforts. [XXVII De la confiance en Dieu OP 1-688, OS1-103]

Le défaut qui est en nous la source de tous les autres est l’amour de nous-mêmes, auquel nous rapportons tout au lieu de rapporter tout à Dieu. Quiconque travaille donc à se désoccuper de soi-même, à s’oublier, à se renoncer, suivant le précepte de Jésus-Christ, coupe d’un seul coup la racine à tous ses vices et trouve dans ce simple renoncement à soi-même le germe de toutes les vertus. / Alors on entend et on éprouve au-dedans de soi la vérité profonde de cette parole de l’Écriture : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. [OP 1-689].

XXIX. De l’humilité. / Tous les saints sont convaincus que l’humilité sincère est le fondement de toutes les vertus; c’est parce que l’humilité est la fille de la pure charité, l’humilité n’est autre chose que la vérité. Il n’y a que deux vérités au monde, celle du tout de Dieu et du rien de la créature : afin que l’humilité soit véritable, il faut qu’elle nous fasse rendre un hommage continuel à Dieu par notre bassesse, demeurer dans notre place, qui est d’aimer et n’être rien. Jésus-Christ dit qu’il faut être doux et humble de cœur. La douceur est fille de l’humilité, comme la colère est fille de l’orgueil. Il n’y a que Jésus-Christ qui nous puisse donner cette véri­table humilité du cœur qui vient de lui : elle naît de l’onction de sa grâce ; elle ne consiste point, comme l’on s’imagine, à faire des actes extérieurs d’humilité, quoique cela soit bon, mais à demeurer à sa place. Celui qui s’estime quelque chose n’est pas véritable­ment humble ; celui qui veut quelque chose pour soi-même ne l’est pas non plus : mais celui qui s’oublie si fort soi-même qu’il ne pense jamais à soi, qui n’a pas un retour sur lui-même, qui au-dedans n’est que bas­sesse, et blessé de rien, sans affecter la patience au-dehors, qui parle de soi comme il parlerait d’un autre, qui n’affecte point de s’oublier soi-même lorsqu’il en est tout plein, qui se livre pour la charité sans faire attention si c’est humilité ou orgueil d’en user de la sorte, qui est très content de passer pour être sans humilité, enfin celui qui est plein de charité, est véri­tablement humble. [OP 1-690].

Voudrait:on être traité par un fils ou même par un domestique comme on traite Dieu ? C’est qu’on ne le connaît pas, car si on le connaissait, on l’aimerait. Dieu est amour comme dit saint Jean ; celui qui ne l’aime point ne le connaît point, car comment connaître l’amour sans l’aimer ? [OP 1-698].

O néant, tu veux te glorifier, tu n’es qu’à condition de n’être jamais rien à tes propres yeux : tu n’es que pour celui qui te fait être. Il se doit tout à lui-même; tu te dois toute à lui : il ne peut t’en rien relâcher; tout ce qu’il te laisserait à toi-même sortirait des règles inviolables de sa sagesse et de sa bonté ; un seul instant, un seul soupir de ta vie donné à ton intérêt propre blesserait essentiellement la fin du Créateur dans la création. Il n’a besoin de rien, mais il veut tout, parce que tout lui et dû, et que tout n’est pas trop pour lui. Il n’a besoin de rien, tant il est grand, mais cette même grandeur fait qu’il ne peut rien produire hors de lui qui ne soit tout pour lui-même : c’est son bon plaisir qu’il veut dans sa créa­ture. Il a fait pour moi le ciel et la terre, mais il ne peut souffrir que je fasse volontairement et par choix un seul pas pour autre fin que celle d’accomplir sa volonté. Avant qu’il eût produit des créatures, il n’y avait point d’autre volonté que la sienne. Croirons-nous qu’il ait créé des créatures raisonnables pour vouloir autrement que lui ? Non, non, c’est sa raison souveraine qui doit les éclairer et être leur raison. C’est sa volonté, règle de tout bien, qui doit vouloir en nous : toutes ces volontés n’en doivent faire qu’une seule par la sienne ; c’est pourquoi nous lui disons : Que votre règne vienne, que votre volonté se fasse. [OP 1-700].

Pour mieux comprendre tout ceci, il faut se repré­senter que Dieu, qui nous a faits de rien, nous refait encore pour ainsi dire à chaque instant. De ce que nous étions hier, il ne s’ensuit pas que nous devions être encore aujourd’hui : nous pourrions cesser d’être, et nous retomberions effectivement dans le néant d’où nous sommes sortis, si la même main toute-puissante qui nous en a tirés ne nous empêchait d’y être replon­gés. Nous ne sommes rien par nous-mêmes : nous ne sommes que ce que Dieu nous fait être. C’est donc, ô mon Dieu, ne vous point connaître que de vous regarder hors de nous, comme un être tout-puissant qui donne des lois à toute la nature, et qui a fait tout ce que nous voyons. C’est ne connaître encore qu’une partie de ce que vous êtes ; c’est ignorer ce qu’il y a de plus merveilleux et de plus touchant pour vos créatures raisonnables. Ce qui m’enlève et qui m’attendrit, c’est que vous êtes le Dieu de mon cœur304. Vous y faites tout ce qu’il vous plaît. Quand je suis bon, c’est vous qui me rendez tel ; non seule­ment vous tournez mon cœur comme il vous plaît, mais encore vous me donnez un cour selon le vôtre. C’est vous qui vous aimez vous-même en moi; c’est vous qui animez mon âme, comme mon âme anime mon corps ; vous m’êtes plus présent et plus intime que je ne le suis à moi-même. Ce moi, auquel je suis si sensible et que j’ai tant aimé, me doit être étranger en comparaison de vous : c’est vous qui me l’avez donné ; sans vous il ne serait rien. Voilà pourquoi vous voulez que je vous aime plus que lui. [XXXII De la nécessité de connaître et d’aimer Dieu OP 1-701, OS1-11]

Ces bonnes œuvres, qui sont vos dons, deviennent mes œuvres, mais elles sont toujours vos dons, et elles cessent d’être bonnes œuvres dès que je les regarde comme miennes et que votre don, qui en fait tout le prix, échappe à ma vue. / Vous êtes donc, et je suis ravi de le pouvoir penser, sans cesse opérant au fond de moi-même : vous y travaillez invisiblement, comme un ouvrier qui travaille aux mines dans les entrailles de la terre. Vous faites tout, et le monde ne vous voit pas; il ne vous attribue rien : moi-même je m’égarais en vous cherchant par de vains efforts bien loin de moi. Je rassemblais dans mon esprit toutes les merveilles de la nature, pour me former quelque image de votre grandeur; j’allais vous demander à toutes vos créatures, et je ne songeais pas à vous trouver au fond de mon cœur, où vous ne cessez d’être. [OP 1-703].

Je me vois horrible, et je suis en paix, car je ne veux ni flatter mes vices, ni que mes vices me découragent. Je les vois donc, et je porte, sans me troubler, cet opprobre. Je suis pour vous contre moi, ô mon Dieu. Il n’y a que vous qui ayez pu me diviser ainsi d’avec moi-même. Voilà ce que vous avez fait au-dedans, et vous continuez chaque jour de le faire, pour m’ôter tous les restes de la vie maligne d’Adam, et pour achever la formation de l’homme nouveau. C’est cette seconde création de l’homme intérieur qui se renouvelle de jour en jour. Je me laisse, ô mon Dieu, dans vos mains. Tournez, retournez cette boue, donnez-lui une forme, brisez-la ensuite; elle est à vous, elle n’a rien à dire : il me suffit qu’elle serve à tous vos des- seins, et que rien ne résiste à votre bon plaisir, pour lequel je suis fait. Demandez, ordonnez, défendez que voulez-vous que je fasse ? que voulez-vous que je ne fasse pas ? Élevé, abaissé, consolé, souffrant, appliqué à vos œuvres, inutile à tout, je vous adorerai toujours également, en sacrifiant toute volonté propre à la vôtre : il ne me reste qu’à dire en tout comme Marie : Qu’il me soit fait selon votre parole. /, Mais pendant que vous faites tout ainsi au-dedans, vous n’agissez pas moins au-dehors. Je découvre partout, jusques dans les moindres atomes, cette grande main qui porte le ciel et la terre, et qui semble se jouer en conduisant tout l’univers. L’unique chose qui m’a embarrassé est de comprendre comment vous laissez tant de maux mêlés avec les biens. Vous ne pouvez faire le mal ; tout ce que vous faites et bon ; d’où vient donc que la face de la terre et: couverte de crimes et de misères ? [OP 1-706].

II. Fragments spirituels

…mon cœur ne veille que pour vous dans la multitude des affaires, des devoirs et des pensées mêmes que vous m’obligez d’avoir; je réunis toute mon attention en vous, ô sou­verain et unique objet. [OP 1-801].

XLII. / Quoi ! il sera dit que les amants insensés de la terre porteront jusqu’à un excès de délicatesse et d’ardeur leurs folles passions, et on ne vous aimerait que faiblement et avec mesure ! Non, non, mon Dieu, il ne faut pas que l’amour profane l’emporte sur l’amour divin. Faites voir ce que vous pouvez sur un cœur qui est tout à vous. [OP 1-804].


Lettres de direction


Nous portons dorénavant toute notre attention sur la Correspondance. Les lettres sont bien adaptées au suivi de la vie intérieure et mystique qui est individuelle, intime, et varie suivant les types psychologiques et les tempéraments. Elles couvrent les trois-quarts de notre Florilège.

Nous avons regroupé les extraits chronologiquement au sein de chaque série ou de chaque destinataire305 puisque la vie spirituelle, lorsqu’elle s’avère mystique, s’exprime très diversement et s’adapte au caractère de chacun306. Toute approche « généraliste » de nature théorique ou même tout regroupement par thèmes s’avère mal adapté, les mailles du filet laisse passer ce qui est mystique et qui ne peut être rangé dans quelque catégorie.

Restait à ordonner les destinataires eux-mêmes. Nous avons préféré l’ordre chronologique par dates de décès307. Ceci permet de regrouper cinq correspondants dont Fénelon connut la fin de vie : Blainville, Gramont, Lamy, Chevreuse et Beauvillier ouvrent ainsi la séquence. Puis cinq succèdent de peu à Fénelon : Maintenon, Montberon, Salm, Risbourg, Maisonfort. Trois vécurent presque la moitié du XVIIIe siècle et assurèrent ainsi une permanence de l’esprit quiétiste : le Marquis, Charlotte, Mortemart. Suivent enfin sous quatre titres des destinataires divers ou anonymes : dame Y ou demoiselle Z, correspondants connus et inconnus.

Si les Œuvres de Fénelon, largement et bien éditées, sont d’accès facile, le caractère monumental de la grande édition critique de sa Correspondance comportant neuf volumes de lettres auxquels s’ajoutent neuf volumes d’études et de précieux commentaires, comme sa mise en ordre scientifique donc chronologique, découragent le chercheur spirituel qui se retrouve devant un admirable mais trop vaste (et coûteux) Mélange.

Heureusement le dix-huitième volume de la grande édition établie entre 1972 et 2007 constitue le guide caché 308 qui permet une navigation assurée. En outre ce dernier volume livre les « bonnes feuilles » spirituelles choisies et détachées par les disciples en vue de l’édition de 1717. Surtout son éditeur I. Noye propose, avec une compétence qui restera inégalée, des noms pour la plupart des destinataires.

Les apports d’Orcibal, Noye et Le Brun, œuvres de trois vies d’érudits, permettent de reconstituer des séries de choix de textes chronologiques par dirigé(e) à partir d’un vaste ensemble chronologique. La récolte a été faite sur les volumes [CF-nos pairs] publiés de 1973 à 1999 puis en 2007 constituant le volume [CF-18]. On espère la mise à disposition d’un volume indexant l’admirable travail critique édité dans les volumes impairs I à XVII 309.

Signalons que la « Petite Duchesse » de Mortemart, dont l’importance était reconnue par les membres des cercles qui entouraient Fénelon et Mme Guyon, retrouve une présence « réelle » grâce aux « bonnes feuilles » qui lui étaient destinées.

« Envoi »

Le volume second des Œuvres spirituelles [OS], publié en 1718, est un condensé admirable des textes spirituels de Fénelon. Voici quelques fragments 310, recueillis avant notre lecture complète de [OFV] que sa lecture a provoquée et dont sont extraites la quasi-totalité de cette partie consacrée aux lettres de direction :


[...] il me semble qu’il ne me reste plus ni force ni haleine pour respirer dans la souffrance. La croix me fait horreur, et ma lâcheté m’en fait aussi. Je suis entre ces deux horreurs à charge à moi-même. Je frémis toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion de souffrance. [...] Il y a en moi, ce me semble, un fonds d’intérêt propre, et une [198] légèreté dont je suis content. La moindre chose triste pour moi m’accable. La moindre, qui me flatte un peu, me relève sans mesure. [...] Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire quand il nous fait lire dans notre propre cœur. (OS2-113).

Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d’autrui, et au-dedans notre propre faiblesse[...]. Alors nous [200] désespérons de nous-mêmes, et nous n’attendons plus rien que de Dieu[...]. La révolte intérieure, loin d’empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet la correction ne peut se faire sentir qu’autant qu’elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu’elle nous est nécessaire. (OS2-115).

Désespérez toujours de vos propres efforts[...] Et n’espérez qu’en la grâce, à l’opération simple, unie et paisible de laquelle il faut s’accommoder. [...] Vous n’aurez ni fidélité ni repos que quand vous consentirez pleinement [218] à éprouver toute cette vie tous les sentiments indignés et honteux qui vous occupent. [...] Accoutumez-vous donc à vous voir injuste, jalouse, envieuse, inégale, ombrageuse. La paix est là : vous ne la trouverez jamais ailleurs. (OS2-123).



Madame de Maintenon (1635-1719)

Enracinée dans la vie morale de par son origine protestante, amie puis ennemie de Madame Guyon et de Fénelon, épouse morganatique de Louis XIV 311. Nous omettons la plus grande partie de cette correspondance.

174. À MADAME DE MAINTENON. [17 juin 1691]

…Ce n’est point par les lèvres ni par les actions extérieures; c’est par le désir du cœur, et par un profond abaissement de tout soi-même devant Dieu, qu’ou attire en soi cet esprit de vie, sans lequel nos meilleures actions sont mortes. Dieu est si bon, qu’il n’attend que notre désir pour nous combler de ce don qui est lui-même. Le cri, dit-il dans l’Écriture, ne sera pas encore formé dans votre bouche, et déjà, moi qui le verrai naître dans votre cœur, je l’exaucerai avant qu’il soit fait. Il nous prévient, il nous presse de le presser; il nous prie, pour ainsi dire, de le prier. Il souffre patiemment nos duretés, nos langueurs, nos lâchetés, nos ingratitudes; il nous ordonne de lui demander, tant il craint d’être réduit à ne nous donner pas. …

259. À MADAME DE MAINTENON mai 1694

… Vous ne tenez point aux biens ni aux honneurs grossiers; mais vous tenez peut-être, sans le voir, à la bienséance, à la réputation des honnêtes gens, à l’amitié, et surtout à une certaine perfection de vertu, qu’on voudrait trouver en soi, et qui tiendrait lieu de tous les autres biens : c’est le plus grand raffinement de l’amour-propre, qui console de toute perte. Comme on ne veut rien d’extérieur pour soi, on se console aisément de perdre toutes les choses extérieures, dont la perte ne fait que nous rendre plus grands et plus parfaits.

Quand on a du courage, voilà de quoi on se nourrit intérieurement. Alors plus on paraît parfait aux gens sans expérience, et qui ne jugent que par les actions, plus on est imparfait; car on est plein de soi-même, comme Lucifer. Son péché ne consiste que dans le plaisir de se voir parfait. Je dis, parfait pour l’amour de soi; car pour être pur dans sa perfection, il faut la regarder en soi tout comme en autrui, sans nulle complaisance que ce soit soi-même plutôt qu’un autre; ou plutôt ne la regarder jamais, allant toujours en avant d’une vue droite et simple, sans réflexion ni retour.

Tant qu’on n’est point encore arrivé là, on sent toujours des retours inquiets, des hontes, des dépits, des sensibilités, des délicatesses. Tout cela est bon à éprouver; plus il est douloureux, plus il est utile; car cette douleur est nécessaire, comme celle des incisions pour guérir des plaies.

Vous n’êtes point encore assez accoutumée à la fatigue sur l’avilissement intérieur où les bonnes âmes doivent passer312. Il faut venir jusqu’à avoir horreur de soi, et à ne trouver plus en soi ni consolation, ni ressource, ni lieu à poser le pied sur le bord de l’abîme. Dieu vous fait des grâces infinies; je souhaite seulement que vous marchiez à proportion, et que rien ne vous arrête. Il faut une mort perpétuelle en tout; mais une mort prise à contresens ne ferait que vous épuiser pour la santé, que vous dessécher intérieurement, que vous charger de pratiques gênantes, que vous livrer à votre courage naturel, et que vous faire hésiter dans les voies que Dieu vous marque.

C’est par petitesse et par simplicité, et non par courage et par multitude de pratiques, qu’il faut que vous mouriez à votre propre esprit, à votre goût pour les vertus naturelles, et à tout ce qui nourrit la délicatesse de votre amour-propre.

Relevé de Correspondance313

Lettres adressées à Mme de MAINTENON (Françoise d'AUBIGNÉ, marquise de-):

1689, 4 octobre, 25 décembre,

1690 (8 L.), janvier (?), février (?), 2-5 avril, 1er-10 mai, 10-14 mai, 3 septembre, début d'octobre, lettre de Mme de M. « à sept heures, mercredi 8 novembre »,

1691 (11 L .), début de janvier, 18-24 janvier, 23 février (?), février (?), 27 février, 18-20 mars, 20 mars, 8-9 avril, 12 avril, 1-7 juin, 21-26 septembre,

1692, (6 L.), 2 février, 12 mars, 24 mars, 4 avril, 25 mai, 26 septembre,

1693, (5 L.), 1er janvier, 2 février, 25 mai, 20 novembre, 26 novembre,

1694, 7 (?) mai,

1695, 10-19 septembre,

1696, 7 mars, septembre, fin novembre,

1697, 29 juillet, 1er août.

Soit un total de 39 lettres.


Marquis de Blainville (1663-1704)

Jules-Armand, quatrième fils de Colbert et frère de la « petite duchesse » de Mortemart, commence en 1684 une « brillante carrière militaire (‘il avait des parties de capitaine’), dit Saint-Simon. » Lieutenant général en 1702, il fut tué le 17 août 1704. Il avoua à Mme Guyon avoir vécu quinze ans « dans le désordre et l’athéisme » avant de se mettre sous la direction spirituelle de Fénelon, « qui régla ses prières et ses lectures » 314.

Nous plaçons en premier la série de lettres de [CF 18] adressées « à un converti (O) » - militaire selon la lettre LSP 36. Il s’agit très probablement de Blainville 315.



« Quatrième fils du ministre, Jules-Armand Colbert naquit le 7 décembre 1663 et fut d'abord titré marquis d'Ormoy. Il eut Barbier d'Aucour pour précepteur et devint le 28 mars 1674 surintendant des bâtiments en survivance. Il semble y avoir montré de l'incapacité, mais c'est peut-être surtout en raison de la disgrâce de sa famille qu'il fut, en septembre 1683, obligé de céder cette charge à Louvois pour 500 000 livres. Dès le 30 janvier 1685, il pouvait cependant acheter celle de grand maître des cérémonies.

Il avait commencé en 1684 une brillante carrière militaire (« il avait des parties de capitaine », dit Saint-Simon). Comme il était déjà pourvu, Seignelay ne lui fit cependant donner le 4 septembre 1689 que le régiment de son cadet, le comte de Sceaux, et ce n'est qu'à la mort de celui-ci qu'il eut le 9 juillet 1690 le régiment de Champagne. Brigadier en 1693, lieutenant général en 1702, il sera tué le 17 août 1704. Deux filles étaient nées en 1684 et en 1686 de son mariage avec Gabrielle de Tonnay-Charente qu'il avait épousée le 27 juillet 1682 et qui devint folle. » (CF 3, LSP 43, n.1). [O].

LSP 32.*A UN CONVERTI (O)

Vous 316 me trouverez bien indiscret, Monsieur; mais je ne puis garder aucune mesure avec vous, quoique je n’aie point l’honneur d’en être connu. Ce qu’on m’a fait connaître de la situation de votre cœur me touche tellement, que je passe au-dessus de toutes les règles. Vos amis, qui sont les miens, vous ont déjà répondu de la sincérité de mon zèle pour votre personne. Je ne saurais sentir une plus parfaite joie, que celle de vous posséder quelques jours. En attendant, je ne puis m’empêcher de vous dire qu’il faut céder à Dieu, quand il nous invite à le laisser régner au dedans de nous. Avons-nous autant délibéré quand le monde nous a invités à nous laisser séduire par les amusements et par les passions ? avons-nous autant hésité ? avons-nous demandé autant de démonstrations ? avons-nous autant résisté au mal, que nous résistons au bien ? Est-il question de s’égarer, de se corrompre, de se perdre, d’agir contre le fond le plus intime de son cœur et de sa raison, pour chercher la vanité ou le plaisir des sens ? On ne craint point d’aller trop loin ; on décide, on s’abandonne sans réserve. Est-il question de croire qu’une main toute sage et toute-puissante nous a fait, puisque nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes ; s’agit-il de reconnaître que nous devons tout à celui de qui nous tenons tout, et qui nous a fait pour lui seul ? On commence à hésiter, à délibérer, à douter avec subtilité des choses les plus simples et les plus claires ; on craint d’être trop crédule, on se défie de son propre sentiment, on chicane le terrain, on appréhende de donner trop à celui à qui tout n’est pas trop, et à qui on n’a jamais rien donné; on a même honte de cesser d’être ingrat envers lui, et on n’ose laisser voir au monde qu’on le veut servir: en un mot, on est aussi timide, aussi tâtonnant et aussi difficile pour la vertu, qu’on a été hardi et décisif sans examen pour le dérèglement.

Je ne vous demande, Monsieur, qu’une seule chose, qui est de suivre simplement la pente du fond de votre cœur pour le bien, comme vous avez suivi autrefois les passions mondaines pour le mal. Toutes les fois que vous voudrez examiner les fondements de la religion, vous reconnaîtrez sans peine qu’on n’y peut opposer rien de solide, et que ceux qui la combattent ne le font que pour ne se point assujettir aux règles de la vertu : ainsi ils ne refusent de suivre Dieu, que pour se contenter eux-mêmes. De bonne foi, est-il juste d’être si facile pour soi, et si retranché contre Dieu ? Faut-il tant de délibérations pour conclure qu’il ne nous a pas fait pour nous, mais pour lui ? En le servant, que hasardons-nous ? Nous ferons toutes les mêmes choses honnêtes et innocentes que nous avons faites jusqu’ici ; nous aurons à peu près les mêmes devoirs à remplir, et les mêmes peines à souffrir patiemment : mais nous y ajouterons la consolation infinie d’aimer ce qui est souverainement aimable, de travailler et de souffrir pour plaire au véritable et parfait ami, qui tient compte des moindres choses, et qui les récompense au centuple dès cette vie par la paix qu’il répand dans le cœur. Enfin nous y ajouterons l’attente d’une vie bienheureuse et éternelle, en comparaison de laquelle celle-ci n’est qu’une mort lente.

Ne raisonnez point. Ou croyez votre propre cœur, à qui Dieu, si longtemps oublié, se fait sentir amoureusement malgré tant de longues infidélités ; ou du moins consultez vos amis, gens de bien, que vous connaissez pour sincères : demandez-leur ce qu’il leur en coûte pour servir Dieu ; sachez d’eux s’ils se repentent de s’y être engagés, et s’ils ont été ou trop crédules ou trop hardis dans leur conversion. Ils ont été dans le monde comme vous : demandez-leur s’ils regrettent de l’avoir quitté, et si l’ivresse de Babylone est plus douce que la paix de Sion. Non, Monsieur, quelque croix qu’on souffre dans la vie chrétienne, on ne perd jamais cette bienheureuse paix du cœur, dans laquelle on veut tout ce qu’on souffre, et on ne voudrait aucune des joies dont on est privé.

Le monde en donne-t-il autant ? vous le savez. Y est-on toujours content d’avoir tout ce qu’on a, et de n’avoir aucune des choses qui manquent ? Y fait-on toutes choses par amour et du fond du cœur ? Que craignez-vous donc ? De quitter ce qui vous quittera bientôt, ce qui vous échappe déjà à toute heure, ce qui ne remplit jamais votre cœur, ce qui se tourne en langueur mortelle, ce qui porte avec soi un vide triste, et même un reproche secret du fond de la conscience ; enfin ce qui n’est rien dans le moment même où il éblouit ? Et que craignez-vous ? De trouver une vertu trop pure à suivre, un Dieu trop aimable à aimer, un attrait d’amour qui ne vous laissera plus à vous-même ni aux vanités d’ici-bas ? Que craignez-vous ? De devenir trop humble, trop détaché, trop pur, trop juste, trop raisonnable, trop reconnaissant pour votre Père qui est au ciel ? Ne craignez donc rien tant que cette injuste crainte, et cette folle sagesse du monde qui délibère entre Dieu et soi, entre le vice et la vertu, entre la reconnaissance et l’ingratitude, entre la vie et la mort.

Vous savez, par une expérience sensible, ce que c’est que de languir faute d’avoir au dedans de soi une vie et une nourriture d’amour. On est inanimé et comme sans âme, dès qu’on n’a plus ce je ne sais quoi au dedans, qui soutient, qui porte, qui renouvelle à toute heure. Tout ce que les amants insensés du monde disent dans leurs folles passions est vrai en un sens à la lettre. Ne rien aimer, ce n’est pas vivre ; n’aimer que faiblement, c’est languir plutôt que vivre. Toutes les plus folles passions qui transportent les hommes ne sont que le vrai amour déplacé, qui s’est égaré loin de son centre. Dieu nous a fait pour vivre de lui et de son amour. Nous sommes nés pour être brûlés et nourris tout ensemble de cet amour, comme un flambeau pour se consumer devant celui qu’il éclaire. Voilà cette bienheureuse flamme de vie que Dieu a allumée au fond de notre cœur: toute autre vie n’est que mort. Il faut donc aimer.

Mais qu’aimerez-vous ? Ce qui ne vous aime point sincèrement, ce qui n’est point aimable, ce qui nous échappe comme une ombre qu’on voudrait saisir ? Qu’aimerez-vous dans le monde ? Des hommes qui seraient jaloux et rongés d’une infâme envie, si vous étiez content ? Qu’aimerez-vous ? Des cœurs qui sont aussi hypocrites en probité, qu’on accuse les dévots d’être hypocrites en dévotion ? Qu’aimerez-vous ? Un nom de dignité qui vous fuira peut-être, et qui ne guérirait de rien votre cœur, si vous l’obteniez? Qu’aimerez-vous? L’estime des hommes aveugles, que vous méprisez presque tous en détail ? Qu’aimerez-vous ? Ce corps de boue qui salit notre raison, et qui assujettit l’âme aux douleurs des maladies et de la mort prochaine? Que ferez-vous donc? N’aimerez-vous rien? vivrez-vous sans vie, plutôt que d’aimer Dieu qui vous aime, qui veut que vous l’aimiez, et qui ne veut vous avoir tout à lui, que pour se donner tout entier à vous? Craignez-vous qu’avec ce trésor il puisse vous manquer quelque chose? Croyez-vous que le Dieu infini ne pourra pas remplir et rassasier votre cœur? Défiez-vous de vous-même et de toutes les créatures ensemble : ce n’est qu’un néant, qui ne saurait suffire au cœur de l’homme fait pour Dieu; mais ne vous défiez jamais de celui qui est lui seul tout bien, et qui vous dégoûte miséricordieusement de tout le reste, pour vous forcer à revenir à lui.

LSP 31*A UN CONVERTI (O)

Je suis ravi, Monsieur, de voir la bonté de cœur avec laquelle vous avez reçu la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire. Dieu opère certainement en vous, puisqu’il vous donne le goût de la vérité, et le désir d’être soutenu dans vos bons projets. Je ne demande pas mieux que de vous y aider. Plus vous ferez pour Dieu, plus il fera pour vous. Chaque pas que vous ferez dans le bon chemin se tournera en paix et en consolation dans votre cœur. La perfection même que l’on craint tant, de peur qu’elle ne soit triste et gênante, n’est perfection qu’en ce qu’elle augmente la bonne volonté. Or à mesure que ce qu’on fait augmente, l’ennui et la gêne diminuent en le faisant; car on n’est point gêné en ne faisant que les choses qu’on aime à faire. Quand on fait une chose pénible avec un grand amour, ce grand amour adoucit la peine, et fait qu’on est content de la souffrir /1317. On ne voudrait pas être soulagé en manquant à l’amour dont on est rempli ; on se fait même un plaisir de se sacrifier au bien-aimé. Ainsi plus on avance vers la perfection, plus on est content de suivre ce qu’on aime. Que voulez-vous de mieux, que d’être toujours content, et de ne souffrir jamais aucune croix qui ne vous contente plus que les plaisirs opposés ? C’est ce contentement que vous ne trouverez jamais dans votre cœur en vous livrant à vos passions, et qui ne vous manquera jamais en cherchant Dieu.

Il est vrai que ce n’est pas toujours un contentement sensible et flatteur, comme celui des plaisirs profanes ; mais enfin c’est un contentement très réel, et fort supérieur à ceux que le monde donne, puisque les pécheurs veulent toujours ce qui leur manque, et que les âmes pleines de l’amour de Dieu ne veulent rien que ce qu’elles ont. C’est une paix quelquefois sèche et même amère, mais que l’âme aime mieux que l’ivresse des passions. C’est une paix où l’on est d’accord avec soi, une paix qui n’est jamais troublée ni altérée que par les infidélités. Ainsi moins on est infidèle, plus on jouit de cette heureuse paix. Comme le monde ne peut la donner /2, il ne peut l’ôter. Si vous ne voulez pas le croire, essayez-le. Goûtez, et voyez combien le Seigneur est doux /3.

Vous ne pouvez rien faire de mieux que de régler votre temps, en sorte que vous fassiez tous les jours une petite lecture, avec un peu d’oraison en méditation affectueuse, pour repasser sur vos faiblesses, étudier vos devoirs, recourir à Dieu, et vous accoutumer à être familièrement avec lui. Que vous serez heureux, si vous apprenez ce que c’est que l’occupation de l’amour ! Il ne faut point demander ce qu’on fait avec Dieu quand on l’aime. On n’a point de peine à s’entretenir avec son ami; on a toujours à lui ouvrir son cœur; on ne cherche jamais ce qu’on lui dira, mais on le lui dit sans réflexion : on ne peut lui rien réserver ; quand même on n’aurait rien à lui dire, on est content d’être avec lui. O que l’amour est bien plus propre à soutenir que la crainte ! La crainte captive et contraint pendant qu’elle trouble ; mais l’amour persuade, console, anime, possède toute l’âme, et fait vouloir le bien pour le bien même. Il est vrai que vous avez encore besoin de la crainte des jugements de Dieu, pour faire le contrepoids de vos passions; confige timore tuo carnes meas /4: mais en commençant par la crainte qui dompte la chair, il faut se hâter de tendre à l’amour qui console l’esprit. O que vous trouverez Dieu bon et fidèle ami, quand vous voudrez entrer en amitié sincère et constante avec lui !

Le point capital, si vous voulez bien vous donner à lui de bonne foi, c’est de vous défier de vous-même après tant d’expériences de votre fragilité, et de renoncer sans retardement à toutes les compagnies qui peuvent vous faire retomber. Si vous voulez aimer Dieu, pourquoi voulez-vous passer votre vie dans l’amitié de ceux qui ne l’aiment pas, et qui se moquent de son amour? Pourquoi ne vous contenter pas de la société de ceux qui l’aiment, et qui sont propres à vous affermir dans votre amour pour lui ?

Je ne demande point que vous rompiez d’abord sans aucune mesure avec tous vos amis, et avec toutes les personnes vers lesquelles une véritable bienséance vous demande quelque commerce. Je demande encore moins que vous abandonniez ce qu’on appelle les devoirs, pour faire votre cour, et vous trouver dans les lieux où l’on n’a besoin que de paraître en passant ; mais il s’agit des liaisons suivies, qui contribuent beaucoup à gâter le cœur, et qui rentraînent insensiblement contre les meilleures résolutions qu’on a prises. Il s’agit de retrancher les conversations fréquentes de femmes vaines qui cherchent à plaire, et des autres compagnies qui réveillent le goût des plaisirs, qui accoutument à mépriser la piété, et qui causent une très dangereuse dissipation. C’est ce qui est très nuisible pour le salut à tous les hommes les plus confirmés dans la vertu, et par conséquent c’est ce qui est encore bien plus pernicieux pour un homme qui ne fait que les premiers pas vers le bien, et dont le naturel est si facile pour se laisser dérégler.

De plus vous devez vous reprocher vos longues infidélités, et l’abus que vous avez fait si longtemps des grâces. Dieu vous a attendu, cherché, invité, pressé, forcé, pour ainsi dire, à revenir à lui : n’est-il pas juste que vous l’attendiez un peu à votre tour ? N’avez-vous pas besoin de mortifier vos goûts, et de réprimer vos habitudes, surtout à l’égard des choses dangereuses ? Ne faut-il pas faire une sérieuse pénitence de vos péchés ? Ne devez-vous pas appliquer votre pénitence à vous humilier et à vous ennuyer /5 un peu, pour vous éloigner des compagnies contagieuses ? Celui, dit le Saint-Esprit /6, qui aime le péril y périra. Il faut, quoi qu’il en coûte, quitter les occasions prochaines. On est obligé, selon le commandement de Jésus-Christ, de couper son pied et sa main, et même d’arracher son œil, s’ils nous scandalisent /7, c’est-à-dire s’ils sont pour nous des pièges ou sujets de chute.

J’avoue que vous ne devez point donner au public une scène de conversion qui fasse discourir avec malignité; la vraie piété ne demande jamais ces démonstrations. Il suffit de faire deux choses : l’une est de ne donner aucun mauvais exemple ; c’est sur quoi il n’est jamais permis de rougir de Jésus-Christ et de son Évangile: l’autre chose est de faire sans affectation et sans éclat tout ce que le sincère amour de Dieu demande. Suivant la première règle, il ne faut paraître que modestement à l’église; et, dans toutes les compagnies, on ne peut ni flatter le vice, ni entrer dans les discours indécents des libertins. Suivant la seconde règle, il n’y a qu’à faire ses lectures, ses prières, ses confessions, ses communions, et ses autres bonnes œuvres en particulier. Par là vous éviterez la critique maligne 98 du monde, sans tomber dans une mauvaise honte et dans une timidité politique, qui vous rentraînerait bientôt dans le torrent de l’iniquité. La principale démarche à faire, est de vous retirer doucement de tous les amusements, qui sont encore plus à craindre pour vous que pour un autre, et de vous retrancher dans la société d’un petit nombre de personnes choisies qui pensent comme vous voulez penser toute votre vie.



/1. Cf. AUGUSTIN, De bono viduitatis, c. 21, P.L. 40, col. 448.

/2. Cf. Jean XIV, 27. /3. Ps. 33, 9. /4. Ps. 118, 120.

/5. S'ennuyer: éprouver des contrariétés pénibles ; ici, avec «s'appliquer», «s'humilier», le pronom réfléchi suggère plutôt l'idée de «s'y contraindre ».

/6. Ecclés. III. 27. /7. Matth., v, 29-30.



LSP 33*A UN CONVERTI (O)

Quoique je n’aie point reçu de vos nouvelles, je ne puis ni vous oublier, ni perdre la liberté que vous m’avez donnée. Souffrez donc, je vous en conjure, que je vous représente combien vous seriez coupable devant Dieu, si vous résistiez à la vérité connue, et au sentiment très vif que Dieu vous en a donné : ce serait résister au Saint-Esprit même. Le voyage que vous avez pris la peine de faire se tournerait en condamnation contre vous. Vous ne pouvez douter ni de l’indignité du monde, ni de son impuissance de vous rendre heureux, ni de l’illusion de tout ce qu’il promet de flatteur. Vous connaissez les droits du Créateur sur sa créature, et combien l’ingratitude à l’égard de Dieu est encore plus inexcusable que celle où l’on tombe à l’égard des amis, qui ne sont que des hommes. Vous sentez la vérité de ce Dieu, par la sagesse qui reluit dans tous ses ouvrages, et par les vertus qu’il inspire aux hommes remplis de son amour. Qu’avez-vous à opposer à des choses si touchantes /1, si ce n’est un goût de liberté et d’indocilité naturelle qui forme votre irrésolution ? On craint de porter le joug ; et c’est là le vrai levain d’une certaine incrédulité qu’on s’objecte à soi-même. On veut se persuader qu’on ne croit pas encore assez, et que, dans cet état de doute, on ne pourrait faire aucun pas vers la religion sans le faire témérairement et avec danger de reculer bientôt. Mais ce n’est pas un vrai doute sur la vérité du christianisme qui cause cette irrésolution; c’est au contraire l’irrésolution qui se sert du prétexte de ce doute, pour différer toujours d’exécuter ce que la nature craint. On se fait accroire à soi-même qu’on doute, pour se dispenser de s’exécuter soi-même, et de sacrifier une malheureuse liberté dont l’amour-propre est jaloux.

De bonne foi, qu’avez-vous de solide et de précis à opposer aux vérités de la religion? Rien qu’une crainte d’être gêné, et de mener une vie triste et pénible; rien qu’une crainte d’être mené plus loin que vous ne voudriez vers la perfection. Ce n’est qu’à force d’estimer la religion, de sentir sa juste autorité, et de voir tous les sacrifices qu’elle inspire, que vous la craignez et que vous n’osez vous livrer à elle.

Mais permettez-moi de vous dire que vous ne la connaissez pas encore aussi douce et aussi aimable qu’elle est. Vous voyez ce qu’elle ôte, mais vous ne voyez pas ce qu’elle donne. Vous vous exagérez ses sacrifices, sans envisager ses consolations. Non, elle ne laisse aucun vide dans le cœur. Elle ne vous fera faire que les choses que vous voudrez faire, et que vous voudrez préférer à toutes les autres qui vous ont si longtemps séduit. Si le monde ne vous demandait jamais que /2 ce que votre cœur aimerait et accepterait par amour, ne serait-il pas meilleur maître qu’il ne l’est? Dieu vous ménagera, vous attendra, vous préparera, vous fera vouloir avant que de vous demander. S’il gêne vos inclinations corrompues, il vous donnera un goût de vérité et de vertu par son amour, qui sera supérieur à tous vos autres goûts déréglés. Qu’attendez-vous? Qu’il fasse des miracles pour vous convaincre? Nul miracle ne vous ôterait cette irrésolution d’un amour-propre qui craint d’être sacrifié. Que voulez-vous? Des raisonnements sans fin, pendant que vous sentez dans le fond de votre conscience ce que Dieu a droit de vous demander ? Les raisonnements ne guériront jamais la plaie de votre cœur. Vous raisonnez, non pour conclure et exécuter, mais pour douter, vous excuser, et demeurer en possession de vous-même.

Vous mériteriez que Dieu vous laissât à vous-même, pour punition d’une si longue résistance ; mais il vous aime plus que vous ne savez vous aimer. Il vous poursuit par miséricorde, et trouble votre cœur pour le subjuguer. Rendez-vous à lui, et finissez vos dangereuses incertitudes. Cette suspension apparente entre les deux partis est un parti véritable : cette apparence de délibération, qui ne finit point, est une résolution secrète et déguisée d’un cœur que l’amour-propre tient dans l’illusion, et qui voudrait toujours fuir la règle. Vous n’avez que trop raisonné. Si vous avez encore des difficultés solides et importantes, expliquez-les nettement par écrit, et on les approfondira simplement avec vous : si au contraire vous n’avez qu’un doute confus, qui vient d’une crainte d’être trop pressé par la règle de la foi, que tardez-vous à vous soumettre ? Faites taire votre esprit. Faut-il s’étonner que l’infini surpasse nos raisonnements, qui sont si faibles et si courts ? Voulez-vous mesurer Dieu et ses mystères par vos vues ? Serait-il infini, si vous pouviez le mesurer, et sonder toutes ses profondeurs ?

Faites-vous justice à vous-même, et vous la ferez bientôt à Dieu. Humiliez-vous, défiez-vous de vous-même, apetissez-vous à vos propres yeux, rabaissez-vous, sentez les ténèbres de votre esprit et la fragilité de votre cœur. Au lieu de juger Dieu, laissez-vous juger par lui et avouez que vous avez besoin qu’il vous redresse. Rien n’est grand, que cette petitesse intérieure de l’âme qui se fait justice. Rien n’est raisonnable, que ce juste désaveu de notre raison égarée. Rien n’est digne de Dieu, que cette docilité de l’homme qui sent l’impuissance de son esprit, et qui est désabusé de ses fausses lumières. O qu’une âme humble est éclairée ! O qu’elle voit de vérités, quand elle est bien convaincue de ses ténèbres, et qu’elle ne laisse plus aucune ressource à sa présomption ! Pardon, Monsieur, d’une lettre si indiscrète: je ne puis modérer le zèle que votre confiance m’a inspiré.

/1. Toucher, « frapper», en parlant des choses morales (Cayrou).

/2. Phrase obscure dans les éditions «Versailles» et «Paris » qui omettent ce mot fourni par celles de 1718 et 1719.



LSP 34.*A UN CONVERTI (O)

Ce que vous avez le plus à craindre, Monsieur, c’est la mollesse et l’amusement. Ces deux défauts sont capables de jeter dans les plus affreux désordres les personnes même les plus résolues à pratiquer la vertu, et les plus remplies d’horreur pour le vice. La mollesse est une langueur de l’âme, qui l’engourdit, et qui lui ôte toute vie pour le bien; mais c’est une langueur traîtresse, qui la passionne secrètement pour le mal, et qui cache sous la cendre un feu toujours prêt à tout embraser. Il faut donc une foi mâle et vigoureuse, qui gourmande cette mollesse sans l’écouter jamais. Sitôt qu’on l’écoute et qu’on marchande avec elle, tout est perdu. Elle fait même autant de mal selon le monde que selon Dieu. Un homme mou et amusé ne peut jamais être qu’un pauvre homme; et s’il se trouve dans de grandes places, il n’y sera que pour se déshonorer. La mollesse ôte à l’homme tout ce qui peut faire les qualités éclatantes. Un homme mou n’est pas un homme ; c’est une demi-femme /1. L’amour de ses commodités l’entraîne toujours malgré ses plus grands intérêts. Il ne saurait cultiver ses talents, ni acquérir les connaissances nécessaires dans sa profession, ni s’assujettir de suite /2 au travail dans les fonctions pénibles, ni se contraindre longtemps pour s’accommoder au goût et à l’humeur d’autrui, ni s’appliquer courageusement à se corriger.

C’est le paresseux de l’Écriture /3, qui veut et ne veut pas; qui veut de loin ce qu’il faut vouloir, mais à qui les mains tombent de langueur dès qu’il regarde le travail de près. Que faire d’un tel homme ? il n’est bon à rien. Les affaires l’ennuient, la lecture sérieuse le fatigue, le service d’armée trouble ses plaisirs, l’assiduité même de la cour le gêne. Il faudrait lui faire passer sa vie sur un lit de repos. Travaille-t-il ? Les moments lui paraissent des heures. S’amuse-t-il ? Les heures ne lui paraissent plus que des moments. Tout son temps lui échappe, il ne sait ce qu’il en fait; il le laisse couler comme l’eau sous les ponts. Demandez-lui ce qu’il a fait de sa matinée: il n’en sait rien, car il a vécu sans songer s’il vivait, il a dormi le plus tard qu’il a pu, s’est habillé fort lentement, a parlé au premier venu, a fait plusieurs tours dans sa chambre, a entendu nonchalamment la messe. Le dîner est venu : l’après-dînée se passera comme le matin, et toute la vie comme cette journée. Encore une fois, un tel homme n’est bon à rien. Il ne faudrait que de l’orgueil, pour ne se pouvoir supporter soi-même dans un état si indigne d’un homme. Le seul honneur du monde suffit pour faire crever l’orgueil de dépit et de rage, quand on se voit si imbécile.

Un tel homme non seulement sera incapable de tout bien, mais il tombera peu à peu dans les plus grands maux. Le plaisir le trahira. Ce n’est pas pour rien que la chair veut être flattée. Après avoir paru indolente et insensible, elle passera tout d’un coup à être furieuse et brutale ; on n’apercevra ce feu que quand il ne sera plus temps de l’étouffer.

Il faut même craindre que vos sentiments de religion, se mêlant avec votre mollesse, ne vous engagent peu à peu dans une vie sérieuse et particulière qui aura quelques dehors réguliers, et qui, dans le fond, n’ aura rien de solide. Vous compterez pour beaucoup de vous éloigner des compagnies folles de la jeunesse, et vous n’apercevrez pas que la religion ne sera que votre prétexte pour les fuir: c’est que vous vous trouverez gêné avec eux; c’est que vous ne serez pas à la mode parmi eux ; c’est que vous n’aurez pas les manières enjouées et étourdies qu’ils cherchent. Tout cela vous enfoncera par votre propre goût dans une vie plus sérieuse et plus sombre : mais craignez que ce ne soit un sérieux aussi vide et aussi dangereux que leurs folies gaies. Un sérieux mou, où les passions règnent tristement, fait une vie obscure, lâche, corrompue, dont le monde même, tout monde qu’il est, ne peut s’empêcher d’avoir horreur. Ainsi peu à peu vous quitteriez le monde, non pour Dieu, mais pour vos passions, ou du moins pour une vie indolente qui ne serait guère moins contraire à Dieu ; et qui serait plus méprisable selon le monde, que les passions mêmes les plus dépravées. Vous ne quitteriez les grandes prétentions, que pour vous entêter de colifichets et de petits amusements dont on doit rougir dès qu’on est sorti de l’enfance.

Venons aux moyens de vous précautionner contre vous-même là-dessus.

Le premier est de vous faire un projet pour remplir votre temps, et de le suivre, quoi qu’il vous en coûte. Le second, c’est de mettre dans ce projet, comme l’article le plus essentiel, celui de faire tous les jours une demi-heure de lecture méditée, où vous ne manquerez jamais de renouveler vos résolutions contre votre mollesse. Le troisième, c’est que vous ferez tous les soirs un examen de votre journée, pour voir si la mollesse vous a entraîné et si vous avez perdu du temps.

Le quatrième est de vous confesser régulièrement de quinze en quinze jours à un confesseur qui connaisse votre penchant, et que vous engagiez à vous soutenir vigoureusement contre vous-même. Le cinquième moyen est d’avoir quelque bon ami ou quelque domestique assez discret et assez zélé pour pouvoir vous avertir secrètement quand il verra que votre mollesse commencera à vous engourdir. Pour se mettre en état de recevoir de tels avis, il faut les demander cordialement, montrer aux gens qu’on leur sait bon gré de ce qu’ils les donnent, et leur faire voir qu’on tâche d’en profiter. Jamais ne leur montrez ni chagrin, ni indocilité, ni hauteur, ni jalousie.

Pour vos occupations, il faut les régler, soit à l’armée ou à la cour. Partout il faut se faire une règle, et ranger si bien toutes les choses, qu’on y manque fort rarement. Le matin, votre lecture méditée avant toutes choses, et lorsqu’on vous croit encore au lit. Vers le soir une autre lecture. Si vous vous sentez alors quelque goût à vous recueillir un peu en la faisant, vous vous accoutumerez par là peu à peu à faire le soir comme le matin. Mais d’abord il ne faut pas vous gêner et vous lasser de prières. Pendant la messe, vous pourrez lire l’épître et l’évangile, pour vous unir au prêtre dans le grand sacrifice de Jésus-Christ ; quelque pensée tirée de l’évangile ou de l’épître, qui aura rapport au sacrifice, pourra vous aider à tenir votre esprit élevé à Dieu.

Il faut voir civilement tout le monde dans les lieux où tout le monde va, à la cour, chez le Roi, à l’armée, chez les généraux. Il faut tâcher d’acquérir une certaine politesse, qui fait qu’on défère à tout le monde avec dignité. Nul air de gloire, nulle affectation, nul empressement: savoir traiter chacun selon son rang, sa réputation ; son mérite, son crédit ; au mérite, l’estime; à la capacité accompagnée de droiture et d’amitié, la confiance et l’attachement; aux dignités, la civilité et la cérémonie. Ainsi satisfaire au public par une honnête représentation dans ces lieux où il n’est question que de représenter; saluer et traiter bien en passant tout le monde, mais entrer en conversation avec peu de gens. La mauvaise compagnie déshonore, surtout un jeune homme en qui tout est encore douteux. Il est permis de voir fort peu de gens, mais il n’est pas permis de voir les gens désapprouvés. Ne vous moquez point d’eux comme les autres, mais écartez-vous doucement.

Lisez les livres qui conviennent à votre état, surtout l’histoire de votre pays. Voyant tout le monde d’une manière gaie et civile en public, et ayant des occupations louables pour votre métier selon le monde même, vous ne devez pas craindre d’être retiré. Autant qu’une retraite vide est déshonorante, autant une retraite occupée et pleine des devoirs de sa profession élève-t-elle un homme au-dessus de tous ces fainéants qui n’apprennent jamais leur métier. Quand on saura que vous travaillez à n’ignorer rien dans l’histoire et dans la guerre, personne n’osera vous attaquer sur la dévotion: la plupart même ne vous en soupçonneront point: ils croiront seulement que vous êtes un sage ambitieux. Par ces soins, vous pouvez vous dispenser d’être avec la folle jeunesse, et par là vous pourrez être retiré pour vous donner tout à Dieu et aux devoirs de l’état où la Providence vous a mis.

Outre qu’il ne faut jamais paraître se préférer à personne, il faut encore certaines manières simples, naturelles, ingénues; un visage ouvert, quelque chose de complaisant dans le commerce passager: que tout marque de la noblesse, de l’élévation, un cœur libéral, officieux /4, bienfaisant, touché du mérite ; de l’industrie pour obliger, du regret quand on ne le peut pas, de la délicatesse pour prévenir les gens de mérite, pour les entendre à demi-mot, pour leur épargner certaines peines, pour dire à demi ce qu’il ne faut pas achever de dire, pour assaisonner un service de ce qui peut le rendre obligeant sans le faire valoir. L’orgueil cherche la gloire par ce chemin, et il faut que la religion cherche par ce chemin la vraie bienséance par des motifs tout divins. Rien n’est si noble, si délicat, si grand, si héroïque, que le cœur d’un vrai chrétien; mais en lui rien de faux, rien d’affecté, rien que de simple, de modeste et d’effectif en tout.

Voilà à peu près les choses qui regardent le commerce public. Il y a encore le commerce de certains amis d’une amitié superficielle. Il ne faut point compter sur eux, ni s’en servir sans un grand besoin; mais il faut, autant qu’on le peut, les servir, et faire en sorte qu’ils vous soient obligés. Il n’est pas nécessaire que ces gens-là soient tous d’un mérite accompli ; il suffit de lier commerce extérieur avec ceux qui passent pour les plus honnêtes gens. C’est ceux-là avec qui on s’arrête et on raisonne, au lieu qu’on ne dit que bonjour aux autres. On les va voir chez eux aux occasions de compliments, on se trouve avec eux en certains endroits: mais on n’est point de leurs plaisirs, et on ne les met point dans sa confidence. S’ils veulent pousser plus avant la liaison, on esquive doucement; tantôt on a une affaire, tantôt une autre.

Pour les vrais amis, il faut les choisir avec de grandes précautions, et par conséquent se borner à un fort petit nombre. Point d’ami intime qui ne craigne Dieu, et que les pures maximes de religion ne gouvernent en tout; autrement il vous perdra, quelque bonté de cœur qu’il ait. Choisissez, autant que vous pouvez, vos amis dans un âge un peu au-dessus du vôtre : vous en mûrirez plus promptement. À l’égard des vrais et intimes amis, un cœur ouvert ; rien pour eux de secret que le secret d’autrui, excepté dans les choses où vous pourriez craindre qu’ils ne fussent préoccupés /5. Soyez chaud, désintéressé, fidèle, effectif /6, constant dans l’amitié ; mais jamais aveugle sur les défauts et sur les divers degrés de mérite de vos amis : qu’ils vous trouvent au besoin, et que leurs malheurs ne vous refroidissent jamais.

Traitez bien vos domestiques : une autorité ferme et douce, un grand soin d’entrer dans leurs besoins, de leur faire tout le bien qu’on peut, de distinguer ceux qui méritent quelque distinction, et de les attacher à soi par le cœur; supporter leurs défauts, lorsqu’ils ne sont pas essentiels, et qu’ils ont bonne volonté de s’en corriger ; se défaire de ceux dont on ne saurait faire d’honnêtes gens selon leur état.

Enfin souvenez-vous, Monsieur, (et je finis par où j’ai commencé) que la mollesse énerve tout, qu’elle affadit tout, qu’elle ôte leur sève et leur force à toutes les vertus et à toutes les qualités de l’âme, même suivant le monde. Un homme livré à sa mollesse est un homme faible et petit en tout: il est si tiède, que Dieu le vomit /7. Le monde le vomit aussi à son tour, car il ne veut rien que de vif et de ferme. Il est donc le rebut de Dieu et du monde, c’est un néant ; il est comme s’il n’était pas; quand on en parle, on dit: Ce n’est pas un homme. Craignez, Monsieur, ce défaut, qui serait la source de tant d’autres. Priez, veillez ; mais veillez contre vous-même. Pincez-vous comme on pince un léthargique; faites-vous piquer par vos amis pour vous réveiller. Recourez assidûment aux sacrements, qui sont les sources de vie, et n’oubliez jamais que l’honneur du monde et celui de l’Évangile sont ici d’accord. Ces deux royaumes ne sont donnés qu’aux violents qui les emportent d’assaut /8.


/1. Après l’appel au sens de l’honneur, la conclusion est accablante. Fénelon emploie volontiers ce tour dévalorisant (cf. demi-oraison, demi-dévots, demi-abandon, LSP 108, 113, 176, 198…).

/2. De suite, « avec continuité ». /3. Prov. XIII, 4.

/4. Officieux, « obligeant, serviable ».

/5. Préoccupé, « disposé défavorablement ».

/6. Effectif, « qui ne promet rien qu’il ne tienne » (Littré, qui cite Fléchier).

/7. Cf. Apoc. III, 16. /8. Cf. Matth. XI, 12.



LSP 36.*A UN CONVERTI (O)

Je ne m’étonne point de ce dégoût que vous ressentez pour tant de choses contraires à Dieu ; c’est l’effet naturel du changement de votre cœur. Vous aimeriez un certain calme, où vous pourriez vous occuper librement de ce qui vous touche, et vous délivrer de tout ce qui est capable de rouvrir vos plaies; mais ce n’est pas là ce que Dieu veut. Il veut que ce qui vous a trop touché et occupé autrefois, se tourne en importunité, et serve à votre pénitence. Portez donc en paix cette croix pour l’expiation de vos péchés, et attendez que Dieu vous débarrasse. Il le fera, Monsieur, dans son temps, et non pas dans le vôtre. Cependant réservez-vous les heures dont vous avez besoin pour penser à Dieu, et à vous par rapport à lui. Il faut lire, prier, se défier de ses inclinations et de ses habitudes, songer qu’on porte le don de Dieu dans un vase d’argile /1, et surtout se nourrir au-dedans par l’amour de Dieu.

Quoiqu’on ait vécu bien loin de lui, on ne doit pas craindre de s’en rapprocher par un amour familier. Parlez-lui, dans votre prière, de toutes vos misères, de tous vos besoins, de toutes vos peines, des dégoûts mêmes qui pourraient vous venir pour son service. Vous ne sauriez lui parler trop librement ni avec trop de confiance. Il aime les simples et les petits; c’est avec eux qu’il s’entretient. Si vous êtes de ce nombre, laissez là votre esprit et toutes vos hautes pensées ; ouvrez-lui votre cœur, et dites-lui tout. Après lui avoir parlé, écoutez-le un peu. Mettez-vous dans une telle préparation de cœur, qu’il puisse vous imprimer les vertus comme il lui plaira : que tout se taise en vous pour l’entendre. Ce silence des créatures au dehors, des passions grossières et des pensées humaines au dedans, est essentiel pour entendre cette voix qui appelle l’âme à mourir à elle-même, et à adorer Dieu en esprit et en vérité /2.

Vous avez, Monsieur, de grands secours dans les connaissances que vous avez acquises. Vous avez lu beaucoup de bons livres, vous connaissez les vrais fondements de la religion, et la faiblesse de tout ce qu’on lui oppose: mais tous ces moyens, qui vous conduisent à Dieu pour les commencements, vous arrêteraient dans la suite, si vous teniez trop à vos lumières. Le meilleur et le dernier usage de notre esprit est de nous en défier, d’y renoncer, et de le soumettre à celui de Dieu par une foi simple /3. Il faut devenir petit enfant ; il y a une petitesse qui est bien au-dessus de toute grandeur: heureux qui la connaît ! C’est peu de raisonner, de comparer, de démêler, de prévoir, de conclure ; il faut aimer le seul vrai, le seul bon, et demeurer en lui par une volonté stable. L’esprit se promène ; la volonté est ce qui ne doit jamais varier.

Il ne s’agit point, Monsieur, de faire beaucoup de choses difficiles : faites les plus petites et les plus communes avec un cœur tourné vers Dieu, et comme un homme qui va à l’unique fin de sa création ; vous ferez tout ce que font les autres, excepté le péché. Vous serez bon ami, poli, officieux, complaisant, gai aux heures et dans les compagnies qui conviennent à un vrai chrétien. Vous serez sobre à table, et sobre partout ailleurs ; sobre à parler, sobre à dépenser, sobre à juger, sobre à vous mêler, sobre à vous divertir, sobre même à être sage et prévoyant, comme le veut saint Paul /4. C’est cette sobriété universelle dans l’usage des meilleures choses, que l’amour de Dieu fait pratiquer avec une simplicité charmante. On n’est ni sauvage, ni épineux, ni scrupuleux ; mais on a au-dedans de soi un principe d’amour qui élargit le cœur, qui adoucit toutes choses, qui sans gêner ni troubler, inspire une certaine délicatesse pour ne déplaire jamais à Dieu, et qui arrête quand on est tenté d’aller au-delà des règles.

En cet état, on souffre ce que les autres gens souffrent aussi, des fatigues, des embarras, des contretemps, des oppositions d’humeur, des incommodités corporelles, des difficultés avec soi-même aussi bien qu’avec les autres, des tentations, et quelquefois des dégoûts et des découragements ; mais si les croix sont communes avec le monde, les motifs de les supporter sont bien différents. On connaît 105 en Jésus-Christ sauveur le prix et la vertu de la croix. Elle nous purifie, nous détache, et nous renouvelle. Nous voyons sans cesse Dieu en tout; mais nous ne le voyons jamais si clairement ni si utilement, que dans les souffrances et les humiliations. La croix est la force de Dieu même: plus elle nous détruit, plus elle avance l’être nouveau en Jésus-Christ, pour faire un nouvel homme sur les ruines du vieil Adam.

Vivez, Monsieur, sans aucun changement extérieur, que ceux qui seront nécessaires ou pour éviter le mal, ou pour vous précautionner contre votre faiblesse, ou pour ne rougir pas de l’Évangile. Pour tout le reste, que votre gauche ne sache pas le bien que votre droite fera /5. Tâchez d’être gai et tranquille. Si vous pouvez trouver quelque ami sensé et qui craigne Dieu, soulagez-vous un peu le cœur en lui parlant des choses que vous le croyez capable de porter, mais comptez que Dieu est le bon ami du cœur, et que personne ne console comme lui. Il n’y a personne qui entende tout à demi-mot comme lui, qui entre dans toutes les peines, et qui s’accommode à tous les besoins sans en être importuné. Faites-en un second vous-même. Bientôt ce vous-même supplantera le premier, et lui ôtera tout crédit chez vous.

Réglez votre dépense et vos affaires. Soyez honorable et modeste, simple, et point attaché. C’est le bon temps pour servir, que de servir par devoir, sans ambition et sans vaines espérances/6: c’est servir sa patrie, son Roi, le Roi des Rois, devant qui les Majestés visibles ne sont que des ombres. C’est réparer par un service désintéressé les campagnes faites avec faste et passion pour la fortune. Montrez une conduite unie, modérée, sans affectation de bien non plus que de mal, mais ferme pour la vertu, et si décidé, qu’on n’espère plus de vous rentraîner. Vous en serez quitte à meilleur marché, et on vous importunera moins quand on croira que vous êtes de bonne foi attaché à la religion, et que vous ne reculerez pas là-dessus. On tourmente plus longtemps ceux qu’on soupçonne d’être faux, ou faibles et légers.

Mettez votre confiance, non dans votre force ni dans vos résolutions, ni même dans les plus solides précautions, (quoiqu’il faille les prendre avec beaucoup d’exactitude et de vigilance) ni même dans les engagements d’honneur que vous prendrez pour ne pouvoir plus reculer, mais dans la seule bonté de Dieu, qui vous a aimé éternellement avant que vous l’aimassiez, et lors même que vous l’offensiez avec ingratitude.

Il faut vous faire une règle de bonnes lectures selon votre goût et selon votre besoin. Il faut lire simplement, assez courtement; se reposer après avoir lu, méditer ce qu’on vient de lire ; le méditer sans grand raisonnement, plus par le cœur que par l’esprit, et laisser faire à Dieu son impression dans votre cœur sur la vérité méditée. Peu d’aliment nourrit beaucoup quand on le digère bien. Il faut mâcher lentement, sucer l’aliment, et se l’approprier, pour le convertir tout en sa propre substance.

/1. Cf. Il Cor. IV, 7.

/2. Jean IV, 22.

/3. Cf. Pascal: « La dernière démarche de la raison...» et «Soumission est usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme » (Pensées 267 et 259 de l’éd. Brunschvicg). De Fénelon, voir l’opuscule XLVII, Sur la raison, éd. Pléiade, L I, p. 765.

/4. Rom. XII, 3.

/5. Matth. VI, 3.

/6. Ceci induit [N] à proposer pour « (O) » le marquis de Blainville : « De nombreux officiers pouvaient se plaindre de ne pas obtenir une promotion espérée; mais si l’on se souvient que le marquis de Blainville, entre septembre 1689 et juillet 1690, n’avait commandé qu’un régiment sans lustre, on pourrait voir en lui le « converti O ». Le voisinage, dès l’édition A (1718). des lettres LSP 34 et 36 (A 143 et 149) avec A 144 (LSP 35, Corr. 78, adressée au chevalier Colbert), A 145 (LSP 84), A 146 (LSP 82, Corr. 715) et 148 (LSP 75, Corr. 317) toutes trois envoyées au marquis de Blainville, semble encourager cette hypothèse. 

LSP 38.*POUR UN CONVERTI (O?)

Je plains fort M… Je comprends que son état est très violent /1. Il commence à se tourner vers Dieu ; sa vertu est encore bien faible. Il est obligé à combattre contre tous ses goûts, contre toutes ses inclinations, contre toutes ses habitudes, et même contre des passions violentes. Son naturel est facile et vif pour le plaisir; il est accoutumé à une dissipation continuelle. Il n’a pas moins à combattre au dehors qu’au-dedans : tout ce qui l’environne n’est que tentation et que mauvais exemple ; tout ce qu’il voit le porte au mal ; tout ce qu’il entend le lui inspire. Il est éloigné de tous les bons exemples et de tous les conseils. Voilà des commencements exposés à une étrange épreuve ; mais je vous avoue que je ne saurais croire qu’il soit de l’ordre de Dieu qu’il quitte tout à coup son emploi, sans garder ni mesures ni bienséances /2. S’il est fidèle à lire, à prier, à fréquenter les sacrements, à veiller sur sa propre conduite, à se défier de lui-même, à éviter la dissipation autant que ses devoirs le lui permettront, j’espère que Dieu aura soin de lui, et qu’il ne permettra point qu’il soit tenté au-dessus de ses forces. Les choses que Dieu fait faire pour l’amour de lui sont d’ordinaire préparées par une providence douce et insensible. Elle amène si naturellement les choses, qu’elles paraissent venir comme d’elles-mêmes. Il ne faut rien de forcé ni d’irrégulier. Il vaut mieux attendre un peu pour ouvrir la porte avec la clef, que de rompre la serrure par impatience. Si cette retraite vient de Dieu, sa main ouvrira le chemin pour le retour. En attendant, Dieu gardera ce qui se donne à lui ! il le tiendra à l’ombre de ses ailes /3.

Un homme de condition distinguée, qui a une charge, avec de l’esprit, du talent et de l’usage du monde, ne doit plus être embarrassé à un certain âge pour soutenir un genre de vie réglé et sérieux, comme le serait un jeune homme que chacun se croit en droit de tourmenter. Ce n’est pourtant pas ce qui doit être sa principale ressource; il faut qu’il ne compte que sur Dieu, et qu’il ne craigne rien tant que sa propre fragilité. Je voudrais donc qu’il prît de grandes précautions contre les tentations de son état, mais qu’il ne l’abandonnât point d’une façon précipitée. Il doit craindre de se tromper: peut-être que son cœur tend moins à s’éloigner des périls du salut, qu’à se rapprocher d’une vie plus douce et plus agréable. Il fuit peut-être beaucoup moins le péché, que les dégoûts, les embarras, les fatigues et les contraintes de la situation où il se trouve. Il est naturel d’être dans cette disposition, et il est très ordinaire à l’amour-propre de nous persuader que nous agissons par un motif de conscience, quand c’est lui qui a la plus grande part à notre détermination. Pour moi, je crois que Dieu ne demande point une démarche si irrégulière, et que la bienséance la défend. Il vaut mieux, ce me semble, attendre jusqu’à l’hiver. En attendant, Dieu, s’il lui est fidèle, le portera dans ses mains de peur qu’il ne heurte contre quelque pierre /4.

O que Dieu est compatissant et consolant pour ceux qui ont le cœur serré, et qui recourent à lui avec confiance ! Les hommes sont secs, critiques, rigoureux et ne sont jamais condescendants qu’à demi; mais Dieu supporte tout, il a pitié de tous ; il est inépuisable en bonté, en patience, en ménagements. Je le prie de tout mon cœur de tenir lieu de tout à notre ami.

/1. Il semble que, par souci de discrétion, les conseils soient donnés au correspondant comme s’ils visaient un tiers. Cf au t. XII, la lettre 1049.

/2. On a vu Fénelon, en juillet 1700, conseiller le marquis de Blainville tenté de quitter tout à coup son emploi, ayant «en vue ([...]) une profession sainte » (supra, t. X, lettre 570); en aurions-nous ici un prodrome? Où simplement un cas semblable vécu par un autre homme du monde?

/3. Cf. Psaume 16, 8. /4. Cf. Psaume 90, 12.

A partir d’ici les lettres sont toutes nommément adressée « Au marquis de Blainville »318 . Nous en donnons des extraits.

43. LSP 66. Au MARQUIS DE BLAINVILLE. [Fin de 1688]

Vous m’avez oublié, Monsieur; mais il n’est pas en mon pouvoir d’en faire autant à votre égard. Je porte au fond du cœur quelque chose qui me parle toujours de vous, et qui fait que je suis toujours empressé à demander de vos nouvelles : c’est ce que j’ai senti particulièrement pendant les périls de votre campagne. Votre oubli, bien loin de me rebuter, me touche encore davantage. Vous m’avez témoigné autrefois une sorte d’amitié dont l’impression ne s’efface jamais, et qui m’attendrit presque jusqu’aux larmes, quand je me rappelle nos conversations : j’espère que vous vous souviendrez combien elles étaient douces et cordiales. Avez-vous trouvé depuis ce temps-là quelque chose de plus doux que Dieu, quand on est digne de le sentir ? Les vérités qui vous transportaient ne sont-elles plus ? La pure lumière du Royaume de Dieu est-elle éteinte ? […]

LSP 132.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je suis toujours uni à vous et à votre chère famille du fond du cœur ; n’en doutez pas. Nous sommes bien près les uns des autres sans nous voir, au lieu que les gens qui se voient à toute heure sont bien éloignés dans la même chambre. Dieu réunit tout, et anéantit toutes les plus grandes distances à l’égard des cœurs réunis en lui. C’est dans ce centre que se touchent les hommes de la Chine avec ceux du Pérou319. Je ne laisse pas de sentir la privation de vous voir; mais il la faut porter en paix tant qu’il plaira à Dieu, et jusqu’à la mort s’il le veut. Renfermez-vous dans vos véritables devoirs. Du reste, soyez retiré et recueilli, appliqué à bien régler vos affaires, patient dans les croix domestiques. Pour Madame, je prie Dieu qu’elle ne regarde jamais derrière elle, et qu’elle tende toujours en avant dans la voie la plus droite. Je souhaite que Notre-Seigneur bénisse toute votre maison, et qu’elle soit la sienne.

LSP 133.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je comprends bien ce que vous me dites sur une peine qui vous paraît trop forte et trop allongée dans N...320 sur vos fautes ; mais ce n’est point à vous à juger si cette peine va trop loin. Quand un homme, qui, comme vous, est depuis si longtemps à Dieu, duquel il a reçu des grâces capables de sanctifier cent pécheurs, tombe dans certaines infidélités, il ne faut pas s’étonner que l’esprit de grâce en soit vivement et longtemps contristé dans les personnes que la même grâce unit intimement avec lui.

Vous vous impatientez de ce que Dieu fait souffrir votre prochain pour vous ; c’est de la pénitence que vous devriez faire, que vous ne faites pas, et que N… fait dans son cœur pour vous, que vous êtes dépité contre elle. C’est au contraire ce qui devrait vous attendrir, redoubler votre confiance, votre soumission, votre docilité. Peut-être même avez-vous besoin de cette triste, forte et longue peine, afin qu’elle vous fasse sentir toute votre infidélité et tout le danger où vous êtes. Il vous faut cette petite sévérité pour faire le contrepoids de votre légèreté ; vous avez besoin, dans votre faiblesse, d’être retenu par la crainte. Je la prie néanmoins de proportionner sa tristesse à votre délicatesse excessive’. Je ne lui demande pas de la supprimer par effort et par industrie, pour vous épargner et pour flatter votre amour-propre dans vos fautes : à Dieu ne plaise ! Je la prie seulement de n’agir que par grâce, suivant le fond de son cœur, afin qu’elle ne s’attriste point de vos infidélités par une tristesse naturelle. Vous me donnez une joie incroyable en me marquant l’avancement où vous la voyez. Plus elle est avancée, plus vous devez la croire et regarder toutes ces peines à votre égard comme des impressions de la grâce qu’elle reçoit pour vous.

Pendant qu’elle avance, vous reculez. O Mon cher ! si je pouvais vous voir, je ne vous laisserais pas respirer par amour-propre ; je ne vous laisserais échapper en rien ; je vous ferais petit malgré vous. Il n’y a que la petitesse qui soit la ressource des faibles. Un petit enfant ne peut marcher, mais il se laisse tourner et retourner, porter, emmailloter. Pour un grand homme qui est faible et se croit fort, il tombe au premier pas qu’il fait; il n’a ni ressource pour se conduire ni souplesse pour se laisser conduire par autrui. Dès que vous sentez de la répugnance à vous ouvrir et à croire, comptez que la tentation vous entraîne vers le précipice.

LSP 134.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Votre lettre, Monsieur, m’a donné une très sensible consolation. Béni soit Dieu qui vous donne des lumières si utiles ! Mais notre fidélité doit être proportionnée aux lumières que nous recevons. Puisque vous connaissez que votre société avec N…321 se tourne en piège pour vous, au lieu d’être un secours, vous devez redresser cette société. Il ne faut pas songer à la rompre, puisqu’elle est de grâce aussi bien que de nature ; mais il faut la mettre, quoi qu’il en coûte, au point où Dieu la veut. Hélas ! que sera-ce, si ceux qui sont donnés les uns aux autres pour s’aider à mourir322, ne font que se redonner des aliments de vie secrète? Il faut que toute votre union ne tende qu’à la simplicité, qu’à l’oubli de vous-même, qu’à la perte de tous les appuis. En perdant ceux du dedans, vous en cherchez encore au-dehors. Le dedans est souvent simple et nu ; mais le dehors est composé, étudié, politique, et trouble la simplicité intérieure. Vous faites bon marché du principal, et vous chicanez le terrain sur ce qui ne regarde que le monde.

Ce n’est point là cette unité à laquelle il faut que tout homme soit réduit. Soyez tout un ou tout autre. L’intérieur abandonné à Dieu règle assez l’extérieur par l’esprit de Dieu même. Dieu fait assez faire dans cette simplicité d’abandon tout ce qu’il faut : mais si on sort de la simplicité pour le dehors par des vues humaines, cette sortie est une infidélité qui dérange tout le dedans. Ce n’est point à vous, Monsieur, à vous laisser entraîner contre votre grâce ; c’est au contraire à vous à redresser les autres qui sont encore trop humains. Vous devez borner votre docilité, à recevoir, par petitesse, les avis de tous ceux qui vous montreront que vous ne suivez pas assez votre grâce, et que vous agissez trop humainement ; mais vous laisser entraîner dans l’humain par les autres sous de beaux prétextes, c’est reculer, et leur nuire comme ils vous nuisent. Je ne manquerai pas de le dire à N..... quand il repassera323.

Votre union ne doit faire qu’augmenter, mais pour la mort commune et totale, tant du dehors que du dedans324. Quand celle du dehors manque, elle manque par le dedans, qui veut encore se réserver quelque vie secrète par le dehors. Il est temps d’achever de mourir, Monsieur. En retardant le dernier coup, vous ne faites que languir et prolonger vos douleurs. Vous ne sauriez plus vivre que pour souffrir en résistant à Dieu. Mourez donc, laissez-vous mourir; le dernier coup sera le coup de grâce. Il ne faut plus vouloir rien voir; car vouloir voir, c’est vouloir posséder; et vouloir posséder, c’est vouloir vivre. Les morts ne possèdent et ne voient plus rien. Aussi bien que verriez-vous ? Vous courriez après une ombre qui échappe toujours. Mille fois tout à vous.

LSP 169.*AU MARQUIS DE BLAINVILLE

Je prends, Monsieur, une très grande part à toutes vos peines domestiques325, et je comprends qu’elles doivent être fort grandes ; mais vous savez que la croix est faite pour nous, et nous pour elle. C’est notre place que d’y demeurer paisiblement attachés avec Jésus-Christ jusqu’au dernier soupir de la vie. Il serait glorieux d’y avoir été patiemment, si on pouvait en descendre ; mais y être cloué et y expirer, c’est ce qui est terrible. C’est seulement dans ce dernier moment qu’on peut dire, Tout est consommé.

Je prie N...326 de faire le moins de réflexions qu’elle pourra sur tout ce qui ne va qu’à troubler sa paix et son avancement, en la jetant dans une occupation inquiète d’elle-même, qui est une tentation véritable. Pour vous, Monsieur, prenez courage : sustine sustentationes Dei. Toute notre piété n’est qu’imagination, si nous ne sommes pas contents lorsque Dieu nous frappe, et si nous cherchons, par ragoût, des espérances dans les temps à venir de cette vie pour nous consoler. Le détachement de ce monde ne saurait être trop absolu et trop de pratique.

LSP 170.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je prie souvent Dieu qu’il vous tienne dans sa main. Le point essentiel est la petitesse. Il n’y a rien qu’elle ne raccommode, parce que la petitesse rend docile, et que la docilité redresse tout. Vous seriez plus coupable qu’un autre si vous résistiez à Dieu en ce point. D’un côté, vous avez reçu plus de lumière et de grâce qu’un autre pour vous laisser rapetisser: d’un autre côté, personne n’a plus éprouvé que vous ce qui doit rabaisser le cœur, et ôter toute confiance en soi-même. C’est le grand fruit de l’expérience de nos infirmités, que de nous rendre petits et souples. J’espère que Notre-Seigneur vous gardera, et je le lui demande avec instance.

LSP 171.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Pour N... [Mortemart], je prie Notre-Seigneur de lui donner une simplicité qui soit la source de la paix pour elle. Quand nous serons fidèles à laisser tomber d’abord toute réflexion superflue et inquiète, qui vient d’un amour de nous-mêmes très différent de la charité, nous serons au large au milieu de la voie étroite ; et sans manquer ni à Dieu ni aux hommes, nous serons dans la pure liberté et dans la paix innocente des enfants de Dieu.

Je prends pour moi, Monsieur, ce que je donne aux autres, et je vois bien que je dois chercher la paix où je leur propose de la chercher. J’ai le cœur en souffrance327. C’est la vie à nous-mêmes qui nous fait souffrir; ce qui est mort ne sent plus. Si nous étions morts, et si notre vie était cachée avec Jésus-Christ en Dieu, comme parle l’Apôtre328, nous n’aurions plus les peines de l’esprit que nous ressentons. Nous pourrions bien sentir des douleurs du corps, comme la fièvre, la goutte, etc. ; nous pourrions bien aussi souffrir des douleurs spirituelles, c’est-à-dire des douleurs imprimées dans l’âme, sans qu’elle y eût aucune part: mais pour les peines d’inquiétude, où l’âme ajoute à la croix imposée par la main de Dieu une agitation de résistance, et, pour ainsi dire, une non-volonté de souffrir, nous n’avons ces sortes de douleurs qu’autant que nous vivons encore à nous-mêmes. […]

LSP 172.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

[…] En quelque état que soit votre malade329, et quelque suite que Dieu donne à son mal, elle est bienheureuse d’être si souple dans la main de Dieu. Si elle meurt, elle meurt au Seigneur; si elle vit, elle vit à lui330. Ou la croix, ou la mort331.

Rien n’est au-dessus de la croix, que le parfait règne de Dieu, et encore la souffrance en amour est un règne commencé, dont il faut se contenter pendant que Dieu diffère la consommation. […]

LSP 173.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je n’ai rien à vous répondre sur ce qui vous regarde ; je ne vois rien à ajouter sur les choses que Dieu vous fait voir, et qu’il est capital de suivre sans relâche. Allez toujours mourant de plus en plus. La mort est bien plus mort quand autrui nous la donne. Demeurez dans la dépendance où Dieu vous met ; elle sert à vous décider, à vous tirer de votre sagesse, et à vous apetisser, vous dont la pente était de mener les autres. Mais ne laissez pas de dire à autrui votre simple pensée, à mesure qu’elle vous vient au cœur, sans réflexion ni mesure. […]

LSP 175.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE (?) [1694 ?]

O que vous me serez chers, vous et N....332, si ce que nous avons dit ici ensemble fait de nous un cœur et une âme ! Je ne le répète point, n’en ayant pas le temps; vous le savez. Ce n’est pas à la mémoire, mais au cœur que je l’ai confié. S’il est entré dans votre cœur, vous le verserez fidèlement dans celui de N..... Non, mon cher, plus d’ambition, plus de curiosité ni de vivacité sur le monde, plus de régularité politique. Que le dehors soit simple, droit et petit, comme le dedans. Si spiritu vivimus spiritu et ambulemus.

Soyons sages, mais de la sagesse de Dieu, et non de la nôtre. O la mauvaise sûreté, que celle qui vient d’une prudence mondaine ! Laissez tomber tout empressement, toute activité, toute dissipation : vous en avez un besoin infini. Lors même qu’on ne se recueille point par méthode, on doit laisser tomber par simple fidélité tout ce qui dissipe et distrait, tout ce qui ébranle l’imagination, qui réveille les goûts et les désirs naturels, qui trouble la paix, le silence, la petitesse, et la nudité intérieure. On parle magnifiquement de la passiveté avec une activité perpétuelle. On veut des sûretés, des lumières extraordinaires, et même des prédictions, pour se contenter dans l’obscurité de la pure foi. C’est vouloir voir le soleil à minuit. Soyez bien petits, bien simples […]

LSP 180.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

C’est dans la peine et dans l’amertume que je vous goûte davantage. J’ai vu de la candeur et de la petitesse dans vos lettres, et j’en remercie Dieu avec attendrissement. Il faut aimer ce que Dieu aime, et je ne doute point qu’il ne nous aime davantage quand il nous rapetisse en nous rabaissant. Pendant que cette opération vous est douloureuse, comptez qu’elle vous est utile et nécessaire. Le chirurgien ne nous fait du mal, qu’autant qu’il coupe dans le vif. Le malade ne sent rien quand on ne coupe que la chair déjà morte. Si vous étiez mort aux choses dont il s’agit, leur retranchement ne vous causerait aucune douleur. Détachez-vous absolument, si vous voulez être en paix et mourir à vous-même. Ne vous contentez pas de faire certains efforts, et d’être petit par secousses : délaissez-vous sans aucune réserve à Dieu, pour mourir à vous-même dans toute l’étendue de ses desseins. Courage sans courage humain : ne perdez pas les grands fruits de cette croix. Soumettez-vous non seulement à N... [Mme de Mortemart] pour vous laisser redresser, mais encore aux plus petits qui se mêleront de vous donner des avis à propos ou hors de propos. S’ils ne sont pas bons pour ceux qui les donneront par une critique indiscrète, ils seront excellents pour vous qui les recevrez en esprit de désappropriation et de mort.

Pour vos défauts, supportez-les avec patience, comme ceux du prochain, sans les flatter ni excuser. Il ne faut pas les vouloir garder, puisqu’ils déplaisent à Dieu : mais il faut sentir votre impuissance de les vaincre, et profiter de l’abjection qu’ils vous causent à vos propres yeux pour désespérer de vous-même. Jusqu’à ce désespoir de la nature, il n’y a rien de fait. Mais il ne faut jamais désespérer des bontés de Dieu sur nous, et ne nous défier que de nous-mêmes. Plus on désespère de soi pour n’espérer qu’en Dieu sur la correction de ses défauts, plus l’œuvre de la correction est avancée. Mais aussi il ne faut pas que l’on compte sur Dieu sans travailler fortement de notre part. La grâce ne travaille avec fruit en nous, qu’autant qu’elle nous fait travailler sans relâche avec elles. Il faut veiller, se faire violence, craindre de se flatter, écouter avec docilité les avis les plus humiliants, et ne se croire fidèle à Dieu qu’à proportion des sacrifices qu’on fait tous les jours pour mourir à soi-même.

444. Au MARQUIS DE BLAINVILLE. [été 1697?]

Je serai bien aise, mon cher typographe333, que mon courrier n’aille point paraître à Versailles, et que vous ayez la bonté d’y faire rendre mes lettres. Vous en trouverez aussi une pour la bonne[...]334, que je vous prie de lui donner. Demeurez bien uni avec elle. Quand vous ne serez pas content d’elle sur quelque chapitre, ne formez aucun jugement, et ne vous laissez point aller à votre penchant naturel de décider rigoureusement. Supportez-la même dans ses imperfections les plus grossières, et souvenez-vous de la compensation avec les vôtres. Souvent, sous l’écorce la plus dure et la plus raboteuse, il y a un tronc vif et plein de sève qui porte d’excellents fruits. […]

664. Au MARQUIS DE BLAINVILLE. À Cambray [15 juin 1700]

… Voilà, mon très cher malade, la santé que je vous souhaite dans l’esprit, avec une véritable guérison du corps. En attendant, souffrez avec humilité et patience. Dieu sait quelle joie j’aurais si je pouvais vous embrasser, et vous posséder ici. Mais j’entends l’orage qui gronde plus que jamais335. Il ne faut pas le renouveler par notre impatience. Attendez donc encore un peu. Dès qu’on croira que vous pourrez venir sans danger, votre présence sera une grande consolation pour moi dans mes peines. En retardant votre voyage, je prends encore plus sur moi que sur vous. Rien n’est plus sincère que la tendresse avec laquelle je vous suis tout dévoué. …

LSP 83. Au MARQUIS DE BLAINVILLE [1701-1704]

Je vous souhaite paix336, simplicité, recueillement, mort à vos goûts spirituels et corporels, défiance de votre propre esprit et de vos pensées, avec une grande fidélité pour remplir sans relâche toute la grâce de Dieu sur vous. Vous souhaitez que Dieu vous détruise, et ce souhait est bon, puisqu’on ne veut être détruit que pour établir Dieu sur les ruines de la créature ; mais il faut le désirer pour contenter Dieu, et non pour se contenter soi-même. Il faut que ce désir soit réel et constant dans tout le détail de la vie; il faut qu’il soit modéré, et réglé par l’obéissance. Je suis, Monsieur et très cher fils, très tendrement tout à vous.

LSP 84. Au MARQUIS DE BLAINVILLE [1701-1704]

Je ne vous écris, mon bon et cher fils, que deux mots pour vous recommander de plus en plus la franchise, et d’éviter les retours de délicatesse sur vous-même qui’ font la plupart de vos infidélités et de vos peines. Plus vous serez simple, plus vous serez souple et docile. Pour l’être véritablement, il faut l’être pour tous ceux qui nous parlent avec charité. O que cet état d’être toujours prêt à être blâmé, méprisé, corrigé, est aimable aux yeux de Dieu ! Vous m’êtes infiniment cher: Despondi enim te uni viro virginem castam exhibere Christo 337.

Soyez bon homme sans hauteur, ni décision, ni critique, ni dédain, ni délicatesse, ni tour de passe-passe d’amour-propre338. Soyez vrai, ingénu, en défiance de votre propre sens. Soyez fidèle à renoncer à votre vanité et aux sensibilités de votre amour-propre dès que Dieu vous le montre intérieurement. Pendant que la lumière luit, suivez-la pour être enfant de lumière 339. Je prie Dieu qu’il vous rende doux, simple et enfant avec Jésus né dans une crèche. Ne soyez point habile, ni décisif, ni attentif aux fautes d’autrui, ni délicat et facile à blesser, ni meilleur en apparence qu’en vérité. O que la vérité est maltraitée dans ce qui paraît le meilleur en nous !

Retranchez toutes les curiosités qui passionnent, et soyez fidèle à ne parler jamais sans nécessité de ce que vous sauriez mieux qu’un autre. Surtout ne vous laissez point ensorceler par les attraits diaboliques de la géométrie340. Rien n’éteindrait tant en vous l’esprit intérieur de grâce, de recueillement et de mort à votre propre esprit.

LSP 85. Au MARQUIS DE BLAINVILLE [1701-1704]

Il faut se sevrer des joies les plus innocentes, quand Dieu vous les refuse. Vous m’êtes très présent en lui ; la foi a des yeux341 qui voient mieux les amis que les yeux du corps. L’amour tendre que Dieu inspire a des bras assez longs pour les embrasser malgré la distance des lieux. Souffrez en homme qui sait le prix de la souffrance en Jésus-Christ. Ménagez votre santé ; délassez-vous l’esprit pour soulager le corps ; consolez-vous avec Dieu et avec de vrais amis pleins de lui; aimez-moi toujours, et comptez que je vous aime, comme Dieu sait faire aimer.

Relevé de correspondance

Il ne figure pas en détails ici. La majorité figure en [CF 18], soit 6 « à un converti » et 12 «  au marquis de Blainville », auxquelles s‘ajoutent 2 lettres relevées dans des tomes précédents de [CF] soit un total de 20 lettres.



Comtesse de Gramont (1640 ?-1708)


Écossaise réfugiée en France, dame du palais « tout à fait dans la dévotion » selon le chroniqueur Danjeau.

« Elisabeth Hamilton, comtesse de Gramont (1640 ? – 1708). « Nièce du duc d'Ormond, Elisabeth Hamilton était née vers 1640 d'une très noble famille écossaise passée en 1610 en Irlande ; réfugiée en France sous Cromwell, celle‑ci la fit élever à Port‑Royal. Elle brilla après la Restauration à la Cour d'Angleterre et y épousa au début de 1664 Philibert, comte de Gramont, frère consanguin d'Antoine III duc de Gramont et maréchal de France. Elle fut nommée dame du palais le 21 février 1667. […] Une lettre de Mme de Maintenon fait placer la « conversion » de la comtesse à la fin de 1683, ce que semble confirmer le Journal de Danjeau à la date du 15 octobre 1687 : « La comtesse de Gramont est tout à fait dans la dévotion… » Elle mourut le 3 juin 1708. » 342

1957. À LA COMTESSE DE GRAMONT [1688-1689 ?]343.

… Les pénitences que nous choisissons, ou que nous acceptons quand on nous les impose, ne font point mourir notre amour-propre, comme celles que Dieu nous distribue lui-même chaque jour. Celles-ci n’ont rien où notre volonté puisse s’appuyer, et comme elles viennent immédiatement d’une providence miséricordieuse, elles portent avec elles une grâce proportionnée à tous nos besoins. Il n’y a donc qu’à se livrer à Dieu chaque jour sans regarder plus loin. Il nous porte entre ses bras comme une mère tendre porte son enfant. Croyons, espérons, aimons avec toute la simplicité des enfants. …

1960. À LA COMTESSE DE GRAMONT [1691 ?]344.

Pour vous, Madame, je crois que vous devez recevoir vos croix comme votre principale pénitence. Les importunités du monde doivent vous détacher de lui, et vos misères doivent vous détacher de vous. Portez en paix ce fardeau perpétuel et vous ne cesserez d’avancer dans la voie étroite. Elle est étroite par les peines qui serrent le cœur. Mais elle est large par l’étendue que Dieu donne au cœur par le dedans. On souffre, on est environné de contradictions. On est privé des consolations mêmes spirituelles. Mais on est libre parce qu’on veut tout ce qu’on a, et on ne voudrait pas s’en délivrer. On souffre sa propre langueur, et on la préfère aux états les plus doux, parce que c’est le choix de Dieu. Le grand point est de souffrir sans se décourager.

175. À LA COMTESSE DE GRAMONT. Samedi, 2 juin [1691].

… Tandis que nous demeurons renfermés en nous-mêmes, nous sommes en butte à la contradiction des hommes, à leur malignité et à leur injustice. Notre humeur nous expose à celle d’autrui; nos passions s’entrechoquent avec celles de nos voisins; nos désirs sont autant d’endroits par où nous donnons prise à tous les traits du reste des hommes. Notre orgueil, qui est incompatible avec l’orgueil du prochain, s’élève comme les flots de la mer irritée : tout nous combat, tout nous repousse, tout nous attaque; nous sommes ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos passions et par la jalousie de notre orgueil. Il n’y a nulle paix à espérer en soi, où l’on vit à la merci d’une foule de désirs avides et insatiables, et où l’on ne saurait jamais contenter ce moi si délicat et si ombrageux sur tout ce qui le touche. De là vient qu’on est dans le commerce du prochain, comme les malades qui ont langui longtemps dans un lit : il n’y a aucune partie du corps où l’on puisse les toucher sans les blesser. L’amour-propre malade, et attendri sur lui-même, ne peut être touché sans crier les hauts cris. Touchez-le du bout du doigt, il se croit écorché. Joignez à cette délicatesse la grossièreté du prochain plein d’imperfections qu’il ne connaît pas lui-même; joignez-y la révolte du prochain contre nos défauts, qui n’est pas moins grande que la nôtre contre les siens : voilà tous les enfants d’Adam qui se servent de supplice les uns aux autres; voilà la moitié des hommes qui est rendue malheureuse par l’autre, et qui la rend misérable à son tour; voilà dans toutes les nations, dans toutes les villes, dans toutes les communautés, dans toutes les familles, et jusqu’entre deux amis, le martyre de l’amour-propre.

L’unique remède est donc de sortir de soi pour trouver la paix. Il faut se renoncer, et perdre tout intérêt, pour n’avoir plus rien à perdre, ni à craindre, ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté, c’est à dire à ceux qui n’ont plus d’autre volonté que celle de Dieu, qui devient la leur. Alors les hommes ne peuvent plus rien sur nous; car ils ne peuvent plus nous prendre par nos désirs ni par nos craintes : alors nous voulons tout, et nous ne voulons rien. C’est être inaccessible à l’ennemi; c’est devenir invulnérable. L’homme ne peut que ce que Dieu lui donne de faire; et tout ce que Dieu lui donne de faire contre nous, étant la volonté de Dieu, est aussi la nôtre. En cet état, on a mis son trésor si haut, que nulle main ne peut y atteindre pour nous le ravir. …

322. À LA COMTESSE DE GRAMONT. À Issy, 25 mai [1689]345.

Les croix que nous nous faisons à nous-mêmes, par une prévoyance inquiète de l’avenir, ne sont point des croix qui viennent de Dieu. Nous le tentons par notre fausse sagesse, en voulant prévenir son ordre, et en nous efforçant de suppléer à sa providence par notre providence propre. Le fruit de notre sagesse est toujours amer, et Dieu le permet pour nous confondre, quand nous sortons de sa conduite paternelle. L’avenir n’est point encore à nous : peut-être n’y sera-t-il jamais. S’il vient, il viendra peut-être tout autrement que nous ne l’avons prévu. Fermons donc les yeux sur ce que Dieu nous cache, et qu’il tient en réserve dans les trésors de son profond conseil. Adorons sans voir ; taisons-nous ; demeurons en paix. […] Sortons de nous-mêmes ; plus d’intérêt propre, et la volonté de Dieu, qui se développe à chaque moment en tout, nous consolera aussi en chaque moment de tout ce que Dieu fera autour de nous, ou en nous, aux dépens de nous-mêmes. Les contradictions des hommes, leur inconstance, leurs injustices même, nous paraîtront les effets de la sagesse, de la justice et de la bonté invariable de Dieu : nous ne verrons plus que Dieu infiniment bon, qui se cache sous les faiblesses des hommes aveugles et corrompus. […] Réjouissons-nous d’éprouver ainsi le néant et le mensonge de tout ce qui n’est point Dieu ; car c’est par cette expérience crucifiante, que nous sommes arrachés à nous-mêmes et aux désirs du siècle. Réjouissons-nous, car c’est par ces douleurs de l’enfantement, que l’homme nouveau naît en nous.

Quoi ! nous nous décourageons, et c’est la main de Dieu qui se hâte de faire son œuvre ! […]

Que ne fait-il point espérer ! mais, dans le fond, que donne-t-il ? Vanité et affliction d’esprit de toutes parts sous le soleil, mais surtout dans les plus hautes places. Le néant n’y est pas moins néant qu’ailleurs ; car il est également rien partout : mais il y est plus menteur. C’est une décoration qui n’est pas moins creuse, mais qui est plus ornée ; elle allume les espérances, elle irrite les désirs, mais elle ne remplit jamais le cœur. Ce qui est vide soi-même, ne saurait rien remplir. Ces créatures faibles et malheureuses, qui sont les divinités de la terre, ne peuvent donner la force et le bonheur qu’elles n’ont pas. Va-t-on puiser de l’eau dans une fontaine tarie ? Non, sans doute. Pourquoi donc vouloir aller puiser la paix et la joie chez ces grands qu’on voit soupirer, qui mendient eux-mêmes de l’amusement, et que l’ennui vient dévorer au milieu de tous les appareils de plaisir ? …


Nous avons limité notre choix effectué dans cette correspondance, seconde par le nombre dans les Lettres Spirituelles, pour mettre en valeur des figures plus profondes.


Relevé partiel corrigé de correspondance

GRAMONT (Elisabeth HAMILTON, comtesse de) :

1686, 10 décembre, 1687-1688 (?), 29 décembre,

1687, 29 décembre (L.35 non 1688)

1688, 1er ou 11 juin, 17 novembre,

1689, 25 août, 2 octobre, 25 mai (L.322 non 1695), L.1957

1690, 23 février, 21 mars, 11 juin, 27 juin, 22 juillet, 29 juillet, 14 novembre, 17 novembre, 19 novembre, L1959

1691, 4 avril, 6 avril, 1er juin (?), 2 juin, 10 ou 11 décembre (L.23 mais non l’année 1686), L.1960

1692, 7 juin (L.205 non du 17 juin)

1693, 22 juin (L.300), L.1961

1695, 4 juillet, 31 juillet,

1697, 31 juillet, 12 septembre,

L.1958 & L.1962 sans date

Les lettres n°1957 et suivantes sont en [CF 18], « Lettres retrouvées » v. « Note sur les lettres à la comtesse de Gramont » [N].

LSP 227 à 266 à la comtesse de Gramont, voir les tables des t. II, IV et VI et supplément, 1. 1958-1962 - LSP 267 à 489 ibid. t. X à XVI et supplément 1.1966-1971. [N] – 262 lettres (pour 325 adressées à la comtesse de Montberon).


Dom François Lamy (1636-1711)

« Homme de grande intelligence … jamais banal … intime ami de Malebranche ».

« François Lamy était né au château de Montireau dans le Perche (aujourd'hui arrondissement de Nogent-le-Rotrou) en 1636. Après avoir eu pour précepteur Francois Rohaut, champion du cartésianisme en physique et en philosophie, il entra dans la carrière des armes, mais, à la suite d'un duel, il prit l'habit bénédictin en 1658 et prononça ses voeux le 30 juin 1659. Il fut chargé d'enseigner la philosophie et la théologie, puis, après un séjour à l'abbaye Saint-Faron de Meaux où il se lia avec Bossuet. Il fut en 1687 nommé prieur de Rebais, dans le même diocèse. Mais deux ans plus tard un ordre du Roi le fit destituer et déclarer inéligible à toute charge dans son ordre. « De combien de lettres de cachet n'a-t-il point été chargé pour le cartésianisme et le jansénisme ? M. de La Sale, abbé de Rebais et maintenant évêque de Tournai, ne le fit-il pas déposer de la charge de prieur de Rebais pour des opinions et des conduites singulières qu'il reconnut en lui ? » (J. B. THIERS, Apologie pour M. de la Trappe, p. 83). Retiré à l'abbaye de Saint-Denis, il y mourut le 11 avril 1711 après une vie consacrée à l'étude et à la piété. » […]346.

696. À DOM FRANÇOIS LAMY. À C[ambrai] 13 déc[embre] 1700.

…Pour moi, je n’ai à parler qu’à Dieu, et mon état me dispense de parler aux hommes, excepté mes diocésains. Votre attention et votre sensibilité pour tout ce que vous croyez qui peut avoir quelque rapport à moi, me touche vivement. Mais rien de ce monde ne me regarde. Ce qui peut m’être utile et consolant, c’est qu’un ami tel que vous continue à m’aimer, et à prier pour moi. De mon côté je ne cesserai jamais de prier pour vous, de vous honorer, et de vous aimer très cordialement.

766. LSP 6. À DOM FRANÇOIS LAMY . À Tournay 26 octobre 1701.

Pardon, mon Révérend Père, de n’avoir pas répondu à votre question. Il n’y a eu dans mon silence rien qui doive vous faire aucune peine, ni qui vienne d’aucune réserve. Voici simplement ce que je pense là-dessus.

Notre [corps] n’a besoin que d’être nourri. Il lui suffit que l’âme qui le gouverne, soit sensiblement avertie de ses besoins, et que le plaisir facilite l’exécution d’une chose si nécessaire. Pour l’âme, elle a un autre besoin. Si elle était simple, elle pourrait recevoir toujours une force sensible, et en bien user. Mais depuis qu’elle est malade de l’amour d’elle-même, elle a besoin que D[ieu] lui cache sa force, son accroissement, et ses bons désirs. Si elle les voit, du moins ce n’est qu’à demi, et d’une manière si confuse qu’elle ne peut s’en assurer. Encore ne laisse-t-elle pas de regarder ces dons avec une vaine complaisance, malgré une incertitude si humiliante. Que ne ferait-elle point, si elle voyait clairement la grâce qui l’inspire, et sa fidèle correspondance? D[ieu] fait donc deux choses pour l’âme au lieu qu’il n’en fait qu’une pour le corps. Il donne au corps la nourriture avec la faim et le plaisir de manger. Tout cela est sensible. Pour l’âme, il donne la faim qui est le désir, et la nourriture. Mais en accordant ses dons il les cache, de peur que l’âme ne s’y complaise vainement: ainsi, dans les temps d’épreuve où il veut nous purifier, il nous soustrait les goûts, les ferveurs sensibles, les désirs ardents et aperçus. Comme l’âme tournait en poison par orgueil toute force sensible, D[ieu] la réduit à ne sentir que dégoût, langueur, faiblesse, tentation. Ce n’est pas qu’elle ne reçoive toujours les secours réels. Elle est avertie, excitée, soutenue pour persévérer dans la vertu. Mais il lui est utile de n’en avoir point le goût sensible, qui est très différent du fond de la chose. L’oraison est très différente du plaisir sensible qui accompagne souvent l’oraison. Le médecin fait quelquefois manger un malade sans appétit. Il n’a aucun plaisir à manger, et ne laisse pas de digérer et de se nourrir. Sainte Thérèse remarquait que beaucoup d’âmes quittaient par découragement l’oraison dès que le goût sensible cessait, et que c’était quitter l’oraison, quand elle commence à se perfectionner. La vraie oraison n’est ni dans le sens, ni dans l’imagination. Elle est dans l’esprit et dans la volonté. On peut se tromper beaucoup en parlant de plaisir et de délectation. Il y a un plaisir indélibéré et sensible qui prévient la volonté, et qui est indélibéré. Celui-là peut être séparé d’une très véritable oraison. Il y a le plaisir délibéré qui n’est autre chose que la volonté délibérée même. Cette délectation qui est notre vouloir délibéré est celle que le Psalmiste commande, et à laquelle il promet une récompense: Delectare in Domino, et dabit tibi petitiones cordis tui. Cette délectation est inséparable de l’oraison en tout état, parce qu’elle est l’oraison même. Mais cette délectation qui n’est qu’un simple vouloir n’est pas toujours accompagnée de l’autre délectation prévenante et indélibérée qui est sensible. La première peut être très réelle et ne donner aucun goût consolant. C’est ainsi que les âmes les plus rigoureusement éprouvées peuvent conserver la délectation de pure volonté, c’est-à-dire le vouloir ou l’amour tout nu, dans une oraison très sèche, sans conserver le goût et le plaisir de faire oraison. Autrement il faudrait dire qu’on ne se perfectionne dans les voies de D[ieu] qu’autant qu’on sent augmenter le plaisir des vertus, et que toutes les âmes privées du plaisir sensible par les épreuves, ont perdu l’amour de D[ieu] et sont dans l’illusion. Ce serait renverser toute la conduite des âmes, et réduire toute la piété au plaisir de l’imagination. C’est ce qui nous mènerait au fanatisme le plus dangereux. Chacun se jugerait soi-même pour son degré de perfection par son degré de goût et de plaisir. C’est ce que font souvent bien des âmes sans y prendre garde. Elles ne cherchent que le goût et le plaisir dans l’oraison. Elles sont toutes dans le sentiment. Elles ne prennent pour réel que ce qu’elles goûtent et imaginent. Elles deviennent en quelque manière enthousiastes. Sont-elles en ferveur? elles entreprennent et décident tout. Rien ne les arrête, nulle autorité ne les modère. La ferveur sensible tarit-elle? aussitôt ces âmes se découragent, se relâchent, se dissipent et reculent. …

1034. À DOM FR. LAMY. À C[ambrai] 11 février 1705.

J’ai reçu avec joie, mon Révérend Père, la nouvelle de votre guérison. Je ne vous dirai pas à quel point j’ai été en peine pour vous. Ne vous fiez pas trop à ce petit retour de santé. Vous avez usé vos forces par une vie austère, et par de longs travaux. L’application vous épuise et vous mine. Au nom de Dieu ménagez-vous, et faites-le avec simplicité dans un besoin si évident. Vous qui parlez aux autres avec tant d’amitié, laissez vous dire ce que vous leur avez dit. J’espère que vous verrez bientôt beaucoup de choses éclaircies. Tout est réduit maintenant à la notoriété humaine, dont on veut faire l’unique fondement de toute la certitude des symboles et des canons. Mais on verra s’il plaît à Dieu, que c’est la chimère la plus insoutenable et la plus dangereuse, à laquelle on puisse réduire cette controverse. Je ne m’étonne point qu’on parle ainsi, ni qu’on le fasse d’un ton si décisif. On n’a plus que cette notoriété [pour faire) illusion, et ce ton affirmatif pour se soutenir. Priez pour moi, mon Révérend Père, et aimez toujours l’homme du monde qui vous aime et qui vous révère le plus.

1132. LSP 7. À DOM FR. LAMY. À C[ambrai] 25 mars 1707.

Je ne veux point, mon Révérend Père, former aucun sentiment sur la sincérité de la personne que vous avez examinée, ni me mêler de juger des choses qu’elle prétend éprouver. Vous pouvez bien mieux en juger après avoir observé de près le détail, que ceux qui comme moi n’ont rien vu ni suivi. En général je craindrais fort que la lecture des choses extraordinaires n’eût fait trop d’impression sur une imagination faible. D’ailleurs l’amour-propre se flatte aisément d’être dans les états qu’on a admirés dans les livres. Il me semble que le seul parti à prendre est de conduire cette personne, comme si on ne faisait attention à aucune de ces choses, et de l’obliger à ne s’y arrêter jamais elle-même volontairement. C’est le vrai moyen de découvrir si l’amour-propre ne l’attache point à ces prétendues grâces. Rien ne pique tant l’amour-propre, et ne découvre mieux l’illusion, qu’une direction simple, qui compte pour rien ces merveilles, et qui assujettit la personne en qui elles sont, de faire comme si elle ne les avait pas. Jusqu’à ce qu’on ait fait cette épreuve, on ne doit pas croire, ce me semble, qu’on ait éprouvé la personne, ni qu’on se croit précautionné contre l’illusion. En l’obligeant à ne s’arrêter jamais volontairement à ces choses extraordinaires, on ne fera que suivre la règle du bienheureux Jean de la Croix, qui est expliquée à fond dans ses ouvrages : On outrepasse toujours, dit-il, ces lumières, et on demeure dans l’obscurité de la foi nue. Cette obscurité et ce détachement n’empêchent pas que les impressions de grâce et de lumière ne se fassent dans l’âme, supposé que ces dons soient réels, et s’ils ne le sont pas, cette foi qui ne s’arrête à rien garantit l’âme de l’illusion. De plus, cette conduite ne gêne point une âme pour les véritables attraits de Dieu, car on ne s’y oppose point. Elle ne pourrait que contrister l’amour-propre, qui voudrait tirer une secrète complaisance de ces états extraordinaires, et c’est précisément ce qu’il importe de retrancher. Enfin, quand même ces choses seraient certainement réelles et excellentes, il serait capital d’en détacher une âme, et de l’accoutumer à une vie de pure foi. Quelque excellence qu’il puisse y avoir dans ces dons, le détachement de ces dons est encore plus excellent qu’eux; adhuc excellentiorem viam vobis demonstem. C’est la voie de foi et d’amour, sans s’attacher ni à voir, ni à sentir, ni à goûter, mais à obéir au bien-aimé. Cette voie est simple, droite, abrégée, exempte des pièges de l’orgueil. Cette simplicité et cette nudité font qu’on ne prend point autre chose pour Dieu, ne s’arrêtant à rien’. Si vous n’agissez que par cet esprit de foi, que vous devez inspirer à la personne, Dieu vous fera trouver ce qui lui convient pour être secourue dans sa voie, ou du moins ce qui vous conviendra pour n’être point trompé. Ne suivez point vos raisonnements naturels, mais l’esprit de grâce, et les conseils des saints expérimentés, comme le bienh. Jean] de la C[roix], qui sont très opposés à l’illusion. Dieu sait à quel point je suis, mon R[évérend] P[ère], tout à vous à jamais en lui. 347

1219. À DOM FRANÇOIS LAMY. [juillet 1708].

… 2° Plus les âmes sont fidèles à D[ieu], plus on voit que Dieu les éprouve, et qu’elles augmentent en humilité. Plus une âme est humble, moins elle est contente de «l’amour» qu’elle a pour Dieu et du «service» qu’elle lui rend. Plus une âme est éprouvée, plus elle est, pendant le trouble de la tentation, dans un obscurcissement, où elle ne trouve plus en elle ni vertu, ni amour, ni service de Dieu. En cet état si elle ne tenait à l’amour de D[ieu] et à son service qu’autant qu’elle compterait sur sa prédestination, elle courrait grand risque de se « départir du service et de l’amour» de Dieu. Ce qui la soutient le plus dans l’extrémité de l’épreuve est de dire comme vous: « De quelque manière que Dieu ait décidé de mon sort, [...] je ne veux pour rien du monde me départir de son service et de son amour. » Voilà dans la pratique ce qui calme l’orage. Voilà ce qui n’introduit nullement le désespoir, mais qui au contraire en dissipe la tentation. Voilà ce qui nourrit une secrète et intime espérance, qui est alors toute concentrée au fond du cœur. Voilà le sentiment d’une âme prédestinée. C’est là qu’on impose silence au tentateur. On ne s’écoute plus soi-même. On n’écoute plus que l’amour, et on aime de plus en plus. Voilà ce qui fait passer du trouble de l’épreuve à la paix la plus simple, où une âme dit : « Le bien-aimé est à moi, et je suis à lui »; ce qui renferme sans doute la pleine confiance de l’épouse, et la plus haute espérance de le posséder à jamais. Alors une âme ne veut plus de D[ieu] que D[ieu] seul. « De Deo Deum sperare », dit S. Aug[ustin].

3° Cette paix, qui est un petit commencement de celle des saints de la Jérusalem d’en haut, ne s’acquiert point par des raisonnements philosophiques sur la prescience de D[ieu], sur l’ordre de ses décrets, sur la nature de ses secours intérieurs, sur les divers systèmes des écoles touchant la grâce. S. Paul nous apprend que « comme le monde n’a point connu Dieu dans sa sagesse, par la sagesse qui est en eux, il a plu à Dieu de sauver les fidèles par la folie de la prédication ». Notre mal ne consiste que dans notre passion pour raisonner. C’est notre sagesse intempérante et éloignée de toute sobriété, laquelle nous travaille, comme une fièvre ardente qui met en délire. C’est la vaine curiosité d’un esprit qui veut toujours tenter l’impossible, et qui ne peut ni sortir de son ignorance ni la supporter humblement en paix. C’est ce mésaise et cette rêverie de malade, que nous n’avons point honte d’appeler une noble recherche de la vérité. Voulons-nous comprendre les jugements incompréhensibles? Espérons-nous de pénétrer les voies impénétrables? L’homme prétend, à force de raisonner, se guérir d’un mal qui est l’intempérie du raisonnement même: c’est en arrêtant notre raisonnement téméraire que nous guérirons notre raison. « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie cette sagesse» vaine et inquiète? La sagesse qui n’est point folle est celle qui ne présume point d’être sage, et qui est contente de s’abandonner au conseil de Dieu sur toutes les vérités auxquelles elle ne peut atteindre. O qu’il y a de consolation à savoir qu’en ce genre on ne sait, et on ne peut rien savoir! O qu’on est bien, quand on demeure les yeux fermés dans les bras de Dieu, en s’attachant à lui sans mesure ! O la merveilleuse science que celle de l’amour qui ne voit et qui ne veut voir que la bonté infinie de D[ieu] avec notre infinie impuissance et indignité! La paix se trouve non dans un éclaircissement qui est impossible en cette vie, mais dans une amoureuse acceptation des ténèbres et de l’incertitude, où il faut achever d’aimer et de servir Dieu ici-bas, sans savoir s’il nous jugera dignes de sa miséricorde éternelle. La paix se trouve, non en se troublant, en s’inquiétant, et en se tentant soi-même de désespoir, mais en aimant Dieu et en méritant par là son amour. La paix se trouve, non dans une philosophie sèche, vaine, discoureuse, qui court sans cesse après une ombre fugitive, et qui veut à contretemps se donner des sûretés où il n’y en a aucune, mais dans un amour de préférence de Dieu à nous, et dans une confiance en sa bonté qui répond sans subtilité à toutes les tentations les plus subtiles dans la pratique. La paix se trouve, non dans les raisonnements abstraits, mais dans l’oraison simple, non dans les recherches spéculatives, mais dans les vertus réelles et journalières, non en s’écoutant, mais en se faisant taire, non en se flattant de pénétrer le conseil de Dieu, mais en se contentant de ne le pénétrer jamais, et en se bornant à aimer malgré l’incertitude de notre béatitude, qu’on ne cesse jamais d’espérer.

Je suis de plus en plus, mon Révérend Père, tout à vous avec tendresse et vénération.

766. À DOM FRANÇOIS LAMY. À Tournay 26 octobre 1701.

… D[ieu] fait donc deux choses pour l’âme au lieu qu’il n’en fait qu’une pour le corps. Il donne au corps la nourriture avec la faim et le plaisir de manger. Tout cela est sensible. Pour l’âme, il donne la faim qui est le désir, et la nourriture. Mais en accordant ses dons il les cache, de peur que l’âme ne s’y complaise vainement : ainsi, dans les temps d’épreuve où il veut nous purifier, il nous soustrait les goûts, les ferveurs sensibles, les désirs ardents et aperçus. Comme l’âme tournait en poison par orgueil toute force sensible, D[ieu] la réduit à ne sentir que dégoût, langueur, faiblesse, tentation. Ce n’est pas qu’elle ne reçoive toujours les secours réels. Elle est avertie, excitée, soutenue pour persévérer dans la vertu. Mais il lui est utile de n’en avoir point le goût sensible, qui est très différent du fond de la chose. L’oraison est très différente du plaisir sensible qui accompagne souvent l’oraison. Le médecin, fait quelquefois manger un malade sans appétit. Il n’a aucun plaisir à manger, et ne laisse pas de digérer et de se nourrir. Sainte Thérèse remarquait que beaucoup d’âmes quittaient par découragement l’oraison dès que le goût sensible cessait, et que c’était quitter l’oraison, quand elle commence à se perfectionner. La vraie oraison n’est ni dans le sens, ni dans l’imagination. Elle est dans l’esprit et dans la volonté. On peut se tromper beaucoup en parlant de plaisir et de délectation. Il y a un plaisir indélibéré et sensible qui prévient la volonté, et qui est indélibéré. Celui-là peut être séparé d’une très véritable oraison. Il y a le plaisir délibéré qui n’est autre chose que la volonté délibérée même. Cette délectation qui est notre vouloir délibéré est celle que le Psalmiste commande, et à laquelle il promet une récompense: Delectare in Domino, et dabit tibi petitiones cordis tuis. Cette délectation est inséparable de l’oraison en tout état, parce qu’elle est l’oraison même. Mais cette délectation qui n’est qu’un simple vouloir n’est pas toujours accompagnée de l’autre délectation prévenante et indélibérée qui est sensible. La première peut être très réelle et ne donner aucun goût consolant. C’est ainsi que les âmes les plus rigoureusement éprouvées peuvent conserver la délectation de pure volonté, c’est-à-dire le vouloir ou l’amour tout nu, dans une oraison très sèche, sans conserver le goût et le plaisir de faire oraison. Autrement il faudrait dire qu’on ne se perfectionne dans les voies de D[ieu] qu’autant qu’on sent augmenter le plaisir des vertus, et que toutes les âmes privées du plaisir sensible par les épreuves, ont perdu l’amour de D[ieu] et sont dans l’illusion. Ce serait renverser toute la conduite des âmes, et réduire toute la piété au plaisir de l’imagination. C’est ce qui nous mènerait au fanatisme le plus dangereux. Chacun se jugerait soi-même pour son degré de perfection par son degré de goût et de plaisir. C’est ce que font souvent bien des âmes sans y prendre garde. Elles ne cherchent que le goût et le plaisir dans l’oraison. Elles sont toutes dans le sentiment. Elles ne prennent pour réel que ce qu’elles goûtent et imaginent. […]

Cessons de raisonner en philosophes sur la cause, et arrêtons-nous simplement à l’effet. Comptons que nous ne devons jamais tant faire oraison, que quand le plaisir de faire oraison nous échappe. C’est le temps de l’épreuve et de la tentation, et par conséquent celui du recours à D[ieu] et de l’oraison la plus intime. D’un autre côté, il faut recevoir simplement les ferveurs sensibles d’oraison, puisqu’elles sont données pour nourrir, pour consoler, pour fortifier l’âme. Mais ne comptons point sur ces douceurs où l’imagination se mêle souvent et nous flatte. Suivons J[ésus]-C[hrist] à la croix comme S. Jean. C’est ce qui ne nous trompera point. S. Pierre fut dans une espèce d’illusion sur le Tabor. […]

F. A. D. C.

1132. À DOM FR. LAMY. [À Cambrai] 25 mars 1707.

… En général je craindrais fort que la lecture des choses extraordinaires n’eût fait trop d’impression sur une imagination faible. D’ailleurs l’amour-propre se flatte aisément d’être dans les états qu’on a admirés dans les livres. Il me semble que le seul parti à prendre est de conduire cette personne, comme si on ne faisait attention à aucune de ces choses, et de l’obliger à ne s’y arrêter jamais elle-même volontairement. C’est le vrai moyen de découvrir si l’amour-propre ne l’attache point à ces prétendues grâces. Rien ne pique tant l’amour-propre, et ne découvre mieux l’illusion, qu’une direction simple, qui compte pour rien ces merveilles, et qui assujettit la personne en qui elles sont, de faire comme si elle ne les avait pas. Jusqu’à ce qu’on ait fait cette épreuve, on ne doit pas croire, ce me semble, qu’on ait éprouvé la personne, ni qu’on se croit précautionné contre l’illusion. En l’obligeant à ne s’arrêter jamais volontairement à ces choses extraordinaires, on ne fera que suivre la règle du bienheureux Jean de la Croix, qui est expliquée à fond dans ses ouvrages. On outrepasse toujours, dit-il, ces lumières, et on demeure dans l’obscurité de la foi nue. Cette obscurité et ce détachement n’empêchent pas que les impressions de grâce et de lumière ne se fassent dans l’âme, supposé que ces dons soient réels, et s’ils ne le sont pas, cette foi qui ne s’arrête à rien garantit l’âme de l’illusion. […]. C’est la voie de foi et d’amour, sans s’attacher ni à voir, ni à sentir, ni à goûter, mais à obéir au bien-aimé. Cette voie est simple, droite, abrégée, exempte des pièges de l’orgueil. Cette simplicité et cette nudité font qu’on ne prend point autre chose pour Dieu, ne s’arrêtant à rien. Si vous n’agissez que par cet esprit de foi, que vous devez inspirer à la personne, Dieu vous fera trouver ce qui lui convient pour être secourue dans sa voie, ou du moins ce qui vous conviendra pour n’être point trompé. Ne suivez point vos raisonnements naturels, mais l’esprit de grâce, et les conseils des saints expérimentés, comme le bienh. J[ean] de la C[roix], qui sont très opposés à l’illusion. Dieu sait à quel point je suis, mon R[évérend] P[ère], tout à vous à jamais en lui.

1189. À DOM FRANÇOIS LAMY. À Cambray, 4 janvier 1708.

… Je n’ai point lu l’ouvrage dont vous me parlez, et ce que vous m’en dites ne me donne aucune envie de le lire. Je ne suis pas surpris de ce que vous trouvez que l’auteur n’a aucune expérience de la vie intérieure et de l’oraison. En tout art et en toute science où il s’agit de la pratique, ceux qui n’ont qu’une pure spéculation ne sauraient bien écrire. Laissez dire ceux qui raisonnent sur la prière au lieu de prier, et contentez-vous de ce que Dieu vous donne. …

FR. AR. D. DE CAMBRAY.

1217. À DOM FRANÇOIS LAMY. À C[ambrai] 22 juin 1708.

… Notre ami348 me paraît penser sérieusement à être homme, c’est-à-dire dépendant de l’esprit de grâce. Encore une fois priez bien pour lui. Il a des pièges infinis à craindre. Ceux d’une très vive jeunesse et de l’ambition sont grands pour un homme qui a de l’appui, du talent, et des manières très agréables: mais je crains encore plus la science qui enfle, je crains la sagesse renfermée au dedans de soi-même et qui se sait bon gré de faire mieux que les autres. Je crains qu’il ne se craigne pas assez lui-même. Jamais liaison n’a été faite plus promptement que la nôtre. Je l’ai aimé dès que je l’ai vu. Il a été accoutumé à nous dès le premier jour, et toute la maison le voit avec complaisance. Mais rien n’est tant à craindre que l’amour-propre flatté par tout ce qu’il y a de plus subtil et de plus séduisant. Je le verrai partir à regret, et je ne l’oublierai pas devant Dieu pendant ses voyages. Faites de même, mon cher Père, et en vous souvenant de lui ne m’oubliez pas.

1297. À DOM FRANÇOIS LAMY. [À Cambrai] 21 avril 1709.

J’étais, mon Révérend Père, dans une grande alarme pour votre vie; mais M. l’abbé de La Parisière m’a consolé, en m’apprenant votre heureuse résurrection. Je ne suis pourtant pas hors d’inquiétude, car je crains votre tempérament usé, vos infirmités habituelles, et votre négligence pour vous conserver. Au reste, je remercie Dieu de la profonde paix où cet abbé m’a mandé que vous étiez aux portes de la mort. Vous voyez par cette expérience qu’il n’y a qu’à s’abandonner à Dieu. Il mesure les tentations, et les proportionne aux forces qui nous viennent de lui en chaque moment. Sa providence est encore plus merveilleuse et plus aimable dans l’intérieur que dans l’extérieur. Le raisonnement dans les choses qui sont au-dessus de la raison ne fait que nous agiter. Soyons fidèles à Dieu. Humilions-nous dans les moindres fautes que sa lumière nous découvre, et demeurons en paix par l’amour. Je prie tous les jours pour vous, et je ne crois pas que personne puisse avoir pour votre personne plus de tendresse et de vénération que j’en ai.

FR. AR. DUC DE CAMBRAY.

1405  À DOM FRANÇOIS LAMY. 2 octobre 1710.

… Il est vrai que vous ne sauriez comprendre aucune liaison entre votre sirop et votre oraison. Mais que savons-nous s’il y a quelque liaison réelle entre ces deux choses, qui n’ont, ce semble, aucun rapport? Il n’y a qu’à ne chercher point ce rapport, qu’à ne juger de rien, et qu’à demeurer simplement dans les ténèbres de la foi. Je n’ai aucune lumière ni sentiment extraordinaire. Mais s’il m’en venait, je ne voudrais dans le doute ni les rejeter par une sagesse incrédule, ni y acquiescer par un goût de ces sortes de grâces apparentes, qui peuvent flatter l’amour-propre, et exposer à l’illusion. Je voudrais selon la règle du bienheureux Jean de la Croix outrepasser tout, sans en juger, et demeurer dans l’obscurité de la pure foi, me contentant de croire sans voir, d’aimer sans sentir, si D[ieu] le veut, et d’obéir sans écouter mon amour-propre. L’obscurité de la foi et l’obéissance à l’Évangile ne nous égareront jamais. Or l’oraison que D[ieu] vous fait éprouver est très conforme à l’Évangile. D’où je conclus que vous ferez très bien de la continuer tant qu’elle pourra durer, et de rentrer paisiblement dans votre nudité, dès que Dieu] vous ôtera cette oraison. …

Lettre au P. Lami sur la grâce et la prédestination

quand j’entre dans un lieu où il y a un concert de musique , il ne dépend nullement de moi de n’avoir point du plaisir; il faut ou que je sorte, ou que je bouche mes oreilles pour m’en priver ; mais, dans ce premier moment de surprise, ce plaisir est en moi aussi indélibéré que la chute d’une pierre […] Il en est de même du plaisir indélibéré de la plus sublime contemplation. Il est en lui- même entièrement passif , et imprimé en nous , sans nous: non seulement il n’a , selon la supposition , rien de délibéré, mais encore rien de volontaire dans sa nature349.


Relevé de correspondance

Lettres adressées à DOM FRANÇOIS LAMY:

1695, 29 janvier.

1696, 27 avril,

1697, 3 janvier, 22 février, 7 avril,

1698, 18 mai, 3 décembre,

1699, 29 mars,

1700, 4 février, 14 novembre, 13 décembre,

1701, 23 janvier, 26 octobre, 3 février, novembre-décembre, 19 décembre,

1702, 3 mars,

1703, de dom Lamy : 2 septembre,

1704, de dom Lamy  le 19 mai, de F. le 22 mai, de dom Lamy  les 2 juin, 10 juillet, 16 août, de F. les 23 août, 17 décembre,

1705, 11 février, 25 mai, 27 octobre, de dom Lamy : 21 février, 12 juin,

1706, 4 mai, 31 mai, de dom Lamy : 16 juillet,

1707, 28 novembre, de dom Lamy : 25 mars, 15 novembre,

1708, 4 janvier, 4 et 5 mars, 3 mai, 22 juin, juillet, 8 et 17 et 28 août, de dom Lamy en août et après août, de F. les 30 novembre, 18 décembre, en décembre (?),

1709, 18 janvier, de dom Lamy avant le 8 mars, de F. les 8 mars, 21 avril, 26 novembre,

1710, 13 janvier, de dom Lamy le 12 mars , de F. les 4 août, 2 octobre, 20 décembre,

1711, 21 janvier à BISSY avant le 21 janvier.

Il s’agit d’un abondant dialogue poursuivi tous les ans pendant 16 ans entre deux têtes solides, F. étant attentif envers son ami en particulier à la fin de sa vie :13 lettres de dom Lamy auxquelles répondnt 45 lettres de Fénelon ;


Duc (1656-1712) puis duchesse (-1752) de Chevreuse

Voici des extraits de la correspondance avec le Duc de Chevreuse 350, ami très cher de Fénelon et le confident de Madame Guyon dont il fut son secrétaire pendant les “années de Combat” 351 :

433. À UN AMI [CHEVREUSE OU BEAUVILLIER]. 3 Août 1697.

Je ne veux que deux choses qui composent ma doctrine. La première, c’est que la charité est un amour de Dieu par lui-même, indépendamment du motif de la béatitude qu’on trouve en lui. La seconde est que dans la vie des âmes les plus parfaites, c’est la charité qui prévient toutes les autres vertus, qui les anime et qui en commande les actes pour les rapporter à sa fin, en sorte que le juste de cet état exerce alors d’ordinaire l’espérance et toutes les autres vertus avec tout le désintéressement de la charité même qui en commande l’exercice. […]

La perfection est devenue suspecte : il n’en fallait pas moins pour en éloigner les chrétiens lâches et pleins d’eux-mêmes. L’amour désintéressé paraît une source d’illusion et d’impiété abominable. On accoutume les chrétiens, sous prétexte de sûreté et de précaution, à ne chercher Dieu que par le motif de leur béatitude, et par intérêt pour eux-mêmes: on défend aux âmes les plus avancées de servir Dieu par le pur motif, par lequel on avait jusqu’ici souhaité que les pécheurs revinssent de leur égarement, je veux dire la bonté de Dieu infiniment aimable.352

626. AU DUC DE CHEVREUSE. 31 août 1699.

…Vous avez l’esprit trop occupé de choses extérieures, et plus encore de raisonnements, pour pouvoir agir avec une fréquente présence de Dieu. Je crains toujours beaucoup votre pente excessive à raisonner. Elle est un grand obstacle à ce recueillement et à ce silence où Dieu se communique. Soyons simples, humbles, et sincèrement détachés avec les hommes. Soyons recueillis, calmes, et point raisonneurs avec Dieu. Les gens que vous avez le plus écoutés autrefois353 sont infiniment secs, raisonneurs, critiques, et opposés à la vraie vie intérieure. Si peu que vous les écoutassiez, vous écouteriez aussi un raisonnement sans fin, et une curiosité dangereuse, qui vous mettrait insensiblement hors de votre grâce, pour vous rejeter dans le fond de votre naturel. Les longues habitudes se réveillent bientôt, et les changements qui se font pour rentrer dans son naturel, étant conformes au fond de l’homme, se font beaucoup moins sentir que les autres. Défiez-vous-en, mon bon [duc], et prenez garde aux commencements qui entraînent tout.

Je vous parle avec une liberté sans mesure, parce que votre lettre m’y engage et que je connais votre bon cœur, et que rien ne peut retenir mon zèle pour vous. Je donnerais ma vie pour votre véritable avancement selon Dieu. Si nous avions pu nous voir, je vous aurais dit bien des choses. Je suis dans une paix sèche et amère, où ma santé augmente avec le travail354. Prions les uns pour les autres : demeurons infiniment unis en celui qui est notre centre commun. Je salue avec zèle et respect la bonne [duchesse] : je serai dévoué et à vous, mon bon [duc], et à elle jusqu’au dernier soupir. …

627. AU DUC DE CHEVREUSE [Après le 14 septembre 1699] 355.

… La misère espagnole surpasse toute imagination. Les places frontières n’ont ni canons ni affûts ; les brèches d’Ath356 ne sont pas encore réparées; tous les remparts sous lesquels on avait essayé mal à propos de creuser des souterrains, en soutenant la terre par des étaies, sont enfoncés, et on ne songe pas même qu’il soit question de les relever. Les soldats sont tout nus, et mendient sans cesse; ils n’ont qu’une poignée de ces gueux; la cavalerie entière n’a pas un seul cheval. M. l’Electeur357 voit toutes ces choses; il s’en console avec ses maîtresses, il passe les jours à la chasse, il joue de la flûte, il achète des tableaux, il s’endette, il ruine son pays, et ne fait aucun bien à celui où il est transplanté ; il ne paraît pas même songer aux ennemis qui peuvent le surprendre. …

633. AU DUC DE CHEVREUSE [vers le 4 novembre 1699].

… Il y a quatre mois que je n’ai eu aucun loisir d’étudier; mais je suis bien aise de me passer d’étude, et de ne tenir à rien, dès que la Providence me secoue. Peut-être que, cet hiver, je pourrai me remettre dans mon cabinet; et alors je n’y entrerai que pour y demeurer un pied en l’air, prêt à en sortir au moindre signal. Il faut faire jeûner l’esprit comme le corps. Je n’ai aucune envie ni d’écrire, ni de parler, ni de faire parler de moi, ni de raisonner, ni de persuader personne. Je vis au jour la journée, assez sèchement et avec diverses sujétions extérieures qui m’importunent, mais je m’amuse dès que je le puis et que j’ai besoin de me délasser. Ceux qui font des almanachs sur moi, et qui me craignent, sont de grandes dupes. Dieu les bénisse ! Je suis si loin d’eux, qu’il faudrait que je fusse fou pour vouloir m’incommoder en les incommodant. Je leur dirais volontiers comme Abraham à Lot: Toute la terre est devant nous. Si vous allez à l’orient, je m’en irai à l’occident358.

Heureux qui est véritablement délivré ! Il n’y a que le Fils de Dieu qui délivre: mais il ne délivre qu’en rompant tout lien: et comment les rompt-il? C’est par ce glaive qui sépare l’époux et l’épouse, le père et le fils, le frère et la sœur. Alors le monde n’est plus rien; mais tandis qu’il est encore quelque chose, la liberté n’est qu’en parole, et on est pris comme un oiseau qu’un filet tient par le pied. Il paraît libre, le fil ne se voit point; il s’envole, mais il ne peut voler au-delà de la longueur de son filet, et il est captif. Vous entendez la parabole. Ce que je vous souhaite est meilleur que tout ce que vous pourriez craindre de perdre. Soyez fidèle dans ce que vous connaissez, pour mériter de connaître encore davantage. Défiez-vous de votre esprit, qui vous a souvent trompé. Le mien m’a tant trompé, que je ne dois plus compter sur lui. Soyez simple, et ferme dans votre simplicité. …

639. Au DUC DE CHEVREUSE. 30 décembre 1699.

… Écoutez un peu moins vos pensées, pour vous mettre en état d’écouter Dieu plus souvent.

J’ose vous promettre, mon bon cher [duc], que, si vous êtes fidèle là-dessus à la lumière intérieure dans chaque occasion, vous serez bientôt soulagé pour tous vos devoirs, plus propre à contenter le prochain, et en même temps beaucoup plus dans la voie de votre vocation. Ce n’est pas le tout que d’aimer les bons livres, il faut être un bon livre vivant. Il faut que votre intérieur soit la réalité de ce que les livres enseignent. Les saints ont eu plus d’embarras et de croix que vous: c’est au milieu de tous ces embarras qu’ils ont conservé et augmenté leur paix, leur simplicité, leur vie de pure foi et d’oraison presque continuelle. N’ayez point, je vous en conjure, de scrupule déplacé. Craignez votre propre esprit qui altère votre voie; mais ne craignez point votre voie qui est simple et droite par elle-même. Je crois sans peine que la multitude des affaires vous dessèche et vous dissipe. Le vrai remède à ce mal est d’accourcir [abréger] chaque affaire, et de ne vous laisser point entraîner par un détail d’occupations où votre esprit agit trop selon sa pente d’exactitude, parce qu’insensiblement, faute de nourriture, votre grâce pour l’intérieur pourrait tarir : Renovamini spiritu mentis vestrae359. Faites comme les gens sages qui aperçoivent que leur dépense va trop loin; ils retranchent courageusement sur tous les articles de peur de se ruiner. Réservez-vous des temps de nourriture intérieure qui soient des sources de grâces pour les autres temps, et dans les temps mêmes d’affaires extérieures, agissez en paix avec cet esprit de brièveté qui vous fera mourir à vous-même. De plus, il faudrait, mon bon [duc], nourrir l’esprit de simplicité qui vous fait encore aimer et goûter les bons livres. Il faudrait donc en lire, à moins que l’oraison ne prît la place: et même vous pourriez sans peine accorder ces deux choses; car vous commenceriez la lecture toutes les fois que vous ne seriez point attiré à l’oraison; et vous feriez céder la lecture à l’oraison, toutes les fois que l’oraison vous donnerait quelque attrait pour elle. Enfin il faudrait un peu d’entretien avec quelqu’un qui eût un vrai fonds de grâce pour l’intérieur. Il ne serait pas nécessaire que ce fût une personne consommée, ni qui eût une supériorité de conduite sur vous. Il suffirait de vous entretenir dans la dernière simplicité avec quelque personne bien éloignée de tout raisonnement et de toute curiosité. Vous lui ouvririez votre cœur pour vous exercer à la simplicité, et pour vous élargir360. Cette personne vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux, et vous dirait vos vérités. Par de tels entretiens, on devient moins haut, moins sec, moins rétréci, plus maniable dans la main de Dieu, plus accoutumé à être repris. Une vérité qu’on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-mêmes. On est moins humilié du fond des vérités, que flatté de savoir se les dire. Ce qui vient d’autrui blesse toujours un peu, et porte un coup de mort. J’avoue qu’il faut bien prendre garde au choix de la personne avec qui on aura cette communication. La plupart vous gêneraient, vous dessécheraient, et boucheraient votre cœur à la véritable grâce de votre état. Je prie Notre Seigneur qu’il vous éclaire là-dessus. Défiez-vous de votre ancienne prévention en faveur des gens qui sont raisonneurs et rigides. C’est, ce me semble, sans passion que je vous parle ainsi. Je vis bien avec eux, et eux bien avec moi en ce pays : mais le vrai intérieur est bien loin de là. …

Nous donnons en note361 la réponse du Duc, un exemple de droiture et simplicité.

642. Au DUC DE CHEVREUSE. 27 janvier 1700

… Votre lettre, mon bon Duc, m’a fait un plaisir que nul terme ne peut exprimer, et ce plaisir m’a fait voir à quel point je vous aime. Il me semble que vous entrez, du moins par conviction, précisément dans ce que Dieu demande de vous, et faute de quoi votre travail serait inutile. Comme vous y entrez, je n’ai rien à répéter du contenu de ma première lettre. Je prie Dieu que vous y entriez moins par réflexion et par raison propre, que par simplicité, petitesse, docilité, et désappropriation de votre lumière. Si vous y entrez, non en vous rendant ces choses propres et en les possédant, mais en vous laissant posséder tout entier par elles, vous verrez le changement qu’elles feront sur le fond de votre naturel et sur toutes les habitudes. Croyez, et vous recevrez selon la mesure de votre foi. […]

Le chapitre le plus difficile à traiter est le choix d’une personne à qui vous puissiez ouvrir votre cœur. Marv[alière]362 ne vous convient pas: le bon Duc [de Beauvillier] n’est pas en état de vous élargir, étant lui-même trop étroit. Je ne vois que la bonne petite D[uchesse]; elle a ses défauts, mais vous pouvez les lui dire, sans vouloir décider. Les avis qu’on donne ne blessent d’ordinaire qu’à cause qu’on les donne comme certainement vrais. Il ne faut ni juger, ni vouloir être cru. Il faut dire ce qu’on pense, non avec autorité, et comptant qu’une personne aura tort si elle ne se laisse corriger, mais simplement pour décharger son cœur, pour n’user point d’une réserve contraire à la simplicité, pour ne manquer pas à une personne qu’on aime, mais sans préférer nos lumières aux siennes, comptant qu’on peut facilement se tromper et se scandaliser mal à propos; enfin étant aussi content de n’être pas cru, si on dit mal, que d’être cru si on dit bien. Quand on donne des avis avec ces dispositions, on les donne doucement, et on les fait aimer. S’ils sont vrais, ils entrent dans le cœur de la personne qui en a besoin, et y portent la grâce avec eux; s’ils ne sont pas vrais, on se désabuse avec plaisir soi-même, et on reconnaît qu’on avait pris, en tout ou en partie, certaines choses extérieures autrement qu’elles ne doivent être prises. La bonne [petite duchesse] est vive, brusque et libre; mais elle est bonne, droite, simple, et ferme contre elle-même, dans l’étendue de ce qu’elle connaît. Je vois même qu’elle s’est beaucoup modérée depuis deux ans ; elle n’est point parfaite, mais personne ne l’est. Attendez-vous que Dieu vous envoie un ange? À tout prendre, elle est, si je ne me trompe, sans comparaison, ce que vous pouvez trouver de meilleur363. Elle a de la lumière; elle vous aime; vous l’aimez; vous vous connaissez; vous pouvez vous voir364; vous lui ferez du bien, et j’espère qu’elle vous le rendra même avec usure. Ne vous rebutez point de ses défauts : les apôtres en avaient. Saint Paul ne voulait pas qu’on méprisât son extérieur, praesentia corporis infirma, quoique cet extérieur n’eût point de proportion avec la gravité de ses lettres. Il faut toujours quelque contrepoids pour rabaisser la personne, et quelque voile pour exercer la foi des spectateurs. Si la bonne [petite duchesse] vous parle trop librement, et si ses avis ne vous conviennent pas, vous pouvez le lui dire simplement : elle s’arrêtera d’abord. Si les avis que vous lui donnerez la blessent, elle vous en avertira de même. Vous ne déciderez rien de par ni d’autre, et chacun pourra, d’un moment à l’autre, borner les ouvertures de cœur. …

856. AU DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai] 7 septembre 1702.

… Vous n’êtes point lent, et on a tort de le croire; au contraire, vous avez l’action et la parole prompte. Mais vous mêlez en chaque chose trop de pensées ou étrangères ou non nécessaires au fait précis. Vous joignez à trop de pensées trop de paroles. Vous craignez trop de n’être pas assez clair et d’omettre quelque tour de persuasion. Les précautions ne finissent point. D’ailleurs, la curiosité de l’esprit, passion ancienne et dominante, qui a jeté secrètement de profondes racines dans votre cœur365, vous prend plus de temps que vous ne croyez. Si je pouvais feuilleter vos livres et papiers, je trouverais peut- être bien des coups de crayon, des oreilles, des notes, etc. qui montreraient combien vous lisez à la dérobée. De plus, votre curiosité n’agit pas seulement dans la lecture. Elle prend sur vous, dans les méditations philosophiques366, dans les conversations raisonnées, avec les gens d’esprit et presque dans tout le cours de la vie. D’ailleurs, vous traitez dogmatiquement les affaires comme les questions de théologie. Requiescite pusillum, disait Jésus-Christ aux apôtres. Vacate et videte quoniam ego sum Deus.367. Cette cessation de l’âme est le plus grand sacrifice. C’est le vrai sabbat. Amusez si vous voulez vos sens et votre imagination à quelque chose qui ne soit pas un piège à l’esprit curieux. Mais suspendez tout ce qui empêche la nourriture et le silence du fond, qui doit laisser faire Dieu. O mon bon cher Duc, je vous aime du vrai amour.

912A.  LE DUC DE CHEVREUSE A FÉNELON. À Dampierre, ce 16e mai 1703.

… Je suis plus content que jamais de la B.P.D. 368. J’y trouve le même esprit de conduite qu’elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond. …

1128. Au DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai], 24 février 1707.

… Je pense souvent à vous avec attendrissement de cœur. J’augmente, ce me semble, en zèle pour Mad. la D. de Chevreuse. Je l’ai trouvée à Chaulnes plus dégagée qu’autrefois. Elle est bonne. Elle sera, comme je l’espère, encore meilleure. Mettez paisiblement l’ordre que vous pourrez à vos affaires, et songez à vous débarrasser. Toute affaire, quelque soin et quelque habileté qu’on y emploie, n’est point bien faite quand on ne la finit point. Il faut couper court pour aller à une fin, et sacrifier beaucoup pour gagner du temps sur une vie si courte. O que je souhaite que vous puissiez respirer après tant de travaux ! En attendant, il faut trouver Dieu en soi malgré tout ce qui nous environne pour nous l’ôter. C’est peu de le voir par l’esprit comme un objet. Il faut l’avoir au-dedans pour principe. Tandis qu’il n’est qu’objet, il est comme hors de nous. Quand il est principe, on le porte au-dedans de soi, et peu à peu il prend toute la place du moi. Le moi, c’est l’amour-propre. L’amour de D[ieu] est Dieu même en nous. Nous ne trouvons plus que D[ieu] seul en nous, quand l’amour de D[ieu] y a pris la place avec toutes les fonctions que l’amour-propre y usurpait. Bon soir, mon bon Duc, ne vous écoutez point, et D[ieu] parlera sans cesse. Sa raison sera mise sur les ruines de la vôtre. Quel profit dans cet échange!

1144 Au DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai] 17 mai 1707.

J’ai attendu, mon bon Duc, tout le plus longtemps que j’ai pu, le passage de M. le vidame. Mais il ne vient point, et je ne puis plus retarder mon départ pour mes visites. Notre P.A. [Langeron] vous dira bien plus que je ne saurais vous écrire. Il vous parlera de tout ce qui regarde la métaphysique et la théologie. Pour la vie intérieure je ne saurais vous recommander que deux points. L’un est d’accourcir tant que vous pourrez toutes vos actions et vos discours au-dehors. L’autre, de jeûner de raisonnement. Quand vous cesserez de raisonner, vous mourrez à vous-même, car la raison est toute votre vie. Or que voulez-vous de plus sûr et de plus parfait que la mort à vous-même? Rien n’est plus opposé à l’illusion de l’amour-propre, que ce qui met la cognée à la racine de l’arbre, et qui fait mourir cet amour. Plus vous raisonnerez, plus vous donnerez d’aliment à cette vie philosophique. Abandonnez-vous donc à la simplicité et à la folie de la croix. Le premier chapitre de la première Ep[ître] aux Cor[inthiens] est fait pour vous. Tâchez de donner une forme à vos affaires, pour vous mettre en repos. Il faut tâcher de calmer la bonne duchesse quand elle s’empresse d’en voir la fin. Mais il faut supporter en paix son impatience et vous en servir comme d’un aiguillon pour vous presser de finir. On gagne en perdant, quand on perd pour abréger. Sed ut sapientes redimentes tempus 369. Si vous venez l’automne à Chaulnes, faites-le-moi savoir de bonne heure, et mandez-moi, avec simplicité, si je pourrai vous aller voir. Dieu sait la joie que j’en aurai ! Aimez toujours, mon bon Duc, celui qui vous est dévoué ad convivendum et commoriendum 370.

1266. Au DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai] 3 décembre 1708.371.

… M. le Duc de Bourgogne n’a point eu, dit-on, pendant la campagne assez d’autorité ni d’expérience pour pouvoir redresser M. de Vendosme. On est même très mécontent de notre jeune prince, parce que, indépendamment des partis pris pour la guerre, à l’égard desquels les fautes énormes ne tombent point sur lui, on prétend qu’il n’a point assez d’application pour aller visiter les postes, pour s’instruire des détails importants, pour consulter en particulier les meilleurs officiers, et pour connaître le mérite de chacun d’eux. Il a passé, dit-on, de grands temps dans des jeux d’enfants avec M. son frère…

… M. de Chamillart, qui me représentait très fortement l’impuissance de soutenir la guerre, disait d’un autre côté qu’on ne pouvait point chercher la paix avec de honteuses conditions. Pour moi je fus tenté de lui dire: ou faites mieux la guerre, ou ne la faites plus. Si vous continuez à la faire ainsi, les conditions de paix seront encore plus honteuses dans un an qu’aujourd’hui. Vous ne pouvez que perdre à attendre.

Si le Roi venait en personne sur la frontière, il serait cent fois plus embarrassé que M. le Duc de Bourgogne. Il verrait qu’on manque de tout, et dans les places en cas de siège, et dans les troupes faute d’argent. Il verrait le découragement de l’armée, le dégoût des officiers, le relâchement de la discipline, le mépris du gouvernement, l’ascendant des ennemis, le soulèvement secret des peuples, et l’irrésolution des généraux, dès qu’il s’agit de hasarder quelque grand coup. Je ne saurais les blâmer de ce qu’ils hésitent dans ces circonstances. Il n’y a aucune principale tête qui réunisse le total des affaires, ni qui ose rien prendre sur soi. En un mot un grand joueur qui perd parce qu’il joue trop mal, ne doit plus jouer. Le branle donné du temps de M. de Louvois est perdu. L’argent et la vigueur du commandement nous manquent. Il n’y a personne qui soit à portée de rétablir ces deux points essentiels. …

LSP 148. *Au DUC DE CHEVREUSE (?)

Pour N....372, ce n’est que faiblesse et dissipation. La guerre l’avait trop dissipé; d’autres tentations l’ont trouvé affaibli par celle-là: mais j’espère que l’expérience de sa faiblesse se tournera à profit. Ayez une patience sans bornes avec lui. Parlez-lui quand Dieu vous donne des paroles, et n’en mêlez jamais aucune des vôtres. Ne le pressez jamais par activité et par sagesse humaine; ne patientez jamais par politique et par méthode. Quand vous lui direz les paroles de Dieu, elles seront pleines d’autorité, et vous serez écouté. On peut parler avec force, et attendre avec patience tout ensemble : sa faiblesse même augmentera votre autorité. Elle doit lui faire sentir combien il a besoin de se défier de lui, et d’être docile. Soyez ferme sur les points essentiels, desquels tous les autres dépendent.

Je l’aime toujours tendrement, et j’espère que Dieu ne lui aura montré le bord du précipice, que pour le guérir de sa dissipation, de son goût pour le monde, et de sa confiance en lui-même ; mais il tomberait enfin bien bas, s’il refusait d’être simple, docile et petit, parmi tant d’expériences de sa fragilité et de sa misère. Quand nous ne nous humilions pas au milieu même de l’humiliation que Dieu nous donne tout exprès pour nous réduire à la petitesse et à la souplesse, nous le forçons malgré lui à frapper des coups encore plus grands, et à nous faire éprouver de plus humiliantes faiblesses. Au contraire, notre petitesse et notre docilité dans la misère apaisent le cœur de Dieu. On peut lui dire avec confiance : vous ne mépriserez point un cœur abattu et écrasé. Dieu s’attendrit, et ne résiste point à cette souplesse des petits.

Parlez donc suivant qu’il vous sera donné une bouche et une sagesse. Tenez l’enfant par la lisière ; ne le laissez pas tomber. Ménagez votre santé, sur laquelle on me met en quelque inquiétude ; reposez-vous et soulagez-vous en tout ce que vous le pourrez. Plus vous prendrez les croix journalières comme le pain quotidien, avec paix et simplicité, moins elles détruiront votre santé faible et délicate ; mais les prévoyances et les réflexions vous tueraient bientôt. Voulez-vous mener tout comme Dieu, qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et douceurs? n’y mêlez rien d’humain, et surtout nulle volonté intéressée pour la réputation de votre famille.

1611. À LA DUCHESSE DE CHEVREUSE.[Après le 20 novembre 1712].

La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire m’a coûté des larmes. La douleur de votre perte se joint à la mienne; mais je crois que nous devons entrer, malgré toute notre amertume, dans le dessein de Dieu. Il a voulu récompenser celui que nous regrettons, et nous détacher. Il a voulu même nous ôter un appui humain pour sa gloire, sur lequel nous comptions trop. Il est jaloux des plus dignes instruments, et il veut que nous n’attendions l’accomplissement de son ouvrage que de lui-même.

Le principal fruit que Dieu vous prépare de cette épreuve, est de vous apprendre, par une expérience sensible, que vous n’étiez point encore détachée, comme vous vous flattiez de l’être. On ne se connaît que dans l’occasion, et l’occasion n’est donnée par la Providence, que pour nous détromper de notre détachement superficiel. Dieu permit l’horrible chute de saint Pierre, pour le désabuser d’une certaine ferveur sensible, et d’un courage très fragile auquel il se confiait vainement. Si vous n’aviez que la croix extérieure, quelque grande et douloureuse qu’elle soit, elle ne vous détromperait point de votre détachement : au contraire, plus la croix est accablante en soi, plus vous vous sauriez bon gré de ne vous en trouver point accablée ; ce serait un prodigieux accroissement de confiance, et par conséquent une très dangereuse illusion. La croix n’opère la petitesse et le sentiment de notre misère, qu’autant que l’intérieur nous paraît vide et obscurci, pendant que le dehors nous ébranle. Il faut voir sa pauvreté au-dedans et la supporter ; alors la pauvreté se tourne en trésor, et on a tout en n’ayant rien.

Unissons-nous de cœur à celui que nous regrettons. Il nous voit, il nous aime, il est touché de nos besoins, il prie pour nous. Il vous dit encore, d’une voix secrète, ce qu’il vous disait si souvent pendant qu’il vivait au milieu de nous: «Ne vivez que de foi ; ne comptez point sur la régularité de vos œuvres ni sur la symétrie de vos vertus ; portez en paix la vue de vos imperfections; abandonnez-vous à la Providence; ne vous écoutez point vous-même, n’écoutez que l’esprit de grâce.» Voilà ce qu’il disait; voilà ce qu’il dit encore à votre cœur. Loin de l’avoir perdu, vous le trouverez plus présent, plus uni à vous, plus secourable pour votre consolation, plus efficace dans ses conseils de perfection, si vous voulez bien changer en société de pure foi la société visible où vous étiez à toute heure avec lui. Pour moi, je trouve un vrai soulagement de cœur d’être très souvent en esprit avec lui.

Ménagez votre santé pour votre famille, qui a grand besoin de vous. Que le courage de la foi vous soutienne. C’est un courage qui n’a rien de haut, et qui ne donne point une force sensible sur laquelle on puisse compter. On ne trouve nulle ressource en soi, et on ne manque de rien dans l’occasion : on est riche de sa pauvreté. Si on fait quelque faute contre son intention, on la tourne à profit par l’humiliation qui en revient. On retombe toujours dans son centre par l’acquiescement à tout ce qui nous dépossède de notre propre cœur. On se livre à Dieu, ne se renfermant plus en soi, et n’osant plus s’y fier. Alors tout devient peu à peu recueillement, silence, dépendance de la grâce pour chaque moment, et vie intérieure en mort perpétuelle. En cet état, on ne possède plus rien de tout ce qu’on voit, et on retrouve en Dieu, avec l’union la plus simple et la plus intime, tout ce qu’on croyait avoir perdu.

1647. À LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. À C[ambray], 20 février 1713.

Je choisis un petit papier, Madame, tout exprès pour m’ôter la tentation d’écrire une trop longue lettre. Il est bien juste de ne vous fatiguer point, pendant que vous souffrez une si longue infirmité. Je me borne à vous supplier instamment d’éviter toute application aux affaires, vous ne parviendrez point à les régler, et elles nuiront très dangereusement au rétablissement de votre santé. Au nom de Dieu, laissez la décision de tout le détail à M. du Cornet, homme habile, dit-on, et très zélé. Renfermez-vous dans les soins nécessaires pour conduire votre maison et pour ne laisser jamais altérer l’union entre les deux branches. Il suffit que M. du Cornet vous rende compte en gros des décisions faites, et des plans formés, autrement votre santé ne se rétablira point, et votre maison perdra infiniment, si elle a le malheur de vous perdre. Pour l’intérieur tout consiste à porter paisiblement vos croix. Le détachement du monde et l’amour de Dieu les adoucissent, mais cet amour, où le puise-t-on ? Dans une oraison simple, paisible, et plus du cœur que de la tête, qui nourrisse, et qui n’épuise point. Supportez vos défauts, tournez-les en source de vraie humilité. Ne vous en impatientez point contre vous-même. Corrigez-vous doucement et sans chagrin. Tournez-vous souvent du côté de Dieu avec familiarité et confiance pour trouver en lui tout ce qui vous manque en vous. Ne comptez ni sur vos goûts ni sur vos sentiments, souvent ce n’est que naturel, et imagination, mais attachez-vous à une bonne et droite volonté, quoique nue et sèche, elle sera d’un grand prix devant Dieu, si elle porte les fruits que Dieu demande. Mais je parle trop, pardon, Madame. Rien n’égale le zèle et le respect avec lequel je vous suis dévoué à jamais. …

1675. À LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. À C[ambrai], 3 [mai] 1713.

Je ne puis, Madame, laisser partir M. Dupuy373 sans vous dire combien je suis souvent occupé de vos peines, et en crainte pour votre santé. Je connais la bonté de votre cœur et la vivacité de vos sentiments. L’embarras de vos affaires ouvre souvent toutes vos plaies. Il n’y a que Dieu seul qui puisse vous calmer. Il veut néanmoins donner la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Il faut donc que tous nos soins et tous nos désirs ne troublent point cette paix intérieure, qui est le don de Dieu. Travaillons, prions, mais possédons nos âmes en patience, et laissons-nous posséder par l’esprit de paix. Encore un peu et tout ce qui nous reste ici-bas autour de nous va s’évanouir. Nous suivrons bientôt ce que nous regrettons. Il ne s’agit que d’en imiter les vertus. Usez de ce monde comme n’en usant pas ; ce n’est qu’une figure qui passe dans le moment où l’on croit en jouir. Elle impose. Elle éblouit dans le pays où vous êtes ; mais elle n’a rien de durable ni de réel. C’est un fantôme. Heureux qui ne s’y attache point. Je souhaite fort que vous ayez établi un ordre dans vos affaires, afin qu’elles aillent un train réglé par la décision d’un bon conseil, sans vous accabler d’un détail continuel. C’est le moyen de vous conserver pour votre maison qui a un besoin infini de votre secours. Jamais personne ne vous sera dévoué, Madame, avec plus de zèle, d’attachement et de respect que. FR. AR. Duc DE CAMBRAY.

Relevé de correspondance

Lettres adressées à Charles-Honoré d’ALBERT, duc de CHEVREUSE , à Marie-Thérèse COLBERT son épouse, de & à M. TRONSON :

1688, 3 octobre,

(À Marie-Thérèse COLBERT, duchesse de CHEVREUSE :) 1690, 20 et 27 juillet, 1691,4 et 7 avril, 1694, 20 septembre,

1696, 8 mars, 24 juillet,

(de & à M. TRONSON :) 17 et 28 janvier, 2 février, 1697, 13 et 14 et 16 et 18 et 20 janvier,

1698, 4 février,

1699, 18 mai, 31 août, après le 14 septembre, vers le 4 novembre, 30 décembre,

1700, 27 janvier,

1701, 24 mars, 16 juin, ler et 18 août, 3 décembre,

1702, 7 septembre, 274-275

(Lettres de CHEVREUSE :) 1700, 11 janvier, 1701, 26 août,

1704, 19 et 28 septembre, 12 octobre,

1705, 13 janvier, début automne, 5 et 12 et 18 novembre, 29 décembre, 1707, 24 février, 17 mai, 24 décembre,

(Lettres de CHEVREUSE :) 1703, 16 mai, 2 juin, 1706, 16 novembre,

1708, 3 décembre,

1709, 24 octobre, 18 et 23 et 24 novembre, 1er et 5 et 19 décembre, 1710, 11 et 16 janvier, 10 et 23 et 24 février, 20 et 25 mars, 7 et 17 et 24 avril, 3 et 4 mai, 24 juin, 3 et 8 juillet, 4 août, 23 octobre, 2-8 novembre,

1711, 5 janvier, 15 février, 16 et 25 et 31 mars, 9 et 20 avril, 12 mai, 9 juin, 6 juillet,

1712, 2 et 11 janvier, 2 et 18 et 27 février, 8 mars, 7 juin, juillet-octobre (?),

(Lettre de CHEVREUSE :) 1712, 24 mars,

(À Marie-Thérèse COLBERT, duchesse de CHEVREUSE :) 1712, 16 novembre, après le 20 novembre, 22 décembre, 1713, 20 février, 3 mai,

Voir aussi des annotations au Tome XVIII.




Comtesse de Montberon (~1646-1720)

Marie Gruyn, née vers 1646, d’origine bourgeoise, fille d’un secrétaire du Roi, épousa en 1667 François de Montbron ou Montberon, officier de mousquetaires (v. sur le comte de Montberon : [CF 9, 258 - CF 13, 248]. Elle eut un fils et une fille. Veuve en 1708 elle mourut en 1720 au couvent de la Madeleine du Traisnel, rue de Charonne. [CF 11, 55].

La comtesse de Montberon bénéficiera d’un grand nombre de lettres provenant du très patient directeur d’une âme scrupuleuse à l’ « esprit délicat et inquiet 374». En voici des extraits choisis 375.

648. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Lundi 22 février [1700]

… Votre piété est un peu trop vive et trop inquiète. Ne vous défiez point de Dieu. Pourvu que vous ne lui manquiez point, il ne vous manquera pas, et il vous donnera les secours nécessaires pour aller à lui. Ou sa providence vous procurera des conseils au-dehors, ou son esprit suppléera au-dedans ce qu’il vous ôtera extérieurement. Croyez en Dieu fidèle dans ses promesses, et il vous donnera selon la mesure de votre foi. Fussiez-vous abandonnée de tous les hommes dans un désert inaccessible, la manne y tomberait du ciel pour vous seule, et les eaux abondantes couleraient des rochers. Ne craignez donc que de manquer à Dieu, et encore ne faut-il pas le craindre jusqu’à se troubler. Supportez-vous vous-même, comme on supporte le prochain, sans le flatter dans ses imperfections. Laissez là toutes vos délicatesses d’esprit et de sentiments. Vous voudriez les avoir avec Dieu comme avec les hommes. Il se glisse dans ces merveilles un raffinement de goût, et un retour subtil sur soi-même. …376.

660. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À Mons 30 avril

… J’ai souvent des distractions et des négligences. Mais je ne change point, surtout pour vous, Madame, et je suis touché de plus en plus du désir de votre sanctification. Je vois avec joie que Dieu vous donne certaines lumières, qui ne viennent point ni de l’esprit, ni de la délicatesse qui vous est naturelle, mais de l’expérience et d’un fonds de grâce. C’est ainsi qu’on commence à penser, quand Dieu ouvre le cœur, et qu’il veut mettre dans la vie intérieure. L’homme qui vous a parlé est bon, sage, pieux, et solide dans ses maximes. Mais il n’a pas l’expérience des choses sur lesquelles vous le consultez, et faute de cette expérience, il vous retarderait, en vous gênant, au lieu de vous aider. Ne quittez point vos sujets d’oraison, ni les livres d’où vous les tirez. Mais quand vous éprouvez un attrait au silence devant Dieu, et que vos lectures ou sujets font ce que vous appelez un bruit qui vous distrait, laissez tomber le livre de vos mains, laissez disparaître votre sujet, et ne craignez point d’écouter Dieu au fond de vous-même en faisant taire tout le reste. Les sujets pris d’abord avec fidélité vous mèneront à ce silence si profond, et ce silence vous nourrira des vérités plus substantiellement que les raisonnements les plus lumineux. …

665. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Jeudi 17 juin.

Vous avez raison, Madame, de croire que dans les moments de recueillement et de paix, dont vous m’avez parlé, on ne peut qu’aimer, et se livrer à la grâce qu’on reçoit. Ce que vous ajoutez a encore un sens très véritable. Vous dites que vous avez cru sentir que notre travail doit cesser, quand Dieu veut bien agir par lui-même. Ce n’est pas qu’on cesse alors de coopérer à la grâce, et de correspondre à ce que Dieu imprime intérieurement, car vous reconnaissez vous-même qu’alors on aime et on se livre à la grâce. L’amour est sans doute le plus parfait exercice de la volonté. Se livrer à la grâce par un choix libre, c’est sans doute y coopérer de la manière la plus réelle, et la plus parfaite. Il n’y a donc point d’oisiveté, ni de cessation d’actes dans ces moments de recueillement et de paix, où vous dites que notre travail doit cesser. Ce sont des moments où D[ieu] veut bien agir par lui-même, c’est-à-dire prévenir l’âme par des impressions plus puissantes, et la tenir en silence, pour écouter ses intimes communications; mais alors elle n’est point sans correspondance. Elle aime, elle se livre à la grâce, c’est-à-dire qu’elle fait les actes les plus simples et les plus paisibles, mais les plus réels, d’amour et de foi pour l’époux qu’elle écoute intérieurement; c’est-à-dire qu’elle acquiesce à tout ce qui est dû à l’époux et à tout ce qu’il demande par sa grâce; c’est-à-dire que l’âme s’enfonce de plus en plus dans l’amour de l’époux, dans la mort à tous les désirs terrestres, et dans toutes les vertus que l’esprit de grâce peut inspirer selon les divers besoins. Ces actes quoique très réels ne paraissent qu’une disposition de l’âme, et ils sont si généraux qu’ils paraissent confus. Mais ils ne laissent pas de contenir dans cette généralité le germe de chaque vertu particulière pour les occasions. Ne craignez donc pas, Madame, de suivre l’attrait intérieur dans ces moments de recueillement et de paix. Ces moments ne remplissent pas toute la vie. Vous en trouverez assez d’autres, où vous pourrez revenir aux règles communes. …

673. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Au Cateau, 26 juillet.

Je suis fort irrégulier, Madame. Mais vous avez besoin de mes irrégularités et de mes sécheresses. En attendant que nos amis deviennent parfaits, il faut tourner à profit pour nous leurs imperfections. […]

Ce que vous sentez est une grande nouveauté pour vous. C’est une vie toute nouvelle et inconnue. On ne se connaît plus, on croit songer les yeux ouverts. Recevez, et ne tenez à rien. Aimez, souffrez, aimez encore. Peu d’attention aux dons, sinon pour louer l’Epoux qui donne. Grande simplicité, docilité, fidélité dans l’usage en chaque moment. L’amour rend libre, en simplifiant, sans dérégler.

Dormez autant que vous pourrez. Votre corps en a besoin, et vous ne devez point y manquer par avarice d’oraison. L’esprit d’oraison fait quitter l’oraison même, pour se conformer aux ordres de la Providence. Pendant que vous dormirez, votre cœur veillera. …

677. À LA COMTESSE DE MONTBERON.  Jeudi 5 août.

… Je ne suis point pressé de ravoir les livres. Ne les lisez que quand vous n’avez rien de meilleur à faire. […] Les paroles propres des saints sont bien autres que les discours de ceux qui ont voulu les dépeindre. Ste Cath[erine de G[ênes] est un prodige d’amour. Le Frère L[aurent] est grossier par nature, et délicat par grâce. Ce mélange est aimable, et montre Dieu en lui. Je l’ai vu, et il y a un endroit du livre, où l’auteur, sans me nommer par mon nom, raconte en deux mots une excellente conversation, que j’eus avec lui sur la mort, pendant qu’il était fort malade, et fort gai.

679. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À C[ambrai], 2 septembre.

Je suis ravi, Madame, non seulement de ce que Dieu fait dans votre cœur, mais encore du commencement de simplicité qu’il vous donne, pour me le confier. […] Dieu veut qu’on soit libre avec lui, quand on ne cherche que lui seul. L’amour est familier. Il ne réserve rien. Il ne ménage rien. Il se montre dans tous ses premiers mouvements au bien-aimé. Quand on a encore des ménagements à son égard, il y a dans le cœur quelque autre amour qui partage, qui retient, qui fait hésiter. On ne retourne tant sur soi, avec inquiétude, qu’à cause qu’on veut garder quelque autre affection, et qu’on borne l’union avec le bien-aimé. Vous qui connaissez tant les délicatesses de l’amitié, ne sentiriez-vous pas les réserves d’une personne pour qui vous n’en auriez aucune et qui mesurerait toujours sa confiance, pour ne la laisser jamais aller au-delà de certaines bornes? Vous ne manqueriez pas de lui dire: Je ne suis point avec vous comme vous êtes avec moi; je ne mesure rien: je sens que vous mesurez tout. Vous ne m’aimez point comme je vous aime, et comme vous devriez m’aimer. Si vous, créature indigne d’être aimée, voudriez une amitié simple et sans réserve, combien l’époux sacré est-il en droit d’être plus jaloux ! Soyez donc fidèle à croître en simplicité. Je ne vous demande point des choses qui vous troublent, ou qui vous gênent. Je suis content pourvu que vous ne résistiez point à l’attrait de simplicité, et que vous laissiez tomber tous les retours inquiets, qui y sont contraires, dès que vous les apercevez.

Suivez librement la pente de votre cœur pour vos lectures, et à l’égard de l’oraison que l’épouse ne soit point éveillée, jusqu’à ce qu’elle s’éveille d’elle-même. […]

Je suis sec et irrégulier. Mais Dieu est bon dans ceux qui ont besoin de bonté pour faire son œuvre, et dont il se sert. Confiez-vous donc à Dieu, et ne regardez que lui seul. C’est le bon ami, dont le cœur sera toujours infiniment meilleur que le vôtre. Défiez-vous de vous-même, et non de lui. Il est jaloux. Mais sa jalousie est un grand amour, et nous devons être jaloux pour lui contre nous, comme il l’est lui-même. Fiez-vous à l’amour. Il ôte tout. Mais il donne tout. Il ne laisse rien dans le cœur que lui, et il ne peut y rien souffrir. Mais il suffit seul pour rassasier, et il est lui seul toutes choses. Pendant qu’on le goûte, on est enivré d’un torrent de volupté, qui n’est pourtant qu’une goutte des biens célestes. L’amour goûté et senti ravit, transporte, absorbe, rend tous les dépouillements indifférents. Mais l’amour insensible, qui se cache pour dénuer l’âme au dedans, la martyrise plus que mille dépouillements extérieurs. Laissez-vous maintenant enivrer dans les celliers de l’Époux.

688. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Dimanche au soir 7 novembre.

On ne peut, Madame, être plus touché que je le suis de ce qui vous regarde. Il m’a paru dans notre conversation que vos scrupules vous ont un peu retardée et desséchée. Ils vous feraient des torts irréparables, si vous les écoutiez. C’est une vraie infidélité. Vous avez la lumière pour les laisser tomber, et si vous y manquez, vous contristerez en vous le S. Esprit. Où est l’esprit de Dieu, là est la liberté.377. Où est la gêne, le trouble, et la servitude, là est l’esprit propre, et un amour excessif de soi. O que le parfait amour est éloigné de ces inquiétudes! On n’aime guère le bien-aimé, quand on est si occupé de ses propres délicatesses! Vos peines ne sont venues que d’infidélité. Si vous n’eussiez point résisté à Dieu, pour vous écouter, vous n’auriez pas tant souffert. Rien ne coûte tant que ces recherches d’un soulagement imaginaire. Comme un hydropique en buvant augmente sa soif, un scrupule en écoutant ses scrupules, les augmente, et le mérite bien378. Le seul remède est de se faire taire, et de se tourner d’abord vers Dieu. C’est l’oraison et non pas la confession qui guérit alors le cœur. Travaillez donc à réparer le temps perdu; car franchement je vous trouve un peu déchue et affaiblie. Mais cet affaiblissement se tournera à profit. Car l’expérience de la privation, de l’épreuve, et de votre faiblesse, portera sa lumière avec elle, et vous empêchera de tenir trop à ce que l’état de paix et d’abondance a de doux et de lumineux. Courage donc. Soyez simple. Vous ne l’êtes pas assez, et c’est ce qui vous empêche souvent de tout dire, et de questionner.

Pour moi je suis dans une paix sèche, obscure et languissante, sans ennui, sans plaisir, sans pensée d’en avoir jamais aucun, sans aucune vue d’avenir en ce monde, avec un présent insipide, et souvent épineux, avec un je ne sais quoi qui me porte, qui m’adoucit chaque croix, qui me contente sans goût. C’est un entraînement journalier379; cela a l’air d’un amusement par légèreté d’esprit, et par indolence. Je vois tout ce que je porte. Mais le monde me paraît comme une mauvaise comédie, qui va disparaître dans quelques heures. Je me méprise encore plus que le monde. Je mets tout au pis aller, et c’est dans le fond de ce pis aller pour toutes les choses d’ici-bas, que je trouve la paix. Il me semble encore que D[ieu] me traite trop doucement et j’ai honte d’être tant épargné. Mais ces pensées ne me viennent pas souvent, et la manière la plus fréquente de recevoir mes croix, est de les laisser venir et passer, sans m’en occuper volontairement. C’est comme un domestique indifférent, qu’on voit entrer et sortir de sa chambre, sans lui rien dire. Du reste je ne veux vouloir que D[ieu] seul pour moi, et pour vous aussi, Madame. Qu’est-ce qui suffira à celui à qui le vrai amour ne suffit pas?380.

699. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Dimanche 26 déc[embre].

Vous ne vous trompez point, Madame, en disant que l’élévation que l’amour donne n’enfle point le cœur. C’est une marque qui rassure contre la crainte de l’illusion. L’amour, selon l’expérience intime, est bien plus Dieu que nous. C’est Dieu qui s’aime lui-même dans notre cœur381. On trouve que c’est quelque chose qui fait toute notre vie, et qui est néanmoins supérieur à nous. Nous n’en pouvons rien prendre pour nous en glorifier. Plus on aime Dieu, plus on sent que c’est D[ieu] qui est tout ensemble l’amour et le bien-aimé. O qu’on est éloigné de se savoir bon gré d’aimer, quand on aime véritablement. L’amour est emprunté. On sent qu’il fait tout, et que rien ne se ferait, s’il ne nous était donné pour tout faire. Hélas! qu’aimerais-je, si ce n’est moi-même, si je n’aimais que de mon propre fond? Dieu qui sait tout assaisonner, ne donne jamais le plus sublime amour sans son contrepoids. On éprouve tout ensemble au dedans de soi deux principes infiniment opposés. On sent une faiblesse et une imperfection étonnante dans tout ce qui est propre. Mais on sent par emprunt un transport d’amour, qui est si disproportionné à tout le reste, qu’on ne peut se l’attribuer. […]

Rien n’est si contraire à la simplicité que le scrupule. Il cache je ne sais quoi de double et de faux. On croit n’être en peine que par délicatesse d’amour pour Dieu. Mais dans le fond on est inquiet pour soi, et on est jaloux pour sa propre perfection par un attachement naturel à soi. On se trompe pour se tourmenter, et pour se distraire de Dieu sous prétexte de précaution.

701. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À Cambray 5 janvier 1701.

… Souvenez-vous de ce que dit le Chrétien intérieur 382. Ceux qui ne veulent point souffrir n’aiment point, car l’amour veut toujours souffrir pour le bien-aimé. Vous ne vous trompez point, en distinguant la bonne volonté du courage. Le courage est une certaine force et une certaine grandeur de sentiment383, avec laquelle on surmonte tout. Pour les âmes que D[ieu] veut tenir petites, et à qui il ne veut laisser que le sentiment de leur propre faiblesse, elles font tout ce qu’il faut sans trouver en elles de quoi le faire, et sans se promettre d’en venir à bout. Tout les surmonte selon leur sentiment, et elles surmontent tout par un je ne sais quoi, qui est en elles sans qu’elles le sachent, qui s’y trouve tout à propos au besoin384, comme d’emprunt, et qu’elles ne s’avisent pas même de regarder comme leur étant propre. Elles ne pensent point à bien souffrir. Mais insensiblement chaque croix se trouve portée jusqu’au bout dans une paix simple et amère, où elles n’ont voulu que ce que Dieu voulait. Il n’y a rien d’éclatant, rien de fort, rien de distinct aux yeux d’autrui, et encore moins aux yeux de la personne. Si vous lui disiez qu’elle a bien souffert, elle ne le comprendrait pas. Elle ne sait pas elle-même comment tout cela s’est passé. À peine trouve-t-elle son cœur, et elle ne le cherche pas. Si elle voulait le chercher, elle en perdrait la simplicité et sortirait de son attrait. C’est ce que vous appelez une bonne volonté, qui paraît moins, et qui est beaucoup plus que ce qu’on appelle d’ordinaire courage. La bonne eau ne sent rien. Plus elle est pure, moins elle a de goût. Elle n’est d’aucune couleur. Sa pureté la rend transparente, et fait que n’étant jamais colorée, elle paraît de toutes les couleurs des corps solides où vous la mettez. La bonne volonté qui n’est plus qu’amour de celle de Dieu, n’a plus ni éclat ni couleur par elle-même. Elle est seulement en chaque occasion ce qu’il faut qu’elle soit, pour ne vouloir que ce que Dieu veut. …385.

967. À LA COMTESSE DE MONTBERON. [1701?]386

…le moindre clin d’œil pourrait ramener les anciens orages. Dieu veuille que les vôtres ne reviennent point par les scrupules. Je crains beaucoup moins pour Mad. d’[Oisy] des peines qui lui viennent d’autrui, et qui contribuent à son salut, que celles dont vous vous troubleriez vous-même contre l’attrait de Dieu. Marchez en simplicité, et l’esprit de paix reposera sur vous. Votre paix serait abondante, comme les eaux d’un fleuve, et votre justice serait plus profonde que les abîmes de la mer. D[ieu] ne cherche qu’à vous donner. Ne vous ôtez rien à vous-même. Si l’épouse ne faisait que raisonner et se troubler, elle ne dirait jamais : mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui.387 Vos raisonnements sont des distractions volontaires. …

724. À LA COMTESSE DE MONTBERON A C[ambrai] 10 juin.

… La vie de pure foi a deux choses; la première est qu’elle fait voir Dieu seul sous toutes les enveloppes imparfaites, où il se cache. La seconde est de tenir une âme sans cesse en suspens. On est toujours comme en l’air, sans pouvoir toucher du pied à terre. La consolation d’un moment ne répond jamais de la consolation du moment qui suivra. Il faut laisser faire Dieu dans tout ce qui dépend de lui, et ne songer qu’à être fidèle dans tout ce qui dépend de nous. Cette dépendance de moment à autre, cette obscurité, et cette paix de l’âme dans l’incertitude de ce qui lui doit arriver chaque jour, est un vrai martyre intérieur, et sans bruit. C’est être brûlé à petit feu. Cette mort est si lente, et si interne, qu’elle est souvent presque aussi cachée à l’âme qui la souffre, qu’aux personnes qui ignorent son état. Quand Dieu vous ôtera ce qu’il vous donne, il saura bien le remplacer, ou par d’autres instruments, ou par lui-même. Les pierres mêmes deviennent dans sa main des enfants d’Abraham. Un corbeau portait tous les jours la moitié d’un pain à S. Paul ermite388 dans un désert inconnu aux hommes. Si le saint eût hésité dans la foi, et s’il eût voulu s’assurer un jour d’un autre demi-pain pour le jour suivant, le corbeau ne serait peut-être point revenu. Mangez donc en paix le demi-pain de chaque jour que le corbeau vous apporte. A Chaque jour suffit son mal. Le jour de demain aura soin de lui-même 389. Celui qui nourrit aujourd’hui est le même qui nourrira demain. On reverra la manne tomber du ciel dans le désert, plutôt que de laisser les enfants de Dieu sans nourriture. …390.

743. À LA COMTESSE DE MONTBERON A C[ambrai] 21 août.

Je ne voudrais, Madame, vous donner que de la consolation, et je ne puis éviter de vous contredire. Votre vivacité vous fait imputer aux hommes comme à Dieu ce qu’ils n’ont jamais pensé. Sur quel fondement pensez-vous que je veuille me décharger de votre conduite, et vous renvoyer au père[...]391 ? Je n’ai en vérité jamais eu cette pensée. Je crois bien qu’il peut vous être fort utile pour vous soutenir en mon absence contre vos scrupules, et contre vos impatiences de vous confesser. Mais je ne vais pas plus loin, et si vous vouliez me quitter pour vous mettre absolument dans ses mains, je crois que je vous dirais avec simplicité : ne le faites pas. Quoique j’estime fort sa grâce et son expérience, il me semble qu’il ne vous convient pas tout à fait, et que vous manqueriez à D[ieu] en quittant l’attrait qu’il vous a donné pour me croire. Demeurez donc en paix, n’écoutez point votre imagination trop vive et trop féconde en vues. Cette activité prodigieuse consume votre corps, et dessèche votre intérieur. Vous vous dévorez inutilement. Il n’y a que votre inquiétude qui suspende la paix et l’onction intérieure. Comment voulez-vous que D[ieu] parle de cette voix douce et intime, qui fait fondre l’âme, quand vous faites tant de bruit par tant de réflexions rapides’? Taisez-vous, et D[ieu] reparlera. N’ayez qu’un seul scrupule, qui est d’être scrupuleuse en désobéissant. Loin de vouloir quitter l’autorité, je voudrais la prendre, et c’est vous qui me la refusez, en ne voulant pas me croire sur vos confessions.

J’ai dit à M. le C[omte de Montberon] que j’apercevais combien vos scrupules nuisaient à votre santé, afin qu’il sentît combien vous avez besoin du séjour de Cambray. Il m’a paru croire que la lecture de sainte Thérèse et des autres livres spirituels avaient réveillé vos scrupules par des idées de perfection. Je n’ai pas insisté, de peur qu’il ne me crût prévenu. Vous voyez ce que fait votre activité, sur laquelle vous n’êtes point docile.

Vous demandez de la consolation. Sachez que vous êtes sur le bord de la fontaine, sans vouloir vous désaltérer. …392.

771. À LA COMTESSE DE MONTBERON (?). [Vers le 6 novembre].

Cette tristesse, qui vous fait languir, m’alarme et me serre le cœur. Je la crains plus pour vous que toutes les douleurs sensibles. Je sais par expérience ce que c’est d’avoir le cœur flétri et dégoûté de tout ce qui pourrait lui donner du soulagement. Je suis encore à certaines heures dans cette disposition d’amertume générale, et je sens bien que si elle était sans intervalle, je ne pourrais y résister longtemps.

Je viens de faire une mission à Tournay : tout cela s’est assez bien passé, et l’amour-propre même y pourrait avoir quelque petite douceur; mais dans le fond le bien que nous faisons est peu de chose. Si on n’était soutenu par l’esprit de foi, pour travailler sans voir le fruit de son travail, on se découragerait ; car on ne gagne presque rien ni sur les hommes pour les persuader ni sur soi-même pour se corriger. O qu’il y a loin depuis le mépris et la lassitude de soi-même jusqu’à la véritable correction! Je suis à moi-même tout un grand diocèse, plus accablant que celui du dehors et que je ne saurais réformer. Mais il faut se supporter sans se flatter, comme on doit le faire pour le prochain.

817. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À C[ambrai] 17 avril 1702.

… À mon retour, j’espère que nous aurons ici Mad. la d[uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée393. En attendant je vous recommande à D[ieu] et à notre bonne pendule.394 Ne vous défiez jamais de l’ami fidèle qui ne nous manque point, quoique nous lui manquions si souvent. Je suppose toutes les infidélités imaginables en vous, et je mets tout au pis-aller. Hé bien! que s’ensuit-il de là? Si vous avez manqué à Dieu, en vous éloignant d’ici, il n’y a qu’à ne plus lui résister, et qu’à rentrer dans votre place. Dieu n’est pas comme les hommes dont la vaine délicatesse se tourne en dépit et en indignation sans retour. Quand vous auriez manqué à D[ieu] cent et cent fois, revenez sincèrement, cessez de lui résister. Aussitôt il vous tend les bras. […] Désirez la chose, cessez d’y résister intérieurement, tout est fait. Dieu n’a pas besoin de la présence sensible pour tirer les fruits des unions qu’il opère: la seule volonté suffit. On demeure uni, la mer entre-deux: on est intimement en société dans le sein de celui qui ne connaît aucune distance de lieux, et qui anéantit toutes les distances par son immensité. On se communique, on s’entend, on se console, on se nourrit, sans se voir, et sans s’entendre. Dieu prend plaisir à suppléer tout. Est-on ensemble, sans correspondre de cœur, et sans acquiescer à l’union que D[ieu] veut, on s’agite, on se dessèche, on s’épuise, on dépérit, et la paix fuit d’un cœur qui résiste à Dieu. Est-on à mille lieues les uns les autres, sans espérance de se voir ni de s’écrire, la seule correspondance de volonté détruit toutes les distances. Il n’y a point d’entre-deux entre des volontés dont D[ieu] est le centre commun. On s’y retrouve, et c’est une présence si intime, que celle qui est sensible n’est rien en comparaison. Ce commerce est tout autre que celui de la parole. Les âmes mêmes qui sont dans cette union sont souvent ensemble sans pouvoir se résoudre à se parler. Elles sont trop unies pour parler, et trop occupées de leur vie commune pour se donner des marques d’attention. Elles sont ensemble une même chose en D[ieu] comme sans distinction. D[ieu] est alors comme une même âme dans deux corps différents395.

Demeurez donc, Madame, en paix dans le lieu où D[ieu] vous retient. Mais que votre cœur soit tout entier où il vous appelle. La paix ne dépend que de la non-résistance de la volonté. Reprenez doucement vos anciennes lectures. Remettez-vous en commerce avec votre bon et ancien ami S[aint] Fr[ançois] de Sales. Faites comme une personne convalescente. Il la faut nourrir d’aliments délicats, et lui en donner peu et souvent. C’est une espèce d’enfance. La lecture ramènera peu à peu l’oraison. L’oraison élargira le cœur, et rappellera la familiarité avec l’Époux. Laissez faire Dieu. Unissez-vous, je vous en conjure, à mes intentions. Pour moi je vous porterai devant D[ieu] partout où j’irai, et vous me serez partout présente en foi. […]396.

867. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Mardi, 10 octobre 1702.

Vous avez, Madame, deux choses qui s’entre-soutiennent, et qui vous font des maux infinis. L’une est le scrupule enraciné dans votre cœur depuis votre enfance, et poussé jusqu’aux derniers excès pendant tant d’années.

L’autre est votre attachement à vouloir toujours goûter, et sentir le bien. Le scrupule vous ôte souvent le goût et le sentiment de l’amour, par le trouble, où il vous jette. D’un autre côté, la cessation du goût et du sentiment réveille et redouble tous vos scrupules; car vous croyez ne rien faire, avoir perdu Dieu, et être dans l’illusion, dès que vous cessez de goûter et de sentir la ferveur de l’amour. Ces deux choses devraient au moins servir à vous convaincre de la grandeur de votre amour-propre.

Vous avez passé votre vie à croire que vous étiez toujours toute aux autres et jamais à vous-même. Rien ne flatte tant l’amour-propre, que ce témoignage qu’on se rend intérieurement à soi-même de n’être jamais dominé par l’amour-propre, et d’être toujours occupé d’une certaine générosité pour le prochain. Mais toute cette délicatesse qui paraît pour les autres est dans le fond pour vous-même. Vous vous aimez jusqu’à vouloir sans cesse vous savoir bon gré de ne vous aimer pas; toute votre délicatesse ne va qu’à craindre de ne pouvoir pas être assez contente de vous-même. Voilà le fond de vos scrupules. Vous en pouvez découvrir le fond par votre tranquillité sur les fautes d’autrui. Si vous ne regardiez que Dieu seul et sa gloire, vous auriez autant de délicatesse et de vivacité sur les fautes d’autrui, que sur les vôtres. Mais c’est le moi qui vous rend si vive et si délicate. Vous voulez que Dieu aussi bien que les hommes soit content de vous, et que vous soyez toujours contente de vous-même dans tout ce que vous faites par rapport à Dieu.

D’ailleurs vous n’êtes point accoutumée à vous contenter d’une bonne volonté toute sèche et toute nue. Comme vous cherchez un ragoût d’amour-propre, vous voulez un sentiment vif, un plaisir qui vous réponde de votre amour, une espèce de charme et de transport. Vous êtes trop accoutumée à agir par imagination, et à supposer que votre esprit et votre volonté ne font point les choses, quand votre imagination ne vous les rend pas sensibles. Ainsi tout se réduit chez vous à un certain saisissement semblable à celui des passions grossières, ou à celui que causent les spectacles. À force de délicatesse on tombe dans l’extrémité opposée, qui est la grossièreté de l’imagination. Rien n’est si opposé non seulement à la vie de pure foi, mais encore à la vraie raison. Rien n’est si dangereux pour l’illusion, que l’imagination, à laquelle on s’attache pour éviter l’illusion même. Ce n’est que par l’imagination qu’on s’égare. Les certitudes qu’on cherche par imagination, par goût et par sentiment, sont les plus dangereuses sources du fanatisme.

Il faut prendre le goût sensible, quand Dieu le donne, comme un enfant prend la mamelle quand la mère la lui présente. Mais il faut se laisser sevrer, quand il plaît à Dieu. La mère n’abandonne et ne rejette point son enfant, quand elle lui ôte le lait, pour le nourrir d’un aliment moins doux et plus solide. Vous savez que tous les saints les plus expérimentés ont compté pour rien l’amour sensible, et même les extases, en comparaison d’un amour nu et souffrant dans l’obscurité de la pure foi. Autrement il ne se ferait jamais ni épreuve ni purification dans les âmes. Le dépouillement et la mort ne se feraient qu’en paroles, et on n’aimerait Dieu, qu’autant qu’on sentirait toujours un goût délicieux et une espèce d’ivresse en l’aimant. Est-ce donc là à quoi aboutit cette délicatesse, et ce désintéressement d’amour, dont on veut se flatter ?

Voilà, Madame, le fond vain et corrompu que Dieu veut vous montrer dans votre cœur. Il faut le voir avec cette paix et cette simplicité, qui font l’humilité véritable. Être inconsolable de se voir imparfait, c’est un dépit d’orgueil et d’amour-propre. Mais voir en paix toute son imperfection, sans la flatter ni tolérer; vouloir la corriger, mais ne s’en dépiter point contre soi-même, c’est vouloir le bien pour le bien même, et pour Dieu qui le demande, sans le vouloir pour s’en faire une parure, et pour contenter ses propres yeux.

Pour venir à la pratique, tournez vos scrupules contre cette vaine recherche de votre contentement dans les vertus. Ne vous écoutez point vous-même. Demeurez dans votre centre, où est votre paix. Prenez également le goût et le dégoût. Quand le goût vous est ôté, aimez sans goûter et sans sentir, comme il faut croire sans voir et sans raisonner.

Surtout, ne me cachez rien. Votre délicatesse qui paraît si régulière se tourne en irrégularité. Rien ne vous éloigne tant de la simplicité et même de la franchise. Elle vous donne des duplicités et des replis, que vous ne connaissez pas vous-même. Dès que vous vous sentez hors de votre simplicité et de votre paix, avertissez-moi. L’enfant dès qu’il a peur se jette sans raisonner au cou de sa mère’. Si vous ne pouvez me parler, au moins dites-moi que vous ne le pouvez pas, afin que je rompe malgré vous les glaces, et que j’exorcise le démon muet.

Vous n’avez jamais rien fait de si bien que ce que vous fîtes l’autre jour. Gardez-vous bien de vous en repentir. Il ne faut ni s’en repentir ni s’en savoir bon gré. Le prix de ces sortes d’actions consiste tout dans leur simplicité. Il faut qu’elles échappent sans aucun retour. On les gâte en les regardant. Le vrai moyen de faire souvent des choses à peu près semblables, c’est de ne se souvenir point d’avoir fait celle-là.

De plus, je dois vous dire en présence de N[otre]-S[eigneur] qui voit les derniers replis des consciences, ce que vous n’avez jamais voulu croire jusqu’ici, mais que je ne cesserai jamais de vous dire. C’est que je n’ai jamais senti jusqu’au moment présent, ni répugnance, ni dégoût, ni froideur, ni peine pour tout ce qui a rapport à vous. Si j’en sentais, je vous le dirais et je n’en ferais pas moins tout ce qu’il faudrait pour vous aider dans la voie de Dieu. J’espérerais même qu’en vous l’avouant, j’apaiserais votre trouble intérieur; car cette franchise devrait vous toucher. On n’est pas maître de ses goûts et de ses sentiments. Si on ne l’est pas à l’égard de D[ieu] faut-il s’étonner qu’on ne le soit pas à l’égard des hommes? Vous savez qu’on n’en aime et qu’on n’en sert pas moins Dieu, quoiqu’on soit souvent privé de tout goût dans son amour, et qu’on y éprouve des répugnances horribles. Dieu veut bien être aimé et servi de cette façon. Il y prend ses plus grandes complaisances: pourquoi n’en feriez-vous pas autant? Encore une fois, Madame, je vous l’avouerais, si Dieu permettait que je fusse dans cette peine à votre égard. Mais j’en suis infiniment éloigné, et je ne l’ai jamais éprouvée une seule fois. Mais tout ce que je vous dis ne peut vous persuader. Vous voulez croire vos réflexions, plus que mes propres sentiments sur moi-même. Comment pourriez-vous me croire avec quelque docilité sur d’autres choses, puisque vous refusez de me croire sur ce qui se passe en moi? Il ne s’agit point de certains motifs subtils, qui peuvent se déguiser dans le cœur. Il s’agit de goût, et de dégoût sensible, journalier, continuel. Vous voulez deviner sur autrui avec infaillibilité, et supposer que je sens à toute heure ce que je n’aperçois jamais. Ou bien vous voulez croire que je ne fais que vous mentir. Au reste, je vous déclare devant D[ieu] que je ne vous ai jamais crue fausse, et que je n’ai jamais eu aucune pensée qui approche de celle-là. Mais j’ai pensé et je pense encore que votre délicatesse pour prendre tout sur vous, et pour cacher vos peines à celui qui devrait les savoir, vous fait faire des réserves que d’autres font par fausseté. Si c’est là dire que vous êtes fausse, j’avoue, que je ne sais pas la valeur des termes. Pour moi, je crois avoir dit que vous n’êtes pas fausse, en parlant ainsi. Oserai-je aller plus loin? Supposé même (ce qui a toujours été infiniment contraire à ma pensée) que j’eusse dit que vous étiez fausse en certaines démonstrations par délicatesse et par politesse, devriez-vous être si sensible à cette opinion injuste que j’aurais de vous? Plusieurs saintes âmes se sont laissé condamner injustement par leurs directeurs prévenus. Elles leur ont laissé croire qu’elles étaient hypocrites, et elles sont demeurées humbles et dociles sous leur conduite. Pourquoi faut-il que vous soyez si vive sur une prévention infiniment moindre, et que je ne cesse de vous désavouer devant Dieu? En vérité, Madame, Dieu permet en cette occasion que tout le venin de votre amour-propre se montre au-dehors, afin qu’il sorte de votre fond, et que votre cœur en soit vidé. Vous ne l’auriez jamais pu bien connaître autrement. Pour moi loin d’être fatigué de vous, et du soin de vous conduire à Dieu, je ne le suis que de vos discrétions. Je ne crains que de n’avoir pas cette prétendue fatigue. Mais vous ne m’échapperez point. Je vous poursuivrai sans relâche, et j’espère que Dieu après que l’orage sera diminué, vous fera voir, combien je suis attaché à vous pour sa gloire. Du moins, acquiescez en général à ce que vous ne voyez pas encore pendant le trouble de votre cœur. Unissez-vous à moi devant Dieu, pour le laisser opérer en vous ce que la nature révoltée craint. Défiez-vous non seulement de votre imagination, mais encore de votre esprit, et des vues qui vous paraissent les plus claires. Pour moi je vais prier sans relâche pour vous. Mais je le fais avec une amertume et une souffrance intérieure, qui est pis que la fièvre. Je vous conjure, au nom de Dieu et de J[ésus]-C[hrist] notre vie, de ne sortir point de l’obéissance. Je vous attends et rien ne peut me consoler que votre retour.397

1968. À LA COMTESSE DE MONTBERON [milieu mai 1703]398

Oui, je consens avec joie que vous m’appeliez votre père ; je le suis, et le serai toujours. Il n’y manque qu’une pleine persuasion et confiance de votre part; mais il faut attendre que votre cœur soit élargi. C’est l’amour-propre qui le resserre. On est bien à l’étroit, quand on se renferme au dedans de soi : au contraire, on est bien au large, quand on sort de cette prison, pour entrer dans l’immensité de Dieu et dans la liberté de ses enfants.

Je suis ravi de vous voir dans les impuissances où Dieu vous réduit. Sans ces impuissances, l’amour-propre ne pouvait être ni convaincu ni renversé. Il avait toujours des ressources secrètes et des retranchements impénétrables dans votre courage et dans votre délicatesse. Il se cachait à vos propres yeux, et se nourrissait du poison subtil d’une générosité apparente, où vous vous sacrifiiez toujours pour autrui. Dieu a réduit votre amour-propre à crier les hauts cris, à se démasquer, à découvrir l’excès de sa jalousie. O que cette impuissance est douloureuse et salutaire tout ensemble ! Tant qu’il reste de l’amour-propre, on est au désespoir de le montrer; mais tant qu’il y a encore un amour-propre à poursuivre jusque dans les derniers replis du cœur, c’est un coup de miséricorde infinie que Dieu vous force à le laisser voir. Le poison devient un remède. L’amour-propre poussé à bout ne peut plus se cacher et se déguiser. Il se montre dans un transport de désespoir; en se montrant, il déshonore toutes les délicatesses, et dissipe les illusions flatteuses de toute la vie: il paraît dans toute sa difformité. C’est vous-même idole de vous-même, que Dieu met devant vos propres yeux. Vous vous voyez, et vous ne pouvez vous empêcher de vous voir. Heureusement vous ne vous possédez plus, et vous ne pouvez plus empêcher de vous laisser voir aux autres. Cette vue si honteuse d’un amour-propre démasqué fait le supplice de l’amour-propre même. Ce n’est plus cet amour-propre si sage, si discret, si poli, si maître de lui-même, si courageux pour prendre tout sur soi, et rien sur autrui. Ce n’est plus cet amour-propre qui vivait de cet aliment subtil de croire qu’il n’avait besoin de rien, et qui, à force d’être grand et généreux, ne se croyait pas même un amour-propre. C’est un amour-propre d’enfant jaloux d’une pomme, qui pleure pour l’avoir. Mais à cet amour-propre enfantin est joint un autre amour-propre bien plus tourmentant. C’est celui qui pleure d’avoir pleuré, qui ne peut se taire, et qui est inconsolable de ne pouvoir plus cacher son venin. Il se voit indiscret, grossier, importun, et il est forcené de se voir dans cette affreuse situation. Il dit comme Job: Ce que je craignais le plus est précisément ce qui m’est arrivé.399

926. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À Cambrai, lundi 30 juillet 1703.

Il y a longtemps, ma chère fille, que rien ne m’a fait un plus sensible plaisir que votre lettre d’hier. Elle vient d’un seul trait, comme vous le dites. C’est ainsi qu’il faut s’épancher sans réflexion. Il faut vous accoutumer à la privation. La grande peine qu’elle cause montre le grand besoin qu’on en a. Ce n’est qu’à cause qu’on s’approprie la lumière, la douceur et la jouissance, qu’il faut être dénué et désapproprié de toutes ces choses. Tandis qu’il reste à l’âme un attachement à la consolation, elle a besoin d’en être privée. Dieu goûté, senti, et bienfaisant, est Dieu. Mais c’est Dieu avec des dons qui flattent l’âme. Dieu en ténèbres, en privations, et en délaissements, est tellement Dieu, que c’est D[ieu] tout seul, et nu pour ainsi dire. Une mère qui veut attirer son petit enfant, se présente à lui les mains pleines de douceurs et de jouets. Mais le père se présente à son fils déjà raisonnable, sans lui donner aucun présent. Dieu fait encore plus; car il voile sa face, il cache sa présence, et ne se donne souvent aux âmes qu’il veut épurer, que dans la profonde nuit de la pure foi. Vous pleurez comme un petit enfant le bonbon perdu. Dieu vous en donne de temps en temps. Cette vicissitude console l’âme par intervalles, quand elle commence à perdre courage, et l’accoutume néanmoins peu à peu à la privation. Dieu ne veut ni vous décourager, ni vous gâter. Abandonnez-vous à cette vicissitude, qui donne tant de secousses à l’âme, et qui en l’accoutumant à n’avoir ni état fixe ni consistance, la rend souple, et comme liquide pour prendre toutes les formes qu’il plaît à Dieu. C’est une espèce de fonte du cœur. C’est à force de changer de forme qu’on n’en a plus aucune à soi. L’eau pure et claire n’est d’aucune couleur ni d’aucune figure: elle est toujours de la couleur et de la figure que lui donne le vase qui la contient. Soyez de même en Dieu.

Pour les réflexions pénibles et humiliantes, soit sur vos fautes, soit sur votre état temporel, regardez-les comme des délicatesses de votre amour-propre. La douleur sur toutes ces choses est plus humiliante que les choses mêmes. Mettez le tout ensemble, la chose qui afflige avec l’affliction de la chose, et portez cette croix sans songer, ni à la secouer, ni à l’entretenir. Dès que vous la porterez avec cette indifférence pour elle, et cette simple fidélité pour Dieu, vous aurez la paix, et la croix deviendra légère dans cette paix toute sèche, et toute simple. […]

933. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Jeudi 23 août 1703.

Vous voyez bien, ma chère fille, que toutes vos peines ne viennent jamais que de jalousie, ou de délicatesse d’amour-propre, ou d’un fonds de scrupule, qui est encore un amour-propre enveloppé. […] Il [Dieu] permet aussi que vous tombiez dans certaines choses très contraires à votre excessive délicatesse et discrétion, aux yeux d’autrui, pour vous faire mourir à cette délicatesse et à cette discrétion, dont vous étiez si jalouse. Il vous fait perdre terre, afin que vous ne trouviez plus aucun appui sensible ni dans votre propre cœur, ni dans l’approbation du prochain. Enfin il permet que vous croyez voir le prochain tout autre qu’il n’est à votre égard, afin que votre amour-propre perde toute ressource flatteuse de ce côté-là. Le remède est violent. Mais il n’en fallait pas moins, pour vous déposséder de vous-mêmes, et pour forcer tous les retranchements de votre orgueil. Vous voudriez mourir, mais mourir sans douleur en pleine santé. Vous voudriez être éprouvée, mais discerner l’épreuve, et lui être supérieure, en la discernant. Les jurisconsultes disent sur les donations: Donner et retenir ne vaut. Il faut même donner tout ou rien, quand D[ieu] veut tout. Si vous n’avez pas la force de le donner, laissez-le prendre. …

946. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Lundi soir, 3 novembre 1703.

Comment pouvez-vous vous imaginer que je puisse être tenté de vous abandonner? C’est moi qui ne veux pas que vous m’abandonniez. Aucun de vos défauts ne me lasse. Je voudrais que vous les pussiez voir comme je les vois, et que vous les supportassiez avec la même paix dont je les supporte. Ils se tourneraient tous à profit pour vous. Quand D[ieu] vous laisse un peu respirer, vous voyez sa bonté. Mais dès qu’il recommence en vous son ouvrage, vous défaites ce qu’il fait à mesure qu’il y travaille. Vous écoutez votre imagination jusqu’à n’écouter plus ni Dieu, ni l’homme qui doit vous parler en son nom. Vous êtes alors indocile, révoltée, et comme possédée d’un esprit de désespoir. Ce n’est point la peine qui cause l’infidélité. Mais c’est l’infidélité qui cause la peine. Une certaine douleur paisible dans l’obscurité et dans la sécheresse ne serait rien que de bon. Il faut bien souffrir pour mourir. Le dépouillement ne se fait pas sans douleur, mais le trouble du fond ne vient que de l’infidélité avec laquelle vous écoutez la tentation. …400

1033. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Lundi 26 janvier 1705.

Il n’est question, ma très chère fille, ni de moi, ni d’aucune autre personne. Il s’agit de Dieu seul. Si vous pouviez, sans lui manquer, faire la rupture que vous projetez401, je vous laisserais faire, et je serais ravi de vous voir dans la fidélité et dans la paix, par une autre voie. Mais c’est un désespoir d’amour-propre, qui veut rompre tous les liens de grâce, pour chercher un soulagement chimérique. Votre désespoir redoublerait, si vous aviez fait cette démarche contre Dieu. Mais si vous vous livrez à lui sans condition et sans bornes, le simple acquiescement en esprit d’abandon sans réserve vous remettra en paix. Je vous pardonne d’avoir contre moi les pensées les plus outrageantes. Je me compte, Dieu merci, pour rien. Mais malgré cet outrage que je n’ai jamais mérité de vous, vos véritables intérêts me sont si chers, que je donnerais de bon cœur ma vie pour vous empêcher de détruire en vous l’œuvre de Dieu. Vous ne pourriez le faire sans perdre la vie, et sans la finir dans une résistance horrible à la grâce. Jamais tentation de jalousie, et de fureur d’un amour-propre ombrageux, ne fut si manifeste. C’est pendant que vous êtes livrée à cette tentation affreuse, que vous voulez faire les pas les plus décisifs. Au moins, laissez un peu calmer cet orage. Attendez d’être tranquille, comme les gens sages l’attendent toujours, pour prendre une résolution de sang-froid. Ou, pour mieux dire, ne vous défiez que de vous-même, et nullement de Dieu. Mettez tout au pis-aller. Supposez comme vraies toutes les étranges chimères que votre imagination vous représente. Acceptez tout sans réserve. N’y mettez aucune borne pour la durée. Assujettissez-vous à moi par pure fidélité à Dieu, sans compter sur moi. Demeurez dans cette disposition du fond en silence, sans vous écouter, et n’écoutant que Dieu seul, je suis assuré que la paix, qui surpasse tout sentiment humain, renaîtra d’abord dans votre cœur, et que les écailles tomberont de vos yeux. Faites-en l’expérience, je vous conjure. Dieu permet qu’avec le meilleur esprit du monde, vous soyez dans l’illusion la plus grossière et la plus étrange sur un seul point. C’est une chimère qui fait le plus réel de tous les supplices. Il ne fallait rien moins pour démonter cet amour-propre si délicat et si déguisé. L’opération est crucifiante. Mais il faut mourir. Laissez-vous mourir, et vous vivrez.402

1076. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Mardi, [...] février 1706.

Jamais je ne ressentis, ma chère fille, une plus grande joie que celle que vous me donnez. Béni soit celui qui tient votre cœur ! O que vous serez en paix si vous vous livrez à lui sans condition et sans bornes ! Ne cherchez que lui seul en moi, et vous l’y trouverez toujours. Mais si vous vous y cherchez vous-même, l’amour-propre sera votre tourment. Souffrez toutes mes fautes, contentez-vous de ma bonne volonté; regardez Dieu qui vous éprouve par moi, quand vous ne pouvez plus voir Dieu qui vous aide par moi. Que notre union soit toute de foi. Il faut voir Dieu dans mon indigne personne, comme vous voyez J[ésus]-C[hrist] dans ce vil pain que le prêtre tient à la messe. J’espère que tous ces ébranlements si violents serviront à affermir l’édifice. Mille fois tout à vous en celui qui veut que tout soit un.403.

1138. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Jeudi au soir 21 avril 1707.

Je demeure devant Dieu, comme si j’allais mourir, ma chère fille, et je ne trouve dans mon cœur aucune des dispositions que vous y croyez voir. Au contraire malgré votre opposition, je suis toujours de plus en plus dans une pente à l’union fixe avec vous en N[otre] Seigneur] que je ne saurais expliquer, et que vous pouvez encore moins comprendre. Toutes vos infidélités se réduisent à ne pouvoir vous résoudre à voir dans votre cœur des impressions humiliantes, et des sentiments qui font honte à votre amour-propre. En quelque terre inconnue que vous allassiez avec cette délicatesse d’amour-propre chercher le repos, vous ne l’y trouveriez jamais. L’Écriture nous dit : qui est-ce qui a eu la paix en résistant à Dieu ?404 Vous porteriez partout cet amour délicat et inconsolable sur ses misères. Vous y ajouteriez le dessèchement, le vide, et le trouble d’un cœur égaré de sa voie, avec le reproche intime d’avoir manqué à Dieu pour donner du soulagement à votre orgueil. Dieu vous poursuivrait sans relâche. Dussiez-vous fuir devant sa face comme Jonas, vous seriez plutôt jetée dans la mer, et engloutie par un monstre. Il vous faudrait revenir au point où Dieu vous veut. Il n’y a qu’à consentir de se voir dans toute sa laideur. La laideur des misères est comme la beauté des dons de Dieu. L’une et l’autre disparaît dès qu’on la regarde. Le regard de complaisance fait disparaître le bien, et le regard d’humilité paisible fait disparaître le mal. Souffrez de vous voir, et tout sera guéri.

Ne me cherchez que comme le simple instrument de D[ieu], ne voyant que lui seul en moi. Regardez-moi comme la roche qui donnait de l’eau dans le désert au peuple d’Israël. Moins je contente la nature, plus je sers à la faire mourir, et à faire suivre la pure grâce. La tentation est évidente, mais vous avez les yeux fermés pour ne la pas voir, et vous vous roidissez contre Dieu. J’ai voulu aujourd’hui laisser couler le torrent. Si vous voulez demain vous confesser, je serai prêt à vous écouter et à aller chez vous. Mais votre principal et presque unique péché sera d’avoir écouté et suivi la tentation. Pour moi je ne vous laisserai point vous éloigner de moi. Je vous porterai sans cesse dans le fond de mon cœur. Je l’ai bien serré et bien abattu. Je vois bien que je fais votre peine, mais vous faites aussi la mienne, car je souffre de vous voir souffrir, et de trouver votre cœur retranché contre la grâce. O que ne donnerais-je point pour vous guérir !

1159. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Mercredi 10 août 1707.

Souffrez, ma chère fille, que je vous représente ce qu’il me semble que D[ieu] veut que je vous mette devant les yeux. Le fonds que vous avez nourri dans votre cœur depuis l’enfance, en vous trompant vous-même, est un amour-propre effréné, et déguisé sous l’apparence d’une délicatesse et d’une générosité héroïque. C’est un goût de roman, dont personne ne vous a montré l’illusion. Vous l’aviez dans le monde et vous l’avez porté jusque dans les choses les plus pieuses. Je vous trouve toujours un goût pour l’esprit, pour les choses gracieuses, et pour la délicatesse profane, qui me font peur. Cette habitude vous a fait trouver des épines dans tous les états. Avec un esprit très droit et très solide, vous vous rendez inférieure aux gens qui en ont beaucoup moins que vous. Vous êtes d’un excellent conseil pour les autres. Mais pour vous-même les moindres bagatelles vous surmontent. Tout vous ronge le cœur. Vous n’êtes occupée que de la crainte de faire des fautes, ou du dépit d’en avoir fait. Vous vous les grossissez par un excès de vivacité d’imagination, et c’est toujours quelque rien qui vous réduit au désespoir. Pendant que vous vous voyez la plus imparfaite personne du monde, vous avez l’art d’imaginer dans les autres des perfections, dont elles n’ont pas l’ombre. D’un côté vos délicatesses et vos générosités, de l’autre vos jalousies et vos défiances sont outrées et sans mesure. Vous voudriez toujours vous oublier vous-même pour vous donner aux autres. Mais cet oubli tend à vous faire l’idole et de vous-même, et de tous ceux pour qui vous paraissez vous oublier. Voilà le fond d’idolâtrie raffinée de vous-même que Dieu veut arracher. L’opération est violente, mais nécessaire. Allassiez-vous au bout du monde pour soulager votre amour-propre, vous n’en seriez que plus malade. Il faut ou le laisser mourir sous la main de D[ieu], ou lui fournir quelque aliment. Si vous n’aviez plus les personnes qui vous occupent, vous en chercheriez bientôt d’autres sous de beaux prétextes, et vous descendriez jusqu’aux plus vils sujets, faute de meilleurs. Dieu vous humilierait même par quelque entêtement méprisable, où il vous laisserait tomber. L’amour-propre se nourrirait des plus indignes aliments, plutôt que de mourir de faim.

Il n’y a donc qu’un seul véritable remède, et c’est celui que vous fuyez. Les douleurs horribles que vous souffrez viennent de vous, et nullement de Dieu. Vous ne le laissez pas faire. Dès qu’il commence l’incision, vous repoussez sa main, et c’est toujours à recommencer. Vous écoutez votre amour-propre dès que D[ieu] l’attaque. Tous vos attachements, faits par goût naturel, et pour flatter la vaine délicatesse de votre amour, se tournent pour vous en supplice. C’est une espèce de nécessité où vous mettez Dieu de vous traiter ainsi. Allassiez-vous au bout du monde, vous trouveriez les mêmes peines, et vous n’échapperiez pas à la jalousie de D[ieu], qui veut confondre la vôtre en la démasquant. Vous porteriez partout la plaie envenimée de votre cœur. Vous fuiriez en vain comme Jonas. La tempête vous engloutirait.

Je veux bien prendre pour réel tout ce qui n’est que chimérique. Eh bien! cédez à Dieu, et accoutumez-vous à vous voir telle que vous êtes. Accoutumez-vous à vous voir vaine, ambitieuse pour l’amitié d’autrui, tendant sans cesse à devenir l’idole d’autrui pour l’être de vous-même, jalouse et défiante sans aucune borne. Vous ne trouverez à affermir vos pieds qu’au fond de l’abîme. Il faut vous familiariser avec tous ces monstres. Ce n’est que par là que vous vous désabuserez de la délicatesse de votre cœur. Il en faut voir sortir toute cette infection. Il en faut sentir toute la puanteur. Tout ce qui ne vous serait pas montré ne sortirait point, et tout ce qui ne sortirait point serait un venin rentré et mortel. Voulez-vous accourcir l’opération? ne l’interrompez pas. Laissez la main crucifiante agir en toute liberté. Ne vous dérobez point à ses incisions salutaires.

N’espérez pas de trouver la paix loin de l’oraison et de la communion. Il ne s’agit pas d’apaiser votre amour-propre en l’épargnant, et en résistant à l’esprit de grâce, mais au contraire il s’agit de vous livrer sans réserve à l’esprit de grâce, pour n’épargner plus votre amour-propre. Vous pouvez vous étourdir, vous enivrer pour un peu de temps, et vous donner des forces trompeuses, telles que la fièvre ardente en donne aux malades qui sont en délire. Mais la vraie paix n’est que dans la mort. On voit en vous depuis quelques jours un mouvement convulsif pour montrer du courage et de la gaîté avec un fond d’agonie. O si vous faisiez pour D[ieu] ce que vous vous faites contre, quelle paix n’auriez-vous pas! O si vous souffriez, pour laisser faire Dieu, le quart de ce que vous vous faites souffrir pour l’empêcher de déraciner votre amour-propre, quelle serait votre tranquillité! Je prie celui à qui vous résistez de vaincre vos résistances, d’avoir pitié de cette force contre lui, qui n’est que faiblesse, et de vous faire malgré vous autant de bien que vous vous faites de mal. Pour moi, comptez que je vous poursuivrai sans relâche, et que je ne vous quitterai point. J’espère beaucoup moins de mes paroles et de mes travaux pour vous, que de ma peine intérieure, et de mon union à Dieu dans le désir de vous rapprocher de lui. 405.

1183. À LA COMTESSE DE MONTBERON. [À Cambrai] 9 décembre 1707.

Vous voulez, ma chère fille, appliquer le remède à l’endroit où le mal n’est point. Votre mal n’est point dans vos sentiments. Il n’est que dans vos réflexions volontaires. Vos sentiments sont vifs, injustes et contraires à la charité. Mais la volonté n’y a aucune part, et par conséquent ils ne sont point des péchés. Ce qui montre qu’ils ne sont pas volontaires, c’est que la volonté ne s’attache que trop à les rejeter d’une façon positive et marquée. C’est que vous avez par délicatesse d’amour-propre trop horreur de ces sentiments; c’est que cette horreur va jusqu’à vous troubler. Ainsi vous vous en prenez à ce qui n’est que l’ombre du mal, et c’est le remède qui devient un mal véritable. Ce premier mal ne serait qu’une simple douleur, comme celle des dents ou de la colique. Elle n’aurait rien de raisonné; ce serait une amertume, une tristesse, une plaie douloureuse au travers du cœur. Mais ce qui la rend insupportable, c’est le désespoir de l’amour-propre que vous y ajoutez par vos réflexions. Vous ne faites que deviner, et deviner faux sur les autres, que subtiliser sur vous pour vous tourmenter pour des riens. Ensuite vous vous faites par réflexion un second tourment du premier tourment déjà passé. En laissant tout tomber, vous contenteriez Dieu tout d’un coup. C’est le plus grand sacrifice que vous lui puissiez faire, que celui de lui abandonner tout ce tourbillon de vaines pensées, et de revenir tout court à lui seul. Rien n’expiera tant vos prétendus péchés d’amour-propre, que le simple délaissement de vous-même. C’est le remède spécifique à l’idolâtrie de soi, que le délaissement de soi-même. Tout autre remède aigrit et envenime la plaie délicate du cœur, à force de la retoucher. C’est un dangereux remède contre l’amour-propre, que de faire souvent l’anatomie de son propre cœur. Enfin vous n’êtes point docile, et c’est de quoi vous devriez faire plus de scrupule, que de vos sentiments involontaires, dont je me charge devant Dieu. Je le prie de vous ramener sans détour à la simplicité. Vous résistez à D[ieu], vous refusez la communion que vous savez bien que D[ieu] demande de vous. Au nom de D[ieu] finissez cette résistance.

1220. À LA COMTESSE DE MONTBERON. [Juillet 1708].

… N’ajoutez rien par vos agitations volontaires à ce que D[ieu] vous fait souffrir. C’est le détachement du cœur qui fait que Dieu se contente de la bonne volonté, et nous dispense du sacrifice. Il ne rendit Isaac à Abraham qu’après que le père eût levé le bras pour immoler son fils. Je ne vous demande point que vous leviez le bras. Il suffit que vous demeuriez souffrante et immobile sous la main de D[ieu] en recourant à sa bonté. Que ne donnerais-je point, et que ne voudrais-je point souffrir, ma chère fille, pour votre soulagement, et pour la guérison de notre malade.

1308. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À C[ambrai] 7 juin 1709.

… Votre grand mal n’est point dans le sentiment involontaire de jalousie qui ne ferait que vous humilier très utilement. Il est dans la révolte de votre cœur qui ne peut souffrir un mal si honteux, et qui, sous prétexte de délicatesse de conscience, veut secouer le joug de l’humiliation. Vous n’aurez ni fidélité ni repos que quand vous consentirez pleinement à éprouver toute votre vie tous les sentiments indignes et honteux qui vous occupent. Vos vains efforts ne feront qu’irriter le mal à l’infini. Mais ce mal sera un merveilleux remède à votre orgueil, dès que vous voudrez vous le laisser appliquer patiemment par la main de Dieu.

Accoutumez-vous donc à vous voir injuste, jalouse, envieuse, inégale, ombrageuse, et laissez votre amour-propre crever de dépit. La paix est là. Vous ne la trouverez jamais ailleurs. Quel fruit avez-vous eu jusqu’ici à désobéir? Il faut que D[ieu] fasse à chaque fois un miracle de grâce pour vous dompter. Vous usez tout, et votre amour-propre se déguise en dévotion bien empesée pour défaire l’ouvrage de D[ieu] qui est une opération détruisante. Laissez-vous détruire, et D[ieu] fera tout en vous. …406.

Approfondir cette longue relation est décevante du point de vue d’une approche mystique, mais cerne bien les problèmes posés par une dirigée scrupuleuse :

Relevé de correspondance

Lettres adressées à la COMTESSE DE MONTBERON (Marie GRUYN) :

1700 (19 lettres), 29 janvier, 22 février, 3 et 15 mars, 15 et 16 avril, 30 avril, 13, 17 et 23 juin, 26 et 28 juillet, 5 août, 2 septembre, 31 octobre, 2 et 7-8 novembre, 12 et 26 décembre,

1701 (39), 5 janvier, 28 et 29 janvier, 8 et 19 février, 3 et 22 mars, 2 et 4 avril, 26 et 27 avril, 6 et 7 mai, 15 mai, 10, 16 et 27 juin, 11 juillet, 26 et 30 juillet, ler août, 5 et 7 août, 14 et 21 août et 25 août, 7 et 9 septembre, 27 septembre, 8 et 16 octobre, 30 octobre, 6 novembre (?), 9 novembre, avant le 20 novembre, 20 et 21 novembre, entre 8 et 15 décembre, 15 décembre. Et L.1966, L.1967 en [CF 18]],

1702 (37), 5 et 6 janvier, 18 et 27 janvier, 4 et 15 février, 13 et 18 mars, 30 mars, 6 et 12 avril, 17 et 26 et 27 avril, 3 et 11 et 13 et 19 et 26 mai, 6 et 23 juin, 29 juin, ler juillet, entre 2 et 6 juillet, 8 et 12 et 29 juillet, 16 et 29 septembre, 10 et 13 octobre, 14-16 octobre (?),17 et 22 octobre, 4 novembre, 2 et 18 décembre.

1703 (16), 25 janvier, 8 février, 8 mai et 21 mai, 10 et 24 juin, 30 juillet, 8 et 20 et 23 août, 23 septembre, 4 et 9 octobre, 3 et 7 et 15 novembre. Et L.1968 de la mi-mai.

1704 (20), 1 janvier, 28 et 29 janvier, 10 février (1ere et 2e lettres), 1er et 4 et 12 mars, 16 mai, 17 et 31 juillet, 30 septembre, 11 et 21 octobre, 17 et 18 et 19 novembre (1ere et 2e lettres), 16 décembre. Et L.1969 à la mi-année.

1705 (8), 26 janvier, 19 mars, 11 août, 20 et 21 septembre, 7 novembre, 11 et 13 décembre,

1706 (11), 1er janvier, février, 20 avril, 30 avril, 28 juin, 8 et 13 septembre, 20 et 28 septembre, 2 octobre, 13 décembre,

1707 (28), 21 mars, 11 et 21 et 22 avril, 25 et 27 mai, 14 et 21 et 23 et 24 et 27 juin ( !), 18 juillet, 9 et 10 et 17 et 19 août, 1er et 3 septembre (1ere et 2e lettres), 23 septembre, 10 et 21 octobre, 9 et 27 et 30 novembre, 3 et 4 et 9 décembre. Et L.1970.

1708 (25), 2 janvier, 7 janvier, (lere et 2e lettres), 12 et 13 et 29 et 30 et 31 janvier ( !), 10 et 11 février (1ere et 2e lettres), 14 février, 16 mars, 15 et 16 avril, juillet, 13 et 14 et 16 et 25 juillet, ler et 11 septembre, 7 et 21 octobre, 16 novembre. Et L.1971.

1709 (15), 5 et 23 janvier, 5 et 13 février, 16 février (1ere et 2e lettres), 8 avril, 28 mai (1ere et 2e lettres), 7 juin, 8 août, 4 et 12 et 19 et 27 octobre,

1710 (11), 10 mai, 2 et 9 juin, juin, 8 et 21 juillet, 17 et 19 septembre, 6 novembre (1ere et 2e lettres), 14 novembre,

1711 (3), 6 juillet, 16 septembre, 10 décembre,

1712 (3), 24 mars, 31 mai, 12 juin,

1713 (4), 26 mai, 4 et 5 et 14 juin, 2 novembre,

1714 (1), 24 décembre.

Ajout [CF 18] signalés supra (6) : 1701 ?, 1703, mai, 1704, 1707 ?, Fragments.

Soit un total de 246 lettres en douze années : 2 à 3 lettres par mois (1700-1702, 1707-1708) comportant un creux (refroidissement ?) entre 1703 et 1706, sont suivies d’une décroissance (par lassitude ?) de 1707 à 1714.


Duc (1648-1714) et duchesse (-1733)de Beauvillier

« Les deux ducs » de Chevreuse et de Beauvillier épousèrent deux sœurs Colbert et furent fidèles du cercle quiétiste animé par Mme Guyon. Aussi nous accordons une place au couple ami de Chevreuse. Saint-Simon est l’ami des ducs407.

« Paul de Beauvillier, baptisé le 24 octobre 1648 à Saint-Aignan-sur-Cher, était le fils de François, duc de Saint-Aignan, et de sa première femme Antoinette Servien. Il fut d'abord destiné à l'Église, puis, après la mort de son frère aîné, pourvu de la charge de premier gentilhomme de la chambre que possédait son père (10 décembre 1666) et envoyé en Angleterre en octobre 1669. Il épousa le 21 janvier 1671 Henriette-Louise, seconde fille de Colbert. Maître de camp de cavalerie en 1671, brigadier le 25 février 1677, il devint le 2 mars 1679 duc et pair par la démission de Saint-Aignan. A « l'extrême étonnement » des courtisans, il venait le 6 décembre 1685 de remplacer le maréchal de Villeroy comme chef du Conseil des finances, place qui n'avait « jamais été occupée que par de vieux seigneurs ». Il succéda en 1687 à son père dans les gouvernements du Havre, de Loches et de Beaulieu. II deviendra chevalier des ordres le 31 décembre 1688, gouverneur du duc de Bourgogne le 16 août 1689 et ministre d'État le 24 juillet 1691 … Amis et adversaires s'accordaient pour juger que le trait le plus frappant du caractère de Beauvillier était sa dévotion … Il avait même reçu en 1681 des lettres de l'abbé de Rancé, pleines d'admiration pour « la vie qu'il menait au milieu de la Cour ». Saint-Simon note sa présence aux conférences données à l'abbaye de Montmartre par Bertot … Mais il faut attacher plus d'importance encore aux relations de Beauvillier avec M. Tronson qu'il connaissait au moins depuis 1677 et qu'il avait pris quelques mois plus tard pour directeur … En revanche, il ne passait pas pour très intelligent. D'après l'abbé Legendre, écho de l'archevêque Harlay, « Beauvillier était propre à cet emploi » de gouverneur des princes, « mais comme il n'était pas connu pour avoir plus d'esprit qu'un autre, ni d'expérience dans les affaires, on parut étonné de le voir ministre d'État » … Lors de sa promotion de décembre 1685, le Roi avait dit que cela ferait connaître combien il estimait les gens de bien et de probité » (CF 3 L.8, n.13) .

« Henriette-Louise Colbert, née en 1653 ou en 1655, épousa le 19 janvier 1671, Paul de Beauvillier. En avril 1679 elle avait eu droit au tabouret chez la Reine dont elle était devenue dame du Palais le 27 janvier 1680. Naturellement gaie et mondaine, elle avait vite subi l'influence de son mari qui écrivait le 10 juin 1677 : « Elle a plus d'envie que jamais de contenter Dieu et il me semble qu'elle ne recule pas ». Elle fut au nombre des auditrices de Bertot à Montmartre. Elle ne mourra, après un long veuvage, que le 19 septembre 1733 […] » (CF 3, L.8, n.1)

857. Au DUC DE BEAUVILLIER. À C[ambrai], 7 septembre 1702.

… Mais je voudrais seulement que vous laissassiez tomber toutes vos réflexions de sagesse, que vous n’eussiez aucun égard à tout ce que vous connaîtriez devant Dieu de votre timidité naturelle, et que vous fissiez et dissiez simplement, en chaque occasion de providence ce que l’esprit de grâce vous inspirerait alors. Je ne voudrais aucune démarche extraordinaire et démesurée par une espèce d’enthousiasme. C’est ce qui n’est point de votre grâce, et où vous courriez risque de prendre une chaleur d’imagination pour un mouvement de Dieu. Je ne voudrais que parler simplement, modérément, et selon les règles communes, quand Dieu vous en donnerait l’ouverture au-dehors, avec une certaine pente du dedans, contre laquelle vous n’auriez que des réflexions humaines et intéressées. On se flatte quelquefois, et on se ménage trop par politique timide, sous le beau prétexte de se réserver pour de grandes occasions, qui ne viendront peut-être jamais, et dans le fond on recherche sa sûreté et son repos. Mais on ne voit pas ce repli du fond de son cœur, et on croit n’agir que pour le bien général, dont on a en effet le zèle sincère. Moins vous vous écouterez, pour écouter Dieu paisiblement en chaque chose, plus vous sentirez votre cœur s’élargir, et votre force s’augmenter: mutaberis in alium virum. Faites-en l’essai, si vous osez. Ceux qui croiront, verront les fleuves d’eau vive couler de leurs entrailles. Mais vous ne recevrez que suivant la mesure de votre foi. C’est le peu de foi qui resserre le cœur. C’est l’abandon à Dieu qui le soulage, et qui en étend la capacité. Saint Paul dit, dilatamini 408 élargissez-vous. Dieu ne demande que de vous en épargner la peine. Laissez-le faire. Il vous élargira lui-même, pourvu que vous ne repoussiez pas son opération, en écoutant vos réflexions, ou celles d’autrui. …

865. Au DUC DE BEAUVILLIER. Au Casteau-Cambresis, ce 5 octobre [1702 ou 1703?].

… La bonne petite duchesse me paraît aller bien droit devant Dieu, selon sa grâce; elle est simple, elle est ferme. Comme elle est bien détachée du monde, elle voit par une sagesse de grâce ce qu’il y a à voir en chaque chose. Le pays où vous êtes court risque de les faire voir autrement. …409.

894.  Au DUC DE BEAUVILLIER. À Cambray, 27 janvier 1703.

Voulez-vous bien, mon bon Duc, que je vous souhaite une bonne année? Portez-vous bien. Point de remède, un peu de repos, de liberté et de gaîté d’esprit. Ce qui mettra votre cœur au large, soulagera aussi votre corps, et soutiendra votre santé410. La joie est un baume de vie, qui renouvelle le sang et les esprits. La tristesse, dit l’Écriture, dessèche les os. Ne faites que ce que vous pouvez: Dieu fera le reste bien mieux que vous. …

947. Au DUC DE BEAUVILLIER. À C[ambrai] 4 novembre 1703.

… Il faut que tout commence par le centre, que tout soit digéré d’abord dans l’estomac, qu’il devienne chyle, sang, et enfin vraie chair. C’est du dedans le plus intime que se distribue la nourriture de toutes les parties extérieures. L’oraison est comme l’estomac l’instrument de toute digestion. C’est l’amour qui digère tout411, qui fait tout sien, et qui incorpore à soi tout ce qu’il reçoit. C’est lui qui nourrit tout l’extérieur de l’homme dans la pratique des vertus. Comme l’estomac fait de la chair, du sang, des esprits pour les bras, pour les mains, pour les jambes, et pour les pieds, de même l’amour dans l’oraison renouvelle l’esprit de vie pour toute la conduite. Il fait de la patience, de la douceur, de l’humilité, de la chasteté, de la sobriété, du désintéressement, de la sincérité, et généralement de toutes les autres vertus autant qu’il en faut pour réparer les épuisements journaliers. Si vous voulez appliquer les vertus par le dehors, vous ne faites qu’une symétrie gênante, qu’un arrangement superstitieux, qu’un amas d’œuvres légales et judaïques, qu’un ouvrage inanimé. C’est un sépulcre blanchi. Le dehors est une décoration de marbre où toutes les vertus sont en bas-relief; mais au-dedans il n’y a que des ossements de morts. Le dedans est sans vie. Tout y est squelette. Tout y est desséché, faute de l’onction du S.Esprit. Il ne faut donc pas vouloir mettre l’amour au-dedans par la multitude des pratiques entassées au-dehors avec scrupule. Mais il faut au contraire que le principe intérieur d’amour cultivé par l’oraison à certaines heures, et entretenu par la présence familière de Dieu dans la journée, porte la nourriture du centre aux membres extérieurs, et fasse exercer avec simplicité en chaque occasion, chaque vertu convenable pour ce moment-là. …

1950. À LA DUCHESSE DE BEAUVILLIER. À Cambray, 28 décembre 1714.

Je vous supplie de me donner de vos nouvelles, Madame, par N... [l’abbé de Beaumont] que j’envoie chercher. Je suis en peine de votre santé, elle a été mise à de longues et rudes épreuves. D’ailleurs, quand le cœur est malade, tout le corps en souffre. Je crains pour vous les discussions d’affaires, et tous les objets qui réveillent votre douleur. Il faut entrer dans les desseins de Dieu, et s’aider soi-même pour se donner du soulagement. Nous retrouverons bientôt ce que nous n’aurons point perdu. Nous nous en approchons tous les jours à grands pas412. Encore un peu, et il n’y aura plus de quoi pleurer. C’est nous qui mourons: ce que nous aimons vit, et ne mourra plus. Voilà ce que nous croyons, mais nous le croyons mal. Si nous le croyions bien, nous serions pour les personnes les plus chères, comme J[ésus]-C[hrist] voulait que ses disciples fussent pour lui quand il montait au ciel : Si vous m’aimiez, disait-il, vous vous réjouiriez de ma gloire413. Mais on se pleure en pleurant les personnes qu’on regrette. On peut être en peine pour les personnes qui ont mené une vie mondaine; mais pour un véritable ami de Dieu, qui a été fidèle et petit, on ne peut voir que son bonheur et les grâces qu’il attire sur ce qui lui reste de cher ici-bas. Laissez donc apaiser votre douleur par la main de Dieu même qui vous a frappée. Je suis sûr que notre cher N… (Duc de Beauvillier] veut votre soulagement, qu’il le demande à Dieu, et que vous entrerez dans son esprit en modérant votre tristesse.

Relevé de correspondance

Lettres adressées à Paul de BEAUVILLIER et à Henriette-Louise COLBERT son épouse :

Duc Paul de BEAUVILLIER :

1690-1695, 1697, 16 avril, 12 et 14 et 26 août, 1er et 25 septembre,

1699, 29 mars, 5 octobre, 30 novembre, 30 novembre ( ? 2e lettre), décembre ( ?), (lettre de Paul de B.:) 27 mars,

1702, 22 juin, 9 et 24 juillet, 7-11 septembre, fin septembre. 5 octobre,

1703, 27 janvier, 9 - 7 février, 11 mars (?), 4 novembre,

1712, 25 décembre,

1713, 3 et 7 octobre.

Henriette-Louise COLBERT, duchesse de BEAUVILLIER :

1685, 28 décembre, 1686, 16 janvier,

1697, octobre,

1706, 4 août.



À Marie-Christine de Salm (1655- ?)

Nous livrons la longue notice d’Orcibal : elle évoque la position assez délicate d’un Fénelon directeur devant composer avec tous les personnages influents du Royaume et de l’Empire ; on le verra ailleurs conseiller l’électeur de Cologne 414.

Née le 22 décembre 1655 à Anholt, Marie-Christine de Salm, chanoinesse de Remiremont, appartenait à la famille des rhingraves, princes d'Anholt, dont une partie s'était mise sous la protection de la France (cf. Dangeau, 25 juillet 1690, t. III, p. 178). Elle était la fille de Léopold-Philippe-Charles qui prit séance au collège des princes à la diète de Ratisbonne de 1654 et mourut en 1663 à Anholt.

Son frère Charles-Théodore-Othon (27 juillet 1645 - 10 novembre 1710) était alors gouverneur de l'archiduc Joseph, le fils de l'empereur Léopold, auquel il devait faire épouser sa nièce (1699). Conseiller intime et maréchal de camp des armées de Léopold, il devint Premier ministre et grand-maître de la maison de l'empereur Joseph. En relation avec le janséniste Bernard Couet, il fut plus lié encore avec le vicaire apostolique Pierre Codde qu'il protégea à Rome, favorisant ainsi les origines du schisme d'Utrecht (réf.)

Charles-Théodore-Othon avait une autre soeur, Marie-Dorothée (1651 14 novembre 1702) élue en 1662 abbesse de Remiremont : elle se retira en 1670 lors de l'occupation française, mais revint en 1677. Aussitôt après elle voulut imposer la réforme commencée dès 1613 par l'abbesse Catherine de Lorraine; les dames firent des difficultés. En 1679, on convint d'arbitres : dom Henri Hennezon, abbé de Saint-Mihiel, et M. de Mageron, official de Toul, mais deux ans plus tard les chanoinesses retirèrent leur accord. L'abbesse consulta alors vingt-huit docteurs de Sorbonne qui l'assurèrent qu'elle était obligée en conscience de tout mettre en usage pour rendre effective l'obéissance aux règles (réf.). Le 26 décembre 1684, elle était à Paris pour « demander au Roi des commissaires pour établir la réforme parmi ses chanoinesses » (réf.) Elle soutenait que Remiremont était une fondation bénédictine, sécularisée après neuf siècles sans le consentement des supérieures, que d'ailleurs « le chapitre n'avait point de statuts, qu'il y fallait établir un ordre », mettant par là « dans ses intérêts toutes les personnes dévotes de profession ». D'abord instruit par le Parlement de Metz, le procès vint au Conseil au début de 1692 : le 27 janvier l'abbesse elle-même logeait au palais du Luxembourg chez Mme de Guise, mais, en octobre de la même année, elle avait, par-devant le notaire Le Vasseur, constitué pour procuratrice générale et spéciale la princesse Marie-Christine à qui elle donnait tout pouvoir (réf.)

Les mois suivants furent marqués par une lutte à coup de factums, pour lesquels les deux parties trouvèrent d'illustres collaborateurs. La doyenne et les chanoinesses, représentées à Paris par Geneviève Cocherel de Bourdonné, semblent avoir usé de la belle plume du jésuite Bouhours (réf.). Quant à l'abbesse, elle eut d'abord recours à dom Mabillon (réf.), mais nous verrons que Marie-Christine sollicita aussi les conseils de Fénelon. Lié aux Guise (cf. supra, lettre du 11 décembre 1692, n. 1), Gaignières les a-t-il mis en rapport ? Du fait que, par son second mariage avec une fille d'Anne de Gonzague, princesse palatine, son frère était devenu le beau-frère de la princesse de Condé, les Langeron pouvaient servir d'intermédiaires. On notera aussi que le maréchal de Noailles eut le 7 juillet 1694 une fille du nom de Marie-Christine (A. N., 111 AP 3, dossier 7). En tout cas, Fénelon adressa jusqu'à 1710 de nombreuses lettres à Marie-Christine (avec toutefois une interruption, au moins apparente, de 1695 à 1700), mais celle-ci ne fut nullement pour lui une disciple. C'est ainsi que, restée en correspondance avec dom Mabillon, elle lui écrivait le 16 mai 1695 : « Je vous prie... de me mander ce que deviendra Mme Quion. J'espère que M. de Meaux la remettra en bon chemin. Comment est-elle tombée entre ses mains, est-ce par ordre du Roi ou par sa propre volonté? Elle ne manquera pas aux lumières de ce grand prêtre : il la convertira ou il la contiendra, et l'un et l'autre est de grande conséquence pour la religion » (réf.). Bien plus, elle était alors en relations étroites avec des vannistes jansénistes tels qu'Hilarion Monnier et même Thierry de Viaixnes (ibid., cf. aussi TAVENEAUX, pp. 208 sqq.) et elle entretint à partir de 1698 une active correspondance avec Pierre Codde (ibid., pp. 209 sqq.). Elle appréciait en eux les adversaires de « la morale corrompue » (p. 211). Sans la contredire sur ce point, Fénelon s'emploiera plus tard à lui faire « connaître jusqu'où va l'autorité de l'Église » (p. 210).

A la date du 6 mai 1693, le Conseil d'État avait, « le Roi y étant », rendu cinq arrêts. Le 27 janvier 1692. Louis XIV confirma la commission qu'il avait donnée verbalement à l'archevêque de Paris et au P. de La Chaise et il leur adjoignit comme commissaire et rapporteur le substitut Barrin de La Galissonière, remplaçant feu l'official Chéron. Le 14 mai 1692, le Roi leur associait le chancelier. Le 11 février 1693, trois arrêts réglaient beaucoup de questions en litige au sujet des droits effectifs ou honorifiques de l'abbesse. Ils maintenaient en outre sa soeur dans la charge de grande censière. Mais il fallut ensuite attendre le 28 avril 1694 pour qu'un nouveau pas fût fait et nous verrons par les lettres de Fénelon, notamment par celle du 13 décembre 1693, que les princesses de Salm n'étaient pas sans raisons d'inquiétude. (CP 3, L.227 n.1)

1062. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. À Cambray, 31 octobre 1705.

Je suis sensiblement touché, Madame, de l’honneur de votre souvenir et de la continuation de vos bontés. Je prie souvent N.S. afin qu’il vous remplisse de son esprit et qu’il soit lui seul toutes choses en vous. Puisque vous êtes en paix dans votre solitude, il vaut mieux y demeurer qu’aller chercher bien loin ce qu’on ne trouve nulle part en ce monde. Le peu de jours qui nous restent ici-bas ne valent pas la peine de changer de place. La volonté de Dieu et la paix qu’elle donne se trouvent partout. Tout le reste n’est qu’illusion et inquiétude. Contentez-vous, Madame, du jour présent. Le jour de demain, comme J.C. nous l’assure, aura soin de lui-même. Passez-vous en esprit de foi de tous les secours extérieurs dont la Providence vous prive. Quand Dieu ne les donne pas, il supplée par lui-même, ou bien s’il nous ôte entièrement une certaine consolation sensible, ce n’est que pour nous éprouver et pour nous purifier par l’épreuve. Alors la privation, si elle est portée avec une entière fidélité et un vrai délaissement de l’âme à Dieu, devient bien plus utile que le secours extérieur auquel on serait attaché. Nous voudrions toujours des secours pour nous appuyer. Mais Dieu qui sait bien mieux que nous nos vrais besoins veut au contraire nous détacher de ces secours sur lesquels nous nous appuyons trop. O qu’on est bien, quand on est dans les mains de Dieu, content de ne pouvoir plus s’appuyer sur les hommes. Il faut être toujours prêt à dépendre d’eux par subordination, par docilité, par défiance de soi-même. Mais il faut être prêt aussi à perdre l’appui humain, quand Dieu l’ôte pour éprouver la foi. Contentez-vous, Madame, du peu de bien que vous pouvez faire sans trouble. On gagne peu sur les hommes. On ne vient guère à bout de les persuader, encore moins de les corriger, et de leur donner toute une conduite qui se soutienne’. Il faut se borner à tirer d’eux le plus qu’on peut, et attendre que Dieu fasse le reste; autrement on cause plus de révolte et de division qu’on ne fait du bien. Tout au plus on vient à bout de faire quelques changements extérieurs, mais ils sont forcés, ce n’est qu’une régularité judaïque et l’intérieur est pis qu’auparavant, car les cœurs sont aigris et aliénés. Faites-vous aimer pour faire aimer Dieu. Il faut prier qu’il abrège ces jours de tempête et qu’il nous donne bientôt une heureuse paix. Je vous plains dans la situation où cette guerre vous met, et j’en repasse avec amertume toutes les circonstances les plus tristes pour vous. Mais la croix est notre partage en ce monde. Nous n’y sommes que pour souffrir. Heureux qui aime sa croix. Je serais ravi si la Providence permettait que j’eusse encore l’honneur de vous voir une fois en ma vie. C’est avec le zèle et le respect le plus sincère que je serai jusqu’à la mort, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.

FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.

1133. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. A Cambray, ler avril 1707.

Je vous plains fort, Madame, mais Dieu qui ne veut pas nous laisser égarer a bordé notre chemin d’épines, afin que nous ne sentions que la douleur dès que nous cherchons à droite ou à gauche quelque satisfaction de l’amour-propre. Cette rigueur est une aimable miséricorde. Le seul moyen d’apaiser ou du moins de ralentir la critique des hommes est de se taire, de s’abstenir de se mêler des choses où ils ont quelque part, et de laisser les affaires aller si mal qu’on ne puisse pas vous accuser de les conduire à votre mode. Le pis-aller est que les esprits inquiets fassent des rapports sans aucun fondement ou donnent des ombrages contre vous. On ne saurait être à l’abri de l’orage, quand on est exposé aux soupçons de personnes puissantes, qui sont crédules, inappliquées et obsédées par des flatteurs. Il n’y a que la patience qui puisse remédier à ce mal. Tous les autres remèdes qu’on y chercherait seraient souvent pires que le mal même. La consolation qui doit nous soutenir dans ces embarras est que tout ce qui trouble notre repos sert à nous détacher de la vie et à nousdésabuser du monde. S’il nous flattait, sa flatterie serait un poison pour nos cœurs. Nous sommes trop heureux qu’il nous rebute, qu’il nous tracasse, et qu’il nous force à nous éloigner de ses vanités. Il nous sert bien plus utilement en nous donnant des croix qu’en nous trahissant par de fausses amitiés. O Madame, laissons les hommes et n’aimons que Dieu. Du moins ne ménageons les hommes que pour l’amour de lui. Quand nous aurons fait vers les hommes ce que Dieu demande, le meilleur pour nous est que nous n’en ayons aucune récompense en ce monde. Il n’y a qu’un seul ami sur qui on puisse compter. Si quelqu’un est ami fidèle et solide, il ne l’est qu’en Dieu. Il n’est point de ce monde. Le silence, la paix, la retraite, l’oraison, la joie de n’être rien, l’union humble et familière avec le bien-aimé dédommagent au centuple de ce que les prospérités du monde donneraient. Un jour dans la maison de Dieu vaut mieux que mille dans les tabernacles des pécheurs. Ménagez votre santé; accoutumez-vous à vous passer de tout ce qui dissipe. Comptez que le plus grand bien qu’on puisse faire est de mourir à la vivacité, à sa délicatesse et au goût de faire de belles choses, si Dieu veut nous tenir dans l’inutilité. Vous ne me feriez pas justice si vous doutiez des sentiments avec lesquels je vous suis de plus en plus dévoué en N.S. Je serai jusqu’à la mort plein de zèle et de respect pour vous, Madame. Que ne puis-je vous en donner les marques!

1218. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. À Cambray, 28 juin 1708.

On ne saurait, Madame, être plus touché que je le suis de la continuation de vos bontés. Je remercie Dieu des dispositions où il vous met. Plus on avance vers la fin de la vie, plus on doit être dégagé du monde qu’on quittera bientôt et redoubler son attention à Dieu auquel on arrive. Demeurez en paix dans votre place bonne ou mauvaise. Elle sera toujours très bonne, si vous y portez votre croix de bon cœur. Rien n’est meilleur que de souffrir et de se taire. Parler est un soulagement de l’amour-propre dans la souffrance. C’est ne souffrir qu’à demi, que de parler en souffrant. Mais faire taire l’amour-propre, et se livrer paisiblement à la croix, c’est mourir à tout. Faites chaque jour le bien grand ou petit qu’il vous est donné de faire, et faites-le sans retour sur vous, comptant qu’il est juste que vous soyez inutile à tout bien. Portez les défauts d’autrui sans impatience, sans critique, sans hauteur, et les vôtres sans flatterie ni découragement. Accoutumez-vous à voir vos fautes, vos faiblesses, vos infidélités et vos impuissances de vous corriger jamais par vos propres forces. Rabaissez-vous non seulement sous la puissante main de Dieu’, mais encore devant les créatures. Il n’y a que l’Esprit de Dieu qui puisse nous faire apercevoir nos hauteurs et nos délicatesses;. Il n’y a que cet esprit de vérité qui puisse nous rendre vrais, simples, petits et accommodants. Lui seul peut nous ôter tout art et toute fausseté; lui seul peut, en rompant la raideur de notre propre sens, et de notre propre volonté, nous rendre souples, pour nous faire tout à tous. Je suis fort aise, Madame, de ce que vous avez lu les ouvrages qui vous ont été envoyés. Il n’y a point d’autre ressource contre la présomption de l’esprit humain qu’une autorité absolue, qui ne lui laisse rien à décider. Tout est perdu si l’homme se permet encore de s’écouter. La vraie science est celle qui nous apprend à nous mépriser, à nous défier de nos vues et à être dociles. Nous avons un besoin infini de porter ce joug. Plus les hommes le supportent impatiemment, plus ils en prouvent la nécessité. Leur révolte contre cette autorité salutaire montre combien leur esprit est malade et incapable de s’en passer. Si les hommes priaient du cœur au lieu de raisonner sans fin, toutes les disputes tomberaient bientôt. On s’aimerait les uns les autres sans jalousie ni partialité, et la vérité uniquement aimée réunirait tous les cœurs. Fuyons toutes les préventions, n’écoutons que l’Église. Défions-nous du zèle amer. Voilà, Madame, ce que je vous souhaite. Pardon de tant de libertés. Je serai le reste de ma vie avec zèle et respect votre très humble, et très obéissant serviteur.

FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.

1247. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. À Cambrai] 30 septembre 1708.

[…] On est bien savant, quand on sait qu’on n’est rien, et que Dieu est tout. Au contraire on ne sait rien, quand on sait toutes les sciences, et qu’on ignore sa propre ignorance, et la vanité de tout ce qu’on sait. On apprend bien plus de Dieu dans le recueillement et dans le silence, que dans les raisonnements des savants. Quelque peine et quelque traverse que vous puissiez avoir, je vous trouve bien, pourvu que vous soyez en silence dans un coin, ouvrant et délaissant votre cœur à Dieu pour porter toutes vos croix avec humilité, patience et amour. Encore un peu, et celui qui doit venir viendra. Il ne tardera guère. Cependant mon juste vit de la foi. Vivez-en donc, Madame, et non de la sagesse humaine. […]

FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.



A la Marquise de Risbourg ( ~~1670-1720)

Marie-Françoise, quatrième enfant de François, comte d'Ursel, grand veneur et haut forestier de Flandres, colonel et général de bataille au service de Charles II, […] avait épousé avant 1690 Guillaume de Melun, marquis de Risbourg, baron de Walincourt, né après 1665, chevalier de la Toison d'or depuis 1700, colonel d'un régiment de dragons de son nom, maréchal de camp de Philippe V en 1704. La faveur de Louis XIV lui obtint le 19 décembre 1704 le titre de grand d'Espagne de première classe. Il passa alors dans la péninsule où il exerça des commandements de plus en plus importants […] il mourut le 6 octobre 1734. / Après le départ de son mari pour l'Espagne, la marquise de Risbourg ne le suivit pas et se mit sous la direction de Fénelon qui « la recevait parfois à sa table et la visitait, soit en sa maison de ville de Cambrai, soit en son château de Walincourt ». […] (CF 11, L.846, n.4).

Note sur la correspondance avec la marquise de Risbourg 415 :

LSP 139.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Il y a une chose dans votre lettre qui ne me plaît point, c’est de croire qu’il ne faut point me dire les petites choses qui vous occupent, parce que vous supposez que je les méprise, et que j’en serais fatigué. Non, en vérité, je ne méprise rien, et je serais moi-même bien méprisable si j’étais méprisant. Il n’y a personne qui ne soit malgré soi occupé de beaucoup de petites choses. La vertu ne consiste point à n’avoir pas cette multitude de pensées inutiles ; mais la fidélité consiste à ne les suivre pas volontairement, et la simplicité demande qu’on les dise telles qu’elles sont. Ces choses, il est vrai, sont petites en elles-mêmes ; mais il n’y a rien de si grand devant Dieu, qu’une âme qui s’apetisse pour les dire sans écouter son amour-propre. D’ailleurs ces petites choses feront bien mieux connaître votre fond, que certaines choses plus grandes, qui sont accompagnées d’une plus grande préparation et de certains efforts où le naturel paraît moins. Un malade dit tout à son médecin, et il ne se contente pas de lui expliquer les grands accidents; c’est par quantité de petites circonstances, qu’il le met à portée de connaître à fond son tempérament, les causes de son mal, et les remèdes propres à le guérir. Dites donc tout, et comptez que vous ne ferez rien de bon, qu’autant que vous direz tout ce que la lumière de Dieu vous découvrira pour vous le faire dire.

Je trouve que vous avez raison de ne souhaiter pas de lire présentement sainte Thérèse : ce qui vous en empêche est très bon. Vous ne serez jamais tant selon le bon plaisir de Dieu, que quand vous renoncerez à ce qu’on appelle esprit, et que vous négligerez le vôtre, comme une femme bien détrompée du monde renonce à la parure de son corps. L’ornement de l’esprit est encore plus flatteur et plus dangereux. Lisez bien saint François de Sales. Il est au-dessus de l’esprit; il n’en donne point, il en ôte, il fait qu’on n’en veut plus avoir; c’est une maladie dont il guérit. Bienheureux les pauvres d’esprit ! Cette pauvreté est tout ensemble leur trésor et leur sagesse.

LSP 140.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Je ne suis nullement surpris de vos peines. Il est naturel que vous les ressentiez. Elles doivent seulement servir à vous faire sentir votre impuissance, et à vous faire recourir humblement à Dieu. Quand vous sentez votre cœur vaincu par la peine, soyez simple et ingénue pour le dire. N’ayez point de honte de montrer votre faiblesse, et de demander du secours dans ce pressant besoin. Cette pratique vous accoutumera à la simplicité, à l’humilité, à la dépendance’. Elle détruira beaucoup l’amour-propre, qui ne vit que de déguisements, pour faire bonne mine quand il est au désespoir. D’ailleurs, cherchez à vous amuser à toutes les choses qui peuvent adoucir votre solitude et vous garantir de l’ennui, sans vous passionner ni dissiper par le goût du monde. Si vous gardiez sur le cœur vos peines, elles se grossiraient toujours, et elles vous surmonteraient enfin. Le faux courage de l’amour-propre vous causerait des maux infinis. Le venin qui rentre est mortel; celui qui sort ne fait pas grand mal. Il ne faut point avoir de honte de voir sortir le pus qui sort de la plaie du cœur. Je ne m’arrête nullement à certains mots qui vous échappent, et que l’excès de la peine vous fait dire contre le fond de votre véritable volonté. Il suffit que ces saillies vous apprennent que vous êtes faible, et que vous consentiez à voir votre faiblesse et à la laisser voir à autrui.

LSP 141.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Rien n’est meilleur que de dire tout. On ouvre son cœur; on guérit ses peines en ne les gardant point : on s’accoutume à la simplicité et à la dépendance ; car on ne réserve que les choses sur lesquelles on craint de s’assujettir: enfin on s’humilie, car rien n’est plus humiliant que de développer les replis de son cœur pour découvrir toutes ses misères ; mais rien n’attire tant de bénédiction.

Ce n’est pas qu’il faille se faire une règle et une méthode de dire avec une exactitude scrupuleuse tout ce qu’on pense : on ne finirait jamais, et on serait toujours en inquiétude de peur d’oublier quelque chose. Il suffit de ne rien réserver par défaut de simplicité et par une mauvaise honte de l’amour-propre, qui ne voudrait jamais se laisser voir que par ses beaux endroits; il suffit de n’avoir nul dessein de ne dire pas tout selon les occasions : après cela, on dit plus ou moins sans scrupule, suivant que les occasions et les pensées se présentent. Quoique je sois fort occupé, et peut-être souvent fort sec, cette simplicité de grâce ne me fatiguera jamais ; au contraire, elle augmentera mon ouverture et mon zèle. Il ne s’agit point de sentir, mais de vouloir. Souvent le sentiment ne dépend pas de nous; Dieu nous l’ôte tout exprès pour nous faire sentir notre pauvreté, pour nous accoutumer à la croix par la sécheresse intérieure, et pour nous purifier, en nous tenant attachés à lui sans cette consolation sensible. Ensuite il nous rend ce soulagement de temps en temps, pour compatir à notre faiblesse.

Soyez avec Dieu, non en conversation guindée, comme avec les gens qu’on voit par cérémonie et avec qui on fait des compliments mesurés, mais comme avec une bonne amie qui ne vous gêne en rien, et que vous ne gênez point aussi. On se voit, on se parle, on s’écoute, on ne se dit rien, on est content d’être ensemble sans se rien dire ; les deux cœurs se reposent et se voient l’un dans l’autre, ils n’en font qu’un seul ; on ne mesure point ce qu’on dit, on n’a soin de rien insinuer ni de rien amener; tout se dit par simple sentiment et sans ordre ; on ne réserve, ni ne tourne, ni ne façonne rien ; on est aussi content le jour qu’on a peu parlé, que celui qu’on a eu beaucoup à dire. On n’est jamais de la sorte qu’imparfaitement avec les meilleurs amis ; mais c’est ainsi qu’on est parfaitement avec Dieu, quand on ne s’enveloppe point dans les subtilités de son amour-propre. Il ne faut point aller faire à Dieu des visites, pour lui rendre un devoir passager; il faut demeurer avec lui dans la privauté des domestiques, ou, pour mieux dire, des enfants. Soyez avez lui comme mad. votre fille est avec vous416; c’est le moyen de ne s’y point ennuyer. Essayez-le avec cette simplicité, et vous m’en direz des nouvelles.

LSP 142.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Il ne faut point délibérer pour savoir si vous devez tout dire. On ne peut rien faire de bon, que par une entière simplicité et par une ouverture de cœur sans réserve. Il n’y a point d’autre règle, que celle de ne rien réserver volontairement par la répugnance que l’amour-propre aurait à dire ce qui lui est désavantageux. D’ailleurs il serait hors de propos de s’appliquer, pendant l’oraison, aux choses qui se présentent, pour les dire ; car ce serait suivre la distraction. Il suffit de dire dans les occasions, avec épanchement de cœur, tout ce qu’on connaît de soi. Je comprends bien qu’un certain trouble de l’amour-propre fait que diverses choses, que l’on comptait de dire, échappent dans le moment où l’on en doit parler; mais, outre qu’elles reviennent un peu plus tard, et qu’on ne perd pas toujours les choses importantes que l’on connaît de soi-même, de plus Dieu bénit cette simplicité, et il ne permet pas qu’on ne fasse point connaître ce que sa lumière nous montre en nous de contraire à sa grâce. Le principal point est de ne pas trop subtiliser par les réflexions, et de dire tout sans façon, selon la lumière qu’on en a, quand l’occasion vient. Il n’y a que les enveloppes de l’amour-propre qui puissent cacher le fond de notre cœur. Ne vous écoutez point vous-même ; alors vous vous ouvrirez sans peine, et vous parlerez de vous avec facilité comme d’autrui.

Tout ce que vous m’avez mandé de votre oraison est très bon. J’en remercie Dieu, et je vous conjure de continuer. N’oubliez jamais cette bonne parole de votre première lettre: j’expérimente que la grâce ne me manque point quand je désespère bien de moi. Celle-ci est encore excellente : je sens que la croix m’attache à Dieu. Enfin en voici une troisième que je goûte fort: il me semble que Dieu ne veut pas que j’examine tant mes dispositions, qu’il demande que je m’abandonne à lui. Tenez-vous dans cet état, et revenez-y dès que vous apercevez que vous en êtes déchue.

La seconde lettre marque que cet état est altéré. Il faut le rétablir en laissant doucement et peu à peu tomber vos réflexions, qui ne vont qu’à vous distraire et à vous troubler. Les tentations de vaine complaisance ne doivent pas vous empêcher ni de me parler ni de m’écrire. Il ne faut point s’occuper curieusement de soi ; mais il faut dire simplement tout ce que la lumière de Dieu en fait voir.

Je ne m’étonne point de ce que Dieu permet que vous fassiez des fautes, dans le temps même des ferveurs et du recueillement, où vous voudriez le moins en faire. La Providence qui permet ces fautes est une des grâces que Dieu vous fait en ce temps-là ; car Dieu ne permet ces fautes, que pour vous faire sentir votre impuissance de vous corriger par vous-même. Qu’y a-t-il de plus convenable à la grâce, que de vous désabuser de vous-même, et de vous réduire à recourir sans cesse en toute humilité à Dieu ? Profitez de vos fautes, et elles serviront plus, en vous rabaissant à vos propres yeux, que vos bonnes œuvres en vous consolant. Les fautes sont toujours fautes ; mais elles nous mettent dans un état de confusion et de retour à Dieu qui nous fait un grand bien.

Je ne m’étonne point que vous ayez des saillies de chagrin; mais il faut se taire dès que l’esprit de grâce avertit et impose silence. Alors c’est résister à Dieu, contrister le Saint-Esprit, que de continuer à suivre son chagrin. La crainte de déplaire à Dieu devrait vous retenir plus que la crainte de déplaire aux créatures. Quand vous avez fait une faute par amour-propre, n’espérez pas que l’amour-propre la répare par ses dépits, par sa honte, et par ses impatiences contre soi-même. Il faut se supporter en se voyant sans se flatter dans toute son imperfection. Il faut vouloir se corriger par amour de Dieu, sans se soulever contre son imperfection par amour-propre. Il vaut bien mieux travailler paisiblement à se corriger, que de se dépiter à pure perte sur ses misères. Il faut retrancher partout les retours de sagesse pour soi, et surtout en confession. Mais Dieu permet qu’on trouve la boue au fond de son cœur jusque dans les plus saints exercices.

LSP 143.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Ce que je vous ai dit ne vous a fait une si grande peine, qu’à cause que j’ai touché l’endroit le plus vif et le plus sensible de votre cœur. C’est la plaie de votre amour-propre que j’ai fait saigner. Vous n’êtes point entrée avec simplicité dans ce que Dieu demande de vous. Si vous aviez acquiescé à tout sans vous écouter vous-même, et si vous eussiez communié pour trouver en Notre-Seigneur la force qui vous manque dans votre propre fond, vous auriez eu d’abord une véritable paix avec un grand fruit de votre acquiescement. Ce qui n’a pas été fait peut se faire, et je vous conjure de le faire au plus tôt417.

LSP 144.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Il est vrai que vous vous observez trop, que vous vous’ voulez trop deviner par amour-propre délicat et ombrageux, et que vous vous piquez facilement; mais il faut porter cette croix intérieure comme les extérieures. Elle est bien plus rude que celles du dehors. On souffre bien plus volontiers de la déraison d’autrui, que de sa déraison propre. L’orgueil en est au désespoir, il se pique de s’être piqué; mais cette double piqûre est un double mal. Il n’y a qu’un seul remède, qui est de mettre à profit nos imperfections en les faisant servir à nous humilier, à nous confondre, à nous désabuser de nous-mêmes, et à nous mettre en défiance de notre cœur.

Vous devez remercier Dieu de ce qu’il vous fait sentir que le travail nécessaire pour gagner M […]. est un de vos premiers devoirs. Mourez à vos répugnances, pour vous mettre à portée de lui apprendre à mourir à tous ses défauts. Vous ne vous trompez nullement quand vous me regardez comme un ami sincère et à toute épreuve ; mais vous faites un obstacle à la grâce, de ce qui en doit être le pur instrument, si vous n’êtes pas fidèle à chercher Dieu seul en moi, et à n’y voir que sa lumière, comme les rayons du soleil au travers d’un verre vil et fragile.

Vous ne trouverez la paix ni dans la société ni dans la solitude, quand vous y voudrez trouver des ragoûts et des soulagements de votre amour-propre dépité. Alors la solitude d’un orgueil boudeur est encore pis qu’une société un peu dissipée. Quand vous serez simple et petite, les compagnies ne vous gêneront ni ne vous dépiteront pas ; alors vous ne chercherez la solitude que pour Dieu seul.

LSP 501. À LA MARQUISE DE RISBOURG

Je prends part à toutes vos souffrances, ma très chère fille; mais je suis consolé de voir votre bonne résolution. Il fut dit à saint Paul : Il vous est dur de regimber contre l’aiguillon. Si vous ne résistiez jamais à Dieu, vous n’auriez que paix dans les douleurs mêmes. Il me tarde de vous aller voir: un autre moi-même y va pour moi418.

LSP 502. À LA MARQUISE DE RISBOURG

Je crois que la bonne personne dont il s’agit doit faire deux choses. La première est de ne s’arrêter jamais à aucune de ses lumières extraordinaires. Si ces lumières sont véritablement de Dieu, il suffit, pour ne leur point résister et pour en recevoir tout le fruit, de demeurer dans un acquiescement général et sans aucune borne à toute volonté de Dieu, dans les ténèbres de la plus simple foi. Si, au contraire, ces lumières ne viennent pas de Dieu, cette simplicité paisible dans l’obscurité de la foi est le remède assuré contre toute illusion. On ne se trompe point quand on ne veut rien voir, et qu’on ne s’arrête à rien de distinct pour le croire, excepté les vérités de l’Évangile. Il arrive même souvent que les lumières sont mélangées : auprès de l’une qui est vraie et qui vient de Dieu, il s’en présente une autre qui vient de notre imagination, ou de notre amour-propre, ou du tentateur qui se transforme en ange de lumière. Les vraies lumières mêmes sont à craindre, car on s’y attache avec une complaisance subtile et secrète : elles font insensiblement un appui et une propriété ; elles se tournent par là en illusion malgré leur vérité ; elles empêchent la nudité et le dépouillement que Dieu demande des âmes avancées. De là vient que ces dons lumineux ne sont d’ordinaire que pour des âmes médiocrement mortes à elles-mêmes, au lieu que celles que Dieu mène plus loin outrepassent par simplicité tous ces dons sensibles. On voit les rayons du soleil distinctement à un demi-jour, près d’une fenêtre; mais dehors en plein air on ne les distingue plus.

Je conjure cette bonne personne de laisser tomber simplement tous ces’ dons, sans les rejeter positivement, et se bornant à n’y faire aucune attention par son propre choix. S’ils sont de Dieu, ils opèreront assez ce qu’il faudra; mais je crois qu’ils cesseront peu à peu, à mesure que la simplicité et le dénuement croîtront. Voilà le premier point, qui est d’une conséquence extrême, si je ne me trompe.

Le second point est que je crois qu’elle doit par simplicité suivre sans scrupule les pentes du fond de son cœur. Si elle suit toujours avec méthode et exactitude toutes les règles que des gens d’ailleurs très pieux lui donneront, elle se gênera beaucoup, et gênera en elle l’esprit de Dieu. Là où est cet esprit, là est la liberté, dit saint Paul. À Dieu ne plaise que cette liberté d’amour soit l’ombre du moindre libertinage ! C’est cette liberté qui élargira son cœur, et qui l’accoutumera à être familièrement avec Dieu. Il ne suffit pas de nourrir un enfant ; à un certain âge, il faut le démaillotter. Elle doit suivre simplement en esprit d’enfance l’attrait intérieur pour les temps d’oraison, pour les objets dont elle s’y occupe, pour parler, pour se taire, pour agir, pour souffrir. Cette dépendance de l’esprit de mort, qui est celui de la véritable vie, fera tout son état. Je ne parle point des pentes qui ne viennent que par contrecoup et par réflexion ; c’est en écoutant l’amour-propre et ses arrangements, que de telles pentes nous viennent.

Ce sont des pentes étrangères à notre vrai fond: on se les donne ; on les prépare; elles sont raisonnées : on ne les trouve point toutes formées en nous comme sans nous. Les bonnes sont celles qui se trouvent dans le fond le plus intime en paix et devant Dieu, quand on se prête à lui, et qu’on suspend tout le reste pour le laisser opérer.

Voilà ce que je souhaiterais que cette personne suivît sans retour, et par simple souplesse, comme la plume se laisse emporter sans hésitation au plus léger souffle de vent. Il ne faut point craindre de suivre cette impression si intime et si délicate, car elle ne mène qu’à la mort, qu’à l’obscurité de la foi, qu’au dénuement total, et qu’à un rien de foi qui est le tout de Dieu seul, sans manquer à aucun véritable devoir.

Pour les souffrances, il n’y a qu’à les recevoir sans attention, et qu’à les outrepasser comme les lumières, ne comptant point avec Dieu pour ce que l’on souffre, et ne les remarquant qu’autant que la remarque en vient sans la chercher ni entretenir.

Il faut recevoir tout le monde avec petitesse, surtout les prêtres en autorité; mais il ne faut pas se laisser brouiller et dérouter par toutes sortes de bonnes gens sans expérience suffisante. Dieu donnera tout ce qu’il faut sans lumière distincte, si on se contente des ténèbres de la foi, et si on ne veut point des sûretés à sa mode pour s’appuyer sensiblement. Je me recommande aux prières de cette bonne personne, et je ne l’oublierai pas dans les miennes.419

Relevé de correspondance. 


Nous ne reprenons pas en détail les LSP 492-500 adressées à la marquise de Risbourg, v.les tables [CF 14 & 16].

Madame de la Maisonfort (1663-après 1717)

Cousine de Mme Guyon, bras droit dans la fondation de Saint-Cyr, puis « exilée » en divers lieux religieux.

« Marie-Françoise-Silvine de la Maisonfort, née le 6 octobre 1663, fille d'Antoine-Paul Le Maistre de La Maisonfort, oncle de Mme Guyon. Bien faite et agréable, elle sut bientôt gagner l'esprit de son abbesse qui la mena à Nancy au passage de la Dauphine en mars 1680. Sa famille étant très pauvre et, son père remarié, elle vint à Paris. Mme de Brinon, directrice de Saint-Cyr, la retint comme « maîtresse séculière rétribuée. » Dès l'été 1684, elle suscitait l'enthousiasme de Mme de Maintenon qui la chargeait de remplacer la supérieure, ne tarissait pas d'éloges à son sujet et se plaignait de ne pas entendre assez parler d'elle. A Versailles elle était « connue même très particulièrement du Roi qui la voyait tous les jours chez Mme de Maintenon et lui faisait l'honneur de lui parler ». Elle prononça en 1694 ses vœux solennels. Bien qu'elle fût depuis le début de 1696 en relation avec Bossuet, elle fut chassée le 10 mai 1697 de Saint-Cyr comme quiétiste. […] Sur sa demande, elle passa chez les visitandines de Meaux, mais en raison de la même aversion pour « leurs petitesses », elle fut transférée le 23 octobre 1701 chez les ursulines de Meaux puis, en 1707, chez les bernardines d'Argenteuil. A la mort de Bossuet, Mme de La Maisonfort reprit sa correspondance avec Fénelon ( ?) et Mme Guyon. » [O] 420.

314. À Mme DE LA MAISONFORT. [Mars 1695].

Il n’y a de mauvaises réflexions que celles qu’on fait par amour-propre sur soi-même et sur les dons de Dieu pour se les approprier. Il est aussi bon en soi de réfléchir que de s’occuper autrement ; le mal est de se regarder avec complaisance ou avec inquiétude. Quand la grâce porte l’âme à faire des réflexions sur soi, elles sont aussi parfaites que la présence de Dieu la plus sublime. Si donc on parle souvent de laisser tomber les réflexions, et de s’oublier, cela ne se doit entendre que du retranchement des réflexions empressées de l’amour-propre, qui sont presque toujours celles qu’on remarque dans les âmes, ou de celles qui interrompraient la vue actuelle de Dieu dans les temps d’oraison simple.

Saint François de Sales n’a pas prétendu retrancher toute action de grâces, ni toute attention à nous-mêmes : autrement il ne faudrait plus de colloque amoureux avec Dieu, tel que les grands saints en ont dans l’oraison la plus passive. Il ne faudrait plus de directeur ; car on parle sans cesse au directeur de soi et de ses dispositions, ce qui est une réflexion sur soi-même. Tout se réduit donc à ne point faire des actes empressés, ni même méthodiques et arrangés, pour s’examiner, ou pour rendre grâces à Dieu, quand l’attrait d’oraison est actuel, et qu’il nous occupe du repos d’amour avec Dieu.

La neuvième proposition est la seule sur laquelle j’ai hésité; mais comme on trouve dans la XXXIIIe ce qui me paraît nécessaire pour l’éclaircir421, je n’ai pas cru devoir m’arrêter là-dessus. Quoique la récompense qui est le bonheur éternel, ne puisse jamais être réellement séparée de l’amour de Dieu, ces deux choses néanmoins peuvent être séparées dans nos motifs ; car on peut aimer Dieu purement pour lui-même, quand même cet amour ne devrait jamais nous rendre heureux.

Beaucoup de saints canonisés ont été dans ce sentiment ; il est même le plus autorisé dans les écoles. Ces âmes ne souhaitent point leur salut en tant qu’il est leur salut propre, leur avantage et leur bonheur. Si Dieu les devait anéantir à la mort, ou leur faire souffrir un supplice éternel, sans le haïr et sans perdre son amour, elles ne le serviraient pas moins, et elles ne le servent pas davantage pour la récompense qu’il promet. Ce qu’elles veulent à l’égard du salut, c’est la perpétuité de l’amour de Dieu, et la conformité à sa volonté, qui est que tous les hommes en général et chacun de nous en particulier soient sauvés. On ne veut donc point en cet état son salut, comme son propre salut, et à cet égard on y est indifférent ; mais on le veut comme une chose que Dieu veut, et en tant que le salut est la perpétuité même de l’amour divin. L’amour ne peut vouloir cesser d’aimer.

Saint François dit, il est vrai, que l’oraison de quiétude contient éminemment les actes d’une méditation discursive. Et en effet, toutes les fois qu’on se sent attiré à cette oraison avec une répugnance aux actes discursifs, il faut se laisser à cet attrait, pourvu qu’on soit dans un état assez avancé pour cette sorte d’oraison. Mais il ne s’ensuit pas que cette oraison exclue pour toujours tous les actes distincts. Ces actes, dans un grand nombre d’occasions de la vie, sont les fruits de cette oraison, et les fruits de cette oraison, qui sont les actes, étant faits dans les occasions sans empressement, servent à leur tour à cette oraison, pour la rendre plus pure et plus forte. Une personne qui ne ferait jamais de ces actes simples et paisibles en aucune des occasions principales où il est naturel d’en faire, et qui se contenterait d’une quiétude générale comme plus parfaite, me paraîtrait dans l’illusion, et dans l’inexécution de la loi de Dieu.

Les âmes les plus passives font aussi des actes distincts et en grand nombre, mais sans empressement ; c’est ce que les mystiques appellent coopérer avec Dieu sans activité propre. Je crois que ces actes distincts se font même dans l’oraison ; mais ils se font par une certaine pente et une certaine facilité spéciale qui est dans le fond de l’âme, par l’habitude de l’oraison passive, pour former, selon les besoins, les actes les plus éminents.

Toute la vie des âmes passives se réduit à l’unité et simplicité de la quiétude, quand Dieu les y met actuellement. Mais ce principe d’unité et de simplicité se multiplie d’une manière très distincte et très variée selon les besoins et les occasions, et même suivant les choses que Dieu veut opérer dans l’intérieur, sans aucune occasion extérieure. Cet amour simple de repos, pendant qu’il est actuel, est un tissu d’actes très simples et presque imperceptibles. Quand cet amour direct et de repos n’est pas actuel, ce principe d’unité, comme le tronc d’un arbre, se multiplie dans ses branches et dans ses fruits. Il devient pendant la journée une occupation indirecte de Dieu. C’est tantôt acquiescement aux croix, puis à l’abandon, aux délaissements ; une autre fois, support des contradictions ; dans la suite, renoncement à la sagesse propre, docilité pour le prochain, attachement à l’obéissance, etc. C’est l’esprit un et multiplié dont parle Salomon. Tantôt il n’est qu’une chose, tantôt il en est plusieurs. Il est simple par son principe dans la multitude des actes depuis le matin jusqu’au soir, quoiqu’ils ne soient pas toujours discursifs et réfléchis. La grâce y incline doucement l’âme en chaque moment, suivant l’occasion et le dessein de Dieu. …

190. LSP 25. À Mme DE LA MAISONFORT. 29 février [1692].

Je me réjouis de vous savoir à la veille d’un grand sacrifice où j’espère que vous trouverez la paix. Il la faut moins chercher par l’état extérieur, que par la disposition intérieure. Toutes les fois que vous voudrez prévoir l’avenir, et chercher des sûretés avec Dieu, il vous confondra dans vos mesures, et tout ce que vous voudrez retenir vous échappera. Abandonnez donc tout sans réserve. La paix de Dieu ne subsiste parfaitement que dans l’anéantissement de toute volonté et de tout intérêt propre. Quand vous ne vous intéresserez plus qu’à la gloire de Dieu et à l’accomplissement de son bon plaisir, votre paix sera plus profonde que les abîmes de la mer, et elle coulera comme un fleuve. Il n’y a que la réserve, le partage d’un cœur incertain, l’hésitation d’un cœur qui craint de trop donner, qui puisse troubler ou borner cette paix, immense dans son fond comme Dieu même. […]

Dieu vous veut sage, non de votre propre sagesse, mais de la sienne. Il vous rendra sage, non en vous faisant faire force réflexions, mais au contraire en détruisant toutes les réflexions inquiètes de votre fausse sagesse. Quand vous n’agirez plus par vivacité naturelle, vous serez sage sans sagesse propre. Les mouvements de la grâce sont simples, ingénus, enfantins. La nature impétueuse pense et parle beaucoup : la grâce parle et pense peu, parce qu’elle est simple, paisible et recueillie au-dedans. Elle s’accommode aux divers caractères; elle se fait tout à tous; elle n’a aucune forme ni consistance propre, car elle ne tient à rien, mais elle prend toutes celles des gens qu’elle doit édifier. Elle se proportionne, se rapetissse, se replie. Elle ne parle point aux autres selon sa propre plénitude, mais suivant leurs besoins présents. Elle se laisse reprendre et corriger. Surtout elle se tait, et ne dit au prochain que ce qu’il est capable de porter; au lieu que la nature s’évapore dans la chaleur d’un zèle inconsidéré. […]422.

LSP 145* A MADAME DE LA MAISONFORT

Dieu ne donne son esprit qu’à ceux qui le lui demandent avec douceur et petitesse. Rapetissez-vous donc, radoucissez votre cœur. Devenez un bon petit enfant, qui se laisse porter partout où l’on veut, et qui ne demande pas même où est-ce qu’on le porte. Pour moi, je ne puis plus avoir l’honneur de vous voir; mais vous n’avez aucun besoin de moi, si vous avez le courage de ne rien décider, et de vous livrer à la volonté de ceux qui gouvernent. Il y avait autrefois un solitaire qui s’était dépouillé du livre des Évangiles, et qui disait: «Je me suis dépouillé de tout, même du livre qui m’a enseigné le dépouillement.» À quoi sert l’abandon que vous avez tant aimé ? N’est-ce pas une illusion, si on ne le pratique quand les occasions s’en présentent ? Je ne suis point comparable au livre sacré des Évangiles, où est la parole de vie éternelle ; mais quand je serais un ange du ciel, au lieu que je ne suis qu’un indigne prêtre, il ne faudrait se souvenir de moi que pour se souvenir de ce que j’ai pu dire de bon.

Je ne vous ai jamais parlé que d’abandon sans réserve et de docilité enfantine. Je ne vous ai donc enseigné qu’à vous détacher de moi comme de tout le reste, et qu’à vous abandonner sans hésitation à la conduite de vos supérieurs423. Ce serait vous ôter de votre grâce et de l’ordre de Dieu, que de vouloir vous donner encore des secours auxquels vous devez mourir. Quand le temps de mourir à certains secours est venu, ces secours ne sont plus secours, ils se tournent en pièges. Au lieu d’être des moyens qui unissent à Dieu, ils deviennent un milieu humain entre Dieu et nous, qui nous arrête, et nous empêche de nous unir immédiatement à lui. Je le prie de tout mon cœur, Madame, de vous donner l’esprit de foi et de sacrifice dont vous avez besoin pour accomplir sa volonté. Personne ne vous honorera jamais plus parfaitement que moi424.

LSP 206.*A MADAME DE LA MAISONFORT

Je m’en tiens à ce que vous dites, qui est que vous résistez sans cesse à la volonté de Dieu. L’impression qu’il vous donne est d’être occupée de lui; mais les réflexions de votre amour-propre ne vous occupent que de vous-même. Puisque vous connaissez que vous seriez plus en repos, si vous ne vouliez pas sans cesse, par vos efforts, atteindre à une oraison élevée, et briller dans la dévotion, pourquoi ne cherchez-vous pas ce repos ? Contentez-vous de suivre Dieu et ne prétendez pas que Dieu suive vos goûts pour vous flatter. Faites l’oraison comme les commençants les plus grossiers et les plus imparfaits, s’il le faut: accommodez-vous à l’attrait de Dieu et à votre besoin. Il est vrai qu’il ne faut pas se troubler quand on sent en soi les goûts corrompus de l’amour-propre. Il ne dépend pas de nous de ne les sentir point ; mais il n’y faut donner aucun consentement de la volonté, et laisser tomber ces sentiments involontaires, en se tournant d’abord simplement vers Dieu. Moyennant cette conduite, il faut communier, et il faut même communier pour la pouvoir tenir. Si vous attendiez à communier que vous fussiez parfaite, vous n’auriez jamais ni la communion ni la perfection ; car on ne devient parfait qu’en communiant, et il faut manger le pain descendu du ciel pour parvenir peu à peu à une vie toute céleste.

Pour vos croix, il faut les prendre comme la pénitence de vos péchés, et comme l’exercice de mort à vous-même qui vous mènera à la perfection. O que les croix sont bonnes ! O que nous en avons besoin ! Eh ! que ferions-nous sans croix? Nous serions livrés à nous-mêmes, et enivrés d’amour-propre. Il faut des croix, et même des fautes, que Dieu permet pour nous humilier. Il faut mettre tout à profit, éviter les fautes dans l’occasion, et s’en servir pour se confondre dès qu’elles sont faites. Il faut porter les croix avec foi, et les regarder comme des remèdes très salutaires.

Craignez la hauteur ; défiez-vous de ce que le monde appelle la bonne gloire; elle est cent fois plus dangereuse que la plus sotte. Le plus subtil poison est le plus mortel. Soyez douce, patiente, compatissante aux faiblesses d’autrui, incapable de toute moquerie et de toute critique. La charité croit tout le bien qu’elle peut croire, et supporte tout le mal qu’elle ne peut s’empêcher de voir dans le prochain. Mais, pour être ainsi morte au monde, il faut vivre à Dieu ; et cette vie intérieure ne se puise que dans l’oraison. Le silence et la présence de Dieu sont la nourriture de l’âme.

LSP 207.* A MADAME DE LA MAISONFORT

J’ai reçu votre dernière lettre. Il m’y paraît que Dieu vous fait de grandes grâces, car il vous éclaire et poursuit beaucoup; c’est à vous à y correspondre. Plus il donne, plus il demande; et plus il demande, plus il est juste de lui donner.

Vous voyez qu’il retire ses consolations et l’attrait du recueillement, dès que vous vous laissez aller au goût des créatures qui vous dissipent. Jugez par là de la jalousie de Dieu et de celle que vous devez avoir contre vous-même, pour n’être plus à vous, et pour vous livrer toute à lui sans réserve.

Vous aviez bien raison de croire que le renoncement à soi-même, qui est demandé dans l’Évangile, consiste dans le sacrifice de toutes nos pensées et de tous les mouvements de notre cœur. Le moi, auquel il faut renoncer, n’est pas un je ne sais quoi ou un fantôme en l’air; c’est notre entendement qui pense, c’est notre volonté qui veut à sa mode par amour-propre. Pour rétablir le véritable ordre de Dieu, il faut renoncer à ce moi déréglé, en ne pensant et en ne voulant plus que selon l’impression de l’esprit de grâce.

Voilà l’état où Dieu se communique familièrement. Dès qu’on sort de cet état, on résiste à l’esprit de Dieu, on le contriste, et on se rend indigne de son commerce. C’est par miséricorde que Dieu vous rebute, et vous fait sentir sa privation dès que vous vous tournez vers les créatures : c’est qu’il veut vous reprocher votre faute, et vous en humilier, pour vous en corriger et pour vous rendre plus précautionnée. Alors il faut revenir humblement et patiemment à lui. Ne vous dépitez jamais, c’est votre écueil ; mais comptez que le silence, le recueillement, la simplicité, et l’éloignement du monde sont pour vous ce que la mamelle de la nourrice est pour l’enfant.

LSP 208* A MADAME DE LA MAISONFORT

Je suis véritablement attristé d’avoir vu hier votre cœur si malade. Il me semble que vous devez faire également deux choses : l’une est de ne suivre jamais volontairement les délicatesses de votre amour-propre; l’autre est de ne vous décourager jamais en éprouvant dans votre cœur ces dépits si déraisonnables. Voulez-vous bien faire? Demandez à Dieu qu’il vous rende patiente avec les autres et avec vous-même. Si vous n’aviez que les autres à supporter, et si vous ne trouviez de misères qu’en eux, vous seriez violemment tentée de vous croire au-dessus de votre prochain. Dieu veut vous réduire, par une expérience presque continuelle de vos défauts, à reconnaître combien il est juste de supporter doucement ceux d’autrui. Eh ! que serions-nous, si nous ne trouvions rien à supporter en nous puisque nous avons tant de peine à supporter les autres, lors même que nous avons besoin d’un continuel support?

Tournez à profit toutes vos faiblesses en les acceptant, en les disant avec une humble ingénuité, et en vous accoutumant à ne compter plus sur vous. Quand vous serez bien sans ressource, et bien dépossédée de vous-même par un absolu désespoir de vos propres forces, Dieu vous apprendra à travailler dans une entière dépendance de sa grâce pour votre correction. Ayez patience avec vous-même ; rabaissez-vous ; rapetissez-vous ; demeurez dans la boue de vos imperfections, non pour les aimer ni pour négliger leur correction, mais pour en tirer la défiance de votre cœur et l’humiliation profonde, comme on tire les plus grands remèdes des poisons mêmes. Dieu ne vous fait éprouver ces faiblesses, qu’afin que vous recouriez plus vivement à lui. Il vous délivrera peu à peu de vous-même. O l’heureuse délivrance !

LSP 209.*A MADAME DE LA MAISONFORT [Avant mai 1697]

Vous vous réjouissez par jalousie des défauts de M[...].425 que vous supportez le plus impatiemment : vous êtes plus choquée de ses bonnes qualités que de ses défauts. Tout cela est bien laid et bien honteux. Voilà ce qui sort de votre cœur, tant il en est plein ; voilà ce que Dieu vous fait sentir, pour vous apprendre à vous mépriser, et à ne compter jamais sur la bonté de votre cœur. Votre amour-propre est au désespoir quand, d’un côté, vous sentez au dedans de vous une jalousie si vive et si indigne, et quand, d’un autre côté, vous ne sentez que distraction, que sécheresse, qu’ennui, que dégoût pour Dieu. Mais l’œuvre de Dieu ne se fait en nous qu’en nous dépossédant de nous-mêmes, à force d’ôter toute ressource de confiance et de complaisance à l’amour-propret. Vous voudriez vous sentir bonne, droite, forte et incapable de tout mal. Si vous vous trouviez ainsi, vous seriez d’autant plus mal que vous vous croiriez assurée d’être bien. Il faut se voir pauvre, se sentir corrompue et injuste, ne trouver en soi que misère, en avoir horreur, désespérer de soi, n’espérer plus qu’en Dieu, et se supporter soi-même avec une humble patience sans se flatter. Au reste, comme ces choses ne sont que des sentiments involontaires, il suffit que la volonté n’y consente point. Par là vous en tirerez le profit de l’humiliation, sans avoir l’infidélité d’adhérer à des sentiments si corrompus.

[…] Vous pensiez vous posséder; mais l’expérience vous montrera que c’est un amour-propre ombrageux, dépiteux et bizarre qui vous possède. J’espère que, dans la suite, vous ne songerez plus à vous posséder vous-même, et que vous vous laisserez posséder de Dieu.

223. LSP 213. À MADAME DE LA MAISONFORT. 5 avril [1693].

Vous voudriez être parfaite, et vous voir telle, moyennant quoi vous seriez en paix. La véritable paix de cette vie doit être dans la vue de ses imperfections non flattées et tolérées, mais au contraire condamnées dans toute leur étendue. On porte en paix l’humiliation de ses misères, parce qu’on ne tient plus à soi par amour-propre. On est fâché de ses fautes plus que de celles d’un autre, non parce qu’elles sont siennes, et qu’on y prend un intérêt de propriété, mais parce que c’est à nous à nous corriger, à nous vaincre, à nous désapproprier, à nous anéantir, pour accomplir la volonté de Dieu à nos dépens. Le tempérament convenable à notre besoin, est de nous rendre attentifs et fidèles à toutes les vues intérieures de nos imperfections, qui nous viennent par le fond sans raisonner, et de n’écouter jamais volontairement les raisonnements inquiets et timides, qui vous rejetteraient dans le trouble de vos anciens scrupules. Ce qui se présente à l’âme d’une manière simple et paisible, est lumière de Dieu pour la corriger. Ce qui vous vient par raisonnement et par inquiétude, est un effet de votre naturel qu’il faut laisser tomber peu à peu en se tournant vers Dieu avec amour. Il ne faut non plus se troubler par la prévoyance de l’avenir, que par les réflexions sur le passé. Quand il vous vient un doute que vous pouvez consulter, faites-le : hors de là, n’y songez que quand l’occasion se présente. Alors donnez-vous à Dieu, et faites bonnement le mieux que vous pourrez, selon la lumière du moment présent.

Quand les occasions de sacrifice sont passées, n’y songez plus. Si elles reviennent, ne faites rien par le souvenir du moment passé : agissez par la pente actuelle du cœur.



Vidame d’Amiens 1676-1744

Il s’agit du fils survivant des Chevreuse 426.

LSP 174.*Au VIDAME D’AMIENS (?) [1706-1707]

On ne peut être plus touché que je le suis, Monsieur, de la très bonne lettre que vous avez pris la peine de m’écrire : j’y vois votre cœur, et je le goûte. Je souhaite que Dieu vous conserve au milieu de la contagion du siècle. Le principal pour vous, Monsieur, est de vous défier de votre facilité et de votre activité naturelle. Vous avez plus de penchant qu’un autre à vous dissiper; dès que vous êtes dissipé, vous êtes affaibli. Comme votre force ne peut être qu’en Dieu seul, il ne faut pas s’étonner si la force vous manque dès que vous manquez à Dieu. C’est bien assez que Dieu nous soutienne quand nous ne nous éloignons pas de lui ; mais il doit permettre en quelque sorte notre chute quand nous ne craignons pas de tomber, et quand nous nous éloignons témérairement de son secours. Nous ne pouvons espérer de ressource contre notre fragilité, que dans le recueillement et dans la prière.

Vous avez plus de besoin qu’un autre de ce secours : vous avez un naturel facile, qui s’engage et qui se passionne bientôt, votre vivacité et votre activité naturelle vous jetant sans cesse au-dehors. D’ailleurs vous avez un air ouvert qui fait plaisir, et qui prévient le monde en votre faveur: il n’y a rien de si dangereux que de plaire; l’amour-propre en est charmé, et ce charme empoisonne le cœur. D’abord on s’amuse et on se flatte, puis on se dissipe, et on sent ralentir toutes ses bonnes résolutions ; puis on s’enivre de soi-même et du monde, c’est-à-dire de plaisir et de vanité. Alors on se trouve dans une distance infinie de Dieu ; on n’a plus le courage d’y retourner; on n’ose même plus songer à se faire cette violence.

Vous n’avez, Monsieur, de ressource qu’à vous précautionner contre la dissipation. Je vous conjure de donner tous les matins un petit quart d’heure à une lecture méditée avec liberté, simplicité et affection ; encore un petit moment de même vers le soir427: de temps en temps dans la journée renouvelez la présence de Dieu et l’intention d’agir pour lui ; humiliez-vous de vos fautes ; travaillez de bonne foi à vous corriger, ayez patience avec vous-même, sans vous flatter, comme vous feriez avec un autre; fréquentez les sacrements dans des temps réglés. Je prierai de tout mon cœur pour vous428.

1148. Au VIDAME D’AMIENS. 31 mai 1707.

… Je crois que vous ne sauriez être avec Dieu dans une trop grande confiance. Dites-lui tout ce que vous avez sur le cœur, comme on se décharge le cœur avec un bon ami sur tout ce qui afflige ou qui fait plaisir. Racontez-lui vos peines, afin qu’il vous console. Dites-lui vos joies afin qu’il les modère. Exposez-lui vos désirs, afin qu’il les purifie. […] Dites-lui combien l’amour-propre vous porte à être injuste contre le prochain, combien la vanité vous tente d’être faux, pour éblouir les hommes dans le commerce, combien votre orgueil se déguise aux autres et à vous-même. […] Les gens qui n’ont rien de caché les uns pour les autres, ne manquent jamais de sujets de s’entretenir. Ils ne préparent, ils ne mesurent rien pour leurs conversations, parce qu’ils n’ont rien à réserver. Ainsi ne cherchent-ils rien. Ils ne parlent entre eux que de l’abondance du cœur. Ils parlent sans réflexion comme ils pensent. C’est le cœur de l’un qui parle à l’autre. Ce sont deux cœurs qui se versent pour ainsi dire l’un dans l’autre. Heureux ceux qui parviennent à cette société familière et sans réserve avec Dieu.

À mesure que vous lui parlerez, il vous parlera. […] Ce n’est point une inspiration extraordinaire qui vous expose à l’illusion. Elle se borne à vous inspirer les vertus de votre état, et les moyens de mourir à vous-même, pour vivre à Dieu. C’est une parole intérieure qui nous instruit selon nos besoins en chaque occasion. Dieu est le vrai ami qui nous donne toujours le conseil et la consolation nécessaire. Nous ne manquons qu’en lui résistant. Ainsi il est capital de s’accoutumer à écouter sa voix, à se faire taire intérieurement, à prêter l’oreille du cœur, et à ne perdre rien de ce que Dieu nous dit. On comprend bien ce que c’est que se taire au-dehors, et faire cesser le bruit des paroles, que notre bouche prononce. Mais on ne sait point ce que c’est que le silence intérieur. Il consiste à faire taire son imagination vaine, inquiète, et volage. Il consiste même à faire taire son esprit rempli d’une sagesse humaine, et à supprimer une multitude de vaines réflexions qui agitent et qui dissipent l’âme. Il faut se borner dans l’oraison à des affections simples, et à un petit nombre d’objets, dont on s’occupe plus par amour que par de grands raisonnements. La contention de tête fatigue, rebute, épuise. L’acquiescement de l’esprit et l’union du cœur ne lassent pas de même. L’esprit de foi et d’amour ne tarit jamais, quand on n’en quitte point la source.

Mais je ne suis pas, direz-vous, le maître de mon imagination, qui s’égare, qui s’échauffe, qui me trouble. […] Pendant ces distractions mon oraison s’évanouit, et je la passe toute entière à apercevoir que je ne la fais pas. Je vous réponds, Monsieur, que c’est par le cœur que nous faisons oraison, et qu’une volonté sincère et persévérante de la faire est une oraison véritable. […] À chaque fois qu’on aperçoit sa distraction, on la laisse tomber, et on revient à Dieu en reprenant son sujet. Ainsi, outre qu’il demeure dans les temps mêmes de distraction une oraison du fond, qui est comme un feu caché sous la cendre, et une occupation confuse de Dieu, on réveille encore en soi, dès qu’on remarque la distraction, des affections vives et distinctes, sur les vérités que l’on se rappelle dans ces moments-là. Ce n’est donc point un temps perdu. Si vous voulez en faire patiemment l’expérience, vous verrez que certains temps d’oraison passés dans la distraction et dans l’ennui avec une bonne volonté, nourriront votre cœur, et vous fortifieront contre toutes les tentations. Une oraison sèche, pourvu qu’elle soit soutenue avec une fidélité persévérante, accoutume une âme à la croix. Elle l’endurcit contre elle-même, elle l’humilie, elle l’exerce dans la voie obscure de la foi. Si nous avions toujours une oraison de lumière, d’onction, de sentiment, et de ferveur, nous passerions notre vie à nous nourrir de lait, au lieu de manger le pain sec et dur. Nous ne chercherions que le plaisir et la douceur sensible, au lieu de chercher l’abnégation et la mort [mystique]. […] Mais n’attaquez point de front les distractions; c’est se distraire, que de contester contre la distraction même. Le plus court est de la laisser tomber, et de se remettre doucement devant Dieu. Plus vous vous agiterez, plus vous exciterez votre imagination, qui vous importunera sans relâche. Au contraire plus vous demeurerez en paix en vous retournant par un simple regard vers le sujet de votre oraison, plus vous vous approcherez de l’occupation intérieure des choses de D[ieu]. Vous passeriez tout votre temps à combattre contre les mouches qui font du bruit autour de vous. Laissez-les bourdonner à vos oreilles, et accoutumez-vous à continuer votre ouvrage, comme si elles étaient loin de vous.

Pour le sujet de vos oraisons prenez les endroits de l’Évangile ou de l’Imitation de J[ésus] C[hrist] qui vous touchent le plus. Lisez lentement, et à mesure que quelque parole vous touche, faites-en ce qu’on fait d’une conserve, qu’on laisse longtemps dans sa bouche pour l’y laisser fondre. Laissez cette vérité couler peu à peu dans votre cœur. Ne passez à une autre que quand vous sentirez que celle-là a achevé toute son impression. Insensiblement vous passerez un gros quart d’heure en oraison. Si vous ménagez votre temps de sorte que vous puissiez la faire deux fois le jour, ce sera à deux reprises une demie heure d’oraison par jour. Vous la ferez avec facilité, pourvu que vous ne vouliez point y trop faire, ni trop voir votre ouvrage fait. Soyez-y simplement avec Dieu dans une confiance d’enfant qui lui dit tout ce qui lui vient au cœur. Il n’est question que d’élargir le cœur avec Dieu, que de l’accoutumer à lui, et que de nourrir l’amour. L’amour nourri éclaire, redresse, encourage, corrige.

Pour vos occupations extérieures, il faut les partager entre les devoirs et les amusements. Je compte parmi les devoirs toutes les bienséances pour le commerce des généraux de l’armée et des principaux officiers, avec lesquels il faut un air de société et des attentions. […] Une de vos principales occupations doit être, ce me semble, de voir tout ce qui se passe dans une armée, d’en faire parler tous ceux qui ont le plus de génie et d’expérience. Il faut les chercher, les ménager, leur déférer beaucoup, pour en tirer toutes les lumières utiles. […] Je ne cesse, Monsieur, aucun jour de le prier pour vous. Il sait à quel point je vous suis dévoué pour toute ma vie.

LSP 183*. AU VIDAME D’AMIENS. [1710 ou 1711 ?]

J’entre dans vos peines. Que ne puis-je faire quelque chose de plus ! Il faut imiter la foi d’Abraham, et aller toujours sans savoir où429. On ne s’égare que par se proposer un but de son propre choix. Quinconque ne veut rien que la seule volonté de Dieu, la trouve partout, de quelque côté que la Providence le tourne, et par conséquent il ne s’égare jamais. Le véritable abandon n’ayant aucun chemin propre, ni dessein de se contenter, va toujours droit comme il plaît à Dieu. La voie droite est de se renoncer, afin que Dieu seul soit tout, et que nous ne soyons rien.

J’espère que celui qui nourrit les petits oiseaux aura soin de vous. Heureux celui qui, comme Jésus-Christ, n’a pas de quoi reposer sa tête! Quand on s’est livré à la pauvreté intérieure même, doit-on craindre l’extérieure ? Soyez fidèle à Dieu, et Dieu le sera à ses promesses. Faites honneur à la Religion qui est si méprisée, et elle vous le rendra avec usure. Montrez au monde un courtisan qui vit de pure foi.

Craignez votre vivacité empressée, votre goût pour le monde, votre ambition secrète qui se glisse sans que vous l’aperceviez. Ne vous engouez point de certaines conversations de politique ou de joli badinage qui vous dissipent, qui vous indisposent au recueillement et à l’oraison. Parlez peu ; coupez court ; ménagez votre temps; travaillez avec ordre et de suite; mettez les œuvres en la place des beaux discours. Encore une fois, l’avenir n’est point encore à vous ; il n’y sera peut-être jamais430. Bornez-vous au présent ; mangez le pain quotidien. Demain aura soin de lui-même; à chaque jour suffit son mal431. C’est tenter Dieu que de faire provision de manne pour deux jours ; elle se corrompt. Vous n’avez point aujourd’hui la grâce de demain: elle ne viendra qu’avec demain lui-même. Moment présent, petite éternité pour nous.


Marquis de Fénelon (1688-1746)

Militaire blessé dès sa jeunesse en 1711 il est surnommé affectueusement « mon boiteux » par Mme Guyon. « Fanfan » est également chéri par son oncle Fénelon qui lui adresse de nombreuses lettres. Nous ne citons ici que trois exemples, ne voulant pas omettre l’éditeur des Œuvres spirituelles (1738) de son oncle. En ce qui concerne son éveil mystique nous suggérons de consulter la direction complète assurée dans les dernières années de « notre mère » 432.


« Né le 25 juillet 1688, petit-fils du frère aîné de Fénelon, Gabriel‑Jacques de Salignac (1688  – 1746) était le second d’une famille de quatorze enfants. Mousquetaire en 1704, colonel du régiment de Bigorre en 1709, il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Mal soigné, il subit une opération au début de février 1713, qui fut suivie de trois mois de maladie dont nous trouvons l’écho dans la correspondance. Il se rendit aux eaux de Barèges en 1714 avec « Panta », l’abbé Pantaleon de Beaumont. Ils s’attardèrent à Paris et à Blois. Commença alors une correspondance suivie avec Madame Guyon. Il fut inspecteur général de l’infanterie en 1718, brigadier en 1719. Il avait épousé, en décembre 1721, Louise‑Françoise Le Peletier, fille de Louis Le Peletier, premier président du Parlement de Paris. De ce mariage naquirent douze enfants. Son mariage avait fait de lui un parent du comte de Morville, secrétaire d’État aux Affaires étrangères ; celui-ci le désigna en 1724 pour l’ambassade de Hollande. Il y resta jusqu’en 1728, où il fut nommé plénipotentiaire au congrès de Soissons, puis retourna en Hollande de 1730 à 1744. Chevalier des Ordres du Roi en 1739, il servit comme lieutenant général dans l’armée du maréchal de Noailles, puis dans celle de Maurice de Saxe. Il était en passe d’obtenir le bâton de maréchal quand il fut blessé très grièvement à la bataille de Raucoux, près de Liège, et mourut quelques jours après, le 11 octobre 1746. Légataire universel de son grand-oncle et dépositaire de tous ses écrits originaux, qui lui avaient été remis par l’abbé de Beaumont, il les publia. » [O].

1662. Au MARQUIS GABRIEL-JACQUES DE FÉNELON. Samedi 1er avril 1713.

Tu souffres, mon très cher petit fanfan, et j’en ressens le contrecoup avec douleur. Mais il faut aimer les coups de la main de D[ieu]. Cette main est plus douce que celle des chirurgiens. Elle n’incise que pour guérir. Tous les maux qu’elle fait se tournent en biens, si nous la laissons faire. Je veux que tu sois patient sans patience et courageux sans courage. Demande à la bonne Duchesse ce que veut dire cet apparent galimatias. Un courage qu’on possède, qu’on tient comme propre, dont on jouit, dont on se sait bon gré, dont on se fait honneur, est un poison d’orgueil. Il faut au contraire se sentir faible, prêt à tomber, le voir en paix, être patient à la vue de son impatience, la laisser voir aux autres, n’être soutenu que de la seule main de Dieu d’un moment à l’autre, et vivre d’emprunt’. En cet état, on marche sans jambes, on mange sans pain, on est fort sans force. On n’a rien en soi, et tout se trouve dans le bien-aimé. On fait tout, et on n’est rien, parce que le bien-aimé fait lui seul tout en nous. Tout vient de lui, tout retourne à lui. La vertu qu’il nous prête n’est pas plus à nous, que l’air que nous respirons et qui nous fait vivre.

Il faut aller au fond pendant qu’on y est, pour ta jambe. Autrement ce serait à recommencer, et on pourrait bien en recommençant trouver le mal incurable. Il le deviendrait par le retardement. Ainsi il est capital de le déraciner avec les plus grandes précautions. Voilà des lettres que je te prie de faire rendre. Tu sais, mon cher petit fanfan, avec quelle tendresse je suis à jamais tout à toi sans réserve.

1690. Au MARQUIS DE FÉNELON. Dimanche 28 mai 1713.

Je remercie D[ieu] de ce qu’il a fait enfin découvrir le mal, qui était si profondément caché. Le péril eût été grand sans cette heureuse découverte. Le rétablissement du trajet me donne de bonnes espérances. Puisque ce trajet est libre, il faut, si je ne me trompe, faire un grand usage des injections pour purifier le fond des chairs. Après tant de mécomptes heureusement réparés, il faut cent précautions l’une sur l’autre, pour s’assurer de ne rien laisser dans ce fond. C’est là-dessus, mon c[her] f[anfan], qu’il faut une patience à toute épreuve, pour ne se mettre point en péril de recommencer, ou de périr sans ressource en se croyant guéri. M. Chirac, qui a tant d’amitié et de pénétration, examinera sans doute si le pus, qui a tant séjourné, n’a point rongé quelque vaisseau sanguin, jusqu’à en affaiblir les tuniques, si ce pus n’a point fait quelque fusée, s’il ne reste point des esquilles embarrassées dans les chairs ou dans les membranes. Je parle en ignorant’. Cela m’est permis ; je parle pour un homme qui excusera tout, et qui saura tourner à bien ce que je dis mal. Je ne doute pas qu’il n’exige de vous une rigoureuse sobriété. C’est sur quoi vous devez avoir une docilité sans bornes pour lui, et une dureté courageuse contre vous-même. …



Charlotte de Saint-Cyprien (~1670-1747)

Jeune intellectuelle convertie au point de rentrer chez les carmélites, elle bénéficiera de l’exigeante direction par Fénelon : ce dernier encourage puis – plusieurs années passent - coupe court à tout attachement. Voici ce qu’Orcibal nous apprend sur son milieu et sur elle-même :


« Bien que le marquis de Dangeau et son frère l'abbé fussent depuis longtemps convertis, leur famille opposa, lors de la Révocation de l'Edit de Nantes, une résistance opiniâtre. Ce fut en particulier le cas de leur soeur Catherine de Courcillon et de Jean Guichard, marquis du Péray, dont elle était la quatrième femme. Ils furent accusés de favoriser les évasions et leur fille Charlotte mise aux Nouvelles Catholiques le 5 mars 1686. Fénelon était alors dans l'Ouest, mais, à la demande des Dangeau, Bossuet entreprit cette conversion difficile et, en lui montrant certaines contradictions dans le Bouclier de la Foi de Du Moulin, obtint le 1er juin 1686 l'abjuration de la jeune intellectuelle. Celle-ci aida alors pendant quelques mois les officières des Nouvelles Catholiques. Elle entra ensuite au Premier Couvent où Fénelon qui « avait examiné » avec elle « ses doutes sur son ancienne religion » (cf. sa lettre inédite du 15 décembre 1713, à la soeur de la carmélite) prêcha le 23 novembre 1687 lors de sa prise d'habit. […] En janvier 1689 Mme de Péray « attendait W. sa mère pour faire sa profession » qui eut lieu le 13 mai 1689 et fut rehaussée par un sermon de Bossuet. Soeur Charlotte de Saint-Cyprien ne cessa jamais de correspondre avec l'archevêque de Cambrai dont, vingt ans après sa mort, elle faisait l'éloge au marquis de Fénelon. Passée en 1717 à Pont-Audemer pour des motifs inconnus, elle y mourut en 1747. » 433

Nous disposons de lettres couvrant l’entrée dans la vie religieuse et dans l’intériorité mystique de 1689 à 1696 puis à la maturité de 1711 à 1714. Un condensé en italiques précède les douze lettres qui nous sont parvenues434.

Choix de citations extrait de la série complète des lettres


Janvier 1689 : Charlotte craint son engagement et s’embarrasse de ses défauts : « Si vous abandonnez sans réserve toutes vos imperfections à l’esprit de Dieu, il les dévorera comme le feu dévore la paille; mais, avant que de vous en délivrer, il s’en servira pour vous délivrer de vous-même et de votre orgueil. […] Courage ! aimez, souffrez, soyez souple et constante dans la main de Dieu. »

Au mois de mai elle fait profession dans une cérémonie « rehaussée par un sermon de Bossuet ».

Août 1695 : Charlotte est encore une intellectuelle, mais « vous n’avez point d’expérience; vous n’avez que de la lecture, avec un esprit accoutumé au raisonnement dès votre enfance. On pourrait même vous croire bien plus avancée que vous ne l’êtes. Voilà ce qui me fait tant désirer que vous marchiez toujours dans la voie de la plus obscure foi et de la plus simple obéissance. » « Plus on a de talents et plus on a besoin d’en éprouver l’impuissance. Il faut être brisé et mis en poudre, pour être digne de devenir l’instrument des desseins de Dieu. »

Novembre : « N’obéissez point à un homme, parce qu’il raisonne plus fortement ou parle d’une manière plus touchante qu’un autre, mais parce qu’il est l’homme de Providence pour vous […] Le directeur ne nous sert guère à nous détacher de notre propre sens, quand ce n’est que par notre propre sens que nous tenons à lui. O ma chère sœur, que je voudrais vous appauvrir du côté de l’esprit ! »

Décembre : « Je voudrais vous voir pauvre d’esprit, et ne vous reposant plus que dans le commerce des simples et des petits. Les talents sont de Dieu, et ils sont bons quand on en use sans y tenir ; mais quand on les cherche, quand on les préfère à la simplicité, quand on dédaigne tout ce qui en est dépourvu, quand on veut toujours le plus sublime dans les dons de Dieu, on n’est point encore dans le goût de pure grâce. Au nom de Dieu, laissez là votre esprit, votre science, votre goût, votre discernement. »

Décembre toujours, où Fénelon enfonce le clou : « J’ai un désir infini que vous soyez simple, et que vous n’ayez plus d’esprit. Je voudrais que Dieu flétrît vos talents, comme la petite vérole efface la beauté des jeunes personnes. Quand vous n’aurez plus aucune parure spirituelle, vous commencerez à goûter ce qui est petit, grossier et disgracié selon la nature, mais droit selon la pure grâce : vous ne déciderez plus, vous ne mépriserez plus rien; vous ne serez plus amusée par vos idées de perfection. »

Mars 1696, la plus longue lettre, petit traité intérieur : « L’âme qui contemple de la manière la plus sublime doit être la plus détachée de sa contemplation, et la plus prompte à rentrer dans la méditation » « il n’est pas nécessaire d’avoir toujours une vue actuelle du Fils de Dieu ni une union aperçue avec lui. Il suffit de suivre l’attrait de la grâce, pourvu que l’âme ne perde point un certain attachement à Jésus-Christ dans son fond le plus intime, qui est essentiel à sa vie intérieure. » « L’acte d’adoration de l’Être spirituel, infini et incompréhensible, qui ne peut être ni vu, ni senti, ni goûté, ni imaginé, etc., est l’exercice tout ensemble du pur amour et de la pure foi. Persévérez dans cet acte sans scrupule : y persévérer, c’est le renouveler sans cesse d’une manière simple et paisible. Ne le quittez point pour d’autres choses, que vous chercheriez peut-être avec inquiétude et empressement, contre l’attrait de votre grâce. » «  L’activité que les mystiques blâment n’est pas l’action réelle et la coopération de l’âme à la grâce; c’est seulement une crainte inquiète, ou une ferveur empressée qui recherche les dons de Dieu pour sa propre consolation. / L’état passif, au contraire, est un état simple, paisible, désintéressé, où l’âme coopère à la grâce d’une manière d’autant plus libre, plus pure, plus forte et plus efficace, qu’elle est plus exempte des inquiétudes et des empressements de l’intérêt propre. / La propriété que les mystiques condamnent avec tant de rigueur, et qu’ils appellent souvent impureté, n’est qu’une recherche de sa propre consolation et de son propre intérêt dans la jouissance des dons de Dieu, au préjudice de la jalousie du pur amour, qui veut tout pour Dieu, et rien pour la créature. » « Ce qu’on appelle d’ordinaire un désir est une inquiétude et un élancement de l’âme pour tendre vers quelque objet qu’elle n’a pas; en ce sens, l’amour paisible ne peut être un désir : mais on entend par ce désir la pente habituelle du cœur, et son rapport intime à Dieu, l’amour est un désir; et en effet, quiconque aime Dieu, veut tout ce que Dieu veut. » « Ce n’est pas leur force [des désirs] qui m’est suspecte; ce que je crains, c’est l’âpreté, c’est l’inquiétude qui fait cesser le recueillement. Je demande donc que, sans combattre le désir, on n’y tienne point, et qu’on ne veuille pas même en juger. » Et conclus : « Voilà les principales choses de la doctrine de la vie intérieure, que je ne puis vous expliquer ici qu’en abrégé et à la hâte, mais qui sont capitales pour vous préserver de l’illusion. »

Août : « Vous avez une sorte de simplicité que j’aime fort; mais elle ne va qu’à retrancher tout artifice et toute affectation : elle ne va pas encore jusqu’à retrancher les goûts spirituels, et certains petits retours subtils sur vous-même. Vous avez besoin de ne vous arrêter à rien, et de ne compter pour rien tout ce que vous avez, même ce qui vous est donné » « Je le prie d’être toutes choses en vous, et de vous préserver de toute illusion; ce qui arrivera si vous allez, comme dit le bienheureux Jean de la Croix, toujours par le non-savoir dans les vérités inépuisables de l’abnégation de vous-même : n’en cherchez point d’autres. »

Décembre : « En vérité on ne peut être à vous plus que j’y suis en N. S. Il me semble que cela augmente tous les jours. »

Décembre encore ? : « Il faut s’oublier, pour retrancher les attentions de l’amour-propre, et non pour négliger la vigilance qui est essentielle au véritable amour de Dieu. »

Quinze ans passent des débuts à la maturité. Charlotte est devenue une confidente :

Janvier 1711 : « Je n’ai point, ma très honorée sœur, la force que vous m’attribuez. J’ai ressenti la perte irréparable que j’ai faite avec un abattement qui montre un cœur très faible. […] Je vous raconte tout ceci pour ne vous représenter point ma tristesse, sans vous faire part de cette joie de la foi dont parle S. Augustin, et que Dieu m’a fait sentir en cette occasion. »

Décembre de la même année à « ma très honorée sœur » : « A l’égard de vos lectures, je ne saurais les regretter, pendant qu’il plaît à Dieu de vous en ôter l’usage. » «Quand Dieu nourrit au-dedans, on n’a pas besoin de la nourriture extérieure. La parole du dehors n’est donnée que pour procurer celle du dedans. Quand Dieu, pour nous éprouver, nous ôte celle du dehors, il la remplace par celle du dedans pour ne nous abandonner pas à notre indigence. Demeurez donc en silence et en amour auprès de lui. » « Pleurez, sans vous contraindre, les choses que vous dites que Dieu vous ordonne de sentir, mais j’aime bien ce que vous appelez votre stupidité. Elle vaut cent fois mieux que la délicatesse et la vivacité de sentiments sublimes, qui vous donneraient un soutien flatteur. » « je serai jusqu’à la mort intimement uni à vous avec zèle » 

Mars 1714 : « Les dépouillements les plus rigoureux sont adoucis, dès que Dieu détache le cœur des choses dont il dépouille. Les incisions ne sont nullement douloureuses dans le mort; elles ne le sont que dans le vif. Quiconque mourrait en tout, porterait en paix toutes les croix. Mais nous sommes faibles, et nous tenons encore à de vaines consolations. Les soutiens de l’esprit sont plus subtils que les appuis mondains ; on y renonce plus tard et avec plus de peine. Si on se détachait des consolations les plus spirituelles dès que Dieu en prive, on mettrait sa consolation, comme dit l’Imitation de Jésus-Christ, à être sans consolation dans sa peine. Je serais ravi d’apprendre l’entière guérison de vos yeux; mais il ne faut pas plus tenir à ses yeux, qu’aux choses les plus extérieures. Je serai jusqu’au dernier soupir de ma vie intimement uni à vous. »

Reprise de la série complète des lettres :

LSP 26. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN (?) [début janvier 1689]

Il me tarde de savoir de vous comment vous vous trouvez dans votre retraite, en approchant du jour que vous craignez tant, et qui est si peu à craindre. Vous verrez que les fantômes qui épouvantent de loin ne sont rien de près. Quand sainte Thérèse fit son engagement, elle dit qu’il lui prit un tremblement comme des convulsions, et qu’elle crut que tous les os de son corps étaient déboîtés435. « Apprenez, dit-elle, par mon exemple, à ne rien craindre quand vous vous donnez à Dieu. » En effet, cette première horreur fut suivie d’une paix et d’une sainteté qui ont été la merveille de ces derniers temps.

J’aime mieux que vous dormiez huit heures la nuit, et que vous payiez Dieu pendant le jour d’une autre monnaie. Il n’a pas besoin de vos veilles au-delà de vos forces ; mais il demande un esprit simple, docile et recueilli, un cœur souple à toutes les volontés divines, grand pour ne mettre aucunes bornes à son sacrifice, prêt à tout faire et à tout souffrir, détaché sans réserve du monde et de soi-même. Voilà la vraie et pure immolation de l’homme tout entier, car tout le reste n’est pas l’homme ; ce n’est que le dehors et l’écorce grossière.

Humiliez-vous avec les Mages devant Jésus enfant436. En donnant votre volonté, qui n’est pas à vous, et que vous livreriez au mensonge si vous la refusiez à Dieu, vous ferez un don plus précieux qu’en donnant l’or et les parfums de l’Orient. Donnez donc, mais donnez sans partage et sans jamais reprendre. O qu’on reçoit en donnant ainsi, et qu’on perd quand on veut garder quelque chose ! Le vrai fidèle n’a plus rien : il n’est plus lui-même à lui-même.

Vous ne devez point vous embarrasser de vos défauts, pourvu que vous ne les aimiez pas, et qu’il n’y en ait aucun que vous ayez un certain désir secret d’épargner. Il n’y a que ces réserves qui arrêtent la grâce, et qui font languir une âme sans avancer jamais vers Dieu. Si vous abandonnez sans réserve toutes vos imperfections à l’esprit de Dieu, il les dévorera comme le feu dévore la paille; mais, avant que de vous en délivrer, il s’en servira pour vous délivrer de vous-même et de votre orgueil. Il les emploiera à vous humilier, à vous crucifier, à vous confondre, à vous arracher toute ressource et toute confiance en vous-même. Il brûlera les verges après vous en avoir frappé, pour vous faire mourir à l’amour-propre. Courage ! aimez, souffrez, soyez souple et constante dans la main de Dieu.437.

LSP 17. L.37 & L.329S 438. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray, 21 août [1695 ou 1696].

Si je vous ai écrit, ma chère sœur, sur les précautions dont vous avez besoin, ce n’est pas que je croie que vous vous trompiez; mais c’est que je voudrais que vous fussiez loin des pièges439. Celui de l’approbation de toutes les personnes de votre maison n’est pas médiocre. D’ailleurs vous n’avez point d’expérience; vous n’avez que de la lecture, avec un esprit accoutumé au raisonnement dès440 votre enfance. On pourrait même vous croire bien plus avancée que vous ne l’êtes. Voilà ce qui me fait tant désirer que vous marchiez toujours dans la voie de la plus obscure foi et de la plus simple obéissance. Vous ne sauriez trop abattre votre esprit, ni vous défier trop de vos lumières et de toutes les grâces sensibles. Il ne faut pas les rejeter, afin que Dieu en fasse en vous tout ce qu’il lui plaira, supposé qu’elles viennent de lui : mais il ne faut pas s’y arrêter un seul instant, et cela n’empêchera point leur effet, si c’est Dieu qui en est la source. Tout ce que vous m’avez écrit me semble bon, et je vous prie de n’aller pas plus loin. Communiquez-vous peu aux autres; ne le faites que par pure obéissance441, et d’une manière proportionnée au degré de chaque personne. Il faut que les âmes de grâce se communiquent comme la grâce même, qui prend toutes les formes. Ce n’est pas pour dissimuler, mais seulement pour ne dire à chacun que les vérités qu’il est capable de porter, réservant la nourriture solide aux forts, pendant qu’on donne le lait aux enfants. Le dépôt entier de la vérité est dans la tradition indivisible de l’Église; mais on ne le dispense que par morceaux, suivant que chacun est en état d’en recevoir plus ou moins. Je serai très aise de savoir de vos vues et de vos dispositions tout ce que Dieu vous mettra au cœur de m’en confier; mais je crois que le temps le plus convenable pour cette communication sera celui de mon retour442. Alors j’irai vous rendre une visite, où nous pourrons parler ensemble; après quoi vous me confierez par écrit ou de vive voix tout ce que vous voudrez, pourvu que vos supérieurs l’approuvent. En attendant, je prierai notre Seigneur de vous détacher de tous vos proches, pour ne les aimer plus qu’en lui seul, et pour vous faire porter la croix dans l’esprit de Jésus-Christ : tout le zèle empressé que vous avez443 pour le salut de vos parents leur sera peu utile444. On voudrait par principe de nature communiquer la grâce : elle ne se communique que par mort à soi-même et à son zèle trop naturel. Attendez en paix les moments de Dieu. Jésus-Christ dit souvent : mon heure n’est pas encore venue. On voudrait bien la faire venir; mais on la recule en voulant la hâter. L’œuvre de Dieu est une œuvre de mort, et non pas de vie; c’est une œuvre où il faut toujours sentir son inutilité et son impuissance. Telle est la patience et la longanimité des saints. Plus on a de talents et plus on a besoin d’en éprouver l’impuissance. Il faut être brisé et mis en poudre, pour être digne de devenir l’instrument des desseins de Dieu. Vous m’obligerez sensiblement si vous voulez bien témoigner à la mère prieure et aux autres de votre maison combien je les révère445.

LSP 14. L.339. À SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. 30 novembre.

Que direz-vous de moi, ma chère sœur ? je n’ai pas encore eu un moment libre pour lire votre Vie du Bienheureux Jean de la Croix446, mais je m’en vais la lire au plus tôt et bien exactement. Pour vos lettres où vous me parlez de ses maximes, je les approuve du fond de mon cœur : ces maximes sont de l’esprit de Dieu, et il ne peut jamais y en avoir de contraires qui ne soient pernicieuses. Il y a même dans ces maximes bien entendues, de grands principes de vie intérieure qui demandent beaucoup d’expérience et de grâce. Ce que je souhaite de vous, ma chère sœur, c’est que vous ne vous fassiez jamais un appui des talents humains dans votre obéissance. N’obéissez point à un homme, parce qu’il raisonne plus fortement ou parle d’une manière plus touchante qu’un autre, mais parce qu’il est l’homme de Providence pour vous, et qu’il est votre supérieur, ou que vos supérieurs agréent qu’il vous conduise, et que vous éprouvez, indépendamment du raisonnement et du goût humain, qu’il vous aide plus qu’un autre à vous laisser subjuguer par l’esprit de grâce et à mourir à vous-même. Le directeur ne nous sert guère à nous détacher de notre propre sens, quand ce n’est que par notre propre sens que nous tenons à lui. O ma chère sœur, que je voudrais vous appauvrir du côté de l’esprit ! Écoutez saint Paul : Vous êtes prudents en Jésus-Christ ; pour nous, nous sommes insensés pour lui. Ne craignez point d’être indiscrète ; à Dieu ne plaise que je veuille de vous aucune indiscrétion ! mais je ne voudrais laisser en vous qu’une sagesse de pure grâce, qui conduit simplement les âmes fidèles, quand elles ne se laissent aller ni à l’humeur, ni aux passions, ni à l’amour-propre, ni à aucun mouvement naturel. Alors ce qu’on appelle dans le monde esprit, raisonnement et goût, tombera. Il ne restera qu’une raison simple, docile à l’esprit de Dieu, et une obéissance d’enfant pour vos supérieurs, sans regarder en eux autre chose que Dieu. Je le prie d’être lui seul toutes choses en vous.

LSP 15. L.342. À SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Versailles, 10 décembre [1695].

Je vous envoie, ma chère sœur, une lettre pour M. Robert. Envoyez-la ou supprimez-la suivant que vous jugerez à propos. Voyez si elle est convenable à son état, et décidez simplement en bonne personne. J’ai beaucoup pensé à vous devant Dieu depuis deux ou trois jours. Je ne saurais souffrir votre esprit, ni le goût que vous avez pour celui des autres. Je voudrais vous voir pauvre d’esprit, et ne vous reposant plus que dans le commerce des simples et des petits. Les talents sont de Dieu, et ils sont bons quand on en use sans y tenir ; mais quand on les cherche, quand on les préfère à la simplicité, quand on dédaigne tout ce qui en est dépourvu, quand on veut toujours le plus sublime dans les dons de Dieu, on n’est point encore dans le goût de pure grâce. Au nom de Dieu, laissez là votre esprit, votre science, votre goût, votre discernement. Le bienheureux Jean de la Croix donnait bien moins à l’esprit que vous. Plus d’autre esprit que l’esprit de Dieu. La véritable grâce nous fait tout à tous indistinctement ; elle rabaisse tous les talents, elle aplanit tout, elle fait qu’on est ravi d’être avec les gens les plus grossiers et les plus idiots447, pourvu qu’on y soit pour faire la volonté de Dieu. Pardon, ma chère sœur, de mes indiscrétions. Mille et mille fois tout à vous en notre Seigneur Jésus-Christ.

LSP 19. L.344S. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray, 25 décembre [1695 ou 1696 ?]

Je vous envoie, ma chère sœur, une lettre pour M. Robert et je vous prie de la voir, afin que vous soyez dans la suite de notre commerce, et que vous lui aidiez à se soutenir dans ses bonnes intentions pendant que je ne saurais le voir. J’ai un désir infini que vous soyez simple, et que vous n’ayez plus d’esprit. Je voudrais que Dieu flétrît vos talents, comme la petite vérole efface la beauté des jeunes personnes. Quand vous n’aurez plus aucune parure spirituelle, vous commencerez à goûter ce qui est petit, grossier et disgracié selon la nature, mais droit selon la pure grâce : vous ne déciderez plus, vous ne mépriserez plus rien; vous ne serez plus amusée par vos idées de perfection; votre oraison ne nourrira plus votre esprit. La conversation du Seigneur est avec les simples; ils sont ses bien-aimés et les confidents de ses mystères. Les sages et les prudents n’y auront point de part. L’enfant Jésus se montre aux bergers plus tôt qu’aux Mages. Devenez bergère ignorante, grossière, imbécile; mais droite, détachée de vous-même, docile, naïve, et inférieure à tout le monde. O que cet état est meilleur que celui d’être sage en soi-même ! Pardon, ma chère sœur : je prie le saint enfant Jésus de vous mettre son enfance au cœur. Demeurez à la crèche en silence avec lui; demandez pour moi ce que je souhaite pour vous. Mille compliments très sincères pour la mère Prieure et pour la sœur de Charost448.

LSP 13. L.354. À la sœur CHARLOTTE DE ST-CYPRIEN. [À Versailles, 10 mars 1696] 449.

Vous pouvez facilement, ma chère sœur, consulter des personnes plus éclairées que moi sur les voies de Dieu, et je vous conjure même de ne suivre mes pensées qu’autant qu’elles seront conformes aux sentiments de ceux qui ont reçu de la Providence l’autorité sur vous 450.

La contemplation est un genre d’oraison autorisé par toute l’Église ; elle est marquée dans les Pères et dans les théologiens des derniers siècles : mais il ne faut jamais préférer la contemplation à la méditation. Il faut suivre son besoin et l’attrait de la grâce, par le conseil d’un bon directeur. Ce directeur, s’il est plein de l’esprit de Dieu, ne prévient jamais la grâce en rien, et il ne fait que la suivre patiemment et pas à pas, après l’avoir éprouvée avec beaucoup de précaution. L’âme qui contemple de la manière la plus sublime doit être la plus détachée de sa contemplation, et la plus prompte à rentrer dans la méditation, si son directeur le juge à propos. Balthasar Alvarez451, l’un des directeurs de sainte Thérèse, dit, suivant une règle marquée dans les meilleurs spirituels, que, quand la contemplation manque, il faut reprendre la méditation, comme un marinier se sert des rames quand le vent n’enfle plus les voiles. Cette règle regarde les âmes qui sont encore dans un état mêlé : mais en quelque état éminent et habituel qu’on puisse être, la contemplation ni acquise ni même infuse ne dispense jamais des actes distincts des vertus ; au contraire, les vertus doivent être les fruits de la contemplation. Il est vrai seulement qu’en cet état les âmes font les actes des vertus d’une manière plus simple et plus paisible, qui tient quelque chose de la simplicité et de la paix de la contemplation.

Pour Jésus-Christ, il n’est jamais permis d’aller au Père que par lui ; mais il n’est pas nécessaire d’avoir toujours une vue actuelle du Fils de Dieu ni une union aperçue avec lui. Il suffit de suivre l’attrait de la grâce, pourvu que l’âme ne perde point un certain attachement à Jésus-Christ dans son fond le plus intime, qui est essentiel à sa vie intérieure. Ces âmes mêmes qui ne sont pas d’ordinaire occupées de Jésus-Christ dans leur oraison, ne laissent pas d’avoir de temps en temps certaines pentes vers lui, et une union plus forte que tout ce que les âmes ferventes de l’état commun éprouvent d’ordinaire. Une voie où l’on n’aurait plus rien pour Jésus-Christ serait non seulement suspecte, mais encore évidemment fausse et pernicieuse. Il est vrai seulement qu’entre ces deux états, de goûter souvent Jésus-Christ ou de demeurer solidement unie à lui, sans avoir en ce genre beaucoup de sentiments et de goûts aperçus, on ne choisit point ; chacun doit suivre en paix le don de Dieu, pourvu que toute l’âme ne tienne à Dieu que par Jésus-Christ, unique voie et unique vérité.

Votre oraison, de la manière dont vous me la dépeignez, n’a rien que de bon : elle est même variée, et pleine d’actes très faciles à distinguer. Ces différents sentiments d’adoration, d’amour, de joie, d’espérance et d’anéantissement devant Dieu, sont autant d’actes très utiles. Pour les lumières, les goûts et les sentiments auxquels vous dites : Vous n’êtes pas mon Dieu, etc., cela est encore très bon ; il faut être prêt à être privé de ces sortes de dons qui consolent et qui soutiennent. Il n’y a que l’amour et la conformité à la volonté de Dieu qu’on ne doit jamais séparer de Dieu même, parce qu’on ne peut être uni même immédiatement à Dieu, pour parler le langage des mystiques, que par l’amour et par la conformité à sa volonté dans tout ce qu’elle fait, qu’elle commande et qu’elle défend.

L’acte d’adoration de l’Être spirituel, infini et incompréhensible, qui ne peut être ni vu, ni senti, ni goûté, ni imaginé, etc., est l’exercice tout ensemble du pur amour et de la pure foi. Persévérez dans cet acte sans scrupule : y persévérer, c’est le renouveler sans cesse d’une manière simple et paisible. Ne le quittez point pour d’autres choses, que vous chercheriez peut-être avec inquiétude et empressement, contre l’attrait de votre grâce. Il y aura assez d’occasions où ce même attrait vous occupera expressément de Jésus-Christ et des actes distincts des vertus qui sont nécessaires à votre état intérieur et extérieur.

Pour le silence dont le Roi-Prophète parle, c’est celui dont saint Augustin parle aussi, quand il dit : Que mon âme fasse taire tout ce qui est créé, pour passer au-dessus de tout ce qui n’est point Dieu lui-même; qu’elle se fasse taire aussi elle-même à l’égard d’elle-même : sileat anima mea ipsa sibi452 ; que dans ce silence universel, elle écoute le Verbe qui parle toujours, mais que le bruit des créatures nous empêche souvent d’entendre. Ce silence n’est pas une inaction et une oisiveté de l’âme; ce n’est qu’une cessation de toute pensée inquiète et empressée, qui serait hors de saison quand Dieu veut se faire écouter. Il s’agit de lui donner une attention simple et paisible, mais très réelle, très positive et très amoureuse pour la vérité qui parle au-dedans. Qui dit attention, dit une opération de l’âme et une opération intellectuelle accompagnée d’affection de la volonté. Qui dit imposer silence, dit une action de l’âme qui choisit librement et par un amour méritoire. En un mot, c’est une fidélité actuelle de l’âme, qui, dans sa paix la plus profonde, préfère d’écouter l’esprit intérieur de grâce à toute autre attention. Alors l’opération tranquille de l’âme est une pure intellection, quoique les mystiques, prévenus des opinions de la philosophie de l’Ecole, aient parlé autrement. L’âme y contemple Dieu comme incorporel, et par conséquent elle n’admet ni image ni sensation qui le représente; elle l’adore ainsi tel qu’il est. Je sais bien que l’imagination ne cesse point alors de représenter des objets, et les sens de produire des sensations; mais l’âme, uniquement soutenue par la foi et par l’amour, n’admet volontairement aucune de ces choses qui ne sont ni Dieu ni rien de ressemblant à sa nature, non plus qu’un mathématicien ne fait point entrer dans ses spéculations de mathématique la vue involontaire des mouches qui bourdonnent autour de lui.

Il faut seulement remarquer deux choses sur la contemplation : la première, que le Verbe, en tant qu’il est incarné, quand il parle dans cette oraison, ne doit pas être moins écouté que quand il parle sans nous représenter son incarnation; en un mot, Jésus-Christ peut être l’objet de la plus pure et de la plus sublime contemplation. Il est contemplé par les bienheureux dans le ciel; à plus forte raison peut-il être contemplé sur la terre par les âmes de la plus éminente oraison, lesquelles, étant encore dans le pélerinage, sont toujours jusques à la mort dans un état essentiellement différent de celui des saints arrivés au terme. Jésus-Christ n’est pas moins la vérité et la vie que la voie. Il n’y a aucun état où l’âme la plus parfaite puisse ni marcher, ni contempler, ni vivre qu’en lui et par lui seul. Il ne suffit pas de tenir à lui confusément; il faut être occupé distinctement de lui et de ses mystères. Il est vrai qu’il y a des âmes qui ne le voient point actuellement dans leur contemplation, et qui croient même pour un temps l’avoir perdu, lorsqu’elles sont dans les épreuves ; mais celles qui n’en sont pas occupées pendant la pure et actuelle contemplation, en sont occupées pendant certains intervalles, où elles trouvent que Jésus-Christ leur est toutes choses. Celles qui sont dans les épreuves ne perdent pas plus Jésus-Christ que Dieu; elles ne perdent ni l’un ni l’autre, que pour un temps et en apparence. L’Époux se cache, mais il est présent : la peine où est l’âme, en croyant l’avoir perdu, est une preuve qu’elle ne le perd jamais, et qu’elle n’est privée que d’une possession goûtée et réfléchie.

La seconde remarque à faire sur la contemplation, est que cette contemplation pure et directe, où nulle image ni sensation n’est admise volontairement, n’est jamais, en cette vie, continuelle et sans interruption : il y a toujours des intervalles où l’on peut et où l’on doit, suivant la grâce et suivant son besoin, pratiquer les actes distincts de toutes les vertus, comme de la patience, de l’humilité, de la docilité, de la vigilance et de la contrition etc. En un mot il faut remplir tous les devoirs intérieurs et extérieurs marqués dans l’Évangile, loin de les négliger dans cet état de perfection. On ne doit juger du degré de la perfection de chaque âme, que par la fidélité qu’elle a dans toutes ces choses. Si, dans ces intervalles, on ne trouvait jamais en soi ni l’union à Jésus-Christ, ni les actes distincts des vertus, on devrait beaucoup craindre de tomber dans l’illusion. Alors il faudrait, suivant le conseil le plus sage qu’on pourrait trouver, s’exciter avec les efforts les plus empressés pour retrouver Jésus-Christ et les vertus, si on était encore dans l’état où je vous ai dit que Balthasar Alvarez veut qu’on prenne la rame quand le vent n’enfle plus les voiles. Que si on était dans un état de contemplation plus habituelle, où la rame ne fût plus d’aucun usage, il faudrait, non pas s’exciter avec inquiétude et empressement, mais faire des actes simples et paisibles sans y rechercher sa propre consolation. Cette sorte d’excitation, ou plutôt de fidélité tranquille et très efficace, ne troublera jamais l’état des âmes les plus éminentes, quand elles les feront par obéissance. Peut-être croiront-elles ne faire point des actes, parce qu’elles ne les feront point par formules et par secousses empressées; mais ces actes n’en seront pas moins bons. Il y a une grande différence entre les actes empressés qu’on s’efforce de faire pour s’y appuyer avec une subtile complaisance, ou ceux qu’on fait de toute la force de la volonté, avec simplicité et paix, pour obéir à un directeur. Enfin le fondement, qui doit être immobile, est qu’il n’y a aucun degré de contemplation où l’âme ne se nourrisse, d’une manière plus ou moins aperçue, par la vue de Jésus-Christ, par celle de ses mystères, et par les actes distincts des vertus. Les actes aperçus ne viennent pas toujours également comme on le voudrait, pour se consoler et pour s’assurer453. Dans les temps de l’actuelle et directe contemplation, il ne faut pas même interrompre ce que Dieu fait, pour ce que nous voudrions faire; mais, hors de ces temps, il faut toujours un peu plus ou un peu moins d’union aperçue à Jésus-Christ, et d’actes distincts.

Au reste, voici, ce me semble, les véritables notions des termes dont les plus saints mystiques se sont servis si fréquemment et si utilement, mais dont j’entends dire tous les jours avec douleur qu’on a étrangement abusé454.

L’abandon n’est que le pur amour dans toute l’étendue des épreuves, où il ne peut jamais cesser de détester et de fuir tout ce que la loi écrite condamne, et où les permissions divines ne dispensent jamais de résister jusqu’au sang contre le péché pour ne le pas commettre, et de le déplorer, si par malheur on y était tombé : car le même Dieu qui permet le mal le condamne, et sa permission qui n’est pas notre règle, n’empêche pas qu’on ne doive, par le principe de l’amour, se conformer toujours à sa volonté écrite, qui commande le bien et qui condamne tout ce qui est mal. On ne doit jamais supposer la permission divine, que dans les fautes déjà commises; cette permission ne doit diminuer en rien alors notre haine du péché, ni la condamnation de nous-mêmes.

L’activité que les mystiques blâment, n’est pas l’action réelle et la coopération de l’âme à la grâce; c’est seulement une crainte inquiète, ou une ferveur empressée qui recherche les dons de Dieu pour sa propre consolation.

L’état passif, au contraire, est un état simple, paisible, désintéressé, où l’âme coopère à la grâce d’une manière d’autant plus libre, plus pure, plus forte et plus efficace, qu’elle est plus exempte des inquiétudes et des empressements de l’intérêt propre.

La propriété que les mystiques condamnent avec tant de rigueur, et qu’ils appellent souvent impureté, n’est qu’une recherche de sa propre consolation et de son propre intérêt dans la jouissance des dons de Dieu, au préjudice de la jalousie du pur amour, qui veut tout pour Dieu, et rien pour la créature. Le péché de l’ange fut un péché de propriété; stetit in se, comme parle saint Augustin. La propriété bien entendue n’est donc que l’amour-propre ou l’orgueil, qui est l’amour de sa propre excellence en tant que propre, et qui, au lieu de rapporter tout et uniquement à Dieu, rapporte encore un peu les dons de Dieu à soi, pour s’y complaire. Cet amour-propre fait, dans l’usage des dons extérieurs, la plupart des défauts sensibles. Dans l’usage des dons intérieurs, il fait une recherche très subtile et presque imperceptible de soi-même dans les plus grandes vertus, et c’est cette dernière purification de l’âme qui est la plus rare et la plus difficile.

Les mystiques appellent aussi souvent impureté, les empressements de l’amour intéressé, qui troublent la paix d’une âme attirée à la générosité du pur amour. L’amour intéressé n’est point un péché, et il ne peut être permis, dans ce langage, de l’appeler une impureté, qu’à cause qu’il est différent de l’amour désintéressé que l’on nomme pur. Du reste l’amour intéressé se trouve souvent dans de très grands saints, et il est capable de produire d’excellentes vertus.

La désappropriation bien entendue n’est donc que l’abnégation entière de soi-même selon l’Évangile, et la pratique de l’amour désintéressé dans toutes les vertus. La cupidité, qui est opposée à la charité, ne consiste pas seulement dans la concupiscence charnelle, et dans tous les vices grossiers; mais encore dans cet amour spirituel et déréglé de soi-même pour s’y complaire.

L’attrait intérieur, dont les mystiques ont tant parlé, n’est point une inspiration miraculeuse et prophétique, qui rend l’âme infaillible, ni impeccable, ni indépendante de la direction des pasteurs; ce n’est que la grâce, qui est sans cesse prévenante dans tous les justes, et qui est plus spéciale dans les âmes élevées par l’amour désintéressé, et par la contemplation habituelle, à un état plus parfait. Ces âmes peuvent se tromper, pécher, avoir besoin d’être redressées. Elles ne peuvent même marcher sûrement dans leur voie, que par l’obéissance.

Les désirs ne cessent point, non plus que les actes, dans cette voie; car l’amour, qui est le fond de la contemplation, est un désir continuel de l’Époux bien-aimé, et ce désir continuel est divisé en autant d’actes réels, qu’il y a de moments successifs où il continue. Un acte simple, indivisible, toujours subsistant par lui-même s’il n’est révoqué, est une chimère qui porte avec elle une évidente et ridicule contradiction. Chaque moment d’amour et d’oraison renferme son acte particulier : il n’y a que le renouvellement positif d’un acte qui puisse le faire continuer. Il est vrai seulement que, quand une personne qui ne connaît point ses opérations intérieures par les vrais principes de philosophie, se trouve dans une paix et une union habituelle avec Dieu, elle croit ou ne faire aucun acte, ou en faire un perpétuel; parce que les actes qu’elle fait sont si simples, si paisibles, et si exempts de tout empressement, que l’uniformité leur ôte une certaine distinction sensible.

J’ai dit que l’amour est un désir, et cela est vrai en un sens, quoique en un autre l’amour pur et paisible ne soit pas un désir empressé. Ce qu’on appelle d’ordinaire un désir est une inquiétude et un élancement de l’âme pour tendre vers quelque objet qu’elle n’a pas; en ce sens, l’amour paisible ne peut être un désir : mais on entend par ce désir la pente habituelle du cœur, et son rapport intime à Dieu, l’amour est un désir; et en effet, quiconque aime Dieu, veut tout ce que Dieu veut. Il veut son salut, non pour soi, mais pour Dieu, qui veut être glorifié par là, et qui nous commande de le vouloir avec lui. L’amour est insatiable d’amour; il cherche sans cesse son propre accroissement par la destruction de tout ce qui n’est pas lui en nous. Quoiqu’il ne dise pas formellement, Je veux croître; qu’il ne sente pas toujours une impatience pour son accroissement, et qu’il ne s’excite pas même par secousses et avec empressement pour faire de nouveaux progrès, il tend néanmoins toujours, par un mouvement paisible et uniforme, à détruire tous les obstacles des plus légères imperfections, et à s’unir de plus en plus à Dieu. Voilà le vrai désir qui fait toute la vie intérieure.

Pour les désirs particuliers sur les moyens qu’on croit les plus propres pour procurer la gloire de Dieu, ils peuvent être bons; mais aussi j’avoue qu’ils me sont suspects, lorsqu’ils sont accompagnés, comme vous le dites, de trouble et d’inquiétude, et qu’ils vous font sortir de votre recueillement ordinaire. Vouloir âprement la gloire de Dieu, et à notre mode, c’est moins vouloir sa gloire que notre propre satisfaction. Dieu peut donner par sa grâce, aux âmes, certains désirs particuliers, ou pour des choses qu’il veut accorder à leurs prières, ou pour les exercer elles-mêmes par ces désirs. Ils peuvent même être très forts et très puissants sur l’âme. Ce n’est pas leur force qui m’est suspecte; ce que je crains, c’est l’âpreté, c’est l’inquiétude qui fait cesser le recueillement. Je demande donc que, sans combattre le désir, on n’y tienne point, et qu’on ne veuille pas même en juger. Si ces désirs viennent de Dieu, il saura bien les faire fructifier pour vous et pour les autres. S’ils viennent de votre empressement, la plus sûre manière de les faire cesser est de ne vous y arrêter point volontairement. Bornez-vous donc, ma chère sœur, à bien vouloir de tout votre cœur toutes les volontés connues de Dieu par sa loi et par sa providence, et toutes les inconnues qui sont cachées dans ses conseils sur l’avenir.

Voilà les principales choses de la doctrine de la vie intérieure, que je ne puis vous expliquer ici qu’en abrégé et à la hâte, mais qui sont capitales pour vous préserver de l’illusion. Si ces choses ont besoin d’un éclaircissement plus exact et plus étendu, je vous en dirai volontiers ce que j’en connais, et qui est conforme aux propositions de messeigneurs de Paris et de Meaux.

Pour vous, ma chère sœur455, ce qui me paraît le plus utile à votre sanctification, c’est que vous fuyiez ce qu’on appelle le goût de l’esprit, et la curiosité : noli altum sapere456. Faites taire votre esprit, qui se laisse trop aller au raisonnement. Surtout n’entreprenez jamais de régler votre conduite intérieure, ni celle des sœurs à qui vous pouvez parler suivant l’ordre de vos supérieurs, par vos lectures. Les meilleures choses que vous lisez peuvent se tourner en poison, si vous les prenez selon votre propre sens. Lisez donc pour457 vous édifier, pour vous recueillir, pour vous nourrir intérieurement, pour vous remplir de la vérité, mais non pour juger par vous-même, ni pour trouver une direction dans vos lectures. Ne lisez rien par curiosité, ni par goût des choses extraordinaires : ne lisez rien que par conseil, et en esprit d’obéissance à vos supérieurs, auxquels il ne faut jamais rien cacher. Souvenez-vous que, si vous n’êtes comme les petits enfants, vous n’entrerez point au royaume du ciel. Désirez le lait comme les petits enfants nouveaux nés; désirez-le sans artifice. Souvenez-vous que Dieu cache ses conseils aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits; sa conversation familière est avec les simples. Il n’est pas question d’une simplicité badine, et qui se relâche sur les vertus : il s’agit d’une simplicité de candeur, d’ingénuité, de rapport unique à Dieu seul, et de défiance sincère de soi-même en tout. Vous avez besoin de devenir plus petite et plus pauvre d’esprit qu’une autre. Après avoir tant travaillé à croître et à orner votre esprit, dépouillez-le de toute parure; ce n’est pas en vain que Jésus-Christ dit : Bienheureux les pauvres d’esprit. Ne parlez jamais aux autres, qu’autant que vos supérieurs vous y obligeront; vous avez besoin de ne point épancher au dehors le don de Dieu qui se tarirait aisément en vous. On se dissipe quelquefois en parlant des meilleures choses; on s’en fait un langage qui amuse, et qui flatte l’imagination, pendant que le cœur se vide et se dessèche insensiblement. Ne vous croyez point avancée, car vous ne l’êtes guère : ne vous comparez jamais à personne; laissez-vous juger par les autres, quoiqu’ils n’aient pas une grande lumière. Ne comptez jamais sur vos expériences, qui peuvent être très défectueuses. Obéissez et aimez : l’amour qui obéit marche dans la voie droite, et Dieu supplée à tout ce qui pourrait lui manquer. Oubliez-vous vous-même, non au préjudice de la vigilance, qui est essentiellement inséparable du véritable amour de Dieu, mais pour les réflexions inquiètes de l’amour-propre.

Vous trouverez peut-être, ma chère sœur, que j’entre bien avant dans les questions de doctrine, en vous écrivant une lettre où je vous exhorte à vous détacher de tout ce qu’on appelle esprit et science : mais vous savez que c’est vous qui m’avez questionné. Il s’agit de vous mettre le cœur en paix, de vous montrer les vrais principes et les bornes au-delà desquelles vous ne pourriez aller sans tomber dans l’illusion, et de vous ôter aussi le scrupule sur les véritables voies de Dieu. On ne peut pas vous parler aussi sobrement qu’à une autre, parce que vous avez beaucoup lu et raisonné sur ces matières. Tout ce que je viens de vous dire ne vous apprendra rien de nouveau; il ne fera que vous montrer les bornes, et que vous préserver des pièges à craindre. Après vous avoir parlé, ma chère sœur, avec tant de confiance et d’ouverture, je n’ai garde de finir cette lettre par des compliments. Il me suffit de me recommander à vos prières, et de me souvenir de vous dans les miennes. Je vous supplie de souffrir que j’ajoute ici une assurance de ma vénération pour la mère prieure, et pour les autres dont je suis connu. Rien n’est plus fort et plus sincère que le zèle avec lequel je vous serai dévoué toute ma vie en notre Seigneur.

FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.

LSP 16. L.363S. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. Mardi au soir, 7 août [1696 ?].

J’ai pensé, ma chère sœur, à tout ce que vous m’avez dit en si peu de temps, et Dieu sait combien je m’intéresse à tout ce qui vous touche. Je ne saurais assez vous recommander de compter pour rien toutes les lumières de grâce, et les communications intérieures qu’il vous paraît que vous recevez. Vous êtes encore dans un état d’imperfection et de mélange, où de telles lumières sont tout au moins très douteuses et très suspectes d’illusion. Il n’y a que la conduite de foi qui soit assurée, comme le bienheureux Jean de la Croix le dit si souvent. Sainte Thérèse même paraît avoir presque perdu toute lumière miraculeuse dans sa septième demeure du Château de l’Âme. Vous avez un besoin infini de ne compter pour rien tout ce qui paraît le plus grand, et de demeurer dans la voie où l’on ne voit rien que les maximes de la pure foi et la pratique du parfait amour. Je me souviens de vous avoir écrit autrefois là-dessus une lettre. Si elle contient quelque chose de vrai, servez-vous-en comme de ce qui est à Dieu; et si j’y ai mis quelque chose qui soit mauvais, rejetez-le comme mien. J’avoue que je souhaiterais pour votre sûreté, que M. votre supérieur458, qui est plein de mérite, de science et de vertu vous tînt aussi bas que vous devez l’être. Il s’en faut beaucoup que vous ne soyez dans la véritable lumière qui vient de l’expérience de la perfection. Vous n’êtes que dans un commencement, où vous prendrez facilement le change avec bonne intention, et où l’approbation de vos supérieurs et de vos anciennes sont fort à craindre pour vous. Vous avez une sorte de simplicité que j’aime fort; mais elle ne va qu’à retrancher tout artifice et toute affectation : elle ne va pas encore jusqu’à retrancher les goûts spirituels, et certains petits retours subtils sur vous-même. Vous avez besoin de ne vous arrêter à rien, et de ne compter pour rien tout ce que vous avez, même ce qui vous est donné; car ce qui vous est donné, quoique bon du côté de Dieu, peut être mauvais par l’appui que vous en tirerez en vous même. Ne tenez qu’aux vérités de la foi, pour crucifier sans réserve encore plus le dedans que le dehors de l’homme. Gardez dans votre cœur l’opération de la grâce, et ne l’épanchez jamais sans nécessité. Il y aurait mille choses simples à vous dire sur cette conduite de foi; mais le détail n’en peut être marqué ici, car il serait trop long, et on ne saurait tout prévoir. J’espère que Dieu vous conduira lui-même, si vous êtes fidèle à contenter toute la jalousie de son amour, sans écouter votre amour-propre. Je le prie d’être toutes choses en vous, et de vous préserver de toute illusion; ce qui arrivera si vous allez, comme dit le bienheureux Jean de la Croix, toujours par le non-savoir dans les vérités inépuisables de l’abnégation de vous-même : n’en cherchez point d’autres. Tout à vous en Jésus-Christ notre Seigneur. À lui seul gloire à jamais.

376S. à la sœur CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. Samedi 15 décembre [1696].

459 Pour vous, ma chère sœur, je vous conjure de demeurer dans votre cellule loin de tout commerce non seulement au-dehors, mais encore au-dedans, excepté ceux que l’obéissance vous rend nécessaire. Faites taire votre esprit et écoutez Dieu. Vous verrez que ce silence intérieur n’est point une oisiveté, mais une cessation de nos pensées inquiètes, pour recevoir d’un esprit simple et tranquille, et d’une volonté pure et souple les impressions de la grâce. En vérité on ne peut être à vous plus que j’y suis en N. S. Il me semble que cela augmente tous les jours. Plus vous serez rapetissée sous la main de Dieu, plus il nous unira en lui. Ne jugez point, ne décidez point. Laissez-vous mener par vos supérieurs. Les enfants trouvent tout le monde plus grand qu’eux, ne méprisez rien que vous. Que tout vous paraisse géant en comparaison de vous. Parlez, écrivez, raisonnez le moins que vous pourrez. Je suis bien importun de répéter si souvent la même chose, mais il me semble voir combien elle vous importe. D’autres vous parleront autrement. Pour moi je crains toute occupation qui peut nourrir en vous le goût des talents et d’une piété trop lumineuse460.

LSP 18. 380S. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. [août 1695 - janvier 1697].

Pour vous461, ma chère sœur, je vous dirai que j’ai bien regret de n’avoir pas été libre de vous aller voir avant que de venir ici. Mais cela m’a été impossible, j’espère retrouver cette consolation à notre retour. Cependant je ne puis assez vous redire ce que j’ai pris la liberté de vous dire tant de fois. Craignez votre esprit, et celui de ceux qui en ont; ne jugez de personne par là. Dieu, seul bon juge, en juge bien autrement; il ne s’accommode que des enfants, des petits, des pauvres d’esprit. Ne lisez rien par curiosité, ni pour former aucune décision462 dans votre tête sur aucune de vos lectures : lisez pour vous nourrir intérieurement dans un esprit de docilité et de dépendance sans réserve. Communiquez-vous463 peu, et ne le faites jamais que pour obéir à vos supérieurs. Soyez ingénue comme un enfant à leur égard. Ne comptez pour rien ni vos lumières ni les grâces extraordinaires. Demeurez dans la pure foi, contente d’être fidèle dans cette obscurité, et d’y suivre sans relâche les commandements et les conseils de l’Evangile expliqués par votre règle. Sous prétexte de vous oublier vous-même, et d’agir simplement sans réflexion, ne vous relâchez jamais pour votre régularité, ni pour la correction de vos défauts : demandez à vos supérieurs qu’ils vous en avertissent. Soyez fidèle à tout ce que Dieu vous en fera connaître par autrui, et acquiescez avec candeur et docilité à tout ce qu’on vous en dira, et dont vous n’aurez point la lumière. Il faut s’oublier, pour retrancher les attentions de l’amour-propre, et non pour négliger la vigilance qui est essentielle au véritable amour de Dieu. Plus on l’aime, plus on est jalouse contre soi, pour n’admettre jamais rien qui ne soit des vertus les plus pures que l’amour inspire. Voilà, ma chère sœur, tout ce qui me vient au cœur pour vous : recevez-le du même cœur dont je vous le donne. Je prie notre Seigneur qu’il vous fasse entendre mieux que je ne dis, et qu’il soit lui seul toutes choses en vous. Il sait à quel point je suis en lui intimement uni à vous.

FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.

La correspondance dut cesser lors de l’exil de Fénelon à Cambrai. Quinze années plus tard :

LSP 20. L.1437. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray 17 janvier 1711.

Je n’ai point, ma très honorée sœur, la force que vous m’attribuez. J’ai ressenti la perte irréparable que j’ai faite avec un abattement qui montre un cœur très faible. Maintenant mon imagination est un peu apaisée, et il ne me reste qu’une amertume et une espèce de langueur intérieure. Mais l’adoucissement de ma peine ne m’humilie pas moins que ma douleur. Tout ce que j’ai éprouvé dans ces deux états n’est qu’imagination, et qu’amour-propre. J’avoue que je me suis pleuré en pleurant un ami qui faisait la douceur de ma vie, et dont la privation se fait sentir à tout moment. Je me console, comme je me suis affligé, par lassitude de la douleur, et par besoin de soulagement. L’imagination, qu’un coup si imprévu avait saisie et troublée, s’y accoutume et se calme. Hélas! tout est vain en nous, excepté la mort à nous-mêmes que la grâce y opère. Au reste, ce cher ami464 est mort avec une vue de sa fin qui était si simple et si paisible, que vous en auriez été charmée. Lors même que sa tête se brouillait un peu, ses pensées confuses étaient toutes de grâce, de foi, de docilité, de patience, et d’abandon à Dieu. Je n’ai jamais rien vu de plus édifiant et de plus aimable. Je vous raconte tout ceci pour ne vous représenter point ma tristesse, sans vous faire part de cette joie de la foi dont parle S. Augustin, et que Dieu m’a fait sentir en cette occasion. Dieu a fait sa volonté, il a préféré le bonheur de mon ami à ma consolation. Je manquerais à Dieu et à mon ami même, si je ne voulais pas ce que Dieu a voulu. Dans ma plus vive douleur, je lui ai offert celui que je craignais tant de perdre. On ne peut être plus touché que je le suis de la bonté avec laquelle vous prenez part à ma peine. Je prie celui pour l’amour de qui vous le faites, de vous en payer au centuple.

Je ne me souviens point de ce que vous me mandez que vous m’aviez écrit. Je ne sais si c’est que je ne l’ai pas reçu ou qu’il a échappé à ma mémoire dans la multitude des embarras extraordinaires que j’ai eus cette année. Mais enfin si vous vouliez me pardonner cette faute et daigner me mander simplement une seconde fois de quoi il s’agit, je vous ferais une réponse très ingénue avec tout le zèle d’un homme qui vous honore plus que jamais, et qui vous sera dévoué sans réserve en N[otre] S[eigneur] le reste de sa vie. FR. ARCH. DE CAMBRAY.

LSP 22. L.1514. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. 25 décembre 1711.

Je voudrais, ma très honorée sœur, être à portée de vous témoigner plus régulièrement par mes lettres, combien je vous suis dévoué. Ce que Dieu fait ne ressemble point à ce que les hommes font. Les sentiments des hommes changent, ceux que Dieu inspire vont toujours croissant, pourvu qu’on lui soit fidèle.

On ne peut être plus touché que je le suis de vos maux465: je leur pardonne de vous empêcher de faire des exercices de pénitence. Les maux qu’on souffre ne sont-ils pas eux-mêmes des pénitences continuelles que Dieu nous a choisies, et qu’il choisit infiniment mieux que nous ne les choisirions? que voulons-nous, sinon l’abattement de la chair, et la soumission de l’esprit à Dieu? À l’égard de vos lectures, je ne saurais les regretter, pendant qu’il plaît à Dieu de vous en ôter l’usage. Tous les livres les plus admirables mis ensemble nous instruisent moins que la croix. Il vaut mieux d’être crucifié avec Jésus-Christ, que de lire ses Souffrances466. L’un n’est souvent qu’une belle spéculation, ou tout au plus qu’une occupation affectueuse. L’autre est la pratique réelle et le fruit solide de toutes nos lectures et oraisons. Souffrez donc en paix et en silence, ma chère sœur, c’est une excellente oraison que d’être uni à Jésus sur la croix. On ne souffre point en paix pour l’amour de Dieu, sans faire une oraison très pure et très réelle. C’est pour cette oraison qu’il faut laisser les livres, et les livres ne servent qu’à préparer cette oraison de mort à soi-même. Vous connaissez l’endroit où S. Augustin, parlant du dernier moment de sa conversion, dit qu’après avoir lu quelques paroles de l’apôtre, il quitta le livre, «et ne voulut point continuer de lire, parce qu’il n’en avait plus besoin, et qu’une lumière de paix s’était répandue dans son cœur467 ». Quand Dieu nourrit au-dedans, on n’a pas besoin de la nourriture extérieure. La parole du dehors n’est donnée que pour procurer celle du dedans. Quand Dieu, pour nous éprouver, nous ôte celle du dehors, il la remplace par celle du dedans pour ne nous abandonner pas à notre indigence. Demeurez donc en silence et en amour auprès de lui. Occupez-vous de tout ce que l’attrait de la grâce vous présentera dans l’oraison, pour suppléer à ce qui vous manque du côté de la lecture. O que J[ésus]-C[hrist], parole substantielle du Père, est un divin livre pour nous instruire! Souvent nous chercherions dans les livres de quoi flatter notre curiosité, et entretenir en nous le goût de l’esprit. Dieu nous sèvre de ces douceurs par nos infirmités. Il nous accoutume à l’impuissance et à une langueur d’inutilité qui attriste et qui humilie l’amour-propre. O l’excellente leçon ! Quel livre pourrait nous instruire plus fortement? Ce que je vous demande très instamment, est de ménager vos forces avec simplicité, et de recevoir dans vos maux les soulagements qu’on vous offre, comme vous voudriez qu’une autre à qui vous les offririez les reçût dans son besoin. Cette simplicité vous mortifiera plus que les austérités que vous regrettez et qui vous sont impossibles. Au reste, Dieu se plaît davantage dans une personne accablée de maux, qui met sa consolation à n’en avoir aucune, pour le contenter, que dans les personnes les plus occupées aux œuvres les plus éclatantes. Sur qui jetterai-je mes regards de complaisance, dit le Seigneur, si ce n’est sur celui qui est pauvre, petit, et écrasé intérieurement468? Leurs lumières, leurs sentiments, leurs œuvres soutiennent les autres. Mais Dieu porte ceux-ci entre ses bras avec compassion. Pleurez, sans vous contraindre, les choses que vous dites que Dieu vous ordonne de sentir, mais j’aime bien ce que vous appelez votre stupidité. Elle vaut cent fois mieux que la délicatesse et la vivacité de sentiments sublimes, qui vous donneraient un soutien flatteur. Contentez-vous de ce que Dieu vous donne, et soyez également délaissée à son bon plaisir dans les plus grandes inégalités. Encore une fois ménagez votre corps et votre esprit. L’un et l’autre est abattu. Au reste je réponds à votre lettre le lendemain de sa réception, c’est-à-dire le 25 décembre, quoiqu’elle soit datée du 30 d’août. Je n’oublierai pas devant Dieu la personne que vous me recommandez469, et je serai jusqu’à la mort intimement uni à vous avec zèle en N [otre] S[eigneur].

LSP 21. L.1776. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray, ce 10 mars 1714.

J’ai reçu, ma très honorée sœur, une réponse de la personne qui vous est si chère470 : elle ne tend qu’à entrer en dispute, et qu’à vouloir m’y engager avec ses ministres471. Cette dispute avec eux n’aboutirait à rien de solide. Je me bornerai à lui répondre doucement sur les points qui peuvent toucher le cœur, en laissant tomber tout ce qui excite l’esprit à des contestations. La prière ôte l’enflure du cœur, que la science et la dispute donnent. Si les hommes voulaient prier avec amour et humilité, tous les cœurs seraient bientôt réunis, les nouveautés disparaîtraient, et l’Église serait en paix. Je souhaite de tout mon cœur, que Dieu vous détache à mesure qu’il vous éprouve. Les dépouillements les plus rigoureux sont adoucis, dès que Dieu détache le cœur des choses dont il dépouille. Les incisions ne sont nullement douloureuses dans le mort; elles ne le sont que dans le vif. Quiconque mourrait en tout, porterait en paix toutes les croix. Mais nous sommes faibles, et nous tenons encore à de vaines consolations. Les soutiens de l’esprit sont plus subtils que les appuis mondains ; on y renonce plus tard et avec plus de peine. Si on se détachait des consolations les plus spirituelles dès que Dieu en prive, on mettrait sa consolation, comme dit l’Imitation de Jésus-Christ472, à être sans consolation dans sa peine. Je serais ravi d’apprendre l’entière guérison de vos yeux; mais il ne faut pas plus tenir à ses yeux, qu’aux choses les plus extérieures. Je serai jusqu’au dernier soupir de ma vie intimement uni à vous, et dévoué à tout ce qui vous appartient, avec le zèle le plus sincère.



Le Relevé de correspondance s’avère inutile ici car nous avons repris tout l’ensemble de cette « petite » série de onze lettres, mais très grande par sa profondeur spirituelle.

Duchesse de Mortemart (1665-1750)

Une esquisse biographique

La « petite duchesse », proche 473 aimée de Madame Guyon 474, prit sa relève au sein du cercle des disciples lorsque cette dernière fut emprisonnée puis assignée à résidence à Blois. La cadette du ‘clan’ Colbert avait un fort tempérament 475 ce qui nous semble assez prévisible mais lui fut reproché. Après 1717, date du décès de la ‘dame directrice’, la duchesse corrigée de ses défauts de (relative) jeunesse atteindra quatre-vingt-cinq ans et le demi-siècle des Lumières.

Elle aura selon nous succédé à Madame Guyon. Aussi nous explorons sa biographie brièvement en texte courant tout en l’accompagnant d’amples notes. Celles très précieuses de l’éditeur I. Noye accompagnent et authentifie ce qui s’avère constituer la plus longue série de lettres rapportée en [CF 18] pour une même correspondante. De nature plus éditoriale que biographique elles ne sont pas reprises ici, mais leurs attributions et leurs datations assurent la séquence du regroupement.

Pour notre chance ! Car l’attribution à la duchesse de Mortemart de lettres nettoyées des renseignements sur leur provenance par les membres du cercle en vue de l’édition de 1718 n’a été établie qu’assez tardivement 476 tandis que l’édition critique de la série « LSP * » est récente 477  : la filiation mystique fut ainsi trop bien préservée.

Nous donnerons après cette esquisse biographique la série reconstituée complète des lettres dont seuls quelques passages seront omis en texte principal.

Mais qui était cette « petite duchesse » ? Nous alternons ici Orcibal avec le duc de Saint-Simon, sans oublier en notes Boislisle, regroupant ainsi l’admirable écrivain observateur avec les deux plus grands érudits qui précédèrent l’éditeur de lettres I. Noye :

« La ‘Petite Duchesse’ de Mortemart, fille du ministre Colbert et sœur cadette des dames de Chevreuse et de Beauvillier, épousa en 1679 Louis de Rochechouart478.

« Ce dernier, né en 1663, « donnait les plus grandes espérances (en 1686 il avait forcé les pirates de Tripoli à se soumettre), mais sa santé, minée par la phtisie, provoquait dès l'été 1687 de vives inquiétudes. » Il mourut jeune en 1688. En 1689 et en 1690, on voit souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin 479. »

Cela peut avoir été facilité et facile pour une jeune veuve de vingt-trois ans dont Saint-Simon décrit un charme digne des Mortemart 480. Le duc de Saint-Simon use ensuite de son piquant propre en rapportant une dévotion peu jusfifiée à ses yeux :

« La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l'aimait fort aussi, et de tout à la Cour, la quitta subitement de dépit des romancines481 de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans l'exemple de ses deux sages beaux-frères [les ducs] à se confirmer dans son goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints amusements pour s'occuper…482

Nous relevons du même duc de Saint-Simon une note complémentaire du fil principal de ses Mémoires. Elle est bien informée sur l’origine et sur la permanence du « petit troupeau » après la mort de Louis XIV. Elle pose ensuite la duchesse comme « pilier femelle 483 » lorsque Mme Guyon, sortie de la Bastille, est en résidence surveillée à Blois. Nous indiquons les dates des figures car plusieurs établissent le réseau du « petit troupeau » mystique :

« Mme Guyon a trop fait de bruit, et par elle, et par ses trop illustres amis, et par le petit troupeau qu'elle s'est formé à part, qui dure encore, et qui, depuis la mort du Roi [en 1715], a repris vigueur, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira d'en dire un mot d’éclaircissement, qui ne se trouve ni dans sa vie ni dans celle de ses amis et ennemis, ni dans les ouvrages écrits pour et contre elle, où tout le reste se rencontre amplement.

« Elle ne fit que suivre les errements d'un prêtre nommé Bertaut [Jacques Bertot, 1620-1681], qui, bien des années avant elle [Jeanne Guyon, 1648-1717], faisoit des discours à l'abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples […] M. de Beauvillier [1648_1714] fut averti plus d'une fois que ces conventicules obscurs, qui se tenaient pour la plupart chez lui, étoient sus et déplaisaient ; mais sa droiture, qui ne cherchait que le bien pour le bien, et qui croyait le trouver là, ne s'en mit pas en peine. La duchesse de Béthune [1641 ?-1716], celle-là même qui allait à Montmartre avec M. de Noailles, y tenait la seconde place. Pour ce maréchal, il sentait trop d'où venait [415] le vent, et d'ailleurs il avait pris d'autres routes qui l'avaient affranchi de ce qui ne lui était pas utile. La duchesse de Mortemart [la ‘petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. Tels étaient les piliers mâles et femelles de cette école, quand la maîtresse [Guyon] fut éloignée d'eux et de Paris, avec une douleur, de leur part, qui ne fit que redoubler leur fascination pour elle…484. »

Par la suite,

« La duchesse vécut ensuite en liaison étroite avec ses beaux-frères, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. « Plusieurs lettres du P. Lami, bénédictin, nous apprennent que la duchesse faisait de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait profession, et qu’elle y occupa même assez longtemps une cellule […] Elle y mourut le 13 février 1750 485».

« La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ame du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avait forcé la duchesse [la comtesse] de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardait aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle allait à Cambrai, et y avait passé souvent plusieurs mois de suite. C'était donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque; ou ne le pouvait même ignorer486. »

Doit-on la considérer comme successeur dans la lignée mystique ? Déjà dans une lettre de septembre 1697, Madame Guyon lui écrivait :

« …Cependant, lorsqu'elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu'Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s'est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j'ai toujours cru qu'Il l'accordait à l'humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi… »

La petite duchesse pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux.

L’opinion de Fénelon et d’un proche

Nous avons quelques lettres à des tiers où Fénelon exprime son appréciation de la Petite Duchesse :

Au moment où le duc de Montfort leur fils des Chevreuse est grièvement blessé, Dieu « vous met sur la croix avec son Fils; je vous avoue que, malgré toute la tristesse que vous m'avez causée, j'ai senti une espèce de joie lorsque j'ai vu Mme la duchesse de Mortemart partir avec tant d'empressement et de bon naturel pour aller partager avec vous vos peines. » (L.168 à la duchesse du 7 avril 1691).

A la comtesse de Gramont : « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus en plus. La vertu lui coûte autant qu'à un autre, et en cela elle est très propre à vous encourager. » (L.300 du 22 juin 1695)

A la comtesse de Montberon : « A mon retour, j'espère que nous aurons ici Mad. la d[uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée. » (L. entre le 2 et le 6 juillet 1702)

Le duc de Chevreuse écrit à Fénelon : « Je suis plus content que jamais de la B.P.D. [de Mortemart]. J'y trouve le même esprit de conduite qu'elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond. » (L.913A du 16 mai 1703).

Nous tentons une mise en ordre chronologique 487. Un choix en italiques précède la séquence complète des lettres qui nous sont parvenues.

Choix de citations extrait de la série complète des lettres

Fénelon est directeur de la « petite duchesse ». Née en 1665, elle est de quatorze ans plus jeune :

En 1693 : 

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. … Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? … Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. … Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée. (LSP 126*, juin 1693 ?)

Nul couvent ne vous convient; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. (LSP 135.*)

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce … Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? … Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. … (LSP 136*)

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu … Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. (LSP 130*, 1693?)

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. (LSP 131*,1693 ?)

Lettres postérieures :

Vous ne garderez jamais si bien M... que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout: c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. (LSP 129*, 1695 ?)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. (LSP 137*)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu (LSP 150*, attribution incertaine)

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. … Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide. (LSP 164*)

Ma vie est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. (LSP 165*)

Lettres tardives :

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir: on va contre le vent à force de rames. … Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. … Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif488: … Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. (LSP 166*, après juin 1708)

Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. (LSP 167*)

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix (LSP 189*)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. … Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. … Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. (LSP 190*)

Tout contribue à vous éprouver; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. … Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous (LSP 192*, attribution incertaine)

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? … Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon? … J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. … Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? … Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. (LSP 193*) Pb : née en 1665 !

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. (LSP 198*, attribution incertaine)

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous. / Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. (LSP 203, 1711 ?)

Comment pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. (LSP 490*, attribution incertaine)

Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autres les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. … excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. (L.1121, 9 janvier 1707)

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. … Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu]; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres489. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus. (L.1231, 22 août 1708)

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. … Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. … En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. (L.1215, 8 juin 1708)

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. … Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y préparer. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. … D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. … Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. … Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N…[Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. (L.1408)

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. … Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. (L.1442, 1er février 1711)

Il y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. … Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. … Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver: je me vois comme une image dans un songe. … Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. (L.1479, 27 juillet 1711)

La série complète490 des lettres 

LSP 126.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART juin 1693 ?

Vous êtes bonne491. Vous voudriez l’être encore davantage, et vous prenez beaucoup sur vous dans le détail de la vie : mais je crains que vous ne preniez un peu trop sur le dedans, pour accommoder le dehors aux bienséances, et que vous ne fassiez pas assez mourir le fond le plus intime. Quand on n’attaque point efficacement un certain fonds secret de sens et de volonté propre sur les choses qu’on aime le plus, et qu’on se réserve avec le plus de jalousie, voici ce qui arrive. D’un côté, la vivacité, l’âpreté et la roideur de la volonté propre sont grandes; de l’autre côté, on a une idée scrupuleuse d’une certaine symétrie des vertus extérieures, qui se tourne en pure régularité de bienséance. L’extérieur se trouve ainsi très gênant, et l’intérieur très vif pour y répugner. C’est un combat insupportable.

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. Je serais moins fâché de vous voir grondeuse, dépitée, brusque, ne vous possédant pas, et ensuite bien désabusée de vous-même par cette expérience, que de vous voir régulière de tout point et irrépréhensible de tous les côtés, mais délicate, haute, austère, roide, facile à scandaliser, et grande en vous-même.

Mettez votre véritable ressource dans l’oraison. Un certain travail de courage humain et de goût pour une régularité empesée ne vous corrigera jamais. Mais accoutumez-vous devant Dieu, par l’expérience de vos faiblesses incurables, à la condescendance, à la compassion et au support des imperfections d’autrui. L’oraison bien prise vous adoucira le cœur, et vous le rendra simple, souple, maniable, accessible, accommodant. Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? On est sévère pour les actions extérieures, et on est très relâché pour l’intérieur. Pendant qu’on est si jaloux de cet arrangement superficiel de vertus extérieures, on n’a aucun scrupule de se laisser languir au-dedans, et de résister secrètement à Dieu. On craint Dieu plus qu’on ne l’aime. On veut le payer d’actions, que l’on compte pour en avoir quittance, au lieu de lui donner tout par amour, sans compter avec lui. Qui donne tout sans réserve, n’a plus besoin de compter. On se permet certains attachements déguisés à sa grandeur, à sa réputation, à ses commodités. Si on cherchait bien entre Dieu et soi, on trouverait un certain retranchement où l’on met ce qu’on suppose qu’il ne faut pas lui sacrifier. On tourne tout autour de ces choses, et on ne veut pas même les voir, de peur de se reprocher qu’on y tient. On les épargne comme la prunelle de l’œil sous les plus beaux prétextes. Si quelqu’un forçait ce retranchement, il toucherait au vif, et la personne serait inépuisable en belles raisons pour justifier ses attachements : preuve convaincante qu’elle nourrit une vie secrète dans ces sortes d’affections. Plus on craint d’y renoncer, plus il faut conclure qu’on en a besoin. Si on n’y tenait pas, on ne ferait pas tant d’efforts pour se persuader qu’on n’y tient point.

Il faut bien qu’il y ait en nous de telles misères qui arrêtent l’ouvrage de Dieu. Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. La faute ne vient point de Dieu, elle vient donc de nous. Nous n’avons qu’à bien chercher, et nous trouverons les liens secrets qui nous arrêtent. L’endroit dont nous nous méfions le moins est précisément celui dont il faut se défier le plus.

Ne faisons point avec Dieu un marché afin que notre commerce ne nous coûte pas trop, et qu’il nous en revienne beaucoup de consolation492. N’y cherchons que la croix, la mort et la destruction. Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée ; et, comme on digère ses repas pendant tout le jour, digérons pendant toute la journée, dans le détail de nos occupations, le pain de vérité et d’amour que nous avons mangé à l’oraison. Que cette oraison ou vie d’amour, qui est la mort à nous-mêmes, s’étende de l’oraison, comme du centre, sur tout ce que nous avons à faire. Tout doit devenir oraison ou présence amoureuse de Dieu dans les affaires et dans les conversations. C’est là, Madame, ce qui vous donnera une paix profonde.

LSP 135.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Je ne manquerai à aucune des personnes que la Providence m’envoie, que quand je manquerai à Dieu même493 ; ainsi ne craignez pas que je vous abandonne. D’ailleurs Dieu saurait bien faire immédiatement par lui-même ce qu’il cesserait de faire par un vil instrument. Ne craignez rien, homme de peu de foi. Demeurez exactement dans vos bornes ordinaires ; réservez votre entière confiance pour N… qui vous connaît à fond, et qui peut seul494 vous soulager dans vos peines ; il lui sera donné de vous aider dans tous vos besoins. Nul couvent ne vous convient; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. Tous les jours sont des fêtes pour les personnes qui tâchent de vivre dans la cessation de toute autre volonté que de celle de Dieu. Ne lui marquez jamais aucune borne. Ne retardez jamais ses opérations. Pourquoi délibérer pour ouvrir, quand c’est l’Époux qui est à la porte du cœur? Écoutez et croyez N… Je veux au nom de Notre-Seigneur que vous soyez en paix. Ne vous écoutez point. Ne cherchez jamais la personne qui s’écarte : mais tenez-vous à portée de redresser et de consoler son cœur, s’il se rapproche...495.

LSP 136*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce496 ; mais vous pourriez facilement vous mécompter sur votre goût de retraite. Contentez-vous de ne voir que les personnes avec lesquelles vous avez des liaisons intérieures de grâce, ou des liaisons extérieures de providence : encore même ne faut-il point vous faire une pratique de ne voir que les personnes de ces deux sortes ; et, sans tant raisonner, il faut, en chaque occasion, suivre votre cœur, pour voir ou ne pas voir les personnes qu’il est permis communément de voir; surtout ne vous éloignez point de celles qui peuvent vous soutenir dans votre vocation.

Je voudrais que vous évitassiez toute activité par rapport à la personne sur laquelle vous me demandez mon avis497. Ne vous faites point une règle ni de vous éloigner, ni de vous rapprocher d’elle. Tenez-vous seulement à portée de lui être utile, et de lui dire la vérité toutes les fois qu’elle reviendra à vous. Ne la rebutez jamais : montrez-lui un cœur toujours ouvert et toujours uni. Quand elle paraîtra s’éloigner, écrivez-lui, selon les occasions, avec simplicité, pour la rappeler à la véritable vocation de Dieu. Avertissez-la des pièges à craindre ; mais ne vous inquiétez point, et n’espérez pas de corriger l’humain par une activité humaine.

Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? Voulez-vous faire naufrage au port, vous reprendre, et demander à Dieu qu’il s’assujettisse à vos règles, au lieu qu’il veut et que vous lui avez promis de marcher comme Abraham dans la profonde nuit de la foi’? Et quel mérite auriez-vous à faire ce que vous faites, si vous aviez des miracles et des révélations pour vous assurer de votre voie ? Les miracles mêmes et les révélations s’useraient bientôt, et vous retomberiez encore dans vos doutes. Vous vous livrez à la tentation. Ne vous écoutez plus vous-même. Votre fond, si vous le suivez simplement, dissipera tous ces vains fantômes.

Il y a une extrême différence entre ce que votre esprit rassemble dans sa peine, et ce que votre fond conserve dans la paix. Le dernier est de Dieu ; l’autre n’est que votre amour-propre. Pour qui êtes-vous en peine ? Pour Dieu, ou pour vous ? Si ce n’était que pour Dieu seul, ce serait une vue simple, paisible, forte, et qui nourrirait votre cœur, et vous dépouillerait de tout appui créé. Tout au contraire, c’est de vous que vous êtes en peine. C’est une inquiétude, un trouble, une dissipation, un dessèchement de cœur, une avidité naturelle de reprendre des appuis humains, et de ne vous laisser jamais mourir.

Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. Vous cherchez à vivre, et il ne s’agit plus que d’achever de mourir et d’expirer dans le délaissement sensible. Vous me demandez des moyens ; il n’y a plus de moyens : c’est en les laissant tomber tous, que l’œuvre de mort se consomme. Que reste-t-il à faire à celui qui est sur la roue ? Faut-il lui donner des remèdes ou des aliments? lui faut-il donner les cordiaux qu’il demande ? Non ; ce serait prolonger son supplice par une cruelle complaisance, et éluder l’exécution de la sentence du juge. Que faut-il donc? Rien que ne rien faire, et le laisser au plus tôt mourir.

LSP 130.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693?]

Il m’a paru que vous aviez besoin de vous élargir le cœur sur les défauts d’autrui. Je conviens que vous ne pouvez ni vous empêcher de les voir quand ils sautent aux yeux, ni éviter les pensées qui vous viennent sur les principes qui vous paraissent faire agir certaines gens. Vous ne pouvez pas même vous ôter une certaine peine que ces choses vous donnent. Il suffit que vous vouliez supporter les défauts certains, ne juger point de ceux qui peuvent être douteux, et n’adhérer point à la peine qui vous éloignerait des personnes.

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu ; autrement on arracherait le bon grain avec le mauvais. Dieu laisse dans les âmes les plus avancées certaines faiblesses entièrement disproportionnées à leur état éminent, comme on laisse des morceaux de terre qu’on nomme des témoins, dans un terrain qu’on a rasé, pour faire voir, par ces restes, de quelle profondeur a été l’ouvrage de la main des hommes. Dieu laisse aussi dans les plus grandes âmes des témoins ou restes de ce qu’il en a ôté de misère.

Il faut que ces personnes travaillent, chacune selon leur degré, à leur correction, et que vous travailliez au support de leurs faiblesses. Vous devez comprendre, par votre propre expérience en cette occasion, que la correction est fort amère : puisque vous en sentez l’amertume, souvenez-vous combien il faut l’adoucir aux autres498. Vous n’avez point un zèle empressé pour corriger, mais une délicatesse qui vous serre aisément le cœur.

Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. Si vos avis me blessent, cette sensibilité me montrera que vous aurez trouvé le vif: ainsi vous m’aurez toujours fait un grand bien en m’exerçant à la petitesse, et en m’accoutumant à être repris. Je dois être plus rabaissé qu’un autre à proportion de ce que je suis plus élevé par mon caractère, et que Dieu demande de moi une plus grande mort à tout. J’ai besoin de cette simplicité, et j’espère qu’elle augmentera notre union, loin de l’altérer.

LSP 131*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693 ?]

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. […] Souvent une certaine vivacité de correction, même pour soi, n’est qu’une activité qui n’est plus de saison pour ceux que Dieu mène d’une autre façon, et qu’il veut quelquefois laisser dans une impuissance de vaincre ces imperfections, pour leur ôter tout appui intérieur. La correction de quelques défauts involontaires serait pour eux une mort beaucoup moins profonde et moins avancée, que celle qui leur vient de se sentir surmontés par leurs misères, pourvu qu’ils soient véritablement et sans illusion désabusés et dépossédés d’eux-mêmes par cette expérience et par cet acquiescement. Chaque chose a son temps. La force intérieure sur ses propres défauts nourrit une vie secrète de propriété. Souffrez donc le prochain…499.

LSP 129.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [?] [1695 ?]

Vous ne garderez jamais si bien M...500 que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout: c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. Les traverses de la vie nous surmontent, les croix nous abattent; nous manquons de patience et de douceur, ou d’une fermeté douce et égale; nous ne parvenons point à persuader autrui. Il n’y a que Dieu qui tient les cœurs dans ses mains : il soutient le nôtre, et ouvre celui du prochain. Priez donc, mais souvent et de tout votre cœur, si vous voulez bien conduire votre troupeau. Si le Seigneur ne garde pas la ville, celui qui veille la garde en vain. Nous ne pouvons attirer en nous le bon esprit que par l’oraison. Le temps qui y paraît perdu est le mieux employé. En vous rendant dépendante de l’esprit de grâce, vous travaillerez plus pour vos devoirs extérieurs, que par tous les travaux inquiets et empressés. Si votre nourriture est de faire la volonté de votre Père céleste, vous vous nourrirez souvent en puisant cette volonté dans sa source…501

LSP 137.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. O qu’il est vilain d’être deux, trois, quatre, etc.! Il ne faut être qu’un. Je ne veux connaître que l’unité. Tout ce que l’on compte au-delà vient de la division et de la propriété d’un chacun. Fi des amis ! Ils sont plusieurs, et par conséquent ils ne s’aiment guère, ou s’aiment fort mal. Le moi s’aime trop pour pouvoir aimer ce qu’on appelle lui ou elle. Comme ceux qui n’ont qu’un seul amour sans propriété ont dépouillé le moi, ils n’aiment rien qu’en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire, chaque homme possédé de l’amour-propre n’aime son prochain qu’en soi et pour soi-même. Soyons donc unis, par n’être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu sans ombre de distinction. C’est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C’est dans ce point indivisible, que la Chine et le Canada se viennent joindre; c’est ce qui anéantit toutes les distances502.

Au nom de Dieu, que N…503 soit simple, petit, ouvert, sans réserve, défiant de soi et dépendant de vous. Il trouvera en vous non seulement tout ce qui lui manque, mais encore tout ce que vous n’avez point; car Dieu le fera passer par vous pour lui, sans vous le donner pour vous-même. Qu’il croie petitement, qu’il vive de pure foi, et il lui sera donné à proportion de ce qu’il aura cru.

LSP 150.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu, c’est le moyen de n’être jamais mécompté. Il faut prendre des hommes ce qu’ils donnent, comme des arbres les fruits qu’ils portent: il y a souvent des arbres où l’on ne trouve que des feuilles et des chenilles. Dieu supporte et attend les hommes imparfaits, et il ne se rebute pas même de leurs résistances. Nous devons imiter cette patience si aimable, et ce support si miséricordieux. Il n'y a que l'imperfection qui s'impatiente de ce qui est imparfait; plus on a de perfection, plus on supporte patiemment et paisiblement l'imperfection d'autrui sans la flatter. Laissez ceux qui s'érigent un tribunal dans leur prévention : si quelque chose les peut guérir, c'est de les laisser aller à leur mode, et de continuer à marcher de notre côté devant eux avec une simplicité et une petitesse d'enfant.

Ne pressez point N....504 Il ne faut demander qu’à mesure que Dieu donne. Quand il est serré, attendez-le, et ne lui parlez que pour l’élargir: quand il est élargi, une parole fera plus que trente à contretemps. Il ne faut ni semer ni labourer quand il gèle et que la terre est dure. En le pressant, vous le décourageriez. Il ne lui en resterait qu’une crainte de vous voir, et une persuasion que vous agissez par vivacité naturelle pour gouverner. Quand Dieu voudra donner une plus grande ouverture, vous vous tiendrez toujours toute prête pour suivre le signal, sans le prévenir jamais. C’est l’œuvre de la foi, c’est la patience des saints. Cette œuvre se fait au dedans de l’ouvrier, en même temps qu’au-dehors sur autrui ; car celui qui travaille meurt sans cesse à soi en travaillant à faire la volonté de Dieu dans les autres.

LSP 164.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. Encore un coup ; ne craignez rien, âme de peu de foi. Vous voyez, par l’expérience de votre faiblesse, combien vous devez être désabusée de vous-même et de vos meilleures résolutions. À voir les sentiments de zèle où l’on est quelquefois, on croirait que rien ne serait capable de nous arrêter; cependant, après avoir dit comme saint Pierre : Quand même il faudrait mourir avec vous cette nuit, je ne vous abandonnerai point, on finit comme lui par avoir peur d’une servante, et par renier lâchement le Sauveur. O qu’on est faible ! Mais autant que notre faiblesse est déplorable, autant l’expérience nous en est-elle utile pour nous ôter tout appui et toute ressource au-dedans de nous. Une misère que nous sentons, et qui nous humilie, nous vaut mieux qu’une vertu angélique que nous nous approprierions avec complaisance. Soyez donc faible et découragée si Dieu le permet, mais humble, ingénue et docile dans ce découragement. Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide.

LSP 165* A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ma vie505 est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. Le fond est malade, et il ne peut se remuer sans une douleur sourde. Nulle sensibilité ne vient que d’amour-propre ; on ne souffre qu’à cause qu’on veut encore. Si on ne voulait plus rien, que la seule volonté de Dieu, on en serait sans cesse rassasié, et tout le reste serait comme du pain noir qu’on présente à un homme qui vient de faire un grand repas. Si la volonté présente de Dieu nous suffisait, nous n’étendrions point nos désirs et nos curiosités sur l’avenir. Dieu fera sa volonté, et il ne fera point la nôtre : il fera fort bien. Abandonnons-lui non seulement toutes nos vues humaines, mais encore tous nos souhaits pour sa gloire, attendue selon nos idées. Il faut le suivre en pure foi et à tâtons. Quiconque veut voir, désire, raisonne, craint et espère pour soi et pour les siens. Il faut avoir des yeux comme n’en ayant pas : aussi bien ne servent-ils qu’à nous tromper et qu’à nous troubler. Heureux le jour où nous ne voulons pas prévoir le lendemain !

LSP 166.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. Après juin 1708.

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir: on va contre le vent à force de rames. Pour l’état qui paraît tout naturel, je ne m’en étonne nullement. Dieu ne peut nous cacher sa grâce que sous la nature. Tout ce qui est sensible se trouve conforme aux saillies du tempérament, et le don de Dieu n’est que dans le fond le plus intime et le plus secret d’une volonté toute sèche et toute languissante. Souffrir, passer outre, et demeurer en paix dans cette douloureuse obscurité, est tout ce qu’il faut. Les défauts mêmes les plus réels se tourneront en mort et en désappropriation, pourvu que vous les regardiez avec simplicité, petitesse, détachement de votre lumière propre, et docilité pour la personne à qui vous vous ouvrez. Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. Vos peines serviront à rabaisser votre courage, et à vous déposséder de votre propre cœur; la vue de vos misères démontera votre sagesse. Il faut seulement vous soulager et vous épargner dans les tentations de découragement, comme une personne faible qu’on a besoin de consoler et de faire respirer.

Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif506: il faut y avoir égard, et ne laisser jamais trop attrister votre imagination; mais il lui faut des soulagements de simplicité et de petitesse, non de hauteur et de sagesse qui flattent l’amour-propre.

Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. Pour les choses choquantes, regardez-les comme venant de leurs défauts, et supportez les leurs comme vous supportez les vôtres. Vous n’aurez jamais aucun mécompte, si vous ne voulez jamais compter avec aucun de vos amis. L’amour de Dieu ne s’y méprend jamais; il n’y a que l’amour-propre qui puisse se mécompter. La grande marque d’un cœur désapproprié est de voir un cœur sans délicatesse pour soi, et indulgent pour autrui.

Je conviens que la simplicité serait d’un excellent usage avec nos bonnes gens507; mais la simplicité demande dans la pratique une profonde mort de la part de toutes les personnes qui composent une société. Les imparfaits sont imparfaitement simples ; ils se blessent mal à propos, ils critiquent, ils veulent deviner, ils censurent avec un zèle indiscret, ils gênent les autres : insensiblement les défauts naturels se glissent sous l’apparence de simplicité.

LSP 167.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Vous avez bien des croix à porter; mais vous en avez besoin, puisque Dieu vous les donne. Il les sait bien choisir: c’est ce choix qui déconcerte l’amour-propre et qui le fait mourir. Des croix choisies et portées avec propriété, loin d’être des croix et des moyens de mort, seraient des aliments et des ragoûts pour une vie d’amour-propre. Vous vous plaignez d’un état de pauvreté intérieure et d’obscurité; Bienheureux les pauvres d’esprits! Bienheureux ceux qui croient sans voir! Ne voyons-nous pas assez, pourvu que nous voyions notre misère sans l’excuser? Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. En cet état, on n’a aucune lumière qui flatte notre curiosité, mais on a toute celle qu’il faut pour se défier de soi, pour ne s’écouter plus, et pour être docile à autrui. Que serait-ce qu’une vertu qu’on verrait au dedans de soi, et dont on serait content? Que serait-ce qu’une lumière aperçue, et dont on jouirait pour se conduire? Je remercie Notre-Seigneur de ce qu’il vous ôte un si dangereux appui. Allez, comme Abraham, sans savoir où508; ne suivez que l’esprit de petitesse, de simplicité et de renon-cernent: il ne vous inspirera que paix, recueillement, douceur, détachement, support du prochain, et contentement dans vos peines.

LSP 189.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix ; elles ne seraient que des victoires continuelles, avec une flatteuse expérience de notre force invincible. De telles croix empoisonneraient le cœur, et charmeraient notre amour-propre. Pour bien souffrir, il faut souffrir faiblement et sentant sa faiblesse ; il faut se voir sans ressource au dedans de soi ; il faut être sur la croix avec Jésus-Christ, et dire comme lui, Mon Dieu, mon Dieu, combien m'avez-vous abandonné! O que la paix de la volonté, dans ce désespoir de l'amour-propre, est précieuse aux yeux de celui qui la fait en nous sans nous la montrer ! Nourrissez-vous de cette parole de saint Augustin, qui est d'autant plus vivifiante, qu'elle porte au coeur une mort totale de l'amour-propre: «Qu'il ne soit laissé en moi rien de moi-même, ni de quoi jeter encore un regard sur moi ; » nihil in me relinquatur mihi, nec quo respiciam ad me ipsum. N’écoutez point votre imagination ni les réflexions d’une sagesse humaine : laissez tomber tout, et soyez dans les mains du bien-aimé. C’est sa volonté et sa gloire qui doivent nous occuper.

LSP 190.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l’être. Souffrez en paix ; abandonnez-vous; allez, comme Abraham, sans savoir où. Recevez des hommes le soulagement que Dieu vous donnera par eux. Ce n’est pas d’eux, mais de lui par eux, qu’il faut le recevoir. Ne mêlez rien à l’abandon, non plus qu’au rien. Un tel vin doit être bu tout pur et sans mélange ; une goutte d’eau lui ôte toute sa vertu. On perd infiniment à vouloir retenir la moindre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure. […]509.

Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. Quand on est attaché sur la croix avec Jésus-Christ, on dit comme lui, O Dieu, ô mon Dieu, combien vous m’avez délaissé ! Mais ce délaissement sensible, qui est une espèce de désespoir dans la nature grossière, est la plus pure union de l’esprit, et la perfection de l’amour.

Qu’importe que Dieu nous dénue de goûts et de soutiens sensibles ou aperçus, pourvu qu’il ne nous laisse pas tomber? Le prophète Habacuc n'était-il pas bien soutenu quand l'ange le transportait avec tant d'impétuosité de la Judée à Babylone, en le tenant par un de ses cheveux510. Il allait sans savoir où, et sans savoir par quel soutien ; il allait nourrir Daniel au milieu des lions ; il était enlevé par l'esprit invisible et par la vertu de la foi. Heureux qui va ainsi par une route inconnue à la sagesse humaine, et sans toucher du pied à terre !

Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. Qu’y a-t-il à faire? Rien qu’à ne repousser jamais la main invisible qui détruit et qui refond tout. Plus on avance, plus il faut se délaisser à l’entière destruction. Il faut qu’un cœur vivant soit réduit en cendre. Il faut mourir et ne voir point sa mort; car une mort qu’on apercevrait serait la plus dangereuse de toutes les vies. Vous êtes morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Il faut que la mort soit cachée, pour cacher la vie nouvelle que cette mort opère. On ne vit plus que de mort, comme parle saint Augustin511. Mais qu’il faut être simple et sans retour pour laisser achever cette destruction du vieil homme ! Je prie Dieu qu’il fasse de vous un holocauste que le feu de l’autel consume sans réserve.

LSP 191.* A LA DUCHESSE DE MORTEMART ( ?)

La peine que je ressens sur le malheur public ne m’empêche point d’être occupé de votre infirmité512. Vous savez qu’il faut porter la croix, et la porter en pleines ténèbres. Le parfait amour ne cherche ni à voir ni à sentir. Il est content de souffrir sans savoir s’il souffre bien, et d’aimer sans savoir s’il aime. O que l’abandon, sans aucun retour ni repli caché, est pur et digne de Dieu ! Il est lui seul plus détruisant que mille et mille vertus austères et soutenues d’une régularité aperçue. On jeûnerait comme saint Siméon Stylite, on demeurerait des siècles sur une colonne ; on passerait cent ans au désert, comme saint Paul ermite; que ne ferait-on point de merveilleux et digne d’être écrit, plutôt que de mener une vie unie, qui est une mort totale et continuelle dans ce simple délaissement au bon plaisir de Dieu ! Vivez donc de cette mort ; qu’elle soit votre unique pain quotidien. Je vous présente celui que je veux manger avec vous. […]513.

LSP 192.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Tout contribue à vous éprouver; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. Jésus-Christ ne dit pas: Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se possède, qu’il se revête d’ornements, qu’il s’enivre de consolations, comme Pierre sur le Thabor; qu’il jouisse de moi et de soi-même dans sa perfection, qu’il se voie : et que tout le rassure en se voyant parfait : mais au contraire il dit : Si quelqu’un veut venir après moi, voici le chemin par où il faut qu’il passe ; qu’il se renonce, qu’il porte sa croix et qu’il me suive dans le sentier bordé de précipices où il ne verra que sa mort. Saint Paul dit que nous voudrions être survêtus, et qu’il faut au contraire être dépouillés jusqu’à la plus extrême nudité pour être ensuite revêtus de Jésus-Christ. […]514

Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous : je porte avec vous votre croix et toutes vos langueurs. Mais si vous voulez que l’enfant Jésus les porte avec vous, laissez-le se cacher à vos yeux ; laissez-le aller et venir en toute liberté. Il sera tout-puissant en vous, si vous êtes bien petite en lui. On demande du secours pour vivre et pour se posséder : il n’en faut plus que pour expirer et pour être dépossédé de soi sans ressource. Le vrai secours est le coup mortel ; c’est le coup de grâce. Il est temps de mourir à soi, afin que la mort de Jésus-Christ opère une nouvelle vie. Je donnerais la mienne pour vous ôter la vôtre, et pour vous faire vivre de celle de Dieu.

LSP 193.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? Un tel abandon serait la plus grande propriété, et n’aurait que le nom trompeur d’abandon ; ce serait l’illusion la plus manifeste. Il faut manquer de tout aliment pour achever de mourir. C’est une cruauté et une trahison, que de vous laisser respirer et nourrir pour prolonger votre agonie dans le supplice. Mourez ; c’est la seule parole qui me reste pour vous.

Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon? Était-ce à condition de le faire en apparence, et de trouver une plus grande sûreté dans l’abandon même? Si cela était, vous auriez été bien fine avec Dieu : ce serait le comble de l’illusion. Si, au contraire, vous n’avez cherché (comme je n’en doute pas) que le sacrifice total de votre esprit et de votre volonté, pourquoi reculez-vous quand Dieu vous fait enfin trouver l’unique chose que vous avez cherchée ? Voulez-vous vous reprendre dès que Dieu veut vous posséder, et vous déposséder de vous-même ? Voulez-vous, par la crainte de la mer et de la tempête, vous jeter contre les rochers, et faire naufrage au port? Renoncez aux sûretés ; vous n’en sauriez jamais avoir que de fausses. C’est la recherche infidèle de la sûreté qui fait votre peine. Loin de vous conduire au repos, vous résistez à votre grâce ; comment trouveriez-vous la paix ?

J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. Cette certitude réfléchie, dont on se rendrait compte à soi-même, et sur laquelle on se reposerait, détruirait l’état de foi, rendrait toute mort impossible et imaginaire, changeant l’abandon et la nudité en possession et en propriété sans bornes ; enfin ce serait un fanatisme perpétuel, car on se croirait sans cesse certainement et immédiatement inspiré de Dieu pour tout ce qu’on ferait en chaque moment. Il n’y aurait plus ni direction ni docilité, qu’autant que le mouvement intérieur, indépendant de toute autorité extérieure, y porterait chacun. Ce serait renverser la voie de foi et de mort. Tout serait lumière, possession, vie et certitude dans toutes ces choses. Il faut donc observer qu’on doit suivre le mouvement, mais non pas vouloir s’en assurer par réflexion, et se dire à soi-même, pour jouir de sa certitude : oui, c’est par mouvement que j’agis.

Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? Les saints patriarches, prophètes, apôtres, etc. avaient, hors des choses miraculeuses, un attrait continuel qui les poussait à une mort continuelle ; mais ils ne se rendaient point juges de leur grâce, et ils la suivaient simplement : elle leur eût échappé pendant qu’ils auraient raisonné pour s’en faire les juges. Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. Marchez donc, comme Abraham, sans savoir où. Sortez de votre terre, qui est votre cœur ; suivez les mouvements de la grâce, mais n’en cherchez point la certitude par raisonnement. Si vous la cherchez avant que d’agir, vous vous rendez juge de votre grâce, au lieu de lui être docile, et de vous livrer à elle comme les apôtres le faisaient. Ils étaient livrés à la grâce de Dieu, dit saint Luc dans les Actes. Si, au contraire, vous cherchez cette certitude après avoir agi, c’est une vaine consolation que vous cherchez par un retour d’amour-propre, au lieu d’aller toujours en avant avec simplicité selon l’attrait, et sans regarder derrière vous. Ce regard en arrière interrompt la course, retarde les progrès, brouille et affaiblit l’opération intérieure : c’est un contretemps dans les mains de Dieu ; c’est une reprise fréquente de soi-même ; c’est défaire d’une main ce qu’on fait de l’autre. De là vient qu’on passe tant d’années languissant, hésitant, tournant tout autour de soi.

Je ne perds de vue ni vos longues peines, ni vos épreuves, ni le mécompte de ceux qui me parlent de votre état sans le bien connaître. Je conviens même qu’il m’est plus facile de parler, qu’à vous de faire, et que je tombe dans toutes les fautes où je vous propose de ne tomber pas. Mais enfin nous devons plus que les autres à Dieu, puisqu’il nous demande des choses plus avancées ; et peut-être sommes-nous à proportion les plus reculés. Ne nous décourageons point: Dieu ne veut que nous voir fidèles. Recommençons, et en recommençant nous finirons bientôt. Laissons tout tomber, ne ramassons rien ; nous irons bien vite et en grande paix.

LSP 198.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Je vois que la lumière de Dieu est en vous pour vous montrer vos défauts et ceux de N...515. C'est peu de voir; il faut faire, ou pour mieux dire il n'y aurait qu'à laisser faire Dieu, et qu'à ne lui point résister. Pour N..., il ne faut jamais lui faire quartier; nulle excuse; coupez court; il faut qu'il se taise, qu'il croie, et qu'il obéisse sans s'écouter.

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. La bonne foi avec Dieu consiste à n’avoir point un faux abandon, ni un demi-abandon, quand on le promet tout entier. Ananias et Saphira furent terriblement punis pour n’avoir pas donné sans réserve un bien qu’ils étaient libres de garder tout entier516. Allons à l’aventure. Abraham allait sans savoir où, hors de son pays. Je voudrais bien vous chasser du vôtre, et vous mettre, comme lui, loin des moindres vestiges de route. […]517.

LSP 203.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. [1711 ?]

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous.

Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. Quand je suis à l’office de notre chœur, je vois la main d’un de nos chapelains qui promène un grand éteignoir qui éteint tous les cierges par derrière l’un après l’autre ; s’il ne les éteint pas entièrement, il reste un lumignon fumant qui dure longtemps et qui consume le cierge518. La grâce vient de même éteindre la vie de la nature; mais cette vie opiniâtre fume encore longtemps, et nous consume par un feu secret, à moins que l’éteignoir ne soit bien appuyé et qu’il n’étouffe absolument jusqu’aux moindres restes de ce feu caché.

Je veux que vous ayez le goût de ma destruction connue j’ai celui de la vôtre. Finissons, il est bien temps, une vieille vie languissante qui chicane toujours pour échapper à la main de Dieu. Nous vivons encore ayant reçu cent coups mortels519.

Assurez-vous que je ne flatterai en rien M[...]..5 et que je chercherai même à aller jusqu’au fond. Dieu fera le reste par vous. Votre patience, votre égalité, votre fidélité à n’agir avec lui que par grâce, sans prévenir, par activité ni par industrie, les moments de Dieu ; en un mot, la mort continuelle à vous-même vous mettra en état de faire peu à peu mourir ce cher fils à tout ce qui vous paraît l’arrêter dans la voie de la perfection. Si vous êtes bien petite et bien dénuée de toute sagesse propre, Dieu vous donnera la sienne pour vaincre tous les obstacles.

N’agissez point avec lui par sagesse précautionnée, mais par pure foi et par simple abandon. Gardez le silence, pour le ramener au recueillement et à la fidélité, quand vous verrez que les paroles ne seront pas de saison. Souffrez ce que vous ne pourrez pas empêcher. Espérez, comme Abraham, contre l’espérance, c’est-à-dire attendez en paix que Dieu fasse ce qu’il lui plaira, lors même que vous ne pourrez plus espérer. Une telle espérance est un abandon; un tel état sera votre épreuve très douloureuse et l’œuvre de Dieu en lui. Ne lui parlez que quand vous aurez au cœur de le faire, sans écouter la prudence humaine. Ne lui dites que deux mots de grâce, sans y mêler rien de la nature.

LSP 205 Au DUC DE MORTEMART (?)

Vos dispositions sont bonnes ; mais il faut réduire à une pratique constante et uniforme tout ce qu’on a en spéculation et en désir. Il est vrai qu’il faut avoir patience avec soi-même comme avec autrui, et qu’on ne doit ni se décourager ni s’impatienter à la vue de ses fautes: mais enfin il faut se corriger ; et nous en viendrons à bout, pourvu que nous soyons simples et petits dans la main toute-puissante qui veut nous façonner à sa mode, qui n’est pas la nôtre. Le vrai moyen de couper jusques à la racine du mal en vous, est d’amortir sans cesse votre excessive activité par le recueillement, et de laisser tout tomber pour n’agir qu’en paix et par pure dépendance de la grâce.

Soyez toujours petit à l’égard de N… , et ne laissez jamais fermer votre cœur. C’est quand on sent qu’il se resserre qu’il faut l’ouvrir. La tentation de rejeter le remède en augmente la nécessité. N… a de l’expérience : elle vous aime; elle vous soutiendra dans vos peines. Chacun a son ange gardien ; elle sera le vôtre au besoin : mais il faut une simplicité entière. La simplicité ne rend pas seulement droit et sincère, elle rend encore ouvert et ingénu jusqu’à la naïveté ; elle ne rend pas seulement naïf et ingénu, elle rend encore confiant et docile.

LSP 218.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Un cavalier qui gourmande la bouche de son cheval en fait bientôt une rosse. Au contraire, on élève l’esprit et le cœur de ses gens, en ne leur montrant jamais que de la politesse et de la dignité, avec des inclinations bienfaisantes. Si on n’est pas en état de donner, il faut au moins faire sentir qu’on en a du regret. De plus, il faut donner à chacun dans sa fonction l’autorité qui lui est nécessaire sur ses inférieurs; car rien ne va d’un train réglé, que par la subordination à laquelle il faut sacrifier bien des choses. Quoique vous aperceviez les défauts d’un domestique, gardez-vous bien de vous en rebuter d’abord. Faites compensation du bien et du mal : croyez qu’on est fort heureux, si on trouve les qualités essentielles. Jugez de ce domestique par comparaison à tant d’autres plus imparfaits ; songez aux moyens de le corriger de certains défauts, qui ne viennent peut-être que de mauvaise éducation. Pour les défauts du fond du naturel, n’espérez pas de les guérir; bornez-vous à les adoucir, et à les supporter patiemment. Quand vous voudrez, malgré l’expérience, corriger un domestique de certains défauts qui sont jusque dans la moelle de ses os, ce ne sera pas lui qui aura tort de ne s’être point corrigé, ce sera vous qui aurez tort d’entreprendre encore sa correction. Ne leur dites jamais plusieurs de leurs défauts à la fois ; vous les instruiriez peu, et les décourageriez beaucoup: il ne faut les leur montrer que peu à peu, et à mesure qu’ils vous montrent assez de courage pour en supporter utilement la vue.

Parlez-leur, non seulement pour leur donner vos ordres, mais encore pour trois autres choses, 1° pour entrer avec affection dans leurs affaires ; 2° pour les avertir de leurs défauts tranquillement; 3° pour leur dire ce qu’ils ont bien fait; car il ne faut pas qu’ils puissent s’imaginer qu’on n’est sensible qu’à ce qu’ils font mal, et qu’on ne leur tient aucun compte de ce qu’ils ont bien fait. Il faut les encourager par une modeste, mais cordiale louange. Quelques défauts qu’ait un domestique, tant que vous le gardez à votre service, il faut le bien traiter. S’il est même d’un certain rang entre les autres, il faut que les autres voient que vous lui parlez avec considération ; autrement vous le dégraderiez parmi les autres ; vous le rendriez inutile dans sa fonction ; vous lui donneriez des chagrins horribles, et il sortirait peut-être enfin de chez vous, semant partout ses plaintes. Pour les domestiques en qui vous connaissez du sens, de la discrétion, de la probité, et de l’affection pour vous, écoutez-les; montrez-leur toute la confiance dont vous pouvez les croire dignes, car c’est ce qui gagne le cœur des gens désintéressés. Les manières honnêtes et généreuses font beaucoup plus sur eux, que les bienfaits mêmes. L’art d’assaisonner ce qu’on donne est au-dessus de tout.

Ne devez jamais rien à vos domestiques : autrement vous êtes en captivité. Il vaudrait mieux devoir à d’autres gros créanciers mieux en état d’attendre, et moins en occasion de vous décrier, ou de se prévaloir de votre retardement à les payer. Il faut que les gages ou récompenses des domestiques soient sur un pied raisonnable, car si vous donnez moins que les autres gens modérés de votre condition, ils sont mécontents, vous croient avare, cherchent à vous quitter, et vous servent sans affection.

Pour pratiquer toutes ces règles, il faut commencer par une entière conviction de la nécessité de les suivre et y faire une sérieuse attention devant Dieu ; ensuite prévoir les occasions où l’on est en danger d’y manquer; s’humilier en présence de Dieu, mais tranquillement et sans chagrin, toutes les fois qu’on s’aperçoit qu’on y a manqué; et enfin laisser faire à Dieu dans le recueillement ce que nous ne saurions faire par nos propres forces.

LSP 219.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

[…passagères520.

Je ne veux jamais flatter qui que ce soit, et même dès le moment que j’aperçois, dans ce que je dis ou dans ce que je fais, quelque recherche de moi-même, je cesse d’agir ou de parler ainsi. Mais je suis tout pétri de boue, et j’éprouve que je fais à tout moment des fautes, pour n’agir point par grâce. Je me retranche à m’apetisser à la vue de ma hauteur. Je tiens à tout d’une certaine façon, et cela est incroyable, mais d’une autre façon, j’y tiens peu, car je me laisse assez facilement détacher de la plupart des choses qui peuvent me flatter. Je n’en sens pas moins l’attachement foncier à moi-même. Au reste, je ne puis expliquer mon fond. Il m’échappe, il me paraît changer à toute heure. Je ne saurais guère rien dire qui ne me paraisse faux un moment après. Le défaut subsistant et facile à dire, c’est que je tiens à moi, et que l’amour-propre me décide souvent. J’agis même beaucoup par prudence naturelle, et par un arrangement humain. Mon naturel est précisément opposé au vôtre. Vous n’avez point l’esprit complaisant et flatteur, comme je l’ai, quand rien ne me fatigue ni ne m’impatiente dans le commerce. Alors vous êtes bien plus sèche que moi; vous trouvez que je vais alors jusqu’à gâter les gens, et cela est vrai. Mais quand on veut de moi certaines attentions suivies qui me dérangent, je suis sec et tranchant, non par indifférence ou dureté, mais par impatience et par vivacité de tempérament. Au surplus, je crois presque tout ce que vous me dites; et pour le peu que je ne trouve pas en moi conforme à vos remarques, outre que j’y acquiesce de tout mon cœur, sans le connaître, en attendant que Dieu me le montre ; d’ailleurs je crois voir en moi infiniment pis, par une conduite de naturel, et de naturel très mauvais. Ce que je serais tenté de ne croire pas sur vos remarques, c’est que j’aie eu autrefois une petitesse que je n’ai plus. Je manque beaucoup de petitesse, il est vrai ; mais je doute que j’en aie moins manqué autrefois. Cependant je puis facilement m’y tromper. Vous ne me mandez point si vous avez reçu des nouvelles de N… Si vous en avez, pourquoi ne m’en faites-vous point quelque petite part ? Je suis dans…521.

LSP 490.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Comment522 pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. Je prie souvent le vrai consolateur de vous consoler. On n’est en paix que quand on est bien loin de soi; c’est l’amour-propre qui trouble, c’est l’amour de Dieu qui calme. L’amour-propre est un amour jaloux, délicat, ombrageux, plein d’épines, douloureux, dépité. Il veut tout sans mesure, et sent que tout lui échappe, parce qu’il n’ignore pas sa faiblesse. Au contraire, l’amour de Dieu est simple, paisible, pauvre et content de sa pauvreté, aimant l’oubli, abandonné à tout, endurci à la fatigue des croix, et ne s’écoutant jamais dans ses peines. Heureux qui trouve tout dans ce trésor du dépouillement ! Jésus-Christ, dit l’apôtre, nous a enrichis de sa pauvreté’, et nous nous appauvrissons par nos propres richesses. N’ayez rien, et vous aurez tout. Ne craignez point de perdre les appuis et les consolations ; vous trouverez un gain infini dans la perte.

Vous êtes en société de croix avec M… il faut le soutenir dans ses infirmités.

Dieu vous rendra, selon le besoin, tout ce que vous lui aurez donné. C’est à vous à être sa ressource, vous qui avez reçu une nourriture plus forte pour la piété, et qui avez été moins accoutumée à la dissipation flatteuse du monde. Ne prenez pourtant pas trop sur vous. Donnez-vous simplement et avec petitesse pour faible. Demandez au besoin qu’on vous soulage et qu’on vous épargne.

Je ne suis point surpris de ce que le torrent du monde entraîne un peu N... Il est facile, vif, et dans l’occasion ; mais il est bon. Il sent la vivacité de ses goûts, et j’espère qu’il s’en défiera: se défier de soi et se confier à Dieu seul, c’est tout. G… a le cœur excellent ; mais il ne commencera à se tourner solidement vers le bien, que quand le recueillement fera tomber peu à peu ses saillies et ses amusements. Il faut prier beaucoup pour lui, et lui parler peu ; l’attendre, et le gagner en lui ouvrant le cœur.

1121. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A Cambray, 9 janvier 1707.

[…]523 Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle524 entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé525, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autres les écrits de N.526, que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. N’y en a-t-il point trop de copies? ne les communique-t-on point trop facilement? chacun ne se mêle-t-il point de décider pour les communiquer comme il le juge à propos, quoiqu’il ne soit peut-être pas assez avancé pour faire cette décision? Je ne sais point ce qui se passe; ainsi je ne blâme aucun de nos amis527. Mais en général je voudrais qu’ils eussent là-dessus une règle de l’auteur lui-même qui les retînt.

Il y a dans ces écrits un grand nombre de choses excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. Je n’avais point encore reçu l’avis qui regarde Leschelle, quand il est parti d’ici. Vous saurez qu’il est capable d’agir par enthousiasme, et que naturellement il est indocile. Vous pouvez facilement découvrir le fond de tout cela, et le redresser s’il en a besoin. Il importe aussi de bien prendre garde à son frère, qui a été trompé plusieurs fois. Il veut trop trouver de l’extraordinaire. Il a mis ses lectures en la place de l’expérience; son imagination n’est ni moins vive, ni moins raide que celle de Leschelle. […]528.

1231. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C[ambrai] 22 août 1708.

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d’autrui et au-dedans notre propre faiblesse. Nous sommes véritablement petits, quand nous ne sommes plus surpris de nous voir corrigés au-dehors, et incorrigibles au-dedans. Alors tout nous surmonte comme de petits enfants, et nous voulons être surmontés. Nous sentons que les autres ont raison, mais que nous sommes dans l’impuissance de nous vaincre pour nous redresser. Alors nous désespérons de nous-mêmes, et nous n’attendons plus rien que de D[ieu]. Alors la correction d’autrui, quelque sèche et dure qu’elle soit, nous paraît moindre que celle qui nous est due. Si nous ne pouvons pas la supporter, nous condamnons notre délicatesse encore plus que nos autres imperfections. La correction ne peut plus alors nous rapetisser, tant elle nous trouve petits. La révolte intérieure, loin d’empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet la correction ne peut se faire sentir, qu’autant qu’elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu’elle nous est nécessaire.

Pardonnez-moi donc, ma bonne Duchesse, toutes mes indiscrétions. Dieu sait combien je vous aime, et à quel point je suis sensible à toutes vos peines. Je vous demande pardon de tout ce que j’ai pu vous écrire de trop dur. Mais ne doutez pas de mon cœur, et comptez pour rien ce qui vient de moi. Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu]; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres529. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus.

1215. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C[ambrai] 8 juin 1708.

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. Il est vrai que vous avez un naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie, qui est trop sensible à tous les défauts d’autrui, et qui rend les impressions difficiles à effacer. Mais ce ne sera jamais votre tempérament que D[ieu] vous reprochera, puisque vous ne l’avez pas choisi, et que vous n’êtes pas libre de vous l’ôter. Il vous servira même pour votre sanctification, si vous le portez comme une croix. Mais ce que D[ieu] demande de vous, c’est que vous fassiez réellement dans la pratique ce que sa grâce met dans vos mains. Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. Il s’agit de réparer par petitesse ce que vous aurez gâté par une saillie de hauteur. Il s’agit d’une petitesse pratiquée réellement et de suite dans les occasions. Il s’agit d’une sincère désappropriation de vos jugements. Il n’est pas étonnant que la haute opinion que tous nos bonnes gens ont eue de toutes vos pensées depuis douze ans530, vous ait insensiblement accoutumée à une confiance secrète en vous-même, et à une hauteur que vous n’aperceviez pas. Voilà ce que je crains pour vous cent fois plus que les saillies de votre humeur. Votre humeur ne vous fera faire que des sorties brusques. Elle servira à vous montrer votre hauteur que vous ne verriez peut-être jamais sans ces vivacités qui vous échappent : mais la source du mal n’est que dans la hauteur secrète qui a été nourrie si longtemps par les plus beaux prétextes. Laissez-vous donc apetisser [diminuer] par vos propres défauts, autant que l’occupation des défauts d’autrui vous avait agrandie. Accoutumez-vous à voir les autres se passer de vos avis, et passez-vous vous-même de les juger. Du moins si vous leur dites quelque mot, que ce soit par pure simplicité, non pour décider et pour corriger, mais seulement pour proposer par simple doute, et désirant qu’on vous avertisse, comme vous aurez averti. En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. Si vous avez reçu quelque chose pour eux, il faut le leur donner moins par correction que par consolation et nourriture.

À l’égard de M. de Ch[amillart]531, vous ne ferez jamais si bien ce que D[ieu] demandera de vous, que quand vous n’y aurez ni empressement ni activité. Ne vous mêlez de rien, quand on ne vous cherchera pas. Vous n’aurez la confiance des gens pour leur bien, et vous ne serez à portée de leur être utile, qu’autant que vous les laisserez venir. Rien n’acquiert la confiance que de ne l’avoir jamais cherchée. Je dis tout ceci parce qu’il est naturel qu’on soit tenté de vouloir redresser ce qui paraît en avoir un pressant besoin, et à quoi on s’intéresse. Pour garder un juste tempérament là-dessus, vous pouvez consulter un quelqu’un qui en sait plus que moi532. D[ieu] sait, ma bonne D[uchesse], à quel point je suis uni à vous, et combien je souhaite que les autres le soient.

1408. À LA DUCHESSE DE MORTEMART

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. Le même amour-propre qui fait nos défauts, nous les cache très subtilement et aux yeux d’autrui et aux nôtres. L’amour-propre ne peut supporter la vue de lui-même. Il en mourrait de honte et de dépit. S’il se voit par quelque coin, il se met dans quelque faux jour pour adoucir sa laideur, et pour avoir de quoi s’en consoler.

Ainsi il y a toujours quelque reste d’illusion en nous, pendant qu’Il y reste quelque imperfection et quelque fonds d’amour-propre. Il faudrait que l’amour-propre fût déraciné, et que l’amour de D[ieu] agit seul en nous pour nous montrer parfaitement à nous-mêmes. Alors le même principe qui nous ferait voir nos imperfections nous les ôterait. Jusque-là on ne connaît qu’à demi, parce qu’on n’est qu’à demi à Dieu, étant encore à soi beaucoup plus qu’on ne croit, et qu’on n’ose se le laisser voir. Quand la vérité sera pleinement en nous, nous l’y verrons toute pleine. Ne nous aimant plus que par pure charité, nous nous verrons sans intérêt, et sans flatterie, comme nous verrons le prochain. En attendant, D[ieu] épargne notre faiblesse en ne nous découvrant notre laideur qu’à proportion du courage qu’il nous donne pour en supporter la vue. Il ne nous montre à nous-mêmes que par morceaux, tantôt l’un, tantôt l’autre, à mesure qu’il veut entreprendre en nous quelque correction. Sans cette préparation miséricordieuse qui proportionne la force à la lumière, l’étude de nos misères ne produirait que le désespoir. Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y prépare. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. Toute autre conduite où l’on reprend avec impatience, parce qu’on est choqué de ce qui est défectueux, est une critique humaine, et non une correction de grâce. C’est par imperfection qu’on reprend les imparfaits. C’est un amour-propre subtil et pénétrant, qui ne pardonne rien à l’amour-propre d’autrui. Plus il est amour-propre, plus il est sévère censeur. Il n’y a rien de si choquant que les travers d’un amour-propre, à un autre amour-propre délicat et hautain. Les passions d’autrui paraissent infiniment ridicules et insupportables à quiconque est livré aux siennes. Au contraire l’amour de Dieu est plein d’égards, de supports533, de ménagements, et de condescendances. Il se proportionne, il attend. Il ne fait jamais deux pas à la fois. Moins on s’aime plus on s’accommode aux imperfections de l’amour-propre d’autrui, pour les guérir patiemment. On ne fait jamais aucune incision, sans mettre beaucoup d’onction sur la plaie. On ne purge le malade, qu’eu le nourrissant. On ne hasarde aucune opération, que quand la nature indique elle-même qu’elle y prépare. On attendra des années pour placer un avis salutaire. On attend que la Providence en donne l’occasion au-dehors, et que la grâce en donne l’ouverture au dedans du cœur. Si vous voulez cueillir le fruit avant qu’il soit mûr, vous l’arrachez à pure pertes.

De plus vous avez raison de dire que vos dispositions changeantes vous échappent, et que vous ne savez que dire de vous. Comme la plupart des dispositions sont passagères et mélangées celles qu’on tâche d’expliquer deviennent fausses, avant que l’explication en soit achevée. Il en survient une autre toute différente, qui tombe aussi à son tour dans une apparence de fausseté. Mais il faut se borner à dire de soi ce qui en paraît vrai dans le moment où l’on ouvre son cœur. Il n’est pas nécessaire de dire tout en s’attachant à un examen méthodique. Il suffit de ne rien retenir par défaut de simplicité, et de ne rien adoucir par les couleurs flatteuses de l’amour-propre. Dieu supplée le reste selon le besoin en faveur d’un cœur droit, et les amis édairés par la grège remarquent sans peine ce qu’on ne sait pas leur dire, quand on est devant eux naïf, ingénu, et sans réserve.

Pour nos amis imparfaits ils ne peuvent nous connaître qu’imparfaitement. Souvent ils ne jugent de nous que par les défauts extérieurs qui se font dans la société, et qui incommodent leur amour-propre. L’amour‑propre est censeur âpre, rigoureux, soupçonneux, et implacable. Le même amour qui leur adoucit leurs propres défauts leur grossit les nôtres. Comme ils sont dans un point de vue très différent du nôtre, ils voient en nous ce que nous n’y voyons pas, et ils n’y voient pas ce que nous y voyons. Ils y voient avec subtilité et pénétration beaucoup de choses qui blessent la délicatesse et la jalousie de leur amour-propre, et que le nôtre nous déguise. Mais ils ne voient point dans notre fond intime ce qui salit nos vertus, et qui ne déplaît qu’à Dieu seul. Ainsi leur jugement le plus approfondi est bien superficiel.

Ma conclusion est qu’il suffit d’écouter Dieu dans un profond silence intérieur, et de dire en simplicité pour et contre soi tout ce qu’on croit voir à la pure lumière de Dieu dans le moment où l’on tâche de se faire connaître.

Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D[ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir.

Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. C’est se recueillir passivement, que de ne se dissiper pas, et que de laisser tomber l’activité naturelle qui dissipe. Il faut encore plus éviter l’activité pour la dissipation que pour le recueillement. II suffit de laisser faire D[ieu], et de ne l’interrompre pas par des occupations superflues qui flattent le goût, ou la vanité. Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce534. 11 faut s’occuper peu du prochain, lui demander peu, en attendre peu, et ne croire pas qu’il nous manque quand notre amour est tenté de croire qu’il y trouve quelque mécompte. Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s’efface pas. Ce recueillement passif est très différent de l’actif qu’on se procure par travail et par industrie, en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci n’est qu’un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l’objet distinct de nos pensées au-dehors, qu’il n’est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état on fait en paix et sans empressement ni inquiétude tout ce qu’on a à faire. L’esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action, dès que l’activité de l’amour-propre commence à s’y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel et remet l’âme avec D[ieu] pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état l’âme est libre dans toutes les sujétions extérieures, parce qu’elle ne prend rien pour elle de tout ce qu’elle fait. Elle ne le fait que pour le besoin. Elle ne prévoit rien par curiosité, elle se borne au moment présent, elle abandonne le passé à D[ieu]. Elle n’agit jamais que par dépendance. Elle s’amuse pour le besoin de se délasser, et par petitesse. Mais elle est sobre en tout, parce que l’esprit de mort est sa vie. Elle est contente ne voulant rien.

Pour demeurer dans ce repos, il faut laisser sans cesse tomber tout ce qui en fait sortir. Il faut se faire taire très souvent, pour être en état d’écouter le maître intérieur qui enseigne toute vérité, et si nous sommes fidèles à l’écouter, il ne manquera pas de nous faire taire souvent. Quand nous n’entendons pas cette voix intime et délicate de l’esprit qui est l’âme de notre âme, c’est une marque que nous ne nous taisons point pour l’écouter. Sa voix n’est point quelque chose d’étranger. D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. Il ne faut qu’une volonté souple, docile, dégagée de tout pour s’accommoder à cette impression. L’esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion. Ce n’est point une inspiration miraculeuse qui expose à l’illusion et au fanatisme. Ce n’est qu’une paix du fond pour se prêter sans cesse à l’esprit de D[ieu] dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien pratiquer que les commandements évangéliques.

Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. Cela peut être et il est même naturel qu’ils aient un peu excédé en réserve dans les premiers temps, où ils ont voulu changer ce qui leur paraissait trop fort, et où ils étaient embarrassés de ce changement qui vous choquait. Mais je ne crois pas que leur intention ait été de vous manquer en rien. Ainsi je croirais qu’ils n’ont pu manquer que par embarras pour les manières. Votre peine, que vous avouez avoir été grande et que je m’imagine qu’ils apercevaient, ne pouvait pas manquer d’augmenter, malgré eux, leur embarras, leur gêne, et leur réserve. Je ne sais rien de ce qu’ils ont fait, et ils ne me l’ont jamais expliqué. Je ne veux les excuser en rien. Mais en gros je comprends que vous devez vous défier de l’état de peine extrême dans lequel vous avez senti leur changement. Un changement soudain et imprévu choque. On ne peut s’y accoutumer; on ne croit point en avoir besoin. On croit voir dans ceux qui se retirent ainsi un manquement aux règles de la bienséance et de l’amitié. On prétend y trouver de l’inconstance, du défaut de simplicité, et même de la fausseté. Il est naturel qu’un amour-propre vivement blessé exagère ce qui le blesse, et il me semble que vous devez vous défier des jugements qu’il vous a fait faire dans ces temps-là. Je crois même que vous devez aller encore plus loin, et juger que la grandeur du mal demandait un tel remède, ce renversement de tout vous-même, et cet accablement dont vous me parlez avec tant de franchise montre que votre cœur était bien malade. L’incision a été très douloureuse, mais elle devait être prompte et profonde. Jugez-en par la douleur qu’elle a causée à votre amour-propre, et ne décidez point sur des choses, où vous avez tant de raisons de vous récuser vous-même. Il est difficile que les meilleurs hommes qui ne sont pourtant pas parfaits, n’aient fait aucune faute dans un changement si embarrassant. Mais supposé qu’ils en aient fait beaucoup, vous n’en devez point être surprise. Il faut d’ailleurs faire moins d’attention à leur irrégularité, qu’à votre pressant besoin. Vous êtes trop heureuse de ce que D[ieu] a fait servir leur tort à redresser le vôtre. Ce qui est peut-être une faute en eux, est une grande miséricorde en D[ieu] pour votre correction. Aimez l’amertume du remède, si vous voulez être bien guérie du mal.

Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N…[Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. Pour moi je veux être repris par tous ceux qui voudront me dire ce qu’ils ont remarqué en moi, et je ne veux m’élever au-dessus d’aucun des plus petits frères535. Il n’y en a aucun que je ne blâmasse, s’il n’était pas intimement uni à vous. Je le suis en vérité, ma bonne D., au-delà de toute expression.

Madame de Chevry me paraît vivement touchée de l’excès de vos bontés, et j’ai de la joie d’apprendre à quel point elle les ressent. J’espère que cette reconnaissance la mènera jusqu’à rentrer dans une pleine confiance536, dont elle a grand besoin. Personne ne peut être plus sensible que je le suis à toutes vos différentes peines.

1442. À LA DUCHESSE DE MORTEMART.  À C[ambrai] 1 février 1711.

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. Je puis vous protester que je n’ai nullement douté de tout ce que vous m’aviez mandé auparavant. Je n’avais songé qu’à vous dire des choses générales, sans savoir ce que vous auriez à en prendre pour vous, et comptant seulement que chacun de nous ne voit jamais tout son fond de propriété, parce que ce qui nous reste de propriété est précisément ce qui obscurcit nos yeux, pour nous dérober la vue de ces restes subtils et déguisés de la propriété même. Mais c’était plutôt un discours général pour nous tous, et surtout pour moi, qu’un avis particulier qui tombât sur vous. Il est vrai seulement que je souhaitais que vous fissiez attention à ce qu’il ne faut presser le prochain de corriger en lui certains défauts, même choquants, que quand nous voyons que D[ieu] commence à éclairer l’âme de ce prochain, et à l’inviter à cette correction. Jusque-là il faut attendre comme D[ieuj attend avec bonté et support. Il ne faut point prévenir le signal de la grâce. Il faut se borner à la suivre pas à pas. On meurt beaucoup à soi par ce travail de pure foi et de continuelle dépendance, pour apprendre aux autres à mourir à eux. Un zèle critique et impatient se soulage davantage, et corrige moins soi et autrui. Le médecin de l’âme fait comme ceux des corps qui n’osent purger qu’après que les humeurs qui causent la maladie, sont parvenues à ce qu’ils nomment une coction 3. J’avoue, ma bonne Duchesse, que j’avais en vue que vous eussiez attention à supporter les défauts les plus choquants des frères, jusqu’à ce que l’esprit de grâce leur donnât la lumière et l’attrait pour commencer à s’en corriger. Je ne cherchais en tout cela que les moyens de vous attirer leur confiance. Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. Abandonnez-vous dans vos obscurités intérieures et dans toutes vos peines. O que la nuit la plus profonde est bonne, pourvu qu’on croie réellement ne rien voir, et qu’on ne se flatte en rien!

1479. À LA DUCHESSE DE MORTEMART. À Cambray, 27 juillet 1711.

II y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. Vous faites bien de laisser aller et venir la confiance de nos amis. En laissant tomber toutes les réflexions de l’amour-propre, on se fait à la fatigue, et la délicatesse s’émousse. Moins nous attendons du prochain, plus ce délaissement nous rend aimables et propres à édifier tout le monde. Cherchez la confiance, elle vous fuit. Abandonnez-là, elle revient à vous537. Mais ce n’est pas pour la faire revenir qu’il faut l’abandonner.

Plus vos croix sont douloureuses, plus il faut être fidèle à ne les augmenter en rien. On les augmente ou en les voulant repousser par de vains efforts contre la Providence au-dehors, ou par d’autres efforts, qui ne sont pas moins vains, au-dedans contre sa propre sensibilité. Il faut être immobile sous la croix, la garder autant de temps que Dieu la donne sans impatience pour la secouer, et la porter avec petitesse, joignant à la pesanteur de la croix la honte de la porter mal. La croix ne serait plus croix, si l’amour-propre avait le soutien flatteur de la porter avec courage.

Rien n’est meilleur que de demeurer sans mouvement propre, pour se délaisser avec une entière souplesse au mouvement imprimé par la seule main de D[ieu]. Alors, comme vous le dites, on laisse tomber tout ; mais rien ne se perd dans cette chute universelle. Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. Le silence de l’âme lui fait écouter D[ieu]. Son vide est une plénitude, et son rien est le vrai tout. Mais il faut que ce rien soit bien vrai. Quand il est vrai, on est prêt à croire qu’il ne l’est pas; celui qui ne veut rien avoir, ne crains point qu’on le dépouille.

Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver: je me vois comme une image dans un songe. Mais je ne veux point croire que cet état a son mérite. Je n’en veux juger ni en bien ni en mal. Je l’abandonne à celui qui ne se trompe point, et je suppose que je puis être dans l’illusion. Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. Mais il faut se contenter de ce que D[ieu] fait. Il me semble que je n’ai nulle envie de tâter du monde. Je sens comme une barrière entre lui et moi qui m’éloigne de le désirer, et qui ferait, ce me semble, que j’en serais embarrassé, s’il fallait un jour le revoir. Le souvenir triste et amer de notre cher petit abbé [de Langeron] me revient assez souvent, quoique je n’aie plus de sentiment vif sur sa perte. Je trouve souvent qu’il me manque, et je le suppose néanmoins assez près de moi.

Je vous envoie ma réponse pour Mad. votre fille, dont la confiance est touchante. Je vous envoie aussi une réponse pour Mad. de la Maisonfort538. Bonsoir, ma bonne D[uchesse] ; je suis à vous sans mesure plus que je n’y ai jamais été en ma vie539.

§

Analyse de la correspondance.

Les lettres adressées à la petite duchesse de Mortemart fuent longtemps négligées comme l’explique I. Noye qui en rétablit le plus grand nombre dans le volume CF 18 publié en 2007 : voir supra notre présentation de Mme de Mortemart et la note associée.

Le choix opéré par les membres du cercle quiétiste, qui ôtent nécessairement dates et destinataires dans l’édition Anversoise de 1718, a occulté les rôles et de la « petite duchesse » et de Fénelon comme les deux directeurs mystiques des cercles spirituels durant la mise à l’ombre puis en résidence surveillée de la « dame directrice ».

Le successeur dans la filiation ?

Nous pensons que la « suppléante de Mme Guyon » lui a très probablement succédé : Fénelon meurt trop tôt. Elle intègre alors la « lignée » qui passe de sources franciscaines au sieur de la Forest ( ?) et au Père Chrysostome de Saint-Lô, à Jean de Bernières, à Jacques Bertot, à Jeanne Guyon.

Mme de Mortemart (†1750) fut probablement secondée par les deux duchesses de Chevreuse (†1732) et de Beauvillier (†1733), par Du Puy († après 1737), par le marquis de Fénelon (†1745), par ‘la colombe’ duchesse de Gramont (†1748).

Ensuite le fil se perd : en Écosse, 16th Forbes (†1761) & Deskford (†1764) ? en Suisse, Dutoit (†1793) ? en Hollande et dans l’Empire ?




À une Dame (Y)

Série de dix lettres « écrites à la même personne et dans le même ordre » 540 :

LSP 89.*A UNE DAME (Y)

Vous vous laissez trop aller à votre goût et à votre imagination. Remettez-vous à écouter Dieu dans l’oraison, et à vous écouter moins vous-même. L’amour-propre est moins parleur quand il voit qu’on ne l’écoute pas. Les paroles de Dieu au cœur sont simples, paisibles, et nourrissent l’âme, lors même qu’elles la portent à mourir: au contraire, les paroles de l’amour-propre sont pleines d’inégalités, de trouble et d’émotion, lors même qu’elles flattent. Écouter Dieu sans faire aucun projet, c’est mourir à son sens et à sa volonté.

LSP 90.*A LA MÊME (Y)

Ne vous inquiétez point sur votre mal ; vous êtes dans les mains de Dieu. Il faut vivre comme si on devait mourir chaque jour. Alors on est tout prêt, car la préparation ne consiste que dans le détachement du monde pour s’attacher à Dieu.

Pendant que vous êtes si languissante, ne vous gênez point pour faire votre oraison si régulièrement. Cette exactitude et cette contention de tête pourraient nuire à votre faible santé. C’est bien assez pour votre état de langueur, que vous vous remettiez doucement en la présence de Dieu toutes les fois que vous apercevez que vous n’y êtes plus. Une société simple et familière avec Dieu, où vous lui direz vos peines avec confiance, et où vous le prierez de vous consoler, ne vous épuisera point, et nourrira votre cœur. Ne craignez point de me dire tout ce que vous aurez pensé contre moi. Cette franchise ne me peinera point, et servira à vous humilier.

LSP 91.*A LA MÊME (Y)

Je crois que vous devez vous abstenir entièrement de vos dialogues d’imagination. Quoique vous en fassiez plusieurs qui vous excitent à des sentiments pieux, je crois que l’usage en est trop dangereux pour vous. Des uns vous passeriez toujours insensiblement aux autres, qui nourriraient vos peines, ou qui flatteraient le goût du siècle. Il vaut mieux les supprimer tous. Il ne faut pas les vouloir retrancher par violence; ce serait vouloir suspendre un torrent: il suffit de ne vous en occuper point volontairement. Quand vous apercevrez que votre imagination commence, contentez-vous de vous tourner vers Dieu, sans entreprendre de vous opposer directement à ces chimères. Laissez-les tomber, en vous donnant quelque occupation utile. Si c’est l’heure de l’oraison, regardez toutes ces vaines pensées comme des distractions, et retournez doucement à Dieu dès que vous les apercevez ; mais faites-le sans trouble, sans scrupule, sans interrompre votre paix. Si, au contraire, cela vous vient pendant que vous êtes occupée de quelque travail extérieur, votre travail servira à vous tirer de ces rêveries. II vaudrait même mieux, pour les commencements, aller trouver quelqu’un, ou vous appliquer alors à quelque chose de difficile, pour rompre le cours de ces pensées, et pour en prendre l’habitude.

LSP 92.*A LA MÊME (Y)

Il faut absolument supprimer cette conversation d’imagination : c’est une pure perte de temps; c’est une occupation très dangereuse; c’est une tentation que vous vous procurez. Vous êtes obligée à n’y adhérer jamais volontairement. Peut-être que l’habitude sera cause que votre imagination vous occupera encore malgré vous de toutes ces chimères ; mais il faut au moins n’y consentir pas, et tâcher doucement de les laisser tomber quand vous les apercevez. Le vrai moyen de vous en défaire est de vous occuper alors de l’oraison, ou de quelque travail extérieur, si l’oraison ne peut pas arrêter votre imagination excitée.

LSP 93*A LA MÊME (Y)

Je ne vois rien que de bon et de solide dans tout ce que vous me dites de votre oraison. L’attrait de Dieu que vous éprouvez est une grande grâce, et vous seriez très coupable si vous manquiez à y correspondre pleinement. Ne craignez point de suivre cet attrait ; mais craignez de ne le suivre pas. Vous avouez que vous n’en êtes jamais détournée que par votre imagination légère, ou par de vains dialogues au-dedans de vous-même, ou par des dépits d’orgueil. Si vous étiez toujours fidèle à n’admettre volontairement aucune de ces dangereuses distractions, vous seriez toujours en paix et en union avec Dieu. Voici mes réflexions:

I. Vous dites qu’après même que vous avez manqué à votre recueillement, et que vous sentez le trouble de votre faute, quelquefois la pensée vous vient de vous tenir tranquille dans votre douleur, et de vous unir à Jésus crucifié. Vous ajoutez : voilà le meilleur moyen que je trouve pour apaiser ma peine. Puisque c’est le meilleur, pourquoi en cherchez-vous d’autres qui vous nuisent?

II. Vous parlez des chimères qui vous occupent l’esprit, et de l’acquiescement à la pensée de me les dire, qui vous rend la tranquillité; et vous dites : je voudrais bien savoir s’il suffit de m’humilier devant Dieu avec ce même acquiescement, sans vous le dire. Non, cela ne suffit pas. Vous n’êtes point véritablement humiliée devant Dieu, quand vous ne voulez point vous humilier devant l’homme que vous consultez comme son ministre. C’est l’orgueil qui vous donne tant de répugnance à parler. Il faut, quoi qu’il en coûte, dire tout avec simplicité. Vous n’aurez point de véritable paix jusqu’à ce que vous vous y soyez accoutumée ; mais il faut le faire d’abord, sans hésitation, et sans vous écouter. Plus vous hésiterez, plus vous aurez de peine à en venir à bout.

III. Ne vous étonnez point de faire certaines communions sans consolation ; cette sécheresse ne dépend pas de vous. On mérite souvent plus à être fidèle dans une sécheresse pénible et douloureuse à l’amour-propre, que dans une consolation sensible qui flatte et qui élève le cœur. La lumière que vous dites qui vous fait passer outre pour communier, malgré vos scrupules, est très bonne.

IV. Vous dites très vrai en disant: la crainte que j’ai de mes peines me les fait sentir doublement; j’en suis même souvent quitte pour la crainte. Ces peines, qu’on veut voir de loin, accablent bien plus que celles qu’on voit de près. Pourquoi vouloir les voir avant qu’elles viennent ? C’est se tourmenter par avance, et se mettre soi-même à pure perte en tentation de succomber.

V. Il y a trois manières d’être avec les créatures. 1° Il faut être avec tout le monde en esprit de fidélité à son devoir quand on a quelque affaire avec le prochain. 2° Il faut chercher quelque relâchement innocent d’esprit avec les personnes honnêtes avec qui la Providence nous met en société. Ce délassement d’esprit ne doit être cherché qu’aux heures qui succèdent au travail, et il ne faut pas espérer de trouver avec ces personnes la confiance et l’union de sentiments; il suffit d’y trouver un repos d’esprit pour se délasser. 3° Enfin il faut être en simplicité et à cœur ouvert avec les personnes à qui on est uni par la grâce, et ces personnes se trouvent très rarement. Il ne faut pas espérer d’en trouver beaucoup.

VI. Souvenez-vous que c’est le goût de votre esprit, que vous avouez que vous avez le plus de peine à sacrifier pour le soumettre à la grâce. C’est le point essentiel pour vous. Communiez, obéissez, renoncez à l’esprit. Je suis, en Notre-Seigneur, tout à vous.

LSP 94.*A LA MÊME (Y)

Pour ce qui regarde votre oraison, proposez-vous-y toujours quelque sujet simple, solide, et de pratique pour les vertus évangéliques. Si vous ne trouvez point de nourriture dans ce sujet, et si vous vous sentez de l’attrait et de la facilité pour demeurer en union générale avec Dieu, demeurez-y dans les temps où vous vous y trouverez attirée; mais n’en faites jamais une règle, et soyez toujours fidèle à vous proposer un sujet, pour voir s’il pourra vous occuper et vous nourrir. Recevez sans résistance les lumières et les sentiments qui vous viendront dans l’oraison; mais ne vous fiez point à toutes ces choses qui peuvent flatter votre orgueil et vous donner une vaine complaisance.

Il est meilleur d’être bien humble et bien confondu après les fautes qu’on a commises, que d’être contents de son oraison, et de se croire bien avancé après qu’on a eu beaucoup de beaux sentiments et de hautes pensées en priant Dieu. Laissez passer toutes ces choses qui peuvent être des secours de Dieu ; mais comptez qu’elles se tourneront en illusion très dangereuse, si peu que vous vous y arrêtiez pour vous y complaire.

Le grand point est de se mortifier, d’obéir, de se défier de soi, de porter la croix, Au reste, je suis fort aise de ce que vous ne faites plus votre oraison avec cet empressement forcé qui vous gênait tant. L’oraison en est plus paisible, et vous en êtes plus commode au prochain dans la société ; mais il ne faut pas que cette sainte liberté se tourne jamais en relâchement ni dissipation.

LSP 95.*A LA MÊME (Y)

Je suis sincèrement fâché des contretemps qui m’ont empêché de vous voir. En attendant, suivez avec fidélité les lumières que Dieu vous donne pour mourir aux délicatesses et aux sensibilités de votre amour-propre. Quand on se délaisse entièrement aux desseins de Dieu, on est aussi content d’être privé des consolations, que de les goûter. Souvent même une privation qui dérange et qui humilie est plus utile qu’une abondance de secours sensibles.

Pourquoi ne vous serait-il pas utile d’être privée de ma présence et de mes faibles avis, puisqu’il est quelquefois très salutaire d’être privé de la présence sensible et des dons consolants de Dieu même? Dieu est bien près de nous lorsqu’il nous en paraît éloigné, et que nous souffrons cette absence apparente dans un esprit d’amour pour lui et de mort à nous-mêmes. Accoutumez-vous donc un peu à la fatigue. Les enfants, à mesure qu’ils croissent, passent, du lait d’une mère qui les porte dans son sein, à marcher seuls et à manger du pain sec.

LSP 96.*A LA MÊME (Y)

Ne faites aucune attention volontaire à ce que vous me mandez avoir éprouvé541. De telles choses peuvent n’être que dans l’imagination: elles peuvent venir aussi d’une illusion du tentateur, qui voudrait vous tendre un piège, tantôt de vaine complaisance, tantôt de découragement. Il est vrai qu’il n’est pas impossible que ces choses viennent de Dieu. Aussi ne faut-il faire aucun effort ni acte pour les rejeter. Il n’y a qu’à les laisser passer sans les rejeter ni accepter, se contentant en général d’acquiescer à ce qu’il plaît à Dieu. Par cette disposition simple et générale, vous tirerez tout le fruit de ces choses, supposé qu’elles viennent de Dieu, sans vous exposer à aucun retour de complaisance; et supposé qu’elles ne viennent pas de Dieu, vous serez à l’abri de toute illusion en ne vous arrêtant à rien qu’à Dieu seul.

LSP 97.*A LA MÊME (Y)

Je suis très content de vos dispositions, et vous faites très bien de me mander avec simplicité ce qui se passe en vous. N’hésitez point à m’écrire les choses que vous croirez que Dieu demande de vous.

Il n’est pas étonnant que vous ayez une espèce de jalousie et d’ambition pour vous avancer dans la spiritualité, et d’être dans la confiance des personnes considérables qui servent Dieu. L’amour-propre recherche naturellement ces sortes de succès qui peuvent le flatter. Mais il s’agit non de contenter une espèce d’ambition en faisant un certain progrès éclatant dans la vertu, non d’être dans la confiance des personnes distinguées, mais de mourir aux goûts flatteurs de l’amour-propre, de s’humilier, d’aimer l’obscurité et le mépris, et de ne tendre qu’à Dieu seul.

Ce n’est point à force d’écouter et de lire un langage de perfection, qu’on devient parfait. Le grand point est de ne s’écouter point soi-même, d’écouter Dieu en silence, de renoncer à toute vanité, et de s’appliquer aux vertus réelles. Peu parler, et faire beaucoup, sans se soucier d’être vu.

Dieu vous apprendra bien plus que toutes les personnes les plus expérimentées et que tous les livres les plus spirituels. Eh ! que voulez-vous tant savoir ? Qu’avez-vous besoin d’apprendre, sinon à être pauvre d’esprit et à trouver toute votre science en Jésus crucifié? La science enfle: il n’y a que la charité qui édifie. Ne cherchez donc que la charité. Eh ! faut-il être si savant pour savoir aimer Dieu et pour se renoncer pour l’amour de lui ? Vous savez beaucoup plus de bien que vous n’en faites. Vous avez beaucoup moins besoin d’acquérir de nouvelles lumières, que de mettre en pratique celles que vous avez déjà reçues. O qu’on se trompe, quand on croit s’avancer en raisonnant avec curiosité ! Soyez petite, et n’attendez point des hommes les dons de Dieu.

LSP 98.*A LA MÊME (Y)

Je vous prie de ne vous point inquiéter. Votre oraison est bonne, et vous ne devez point la quitter. Ce que vous m’en avez écrit fait fort bien comprendre en quoi elle consiste, et le fruit que vous en pouvez tirer. Continuez-la avec docilité, et laissez tomber toutes les réflexions qui vous troublent à pure perte. Regardez-les comme de véritables tentations qui vous éloignent de la paix et de la confiance en Dieu. Voulez-vous éviter l’illusion? Soyez docile ; ne cherchez point ce qui flatte votre amour-propre ; renoncez à ce que Dieu ne vous donne pas ; n’écoutez ni vos dépits, ni vos tentations de reprendre les vanités et les amusements du monde. Portez humblement les croix de votre état; défiez-vous du goût de l’esprit qui n’est que vanité’; cherchez ce qui est simple et uni ; rejetez toute pensée qui ne vous vient que des dépits de votre amour-propre. Je suis en vérité tout à vous en Notre-Seigneur comme j’y dois être, mais avec les précautions nécessaires pour ne flatter point la délicatesse de cet amour-propre qui veut qu’on le flatte.



À une demoiselle (Z)

« Les vingt-sept lettres qu’on va lire sont annoncées comme écrites à une même correspondante. 542 »

LSP 99.*A UNE DEMOISELLE (Z)

Vivez en paix, Mademoiselle, sans penser qu’il y ait un avenir. Peut-être n’y en aura-t-il point pour vous. Le présent même n’est pas à vous, et il ne faut que s’en servir suivant les intentions de Dieu à qui seul il appartient. Faites les biens extérieurs que vous êtes en train de faire, puisque vous en avez l’attrait et la facilité. Conservez votre règlement, pour éviter la dissipation et les suites de votre excessive vivacité. Surtout soyez fidèle au moment présent, qui vous attirera toutes les grâces nécessaires.

Ce n’est pas assez de se détacher; il faut s’apetisser. En se détachant, on ne renonce qu’aux choses extérieures ; en s’apetissant, on renonce à soi. S’apetisser, c’est renoncer à toute hauteur aperçue. Il y a la hauteur de la sagesse et de la vertu, qui est encore plus dangereuse que la hauteur des fortunes mondaines, parce qu’elle est moins grossière. Il faut être petit en tout, et compter qu’on n’a rien à soi, sa vertu et son courage moins que tout le reste. Vous vous appuyez trop sur votre courage, sur votre désintéressement et sur votre droiture. L’enfant n’a rien à lui ; il traite un diamant comme une pomme. Soyez enfant. Rien de propre. Oubliez-vous. Cédez à tout. Que les moindres choses soient plus grandes que vous.

Priez du cœur simplement, par pure affection, point par la tête et en personne qui raisonne.

La vraie instruction543 pour vous est le dépouillement, le recueillement profond, le silence de toute l’âme devant Dieu, le renoncement à l’esprit, le goût de la petitesse, de l’obscurité, de l’impuissance et de l’anéantissement. Voilà l’ignorance qui seule enseigne toutes les vérités que les sciences ne découvrent point, ou ne montrent que superficiellement.

LSP 101.*A LA MÊME (Z)

La bonne santé de M[...].. et votre calme présent me donnent de la joie. Je crains néanmoins pour vous, que l’amour-propre ne goûte un peu trop cette douceur si différente de l’amertume où vous étiez. La contradiction et toutes les autres peines humiliantes sont bien plus utiles que le succès. Vous savez que cet état vous a fait découvrir ici en vous ce que vous n’y aviez jamais vu; et je crains que l’autorité, le succès et l’admiration qu’on s’attire à peu de frais parmi les gens grossiers de la province, ne nourrissent votre humeur impérieuse, et ne vous rendent contente de vous-même comme vous l’étiez auparavant544. Ce contentement de soi-même gâte la conduite la plus régulière, parce qu’il est incompatible avec l’humilité.

On n’est humble qu’autant qu’on est attentif à toutes ses misères. Il faut que cette vue fasse la principale occupation de l’âme, qu’elle soit à charge à elle-même, qu’elle gémisse, que ce gémissement soit une prière continuelle, qu’il lui tarde d’être délivrée de la servitude de la corruption, pour entrer dans la gloire et dans la liberté des enfants de Dieu; et que, se sentant surmontée par ses défauts, elle n’attende sa délivrance que de la pure miséricorde de Jésus-Christ. Malheur à l’âme qui se complaît en elle-même, qui s’approprie les dons de Dieu, et qui oublie ce qui lui manque!

Pour remédier à la dissipation et à la sécheresse, c’est de vous réserver des heures pour vos prières et pour vos lectures, qui doivent être régulières ; c’est de n’entrer dans les affaires que par pure nécessité; c’est d’y songer encore plus à rompre la roideur de vos sentiments, à réprimer votre humeur, et à humilier votre esprit, qu’à faire prévaloir la raison même dans les partis à prendre ; enfin c’est de vous humilier quand vous remarquerez qu’une chaleur indiscrète sur les affaires d’autrui vous fait oublier votre unique affaire, qui est celle de l’éternité. Apprenez de moi, vous dit Jésus-Christ, que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. En effet, la grâce, la paix intérieure, l’onction du Saint-Esprit viendront sur vous, si vous conservez dans vos embarras extérieurs la douceur et l’humilité.

LSP 102*.À LA MÊME (Z)

Je suis touché, comme je dois l’être, de toutes vos peines; mais je ne puis que vous plaindre, et prier Dieu qu’il vous console. Vous avez grand besoin qu’il vous donne son esprit pour vous soutenir dans vos embarras, et pour tempérer votre vivacité naturelle dans des occasions si capables de l’exciter. Pour la lettre qui regarde votre naissance, je crois que vous n’en devez parler qu’à Dieu seul, pour le prier en faveur de celui qui a voulu vous outrager. J’ai toujours entrevu ou cru entrevoir que vous étiez sensible de ce côté-là. Dieu nous attaque toujours par notre faible. On ne tue personne en le frappant sur les endroits morts, comme sur les ongles ou sur les cheveux ; mais en attaquant les parties les plus vivantes, qu’on nomme nobles. Quand Dieu veut nous faire mourir à nous-mêmes, il nous prend toujours par ce qui est en nous le plus vif, et comme le centre de la vie. Il proportionne ainsi les croix. Laissez-vous humilier: le silence et la paix dans l’humiliation sont le vrai bien de l’âme. On serait tenté de parler humblement, et on en aurait mille beaux prétextes; mais il est encore meilleur de se taire humblement. L’humilité, qui parle encore, est encore suspecte : en parlant, l’amour-propre se soulage un peu.

Ne vous échauffez plus le sang sur les discours des hommes : laissez-les parler, et tâchez de faire la volonté de Dieu. Pour celle des hommes, vous ne viendriez jamais à bout de la faire; elle n’en vaut pas même la peine. Un peu de silence, de paix et d’union à Dieu doit bien consoler de tout ce que les hommes disent injustement. Il faut les aimer sans compter sur leur amitié. Ils s’en vont; ils reviennent ; ils s’en retournent: laissez-les aller; c’est de la plume que le vent emporte. Ne regardez que Dieu seul en eux; c’est lui seul qui nous console ou qui nous afflige par eux selon nos besoins.

Vous avez besoin de votre fermeté dans la situation où vous êtes ; mais aussi votre vivacité a besoin de mécomptes et d’obstacles. Possédez votre âme en patience. Renouvelez-vous souvent en la présence de Dieu, pour vous modérer, pour vous rapetisser, et pour vous proportionner aux petits. Il n’y a rien de grand que la petitesse, la charité, la défiance de soi-même, le détachement de son sens et de sa volonté. Toute vertu haute et roide est opposée à Jésus-Christ. Dieu sait combien je suis à vous en lui.

LSP 103*A LA MÊME (Z)

Je ne sais pour vous que ce que je vous ai toujours dit: obéissez simplement à votre directeur, sans écouter ni votre raison ni votre goût. Vous avez les conseils d’un homme très éclairé et très pieux. Pour moi, voici ce que je puis vous dire en général. Vous devez, ce me semble, être ferme pour réserver des heures de recueillement ; autrement vous serez la croix de celle qui veut que vous soyez son soutien. Vous avez un penchant terrible à la dissipation et à la vaine complaisance ; vous aimez à être applaudie et à vous applaudir vous-même ; vous sentez dans votre raison et dans votre courage naturel une force qui nourrit votre orgueil. Il n’y a que le recueillement qui puisse amortir cette vie superbe, et tempérer votre insupportable vivacité.

Remarquez seulement deux choses pour vos heures de recueillement : l’une, que vous ne devez point les réserver par esprit de contradiction et d’impatience contre N..... qui voudrait toujours vous avoir. Quand vous sentirez que vous agissez par ce mauvais esprit, il faut vous en punir, en cédant pour ce jour-là à ses empressements les plus importuns. L’autre règle est de ne vous réserver que les temps nécessaires pour vous recueillir et pour nourrir votre âme. Rien pour l’amusement en votre particulier; rien pour la curiosité, qui est un grand piège pour vous. Pour la manière de réserver du temps, elle doit être ferme, mais douce et tranquille.

Que vos lectures et vos oraisons soient simples ; que l’esprit cherche moins, et que le cœur se livre davantage. Tout ce qui paraît remplir votre esprit ne fait que l’enfler; vous croyez nourrir votre zèle, et vous nourrissez votre hauteur. Il n’est pas question de savoir beaucoup, mais de savoir s’apetisser et devenir enfant sous la main de Dieu. Je le prie non seulement de vous faire petite, mais encore de vous anéantir sans réserve.

Pour les sujets de crainte, je ne crois pas que vous deviez vous forcer pour y entrer. Vous trouverez souvent de bonnes âmes qui vous presseront de le faire, et qui trembleront pour vous quand elles ne vous verront pas trembler : mais ne vous gênez point ; suivez simplement votre attrait, et, pourvu que vous soyez fidèle au recueillement et à l’humilité, demeurez en paix. C’est assez craindre que de craindre de déplaire à Dieu.

Pour votre curiosité sur les meilleurs livres, il faut la réprimer. Vous avez éprouvé qu’elle vous est dangereuse, et c’est une lumière sur laquelle vous devez à Dieu une singulière reconnaissance. Sous prétexte de chercher une solide instruction, on conserve un goût qui flatte l’amour-propre, et qui entretient une certaine hauteur d’esprit qui s’oppose à l’esprit de Dieu. Il faut s’abaisser, se rendre simple, devenir enfant. C’est là que se trouve la vraie instruction, qui est l’intérieure, et non dans les choses qui ont de l’éclat au-dehors.

LSP 104.*A LA MÊME (Z)

La chaleur d’imagination, la vivacité des sentiments, la foule des raisons, l’abondance des paroles, ne font presque rien. L’effectif, c’est d’agir devant Dieu en parfait détachement, faisant par sa lumière tout ce qu’on peut, et se contentant du succès qu’il donne. Cette continuelle mort est une bienheureuse vie que peu de gens connaissent. Un mot, dit simplement dans cette paix, opère plus, même pour les affaires extérieures, que tous les soins ardents et empressés. Comme c’est l’esprit de Dieu qui parle alors, il ne perd rien de sa force et de son autorité. Il éclaire, il persuade, il touche, il édifie. On n’a presque rien dit, et on a tout fait. Au contraire, quand on se laisse aller à la vivacité de son naturel, on parle sans fin ; on fait mille réflexions subtiles et superflues; on craint toujours de ne parler et de n’agir pas assez ; on s’échauffe, on s’épuise, on se passionne, on se dissipe, et rien n’avance. Votre tempérament a un besoin infini de ces maximes. Elles ne sont guère moins nécessaires à votre corps qu’à votre âme: votre médecin doit être là-dessus d’accord avec votre directeur.

Laissez couler l’eau sous les ponts ; laissez les hommes être hommes, c’est-à-dire faibles, vains, inconstants, injustes, faux et présomptueux. Laissez le monde être toujours monde ; c’est tout dire: aussi bien ne l’empêcheriez-vous pas. Laissez chacun suivre son naturel et ses habitudes: vous ne sauriez les refondre; le plus court est de les laisser et de les souffrir. Accoutumez-vous à la déraison et à l’injustice. Demeurez en paix dans le sein de Dieu, qui voit mieux que vous tous ces maux, et qui les permet. Contentez-vous de faire sans ardeur545 le peu qui dépend de vous ; que tout le reste soit pour vous comme s’il n’était pas. Je suis ravi de ce que vous avez des heures de réserve: n’en soyez ni avare ni prodigue.

LSP 105.*A LA MÊME (Z)

Il faut s’accommoder sans choix de ce que Dieu donne. Il est juste que sa volonté se fasse, et non pas la nôtre, et que la sienne devienne la nôtre même sans réserve, afin qu’elle se fasse sur la terre comme dans le ciel. Voilà ce qui vaut cent fois mieux que de se voir, que de s’entretenir, que de se consoler. O qu’on est près les uns des autres, quand on est intimement réuni dans le sein de Dieu ! O qu’on se parle bien, quand on n’a plus qu’une seule volonté et qu’une seule pensée en celui qui est toutes choses en tous! Voulez-vous donc trouver vos vrais amis ? Ne les cherchez qu’en celui qui fait les pures et éternelles amitiés. Voulez-vous leur parler et les écouter? Demeurez en silence dans le sein de celui qui est la parole, la vie et l’âme de tous ceux qui disent la vérité et qui vivent véritablement. Vous trouverez en lui, non seulement tout ce qui vous manque, mais encore tout ce qui n’est que très imparfaitement dans les créatures en qui vous vous confiez.

Vous ne sauriez trop amortir votre vivacité naturelle et votre grande habitude de suivre votre activité, pour vous taire, pour souffrir, pour ne juger jamais sans nécessité, pour écouter Dieu au dedans de vous. C’est tout ensemble une oraison et une mort continuelle dans le cours de la journée.

LSP 106.*A LA MÊME (Z)

Il est bon d’aller aux portes de la mort; on y voit Dieu de plus près ; on s’accoutume à faire ce qu’il faudra faire bientôt. On doit mieux se connaître, quand on a été si près du jugement de Dieu et des rayons de la vérité éternelle. O que Dieu est grand, qu’il est tout, que nous ne sommes rien, quand nous sommes si près de lui, et que le voile qui nous le cache va se lever ! Profitez de cette grâce pour vous détacher du monde, et encore plus de vous-même; car on ne tient aux autres choses que pour soi, et tous les autres attachements se réduisent à celui-là.

Aimez donc Dieu, et renoncez-vous vous-même pour l’amour de lui. N’aimez ni votre esprit ni votre courage. N’ayez aucune complaisance dans les dons de Dieu, tels que le désintéressement, l’équité, la sincérité, la générosité pour le prochain. Tout cela est de Dieu ; mais tout cela se tourne en poison, tout cela nous remplit et nous enfle dès que nous y prenons un appui secret. Il faut être anéantie à ses propres yeux, et agir dans cet esprit en toute occasion. Il faut que nous soyons, dans toute notre vie, cachés et comme anéantis, de même que Jésus-Christ dans le sacrement de son amour.

LSP 107.*A LA MÊME (Z)

Quand quelqu’un croirait voir en vous des petitesses, vous ne devriez point écouter la peine que vous en ressentiriez. Il y a une hauteur secrète, et une délicatesse d’amour-propre, à souffrir impatiemment qu’on nous croie capables de petitesse et de faiblesse dans nos sentiments. Vous l’avez bien senti vous-même, quand vous avez dit : mon orgueil s’en serait défendu ; peut-être y en a-t-il à cette justification, etc. Pour moi, non seulement je veux bien que les hommes me croient capable de petitesse, mais encore je veux le croire, et je ne trouve de paix au dedans de moi, qu’autant que je n’y trouve aucune grandeur, aucune force, aucune ressource, et que je me vois capable de tout ce qui est le plus méprisable, pour ne trouver mon secours qu’en Dieu seul.

Au reste, vous avez très bien fait de dire simplement ce que vous éprouviez dans votre cœur. Quand on ne suit point volontairement ces délicatesses, et qu’on les déclare avec simplicité, malgré la répugnance qu’on a à les dire, on a fait ce qui convient, et il faut demeurer en paix. Il est vrai que je vous ai dit que vous n’aviez pas avancé vers la perfection comme il aurait été à désirer; mais vous devez vous en étonner moins que personne, vous qui m’avez dit l’état de gêne, de dissipation et de trouble sans relâche, où vous avez été pendant tant d’années, sans pouvoir pratiquer le recueillement. Ce que je trouve de bon, malgré ces causes de retardement, consiste dans les choses suivantes. Vous revenez au recueillement et à l’oraison; vous avez la lumière et l’attrait de travailler à éteindre votre vivacité ; vous voulez être simple et docile pour renoncer à votre propre sens. Voilà des fondements solides ; le reste se fera peu à peu. Il s’agit de mourir ; mais Dieu travaille avec nous. Il agit par persuasion et par amour. Il faut croire et vouloir tout ce qu’il demande, et il ne demande que de mettre son saint amour en la place de notre amour-propre trompeur et injuste.

LSP 108.*A LA MÊME (Z)

Je prends part à toutes vos peines ; mais il faut bien porter la croix avec Jésus-Christ dans cette courte vie. Bientôt nous n’aurons plus le temps de souffrir; ce sera celui de régner avec un Dieu consolateur, qui aura essuyé nos larmes de sa propre main et devant qui les douleurs et les gémissements s’enfuiront à jamais. Pendant qu’il nous reste encore ce moment si court et si léger des épreuves, ne perdons rien du prix de la croix. Souffrons humblement et en paix. L’amour-propre nous exagère nos peines, et les grossit dans notre imagination. Une croix portée simplement, sans ces retours d’un amour-propre ingénieux à les augmenter, n’est qu’une demi-croix. Quand on souffre dans cette simplicité d’amour, non seulement on est heureux malgré la croix, mais encore on est heureux par elle ; car l’amour se plaît à souffrir pour le bien-aimé, et la croix qui rend conforme au bien-aimé est un lien d’amour qui console.

Portez le pesant fardeau d’une personne fort âgée qui ne peut plus se porter elle-même. La raison s’affaiblit à cet âge ; la vertu même, si elle n’a été bien profonde, semble se relâcher; l’humeur et l’inquiétude ont alors toute la force que l’esprit perd, et c’est la seule vivacité qui reste. O que voilà une bonne et précieuse croix ! Il la faut embrasser, la porter tous les jours, et peut-être jusqu’à la mort. Il y a là de quoi faire mourir l’esprit et le corps.

Mais encore est-ce un bonheur et un soulagement, que vous ayez des heures libres pour respirer en paix dans le sein de Notre-Seigneur. C’est là qu’il faut se délasser et se renouveler pour recommencer le travail. Ménagez votre santé. Soulagez même votre esprit par quelques intervalles de repos, de joie et de liberté innocente. Plus l’âge avance, moins il faut espérer d’une personne qui n’a point de ressources. Il ne faut presque rien prendre sur elle; mais aussi ne prenez pas trop sur vous.

LSP 109.*A LA MÊME (Z)

Je crains que votre vivacité naturelle ne vous consume au milieu des choses pénibles qui vous environnent. Vous ne sauriez trop laisser amortir votre naturel par l’oraison et par un fréquent renouvellement de la présence de Dieu dans la journée. Une personne chrétienne qui s’échauffe pour les bagatelles de ce monde, et que la présence de Dieu vient surprendre dans cette vivacité, est comme un petit enfant qui se voit surpris par sa mère quand il se fâche dans quelqu’un de ses jeux : il est tout honteux d’être découvert. Demeurons donc en paix, faisant le mieux ou le moins mal que nous pouvons pour tous nos devoirs extérieurs, et occupons-nous intérieurement de celui qui doit être tout notre amour.

N’apercevez jamais vos mouvements naturels sans les laisser tomber, afin que la grâce seule vous possède librement. Il faut suspendre l’action dès qu’on sent que la nature y domine. Cette fidélité fait presque autant au corps qu’à l’âme. On ne néglige rien, et on ne se trouble point, comme Marthe.

LSP 110*

Je vous plains ; mais il faut souffrir. Nous ne sommes en ce monde que pour nous purifier, en mourant à nos inclinations et à toute volonté propre. Mourez donc ; vous en avez de bonnes occasions ; quel dommage de les laisser perdre ! Je suis convaincu comme vous qu’il ne faut rien relâcher sur le règlement journalier; mais pour le jour entier et la retraite de huit jours, il faut compatir à l’infirmité du prochain. Vous pourrez reprendre en menu détail ce que vous perdrez en gros. Il faut un peu d’art avec les gens pressés de vapeurs. Si on leur montre sans adoucissement tout ce qu’on veut faire, on les met au désespoir; d’un autre côté, si vous leur laissez la moindre espérance de vous envahir, ils ne lâchent jamais prise jusqu’à ce qu’ils vous aient mis à leur point. Il faut donc couler adroitement, selon les occasions, sur certaines petites choses, et pour celles qu’on croit essentielles, il faut toute la fermeté dont vous avez usé sur le règlement.

Mais souvenez-vous que la vraie fermeté est douce, humble et tranquille. Toute fermeté âpre, hautaine et inquiète est indigne de soutenir les œuvres de Dieu. Dieu, dit l’Écriture, agit avec force et douceur; agissez donc de même, et quand il vous échappera d’agir rudement, humiliez-vous aussitôt, sans vous amollir. Avouez que vous avez tort pour les manières, et pour le fond gardez votre règlement. D’ailleurs vous ne sauriez avoir trop de complaisance, d’attachement et d’assiduité. Il n’y a ni lecture ni oraison qui vous fasse autant mourir à vous-même, que cette sujétion, pourvu que vous trouviez dans vos heures de réserve le recueillement nécessaire pour apprendre à faire un bon usage de cette espèce de servitude, et que la dissipation des affaires ne vous dessèche point le cœur. En un mot, recueillez-vous autant que vous le pouvez, selon votre règlement, et donnez ensuite le reste de votre temps à la charité, qui ne s’ennuie jamais, qui souffre, qui s’oublie, qui se fait petit enfant pour l’amour d’autrui.

LSP 111.*A LA MÊME (Z)

Je prie Dieu que cette nouvelle année soit pour vous un renouvellement de grâce et de bénédiction. Je ne m’étonne point de ce que vous ne goûtez pas le recueillement comme vous le goûtiez en sortant d’une longue et pénible agitation. Tout s’use. Un naturel vif, qui est accoutumé à l’action, languit dès qu’il se trouve dans la solitude et dans une espèce d’oisiveté. Vous avez été, pendant un grand nombre d’années, dans une nécessité de dissipation et d’activité au-dehors. C’est ce qui m’a fait craindre pour vous, à la longue, la vie morte d’ici’. Vous étiez d’abord dans la ferveur du noviciat, où l’on ne trouve rien de difficile. Vous disiez comme saint Pierre : Il est bon que nous soyons ici546. Mais il est dit que saint Pierre ne savait pas ce qu’il disait; et nous sommes souvent de même. Dans les moments de ferveur, nous croyons pouvoir tout. Dans les moments de tentation et de découragement, nous croyons ne pouvoir plus rien, et que tout est perdu. Mais nous nous trompons dans ces deux cas.

La dissipation que vous éprouvez ne doit pas vous étonner: vous en portiez le fond ici lors même que vous sentiez tant d’ardeur pour vous recueillir. Le naturel, l’habitude, tout vous porte à l’activité et à l’empressement. Il n’y avait que la lassitude et l’accablement qui vous faisaient goûter une vie tout opposée. Mais vous vous mettrez peu à peu, par fidélité à la grâce, dans cette vie toute concentrée, dont vous n’avez eu qu’un goût passager. Dieu le donne d’abord pour montrer où il mène ; puis il l’ôte pour faire sentir que ce bien n’est pas à nous, que nous ne sommes maîtres ni de l’avoir, ni de le conserver, et que c’est un don de grâce qu’il faut demander en toute humilité.

Ne soyez point alarmée de vous trouver vive, impatiente, hautaine, décisive: c’est votre fond naturel ; il faut le sentir. Il faut porter, comme dit saint Augustin, le joug de la confusion quotidienne de nos péchés. Il faut sentir notre faiblesse, notre misère, notre impuissance de nous corriger. Il faut désespérer de notre cœur, et n’espérer qu’en Dieu. Il faut se supporter sans se flatter, et sans négliger le travail pour notre correction. En attendant que Dieu nous délivre de nous-mêmes, nous devons en être désabusés. Laissons-nous rapetisser sous sa puissante main547: rendons-nous souples et maniables, en cédant dès que nous sentons quelque résistance de la volonté propre. Demeurez en silence le plus que vous pouvez. Évitez de décider ; suspendez vos jugements, vos goûts et vos aversions. Arrêtez-vous, et interrompez votre action dès que vous apercevez qu’elle est trop vive. Ne vous laissez point aller à vos goûts trop vifs, même pour le bien.

LSP 112.*A LA MÊME (Z)

Ce que je vous souhaite le plus est un certain calme que le recueillement, le détachement et l’amour de Dieu donnent. Quand on aime quelque chose hors de Dieu, dit saint Augustin, on en aime moins Dieu. C’est un ruisseau dont on détourne un peu d’eau. Ce partage diminue ce qui va à Dieu, et c’est dans ce partage que se ressentent toutes les inquiétudes du cœur. Dieu veut tout, et sa jalousie ne laisse point en paix un cœur partagé. La moindre affection hors de lui fait un entre-deux, et cause un mésaise. Ce n’est que dans un amour sans réserve que l’âme mérite de trouver la paix.

La dissipation, qui est opposée au recueillement, réveille toutes les affections des créatures ; par là elle tiraille l’âme, et la fait sortir de son vrai repos. De plus, elle excite les sens et l’ imagination ; c’est un travail pénible que de les apaiser, et cette occupation est encore une espèce de distraction inévitable.

Occupez-vous donc le moins que vous pourrez de tout ce qui est extérieur. Donnez aux affaires dont la Providence vous charge une certaine attention paisible et modérée, aux heures convenables : laissez le reste. On fait beaucoup plus par une application douce et tranquille en la présence de Dieu, que par les plus grands empressements et par les industries d’une nature inquiète.

LSP 113* A LA MÊME (Z)

Il ne vous reste qu’à tourner vos soins vers vous-même. Ne vous découragez point pour vos fautes : supportez-vous en vous corrigeant, comme on supporte et on corrige tout ensemble le prochain dont on est chargé. Laissez tomber une certaine activité d’esprit qui use votre corps, et qui vous fait commettre des fautes. Accoutumez-vous à étendre peu à peu l’oraison jusque sur les occupations extérieures de la journée. Parlez, agissez, travaillez en paix, comme si vous étiez en oraison ; car en effet il faut y être.

Faites chaque chose sans empressement, par l’esprit de grâce. Dès que vous apercevrez l’activité naturelle qui se glisse, rentrez doucement dans l’intérieur, où est le règne de Dieu. Écoutez ce que l’attrait de grâce demande: alors ne dites et ne faites que ce qu’il vous mettra au cœur. Vous verrez que vous en serez plus tranquille; que vos paroles en seront plus courtes et plus efficaces, et qu’en travaillant moins vous ferez plus de choses utiles. Il ne s’agit point d’une contention perpétuelle de tête, qui serait impraticable; il ne s’agit que de vous accoutumer à une certaine paix où vous consulterez facilement le bien-aimé sur ce que vous aurez à faire. Cette consultation, très simple et très courte, se fera bien plus aisément avec lui, que la délibération empressée et tumultueuse qu’on fait d’ordinaire avec soi quand on se livre à sa vivacité naturelle.

Quand le cœur a déjà sa pente vers Dieu, on peut facilement s’accoutumer à suspendre les mouvements précipités de la nature, et à attendre le second moment où l’on peut agir par grâce en écoutant Dieu. C’est la mort continuelle à soi-même qui fait la vie de la foi. Cette mort est une vie douce, parce que la grâce qui donne la paix succède à la nature qui cause le trouble. Essayez, je vous conjure, de vous accoutumer à cette dépendance de l’esprit intérieur: alors tout deviendra peu à peu oraison. Vous souffrirez ; mais une souffrance paisible n’est qu’une demi-souffrance.

LSP 114.*A LA MÊME (Z)

Vous ne devez point écouter vos scrupules sur les soulagements que votre communauté vous donne. Votre complexion est très délicate, et votre âge avancé; le moindre accident vous accablerait. N’attendez pas une maladie pour ménager vos forces. Il faut prévenir les maux, et non pas attendre qu’ils soient venus. En l’état où vous êtes, il n’est plus permis de rien hasarder. Malgré ce petit ménagement, votre vie ne sera pas fort voluptueuse.

Pour l’esprit, la mortification doit être d’un plus fréquent usage. Il faut amortir votre vivacité, renoncer à votre propre sens, retrancher les petites curiosités, les désirs de réussir, et les empressements pour s’attirer ce qui flatte l’amour-propre. Le silence, pour se familiariser avec la présence de Dieu, est le grand remède à nos maux ; c’est le moyen de mourir à toute heure dans la vie la plus commune.

Profitez de votre repos pour vous tranquilliser, pour adoucir votre humeur, pour nourrir la charité, pour abaisser la présomption, pour amortir les saillies, pour conserver le recueillement et la présence de Dieu avec la douceur et condescendance nécessaire pour le prochain : faites cela, et vous vivrez. Dieu a mis dans votre tempérament un grand trésor, en y mettant de quoi brûler à petit feu et mourir à toutes les heures du jour. Ce qui échaufferait à peine les autres vous enflamme jusque dans la moelle des os. Rien ne vous choque et ne vous plaît à demi. C’est ce qu’il est bon que vous connaissiez, afin que vous puissiez vous défier de vos goûts et de vos répugnances.

LSP 115.*A LA MÊME (Z)

Ne vous laissez point aller à la vivacité de vos goûts et de vos dégoûts. Défiez-vous même d’un certain zèle de ferveur, qui vous exposerait à des mécomptes dangereux. Ne vous pressez jamais sur rien, et principalement sur les changements de demeure548. Évitez la dissipation, sans vous exposer trop à la langueur et à l’ennui. Ne craignez point de soulager un peu votre esprit par une société pieuse et réglée. Contentez-vous de la ferveur intérieure que Dieu vous donne; sans la vouloir forcer pour la rendre plus sensible et plus consolante. Le grand point est de faire fidèlement la volonté de Dieu pour mourir à soi, malgré les sécheresses et les répugnances qu’on y ressent. Je prie Notre-Seigneur de vous donner une paix, non de vie et de nourriture pour l’amour-propre, mais de mort et de renoncement par amour pour lui. C’est en lui que je vous suis entièrement dévoué.

LSP 116.*A LA MÊME (Z)

Je ne saurais recevoir de vos nouvelles sans en ressentir une véritable joie. J’en ai une autre qui vous surprendra et qu’il faut que vous me pardonniez : c’est celle de vous voir un peu moins dans une ferveur sensible sur laquelle vous comptiez trop. Il est bon d’éprouver sa faiblesse, et d’apprendre par expérience que cette ferveur est passagère. Quand nous l’avons, c’est Dieu qui nous la donne par condescendance pour soutenir notre faiblesse. C’est le lait des petits enfants : ensuite il faut être sevré, et manger le pain sec des personnes d’un âge mûr.

Si on avait, sans aucune interruption, ce goût et cette facilité pour le recueillement, on serait fort tenté de le compter pour un bien propre et assuré. On ne sentirait plus ni sa faiblesse ni sa pente au mal ; on n’aurait point assez de défiance de soi, et on ne recourrait point assez humblement à la prière.

Mais quand cette ferveur sensible souffre des interruptions, on sent ce qu’on a perdu ; on reconnaît d’où il venait ; on est réduit à s’humilier pour le retrouver en Dieu ; on le sert avec d’autant plus de fidélité, qu’on goûte moins de plaisir en le servant ; on se contraint, on sacrifie son goût; on ne va point à la faveur des vents et des voiles, c’est à force de rames et contre le torrent; on prend tout sur soi ; on est dans l’obscurité, et on se contente de la pure foi ; on est dans la peine et dans l’amertume, mais on veut y être, et ce n’est point par le plaisir qu’on tient à Dieu ; on est prêt à recevoir ce goût, dès que Dieu le rendra ; on se reconnaît faible, et on comprend que, quand Dieu nous rend ce goût, c’est pour ménager notre faiblesse : mais quand il prive de ce goût, on en porte humblement en paix la privation, et on compte que Dieu sait beaucoup mieux que nous ce qu’il nous faut.

Ce qui dépend de nous, et qui doit être toujours uniforme, est la bonne volonté. Cette volonté n’en est que plus pure, lorsqu’elle est toute sèche et toute nue, sans se relâcher jamais.

Soyez ferme à observer vos heures d’oraison, comme si vous y aviez encore la plus grande facilité. Profitez même du temps de la journée où vous n’avez qu’une demi-occupation des choses extérieures, pour vous occuper de Dieu intérieurement ; par exemple, travaillez à votre ouvrage dans une présence simple et familière de Dieu. Il n’y a que les conversations où cette présence est moins facile : on peut néanmoins se rappeler souvent une vue générale de Dieu, qui règle toutes les paroles, et qui réprime, en parlant aux créatures, toutes les saillies trop vives, tous les traits de hauteur ou de mépris, toutes les délicatesses de l’amour-propre. Supportez-vous vous-même, mais ne vous flattez point. Travaillez efficacement et de suite, mais en paix et sans impatience d’amour-propre, à corriger vos défauts.

LSP 117.*A LA MÊME (Z)

J’apprends que votre santé a été fort dérangée, et j’en suis véritablement alarmé. Vous savez que l’infirmité est une précieuse grâce que Dieu nous donne, pour nous faire sentir la faiblesse de notre âme par celle de notre corps. Nous nous flattons de mépriser la vie, et de soupirer après la patrie céleste: mais quand l’âge et la maladie nous font envisager de plus près notre fin, l’amour-propre se réveille, il s’attendrit sur lui-même, il s’alarme ; on ne trouve au fond de son cœur aucun désir du royaume de Dieu ; on ne trouve au dedans de soi que mollesse, lâcheté, tiédeur, dissipation, attachement à toutes les choses dont on se croyait détaché. Une expérience si humiliante nous est souvent plus utile que toutes les ferveurs sensibles sur lesquelles nous comptions peut-être un peu trop. Le grand point est de nous livrer à l’esprit de grâce pour nous laisser détacher de tout ce qui est ici-bas.

Ménagez votre extrême délicatesse; recevez avec simplicité les soulagements qu’une très bonne et très prudente supérieure vous donnera; ne hasardez rien pour une santé si ébranlée. Le recueillement, la paix, l’obéissance, le sacrifice de la vie, la patience dans vos infirmités, seront d’assez grandes mortifications.

Je suis très sensible à votre juste douleur. Vous avez perdu une sœur très estimable, et qui méritait parfaitement toute votre amitié; c’est une grande consolation que Dieu vous ôte. C’est que Dieu l’a voulu retrancher par la jalousie de son amour. Il trouve, jusque dans les amitiés les plus légitimes et les plus pures, certains retours secrets d’amour-propre qu’il veut couper dans leurs plus profondes racines. Laissez-le faire. Adorez cette sévérité qui n’est qu’amour; entrez dans ses desseins. Pourquoi pleurerions-nous ceux qui ne pleurent plus, et dont Dieu a essuyé à jamais les larmes ? C’est nous-mêmes que nous pleurons, et il faut passer à l’humanité cet attendrissement sur soi. Mais la foi nous assure que nous serons bientôt réunis aux personnes que les sens nous représentent comme perdues. Vivez de foi, sans écouter la chair et le sang. Vous retrouverez dans notre centre commun, qui est le sein de Dieu, la personne qui a disparu à vos yeux. Encore une fois, ménagez votre faible santé dans cette rude épreuve ; calmez votre esprit devant Dieu ; ne craignez point de vous soulager même l’imagination par le secours de quelque société douce et pieuse. Il ne faut point avoir honte de se traiter en enfant, quand on en ressent le besoin.

LSP 118.*A LA MÊME (Z)

Je ne suis nullement surpris de ce que vous ne retrouvez plus le même recueillement qui vous était si facile et si ordinaire l’année passée. Dieu veut vous accoutumer à une fidélité moins douce, et plus pénible à la nature. Si cette facilité à vous recueillir était toujours égale, elle vous donnerait un appui trop sensible, et comme naturel : vous n’éprouveriez en cet état ni croix intérieures ni faiblesse. Vous avez besoin de sentir votre misère, et l’humiliation qui vous en reviendra vous sera plus utile, si vous la portez patiemment sans vous décourager, que la ferveur la plus consolante.

Il est vrai qu’il ne faut jamais abandonner l’oraison. Il faut supporter la perte de ce qu’il plaît à Dieu de vous ôter; mais il ne vous est pas permis de vous rien ôter à vous-même, ni même de laisser rien perdre par négligence volontaire. Continuez donc à faire votre oraison ; mais faites-la en la manière la plus simple et la plus libre, pour ne vous point casser la tête. Servez-vous-y de tout ce qui peut vous renouveler la présence de Dieu sans effort inquiet. Dans la journée, évitez tout ce qui vous dissipe, qui vous attache et qui excite votre vivacité. Calmez-vous autant que vous le pourrez sur chaque chose, et laissez tomber tout ce qui n’est point l’affaire présente. Chaque jour suffit son mal’. Portez votre sécheresse et votre dissipation involontaire comme votre principale croix. Vous pouvez essayer une petite retraite ; mais ne la poussez pas trop loin, et soulagez-vous l’imagination, selon votre besoin, par des choses innocentes qui s’accordent avec la présence de Dieu.

LSP 119.* A LA MÊME (Z)

O qu’il fait bon ne voir que les amis que Dieu nous donne, et d’être à l’abri de tout le reste ! Pour moi, je soupirerais souvent au milieu de mes embarras après cette liberté que la solitude procure ; mais il faut demeurer dans sa route, et aller son chemin, sans écouter son propre goût. Évitez l’ennui, et donnez quelque soulagement à votre activité naturelle. Voyez un certain nombre de personnes dont la société ne soit pas épineuse, et qui vous délassent au besoin. On n’a pas besoin d’un grand nombre de compagnies, et il faut s’accoutumer à n’y être pas trop délicat. Il suffit de trouver de bonnes gens paisibles et un peu raisonnables. Vous pouvez lire, faire quelque ouvrage, vous promener quand il fait beau, et varier vos occupations pour ne vous fatiguer d’aucune.

À l’égard de votre tiédeur et du défaut de sentiment pour la vie intérieure, je ne suis nullement surpris que cette épreuve vous abatte. Rien n’est plus désolant. Vous n’avez que deux choses à faire, ce me semble : l’une est d’éviter tout ce qui vous dissipe et qui vous passionne ; par là vous retrancherez la source de tout ce qui distrait dangereusement et qui dessèche l’oraison. Il ne faut pas espérer la nourriture du dedans, quand on est sans cesse au-dehors. La fidélité à renoncer aux choses qui vous rendent trop vive et trop épanchée dans les conversations, est absolument nécessaire pour attirer l’esprit de recueillement et d’oraison. On ne saurait goûter ensemble Dieu et le monde ; on porte à l’oraison pendant deux heures le même cœur qu’on a pendant toute la journée.

Après avoir retranché les choses superflues qui vous dissipent, il faut tâcher de vous renouveler souvent dans la présence de Dieu, au milieu même de celles qui sont de devoir et de nécessité, afin que vous n’y mettiez point trop de votre action naturelle. Il faut tâcher d’agir sans cesse par grâce et par mort à soi. On y parvient doucement, en suspendant souvent la rapidité d’un tempérament vif, pour écouter Dieu intérieurement, et pour le laisser prendre possession de soi.

LSP 120.*A LA MÊME (Z)

Il y a bien longtemps que je ne vous ai renouvelé les assurances de mon attachement en Notre-Seigneur : il est néanmoins plus grand que jamais. Je souhaite de tout mon cœur que vous trouviez toujours dans votre communauté la paix et la consolation que vous y avez goûtées dans les commencements. Pour être content des meilleures personnes, il faut se contenter de peu, et supporter beaucoup. Les personnes les plus parfaites ont bien des imperfections ; nous en avons aussi de grandes. Nos défauts, joints aux leurs, nous rendent le support mutuel très difficile: mais on accomplit la loi de Jésus-Christ en portant les fardeaux réciproques. Il en faut faire une charitable compensation. Le fréquent silence, le recueillement habituel, l’oraison, le détachement de soi-même, le renoncement à toutes les curiosités de critique, la fidélité à laisser tomber toutes les vaines réflexions d’un amour-propre jaloux et délicat servent beaucoup à conserver la paix et l’union. O qu’on s’épargne de peines par cette simplicité ! Heureux qui ne s’écoute point, et qui n’écoute point aussi les discours des autres !

Contentez-vous de mener une vie simple selon votre état. D’ailleurs, obéissez, portez vos petites croix journalières: vous en avez besoin, et Dieu ne vous les donne que par pure miséricorde. Le grand point est de vous mépriser sincèrement, et de consentir à être méprisée, si Dieu le permet. Ne vous nourrissez que de lui. Saint Augustin dit que sa mère ne vivait que d’oraison : vivez-en, et mourez à tout le reste. On ne vit à Dieu que par mort continuelle à soi-même.

LSP 121.*A LA MÊME (Z)

Je ne suis nullement surpris d’apprendre que l’impression de la mort est plus vive en vous à mesure que l’âge et l’infirmité vous la font voir de plus près. Je la ressens aussi. Il y a un âge où la mort se fait considérer plus souvent et par des réflexions plus fortes. D’ailleurs il y a un temps de retraite, où l’on a moins de distractions par rapport à ce grand objet. Dieu se sert même de cette rude épreuve pour nous désabuser de notre courage, pour nous faire sentir notre faiblesse, et pour nous tenir bien petits dans sa main.

Rien n’est plus humiliant qu’une imagination troublée, où l’on ne peut plus retrouver son ancienne confiance en Dieu. C’est le creuset de l’humiliation, où le cœur se purifie par le sentiment de sa faiblesse et de son indignité. Aucun vivant, dit le Saint-Esprit, ne sera justifié devant vous. Il est encore écrit que les astres mêmes ne sont pas assez purs aux yeux de notre juge. Il est certain que nous l’offensons tous en beaucoup de choses549. Nous voyons nos fautes, et nous ne voyons pas nos vertus. Il nous serait même très dangereux de les voir, si elles sont réelles.

Ce qu’il y a à faire est de marcher toujours tout droit et sans relâche avec cette peine, comme nous tâchions de marcher dans la voie de Dieu avant que de sentir ce trouble. Si cette peine nous faisait voir en nous quelque chose à corriger, il faudrait être d’abord fidèle à cette lumière, mais le faire avec dépendance d’un bon conseil, pour ne point tomber dans le scrupule. Ensuite il faut demeurer en paix, n’écouter point l’amour-propre qui s’attendrit sur soi à la vue de notre mort; se détacher de la vie, la sacrifier à Dieu, et s’abandonner à lui avec confiance. On demandait à saint Ambroise mourant, s’il n’était pas peiné par la crainte des jugements de Dieu. Il répondit: nous avons un bon maître. C’est ce qu’il faut nous répondre à nous-mêmes. Nous avons besoin de mourir dans une incertitude impénétrable, non seulement des jugements de Dieu sur nous, mais encore de nos propres dispositions. Il faut, comme saint Augustin le dit, que nous soyons réduits à ne pouvoir présenter à Dieu que notre misère et sa miséricorde. Notre misère est l’objet propre de la miséricorde, et cette miséricorde est notre unique titre. Lisez, dans vos états de tristesse, tout ce qui peut nourrir la confiance et soulager votre cœur. O Israël, que Dieu est bon à ceux qui ont le cœur droit! Demandez-lui cette droiture de cœur qui lui plaît tant, et qui le rend si compatissant à nos faiblesses.

LSP 122.*A LA MÊME (Z) [fin de 1713 ou de 1714 ?].

Il faut se détacher de la vie. C’est par la douleur et par les maladies qu’on fait son apprentissage pour la mort. Sacrifions de bon cœur à Dieu une vie courte, fragile et pleine de misères ; c’est se procurer un mérite devant Dieu, en renonçant à ce qui n’est digne que de mépris.

Laissez faire votre supérieure et votre communauté qui prennent soin de vous conserver. La simplicité consiste à se laisser juger par ses supérieurs, à leur obéir après leur avoir représenté sa pensée, à faire dans cette obéissance ce qu’on voudrait que les autres fissent, et à ne se plus écouter soi-même après qu’on a dit ce qu’on croit convenable.

Demeurez en paix dans votre solitude, sans prêter l’oreille aux disputes présentes550. Bornez-vous à écouter l’Église sans raisonner. On est heureux quand on veut bien être pauvre d’esprit; cette pauvreté intérieure doit être notre unique trésor. Les savants mêmes ne savent plus rien dès qu’ils ne sont plus de petits enfants entre les bras de leur mère. Parlez à Dieu pour la paix de l’Église, et ne parlez point aux hommes. Le silence humble et docile sera votre force. Portez patiemment votre croix, qui est l’infirmité. Voilà votre vocation présente; se taire, obéir, souffrir, s’abandonner à Dieu pour la vie et pour la mort, c’est votre pain quotidien. Ce pain est dur et sec ; mais il est au-dessus de toute substance551, et très nourrissant dans la vie de la foi, qui est une mort continuelle de l’amour-propre.

LSP 123.*A LA MÊME (Z)

J’ai remarqué que vous comptiez un peu trop sur votre recueillement et sur votre ferveur. Dieu a retiré ces dons sensibles pour vous en détacher, pour vous apprendre combien vous êtes faible par votre propre fonds, et pour vous accoutumer à servir Dieu sans ce goût qui facilite les vertus. On fait beaucoup plus pour lui en faisant les mêmes choses sans plaisir et avec répugnance. Je fais peu pour mon ami quand je le vais voir à pied en me promenant, parce que j’aime la promenade, et que j’ai d’excellentes jambes avec lesquelles je me fais un très grand plaisir de marcher: mais si je deviens goutteux, tous les pas que je fais me coûtent beaucoup ; je ne marche plus qu’avec douleur et répugnance : alors les mêmes visites que je rendais autrefois à mon ami, et dont il ne me devait pas tenir un grand compte, commencent à être d’un nouveau prix ; elles sont la marque d’une très vive et très forte amitié; plus j’ai de peine à les lui rendre, plus il doit m’en savoir gré ; un pas a plus de mérite que cent n’en avaient autrefois. Je ne dis pas ceci pour vous flatter, et pour vous remplir d’une vaine confiance. A Dieu ne plaise ! C’est seulement pour vous empêcher de tomber dans une très dangereuse tentation, qui est celle du découragement et du trouble. Quand vous êtes dans l’abondance et dans la ferveur intérieure, comptez alors pour rien vos bonnes œuvres, qui coulent, pour ainsi dire, de source. Quand, au contraire, vous vous sentez dans la sécheresse, l’obscurité, la pauvreté, et presque l’impuissance intérieure, demeurez petite sous la main de Dieu en état de foi nue ; reconnaissez votre misère ; tournez-vous vers l’amour tout-puissant, et ne vous défiez jamais de son secours. O qu’il est bon de se voir dépouillé des appuis sensibles qui flattent l’amour-propre, et réduit à reconnaître cette parole du Saint-Esprit: Nul vivant ne sera justifié devant vous!

Marchez toujours, au nom de Dieu, quoiqu’il vous semble que vous n’ayez pas la force ni le courage de mettre un pied devant l’autre. Tant mieux que le courage humain vous manque. L’abandon à Dieu ne vous manquera pas dans votre impuissance. Saint Paul s’écrie: c’est quand je suis faible que je suis forte. Et quand il demande à être délivré de sa faiblesse, Dieu lui répond : c’est dans l’infirmité que la vertu se perfectionne. Laissez-vous donc perfectionner par l’expérience de votre imperfection, et par un humble recours à celui qui est la force des faibles. Occupez-vous, avec une liberté simple, dans l’oraison, de tout ce qui vous aidera à être en oraison, et qui nourrira en vous le recueillement. Ne vous gênez point. Soulagez votre imagination, tantôt impatiente et tantôt épuisée : servez-vous de tout ce qui pourra la calmer, et vous faciliter un commerce familier d’amour avec Dieu. Tout ce qui sera de votre goût et de votre besoin, dans ce commerce d’amour, sera bon. Là où est l’esprit de Dieu, là est la liberté. Cette liberté simple et pure consiste à chercher naïvement dans l’oraison la nourriture de l’amour qui nous occupe le plus facilement du bien-aimé. Votre pauvreté intérieure vous ramènera souvent au sentiment de votre misère. Dieu, si bon, ne vous laissera pas perdre de vue combien vous êtes indigne de lui, et votre indignité vous ramènera aussitôt à sa bonté infinie. Courage ! l’œuvre de Dieu ne se fait que par la destruction de nous-mêmes. Je le prie de vous soutenir, de vous consoler, de vous appauvrir, et de vous faire sentir cette aimable parole : Bienheureux les pauvres d’esprit552.

LSP 124.*A LA MÊME (Z)

Je suis ravi de ce que vous êtes si contente de votre retraite, et de ce que Dieu vous donne autant de paix au dedans qu’au dehors. Je prie celui qui a commencé en vous cette bonne œuvre, qu’il l’achève jusques au jour de Jésus-Christ. Il ne vous reste qu’à profiter de ces temps qui coulent avec tant de paix, pour vous recueillir. Il faut chanter dans votre cœur cet amen et cet alléluia dont retentit la céleste Jérusalem553. C’est un acquiescement continuel à la volonté de Dieu, et un sacrifice sans réserve de la nôtre pour faire la sienne.

Il faut en même temps écouter Dieu intérieurement, avec un cœur dégagé de tous les préjugés flatteurs de l’amour-propre, pour recevoir fidèlement sa lumière sur les moindres choses à corriger en nous. Quand Dieu nous montre ce qu’il faut corriger, il faut céder aussitôt sans raisonner ni s’excuser, et abandonner, quoi qu’il en coûte, tout ce qui blesse la sainte jalousie de l’Époux. Quand on se livre ainsi à l’esprit de grâce pour mourir à soi, on découvre des imperfections jusque dans les meilleures œuvres, et on trouve en soi un fonds inépuisable de défauts raffinés.

Alors on dit, avec horreur de soi, que Dieu seul est bon. On travaille à se corriger d’une façon simple et paisible, mais continuelle, égale, efficace, et d’autant plus forte que tout le cœur y est réuni sans trouble et sans partage. On ne compte en rien sur soi, et on n’espère qu’en Dieu : mais on ne se flatte ni ne se relâche point. On connaît que Dieu ne nous manque jamais, et que c’est nous qui lui manquons sans cesse. On n’attend point la grâce ; on reconnaît que c’est elle qui nous prévient et qui nous attend : on la suit, on s’y abandonne ; on ne craint que de lui résister dans la voie simple des vertus évangéliques. On se condamne sans se décourager; on se supporte en se corrigeant.

Pour votre santé, il faut la ménager avec précaution : elle a toujours été très faible ; elle doit l’être plus que jamais. À un certain âge, il ne faut plus rien prendre sur le corps ; il ne faut abattre que l’esprit.

LSP 125.*A LA MÊME (Z)

Je comprends sans peine que l’âge et les infirmités vous font regarder la mort de près bien plus sérieusement que vous ne la regardiez autrefois de loin. Une vue éloignée et confuse, qu’on n’a dans le monde que dans certains moments, qu’avec de fréquentes distractions, n’est que comme un songe: mais cette même vue rapproche et réalise tristement l’objet, quand on le voit souvent dans la solitude et dans l’actuel affaiblissement de l’âge. Il ne coûte presque rien de s’abandonner de loin et en passant ; mais s’abandonner de près, et avec un regard fixe de la mort, est un grand sacrifice.

Il faut vouloir sa destruction, malgré le soulèvement de la nature et l’horreur qu’elle fait sentir. Feu M. Olier prenait sa main dans les derniers jours de sa vie, et lui disait: « Corps de péché, tu pourriras bientôt. O éternité, que vous êtes près de moi ! » Il n’est nullement question de sentir de la joie de mourir; cette joie sensible ne dépend point de nous. Combien de grands Saints ont été privés de cette joie ! Contentons-nous de ce qui dépend de notre volonté libre et prévenue par la grâce. C’est de ne point écouter la nature, et de vouloir pleinement ce qu’il ne nous est pas donné de goûter. Que la nature rejette ce calice si amer; mais que l’homme intérieur dise avec Jésus-Christ: cependant, qu’il arrive non ce que je voudrais, mais ce que vous voudrez. Saint François de Sales distingue le consentement d’avec le sentiment. On n’est pas maître de sentir; mais on l’est de consentir, moyennant la grâce de Dieu.

Attendez la mort, sans vous en occuper tristement d’une façon qui abat le corps et qui affaiblit la santé. On attend assez la mort quand on tâche de se détacher de tout; quand on s’humilie paisiblement sur ses moindres fautes avec le désir de les corriger; quand on marche en la présence de Dieu ; quand on est simple, docile, patient dans l’infirmité; quand on se livre à l’esprit de grâce pour agir dans sa dépendance ; enfin quand on cherche à mourir à soi en toute occasion, avant que la mort corporelle arrive. Mettez vos fautes à profit pour vous confondre ; supportez le prochain : oubliez l’oubli des hommes ; l’ami fidèle, l’époux du cœur ne vous oubliera jamais.


Au duc de Bourgogne

Le duc de Bourgogne fut porteur de l’espoir de réformer le royaume très chrétien. Initialement bloqué psychologiquement par « Monseigneur » le dauphin son père et par les critiques - voire des oppositions durant une des campagnes militaires difficiles de la fin de règne - de membres d’une cabale majoritaire qui courtisait Monseigneur en l’attente du décès de Louis XIV, le duc se révèle ferme lorsqu’il devient à son tour le dauphin. Mais sa disparition soudaine dissipe les illusions de membres des cercles mystiques guyonniens, en premier lieu de Fénelon et des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse qui s’étaient soudainement sentis tout proches du pouvoir 554.

1239. AU DUC DE BOURGOGNE A Cambray le 16 septembre [1708].

Monseigneur,

Je ne suis consolé des mécomptes que vous éprouvez, que par l’espérance du fruit que D[ieu] vous fera tirer de cette épreuve. […] La prospérité est un torrent qui vous porte; en cet état, tous les hommes vous encensent et vous vous enivrez de cet encens. Mais l’adversité est un torrent qui vous entraîne, et contre lequel il faut se roidir sans relâche. Les grands princes ont plus de besoin que tout le reste des hommes des leçons de l’adversité. C’est d’ordinaire ce qui leur manque le plus. Ils ont besoin de contradiction pour apprendre à se modérer, comme les gens d’une médiocre condition ont besoin d’appui. Sans la contradiction les princes ne sont point dans les travaux des hommes, et ils oublient l’humanité. Il faut qu’ils sentent que tout peut leur échapper, que leur grandeur même est fragile, et que les hommes qui sont à leurs pieds leur manqueraient, si cette grandeur venait à leur manquer. […].

1972. Au DUC DE BOURGOGNE [vers 1702]

… Il est temps 555 que vous montriez au monde une maturité et une vigueur d’esprit proportionnées au besoin présent556. Saint Louis, à votre âge, était déjà les délices des bons et la teneur des méchants. Laissez donc tous les amusements de l’âge passé: faites voir que vous pensez et que vous sentez tout ce que vous devez penser et sentir. Il faut que les bons vous aiment, que les méchants vous craignent, et que tous vous estiment. Hâtez-vous de vous corriger, pour travailler utilement à corriger les autres.

La piété n’a rien de faible, ni de triste, ni de gêné : elle élargit le cœur; elle est simple et aimable ; elle se fait toute à tous pour les gagner tous557. Le royaume de Dieu ne consiste point dans une scrupuleuse observation de petites formalités : il consiste pour chacun dans les vertus propres à son état. Un grand prince ne doit point servir Dieu de la même façon qu’un solitaire ou qu’un simple particulier. …



À des correspondants connus

60. AU CHEVALIER COLBERT. Paris, lundi 6 juin [1689].

Je crois, Monsieur, que la dernière lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire a répondu à toutes les demandes que vous me faites. Il n’est question maintenant pour vous, que de vous occuper doucement des sujets que vous avez pris; il est vrai seulement que vous devez rendre cette occupation la plus simple que vous pourrez, et voici comment :

Ne vous chargez point d’un grand nombre de pensées différentes sur chaque sujet; mais arrêtez-vous aussi longtemps à chacune qu’elle pourra donner quelque nourriture à votre cœur. Peu à peu vous vous accoutumerez à envisager les vérités fixement, et sans sauter de l’une à l’autre. Ce regard fixe et constant de chaque vérité servira à les approfondir davantage dans votre cœur. Vous acquerrez l’habitude de vous arrêter dans vos sujets par goût et par acquiescement paisible; au lieu que la plupart des gens ne font que les considérer par un raisonnement passager. Ce sera le vrai fondement de tout ce que Dieu voudra peut-être faire dans la suite en vous : il amortira même par là l’activité naturelle de l’esprit, qui voudrait toujours découvrir des choses nouvelles, au lieu de s’enfoncer davantage dans celles qu’il connaît déjà. Il ne faut pourtant pas se forcer d’abord pour continuer à méditer une vérité, lorsqu’on n’y trouve plus aucun suc : je propose seulement de ne la quitter que quand vous sentez qu’elle n’a plus rien à vous fournir pour votre nourriture.558

153. À LA DUCHESSE DE NOAILLES. [Vers 1690].

Vous êtes plus solide que le monde ne croit559, mais vous l’êtes moins que vous ne pensez. Vous êtes bonne amie, fidèle, secrète [discrète], généreuse, pleine de goût et de discernement pour le vrai mérite, sensible à l’amitié des gens estimables, pleine d’insinuation [séduction], et d’un certain tour noble pour servir, sachant dire à propos ce qui est utile. Vous avez de la pénétration, de la prévoyance, des expédients [moyens] faciles, avec une droiture et une probité très délicate. Vous avez même une sincère religion, à laquelle je me fierais plus qu’à celle d’un grand nombre de demi-dévots. Mais, avec tant de qualités, un seul défaut vous rend frivole. C’est que vous ne pouvez vous contraindre560. Vous donnez de beaux noms à cette faiblesse. Vous l’appelez sincérité, liberté; vous vous savez bon gré de n’être ni rampante, ni hypocrite, ni empressée pour la faveur; mais vous vous trompez vous-même, pour n’avoir rien à vous reprocher. Il faudrait penser sérieusement et de suite à devenir meilleure que vous n’êtes, et à vous corriger courageusement de vos défauts. La crainte de passer pour hypocrite ou pour faible dévote, ne doit point vous empêcher d’être une bonne chrétienne. Il y a de la lâcheté à n’oser s’approcher de Dieu, par une mauvaise honte pour le monde. Non seulement il faudrait se vaincre pour Dieu, mais il faudrait encore se vaincre pour ses intérêts à l’égard des hommes. C’est se piquer d’honneur hors de propos, que de ne vouloir pas se contraindre dans des choses indifférentes, pour plaire aux hommes dont on a besoin.

Votre famille ne vous est pas indifférente; elle ne peut se passer de la Cour. Tous les projets de s’en passer ne peuvent être que chimériques561. Vous devez donc vous accommoder à ses goûts, dans toutes les choses où vous le pourrez sans blesser la véritable bienséance. Ce qui pourrait vous mettre au goût de la cour, bien loin d’être contraire à la véritable bienséance, vous corrigerait de ce qui y est contraire. Vous avez un air de légèreté et de vivacité que rien n’arrête. Il faut connaître à fond votre bon esprit et vos sentiments, pour se rassurer sur cette vivacité pleine de saillies. Riez tant qu’il vous plaira avec des gens sûrs et choisis qui n’aient pas l’air de rire trop, et qui sachent ne rire qu’à propos. Mais faites un personnage sérieux et mesuré. Promettez dans vos manières toute la solidité qu’on trouve quand on vous pénètre. De plus, ne mêlez point le jeu d’esprit dans les matières les plus sérieuses. Vous éludez l’avis le plus important par une plaisanterie, et vous défendez en riant des maximes fausses dont vous n’avez jamais été détrompée, parce que vous n’avez jamais écouté assez sérieusement, ni approfondi la vérité. Vous croyez en être quitte en disant que vous ne sauriez vous changer; et en effet, c’est la crainte de vous contraindre, qui fait que vous craignez de voir clair, et de prendre les choses plus sérieusement. Vous ne croyez personne; encore si vous vouliez bien vous croire vous-même, votre raison vous mènerait loin vers le bien. Mais ce n’est pas votre raison, c’est votre goût que vous suivez; et vous n’employez votre esprit qu’à autoriser ce qui vous plaît, ou à tourner en ridicule les vérités qui vous pressent trop. Voilà ce qui mêle je ne sais quoi de frivole avec toutes les qualités solides dont vous êtes remplie. Dieu et le monde seraient d’accord à cet égard; car, si vous pouviez prendre sur vous de vous assujettir à une règle, en un moment tout ce qui fait la solidité se trouverait rassemblé en vous. Il ne vous manque qu’un peu plus de réflexion sérieuse sur les grandes vérités, et un peu plus de courage contre votre goût562.

588. LSP 215. À LA MARQUISE D’ALÈGRE [Février 1699 ?]

J’apprends, Madame, que Dieu vous donne des croix, et j’y prends part de tout mon cœur. En tout temps, j’ai été sensible à tout ce qui pouvait vous toucher563 ; mais l’expérience ajoute encore un nouveau degré de sensibilité en moi pour les souffrances d’autrui. Heureux qui souffre ! Je le dis au milieu de l’occasion même, et pour vous et pour moi, heureux qui souffre d’un cœur doux et humble ! Ce qui est le bon plaisir de Dieu ne va jamais trop loin. Si nous étions maîtres de nos souffrances, nous ne souffririons jamais assez pour mourir à nous-mêmes. Dieu, qui nous connaît mieux que nous ne pouvons nous connaître, et qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons nous aimer, en sait la juste mesure, et ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. L’amour adoucit toutes les souffrances, et l’on ne souffre tant que parce qu’on n’aime point, ou qu’on aime peu. Dieu vous veut toute à lui, et ce n’est que sur la croix qu’il prend sa pleine possession. Je garde maintenant le silence à l’égard de tous mes anciens amis, et je ne le romps pour vous, Madame, qu’à cause que vous êtes dans l’amertume, et que cette bienheureuse société de croix demande un épanchement de cœur pour se soutenir dans l’affliction. Je suis avec zèle et respect, etc.

667. À L’ABBÉ DE LANGERON564

… Je ne crois pas avoir exhorté M. de Bl[ainville] à voir fort souvent la bonne P.D.565, mais enfin il croit suivre mon conseil, et lui est un surcroît de peine. C’est de quoi je suis sensiblement affligé. Mais il n’y a que quinze jours que je l’ai prié bien sérieusement dans une lettre de ne venir point cet été à Cambray. Tort ou non, je l’ai fait. Quelle apparence de lui mander si tôt après tout le contraire? que pourrait-il penser? Après tout le Roi est certainement indigné contre moi, et le fait assez voir ". M. de Bl[ainville] n’est pas comme vous et comme Leschelle 19. Il est actuellement domestique du Roi, et un de ses grands officiers". Doit-il aller voir un homme contre lequel le Roi paraît si indigné? Je vous le demande. Mais supposons que je me sois trompé, en décidant qu’il ne doit pas venir. Sur quoi paraîtrai-je tout à coup changer? Peut-être pourriez-vous, la bonne P.D. et vous, lui conseiller tous deux de venir de Laon au Casteau me surprendre un jour, malgré les avis de discrétion pour lui que je lui ai donnés. Vous lui recommanderiez de ne rester ici qu’un jour, afin que cela parût moins. Mais vous voyez bien que cette visite, si courte qu’elle fût, serait sue à Cambray, et mandée à Versailles. …

668 A. De SŒUR A.-M. DES FONTAINES A FÉNELON [20 juillet 1700].

Monseigneur,

Ce n’est tout au plus que d’une année à l’autre que je suis importune à Votre Grandeur, mais je suis toujours excusable puisque c’est la confiance jointe au profond respect que j’ai en vous qui me fait prendre la liberté de vous supplier très humblement de prier Dieu pour moi. Si vous saviez, Monseigneur, le besoin que j’en ai, vous auriez, j’en suis sûre, compassion de moi. Quoique je n’aie point de directeur pour éviter bien des inconvénients, l’on ne laisse pas de me gêner beaucoup et de vouloir que ma prière soit oisive et suspecte dès que je cesse de m’agiter par des mouvements empressés et inquiets qui me sont insupportables, plus je veux quelquefois m’y assujettir crainte de suivre ma propre volonté et moins je puis prier. Il n’y a que Dieu seul qui connaisse ma situation et ce que je souffre. […]566.

761. Au MARQUIS DE LOUVILLE. À Cambray, 10 octobre 1701.

[longue lettre qui évoque la célèbre « lettre à Louius XIV » et fournit un aperçu sur une « morale de mystique »]567.



Je vous dirai, sans rien savoir, par aucun canal, de ce qui peut se passer dans votre cour, que vous ne sauriez trop vous borner à vos fonctions précises, ni trop vous défier des hommes. C’est par excès d’amitié, que je me mêle de vous parler ainsi. Rendez votre esprit patient; défiez-vous de vos premières et même de vos secondes vues; suspendez votre jugement; approfondissez peu à peu. Ne faites de mal à personne, mais fiez-vous à très peu de gens. Point de plaisanterie sur aucun ridicule; nulle impatience sur aucun travers; nulle vivacité pour vos préjugés contre ceux d’autrui. Embrassez les choses avec étendue pour les voir dans leur total, qui est leur seul point de vue véritable. Ne dites jamais que la vérité; mais supprimez-la toutes les fois que vous la diriez inutilement par humeur ou par excès de confiance. Evitez, autant que vous le pourrez, les ombrages et les jalousies. Si modeste que vous puissiez être, vous n’apaiserez jamais les esprits jaloux. La nation au milieu de laquelle vous vivez est ombrageuse à l’infini, et l’est avec une profondeur impénétrable. Leur esprit naturel, faute de culture, ne peut atteindre aux choses solides, et se tourne tout entier à la finesse: prenez-y garde. […]J’avoue que c’est un grand point à un roi, que d’être intrépide à la guerre. Mais le courage de la guerre est bien moins d’usage à un si grand prince, que le courage des affaires. Quand se trouvera-t-il au milieu d’un combat? Peut-être jamais. Il sera au contraire tous les jours aux prises avec les autres et avec lui-même au milieu de sa cour. Il lui faut un courage à toute épreuve contre un ministre artificieux, contre un favori indiscret, contre une femme qui voudra être sa maîtresse. Il lui faut du courage contre les flatteurs, contre les plaisirs, contre les amusements qui le jetteraient dans l’inapplication. Il faut qu’il soit courageux dans le travail, dans les mécomptes, dans le mauvais succès. Il faut du courage contre l’importunité, pour savoir refuser sans rudesse et sans impatience. […]

1027. LSP 1. À JOSEPH-CLÉMENT DE BAVIÈRE, ÉLECTEUR DE COLOGNE. À Cambray, 30 décembre 1704.

Monseigneur568,

… Si vous voulez enfin être évêque569, Monseigneur, au nom de Dieu gardez-vous bien de l’être à demi. […] Il faut désespérer de soi, pour pouvoir bien espérer en lui. Vous êtes naturellement bon, juste, sincère, compatissant, et généreux. Vous êtes même sensible à la religion et elle a jeté de profondes racines dans votre cœur. Mais votre naissance vous a accoutumé à la grandeur mondaine, et vous êtes environné d’obstacles pour la simplicité apostolique. La plupart des grands princes ne se rabaissent jamais assez, pour devenir les serviteurs en J[ésus]C[hrist] des peuples sur lesquels ils ont l’autorité. Il faut pourtant qu’ils se dévouent à les servir, s’ils veulent être leurs pasteurs : nos autem servos vestros per Jesum570.

Il n’y a que la seule oraison qui puisse former un véritable évêque parmi tant de difficultés. Accoutumez-vous, Monseigneur, à chercher Dieu au dedans de vous. C’est là que vous trouverez son royaume: regnum Dei intra vos est 571. On le cherche bien loin de soi par beaucoup de raisonnements. On veut trop goûter le plaisir de la vertu, et flatter son imagination, sans songer à soumettre sa raison aux vues de la foi, et sa volonté à celle de Dieu. Il faut lui parler avec confiance de vos faiblesses et de vos besoins. Vous ne sauriez jamais le faire avec trop de simplicité. L’oraison n’est qu’amour. L’amour dit tout à Dieu, car on n’a à parler au bien-aimé que pour lui dire qu’on l’aime, et qu’on veut l’aimer : non nisi amando colitur, dit S. Augustin572. Il faut non seulement lui parler, mais encore l’écouter. Que ne dira-t-il point, si on l’écoute? Il suggérera toute vérité. Mais on s’écoute trop soi-même pour pouvoir l’écouter. Il faudrait se faire taire, pour écouter Dieu : audiam quid loquatur in me Dominus 573. On connaît assez le silence de la bouche, mais on ne comprend point celui du cœur. L’oraison bien faite, quoique courte, se répandrait peu à peu sur toutes les actions de la journée. Elle donnerait une présence intime de Dieu, qui renouvellerait les forces en chaque occasion. Elle réglerait le dehors et le dedans. On n’agirait que par l’esprit de grâce. On ne suivrait ni les promptitudes du tempérament, ni les empressements, ni les dépits de l’amour-propre. On ne serait ni hautain ni dur dans sa fermeté, ni mou ni faible dans ses complaisances. On éviterait tout excès, toute indiscrétion, toute affectation, toute singularité. On ferait à peu près les mêmes choses qu’on fait. Mais on les ferait beaucoup mieux, avec la consolation de les faire pour Dieu, et sans recherche de son propre goût. …

1261. À MICHEL CHAMILLART [20 novembre 1708].

Monsieur,

[longue lettre « sociale » adressée au contrôleur général des finances]574

[…] 3° J’ai proposé à plusieurs personnes de vendre leur blé avec le mien. Aucun ne veut rien vendre au Roi, tant ils craignent des retardements et des mécomptes. Je ne vois rien à espérer de ce côté-là. Ainsi je ne puis vous offrir que mon seul blé, et même que celui d’une seule année, parce que j’avais tout vendu à vil prix pour bâtir dès le printemps dernier.

4° Vous agréerez, s’il vous plaît, Monsieur, que je réserve du blé tant pour ma subsistance, dans un lieu de passage continuel, où je suis seul à faire les honneurs à tous les passants, que pour les pauvres qui sont innombrables en ce pays, depuis que notre voisinage est ruiné, et que la cherté augmente. On vous a très mal informé, si on vous a fait entendre que j’avais vingt mille sacs de blé. Je ne puis avoir dans tout le cours de l’année qu’environ onze mille mesures de blé, chaque mesure pesant environ quatre-vingt-quatre livres. Cette mesure vaut actuellement au marché plus de deux écus, et le prix augmentera tous les jours. Ainsi le total de ce blé montera au moins à soixante et dix mille francs. Vous prendrez, Monsieur, sur ce total la quantité qu’il vous plaira, et au prix que vous voudrez. Je n’ai aucune condition à vous proposer, et c’est à vous à les régler toutes. Je ne réserverai pour mes besoins, pour ceux des pauvres qu’il ne m’est pas permis d’abandonner, et pour les gens qui sont accoutumés à aborder chez moi en passant, que ce que vous voudrez bien me laisser. Je serai content pourvu que je fasse mon devoir vers le Roi, et que vous soyez persuadé du zèle avec lequel je serai le reste de ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. À Cambray le 20 novembre 1708. FR. A. D. DE CAMBRAY.575

199. LSP 3. À J. N. COLBERT, ARCHEVÊQUE DE ROUEN. À Versailles, 8 avril [1692].

J’apprends, Monseigneur, que M. Mansard vous a donné de grands desseins de bâtiments pour Rouen et pour Gaillon. Souffrez que je vous dise étourdiment ce que je crains là-dessus. La sagesse voudrait que je fusse plus sobre à parler; mais vous m’avez défendu d’être sage, et je ne puis retenir ce que j’ai sur le cœur. Vous n’avez vu que trop d’exemples domestiques (des engagements insensibles dans ces sortes d’entreprises. La tentation se glisse d’abord doucement; elle fait la modeste de peur d’effrayer, mais ensuite elle devient tyrannique. On se fixe d’abord à une somme fort médiocre; on trouverait même fort mauvais que quelqu’un crût qu’on veut aller plus loin; mais un dessein en attire un autre; on s’aperçoit qu’un endroit de l’ouvrage est déshonoré par un autre, si on n’y ajoute un autre embellissement. Chaque chose qu’on fait paraît médiocre et nécessaire : le tout devient superflu et excessif. Cependant les architectes ne cherchent qu’à engager; les flatteurs applaudissent; les gens de bien se taisent, et n’osent contredire. On se passionne au bâtiment comme au jeu; une maison devient comme une maîtresse. En vérité, les pasteurs, chargés du salut de tant d’âmes, ne doivent pas avoir le temps d’embellir des maisons. Qui corrigera la fureur de bâtir, si prodigieuse en notre siècle, si les bons évêques mêmes autorisent ce scandale ? Ces deux maisons, qui ont paru belles à tant de cardinaux et de princes, même du sang, ne vous peuvent-elles pas suffire ? N’avez-vous point d’emploi de votre argent plus pressé à faire ? Souvenez-vous, Monseigneur, que vos revenus ecclésiastiques sont le patrimoine des pauvres ; que ces pauvres sont vos enfants, et qu’ils meurent de tous côtés de faim. Je vous dirai, comme dom Barthélemi des Martyrs disait à Pie IV, qui lui montrait ses bâtiments : Die ut lapides isti panes fiant.

Espérez-vous que Dieu bénisse vos travaux, si vous commencez par un faste de bâtiments qui surpasse celui des princes et des ministres d’État qui ont logé où vous êtes ? Espérez-vous trouver dans ces pierres entassées la paix de votre cœur ? Que deviendra la pauvreté de J.C., si ceux qui doivent le représenter cherchent la magnificence ? Voilà ce qui avilit le ministère, loin de le soutenir; voilà ce qui ôte l’autorité aux pasteurs. L’Évangile est dans leur bouche, et la gloire mondaine est dans leurs ouvrages. J. C. n’avait pas où reposer sa tête ; nous sommes ses disciples et ses ministres, et les plus grands palais ne sont pas assez beaux pour nous !

J’oubliais de vous dire qu’il ne faut point se flatter sur son patrimoine. Pour le patrimoine comme pour le reste, le superflu appartient aux pauvres : c’est de quoi jamais casuiste, sans exception, n’a osé douter. Il ne reste qu’à examiner de bonne foi ce qu’on doit appeler superflu. Est-ce un nom qui ne signifie jamais rien de réel dans la pratique ? Sera-ce une comédie que de parler du superflu ? Qu’est-ce qui sera superflu, sinon des embellissements, dont aucun de vos prédécesseurs, même vains et profanes, n’a cru avoir besoin ? Jugez-vous vous-même, Monseigneur, comme vous croyez que Dieu vous jugera. Ne vous exposez point à ce sujet de trouble et de remords pour le dernier moment, qui viendra peut-être plus tôt que nous ne croyons. Dieu vous aime; vous voulez l’aimer, et vous donner sans réserve à son Église ; elle a besoin de grands exemples, pour relever le ministère foulé aux pieds. Soyez sa consolation et sa gloire; montrez un cœur d’évêque qui ne tient plus au monde, et qui fait régner J. C. Pardon, Monseigneur, de mes libertés; je les condamne, si elles vous déplaisent. Vous connaissez le zèle et le respect avec lequel je vous suis dévoué. FÉNELON

1124. À G. DE SÈVE DE ROCHECHOUART [Février 1707?].

… Les hommes qui portent le nom de chrétiens n’ont plus la même simplicité, la même docilité, la même préparation d’esprit et de cœur.576. Il faut regarder la plupart de nos fidèles comme des gens qui ne sont chrétiens que par leur baptême reçu dans leur enfance sans connaissance ni engagement volontaire. Ils n’osent en rétracter les promesses, de peur que leur impiété ne leur attire l’horreur du public. Ils sont même trop inappliqués et trop indifférents sur la religion, pour vouloir se donner la peine de la contredire. Ils seraient néanmoins fort aises de trouver sans peine sous leur main, dans les livres qu’on nomme divins, de quoi secouer le joug, et flatter leurs passions. À peine peut-on regarder de tels hommes comme des catéchumènes. Les catéchumènes qui se préparaient autrefois au martyre en même temps qu’au baptême, étaient infiniment supérieurs à ces chrétiens qui n’en portent le nom que pour le profaner. D’un autre côté les pasteurs ont perdu cette grande autorité que les anciens pasteurs savaient employer avec tant de douceur et de force. Maintenant les laïques sont toujours prêts à plaider contre leurs pasteurs devant les juges séculiers, même sur la discipline ecclésiastique. Il ne faut pas que les évêques se flattent sur cette autorité. Elle est si affaiblie, qu’à peine en reste-t-il des traces dans l’esprit des peuples. On est accoutumé à nous regarder comme des hommes riches et d’un rang distingué, qui donnent des bénédictions, des dispenses et des indulgences. Mais l’autorité qui vient de la confiance, de la vénération, de la docilité et de la persuasion des peuples, est presque effacée. On nous regarde comme des seigneurs qui dominent, et qui établissent au-dehors une police rigoureuse. Mais on ne nous aime point comme des pères tendres et compatissants qui se font tout à tous. Ce n’est point à nous qu’on va demander conseil, consolation, direction de conscience. …

1954. Au P. LE TELLIER [6 janvier 1715].

Je viens de recevoir l’extrême-onction. C’est dans cet état, mon Révérend Père, où je me prépare à aller paraître devant Dieu, que je vous prie instamment de représenter au Roi mes véritables sentiments…


À des religieuses

355. LSP 23. À UNE RELIGIEUSE. [À Versailles, avant le 13 mars 1696 ?].

… Pour tous les dons extraordinaires, il me semble qu’il y a deux règles importantes à observer, faute desquelles les plus grands dons de Dieu même se tournent en illusion. La première de ces règles est de croire qu’un état de pure et nue foi est plus parfait que l’attachement à ces lumières et à ces dons. Quand on s’attache à ces dons, on s’attache à ce qui n’est que moyen, et peut-être même moyen trompeur. De plus, ces moyens remplissent l’âme d’elle-même, et augmentent sa vie propre, au lieu de la désapproprier et de la faire mourir. Au contraire, l’état de pure et nue foi dépouille l’âme, lui ôte toute ressource en elle-même et toute propriété, la tient dans des ténèbres exemptes de toute illusion, car on ne se trompe qu’en croyant voir ; enfin ne lui laisse aucune vie, et l’unit immédiatement à sa fin, qui est Dieu même.

La seconde règle, qui n’est qu’une suite de la première, est de n’avoir jamais aucun égard aux lumières et aux dons qu’on croit recevoir, et d’aller toujours par le non-voir, comme parle le bienheureux Jean de la Croix. Si le don est véritablement de Dieu, il opérera par lui-même dans l’âme, quoiqu’elle n’y adhère pas. Une disposition aussi parfaite que la simplicité de la pure foi, ne peut jamais être un obstacle à l’opération de la grâce. Au contraire, cet état étant celui où l’âme est plus désappropriée de tous ses mouvements naturels, elle est par conséquent plus susceptible de toutes les impressions de l’esprit de Dieu. Alors si Dieu lui imprimait quelque chose, cette chose passerait comme au travers d’elle, sans qu’elle y eût aucune part. Elle verrait ce que Dieu lui ferait voir, sans aucune lumière distincte, et sans sortir de cette simplicité de la pure foi dont nous avons parlé. Si, au contraire, ces lumières et ces dons ne sont pas véritablement de Dieu, on évite une illusion très dangereuse en n’y adhérant pas : d’où il s’ensuit qu’il faut toujours également, dans tous les cas, non seulement pour la sûreté, mais encore pour la perfection de l’âme, outrepasser les plus grands dons, et marcher dans la pure foi, comme si on ne les avait pas reçus. Plus on a de peine à s’en déprendre, plus ils sont suspects de plénitude et de propriété ; au lieu que l’âme doit être entièrement nue et vide pour la vraie opération de Dieu en elle. Tout ce qui est goût et ferveur sensible, image créée, lumière distincte et aperçue, donne une fausse confiance, et fait une impression trop vive; on les reçoit avec joie, et on les quitte avec peine. Au contraire, dans la nudité de la pure foi, on ne voit rien et on ne veut rien voir, on n’a plus en soi ni pensée ni volonté; on trouve tout dans cette simplicité générale, sans s’arrêter à rien de distinct; on ne possède rien, mais on est possédé. Je conclus que le plus grand bien qu’on puisse faire à une âme, c’est de la déprendre de ces lumières et de ces dons, qui peuvent être un piège, et qui tout au moins sont certainement un milieu entre Dieu et elle.

Pour les austérités, elles ne sont pas exemptes d’illusions non plus que le reste ; l’esprit se remplit souvent de lui-même à mesure qu’il abat la chair. Une marque certaine que l’âme nourrit une vie secrète dans les mortifications du corps, c’est de voir qu’elle tient à ces mortifications, et qu’elle a regret à les quitter. La mortification de la chair ne produit pas la mort de la volonté. Si la volonté était morte, elle serait indifférente dans la main du supérieur, et également souple en tout sens. Ainsi plus on a d’attachement à ses mortifications extérieures, moins le fond de l’âme est réellement mortifié. Si Dieu avait des desseins d’attirer une âme à des austérités extraordinaires, ce serait toujours par la voie du renoncement total à sa pensée et à sa volonté propre. Mais tel qui est insatiable de mortification des sens, manque de courage pour supporter la profonde mort qui est dans le renoncement à toute propre volonté. …

1953. À UNE RELIGIEUSE. À Cambray, 30 décembre 1714.

Je reçois, Madame, diverses lettres où l’on me presse de plus en plus de vous voir au plus tôt, de m’ouvrir à vous sans réserve, et de vous engager à la même ouverture. Je ne sais d’où me viennent ces lettres. Je suppose que ces personnes, inconnues pour moi, sont instruites à fond des grâces que Dieu vous fait. Je serais ravi d’en profiter, quoique je n’aie jamais eu aucune occasion de vous voir. Je me recommande même de tout mon cœur à vos prières. Enfin je vous conjure de me faire savoir en toute simplicité tout ce que vous auriez peut-être au cœur de me dire. Il me semble que je le recevrais avec reconnaissance et vénération. Vous pouvez compter sur un secret inviolable. Pour ce qui est de vous aller voir, je ne manquerais pas de le faire, si vous étiez dans mon diocèse ; mais vous savez mieux qu’une autre les réserves qui sont nécessaires dans toutes les communautés. Un tel voyage surprendrait tout le pays, et pourrait même vous causer de l’embarras. Les lettres sont sans éclat. Je recevrai avec ingénuité, et même, je l’ose dire, avec petitesse, tout ce que vous croirez être selon Dieu et venir de son esprit. Quoique je sois en autorité pastorale, je veux être, pour ma personne, le dernier et le plus petit des enfants de Dieu. Je suis prêt, ce me semble, à recevoir des avis, et même des corrections, de toutes les bonnes âmes. Je ne cherche qu’à être sans jugement et sans volonté propre dans les mains de l’Église notre sainte mère. Parlez donc en pleine liberté, si Dieu vous donne quelque chose pour mon édification personnelle. Je voudrais être soumis, comme parle l’apôtre, à toute créature humaine 3, pour mourir à mon amour-propre et à mon orgueil. C’est sur les lettres de gens inconnus que je vous parle avec tant de franchise. Vous ne me connaissez point. Je ne devrais pas, selon la sagesse humaine, faire ces avances : mais j’ai ouï dire que vous cherchez Dieu. En voilà assez pour un homme qui ne veut chercher que lui. C’est avec la plus grande sincérité que je vous honore, Madame, et que je vous suis dévoué en notre Seigneur Jésus-Christ.

355. LSP 23 A UNE RELIGIEUSE.

[À Versailles, avant le 13 mars 1696 ?].

Vous pouvez avoir lu, dans sainte Thérèse, que tous les dons les plus éminents sont soumis à l’obéissance, et que la docilité est la marque qu’ils viennent de Dieu, faute de quoi ils seraient suspects. Supposé même qu’on se trouvât dans l’impuissance d’obéir, il faudrait avec esprit de soumission et de simplicité, exposer son impuissance, afin que les supérieurs y eussent l’égard qu’ils jugeraient à propos. On doit en même temps être tout prêt à essayer d’obéir aussi souvent que les supérieurs le demanderont, parce que ces impuissances ne sont souvent qu’imaginaires, et qu’on ne doit les croire véritables, qu’après avoir essayé souvent de les vaincre avec petitesse, souplesse et docilité.

Pour tous les dons extraordinaires, il me semble qu’il y a deux règles importantes à observer, faute desquelles les plus grands dons de Dieu même se tournent en illusion. La première de ces règles est de croire qu’un état de pure et nue foi est plus parfait que l’attachement à ces lumières et à ces dons. Quand on s’attache à ces dons, on s’attache à ce qui n’est que moyen, et peut-être même moyen trompeur. De plus, ces moyens remplissent l’âme d’elle-même, et augmentent sa vie propre, au lieu de la désapproprier et de la faire mourir. Au contraire, l’état de pure et nue foi dépouille l’âme, lui ôte toute ressource en elle-même et toute propriété, la tient dans des ténèbres exemptes de toute illusion, car on ne se trompe qu’en croyant voir ; enfin ne lui laisse aucune vie, et l’unit immédiatement à sa fin, qui est Dieu même.

La seconde règle, qui n’est qu’une suite de la première, est de n’avoir jamais aucun égard aux lumières et aux dons qu’on croit recevoir, et d’aller toujours par le non-voir, comme parle le bienheureux Jean de la Croix. Si le don est véritablement de Dieu, il opérera par lui-même dans l’âme, quoiqu’elle n’y adhère pas. Une disposition aussi parfaite que la simplicité de la pure foi, ne peut jamais être un obstacle à l’opération de la grâce. Au contraire, cet état étant celui où l’âme est plus désappropriée de tous ses mouvements naturels, elle est par conséquent plus susceptible de toutes les impressions de l’esprit de Dieu. Alors si Dieu lui imprimait quelque chose, cette chose passerait comme au travers d’elle, sans qu’elle y eût aucune part. Elle verrait ce que Dieu lui ferait voir, sans aucune lumière distincte, et sans sortir de cette simplicité de la pure foi dont nous avons parlé. Si, au contraire, ces lumières et ces dons ne sont pas véritablement de Dieu, on évite une illusion très dangereuse en n’y adhérant pas : d’où il s’ensuit qu’il faut toujours également, dans tous les cas, non seulement pour la sûreté, mais encore pour la perfection de l’âme, outrepasser les plus grands dons, et marcher dans la pure foi, comme si on ne les avait pas reçus. Plus on a de peine à s’en déprendre, plus ils sont. suspects de plénitude et de propriété ; au lieu que l’âme doit être entièrement nue et vide pour la vraie opération de Dieu en elle. Tout ce qui est goût et ferveur sensible, image créée, lumière distincte et aperçue, dorme une fausse confiance, et fait une impression trop vive; on les reçoit avec joie, et on les quitte avec peine. Au contraire, dans la nudité de la pure foi, on ne voit rien et on ne veut rien voir, on n’a plus en soi ni pensée ni volonté; on trouve tout dans cette simplicité générale, sans s’arrêter à rien de distinct; on ne possède rien, mais on est possédé. Je conclus que le plus grand bien qu’on puisse faire à une âme, c’est de la déprendre de ces lumières et de ces dons, qui peuvent être un piège, et qui tout au moins sont certainement un milieu entre Dieu et elle.

Pour les austérités, elles ne sont pas exemptes d’illusions non plus que le reste ; l’esprit se remplit souvent de lui-même à mesure qu’il abat la chair. Une marque certaine que l’âme nourrit une vie secrète dans les mortifications du corps, c’est de voir qu’elle tient à ces mortifications, et qu’elle a regret à les quitter. La mortification de la chair ne produit pas la mort de la volonté. Si la volonté était morte, elle serait indifférente dans la main du supérieur, et également souple en tout sens. Ainsi plus on a d’attachement à ses mortifications extérieures, moins le fond de l’âme est réellement mortifié. Si Dieu avait des desseins d’attirer une âme à des austérités extraordinaires, ce serait toujours par la voie du renoncement total à sa pensée et à sa volonté propre. Mais tel qui est insatiable de mortification des sens, manque de courage pour supporter la profonde mort qui est dans le renoncement à toute propre volonté.

La conclusion de tout ce grand discours, ma très honorée sœur, est qu’il me semble que vous devez laisser décider la mère prieure sur vos austérités, ne lui demandant ni d’en faire peu ni d’en faire beaucoup. Quand on marque un désir ardent, et qu’on demande des permissions, on les arrache. Ce n’est plus la simple volonté de la supérieure qu’on fait, c’est la sienne propre, à laquelle on plie celle de la supérieure. Votre maison a déjà beaucoup d’austérités ; n’y ajoutez que celles qu’on vous conseillera. Dieu saura les tourner à profit. Je vous suis toujours dévoué en lui.

LSP 27.*A UNE RELIGIEUSE

Je ne saurais vous exprimer, ma chère sœur, à quel point je ressens vos peines ; mais ma douleur n’est pas sans consolation. Dieu vous aime, puisqu’il ne vous épargne pas, et qu’il appesantit la croix de Jésus-Christ sur vous. Toutes les lumières et tous les sentiments de ferveur se tournent en illusion, si on n’en vient pas à la pratique réelle et continuelle de la mort à soi-même. On ne saurait mourir sans douleur, on ne saurait mourir qu’autant que la mort attaque tout ce qu’il y a de vif en nous. La mort que Dieu opère va chercher jusque dans les moelles et dans les jointures, pour diviser l’âme avec l’esprit. Dieu, qui voit en nous ce que nous n’y voyons pas, sait précisément où il faut appliquer l’opération de mort: il prend ce que nous craignons le plus de lui donner. La douleur montre la vie, et c’est la vie qui fait le besoin de la mort. Dieu ne s’arrêtera point à faire des incisions dans le mort ; il le ferait s’il voulait laisser vivre : mais il veut tuer, il coupe dans le vif. Il ne vous attaquera point dans des attachements profanes et grossiers, auxquels vous avez renoncé dès que vous vous êtes donnée à lui. Que peut-il donc faire ? Il vous éprouvera par le sacrifice de votre avidité pour les consolations, les plus spirituelles.

Il faut tout souffrir. La mort qu’il veut opérer en vous doit être volontaire. Vous ne mourrez à vous-même qu’autant que vous voudrez bien y mourir. Ce n’est pas mourir que de résister à la mort, et de la repousser. Il faut donc se délaisser volontairement au bon plaisir de Dieu, pour être privée de tous les secours, même spirituels, qu’il vous ôte. Que craignez-vous, personne de peu de foi ? Craignez-vous qu’il ne puisse pas suppléer par lui-même ce qu’il vous soustrait du côté des hommes ? Eh ! pourquoi vous le soustrait-il, sinon pour le suppléer, et pour purifier votre foi par cette douloureuse épreuve ? Je vois que tous les chemins sont fermés, et que Dieu veut faire son œuvre en vous par le retranchement de toute main d’homme pour l’accomplir. Il est jaloux ; il ne veut devoir qu’à lui seul ce qu’il veut faire en vous.

Entrez dans ses desseins, et laissez-vous y porter par sa providence. Gardez-vous bien de chercher des ressources dans les hommes, puisque Dieu vous les ôte ; ils n’ont que ce qui vient de lui. Pourquoi vous troubler quand la source vous ôte tout canal, et qu’elle se communique immédiatement à vous ? D’un côté, vous n’avez aucun sentiment qui ne soit pur, et entièrement soumis à l’Église: ainsi, quand vos supérieurs vous interrogent, vous n’avez qu’à leur dire avec ingénuité ce que vous pensez, et avec quelle docilité vous êtes prête à vous laisser redresser. D’un autre côté, vous n’avez qu’à vous taire, qu’à obéir, qu’à porter la croix. Tout est décidé pour vous par la règle de votre maison. Laissez les autres faire et dire, votre silence sera votre sagesse, et votre faiblesse sera votre force. À l’égard de vos communions, évitez tout ce qui pourrait engager un confesseur prévenu à faire des retranchements ; mais si l’on en faisait, il faudrait les porter en paix, et croire qu’on n’est jamais plus uni à Jésus-Christ, que quand on est souvent privé de lui par pure obéissance, sans s’attirer cette privation. Il sait combien je suis touché de vos peines, et avec quel zèle je suis, etc.

LSP 28.*A UNE RELIGIEUSE

Pour la discrétion577, je ne voudrais point que vous travaillassiez à l’acquérir par des efforts continuels de réflexion sur vous-même: il y aurait en cela trop de gêne. Il vaut mieux se taire, et trouver la discrétion dans la simplicité du silence. Il ne faut pourtant pas tellement se taire, que vous manquiez d’ouverture et de complaisance dans les récréations ; mais alors il ne faut parler que de choses à peu près indifférentes, et supprimer tout ce qui peut avoir quelque conséquence. Il faut dans ces récréations ce que saint François de Sales appelle joyeuseté, c’est-à-dire, se réjouir et réjouir les autres en disant des riens. C’est une science que Dieu vous donnera suivant le besoin. Vous deviendrez prudente quand vous ne tiendrez plus à votre propre esprit578. C’est celui de Dieu qui donne la véritable sagesse : le nôtre ne nous donne qu’une vaine composition, qu’un arrangement, qu’une apparence qui éblouit, qu’une fausse capacité. Quand on est bien simple et bien petit, à force de s’être dépouillé de sa propre sagesse, on est revêtu de celle de Dieu, qui ne fait point de fautes, et qui ne nous en laisse faire qu’autant que nous avons besoin d’être humiliés. […]

1567. LSP 24. À LA MÈRE MARIE DE L’ASCENSION [M.-M. DE CHANTÉRAC]. 19 juillet 1712.

J’espère, ma chère nièce579, que Dieu, qui vous a appelée à conduire vos sœurs, vous ôtera votre propre esprit, et vous donnera le sien pour faire son œuvre. L’œuvre de Dieu est de le faire aimer, et de nous détruire, afin qu’il vive seul en nous. Votre fonction est donc de faire mourir l’homme et aimer Dieu. Ne devez-vous pas mourir, pour faire mourir les autres ? ne devez-vous pas aimer, pour leur inspirer l’amour? Nulle instruction n’est efficace que par l’exemple. Nulle autorité n’est supportable qu’autant que l’exemple l’adoucit. Commencez donc par faire, et puis vous parlerez. L’action parle et persuade. La parole seule n’est que vanité. Soyez la plus petite, la plus pauvre, la plus obéissante, la plus recueillie, la plus détachée, la plus régulière de toute la maison. Obéissez à la règle, si vous voulez qu’on vous obéisse, ou, pour mieux dire, faites obéir, non à vous, mais à la règle, après que vous lui aurez obéi la première. Ne flattez aucune imperfection, mais supportez toutes les infirmités. Attendez les âmes qui vont lentement. Vous courriez risque de les décourager par votre impatience. Plus vous aurez besoin de force, plus il faudra y joindre de douceur et de consolation. Puisque le joug du Seigneur est doux et léger, pourquoi faut-il que celui des supérieurs soit rude et pesant ? Ou soyez mère par la tendresse et la compassion, ou ne la soyez point par la place. Il faut vous mettre par la condescendance aux pieds de toutes celles qui vous ont mise au-dessus de leur tête par leur élection. Souffrez. Ce n’est que par la croix qu’on reçoit l’esprit de Jésus-Christ et sa vertu pour gagner les âmes. Les supérieurs sans croix sont stériles pour former des enfants de grâce. Une croix bien soufferte nous acquiert une autorité infinie, et donne bénédiction à tout ce qu’on fait. Il ne fut montré à saint Paul les biens qu’il devait faire, qu’avec les maux qu’il devait souffrir. Ce n’est que par la souffrance qu’on apprend à compatir et à consoler. Prenez conseil des personnes expérimentées. Parlez peu. Écoutez beaucoup. Songez bien plus à connaître les esprits, et à vous proportionner à leurs besoins, qu’à leur dire de belles choses. Montrez un cœur ouvert, et faites que chacun voie par expérience, qu’il y a sûreté et consolation à vous ouvrir le sien. Fuyez toute rigueur. Corrigez même avec bonté et avec ménagement. Ne dites que ce qu’il faut dire; mais ne dites rien qu’avec une entière franchise. Que personne ne craigne de se tromper en vous croyant. Décidez un peu tard, mais avec fermeté. Suivez chaque personne sans la perdre de vue, et courez après, si elle vous échappe pour s’écarter. Il faut vous faire toute à tous les enfants de Dieu, pour les gagner tous. Corrigez-vous pour corriger les autres. Faites-vous dire vos défauts, et croyez ce qu’on vous dira de ceux que l’amour-propre vous cache. Je suis, ma chère nièce, plein de zèle pour vous, et dévoué à tous vos intérêts en notre Seigneur.

FRANÇOIS Duc DE CAMBRAY Prince du St Empire.


À des dames 

LSP 128.*A UNE DAME

Il me paraît nécessaire que vous joigniez ensemble une grande exactitude et une grande liberté. L’exactitude vous rendra fidèle, et la liberté vous rendra courageuse. Si vous vouliez être exacte sans être libre, vous tomberiez dans la servitude et dans le scrupule ; et si vous vouliez être libre sans être exacte, vous iriez bientôt à la négligence et au relâchement. L’exactitude seule nous rétrécit l’esprit et le cœur, et la liberté seule les étend trop. Ceux qui n’ont nulle expérience des voies de Dieu ne croient pas qu’on puisse accorder ensemble ces deux vertus. Ils comprennent par être exact, vivre toujours dans la gêne, dans l’angoisse, dans une timidité inquiète et scrupuleuse qui fait perdre à l’âme tout son repos, qui lui fait trouver des péchés partout, et qui la met si fort à l’étroit, qu’elle se dispute à elle-même jusqu’aux moindres choses, et qu’elle n’ose presque respirer. Ils appellent être libre, avoir une conscience large, n’y prendre pas garde de si près, se contenter d’éviter les fautes considérables, et ne compter pour fautes considérables que les gros crimes ; se permettre hors de là tout ce qui flatte subtilement l’amour-propre ; et, quelque licence qu’on se donne du côté des passions, se calmer et se consoler aisément, par la seule pensée qu’on n’y croyait pas un grand mal. Ce n’était pas ainsi que saint Paul concevait les choses, quand il disait à ceux à qui il avait donné la vie de la grâce, et dont il tâchait de faire des chrétiens parfaits : Soyez libres, mais de la liberté que Jésus-Christ vous a acquise; soyez libres, puisque le Sauveur vous a appelés à la liberté : mais que cette liberté ne vous soit pas une occasion ni un prétexte de faire le mal580.

Il me paraît donc que la véritable exactitude consiste à obéir à Dieu en toutes choses, et à suivre la lumière qui nous montre notre devoir, et la grâce qui nous y pousse; ayant pour principe de conduite de contenter Dieu en tout, et de faire toujours ce qui lui est non seulement agréable, mais, s’il se peut, le plus agréable, sans s’amuser à chicaner sur la différence des grands péchés et des péchés légers, des imperfections et des infidélités : car, quoiqu’il soit vrai que tout cela est distingué, il ne le doit pourtant plus être pour une âme qui s’est déterminée à ne rien refuser à Dieu de tout ce qu’elle peut lui donner. Et c’est en ce sens que l’Apôtre dit, que la loi n’est point établie pour le juste581. Loi gênante, loi dure, loi menaçante ; loi, si on l’ose dire, tyrannique et captivante : mais il a une loi supérieure qui l’élève au-dessus de tout cela, et qui le fait entrer dans la vraie liberté des enfants ; c’est de vouloir toujours faire ce qui plaît le plus au Père céleste, selon cette excellente parole de saint Augustin : «Aimez, et faites après cela tout ce que vous voudrez.582 »

Car si à cette volonté sincère de faire toujours ce qui nous paraît le meilleur aux yeux de Dieu, vous ajoutez de le faire avec joie, de ne se point abattre quand on ne l’a pas fait, de recommencer cent et cent fois à le mieux faire, d’espérer toujours qu’à la fin on le fera, de se supporter soi-même dans ses faiblesses involontaires comme Dieu nous y supporte, d’attendre en patience les moments qu’il a marqués pour notre parfaite délivrance, de songer cependant à marcher avec simplicité et selon nos forces dans la voie qui nous est ouverte, de ne point perdre le temps à regarder derrière soi ; de nous étendre et de nous porter toujours, comme dit l’Apôtre583, à ce qui est devant nous; de ne point faire sur nos chutes une multitude inutile de retours qui nous arrêtent, qui nous embarrassent l’esprit, et qui nous abattent le cœur; de nous en humilier et d’en gémir à la première vue qui nous en vient, mais de les laisser là aussitôt après pour continuer notre route; de ne point interpréter tout contre nous avec une rigueur littérale et judaïque ; de ne pas regarder Dieu comme un espion qui nous observe pour nous surprendre, et comme un ennemi qui nous tend des pièges, mais comme un père qui nous aime et nous veut sauver ; pleins de confiance en sa bonté, attentifs à invoquer sa miséricorde, et parfaitement détrompés de tout vain appui sur les créatures et sur nous-mêmes : voilà le chemin et peut-être le séjour de la véritable liberté.

Je vous conseille, autant que je puis, d’y aspirer. L’exactitude et la liberté doivent marcher d’un pas égal ; et en vous, s’il y en a une des deux qui demeure derrière l’autre, c’est, à ce qu’il me paraît, la liberté, quoique j’avoue que l’exactitude ne soit pas encore au point que je la désire : mais enfin je crois que vous avez plus besoin de pencher du côté de la confiance en Dieu et d’une grande étendue de cœur. C’est pour cela que je ne balance point à vous dire que vous devez vous livrer tout entière à la grâce que Dieu vous fait quelquefois de vous appliquer assez intimement à lui. Ne craignez point alors de vous perdre de vue, de le regarder uniquement et d’aussi près qu’il voudra bien vous le permettre, et de vous plonger tout entière dans l’océan de son amour: trop heureuse si vous pouviez le faire si bien, que vous ne vous retrouvassiez jamais. Il est bon néanmoins, lorsque Dieu vous donnera cette disposition, de finir toujours, quand la pensée vous en viendra, par un acte d’humilité et de crainte respectueuse et filiale, qui préparera votre âme à de nouveaux dons. C’est le conseil que donne sainte Thérèse584, et que je crois pouvoir vous donner.

LSP 199.*A UNE DAME

Vous n’avez, ma chère fille, qu’à porter vos infirmités, tant de corps que d’esprit. C’est quand je suis faible, dit l’Apôtre, que je me trouve fort585: la vertu se perfectionne dans l’infirmité. Nous ne sommes forts en Dieu, qu’à proportion que nous sommes faibles en nous-mêmes. Votre faiblesse fera donc votre force, si vous y consentez par petitesse.

On serait tenté de croire que la faiblesse et la petitesse sont incompatibles avec l’abandon, parce qu’on se représente l’abandon comme une force de l’âme, qui fait, par générosité d’amour et par grandeur de sentiments, les plus héroïques sacrifices. Mais l’abandon véritable ne ressemble point à cet abandon flatteur. L’abandon586 est un simple délaissement dans les bras de Dieu, comme celui d’un petit enfant dans les bras de sa mère. L’abandon parfait va jusqu’à abandonner l’abandon même. On s’abandonne sans savoir qu’on est abandonné: si on le savait, on ne le serait plus ; car y a-t-il un plus puissant soutien qu’un abandon connu et possédé ? L’abandon se réduit, non à faire de grandes choses qu’on puisse se dire à soi-même, mais à souffrir sa faiblesse et son impuissance, mais à laisser faire Dieu, sans pouvoir se rendre témoignage qu’on le laisse faire. Il est paisible, car il n’y aurait point de sincère abandon, si on était encore inquiet pour ne laisser pas échapper et pour reprendre les choses abandonnées. Ainsi l’abandon est la source de la vraie paix, et sans la paix l’abandon est très imparfait.

Si vous demandez une ressource dans l’abandon, vous demandez de mourir sans perdre la vie. Tout est à recommencer. Rien ne prépare à s’abandonner jusqu’au bout, que l’abandon actuel en chaque moment. Préparer et abandonner sont deux choses qui s’entredétruisent. L’abandon n’est abandon qu’en ne préparant rien. Il faut tout abandonner à Dieu, jusqu’à l’abandon même. Quand les Juifs furent scandalisés de la promesse que Jésus-Christ faisait de donner sa chair à manger, il dit à ses disciples : ne voulez-vous pas aussi vous en aller? 587 Il met le marché à la main de ceux qui tâtonnent. Dites-lui donc comme saint Pierre : Seigneur, à qui irions-nous? vous avez les paroles de vie éternelle.

LSP 160.*A UNE DAME

Dieu vous aime, puisqu’il a tant de jalousie à votre égard, et qu’il a soin de vous faire sentir jusqu’aux moindres fautes que vous commettez. Quand vous apercevrez quelque faute qui vous indispose pour l’oraison, contentez-vous de vous humilier sous la main de Dieu, et de recevoir cette interruption des grâces sensibles, comme la pénitence que vous avez méritée. Ensuite demeurez en paix; ne recherchez point par amour-propre ce plaisir qui peut vous venir de la société des bonnes gens qui vous honorent ; mais aussi ne vous faites point un scrupule de recevoir cette consolation quand la Providence vous l’envoie. Laissez tomber l’excès de sensibilité que vous éprouvez dans de telles consolations. Il suffit que votre volonté ne s’y livre pas, et que vous soyez sincèrement déterminée à vous en passer toutes les fois qu’elles cesseront.

Vous voulez savoir ce que Dieu demande de vous là-dessus ; et je vous réponds que Dieu veut que vous preniez ce qui vient, et que vous ne couriez point au-devant de ce qui ne se présente point. Recevez avec simplicité ce qui vous est donné, n’y regardant que Dieu seul qui vous le donne pour soutenir votre faiblesse, et portez avec foi la privation de toutes les choses dont Dieu vous prive pour vous détacher. Quand vous prendrez ainsi également les inégalités des hommes à votre égard, que Dieu permet tout exprès pour vous éprouver par ces espèce de secousses, vous verrez que les consolations ne vous saisiront plus jusqu’à vous dissiper et à troubler votre oraison, et que les privations ne se tourneront plus en découragement et en dépit.

Ne quittez point vos deux temps réglés d’oraison pour le matin et pour le soir. Ils sont courts : vous les passerez facilement, moitié ennui et distraction involontaires, moitié retour à votre occupation de Dieu. Pour le reste de la journée, laissez-vous aller au recueillement, à mesure que vous vous y trouverez disposée. Il faut seulement y mettre deux bornes l’une, qu’il ne vous détournera d’aucun de vos devoirs extérieurs; l’autre, que vous prendrez garde que ce recueillement n’épuise peu à peu votre tête et ne mine insensiblement votre très délicate santé.

Marchez avec confiance et sans crainte. La crainte resserre le cœur; la confiance l’élargit: la crainte est le sentiment des esclaves ; l’amour de confiance est le sentiment des enfants.

Pour vos misères, il faut vous accoutumer à les voir avec une sincère condamnation, sans vous impatienter ni décourager. Pour un travail paisible, par rapport à la correction, ramenez votre cœur, autant que vous le pourrez, au calme de l’oraison et à la présence familière de Dieu pendant la journée.

LSP 161.*A UNE DAME

Je comprends que toutes vos peines viennent de ce que vous voulez trop juger de vous-même, et de ce que vous en jugez par une fausse apparence, qui est votre sentiment. Dès que vous ne trouvez point un certain goût et un attrait sensible dans l’oraison, vous êtes tentée de vous décourager. Comme vous êtes dans une solitude sèche, triste et languissante, vous n’y avez guère d’autre soutien que le plaisir de goûter la piété : ainsi il n’est pas étonnant que vous vous trouviez abattue dès que cet appui vient à vous manquer. Voulez-vous être en paix ? occupez-vous moins de vous-même, et un peu plus de Dieu. Ne vous jugez point, mais laissez-vous juger avec une entière démission d’esprit par celui que vous avez choisi pour vous conduire. Il est vrai qu’on est souvent occupé de soi sans le vouloir, et que l’imagination nous fait souvent retomber dans cette occupation pénible : mais je ne vous demande point l’impossible ; je me borne à vouloir que vous ne soyez point occupée de vous-même par choix, et que vous n’entrepreniez point volontairement de juger de votre état par vos propres lumières. Dès que vous apercevez en vous cette occupation et ce jugement, détournez-en votre vue comme d’une tentation, et ne rendez pas volontaire, par une continuation de propos délibéré, ce qui commence par pure surprise d’imagination.

Au reste, ne croyez point que cette conduite que je vous conseille vous empêche de pratiquer la vigilance sur vous-même, que Jésus-Christ recommande dans l’Évangile. La plus parfaite manière de veiller sur soi est de veiller devant Dieu contre les illusions de l’amour-propre. Or une des plus dangereuses illusions de l’amour-propre est de s’attendrir sur soi, d’être sans cesse autour de soi-même, d’être occupé de soi d’une occupation empressée et inquiète, qui trouble, qui dessèche, qui resserre le cœur, qui ôte la présence de Dieu, enfin qui nous fait juger de nous-mêmes jusqu’à nous jeter dans le découragement. Dites comme saint Paul: Et même je ne me juge point ; vous n’en veillerez que mieux sur vos défauts pour les corriger, et sur vos devoirs pour les remplir, quoique vous ne soyez point volontairement dans ces occupations inquiètes d’amour-propre. Ce sera par amour pour Dieu que vous retrancherez d’une manière simple et paisible tout ce que cet amour vigilant et jaloux vous fera apercevoir d’imparfait et d’indigne du bien-aimé. Vous travaillerez à vous corriger sans impatience et sans dépit d’amour-propre contre vos faiblesses. Vous vous supporterez humblement sans vous flatter. Vous vous laisserez juger, et vous ne ferez qu’obéir.

Cette conduite va bien plus à mourir à soi-même que celle de suivre les délicatesses, les dépits, les impatiences de l’amour-propre sur la perfection. De plus, c’est prendre une fausse règle pour juger de soi, que d’en juger par les sentiments que l’on trouve au dedans de soi-même. Dieu ne nous demande que ce qui dépend de nous ; c’est précisément notre volonté qui dépend d’elle-même. Le sentiment n’est point en notre pouvoir; nous ne pouvons ni nous le donner ni nous l’ôter comme il nous plaît. Les plus endurcis pécheurs ont quelquefois, malgré eux, de bons mouvements. Les plus grands saints ont été violemment tentés par des sentiments corrompus dont ils avaient horreur. Ces sentiments ont même servi à les humilier, à les mortifier, à les purifier. La vertu, dit saint Paul, se perfectionne dans l’infirmité. Ce n’est donc pas le sentir, mais le consentir qui nous rend coupables.

Pourquoi donc croyez-vous être loin de Dieu quand vous ne pouvez pas le goûter? Sachez qu’il est tout auprès de ceux qui ont le cœur en tribulation et en sécheresse. Vous ne pouvez point vous donner par industrie ce goût sensible. Qu’est-ce que vous voulez aimer? Est-ce le plaisir de l’amour ou le bien-aimé? Si ce n’est que le plaisir de l’amour que vous cherchez, c’est votre propre plaisir, et non celui de Dieu, qui est l’objet de vos prétentions. On impose souvent à soi-même dans la vie intérieure. On se flatte de chercher Dieu, et on ne cherche que soi dans le culte divin. On ne quitte les plaisirs du monde, que pour se faire un plaisir raffiné dans la dévotion; et comme on ne tient à Dieu que par le plaisir, on ne tient plus à lui quand la source du plaisir tarit. Il ne faut jamais se priver de ce plaisir par une recherche volontaire des autres plaisirs qui rendent indigne de celui-là: mais enfin, quand ce plaisir manque, il faut continuer à aimer sans plaisir, et mettre la consolation à servir Dieu à ses dépens, malgré les dégoûts qu’on éprouve. O que l’amour est pur quand il se soutient sans aucun goût sensible ! O que tout s’avance quand on est tenté de croire tout perdu ! O que l’amour souffrant sur le Calvaire est au-dessus de l’amour enivré sur le Thabor ! On ne peut guère compter sur une âme qui n’a point encore été sevrée du lait des consolations spirituelles.

Je ne veux plus que vous soyez une dame sage, forte et vertueuse en grand ; je veux tout en petit. Soyez une bonne petite enfant.

LSP 162.*A UNE DAME

Il faut supposer qu’il se mêle beaucoup d’imagination, de sentiments, et même de sensibilité d’amour-propre dans notre oraison. De là vient que nous sommes dans une espèce d’ivresse quand notre imagination nous donne de belles images avec des sentiments de plaisir, et que nous sommes découragés dès que ces images et ces sentiments flatteurs nous manquent ; mais cette confiance dans le bon temps et ce découragement dans le mauvais ne sont que pure illusion. Il ne faudrait ni s’élever quand l’oraison est douce, ni s’abattre quand elle devient sèche et obscure. Le fond de l’oraison demeure toujours le même, pourvu qu’on ait toujours la même volonté d’être uni à Dieu, sans s’élever des dons sensibles, et sans s’abattre de leur privation. Dieu, par ces dons sensibles, soulage quelquefois notre imagination, il aide notre esprit, il soutient notre volonté faible et prête à succomber. Il retire aussi assez souvent ses secours pour nous empêcher de nous les approprier avec une vaine confiance, et pour nous accoutumer à sa présence malgré les distractions et les sécheresses. L’oraison n’est jamais si pure, que quand on la continue par fidélité, sans plaisir ni goût.

Il est vrai que, si cette présence vous est facilitée par la considération méthodique de quelques vérités particulières, il faut vous appliquer à ces vérités pour en nourrir votre cœur; mais si ces vérités ne servent point à faciliter la présence de Dieu, et si ce n’est qu’une inquiétude scrupuleuse, vous ne ferez que vous embrouiller en vous écoutant.

Il ne dépend point de vous de dissiper les distractions involontaires, l’ennui, le dégoût et l’obscurité. Ce qui dépend de vous, moyennant la grâce de Dieu, est la patience dans cet ennui, le retour paisible à la présence de Dieu quand vous apercevez la surprise des distractions, et la fidélité pour demeurer attachée à Dieu sans plaisir par une volonté sèche et nue.

Laissez tomber les pensées de vaine complaisance comme celles de découragement, et allez toujours votre train. Le tentateur ne cherche qu’ à vous arrêter ; en ne vous arrêtant point, vous vaincrez la tentation d’une façon simple et paisible.

1975. LSP 127. À UNE DAME. 1714.

… Pour moi588, je ne suis plus qu’un squelette qui marche et qui parle, mais qui dort et qui mange peu : mes occupations me surmontent, et je ne me couche jamais sans laisser plusieurs de mes devoirs en arrière. Un vaste diocèse est un accablant fardeau à soixante-trois ans. J’ai beaucoup trop d’affaires, et vous n’en avez peut-être pas assez pour éviter l’ennui ; mais la sagesse consiste à savoir s’amuser. Trompez-vous vous-même, Madame ; inventez des occupations qui vous raniment. Les jours sont longs, quoique les années soient courtes ; il faut accourcir les jours en se traitant comme un enfant ; cette enfance est une sagesse profonde. Souvenez-vous que vous ne feriez dans le plus beau monde, rien de plus solide que ce que vous faites dans la langueur et dans l’obscurité de votre solitude; vous entendriez beaucoup de mauvais discours ; vous verriez beaucoup de personnes importunes et méprisables avec des noms distingués ; vous seriez environnée de pièges et d’exemples contagieux; vous sentiriez les traits de l’envie la plus maligne; vous éprouveriez votre propre fragilité; vous auriez bien des fautes à vous reprocher. Il est vrai que vous paraîtriez être plus dans l’abondance; mais vous n’auriez qu’un superflu très dangereux : la vanité le dépenserait, et vous rendrait peut-être encore plus dérangée, et plus embarrassée que vous ne l’êtes; vous ne songeriez sérieusement, ni à Dieu, ni à vous, ni à la mort, ni à votre salut; vous seriez, comme les autres, enivrée, ensorcelée, endurcie. …



À des Inconnus

Il s’agit essentiellement de « morceaux choisis » par les disciples pour l’édition de 1718.

LSP 163*. À UN JEUNE HOMME

Vous ne devez point douter que votre santé ne me soit fort chère. Ce qui m’est encore plus cher, est votre fidélité à Dieu. Il ne s’agit point des douceurs et des consolations qu’on voudrait goûter en le servant. Il ne dépend pas même de notre travail de nous procurer toujours une ferveur sensible. Quoiqu’il ne faille jamais s’attirer cette privation par la moindre dissipation ou négligence volontaire, il faut néanmoins se passer de ces soutiens si consolants, et continuer avec une humble patience au milieu des ténèbres et des sécheresses quand Dieu nous y met. C’est même un grand profit pour une âme constante dans le bien, que de voir toute sa pauvreté et toute son impuissance. Il importe bien plus de sentir sa misère pour recourir à Dieu, que de goûter une consolation qui tente de vaine complaisance.

O mon cher enfant, toute la vie chrétienne consiste à mourir à soi pour vivre à Dieu. Il faut donc mourir sans cesse à toutes les vies secrètes et flatteuses de l’amour-propre. Il faut être jaloux contre l’amour-propre pour l’amour de Dieu. Il faut s’exécuter à tout moment pour préférer la volonté de Dieu aux goûts naturels. Voilà le vrai contrepoison de l’illusion dans la vie spirituelle. On ne s’égare sous de beaux prétextes de perfection, qu’en recherchant ce qui nous flatte au lieu de contenter Dieu, et qu’en voulant accommoder la piété à nos arrangements, au lieu d’ assujettir tous nos goûts à la croix de Jésus-Christ. La vie qui résiste à Dieu est une vie fausse et douloureuse ; au contraire, la mort qui cède à Dieu est une mort de paix et d’union avec la véritable vie. Cette bienheureuse mort est une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu’, et la vie des consolations mondaines est une vie trompeuse. O mon cher enfant, laissons-nous mourir à tout, afin que Jésus-Christ seul vive en nous.

LSP 176.*A UNE MALADE

J’apprends, ma chère fille, que votre santé n’est pas bonne, et mon cœur en souffre une sensible douleur, quoique je veuille pour vous tout ce que Dieu veut, comme je le veux pour moi-même. Je suis persuadé que vous acquiescez à tout, et qu’au lieu de lui donner vous lui laissez prendre tout ce qu’il lui plaît. On ne donne que du sien, et c’est ce que vous ne voulez pas avoir en ce monde ; mais un domestique laisse prendre par son maître le tout ou partie de ce que le maître lui a confié. Faites ainsi de votre vie corporelle. Mon âme est toujours dans mes mains; laissez-la passer dans celles de Dieu à son gré. O qu’on est vivant dans la vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu, quand on est mort à la fausse vie de la terre !

La véritable vie est inconnue et incompréhensible au monde insensé. Il y a même une infinité de sages et demi-dévots qui bornent leur dévotion à regarder de loin la mort avec une certaine soumission à la Providence, sans laisser Dieu opérer en eux le détachement foncier de la vie. Il n’y a que la mort de l’esprit qui prépare bien à celle du corps. Certaines gens pensent souvent à la mort du corps sans laisser mourir leur esprit: au contraire, la mort de l’esprit rend indifférent à la mort du corps, lors même qu’on n’en est pas directement occupé. Sainte Monique disait à son fils Augustin’: «Mon fils, il n’y a plus rien qui me plaise en cette vie; je ne sais plus ce que je fais ici-bas, ni pourquoi j’y suis, toute espérance y étant éteinte pour moi.» Voilà la mort après laquelle il ne coûte plus rien de mourir. Il n’y a de fausse vie que l’amour-propre ; il n’y a de véritable vie que l’amour de Dieu. Dès que l’amour de Dieu a pris toute la place de l’amour-propre, on est mort à toute fausse vie, et vivant de la véritable. Il n’y a de vie que dans cette heureuse mort.

Voilà le nouvel homme qui se renouvelle de jour en jour pendant que le vieux se corrompt. Faites cela et vous vivrez, dit Jésus-Chrise. Laissez Dieu être l’unique Dieu de votre cœur; qu’il y brise l’idole du moi; que vous ne pensiez plus à vous par amour propre ; que vous soyez uniquement occupée de Dieu, comme vous l’avez été du moi sous de beaux prétextes. Sacrifiez-le-moi à Dieu ; alors paix, liberté et vie, malgré la douleur, la faiblesse et la mort même.

Ménagez vos forces d’esprit et de corps. Supportez-vous avec petitesse. M[...].. est votre bâton : on porte le bâton dont on est soutenu. Que ne puis-je vous aller voir ! Mais que dis-je ? Dieu nous rapproche et nous unit ; je suis en esprit au milieu de vous tous589. Je prie Jésus enfant de vous apetisser de plus en plus. La force cachée de Jésus n’est que dans son enfance toute nue, toute pauvre d’esprit, tout abandonnée.

LSP 4*À UN SUPÉRIEUR DE COMMUNAUTÉ

Vous vous laissez trop aller, Monsieur, à la vivacité de vos sentiments. Vous ne vous êtes point mis dans la place où vous êtes ; c’est la Providence qui vous y a engagé. […] Accoutumez ceux que vous gouvernez à vous montrer leurs imperfections avec confiance : montrez-leur un cœur de père, et une condescendance qui aille aussi loin que les règles essentielles le permettront; attendez un chacun selon son besoin. Conduisez-les, non par des décisions générales, mais en vous proportionnant au besoin d’un chacun. Il faut se faire tout à tous par un discernement de grâce, et supporter les faibles pendant qu’on perfectionne les forts. On voit même souvent le bout de son autorité ; si on la voulait pousser trop loin, on révolterait la multitude.

Il faut avoir égard à l’état où l’on a pris les inférieurs, et se souvenir des indispositions où l’on les a trouvés, pour se contenter de peu. […] Après avoir tâché de dire la vérité et de la développer, il faut attendre qu’elle fasse elle-même ce que nous ne pouvons pas exécuter, qui est de persuader les hommes et de se faire aimer d’eux.

Faites donc ce que vous pourrez au jour la journée, et ne prétendez pas procurer la gloire de Dieu plus qu’il ne la veut. Contentez-vous du pain quotidien de sa volonté: que voulez-vous de plus ? Lisez, mais préférez l’oraison à la lecture des livres de science. O que je souhaite que vous comptiez pour peu la science qui enfle, et que vous ne viviez que de la charité qui édifie! Amortissez la curiosité et l’esprit naturel par le recueillement et par l’occupation familière de la présence de Dieu ; apaisez doucement votre imagination trop vive, pour écouter Dieu. C’est dans la prière seule que vous trouverez le conseil, le courage, la patience, la douceur, la fermeté, le ménagement des esprits. C’est là que vous apprendrez à gouverner sans trouble. C’est dans le silence, que Dieu vous ôtera votre esprit pour vous donner le sien. Il faut qu’il soit lui seul tout en toutes choses. Quand Dieu sera tout en vous, il atteindra d’un bout à l’autre avec force et douceur. Priez donc pour toutes choses. Vous ne sauriez trop prier. Si vous décidez et si vous agissez sans prière, votre propre esprit vous agitera beaucoup, vous attirera bien des contradictions, vous causera des doutes et des incertitudes très pénibles, et vous vous épuiserez à pure perte : mais, si vous êtes fidèle à la prière, votre purgatoire se changera en un paradis terrestre, et vous ferez plus de bien en un jour dans la paix, que vous n’en faites en un mois dans le trouble. Ne songez point à la distance des lieux. Ceux qui sont intimement unis en Dieu se trouvent sans cesse ensemble, au lieu que ceux qui habitent la même maison sans habiter le cœur de Dieu, sont dans un éloignement infini sous un même toit. Je suis, etc.

1238. LSP 5. À M.***. À C[ambrai] 11 septembre 1708.

Je suis fort aise, Monsieur, d’apprendre par vous-même, avec quelle application vous avez cherché la vérité, malgré vos anciennes préventions. Cette droiture vous attirera de grandes bénédictions pour votre conduite personnelle, pour votre ministère en faveur de votre troupeau. Rien n’est si important que la simplicité et la sincère défiance de son propre esprit. Si chacun était occupé de la prière, du recueillement, de la charité, du mépris de soi-même, et du renoncement à une vaine réputation d’esprit et de science, toutes les disputes seraient bientôt apaisées. […] Quels hommes font les schismes et les hérésies? Ce sont des hommes savants, curieux, critiques, pleins de leurs talents, animés par un zèle âpre et pharisaïque pour la réforme, dédaigneux, indociles, et impérieux. Ils peuvent avoir une régularité de mœurs, un courage roide et hautain, un zèle amer contre les abus, une application sans relâche à l’étude et à la discipline. Mais vous n’y trouverez ni douceur, ni support du prochain, ni patience, ni humilité, ni vraie oraison. […]. Je suis, Monsieur, très sincèrement tout à vous590. FR. AR. D. DE C.

LSP 37.*A UNE CONVERTIE

La lettre que vous m’avez écrite ne me laisse rien à désirer; elle dit tout pour le passé; elle promet tout pour l’avenir. A l’égard du passé, il ne reste qu’à l’abandonner à Dieu avec une humble confiance, et qu’à le réparer par une fidélité sans relâche. On demande des pénitences pour le passé : en faut-il de plus grandes et de plus salutaires, que de porter les croix présentes ? C’est bien réparer les vanités passées, que de devenir humble, et de consentir que Dieu nous rabaisse. La plus rigoureuse de toutes les pénitences est de faire en chaque jour et en chaque heure la volonté de Dieu plutôt que la sienne, malgré ses répugnances, ses dégoûts, ses lassitudes’. Ne songeons donc qu’au présent, et ne nous permettons pas même d’étendre nos vues avec curiosité sur l’avenir. Cet avenir n’est pas encore à nous; il n’y sera peut-être jamais. C’est se donner une tentation, que de vouloir prévenir Dieu, et de se préparer à des choses qu’il ne nous destine point. Quand ces choses arriveront, Dieu nous donnera les lumières et les forces convenables à cette épreuve. Pourquoi vouloir en juger prématurément, lorsque nous n’en avons encore ni la force ni la lumière? Songeons au présent qui presse : c’est la fidélité au présent qui prépare notre fidélité pour l’avenir.

À l’égard du présent, il me semble que vous n’avez pas un grand nombre de choses à faire. Voici celles qui me paraissent les principales :

1° Je crois que vous devez retrancher toute société qui pourrait non seulement vous porter à quelque mal grossier, mais encore réveiller en vous le goût de la vanité mondaine, vous dissiper, vous amollir, vous attiédir pour Dieu, vous dessécher le cœur pour vos exercices, et altérer votre docilité pour les conseils dont vous avez besoin. Heureusement vous vous trouvez dans un lieu éloigné du monde, où vous pouvez facilement rompre vos liens, et vous mettre dans la liberté des enfants de Dieu.

2° Il ne convient néanmoins ni à la bienséance de votre état, ni à votre besoin intérieur, que vous vous jetiez dans une profonde solitude. Il faut voir les gens qui ne donnent qu’un amusement modéré, aux heures où l’on a besoin de se délasser l’esprit. Il ne faut fuir que ceux qui dissipent, qui relâchent, qui vous embarquent malgré vous, et qui rouvrent les plaies du cœur: pour ces faux amis-là, il faut les craindre, les éviter doucement, et mettre une barrière qui leur bouche le chemin.

3° Il faut nourrir votre cœur par les paroles de la foi ; il faut faire chaque jour une lecture courte et longue, courte par le nombre de paroles qu’elle contient, mais longue par la lenteur avec laquelle vous la ferez. En la faisant, raisonnez peu, mais aimez beaucoup; c’est le cœur et non la tête qui doit agir. Ne lisez rien que pour l’appliquer d’abord à vos devoirs qu’il faut remplir, et à vos défauts qu’il faut corriger pour plaire à Dieu. Ne craignez point de laisser tomber votre livre dès qu’il vous mettra en recueillement. Vous ne sauriez lire rien de plus utile que les livres de saint François de Sales. Tout y est consolant et aimable, quoiqu’il ne dise aucun mot que pour faire mourir. Tout y est expérience, pratique simple, sentiment, et lumière de grâce. C’est être déjà avancé, que de s’être accoutumé à cette nourriture.

4° Pour l’oraison, vous ne sauriez la faire mal dans les bonnes dispositions où Dieu vous met, à moins que vous n’ayez trop l’ambition de la bien faire. Accoutumez-vous à entretenir Dieu, non des pensées que vous formerez tout exprès avec art pour lui parler pendant un certain temps, mais des sentiments dont votre cœur sera rempli. Si vous goûtez sa présence, et si vous sentez l’attrait de l’amour, dites-lui que vous le goûtez, que vous êtes ravie de l’aimer, qu’il est bien bon de se faire tant aimer par un cœur si indigne de son amour. Dans cette ferveur sensible, le temps ne vous durera guère, et votre cœur ne tarira point; il n’aura qu’à épancher de son abondance, et qu’à dire ce qu’il sentira. Mais que direz-vous dans la sécheresse, dans le dégoût, dans le refroidissement? Vous direz toujours ce que vous aurez dans le cœur. Vous direz à Dieu que vous ne trouvez plus son amour en vous, que vous ne sentez qu’un vide affreux, qu’il vous ennuie, que sa présence ne vous touche point, qu’il vous tarde de le quitter pour les plus vils amusements, que vous ne serez à votre aise que lorsque vous serez loin de lui et pleine de vous-même. Vous n’aurez qu’à lui dire tout le mal que vous connaîtrez de vous-même. Vous demandez de quoi l’entretenir. Eh ! n’y a-t-il pas là beaucoup trop de matière d’entretien ? En lui disant toutes vos misères, vous le prierez de les guérir. Vous lui direz : O mon Dieu, voilà mon ingratitude, mon inconstance, mon infidélité ! Prenez mon cœur; je ne sais pas vous le donner. Retenez-le après l’avoir pris ; je ne sais pas vous le garder. Donnez-moi au-dehors les dégoûts et les croix nécessaires pour me rappeler sous votre joug. Ayez pitié de moi malgré moi-même. Ainsi vous aurez toujours amplement à parler à Dieu, ou de ses miséricordes, ou de vos misères: c’est ce que vous n’épuiserez jamais. Dans ces deux états, dites-lui sans réflexion tout ce qui vous viendra au cœur, avec une simplicité et une familiarité d’enfant dans le sein de sa mère.

5° Occupez-vous pendant la journée de vos devoirs, comme de régler votre dépense selon votre revenu, veiller sur votre domestique pour ne permettre aucun scandale, travailler avec une douce autorité à achever l’éducation de vos enfants, satisfaire aux bienséances, enfin édifier tous ceux qui vous voient, sans parler jamais de dévotion.

Tout cela est simple, uni, modéré; tout cela rentre dans la vie la plus commune, mais tout cela ramène sans cesse à Dieu. O que vous aurez de consolation, si vous le faites ! Un jour dans la maison de Dieu, vaut mieux que mille dans les tabernacles des pécheurs.

LSP 86. [Réponses] À UN SEIGNEUR DE LA COUR

I. Comment offrirai-je à Dieu mes actions purement indifférentes : promenades ; cour au Roi ; visites à faire et à recevoir; habillement; propretés, comme laver ses mains, etc. ; lectures de livres d’histoire ; affaires de mes amis ou parents dont je suis chargé; autres amusements, chez des marchands, faire faire habits, équipages ? Je voudrais, pour chacune de ces choses, savoir une espèce de prière, ou de manière de les offrir à Dieu.

RÉPONSE. Les actions les plus indifférentes cessent de l’être, et elles deviennent bonnes, dès qu’on les fait avec l’intention de s’y conformer à l’œuvre de Dieu. Souvent même, elles sont meilleures et plus pures que certaines actions qui paraîtraient beaucoup plus vertueuses : 1° parce qu’elles sont moins de notre choix et plus dans l’ordre de la Providence, lorsqu’on a besoin de les faire; 2° parce qu’elles sont plus simples, et moins exposées à la vaine complaisance; 3° parce que, si on les prend avec modération et pureté de cœur, on y trouve plus à mourir à ses inclinations, que dans certaines actions de ferveur, où l’amour-propre se mêle; enfin, parce que ces petites occasions reviennent plus souvent, et fournissent une occasion secrète de mettre continuellement tous les moments à profit.

Il ne faut point de grands efforts ni des actes bien réfléchis, pour offrir ces actions qu’on nomme indifférentes. Il suffit d’élever un instant son cœur à Dieu, pour en faire une offre très simple. Tout ce que Dieu veut que nous fassions, et qui entre dans le cours des occupations convenables à notre état, peut et doit être offert à Dieu : rien n’est indigne de lui, que le péché. Quand vous sentez qu’une action ne peut être offerte à Dieu, concluez qu’elle n’est pas convenable à un chrétien ; du moins il faut le soupçonner, et s’en éclaircir. Je ne voudrais pas faire toujours une prière particulière pour chacune de ces choses : l’élévation de cœur dans le moment suffit. Cet usage doit être simple et aisé pour le rendre fréquent.

Pour les visites, emplettes, etc. comme il peut y avoir un danger de suivre trop son goût, j’ajouterais à l’élévation de cœur une demande de la grâce pour me modérer et pour me précautionner.

II. Dans la prière, et principalement en disant le bréviaire, j’ai fort peu d’attention, ou je suis des espaces de temps considérables que mon esprit est ailleurs, et il y a quelquefois longtemps qu’il est distrait lorsque je m’en aperçois. Je voudrais trouver un moyen ou pratique d’en être plus le maître.

RÉPONSE.

La fidélité à suivre les règles qui vous seront marquées, et à rappeler votre esprit toutes les fois que vous apercevrez sa distraction, vous attirera peu à peu la grâce d’être dans la suite moins distrait et plus recueilli. Cependant portez avec patience et humilité vos distractions involontaires : vous ne méritez rien de mieux. Faut-il s’étonner que le recueillement soit difficile à un homme si longtemps dissipé et éloigné de Dieu ?

III. À l’armée, comment offrir à Dieu les choses qui sont par-dessus mon devoir, tant pour la fatigue que pour le péril : comme aller à la tranchée, n’y étant pas commandé, par curiosité voir ce qui se fait, ou à une occasion, sans y être commandé de même, si le cas en arrive.

Dans les occasions périlleuses de la guerre, il est naturel de considérer l’aveuglement et la fureur des hommes, qui s’entretuent comme s’ils n’étaient pas déjà assez mortels. La guerre est une fureur que le démon a inspirée. Dieu ne laisse pas d’y présider, et d’en faire une action sainte, quand on y va sans ambition pour défendre sa patrie. Ainsi Dieu tire le bien même des plus grands maux. Ajoutez le néant et la fragilité de tout ce que le monde admire. Un petit morceau de plomb renverse en un moment la plus haute fortune. Dieu y conduit tout. Il a compté les cheveux de nos têtes; aucun ne tombera sans son ordre exprès. Non seulement il décide de la vie; mais la mort même, quand il la donne aux siens, n’a rien de terrible. C’est pour eux une miséricorde, afin de les enlever à la hâte du milieu des iniquités. Il brise le corps pour sauver l’âme, et pour lui donner un royaume éternel.

Comme il faut faire son devoir dans son poste avec toute l’intrépidité que la foi inspire, je crois qu’il faut aussi s’acquérir par là le droit de n’aller point chercher des dangers inutiles hors des fonctions de providence. S’il y a une bienséance générale pour toutes les personnes du même rang que vous, qui vous engage à aller à la tranchée ou ailleurs au péril, sans y être commandé, du moins ne faites là-dessus que ce que feront les gens sages et modérés. N’imitez point les gens qui se piquent de faire plus que tous les autres. C’est un grand soutien dans le péril, que de pouvoir penser que Dieu y mène ou par le devoir d’une charge, ou par une bienséance manifeste, fondée sur l’exemple des gens sages et modérés. Malheur à celui que la vanité y pousse ! il court risque d’être martyr de la vanité. Ne faites donc ni plus ni moins que les gens d’une valeur parfaite et modeste.

IV. Savoir s’il est à propos que je continue à écrire sur mes tablettes les fautes que je fais, et mes péchés, afin de ne pas courir le risque de les oublier, si j’en faisais l’examen seulement quand je vais à confesse ; et si on n’y trouve point d’inconvénient. J’excite en moi le plus que je puis le repentir de mes fautes ; mais avec cela, je n’ai pas encore senti aucune douleur véritable. Quand je fais l’examen les soirs, je vois des gens plus bien parfaits qui se plaignent de trop trouver; moi, je cherche, je ne trouve rien, et cependant il est impossible qu’il n’y ait dans ma conduite d’un jour bien des sujets de demander pardon à Dieu.

RÉPONSE. Pour l’examen, vous devez le faire chaque soir, mais simplement et courtement. Dans la bonne disposition où Dieu vous met, vous ne commettrez volontairement aucune faute considérable, sans vous la reprocher et vous en souvenir. Pour les petites fautes peu aperçues, quand même vous en oublieriez beaucoup, cet oubli ne doit pas vous inquiéter. Le soin d’écrire sur vos tablettes peut être trop scrupuleux : je le retrancherais pendant un mois, pour essayer.

Quant à la douleur vive et sensible de vos péchés, elle n’est pas nécessaire: Dieu la donne quand il lui plaît. La vraie et essentielle conversion du cœur consiste dans une volonté pleine de sacrifier tout à Dieu. Ce que j’appelle volonté pleine, c’est une disposition fixe et inébranlable de la volonté à ne réserver avec l’amour de Dieu aucune des affections volontaires qui peuvent en altérer la pureté, et à s’abandonner à toutes les croix qu’il faudra peut-être porter pour accomplir toujours, et en toutes choses, la volonté de Dieu. Ce renoncement sans réserve et cet abandon sans réserve sont la plus solide conversion. Pour la douleur sensible, quand on l’a, il en faut rendre grâces; quand on aperçoit qu’on ne l’a pas, il faut s’en humilier paisiblement devant Dieu, et, sans s’exciter à la produire par de vains efforts, se borner à être fidèle dans les occasions, et à regarder Dieu en tout.

Vous trouvez dans votre examen moins de fautes que les gens plus avancés et plus parfaits n’en trouvent : c’est que la lumière intérieure est encore médiocre. Elle croîtra, et la vue de vos infidélités croîtra à proportion. Il suffit, sans s’inquiéter, de tâcher d’être fidèle au degré de lumière présente, et de vous instruire par la lecture et par la méditation. Il ne faut pas vouloir entreprendre de prévenir les temps d’une grâce plus avancée, qui vous découvrira sans peine ce qu’une recherche inquiète ne vous montrerait pas, ou qu’elle vous montrerait sans fruit pour votre correction. Cela ne servirait qu’à vous troubler, qu’à vous décourager, qu’à vous épuiser, et même qu’à vous dessécher par une distraction continuelle. Le temps dû à l’amour de Dieu serait donné à des retours forcés sur vous-même, qui nourriraient secrètement l’amour-propre.

V. Dans mon oraison ou mes lectures méditées, mon esprit a peine à trouver quelque chose à dire à Dieu. Le cœur n’y est pas, ou bien il est inaccessible aux choses que l’esprit imagine.

RÉPONSE. Il n’est pas question de dire beaucoup à Dieu. Souvent on ne parle pas beaucoup à un ami qu’on est ravi de voir : on le regarde avec complaisance ; on lui dit souvent certaines paroles courtes qui ne sont que de sentiment. L’esprit n’y a point ou peu de par: on répète souvent ces mêmes paroles. C’est moins la diversité de pensées, que le repos et la correspondance du cœur, qu’on cherche dans le commerce de son ami. C’est ainsi qu’on est avec Dieu, qui ne dédaigne point d’être notre ami le plus tendre, le plus cordial, le plus familier et le plus intime. Dans les méditations, on se fait à soi-même des raisonnements courts et sensibles pour se convaincre, et pour prendre de bonnes mesures par rapport à la pratique, et cela est bon. Mais à l’égard de Dieu, un mot, un soupir, une pensée, un sentiment dit tout: encore même n’est-il pas question d’avoir toujours des transports et des tendresses sensibles; une bonne volonté toute nue et toute sèche, sans goût, sans vivacité, sans plaisir, est souvent ce qu’il y a de plus pur aux yeux de Dieu. Enfin, il faut se contenter de lui offrir ce qu’il donne lui-même, un cœur enflammé quand il l’enflamme, un cœur ferme et fidèle dans la sécheresse, quand il lui ôte le goût et la ferveur sensible. Il ne dépend pas toujours de vous de sentir; mais il dépend toujours de vous de vouloir. Ne songez donc qu’à bien vouloir également dans tous les temps; et laissez à Dieu le choix tantôt de vous faire sentir, pour soutenir votre faiblesse et votre enfance dans la vie de la grâce ; tantôt de vous sevrer de ce sentiment si doux et si consolant, qui est le lait des petits, pour vous humilier, pour vous faire croître, et pour vous rendre robuste dans les exercices violents de la foi, en vous faisant manger à la sueur de votre visage le pain des forts. Ne voudriez-vous aimer Dieu qu’autant qu’il vous fera goûter du plaisir en l’aimant? Ce serait cet attendrissement et ce plaisir que vous aimeriez, croyant aimer Dieu. Ce qu’on fait sans goût par pure fidélité est bien plus pur et plus méritoire, quoiqu’il paraisse d’abord moins fervent et moins zélé. Lors même que vous recevez avec reconnaissance les dons sensibles, préparez-vous par la pure foi aux temps où vous pourrez en être privé, et où vous succomberiez tout à coup, si vous n’aviez compté que sur cet appui. Pendant l’abondance de l’été, il faut faire provision pour les besoins de l’hiver.

J’oubliais de parler des pratiques qui peuvent, dans les commencements, faciliter le souvenir de cette offrande qu’on doit faire à Dieu de ces actions communes de la journée :

1° En former la résolution tous les matins, et s’en rendre compte à soi-même dans l’examen du soir.

2° N’en faire aucune que pour de bonnes raisons, ou de bienséance, ou de nécessité de se délasser l’esprit, etc. Ainsi, en s’accoutumant peu à peu à retrancher l’inutile, on s’accoutumera aussi à offrir ce qu’il est à propos de ne retrancher pas.

3° Le faire chaque fois qu’on entend sonner l’heure.

4° Se renouveler dans cette disposition toutes les fois qu’on est seul, afin qu’on se prépare mieux par là à s’en souvenir quand on sera en compagnie.

5° Toutes les fois qu’on se surprend soi-même dans une trop grande dissipation, qui va jusqu’à l’immodestie, ou à parler trop librement sur le prochain, se recueillir pour offrir à Dieu tout ce qu’on fera dans la suite de cette même conversation.

6° De recourir à Dieu avec confiance, pour agir selon son esprit, lorsqu’on entre dans quelque compagnie, ou dans quelque occupation qui peut faire tomber dans des fautes. La vue du danger doit avertir du besoin d’élever son cœur vers celui par qui on peut en être préservé.

LSP 88*. À UN MILITAIRE.

Gardez-vous bien, Monsieur, de prendre au hasard des passages de l’Écriture pour vous occuper devant Dieu; c’est le tenter: car, encore que toute l’Écriture soit inspirée pour instruire les hommes, tous les endroits ne sont ni également destinés à nous donner des instructions directes et immédiates, ni proportionnés à l’intelligence de chaque particulier, ni propres aux besoins de chaque fidèle. Choisissez donc les endroits qui conviennent davantage à votre état et à la correction de vos défauts. Cherchez ce qui inspire la vigilance, la confiance en Dieu, le courage contre soi-même, et la fidélité aux devoirs de sa condition. Joignez à cette lecture méditée une autre lecture dans la suite de la journée. Vous pouvez la prendre des Entretiens de saint François de Sales, qui vous instruiront du détail, vous en faciliteront les pratiques, vous encourageront, et vous montreront l’esprit d’amour libre et simple avec lequel il faut servir Dieu gaîment.

La considération de la grandeur et de la bonté de Dieu peut être souvent le sujet de vos réflexions; mais vous ne devez point vous mettre à méditer, sans avoir des paroles particulières qui arrêtent votre esprit peu accoutumé à demeurer tranquille devant Dieu. Vous perdriez votre temps, et votre cœur ne serait pas nourri. Il vous faut toujours un sujet certain, mais un sujet clair, simple, sur lequel vous ne fassiez aucune réflexion subtile. Demandez plutôt à Dieu des affections qui vous attachent à lui : car ce n’est point par l’esprit ni par le raisonnement qu’il attire les âmes, c’est par le mouvement du cœur et par l’abaissement de notre esprit. N’espérez pas parvenir dans la méditation à n’être plus distrait, cela est impossible ; tâchez seulement de profiter de vos distractions, en les portant avec une humble patience, sans vous décourager jamais. Chaque fois que vous les apercevez, retournez-vous tranquillement vers Dieu. L’inquiétude sur les distractions est une distraction plus dangereuse que toutes les autres.

Une petite demi-heure de lecture méditée de l’Évangile le matin, et le soir une lecture réglée des Entretiens de saint François de Sales, vous suffiront, puisque vous avez peu de temps à vous. Employez le reste du temps libre à lire des livres d’histoire, de fortifications, et de tout le reste qui est utile à un homme de votre rang. Jamais un moment de vide. Le moment où vous ne faites rien de réglé et de bon, est le moment où vous faites un très grand mal. Gourmandez-vous vous-même sans pitié sur la vie molle, oisive et amusée.

Pour vos actions, quand elles sont bonnes en elles-mêmes, repoussez toutes les réflexions sur les motifs qui vous les font faire. Vous ne finiriez jamais avec vous-même, vous vous troubleriez, vous tomberiez dans le découragement, et, par de vains raisonnements sur vos actions, vous perdriez tout le temps d’agir.

Il faut vous résoudre à mener une vie plus active que la vôtre. Vous devez voir les gens de votre condition ; mais il faut être gai, libre, affable ; rien de timide ni de sauvage. Demandez à Dieu qu’il vous ôte votre air timide et trop composé ; donnez-vous à Dieu quand vous allez voir les gens ; mais, pendant la conversation, ne soyez point distrait et rêveur, pour courir après la présence de Dieu qui vous échappe. Alors faites ce qu’il veut que vous fassiez, qui est d’être honnête et complaisant. Dans la suite, la présence de Dieu vous deviendra plus facile.

Ne prenez point la piété par un certain sérieux triste, austère et contraignant. Là où est l’esprit de Dieu, là est la vraie liberté. Si une fois vous l’aimez de tout votre cœur, vous serez presque toujours en joie avec le cœur au large. Si vous n’allez à lui qu’en juif, par la crainte, vous ne le trouverez point, et vous ne trouverez, au lieu de lui, que gêne et trouble de cœur.

Ne manquez jamais d’aller à toutes les choses où les autres vont, non seulement pour les occasions de danger, mais encore pour tout ce qui peut montrer votre assiduité à votre Prince.

Soyez bon ami, obligeant, officieux, ouvert ; cela vous fera aimer, et apaisera la persécution. Qu’on voie que ce n’est point par grimace ni par noirceur, mais par vraie religion et avec courage, que vous renoncez aux débauches des jeunes gens. D’ailleurs gaîté, discrétion, complaisance, sûreté de commerce, et nulle façon ; peu d’amis, beaucoup de connaissances passagères ; soin de plaire à ceux qui passent pour les plus honnêtes gens et dont l’estime décide, ou à ceux qui excellent dans le métier dont vous souhaitez vous instruire. Ne craignez point de les interroger quand vous serez parvenu à quelque commerce un peu libre avec eux.

LSP 202.*A UN MILITAIRE

N...591 n’aura jamais de repos, qu’autant qu’elle renoncera à s’en procurer. La paix de cette vie ne peut se trouver que dans l’incertitude. L’amour pur ne s’exerce que dans cette privation de toute assurance. Le moindre regard inquiet est une reprise de soi, et une infidélité contre la grâce de l’abandon. Laissons faire de nous à Dieu ce qu’il lui plaira: après que nous l’aurons laissé faire, point de soutien. Quand on ne veut point se voir soutenu, il faut être fidèle à l’attrait de la grâce, et puis s’abandonner.

Il faut qu’elle se délaisse dans les mains de Dieu. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes à lui592, dit saint Paul. L’abandon n’est réel que dans les occasions de s’abandonner.

Dieu est le même pour l’autre vie que pour celle-ci, également digne qu’on le serve pour sa gloire et pour son bon plaisir. Dans les deux cas, il veut également tout pour lui, et sa jalousie crible partout les âmes qui veulent le suivre. Le paradis, l’enfer et le purgatoire ont une espèce de commencement dès cette vie.

Je demande pour cette chère sœur une paix de pure foi et d’abnégation. On ne perd point cette paix, qui n’est exposée à aucun mécompte, parce qu’elle n’est fondée sur aucune propriété, sûreté, ni consolation. Je souhaite qu’elle ait le cœur en paix et en simplicité. J’ajoute en simplicité, parce que la simplicité est la vraie source de la paix. Quand on n’est pas simple, on n’est pas encore véritable enfant de la paix : aussi n’en goûte-t-on point les fruits. On mérite l’inquiétude qu’on se donne par les retours inutiles sur soi contre l’attrait intérieur. L’esprit de paix repose sur celui qui ne trouble point ce repos en s’écoutant soi-même au lieu d’écouter Dieu. Le repos, qui est un essai et un avant-goût du sabbat éternel, est bien doux ; mais le chemin qui y mène est un rude martyre. Il est temps (je dis ceci pour N…) de laisser achever Dieu après tant d’années : Dieu lui demande bien plus qu’aux commençants.

Je prie de tout mon cœur pour votre malade, dont les croix sont précieuses à Dieu. Plus elle souffre, plus je la révère en celui qui la crucifie pour la rendre digne de lui. Les grandes souffrances montrent tout ensemble et la profondeur des plaies qu’il faut guérir en nous, et la sublimité des dons auxquels Dieu nous prépare.

Pour vous, Monsieur, évitez la dissipation; craignez votre vivacité. Cette activité naturelle, que vous entretenez au lieu de l’amortir, fait tarir insensiblement la grâce de la vie intérieure. On ne conserve plus que des règles et des motifs sensibles ; mais la vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu593 s’altère, se mélange, et s’éteint faute de l’aliment nécessaire, qui est le silence du fond de l’âme. J’ai été affligé de ce que vous ne serviez pas ; mais c’est un dessein de pure miséricorde pour vous détacher du monde, et pour vous ramener à une vie de pure foi qui est une mort sans relâche. Ne donnez donc au monde que le temps de nécessité et de bienséance. Ne vous amusez point à des vétilles. Ne parlez que pour le besoin. Calmez en toute occasion votre imagination. Laissez tout tomber. Ce n’est point par l’empressement que vous cesserez d’être empressé. Je ne vous demande point un recueillement de travail et d’industrie ; je vous demande un recueillement qui ne consiste qu’à laisser tomber tout ce qui vous dissipe et qui excite votre activité. Je me réjouis de tout ce que vous trouvez de bon dans***. J’espère que vous la rendrez encore meilleure, en lui faisant connaître, par une pratique simple et uniforme, combien la vraie piété est aimable et différente de ce que le monde s’en imagine ; mais il ne faut pas que M. son mari la gâte par une passion aveugle : en la gâtant, il se gâterait aussi ; cet excès d’union causerait même, dans la suite, une lassitude dangereuse, et peut-être une désunion. Laissez un peu le torrent s’écouler; mais profitez des occasions de providence, pour lui insinuer la modération, le recueillement, et le désir de préférer l’attrait de la grâce au goût de la nature. Attendez les moments de Dieu, et ne les perdez pas ; N..... vous aidera à faire ni trop ni trop peu.

Dieu veut que, dans les œuvres dont il nous charge, nous accordions ensemble deux choses très propres à nous faire mourir à nous-mêmes : l’une est d’agir comme si tout dépendait de l’assiduité de notre travail ; l’autre est de nous désabuser de notre travail, et de compter qu’après qu’il est fait, il n’y a encore rien de commencé. Après que nous avons bien travaillé, Dieu se plaît à emporter tout notre travail sous nos yeux, comme un coup de balai emporte une toile d’araignée ; après quoi il fait, s’il lui plaît, sans que nous puissions dire comment, l’ouvrage pour lequel il nous avait fait prendre tant de peine, ce semble, inutile. Faites donc des toiles d’araignée ; Dieu les enlèvera, et après vous avoir confondu, il travaillera tout seul à sa mode.

Je ne suis point surpris de vos misères ; vous les mériterez tandis que vous en serez encore surprise. C’est attendre arrogamment quelque chose de soi, que d’être surpris de se trouver en faute. La surprise ne vient que d’un reste de confiance.

LSP 152*. À UNE FEMME (U)

Soyez en paix, M… La ferveur sensible ne dépend nullement de vous : l’unique chose qui en dépend est votre volonté. Donnez-là à Dieu sans réserve. Il ne s’agit point de sentir un goût de piété ; il s’ agit de vouloir tout ce que Dieu veut. Reconnaissez humblement vos fautes ; détachez-vous, abandonnez-vous ; aimez Dieu plus que vous-même, et sa gloire plus que votre vie ; du moins désirez d’aimer ainsi, et demandez ce véritable amour. Dieu vous aimera et mettra sa paix au fond de votre cœur. Je la lui demande pour vous, et je voudrais souffrir pour l’obtenir.

LSP 177.*A UNE FEMME (U)594

On change tous les maux en biens quand on les souffre en patience par amour pour Dieu. Au contraire, on change tous les biens en maux quand on s’y attache pour flatter son amour-propre. Le vrai bien n’est que dans le détachement et l’abandon à Dieu. Voici le temps de l’épreuve. C’est dans cette occasion qu’il faut se tenir dans les mains de Dieu avec confiance et union sans réserve. Que ne voudrais-je point donner pour vous voir au plus tôt parfaitement guérie de votre maladie, et plus encore de l’amour de ce monde ? L’attachement à soi a cent fois plus de venin que la petite vérole. Le venin de l’amour-propre demeure au-dedans. Je prie de tout mon cœur pour vous.

LSP 153.*A UN HOMME

Je comprends, ce me semble, assez ce qui fait votre peine. Votre état est si simple, si sec et si nu, que vous ne trouvez rien pour vous soutenir, et que toute sûreté sensible vous manque au besoin. Mais votre conduite est droite, et éloignée de tout ce qui peut causer l’illusion. Il m’a même paru que vous êtes plus régulier qu’autrefois, sans être moins libre et moins simple. Je vous trouve plus modéré, moins décisif, plus accommodant, moins attentif aux défauts d’autrui, plus patient dans les occasions, plus appliqué à vos devoirs. Quoiqu’il vous paraisse que tout se fait chez vous par naturel, il est pourtant vrai que votre naturel ne fait point tout cela, et qu’il faisait tout le contraire.

Il n’est pas étonnant que l’opération de la grâce, pour se cacher, se confonde insensiblement avec la nature. De plus, on fait toujours bien des fautes par les saillies du naturel, surtout quand on est fort vif ; et le sentiment intérieur qu’on a, tente de croire que la vie est toute pleine de ces mouvements naturels auxquels on se laisse aller : mais dans le fond on travaille, malgré ses fautes, à réprimer ses saillies ; et quoique ce travail soit simple et peu sensible, il ne laisse pas d’être très réel. D’un autre côté, les fautes qu’on voit tiennent l’âme dans la défiance d’elle-même, et dans une entière pauvreté d’esprit.

Ne vous attristez donc point ; et quoique Dieu ne vous console guère, ne vous rebutez point de demeurer dans son sein. Le monde ne vous convient point dans votre état. La plupart des compagnies ne vous seraient pas propres, quand même elles ne seraient pas dangereuses ; mais je vous souhaiterais quelque petite société innocente qui vous pût amuser et délasser l’esprit. Pour moi, mon cœur est sec et languissant : la vie ne me fait aucun plaisir; mais il faut toujours aller en avant, et être chaque jour ce qu’il plaît à Dieu. Si j’osais, je dirais que je le veux lui seul et sans mesure.

LSP 212.*A UN DÉBUTANT

Je ne m’étonne pas que Dieu vous épargne: vous êtes trop faible pour être moins ménagé. Je vous avais bien dit qu’il ne vous ferait pas l’honneur de vous traiter si rudement que vous le craignez’. Ce ne sera pas un grand malheur quand vous direz quelque mot un peu vieux, et que deux ou trois personnes croiront que vous n’êtes pas un parfait modèle pour la pureté du langage. Ce qui irait à des imprudences contre le secret, contre la charité, contre l’édification, ne doit jamais être permis : ce qui irait contre le sens commun serait trop fort. Si vous vous sentiez vivement pressé de ce côté-là, il faudrait m’avertir, et cependant suspendre ; mais, pour les choses qui ne vont qu’à la politesse, ou qu’à certaines délicatesses de bienséance, je crois que vous devez vous livrer à l’esprit de simplicité et d’humiliation. Rien ne vous est si nécessaire que de mourir à vos réflexions, à vos goûts, à vos vaines sensibilités sur ces bagatelles. Plus vous craignez de les sacrifier, plus le sacrifice en est nécessaire. Cette sensibilité est une marque d’une vie très forte, qu’il faut arracher; mais n’hésitez point avec Dieu : vous voyez qu’il ne demande que ce que vous êtes convaincu vous-même qu’il doit demander pour détruire votre orgueil.

N’envisagez point l’avenir, car on s’y égare et on s’y perd quand on le regarde. Ne cherchez point à deviner jusqu’où Dieu vous poussera si vous lui cédez toujours sans résistance. Ce n’est point par des endroits prévus qu’il nous prend, la prévoyance adoucirait le coup ; c’est par des choses que nous n’aurions jamais crues, et que nous aurions comptées pour rien : souvent celles dont nous nous faisons des fantômes s’évanouissent; ainsi nos prévoyances ne servent qu’à nous inquiéter. Obéissez chaque jour; l’obéissance de chaque jour est le véritable pain quotidien. Nous sommes nourris comme Jésus-Christ de la volonté de son Père, que la Providence nous apporte dans le moment présent. Ce pain céleste est encore la manne ; on ne pouvait en faire provision ; l’homme inquiet et défiant qui en prenait pour le lendemain la voyait aussitôt se corrompre.

Ployez-vous à tout ce que l’on veut. Soyez souple et petit, sans raisonner, sans vous écouter vous-même, prêt à tout et ne tenant à rien ; haut, bas ; aimé, haï; loué, contredit; employé, inutile ; ayant la confiance, ou l’envie et le soupçon des gens avec qui vous vivez. Pourvu que vous n’ayez ni hauteur, ni sagesse propre, ni volonté propre sur aucune chose, tout ira bien. En voilà beaucoup, mais ce n’est pas trop. Soyez en silence le plus que vous pourrez. Nourrissez votre cœur, et faites jeûner votre esprit. [ …]

Paix, silence, simplicité, joie en Dieu, et non dans les créatures, souplesse à tout dans les mains de Dieu.

LSP 154.*A UN COMMENÇANT

J’ai souvent pensé, Monsieur, depuis hier aux choses que vous me fîtes l’honneur de me dire, et j’espère de plus en plus que Dieu vous soutiendra. Quoique vous ne sentiez pas un grand goût pour les exercices de piété, il ne faut pas laisser d’y être aussi fidèle que votre santé le permettra. Un malade convalescent est encore dégoûté; mais malgré son dégoût, il faut qu’il mange pour se nourrir.

Il serait même très utile que vous pussiez avoir quelquefois un peu de conversation chrétienne avec les personnes de votre famille à qui vous pourrez vous ouvrir; mais pour le choix, agissez en toute liberté selon votre goût présent. Dieu ne vous attire point par une touche vive et sensible, et je m’en réjouis, pourvu que vous demeuriez ferme dans le bien : car la fidélité soutenue, sans goût, est bien plus pure et plus à l’épreuve de tous les dangers, que les grands attendrissements qui sont trop dans l’imagination. Un peu de lecture et de recueillement chaque jour vous donnera insensiblement la lumière et la force de tous les sacrifices que vous devez à Dieu. Aimez-le ; je vous quitte de tout le reste ; tout le reste viendra par l’amour: encore même ne veux-je point vous demander un amour tendre et empressé ; il suffit que la volonté tende à l’amour, et que, malgré les goûts corrompus qui restent dans le cœur, elle préfère Dieu au monde entier et à soi-même. Vous serez le plus ingrat de tous les hommes, si vous n’aimez pas Dieu qui vous aime tant, et qui ne se rebute point de frapper à la porte de votre cœur pour y répandre son amour. Quand vous ne trouvez point cet amour en vous, du moins demandez-le, désirez de l’avoir, et attendez-le avec une ferme confiance. Voilà ce que je ne puis m’empêcher de vous dire, tant je suis plein de ce qui vous touche.

LSP 158.*A UNE MÈRE DE FAMILLE

Il faut songer à réparer le dérangement dont vous vous plaignez dans votre intérieur. Les manières trop naturelles d’autrui réveillent tout ce qu’il y a en nous de trop naturel ; elles nous font sortir d’un certain centre de la vie de grâce ; mais il faut y rentrer avec simplicité et défiance de soi. La dureté, l’injustice, la fausseté, se trouvent dans notre cœur, quant aux sentiments, lorsque nous nous trouvons avec des personnes qui piquent notre amour-propre ; mais il suffit que notre volonté ne suive pas ce penchant. Il faut mettre ses défauts à profit par une entière défiance de notre cœur.

Je suis fort aise de ce que vous ne trouvez en vous aucune ressource pour soutenir le genre de vie que vous avez embrassé. Je craindrais tout pour vous, si vous vous sentiez affermie dans le bien, et si vous vous promettiez d’y persévérer: mais j’espère tout quand je vois que vous désespérez sincèrement de vous-même. O qu’on est faible quand on se croit fort ! O qu’on est fort en Dieu quand on se sent faible en soi!

Le sentiment ne dépend pas de vous : aussi l’amour n’est-il pas dans le sentiment. C’est le vouloir qui dépend de vous, et que Dieu demande. Il faut que la volonté soit suivie de l’action ; mais souvent Dieu ne demande pas de grandes œuvres de nous. Régler son domestique, mettre ordre à ses affaires, élever ses enfants, porter ses croix, se passer des vaines joies du siècle, ne flatter en rien son orgueil, réprimer sa hauteur naturelle ; travailler à devenir simple, naïve, petite; se taire, se recueillir, s’accoutumer à une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu: voilà les œuvres dont Dieu se contente.

Vous voudriez, dites-vous, des croix pour expier vos péchés et pour témoigner votre amour à Dieu. Contentez-vous des croix présentes; avant que d’en chercher d’autres, portez bien celles-là ; n’écoutez ni vos goûts ni vos répugnances ; tenez‑vous dans cette disposition générale de dépendance sans réserve de l’esprit de grâce en toute occasion. C’est la mort continuelle à soi-même. Ne refusez rien à Dieu, et ne le prévenez sur rien pour les choses où vous ne voyez point encore sa volonté. Chaque jour apportera ses croix et ses sacrifices. Quand Dieu voudra vous faire passer dans un autre état, il vous y préparera insensiblement. Je serai volontiers votre instrument de mort par cette dépendance de la grâce. Je souhaite que Dieu poursuive sans relâche en vous toute vie de l’amour-propre.

LSP 194.*A UN DISCIPLE

Je vous désire une simplicité totale d’abandon, sans laquelle on n’est abandonné qu’à condition de mesurer soi-même son abandon, et de ne l’être jamais dans aucune des choses de la vie présente qui touchent le plus notre amour-propre. Ce n’est pas l’abandon réel et total à Dieu seul, mais la fausseté de l’abandon et la réserve secrète, qui fait l’illusion.

Soyez petit et simple au milieu du monde le plus critique, comme dans votre cabinet. Ne faites rien, ni par sagesse raisonnée, ni par goût naturel, mais simplement par souplesse à l’esprit de mort et de vie; de mort à vous, de vie à Dieu. Point d’enthousiasme595, point de certitude recherchée au dedans de vous, point de ragoût de prédictions, comme si le présent, tout amer qu’il est, ne suffisait pas à ceux qui n’ont plus d’autre trésor que la seule volonté de Dieu, et comme si on voulait dédommager l’amour-propre de la tristesse du présent par les prospérités de l’avenir. On mérite d’être trompé quand on cherche cette vaine consolation. Recevons tout par petitesse ; ne cherchons rien par curiosité; ne tenons à rien par un intérêt déguisé. Laissons faire Dieu, et ne songeons qu’à mourir sans réserve au moment présent, comme si c’était l’éternité tout entière. Ne faites point de tours de sagesse.

LSP 214.*A UN DISCIPLE

Vous voulez bien, Monsieur, que je vous demande de vos nouvelles et de celles de tout ce qui vous touche le plus. Êtes-vous simple et uni en tout ? L’extérieur est-il aussi abandonné à Dieu que l’intérieur? Êtes-vous dans un recueillement sans activité, qui consiste dans la fidélité à la grâce, pour laisser tomber ce qui vient de la nature et qui trouble le silence du fond, faute de quoi on ne peut point écouter Dieu ?

N... est véritablement bon, quoiqu’il ait ses défauts ; mais qui est-ce qui n’en a pas ? Et que serait-ce, si nous n’en avions pas, puisque, étant accablés des nôtres, que nous ne corrigeons point, nous sommes néanmoins si délicats et si impatients contre ceux du prochain ? Rien ne peut nous rendre indulgents, puisque notre propre misère incorrigible ne modère point la sévérité de notre critique contre les autres. Nous faisons plus pour les autres en nous corrigeant, qu’en voulant les corriger. Demeurez en paix, Monsieur; laissez tout écouler, comme l’eau sous les ponts. Demeurez dans le secret de Dieu, qui ne s’écoule jamais.

LSP 184.* A UN DISCIPLE

On ne peut être plus vivement touché que je le suis de tout ce qui vous est arrivé. Il faut porter la croix comme un trésor ; c’est par elle que nous sommes rendus dignes de Dieu, et conformes à son Fils. Les croix font partie du pain quotidien. Dieu en règle la mesure selon nos vrais besoins, qu’il connaît, et que nous ignorons. Laissons-le faire, et abandonnons-nous à sa main. Soyez enfant de la Providence. Laissez raisonner vos parents et amis. Ne pensez point de loin à l’avenir. La manne se corrompait quand on voulait par précaution en faire provision pour plus d’un jour. Ne dites point: qu’est-ce que nous ferons demain ? Le jour de demain aura soin de lui-même’. Bornez-vous aujourd’hui au besoin présent ; Dieu vous donnera en chaque jour les secours proportionnés à ce besoin-là. Inquirentes autem Dominum non minuentur omni bono596 . La Providence ferait des miracles pour nous ; mais nous empêchons ces miracles à force de les prévenir. Nous nous faisons nous-mêmes, par une industrie inquiète, une providence aussi fautive que celle de Dieu serait assurée.

Quant à N… il aime la Religion et a des principes de vertu ; mais il a besoin d’être nourri et soutenu. Il faut le secourir sans le gêner. Vous connaissez son esprit vif et ses longues habitudes ; il faut lui passer bien des choses que je ne vous passerais pas. Dieu sait mieux que nous ce qu’il a mis dans chaque homme, et ce qu’il doit exiger de lui. Ménagez, supportez, respectez, espérez, fiez-vous au maître des cœurs, qui est fidèle à ses promesses. Soyez fidèle et docile vous-même. Mettez à profit vos faiblesses par une défiance infinie de vous-même, et par une souplesse enfantine pour vous laisser corriger. La petitesse sera votre force dans la faiblesse même.

LSP 138*. À M. X*

Je suis véritablement affligé, Monsieur, des peines que vous m’apprenez que madame votre sœur souffre. J’ai vu souvent, et je vois encore tous les jours des personnes que le scrupule ronge. C’est une espèce de martyre intérieur: il va jusqu’à une espèce de déraison et de désespoir, quoique le fond soit plein de raison et de vertu. L’unique remède contre ces peines est la docilité. Il faut examiner à qui est-ce qu’on donne sa confiance; mais il faut la donner à quelqu’un, et obéir sans se permettre de raisonner. Qu’est-ce que pourrait faire le directeur le plus saint et le plus éclairé, pour vous guérir, si vous ne lui dites pas tout, et si vous ne voulez pas faire ce qu’il dit? Il est vrai que, quand on est dans l’excès de trouble que le scrupule cause, on est tenté de croire qu’on ne peut être entendu de personne, et que les plus expérimentés directeurs, faute d’entendre cet état, donnent des conseils disproportionnés ; mais c’est une erreur d’une imagination dominante, qui n’aboutit qu’à une indocilité incurable, si on la suit. Doit-on se rendre juge de sa propre conduite, dans un état de tentation et de trouble où l’on n’a qu’à demi l’usage de sa raison ? N’est-ce pas alors, plus que jamais, qu’on a besoin de redoubler sa docilité pour un directeur, et sa défiance de soi? Ne doit-on pas croire que Dieu ne nous manque point dans ces rudes épreuves, et qu’alors il éclaire un directeur dans lequel on ne cherche que lui, afin qu’il nous donne des conseils proportionnés à ce pressant besoin? Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, comme saint Paul nous l’assure. Mais c’est aux âmes simples et dociles qu’il promet de leur tendre toujours la main dans ces violentes tentations. C’est manquer à Dieu, c’est lui faire injure, c’est mal juger de sa bonté, que de douter qu’il ne donne à un bon directeur tout ce qu’il faut pour nous préserver du naufrage dans cette tempête. Je conviens qu’il faut tolérer dans une personne, pendant l’excès de sa peine, certaines impatiences, certaines inégalités, certaines saillies irrégulières, et même certaines contradictions de paroles ou de conduite passagère ; mais il faut qu’après ces coups de surprise le fond revienne toujours, et qu’on y trouve une détermination sincère à une docilité constante.

Pour tout le reste, il dépend du détail que j’ignore. Mais enfin quelque remède que madame votre sœur cherche, quelque changement qu’elle veuille essayer, à quelque pratique qu’elle recoure, il lui faut un directeur qu’elle ne quitte point. Changer de directeur, c’est se rendre maître de la direction, à laquelle on devrait être soumis. Une direction ainsi variée n’est plus une direction ; c’est une indocilité qui cherche partout à se flatter elle-même. La plus sévère de toutes les pénitences est l’humiliation intime de l’esprit ; c’est le renoncement à se croire et à s’écouter; c’est l’humble dépendance de l’homme de Dieu; c’est la pauvreté d’esprit, qui, selon l’oracle de Jésus-Christ, rend l’homme bienheureux : autrement on tourne la mortification en aliment secret de l’amour-propre. Tâchez de faire en sorte qu’elle se fixe, et qu’elle captive son esprit avec foi en la bonté de Dieu, et qu’elle obéisse simplement. C’est la source de la paix.

LSP 491.*« SOYEZ SIMPLE[...] »

Soyez simple, petite et livrée à l’esprit de grâce, comme il est dit des Apôtres : la paix en sera le fruit. Il n’y a que vous seule qui puissiez troubler votre paix : les croix extérieures ne la troubleront jamais. Vos seules réflexions d’amour-propre peuvent interrompre ce grand don de Dieu. Ne vous prenez donc jamais qu’à vous-même du mal que vous souffrirez au-dedans. Vous n’avez aucun autre mal que celui du faux remède. Je souhaite fort que votre cœur soit dans la paix de pur abandon, qui est une paix sans bornes et inaltérable; mais non pas dans la paix qui dépend des appuis recherchés et aperçus.

Ce que je vous désire plus que tout le reste est un profond oubli de vous-même. On veut voir Dieu en soi ; et il faut ne se voir qu’en Dieu. Il faudrait ne s’aimer que pour Dieu, au lieu qu’on tend toujours sans y prendre garde à n’aimer Dieu que pour soi. Les inquiétudes n’ont jamais d’autre source que l’amour-propre : au contraire, l’amour de Dieu est la source de toute paix. Quand on ne se voit plus qu’en Dieu, on ne s’y voit plus que dans la foule, et que des yeux de la charité, qui ne trouble point le cœur.

Il n’y a jamais que l’amour-propre qui s’inquiète et qui se trouble. L’amour de Dieu fait tout ce qu’il faut d’une manière simple et efficace, sans hésiter: mais il n’est ni empressé, ni inquiet, ni troublé. L’Esprit de Dieu est toujours dans une action paisible. Retranchez donc tout ce qui irait plus loin, et qui vous donnerait quelque agitation. « Le parfait amour chasse la crainte ». Calmez votre esprit en Dieu, et que l’esprit calmé prenne soin de rétablir le corps. Retirez-vous en celui qui tranquillise tout, et qui est la paix même. Enfoncez-vous en lui jusqu’à vous y perdre, et à ne vous plus trouver.

C’est dans l’oubli du moi qu’habite la paix. Partout où le moi rentre, il met le cœur en convulsion, et il n’y a point de bon antidote contre ce venin subtil. Heureux qui se livre à Dieu sans réserve, sans retour, sans songer qu’il se livre.

Je prie Dieu qu’il parle lui-même à votre cœur, et que vous suiviez fidèlement ce qu’il vous dira. Écouter et suivre sa parole intérieure de grâce, c’est tout. Mais pour écouter, il faut se taire; et pour suivre, il faut céder.

§597 Je vous souhaite la paix du cœur et la joie du Saint Esprit. Toute pratique de vertu, et toute recherche de sûreté, qui ne s’accorde point avec cette paix humble et recueillie, ne vient point de Notre Seigneur.

§ Que faire dans tous les fâcheux événements qui nous arrivent? Se consoler, perdre en paix ce que la providence nous ôte, et ne tenir qu’à celui qui est jaloux de tout. En perdant tout de la sorte, on ne perd jamais rien. La jalousie, qui est si tyrannique, et si déplacée dans les hommes, est en sa place en Dieu. Là elle est juste, nécessaire, miséricordieuse. En ne nous laissant rien, elle nous donne tout.

§ N. a de grandes croix ; mais il les lui faut aussi grandes qu’il les a. Il n’y a que Dieu qui sache bien prendre la mesure à chacun de nous. Vous en prendriez trop en un sens, et trop peu en un autre; trop sur votre santé et sur votre courage naturel ; mais trop peu sur votre délicatesse. Toutes ces mesures sont fausses. Il n’y a qu’à laisser faire Dieu: c’est profondément couper dans le vif que de ne retenir rien de ce qu’il ôte, sans vouloir retrancher ce qu’il ne retranche pas. Ce qu’on ajoute n’est pas un retranchement véritable: c’est au contraire une recherche déguisée ; car c’est pour se donner une vie fine et cachée, qu’on pratique une mort extérieure et consolante.

§ La simplicité de l’amour porte avec soi quelque chose qui se suffit à soi-même, et qui est un commencement de béatitude. Malheur à qui trouble cette simplicité par des réflexions d’amour-propre !

§ Dieu prend plaisir à déranger tout; et ce dérangement vaut mieux que tous les plans de notre sagesse. Il sait bien où il attend chaque homme, et il l’y mène lors même que cet homme semble lui échapper.

LSP 146.* « VOUS ME FAITES UN VRAI PLAISIR…»

Vous me faites un vrai plaisir, Monsieur, en me témoignant l’ouverture de cœur que vous auriez pour moi ; je vous parlerai dans l’occasion avec la même franchise. Mais il ne faut point parler par une secrète recherche de quelque assurance ; car il ne vous convient point d’en chercher. Dieu est jaloux de tout ce qui se tourne en appui, et encore plus de tout ce qui est une recherche indirecte de ce que nous ne voudrions pas rechercher directement. Comptez que je sais le fond qu’il faut faire sur ceux que Dieu a fait passer par beaucoup d’épreuves: je ne puis être de même avec les autres, quoiqu’ils soient fidèles selon leur degré. Mais il ne faut tenir à rien, pas même à ses dépouillements, dont on peut se revêtir insensiblement. Oubliez-vous vous-même, et toutes vos peines se dissiperont. On croit que l’amour de Dieu est un martyre ; non, toutes les peines ne viennent que de l’amour-propre. C’est l’amour-propre qui doute, qui hésite, qui résiste, qui souffre, qui compte ses souffrances, qui varie dans les occasions, et qui empêche la paix profonde des âmes délivrées d’elles-mêmes. Eu voilà trop; mais je suis sûr que vous voulez que je parle selon mon cœur et sans mesure.

LSP 147.* « J’AI VU N... »

J’ai vu N598 ; je l’ai beaucoup écouté; je lui ai peu parlé. J’ai suivi en ce point la pente de mon cœur : peut-être que Dieu a voulu lui montrer par là comment il doit retrancher les discours superflus. Je lui ai dit en peu de paroles ce qui m’a paru convenir à ses besoins. Tout se réduit au silence intérieur, qui règle toute la conduite extérieure. S’il n’amortit sans cesse la vivacité de son imagination par le recueillement de son degré, il ne sera jamais en état d’écouter Dieu, et d’agir paisiblement par l’esprit de grâce. La nature empressée préviendra toujours par ses saillies tous les mouvements de Dieu qui doivent être attendus. S’il ne parlait que quand Dieu le fait parler, il parlerait peu et très bien, mais comme son imagination l’entraîne à toute heure, la règle qui fera la sûreté de toutes les autres est qu’il vous écoute, qu’il vous croie, qu’il vous obéisse, qu’il s’apetisse sous votre main, et qu’il s’arrête tout court dès que vous parlez. Il faut qu’il vous aide, mais il faut que vous le décidiez.

Je le charge donc de vous écouter sans écouter soi-même, et je vous recommande de lui décider avec pleine autorité, de faire ce que vous lui direz. De votre côté, vous devez recevoir avec simplicité et petitesse ce qu’il vous dira par grâce sur vos faiblesses. Ne les craignez point par anticipation : à chaque jour suffit son mal. Ne craignez point pour le jour de demain ; le jour de demain aura soin de lui-même. Celui qui fait la paix du cœur aujourd’hui est tout-puissant et tout bon pour la faire encore demain.

Ne vous tentez pas vous-même en voulant prévenir des épreuves dont vous n’avez pas encore la grâce. Dès que vous apercevrez naître ces pensées, arrêtez-les dans leur commencement. On mérite la tentation quand on l’écoute. Coupez court, non par des efforts et par des méthodes, mais en laissant ces pensées sans leur dire ni oui ni non. Les gens auxquels on ne répond rien se taisent bientôt. Livrez-vous à Dieu sans vous reprendre sous aucun prétexte, et il aura soin de tout.

LSP 149*. POUR LA PERSONNE…

Pour la personne dont vous me parlez, vous n’avez qu’à faire ce que je m’imagine que vous faites, qui est de l’attendre, de ne la pousser jamais, de la laisser presser intérieurement à Dieu seul, de lui dire ce que Dieu vous donne quand elle vient à vous ; de le lui dire doucement, avec amitié, support, patience et consolation. Elle aura des inégalités, des irrésolutions, des défiances, des tentations contre vous : mais Dieu ne la laissera point sans achever son ouvrage, et c’est à vous à la soutenir. Les opérations de la grâce sont douloureuses. On vient jusques au bord du sacrifice de toutes les choses du monde, et on recule souvent d’horreur avant que de s’y précipiter. Ces hésitations si pénibles sont les fondements de ce que Dieu prépare. Plus on a été faible, plus Dieu donne sa force. Voyez l’agonie du jardin, où Jésus-Christ est triste jusqu’à la mort, et demande que le calice d’amertume soit détourné de lui : cette faiblesse est suivie du grand sacrifice de la Croix.

Pourvu que vous ne poussiez jamais trop cette personne, elle reviendra toujours à vous, et ces retours vous donneront une force infinie. Il ne faut souvent qu’une demi-parole, qu’un regard, qu’un silence, pour achever la détermination d’une âme que Dieu presse. Quand vous ne pourrez lui parler, donnez-lui quelque bonne et courte lecture à faire, ou un moment d’oraison à pratiquer. Si son esprit est trop peiné pour les exercices, demeurez en silence avec elle ; de temps en temps dites deux mots pour la calmer; souffrez d’elle tout ce que l’humeur et l’esprit de tentation lui feront faire, et qu’elle vous retrouve ensuite bonne et ouverte comme auparavant. Il n’y a que l’infidélité qu’il ne faut jamais lui passer; mais pour les saillies qui échappent, il faut les supporter. Si vous pouviez lui faire voir quelque personne d’expérience et de grâce qui vous aidât, ce serait un soulagement pour elle et pour vous ; mais si vous n’avez personne qui convienne, ou bien si elle ne peut s’ouvrir qu’à vous seule, il faut que vous portiez seule tout le fardeau.

LSP 204.*« JE PRENDS TOUJOURS GRANDE PART[...] »

Je prends toujours grande part aux souffrances de votre chère malade, et aux peines de ceux que Dieu a mis si près d’elle pour lui aider à porter sa croix. Qu’elle ne se défie point de Dieu, et il saura mesurer ses douleurs avec la patience qu’il lui donnera. Il n’y a que celui qui a fait les cœurs, et qui les refait par sa grâce, qui sache ces justes proportions. L’homme en qui il les observe les ignore; et ne connaissant ni l’étendue de l’épreuve future, ni celle du don de Dieu préparé pour la soutenir, il est dans une tentation de découragement et de désespoir. C’est comme un homme qui n’aurait jamais vu la mer, et qui, étant sur un rivage sans pouvoir fuir à cause d’un rocher escarpé, s’imaginerait que la mer, qui, remontant, pousserait ses vagues vers lui, l’engloutirait bientôt. Il ne verrait pas qu’elle doit s’arrêter à une certaine borne précise que le doigt de Dieu lui a marquée, et il aurait plus de peur que de mal.

Dieu fait de l’épreuve du juste comme de la mer: il l’enfle, il la grossit, il nous en menace, mais il borne la tentation. Fidelis Deus, qui non patietur vos tentari supra id quod potestis.599 Il daigne s’appeler lui-même fidèle. O qu’elle est aimable cette fidélité ! Dites-en un mot à votre malade, et dites-lui que, sans regarder plus loin que le jour présent, elle laisse faire Dieu. Souvent ce qui paraît le plus lassant et le plus terrible, se trouve adouci. L’excès vient, non de Dieu, qui ne donne rien de trop, mais de notre imagination, qui veut percer l’avenir, et de notre amour-propre, qui s’exagère ce qu’il souffre.

Ceci ne sera pas inutile à N...., qui se trouble quelquefois par la crainte de se troubler un jour. Tous les moments sont également dans la main de Dieu, celui de la mort comme celui de la vie. D’une parole il commande aux vents et à la mer; ils lui obéissent et se calment’. Que craignez-vous, ô homme de peu de foi ? Dieu n’est-il pas encore plus puissant que vous n’êtes faible?

LSP 155*. « VOUS NE SAURIEZ ME DIRE… »

Vous ne sauriez me dire les choses trop simplement. Ne vous mettez point en peine des pensées de vanité qui vous importunent par rapport aux dispositions de votre cœur que vous m’expliquez. Dieu ne permettra pas que le venin de l’orgueil corrompe ce que vous faites par nécessité pour aller droit à lui. De plus, il y a toujours plus à s’humilier et à se confondre, qu’à se plaire et à se glorifier dans les choses qu’on est obligé de dire de soi. Il en faut dire avec simplicité le bien comme le mal, afin que la personne à qui on se confie sache tout, comme un médecin, et puisse donner des remèdes proportionnés aux besoins.

Il ne s’agit point de ce que vous sentez malgré vous, ni des pensées qui se présentent à votre esprit, ni des distractions involontaires qui vous fatiguent dans votre oraison: il suffit que votre volonté ne veuille jamais être distraite, c’est-à-dire, que vous ayez toujours l’intention droite et sincère de faire oraison, et de laisser tomber les distractions dès que vous les apercevez. En cet état, les distractions ne vous feront que du bien : elles vous fatigueront, vous humilieront, vous accoutumeront à vivre de pain sec et noir dans la maison de Dieu : vous demeurerez fidèle à servir Dieu, à l’aimer, et à vous unir à lui dans la prière sans y goûter les consolations sensibles qu’on y cherche souvent plus que lui-même. L’illusion est à craindre quand on ne cherche Dieu qu’avec un plaisir goûté. Ce plaisir peut flatter l’amour-propre ; mais quand on demeure uni à Dieu dans les ténèbres de la foi et dans les sécheresses des distractions, on la suit en portant la croix pour l’amour de lui. Quand les douceurs viendront, vous les recevrez pour ménager votre faiblesse. Quand Dieu vous en sèvrera comme on sèvre un enfant du lait pour le nourrir de pain, vous vous passerez de cette douceur sensible, pour aimer Dieu dans un état humble et mortifié. Gardez-vous bien, en cet état, de reculer sur vos communions. L’oraison et la communion marcheront d’un pas égal, sans plaisir, mais avec une pure fidélité. Dieu n’est jamais si bien servi que quand nous le servons, pour ainsi dire, à nos dépens, sans en avoir sur-le-champ un profit sensible.

LSP 156.*« JE NE SUIS POINT ÉTONNÉ[...] »

Je ne suis point étonné de votre tiédeur. On n’est point toujours en ferveur; Dieu ne permet pas qu’elle soit continuelle: il est bon de sentir, par des inégalités, que c’est un don de Dieu, qu’il donne et qu’il retire comme il lui plaît. Si nous étions sans cesse en ferveur, nous ne sentirions ni les croix, ni notre faiblesse; les tentations ne seraient plus des tentations réelles. Il faut que nous soyons éprouvés par la révolte intérieure de notre nature corrompue, et que notre amour se purifie par nos dégoûts. Nous ne tenons jamais tant à Dieu, que quand nous n’y tenons plus par le plaisir sensible, et que nous demeurons fidèles par une volonté toute nue, étant attaché sur la croix. Les peines du dehors ne seraient point de vraies peines, si nous étions exempts de celles du dedans. Souffrez donc en patience vos dégoûts, et ils vous seront plus utiles qu’un goût accompagné de confiance en votre état. Le dégoût souffert par une volonté fidèle est une bonne pénitence. Il humilie, il met en défiance de soi, il fait sentir combien on est fragile, il fait recourir plus souvent à Dieu. Voilà de grands profits. Cette tiédeur involontaire, et cette pente à chercher tout ce qui peut flatter l’amour-propre, ne doivent pas vous empêcher de communier.

Vous voulez courir après un goût sensible de Dieu, qui n’est ni son amour, ni l’oraison. Prenez ce goût quand Dieu vous le donne, et quand il ne vous le donne pas, aimez, et tâchez de faire oraison comme si ce goût ne vous manquait pas. C’est avoir Dieu que de l’attendre. D’ailleurs vous faites très bien de ne demander à Dieu les goûts et les consolations qu’autant qu’il lui plaira de vous les donner. Si Dieu veut vous sanctifier par la privation de ces goûts sensibles, vous devez vous conformer à ces desseins de miséricorde et porter les sécheresses: elles serviront encore plus à vous rendre humble, et à vous faire mourir à vous-même ; ce qui est l’ œuvre de Dieu.

Vos peines ne viennent que de vous-même: vous vous les faites en vous écoutant. C’est une délicatesse et une sensibilité d’amour-propre que vous nourrissez dans votre cœur en vous attendrissant sur vous-même. Au lieu de porter fidèlement la croix, et de remplir vos devoirs en portant le fardeau d’autrui pour lui aider à le porter, et pour redresser les personnes que Dieu vous confie, vous vous resserrez en vous-même, et vous ne vous occupez que de votre découragement. Espérez en Dieu ; il vous soutiendra et vous rendra utile au prochain, pourvu que vous ne doutiez point de son secours, et que vous ne vous épargniez point dans ce travail.

Gardez-vous bien d’interrompre votre oraison; vous vous feriez un mal infini. Le silence dont vous me parlez vous est excellent toutes les fois que vous y sentez de l’attrait’. Sortez-en pour vous occuper des vérités plus distinctes, quand vous en avez la facilité et le goût; mais ne craignez point ce silence quand il opère en vous pour la suite une attention plus fidèle à Dieu dans le reste de la journée. Demeurez libre avec Dieu de la manière que vous pourrez, pourvu que votre volonté soit unie à lui, et que vous cherchiez ensuite à faire sa volonté aux dépens de la vôtre.

LSP 157.*« JE CROIS QUE VOUS DEVEZ ÊTRE[...] »

Je crois que vous devez être en repos pour votre oraison ; elle me paraît bonne, et vous n’avez qu’à la continuer avec confiance en celui d’où elle vient et avec qui vous y êtes. Pour ce que vous nommez instinct, c’est un germe secret d’amour et de présence de Dieu, qu’il faut avoir soin de nourrir, parce que c’est lui qui nourrit tout le reste dans votre cœur. La manière de cultiver cet instinct est toute simple: il faut, 1° éviter la dissipation qui l’affaiblirait; 2° le suivre par le retour au silence et au recueillement toutes les fois que ce fond se réveille et vous fait apercevoir votre distraction ; 3° céder à cet instinct, en lui faisant les sacrifices qu’il demande en chaque occasion pour vous faire mourir à vous-même.

Il ne faut pas croire que la présence de Dieu soit imaginaire, à moins qu’elle ne nous donne de grandes lumières pour dire de belles choses. Cette présence n’est jamais plus réelle et plus miséricordieuse, que quand elle nous enseigne à nous taire, à nous humilier, à n’écouter point notre amour-propre, et à demeurer avec petitesse et fidélité dans les ténèbres de la foi. Ce goût intime de renoncement à soi et de petitesse est bien plus utile que des lumières éclatantes et des sentiments vifs.

Pour cette présence sensible de Dieu que vous avez moins qu’autrefois, elle ne dépend pas de vous. Dieu la donne et l’ôte comme il lui plaît; il suffit que vous ne tombiez point dans une dissipation volontaire. Il y a des amusements de passion ou de vanité, qui dissipent et qui mettent quelque entre-deux entre Dieu et nous. Il y a d’autres amusements, qu’on ne prend que par simplicité et dans l’ordre de Dieu, pour se délasser, pour occuper l’activité de son imagination, pendant que le cœur a une autre occupation plus intime. On peut s’amuser de cette façon dans les temps de la journée où l’on ne pourrait pas continuer l’oraison sans se fatiguer: alors c’est une demi-oraison, qui vaut quelquefois autant que l’oraison même qu’on fait exprès.

LSP 159.*« VOUS NE DEVEZ POINT[...] »

Vous ne devez point être en peine sur la tranquillité que Dieu vous donne dans l’oraison. Quand elle vient, il la faut prendre sans aucun scrupule : ce serait résister à Dieu, que de vouloir, sous prétexte d’humilité et de pénitence, rejeter cet attrait de grâce pour vous occuper de vos misères. La vue de vos misères reviendra assez à son tour. Mais quand vous trouvez un penchant et une facilité à être dans une douce présence de Dieu, rien n’est si bon que d’y demeurer. Vous avouez que, hors de cette tranquillité en la présence de Dieu, vous ne savez ce que c’est qu’oraison. Gardez-vous bien donc de sortir, par votre propre choix, d’une disposition hors de laquelle vous dites que votre oraison se perd.

D’un autre côté, quand une certaine douceur vous manque en cet état-là, ne croyez point que tout soit perdu. Dieu ne vous ôte ce plaisir, que pour vous sevrer peu à peu comme un enfant, et pour vous accoutumer à du pain sec en la place du lait. Il faut sevrer l’enfant, et l’enfant crie : mais il vaut mieux le laisser crier, et le sevrer pour le mieux nourrir et le faire croître. La privation de cette douceur sensible ne détruit pas l’oraison ; au contraire, elle la purifie. C’est avoir Dieu sans Dieu, comme vous le disiez hier, c’est-à-dire, Dieu seul sans ses dons, qui rendent sa présence douce, sensible et consolante : c’est Dieu même dans un état de plus pure foi; c’est Dieu caché, mais Dieu pourtant; c’est Dieu qui éprouve notre amour; ce n’est plus Dieu qui charme notre goût et qui épargne notre faiblesse. Il faut éprouver la vicissitude de ces deux états, pour ne tenir point à l’un et pour n’être pas découragé de l’autre. Il faut être détaché de l’un, et ferme dans l’autre. Il faut être indifférent pour tous les deux, et ne changer point dans ces changements. Il faut croire que nous ne pourrons nous donner le goût consolant: c’est Dieu seul qui le donne, comme et quand il lui plaît. Il faut s’en laisser priver, et sacrifier à Dieu ses dons quand il les retire, comme une fidèle épouse se laisserait patiemment priver des joyaux et des caresses de son époux pour se conformer à sa volonté. Il est encore plus parfait de tenir à Dieu qui nous rabaisse, qui nous dépouille, qui nous éprouve, que de tenir à Dieu qui nous enrichit, qui nous charme et qui nous caresse.

Laissez vos fautes : il suffit de les voir quand la lumière s’en présente, et de ne vous épargner point sur leur correction. Vos tentations se tourneront à profit. La véritable union à Dieu, qui est un amour simple et humble, diminue les imperfections. Demeurez donc unie à Dieu, et souffrez tout ce qu’il donne de croix et d’épreuves.

LSP 178.*« JE SUIS DANS UNE HONTEUSE LASSITUDE[...] »

Je suis dans une honteuse lassitude des croix. Il me semble qu’il ne me reste plus ni force ni haleine pour respirer dans la souffrance. La croix me fait horreur, et ma lâcheté m’en fait aussi. Je suis, entre ces deux horreurs, à charge à moi-même. Je frémis toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion de souffrance. Ce n’est pas vivre que de vivre ainsi: mais qu’importe? Notre vie ne doit être qu’une mort lente. Il n’y a qu’à se délaisser à la volonté toute-puissante qui nous crucifie peu à peu.

Mon cœur souffre dans ce moment sur ce que vous m’avez mandé, et votre souffrance augmente la mienne : mais il y a en moi, ce me semble, un fond d’intérêt propre et une légèreté dont je suis honteux. La moindre chose triste pour moi m’accable ; la moindre qui me flatte un peu me relève sans mesure. Rien n’est si humiliant que de se trouver si tendre pour soi, si dur pour autrui, si poltron à la vue de l’ombre d’une croix, et si léger pour secouer tout à la première lueur flatteuse. Mais tout est bon. Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire, quand il nous fait lire dans notre propre cœur.

LSP 181*. « C’EST À N... À SE LAISSER… »

C’est à N... à se laisser juger par les personnes qui le connaissent, et qui sont unies avec lui dans la même voie. Ce n’est pas assez de croire ce dont nous avons l’expérience ; il faut croire tout, quoiqu’on ne le voie pas, et le supposer vrai. Je compte que c’est faute d’attention que N.... ne l’a pas vu. II reste le point principal, qui est de se corriger; c’est à quoi il faut travailler en la manière qui convient: il faut le faire avec paix, simplicité et petitesse. Dieu veuille qu’il le fasse comme je le dis !

Je crois qu’il ne doit point avoir d’activité pour sa correction, et qu’elle doit venir par une simple fidélité à l’attrait de chaque moment, sans former des projets ni employer certains moyens. Il suffit de demeurer dans une certaine paix où l’esprit de grâce fait sentir ce qui serait d’un mouvement propre et d’une recherche secrète de sa satisfaction.

LSP 182.*« N... VOUS DIRA COMBIEN [...] »

N... vous dira combien je suis occupé de vous, et avec quel plaisir j’apprends que vous êtes en paix. O le grand sacrifice que la simplicité ! C’est le martyre de l’amour-propre. Ne se plus écouter, c’est la véritable abnégation. On aimerait mieux souffrir les plus cruels tourments. Dix ans d’austérités corporelles ne seraient rien en comparaison de ce retranchement des jalousies et des délicatesses de l’amour-propre, toujours curieux sur soi.

Cet abandon serait le plus grand de tous les soutiens, s’il était aperçu avec certitude : mais il ne serait plus abandon, si on le possédait; il serait la plus riche et la plus flatteuse possession de nous-mêmes. Il faut donc que l’abandon qui nous donne tout nous cache tout, et qu’il soit lui-même caché. Alors ce dépouillement total nous donne en réalité toutes les choses qu’il dérobe à notre amour-propre. C’est que l’unique trésor du cœur est le détachement. Quiconque est détaché de tout et de soi, retrouve tout et soi-même en Dieu. L’amour de Dieu s’enrichit de tout ce que l’amour-propre avare a perdu. […]

LSP 185.*« JE NE DOUTE POINT[...] »

Je ne doute point que Notre-Seigneur ne vous traite toujours comme l’un de ses amis, c’est-à-dire avec des croix, des souffrances et des humiliations. Ces voies et ces moyens, dont Dieu se sert pour attirer à soi les âmes, font bien mieux et plus vite cette affaire, que non pas les propres efforts de la créature; car cela détruit de soi-même et arrache les racines de l’amour-propre, que nous ne pourrions pas même découvrir qu’à grande peine ; mais Dieu, qui connaît ses tanières, le va attaquer dans son fort et sur son fond.

Si nous étions assez forts et fidèles pour nous confier tout à fait à Dieu, et le suivre simplement par où il voudrait nous mener, nous n’aurions pas besoin de grandes applications d’esprit pour travailler à la perfection ; mais parce que nous sommes si faibles dans la foi, que nous voulons savoir partout où nous allons, sans nous en fier à Dieu, c’est ce qui allonge notre chemin, et qui gâte nos affaires spirituelles, Abandonnez-vous tant que vous pourrez à Dieu, et jusques au dernier respir ; et il ne vous délaissera pas.

LSP 186*« SUIVEZ LA VOIE… »

Suivez la voie de mort dans laquelle Notre-Seigneur vous a mis, et travaillez à amortir cette vivacité de votre naturel qui vous entraîne dans ce que vous faites. Soyez persuadé que tout ce que nous faisons par ce que nous sommes, je veux dire selon notre humeur et tempérament, n’ayant rien de surnaturel, nous rend ce que nous faisons inutile pour nous avancer en Dieu ; et parce que sa divine Majesté demande des âmes qu’elle attire à soi un retour ou recoulement [reflux] perpétuel dans notre fin dernière, et dans la plénitude du vrai bien ; lorsque nous agissons par nous-mêmes et selon notre humeur, tout ce que nous faisons se réfléchit sur nous-mêmes et en demeure là, et Dieu n’y a point de part.

Vous voyez donc de quelle importance il vous est de réprimer la vivacité de vos humeurs et passions, et que c’est très peu de chose de voir et pénétrer les secrets de la vie spirituelle, si on ne met point en exécution les moyens qui sont nécessaires pour parvenir à sa fin, qui est l’union réelle et véritable avec Dieu. Ceci ne demande point d’occupation de tête ni d’esprit, mais bonne volonté dans les occasions qui se présentent.

LSP 188.*« JE VOUS SOUHAITE[...] »

Je vous souhaite la paix du cœur et la joie du Saint-Esprit, qui se trouve au milieu de toutes les croix et de toutes les tentations de la vie. C’est la différence essentielle entre la Babylone et la cité de Dieu. Un habitant de Babylone, quelque prospérité mondaine qui l’enivre, a un je ne sais quoi qui dit au fond du cœur : ce n’est pas assez; je n’ai pas tout ce que je voudrais, et j’ai encore ce que je ne voudrais pas. Au contraire, l’habitant de la cité sainte porte au fond de son cœur un fiat et un amen continuel. Il veut toutes ses peines, et il ne veut aucune des consolations dont Dieu le prive. Demandez-lui ce qu’il veut, il vous répondra que c’est précisément ce qu’il a. La volonté de Dieu, dans le moment présent, est le pain quotidien qui est au-dessus de toute substance. Il veut tout ce que Dieu veut en lui et pour lui. Cette volonté fait le rassasiement de son cœur; c’est la manne de tous les goûts. […] Quelle est donc sa volonté sur vous ? c’est que vous n’en ayez plus aucune, que vous ne trouviez plus en vous de quoi vouloir, que vous laissiez Dieu vouloir en vous tout ce qui est selon son esprit. […] On veut que Dieu veuille ce que nous voulons, afin que nous voulions notre propre volonté dans la sienne. Il faut que la volonté de Dieu démonte la nôtre, et qu’il soit lui seul toutes choses en nous.

LSP 220.*CONSOLATION 1

C’est, Madame600, une triste consolation, que de vous dire qu’on ressent votre douleur. C’est pourtant tout ce que peut l’impuissance humaine ; et pour faire quelque chose de plus, il faut qu’elle ait recours à Dieu. C’est donc à lui, Madame, que je m’adresse, à ce consolateur des affligés, à ce protecteur des infirmes. Je le prie, non de vous ôter votre douleur, mais qu’il fasse qu’elle vous profite, qu’il vous donne des forces pour la soutenir, qu’il ne permette pas qu’elle vous accable. Le souverain remède aux maux extrêmes de notre nature, ce sont les grandes et vives douleurs. C’est parmi les douleurs que s’accomplit le grand mystère du Christianisme, c’est-à-dire le crucifiement intérieur de l’homme. C’est là que se développe toute la vertu de la grâce, et que se fait son opération la plus intime, qui est celle qui nous apprend à nous arracher à nous-mêmes: sans cela, l’amour de Dieu n’est point en nous. Il faut sortir de nous-mêmes pour être capables de nous donner à Dieu. Afin que nous soyons contraints de sortir de nous-mêmes, il faut qu’une plaie profonde de notre cœur fasse que tout le créé se tourne pour nous en amertume. Ainsi notre cœur, blessé dans la partie la plus intime, troublé dans ses attaches les plus douces, les plus honnêtes, les plus innocentes, sent bien qu’il ne peut plus se tenir en soi-même601, et s’échappe de soi-même pour aller à Dieu.

Voilà, Madame, le grand remède aux grands maux dont le péché nous accable. Le remède est violent, mais aussi le mal est bien profond. C’est là le véritable soutien des chrétiens dans les afflictions. Dieu frappe sur deux personnes saintement unies ; il leur fait un grand bien à toutes deux : il en met l’une dans la gloire, et de sa perte il fait un remède à celle qui reste au monde. C’est, Madame, ce que Dieu a fait pour vous. Puisse-t-il par son Saint-Esprit réveiller toute votre foi pour vous pénétrer de ces vérités ! Je l’en prierai sans cesse, Madame, et comme j’ai beaucoup de confiance aux prières des gens de bien affligés, je vous conjure de prier pour moi au milieu de vos douleurs. Votre charité saura bien vous dire de quoi j’ai besoin, et vous le faire demander avec instance.

LSP 221.*CONSOLATION 2

Dieu a pris ce qui était à lui : n’a-t-il pas bien fait? Il était bien temps que F[...]. se reposât de toutes ses peines ; il en a eu de grandes, et ne s’y est point regardé: il n’était pas question de lui, mais de la volonté de celui qui le menait. Les croix ne sont bonnes qu’autant qu’on se livre sans réserve, et qu’on s’y oublie. Oubliez-vous donc, Monsieur, autrement toute souffrance est inutile. Dieu ne nous fait point souffrir pour souffrir, mais pour mourir à force de nous oublier nous-mêmes dans l’état où cet oubli est le plus difficile, qui est celui de la douleur. […]

LSP 223.*CONSOLATION 4

Dieu a fait sa volonté: il a pris ce qui était à lui, et il vous a ôté ce qui n’était pas à vous. Vous êtes vous-même tout entier à lui. Je sais combien vous voulez y être : il n’y a qu’à lui sacrifier tout dans les occasions. Il a pris soin de tout, lors même qu’il a retiré notre cher A[...].. […]

Je suis dans une paix très amère, et je vous souhaite cette paix sans vous en souhaiter l’amertume. Il me serait impossible de vous dire plus en détail de mes nouvelles : je ne comprends point mon état, tout ce que j’en veux dire me semble faux, et le devient dans le moment. Souvent la mort me consolerait: souvent je suis gai, et tout m’amuse. De vous dire pourquoi l’un et pourquoi l’autre, c’est ce que je ne puis; car je n’en ai point de vraies raisons. À tout prendre, je trouve que je suis dans ma place, et je ne songe point qu’il y ait au monde d’autres lieux que ceux où mes devoirs m’attachent. Si je pouvais vous voir, j’en serais bien aise ; mais ne le pouvant, il me suffit de me trouver tout auprès de vous en esprit, malgré la distance des lieux. Demeurons unis de cette façon, pendant que la Providence nous tient si séparés.

LSP 491.*« SOYEZ SIMPLE[...] »

… Ce que je vous désire plus que tout le reste est un profond oubli de vous-même. On veut voir Dieu en soi ; et il faut ne se voir qu’en Dieu. Il faudrait ne s’aimer que pour Dieu, au lieu qu’on tend toujours sans y prendre garde à n’aimer Dieu que pour soi. Les inquiétudes n’ont jamais d’autre source que l’amour-propre : au contraire, l’amour de Dieu est la source de toute paix. Quand on ne se voit plus qu’en Dieu, on ne s’y voit plus que dans la foule, et que des yeux de la charité, qui ne trouble point le cœur.

Il n’y a jamais que l’amour-propre qui s’inquiète et qui se trouble. L’amour de Dieu fait tout ce qu’il faut d’une manière simple et efficace, sans hésiter: mais il n’est ni empressé, ni inquiet, ni troublé. L’Esprit de Dieu est toujours dans une action paisible. …

1889. LSP 216. A***. 18 août 1714.

Il n’y a point d’âme qui ne dût être convaincue qu’elle a reçu des grâces pour la convertir et pour la sanctifier, si elle repassait dans son cœur toutes les miséricordes qu’elle a reçues. Il n’y a qu’à admirer et à louer Dieu, en se méprisant et se confondant soi-même. Il faut conclure de ces grandes grâces reçues, que Dieu est infiniment libéral, et que nous lui sommes horriblement infidèles.

Il faut éviter la dissipation, non par une continuelle contention d’esprit, qui casserait la tête et qui en userait les ressorts, mais par deux moyens simples et paisibles. L’un est de retrancher dans les amusements journaliers toutes les sources de dissipation qui ne sont pas nécessaires pour relâcher l’esprit à proportion du vrai besoin ; l’autre est de revenir doucement et avec patience à la présence de Dieu toutes les fois qu’on s’aperçoit de l’avoir perdue.

Il n’est point nécessaire de mettre toujours en acte formel et réfléchi tous les exercices de piété. Il suffit d’y avoir attention habituelle et générale, avec l’intention droite et sincère de suivre la fin qu’on doit s’y proposer. Les distractions véritablement involontaires ne nuisent point à la volonté qui ne veut y avoir aucune part. C’est la tendance réelle de la volonté qui fait l’essentiel.

Conservez sans scrupule la paix simple que vous trouvez dans votre droiture en cherchant Dieu seul. L’amour de Dieu donne une paix sans présomption : l’amour-propre donne un trouble sans fruit. Faites chaque chose le moins mal que vous pourrez pour le bien-aimé. Voyez ce qui vous manque, sans vous flatter ni décourager; puis abandonnez-vous à Dieu, travaillant de bonne foi sans trouble à vous corriger.

Plus vous serez vide de vos propres biens et de vos ressources humaines plus vous trouverez une lumière et une force intime qui vous soutiendront au besoin, en vous laissant toujours sentir votre faiblesse, comme si vous alliez tomber à chaque pas. Mais n’attendez point ce secours comme un bien qui vous soit dû. Vous mériteriez de le perdre si vous présumiez de l’avoir mérité. Il faut se croire indigne de tout, et se jeter humblement entre les bras de Dieu.

Quand c’est l’amour qui vous attire, laissez-vous à l’amour, mais ne comptez point sur ce qu’il peut y avoir de sensible dans cet attrait, pour vous en faire un appui flatteur. Ce serait tourner le don de Dieu en illusion. Le vrai amour n’est pas toujours celui qu’on sent et qui charme ; c’est celui qui humilie, qui détache, qui apetisse l’âme, qui la rend simple, docile, patiente sous les croix, et prête à se laisser corriger602.

Je vous suis très sincèrement dévoué en notre Seigneur.

1903. LSP 217. A***. 16 octobre 1714.

Je reviens d’un assez long voyage pour des visites. J’ai trouvé votre lettre du 30 août, à laquelle je réponds603.

1° Marchez dans les ténèbres de la foi et dans la simplicité évangélique, sans vous arrêter, ni au goût, ni au sentiment, ni aux lumières de la raison, ni aux dons extraordinaires. Contentez-vous de croire, d’obéir, de mourir à vous-même, selon l’état de vie où Dieu vous a mis.

2° Vous ne devez point vous décourager pour vos distractions involontaires qui ne viennent que de vivacité d’imagination, et d’habitude de penser à vos affaires. Il suffit que vous ne donniez point lieu à ces distractions qui arrivent pendant l’oraison, en vous donnant une dissipation volontaire pendant la journée. On s’épanche trop quelquefois ; on fait même des bonnes œuvres avec trop d’empressement et d’activité; on suit trop ses goûts et ses consolations: Dieu en punit dans l’oraison. Il faut s’accoutumer à agir en paix, et avec une continuelle dépendance de l’esprit de grâce, qui est un esprit de mort à toutes les œuvres les plus secrètes de l’amour-propre.

3° L’intention habituelle, qui est la tendance du fond vers Dieu, suffit. C’est marcher en la présence de Dieu. Les événements ne vous trouveraient pas dans cette situation, si vous n’y étiez point. Demeurez-y en paix, et ne perdez point ce que vous avez chez vous, pour courir au loin après ce que vous ne trouveriez point. J’ajoute qu’il ne faut jamais négliger, par dissipation, d’avoir une intention plus distincte; mais l’intention qui n’est pas distincte et développée est bonne.

4° La paix du cœur est un bon signe, quand on veut d’ailleurs de bonne foi obéir à Dieu par amour, avec jalousie contre l’amour-propre.

5° Profitez de vos imperfections pour vous détacher de vous-même, et pour vous attacher à Dieu seul. Travaillez à acquérir des vertus, non pour y chercher une dangereuse complaisance, mais pour faire la volonté du bien-aimé.

6° Demeurez dans votre simplicité, retranchant les recours inquiets sur vous-même, que l’amour-propre fournit sans cesse sous de beaux prétextes. Ils ne feraient que troubler votre paix, et que vous tendre des pièges. Quand on mène une vie recueillie, mortifiée, et de dépendance, par le vrai désir d’aimer Dieu, la délicatesse de cet amour reproche intérieurement tout ce qui le blesse ; il faut s’arrêter tout court dès qu’on sent cette blessure et ce reproche au cœur. Encore une fois, demeurez en paix. Je prie Dieu tous les jours à l’autel, qu’il vous maintienne en union avec lui, et dans la joie de son Saint-Esprit. / Je vous suis dévoué avec un vrai zèle.


« Conclusion »

Achevons ce Florilège par de beaux passages glanés lors de notre découverte en lecture du premier ouvrage édité par les disciples en 1717 :

L’excellente prière n’est autre chose que l’amour de Dieu. [...] Le cœur ne demande que par ses désirs. Prier est donc désirer ; mais désirer ce que Dieu veut que nous désirions[...]. (OS1-(1-2))604

L’amour caché au fond de l’âme prie sans relâche, alors même que l’esprit ne peut être dans une actuelle attention. Dieu ne cesse de regarder dans cette âme le désir qu’il y forme lui-même, et dont elle ne s’aperçoit pas toujours. (OS1-(3))

C’est une fausse humilité, que de se croire indigne des bontés de Dieu, et de n’oser les attendre avec confiance [...] Mais Dieu n’a besoin de rien trouver en nous : il n’y peut jamais trouver que ce qu’il y a mis lui-même par sa grâce. (OS1-40)

Presque tous ceux qui songent à servir Dieu, n’y songent que pour eux-mêmes. Ils songent à gagner, et point à perdre ; à se consoler et point à souffrir ; à posséder, et non à être privé ; à croître et jamais à diminuer. Et au contraire, tout l’ouvrage intérieur consiste à perdre, à sacrifier, à diminuer, à s’apetisser et à se dépouiller même des dons de Dieu, pour ne tenir plus qu’à lui seul. (OS1-147)

L’amour-propre malade est attendri sur lui-même, il ne peut être touché sans crier les hauts cris. [...] Voilà tous les enfants d’Adam qui se servent de supplice les uns aux autres ; voilà la moitié des hommes qui est rendue malheureuse par l’autre, et qui la rend misérable à son tour ; voilà dans toutes les nations, dans toutes les villes, dans toutes les communautés, dans toutes les familles, et jusqu’entre deux amis, le martyre de l’amour-propre. L’unique remède pour trouver la paix est de sortir de soi. Il faut se renoncer, et perdre tout intérêt propre, pour n’avoir plus rien à perdre, ni à craindre, ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté, c’est-à-dire à ceux qui n’ont plus d’autre volonté que celle de Dieu qui devient la leur. Alors les hommes ne peuvent plus rien sur nous, car ils ne peuvent plus nous prendre par nos désirs ni par nos craintes. (OS1-165)

On se donne à vous pour devenir grand ; mais on se refuse dès qu’il faut se laisser apetisser. [...] Ce n’est pas vous aimer, c’est vouloir être aimé par vous. (OS1-191)

Ils ignorent l’esprit d’amour, qui rend tout léger. Ils ne savent pas que cette religion [mène] à la plus haute perfection par un sentiment de paix et d’amour, qui en adoucit tous les maux. Ceux qui sont à Dieu sans partage sont toujours heureux. Ils éprouvent que le joug605 de Jésus-Christ est doux et léger, qu’on trouve en lui le repos de l’âme, et qu’il soulage ceux qui sont chargés et fatigués, comme il a promis lui-même. (OS1-196)


Documents

Liste de proches de madame Guyon

Jacques Bertot 1620-1671

Archange Enguerrand 1631-1699 & Mère Granger 1600-1674

Françoise d’Aubigné marquise de Maintenon 1635-1719

François Lacombe 1640-1715

Duch.de Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

x Arnaud de Béthune 1640-1717 >Nicolas de B.-Charost 1660-1699

Comtesse de Gramont [née Hamilton] 1640-1708

Mme Guyon 1648-1717

Paul de Beauvillier 1648-1714

x Duch.de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

>Vidame d’Amiens 1676-1744 & Marie-Thérèse de Morstein

Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712

x Duch.de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

Marie-Anne de Mortemart -1750 [née Colbert]

Marie-Françoise-Silvine de la Maisonfort 1663->1717

Isaac Dupuy >1737

Marie-Christine de Noailles, duch.de Gramont ‘la colombe’ 1672-1748

x A. de Gramont comte de Guiche

James 16th Lord Forbes 1689-1761 & Lord Deskford 1690-1764

Liste de proches de François de Fénelon

(Nous omettons de très nombreux correspondants et relations)

Louis Tronson 1622-1700

Jean-Baptiste Bossuet 1627-1704

François de Fénelon 1652-1715

Gabriel de la Cropte de Chanterac -1715

François A. de Langeron 1658-1710

Pantaleon de Beaumont 1660-1744

Marquis de Fénelon 1688-1746

Les enfants Colbert

Le 13 décembre 1648, Jean-Baptiste COLBERT épouse Marie Charron, fille d’un membre du conseil royal. Ensemble, ils auront neuf enfants. En étroite correspondance avec Fénelon et avec madame Guyon certains d’entre eux sont directement ou en relation par mariage avec les principaux destinataires de Lettres spirituelles .

Il s’agit de BLAINVILLE, des duchesses de CHEVREUSE et de BEAUVILLIER, de « la petite duchesse » de MORTEMART. Le marquis de Seignelay et l’archevêque de Rouen furent également en relation avec Fénelon.

On peut dire que presque toute la famille fut en correspondances.

Voici la liste des neuf enfants  :

1.Jeanne-Marie (1650-1732)

mariée à Charles-Honoré d’Albert de Luynes duc de CHEVREUSE (1656-1712) ;

2.Jean-Baptiste (1651-1690), marquis de Seignelay ;

3.Jacques-Nicolas (1654-1707), archevêque de Rouen ;

4.Henriette-Louise (1657-1733) 

mariée à Paul de BEAUVILLIER (1648-1714), marquis de Saint-Aignan puis duc.

5.Antoine-Martin (1659-1689) ;

6.Jean-Jules-Armand (1664-1704), marquis de BLAINVILLE ;

7.Marie-Anne (1665-1750) « la petite duchesse » pour Mme Guyon

Cette cadette (l’adjectif « petite ») ‘reprend le flambeau’ au sein du cercle des disciples après à la mort de Mme Guyon.

mariée à Louis de Rochechouart, duc de MORTEMART (neveu de Madame de Montespan) ; postérité dont notamment Talleyrand ;

8.Louis (1667-1745), comte de Linières, garde de la Bibliothèque du roi et militaire ;

9.Charles-Édouard (1670-1690), comte de Sceaux.

Les enfants Fouquet

Nicolas FOUQUET (1615-1680) l’Intendant

x Louise Fourché de Quéhillac :

1.Marie Fouquet (1640-1716) x Louis Armand de Béthune

[ duchesse de B.-Charost qui, accueillie à Montargis, rencontra la jeune Jeanne Guyon (1648-1717) avant son mariage]

x (2e noces) Marie-Madeleine de Castille :

1a.Louis-Nicolas Fouquet (1654-1705) x Jeanne-Marie Guyon


Nous terminons en reproduisant l’introduction d’I. Noye ouvrant avec des précisions nécessaires le dernier volume auquel nous sommes si redevable [CF18] :


Introduction aux lettres spirituelles (I. Noye)

La première édition des Œuvres spirituelles de Fénelon (Anvers, 1718) comportait un second volume « contenant ses lettres spirituelles », soit 248 pièces, pour la plupart sans date ni désignation du destinataire. Une « seconde édition », parue à Lyon l’année suivante, en portait le nombre à 256, sans compter un cahier préliminaire qui ajoutait cinq lettres. Après plusieurs éditions du dix-huitième siècle qui dépendaient évidemment de ces deux premières sans les enrichir beaucoup, J.-E. Gosselin plaçait aussi sous le même titre des correspondances bien identifiées, ce qui faisait de cette section un ensemble de 477 pièces dans son édition « de Versailles » (1827), puis de 502 dans celle « de Paris » (1851) [OF]. Un grand nombre d’entre elles figurent donc dans nos tomes précédents [CF], nous en donnons la référence. Pour les 146 qui restent sans date ou sans le nom d’un destinataire certain, à part quelques-unes que Gosselin avait pu vérifier sur l’autographe ou sur une copie ancienne, il faut admettre le texte qu’il donne d’après ses prédécesseurs, tout en sachant qu’ils n’ont pas toujours respecté le texte original (suppression de tout nom propre, retouches stylistiques, élimination de passages entiers, fusion d’éléments de plusieurs lettres en une seule[...]). Nous marquons ces lettres de l’astérisque* [*repris] ; il faut cependant parler d’authenticité substantielle, visible par leur parenté avec l’ensemble des pièces bien identifiées, et par la minceur des divergences quand on peut les comparer avec l’original (par exemple, dans la lettre LSP 502 qui clôt ce Supplément).

Comme l’édition de Paris a servi de référence pendant un siècle et demi pour les publications et travaux sur Fénelon, nous n’avons pas voulu introduire une nouvelle numérotation de ces 146 lettres; aussi gardons-nous les numéros de [OF], en les faisant précéder du sigle LSP. […]

L’étude attentive de ces lettres avait conduit A. Delplanque à reconnaître quelques-uns des destinataires ; les notes de Jean Orcibal dans les tomes précédents [CF] nous ont permis de continuer dans le même sens et d’aboutir dans quelques cas à une certitude ; dans beaucoup d’autres, ce n’est qu’une probabilité, que nous marquons par le point d’interrogation au nom proposé. Quand plusieurs lettres visent une même personne inconnue de nous, nous les affectons d’un sigle (O, U, Y, Z) [sigles repris] qui n’indique pas l’initiale d’un nom propre. Quant aux vingt-trois pièces dont aucun élément ne suggère le nom ou le profil d’un possible destinataire, nous les désignons par leur thème (ainsi, quatre « Consolation » [repris] ) ou par leur incipit. […]







FRANÇOIS LA COMBE (1640-1715)




VIE, ŒUVRES, ÉPREUVES

du Père Confesseur de Madame GUYON









Dossier des Sources assemblé et commenté par Dominique Tronc







FRANÇOIS LACOMBE MYSTIQUE ET MARTYR

Le barnabite François Lacombe ou La Combe (1640-1715) devint le compagnon aîné confesseur de madame Guyon (1647-1717).

Il est resté dans l’ombre lorsqu’il ne fut pas simplement, sommairement et fort bassement mis en cause. Nous voulions donc mieux le connaître. Nous disposons pour cela de nombreux documents :

Des témoignages livrés par Madame Guyon dans sa Vie par elle-même.

Près de cinquante lettres figurent dans nos éditions des écrits de madame Guyon (Vie par elle-même, Correspondance I & II, Années d’épreuves).

S’y ajoutent des écrits traduisant son expérience. Ils ne sont pas médiocres. Ils furent publiées indépendamment à trois dates : une œuvre en deux parties fut incluse dans les Opuscules spirituels, tome II édité par Pierre Poiret en 1720 pour mettre à disposition les écrits de madame Guyon qu’il jugeait essentiels; une œuvre traduite du latin fut publiée en 1795 par le groupe des fidèles suisses ; une défense demeura manuscrite jusqu’à sa publication en 1910.

Les pièces du dossier ainsi constitué sont données intégralement. Nous les distribuons en suivant l’ordre chronologique :

1. La vie du confesseur en liberté dont témoigne surtout madame Guyon.

2. Des écrits du mystique directeur rédigés peu avant son enfermement.

3. Le témoignage des prisons porté par ses lettres.

L’ensemble textuel que nous venons d’établir pour la première fois autour du Confesseur le révèle comme bon directeur mystique. Une fragilité humaine est associée à la profondeur mystique. La tâche au départ entreprise pour mieux connaître le compagnon de Madame Guyon s’est révélée fructueuse et utile pour nous-même. Aussi est-ce à juste titre qu’il fut révéré dans les cercles quiétistes européens du XVIIIe siècle comme martyr témoignant de la vie mystique en foi.

À quarant-six années d’apostolat succédèrent vingt-sept années d’enfermements, terrible sort. Contrairement à madame Guyon, qui après huit années d’emprisonnements devint de nouveau une active directrice mystique, le simple confesseur abandonné par son Ordre ne fut jamais libéré.

Table des sources

Œuvres de Mme Guyon

VG, CG, EG :

Madame Guyon, La vie par elle-même […], Honoré Champion (2001) [VG]

Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles (2003), II Années de combats (2004), III Chemins mystiques (2005) Honoré Champion [CG 1 à 3].

Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Honoré Champion, 2009 [EG].

Etudes

[O.] :

«LA COMBE (François), barnabite, 1640-1715. 1. Vie. — 2. Œuvres. — 3. Spiritualité.» Contribution de Jean Orcibal au Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique, fascicules LIX-LX, col. 35, Beauchesne, Paris, 1975.

L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.









I. UN SAVOYARD ACTIF (1640 - 1687)


UN RELIGIEUX PLEIN D’AVENIR 1640-1681

Nous n’avons pas fait de recherche personnelle portant sur la biographie du Père La Combe avant sa première rencontre avec la jeune Madame Guyon. Mais Jean Orcibal expose les heureux débuts du religieux exemplaire et prometteur dans sa contribution au Dictionnaire de Spiritualité 606puis résume en fin de sa contribution les sources qui lui étaient disponibles 607. Voici ses utiles « données de base » :

Né à Thonon (Savoie) en 1640, François La Combe reçut l’habit des barnabites au collège de cette ville qui était tenu par ces religieux (1655); il fut sans doute profès le 9 juillet 1656. Sous-diacre le 17 décembre 1661, il est ordonné prêtre le 19 mai 1663 par Jean d’Arenthon d’Alex, évêque de Genève.

Au collège d’Annecy, il enseigna avec grand succès la grammaire, la rhétorique, la philosophie et la théologie (ses Disputationes sabbatinae furent particulièrement remarquées); il prêcha et collabora aux missions du Chablais.

À la fin de 1667, il fut appelé au collège Saint-Éloi de Paris avec le titre de consulteur du provincial. En 1669 et 1670, il prit une part notable aux missions du diocèse d’Autun608.

En mai-juin 1671 a lieu une première chaleureusee mais brève rencontre entre La Combe et la jeune Madame Guyon. Mais la «grande rencontre» mystique débutant leur collaboration ne se produira que dix ans plus tard, suivant de peu la mort du directeur Bertot en 1681 (Madame Guyon ne perd pas de temps lorsqu’une recherche de direction mystique s’impose).

Ce premier «croisement» se produit parce que le frère consanguin de Madame Guyon, Dominique de La Mothe était du même ordre barnabite que La Combe. Il précède de peu la rencontre mystique décisive de Madame Guyon et de Monsieur Bertot qui va la diriger jusqu’à sa mort. Cettte rencontre décisive est décrite au chapitre suivant 1.19 de la Vie par elle-même. Elle est datée du 21 septembre de la même année 1671 (ici déjà, aucune « perte de temps »).

Voici le début du chapitre relatant le «croisement» entre les futurs «associés». On note l’effet que provoque la jeune madame Guyon dont un visage lumineux rend probablement compte de sa découverte de la vie mystique très bien décrite au § 2 que nous livrons en partie pour cette raison ; nous nous écarterons parfois de ce qui intéresse directement les rapports avec La Combe si le texte peut les éclairer. Ce dernier est très sensible à une « voie des lumières » qu’il lui faudra par la suite quitter.

Nous faisons précéder tout début du texte principal d’un chapitre de la Vie par son résumé livré en petit corps609.

1.18 LE P. LA COMBE -- PROMPTITUDES ET CHARITÉ 610

1. Rencontre du P. La Combe après ‘huit ou neuf mois que j'avais eu la petite vérole’. ‘Dieu lui fit tant de grâces par ce misérable canal qu'il m'a avoué depuis qu'il s'en alla changé en un autre homme.’ 2. Oraison continuelle, alternances du goût de la présence et de la peine de l’absence. 3-5. Croix désirées mais sensibles ! 6. Promptitudes. 7. Grandes charités / pour les pauvres et malades. / 8. La vertu lui devient pesante / ‘dès la seconde année de mon mariage, Dieu éloigna … mon cœur de tous les plaisirs sensuels.’

[1.] 611 Il y avait huit ou neuf mois que j’avais eu la petite vérole 612 lorsque le père La Combe passa par le lieu de ma demeure. Il vint au logis pour m’apporter une lettre du père de la Mothe, qui me priait de le voir, et qu’il était fort de ses amis. J’hésitai beaucoup si je le verrais, parce que je craignais fort les nouvelles connaissances, cependant la crainte de fâcher le père de La Mothe me porta à le faire.

Cette conversation, qui fut courte, lui fit désirer de me voir encore une fois. Je sentis la même envie de mon côté; car je croyais ou qu’il aimait Dieu ou qu’il était tout propre à l’aimer; et je voulais que tout le monde l’aimât. Il y avait là trois religieux. Dieu s’était servi de moi pour les gagner à lui. L’empressement que le Père La Combe eut de me revoir le porta à venir à notre maison de campagne qui n’était qu’à une demi-lieue de la ville. La providence se servit d’un petit accident qui lui arriva pour me donner le moyen de lui parler : car comme mon mari, qui goûta fort son esprit, lui parlait, il se trouva mal étant allé dans le jardin. Mon mari me dit de l’aller trouver de peur qu’il ne lui fût arrivé quelque chose. J’y allai. Ce père dit qu’il avait remarqué un recueillement et une présence de Dieu sur mon visage si extraordinaire, qu’il se disait à lui-même : «Je n’ai jamais vu de femme comme celle-là», et c’est ce qui lui fit naître l’envie de me revoir. Nous nous entretînmes un peu, et vous permîtes, ô mon Dieu, que je lui disse des choses qui lui ouvrirent la voie de l’intérieur. Dieu lui fit tant de grâces par ce misérable canal, qu’il m’a avoué depuis qu’il s’en alla changé en un autre homme. Je conservai un fonds d’estime pour lui, car il me [74]613 parut qu’il serait à Dieu614, mais j’étais bien éloignée de prévoir que je dusse jamais aller à un lieu où il serait.

[2.] Mes dispositions dans ce temps étaient une oraison continuelle, comme je l’ai dit, sans la connaître. Tout ce qu’il y avait, c’est que je sentais un grand repos et grand goût de la présence de Dieu, qui me paraissait si intime qu’il était plus en moi que moi-même. Les sentiments en étaient quelquefois plus forts, et si pénétrants que je ne pouvais y résister, et l’amour m’ôtait toute liberté. D’autres fois il était si sec, que je ne ressentais que la peine de l’absence, qui m’était d’autant plus rude que la présence m’avait été plus sensible. Je croyais avoir perdu l’amour, car dans des alternatives, lorsque l’amour était présent, j’oubliais tellement mes douleurs, qu’elles ne me paraissaient que comme un songe; et dans les absences de l’amour, il me semblait qu’il ne devait jamais revenir, car il me paraissait toujours que c’était par ma faute qu’il s’était retiré de moi, et c’est ce qui me rendait inconsolable. Si j’avais pu me persuader que c’eut été un état par où il fallait passer, je n’en aurais eu aucune peine, car l’amour de la volonté de Dieu m’aurait rendu toutes choses faciles, le propre de cette oraison étant de donner un grand amour de l’ordre de Dieu, une foi sublime et une confiance si parfaite que l’on ne saurait plus rien craindre, ni périls, ni dangers, ni mort, ni vie, ni esprit, ni tonnerre; au contraire, il réjouit, il donne encore un grand délaissement de soi, de ses intérêts, de sa réputation, un oubli de toutes choses. […] 615.

Pendant dix ans la direction mystique est assurée par Monsieur Bertot616. À sa mort, sa dirigée cherche une aide spirituelle : elle entre en communication épistolaire avec le Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus (mais il vit éloigné à Bordeaux)617 puis de nouveau elle se rapproche du P. La Combe. Avant de le retrouver poursuivons la biographie résumée par Orcibal :

[La Combe] fut ensuite envoyé enseigner la théologie à Bologne (7 septembre 1671), où on le chargea aussi des exercices spirituels. De Bologne, La Combe passa à Rome, également en qualité de lecteur (12 septembre 1672-6 mars 1674).

Le 18 avril 1674, il fut, avec le titre de vice-provincial, chargé de la visite des collèges de Savoie, mais la maladie le contraignit à se retirer à Thonon le 27 mars 1675. Nommé supérieur de la maison d’études et du noviciat de Thonon (1677-1683), La Combe s’en absenta souvent pour prêcher, diriger des religieuses, etc. Il jouissait alors d’une excellente réputation.

Il ne semble pas [DS col.36] avoir à ce moment-là subi l’influence de Madame Guyon, dont il n’aurait reçu que deux lettres avant 1680, ou de Molinos qu’il ne rencontra jamais618. À Rome, c’était au contraire le jésuite Honoré Fabri qui le regardait comme son disciple.

Nous rattachons ici, malgré sa date postérieure à la période couverte dans le chapitre de la Vie par elle-même que nous venons de citer 619, la lettre adressée par La Combe à son vieux «maître» Fabri jésuite qui fut probablement son confesseur : c’est le seul témoignage dont nous disposons en l’absence d’une recherche de sources italienne qui reste à faire.

Elle traduit en termes heurtés l’ombre et la lumière vécues tour à tour par le sensible Lacombe. Il est animé d’un lyrisme italien d’outre-monts620.

L'année de cette lettre au père Fabry, Madame Guyon est à Thonon où elle fait retraite avec La Combe et écrit les Torrents, Vie 2.11.1-5. En juillet la sœur de Madame Guyon arrive de Sens, Vie 2.9.1-9. A l'automne commencera « la grande maladie », une crise religieuse suivi d'un état d'enfance et de la découverte du « pouvoir sur les âmes », Vie 2.12.6-7.

C'est donc une période « d'apprentissage sur le tas » et de crise spirituelle partagée par les deux mystiques que reflète la lettre suivante qui est la plus ancienne de notre dossier La Combe. Elle illustre un climat intérieur agité qui précède de peu le rétablissement de Madame Guyon comme rédactrice des Torrens.

Puis Madame Guyon exercera une influence bénéfique sur son confesseur. Elle sera interrrompue cinq années plus tard par leurs deux emprisonnements de 1687. Pour La Combe les prisons furent certainement durement éprouvées et sans autre fin qu’une mort mentale et physique attestée par le responsable gardien en 1715 :

1. Du P. LACOMBE AU P. FABRY. 12 juillet 1682.

À Rome, ce 12 juillet 1682.

Mon révérend et très cher père,

Je suis toujours le même, c’est-à-dire le plus pauvre et le plus riche du monde, le plus persécuté bien qu’invisiblement, mais le plus protégé, le plus accablé de troubles et d’angoisses, mais le plus tranquille, et le plus consolé qui soit au reste des hommes, en un mot je me vois autant que jamais le sujet du plus grand et mystérieux assemblage des deux souverains [f°1v°] contraires, le paradis et l’enfer, le tout et le néant, en telle sorte que je puis assurer que l’expérience dans laquelle je me trouve me fait toucher au [du] bout du doigt que l’âme de l’homme est un être correspondant en puissance à l’acte immense de l’amour éternel, et que, si Dieu, pendant une éternité, la voulait faire croître en amour, pendant une éternité elle croîtrait, et n’arriverait jamais à un tel point d’amour qu’elle ne restât toujours capable d’un amour infiniment [f°2] plus grand que celui dont elle se trouverait enflammée. Et c’est là justement la raison pour laquelle je ne vois point de fin aux cuisantes douleurs que me fait souffrir le combat inconcevable des deux contraires qui résident en moi, parce que l’amour qui s’augmente sans cesse dans mon cœur, ne peut recevoir d’accroissement qu’au milieu de la division que causent la grâce et le péché.

J’aurais bien des choses à vous dire sur ce sujet, mais elles conviennent plutôt à un [f°2v°] livre qu’à une lettre. Je vous dirais seulement que les progrès que je fais sont si cachés aux yeux de la raison que je ne vois pour l’ordinaire que des apparences de triomphe pour le péché, et une défaite si universelle du parti de la grâce qu’il ne reste plus en moi, je ne dirais pas, une étincelle de vigueur pour entreprendre la moindre chose contre les ennemis de mon salut, mais pas même le moindre désir de leur faire la guerre. Mais, ô Dieu, que ces [f°3] apparences sont fausses, que la réalité qu’elles couvrent est différente de l’éclat trompeur par lequel l’enfer s’efforce de me séduire, et qu’enfin il est doux de se croire perdu pour jamais et sans ressources, tandis qu’on jouit effectivement de la plus haute liberté des enfants de Dieu! Ô mon père, qu’il est doux d’aimer Dieu sans en jouir, qu’il est glorieux de préférer aux splendeurs de la gloire même, l’obscurité de la foi! Restez, restez dans les délices [f°3v°] et tabernacles sacrés, habitants fortunés de l’empyrée, soyez paisibles possesseurs des plaisirs immenses que nous cause l’extase perpétuelle de la lumière de la gloire, et que rien n’interrompe dans toute l’éternité le désir amoureux que nous fait souffrir l’ardeur inconcevable de l’amour éternel! Mais ne pensez pas, ô membre glorieux du corps mystique de mon adorable Maître, que je vous puisse céder l’avantage d’être plus heureux que moi : Non, non, [f°4] je ne vous saurais céder, et je veux me flatter, dans les privations que je souffre, d’être aussi heureux que vous. Je veux même croire que si, dans l’état où vous êtes, il vous était possible de former des désirs, vous n’en pourriez avoir d’autre que celui de vous substituer en ma place pour pouvoir au moins aimer plus que vous ne faites. Brûlons, mon cœur, brûlons, abandonnons-nous entièrement à la plus haute ambition dont tu es capable, et n’en ayons pas moins que Lucifer [f°4v°] même, conscendam et similis ero altissimo621 : je monterai et serai semblable au Très Haut.

Oui mon Dieu, puisque je ne puis Vous aimer autant que Vous m’aimez, je veux au moins en avoir le désir et souhaiter que tout ce qu’il y a de pures créatures sur la terre et dans le ciel cèdent au désir que j’ai de Vous aimer moi seul, plus qu’elles ne vous aiment toutes ensemble. Pardonnez-moi, mon père, je ne sais ce que je dis, car je parle d’aimer [f°5] Dieu sans mesure dans un temps que je ne sens pas même le moindre désir de L’aimer. Ô Majesté incompréhensible, Vous m’environnez de toutes parts, et une seule goutte de pluie dans le vaste océan y devient bien moins l’eau de la mer même que ma pauvre âme abîmée dans votre sacré sein y est changée en Vous-même, et cependant je ne Vous vois ni ne Vous sens, ne Vous connais ni ne Vous aime. Que ferai-je? Que dirai-je? Je meurs parce que je n’expire pas, et je peux dire que je ne vis plus que [f°5v°] parce que je suis plein de vie.

Il y a ici des personnes de toutes les conditions et de tout sexe, qui me donnent de l’admiration, et je ne saurais les voir sans me souvenir de ces paroles du Sauveur : novissimi erunt primi in regno Dei, et les derniers seront les premiers dans le royaume de Dieu622. En effet, il semble que dans ce siècle, et surtout dans le temps où nous vivons, l’éternelle Sagesse travaille plus que jamais à remplir les sièges des Séraphins, des Trônes, et il n’est pas [f ° 6] plus possible d’admirer la sainteté des plus grands saints des siècles passés lorsque je suis avec ces sortes de gens, qu’il est en soi difficile de voir les étoiles en plein midi.

Je ne sais comme cela se fait, car je ne vois dans ces sortes de gens ni actions héroïques, ni prodiges, ni rien de tout ce qui fait paraître les hommes saints. Ce sont des âmes qui marchent par les voies scabreuses de la vie intérieure, et sur lesquelles Dieu permet [f°6v°] à l’enfer d’exercer ces [ses] abominations, mais l’on peut dire d’elles qu’elles sont les enfants les plus délicats de la Sagesse éternelle, qui en rend ce témoignage elle-même dans le prophète Baruc, chap. 4 : Delicati mei ambulaverunt vias asperas ; ducti sunt enim ut grex direptus ab inimicis623. Ce sont des âmes qui ne vont plus chercher dans les préceptes de la loi étroite les règles de leur conduite, car elles sont si intimement unies à l’éternelle Vérité, qui est la souveraine loi, qui leur prescrit [f°7] intérieurement, et d’un ton de voix efficace, tout ce qu’il [faut] qu’elles fassent pour demeurer en Dieu, qu’elles ne sont plus en état de mettre en peine d’autre chose que de Lui obéir en tout et partout. Aussi est-ce pour cela qu’elles ne se mettent nullement en peine des violences secrètes que le démon fait à leurs puissances extérieures, animales ou sensitives, qui sont tout un, encore que le diable les manie avec tant de délicatesse, qu’elles aient sujet de croire qu’elles se portent d’elles-mêmes aux [f°7v°] transgressions et abominations qu’il leur fait commettre, et qu’elles vont contre la lumière de la raison qui est le fondement de toute la loi. Cette même lumière les rend certaines de leur innocence et du peu de part qu’elles ont dans toutes ses misères, qu’elles n’y font pas même de réflexion624.

Au contraire, il semble que parfois elles ne veuillent pas même se flatter de l’intime connaissance qu’elles ont de leur pureté, et que, pour demeurer plus perdues en Dieu, [f°8] elles se font un plaisir de sembler à elles-mêmes criminelles. Ô qu’heureux sont ceux qui marchent par ces voies, et qu’il y a de sûreté à aller contre la raison pour mieux obéir à la raison! Hic liber mandatorum Dei, et lex quæ est in aeternum. Convertere Jacob, et apprehende eam, ambula in [per] viam et [ad] splendorem eius contra lumen eius.625

§

Reprenons le fil conducteur proposé par Orcibal faisant intervenir une autre figure féminine mystique  :

Il est en revanche certain que La Combe doit beaucoup à Marie de l’Incarnation Bon, supérieure des ursulines de Saint-Marcellin en Dauphiné (1636-1680; DS, t. 1, col. 1762). Bien que La Combe dise ne l’avoir vue qu’une fois, il était déjà assez attaché aux idées mystiques d’abandon et de total délaissement à Dieu pour s’être laissé entraîner par trois religieuses à ce qu’il appellera «un coup de fanatisme» (16 juin 1680) : il assura à Arenthon d’Alex qu’il était envoyé par Dieu pour le guérir de sa «propre suffisance»626.

La Combe y perdit l’estime qu’on avait pour lui en Savoie et un religieux assura même à l’évêque que «dans six mois il serait fou». C’est cependant à La Combe qu’Arenthon d’Alex confie Mme Guyon l’année suivante lorsqu’elle vient à Gex avec le projet de fonder une maison de Nouvelles Catholiques.»

Nous étudions indépendemment la remarquable figure de la Mère Bon (1636-1680), contemplative ursuline qui témoigne de son expérience mystique627. Elle pourrait avoir été aussi influente que celle de l’évêque Ripa connu (ou probablement retrouvé par le Père La Combe) lors du séjour italien à venir du Père et de madame Guyon. Nous renvoyons en fin de volume, section « Sources associées », aux notices qui leur sont consacrées.

Abordons maintenant la «rencontre mystique» qui ouvre une collaboration de cinq années avant une séparation définitive qui voit Fénelon prendre relai :






MADAME GUYON TEMOIGNE DE LEUR RENCONTRE ET DE LEUR ACTION COMMUNE (1681-1686)


Dix ans passent depuis leur premier «croisement» raconté précédemment par madame Guyon. Ils sont remplis par la direction de monsieur Bertot. Mais il meurt en 1681 tandis que Maur de l’Enfant-Jésus vit en ermite éloigné à Bordeaux.

La Combe est devenu le supérieur de la maison d’études et du noviciat en Savoie à Thonon depuis 1677 (il le sera jusqu’en 1683).

Madame Guyon sort d’une nuit mystique et cherche un nouveau confesseur. Dans le récit de sa Vie elle évoque cette épreuve puis saisit l’occasion qui s’offre de se «recommander à ses prières.» Ce qui réussit : «il me répondit d’une manière comme s’il eût connu par une lumière surnaturelle, malgré l’effroyable portrait que je lui faisais de moi-même, que mon état était de grâce» au [§6] :

1.27 LA FIN DE LA NUIT — LE PÈRE LA COMBE

1. Avant la mort de son mari elle avait eu l’intention de s’expliquer à un homme de mérite mais cela provoqua un reproche intérieur intense : ‘Vous avez été, ô mon Dieu, mon fidèle conducteur, même dans mes misères.’ 2. L’âme ‘se trouve au sortir de sa boue … revêtue de toutes les inclinations de Jésus-Christ.’ 3. ‘Elle a aussi pour le prochain une charité immense.’ ‘J’oubliais presque toutes les menues choses … j’allais en un jour plus de dix fois au jardin pour y voir quelque chose pour le rapporter à mon mari et je l’oubliai … je ne comprenais ni entendais plus les nouvelles qui se disaient devant moi.’ 4. ‘Une des choses qui m'a fait le plus de peine dans les sept ans dont j'ai parlé, surtout les cinq dernières, c'était une folie si étrange de mon imagination qu'elle ne me donnait aucun repos.’ 5. ‘Il me semblait, ô mon Dieu, que j'étais pour jamais effacée de votre coeur et de celui de toutes les créatures.’ 6. Elle écrit au P. La Combe qu’elle est ‘déchue de la grâce de mon Dieu’, ‘Il me répondit …que mon état était de grâce.’ 7. ‘Genève me venait dans l'esprit … Je me disais à moi-même : « Quoi! pour comble d'abandon, irai-je jusqu'à ces excès d'impiété que de quitter la foi par une apostasie? ». Elle se sent unie au P. La Combe ; elle rêve de la mère Bon [qu’elle identifiera plus tard]. 8. ‘Huit ou dix jours avant la Madeleine de l'an 1680’ elle écrit au P. La Combe qui célèbre la messe pour elle : ‘il lui fut dit par trois fois avec beaucoup d'impétuosité : “Vous demeurerez dans un même lieu”.’

[…] Une des choses qui m’a fait le plus de peine dans les sept ans dont j’ai parlé, surtout les cinq dernières, c’était une folie si étrange de mon imagination qu’elle ne me donnait aucun repos; mes sens lui faisaient compagnie en sorte que je ne pouvais plus fermer les yeux à l’église et ainsi, toutes les portes étant ouvertes, je ne devais me regarder que comme une vigne exposée au pillage, parce que les haies que le père de famille avait plantées étaient arrachées. Je voyais alors tout ce qui se faisait et tout ce qui allait et venait à l’église, état bien différent de l’autre. La même force qui m’avait tirée au-dedans pour me recueillir semblait me pousser au-dehors pour me dissiper.

[5.] Enfin accablée de misères de toutes manières, comblée d’ennuis628, affaissée sous la croix, je me résolus de finir mes jours de cette sorte. Il ne me resta plus aucun espoir de sortir jamais d’un état si pénible, mais pourtant, croyant avoir perdu la grâce pour jamais et le salut qu’elle nous mérite, j’aurais voulu au moins faire ce que j’aurais pu pour un Dieu que je croyais ne devoir jamais aimer, et voyant le lieu d’où j’étais tombée, j’aurais voulu par reconnaissance le servir, quoique je me crusse [120] une victime destinée pour l’enfer. D’autres fois la vue d’un si heureux état me faisait naître certains désirs secrets d’y rentrer, mais j’étais soudain rejetée dans le profond de l’abîme d’où je ne faisais pas un soupir, demeurant pour toujours dans un état qui était dû aux âmes infidèles. Je restais quelque temps en cet état comme les morts éternels qui ne doivent jamais revivre. Il me semble que ce passage me convenait admirablement : Je suis comme les morts effacés du cœur629. Il me semblait, ô mon Dieu, que j’étais pour jamais effacée de votre cœur et de celui de toutes les créatures. Peu à peu mon état cessa d’être pénible. J’y devins même insensible et mon insensibilité me parut l’endurcissement final de ma réprobation. Mon froid me parut un froid de mort. Cela était bien de la sorte, ô mon Dieu, puisque vous me fîtes trépasser amoureusement en vous, comme je vais le dire.

[6.] Il arriva qu’un laquais que j’avais au logis voulut se faire barnabite et comme j’en écrivais au Père de l[a Mothe], il me manda qu’il fallait s’adresser au Père La Combe, qui était alors supérieur de Thonon. Cela m’obligea de lui écrire. J’avais toujours conservé un fond de respect et une je ne sais quelle estime de sa grâce. Je fus bien aise de cette occasion pour me recommander à ses prières. Comme je ne savais parler que de ce qui m’était plus réel, je lui écrivis que j’étais déchue de la grâce de mon Dieu, que j’avais payé ses bienfaits de la plus noire ingratitude, enfin, que j’étais la même misère et un sujet digne de compassion et que, loin d’avoir avancé vers mon Dieu, je m’en étais entièrement éloignée. Il me répondit d’une manière comme s’il eût connu par une lumière surnaturelle, malgré l’effroyable portrait que je lui faisais de moi-même, que mon état était de grâce. Il me le manda de la sorte, mais j’étais bien éloignée de me le persuader630.

[7.] Dans le temps de ma misère, Genève me venait dans l’esprit d’une manière que je ne peux dire. Cela me fit craindre beaucoup. Je me croyais capable de tous les maux du monde et l’endurcissement extrême où je me trouvais, uni à un dégoût général de tout ce qui est appelé bon, me donnait toute sorte de défiance de moi-même. Je disais : «Pourrais-je quitter l’Église pour laquelle je donnerais mille vies ! Quoi? Cette foi que j’aurais voulu sceller de mon sang, serait-il possible que je m’en éloignasse?» Il me semblait que je ne pouvais rien espérer de moi-même et que j’avais mille sujets de craindre après l’expérience que j’avais faite de ma faiblesse. Cependant la lettre que j’avais reçue du Père La Combe, où il me mandait sa disposition présente qui avait assez de rapport à celle qui avait devancé mon état de misère, me fit un tel effet, parce que vous le voulûtes de la sorte, ô mon Dieu, qu’elle rendit la paix à mon esprit et le calme à mon cœur. Je me trouvai même unie intérieurement à lui comme à une personne d’une grande grâce. Il se présenta à moi à quelque temps de là, la nuit en songe, une petite religieuse fort contrefaite631, qui me paraissait pourtant et morte et bienheureuse. Elle me dit : «Ma sœur, je viens vous dire que Dieu vous veut à Genève632». Elle me dit encore quelque chose dont je ne me souviens pas. J’en fus extrêmement consolée, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire, je crus que c’était une religieuse de St Benoît qui est une sainte, qui était morte, j’envoyai voir, mais elle était pleine de vie. Selon le portrait de la mère Bon633, que j’ai vu depuis, j’ai connu que c’était elle et le temps que je la vis se rapporte assez à celui de sa mort.

[8.] Environ huit ou dix jours avant la Madeleine de l’an 1680, il me vint au cœur d’écrire encore au Père La Combe et de le prier, s’il recevait ma lettre avant la Madeleine, de dire la messe pour moi ce jour-là. Vous fites, ô mon Dieu, que cette lettre, contre l’ordinaire des autres qu’il ne recevait que très tard à cause du défaut des messagers qui les vont quérir à pied à Chambéry, où [121] ils sont presque le temps que ma lettre fut de Paris où il était, il la reçut la veille de la Madeleine, et le jour de la Madeleine il dit la messe pour moi. Comme il m’offrit à Dieu au premier mémento, il lui fut dit par trois fois avec beaucoup d’impétuosité : «Vous demeurerez dans un même lieu». Il fut d’autant plus surpris qu’il n’avait jamais eu de parole intérieure. Je crois, ô mon Dieu, que cela s’est bien plus vérifié et pour l’intérieur et pour les mêmes aventures crucifiantes qui nous sont arrivées assez pareilles, et pour vous-même, ô Dieu, qui êtes notre demeure, que pour la demeure temporelle. Car quoique j’aie été quelque temps avec lui dans un même pays, et que votre providence nous ait fourni quelques occasions d’être ensemble, il me paraît que cela s’est vérifié bien plus par le reste; puisque j’ai l’avantage aussi bien que lui de confesser Jésus-Christ crucifié.

L’entreprise prend forme et madame Guyon se met en route juste un an plus tard, car elle arrivera à Gex la veille de la Madeleine 1681. Le P. La Combe a de son côté agi avec succès auprès de son supérieur évêque qu’il connaissait depuis longtemps634. Revenu de Rome à Thonon en 1678, il avait été nommé supérieur de la maison des barnabites de cette dernière ville. Mme Guyon et lui échangèrent alors plusieurs lettres (v. Vie 1.27.6-7, 1.28.5, 1.29.3 & 10). Aucune de ces lettres n’a été conservée.

La rencontre sera décisive et madame Guyon écrit à son frère Dominique, barnabite comme Lacombe : «Mgr de Genève m’a procuré l’avantage de voir le R. P. de Lacombe : c’est un homme admirable et tout de Dieu, sa grâce est si grande qu’elle se répand sur ceux qui l’approchent. Vous connaîtrez un jour en Dieu la grandeur de cette âme635.»

La rencontre s’accompagne d’une communication mystique précisément décrite ce qui fait l’intérêt d’un chapitre par ailleurs long.

 L’«influence de grâce venait de lui à moi par le plus intime, et retournait de moi à lui» (§1); madame Guyon explicite sa vie intérieure propre; elle continue sur leur dialogue mystique où «le Père me dit qu’il avait eu une certitude bien grande que j’étais une pierre que Dieu destinait pour le fondement d’un grand édifice» (§5) ce qui est confirmé par un bon ermite (§7); elle emmène sa fille avec elle à Thonon, non sans angoisse636 :

2.2 COMMUNICATION ET PRÉSAGES

1. ‘Sitôt que je vis le père La Combe, je fus surprise de sentir une grâce intérieure que je peux appeler communication.’ 2. Elle craint la voie de lumières de ce dernier. 3-5. Deux nuits, ‘avec un fort écoulement de grâce, ces paroles [me furent] mises dans l'esprit : Il est écrit de moi que je ferai votre volonté. / Tu es Pierre et sur cette pierre j'établirai mon Église. / 6-8. Rencontre d’un ermite qui voit des épreuves à venir pour elle et le père qui ‘fut dépouillé de ses habits et revêtu de l'habit blanc et du manteau rouge’ ; ‘nous abreuvions des peuples innombrables.’ 9. Elle éprouve de grandes angoisses pour sa fille.

[1.] Notre-Seigneur qui eut pitié de ma peine et de l’état déplorable de ma fille, fit que M. de Genève écrivit au Père La Combe qu’il vînt nous voir et nous consoler, que nous étions arrivés à Gex637 et qu’il lui ferait plaisir de ne pas différer. Sitôt que je vis le Père La Combe, je fut surprise de sentir une grâce intérieure que je peux appeler communication, et que je n’avais jamais eue avec personne. Il me semble qu’une influence de grâce venait de lui à moi par le plus intime, et retournait de moi à lui en sorte qu’il éprouvait le même effet, mais grâce si pure, si nette, si dégagée de tout sentiment qu’elle faisait comme un flux et un reflux, et de là s’allait perdre dans l’Un divin et indivisible. Il n’y avait rien d’humain ni de naturel, mais tout pur esprit, et cette union toute pure et sainte, qui a toujours subsisté, et même augmenté devenant toujours plus une, n’a jamais arrêté ni occupé l’âme un moment hors de Dieu, la laissant toujours dans un parfait dégagement : union que Dieu seul opère, et qui ne peut être qu’entre les âmes qui lui sont unies, union exempte de toute faiblesse et de tout attachement, union qui fait que loin d’avoir compassion de la personne qui souffre, l’on en a de la joie, et plus on se voit accablés les uns et les autres de croix, de renversements, séparés, détruits, plus on est content, union qui n’a nul besoin pour sa subsistance de la présence de corps, que l’absence ne rend point plus absente, ni la présence plus présente; union inconnue à tout autre qu’à ceux qui l’éprouvent. Comme je n’avais jamais eu d’union de cette sorte, elle me parut alors toute nouvelle, n’ayant même jamais ouï dire qu’il y en eût, mais elle était si paisible, si éloignée de tout sentiment, qu’elle ne m’a jamais donné aucun doute qu’elle ne fut pas de Dieu, car ces unions, loin de détourner de Dieu, enfoncent plus l’âme en lui. Le Père La Combe me dit qu’il fallait mener ma fille à Thonon et qu’elle y serait très bien. La grâce que j’éprouvais, qui faisait cette influence intérieure de lui à moi et de moi à lui, dissipa toutes mes peines, et me mit dans un très profond repos.

[2.] Dieu lui donna d’abord beaucoup d’ouverture pour moi. Il me raconta les miséricordes que Dieu lui avait faites, et beaucoup de choses extraordinaires. Je craignis fort cette voie de lumières/et bien des choses extraordinaires qui lui étaient arrivées. //Comme ma voie avait été de foi nue, et non dans les dons extraordinaires,/je craignis beaucoup, car//638 je ne comprenais pas alors que Dieu voulait se servir de moi pour le tirer de cet état lumineux et le mettre dans celui de la foi nue. Les choses extraordinaires me donnèrent de la crainte d’abord. J’appréhendai l’illusion surtout dans les choses qui flattent sur l’avenir, mais (139) la grâce qui sortait de lui et qui s’écoulait dans mon âme me rassurait, jointe à une humilité des plus extraordinaires que j’eusse encore vues. Car je voyais qu’il aurait préféré le sentiment d’un enfant au sien propre, qu’il ne tenait à rien et que, loin de s’élever ni pour les dons de Dieu, ni pour sa profonde science, l’on ne pouvait avoir un plus bas sentiment de soi-même qu’il en avait, et c’est un don que vous lui aviez donné mon Dieu dans un degré éminent. Il me dit d’abord, après que je lui eus parlé du rebut intérieur que j’avais pour la manière de vie des Nouvelles Catholiques639, qu’il ne croyait pas que Dieu me demandât avec elles, qu’il fallait y demeurer sans engagement et que Dieu me ferait connaître par la conduite de sa providence ce qu’il voudrait de moi; mais qu’il y fallait rester jusqu’à ce que Dieu m’en tirât lui-même par sa providence, ou m’y engageât par sa même providence.

[3.] Il résolut de rester avec nous deux jours, et de dire trois messes en comptant celle du jour qu’il s’en alla. Il me dit de demander à Notre-Seigneur qu’il me fît connaître sa volonté. Je ne pouvais ni rien demander, ni rien vouloir connaître, je restai dans ma simple disposition. La nuit, à l’heure de minuit, je commençais déjà à m’éveiller pour prier avant ce temps, mais pour lors, je fus réveillée comme si une personne m’eût éveillée et en m’éveillant, ces paroles me furent mises soudainement dans l’esprit d’une manière un peu impétueuse : Il est écrit de moi que je ferai votre volonté640, et cela s’insinua dans toute mon âme avec un écoulement de grâce si pure et si pénétrante cependant que je n’en avais jamais eu de plus douce, de plus simple, de plus forte et de plus pure. Car il faut savoir que quoique l’état que portait alors mon âme fut un état déjà permanent en nouveauté de vie, cette vie nouvelle n’était pas dans l’immutabilité où elle a été depuis; c’est-à-dire proprement, que c’était une vie naissante et un jour naissant qui va toujours s’augmentant et affermissant jusqu’au midi de la gloire; jour cependant où il n’y a plus de nuit, vie qui ne craint plus la mort dans la mort même, parce que la mort a vaincu la mort, et que celui qui a souffert la première mort ne goûtera plus la seconde mort.

[4.] Or il est bon de dire ici que quoique l’âme soit dans un état immobile et qu’elle participe de l’immuable, sans que l’âme sorte de sa sphère ni de son ciel ferme et immobile, où il n’y a ni distinction, ni changement, Dieu envoie pourtant, quand il lui plaît, de ce même fond, certaines influences qui ont des distinctions, et qui font connaître sa sainte volonté ou les choses à venir : mais comme cela vient du fond et non par l’entremise des puissances, cela est certain, et non sujet à l’illusion comme le sont les visions et le reste dont j’ai déjà tant parlé. Car il faut savoir que telle âme dont je parle reçoit tout du fond immédiat qui se répand après sur les puissances et sur les sens, comme il plaît à Dieu. Il n’en est pas ainsi des autres âmes qui reçoivent médiatement : ce qu’elles reçoivent tombe dans les puissances et se réunit dans le centre; au lieu que celles-ci se déchargent du centre sur les puissances et sur les sens. Elles laissent tout passer, sans que rien [ne] fasse plus d’impression ni sur leur esprit ni sur leur cœur. De plus les choses qu’elles connaissent ou apprennent ne leur paraissent pas comme choses extraordinaires, comme prophéties et le reste, ainsi qu’elles paraissent aux autres, cela se dit tout naturellement, sans savoir ni ce qu’on dit, ni pourquoi on le dit, sans rien d’extraordinaire.

L’on dit et écrit ce qu’on ne sait pas, et en le disant et écrivant, on voit que ce sont des choses auxquelles on n’avait jamais pensé. C’est comme une personne qui possède dans son fond un trésor inépuisable, sans qu’elle pense jamais à sa possession, elle ne (140) sait point ses richesses et elle ne les regarde jamais, mais elle trouve dans ce fond tout ce qu’il lui faut quand elle en a affaire641, le passé, le présent et l’avenir/tout//est là en manière de moment présent et éternel, non point comme prophétie qui regarde l’avenir comme chose à venir, mais voyant tout dans le présent éternel en Dieu même, sans savoir comme elle le voit et connaît, ou bien souvent ignorant même si elle le voit ou connaît. Une certaine fidélité à dire les choses sans retour comme elles sont données sans vue ni retour, sans songer si c’est de l’avenir ou du présent que l’on parle, sans se mettre en peine qu’elles s’accomplissent ou non, d’une manière ou d’une autre; si elles ont une interprétation ou une autre. C’est de ce fond ainsi perdu que sortent les miracles642, c’est le Verbe lui-même qui opère ce qu’il dit, dixit et facta sunt sans que l’âme propre sache ce qu’elle dit ou écrit. En les écrivant ou disant, elle est éclairée avec certitude que c’est la parole de vérité, qui aura son effet. Cela est-il fait, elle n’y pense plus, et n’y prend non plus de part que s’il était dit ou écrit par un autre. C’est ce que Notre-Seigneur a dit dans son Évangile que : l’homme tire du bon trésor de son cœur les choses anciennes et nouvelles643. Depuis que notre trésor est Dieu même, et que notre cœur et notre volonté est toute sans réserve passée en lui, c’est là où l’on trouve un trésor qui ne s’épuise jamais, plus on en distribue, plus on est riche.

[5.] Après que ces paroles m’eurent été mises dans l’esprit : Il est écrit de moi que je ferai votre volonté, je me souvins que le Père La Combe m’avait dit de demander ce qu’il voulait faire de moi en ce pays. Mon souvenir fut ma demande; /aussitôt ces paroles (3.111)644 me furent mises dans l’esprit avec beaucoup de vitesse, «tu es Pierre et sur cette pierre j’établirai mon Église, et comme Pierre est mort en croix, tu mourras sur la croix», je fus certifiée que c’était ce que Dieu voulait de moi, mais de comprendre son exécution, c’est ce que je ne me suis pas mise en peine de savoir//; je fus invitée de me mettre à genoux, où je restai jusqu’à quatre heures du matin dans une très profonde et très paisible oraison. Je ne dis rien au matin au Père La Combe. Il fut dire la messe : il eut mouvement de la dire de la dédicace de l’église. Je fus encore plus confirmée, et je crus que Notre-Seigneur lui avait fait connaître quelque chose de ce qui s’était passé en moi. Je le dis au Père La Combe après la messe, il me dit que je m’étais trompée; aussitôt mon esprit se démit de toute pensée et certitude pour n’y plus songer, et resta dans son ordinaire, entrant plutôt dans ce que le père disait que dans ce qu’il avait connu. La nuit suivante je fus réveillée à la même heure et de la même manière que la nuit précédente; et ces paroles me furent mises dans l’esprit : Fondamenta ejus in montibus sanctis645, Je fus mise dans le même état que la nuit précédente qui dura jusqu’à quatre heures du matin; mais je ne pensai en nulle manière à ce que cela voulait dire, n’y faisant aucune attention. Le lendemain après la messe, le Père me dit qu’il avait eu une certitude bien grande que j’étais une pierre que Dieu destinait pour le fondement d’un grand édifice, mais il ne savait pas non plus que moi ce que c’était que cet édifice. De quelque manière que la chose doive être, ou que sa divine Majesté veuille se servir de moi en cette vie pour quelque dessein à elle seule connu, ou qu’elle veuille bien me faire une des pierres de la Jérusalem céleste, il me semble que cette pierre n’est polie qu’à coups de marteau, il me paraît qu’ils ne lui ont été guère épargnés depuis ce temps, comme l’on le verra dans la suite, et que Notre-Seigneur lui a bien donné les qualités de la pierre, qui sont la fermeté et l’insensibilité. Je lui dis ce qui m’était arrivé la nuit.

[6.] Je menai donc ma fille à Thonon. Cette pauvre enfant prit une amitié très grande pour le Père La Combe, disant que c’était le père du bon Dieu. En arrivant à Thonon, j’y trouvai un ermite d’une sainteté des plus extraordinaires qu’il y en ait guère eu depuis longtemps. Il était de Genève, et Dieu l’en avait tiré d’une manière très miraculeuse à l’âge de douze ans, après lui avoir donné dès l’âge de quatre ans la connaissance qu’il se ferait catholique. Il avait, avec la permission du cardinal, pour lors archevêque (141) d’Aix-en-Provence, pris à dix-neuf ans l’habit d’ermite de saint Augustin; il vivait seul avec un autre frère dans un petit ermitage où ils ne voyaient personne que ceux qui venaient visiter leur chapelle. Il y avait douze ans qu’il était dans cet ermitage, ne mangeant jamais rien que des légumes avec du sel et quelquefois de l’huile; il jeûnait continuellement, sans s’être jamais relâché un moment en douze ans. Il jeûnait trois fois la semaine au pain et à l’eau, il ne buvait jamais de vin et ne faisait pour l’ordinaire qu’un repas en vingt-quatre heures. Il portait pour chemise une grosse haire faite avec de grosses cordes qui lui allait du haut en bas, ne couchait que sur le plancher. Il avait un don d’oraison continuel : il en faisait de marquées huit heures chaque jour et disait son office. Avec tout cela une soumission d’enfant. Dieu avait fait par lui quantité de miracles éclatants. Il venait à Genève croyant pouvoir gagner646 sa mère, mais il la trouva morte.

[7.] Ce bon ermite eut quantité de connaissances des desseins de Dieu sur moi et sur le Père La Combe, mais Dieu lui fit voir en même temps qu’il nous préparait d’étranges croix à l’un et à l’autre. Il connut que Dieu nous destinait l’un à l’autre pour aider les âmes. Il vit une fois dans son oraison, qui était toute en dons et lumières, qu’étant à genoux, vêtue avec un manteau de couleur brune, on me coupa la tête qui fut aussitôt rétablie et que l’on me vêtit d’une robe très blanche et d’un manteau rouge et que l’on me mit une couronne de fleurs sur la tête. Il vit le Père La Combe que l’on divisait en deux et qui fut réuni bientôt, et tenant dans sa main une palme; il fut dépouillé de ses habits et revêtu de l’habit blanc et du manteau rouge; ensuite de quoi il nous vit tous deux proches d’un puits et que nous abreuvions des peuples innombrables qui venaient à nous.

[8.] Il me semble, ô mon Dieu, que cette vision si mystérieuse a déjà eu une partie de son effet, tant à cause des divisions qu’il a souffertes, et moi aussi, pourtant sans douleur, et de ce que j’ai cette confiance que vous l’avez dépouillé de lui-même pour le revêtir d’innocence, de pureté et de charité. Oui, mon Dieu, il me semble que l’amour que vous avez mis en moi est tout pur, dégagé de tout intérêt propre, amour qui aime son objet en lui-même et pour lui-même, sans aucun retour sur soi. Il craindrait plus un retour que l’enfer, car l’enfer sans amour-propre serait changé pour lui en paradis. Notre-Seigneur s’est aussi déjà servi beaucoup de lui et de moi pour gagner les âmes, je ne sais quel dessein il pourrait avoir sur nous dans la suite, je sais que nous sommes à lui sans nulle réserve. Un peu après que je fus arrivée aux Ursulines de Thonon, la sœur M. me parla avec beaucoup d’ouverture, selon l’ordre que le Père La Combe lui en avait donné. Elle me dit d’abord tant de choses extraordinaires qu’elle me devint suspecte, et je crus qu’il y avait de l’illusion en son fait; et je m’en voulais du mal à moi-même.

[9.] Je commençai à ressentir une peine incroyable d’avoir amené ma fille, et je me trouvais bien à son égard un Abraham, lorsque le Père La Combe m’abordant me dit : «Vous, soyez la bienvenue, fille d’Abraham.» Je ne trouvais nulle raison de la laisser là, et je pouvais encore moins la garder avec moi, parce que nous n’avions pas de lieu, et que les petites filles que l’on prenait pour faire catholiques étaient toutes mêlées avec nous, et avaient des maux dangereux. De la laisser là aussi, cela me paraissait une folie : le langage du pays, où l’on n’entendait qu’à peine le français, la nourriture dont elle ne pouvait user, pour être entièrement différente de la nôtre. Je la voyais tous les jours maigrir et devenir à rien. Cela me réduisait comme à l’agonie et il me semblait qu’on me déchirait les entrailles; tout ce que j’avais de tendresse pour elle se renouvela et je me regardais comme sa meurtrière. J’éprouvais ce que souffrit Agar lorsqu’elle éloigna (142) son fils Ismaël d’elle dans le désert pour ne le point voir mourir. […]

Le demi-frère barnabite La Mothe se tourne contre elle par intérêt : plus tard il cherchera par jalousie à détruire le P. La Combe; ce dernier lui est donné pour directeur par M. de Genève (Arenthon d’Alex) ; les sœurs la «négligent» et elle tombe malade ; le P. La Combe appelé pour la confesser la guérit par « miracle ». Elle arrive à Thonon où elle fera vœu de pauvreté dans l’esprit du tiers ordre franciscain qui inspira sa filiation spirituelle647.

2.3 ÉTAT APOSTOLIQUE —À THONON

1. ‘Le père La Mothe …me mandait …que ma belle-mère, en qui je me fiais pour le bien de mes enfants et pour le cadet, était devenue en enfance, et que j'en étais cause : cela était cependant très faux … je commençais alors à porter les peines en manière divine, …l'âme pouvais …sans nul sentiment être en même temps et très heureuse et très douloureuse.’ 2. Critiques, lettre de son cadet. 3. Problèmes de sommeil et de nourriture. 4. ‘Ceux qui me voyaient disaient que j'avais un esprit prodigieux. Je savais bien que je n'avais que peu d'esprit, mais qu'en Dieu mon esprit avait pris une qualité qu'il n'eut jamais auparavant.’ 5-6. Visite de M. de Genève qui lui ouvre son cœur. Il lui donne le père La Combe pour directeur. 7. Maladie, négligence des sœurs. Elle est guérie par le père. A Thonon chez les Ursulines. 8. Vœux perpétuels. 9-10. Etat d’enfance. 11. ‘J'ai été quelques années que je n'avais que comme un demi-sommeil.’

[1.] Sitôt que l’on sut en France que je m’en étais allée, ce fut une condamnation générale. Ceux qui m’attaquèrent le plus fortement furent les spirituels humains, et surtout le père La Mothe qui m’écrivit que toutes les personnes de doctrine et de piété, de robe et d’épée, me condamnaient. Il me mandait de plus pour m’alarmer, que ma belle-mère, en qui je me fiais pour le bien de mes enfants et pour le cadet, était devenue en enfance, et que j’en étais cause […]

[2.] Je répondis à toutes les lettres qu’on m’écrivit d’abord, toutes fulminantes, selon que l’esprit intérieur me dictait, et mes réponses se trouvèrent très justes, elles furent même fort goûtées, en sorte que Dieu le permettant ainsi, ces plaintes et ces foudres changèrent bientôt en applaudissements648. Toutes ces attaques ne me furent point si sensibles qu’une lettre que je reçus de mon cadet qui était de son petit649 style. Chaque mot portait son coup de flèche; La sœur Garnier changea d’abord pour moi, et se déclara contre moi, soit que ce fut une feinte ou une touche véritable. Le père La Mothe parut revenir m’estimer même, mais cela ne dura pas longtemps. Un certain intérêt était ce qui le faisait agir. Lorsqu’il vit qu’une pension qu’il s’était imaginé que je lui ferais, n’était point, il changea tout à coup. […]

[5.] Quelque temps après mon arrivée à Gex, M. de Genève vint pour nous voir. Je lui parlai avec ouverture et impétuosité de l’esprit qui me conduisait. Il fut si convaincu de l’Esprit de Dieu en moi, qu’il ne pouvait se lasser de le dire. Il en fut même pris et touché, m’ouvrit son cœur sur ce que Dieu voulait de lui, et sur ce qu’on l’avait détourné de la fidélité à la grâce; car c’est un bon prélat, et c’est le [144] plus grand dommage du monde qu’il soit faible au point qu’il est à se laisser conduire, car lorsque je lui ai parlé, il a toujours entré dans ce que je lui ai dit, avouant que ce que je lui disais portait un caractère de vérité. Cela n’avait garde d’être autrement puisque c’était l’esprit de vérité qui me faisait lui parler, sans quoi je n’étais qu’une bête; sitôt que les gens qui voulaient dominer et ne pouvaient souffrir le bien qui ne venait pas d’eux lui parlaient, il se laissait impressionner contre la vérité. C’est ce faible, avec quelques autres, qui l’ont empêché de faire tout le bien qu’il aurait fait dans son diocèse sans cela.

[6.] Après que je lui eus parlé, il me dit qu’il avait eu dans l’esprit de me donner le Père La Combe pour directeur; que c’était un homme éclairé de Dieu, et qui entendait bien les voies de l’intérieur, qui avait un don singulier de pacifier les âmes; ce sont ses propres termes : «Qu’il lui avait même dit quantité de choses qui le regardaient qu’il savait être fort véritables, puisqu’il sentait en lui-même ce que le Père lui disait.» J’eus beaucoup de joie de ce que M. de Genève me le donnait pour directeur, voyant par là que l’autorité extérieure s’unissait avec la grâce qui semblait déjà me l’avoir donné par cette union et effusion de grâce surnaturelle.

[7.] […] Dieu permit que les sœurs me négligeassent fort; surtout celle qui avait soin de l’économie était fort bonne ménagère, cela alla à tel point qu’on ne me fit point faire de bouillon. Je n’avais pas un sol pour m’en faire faire, car je ne m’étais rien réservé, et les sœurs alors touchaient tout l’argent qui me venait de France, qui était très considérable. […]

Cependant comme elles craignirent que je ne mourusse, elles envoyèrent à Genève chercher de la viande et en même temps écrivirent au Père La Combe pour le prier de me venir confesser. Il vint toute la nuit à pied avec beaucoup de charité, quoiqu’il y eût huit grandes lieues, mais il n’allait point autrement, imitant en cela, comme en tout le reste, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sitôt qu’il entra dans la maison mes douleurs s’apaisèrent, et lorsqu’il fut entré dans ma chambre et qu’il m’eut bénie m’appuyant les mains sur la tête, je fus guérie parfaitement, et je vidai mes eaux en sorte que je fus en état d’aller à la messe.

Les médecins furent si fort surpris qu’ils ne savaient à quoi attribuer ma guérison, car étant protestants, ils n’avaient garde d’y reconnaître du miracle. Ils dirent que c’était folie, que j’étais malade d’esprit et cent extravagances dont étaient capables des gens d’ailleurs fâchés de ce qu’ils savaient que l’on venait pour retirer de l’erreur ceux qui le voudraient. Il me resta cependant une toux assez forte, et ces sœurs me dirent d’elles-mêmes qu’il fallait aller auprès de ma fille pour prendre du lait durant quinze jours, et puis après que je reviendrais. Sitôt que je partis, le Père La Combe qui s’en retournait et qui était dans le même bateau me dit : «Que votre toux cesse», elle cessa d’abord, et quoiqu’il vînt une furieuse tempête sur le lac qui me fit vomir, je ne toussai plus du tout. La tempête devint si furieuse que les vagues pensèrent renverser le bateau. Le Père La Combe fit un signe de croix sur les ondes et, quoique les flots devinssent plus mutinés, ils n’approchèrent plus du bateau, mais se brisaient à plus d’un pied du bateau; ce qui fut remarqué des mariniers et de ceux qui étaient dans le bateau qui le regardaient comme un saint, de sorte qu’étant arrivée à Thonon dans les Ursulines, je me trouvai si parfaitement guérie qu’au lieu de me faire des remèdes, comme je me l’étais proposé, j’entrai en retraite; j’y fus douze jours.

[8.] Ce fut là que je fis pour toujours les vœux que je n’avais faits que pour un temps650. […]

Madame Guyon a soin de souligner de nouveau l’attitude confiante de M. de Genève qui se retournera plus tard contre Lacombe : à l’époque il « donna pour directeur de notre maison le Père La Combe.» Conflit d’intérêt entre celui tout spirituel de la future « dame directrice » et un ecclésiastique séduit ; jalousie entretenue d’un autre ecclésiastique vis-à-vis de Lacombe. Madame Guyon se souvient d’un rêve qui prédit le partage de lourdes épreuves.

2.5 COMBATS

1. Elle se défait de son bien, signant tout ce que veut sa famille. 2-3. Elle sait que les croix viennent de Jésus-Christ. Manifestations démoniaques. 4. Elle empêche la liaison d’une très belle fille avec un ecclésiastique. 5-6. Celui-ci médit sur elle et gagne une religieuse. 7-8. Heureuse veille de trois jours; M. de Genève lui envoie un Enfant Jésus distribuant des croix. 9. ‘Je vis la nuit en songe …le Père La Combe attaché à une grande croix.’ 10. L’ecclésiastique gagne la fille et la supérieure.

[4.] Une des sœurs que j’avais amenées, et qui était une fort belle fille, se lia avec un ecclésiastique qui avait autorité dans ce lieu. Il lui inspira d’abord de l’aversion pour moi, jugeant bien que si elle avait de la confiance en moi, je ne lui conseillerais pas de souffrir ses visites si fréquentes. Elle entreprit une retraite; je la priai de ne la point faire que je n’y fusse, car c’était dans le temps que je faisais la mienne. Cet ecclésiastique était bien aise de la lui faire faire afin d’entrer dans toute sa confiance, ce qui lui eût même servi de prétexte pour de fréquentes visites. M. de Genève donna pour directeur de notre maison le Père La Combe sans que je l’en eusse prié, de sorte que cela venait tout purement de Dieu. Je la priai donc, comme il devait faire faire les retraites, de l’attendre. Comme je commençais déjà de m’insinuer dans son esprit, elle me l’accorda malgré sa propre inclination qui était assez de la faire sous cet ecclésiastique. Je commençai à lui parler d’oraison, et à la lui faire faire. Notre-Seigneur donna tant de bénédiction, que cette fille, d’ailleurs très sage, se donna à Dieu tout de bon et de tout son cœur. La retraite acheva de la gagner. Or comme elle connut apparemment que de se lier avec cet ecclésiastique était quelque chose d’imparfait, elle fut plus réservée, cela choqua beaucoup ce bon ecclésiastique et l’aigrit contre le Père La Combe et contre moi; et ce fut là la source de toutes les persécutions qui m’arrivèrent. Le bruit de ma chambre finit lorsque cela commença.

[5.] Cet ecclésiastique, qui confessait dans la maison, ne me regardait plus de bon œil. Il commençait en secret à parler de moi avec mépris. Je le savais, et ne lui en témoignais jamais rien et ne cessais pour cela de me confesser à lui. Il vint un certain religieux le voir qui haïssait à mort le Père La Combe à cause de sa régularité. Ils se lièrent ensemble et conclurent qu’il me fallait faire sortir de la maison et s’en rendre maîtres. Ils machinèrent pour cela tous les moyens qu’ils purent trouver. L’ecclésiastique, qui se voyait secondé, ne gardait plus de mesure. Ils disaient que j’étais une bête, que j’avais l’air niais. Ils ne pouvaient juger de mon esprit que par mon air, car je ne leur parlais guère. Cela fut si loin que l’on prêchait651 tout haut ma confession, et qu’elle courut même dans tout le diocèse, disant qu’il y avait des personnes d’un orgueil effroyable, qui au lieu de se confesser de gros péchés, se confessent de peccadilles; puis on faisait le détail de tout ce dont je m’étais confessée mot pour mot. Je veux croire que ce bon prêtre n’était accoutumé qu’à confesser des paysans : les fautes d’une personne en l’état où j’étais, l’étonnaient, et lui faisaient regarder [153] ce qui était vraiment des fautes en moi comme des choses en l’air, car sans cela il n’en aurait pas assurément usé de la sorte. Je m’accusais cependant toujours d’un péché de ma vie passée, mais cela ne le contentait pas. Je sus qu’il faisait un fort grand bruit de ce que je ne m’accusais pas de péchés plus notables. J’écrivis au Père La Combe pour savoir si je pouvais confesser les péchés passés comme présents, afin de contenter ce bon homme : il me manda que non; et que je me donnasse bien de garde de les confesser autrement que comme passés, et qu’il fallait dans la confession une extrême sincérité.

[…]

[9.] Peu de jours après mon arrivée à Gex je vis la nuit en songe (mais songe mystérieux, car je le distinguais très bien) le Père La Combe attaché à une grande croix, mais d’une grandeur extraordinaire. Il était nu en la même manière que l’on dépeint Notre-Seigneur. Je voyais un monde épouvantable qui me comblait de confusion et qui rejetait sur moi l’ignominie de son supplice. Il me sembla qu’il avait plus de douleur que moi, mais que j’avais plus d’opprobre que lui. Cela me surprit d’autant plus que ne l’ayant vu alors qu’une fois, je ne pouvais m’imaginer ce que cela pouvait signifier, mais je l’ai bien vu accompli. Ces paroles me furent imprimées en même temps que je le vis attaché de cette sorte à la croix : Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées; et ces autres : J’ai prié pour toi en particulier, Pierre, afin que ta foi ne défaille point : Satan a demandé de te cribler652.

[…]

L’histoire conflictuelle entre détenteurs par fonctions -- et détentrice en pratique mystique -- d’une autorité spirituelle, se poursuit : « l’ecclésiastique » local se manifeste habilement auprès de l’évêque mais madame Guyon veut garder une indépendante fragilité toute moderne qui lui coûtera cher par la suite. Si seulement elle avait accepté de devenir supérieure de religieuses, comme les autres grandes figures mystiques l’on fait avant elle ! Mais probablement ne veut-elle pas participer à des pressions exercées sur de prochaines « Nouvelles Catholiques » qu’elle juge innoportunes et sans droiture653.

2.6 REFUS DU SUPERIORAT, DÉPART DU P. LA COMBE

1. L’ecclésiastique fait entendre à M. de Genève ‘qu'il fallait, pour m'assurer à cette maison, m'obliger d'y donner le peu de fonds que je m'étais réservé, et de m'y engager en me faisant supérieure.’ 2. Le même intercepte le courrier. 3. ‘L’on me proposa l'engagement et la supériorité’, ‘Je lui [la supérieure] témoignai encore que certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas.’ 4. Elle s’oppose à ce que la supérieure s’engage à obéir au père La Combe. 5-6. ‘Le principal caractère du père La Combe est la simplicité et la droiture’. On lui tend des pièges. L’ecclésiastique envoie à Rome sans succès huit propositions litigieuses tirées d’un sermon du père. 7-8. On oppose le père à M. de Genève qui lui demande de faire pression sur elle. Dans sa droiture le père refuse. 9. Les sœurs la poursuivent. 10. L’ecclésiastique et un de ses ami décrient le père. Celui-ci part en Italie. 11. Vision prémonitoire alarmante d’un prêtre.

[2.] M. de Genève ne pénétra en nulle manière les intentions de cet ecclésiastique que l’on appelait dans le pays le petit évêque, à cause de l’ascendant qu’il avait pris sur l’esprit de M. de Genève. Il crut que [155] c’était par affection pour moi et par zèle pour cette maison que cet homme désirait de m’y engager; c’est pourquoi il donna d’abord avec zèle dans cette proposition, se résolvant de la faire réussir à quelque prix que ce fut. L’ecclésiastique voyant qu’il avait si bien réussi, ne garda plus aucune mesure à mon égard. Il commença par faire arrêter les lettres que j’écrivais au Père La Combe, ensuite il fit prendre toutes celles que j’écrivais du côté de Paris et celles que l’on m’écrivait, afin de pouvoir impressionner les esprits comme il voudrait, et que je ne pusse ni le savoir, ni me défendre, ni mander les manières dont j’étais traitée. Une des filles que j’avais amenées voulut s’en retourner ne pouvant rester en ce lieu; ainsi il ne m’en resta plus qu’une, qui était infirme et trop occupée pour m’aider en bien des choses dont j’aurais eu besoin. Comme le Père La Combe devait venir pour les retraites, je crus qu’il adoucirait l’esprit aigri de cet homme, et qu’il me donnerait conseil.

[3.] Cependant l’on me proposa l’engagement et la supériorité. Je répondis que pour l’engagement il m’était impossible, puisque ma vocation était pour ailleurs, que pour la supériorité, je ne pouvais être supérieure avant que d’être novice; qu’elles avaient toutes fait deux ans de noviciat avant de s’engager, que quand j’en aurais fait autant, je verrais ce que Dieu m’inspirerait. La supérieure me répondit assez brusquement que, si je les voulais quitter un jour, je n’avais qu’à le faire tout à l’heure. Cependant je ne me retirai pas pour cela, j’en usai toujours à mon ordinaire; mais je voyais le ciel se grossir peu à peu, et les orages venir de tout côté. La supérieure cependant affecta un air plus doux : elle me témoigna qu’elle désirait aussi bien que moi d’aller à Genève, que je ne m’engageasse pas et que je lui promisse seulement de la prendre si j’y allais. Elle me demanda si je n’étais pas engagée pour Genève pour quelque chose : elle voulait me sonder afin de voir si je n’avais point quelque dessein, ou peut-être quelque engagement de vœu, mais comme je n’avais point de conseil du Père La Combe, je ne lui dis rien. Elle me témoigna même beaucoup de confiance et semblait être unie à moi. Comme je suis fort franche et que Notre-Seigneur m’a donné beaucoup de droiture, je crus qu’elle allait de bonne foi : je lui témoignais même que je n’avais nul attrait pour la manière de vie des Nouvelles Catholiques, à cause des intrigues du dehors. Je lui témoignai encore que certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas, parce que je voulais que l’on fut droit en tout; de sorte même que le refus que je fis de signer654 celles qui n’étaient pas selon la bonne foi les choqua un peu. Elle n’en fit rien paraître. Elle était bonne, et ne faisait ces choses que parce que cet ecclésiastique lui disait qu’il était nécessaire d’en user de la sorte pour accréditer la maison au loin, et attirer des charités de Paris. Je lui disais que si nous allions droit, Dieu ne nous manquerait jamais, qu’il ferait plutôt des miracles. Je remarquai une chose qui fut que sitôt que l’on prit cette manière d’agir si éloignée de la droiture et de la sincérité, et même de la justice, ce que l’on croyait faire pour attirer les charités eut pour effet, sans que personne sût rien de cela, que l’on se refroidit et que la charité se resserra. O. Dieu, n’est-ce pas vous qui inspirez la charité et n’est-elle pas sœur de la vérité : comment donc l’attirer par le déguisement? Il faut l’attirer par la confiance en Dieu et alors elle devient extrêmement libérale, tout autre manière d’en user la porte à se resserrer.

[4.] Un jour après que la supérieure eut communié, elle me vint trouver et me dit que Notre-Seigneur lui avait fait connaître combien le Père La Combe lui était agréable et que c’était un saint, qu’elle se sentait fort portée à faire vœu de lui obéir. Elle paraissait dire cela de la meilleure foi du monde et je crois qu’elle parlait alors sincèrement, car elle avait des hauts et bas de faiblesse qui sont assez l’apanage de notre sexe, dont nous devons beaucoup nous humilier. Je lui dis qu’elle ne devait point faire cela; elle me dit qu’elle le voulait, et qu’elle allait le prononcer. Je m’y opposai fortement, disant que des choses de cette nature ne devaient pas se faire [156] à la légère ni sans avoir consulté la personne à laquelle on veut obéir pour voir si elle l’agréera. Elle se contenta de ma raison et écrivit au Père La Combe tout ce qu’elle disait s’être passé en elle et comme elle voulait faire vœu de lui obéir; que c’était Dieu qui la poussait à cela. Le Père La Combe lui fit réponse et elle me montra la lettre. Il lui mandait qu’elle ne devait jamais faire vœu d’obéir à aucun homme, et qu’il ne le lui conseillerait jamais, que tel qui nous est propre dans un temps ne l’est pas dans l’autre, qu’il faut rester libre, ne laissant pas d’obéir avec amour et charité tout de même que si l’on était engagé par vœu; qu’à son égard il n’en avait jamais reçu de personne ni n’en recevrait jamais; que cela leur était même défendu par leur règle; qu’il ne laisserait pas de la servir autant qu’il le pouvait et qu’il irait dans peu faire faire les retraites. Elle lui avait mandé aussi dans cette lettre qu’elle le priait de demander à Notre-Seigneur qu’il lui fît connaître s’il la destinait pour Genève, si elle irait avec moi, qu’elle était contente de toutes les volontés de Dieu; seulement qu’il lui dît les choses telles qu’il les connaissait. Il lui manda que sur cet article il lui dirait simplement ce qu’il en penserait.

[5.] Il est vrai que le principal caractère du Père La Combe est la simplicité et la droiture. Lorsqu’il fut venu pour les retraites, qui fut la troisième fois et la dernière qu’il vint à Gex, elle lui parla la première journée avec beaucoup d’empressement. Elle lui demanda si elle serait un jour unie à moi dans Genève. Il lui répondit avec sa droiture ordinaire : «Ma Mère, Notre-Seigneur m’a fait connaître que vous ne vous établirez jamais dans Genève, du moins vous, car pour les autres, je n’en ai pas de lumière». Elle est morte aussi, c’est pourquoi cela s’est bien vérifié. Sitôt qu’il lui eut fait cette déclaration, elle parut animée contre lui et contre moi d’une manière surprenante. Elle fut trouver l’ecclésiastique, qui était avec l’économe dans une chambre, et ils prirent ensemble des mesures pour m’obliger à m’engager ou à me retirer. Ils croyaient que j’aimerais mieux m’engager que de me retirer, et veillèrent de plus près sur mes lettres.

[6.] Le père prêcha à sa prière, car ce n’était que pour tendre des pièges. Il avait fait un sermon de655 la charité à la paroisse qui avait enlevé656 tout le monde : elle lui demanda un sermon un peu intérieur. Il lui en prêcha un qu’il avait prêché à la Visitation de Thonon : La beauté de la fille du Roi vient du dedans657. Il leur fit comprendre ce que c’était que d’être intérieur, et ce que c’était que de faire ses actions par ce principe. Cet ecclésiastique qui y était avec un de ses affidés, dit que c’était contre lui qu’on avait prêché, et que c’étaient des erreurs. Il tira huit propositions, que le père n’avait point prêchées, et ne laissa pas de les ajuster le plus malicieusement qu’il put, et les envoya à un de ses amis à Rome pour les faire, disait-il, examiner à la Sacrée Congrégation et à l’Inquisition. Quoiqu’il les eût très mal digérées, elles ne laissèrent pas de passer pour très bonnes. Son ami lui manda qu’il n’y avait rien du tout de mauvais. Cela le fâcha fort, car il n’est pas assez bon théologien, à ce que j’ai ouï dire, pour juger de rien par lui-même. Il fit plus : c’est qu’il vint avec une colère surprenante le lendemain trouver le Père La Combe le querellant fortement, disant qu’il avait fait ce sermon pour l’offenser. Le père le lui tira de sa poche et lui montra qu’il avait écrit dessus les lieux où il l’avait prêché, le temps, et les années, de sorte qu’il demeura interdit, mais non pas apaisé. Il se mit encore plus en colère devant bien des gens qui s’assemblèrent là. Le père se mit à genoux, et en cette posture entendit [une] demi-heure durant toutes les injures qu’il plut à cet ecclésiastique de lui dire. On me le vint dire, mais je ne voulus pas entrer en tout cela.

[7.] Le père dit à cet ecclésiastique, après avoir été traité de la sorte, avec autant de douceur que d’humilité, qu’il était obligé d’aller à Annecy pour quelques affaires de leur couvent et que s’il voulait mander quelque chose à M. de Genève, il se chargerait des lettres. L’autre lui répondit de l’attendre, et qu’il allait écrire.

Ce bon [157] père eut la patience d’attendre plus de trois heures entières sans entendre de ses nouvelles. L’on me vint dire : «Savez-vous bien que le Père La Combe n’est pas parti, qu’il est dans l’église où il attend des lettres de M. N.?», parlant de ce prêtre qui l’avait si mal traité, jusqu’à lui faire arracher des mains une lettre que je venais de lui donner pour ce bon ermite dont j’ai parlé. J’allai à l’église le prier d’envoyer un valet qui devait l’accompagner à Annecy voir si le paquet de ce monsieur était prêt, parce que le jour s’avançait si fort qu’il lui faudrait coucher en chemin. Cet homme trouva un valet de l’ecclésiastique à cheval qui lui dit : «C’est moi qui vas» et comme il entrait, ce monsieur disait à un autre valet qu’il allât à toute bride, et qu’il fût à Annecy avant ce Père. Il ne l’avait fait attendre que pour faire partir un homme avant lui pour prévenir l’esprit de l’évêque, et il renvoya dire au Père qu’il n’avait point de lettre à lui donner.

[8.] Le Père La Combe ne laissa pas d’aller à Annecy. Lorsqu’il fut là, il trouva l’évêque fort prévenu et aigri. Il lui dit : «Mon Père, il faut absolument engager cette dame à donner ce qu’elle a à la maison de Gex, et la faire supérieure». «Monseigneur, lui répondit le Père La Combe, vous savez ce qu’elle vous a dit elle-même de sa vocation et à Paris et en ce pays, et ainsi je ne crois pas qu’elle veuille s’engager; et il n’y a point d’apparence qu’ayant tout quitté dans l’espérance d’entrer à Genève, elle s’engage ailleurs et qu’elle se rende par là impuissante d’accomplir les desseins de Dieu sur elle. Elle s’est offerte de rester avec ces bonnes filles comme pensionnaire : si elles veulent bien la garder en cette qualité, elle restera avec elles, sinon, elle est résolue de se retirer dans quelque couvent jusqu’à ce que Dieu en dispose autrement». M. de Genève lui répondit : «Mon père, je sais tout cela, mais je sais en même temps qu’elle est si obéissante que si vous lui ordonnez de le faire, elle le fera assurément. - C’est par cette raison, Monseigneur, qu’elle est fort obéissante que l’on doit se précautionner dans les commandements que l’on lui fait, répartit le père, il n’y a pas d’apparence que je porte une dame étrangère qui n’a pour toute subsistance que ce qu’elle s’est réservé, de s’en dépouiller en faveur d’une maison qui n’est pas encore établie et qui peut-être ne s’établira pas. Si la maison vient à manquer ou à n’être plus utile, de quoi cette dame vivra-t-elle? ira-t-elle à l’hôpital? Effectivement cette maison, avant qu’il ne soit peu, ne sera d’aucune utilité, parce qu’il n’y a plus de protestants en France.» M. de Genève lui dit : «Mon père, toutes ces raisons ne sont bonnes à rien. Si vous ne faites pas faire cela à cette dame, je vous interdirai658.» Cette manière de parler surprit un peu le père qui sait assez les règles de l’interdit, qui ne se fait pas sur des choses de cette nature. Il lui dit : «Monseigneur, je suis prêt non seulement de souffrir l’interdit, mais même la mort, plutôt que de rien faire contre mon honneur ni contre ma conscience», et se retira.

[9.] Il m’écrivit en même temps toutes choses par un exprès, afin que je prisse mes mesures là-dessus. Je n’eus point d’autre parti à prendre que de me retirer dans un couvent, mais avant que de le faire, je dis encore à ces bonnes sœurs que je m’en allais, car il survint en même temps une lettre que la religieuse à laquelle j’avais confié ma fille, et qui était celle qui parlait moins mal français et qui était fort vertueuse, était tombée malade, de sorte qu’elle me priait d’aller pour quelque temps auprès de ma fille. Je leur montrai cette lettre et leur dis que je voulais me retirer dans cette communauté; que si elles cessaient de me poursuivre comme elles faisaient et qu’on laissât en repos le Père La Combe, qui passait pour l’apôtre [158] du pays à cause du fruit admirable qu’il faisait dans ses missions, que je retournerais sitôt que la maîtresse de ma fille se porterait mieux. C’était mon intention de le faire. Au lieu de cela, elles me poursuivirent avec plus de force, écrivirent à Paris contre moi, arrêtèrent toutes mes lettres, envoyèrent des libelles où il y avait que l’on reconnaîtrait la personne à une petite croix de bois qu’elle portait. C’est que j’avais au col une petite croix du tombeau de saint François de Sales

[10.] Cet ecclésiastique et son ami allèrent dans tous les lieux où le Père La Combe avait fait mission, le décrier et parler contre lui avec tant de force qu’une femme n’osait dire son Pater parce que, disait-elle, elle l’avait appris de lui. Ils firent dans tout le pays un scandale effroyable. Le Père La Combe n’était pas au pays, car le lendemain de mon arrivée aux Ursulines de Thonon, il partit dès le matin pour aller prêcher le Carême à la vallée d’Aoste. Il vint me dire adieu, et il me dit en même temps qu’il irait de là à Rome et qu’il n’en reviendrait peut-être pas; que ses supérieurs pourraient bien l’y retenir; qu’il était bien fâché de me laisser dans un pays étranger sans secours et persécutée de tout le monde; si cela ne me faisait point de peine. Je lui dis : «Mon père, je n’ai nulle peine de cela; je me sers des créatures pour Dieu et par son ordre; je m’en passe fort bien par sa miséricorde lorsqu’il les retire, et je suis fort contente de ne vous voir jamais, si telle est sa volonté, et de rester dans la persécution.» Lorsqu’il me disait cela, il ne savait pas qu’elle deviendrait aussi forte qu’elle fut. Après, il me dit qu’il partait fort content de me voir dans ces dispositions et s’en alla de cette sorte.

[…]

Et cela continue : le Père La Mothe, mécontent que sa plus jeune demi-sœur ne prenne pas conseil de lui, « débita de plus que j’avais été en croupe à cheval derrière le Père La Combe ». Madame Guyon redresse la situation auprès de l’évêque in partibus de Genève, qui « me pressa fort de retourner à Gex et de prendre la supériorité. Je lui répondis que, pour la supériorité, nul n’était supérieure sans avoir été novice. » Et être coupée du monde ? Cette répartie préserve la liberté mais ne satisfait pas le prélat. Madame Guyon dirige mystiquement La Combe tandis que la jolie fille demeure ferme…

2.7 PERSÉCUTIONS. LES DEUX GOUTTES D’EAU

1. Persécution. Vingt-deux lettres interceptées. Relations entre le P. La Motte et M. de Genève. 2. Comment se disculper de maltraiter une personne qui a donné tout son bien. 3. Inventions sur ses relations avec le père La Combe. 4. Dans un couvent, très au repos avec sa fille. 5. Etat simple nu et perdu. 6-7. Il lui faut devenir ‘souple comme une feuille’. 8. ‘L’on s'abandonne à des hommes qui ne sont rien … et si l'on parle d'une âme qui s'abandonne toute à son Dieu … on dit hautement : « Cette personne est trompée avec son abandon ».’ 9. ‘En songe deux voies … sous la figure de deux gouttes d'eau. L'une me paraissait d'une clarté, d'une beauté et netteté sans pareille, l'autre me paraissait avoir aussi de la clarté, mais elle était toute pleine de petites fibres ou filets de bourbe.’ 10. Voie de foi et voie de lumières. Un songe lui fait connaître que le père La Combe lui a été donné pour passer à la voie de foi. 11. ‘Ma difficulté c’était de le dire à ce père.’ Elle lui déclare qu’elle est sa mère de grâce et il en est intérieurement confirmé. 12. L’ecclésiastique tourmente la belle fille, qui demeure ferme. 13. ‘Après Pâques de l'année 1682, M. de Genève vint à Thonon.’ Il convient de la sainteté du père.

[1.] Sitôt donc que le Père La Combe fut parti, la persécution devint plus forte qu’auparavant. M. de Genève me fit encore quelques honnêtetés, tant pour voir s’il me ferait faire ce qu’il désirait, que pour avoir le temps de sonder (159) comme les choses passeraient en France, et pour prévenir les esprits contre moi, empêchant toujours que je ne reçusse des lettres. Je n’en faisais tenir que très peu et celles qui étaient indispensables. L’ecclésiastique et un autre avaient vingt-deux lettres ouvertes sur leur table qui n’étaient pas parvenues jusqu’à moi. Il y en avait une où l’on m’envoyait une procuration à signer, qui était fort nécessaire. Ils furent obligés d’y remettre une autre enveloppe pour me l’envoyer. M. de Genève écrivit au Père La Mothe et il n’eut pas de peine à le faire entrer dans ses intérêts. Il était malcontent de ce que je ne lui avais pas fait la pension qu’il espérait, ainsi qu’il me l’a dit quantité de fois fortement; et il trouvait mauvais que je ne prisse pas ses avis en tout, joint à cela quelques autres intérêts. Il se déclara d’abord contre moi. M. de Genève, qui ne voulait ménager que lui, se trouva assez fort de l’avoir dans son parti. Il en fit même son confident, et c’était lui qui débitait les nouvelles qu’on lui écrivait. La commune opinion est que ce qui le faisait agir de la sorte, et monsieur son frère, fut la crainte que je n’annulasse la donation si je revenais, et qu’ayant du support et des amis, je n’y fisse trouver de quoi la rompre; ils se trompaient bien en cela, car je n’ai jamais eu la pensée d’aimer autre chose que la pauvreté de Jésus-Christ. Durant quelque temps le père me ménageait encore. Il m’écrivait des lettres qu’il adressait à M. de Genève et ils s’accommodaient si bien qu’il était seul dont je reçusse des lettres. Notre-Seigneur me donna de très belles lettres à lui écrire : mais au lieu d’en être touché, il s’en irritait. Je ne crois pas qu’il s’en puisse guère trouver de plus fortes ni de plus touchantes.

[2.] M. de Genève, comme j’ai dit, me ménagea encore quelque temps, me faisant accroire qu’il avait de la considération pour moi, mais il écrivit à beaucoup de gens à Paris, et les sœurs aussi, à toutes ces personnes de piété dont j’avais reçu des lettres, afin de les prévenir contre moi, et d’éviter le blâme qui leur devait venir naturellement d’avoir traité si indignement une personne qui avait tout abandonné pour se dévouer au service de son diocèse, et de ne l’avoir maltraitée qu’après qu’elle s’était défaite de tous ses biens et qu’elle n’était plus en état de retourner en France. Pour, dis-je, éviter un blâme si juste, il n’y avait point d’histoire fausse et fabuleuse qu’ils n’inventassent pour me décrier. Outre que je ne pouvais faire savoir la vérité en France, c’est que Notre-Seigneur m’inspirait de tout souffrir sans me justifier. Je le fis envers le Père La Mothe. Comme je vis qu’il tournait tout de travers, et qu’il paraissait plus aigri que l’évêque, je cessai de lui écrire. D’autre côté, les Nouvelles Catholiques qui sont en fort grand crédit, me blâmaient et condamnaient pour se disculper de leur violence. On ne voyait que condamnation et accusation sans aucune justification. Il n’était pas difficile de blâmer et imposer à qui ne se défendait pas.

[3.] J’étais dans ce couvent, et je n’avais vu le Père La Combe que ce que j’ai marqué. Cependant on ne laissait pas de faire courir le bruit que je courais avec lui, qu’il m’avait promenée en carrosse dans Genève, que le carrosse avait versé et cent folies malicieuses. Le Père La Mothe débitait lui-même tout cela, soit qu’il le crut véritable ou autrement. Quand il les aurait crues véritables, il aurait dû les cacher. Mais que dis-je mon Dieu et où m’égarais-je? N’était-ce pas vous qui permettiez toutes ces choses et qui ayant dessein de me faire souffrir les étranges persécutions qu’il m’a fallu souffrir depuis, permettiez que lui et son frère s’imprimassent de ces choses, et que les croyant vraies ils pussent les dire sans scrupule. Pour son frère, je crois qu’il ne le croyait que sur le rapport du Père La Mothe qui les lui faisait croire véritables. Le Père La Mothe débita de plus que j’avais été en croupe à cheval derrière le Père La Combe, ce qui était d’autant plus faux que je n’ai jamais été de cette manière. Toutes ces calomnies tournèrent en ridicule/dans l’esprit des gens de bien, aussi bien (3.260) que dans celui des personnes du monde,//des personnes que l’on estimait auparavant des saints. C’est en quoi il faut admirer la conduite de Dieu, car quel sujet avais-je donné de parler de la sorte? J’étais dans un couvent à cent cinquante lieues du Père La Combe, [160] et l’on ne laissait pas de faire de lui et de moi les contes les plus sanglants du monde.

[…]

[5] […] Mon fond était dans une généralité, paix, liberté, largeur659 inébranlables; et quoique je souffrisse quelquefois quelque chose dans les sens, à cause des renversements continuels, cela n’entrait point, et c’étaient des vagues qui se brisaient contre le rocher. Le fond était si perdu dans la volonté de Dieu qu’il ne pouvait vouloir ou ne vouloir pas. Je demeurais abandonnée, sans me mettre en peine ni de ce que je ferais, ni de ce que je deviendrais, ni quelle serait la fin d’une si effroyable tempête, qui ne faisait que commencer. La conduite de la providence dans le moment présent faisait toute ma conduite sans conduite, car l’âme dans l’état dont je parle, ne peut désirer ni chercher une providence particulière ni extraordinaire; mais je me laissais conduire par la providence journalière de moment en moment sans penser au lendemain. J’étais comme un enfant entre vos mains, ô mon Dieu, je ne songeais pas d’un moment à l’autre, mais je reposais à l’ombre de votre protection, sans penser à rien et sans me soucier de moi-même non plus que si je n’eusse plus été. Mon âme était dans un abandon si parfait, tant pour l’intérieur que pour l’extérieur, qu’elle ne pouvait prendre ni règle ni mesure pour rien. Il lui était indifférent d’être d’une manière ou d’une autre, dans une compagnie ou dans une autre, à l’oraison ou à la conversation. Il faut avant de poursuivre que je dise comment Notre-Seigneur travailla à me mettre dans cette indifférence.

[6.] Lorsque j’étais encore dans mon ménage, sans autre directeur que son esprit, quelque possédée que je fusse de lui, et de quelque manière que je me trouvasse à l’oraison, sitôt qu’un de mes petits enfants venait frapper à ma porte, ou que la moindre personne venait à moi, il voulait que je l’interrompisse. Et une fois que j’étais si pénétrée de la divinité que je ne pouvais presque parler, il vint frapper à mon cabinet un de mes petits enfants qui voulait jouer auprès de moi. Je crus qu’il ne fallait pas interrompre pour cela, et je renvoyai l’enfant sans lui ouvrir. Notre-Seigneur me fit comprendre que tout cela était propriété; et ce que j’avais cru conserver se perdit660 . D’autres fois il m’envoyait rappeler ceux que j’avais congédiés. Il me fallut devenir souple comme une feuille dans votre main tout adorable, ô mon Dieu, en sorte que je reçusse tout également de votre providence. Quelquefois ils venaient m’interrompre pour des choses qui n’avaient pas l’ombre de raison, et cela à tout coup; il me les fallait recevoir également, la dernière fois comme la première, tout cela m’étant égal dans votre providence.

[7.] Ce ne sont point, ô mon Dieu, les actions en elles-mêmes qui vous sont agréables, mais l’obéissance à toutes vos volontés et la souplesse à ne tenir à rien661. C’est que par les petites choses l’âme insensiblement se dégage de tout, elle ne tient à rien, elle est propre pour tout ce que Dieu veut d’elle, et elle se trouve sans aucune [161] résistance. O volonté de Dieu, marquée par tant de petites providences, qu’il fait bon vous suivre! parce que vous accoutumez l’âme à vous connaître, à ne tenir à rien, et à aller avec vous en quelque lieu que vous la meniez. Mon âme était alors, ce me semblait, comme une feuille, ou comme une plume, que le vent fait aller comme il lui plaît; elle se laissait aller à l’opération de Dieu et à tout ce qu’il faisait intérieurement et extérieurement de même manière; se laissant conduire sans aucun choix, contente d’obéir à un enfant comme à un homme de science et d’expérience, ne regardant que Dieu dans l’homme et l’homme en Dieu, qui ne permet jamais qu’une âme qui lui est entièrement abandonnée soit trompée, ô mon Dieu.

[…]

[9.] Sitôt que je fus arrivée aux Ursulines de Thonon, Notre-Seigneur me fit voir en songe deux voies par lesquelles ils conduisait les âmes, sous la figure de deux gouttes d’eau. L’une me paraissait d’une clarté, d’une beauté et netteté sans pareille, l’autre me paraissait avoir aussi de la clarté, mais elle était toute pleine de petites fibres ou filets de bourbe; et comme je les regardais attentivement, il me fut dit : «Ces deux eaux sont toutes deux bonnes pour étancher la soif, mais celle-ci se boit avec agrément, et l’autre avec un peu de dégoût.» Il en est de même de la voie de la foi pure et nue que de cette goutte fort claire et nette; elle plaît beaucoup à l’époux, parce qu’elle est toute pure et sans propriété. Il n’en est pas de même de la voie de lumière, qui ne plaît pas tant à l’époux, et ne lui est pas à beaucoup près si agréable662.

[10.] Il me fut ensuite montré que cette voie si pure était celle par laquelle Notre-Seigneur avait eu la bonté de me conduire jusqu’alors, que celle de lumières était celle par laquelle quelques âmes de lumière marchaient, et qu’elles y avaient entraîné le Père La Combe. En même temps il me parut revêtu d’une robe toute déchirée, et je vis tout à coup que l’on raccommoda cette robe sur moi. On en fit d’abord un quart, et ensuite un autre quart; puis longtemps après l’autre moitié fut toute faite, et il fut habillé de neuf magnifiquement. Comme j’étais en peine de ce que cela signifiait, Notre-Seigneur me fit entendre que, sans que je le susse, il me l’avait donné, l’attirant à une vie plus parfaite que celle qu’il avait menée jusqu’alors; que c’était dans le temps de ma petite vérole qu’il me l’avait donné, et qu’il m’en avait coûté ce mal et la perte de mon cadet; qu’il n’est pas seulement mon père, mais mon fils; et que l’autre quart de la robe s’était fait lorsque, passant par le lieu de ma demeure, il fut touché plus vivement, et qu’il embrassa une vie plus intérieure et plus parfaite; et que depuis ce temps-là il a toujours continué, mais qu’il faut à présent que tout s’achève, Dieu voulant se servir de moi pour le faire marcher dans la foi nue et dans la perte : ce qui est arrivé.

Le lendemain, ce père étant venu dire la messe aux Ursulines, m’ayant demandé, je n’osais lui rien dire du tout, quoique Notre-Seigneur me poussât très fort à le faire, par un reste d’amour-propre qui aurait passé pour humilité autrefois dans mon esprit. Je parlais pourtant [162] devant les sœurs qui étaient avec moi de la voie de foi, combien elle était plus glorieuse à Dieu et plus avantageuse à l’âme que toutes ces lumières et assurances qui font toujours vivre l’âme à elle-même. Cela les rebuta d’abord, et lui aussi, jusqu’à leur faire sentir de la peine contre moi. Je voyais qu’ils étaient peinés, comme ils me l’ont avoué depuis. Je ne leur en dis pas pour lors davantage, mais comme le père est d’une humilité achevée, il m’ordonna d’expliquer ce que je lui avais voulu dire. Je lui contai une partie de mon songe des deux gouttes d’eau : il n’entra pas cependant pour lors dans ce que je lui dis, l’heure n’étant pas encore venue. Après que je fus retournée à Gex, comme je continuais de me lever à minuit, le Père La Combe étant venu pour les retraites, la nuit, en faisant l’oraison, Notre-Seigneur me fit connaître que j’étais sa mère, et qu’il était mon fils; il me confirma le songe que j’avais eu, et m’ordonna de le lui dire, et que, pour preuve de ce que je lui dirais, il examinât dans quel temps il fut touché d’une violente contrition et si ce n’était pas dans le temps de ma petite vérole. Notre-Seigneur me fit encore connaître qu’il donnait à des âmes quantité de personnes sans le leur faire connaître que quelquefois; et qu’il m’en avait donné encore une pour laquelle acheter il m’avait ôté ma fille : ce qui se trouva juste en ce temps.

[11.] Ma difficulté, c’était de le dire à ce père, que je ne connaissais qu’à peine. Je voulais me le dissimuler à moi-même, et dire que c’était présomption, quoique je sentisse fort bien que c’était l’amour-propre qui voulait éluder cela pour éviter la confusion. Je me sentais pressée de le dire jusqu’au trouble. Je le fus trouver comme il se préparait pour dire la messe, et m’étant approchée de lui comme pour me confesser, je lui dis : «Mon père, Notre-Seigneur veut que je vous dise que je suis votre mère de grâce et je vous dirai le reste après votre messe.» Il dit la messe où il fut confirmé de ce que je lui avais dit. Après la messe, il voulut que je lui disse toutes les circonstances de toutes choses, et du songe. Je les lui dis. Il se souvint que Notre-Seigneur lui avait fait souvent connaître qu’il avait une mère de grâce qu’il ne connaissait point et, m’ayant demandé le temps que j’avais eu la petite vérole, je lui dis à la Saint François, et que mon cadet était mort peu de jours avant la Toussaint. Il reconnut que c’était le temps d’une touche si extraordinaire que Notre-Seigneur lui donna qu’il pensa mourir de contrition. Cela lui donna un tel renouvellement intérieur que, s’étant retiré pour prier, car il se sentait fort recueilli, il fut saisi d’une joie intérieure et d’une émotion très grande qui le fit entrer dans ce que je lui avais dit de la voie de la foi. Il m’ordonna de lui écrire ce que c’était que la voie de foi, et la différence qu’il y avait entre la voie de foi et celle de lumière. Ce fut en ce temps et pour lui que j’écrivis cet écrit de663 la foi que l’on a trouvé beau. Je n’en ai aucune copie, je crois pourtant qu’il subsiste encore664. Je ne savais ni ce que j’écrivais ni ce que j’avais écrit, non plus que dans tout ce que j’ai écrit depuis. Je le donnai au père, qui me dit qu’il le lirait en allant à Aoste. Je dis les choses comme elles me viennent, sans ordre.

[13.] Après Pâques de l’année 1682, M. de Genève vint à Thonon665. J’eus l’occasion de lui parler à lui-même; et Notre-Seigneur faisait que, lorsque je lui avais parlé, il restait content, mais les personnes qui l’avaient animé, revenaient à la charge. Il me pressa fort de retourner à Gex et de prendre la supériorité. Je lui répondis que, pour la supériorité, nul n’était supérieure sans avoir été novice, et que pour l’engagement, il savait lui-même ma vocation et ce que je lui avais dit à Paris et à Gex, que cependant je lui parlais comme à un évêque qui tenait la place de Dieu; qu’il prit garde de ne regarder que Dieu en ce qu’il me dirait, qu’il connaissait toutes choses et savait ce que je lui avais dit, qu’après cela s’il me disait de m’engager, tenant la place qu’il tenait, je le ferais. Il demeura tout interdit, et me dit : «Puisque vous me parlez de cette sorte, je ne puis point vous le conseiller. Ce n’est point à nous à aller contre les vocations, mais faites du bien à cette maison je vous prie.» Je lui promis de le faire; et ayant reçu ma pension, je leur envoyai cent pistoles avec le dessein de continuer la même chose tout le temps que je serais dans le diocèse. Il se retira fort content, car assurément il aime le bien666, et c’est dommage qu’il se laisse gouverner comme il fait par ces personnes qui lui font faire ce qu’elles veulent. Il me dit même : «J’aime le Père La Combe, c’est un vrai serviteur de Dieu et il m’a dit bien des choses dont je ne pouvais douter, car je les sentais en moi», mais, dit-il encore : «lorsque je dis cela, on dit que je me trompe et qu’il deviendra fou avant qu’il soit six mois; et une personne qui est venue m’accompagner de la Visitation ici m’a assuré que, sur sa vie, il serait bientôt fou.» Cet homme était le religieux mécontent, ami de l’ecclésiastique. Cette faiblesse m’étonna. Il me dit qu’il était très content des religieuses que le Père La Combe avait conduites, et qu’il n’avait rien moins trouvé que ce qu’on lui avait dit. Je pris de là occasion de lui dire qu’il devait, en toutes choses, s’en rapporter à lui-même, et non pas aux autres : il en demeura d’accord. Cependant à peine s’en fut-il retourné qu’il rentra dans ses premiers soupçons, il m’envoya dire par le même ecclésiastique que je m’engageasse (164) à Gex, et que c’était son sentiment. Je priai cet ecclésiastique de lui dire que je me tenais au conseil qu’il m’avait donné lui-même, qu’il m’avait parlé en Dieu, et que l’on le faisait à présent parler en homme.

2.9 L’ÉTAT FIXE N’EXCLUT PAS DES SOUCIS

[2.] Pour moi, il ne se passait presque point de jour, et même quelquefois plus que tous les jours, c’était des insultes nouvelles et des assauts qui venaient à l’improviste667. Les Nouvelles Catholiques, sur le rapport de M. de Genève, de l’ecclésiastique, et des sœurs de Gex, soulevèrent contre moi toutes les personnes de piété. J’étais peu sensible à cela. Si je l’avais pu être à quelque chose, c’eût été de ce que l’on faisait presque tout tomber sur le Père La Combe quoiqu’il fut absent; et l’on se servait même de son absence pour détruire tout le bien qu’il avait fait dans le pays par ses missions et par ses sermons, et qui était inconcevable. Le diable gagna beaucoup à cette affaire. Je ne pouvais cependant plaindre ce bon père, remarquant en cela la conduite de Dieu qui voulait l’anéantir. Je fis au commencement des fautes par le trop de soin et d’empressement que j’avais de le justifier, ce que je croyais une vraie justice. Je n’en faisais pas de même pour moi, car je ne me justifiais pas. Mais Notre-Seigneur me fit comprendre que je devais faire pour le père ce que je faisais pour moi, et le laisser détruire et anéantir, parce qu’il tirerait de cela une plus grande gloire qu’il n’avait fait de toute sa réputation.

[4.] L’on m’écrivais que le Père La Combe était fou et que je ne devais point suivre ses avis. Le père La Mothe m’écrivait que j’étais rebelle à mon évêque et que je ne restais dans son diocèse que pour lui faire de la peine. D’un côté je voyais qu’il n’y avait rien à faire pour moi dans ce diocèse tant que l’évêque me serait contraire. Je faisais ce que je pouvais pour le gagner, mais il m’était impossible d’en venir à bout sans entrer dans l’engagement qu’il [171] demandait de moi, et il m’était impossible668; cela, joint au peu d’éducation de ma fille, mettait quelquefois mes sens à l’agonie, mais le fond de mon âme était tranquille en un point que je ne pouvais ni rien vouloir ni rien résoudre, me laissant comme si ces choses n’eussent point été. Lorsqu’il me venait quelque petit jour d’espérance, il m’était ôté d’abord et le désespoir faisait ma force.

[5.] Durant ce temps le Père La Combe fut à Rome, où loin d’être blâmé, il fut reçu avec tant d’honneur et sa doctrine estimée au point que la Sacrée Congrégation lui fit l’honneur de prendre son sentiment sur certains points de doctrine qu’elle trouva si justes et si clairs, qu’elle les suivit669 . Durant qu’il était à Rome, la sœur ne voulait point soigner ma fille, et lorsque j’en prenais le soin, elle le trouvait mauvais, de sorte que je ne savais que faire. D’un côté je ne lui voulais point faire de peine, et de l’autre, j’en avais beaucoup de voir ma fille comme elle était. Je priais cette sœur avec instance de la soigner et de ne lui laisser point venir de mauvaises habitudes, mais je ne pouvais pas même gagner sur elle qu’elle me promît d’y travailler : au contraire, je voyais tous les jours qu’elle l’abandonnait davantage. Je croyais que lorsque le Père La Combe serait de retour, il mettrait ordre à tout, ou qu’il me dirait quelque chose de consolant; non que je le souhaitasse, car je ne pouvais ni m’affliger de son absence, ni vouloir son retour. Quelquefois j’étais assez infidèle pour me vouloir sonder moi-même et voir ce que je pourrais vouloir; mais je ne trouvais rien, pas même d’aller à Genève. J’étais comme les frénétiques670 qui ne savent ce qui leur est propre.

[8.] Après que le Père La Combe fut arrivé, il me vint voir, et écrivit à M. de Genève pour savoir s’il agréerait que je m’en servisse et m’y confessasse comme je l’avais fait autrefois, il me manda de le faire, et ainsi je le fis dans toute la dépendance possible. En son absence, je m’étais toujours confessée au confesseur de la maison. La première chose qu’il me dit, ce fut que toutes ses lumières étaient tromperies, et que je pouvais m’en retourner. Je ne savais pourquoi il me disait cela. Il ajouta qu’il ne voyait jour à rien, et qu’ainsi il n’y avait pas d’apparence que Dieu voulût se servir de moi en ce pays. Ces paroles furent le premier bonjour qu’il me donna. Elles ne m’étonnèrent ni ne me firent aucune peine parce qu’il m’était indifférent d’être propre à quelque chose ou de n’être propre à rien; que Dieu voulût se servir de moi pour faire quelque chose pour sa gloire, ou qu’il ne me voulût employer à rien, tout m’était égal, qu’il se servît de moi ou d’un autre. C’est pourquoi ces paroles ne firent que m’affermir dans ma paix. Que peut craindre une âme qui ne veut rien et qui ne peut rien désirer? Si elle pouvait avoir quelque plaisir, ce serait d’être le jouet de la providence.

[9.] M. de Genève écrivit au père La Mothe pour l’engager à me faire retourner. Le père La Mothe me le manda, mais M. de Genève m’assura que cela n’était pas ainsi. Je ne savais que croire. Lorsque le Père La Combe me fit la proposition de m’en retourner, j’y sentis quelque légère répugnance dans les sens, qui ne dura que peu. L’âme ne peut que se laisser conduire par l’obéissance, non pas qu’elle regarde l’obéissance comme vertu, mais c’est qu’elle ne peut ni être autrement ni vouloir faire autrement : elle se laisse entraîner sans savoir pourquoi ni comment, comme une personne qui se laisserait entraîner au courant d’une rivière rapide. Elle ne peut point appréhender la tromperie, ni même faire retour sur cela. Autrefois c’était par abandon, mais dans son état présent, c’est sans savoir ni connaître ce qu’elle fait, comme [173] un enfant que sa mère tiendrait sur les vagues d’une mer agitée, qui ne craint rien parce qu’il ne voit ni ne connaît le péril, ou comme un fou qui se jette dans la mer sans crainte de s’y perdre. Ce n’est point encore cela, car se jeter dans la mer est une action propre que l’âme n’a point ici : elle s’y trouve et dort dans le vaisseau sans craindre le danger. L’on fut longtemps que l’on ne m’envoyait aucune assurance pour mon temporel. Je me voyais dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de l’avenir, sans pouvoir craindre la pauvreté et la disette.

Ma sœur donc étant arrivée, augmenta ces exercices671 extérieurs […].

Il me semblait quelquefois que si le Père La Combe y avait été, il y aurait mis ordre, et que cette fille qui avait de la confiance en lui à ce qu’elle disait lui aurait obéi, mais après, tout tombait en Dieu en sacrifice par simple et entier abandon, persuadée que Dieu pourrait raccommoder tout-en-un instant. Vous le fîtes, ô mon Dieu, avec une extrême bonté lorsque sa perte me devint indifférente. Ce n’est pas, ô mon Dieu, que vous n’ayez trouvé le secret de me faire faire des sacrifices souvent depuis à son égard, et le dernier et le plus grand de tous672, mais je puis et dois dire par reconnaissance à votre bonté que ce n’est plus la même chose, tout humain et naturel ayant été ôté à son égard et parfaitement détruit.

[13.] Il y a encore une peine en cet état qui est infligée de Dieu même et qui ne peut venir que de lui. Tous les renversements du dehors ne peuvent [175] causer la moindre peine du fond, pour légère qu’elle soit : ils ne font que passer légèrement et effleurer la peau. […]

La voie de foi nue dans laquelle est jeté le P. Lacombe va permettre une union plus complète :

2.11 LES TORRENTS. UNION AU P. LA COMBE.

1. Le père La Combe de retour à Rome est mis dans la voie de foi nue, ce qui le fait douter. Les lumières sont véritables mais l’interprétation qu’on leur donne est douteuse. 2. ‘J’éprouvais le soin que vous preniez de toutes mes affaires’. Episode du ballot retrouvé. 3. M. de Genève la persécute en sous-main. ‘Il écrivit même contre moi aux ursulines …le supérieur de la maison …et la supérieure, aussi bien que la communauté, se trouvèrent si indignés de cela, qu'ils ne purent s'empêcher de le témoigner à lui-même, qui s'excusait toujours …sur un « je ne l’entendais pas de cette sorte ».’ 4. Retraite avec le Père. ‘Ce fut là où je sentis la qualité de mère.’ 5. ‘Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire; cependant j'écrivis un traité entier de toute la voie intérieure sous la comparaison des rivières et des fleuves.’ 6. ‘Dieu me faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes ses résistances’ ; ‘je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole’ ; ‘ Tout ce que j'avais écrit autrefois … fut condamné au feu par l'amour examinateur.’ 7. Union avec le père La Combe. ‘Il me fallait dire toutes mes pensées, il me semblait que par là je rentrais dans l’occupation de moi-même.’ 8. ‘Je lui disais avec beaucoup de fidélité tout ce que Dieu me donnait à connaître qu'il désirait de lui, et ce fut là l'endroit fort à passer.’

[1.] Après que le Père La Combe fut revenu de Rome approuvé avec éloges pour sa doctrine, il fit ses fonctions de prêcher et de confesser comme à l’ordinaire, et comme j’avais en mon particulier une permission de Monsieur de Genève de me confesser à lui, je m’en servis. Il me dit d’abord qu’il fallait m’en retourner, comme je l’ai dit. Je lui demandai la raison : «C’est que je crois, dit-il, que Dieu ne fera rien de vous ici, et que mes lumières sont tromperies.» Ce qui le fit parler de la sorte fut, qu’étant à Lorette en dévotion dans la chapelle de la Sainte Vierge, il fut tiré tout à coup de sa voie de lumières et mis dans la voie de foi nue. Or comme cet état fait défaillir à toute lumière distincte, l’âme qui s’y trouve plongée se trouve dans une peine d’autant plus grande que son état avait été plus lumineux; c’est ce qui lui fait juger que toutes ses lumières sur lesquelles elle s’appuyait auparavant ne sont que tromperies; ce qui est vrai dans un sens et non dans un autre, car les lumières sont toujours lumières bonnes et véritables lorsqu’elles sont de Dieu, mais c’est qu’en nous y appuyant, nous les entendons ou les interprétons mal. Et c’est en cela qu’est la tromperie, car elles ont une signification connue de Dieu, mais nous leur donnons un sens, et l’amour-propre se fâche de ce que les choses n’arrivent pas selon ses lumières, les accusant de fausseté. Elles sont très véritables en leur sens. Par exemple : une religieuse avait dit au Père La Combe que Dieu lui avait fait connaître que le père serait un jour confesseur de sa Souveraine. Cela en un sens se pouvait prendre pour confesser ou diriger la princesse, et c’est dans ce sens qu’on le prenait, et moi, il m’a été donné à connaître qu’il s’entendait de la persécution où il a eu l’occasion de confesser sa foi, de souffrir pour la volonté de Dieu qui est sa souveraine; et mille autres choses. N’ai-je pas été fille de la Croix de Genève puisque le voyage de Genève m’a attiré tant de croix, et mère d’un grand peuple, comme l’on verra dans la suite par les âmes que Dieu m’a données et qu’il me donne encore tous les jours au milieu de ma captivité.

[2.] Je lui rendis compte de ce que j’avais fait et souffert en son absence et du soin que N(otre) Seigneur) avait de m’éveiller à minuit. […]

[3.] M. de Genève673 continuait à me persécuter, et lorsqu’il m’écrivait, c’était toujours en me faisant des honnêtés et des remerciements des charités que je faisais à Gex; et de l’autre côté, il disait que je ne donnais rien à cette maison. Il écrivit même contre moi aux Ursulines où je demeurais, leur mandant qu’elles empêchassent que j’eusse de conférence avec le Père La Combe de peur des suites funestes. Le supérieur de la maison, homme de mérite, et la supérieure, aussi bien que la communauté, se trouvèrent si indignés de cela, qu’ils ne purent s’empêcher de le témoigner à lui-même, qui s’excusait toujours sur un respect apparent et sur un «je ne l’entendais pas de cette sorte». Elles lui écrivirent que je ne voyais le père qu’au confessionnal, et non en conférence; qu’elles étaient si fort édifiées de moi qu’elles se trouvaient trop heureuses de m’avoir, et qu’elles regardaient cela comme une grande grâce de Dieu. Ce qu’elles disaient par pure charité ne plut guère à M. de Genève qui, voyant que l’on m’aimait dans cette maison, disait que je gagnais tout le monde et qu’il souhaitait que je fusse hors de son diocèse. […]

[4.] Sitôt que le Père La Combe fut arrivé, pour me soulager un peu de la fatigue que me donnaient des conversations continuelles, je dis fatigue, parce que le corps était tout languissant de la force de l’opération de Dieu, je le priai de me permettre une retraite et de dire qu’il voulait que j’en fisse une. Il le leur dit, mais elles avaient peine à me laisser en repos. Ce fut là que je me laissai dévorer tout le jour à l’amour, qui ne faisait point d’autre opération que de me consumer peu à peu. Ce fut là où je sentis la qualité de mère, car Dieu me donnait un je ne sais quoi pour la perfection du Père La Combe que je ne pouvais lui cacher. Il me semblait que je voyais jusque dans le fond de son âme et jusqu’aux plus petits replis de son cœur. Premièrement Notre-Seigneur me fit voir qu’il était son serviteur choisi entre mille pour l’honorer singulièrement et qu’il n’y avait aucun homme sur la terre pour lors sur lequel il eût jeté comme sur lui des regards de complaisance, mais qu’il le voulait conduire par la mort totale et la perte entière, qu’il voulait que j’y contribuasse et qu’il se servirait de moi pour le faire marcher par un chemin où il ne m’avait fait passer la première qu’afin que je fusse en état d’y conduire les autres, et de leur dire les routes par lesquelles j’avais passé, que mon âme était plus avancée pour lorsque la sienne de beaucoup, que Dieu nous voulait rendre uns et conformes, mais qu’il la passerait674 un jour d’un vol hardi et impétueux. Dieu sait combien j’en eus de joie et avec quel plaisir je verrais mes enfants surpasser leur mère en gloire, que je me livrerais volontiers en toute manière pour que cela fut de la sorte.

[5.] Dans cette retraite, il me vint un si fort mouvement d’écrire675 que je ne pouvais y résister. La violence que je me faisais pour ne le point faire me faisait malade et m’ôtait la parole. Je fus fort surprise de me trouver de cette sorte, car jamais cela ne m’était arrivé. Ce n’est pas que j’eusse rien de particulier à écrire, je n’avais chose au monde ni pas même une idée de quoique ce soit. C’était un simple instinct, avec une plénitude que je ne pouvais supporter. J’étais comme ces mères trop pleines de lait, qui souffrent beaucoup. Je dis au Père La Combe après beaucoup de résistance la disposition où je me trouvais, il me dit qu’il avait eu de son côté [181] un fort mouvement de me commander d’écrire, mais qu’à cause que j’étais si languissante, qu’il n’avait osé me l’ordonner. Je lui dis que ma langueur ne venait que de ma résistance, que je croyais qu’aussitôt que j’écrirais, cela se passerait. Il me demanda : «Mais que voulez-vous écrire?» Je lui dis : «je n’en sais rien, je ne veux rien, et je n’ai nulle idée, et je croirais même faire une grande infidélité de m’en donner une, ni de penser un moment à ce que je pourrais écrire.» Il m’ordonna de le faire. En prenant la plume je ne savais pas le premier mot de ce que je voulais écrire. Je me mis à écrire sans savoir comment, et je trouvais que cela venait avec une impétuosité étrange. Ce qui me surprenait le plus était que cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n’étais pas encore accoutumée à cette manière d’écrire; cependant j’écrivis un traité entier de toute la voie intérieure sous la comparaison des rivières et des fleuves676. Quoiqu’il soit assez long et que la comparaison y soit soutenue jusqu’au bout, je n’ai jamais formé une pensée, ni n’ai jamais pris garde où j’en étais restée et, malgré des interruptions continuelles, je n’ai jamais rien relu que sur la fin, où je relus une ligne ou deux à cause d’un mot coupé que j’avais laissé; encore crus-je avoir fait une infidélité. Je ne savais avant d’écrire ce que j’allais écrire; était-il écrit, je n’y pensais plus. J’aurais fait une infidélité de retenir quelque pensée pour la mettre, et Notre-Seigneur me fit la grâce que cela n’arriva pas. À mesure que j’écrivais, je me sentais soulagée et je me portais mieux.

[6.) Comme la voie par laquelle Dieu conduisait le Père La Combe était bien différente de celle par laquelle il avait marché jusqu’alors, qui était toute lumière, ardeur, connaissance, certitude, assurance, sentiments, et qu’il le conduisait par le petit sentier de la foi et de la nudité, il avait une extrême peine à s’y ajuster, ce qui ne me causait pas une petite souffrance, car Dieu me faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes ses résistances. […]

Obéissance au P. Lacombe et maladie d’enfance :

2.12 POUVOIR SUR LES ÂMES

1. Obéissance au Père. 2-3. Elle a puissance d’ôter les démons qui tourmentent la fille que sa sœur avait amené et de la guérir. 4. ‘Lorsque cette vertu n'était pas reçue dans le sujet faute de correspondance, je la sentais suspendue dans sa source, et cela me faisait une espèce de peine.’ 5. Elle reprend une sœur méprisante de la tentation d’une compagne. Cette sœur, à son tour, entre dans un terrible état. 6. Maladie de septembre à mai. Fièvre, abcès à l’œil. Etat de petit enfant. 7. Elle éprouve en même temps un pouvoir sur les âmes.

[1.] Notre-Seigneur, qui voulait véritablement que je le portasse dans tous ses états, me faisant commencer depuis le premier jusqu’au dernier, comme je le dirai, et qui me voulait simplifier entièrement, me donna à l’égard du Père La Combe une obéissance miraculeuse; je crois que Notre-Seigneur le faisait pour simplifier677 en moi le dehors comme le dedans, pour me faire exprimer Jésus Christ Enfant et obéissant, comme l’état où je fus mise après le fait bien voir, et aussi pour être un signe et un témoignage678 envers le Père La Combe, car comme il avait été conduit par les témoignages679, il ne pouvait sortir de cette voie; et en tout ce qu’on lui disait, ou que Dieu lui faisait éprouver, il allait toujours cherchant le témoignage, c’est où il a eu le plus de peine à mourir et pourquoi il m’a tant fait souffrir. Notre-Seigneur, pour le faire entrer plus aisément dans ce qu’il voulait de lui et de moi, lui donna le plus grand de tous les témoignages, qui est cette obéissance miraculeuse; et pour faire voir qu’elle ne dépendait pas de moi, et que Dieu la donnait pour lui, lorsqu’il fut assez fort pour perdre tout témoignage, et que Dieu le voulut faire entrer dans la perte, cette obéissance me fut ôtée de telle sorte que je ne pouvais plus obéir sans y faire attention, et cela se faisait pour le perdre davantage et lui ôter le soutien de ce témoignage, car alors tous mes efforts étaient inutiles. Il me fallait suivre au-dedans celui qui était mon maître, et qui me donnait cette répugnance à obéir qui ne dura que le temps qui était nécessaire pour perdre l’appui qu’il aurait pris et moi aussi de l’obéissance680.

Mais avant de parler de cela il faut dire que cette obéissance était si miraculeuse qu’en quelque extrémité de maladie que je fusse, je guérissais lorsqu’il me l’ordonnait soit de parole soit par lettre. J’avais alors un si fort instinct pour sa perfection et pour [184) le voir mourir à lui-même, que je lui eusse souhaité tous les maux imaginables, loin de le plaindre. Lorsqu’il n’était pas fidèle, ou qu’il prenait les choses en vie681, je me sentais dévorée, ce qui ne me surprit pas peu, ayant été aussi indifférente que je l’avais été jusqu’alors. Je m’en plaignis à Notre-Seigneur qui me rassura avec une bonté extrême, aussi bien que sur l’extrême dépendance qu’il me donnait, qui devint telle que j’étais comme un enfant.

[…]

[6.] Je tombai malade à l’extrémité. Cette maladie, ô mon Dieu, fut un moyen pour couvrir les grands mystères que vous vouliez opérer en moi. Jamais maladie ne fut plus extraordinaire et plus longue dans son excès682. Elle dura depuis la Sainte-Croix de septembre jusqu’à celle de mai. Ce fut là où la charité de N. pour moi fut aussi grande que mes besoins devinrent extrêmes. Je fus réduite à un état de petit enfant, mais état qui ne paraissait qu’à ceux qui en étaient capables, mais pour les autres, je paraissais dans une situation ordinaire. Je fus mise dans la dépendance de Jésus-Christ enfant, qui voulut bien se communiquer à moi dans son état d’enfance, et que je le portasse tel. Cet état me fut communiqué presque aussitôt que je tombai malade, et la dépendance égale à l’état. Plus j’allais en avant, plus j’étais affranchie de cette dépendance, comme les enfants sortent à peu près de la dépendance à mesure qu’ils croissent. Mon mal fut d’abord une fièvre continue de quarante jours. Depuis la Sainte-Croix de septembre jusqu’à l’Avent c’était une fièvre moins violente, mais après l’Avent, elle me prit d’une manière plus violente. Le Maître voulut malgré mes maux que je le fusse recevoir à Noël, à minuit; je descendis puis je remontai pour ne plus sortir du lit qu’à la Purification que l’on me commanda, toute à l’extrémité que j’étais, d’aller à la messe; j’y fus : il n’y avait pas loin de ma cellule à l’église, et je vins me recoucher jusqu’à la St Joseph comme je dirai.

Le jour de Noël, mon enfance devint bien plus grande, et mon mal augmenta. La fièvre s’alluma jusqu’à la rêverie683, avec cela un abcès qui se fit encore au coin de l’œil et qui me fit de grandes douleurs. Il s’ouvrit tout à fait [187] à cette fois, et l’on me le pansa longtemps me fourrant un fer dedans jusqu’au bas de la joue. J’avais une fièvre si ardente et tant de faiblesse que l’on fut obligé de le laisser refermer sans le guérir, car mon corps exténué n’en pouvait porter les opérations sans être sur le point d’expirer. […]

L’on m’apportait souvent le Bon Dieu, le supérieur de la maison ayant ordonné que l’on m’accordât cette consolation dans l’extrémité où j’étais. Comme le Père La Combe me l’apportait souvent lorsque le confesseur de la maison n’y était pas et qu’il me fallait confesser étant plus mal, il remarquait, et les religieuses qui m’étaient familières le remarquaient aussi, que j’avais le visage comme un petit enfant, et il me disait quelquefois dans son étonnement : «Ce n’est point vous, c’est un bel enfant que je vois.» Pour moi, je n’apercevais rien au-dedans que la candeur et l’innocence d’un petit enfant. J’en avais les faiblesses, je pleurais quelquefois de douleur, mais cela n’était pas connu. Je jouais et riais d’une manière qui charmait la fille qui me soignait, et ces bonnes religieuses, qui ne connaissaient rien, disaient que j’avais quelque chose qui les charmait.

[7.] Notre-Seigneur cependant, avec les faiblesses de son enfance, me donnait le pouvoir d’un Dieu sur les âmes, en sorte que d’une parole, je les mettais dans la peine ou dans la paix selon qu’il était nécessaire pour le bien de ces âmes. Je voyais que Dieu se faisait obéir en moi et de moi comme un souverain absolu, et je ne lui résistais plus. Je ne prenais de part à rien. Vous auriez fait en moi et par moi, mon Dieu, les plus grands miracles que je n’y aurais pas pu réfléchir. Je sentais au-dedans une candeur d’âme que je ne puis exprimer, exempte de malice. Avec cela, il me fallait continuer à dire mes pensées au Père La Combe ou les lui écrire, et l’aider selon la lumière qui m’en était donnée. J’étais souvent si faible que je ne pouvais lever la tête pour prendre de la nourriture, et lorsque Dieu voulait que je lui écrivisse, soit pour l’aider et l’encourager, ou pour lui expliquer ce que Notre-Seigneur me donnait à connaître, [188] j’avais la force d’écrire. Mes lettres étaient-elles finies, je me trouvais dans la même faiblesse.

Chapitre « central » livré en intégralité :

2.13 LA COMMUNICATION INTÉRIEURE

1. Epreuve : ‘Il fallait, à quelque extrémité que je pusse être, que j'écoutasse leurs différends.’ 2-3. ‘Le père me défendit de me réjouir de mourir.’ 4. Echange de maladie. 5. ‘Vous m'apprîtes qu'il y avait une autre manière de converser.’ Union avec le Père. ‘J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait.’ ‘Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence.’ 6-7. ‘Cette communication est Dieu même, qui se communique à tous les bienheureux en flux et reflux personnel.’ 8. ‘Tous ceux qui sont mes véritables enfants ont d'abord tendance à demeurer en silence auprès de moi, et j'ai même l'instinct de leur communiquer en silence ce que Dieu me donne pour eux. Dans ce silence je découvre leurs besoins et leurs manquements.’ 9. ‘il ne m'a point éclairée par des illustrations et connaissances, mais en me faisant expérimenter les choses.’ 10-12. ‘O communications admirables que celles qui se passèrent entre Marie et Saint Jean !’ ‘Quelquefois Notre Seigneur me faisait comme arrêter court au milieu de mes occupations, et j’éprouvais qu’il se faisait un écoulement de grâce.’

[1.] Ma sœur n’était nullement capable684 de mon état, de sorte que souvent elle s’en scandalisait. Elle se fâchait lorsque l’on se cachait d’elle le moins du monde, et elle n’était pas capable d’un état que bien des personnes plus spirituelles qu’elles n’auraient pu comprendre, de sorte que je souffris beaucoup de toutes parts dans cette maladie. Les exercices de la douleur, quoique grande, étaient les moindres, ceux de la créature étaient bien autres. Je n’avais de consolation que de recevoir Notre-Seigneur et de voir quelquefois le Père La Combe; encore me fallait-il beaucoup souffrir à son occasion, ainsi que je l’ai dit, portant toutes ses différentes dispositions : je souffrais quelquefois lorsqu’il était infidèle à se laisser détruire, des tourments intolérables à me faire crier; c’était une impression de peine que Dieu me faisait d’une extrême force et j’étais avec cela dans la plus extrême faiblesse. J’avais des exercices685 étranges de ma sœur et de cette religieuse et de la fille qui voulait s’en retourner. Il fallait, à quelque extrémité que je pusse être, que j’écoutasse leurs différends qu’elles me disaient les unes après les autres; puis elles me querellaient de ce que je n’entrais pas dans leur parti. Elles ne me laissaient pas dormir, car comme la fièvre redoublait la nuit, je ne pouvais dormir qu’une heure, et j’aurais bien voulu dormir de jour, mais elles ne le voulaient pas, disant que c’était de peur de leur parler, de manière qu’il me fallait une patience très grande pour les supporter, car cela dura plus de six mois de cette sorte. Je crois que cela fut cause en partie de la rêverie686 que j’eus deux jours durant, car je ne dormais point et j’avais toujours du bruit, avec une douleur de tête effroyable. Je ne me plaignais de rien, et je souffrais gaiement comme un enfant. Le Père La Combe leur commanda de me donner quelque repos : elles le firent pour quelques jours, mais cela ne dura pas, elles recommencèrent aussitôt.

[2.] Je ne saurais exprimer les miséricordes que Dieu me fit dans cette maladie et les lumières profondes qu’il me donna de l’avenir. Je vis le Démon déchaîné contre l’oraison et contre moi et qu’il allait faire soulever une persécution étrange contre les personnes d’oraison. J’écrivis tout cela au Père La Combe et, à moins qu’il n’ait brûlé les lettres, elles doivent être encore en nature. Le Démon n’osait m’attaquer moi-même : il me craignait trop. Je le défiais quelquefois, mais il n’osait paraître et j’étais pour lui comme un foudre. Je compris alors ce que peut une âme anéantie. Notre-Seigneur me fit voir tout ce qui s’est passé depuis, comme les lettres de ce temps-là en font foi.

[3.] Un jour que je pensais en moi-même ce que c’était qu’une si grande dépendance, et une union si pure et si intime, je vis deux fois en songe Jésus-Christ Enfant d’une admirable beauté, et il me semble qu’il nous unissait très étroitement en me disant : «C’est moi qui vous unis et qui veux que vous soyez un.»687 Et une autre fois il me fit voir le père qui s’écartait de moi par infidélité et il le ramenait avec une extrême bonté et il voulait qu’il m’aidât dans mon état d’enfance, comme je l’aidais dans son état de mort, mais je ne le faisais pas souffrir. Il n’y avait que pour moi à souffrir. Il avait une extrême charité pour moi, me traitant comme un vrai enfant, [189] et il me disait souvent : «Lorsque je suis auprès de vous, je suis comme si j’étais auprès d’un petit enfant.» J’étais incessamment réduite aux abois et prête à688 mourir sans mourir. Tous les neuvièmes (jours) j’avais comme des agonies, j’étais plusieurs heures sans respirer que de loin à loin, puis je revenais tout à coup. La mort me flattait, car j’avais pour elle une grande tendresse, mais elle ne paraissait qu’en fuyant. Le père me défendit de me réjouir de mourir, et je connus aussitôt que cela était imparfait, et je ne le fis plus. Je restai dans la suprême indifférence.

Il se passa tant de choses extraordinaires dans cette maladie qu’il me serait impossible de les raconter. Dieu faisait incessamment des miracles par le Père La Combe et pour me soulager et me donner de nouvelles forces lorsque j’étais à l’extrémité, et pour lui marquer à lui-même le soin qu’il devait avoir de moi et la dépendance qu’il voulait que j’eusse à son égard. J’étais comme les petits enfants, sans penser à moi ni à mon mal. J’aurais été tous les jours sans prendre de nourriture que je n’y aurais pas pensé, et quelque chose que l’on me donnât, je la prenais, eût-il dû me faire mourir. L’on me traitait dans mes maux autrement qu’il ne fallait, les remèdes les augmentaient, mais je ne pouvais m’en mettre en peine. J’avais toujours le visage riant dans mes plus grands maux, de sorte que chacun en était étonné. Les religieuses avaient une extrême compassion de moi, il n’y avait que moi qui n’avais nul sentiment sur moi-même. Je vis plusieurs fois en songe le Père La Mothe qui me faisait des persécutions, et Notre-Seigneur me fit connaître qu’il me devait beaucoup tourmenter et que le Père La Combe me laisserait durant le temps de la persécution. Je le lui écrivis, et cela le fâcha beaucoup parce qu’il sentait bien son cœur trop uni à la volonté de Dieu et trop désireux de me servir dans cette même volonté pour faire cela. Il crut que c’était par défiance, mais cela s’est bien trouvé vrai : il m’a abandonnée dans la persécution, non par volonté, mais par nécessité, ayant été lui-même persécuté le premier.

[4.] Le jour de la Purification689 que j’étais retombée dans une plus grande fièvre, le père m’ordonna d’aller à la messe. Il y avait cette fois vingt-deux jours que j’avais la fièvre continue plus violente qu’à l’ordinaire. Je ne fis pas seulement une attention ni une réflexion sur mon état. Je me levai et je fus à la messe; je me remis au lit où je fus bien plus mal qu’auparavant. Ce fut un jour de grâce pour moi ou plutôt pour le père; Dieu lui en fit de très grandes à mon occasion. Vers le carême, le père, sans faire attention qu’il avait un carême à prêcher, me voyant si mal, il dit à Notre-Seigneur de me soulager, et qu’il porterait bien une partie de mon mal. Il dit à nos filles de demander la même chose, c’est-à-dire qu’il me soulageât selon son intention. Il est vrai que je fus un peu mieux, mais il tomba malade; ce qui fit une grande alarme dans le lieu, à cause qu’il y devait prêcher. Il était si fort suivi que des gens venaient de cinq lieues passer plusieurs jours là pour l’entendre. Comme j’appris qu’il était si malade que le lundi gras690 on crut qu’il mourrait, je m’offris à Notre-Seigneur pour être plus malade et qu’il lui rendit la santé et le mit en état de prêcher à son peuple qui était affamé de l’entendre. Notre-Seigneur m’exauça si bien qu’il monta en chaire le mercredi des Cendres.

[5.] Ce fut dans cette maladie, mon Seigneur, que vous m’apprîtes qu’il y avait une autre manière de converser avec les créatures qui sont tout à vous que la parole. Vous me fîtes [190] concevoir que comme vous êtes toujours parlant et opérant dans une âme, ô divin Verbe, quoique vous y paraissiez dans un profond silence, qu’il y avait aussi un moyen de se communiquer dans vos créatures par vos créatures dans un silence ineffable.

[12,7] Je fus bien surprise de comprendre par une expérience que ce que vous aviez voulu de moi en m’obligeant à dire toutes mes pensées, avait été de me consommer dans la simplicité et d’y faire entrer le Père La Combe, me rendant souple à tous vos vouloirs; car quelque croix qui me vint de dire mes pensées, quoique le Père La Combe trouvât souvent mauvaises les choses jusqu’au point de se dégoûter de me servir et qu’il me le témoignât, quoique par charité il passât par-dessus ses répugnances, je ne désistai jamais pour cela de les lui dire.

[12,8] Notre-Seigneur nous avait fait entendre qu’il nous unissait par la foi et par la croix, aussi ç’a bien été une union de croix en toutes manières, tant par ce que je lui ai fait souffrir à lui-même et qu’il m’a fait souffrir réciproquement, qui était bien plus fort que tout ce que j’en puis dire, que par les croix que cela nous a attirées du dehors. Les souffrances que j’avais à son occasion étaient telles que j’en étais réduite aux abois. Ce qui a duré plusieurs années, car quoique j’aie été bien plus de temps éloignée de lui que proche, cela n’a point soulagé mon mal qui a duré jusqu’à ce qu’il ait été parfaitement anéanti et réduit au point où Dieu le voulait. Cette opération lui a fait souffrir des douleurs d’autant plus extrêmes que les desseins que Dieu avait sur lui étaient plus grands, et il m’a causé des douleurs cruelles. Lorsque j’étais à près de cent lieues de lui je sentais sa disposition. S’il était fidèle à se laisser détruire, j’étais en paix et au large, s’il était infidèle en réflexion ou hésitation, je souffrais des tourments étranges jusqu’à ce que cela fut passé. Il n’avait que faire de me mander son état pour que je le susse, de sorte que j’étais souvent couchée sur le carreau tout le jour sans me pouvoir remuer dans l’agonie. Après avoir souffert quinze jours de cette sorte des souffrances qui surpassaient tout ce que j’avais jamais souffert en ma vie, je recevais des lettres de lui par lesquelles j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait, et alors j’éprouvais que peu à peu mon âme trouvait une paix et un large très grand qui était plus ou moins selon qu’il se délaissait plus ou moins à Notre-Seigneur.

Ceci n’était pas en moi une chose volontaire, mais nécessaire, car si la nature avait pu secouer ce joug qui lui était plus dur et plus douloureux que la mort, elle l’aurait fait. Je disais : «O union nécessaire et non volontaire, tu n’es volontaire que parce que je ne suis plus maîtresse de moi-même et qu’il faut que je cède à celui qui a pris une si forte possession de moi après que je me fus donnée à lui librement et sans aucune réserve!» Mon cœur avait en lui comme un écho et un contre-coup qui lui disaient toutes les dispositions où il était, mais lorsqu’il résistait à Dieu, je souffrais de si horribles tourments que je croyais quelquefois que cela m’arracherait la vie; j’étais obligée quelquefois de me mettre sur le lit et de soutenir de cette sorte un mal qui me [191] paraîssait insoutenable, car enfin de porter une âme quelque éloignée que la personne soit de nous, et de souffrir toutes les rigueurs que l’amour lui fait souffrir et toutes les résistances, cela est étrange. Dans cette maladie, dis-je, j’appris un langage qui m’avait été inconnu jusqu’alors.

Je m’aperçus peu à peu que lorsque l’on faisait entrer le Père La Combe ou pour me confesser, ou pour me communier, je ne pouvais plus lui parler et qu’il se faisait à son égard dans mon fond le même silence qu’il se faisait à l’égard de Dieu. Je compris que Dieu me voulait apprendre que les hommes pouvaient dès cette vie apprendre le langage des anges. Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu’en silence, ce fut là que nous nous entendions en Dieu d’une manière ineffable et toute divine. Nos cœurs se parlaient et se communiquaient une grâce qui ne se peut dire. Ce fut un pays tout nouveau pour lui et pour moi, mais si divin, que je ne le puis exprimer. Au commencement cela se faisait d’une manière plus perceptible, c’est-à-dire que Dieu nous pénétrait d’une manière si forte de lui-même et son divin Verbe nous faisait tellement une même chose en lui, mais d’une manière si pure, mais aussi si suave, que nous passions les heures dans ce profond silence toujours communicatif sans pouvoir dire une parole. C’est là que nous apprîmes par notre expérience les communications et les opérations du Verbe pour réduire les âmes dans son unité, et à quelle pureté on peut parvenir en cette vie. Il me fut donné de me communiquer de cette sorte à d’autres bonnes âmes, mais avec cette différence que dans les autres, je ne recevais rien, et ne faisais que leur communiquer la grâce dont ils se remplissaient auprès de moi dans ce silence sacré qui leur communiquait une force et une grâce extraordinaires, mais je ne recevais rien d’elles. Mais pour le père, j’éprouvais qu’il se faisait un flux et reflux de communication de grâces qu’il recevait de moi et que je recevais de lui, qu’il me rendait et que je lui rendais la même grâce dans une extrême pureté.

[12.] O communications admirables que celles qui se passèrent entre Marie et Saint Jean! O filiation toute divine, qui voulez bien vous étendre jusqu’à moi tout indigne que j’en suis! O. divine Mère qui voulez bien communiquer votre fécondité et votre maternité toute divines à ce pauvre néant, j’entends cette fécondité des cœurs et des esprits. Notre-Seigneur voulut pour m’instruire à fond de ce mystère en faveur des autres, qu’une fille dont j’ai parlé eût besoin de ce secours; je l’ai éprouvée de toutes manières, et lorsque je ne voulais pas qu’elle demeurât auprès de moi en silence, je voyais son intérieur tomber peu à peu, et même ses forces corporelles se perdre au point de tomber en défaillance. Lorsque j’eus fait assez d’expériences de cela pour comprendre ces manières de communications, les besoins si extrêmes se passèrent, et je commençai à découvrir, surtout avec le Père La Combe lorsqu’il était absent, que la communication intérieure se faisait de loin comme de près. Quelquefois Notre-Seigneur me faisait comme arrêter court au milieu de mes occupations, et j’éprouvais qu’il se faisait un écoulement de grâce pareil à celui que j’avais éprouvé étant auprès de lui, ce que j’ai aussi éprouvé avec bien d’autres, non pas toutefois en pareil degré, mais plus ou moins, sentant leurs infidélités, et connaissant leurs fautes par des impressions inconcevables, sans m’y tromper, ainsi que je le dirai dans la suite.

2.14 AUX PORTES DE LA MORT

1-3. ‘Vous me montrâtes à moi-même sous la figure de cette femme de l'Apocalypse … [J’ai] confiance que, malgré la tempête et l'orage, tout ce que vous m'avez fait dire ou écrire sera conservé.’ 4. ‘J'aperçus, non sous aucune figure, le dragon … la mort s'approchait toujours de mon cœur … [le Père] dit à la mort de ne passer pas outre.’ 5. Etablissement d’un hôpital. 6. ‘La supérieure eut de fortes croix à mon occasion …après y avoir été deux ans et demi ou environ, elles furent plus en repos.’ 7. Le Père la quitte pour aller chez M. de Verceil. Elle sort des Ursulines et trouve une petite maison : ‘Jamais je n'ai goûté un pareil contentement.’ 8. Voyage périlleux à Lausanne.

[1.] Dans cette maladie si longue, votre seul amour, ô mon Dieu, fit mon occupation sans occupation. […] Dans cet état d’oubli et de maladie j’étais quelquefois pressée d’écrire au Père La Combe pour l’encourager et fortifier dans ses peines, et la force m’en était donnée dans un temps où la faiblesse de mon corps était si grande que je ne pouvais qu’à peine me remuer dans mon lit; avais-je écrit ce que l’amour disait, je rentrais dans ma première faiblesse. Vous m’apprîtes, ô mon Amour, que votre état d’enfance ne serait pas le seul qu’il me faudrait porter… […]

[2.] Une nuit que j’étais fort éveillée, vous me montrâtes à moi-même sous la figure de cette femme de l’Apocalypse — qui dit figure ne dit pas la réalité : le serpent d’airain, qui était la figure de Jésus-Christ, n’était pas Jésus-Christ — qui a la lune sous ses pieds, environnée du soleil, douze étoiles sur sa tête, et étant enceinte, elle criait dans les douleurs de son enfantement691. Vous me fîtes comprendre que cette lune qui était sous ses pieds, marquait que mon âme était au-dessus de la vicissitude et de l’inconstance dans les événements; que j’étais tout environnée et pénétrée de vous-même, que les douze étoiles étaient les fruits de cet état et les dons dont il était gratifié; que j’étais grosse d’un fruit qui était cet esprit que vous vouliez que je communiquasse à tous mes enfants, soit de la manière que j’ai dit, soit par mes écrits; que le Démon était cet effroyable dragon qui ferait ses efforts pour dévorer le fruit, et des ravages horribles par toute la terre; mais que vous conserveriez ce fruit dont j’étais pleine en vous-même, qu’il ne se perdrait point : aussi ai-je la confiance que, malgré la tempête et l’orage, tout ce que vous m’avez fait dire ou écrire sera conservé692. […]

[3.] […] J’écrivis tout cela au Père La Combe, et vous m’unîtes encore plus fortement à lui. J’éprouvais, ô mon amour, que du même lien dont vous me serriez en vous-même, vous me liiez avec le Père La Combe et vous m’imprimâtes à son égard la même parole que vous m’aviez imprimée par vous : Je vous unis en foi et en croix693. O. Dieu, vous ne promettez rien en matière de croix que vous ne donniez abondamment. Pourrais-je dire, ô Dieu, les miséricordes que vous me faisiez? Non, elles demeureront en vous-même, étant d’une nature à ne pouvoir être décrites à cause de leur pureté et de leur profondeur, exemptes de toute distinction.

[4.] Dans mon état d’enfance j’étais souvent à la mort, ainsi que je l’ai dit. Un jour que l’on me croyait presque guérie, sur les [196] quatre heures du matin, j’aperçus non sous aucune694 figure le dragon. Je ne le voyais pas, mais j’étais certaine que c’était lui. […] Je sentais peu à peu que ma vie se retirait autour du cœur. Le Père La Combe me donna l’extrême-onction, la supérieure des ursulines l’en ayant prié parce qu’elles n’avaient point de prêtre ordinaire. J’étais très contente de mourir, et le Père La Combe n’en avait nulle peine. Il serait difficile de comprendre, à moins de l’avoir éprouvé, comment une union si étroite qu’il n’y en a guère de semblable, peut porter sans sentir aucune peine une division pareille à celle de voir mourir une personne à qui l’on tient si fort. Il en était lui-même étonné, mais cependant il n’est pas difficile à concevoir que, n’étant unis qu’en Dieu même d’une manière si pure et si intime, la mort ne pouvait nous diviser, au contraire, elle nous aurait encore unis plus étroitement. C’est une chose que j’ai éprouvée bien des fois, que la moindre division de sa volonté d’avec la mienne ou la moindre résistance qu’il faisait à Dieu me faisaient souffrir des tourments inexplicables, et que de le voir mourir, prisonnier éloigné pour toujours, ne me faisait pas l’ombre de peine.

Le Père La Combe témoignait donc beaucoup de contentement de me voir mourir, et nous riions ensemble du moment qui faisait tout mon plaisir, car notre union était autre que tout ce qu’on saurait s’en imaginer. Cependant la mort s’approchait toujours de mon cœur, et je sentais les convulsions qui occupaient mes entrailles remonter à mon cœur. Je peux dire que j’ai senti la mort sans mourir. Comme le Père La Combe, qui était à genoux proche de mon lit, remarquait le changement de mon visage et mes yeux qui s’obscurcissaient, il vit bien que j’allais expirer; il me demanda où était la mort et les convulsions; je lui fis signe qu’elles gagnaient le cœur et que j’allais [197] mourir. O. Dieu, vous ne voulûtes point encore de moi, vous me réserviez à bien d’autres douleurs que celles de la mort, si on peut appeler douleurs ce que l’on souffre dans l’état où vous m’avez mise par votre seule bonté. Vous inspirâtes au Père La Combe de mettre la main sur la couverture à l’endroit de mon cœur, et avec une voix forte qui fut ouïe de ceux qui étaient dans ma petite chambre qui était presque pleine, il dit à la mort de ne passer pas outre. Elle obéit à cette voix et mon cœur reprenant un peu de vie, revint. Je sentis ces mêmes convulsions redescendre dans mes entrailles de la même manière qu’elles y étaient montées et elles restèrent tout le jour dans les entrailles avec la même violence qu’auparavant, puis redescendirent peu à peu jusqu’au lieu où le dragon avait frappé, et ce pied fut le dernier revivifié. Il me resta plus de deux mois une très grande faiblesse sur ce côté-là plus que sur l’autre, et même après que je fus mieux et en état de marcher, je ne pouvais me soutenir sur ce pied qui avait peine à me porter. […]

[5.] […] Durant que j’étais ainsi malade, Notre-Seigneur donna la pensée au Père La Combe d’établir un hôpital dans ce lieu où il n’y en avait point, pour retirer695 les pauvres malades, et d’instituer aussi une congrégation de Dames de la Charité pour fournir à ceux qui ne pouvaient quitter leur famille pour aller à l’hôpital ce qui leur était nécessaire pour vivre dans leur maladie, à la manière de France, dont il n’y a aucune institution en ce pays-là. […]

[7.] Comme j’étais encore malade aux Ursulines, Monseigneur l’évêque de Verceil696, qui était extrêmement ami du père général des barnabites, lui demanda avec instance de lui chercher parmi ses religieux un homme de mérite, de piété et de doctrine, en qui il pût prendre confiance, et qui pût lui servir de théologal697 et de conseil; que son diocèse avait un extrême besoin de ce secours. Le général jeta d’abord les yeux sur le Père La Combe. Cela était d’autant plus faisable que ses six ans de supériorité finissaient. Le père général, avant que de l’engager tout à fait avec Monseigneur de Verceil, lui en écrivit pour savoir s’il n’y avait point de répugnance, l’assurant qu’il ne ferait que ce qu’il voudrait. Le Père La Combe répliqua qu’il n’avait point d’autre volonté que celle de lui obéir et qu’il pouvait ordonner de tout comme il lui plairait. Il me donna de cela avis et que nous allions être entièrement séparés. Je n’en eus aucun chagrin. Je fus bien aise que Notre-Seigneur se servît de lui sous un évêque qui le connût et qui lui rendît justice. On attendit encore quelque temps à le faire partir, tant parce que l’évêque était toujours à Rome, que parce que le temps de la supériorité du père n’était pas encore achevé.

[15,1] Je sortis donc des Ursulines et l’on me chercha une maison éloignée du lac. L’on n’en trouva point de vide qu’une qui avait tout l’air de la plus grande pauvreté. Il n’y avait de cheminée qu’à la cuisine, dans laquelle il fallait passer pour aller à la chambre. Je pris ma fille avec moi et lui donnai la plus grande chambre pour elle et pour la fille qui la soignait. On me mit dans un petit trou avec de la paille, qui avait une montée en échelle de bois. Comme je n’avais point de meubles que nos lits, qui étaient blancs, j’achetai quelques chaises de paille avec de la vaisselle de faïence, de terre, et de bois. Jamais je n’ai goûté un pareil contentement à celui que je trouvai dans ce petit endroit qui me paraissait si fort conforme à Jésus-Christ. […] Quoique je fisse de temps en temps des charités à Gex, je n’en étais pas moins persécutée. L’on offrit à une personne une lettre de cachet698 pour faire rester le père La Combe à Thonon, croyant que ce serait un support pour moi dans la persécution, mais nous l’empêchâmes. Je ne savais pas les desseins de Dieu alors et qu’il me retirerait bientôt de ce lieu.

[8.] Avant699 de sortir des Ursulines, le bon ermite dont j’ai parlé, m’écrivit qu’il me priait avec instance d’aller à Lausanne qui n’était qu’à six lieues de Thonon, sur le lac, parce qu’il espérait toujours retirer sa sœur qui y demeurait, et qu’il la convertirait. L’on ne peut aller là parler de religion sans risquer sa vie. Sitôt que je fus en état de marcher, quoiqu’encore fort faible, je me résolus, aux instances de ce bon ermite, d’y aller. Nous prîmes un bateau et je priai le Père La Combe de nous y accompagner. Nous fûmes là assez aisément, mais comme le lac était encore éloigné de la ville de plus d’un quart de lieue, il me fallut malgré ma faiblesse, trouver des forces pour faire ce chemin à pied. Nous ne pûmes jamais trouver de voiture, les mariniers me soutenaient autant qu’ils pouvaient, mais cela n’était pas suffisant pour l’état où j’étais. Lorsque j’arrivai à la ville, je ne savais plus si j’avais un corps, si c’était sur mes jambes que je marchais ou sur des jambes étrangères, je ne me sentais pas, et je ne crois pas que sans miracle j’eusse pu porter une telle fatigue en l’état où j’étais. Je parlai à cette femme avec le Père La Combe, mais elle venait de se marier, de sorte qu’il n’y eut rien à faire qu’à risquer notre vie, car cette femme nous assura que, si ce n’avait été la considération de son frère duquel nous lui portâmes des lettres, elle nous aurait dénoncés comme venant débaucher les religionnaires. Sitôt que nous fûmes dehors, elle nous écrivit que si nous y revenions il n’y allait pas moins que de notre vie, qu’elle avait même été fort blâmée de n’avoir pas averti que nous étions là, car c’est une règle parmi eux dans ce lieu-là que qui leur parle de controverse est puni de mort. Nous pensâmes encore périr sur le lac dans un lieu dangereux, où il vint une tempête qui nous allait engloutir si Dieu ne nous eût protégés à son ordinaire. À quelques jours de là, il périt au même endroit [200] une barque et trente-trois personnes700.

Madame Guyon et le P. Lacombe passent outremonts à Turin et Verceil ce qui est « peut-être un moyen dont il voulait se servir pour nous tirer de l’opprobre et de la persécution. » « L’on s’est imaginé que notre union était naturelle et humaine; vous savez, ô mon Dieu, que nous n’y trouvions l’un et l’autre que croix, mort et destruction. » Le P. Lacombe « pense qu’elle est orgueilleuse. »

2.15 EN PIÉMONT

1. Heureuse dans sa petite maison. 2. ‘La marquise de Prunai, soeur du premier secrétaire d'état de Son Altesse Royale …Lorsqu'elle sut que j'avais été obligée de quitter les Ursulines …elle obtint une lettre de cachet pour obliger le père La Combe d'aller à Turin …et de me mener avec lui.’ 3. ‘Il fut conclu que j'irais à Turin et que le Père La Combe m'y conduirait et de là irait à Verceil. Je pris encore un religieux de mérite.’ Calomnies répandues par le P. La Mothe. 4. ‘Le père La Combe se rendit à Verceil, et je restai à Turin chez la Marquise de Prunai’ (5 déplacé) 6. M. de Verceil ‘désirait extrêmement de m'avoir. C'était madame sa soeur, religieuse de la Visitation de Turin, qui est fort de mes amies, qui lui avait écrit de moi … mais un certain honneur, un respect humain me retenait.’ 7. Le Père est encore intérieurement divisé, source de souffrance. 5. Invitation de l’évêque d’Aoste, au début de son séjour à Turin. 8. Le Père est ébloui par une pénitente en lumières. Lettre. 9. Il pense qu’elle est orgueilleuse. Essayant d’accepter ce reproche elle défaille, il est ‘éclairé dans ce moment du peu de pouvoir que j'avais en ces choses.’

[2.] La marquise de Prunai, sœur du premier secrétaire d’État de Son Altesse Royale et son ministre, avait envoyé un exprès de Turin durant ma maladie pour me convier d’aller avec elle; qu’étant aussi persécutée que je l’étais dans le diocèse, je trouverais auprès d’elle un asile; […] Lorsqu’elle sut que j’avais été obligée de quitter les Ursulines sans savoir la manière dont j’étais traitée, elle obtint une lettre de cachet pour obliger le Père La Combe d’aller à Turin passer quelques semaines pour sa propre utilité, et de me mener avec lui où je trouverais un refuge. Comme elle fit tout cela à notre insu et que comme elle l’a dit depuis, une701 force supérieure le lui faisait faire sans en connaître la cause, si elle y avait bien pensé, étant aussi prudente qu’elle est, elle ne l’aurait peut-être pas fait, car les persécutions que Monseigneur de Genève nous procura en ce lieu, lui causèrent de bonnes humiliations. Notre-Seigneur a permis qu’il m’ait poursuivie d’une manière surprenante dans tous les lieux où j’ai été, sans me donner ni trêve ni relâche quoique je ne lui aie fait aucun mal, au contraire, j’aurais voulu donner mon sang et ma vie mille fois pour le bien de son diocèse.

[3.] Comme cela s’était fait sans notre participation, nous crûmes sans hésiter que c’était la volonté de Dieu et peut-être un moyen dont il voulait se servir pour nous tirer de l’opprobre et de la persécution, me voyant chassée d’un côté et demandée de l’autre, de sorte qu’il fut conclu que j’irais à Turin et que le Père La Combe m’y conduirait, et de là irait à Verceil702. Je pris encore un religieux de mérite, qui enseignait la théologie depuis quatorze ans, afin de [201] faire les choses avec plus de bienséance, et ôter à nos ennemis tout sujet de parler. Je me fis encore accompagner d’un garçon que j’avais amené de France et qui avait appris le métier de tailleur. Ils prirent des chevaux et je pris une litière pour ma fille, ma femme de chambre et moi; mais toutes les précautions sont inutiles quand il plaît à Dieu de crucifier. Nos adversaires écrivirent d’abord à Paris et l’on fit cent contes ridicules sur ce voyage, de vraies comédies, des choses inventées à plaisir et les plus fausses du monde. C’était le père de La Mothe qui débitait tout cela, peut-être le croyait-il véritable; quand cela aurait été, il aurait dû le cacher par charité, mais étant aussi faux que cela l’était, il le devait plutôt taire. […]

[4.] Le père La Combe se rendit à Verceil, et je restai à Turin chez la Marquise de Prunai Quelles croix ne me fallait-il pas essuyer de la part de ma famille, de M. de Genève703, des b(arnabites) et d’une infinité de personnes? Mon fils aîné704 vint me quérir à l’occasion de la mort de ma belle-mère, ce qui me fut une augmentation de croix bien fortes; mais après que nous eûmes entendu toutes ses raisons, et comme l’on avait fait sans moi toutes les ventes des meubles, élu des tuteurs705 et ordonné de tout sans ma participation, j’étais entièrement inutile. L’on ne jugea pas à propos de me faire retourner à cause de la rigueur de la saison. Vous seul savez, ô mon Dieu, ce que je souffris, car vous ne me faisiez point connaître votre volonté et le père La Combe disait n’avoir point de lumière pour me conduire. Vous savez, mon Seigneur, ce que cette dépendance m’a fait souffrir, car lui qui était doux pour tout le monde, avait souvent pour moi une extrême dureté. Vous étiez, ô mon Dieu, l’auteur de tout cela, et vous vouliez qu’il en usât de la sorte afin que je restasse sans consolation, car il conseillait très juste tous ceux qui s’adressaient à lui. Quand il était question de me déterminer sur quelque chose, il ne le pouvait, et me disait qu’il n’avait point de lumière pour me conduire, que je fisse ce que je pourrais. Plus il me disait ces choses, plus je me sentais dépendante de lui, et impuissante à me déterminer. Nous avons été une bonne croix l’un à l’autre, nous avons bien éprouvé que notre union était en foi et en croix, car plus nous étions crucifiés, plus nous étions unis.

L’on s’est imaginé que notre union était naturelle et humaine; vous savez, ô mon Dieu, que nous n’y trouvions l’un et l’autre que croix, mort et destruction. Combien de fois nous disions-nous que, si l’union avait été naturelle, nous ne l’aurions pas conservée un moment parmi [202] tant de croix! J’avoue que les croix qui me sont venues de cette part ont été les plus grandes de ma vie. […]

[6.] La marquise de Prunai qui m’avait si fort désirée, voyant les grandes croix et les abjections où j’étais, se dégoûta de moi […]

De rester à Turin sans la marquise de Prunai, il n’y avait nulle apparence, et d’autant moins qu’ayant vécu fort retirée en ce lieu, je n’y avais fait aucune connaissance. Je ne savais que devenir. Le père La Combe, comme j’ai dit, n’y demeurait pas, il demeurait à Verceil. Monseigneur de Verceil m’avait écrit le plus obligeamment du monde, me priant avec instance d’aller à Verceil pour demeurer auprès de lui, me promettant sa protection et m’assurant de son estime, ajoutant qu’il me regarderait comme sa propre sœur, que sur le récit qu’on lui avait fait de moi il désirait extrêmement de m’avoir. C’était madame sa sœur, [203] religieuse de la Visitation de Turin, qui est fort de mes amies, qui lui avait écrit de moi, et un gentilhomme français de sa connaissance; mais un certain honneur, un respect humain me retenait; je ne voulais pas que l’on pût dire que j’avais été chercher le Père La Combe, et que c’était pour aller là que j’avais été à Turin. Il avait aussi sa réputation à conserver, qui faisait qu’il ne pouvait agréer que j’y allasse, quelque forte instance que Monseigneur de Verceil en fît. S’il avait cru pourtant, et moi aussi, que c’eût été la volonté de Dieu, nous aurions passé par-dessus toutes ces considérations. Dieu nous tenait l’un et l’autre dans une si grande dépendance de ses ordres, qu’il ne nous les faisait point connaître, mais le moment divin de sa providence déterminait tout. Cela servait fort à faire mourir le père La Combe qui avait marché très longtemps par les certitudes. Mais Dieu les lui arracha toutes par un effet de sa bonté, qui voulait le faire mourir sans réserve.

[7.] Durant tout le temps que je fus à Turin706, Notre-Seigneur me fit de très grandes grâces, et je me trouvais tous les jours plus transformée en lui et (avais) toujours plus de connaissances de l’état des âmes, sans m’y méprendre ni me tromper, quoiqu’on ait voulu me persuader le contraire et que j’eusse fait moi-même tous mes efforts pour me donner d’autres pensées, ce qui ne m’a pas peu coûté; car lorsque je disais ou écrivais au père La Combe l’état de quelques âmes qui lui paraissaient plus parfaites et plus avancées que la connaissance qui m’en était donné, il l’attribuait à l’orgueil, s’en fâchait très fort contre moi, et en prenait même du rebut pour mon état. Ma peine n’était pas de ce qu’il m’en estimait moins, nullement, car je n’étais pas même en état de faire réflexion s’il m’estimait ou non, mais c’est que Notre-Seigneur ne me permettait pas de changer de pensées, et qu’il m’obligeait à les lui dire. Il ne pouvait accorder, Dieu le permettant de la sorte pour le perdre davantage et lui ôter tout appui, il ne pouvait, dis-je, accorder une obéissance miraculeuse pour mille choses et une fermeté qui lui semblait alors extraordinaire, et même criminelle en certaines choses. Cela le mettait même en défiance de ma grâce, car il n’était pas encore affermi dans sa voie et ne comprenait pas assez qu’il ne dépendait nullement de moi d’être d’une manière ou d’une autre; et que, si j’avais eu quelque puissance, je me serais accordée à ce qu’il disait pour m’épargner les croix que cela me causait, ou du moins j’aurais dissimulé par adresse. Mais je ne pouvais faire ni l’un ni l’autre et quand tout aurait dû périr, il fallait que je lui dise les choses comme Notre-Seigneur me les faisait dire.

Ce qui était surprenant, c’est que Dieu m’a donné en cela une fidélité inviolable jusqu’au bout, sans que les croix, les peines, la peur d’être abandonnée du Père La Combe m’aient fait manquer un moment à cette fidélité. Ces choses donc, qui lui paraissaient entêtement, faute de lumière, et que Dieu permettait de la sorte pour lui ôter l’appui qu’il aurait pris en la grâce qui était en moi, le mettaient en division avec moi. Et quoiqu’il ne m’en témoignât rien, au contraire, qu’il tâchât de toutes ses forces de me le cacher, quelque éloigné qu’il fut de moi, je ne le pouvais ignorer, car Notre-Seigneur me le faisait sentir d’une manière [204] étrange, comme si l’on m’eût divisée de moi-même; ce que je sentais plus ou moins douloureusement, selon que la division était plus ou moins forte, et sitôt qu’elle diminuait ou finissait, ma peine cessait, et j’étais mise dans le large, et cela quelque éloignée que je fusse de lui. Il éprouvait de son côté que sitôt qu’il était divisé d’avec moi, il l’était d’avec Dieu, et il m’a dit et écrit un grand nombre de fois : «Sitôt que je suis bien avec Dieu, je suis bien avec vous, et sitôt que je suis mal avec Dieu, je suis mal avec vous,» c’était ses propres termes. Il éprouvait que sitôt que Dieu le recevait dans son sein, c’était en l’unissant à moi, comme s’il n’eût voulu de lui que dans cette union; et Notre-Seigneur me faisait payer toutes ses infidélités très fortement.

[5.]707 Au commencement que je fus à Turin, le père La Combe y resta quelque temps en attendant une lettre de Mgr de Verceil; et il prit ce temps pour aller voir Monseigneur l’évêque d’Aoste, son intime ami et qui connaissait ma famille. Comme il sut la persécution de Monseigneur de Genève qui nous poursuivait à outrance du côté de la cour de Turin, il me fit offre d’aller dans son diocèse, et m’écrivit par le père La Combe des lettres les plus obligeantes du monde. Il me mandait que devant que Jérôme eût connu Paule708, c’était un saint; mais après, de quelle manière en parlait-on? Il me voulait faire entendre par là comment le père La Combe avait toujours passé pour un saint avant cette persécution que je lui avais attirée innocemment. Il me marquait en même temps qu’il conservait pour lui une estime très grande. Après qu’il fut de retour d’Aoste, il resta encore quelques semaines à Turin.

[8.] Pendant ce temps une veuve, qui est une bonne servante de Dieu, mais toute en lumière et sensibilité, vint à lui à confesse. Comme elle était dans un état tout sensible, elle disait des merveilles. Le Père La Combe en était ravi parce qu’il sentait le sensible de sa grâce. J’étais de l’autre côté du confessionnal. Après que j’eus longtemps attendu, il me dit deux ou trois mots, puis il me renvoya en me disant qu’il venait de trouver une âme qui était à Dieu; que c’était véritablement celle-là qui y était; qu’il en était tout embaumé; qu’il s’en fallait bien qu’il ne trouvât cela en moi, que je n’opérais plus sur son âme que mort. J’eus de la joie d’abord de ce qu’il avait trouvé une si sainte âme, parce que j’en ai toujours beaucoup, mon Seigneur, de vous voir glorifié. Je m’en retournai sans y faire davantage d’attention. En m’en retournant, Notre-Seigneur me fit voir clairement l’état de cette âme, qui était très bonne à la vérité, mais qui n’était que dans un commencement mélangé d’affection et d’un peu de silence, toute pleine de sensible; que c’était pour cela qu’il ressentait son état; que, pour moi, en qui Notre-Seigneur avait tout détruit, j’étais bien éloignée de lui pouvoir communiquer du sensible. De plus Notre-Seigneur me fit entendre qu’étant en lui sans rien qui me fut propre, qu’il ne communiquait par moi au père La Combe que ce qu’il lui communiquait par lui-même, qui était mort, nudité et dépouillement, et que toute autre chose le ferait vivre en lui-même et empêcherait sa mort; que s’il s’arrêtait au sentiment, cela ruinerait son intérieur. Il me fallut lui écrire tout cela. En recevant ma lettre, il y remarqua d’abord un caractère de vérité, puis la réflexion étant survenue, il jugea que tout ce que je lui mandais était orgueil, et cela lui causa quelque éloignement de moi, car il avait encore dans l’esprit ses règles ordinaires de l’humilité conçue et comprise à notre manière, et ne voyait pas qu’il ne pouvait plus y avoir d’autre règle en moi que [205] de faire la volonté de mon Dieu. Je ne pensais plus à l’humilité ni à l’orgueil, mais je me laissais conduire comme un enfant qui dit et fait sans distinction tout ce qu’on lui fait dire et faire. Je comprends aisément que toutes les personnes qui ne sont pas entrées dans la perte totale, m’accuseront en cela d’orgueil, mais dans mon état, je n’y peux penser, je me laisse mener où l’on me mène; haut et bas, tout m’est également bon.

[9.] Il m’écrivit que d’abord il avait trouvé quelque chose dans ma lettre qui lui semblait véritable, et qu’il y était entré, mais qu’après l’avoir relue avec attention, il l’avait trouvée pleine d’orgueil, d’entêtement et de préférence de mes lumières aux autres. Je ne pouvais penser à tout cela pour le trouver en moi, ni m’en convaincre comme autrefois [en] le croyant, quoique je ne le visse pas. Cela n’était plus pour moi. Je ne pouvais réfléchir là-dessus. S’il y avait bien pensé, il aurait vu qu’une personne qui ne trouve de volonté ni de penchant pour rien, est bien éloignée de l’entêtement, et il aurait connu que c’était Dieu. Mais Notre-Seigneur ne le permettait pas alors. Je lui écrivis encore pour lui prouver la vérité de ce que je lui avais avancé, mais cela ne servit qu’à le confirmer dans les sentiments désavantageux qu’il avait conçus de moi. Il entra en division. Je connus le moment qu’il avait ouvert ma lettre et qu’il y était entré de cette manière, et je fus mise dans ma souffrance ordinaire. Quand la fille qui lui était allée porter cette lettre, qui était la même [fille] dont j’ai parlé que Notre-Seigneur m’a fait amener, fut revenue, je le lui dis, et elle me dit que c’était à cette heure même qu’il avait lu ma lettre. Notre-Seigneur ne me donna plus de pensée de lui écrire sur ce sujet, mais le dimanche d’après, allant pour me confesser et m’étant mise à genoux, il me demanda d’abord si je persistais toujours dans mes sentiments d’orgueil et si je croyais toujours la même chose. Jusqu’alors je n’avais fait aucune réflexion ni sur ce que j’avais pensé, ni sur ce que je lui avais écrit, mais dans ce moment en ayant fait, cela me parut orgueil comme il me disait. Je lui répondis : «Il est vrai, mon père, que je suis orgueilleuse, et cette personne est bien plus à Dieu que moi.» Sitôt que j’eus prononcé ces paroles, je fus rejetée comme du Paradis dans le fond de l’Enfer. Je n’ai jamais souffert un pareil tourment. J’en étais hors de moi, mon visage changea tout à coup, et j’étais comme une personne qui va expirer et qui n’a plus de raison. Je tombai sur mes jambes. Le père s’aperçut d’abord de cela, et fut éclairé dans ce moment du peu de pouvoir que j’avais en ces choses et comme il me fallait dire et faire sans discernement ce que le Maître me faisait faire. Il me dit aussitôt : «Croyez ce que vous croyiez auparavant, je vous l’ordonne.» Sitôt qu’il m’eut dit cela, je commençai peu à peu à respirer et à prendre vie; à mesure qu’il entrait dans ce que je lui avais dit, mon âme retrouvait le large. Et je disais en m’en retournant qu’on ne me parle plus d’humilité, les vertus ne sont plus pour moi; il n’y a pour moi qu’une seule chose qui est d’obéir à mon Dieu. Il connut bien à quelque temps de là par les manières d’agir de cette personne, qu’elle était bien éloignée de ce qu’il avait pensé. J’ai dit seulement cet exemple. J’en pourrais donner beaucoup d’autres à peu près pareils, mais celui-là suffit.

Dans cette période de transition spirituelle accompagnée de phénomènes physiques dont on vient de lire un compte-rendu intime traduisant une découverte faite ‘sur le tas’ et qui demeure indéchiffrable, « elle entra extérieurement dans un état qui aurait pu passer pour folie » (chapitre 2.16 ici omis). Le chapitre suivant constate et vérifie des cas de communication mystique dont des intuitions portant sur des états intimes d’autrui. Elle est menée à « l’état apostolique » […] de discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre » et conclut : « Je m’aperçus aussitôt d’un don de Dieu qui m’avait été communiqué, sans que je le comprisse, du discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre. Je me sentis tout à coup revêtue d’un état apostolique et je voyais clair dans le fond l’état des âmes de celles qui me parlaient, et cela avec tant de facilité, que celles qui venaient me voir étaient dans l’étonnement et se disaient les unes aux autres que je leur donnais à chacune ce qu’elles avaient besoin. C’était vous, ô mon Dieu, qui faisiez toutes ces choses : elles s’envoyaient (à moi) les unes les autres. »

2.17 COMMUNICATION CONSCIENTE

1. Elle convertit un religieux, 2. sait qu’il abandonnera. 3. Elle sent un an plus tard son abandon. ‘Infidèles, je sentais qu'ils m'étaient ôtés et qu'ils ne m'étaient plus rien, ceux que Notre Seigneur ne m'ôtait pas et qui étaient chancelants ou infidèles pour un temps, il me faisait souffrir pour eux.’ 4. Conversion d’un violent. 5. Rêve des oiseaux. Le plus beau n’est pas encore venu. 6. Le Père lui ordonne de retourner à Paris. 7. Elle demeure un temps à Grenoble. Etat apostolique : ‘Il venait du monde de tous côtés, de loin et de près.’ Le père retourne à Verceil. 9. Suite de l’état apostolique.

[1.] Etant encore en Savoie709, Dieu se servit de moi pour attirer à son amour un religieux de mérite, mais qui ne songeait guère à s’acheminer à la perfection. Il accompagna quelquefois le père La Combe lorsqu’il me venait assister dans ma maladie, et j’eus la pensée de le demander à Notre-Seigneur. La veille que je reçus l’extrême-onction, il s’approcha de mon lit, je lui dis que si Notre-Seigneur me faisait miséricorde après ma mort, il en sentirait les effets. Il se sentit touché intérieurement jusqu’aux larmes, et il était un de ceux qui étaient le plus opposés au père La Combe et celui qui avait fait le plus de contes de moi sans me connaître. Il s’en retourna chez eux tout changé, et il ne pouvait s’empêcher de désirer de me parler encore, et d’être extrêmement touché de ce qu’il croyait que j’allais mourir. Il pleurait si fort que les autres religieux s’en raillaient. Ils lui disaient : «Se peut-il une plus grande folie? Une dame de qui vous disiez mille maux il n’y a que deux jours, à présent qu’elle se meurt, vous la pleurez comme si elle était votre mère!» Rien ne pouvait ni l’empêcher de pleurer, ni lui ôter le désir de me parler encore. Notre-Seigneur exauça ses désirs et je me portai mieux. J’eus le temps de lui parler, il se donna à Dieu d’une manière admirable, quoiqu’il eût déjà de l’âge. Il changea jusqu’à son naturel, qui était fin et double, et devint simple comme un enfant. Il ne me pouvait appeler autrement que sa mère. Il prit aussi confiance au père La Combe, lui faisant même sa confession générale. L’on ne le connaissait plus et il ne se reconnaissait plus lui-même.

[…]

[4.] Il y en avait encore un qui était l’homme du monde le plus violent, qui ne gardait aucune mesure, et qui sentait plus son soldat que son religieux. Comme le père La Combe était son supérieur, et qu’il tâchait de le ramener et par ses paroles et par ses exemples, il ne le pouvait souffrir, il avait même contre lui de fort grands emportements. Lorsqu’il disait la messe dans le lieu où j’étais, ce qui était rare, je sentais, sans le connaître, qu’il n’était pas en bon état. Un jour que je le vis passer avec le calice qu’il tenait dans sa main pour aller dire la messe, il me prit pour lui une fort grande tendresse et comme une assurance qu’il était changé. J’étais encore aux Ursulines de Thonon, je connus même que c’était un vase d’élection que Dieu s’était choisi d’une manière particulière. Il me fallut l’écrire au père La Combe pour obéir à l’esprit de Dieu. Lorsque le Père La Combe reçut mon billet, il me manda que c’était là une des plus fausses idées qu’il m’eût encore vues, et qu’il ne voyait guère d’homme plus mal disposé que celui-là; il disait cela parce que sa vie était connue de tout le pays et que comme il n’y avait vu aucun changement, il regardait cela comme la plus ridicule rêverie qui fut jamais. Il fut fort surpris quand sur les quatre ou cinq heures du soir, ce père le fut trouver dans sa chambre, qui du plus fier des hommes [212] lui parut le plus doux. Il lui demanda pardon de tous les chagrins qu’il lui avait faits et lui dit en répandant quelques larmes : «Je suis changé, mon père, et il s’est fait en moi un renversement que je ne comprends pas.» Il lui conta comme il avait vu la Sainte Vierge qui lui avait fait voir qu’il était en état de damnation, mais qu’elle avait prié pour lui.

Après qu’il eut quitté le Père La Combe quoiqu’il fut tard, (celui-ci) ne put s’empêcher de m’écrire que ce que je lui avais mandé d’un tel père était bien véritable, qu’il était changé, mais changé de bonne manière, et qu’il était rempli de joie, qu’il avait voulu avant la nuit me faire part de cette bonne nouvelle. Je restai toute la nuit sur le carreau, sans dormir un moment, pénétrée d’onction des desseins de Dieu sur cette âme. Quelques jours après, Notre-Seigneur me fit connaître encore la même chose avec beaucoup d’onction, les grands desseins qu’il avait sur cet homme, qui est très savant et bon prédicateur. Je fus encore une nuit sans dormir, toute pleine d’onction. Je ne pus m’empêcher de lui écrire les desseins que je croyais que Notre-Seigneur avait sur lui : je donnai la lettre tout ouverte au père La Combe pour la lui donner. Il hésita quelque temps s’il la lui donnerait, n’osant se fier si tôt à lui; comme il avait pris la résolution de la retenir ce Père passa devant lui, il ne put s’empêcher de la lui donner. Loin d’en faire des railleries, il en fut fort touché et résolut de se donner tout à fait à Dieu. Il a peine à rompre tous ses liens, et semble encore être partagé entre Dieu et des attaches qui lui paraissent innocentes, quoique Dieu lui donne quantité de coups pour l’abattre tout à fait; mais ses résistances ne me font point perdre l’espérance de ce qu’il sera un jour.

[5.] Avant son changement, je vis en songe quantité d’oiseaux fort beaux, que chacun poursuivait à la chasse avec grand soin et avec envie de les prendre, et je les regardais tous sans y prendre de part et sans vouloir les prendre. Je fus fort étonné de voir qu’ils venaient tous se donner à moi, sans que je fisse aucun effort pour les avoir. Parmi tous ceux qui se donnèrent qui étaient en assez grand nombre, il y en eut un d’une beauté extraordinaire et qui surpassait de beaucoup tous les autres. Tout le monde était empressé pour gagner celui-là; après s’être enfui de tous, et de moi aussi bien que des autres, il se vint donner à moi lorsque je ne l’attendais plus. Il y en eut un des autres qui après être venu, voltigea longtemps, tantôt se donnant, tantôt se retirant, puis il se donna tout à fait. Celui-là parut être le religieux dont j’ai parlé. D’autres se retirèrent tout à fait. J’eus deux nuits le même songe, mais le bel oiseau, qui n’avait pas de pareil, ne m’est pas inconnu, quoiqu’il ne soit pas encore venu. Que ce soit devant ou après ma mort qu’il se donne tout à Dieu, je suis assurée que cela sera.

[6.] Comme j’étais chez la marquise de Prunai, indéterminée si je mettrais ma fille à la Visitation de Turin pour aller avec elle, ou si je prendrais un autre parti, - car lorsque j’écrivais là-dessus au Père La Combe, il me répondait qu’il n’avait nulle lumière, ce qui ne le faisait pas peu souffrir et mourir, car il eut bien voulu avoir quelque certitude et Dieu les lui arrachait toutes, - je fus fort surprise, lorsque je m’y attendais le moins, de le voir arriver de Verceil me disant qu’il fallait m’en retourner à Paris sans différer un moment. C’était le soir : il me dit de partir le lendemain matin. […] Me voilà donc disposée à partir sans répliquer une parole, seule avec ma fille et une femme de chambre, sans avoir personne pour me conduire, car le père La Combe était résolu de ne me pas accompagner, même pour passer la montagne, à cause que Monseigneur de Genève avait écrit partout que j’étais allée à Turin courir après lui. Mais le père provincial, qui était un homme de qualité de Turin et qui connaissait la vertu du père La Combe, lui dit qu’il ne me fallait pas laisser aller dans ces montagnes, surtout ayant ma fille710 avec moi, sans personne de connaissance, et qu’il lui ordonnait de m’accompagner. Il m’avoua qu’il y avait quelque sorte de répugnance, mais l’obéissance et le danger où j’aurais été exposée seule le firent passer par dessus ses répugnances. Il devait m’accompagner seulement jusqu’à Grenoble et s’en retourner de là à Turin. Je partis donc dans le dessein de m’en aller à Paris souffrir toutes les croix et essuyer toutes les confusions qu’il plairait à Dieu de me faire souffrir.

[7.] Ce qui me fit passer par Grenoble fut l’envie que j’avais de passer deux ou trois jours avec une grande servante de Dieu de mes amies. Lorsque je fus là, le père La Combe et cette dame me dirent de ne pas passer outre et que Dieu voulait se glorifier en moi et par moi dans ce lieu-là; je me laissai conduire à la providence comme un enfant. Cette bonne mère me conduisit d’abord chez une bonne veuve711, n’ayant pas trouvé de place à l’hôtellerie, croyant comme j’ai dit n’y passer que trois jours. Mais comme l’on me dit de rester à Grenoble, je restai chez elle. Je mis ma fille en religion et me résolus d’employer tout ce temps à me laisser posséder en solitude de celui qui est absolument maître de moi. Je ne fis aucune visite, mais je fus surprise lorsque, peu de jours après mon arrivée, il vint me voir plusieurs personnes qui faisaient profession d’être à Dieu d’une manière singulière.

Je m’aperçus aussitôt d’un don de Dieu qui m’avait été communiqué, sans que je le comprisse, du discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre. Je me sentis tout à coup revêtue d’un état apostolique et je voyais clair dans le fond l’état des âmes de celles qui me parlaient, et cela avec tant de facilité, que celles qui venaient me voir étaient dans l’étonnement et se disaient les unes aux autres que je leur donnais à chacune ce qu’elles avaient besoin. C’était vous, ô mon Dieu, qui faisiez toutes ces choses : elles s’envoyaient (à moi) les unes les autres. Cela vint à tel excès que, pour l’ordinaire, depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, j’étais occupée à parler de Dieu. Il venait du monde de tous côtés, de loin et de près, des religieux, des prêtres, des hommes du monde, des filles, femmes et veuves, tous venaient les uns après les autres, et Dieu me donnait de quoi les contenter tous d’une manière admirable, sans que j’y pensasse ni que j’y fisse aucune attention. […]

Nous livrons le chapitre entier pour éclairer les passages où apparaît Lacombe : « J’avais la même union et la même communication avec le père La Combe quoiqu’il fût si éloigné, que s’il eût été proche. » :

2.22 COMMUNICATIONS ET SOUFFRANCE POUR LE P. LA COMBE

1. Rêve prémonitoire d’une fille. 2. Crucifige. 3. ‘J'avais la même union et la même communication avec le père La Combe quoiqu'il fût si éloigné … Souvent la plénitude trop grande m'ôtait la liberté d'écrire.’ 4. ‘Avant que d'écrire sur le livre des Rois de tout ce qui regarde David, je fus mise dans une si étroite union avec ce saint patriarche…’ 5. Conversation : ‘Cet amour pur ne souffrait aucune superfluité ni amusement.’ ‘Il y en avait d'autres, comme j'ai dit, auxquelles je ne pouvais me communiquer qu'en silence, mais silence autant ineffable qu'efficace.’ 6. Communications. ‘Saint Augustin …se plaint qu'il en faut revenir aux paroles à cause de notre faiblesse.’ 7. ‘Ce qui m'a le plus fait souffrir a été le père La Combe.’ 8. / ‘Je souffrais à l’occasion de la fille qui était auprès de moi. Ce qu’elle me faisait souffrir égalait le tourment du purgatoire’ / 9. ‘La créature du monde peut-être de laquelle vous avez voulu une plus grande dépendance.’

[…]

[3.] J’étais dans une si grande plénitude de Dieu, que j’étais souvent ou sur mon lit, ou alitée tout à fait, sans pouvoir parler; et lorsque je n’ai eu aucun moyen de verser cette plénitude, Notre-Seigneur ne permit pas qu’elle fut si violente, car dans cette violence, je ne pouvais plus vivre, mon cœur ne souhaitait que de verser en d’autres cœurs sa surabondance. J’avais la même union et la même communication avec le père La Combe quoiqu’il fût si éloigné, que s’il eût été proche. Jésus-Christ m’était communiqué dans tous ses états. C’était alors son état apostolique qui était le plus marqué. Toutes les opérations de Dieu en moi m’étaient montrées en Jésus-Christ et expliquées par l’Écriture sainte, de sorte que je portais en moi l’expérience de ce qui était écrit. Lorsque je ne pouvais écrire ou communiquer d’une autre manière, j’étais toute languissante et j’éprouvais ce que Notre-Seigneur dit à ses disciples : J’ai une Pâque à manger avec vous712; ô qu’il me tarde qu’elle n’arrive! c’était la communication de lui-même par la Cène, et par sa passion, lorsqu’il dit : Tout est consommé, et rendant l’esprit il baissa la tête713 parce qu’il communiquait son esprit à tous les hommes capables de le recevoir, il le remit entre les mains de son Père714 et de son Dieu, aussi bien que son Royaume, comme s’il disait à son Père : «Mon Père, mon Royaume est que je règne pour vous et vous par moi sur les hommes : cela ne se peut faire que par l’épanchement de mon esprit sur eux. Que mon esprit leur soit donc communiqué par ma mort!» Et c’est en cela qu’est la consommation de toutes choses. Souvent la plénitude trop grande m’ôtait la liberté d’écrire et je ne pouvais rien faire que rester couchée, sans parole. Quoique cela fut de la sorte, je n’avais rien pour moi : tout était pour les autres; comme ces nourrices qui sont pleines de lait et qui pour cela ne sont pas plus sustentées, non qu’il me manquât rien, car depuis ma nouvelle vie je n’ai pas eu un moment de vide.

[…]

[7.] Tout ce que j’éprouvais m’était montré dans l’Écriture sainte, et je voyais avec admiration qu’il ne passait rien dans l’âme qui ne soit en Jésus-Christ et dans l’Écriture sainte. Lorsque je communiquais avec des cœurs étroits, je souffrais un fort grand tourment. C’était comme une eau impétueuse qui, ne trouvant pas d’issue, retourne contre elle-même, et j’en étais quelquefois au mourir. O. Dieu, pourrais-je décrire ou faire comprendre tout ce que je souffrais en ce lieu, et les miséricordes que vous m’y fîtes? Il faut passer quantité de choses sous silence, tant parce qu’elles ne se peuvent exprimer, que parce qu’elles ne seraient pas comprises. Ce qui m’a le plus fait souffrir a été le père La Combe715. Comme il n’était pas encore affermi dans son état, et que Dieu l’exerçait par des croix et des renversements, ses doutes et ses hésitations me donnaient des coups étranges : quelque éloigné qu’il fut de moi je ressentais ses peines et ses dispositions. Il portait un état de mort intérieure et d’alternatives des plus cruelles du monde, et des plus terribles qui aient jamais été : aussi selon la connaissance que Dieu m’en a donnée, c’est un de ses serviteurs à présent sur terre qui lui est le plus agréable. Il me fut imprimé de lui qu’il était un vase d’élection que Dieu s’était choisi pour porter son nom parmi les Gentils, mais qu’il lui montrerait combien il faudrait souffrir pour ce même nom. Lorsque dans ces épreuves il se trouvait comme rejeté de Dieu, il se sentait en même temps divisé d’avec moi, et sitôt que Dieu le recevait en lui, il se trouvait réuni à moi plus fortement que jamais et il se trouvait éclairé sur mon état d’une manière admirable, Dieu lui donnant une estime qui allait jusqu’à la vénération; de sorte qu’il ne pouvait me cacher ses sentiments; et il me répétait souvent : «Je ne puis être uni à vous hors de Dieu, car sitôt que je suis rejeté de Dieu, je le suis de vous et je me sens divisé d’avec vous, en doute et hésitation continuelle sur ce qui vous regarde; et sitôt que je suis bien avec Dieu, je suis bien avec vous. Je connais la grâce qu’il me fait de m’unir à vous et combien vous lui êtes chère, et le fond qu’il a mis en vous.»

[8.] […] Notre-Seigneur me fit une fois comprendre que lorsque la Père La Combe serait affermi en lui par état permanent, et qu’il n’aurait plus de vicissitudes intérieures, il n’en aurait non plus à mon égard, et qu’il demeurerait pour toujours uni à moi en Dieu. Cela est à présent de cette sorte. Je voyais qu’il ne sentait l’union et la division qu’à cause de sa faiblesse, et que son état n’était pas encore permanent; je ne la sentais que parce qu’il se divisait et qu’il me fallait porter tout cela, mais sitôt que l’union a été sans contrariété sans empêchement et dans sa perfection, il ne l’a plus sentie non plus que moi, si ce n’est par réveil, en conversation intérieure en la manière des bienheureux. L’union de l’âme avec Dieu ne se sent que parce qu’elle n’est pas entièrement parfaite, mais lorsqu’elle est consommée en unité, elle ne se sent plus, elle devient comme naturelle. L’on ne sent point l’union de l’âme avec le corps, le corps vit et opère dans cette union sans y penser ni faire attention à cette union; cela est, il le sait, et toutes les fonctions de vie qu’il fait ne lui permettent pas de l’ignorer; cependant l’on agit sans attention sur cela. Il en est de même de l’union à Dieu et avec certaines créatures en lui, car ce qui fait voir la pureté et éminence de cette union, c’est qu’elle suit celle de Dieu et est d’autant plus parfaite que celle de l’âme en Dieu est plus consommée; cependant s’il fallait rompre cette union si pure et si sainte, l’on la sentirait d’autant plus qu’elle est plus pure, parfaite et insensible, comme l’on sent très bien lorsque l’âme se veut séparer du corps par la mort quoique l’on ne sente pas son union.

[9.] Comme j’étais dans l’état d’enfance dont j’ai parlé et que le Père La Combe se fâchait et divisait d’avec moi, je pleurais comme un enfant et mon corps devenait tout languissant, et ce qui était admirable, c’est que je me trouvais en même temps et plus faible que les petits enfants et forte comme Dieu. Je me trouvais toute divine et éclairée pour tout et ferme pour les plus fortes croix, et cependant la faiblesse même des plus petits enfants. O Dieu, je peux dire que je suis la créature du monde peut-être de laquelle vous avez voulu une plus grande dépendance. Vous me mettiez en toutes sortes d’états et de postures différentes, et mon âme ne voulait ni ne pouvait résister; j’étais si fort à vous qu’il n’y avait chose au monde que vous eussiez pu exiger de moi à laquelle je ne me fusse rendue avec plaisir. […]

2.24 SÉJOUR A VERCEIL

1. ‘A Verceil le soir du vendredi saint. … Le père La Combe ne pouvait s'empêcher de me marquer sa mortification.’ 2. L’évêque ‘ne laissa pas d'être fort satisfait de la conversation … La seconde visite acheva de le gagner entièrement.’ 3. Il loue une maison pour fonder une communauté. 4. Maladie. 5. L’évêque vient souvent la visiter. 6. ‘Le Père La Combe était son théologal et son confesseur 7. ‘Les barnabites de Paris, ou plutôt le Père de La Mothe, s'avisa de le vouloir tirer de là pour le faire aller prêcher à Paris.’ 8. Maladie. L’établissement de la congrégation n’a pas lieu. 9. ‘Ce fut là que j'écrivis l'Apocalypse.’ 10. Etat d’enfance. Elle écrit à la duchesse de Charost.

[1.] Après ces sortes d’aventures, et d’autres que je serais trop longue à dire, j’arrivai à Verceil le soir du vendredi saint. J’allai à l’hôtellerie où je fus très mal reçue. J’eus de quoi faire un bon vendredi saint, qui dura bien longtemps. J’envoyai chercher le père La Combe que je croyais déjà averti par l’ecclésiastique que j’avais envoyé devant, et qui m’aurait été d’une grande utilité, mais il ne venait que d’arriver. J’eus bien de bonnes confusions à boire tout le temps que je fus sans cet ecclésiastique, ce qui n’aurait pas été si je l’avais eu, car en ce pays-là, sitôt que des dames se font accompagner par des ecclésiastiques, on les regarde avec vénération comme des personnes d’honneur et de piété. Le père La Combe entra dans un chagrin étrange de mon arrivée; Dieu le permettant de la sorte, il ne put même me le dissimuler, en sorte que je me vis en arrivant sur le point de repartir, et que je l’eusse fait malgré mon extrême fatigue sans la fête de Pâques. Le père La Combe ne pouvait s’empêcher de me marquer sa mortification. Il disait que chacun croirait que je serais allée le trouver, et que cela ferait tort à sa réputation. Il était dans une très haute estime dans ce pays. Je n’avais pas eu moins de peine à y aller, et c’était la seule nécessité qui me l’avait fait faire malgré mes répugnances, de sorte que je fus mise dans un état de souffrances, et Notre-Seigneur appuyant sa main me les rendit très fortes. Le père me reçut avec un froid et des manières qui me firent assez voir ses sentiments, et qui redoublèrent ma peine. Je lui demandai s’il voulait que je m’en retournasse, que je partirais dès le moment, quoique je fusse accablée des fatigues d’un si long et si périlleux voyage, outre que j’étais bien abattue du Carême, que j’avais jeûné avec la même exactitude que si je n’eusse pas voyagé. Il me dit qu’il ne savait pas comment Monsieur de Verceil prendrait mon arrivée dans un temps où il ne m’attendait plus, après que j’avais refusé si longtemps et avec opiniâtreté les offres obligeantes qu’il m’avait faites, qu’il ne témoignait même plus d’envie de me voir depuis ce refus. Ce fut alors qu’il me sembla que j’étais rejetée de dessus la [243] terre sans y pouvoir trouver aucun refuge et que toutes les créatures se joignaient ensemble pour m’accabler. Je passai le reste de la nuit en cette hôtellerie sans y pouvoir dormir, et sans savoir quel parti je serais obligée de prendre, étant persécutée au point que je l’étais de mes ennemis, et un sujet de honte de mes amis.

[2.] Sitôt que l’on sut dans cette hôtellerie que j’étais de la connaissance du père La Combe, l’on m’y traita parfaitement bien. L’on l’estimait là comme un saint. Le Père La Combe ne savait comment dire à Monsieur de Verceil que j’étais arrivée, et je portais sa peine bien plus vivement que la mienne. Sitôt que ce prélat sut que j’étais arrivée, comme il sait parfaitement bien vivre, il envoya sa nièce qui me prit dans son carrosse et m’emmena chez elle, mais les choses ne se faisaient que par façon, et Monsieur de Verceil ne m’ayant point vue, il ne savait comment prendre un voyage si fort à contre-temps après avoir refusé trois fois d’y aller quoiqu’il m’eût envoyé des exprès pour m’en prier. Il se dégoûtait de moi. Cependant comme il fut informé que mon dessein n’était point de rester à Verceil, mais bien d’aller chez la marquise de Prunai, et que c’était la nécessité des fêtes qui me retenait, il ne fit rien paraître, au contraire, il mit ordre que je fusse très bien traitée. Il ne put pas me voir que Pâques ne fut passé, parce qu’il officiait toute la veille et le jour. Le soir, après que tout l’office du jour de Pâques fut fait, il se fit porter en chaise chez sa nièce pour me voir. Quoiqu’il n’entendît guère mieux le français que moi l’italien, il ne laissa pas d’être fort satisfait de la conversation qu’il avait eue avec moi. Il parut avoir autant de bonté pour moi qu’il avait eu d’indifférence auparavant. La seconde visite acheva de le gagner entièrement.

[3.] L’on ne peut pas avoir plus d’obligations que j’en ai à ce bon prélat. Il prit pour moi autant d’amitié que si j’eusse été sa sœur, et son seul divertissement dans ses continuelles occupations, était de passer quelque demi-heure avec moi à parler de Dieu. Il commença d’écrire à Monsieur de Marseille pour le remercier de ce qu’il m’avait protégée dans la persécution, il écrivit aussi à Monsieur de Grenoble et il n’y avait rien qu’il ne fît pour me marquer son affection. Il ne pensa plus à autre chose qu’à chercher les moyens de m’arrêter dans son diocèse : il ne voulut jamais me permettre d’aller trouver la marquise de Prunai, au contraire, il lui écrivit pour l’inviter elle-même à venir avec moi dans son diocèse. Il lui envoya même le père La Combe exprès pour l’exhorter à y venir, assurant qu’il voulait tous nous unir et faire une petite congrégation. La marquise de Prunai entra assez là-dedans, et sa fille aussi, de sorte qu’elles seraient venues avec le père La Combe si la marquise n’eût pas été malade; elle pensa m’envoyer sa fille et l’on remit le tout pour le temps qu’elle se porterait bien. Monsieur de Verceil commença par louer une grande maison, dont il fit même le marché pour l’acheter afin de nous y mettre. Elle était très propre pour faire une communauté. Il écrivit aussi à une dame de Gênes de sa connaissance, sœur d’un cardinal, qui témoigna beaucoup de désir de s’unir à nous, et la chose était comptée déjà faite. Il y avait aussi de bonnes demoiselles fort dévotes qui étaient toutes prêtes à partir pour nous venir trouver. Mais, ô mon Dieu, votre volonté n’était pas de m’établir, mais bien de me détruire.

[4.] La fatigue du chemin jointe au chagrin continuel que me témoignait le Père La Combe, quoique l’amitié de Monsieur de Verceil pour moi l’eût un peu consolé, car l’on ne peut pas marquer plus d’estime que ce bon prélat en marquait pour moi, quoique, dis-je, l’amitié de Monsieur de Verceil eut un peu diminué le chagrin du Père La Combe [244] sur mon arrivée, il ne laissait pas d’en avoir encore beaucoup surtout lorsqu’il se laissait aller à la réflexion, et comme cela le mettait en division avec moi et qu’il me fallait souffrir tout cela d’une manière terrible, selon ce que j’ai écrit de la disposition où Dieu m’avait mise à son égard, cela me fit tomber bien malade. J’aurais peine à exprimer les croix qu’il me fallut souffrir durant plusieurs mois de la part du Père La Combe, car s’il était un jour remis, il était les mois de suite dans la peine, cela, joint à l’extrémité de la maladie, était un pesant fardeau et d’autant plus, ô mon amour, que vous me le faisiez porter sans soutien et sans consolation.

Cette fille que j’avais amenée de Grenoble tomba fort malade. Ses parents, qui sont des gens fort intéressés, s’allèrent mettre en tête que si cette fille mourait entre mes mains, je lui ferais faire un testament en ma faveur. Ils se trompaient bien, car loin de vouloir avoir le bien des autres, j’avais donné même le mien. Son frère, rempli de cette appréhension, vint au plus vite, et la première chose dont il lui parla, quoiqu’il la trouvât guérie, fut de faire un testament. Cela fit un grand fracas dans Verceil, car il voulait l’emmener, et elle ne voulait pas s’en aller. Cependant comme je remarquais dans cette fille peu de solidité et de sincérité, je crus que c’était une occasion que la divine providence me fournissait pour m’en défaire, ne m’étant pas propre. Je lui conseillai de faire ce que son frère voulait d’elle. Il fit amitié avec certains officiers de la garnison auxquels il dit des contes ridicules : que je voulais mal user de sa sœur, qu’il fit passer pour une fille de qualité, quoiqu’elle fut de naissance commune. Cela m’attira beaucoup de croix et d’humiliations. Ils commencèrent à dire ce que j’avais toujours appréhendé, que j’étais venue à cause du père La Combe. Ils le persécutèrent même à mon occasion.

[6.] Le Père La Combe était son théologal et son confesseur, il l’estimait beaucoup, et le père faisait de grands biens dans cette garnison, Dieu s’étant servi de lui pour convertir plusieurs des officiers et soldats. Il y en a qui de très scandaleux sont devenus des modèles de vertu : il faisait faire des retraites à ces petits officiers, prêchait et instruisait les soldats qui en profitaient beaucoup, faisant ensuite des confessions générales. Tout était mélangé en ce lieu de croix et d’âmes que l’on gagnait à Notre-Seigneur. Il y eut de ses religieux qui à son exemple travaillèrent à leur perfection, et quoique je n’entendisse presque point leur langue, et qu’ils n’entendissent point du tout la mienne, Notre-Seigneur faisait que nous nous entendions en ce qui regardait son service. Le Père recteur des Jésuites, ayant ouï parler de moi, prit son temps que le Père La Combe était hors de Verceil, afin, disait-il, de m’éprouver. Il avait étudié des matières théologiques que je n’entendais pas; il me fit quantité de questions. (245) Notre-Seigneur me donna de lui répondre d’une manière qu’il se retira si satisfait, qu’il ne pouvait s’en taire. Le Père La Combe était donc très bien auprès de Monsieur de Verceil, qui le considérait avec vénération.

[7.] Les barnabites de Paris, ou plutôt le Père d(e) La Mothe, s’avisa de le vouloir tirer de là pour le faire aller prêcher à Paris. Il en écrivit au Père général, disant qu’ils n’avaient point de sujets à Paris pour soutenir leur maison; que leur église était déserte; que c’était dommage de laisser un homme comme le Père La Combe dans un lieu où il ne faisait que corrompre son langage; qu’il fallait faire paraître à Paris ses grands talents; qu’au reste il ne pouvait plus porter le faix de la maison de Paris si l’on ne lui donnait un homme de cette trempe. Qui n’aurait pas cru que tout cela était sincère? Monsieur de Verceil, qui était fort ami du général, en ayant avis, s’y opposa, et lui écrivit que c’était lui faire la dernière injure que de lui ôter un homme qui était fort utile, et dans le temps qu’il en avait le plus de besoin. Il avait raison, car il avait alors un grand vicaire qu’il avait amené de Rome, qui après avoir été nonce du pape en France, s’était trouvé réduit par sa mauvaise conduite à vivre de ses messes dans Rome; il était dans une si grande nécessité qu’il attira la compassion de Monsieur de Verceil, qui le prit et lui donna de très bons appointements pour lui servir de grand vicaire.

Cet abbé, loin de reconnaître son bienfaiteur, suivant la bizarrerie de son humeur, était toujours contraire à Monsieur de Verceil et si quelque ecclésiastique était déréglé ou mécontent, c’était à lui que l’abbé se joignait contre son évêque. Tous ceux qui plaidaient contre ce prélat, ou qui l’outrageaient, étaient d’abord des amis du grand vicaire, qui non content de tout cela, travailla de toutes ses forces à le brouiller en cour de Rome, disant qu’il était entièrement à la France au préjudice des intérêts de Sa Sainteté, et que pour marque de cela, il avait auprès de lui plusieurs Français. Il le brouillait aussi par ses menées secrètes à la cour de Savoie, de sorte que ce bon évêque avait des croix très fortes de cet homme. Ne le pouvant plus supporter, il le pria de se retirer, et lui donna avec bien de la générosité tout ce qui lui était nécessaire pour le reconduire. Il fut extrêmement outré de ce qu’il sortait de chez Monsieur de Verceil, et tourna toute sa colère contre le Père La Combe, contre un gentilhomme français, et contre moi.

[8.] Le père général des barnabites ne voulait donc pas accorder au Père d(e) La Mothe ce qu’il demandait, de peur de choquer Monsieur de Verceil qui était fort son ami, et de lui ôter un homme qui lui était fort nécessaire dans la conjoncture des affaires.

[…] Monsieur de Verceil écrivit au Père (de) La Mothe que je m’en irais au printemps, sitôt que la saison le pourrait permettre; qu’il était bien affligé d’être obligé de me laisser aller, et lui disait de moi des choses capables de me jeter dans la confusion si je pouvais m’attribuer quelque chose. Il mandait qu’il ne m’avait regardée dans son diocèse que comme un ange, et mille autres choses que sa bonté lui suggérait. Je fis donc dès lors son compte de m’en retourner, mais Monsieur de Verceil croyait garder le Père La Combe et qu’il ne viendrait point à Paris.

Cela eût été en effet de la sorte sans la mort du père général, ainsi que je le dirai dans la suite.

[9.] Presque tout le temps que je fus dans ce pays, Notre-Seigneur m’y fit souffrir beaucoup de croix, et me combla en même temps de grâces et d’humiliations, car chez moi l’un n’a jamais été sans l’autre. Je fus presque toujours malade et dans un état d’enfance. Je n’avais auprès de moi que cette fille dont j’ai parlé, qui ne pouvait me donner aucun soulagement en l’état où elle était, et qui semblait n’être avec moi que pour m’exercer et me faire étrangement souffrir. Ce fut là que j’écrivis l’Apocalypse et qu’il me fut donné une plus grande certitude de tout ce que j’avais connu de la persécution qui se devait faire aux serviteurs de Dieu les plus fidèles, selon que j’écrivis toutes ces choses touchant l’avenir. J’étais, comme j’ai dit, dans un état d’enfance de sorte qu’il n’y avait rien de plus grand que moi lorsqu’il me fallait parler ou écrire : il me semble que j’étais toute divine, et cependant rien de plus petit et de plus faible que moi, car j’étais comme un petit enfant. Notre-Seigneur voulut que non seulement je portasse son état d’enfance d’une manière qui charmait ceux qui en étaient capables, mais il voulut de plus que je commençasse d’honorer d’un culte extérieur sa divine enfance. Il inspira à ce bon frère quêteur, dont j’ai parlé, de m’envoyer un Enfant Jésus de cire. Il était d’une beauté ravissante, et je m’apercevais que, plus je le regardais plus les dispositions d’enfance m’étaient imprimées,

/et tout ce que je voulais était fait. Je faisais venir la pluie en le lui disant, et M. de (4.351) Verceil me disait : «Dites telle et telle chose à votre petit maître, il le fera.» Un jour N. (Père La Combe) me dit : «Dites qu’il pleuve, car la sécheresse est trop grande», il plut aussitôt, et il fut mouillé en s’en retournant : ou bien il me disait : «Dites à votre petit maître qu’il ne pleuve plus», et cela était fait. Un jour je doutai, car je fis une réflexion, et il ne vint pas de pluie, mais comme j’écrivai, il vint des gouttes d’eau sur mon papier, et en même temps j’eus du reproche sur mon peu de foi, que si j’avais cru, la pluie (4342) fut aussi bien venue sur terre que sur mon papier. Mon petit maître voulut que je tinsse toujours jour et nuit une lampe allumée devant lui, et un jour que je dis en moi-même : «je ne la laisserai pas allumée à Paris, ainsi qu’est-il nécessaire de l’allumer ici?» il me punit rigoureusement. Je la fis allumer au plus tôt et elle fut après deux jours sans diminuer le moins du monde, et il me reprochait au-dedans s’il ne la pouvait pas bien faire brûler sans moi. //

On ne saurait croire la peine que j’ai eue à me laisser aller à cet état d’enfance, car ma raison s’y perdait et il me semblait que c’était moi qui me donnais cet état. Lorsque j’avais réfléchi, il m’était ôté, et j’entrais dans une peine intolérable, mais sitôt que je m’y laissais aller, je me trouvais au-dedans dans une candeur, une innocence, une simplicité d’enfant, et quelque chose de divin. J’ai bien fait des infidélités sur cet état, ne pouvant me faire à un état si bas et si petit. O Amour, vous vouliez me mettre en toutes sortes de postures afin que je ne vous résistasse plus, et que je fusse à tous vos vouloirs, sans retour ni réserve.

Comme j’étais encore à Verceil, il me vint un fort mouvement d’écrire à Madame [la duchesse] de Charost. Il y avait déjà quelques années qu’elle ne m’écrivait plus. Notre-Seigneur me fit connaître sa disposition et qu’il se servirait de moi pour lui aider. (247) Je demandai au Père La Combe s’il agréerait que je lui écrivisse, lui disant le mouvement que j’en avais, mais il ne le voulut pas. Je demeurai abandonnée et assurée tout ensemble que Notre-Seigneur nous unirait, et me fournirait d’une manière ou d’une autre le moyen de la servir. À quelque temps de là, je reçus une lettre d’elle, ce qui ne surprit pas peu le Père La Combe, et il me laissa alors en liberté de lui écrire tout ce que je voulais. Je le fis avec grande simplicité, et ce que je lui écrivis fut comme les premiers fondements de ce que Notre-Seigneur voulait d’elle, ayant bien voulu se servir de moi dans la suite pour l’aider et la faire entrer dans ses voies, étant une âme à laquelle je suis fort liée, et par elle à d’autres.

2.25 TURIN, GRENOBLE

1. Elle retourne en France. 2. Le Père La Mothe laisse courir de faux bruits. 3. Elle passe douze jours chez son amie la Marquise de Prunai Etablissement d’un hôpital. 4. Elle avait établi un hôpital près de Grenoble. / ‘[Le père] venait lorsque je suffoquais d’une oppression de poitrine, et il me commandait de guérir, et je guérissais’ /. 5. Elle revient avec la prémonition de croix à venir. 6. Elle croise le Père La Mothe à Chambéry, ‘priant tous les jours avec des instances affectées le père La Combe de ne me point laisser, et de m'accompagner jusqu'à Paris.’ 7. Elle retrouve ses amies à Grenoble.

[l.] Le père général des barnabites, ami de Monsieur de Verceil, mourut. Sitôt qu’il fut mort, le Père [de] la Mothe écrivit à celui qui était le vicaire général, et qui tenait sa place jusqu’à ce qu’il y en eût un autre d’élu. Il lui manda les mêmes choses qu’il avait mandées à l’autre, et la nécessité où il était d’avoir à Paris des sujets comme le Père La Combe, qu’il n’avait qui que ce soit pour prêcher l’annuel dans leur église. Ce bon père, qui croyait que le père La Mothe agissait de bonne foi, ayant appris d’ailleurs que j’étais obligée de m’en retourner en France à cause de mes incommodités, envoya un ordre au père La Combe de s’en aller à Paris et de m’accompagner tout le long du voyage716; le père La Mothe l’en avait prié, disant que, comme il m’accompagnait, cela exempterait leur maison de Paris, déjà pauvre, des frais d’un si long voyage. Le père La Combe qui ne pénétrait pas le venin caché sous un beau semblant, consentit à m’accompagner, sachant que c’était ma coutume de mener avec moi des ecclésiastiques ou religieux. Le père La Combe partit douze jours avant moi afin de faire quelques affaires et de m’accompagner seulement au passage des montagnes, qui lui paraissait l’endroit où j’avais le plus besoin d’escorte.

Je partis le carême, le temps étant trouvé fort beau, non sans douleur du prélat, qui me faisait compassion dans le chagrin où il était d’avoir perdu le père La Combe et de me voir en aller. Il me fit conduire à ses frais jusqu’à Turin, me donnant un gentilhomme et un de ses ecclésiastiques pour m’accompagner.

[2.] Sitôt que la résolution fut prise que le père La Combe m’accompagnerait, le père La Mothe ne manqua pas de faire partout courir le bruit qu’il avait été obligé de le faire afin de me faire retourner en France; quoiqu’il sût bien que je devais m’en retourner avant qu’on sût que le père La Combe s’en retournerait. Il exagérait l’attache que j’avais pour lui, se faisant porter compassion, et chacun disait que je devais me mettre sous la conduite du père La Mothe. Cependant il dissimulait à notre égard, écrivant au père La Combe des lettres pleines d’estime, et à moi de tendresse, le priant d’amener sa chère sœur et de la servir dans ses infirmités et dans un si long voyage, qu’il lui serait sensiblement obligé de son soin, et cent choses de cette force.

[3.] Je ne pus pas me résoudre de partir sans aller voir mon amie la marquise de Prunai, malgré la difficulté des chemins. Je m’y fis porter, car il est imposssible d’aller là autrement à cause des montagnes, ou bien à cheval, et je ne saurais y aller. Je fus passer douze jours avec elle. J’arrivai justement la veille de l’Annonciation, et comme toute sa tendresse est pour le mystère de l’enfance de Jésus-Christ, et qu’elle savait la part que Notre-Seigneur m’y donnait, elle reçut une extrême joie de me (248) voir arriver pour passer cette fête avec elle. Il ne se peut rien de plus cordial que ce qui se passa entre nous avec bien de l’ouverture. Ce fut là qu’elle me dit que tout ce que je lui avais dit était arrivé; et un bon ecclésiastique qui demeure chez elle, très saint homme, m’en dit autant. Nous fîmes ensemble des onguents et je lui donnai le secret de mes remèdes. Je l’encourageai, et le père La Combe aussi, à établir un hôpital en ce lieu, ce qu’elle fit dès le temps que nous y étions. J’y donnai le petit denier du saint Enfant Jésus, qui a toujours fait profiter tous les hôpitaux que l’on a établis sur la providence.

[4.]/Je crois avoir oublié de dire que Notre-Seigneur se servit aussi de moi pour en établir un près de Grenoble, qui subsiste sans autre fonds que la providence. //Mes ennemis se sont servis de cela dans la suite pour me calomnier, disant que j’avais consumé le bien de mes enfants à établir des hôpitaux, quoiqu’il soit vrai que, loin d’avoir dépensé leur bien, je leur ai même donné le mien, et que ces hôpitaux n’ont été établis que sur le fonds de la divine providence, qui est inépuisable. Mais Notre-Seigneur a eu cette bonté pour moi, que tout ce qu’il m’a fait faire pour sa gloire m’est toujours tourné en croix. J’ai oublié de parler en détail de quantité de croix et de maladies, mais il y en a tant qu’il faut supprimer quelque chose.

Dans les maladies que j’eus à Verceil j’eus toujours la même dépendance du père La Combe à cause de mon état d’enfance, avec l’impression de ces mots : et il leur était soumis717. C’était l’état de Jésus-Christ qui m’était alors imprimé,/de sorte que lorsque j’étais évanouie ou à l’extrémité, et que les remèdes n’avaient plus d’effet, le commandement qu’il me faisait de guérir était efficace. Quelquefois il venait lorsque je suffoquais d’une oppression de poitrine, et il me commandait de guérir, et je guérissais. Je ne faisais alors nul retour sur moi-même ni sur ce qu’il me commandait, mais j’étais comme (4366) un enfant, et j’en avais la candeur et l’innocence.

Comme l’on me voyait souvent mourante et tôt après sur pied, ceux qui n’étaient pas capables des opérations de la grâce, en faisaient des railleries et des médisances, surtout le Père de L(a) (Motte) comme je le dirai dans la suite. Tous mes maux, mes peines et mes disgrâces n’altéraient point ce fonds perdu en Dieu, la simplicité, la candeur et l’enfance étaient peintes sur mon visage, aussi bien que la (4.367) joie dans mes plus grands maux. Je faisais des chansons que je chantais dans mes plus grands accablements. //

[5.] Sitôt qu’il fut déterminé que je viendrais en France, Notre-Seigneur me fit connaître que c’était pour y avoir de plus grandes croix que je n’en avais encore eues, et le père La Combe en avait aussi la connaissance, mais il me dit qu’il fallait m’immoler à tous les vouloirs divins, et être de nouveau une victime immolée à de nouveaux sacrifices. Il me mandait : Ne serait-ce pas une belle chose, et bien glorieuse à Dieu, s’il voulait nous faire servir dans cette grande ville de spectacle aux hommes et aux Anges? Je partis donc pour m’en revenir, avec un esprit de sacrifice pour m’immoler à de nouveaux genres de supplices. Tout le long du chemin quelque chose me disait au-dedans les mêmes paroles de saint Paul : Je m’en vais à Jérusalem et l’Esprit me dit partout que des croix et des chaînes m’attendent718. Je ne pouvais m’empêcher de le témoigner à mes plus intimes amis, qui faisaient leurs efforts pour m’arrêter en chemin. Ils voulaient même tous contribuer de ce qu’ils avaient pour m’arrêter et m’empêcher de venir à Paris, croyant que le pressentiment que j’avais était véritable. Mais il fallut poursuivre, et venir s’immoler pour celui qui s’est immolé le premier.

[6.] À Chambéry, nous y vîmes le père La Mothe qui allait à l’élection du général719. Quoiqu’il affectât de l’amitié, il ne fut pas difficile de remarquer que ses pensées étaient autres que ses paroles, et qu’il avait conçu dans son esprit le dessein de nous perdre. Je ne parle des traitements du Père La Combe que pour obéir au commandement que l’on m’a fait de ne rien omettre. L’on me fera plaisir de tout supprimer720. Je le voyais avec bien de la clarté. Le père La Combe le remarqua bien aussi, mais il était résolu de se sacrifier, et de m’immoler à tout ce qu’il croyait volonté de Dieu. Quelques-uns même de mes amis nous avertirent que le père La Mothe avait de mauvais desseins, mais ils ne les jugeaient pas cependant aussi extrêmes qu’ils ont été. Ils croyaient qu’il renverrait le père La Combe après l’avoir fait prêcher, et qu’il lui ferait pour cela des affaires. Il fut dit intérieurement au Père La Combe à Chambéry, de la même manière qu’il lui avait été dit que nous serions ensemble, il lui fut dit que nous serions [249] séparés. Nous nous séparâmes à Chambéry. Le père La Mothe fut au chapitre, priant tous les jours avec des instances affectées le père La Combe de ne me point laisser, et de m’accompagner jusqu’à Paris. Le père La Combe lui demanda permission de me laisser aller seule à Grenoble, parce qu’il était bien aise d’aller voir sa famille à Thonon, et qu’il irait me retrouver à Grenoble au bout de trois semaines. L’on ne lui accorda cela qu’avec peine, tant on affectait de sincérité.

[7.] Je partis donc pour Grenoble et le père La Combe pour Thonon. […]

Nous étions si pénétrés de la croix, le père La Combe et moi, que tout nous annonçait croix. Cette bonne fille dont j’ai parlé, qui avait vu tant de persécutions et à laquelle le Diable fit tant de menaces, eut encore bien des pressentiments des croix qui allaient fondre sur nous, et elle disait : «Que voulez-vous aller faire là, pour être crucifiée?» Tout le long du chemin721 les âmes intérieures et de grâce ne nous parlèrent que de croix, et cette impression que des chaînes et des persécutions m’attendaient722, ne me quittait pas un moment. Je vins donc, ô mon amour, pour me sacrifier à votre volonté cachée. Vous savez quelles croix il m’a fallu essuyer de la part des miens, dans quel décri suis-je? Au travers de tout cela, vous ne laissiez pas de vous gagner des âmes en tout lieu et en tout temps, et l’on se trouve trop bien payé de tant de peines quand elles ne procureraient que le salut et la perfection d’une seule âme.

C’est donc dans ce lieu, ô Dieu, que vous vouliez faire un théâtre de vos volontés par la croix et le bien que vous voulez faire aux âmes.

Ici commence la troisième partie de la Vie par elle-même : “ 3. Depuis son retour en France, jusqu’à peu d’années avant sa mort.”

Petits problèmes à l’arrivée à Paris :

3.1 INTRIGUES A PARIS

1. Mauvais desseins du père La Mothe. 2. Union parfaite avec le père La Combe. 3. ‘J'arrivai à Paris la veille de Sainte-Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ.’ Le Père La Mothe ‘me voulut loger à sa manière afin de se rendre maître absolu de ma conduite.’ Il médit d’elle auprès de sa logeuse. Il est jaloux du succès des sermons du Père La Combe. Ses calomnies. 5. ‘J'avais donné une petite somme en dépôt au père La Combe avec la permission de ses supérieurs, que je destinais pour faire une fille religieuse.’ 6. ‘Ils envoyèrent à confesse au père La Combe un homme et une femme qui sont unis pour faire impunément toutes sortes de malice.’ 7. ‘Ces paroles me furent imprimées : il a été mis au rang des malfaiteurs.’ On tente de la brouiller avec le tuteur de ses enfants. 8. Même le Père La Combe se rend compte des foudres à venir. 9. ‘J'allai à la campagne chez Madame la duchesse de Charost …on fut obligé de me délacer … / Tout ce que je pus faire fut de me mettre sur le lit et me laisser consûmer de cette plénitude / 10. Le Père La Combe est circonvenu par une femme. 11. Son mari fabrique des libelles ‘auxquels ils attachaient les propositions de Molinos’ et on les montre à l’Archevêque. 12. Calomnie sur le séjour à Marseille mais le Père La Combe n’avait jamais été là-bas ! 13-14. Le Père La Mothe et le Provincial complotent avec l’Official. Intrigue de la femme. Le Père La Combe est dupe. 15. Une fille avertit Madame Guyon sur sa réelle nature.

[1.] À peine fus-je arrivée à Paris, qu’il me fut aisé de découvrir par le procédé des personnes, les mauvais desseins qu’elles avaient contre le père La Combe et contre moi. Le père La Mothe, qui est celui qui a conduit toute la tragédie, se dissimulait autant qu’il pouvait et en la manière dont il en a toujours usé, donnant des coups fourrés723, et faisant semblant de flatter lorsqu’il donnait de plus dangereux coups.

[…]

[2.] Après que Notre Seigneur nous eut bien fait souffrir, le père La Combe et moi, dans notre union, afin de l’épurer entièrement, elle devint si parfaite, que ce n’était plus qu’une entière unité, et cela de manière que je ne peux plus le distinguer de Dieu. Je n’ai pu décrire en détail les grâces que Dieu m’a faites, car tout se passe en moi d’une manière si pure que l’on n’en peut rien dire. Comme rien ne tombe sous le sens ni sous l’expression, il faut que tout demeure en celui qui se communique lui-même en lui-même, aussi bien qu’une infinité de circonstances qu’il faut laisser en Dieu avec le reste des croix. Ce qui a fait mes souffrances d’auparavant avec le père La Combe, c’est qu’il n’avait point encore de connaissance de la nudité totale de l’âme perdue en Dieu, et qu’ayant toujours conduit les âmes en dons, grâces extraordinaires de visions, révélations, paroles intérieures, et ne sachant pas encore la différence de ces communications médiates à la communication immédiate du Verbe en l’âme, qui, n’ayant nulle distinction, n’a nulle expression, il ne pouvait comprendre un état dont je ne pouvais presque lui rien dire. La seconde chose était la communication en silence à laquelle il avait peine à s’ajuster, la voulant voir par les yeux de la raison724. Mais lorsque tous les obstacles ont été levés, ô Dieu, vous en avez fait une même chose avec vous et une même chose avec moi dans une consommation d’unité parfaite. Tout ce qui se connaît, s’entend, se distingue et s’explique, sont des communications médiates, mais pour la communication immédiate, communication plus de l’éternité que du temps, communication du Verbe, elle n’a rien d’exprimable, et l’on n’en peut rien dire que ce que saint Jean en a dit : qu’au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et Dieu était dans le Verbe725. Le Verbe est dans cette âme, et cette âme est en Dieu par le Verbe et dans le Verbe. Il est de grande conséquence de s’accoutumer de bonne heure à outrepasser tout le distinct de l’aperçu726 et les paroles médiates, pour donner lieu au parler du Verbe, qui n’est autre qu’un silence ineffable, mais toujours éloquent.

[3.] J’arrivai à Paris la veille de Sainte-Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ. Sitôt que je fus à Paris le père La Mothe me voulut loger à sa manière afin de se rendre maître absolu de ma conduite et de disposer de moi comme il lui plairait, mais les choses étant d’une manière que je ne le pouvais pas, toute ma famille s’y opposant parce que cela était contre la bienséance, je ne le fis pas, j’allai donc loger dans un autre endroit où je fus d’abord en réputation dans le quartier; le père La Mothe y vint à qui mon hôtesse témoigna la même joie qu’elle avait de m’avoir, que j’étais une personne de piété; il la prit à part et lui dit, faisant semblant de m’aimer, il est vrai : «C’est une bonne personne, mais elle a fait telle et telle chose» disant des choses capables de me perdre de réputation et dont j’étais fort innocente. Cette femme conçut dès lors pour moi autant de mépris qu’elle avait eu d’estime, et m’alla décrier de telle sorte dans tout le quartier que je fus trop heureuse de la quitter; il en a toujours usé de même dans tous les lieux où j’ai été depuis. Je faisais ce que je pouvais pour gagner son amitié, et il se dissimulait à mon égard et à celui du [251] Père La Combe. Tout ce que le Père La Combe remarquait était, que lorsqu’il lui parlait de moi ou qu’il lui annonçait que j’étais fort malade, il n’y prenait nul intérêt, au contraire témoignait plus que de l’indifférence

Peu de temps après que le père La Combe y fut arrivé, il fut fort suivi et applaudi pour ses sermons. J’aperçus bien quelque petite jalousie de la part du père La Mothe, mais je ne croyais pas que les choses dussent aller si loin. Le Père provincial était fort brouillé avec le Père La Mothe ou du moins cela paraissait ainsi. Il fit son possible pour faire entrer le Père La Combe dans ses intérêts, mais comme le père La Mothe témoignait au Père La Combe qu’il n’avait point d’autres intérêts que ceux de la régularité, le Père La Combe qui le crut droit, quoiqu’il ne pût s’empêcher d’y remarquer quelques détours qui devenaient ensuite continuels, ne quitta jamais les intérêts du père La Mothe qui le livra ensuite à la passion du père (Provincial), car le père voyant qu’il ne l’avait pu attirer à lui, changea son amitié en aversion, disant hautement qu’il le perdrait.

Deux choses achevèrent de lui en faire prendre la résolution, la première fut que Mgr l’Archevêque de Paris qui avait refusé le Carême des Quinze-Vingts à un père intime ami du provincial parce qu’il ne prêchait pas à son gré, l’envoya au Père La Combe qui ne le demandait point. Tous ceux qui étaient du parti de ce père auquel on avait refusé le Carême, se déclarèrent d’abord contre le Père La Combe et résolurent sa perte, mais comme ils craignaient de trouver de l’obstacle du côté du père La Mothe qu’ils ne connaissaient point assez pour le persuader qu’il leur voulût livrer un homme qui se sacrifiait pour lui, ils feignirent de vouloir ôter au père La Mothe la supériorité, attendu qu’il y avait plus de vingt ans qu’il était supérieur, quoique cela leur soit défendu par la règle; la peur d’être dépossédé porta le père La Mothe à s’unir avec le père dans le dessein de perdre le Père La Combe, mais comme il avait ses intérêts particuliers à ménager et que de l’autre côté il me voulait faire aller à Montargis pour des raisons et intérêts de famille, il proposa au Père La Combe d’aller faire ce voyage avec moi. Il me fut aisé de découvrir le piège. Le Père La Combe lui dit qu’il n’était point à propos qu’il fît cette promenade avec moi qui ne servirait que de matière à la médisance. Le père La Mothe voyant qu’il ne pouvait rien obtenir de ce côté-là, m’en fit la proposition, je lui dis que je n’avais garde de faire cela, que si le Père La Combe voulait aller à Montargis, il pouvait y aller sans moi. Lorsqu’il vit que je ne voulais pas donner dans le piège qu’il me tendait, il ne garda presque plus de mesures, il me décriait partout, et ses pénitentes parlaient de moi à emporter la pièce. Un de ses amis m’en donna avis et me dit que ce qui le surprenait le plus était le soin que les pénitentes du père La Mothe prenaient de me décrier, disant que j’avais des attaches criminelles avec le Père. Ils commencèrent à ne plus donner de bornes à leurs calomnies. Il se faisait plaindre disant que je le rendais malheureux.

[4.] Il écrivait avec soin à toute la famille pour la prévenir, disait que le père La Combe727 m’avait accompagnée depuis Turin jusqu’à Paris sans aller dans leurs maisons, et qu’il demeurait dans l’hôtellerie avec moi au grand scandale de leur ordre. Il ne disait pas qu’il n’y avait point de couvent de leur ordre sur la route, mais au contraire, il faisait comprendre qu’il y en avait et que ç’avait été à la honte de ces maisons qu’il n’y avait point été. Qui n’aurait pas cru une calomnie dite avec tant d’artifice? Cela commença à animer tout le monde contre moi; mais les excellents sermons du père La Combe et le profit qu’il faisait dans la conduite des âmes contrebalançaient ces calomnies.

[5.] J’avais donné une petite somme en dépôt au père La Combe avec la permission de ses supérieurs, que je destinais pour faire une fille religieuse. Je [252] croyais le devoir en conscience, car elle était sortie à mon occasion des Nouvelles Catholiques. C’est la demoiselle dont j’ai parlé, que le prêtre de Gex voulait gagner. Comme elle est belle, quoiqu’elle soit extrêmement sage, il y a toujours à craindre lorsqu’on est exposé sans aucun établissement. J’avais donc destiné cette somme assez médiocre pour cette bonne demoiselle. Le père La Mothe la voulait avoir, et faisait entendre au père La Combe que s’il ne me la faisait donner pour une muraille qu’il voulait refaire à son couvent, que l’on lui ferait des affaires. Mais le père La Combe, qui va toujours droit, dit qu’il ne pouvait en conscience me conseiller autre chose que ce qu’il savait que j’avais résolu de faire en faveur de la demoiselle. Tout cela joint à la jalousie des bons succès des sermons du père La Combe, le firent déterminer à s’unir avec le provincial, et de livrer le père La Combe chacun pour satisfaire sa passion.

[6.] Ils ne songèrent plus qu’aux moyens d’en venir à bout, et pour le faire avec succès, ils envoyèrent à confesse au père La Combe un homme et une femme qui sont unis pour faire impunément toutes sortes de malices, et pour persécuter les serviteurs de Dieu. Je crois qu’il n’y a jamais eu de pareils artifices aux leurs. L’homme écrit toutes sortes d’écritures, et est propre pour exécuter ce que l’on veut. Ils contrefaisaient les dévots, et parmi un si grand nombre de bonnes âmes qui venaient de toutes parts au père La Combe à confesse, il ne discerna jamais ces esprits diaboliques, Dieu le permettant ainsi parce qu’il avait donné puissance au démon de le traiter comme Job.

[7.] Avant ce temps, un soir, étant seule enfermée dans ma chambre à genoux devant une image de l’Enfant Jésus, où je faisais ordinairement ma prière, tout à coup je fus comme rejetée de cette image et renvoyée au crucifix : tout ce que j’avais dans l’état d’enfance me fut ôté, et je me trouvai liée de nouveau avec Jésus-Christ crucifié. De dire ce que c’est que cette liaison, cela me serait très difficile, car ce n’est point une dévotion comme l’on s’imagine. Ce n’est plus un état de souffrance par conformité avec Jésus-Christ, mais c’est le même Jésus-Christ porté très purement et nuement dans ses états. Ce qui se passa dans cette nouvelle union d’amour à ce divin Objet, lui seul le sait, mais je compris qu’il n’était plus question alors pour moi de le porter enfant, ni dans ses états de dénuement, qu’il le fallait porter crucifié, que c’était la fin de tous ses états. Car dans le commencement, j’ai porté des croix, comme on l’a pu voir dans le récit de ma vie qui en est toute pleine, mais c’était mes propres croix, portées par conformité avec Jésus-Christ. Ensuite mon état devenant plus profond, il me fut donné de porter les états de Jésus-Christ, ce que j’ai porté dans le milieu de ma vie, dans le dénuement et les croix. Et dans le temps que l’on porte de cette sorte les états de Jésus-Christ, l’on ne pense point à Jésus-Christ728 : il est alors ôté, et même dès le commencement de la voie de foi l’on ne l’a plus objectivement. Mais cet état ici est bien différent. Il est d’une étendue presque infinie, et peu d’âmes le portent de cette sorte. C’est porter Jésus-Christ lui-même dans ses états. Il n’y a que l’expérience qui puisse faire comprendre ce que je veux dire. Dans ce temps ces paroles me furent imprimées : il a été mis au rang des malfaiteurs et il me fut mis dans l’esprit qu’il fallait porter Jésus-Christ en cet état dans toute son étendue. […] L’on fit encore une tentative au Père La Combe afin qu’il m’obligeât d’y aller demeurer, il dit qu’il n’était point d’humeur à me violenter et qu’il me fallait laisser libre, ce fut après cela que l’on rompit entièrement avec lui.

[8.] Il m’en écrivit en ces termes : «Le temps est bien changé,» parlant de l’humeur du père La Mothe à son égard, «je ne sais quand les foudres tomberont, mais tout sera bien venu de la main de Dieu.» Cependant le mari de cette méchante créature qui contrefaisait la sainte, désista d’aller à confesse au père La Combe afin de mieux jouer son jeu. Il y envoya sa femme, qui disait qu’elle était bien fâchée de ce que son mari avait quitté ce père; que son mari était un homme changeant; qu’elle ne lui ressemblait pas. Elle contrefaisait la sainte, disant que Dieu lui révélait des choses à venir, et qu’il allait avoir de grandes persécutions. Il ne lui était pas difficile de les connaître, puisqu’elle les tramait avec le père La Mothe, le Père provincial et son mari.

[9.] Durant ce temps j’allai à la campagne chez M [adame la d. de C729...]. Il m’arriva plusieurs choses extraordinaires, et Dieu m’y fit de grandes grâces pour le prochain. Il semblait qu’il me voulait disposer par là à la croix. Il se trouva là plusieurs personnes de celles que Notre Seigneur me faisait aider pour [254] l’intérieur, et qui étaient de mes enfants spirituels. Il me fut donné un fort instinct de me communiquer à eux en silence, et comme ils n’étaient point faits à cela et que c’était une chose inconnue pour eux, je ne savais comment le leur dire. […]

[10.] Le père La Combe m’écrivit dans le temps que j’étais à la campagne, qu’il avait trouvé une âme admirable, me parlant de cette femme qui contrefaisait la sainte, et me manda de certaines circonstances qui me firent appréhender pour lui. Cependant comme Notre Seigneur ne me donna rien de particulier là-dessus, et que d’ailleurs j’appréhendais que si je disais ma pensée, cela ne fût mal pris comme les autres fois, et que Notre Seigneur ne me pressait pas de rien dire, car s’il l’eût exigé de moi, quoiqu’il m’en eût dû coûter, je l’eusse fait, mais il me laissait en repos. Je lui mandai que je l’abandonnais à Dieu pour cela comme pour le reste.

[11.] Durant que cette femme contrefaisait la sainte, et marquait beaucoup d’estime et d’affection pour le père La Combe, son mari, qui contrefaisait toutes sortes d’écritures, fut poussé, apparemment par les ennemis du père La Combe, ainsi que la suite l’a bien fait voir. Ils faisaient écrire par cet homme qui contrefaisait toutes sortes d’écritures des libelles diffamatoires auxquels ils attachaient les propositions de Molinos730, qui couraient depuis deux ans en France, disant que c’étaient les sentiments du père La Combe. L’on les portait partout dans les communautés, et le père La Mothe et le provincial qui avaient plus d’habitude, se faisaient renvoyer ces libelles, puis contrefaisant les personnes bien attachées à l’Église, ils portaient eux-mêmes ces libelles à l’official qui était de leur intrigue, et les faisait voir à Mgr l’archevêque, disant que c’était par zèle, et qu’ils étaient au désespoir qu’un de leurs religieux fût hérétique et exécrable. Ils m’y mêlaient aussi doucement, disant que le père La Combe était toujours chez moi, ce qui était très faux, car à peine ne pouvais-je le voir qu’au confessionnal, et encore pour des moments. Ils renouvelèrent leurs anciennes calomnies des voyages, et allaient dans toutes les maisons d’honneur dire que j’avais été en croupe derrière le père La Combe, moi qui n’y fus de ma vie; qu’il n’avait pas été dans leurs maisons le long de la route, mais qu’il était resté dans l’hôtellerie.

[12.] J’avais eu avant ce temps plusieurs songes mystérieux qui me disaient tout cela. Ils s’avisèrent d’une chose qui [255] réussit tout à fait bien à leur entreprise : ils surent que j’avais été à Marseille, ils crurent qu’ils avaient trouvé un bon moyen pour fonder une calomnie. Ils contrefirent une lettre d’une personne de Marseille, je crois même avoir ouï dire de Mgr l’évêque de Marseille, adressant à Mgr l’archevêque de Paris ou à son official, où ils mettaient que j’avais couché à Marseille dans une même chambre avec le père La Combe; qu’il y avait mangé de la viande le carême et fait des choses très scandaleuses. L’on porta cette lettre, l’on débita cette calomnie partout, et après l’avoir bien débitée, le père La Mothe et le p(rovincial), qui avaient concerté cela ensemble, se résolurent de me le dire.

Le père la Mothe me vint voir comme pour me faire tomber dans le piège, et me faire dire en présence des gens qu’il avait amenés, que j’avais été à Marseille avec le père La Combe. Il me dit : «Il y a des mémoires horribles envoyés contre vous par l’évêque de Marseille, que vous y avez fait scandale effroyable avec le père La Combe : il y a bons témoins de cela.» Je me pris à sourire, et lui dis : «La calomnie est bien imaginée, mais il fallait savoir auparavant si le père La Combe avait été à Marseille, car je ne crois pas qu’il y ait été de sa vie; et lorsque j’y passai, c’était le carême. J’étais avec tels et tels, et le père La Combe prêchait le carême à Verceil.» Il demeura interdit, et se retira, disant : «Il y a pourtant des témoins que cela est vrai», et il alla de ce pas demander au père La Combe s’il n’avait pas été autrefois à Marseille. Il l’assura n’avoir jamais été en Provence, ni passé Lyon et la route de Savoie en France, de sorte qu’ils furent un peu étourdis, mais ils trouvèrent un autre expédient. À ceux qui ne pouvaient savoir que le père La Combe n’avait jamais été à Marseille, ils laissaient croire que c’était Marseille, et aux autres, ils disaient que c’était Seyssel, qui était dans la lettre; et ce Seyssel est un lieu où je n’ai jamais été, et où il n’y a point d’évêque.

[13.] Le père La Mothe et le p(rovincial) portaient de maison en maison les libelles et ces propositions de Molinos, disant que c’étaient les erreurs du père La Combe. Tout cela n’empêchait pas que le père La Combe ne fît un fruit merveilleux par ses sermons et au confessionnal. On y venait de tous côtés. Cela les désolait. Le p(rovincial) venait de faire sa visite et avait passé tout proche de la Savoie sans y aller, parce qu’il ne voulait pas, disait-il, faire la visite cette année. Ils complotèrent, le père La Mothe et lui, d’y aller afin d’apporter quelques mémoires contre le père La Combe et contre moi, et d’obliger731 M. de Genève, qu’ils savaient être fort animé contre moi et le père La Combe pour les raisons que j’ai décrites. Le p(rovincial) partit donc, tout arrivant de visiter la province, pour aller en Savoie, et donna les ordres au père La Mothe de ne rien épargner pour perdre le père La Combe.

[14.] Ils complotèrent avec l’official, homme adroit et habile en ces sortes d’affaires. Mais comme il aurait été assez difficile de me mêler dans l’affaire, ils inspirèrent à cette femme de désirer me voir. Elle disait au père La Combe que Dieu lui faisait connaître des choses admirables de moi, qu’elle avait pour moi un amour inconcevable, et qu’elle désirait fort de me voir. Comme d’ailleurs elle disait être fort en nécessité, le père La Combe me l’envoya pour lui faire la charité. Je lui donnai un demi-louis d’or. Elle ne me parut pas d’abord ce qu’elle était, mais après avoir conversé une demi-heure avec elle, j’en eus de l’horreur. Je me le dissimulais à moi-même par les raisons que j’ai dites. À quelques jours de là, je crois trois jours après, elle vint me demander de quoi se faire saigner. Je lui dis que j’avais une fille qui saignait fort bien, et que si elle voulait, je la ferais saigner; elle rebuta fort cela, disant qu’elle n’était pas personne à se faire saigner que par des chirurgiens. Je lui donnai [256] quinze sols : elle les prit avec un dédain qui me fit voir qu’elle n’était pas telle que le père La Combe le croyait. Elle fut aussitôt jeter la pièce de quinze sols au père La Combe, disant si elle était une personne à donner quinze sols. Le père fut surpris. Mais comme le soir elle eut appris de son mari qu’il n’était pas temps d’éclater, mais de feindre, elle fut trouver le père La Combe, lui demandant pardon, disant que c’était une forte tentation qui l’avait fait agir, et qu’elle lui demandait la pièce de quinze sols.

Il ne me dit rien de tout cela, mais je fus plusieurs nuits à souffrir étrangement à l’occasion de cette femme : tantôt en dormant je voyais le démon, puis tout à coup je voyais cette femme, tantôt c’était l’un tantôt c’était l’autre, cela me réveillait en surprise. Je fus trois nuits de cette sorte, avec certitude que c’était une méchante femme, qui contrefaisait la dévote pour tromper et pour nuire. Je le fus dire au père La Combe qui me réprimanda très sévèrement, disant que c’était de mes imaginations, que je manquais de charité, que cette femme était une sainte. Je demeurai donc comme cela.

[15.] Je fus fort étonnée qu’une bonne fille vertueuse que je ne connaissais pas, me vînt trouver et me dit qu’elle s’était crue obligée de m’avertir, sachant que je prenais intérêt au père La Combe, qu’il confessait une femme qui le trompait, qu’elle la connaissait à fond, que c’était peut-être la plus méchante femme et la plus dangereuse qui fût à Paris. Elle me conta des choses étranges que cette femme avait faites, et des vols à Paris. Je lui dis de le déclarer au père La Combe; elle me dit qu’elle lui en avait dit quelque chose, mais qu’il l’en faisait confesser, disant que c’était des choses contre la charité, et qu’ainsi elle ne savait plus que faire. On surprit cette femme dans une boutique où elle disait du mal du père La Combe. L’on le lui vint dire, il ne le voulait pas croire. Elle venait quelquefois au logis, et lorsqu’elle y venait, moi qui n’ai point d’antipathie naturelle, j’en avais une si furieuse, et même tant d’horreur pour cette créature, que la violence que je me faisais pour la voir, afin d’obéir au père La Combe, était telle que j’en devenais extraordinairement pâle et mes domestiques s’en apercevaient. Il y en avait une qui est732 très bonne, c’est celle qui m’a tant fait souffrir pour sa purification, elle sentait pour elle les mêmes horreurs que je sentais. L’on vint avertir le père La Combe qu’il y avait une de ses pénitentes qui l’allait décrier à tous les confesseurs, et dire de lui des choses exécrables : il me les écrivit et me manda en même temps que je n’allasse pas m’imaginer que ce fût cette femme, et que ce n’était pas elle. J’eus une certitude que c’était elle. Une autre fois elle vint au logis : le père y était, elle lui dit quelque chose sur les connaissances qu’elle avait qu’il allait avoir de grandes croix. J’eus aussitôt une certitude que c’était elle qui les faisait. Je le dis au père La Combe qui ne me crut pas pour cela, Notre Seigneur le permettant de la sorte afin de se le rendre semblable. Une chose qui paraît extraordinaire, c’est que le père La Combe, si doux et si crédule pour tout autre qui ne lui disait pas la vérité, ne l’était point pour moi. Il s’en étonnait lui-même et je ne m’en étonne pas, parce que dans la conduite de Dieu sur moi, mes plus intimes sont ceux qui me crucifient le plus.

3.2 INTRIGUES, SUITE

1. Le Père est détrompé. Calomnie sur une grossesse supposée. Changement de stratégie : on met en cause le Moyen facile de faire oraison. 2. ‘Le père La Mothe me vint trouver, disant qu'il y avait à l'archevêché des mémoires effroyables…’ Elle découvre l’alliance ennemie. 3. Le Père La Combe par obéissance manque une occasion de se disculper. 4. Visite de M. l’abbé Gaumont et de M. Bureau. Ce dernier est attaqué, ‘l’on fit travailler l'écrivain … Mme de Miramion, amie de M. Bureau, en vérifia elle-même la fausseté.’ 5. Le Père La Mothe suggère au Père La Combe de ‘se retirer, pour par là le faire passer pour coupable.’ 6. Même tentative auprès d’elle : ‘leur dessein était de rendre le père La Combe criminel par ma fuite.’ 7. Même tentative sur la sœur du tuteur : elle a un soupçon ? le Père La Mothe ajoute : ‘Il faut absolument la faire fuir et c'est le sentiment de Monseigneur l'archevêque.’ 8. ‘Le lendemain le tuteur de mes enfants, ayant pris l'heure de Monseigneur l'archevêque, y alla. Il y trouva le père La Mothe qui y était allé pour le prévenir…’ Le mensonge est ainsi dévoilé.

[l.] Un jour, un religieux qui m’avait confessée autrefois, à qui cette femme alla débiter ses médisances hors du confessionnal, m’envoya prier de l’aller voir. Il me conta tout ce qu’elle lui avait dit et son mari, et les menteries dans lesquelles il l’avait surprise. Pour moi, je la [257] surprenais continuellement en mensonge. Je le fus aussitôt dire au père La Combe. Il fut éclairé tout à coup, et comme si des écailles lui étaient tombées des yeux, il ne douta plus de la malice de cette femme. Plus il repassait ce qu’il avait vu en elle et ce qu’elle lui avait dit, plus il était convaincu de sa malice, et m’avouait qu’il fallait qu’il y eût quelque chose de diabolique dans cette femme pour se faire passer pour sainte. Sitôt que je fus retournée chez moi, elle me vint voir. Je donnai ordre qu’on ne la laissât pas entrer; elle voulait que je lui fisse l’aumône pour payer le loyer de sa maison. Je m’étais trouvée fort mal ce jour-là, et ensuite d’une furieuse altération, l’estomac fort enflé. Une de mes filles lui dit bonnement que je me trouvais mal, que l’on craignait parce que j’avais été hydropique et que j’avais depuis deux jours l’estomac fort enflé. Elle voulait entrer malgré cette fille; lorsque celle qui savait une partie de ses malices fut pour l’empêcher d’entrer et lui dire que l’on ne pouvait me parler, elle les querella : ces filles le souffrirent patiemment. […]

[2.] Le père La Mothe me vint trouver, disant qu’il y avait à l’archevêché des mémoires effroyables contre le père La Combe, qu’il était hérétique et ami de Molinos. Moi, qui savais fort bien qu’il ne le connaissait pas, je l’en assurai, car je ne pouvais croire au commencement qu’il agît de mauvaise foi et qu’il fût de concert avec cette femme. Je lui dis de plus que je savais qu’il avait tout pouvoir auprès de Mgr l’archevêque, que je le priais d’y mener le père La Combe et que sitôt que Mgr l’archevêque lui aurait parlé, il serait détrompé. Il me promit de l’y mener le lendemain, mais il s’en donna bien de garde. Je lui dis la malice de cette femme et ce qu’elle m’avait fait. Il me répondit froidement que c’était une sainte. Ce fut alors que je commençai à découvrir que cela se faisait de concert, et je me vis réduite à dire avec David : Si mon ennemi m’avait fait cela, je n’en serais pas surpris, mais mon plus proche!733 C’est ce qui a rendu ces calomnies plus dures et toute cette affaire plus incompréhensible.

[3.] Je fus trouver le père La Combe au confessionnal, et je lui dis ce que le père La Mothe m’avait dit et qu’il le priât de le mener chez Mgr l’archevêque. Il y fut. Le père La Mothe lui dit qu’il l’y mènerait, que rien ne pressait et que les mémoires n’étaient pas contre lui, mais contre moi, et il fut près d’un mois à nous ballotter, disant au père La Combe que ces mémoires n’étaient pas contre lui, mais contre moi, et à moi, qu’ils étaient contre lui et qu’il n’était pas fait mention de moi. Nous étions confus, le père La Combe et moi, lorsque nous parlions de toutes ces choses et duplicités. Le père La Combe ne laissait pas de prêcher et confesser avec plus d’applaudissements que jamais, [258] et cela augmentait la jalousie et la peine des gens. Le père La Mothe alla pour deux jours à la campagne : le père La Combe restait comme supérieur en son absence, étant le plus ancien. Je lui dis d’aller chez Mgr l’archevêque, de prendre ce temps-là que le père La Mothe n’y était pas. Il me dit que le père La Mothe lui avait dit de ne pas s’écarter de la maison en son absence, qu’il voyait bien qu’il lui serait très nécessaire de voir Mgr l’archevêque, qu’il ne retrouverait jamais peut-être cette occasion, mais qu’il voulait mourir dans l’obéissance, et que, puisque son supérieur lui avait dit de rester en son absence, il le ferait. Il ne lui avait dit cela que pour l’empêcher d’aller chez Mgr l’archevêque en son absence et qu’il ne fît connaître la vérité.

[4.] Il y avait un docteur de Sorbonne (c’est M. Bureau) qui me vint voir deux ou trois fois à l’occasion d’une visite de M. l’abbé de Gaumont, homme d’une pureté admirable, âgé de près de quatre-vingts ans, qui a passé toute sa vie dans la retraite sans diriger, prêcher, ni confesser : il m’avait connue autrefois. Il m’amena donc M. Bureau contre qui le père La Mothe était indigné à l’occasion d’une de ses pénitentes qui l’avait quitté et qui avait été trouver M. Bureau, qui est un très honnête homme. Le père La Mothe me dit à son sujet : «Vous voyez M. Bureau, je ne le souhaite pas.» […] Je lui en demandai la raison, lui disant que je ne l’avais pas été chercher, mais qu’il était venu me voir et cela assez rarement, que je ne trouvais pas à propos de le faire sortir de chez moi, que c’était un homme en très grande réputation. Il me dit qu’il lui avait fait tort. Je voulais savoir quel était ce tort, j’appris que c’était parce que cette pénitente, qui avait donné beaucoup au père La Mothe et qui ne l’avait quitté que parce qu’il était intéressé, avait été vers M. Bureau. Je ne crus pas que cette raison fût juste pour écarter un homme qui m’avait rendu service et auquel j’avais obligation, et qui était d’ailleurs un vrai serviteur de Dieu. Le père La Mothe alla déposer lui-même à l’officialité que je faisais des assemblées avec M. Bureau et qu’il en avait même rompu quelqu’une, ce qui était très faux. Il le dit encore à d’autres, qui me le redirent, de sorte que je le sus de M. l’official et des autres. Il m’accusa encore de bien d’autres choses. Sans autre forme de procès on attaqua M. Bureau. L’official était ravi d’avoir cette occasion pour maltraiter M. Bureau qu’il haïssait depuis longtemps.

L’on fit travailler l’écrivain, mari de cette méchante femme, contre M. Bureau et en peu de temps il y eut des lettres contrefaites des supérieurs des maisons religieuses où M. Bureau dirigeait et confessait, qui écrivaient à M. l’official que M. Bureau leur prêchait et enseignait des erreurs, et qu’il mettait le trouble dans les maisons religieuses. Il ne fut pas difficile à M. Bureau de prouver la fausseté de ces lettres, car les supérieurs les désavouèrent. Mme de Miramion734, amie de M. Bureau, en vérifia elle-même la fausseté; cependant, loin de faire justice à M. Bureau, l’on fit croire à Sa Majesté qu’il était coupable, et on l’exila, comme je le dirai après, abusant du zèle de la religion du roi pour faire servir l’autorité à la passion de ces gens-là.

[5.] Un jour le père La Mothe me vint voir, me disant que c’était tout de bon qu’il y avait des mémoires horribles contre le père La Combe et m’insinuant de le porter à se retirer, pour par là le faire passer pour coupable; car il était fort en peine (de trouver) comment le perdre, parce qu’en le jugeant eux-mêmes, ou le renvoyant, le père général aurait eu connaissance de tout et l’innocence du père La Combe et la malice des autres auraient été connues. Ils étaient embarrassés à trouver des inventions. Je dis au père La Mothe que si le père La Combe était coupable, il fallait le punir, je parlais bien hardiment connaissant à fond son innocence, et ainsi qu’il n’y avait rien à faire pour lui que d’attendre en patience ce que Dieu voudrait faire; qu’au reste, il devait735 bien l’avoir mené à Mgr l’archevêque pour faire voir son innocence. Je l’en priai même avec toutes les instances possibles. Le père La Combe de son côté le [259] pria de l’y laisser aller s’il ne voulait pas l’y mener, il disait toujours qu’il le mènerait lui-même demain ou un autre jour, puis il y avait eu des affaires qui l’en avaient empêché, et il y allait seul bien des fois.

[6.] Voyant que le père La Combe attendait en patience sa mauvaise fortune, et n’ayant pas encore trouvé le dernier expédient qui leur a réussi pour le perdre, le père La Mothe leva le masque et m’ayant fait avertir à l’église où j’étais de lui venir parler, ayant pris avec lui le père La Combe, il me dit devant lui : «C’est à présent, ma sœur, qu’il faut que vous songiez à vous enfuir; il y a contre vous des mémoires exécrables. On dit que vous avez fait des crimes qui font frémir.» Je n’en fus ni émue, ni étourdie, non plus que s’il m’eût dit une chanson qui ne m’eût en rien touchée. Je lui dis avec ma tranquillité ordinaire : «Si j’ai fait les crimes que vous dites, je ne saurais être trop punie, c’est pourquoi je suis éloignée de vouloir fuir, car si ayant fait toute ma vie profession d’être à Dieu d’une manière particulière, je me suis servie de la piété pour l’offenser, lui que je voudrais aimer et faire aimer aux dépens de ma vie, il faut que je serve d’exemple, et que je sois punie avec la dernière rigueur. Que si je suis innocente, ce n’est pas le moyen de le faire croire que de fuir.» Leur dessein était de rendre le père La Combe criminel par ma fuite, et de me faire aller par là à Montargis, comme ils l’avaient prétendu.

[7.] Comme il vit que, loin d’entrer dans sa proposition, je demeurais immobile et ferme dans le dessein de tout souffrir plutôt que de fuir, il me dit tout en colère : «Puisque vous ne voulez pas faire ce que je vous dis, j’en irai avertir la famille — parlant de celle du tuteur de mes enfants — afin qu’elle vous le fasse faire.» Je lui dis que je n’avais rien dit de tout cela au tuteur de mes enfants, ni à sa famille, et que cela les surprendrait; que je le priais de me laisser aller la première leur parler, ou du moins d’agréer que nous y fussions ensemble. Il demeura d’accord que nous irions ensemble le lendemain. Sitôt que je l’eus quitté, Notre Seigneur, qui voulait que je visse tout au long la menée de cette affaire, afin que je ne la pusse ignorer, — car Notre Seigneur n’a pas permis que rien m’ait échappé, non pour lui en vouloir du mal, car je n’ai jamais senti le moindre fiel contre mes persécuteurs, mais afin que rien ne me fût caché, et qu’en le souffrant tout pour son amour j’en fisse le fidèle récit, — il me frappa d’abord au cœur que le père La Mothe était parti pour aller de ce pas prévenir la famille contre moi, et leur faire entendre ce qu’il voudrait.

J’envoyai mon laquais toujours courant pour voir si ma pensée était véritable et pour avoir un carrosse afin d’y aller moi-même. Le père La Mothe y était déjà, j’y allai. Lorsqu’il sut que j’avais découvert qu’il était là, il en devint si furieux qu’il ne put s’empêcher de le faire paraître, et sitôt qu’il fut retourné au couvent, il déchargea son chagrin736 sur le pauvre père La Combe. Il ne trouva pas le tuteur de mes enfants, mais il avait parlé à la sœur, femme d’un maître des comptes, personne de mérite. Lorsqu’il lui dit que l’on m’accusait de crimes effroyables et qu’il fallait me faire fuir, elle lui répartit : «Si N., parlant de moi, a fait les crimes que vous dites, je crois les avoir faits moi-même. Quoi? Une personne qui a vécu comme celle-là a vécu? Je répondrais d’elle corps pour corps. Pour la faire enfuir? Sa fuite n’est pas indifférente, car si elle est innocente, c’est la déclarer coupable.» Il ajouta : «Il faut absolument la faire fuir et c’est le sentiment de Mgr l’archevêque.» Elle lui demanda où il fallait que je m’enfuisse. Il répondit : «  à Montargis.» Cela lui donna quelque soupçon. Elle lui dit qu’il fallait consulter son frère et qu’il verrait Mgr l’archevêque. À cela il demeura tout interdit et pria qu’on n’allât point voir Mgr l’archevêque, qu’il y avait plus d’intérêt qu’un autre, et qu’il irait lui-même. J’arrivai comme il venait de sortir; elle me dit tout cela, et je lui contai d’un bout à l’autre tout ce qu’il m’avait dit. Comme elle a bien de l’esprit, elle comprit qu’il y avait quelque chose. Il revint; il se coupa quantité de fois devant elle et devant moi.

[8.] Le lendemain, le tuteur de mes enfants ayant pris l’heure737 de [260] Mgr l’archevêque, y alla. Il y trouva le père La Mothe qui y était allé pour le prévenir, mais il n’avait pu y entrer. Lorsqu’il vit le tuteur de mes enfants, conseiller du Parlement, il fut fort étonné, il pâlit et puis il rougit, et enfin en l’abordant, il le pria de ne point parler à Mgr l’archevêque, que c’était à lui à faire cela et qu’il le ferait.

Le conseiller tint toujours ferme qu’il voulait lui parler. Le père, voyant qu’il ne pouvait l’en empêcher, lui dit : «Mais vous ne vous souvenez donc plus de ce que ma sœur a fait cet hiver», parlant d’une brouillerie que lui-même avait faite. Le conseiller lui répondit bien honnêtement : «J’oublie tout cela pour me souvenir que je suis obligé de la servir dans une affaire de cette nature.»

Voyant qu’il ne pouvait rien gagner, il le pria que pour le moins il pût parler le premier à Mgr l’archevêque. Cela fit croire au conseiller qu’il n’allait pas droit. Il lui dit : «Mon Père, si Monseigneur l’archevêque vous appelle le premier, vous y entrerez le premier, sinon j’y entrerai. - Mais Monsieur, ajouta-t-il, je dirai que vous êtes là. - Et moi, dit le conseiller, je dirai que vous y êtes.»

Là-dessus, Monseigneur l’archevêque, qui ne savait rien de tout ce démêlé, appela le conseiller qui lui dit qu’on lui avait fait entendre qu’il y avait des mémoires étranges contre moi, qu’il me connaissait depuis longtemps pour une femme de vertu et qu’il répondait de moi corps pour corps; que s’il y avait quelque chose contre moi, c’était à lui qu’il fallait s’adresser et qu’il répondrait de tout. Monseigneur l’archevêque dit qu’il ne savait ce que c’était, qu’il n’avait pas ouï parler de moi, mais bien d’un père. Sur cela, le conseiller dit que le père La Mothe lui avait dit que Sa Grandeur me conseillait même de m’enfuir. L’archevêque dit que cela n’était point vrai, et qu’il n’avait jamais ouï parler de cela.

Sur quoi le conseiller lui demanda s’il agréerait de faire appeler le père La Mothe pour lui dire cela. L’on le fit venir, et Monseigneur l’archevêque lui demanda où il avait pris cela et que pour lui, il n’en avait jamais ouï parler. Le père La Mothe se défendit fort mal et dit que c’était du p(ère provincial) qu’il l’avait entendu. Au sortir de chez Monseigneur l’archevêque, il était tout furieux et vint trouver le père La Combe pour décharger sa colère, lui disant que l’on se repentirait de l’affront qu’on lui avait fait et qu’il saurait en faire repentir.

La suite des témoignages extraits de la Vie par elle-même rapporte l’arrestation de La Combe. Elle est reportée après la section consacrée aux Ecrits, en ouverture de la section « III. Vingt-huit années de Prison. »






PREMIERS ÉCHANGES ÉPISTOLAIRES (1683, 1685)

La séquence de la correspondance de Lacombe est extraite de [CG I] et de [CG II]. Elle débute par quelques lettres écrites du temps de sa liberté en 1683 et 1685 que nous éditons ici dans notre première section. Les suivantes, beaucoup plus nombreuses, couvrent les années 1690-1695. Elles figurent en troisième section consacrée à la période des prisons.

Les deux premières lettres sont les seules que nous possédions provenant de madame Guyon (la correspondance antérieure à 1686 datant des voyages a presque entièrement disparu ; puis au début de leurs installations à Paris ils pouvaient se rencontrer ce qui ne nécessitait aucune correspondance écrite; par la suite madame Guyon ne pouvait répondre à un prisonnier bien surveillé (ou du moins aucune ne nous est parvenue).

Madame Guyon n’est pas encore la «dame directrice» : elle demande de l’aide!

Nous y adjoignons deux lettres adressées par Lacombe à Mgr d’Aranthon datées d’avant les prisons. Les rapports se gâtent…

Echanges avec Madame Guyon

2. [DE MADAME GUYON] AU PERE LACOMBE 1683.

«Pressentiment d’un extrême délaissement» (Poiret)738

J’ai été à la messe du matin dans la chapelle, où j’ai eu une impression que je devais avoir quantité de croix, et que celles que j’avais eues depuis que je suis sortie de France, étaient un repos et une trêve, et non des croix, en comparaison de celles que je dois avoir. Le cœur, et tout, était soumis et voulait bien n’être pas épargné, mais la nature en frémissait. Deux personnes qui m’en doivent le plus causer, m’ont été mises dans l’esprit, et elles me les doivent causer extérieures et intérieures tout ensemble. Il faut que l’ordre et la suprême volonté de Dieu s’accomplissent. Il fallut que je m’offrisse à les porter avec ou sans résignation et amour connus.

Toutes les croix que j’ai portées en France, je les ai portées tantôt avec amour aperçu, tantôt avec peine, mais quoique la nature se révoltât souvent sous leur poids et avec leur continuation, le fond était soumis, et estimait la croix; et quoique la nature parût révoltée, sitôt que je cessais de souffrir, je souffrais de ne souffrir plus. Depuis que j’ai éprouvé l’état de consistance, toutes les croix m’ont été indifférentes : elles ne m’étaient ni douces, ni amères. Mais à présent, il faudra en souffrir d’extrêmes avec révolte et, ce qui sera de plus humiliant, c’est que ces croix ne seront que des croix de paille, qui ne seront compaties de personne, et qui seront la risée des uns et le mépris et la mésestime des autres. Voilà ce qui m’est venu, qui fait encore frémir la nature, à qui il ne sera donné nul secours ni du ciel ni de la terre, car il me faut éprouver le délaissement réel, intérieur et extérieur de Jésus-Christ sur la croix, mais cela pour du temps.

O pauvre créature [madame Guyon !], à quoi es-tu destinée? À être un sujet de honte, d’ignominie, d’abandon total. Ô Dieu, faites Votre volonté de cette créature et, après l’avoir rendue en ce monde, la plus misérable qui fût jamais, faites d’elle dans l’éternité tout ce qu’il Vous plaira. Il n’y a rien à espérer de moi ni par moi, du moins de longtemps. Mon sort est l’ignominie et l’infamie, et le délaissement le plus étrange. Ô vous qui êtes soutenu de lumières [P. La Combe !], vous avez un lieu de refuge; vous n’êtes pas à plaindre quand vous seriez réduit à une prison perpétuelle739! Mais pour moi, Dieu ne veut pas que je retourne encore chez nous, pour me rendre vagabonde, la plus délaissée et abandonnée qui fut jamais, et décriée partout. Ô Dieu, les renards ont des tanières740, mais je n’aurai point de refuge! Ceci vous paraîtra une imagination, mais quoique je n’en sache pas le temps, cela arrivera très assurément, et alors vous vous souviendrez que je vous l’ai dit. 1683.

Source :

– Première lettre éditée à la fin de la Vie comme «Addition de quelques lettres qui ont relation à l’histoire de la Vie de Madame Guyon». Poiret la fait précéder du résumé suivant que nous reprenons partiellement en tête du texte : «Pressentiment d’un extrême délaissement après plusieurs autres afflictions».

3. [DE MADAME GUYON] AU PERE LACOMBE. 28 février (?) 1683.

Le songe «scandaleux» de la lune sous les pieds. Prévision de persécutions qui ne détruiront pas l’union spirituelle.

Ce 28 février 1683741.

Il me semble que jusqu’ici l’union qui est entre nous avait été couverte de beaucoup deb nuages, mais à présent, cela est tellement éclairci que je ne peuxc plus vous distinguer ni de Dieu ni de moi; et la même impuissance que j’éprouve depuis longtemps de me tourner vers Dieu à cause de l’immobilité, je l’éprouve un peu à votre égard, quoique imparfaitement, quoique d’uned manière si pure, si insensible, si paisible, si profonde, que cela ne se peut dire. Ma fièvre s’opiniâtre étrangement, comment va la vôtre? Ile me vient dans l’esprit que, lorsque votre anéantissement sera consommé en degré conforme par la nouvelle vie, [f°38v°] vous ne sentirez plus rien, ni ne distinguerez plus rien, et comme Dieu ne Se distingue plus dans l’unité parfaite, aussi les âmes consommées en unité en Lui ne se distinguent plus : celle des âmesf unies à Dieu ne se distinguent guère, quoique l’intimité du dedans opère une correspondance autant pure que divine. À mesure que vous perdrez toute distinction pour Dieu, vous perdrez toute distinction pour les âmes perdues en Lui, non par oubli comme des autres créatures, mais par intimité. Dieu a voulu vous la faire sentir dans les commencements, afin que vous n’en puissiez douter; et vous la connaîtrez dans la suite par la croix742.

Il y aura quantité de croix qui nous seront communes; mais vous [f°39] remarquerez qu’elles nous uniront davantage en Dieu par une fermeté invariableg à soutenir toutes sortes de maux. Il me semble que Dieu me veut donner une génération spirituelle et bien des enfants de grâce; que Dieu me rendra féconde en Lui-même. Vousgg aurez des croix et des prisons qui nous sépareront corporellement, mais l’union en Dieu sera ferme et inviolableggg. L’onh sent la division, quoique l’on ne sente pas l’union.

J’ai fait cette nuit un songe qui marque d’étranges renversements, si l’onij pouvait s’y arrêter. À mon réveil, mes sens en étaient tout émus. Il n’arrivera que ce que le Maître voudra. Il menace bien et la tempête gronde longtemps : je ne sais quelle sera la foudre, mais [f°39v°] il me semble que tout l’enfer se bandera pour empêcher le progrès de l’intérieur et la formation de Jésus-Christ dans les âmes. Cette tempête sera si forte qu’à moins d’une grande protection et fidélité, on aura peine à la soutenir. Il me semble qu’elle vous causera agitation et doute, parce que votre état ne vous ôte point toute réflexion. La tempête sera telle qu’il ne restera pas pierre sur pierre. Tous vos amis seront dissipés, et ceux qui vous resteront, vous renonceront et auront honte de vous, en sorte qu’à peine vous restera-t-il une seule personne. Ceci sera très long, et une suite et un enchaînement de croix si étranges, d’abjections, de confusions, quek vous en serez surpris. Et comme avant que la fin du monde qui est proprement le second avènement de Jésus-Christ, arrivel, il se passera d’étranges choses, à proportion de cet avènement, il en arrivera autant ici, et il semble même que dans toute la terre, il y aura troubles, guerres et renversements; et comme le Fils de Dieu, ou plutôt Ses enfants, indivisiblementm avec Lui, seront répandus par toute la terre, il faut que le Prince de ce monde remue toute la terre de divisionsn, signes et misères, [qui] o plus elles seront fortes, plus la paix sera proche. Et comme Jésus-Christ naquit dans la paix de tout le monde, il ne naîtra pour ainsi dire spirituellement quep dans la paix générale, qui sera durable pour duq temps. L’Évangile sera prêché par toute la terre, mais comme (toutes) lesr vertus du ciel seront ébranlées743, croyez que vous le serez vous-même pour des [f°40] moments, et que le Démon attaquant les ciel de votre esprit, vous portera à vouloir tout quitter; mais Dieu, qui vous a destiné pour Lui, vous fera voir la tromperie. Je vous avertis de n’écouter votre raisonnement et vos réflexions que le moins que vous pourrez, et j’ai un fort instinct de vous dire de garder cette lettre, même de la cacheter de votre main, afin que lorsque les choses arriveront, vous voyiez qu’elles vous ont été prédites lorsqu’elles arriveront. Net dites pas que vous ne voulez point d’assurance, car il ne s’agit pas de cela, mais de la gloire de Dieu. Rien ne pourra vous en donner alors.

Je ne sais ce que j’écris. Allons, il n’est plus temps ni pour vous ni pour moi d’être malades. Levons-nous, car [f°40v°] le Prince de ce monde approche. De même qu’avant la venue de Jésus-Christ, il s’était fait quantité de meurtresu des prophètes, de guerres, que le peuple juif avait été comme anéanti, aussi la véritable piété, qui est le culte intérieur, sera presque détruite : il sera persécuté [ce culte intérieur] v, en la personne des prophètes, c’est-à-dire de ceux qui l’ont enseigné, et la désolation sera grande sur la terre. Durant ce temps, la femme sera enceinte744, c’est-à-dire pleine de cet esprit intérieur, et le dragon se tiendra debout devant elle, sans pourtant lui nuire, parce qu’elle est environnée du soleil de justice, et qu’elle a la lune sous ses pieds, qui est la mobilité et l’inconstance, et que les vertus de Dieu lui serviront de [f°41] couronne; mais il new laissera pas de se tenir toujours debout devant elle et de la persécuter de cette manière. Mais quoiqu’elle souffre longtemps de terribles douleurs de l’enfantement spirituel, qu’elle crie même par lax véhémence, Dieuxx protégera son fruit et, lorsqu’il sera véritablement produit, et non connu, il sera caché en Dieu jusqu’au jour de la manifestation, jusqu’à ce que la paix soit sur la terre. La femme sera dans le désert sans soutien humain, cachée et inconnue, l’on vomira contre elle les fleuves de la calomnie et de la persécution, mais elle sera aidée des ailes de la colombe745; ne touchant pas à la terre, le fleuve seray englouti, durant qu’elle demeurera intérieurement libre, [f°41v°] qu’elle volera comme la colombe et qu’elle se reposera véritablement sans crainte, sans soins et sans souci. Il est dit qu’elle y sera nourrie et non qu’elle s’y nourrira, sa perte ne lui permettant pas de faire réflexion sur ce qu’elle deviendra, etz de penser pour peu que ce soit à elle. Dieu en aura soin. Je prie Dieu, si c’est pour Sa gloire, de vous donner intelligence de ceci746. (1683.)

Sources et annotations :

– Archives Saint-Sulpice [A.S.-S.] ms. 2043 : «Différentes pièces pour la justification de Madame Guyon/Sa justification par elle-même/affaire de M. de Fîtes [de Filtz]/Lettre du père Richebracque», quatrième pièce, f ° 38 à f ° 42, copie de la lettre adressée par Madame Guyon au P. Lacombe -- A.S.-S., ms. 2179, pièce 7593, copie Chevreuse en deux feuillets --Deuxième lettre éditée à la fin de la Vie, «Addition de quelques lettres…» -- Phelipeaux, Relation de l’origine, du progrès et de la condamnation du quiétisme répandu en France. Avec plusieurs anecdotes curieuses, 1732, t. I, p. 24 -- Lettre éditée par Urbain-Levesque [UL], Correspondance de Bossuet, tome VI, app. III, 6°, 542-546.

La copie manuscrite s’avère plus proche de l’original que ce n’est le cas du texte donné à la fin de la Vie, comme le montrent les variantes ci-dessous qui soulignent cependant la fidélité de l’éditeur Poiret. Celui-ci se limite à une toilette éditoriale, probablement semblable pour les six autres lettres de la même addition.

Dans la pièce 7593, cette lettre est précédée de l’ajout suivant de la main de Chevreuse : «Nota. Cette copie a été corrigée sur l’original 26e août 1693. /Copie faite le 22e janvier 1691 d’une autre copie que l’on avait faite le 10e août de l’année 1690, sur la copie que M[onsieur] L[e] D[uc] D[e] C[hevreuse] avait faite par ordre de l’auteur sur l’original qui lui avait été donné par le même auteur avec d’autres lettres, lesquelles toutes avaient été envoyées [...] par celui à qui elles étaient écrites [il s’agit de Lacombe], lorsqu’il crut ne les devoir plus garder entre ses mains. Car l’auteur [Madame Guyon] ne les voulant pas garder non plus les remit à M. L [e] D [uc] D [e] C [hevreuse] qui, quelque temps après, renvoya celle-ci par l’ordre de l’auteur à celui pour qui elle avait été écrite...». On voit ici le jeu compliqué des précautions prises dans le cercle guyonnien pour préserver des lettres jugées significatives -- et l’on devine les tentations prophétiques auxquelles s’opposera Madame Guyon (cf. infra note 4 l’ajout contourné de Chevreuse).

Dans sa Relation sur le Quiétisme (Sect. II, n. 16, p. 23), Bossuet déclare : «J’ai transcrit de ma main une de ses lettres au P. La Combe, duquel il faudra parler en son lieu : j’ai rendu un exemplaire d’une main bien sûre qui m’avait été donné pour le copier. Sans m’arrêter à des prédictions mêlées de vrai et de faux, qu’elle hasarde sans cesse, je remarquerai seulement qu’elle y confirme ses creuses visions sur la femme enceinte de l’Apocalypse, et que c’est peut-être pour cette raison qu’elle insère dans sa Vie cette prétendue lettre prophétique.» Levesque commente : «C’est sans doute sur cette copie faite par Bossuet sur une autre copie, et non sur l’original, que Phelipeaux, puis Deforis ont imprimé cette lettre. Pourtant il y a entre ces deux éditeurs des différences assez sensibles. D’abord Phelipeaux nous avertit qu’il ne donne pas le début de la lettre; Deforis ne semble pas avoir soupçonné l’existence de cette première partie…».


Variantes :

a date absente de la Vie (qui indique l’année à la fin de la lettre).

b beaucoup couverte de var. Vie (comme toutes celles données ci-après sans référence).

c puis

d quoique fort imparfaitement, mais d’une

e dire. Il omission.

f plus. /Les âmes

g inviolable

gggrâce, qu’elle me rendra féconde en ce monde; vous Phelipeaux

gggsera inviolable Phelipeaux

h On

ij si on

k croix, d’abjections, de confusions si étranges que

l monde [qui est proprement le second avènement du Fils de l’homme] arrive

m enfants, qui sont indivisiblement Vie ou plutôt ce second enfant indivisiblement Phelipeaux

n terre par des divisions

o correction Vie

p naîtra [pour ainsi dire] spirituellement dans les âmes que

q un

r comme toutes les

s Démon, offusquant le

t prédites. Ne omission.

u un mot effacé, meurtres add. interl.

v [ce culte intérieur] addition Vie que nous adoptons.

w couronne. Cependant ce Dragon ne

x même avec la

xxlongtemps par de terribles douleurs de l’enfantement spirituel, qu’elle a crié même par la violence, Dieu Phelipeaux

y fleuve y sera

z ni

1 Matthieu, 24, 14-29.

2 Apocalypse, 12.

3 L’Esprit-Saint.

4. DU PERE LACOMBE À MADAME GUYON. 1683.

Pressentiment d’abaissements.

Je suis pressé de vous écrire que j’ai un fort pressentiment que la conduite que Dieu veut tenir sur vous, du moins pour bien des années, sera bien éloignée des pensées des hommes, tant de ceux qui raisonnent humainement, que de ceux qui passent pour fort spirituels. Tout ce qui vous est arrivé d’humiliant jusqu’ici, est une grande gloire au prix des abaissements qui vous sont préparés. Les aventures les plus étranges seront votre partage; un enchaînement de providences abjectes, crucifiantes, impénétrables, vous causera une grêle de croix. Il n’y aura point pour vous longtemps d’autre établissement que celui de votre fond perdu en Dieu avec Jésus-Christ. Ô que celui-là est bien établi, et que vous êtes en cela professe d’un grand ordre, qui est l’ordre éternel et invariable! Mais pour l’extérieur, il sera aussi incertain et flottant comme l’était celui de Jésus-Christ. Je ne dis pas ceci par un esprit de prédiction, mais par une intime conviction que j’ai que votre état présent, et les démarches que Dieu vous a fait faire jusqu’ici, en sont un présage assez sûr. Car nous voyons bien que tout va en diminuant à l’égard des hommes, et que tout manque à leurs désirs et leurs sentiments; mais rien n’échappera à l’ordre de Dieu.

O femme désolée! ce n’est rien que votre délaissement présent eu égard à celui où vous devez être réduite lorsqu’on ne saura que faire de vous, ni où vous mettre, et que ceux qui espèrent maintenant, vous voyant inflexible, se retireront en branlant la tête sur vous, et s’écrieront : «Hélas! C’est grande pitié : cette grande âme est perdue! Mais c’est à son dam puisque c’est pour s’être attachée obstinément aux illusions de son nouveau directeur». Votre état extérieur sera aussi peu compris que l’intérieur. Et comme si on savait la disposition de votre fond, on en serait effrayé, de même voyant les misères du dehors qui vous accableront, on en aura horreur. Je crois que ce sera là le désert où la femme sera nourrie de Dieu durant la persécution du Dragon; et ce sera un désert, pour le grand délaissement des créatures où elle se trouvera, et y sera nourrie de Dieu, qui sera toute sa force.

Comme votre anéantissement intérieur est extrême, il faut que l’extérieur y réponde, car ce n’est pas en vain que Dieu S’est mis en vous pour être votre force divine. Dans tout cela, je ne saurais ni craindre pour vous, parce que Jésus-Christ pourra tout en vous, ni vous plaindre, parce que tout cela vous rendra d’autant plus transformée en Jésus-Christ, et tout cela même vous sera Jésus-Christ. Venez donc, croix, abjections, opprobres, disgrâces, inondations, déluges et abîmes de misères : fondez sur la femme forte. Dieu vous portera de Ses mains.

Je comprends fort bien que c’est pour cela que Dieu vous a adressée à moi, afin que mes imprudences et la pauvreté de ma conduite contribuent à vous détruire terriblement747, vous enfonçant d’autant plus dans la boue que plus je croirai vous en tirer. Mais je suis sûr que je ne vous tromperai jamais, car tout vous étant devenu Dieu, mes tromperies mêmes vous seraient Dieu, et une âme abandonnée au point que vous l’êtes ne peut rencontrer, quelque part qu’elle tombe, que Dieu et Son ordre. Je porte une profonde frayeur de tout ceci, et si j’osais demander quelque chose à Dieu, je Le prierais de ne pas permettre que je vous manque jamais. Offrez-moi à Lui sans réserve. Je vous sacrifie de bon cœur à Sa gloire. Ce serait grand dommage si le fond de grâce qu’Il a mis en vous était épargné. 1683.

Source :

-- Troisième lettre éditée à la fin de la Vie, «Addition de quelques lettres…», avec le résumé suivant de Poiret : «Il lui prédit les terribles croix et les délaissements tant de l’extérieur que de l’intérieur qui lui sont effectivement arrivés.»




Echanges avec Mgr d’Aranthon d’Alex

On a vu que François La Combe qui reçut l’habit des barnabites au collège de Thonon fut ordonné prêtre le 19 mai 1663 par Jean d’Arenthon d’Alex, évêque de Genève. Leurs rapports se détériorèrent.

5.  DU P. LACOMBE À MGR D’ARANTHON D’ALEX. 3 juin 1685.

Demande de servir dans son diocèse.

[Verceil], 3 juin 1685.

Monseigneur,

Je ne pourrais être que de corps partout ailleurs qu’à Genève ou dans le diocèse. Tout m’est exil, et ce lieu seulement me paraît mon pays et la Terre promise. Si Votre Grandeur avait voulu recevoir les propositions que je lui avais faites, sans y comprendre Gex, j’aurais été la trouver au sortir de Grenoble; mais, la voyant si prévenue et si portée à me donner à d’autres, lorsque je protestais ne vouloir avoir affaire qu’à elle seule, j’ai cru qu’il fallait différer jusqu’à ce que la Providence secondât mon inclination. Je ne saurais m’empêcher de témoigner en toute rencontre à Votre Grandeur combien je l’honore et combien ses intérêts me sont chers; si elle me veut donner un trou748 à Saint-Gervais, elle verra ma fidélité malgré tout ce qu’on lui aura pu persuader du contraire, avec quelle affection j’emploierai ce qui me reste de bien et de vie pour le service de ce cher diocèse. Votre Grandeur me trouvera toujours disposée, quand il lui plaira, à tout ce qu’elle voudra ordonner.


Source et annotations :

-- Eclaircissemens sur la vie de Messire Jean d’Aranthon d’Alex, évêque et prince de Genève, A Chambéry, Jean Gorrin, 1699, p. 39. Cette lettre suit celle du P. Lacombe qui figure dans notre volume II : Combats, où nous avons regroupé la correspondance Lacombe

-- Seconde source : Phelippeaux, Relation de l’origine, du progrès et de la condamnation du quiétisme répandu en France. Avec plusieurs Anecdotes curieuses, 1732, t. I, p. 15; en marge figure : «Eclairc. sur la vie d’Aranthon p. 39».

-- La lettre du P. Lacombe fut éditée d’après Phelippeaux par le bossuétiste Levesque (UL, tome VI, ap. III, 8 °, p. 549), avec l’explication suivante : «[…] D’abord bien vu par l’évêque de Genève, le P. Lacombe lui exposa un jour si clairement son quiétisme que le prélat ouvrit les yeux et frappa le religieux d’interdit : il pria ses supérieurs de le retirer du diocèse, où il lui fit défense de jamais rentrer. Mme Guyon fut également priée de se retirer. Elle partit pour Turin, et retrouva le P. Lacombe à Verceil en 1685. C’est de là qu’elle écrivit cette lettre pour obtenir l’autorisation de rentrer dans le diocèse de Genève, mais Mgr d’Arenthon ne voulut pas lui permettre de revenir.»

-- On se reportera à la section première des Eclaicissemens…, «L’intégrité de la foi : son zèle contre le quiétisme», p. 10 à 60, où dom Innocent Le Masson répond sans ménagement à «un libelle diffamatoire de la part des amis des deux personnes, […] imprimé à Genève, et de là répandu à Grenoble et par toute la France : on m’y accusait d’imposture et de calomnie, et on y relevait l’innocence et le mérite du Père la Combe et de la Dame…» (p.12; v. aussi la Préface, p. 4).

6. DU P. LACOMBE A MGR D’ARENTHON d’ALEX. 12 juin 1685.

Monseigneur,

L’évêque que je sers749, ayant fort pressé Madame Guyon de venir dans son diocèse, l’y a accueillie avec de grandes bontés, et conférant souvent avec elle, il l’a goûtée extrêmement. Il voudrait lui associer750 quelques personnes de naissance et de piété pour faire un établissement en forme de congrégation séculière751 dans la ville de Bielle, auprès de la célèbre dévotion de Notre-Dame de l’Oropé; mais ni elle ni moi n’avons aucun empressement pour cela, parce qu’il nous semble que sa vocation est pour le diocèse de Genève, quoique Dieu permette qu’elle en soit éloignée pour un temps, et je suis sûr qu’elle aimerait mieux y vivre particulière752, que d’être fondatrice en ces quartiers, hors que dans les conjonctures présentes elle ne saurait s’arrêter à Gex. Je ne m’étends pas sur nos dispositions passées ni sur toutes les providences : tout est bon dans l’ordre de Dieu qui saura en tirer Sa gloire. Mais il est bon que Votre Grandeur sache les présentes, surtout s’il y avait lieu d’avoir un petit coin pour elle dans le quartier de Saint-Gervais753 ainsi qu’on nous en donne de grandes espérances, et que Votre Grandeur ne la jugeât pas indigne de cette grâce. Elle serait, Monseigneur, toute à vous, nonobstant les instances qu’on lui fait sincèrement de s’établir ici. On ne doit pas croire pour cela, que je veuille me procurer un poste dans ma patrie754, Dieu qui m’a fait la grâce d’obéir à ses ordres encore pour venir ici, me la continuera par sa bonté infinie pour y demeurer, et partout ailleurs, autant qu’il lui plaira de m’y souffrir. J’oubliais, Monseigneur, de vous dire que la pieuse Dame est prête à vous obéir en toutes choses, pourvu que vous la teniez immédiatement sous votre conduite, et qu’elle n’ait à rendre compte qu’à Votre Grandeur755 ce que je promets de ne contrarier en aucune manière, etc.


Éclaircissement sur la vie de Messire Jean d’Aranthon d’Alex, évêque et prince de Genève […], Chambéry, 1699, p. 38. – Phelipeaux, Relation, 1732, t. I, p. 16. Cette lettre accompagnait celle de Madame Guyon adressée de Verceil au même d’Arenthon d’Alex, le 3 juin 1685 (reproduite dans notre vol. I), où elle demande de servir dans son diocèse : «Je ne pourrais être que de corps partout ailleurs qu’à Genève […] Si elle [Votre Grandeur] me veut donner un trou à Saint-Gervais, elle verra ma fidélité…»

-- Phelipeaux joint à ces deux lettres, une abjuration «d’un élève du père la Combe et de Madame Guyon». Elle est intéressante par sa longue liste de propositions «quiétistes» : «Que les âmes qui veulent entrer dans la voie de la vie intérieure, doivent anéantir leurs puissances et s’abandonner à Dieu, se tenir en repos comme un corps mort; que c’est offenser Dieu que de vouloir agir; que l’activité naturelle est ennemie de la grâce…» (Relation, t. I, p. 18-20.)

7. DU PERE LACOMBE A D’ARENTHON d’ALEX. Juin 1685.

Monseigneur,

Votre Grandeur aura la satisfaction qu’elle a si fort désirée, de me voir hors de son diocèse, non pas par les voies que les hommes avaient tentées par leur adresse, mais par celles que la Sagesse éternelle avait choisies. J’en sors donc pour obéir à Dieu, comme j’y étais entré par Son ordre, sans avoir non plus contribué à ma sortie qu’à mon entrée. Mais, me permettez-vous bien, Monseigneur, de vous témoigner dans un profond respect, que j’en sors après avoir essuyé des traitements et inouïs et extrêmes, pour avoir livré mon âme à la mort, et sacrifié ma réputation à l’usage que vous feriez de ce que j’entreprenais sous le dernier secret pour la sanctification de la vôtre. Il y aurait trop à dire si je voulais me justifier sur cela, et surtout [sur] ce qui s’en est ensuivi, et aussi ne le prétends-je pas. Votre Grandeur l’aurait fait elle-même par sa bonté et par sa pénétration judicieuse, n’eût été qu’elle déféra trop à la passion de mes adversaires, qui s’érigent en maîtres de ce qu’ils n’ont jamais étudié, et qui condamnent les sciences mystiques dont ils ignorent les termes. Plût à mon Dieu, pour les intérêts de Sa gloire et de Ses âmes, que nous eussions autant d’accès auprès de Votre Grandeur qu’ils en ont, et qu’elle eût daigné nous accorder l’audience qu’elle leur donne : il eût été aisé de dissiper leurs nuages et de justifier le plus pur Évangile. Mais Dieu ne l’ayant pas permis, Sa cause est demeurée dans la souffrance, et un bon nombre d’âmes qui auraient dû être aidées dans les voies intérieures où Dieu les veut, sont privées de ce secours au grand et terrible jugement de ceux qui se sont déclarés les adversaires de ses plus chères princesses756 et qui, ayant pris la clef de la science, ne sont pas entrés eux-mêmes dans le Palais intérieur et empêchent les autres d’y entrer.

Ô mon très illustre seigneur, pardonnez cette saillie à ce pauvre religieux à qui Dieu, par Sa miséricorde, a fait un peu connaître les secrets de l’intérieur. Si vous saviez les pertes inestimables qui se font dans votre diocèse, pour ne pas permettre qu’on y cultive l’esprit intérieur, et le compte formidable qu’il vous faudra rendre à Celui qui a mérité ce trésor par la perte de Son sang, vous en trembleriez de frayeur. Dieu, par un excès de Sa bonté, avait envoyé dans votre diocèse des personnes qui pouvaient enseigner les voies les plus pures de l’esprit, entre autres celle qu’il avait ôtée à la France pour la donner à notre pauvre Savoie, capable sans doute d’embaumer tous nos monastères de l’amour de Dieu le plus épuré, bien loin de les gâter, et on ne les a pas voulu souffrir. Eh bien, ils en sortent. Ce Royaume intérieur sera porté à des gens qui l’accepteront. Mais ces pertes irréparables, qui vous les réparera? Je n’en dis pas davantage parce que je n’en serai pas cru, mais le grand jour de Dieu mettra le tout en évidence. Tout ce que je puis assurer est que, comme une de ces âmes destinées à l’intime union est plus chère à Dieu que mille autres, de même qu’une Princesse est plus précieuse au souverain que mille bourgeoises, le compte qu’il faudra rendre de la perte d’une seule sera plus terrible que pour la perte de mille autres communes.

Ô mon seigneur illustrissime, que ne m’est-il permis de vous déclarer avec liberté mes sobres folies! Je conjure votre bonté de ne pas s’offenser de ma sincérité. Dieu, voyant que vous aviez essuyé tant de travaux pour le salut des âmes et fait de si grandes choses pour Sa gloire, que vous aviez si bien réformé et les prêtres et les peuples, et mis en très bon ordre l’extérieur de votre diocèse, voulait couronner tant de biens par le plus grand de tous, qui était d’y faire régner le vrai intérieur, en envoyant ici des personnes qui pouvaient enseigner les plus pures voies de l’Esprit et faire connaître la vraie perfection chrétienne. Et ces personnes, dignes de l’envie des royaumes entiers, y en auraient attiré d’autres à leur secours, pour y fait régner Dieu sur les cœurs par une mission vraiment intérieure. Par quel malheur, mon très aimable seigneur, vous laissez-vous ravir cette couronne? Ou pourquoi votre diocèse perdra-t-il un si rare don par la passion de ceux qui nous dépeignent à vos yeux comme des monstres?

Pour mon particulier, Monseigneur, vous avez étendu votre bras sur moi, me frappant d’interdiction; pour quel sujet? Vous le savez, je n’avais changé ni de mœurs ni de doctrine, quoique Madame Guyon eût quitté les Nouvelles Catholiques, et cependant avant cela, j’étais propre à diriger toutes les communautés, et après je n’ai plus été capable d’en diriger aucune. Ah! Monseigneur, vous avez frappé celui des religieux de votre diocèse, qui est, de tous, et le plus attaché à vos intérêts, et le plus soumis à vos ordres, et le plus jaloux de votre autorité. Mon cœur me rend témoignage que je voudrais perdre encore d’autres vies s’il fallait, en ayant déjà perdu une bien précieuse pour les intérêts éternels de votre âme, et pour vous faire ouvrir les yeux de l’esprit aux plus pures voies du christianisme, avant que la dernière heure ferme ceux de votre chair. C’est ce que nous avons demandé à Dieu depuis bien des années par beaucoup de vœux et de sacrifices, et que nous ne cesserons point de demander. Qui sait si nous ne serons point exaucés étant plus éloignés, n’ayant pas mérité de l’être étant auprès de vous?


Éclaircissement sur la vie de Messire Jean d’Aranthon d’Alex, évêque et prince de Genève. Avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme, Chambéry, 1699, p. 31-36; avec des commentaires ajoutés au cours de la citation du texte de la lettre; nous respectons les passages en italiques -- Reprise (avec de très légères variations) par Phelipeaux, Relation de l’origine, du progrès et de la condamnation du quiétisme répandu en France. Avec plusieurs Anecdotes curieuses, 1732, t. I, p. 9; il cite sa source en annotation marginale.

8 757. DE JEAN D’ARENTHON D’ALEX A N. 29 Juin 1683.

Un fragment de lettre indique une collaboration spirituelle active peu appréciée par l’évêque in partibus de Genève :

29 juin 1683.

... Elle donne un tour à ma disposition à son égard, qui est sans fondement. Je l’estime infiniment et par-dessus le père de Lacombe; mais je ne puis approuver qu’elle veuille rendre son esprit universel et qu’elle veuille l’introduire dans tous nos monastères au préjudice de celui de leurs instituts. Cela divise et brouille les communautés les plus saintes. Je n’ai que ce grief contre elle; à cela près, je l’estime et je l’honore au-delà de l’imaginable758.


Fénelon, Réponse à la Relation sur le quiétisme [de Bossuet], chapitre premier - UL, tome VII, appendice III, Témoignages concernant Mme Guyon, [pièce] A, p. 485 - A.S.-S., ms 2170, pièce 7023, 2 ff. de 36,5 cm d’un auteur anonyme donnant et commentant les témoignages concernant Mme Guyon d’Aranthon d'Alex (dont un extrait de sa lettre du 8 février 1695), de Bossuet et de Fénelon ; mais ils sont tirés de la Réponse de Fénelon à la Relation sur le quiétisme, ce qui situe cette pièce à une date tardive.





II. ECRITS D’UN DIRECTEUR SPIRITUEL



Il s’agit deux œuvres principales, Brève instruction et De l’oraison mentale (ainsi que d’une Apologie que nous rattachons en troisième partie des prisons). Les éditions sont répertoriées dans l’article de Jean Orcibal du Dictionnaire de Spiritualité disponible en fin de ce volume759.

Le parfum qui se dégage de la lecture des œuvres principales est celui d’une douceur et d’une sagesse associés à une subtile approche des difficultés rencontrées intérieurement : elle rend la lecture très utile même de nos jours. Certaines expressions denses traduisent une expérience mystique.

Ces écrits ne présentent pas de notable originalité — il en est de même chez madame Guyon qui n’a heureusement aucune idée qui puisse intéresser les curieux. Parfois transparaît chez Lacombe l’esprit du clerc de formation romaine760 et le style oratoire du prédicateur. Pour ces raisons le Père Lacombe est resté méconnu, ombre de/à son illustre «dirigée».





UNE BREVE INSTRUCTION (1682 – 1687)

L’histoire du texte est résumée par Orcibal :

[la Brève Instruction…] circule dans le diocèse d’Annecy de 1680 à 1687 (Revue Fénelon, t. 1, 1910, p. 76), mais le général des barnabites en fait détruire les exemplaires en juillet 1682. L’ouvrage fut édité à Grenoble par A. Fremon avec la permission du théologien Rouillé et l’approbation du Parlement. Dès le début, il est en vente à Paris chez Varin (cf Bibl. nat. de Paris, ms fr. nouv. acq. 5250, f. 230r). Il est relié avec la seconde édition du Moyen court et très facile de faire oraison de Mme Guyon (Grenoble, J. Petit, 1686) et paraît seul à Paris chez Michallet en 1687 (approbation du théologal Courcier; exemplaire à la bibl. S.J. de Chantilly). Arenthon d’Alex condamna la Lettre le 4 novembre 1687 et elle fut mise à l’Index le 29 novembre 1689.

Autres éditions : «Brèves instructions pour tendre…» dans Opuscules spirituels de Mme Guyon, Cologne, 1707, 1712, 1720; Avis salutaires d’un serviteur de Dieu.., Nancy, 1734; Paris, 1890; Lettre d’un serviteur de Dieu.., Lyon-Paris, 1838. 

Nous reprenons le texte édité dans J.M.Guyon, Les Opuscules spirituels, Olms, 1978, pages 443 à 534 qui sont la reproduction anastatique de l’édition de 1720, suivant de peu le décès de madame Guyon (1647-1717). -- Autres sources : Lettre d’un serviteur de Dieu publiée séparément en 1754. Avis salutaires d’un serviteur de Dieu, etc. Pour les Maximes on peut tenir compte du ms de Lausanne TB 1136. Notre base informatisée est à la disposition des chercheurs.

NDE : Encouragement que justifie le long début de l’opuscule, ses « perles » étant assez nombreuses mais plutôt situées vers la fin :

Lacombe est très juste et très clair mais marqué par la culture commune aux clercs de l'époque -- Lacombe est « l’ancien » né en 1640, avant Madame Guyon née en 1648. Fénelon est le cadet né en 1652 – L’ancienneté contribue à réduire l’originalité spontanée que nous admirons chez madame Guyon cet chez quelques rares spirituelles du siècle. Elles n’ont pas été marquées par l’encadrement théologique romain propre aux « sous-jésuites » barnabites !

Le vécu mystique intérieur est cependant pleinement révélé et assumé par Lacombe. Ses affirmations se révèleront parfois même beaucoup plus tranchées que chez Madame Guyon et que ne pouvait se permettre Fénelon devenu archevêque. En ce sens Lacombe est vraiment « quiétiste » : sous influence italienne ? au moins sous celle de la Mère Bon du Dauphiné.

Son texte est le complément parfait du Moyen court ouvrant les Opuscules spirituels. Lacombe ferme les Opuscules et la symétrie est voulue au moins par l’éditeur Poiret. Insistant sur les pratiques, il apporte le complément utile à la mise en œuvre des conseils assez brefs de la « dame directrice ».

Se révèle ainsi la structure ferme du volume jugé le plus essentiel par l’éditeur Poiret, probablement avec le plein accord de madame Guyon : l’orientation et donnée par le Moyen court, le témoignage figure sous l’image des Torrents, la Règle des Associés accompagnée d’opuscules mineurs une fois donnés, s’achève le volume sur la Brève Instruction & Maximes de Lacombe, le ficèle collaborateur, couvrant 91 pages (contre 78 pour le Moyen court et 145 pour les Torrents).

Le raisonnement logique du supérieur barnabite de Thonon, formé à Rome et actif à Bologne, est impitoyablement exact. Ses déductions conduisent toutes à mettre en avant l'oraison et à interpréter en utilisant au mieux des pratiques antérieures à l’éveil mystique. Il les oriente !

L’ensemble est à lire assez lentement pour l’apprécier. J'ai commencé à « travailler » Lacombe à cause de sa proximité avec Madame Guyon et du tort qu’il est censé lui avoir causé. Je ne regrette pas le voyage qui n’est pas périphérique car le confesseur vaut par lui-même dans ses écrits, et particulèrement par ses maximes.

§

Page de titre :

[443] BREVE INSTRUCTION pour tendre sûrement à la Perfection chrétienne. Dans une Lettre du P. François La Combe. Et ses Maximes spirituelles. Sur la copie imprimée à Grenoble chez A. Fremon, avec Aprobation et Permission.

Suit une Aprobation (par Rouffié, Docteur en Théologie et Curé de Grenoble, à Grenoble le 24 novembre 1685) et une Permission, page 444. Elles sont ici omises. Nous débutons par la Lettre, pages 445 sq.

«Lettre d’un Serviteur de Dieu, contenant une brève instruction pour tendre sûrement à la Perfection chrétienne»

Je prie le Père des lumières et l’auteur de tous dons, de m’ouvrir le trésor de son inspiration divine, et de me rendre fidèle à y puiser ce qui m’est nécessaire, pour vous aider dans le désir que vous avez conçu d’aimer Dieu parfaitement, comme il vous a ouvert le cœur par la confiance pour me demander cette instruction.

§ I. De la Conversion parfaite.

Convertissez-vous à moi, et vous verrez la différence qu’il y a entre le juste et le méchant; et entre celui qui sert Dieu et celui qui ne le sert pas.761

C’est ce que Dieu nous dit par un prophète. La première conversion de l’homme se fait du péché à la grâce, lorsque par la pénitence il revient de son égarement, et fait un heureux retour à Dieu. Je ne vous en parle pas ici, supposant, ou que vous l’avez déjà faite, ou que par un rare bonheur elle ne vous a pas été nécessaire, si vous n’avez pas offensé Dieu mortellement depuis le baptême. La seconde se fait de la vie commune à la vie parfaite; de la tiédeur de l’esprit à la ferveur; de l’homme animal à l’homme spirituel; et de l’assujettissement à l’amour-propre au règne du pur amour.

Toute l’église gémit de ce qu’il est si peu de pénitents qui fassent constamment la première de ces conversions : mais il en est beaucoup moins qui fassent la seconde; et cette perte inestimable est vraiment digne de nos larmes.

Puisque Dieu vous appelle à la conversion parfaite, ne lui résistez plus; hâtez-vous de sortir de l’enchantement de l’amour naturel, par lequel, comme Saint-Paul l’a déclaré : Tous cherchent leurs propres intérêts et non pas ceux de Jésus-Christ762. Sortez du monde charnel pour entrer dans le paradis spirituel et revenez de l’égarement de votre âme hors d’elle-même, et de son épanchement sur les créatures, pour entrer dans le royaume intérieur, qui selon la parole de Jésus-Christ, ne se peut trouver qu’au-dedans de nous763. Là vous découvrirez des merveilles [447] qui jusqu’ici vous étaient inconnues; et vous verrez avec ravissement l’extrême différence qu’il y a entre un serviteur de Dieu, qui par le renoncement de soi-même et de toutes choses demeure attaché à son Dieu par un ardent amour dans le sanctuaire de son cœur; et un homme dissipé et immortifié, qui étant tout plein de l’amour de soi-même et des créatures, vit dans un si grand oubli de Dieu, et avec si peu de connaissance et d’amour de son Bien souverain, que l’on peut comparer cet état à une espèce d’idolâtrie; à cause que le cœur mercenaire et infidèle se cherche soi-même en toutes choses; et que se mettant en la place de Dieu, il rapporte à son propre avantage ce qu’il devrait uniquement référer à la gloire de son Dieu.

Mon fils, donnez-moi votre cœur; et que vos yeux s’attachent à mes voies764. Le Saint-Esprit nous ouvre par ce peu de paroles l’entrée et le progrès de la vie spirituelle. L’entrée se trouve heureusement en donnant le cœur à Dieu. Le progrès s’avance en tenant les yeux attachés à ses voies.

Nous donnons notre cœur à Dieu par la résignation que nous faisons de notre liberté. Nous tenons nos yeux attachés à ses voies, premièrement par l’oraison qui nous donne la lumière nécessaire pour la découvrir, et la grâce qui nous y doit faire marcher sûrement. Deuxièmement par l’amour de la volonté de Dieu, qui nous fait soumettre d’un plein consentement à ses ordres éternels sur nous.

Voilà la clé du paradis intérieur : voilà l’abrégé [448] de la vie spirituelle, que je dois vous expliquer avec un peu plus d’étendue.

§ II. De la Donation du cœur à Dieu.

Commencez donc par donner votre cœur à Dieu, afin qu’il le rende lui-même tel qu’il le veut, et faites cette donation en cette manière. À la première communion que vous ferez, et au moment que vous aurez reçu Jésus-Christ dans votre bouche, faites-lui une résignation, un transport, un abandon de tout ce que vous êtes et de tout ce qui dépend de vous si entier, que vous ne réserviez plus aucun usage propriétaire de vous même; et si irrévocable, que vous renonciez pour jamais à tout droit et à tout désir de vous reprendre; ce qu’étant fait, vous n’userez plus de votre liberté que par soumission à l’ordre de Dieu, et avec dépendance de ses mouvements divins; et vous vous abandonnerez tellement à son aimable conduite, qu’il puisse régner souverainement sur vous, et que désormais vous ne viviez plus pour vous-même, mais uniquement pour Dieu.

Saint Ignace de Loyola nous a laissé un beau modèle de cette donation en ces termes : «Agréez, ô Seigneur, que je vous consacre ma liberté dans toute son étendue. Recevez ma mémoire, mon entendement, ma volonté, mon âme avec toutes ses puissances. Comme c’est vous qui m’avez donné tout ce que j’ai et tout ce que je possède, c’est à vous-même que je dois tout rendre sans réserve, me délaissant [449] en toutes choses à très juste disposition de votre volonté. Je ne vous demande que votre volonté : accordez-moi seulement votre grâce; cela seul suffit pour toutes richesses et pour toute prétention; mon cœur ne désire rien au-delà.»

Ça été la pratique de tous les saints, quoique tous ceux qui ont écrit des choses spirituelles ne s’en soient pas si nettement expliqués, ayant plus parlé des fruits de leur vie que de ses racines et de son principe; mais il est sûr que ça été cette donation qui les a mis en Dieu, qui les a unis intimement à lui, et qui étant soutenue par la fidélité à ne point se reprendre, les a heureusement sanctifiés.

Priez ensuite la très sacrée vierge Marie mère de Dieu de vous recevoir elle-même pour donner à son Fils, et de vous tenir sous sa protection : en sorte qu’il n’y ait rien en vous ni dans vos œuvres dont elle ne soit la maîtresse absolue. Conjurer saint Joseph d’être votre directeur dans un chemin si obscur, lui qui pour avoir été si caché en Dieu sur la terre, est dans le ciel le grand protecteur des intérieurs. Pressez votre saint ange gardien de se rendre votre guide fidèle; et engagez tous les saints pour lesquelles vous avez le plus de dévotion, de vous aider sans cesse auprès de Dieu par leurs intercessions. Unissez-vous, même dans le cœur immense de Dieu, aux personnes les plus intérieures, et aux âmes les plus parfaites qui soient sur la terre dans nos jours, pour entrer avec eux en partage du Royaume intérieur.

Marquez ce jour de votre donation à Dieu et de votre vocation à la grande Oraison, comme [450] l’un des plus heureux de votre vie, et ne manquez pas d’en faire chaque année fête secrète, mais célèbre aux yeux de Dieu et de ses Anges, dans le temple de votre cœur.

Et parce que cette résignation n’est pas sitôt parfaite (car il reste encore quelque réserve dans l’âme qu’elle ne connaît pas; et l’on se reprend souvent, même sans le connaître, croyant bien faire), il faut pour un temps renouveler à tout coup cette même donation, et la ratifier autant de fois que l’inspiration en est donnée, mais seulement par de petits actes intérieurs, se donnant et redonnant mille et mille fois à Dieu, pour qu’il se glorifie en nous selon ses aimables volontés.

On ne peut exprimer combien cette donation est excellente et nécessaire pour commencer une vie vraiment spirituelle. Comme Jésus-Christ ne fut formé dans le sein incorruptible de Marie qu’après qu’elle y eut donné son consentement, il ne peut non plus venir en nous ni y demeurer que par notre agrément; et de même que Dieu attendit l’heureux fiat de la divine Vierge pour faire en elle l’incarnation de son fils, il attend aussi avec cette grande réserve qu’il a pour la liberté de l’homme, son abandonnement total à la conduite divine, afin de faire en lui l’expression de son Fils : ce que saint Paul appelle former Jésus-Christ en nous765.

Vous étant donc ainsi donné à Dieu, considérez-vous comme n’étant plus à vous-même, et dites avec saint Paul, Pour nous, nous ne [451] connaissons plus personne selon la chair et si nous avons connu autrefois Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant de la sorte. Et de plus, Jésus-Christ est mort pour nous afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux766.

Dans cette disposition vous travaillerez heureusement et délicieusement à détruire en vous les restes des péché, les dérèglements de vos passions, et les imperfections les plus secrètes; et vous acquerrez en même temps les vertus chrétiennes et les plus grands dons de Dieu; par ce que demeurant en Jésus-Christ, et lui en vous, vous porterez beaucoup de fruit767; c’est-à-dire que lui ayant remis le soin de ce grand ouvrage, en vous donnant à lui vous avez pris le meilleur moyen d’y réussir; et vous êtes entrés dans le chemin court et royal de la perfection vous mettant en Jésus qui en est l’unique voie.

Ce n’est pas que vous soyez pour cela dispensé de travailler vous-même à vous sanctifier; bien au contraire, vous ferez plus que vous ne fîtes, et que vous ne feriez jamais vous y prenant autrement; mais agissant par le mouvement de Jésus, et par la direction de l’esprit de sa grâce, tout se fera et plus promptement et plus aisément et plus parfaitement, à cause que Jésus-Christ étant le maître de l’œuvre, le succès en sera tout divin.

Dieu nous a tellement donné en propre le franc arbitre qu’il ne le force jamais et il nous laisse conduire par ce propre mobile tant que nous voulons le tenir. Mais nous en le retenant, [452] nous en abusons à tout coup, ou résistant aux grâces que Dieu nous offre, ou perdant celles que nous avions reçues, ou par une infinité de méprises; prenant le change de notre volonté pour la sienne. Il n’y a donc rien de plus sûr que de lui rendre votre liberté puisque nous faisons en cela ce qui lui est le plus agréable et ce qui nous est le plus avantageux. Il n’y a pas de meilleur moyen de réussir dans l’entreprise de notre perfection que d’engager Dieu à y travailler en nous, avec nous et pour nous : et nous ne pouvons mieux l’y engager, qu’en lui résignant notre liberté, tant parce que c’est elle seule qui lui résiste, et que cette résistance propriétaire étant ôtée il règne sur nous avec un parfait agrément, ce qui fait toute notre perfection; qu’à cause que ce dévoilement de nous-mêmes est le sacrifice qui gagne plus son cœur, et que sans lui il estime peu tous les autres. Il ne peut qu’il ne s’applique avec un soin particulier à la sanctification d’un cœur qui s’abandonne aveuglément à lui. Peut-on risquer sa perfection en la confiant à Dieu?

§ III. Excellence de cette donation.

Le chemin est long et le travail excessif d’entreprendre d’arracher tous les vices et toutes les imperfections en détail, et de planter toutes les vertus l’une après l’autre à force de lectures, de considérations, de résolutions, d’efforts et de pratiques. Je ne sais même si quelqu’un a pu y arriver par une voie si laborieuse et si multipliée : [453] du moins il est certain qu’une longue vie à peine peut-elle suffire pour en lire ou écrire tous les préceptes que l’on en donne; comment donc suffira-t-elle pour les pratiquer avec cette application? Outre qu’il est très rare qu’on réussisse du premier coup dans chacune de ces pratiques et qu’il est peu de personnes qui soient capables de cette étude, quoique tous les chrétiens soient appelés à la perfection.

Ce n’est pas que je condamne le pieux travail de ceux qui étalent ces richesses spirituelles; Dieu m’en garde! Je confesse qu’elles sont une partie du trésor de l’Église, et qu’elles contribuent à la nourriture et à l’édification de ses enfants; mais je crois qu’il y a un sentier sûr et court, et qui deviendrait un grand chemin si on voulait y marcher et y introduire les autres, qui est de se donner dès l’abord à Jésus par une résignation entière, le conjurant de faire lui-même en nous et pour nous ce grand ouvrage, ainsi qu’il le fait dans les âmes simples et dans les pauvres d’esprit, qui ne cherchant que lui seul et ne voulant savoir que lui et le mystère de sa croix, trouvent en lui seul toutes choses.

Il n’y a, pour ainsi dire, qu’une chose à faire pour devenir saint, qui est, de se donner à Dieu, consentir qu’il le fasse, et être fidèle à le laisser faire. C’est par où il entreprend lui-même une âme qu’il veut sanctifier. «J’environne l’homme, dit-il par Sainte Catherine de Gênes768, par diverses voies et différents moyens pour l’assujettir à ma providence; et ne trouvant rien en lui qui me soit contraire, sinon le franc arbitre que je lui ai donné, je combats [454] sans cesse contre cette même liberté par l’excès de mon amour, jusqu’à ce qu’il me la donne et m’en fasse un sacrifice et depuis que je l’ai reçue et acceptée, je réforme peu à peu cet homme par une opération secrète et inconnue et avec un soin amoureux, ne l’abandonnant jamais jusqu’à ce que je l’aie conduit à la fin que je lui ait destinée. C’est ainsi que s’en est expliquée cette excellente théologienne avec autant de profondeur que de solidité. Mais c’est cela même que Jésus-Christ nous a enseigné, lorsqu’il nous a déclaré que celui qui demeure en lui, et en qui il demeure lui-même, a la vie en soi, et porte beaucoup de fruits769, par ce que ne pouvant rien faire sans Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses en lui; et c’est à quoi nous exhorte le Prophète-roi, comme étant le principe et le comble toute perfection : Établissez vos cœurs dans la force du Seigneur770. Or ils s’y établissent par cette donation.

Prenons la chose dans sa source : cherchons d’abord le règne de Jésus en nous. Où son amour entrera, les vices et les imperfections s’anéantiront; ainsi que toutes les branches d’un arbre tombent tout à coup par terre quand on le coupe par la racine, sans qu’il soit besoin de les retrancher toutes l’une après l’autre. Or c’est l’amour qui coupe en nous le mauvais arbre, bannissant le péché avec tous ses restes; et comme pour faire croître un autre arbre jusqu’à sa perfection il n’y a qu’à planter son germe, qui ayant bien pris dans son fonds, croît et s’avance [455] tout naturellement, étendant ses branches et produisant ses fruits en leur temps; de même le règne de Jésus étant établi dans un cœur par sa résignation, toutes les vertus s’y trouvent aussi avec lui; l’usage en est donné dans le besoin; et l’âme se trouve enrichie des plus grands dons de la grâce, sans les avoir même recherchés ni connus, loin de les avoir étudiés.

Plusieurs passent longues années et consument leur vie à amasser des matériaux, de la pourpre, du lin, de l’or et des pierreries, sans jamais en venir jusqu’à la construction du tabernacle intérieur qui doit servir à Dieu de demeure, et être le lieu de ses délices. Ils s’obstinent même dans cette perte, parce qu’ils veulent toujours tenir tout entre leurs mains, au lieu de s’en fier pleinement à Dieu. Mais ceux qui font leur offrande au Seigneur avec une volonté prompte et pleine d’affection pour tout ce qui se doit faire au tabernacle du témoignage771, par les mains d’un Moïse, (qui représente le directeur) voient bientôt ce sanctuaire achevé, et éprouvent sensiblement que Dieu y demeure et le remplit de sa Majesté.

C’est dans ce grand sens que Dieu nous demande notre cœur, comme s’il nous disait : mon fils, si vous voulez purifier votre cœur et le perfectionner, confiez-le moi, afin que je le fasse moi-même, non pourtant sans vous : autrement vous vous tourmenterez beaucoup et vous n’avancerez guère; car votre cœur sera toujours [456] impur et imparfait tant que vous voudrez le polir et épurer par vous-même, quand même je vous offrirais de très grandes grâces pour vous aider dans votre dessein; par ce que, ou vous les refuseriez pour suivre votre propre conduite; ou vous en abuseriez même après les avoir reçues, voulant en disposer vous-même au lieu de vous laisser régir par leur divin mouvement. Outre que vous ne sauriez assez distinguer mes inspirations de vos propres volontés sans une très pure lumière et un goût expérimental, que je ne donne qu’à ceux qui s’abandonnent parfaitement à moi.

§ IV. Deux règles principales de la vie spirituelle. I. Se soumettre à la volonté de Dieu. II. Faire oraison.

Il est hors de doute que la perfection chrétienne consiste à être uni à Dieu et à jouir de lui; d’où il est clair772 que pour arriver à ce bonheur il faut tendre de toutes nos forces à cette union et à cette jouissance. Or cette union se fait par la soumission de l’âme à la volonté de Dieu; et cette jouissance s’établit par l’oraison.

Toute la vie spirituelle se réduit donc à ces deux grands points, qui sont comme les deux pôles sur lesquels roule le firmament d’infinies vertues et de toutes les saintes pratiques. I. Faire l’oraison mentale. II. Aimer la volonté de Dieu.

L’oraison doit être notre principal exercice; et la volonté de Dieu notre unique prétention. [457] Par l’oraison on découvre la volonté de Dieu et on reçoit grâce pour l’aimer; par l’amour de la volonté de Dieu on avance de plus en plus dans l’oraison et on se repose en Dieu. L’oraison est la nourriture et le principal exercice de la vie spirituelle; l’amour de la volonté de Dieu en est l’âme et le centre.

On doit réduire à l’oraison tous les autres exercices intérieurs, tels que sont : 1. Le recueillement; 2. La présence de Dieu; 3. Les inspirations; 4. L’intention dans les œuvres; 5. L’attention à la prière, et 6. La fidélité envers Dieu, comme servant de dispositions à faire oraison, ou de moyens de la soutenir et continuer.

L’oraison et si nécessaire pour vivre intérieurement que sans elle il n’est point d’intérieur puisque l’oraison et la vie intérieure même. Il n’est point de solide dévotion sans la profonde et durable oraison du cœur; et l’on ne trouvera jamais la perfection hors de la prière de l’Esprit; puisque la vraie dévotion est dans le cœur et que la perfection naît de l’Esprit; et que conséquemment quiconque ne saura pas prier de cœur et d’esprit n’aura jamais ni dévotion ni perfection.

L’homme sans oraison est selon saint Paul un homme animal, qui n’est pas capable des choses qu’enseigne l’Esprit de Dieu : elles lui paraissent une folie; et il ne les peut comprendre; parce que c’est par une lumière spirituelle qu’on en doit juger773. Or la seule oraison donne cette lumière spirituelle; ce qui a fait dire à Saint Philippe Néri [458] qu’un homme sans oraison est un animal sans raison.

Combien donc est misérable devant Dieu la vie de tant de personnes, séculiers, ecclésiastiques et religieux qui ne font point Oraison? S’ils voyaient clairement combien elle est impure devant Dieu ils en mourraient d’horreur.

On doit réduire à l’amour de la volonté de Dieu tous les exercices, soit intérieurs soit extérieurs, qui sont nécessaires pour l’accomplir, tels que sont : 1, la prière vocale qui est pour nous un ordre de Dieu. 2, la mortification qui est un excellent moyen de lui plaire. 3, la lecture spirituelle qui nous aide à connaître ces volonté. 4, l’usage des sacrements qui nous donnent grâce et force pour faire tout ce que Dieu veut de nous. 5, et toute autre pratique de piété que nous devons faire pour lui obéir.

§V. Du sujet de l’oraison.

La matière de votre oraison doit être ou un mystère de Jésus-Christ, ou quelcune de ses paroles, ou une vérité de notre foi, ou quelque pieux sujet que ce soit qui vous aura été suggéré par la lecture, ou qui vous sera donné au moment que vous voudrez faire oraison. Tout est bon, pourvu qu’il soit de Dieu et qu’il élève le cœur à Dieu; et c’est encore infiniment mieux lorsque Dieu même est le point infini et perpétuel de l’oraison aussi bien en cette vie qu’il le doit être pour l’éternité; je veux dire, lorsque sans avoir plus besoin de chercher aucune [459] considération pour s’entretenir devant Dieu, on s’occupe de lui-même par la vue amoureuse de sa présence et par telles affections qui lui plaît de faire naître dans un cœur qui s’abandonne pleinement à Lui.

Une seule demande de la prière que Notre-Seigneur nous a enseignée, un seul article du Symbole des Apôtres, un des commandements de Dieu, un passage de l’écriture Sainte, suffit abondamment pour fournir la matière d’une longue et très utile oraison tant pour ceux qui n’ont pas eu le temps de lire auparavant leur point, que pour ceux qui sans cette lecture se trouvent assez recueillis et appliqués à Dieu, ou enfin pour ceux qui ne savent pas lire.

Si un seul sujet vous arrête, en sorte que votre âme s’en trouvant nourrie, soutenue et doucement occupée, ait peine à le quitter pour en prendre un autre, ne le changez pas pour quelque prétexte que ce soit, quand même cet attrait vous durerait des mois et des années. C’est une grande méprise de croire qu’il faille changer de discours et de langage autant de fois que l’on veut parler à Dieu. L’église nous enseigne bien le contraire par les mêmes prières qu’elle nous fait répéter tous les jours, et même plusieurs fois chaque jour. Le vénérable Père Grégoire Lopez, célèbre solitaire des Indes, et un des plus grands contemplatifs que l’on ait connu, fit durant trois ans cette seule prière : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel Amen, Jésus! Et après cela il fut élevé à la plus sublime contemplation. Cela est fort ordinaire à quantité de personnes d’une rare piété. On en trouve qui durant plusieurs années demeurent [460] appliqués à une seule vérité, ou à un seul mystère, comme à la Flagellation, ou au crucifiement de Notre-Seigneur, ou à l’amour de la volonté de Dieu; et néanmoins cela produit dans leurs âmes des fruits de grâce infinis. C’est à Dieu à nous occuper devant lui de la matière qu’il nous a lui-même choisi, et qu’il fait nous être la plus utile; et il vaut mieux incomparablement nous laisser servir à son gré, ayant l’honneur de manger à sa table avec les anges, que de vouloir toujours y porter notre plat, et d’affecter à chaque repas d’avoir des mets différents.

Lorsqu’on se sent arrêter à un point, c’est signe que Dieu en a fait pour l’âme une source de grâce; et il ne faut pas le changer jusqu’à ce que cet attrait soit passé. Dieu ne veut pas de tous une même sorte d’oraison. Chacun doit être fidèle à suivre ses mouvements divins, qui se font assez sentir et distinguer à ceux qui ne s’obstinent pas dans leurs propres voies. Un bon mot bien pénétré, et souvent répété, suffit pour une longue et fervente oraison. Par exemple : O mon Dieu et mon tout! O Dieu vous m’avez aimé d’un amour éternel! O. Jésus Fils de Dieu vous êtes mort pour moi! Seigneur c’est vous qui êtes mon moi et mon Dieu! Cela seul touche plus le cœur et lui donne plus d’amour, par la grâce que Dieu répand sur cette simple et ardente prière, que ne ferait cent beaux raisonnements et autant de considérations sublimes. [461]774.

§ VI. Comment se doit faire l’oraison.

Commencez à faire oraison en cette manière. Faites d’abord un acte de foi sur la présence de Dieu, vous représentant vivement qu’étant partout par son immensité, il est en vous et vous êtes en lui; et ne doutant point qu’il ne vous entende, et qu’il ne voie les plus secrètes pensées de votre cœur. Si vous êtes devant le saint sacrement de l’hôtel, adorez Jésus-Christ, qui y est présent en propre personne; et tenez-vous paisiblement dans un profond respect devant lui, le louant de toutes vos forces et le remerciant de tous ses bienfaits.

Faites ensuite un acte de contrition pour purifier votre cœur avant que de parler à Dieu. Demandez-lui la grâce en produira qui soit bien parfait, détestant le péché avec douleur et dans l’union à la détestation même par laquelle Dieu le déteste, et à la pénitence que Jésus son Fils en a porté pour tout le monde sur la Croix. Surtout cherchez la véritable contrition en Dieu et non en vous-même; et attendez-là de sa grâce bien plus que de vos propres efforts. La plus pure contrition est celle dans laquelle on ne réfléchit point sur la contrition même ni sur la manière de l’affaire; mais par laquelle on déteste le péché dans la vue de Dieu; où l’on aime Dieu avec horreur du péché. [462]

puis vous ferez un acte de résignation à peu près en cette sorte : «Mon Dieu, me voici devant vous pour faire oraison, mais ne sachant pas la faire, et ne connaissant pas quelle est la prière que vous désirez le plus de moi, je vous prie de la faire vous-même en moi de la manière qui vous sera la plus agréable. O seigneur! Apprenez-moi à prier775.»

Cela étend fait, donnez une entière liberté à votre cœur de s’élancer en Dieu par telles affections qui y seront suggérées, sans vous gêner en rien, ni vouloir autre chose que ce qui vous sera donné de moment en moment, ainsi que je dirai ensuite, vous proposant la vraie idée de la libre oraison d’affections. Continuez ainsi pendant tout le temps que vous voudrez employer à l’oraison. Je ne vous ai même conseillé ces trois actes, de foi, de contrition, et de résignation, que vous introduire aux aspirations, qui sont l’âme de la vraie oraison. Mais après que vous vous y serez exercé un peu de temps, ou même dès l’abord, si vous y trouvez facilité, entrez dans toute la liberté de l’oraison d’affections, donc voici la pratique autant heureuse comme elle est aisée.

Ayant pris l’heure et le lieu de votre oraison, portez-y l’âme de ses puissances vides de toutes choses, la volonté de tout désir, l’entendement de toute pensée, la mémoire de tout souvenir, vous mettant devant Dieu avec une indifférence entière pour recevoir tels actes et tels sentiments qu’il vous inspirera. Puis sentant naître dans votre cœur une aspiration simple, goûter la, taché de la pénétrer et savourer, offrez-la à Dieu, et [463] la répétée plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle passe et qu’il vous en vienne une autre776. Vous en ferez de même de cette seconde, et de la troisième, et d’autant d’autres qu’il vous en viendra, sans chercher aucune règle ni méthode, soit pour le commencement ou pour la suite, ou pour la fin de votre oraison : jusque-là que si une seule affection vous arrêtait avec goût et avec ferveur durant toute l’heure, elle serait très bien employée.

Parler à Dieu, et lui parler avec liberté, c’est l’essence et la solide pratique de l’oraison de ce degré, qui se fait par la parole intérieure; et tous peuvent sans danger et sans crainte commencer par là la course de la grande oraison. La prière étend essentiellement une élévation des prix à Dieu et une conversation intérieure que la créature établie avec son créateur; il est clair que pour prier véritablement il faut traiter avec lui, et que plus on s’applique immédiatement à lui, plus on le prie, et avec plus de perfection, ainsi que Jésus-Christ nous l’a appris dans la prière qu’il nous a enseignée, où il nous élève d’abord à Dieu, nous faisant adresser confidemment à lui comme à notre Père, Pater noster qui es in coelis; puis il nous fait continuer en parlant directement à lui par les demandes que nous lui devons faire.

Parler donc beaucoup avec soi-même, ou raisonner avec les créatures par beaucoup de considérations, de discours et de réflexions sur divers motifs et moyens et pratiques, n’est pas proprement faire oraison, puisque ce n’est pas prier. C’est plutôt faire ou une étude, ou une exhortation, ou un discours, quoique pieux, et à dessein [464] de s’exercer à la prière; et puisque la prière se doit faire par la direction de l’Esprit de Dieu, ce qui est incontestable, vu que c’est lui qui, selon saint Paul, doit prier en nous par des gémissements ineffables777; de plus, l’Esprit du Seigneur aimant la liberté, il s’ensuit clairement que l’oraison se doit faire avec cette liberté simple, qui consiste dans la dépendance de toute volonté et de toute invention de l’homme, pour se tenir dans une dépendance entière de la volonté et de l’aspiration de Dieu.

Voici un modèle de l’oraison libre d’un pénitent. Dès qu’il s’est mis devant Dieu il lui vient mouvements de dire : «O Dieu convertissez-moi afin que je me convertisse à vous! O seigneur, que je vous ai offensé! Je vous ai infiniment offensé. C’est moi, O. Jésus mon Sauveur très aimable, qui ai été la cause de votre Passion et de votre mort! Mes péchés vous on fait mourir sur la croix! Vous avez été percé pour mes iniquités, et brisé pour mes crimes. Pardonnez-moi Seigneur! Jésus pardonnez-moi! Ah que n’ai-je plus de regret de vous avoir offensé! Je m’en repens de tout mon cœur. Je m’en repens de tout mon cœur. Je m’en repens de tout mon cœur; et c’est pour l’amour de vous, ô Dieu redoutable! Que je m’en repens. C’est pour l’amour de vous, ô Jésus mon adorable Sauveur, que je déteste mes péchés. C’est principalement pour vous; c’est uniquement pour l’amour de vous. Accordez-moi, ô Dieu, le pardon de mes crimes. Je l’espère de votre bonté. Je le tiens infaillible par votre miséricorde, et par [465] les mérites de Jésus votre Fils. Je vous promets de ne plus vous offenser, si pourtant vous m’en accordez la grâce, que je vous demande très instamment, ne l’attendant que de votre bonté, etc.778»

Voilà une excellente prière, simple, facile, efficace, fervente, où l’on ne perd point de temps, où la parole ne manque point; où une seule affection pourrait même suffire. Enfin, où l’on prie avec d’autant plus de goût, de fruit et de grâce, que l’on y parle toujours à Dieu et dans une entière liberté d’esprit; sans aucune méthode on entre heureusement dans la règle éternelle de la volonté de Dieu, infaillible en elle-même, quoique impénétrable à l’esprit humain.

Autre exemple de l’oraison d’un cœur qui commençe à être pris de l’amour de son Dieu. Sitôt qu’il a à la liberté de répandre sa prière en sa présence, elle coule comme un torrent impétueux à peu près en cette sorte : «Que je vous aime, ô mon Dieu! ô mon Dieu, que je vous aime! Votre amour, votre amour, votre amour! Et il me suffit. Votre amour et rien plus! Faites-vous aimer de moi, ô Dieu charité! O Dieu amour! Forcez-moi de vous aimer ainsi que vous me le permettez, autant que vous me le commandez; de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit, et de toutes mes forces! O Amour, apprenez-moi à vous aimer! Donnez-vous à moi, et je ne veux plus autre chose. Que mon bien-aimé soit tout à moi et que je sois tout à lui, [466] ainsi qu’il a toujours les yeux tournés sur moi!

[…]779… Jésus crucifié, je vous conjure par votre douloureuse mort, qu’à ma dernière heure vous daigniez recevoir mon esprit entre vos mains.»

Ô mon cher frère en Notre Seigneur. [468] l’expérience vous en apprendra infiniment plus qu’on ne pourrait vous en exprimer. Faites ainsi votre oraison par une continuelle suite d’affections libres, ou par la fréquente répétition des mêmes; et elle sera toujours excellente et d’un très grand fruit. À la fin de l’oraison rendez grâce à Dieu, en admirant son amour et sa bonté pour vous, ou par tel autre sentiment qu’il vous inspirera et qui touchera le plus votre cœur, sortant de la prière avec la même liberté que vous y êtes entré, et que vous avez taché d’y persévérer.

Toutes les prières qui sont rapportées dans l’écriture Sainte sont conçues de cette sorte. Elle s’adresse toutes à Dieu par des actes ardents d’affections ou de demandes, et toutes sont formées avec une entière liberté. La plénitude du cœur y évapore en toute simplicité une fervente prière, selon les mouvements du Saint-Esprit : ce que le Prophète-roi a voulu marquer quand il a dit : Que ma prière s’élève vers vous comme la fumée de l’encens780. La fumée de l’encens ne s’élève point sans feu, et elle s’élève droite en haut, et elle s’élève sans aucune règle certaine; mais à proportion de la quantité de feu, ou de l’encens, ou selon le vent qui l’agite. Voilà la claire figure de l’oraison, où le feu de la charité excitait affections et les porte droit au cœur de Dieu à la mesure des dispositions de l’âme et de l’inspiration du Saint-Esprit qui les fait naître. Mais surtout ce bel endroit de saint Paul aux Romains est la preuve incontestable [469] de cette oraison. L’esprit de Dieu, dit-il, nous soulage et nous aide dans nos faiblesses; car nous ne savons ce que nous devons demander à Dieu dans nos prières pour le prier comme il faut; mais le Saint-Esprit prie lui-même pour nous par des gémissements ineffables; et celui qui pénètre le fond du cœur entend bien quel est le désir de l’Esprit qui demande pour les saints ce qui est conforme à la volonté de Dieu781. Enfin Jésus-Christ même a prié de la sorte782 pour nous en donner l’exemple lorsqu’il répéta plusieurs fois la même prière. L’Église en fait de même dans ses prières publiques; et tous les Saints Pères dans leurs manuels, méditations et soliloques; enfin tous les plus sacrés monuments de l’antiquité font voir que telle a toujours été sa prière.

Mais qu’est-il besoin de s’étendre à prouver que cette manière d’oraison soit bonne et sûre, puisque tous conviennent que les affections sont ce qu’il y a de meilleur dans toute oraison de discours intérieur, et que conséquemment une oraison toute composée d’affections doit être la plus excellente dans ce genre? Et parce que ces affections sont très libres et dégagées, jusqu’à répéter souvent les mêmes, il s’ensuit qu’elle est également la plus aisée : d’où il faut encore inférer qu’il ne faut pas s’étonner si plusieurs d’entre ceux qui s’efforcent de faire autrement l’oraison, la trouve si pénible, qu’ils l’abandonnent par désespoir d’y pouvoir jamais [470] réussir; ou, s’il en est d’autres, qui y travaillent longues années avec très peu de fruit. Mais s’il voulait la faire de cette manière soumise à l’Esprit de Dieu, ils se verraient bientôt tout changés; et surtout, ils deviendraient insatiables d’oraison, au lieu qu’auparavant ils s’en faisaient un tourment. En un mot, c’est par cette enfance spirituelle783 que l’on entre dans le Royaume intérieur.

§ VII. Défauts à éviter dans l’oraison.

Quatre manquements fort ordinaires viennent interrompre le cours de l’oraison et troubler son repos : 1. les distractions; 2. les réflexions; 3. Les efforts; 4. les indiscrétions.

1. Le meilleur moyen784 de se défaire des distractions est de les mépriser et s’en détourner par un simple désaveu comme d’autant d’impertinences qui ne méritent pas qu’on y fasse attention. Que si on veut combattre contre elle par des actes contraires tirés avec effort, on les augmente plutôt, on les arrête et on les aigrit. C’est là se distraire encore plus, sous prétexte de ne pas se distraire, et pour chasser une distraction s’en procurer dix autres. Chercher ces actes contraires qu’on veut leur opposer, considérer comment il se doivent former, regarder si on les a bien faits; n’est autre chose que s’amasser du trouble et du tourment sous couleur de chercher la paix et le repos. ses ce seraient un travail autant inutile que fatigant de vouloir prendre et tuer toutes [471] les mouches qui nous importunent. Il faut donc simplement se détourner de ces fantômes pour retourner incessamment à Dieu; et loin d’appliquer l’esprit à ces sottises, le ramener doucement à la présence de Dieu par la pente du cœur qui ne doit chercher que lui. Ce n’est rien bien souvent que tout ce dont on s’effraie si fort; la distraction peut être dans le sens, pendant que l’oraison est toute dans l’esprit; et le démon porte à en faire grand cas, afin que l’âme y donnant toute son attention se détourne cependant de Dieu.

2. Les réflexions sont des larrons qui dérobent l’oraison à ce qui semblait s’amuser, les faisant cesser de penser de parler à Dieu pour les faire penser et parler à soi-même; ce qui est visiblement quitter l’oraison et perdre le temps.

Les réflexions volontaires se doivent éviter avec autant et plus de soin que les distractions, quoique faute de connaître le dommage qu’elles causent, on n’en est pas autant de crainte.

Or le moyen d’y réussir est de se tenir à l’oraison dans une grande simplicité; c’est-à-dire dans une pure attention à Dieu. Il y a une simplicité de foi, qui consiste à retrancher les discours et les raisonnements pour se contenter d’arrêter simplement aux vérités divines, ainsi qu’elles sont proposées par la foi, pour exercer ensuite l’amour; comme, que Dieu et mon père; que Jésus est mon sauveur. Et il y a une simplicité d’esprit qui consiste à retrancher les regards de nos actes et les retours sur nous-mêmes, afin de nous occuper de Dieu seul.

3. Il est ordinaire aux commençants de se laisser [472] aller à des efforts imparfaits, ou pour vouloir trop multiplier leurs actes et leurs affections, ne croyant jamais en avoir assez selon leur goût; ou pour exciter en eux de doux sentiments de la grâce, lorsqu’ils s’en voient privés; ou pour suivre avec trop de véhémence ceux qui leur sont donnés; ou pour vouloir les retenir et leur courir après lorsqu’ils leur sont ôtés. Tout cela est défectueux, et contraire à la santé du corps aussi bien qu’à la perfection de l’âme. Il arrive même souvent que l’on en pert l’oraison et la vie. Ayant trouvé le miel, mangez-en autant que vous en pouvez porter; de peur qu’en prenant par excès, vous ne soyez contraint de le vomir785.

Quatre. Il y a de l’indiscrétion à vouloir faire plus d’oraison que l’on en peut porter, lorsque le goût qui s’y trouve entraîne facilement dans l’excès. Pendant que l’oraison est encore beaucoup dans le sens, et que le sens est faible, elle est pénible et souvent interrompue, et elle a besoin de beaucoup de modération; mais depuis qu’elle s’est retirée dans l’esprit, et que les sens sont devenus plus forts, tant par leur purgation que par leur séparation d’avec l’esprit, alors elle est pure, tranquille, et presque continuelle. Chacun doit ajuster son oraison à la mesure de sa grâce, sans vouloir ni l’excéder, ni lui manquer.

Ce serait aussi une indiscrétion visible que de quitter les emplois d’obligation pour faire plus d’oraison : puisque la vraie oraison consiste à faire la volonté de Dieu; ne serait-ce pas par un égarement manifeste abandonner l’oraison même, lorsque l’on penserait la faire? Une seule direction et une exacte obéissance doivent régler tout cela, et en ordonner la juste mesure.

§ VIII. Aides à l’oraison.

Six exercices intérieurs se peuvent appeler les aides de l’oraison, par ce que, ou ils la préviennent, ou ils l’accompagnent, ou ils la suivent, et qu’ils sont comme les bras et les mains, les pieds et les ailes par lesquels l’oraison embrasse toutes les actions de notre vie, et s’étend à tous les lieux, à tous les temps, et à toutes sortes de sujets?

Ces aides donc sont : Premièrement. Le recueillement; deuxièmement. La présence de Dieu; troisièmement. L’intention; quatrièmement. L’attention; cinquièmement. Les aspirations; sixièmement. Et la fidélité.

§ IX. 1. Du recueillement.

Le recueillement est une force secrète qui retire l’âme des choses extérieures pour la tenir au-dedans attentive à Dieu.

C’est par ce doux mouvement de la circonférence au centre que l’on cherche Dieu, qu’on le trouve, et qu’on en jouit. Ce que David appelle si bien dévouer toute sa force à Dieu786 : car c’est rappeler toutes les forces d’essence extérieure et intérieure et toutes les puissances de l’âme autour de leur centre pour s’y appliquer [474] uniquement à Dieu, et le goûter et posséder chacun en sa manière.

Heureux celui qui sait ce que c’est que le sacré recueillement! La seule expérience le lui peut apprendre, lorsque l’âme se sentant prise et saisie vivement par son Époux céleste, est contrainte de s’écrier, que ses visites sont admirables, que ces parfums sont très odoriférants, que ses bras sont bien forts, et que ses brasiers sont bien doux; et que quoique le visage de son bien-aimé lui soit caché, elle sent néanmoins le poids de sa Majesté, et des fruits certains de sa présence! Rentrer ainsi dans soi-même, c’est monter à Dieu787; et quiconque se concentrant profondément dans son intérieur, s’outrepasse soi-même, s’élève véritablement à Dieu.

Tenez-vous donc recueilli de toutes vos forces, craignant de perdre votre trésor, en vous répandant au-dehors. Ceux qui sont toujours dissipés, ainsi qu’une maison ouverte à quiconque veut y entrer ou en sortir, ne sauraient faire oraison : leur âme infidèle se donne en proie à mille inutilités, au lieu de réserver toute sa force pour son Dieu; et il leur arrive ce que Jacob prédit à Ruben, vous vous êtes répandu comme l’eau : vous ne croîtrez point788. Qui ne veut faire oraison qu’à l’heure qui l’y appelle, ne la fera jamais bien, et il la perdra facilement; mais celui qui veut réussir dans ce grand exercice, doit par recueillement continuel se tenir toujours prêt à prier, et dans une disposition actuelle de faire oraison.

Hors de l’oraison il faut en conserver l’esprit, et en cueillir les fruits par un recueillement infatigable; et pour cela il est nécessaire d’aimer le silence, la retraite, l’obscurité, et la désoccupation des créatures; afin de se tenir toujours en état d’être occupé de Dieu.

§X. 2. De la présence de Dieu.

L’exercice de la présence de Dieu est une attention amoureuse à Dieu présent. Dieu, dit saint Denis, est toujours présent à toutes choses; mais toutes choses ne lui sont pas toujours présentes. Il est toujours présent à nous par son immensité, mais nous ne lui sommes proprement présents que lorsque nous pensons à lui. Or il ne suffirait pas d’y penser seulement, si ce n’était avec religion et avec amour : car les philosophes y pensent sèchement pour en discuter, et les méchants y pensent criminellement pour lui insulter.

L’écriture Sainte nous recommande si fort cet exercice, qu’elle l’appelle le grand moyen de perfection. O vous tous qui aspirez à la perfection, pensez à votre Dieu en tout temps, en tout lieu, et dans tous vos emplois! Cherchez le Seigneur, pour qu’il soit votre force; ne cessez point de chercher sa face789. Que ce soit votre première pensée en vous éveillant, la plus fréquente durant la journée, et la dernière en [476] vous endormant. Renouvelez-en le souvenir à chaque moment, et ne craignez rien tant que de perdre de vue le Dieu de votre cœur. Revenant d’une compagnie, sortant d’une affaire d’application, après une longue distraction ou quelque égarement que ce soit, cherchez vitement votre Dieu dans son sanctuaire, qui est votre intérieur. Sitôt que vous rentrerez chez vous, vous l’y trouverez. Ne perdez pas vos pensées, qui sont sans nulle comparaison plus précieuses que les paroles pour lesquels on sait que nous devons rendre un compte rigoureux. Et pour ne pas perdre vos pensées, portez-les infatigablement toutes à Dieu, ou à ce que Dieu veut de vous : ce qui lui est autant agréable que de les appliquer directement à lui-même. Si nous n’avons pas le bonheur d’agir comme les saints anges sans cesser de voir la face de Dieu, agissons du moins comme des enfants affectionnés à leur père, qui après avoir obéi à ses ordres, reviennent aussitôt se présenter devant lui, pour en recevoir de nouveaux commandements.

§XI. 3. De l’intention.

L’intention et la vue et le choix de la fin pour laquelle on agit.

Il y a plusieurs bonnes intentions, mais une seule est parfaite.

Ce sont de bonnes intentions que celles que l’on se propose de servir Dieu pour la délivrance des maux, ou par l’espérance des biens, soit temporels ou éternels, pourvu que l’on ne désire rien qui ne soit digne d’être donné de Dieu et conforme à sa volonté.

Mais pour arriver plutôt à la perfection, il faut se dégager de tout propre intérêt, et par un amour généreux outrepasser tout ce qui nous regarde pour n’avoir en vue que Dieu seul; Dieu et son bon plaisir, et son amour et sa gloire. Au lieu de vous fatiguer à multiplier vos intentions, il faut au plus tôt vous accoutumer à celle-là qui est la moins embarrassante, et néanmoins la plus parfaite.

C’est là l’intention des intentions; c’est la charité généreuse; c’est la pureté de l’amour. Tout motif intéressé est imparfait, puisque l’on s’y cherche soi-même; et que l’on donne par là une sensualité à la nature, et un morceau délicat à l’amour propre. Il faut espérer les dons de Dieu et lui demander ses grâces ainsi qu’il nous le commande : mais il ne le faut faire que parce que Dieu le veut selon que l’explique saint Cyprien : et ainsi la charité s’accordant parfaitement avec l’espérance, elle veut que l’on attende de Dieu tout ce qu’il commande d’espérer de sa bonté : mais elle ne laisserait pas de l’aimer quand même elle ne devrait jamais avoir part à ces dons. L’amour d’espérance790 est fort bon, mais il est imparfait; il fixe son regard en la divine bonté; mais il a aussi égard à [478] notre utilité; c’est-à-dire, qu’il ne nous porte pas à Dieu parce que Dieu est souverainement bon en soi-même, mais parce qu’il est souverainement bon envers nous-mêmes : où, comme vous voyez, il y a du nôtre et du nous-mêmes; et partant cet amour est vraiment amour; mais amour de convoitise et intéressé.

Marchez par la voie la plus excellente qui est celle du désintéressement. Renoncez en premier lieu à toute attention mauvaise, non seulement à celle qui serait manifestement criminelle; mais aussi à tout respect humain et à tout désir de captiver l’estime, ou de gagner les bonnes grâces de la créature, vous imprimant vivement la règle de saint Paul : Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur de Jésus-Christ791. Après cela, accoutumez-vous dès l’abord à former les intentions les plus simples et les plus parfaites; à savoir de vouloir faire la volonté de Dieu, lui obéir, concourir à sa gloire, lui témoigner votre amour et votre fidélité : surtout cherchez tous vos motifs d’agir ou de pâtir du côté de Dieu. Reprenez souvent ces mêmes vues jusqu’à ce que vous en ayez formé l’habitude, non seulement dès le point du jour, mais encore à diverses reprises durant la journée. Puis quand vous serez tellement établi dans cette vue de Dieu en toutes choses, qu’il vous sera devenu comme naturel de tout faire et de tout souffrir pour l’amour de lui, il ne sera plus nécessaire que vous en formiez des actes si sensibles ni si fréquents : le regard amoureux et l’état habituel de vouloir être tout à Dieu, et de n’avoir plus d’autre fin, ni même d’autre objet que lui, vous suffira. Toute la prétention de l’amour est d’aimer; et l’amour se repose et se perd enfin dans son bien-aimé.

§ XII. 4. De l’attention.

L’attention est l’application de l’esprit à ce qui se fait. Il faut qu’elle soit pieuse et sainte dans la prière et dans tout ce qui regarde le service de Dieu, afin qu’il se fasse religieusement.

Or il y a de trois sortes d’attentions. La première est de penser à ce qui se dit et se fait, à dessein de s’en acquitter exactement; et elle est bonne et suffisante. La seconde est de penser au sens des paroles, à la signification mystérieuse de ce qui est représenté; et celle-ci est aussi pieuse. La troisième est de penser à Dieu, se tenant doucement appliqué à lui seul, sans chercher autre chose; et celle-ci est la plus parfaite, la plus nécessaire, et aussi la plus aisée; en sorte que tous les plus simples et idiots en sont capables.

Appliquez-vous donc directement à Dieu dans tous vos exercices de piété, pratiquant ainsi l’attention la plus facile et la plus pure; mais faites-le avec la même liberté qui se doit garder dans l’oraison; je veux dire sans vous gêner à aucune pensée déterminée; mais vous tenant seulement attentif à Dieu avec un cœur libre et vide de toute propre provision, pour laisser à Dieu la liberté de l’occuper à son gré.

Le Saint-Esprit désire tellement de nous cette [480] soumission à ses mouvements divins dans toute notre conduite intérieure, que c’est pour cet effet qu’il nous communique ses dons, ainsi que les théologiens l’avoue. Ceux donc qui s’abandonnent le plus à lui, sont plus disposés à recevoir les grâces et à en mériter l’accroissement.

Au commencement de la prière mettez-vous dans cette simple attention. Vous trouvant distrait, remettez-vous en attention par un simple retour à Dieu présent; et faites-en de même autant de fois qu’il sera nécessaire. Évitez les occasions de vous distraire, et cherchez tout ce qui est avantageux au recueillement, comme le secret, ou la sainteté du lieu où se fait la prière, selon l’exemple que Jésus-Christ nous en a donné, lorsque voulant prier avec tranquillité il renvoyait le peuple s’en allait seul sur la montagne792, ou le soir étant venu (qui marque repos de la prière) il ne souffrait personne avec lui.

§ XIII. 5. Des aspirations.

Les aspirations sont des élancements de l’âme vers son Dieu qu’elle fait par de courtes et ferventes paroles pour lui demander quelques grâces, ou pour lui témoigner son amour.

Ces affections se peuvent former ou dans le cœur seulement, ou aussi de bouche, selon le mouvement qui en est donné.

L’usage en est d’un prix inestimable, au témoignage des Pères et sur l’expérience des âmes. Il suffit de dire qu’elles sont comme les filles, les messagères et les mères de l’amour. Elles servent à exercer l’amour, à conserver l’amour, et à augmenter l’amour. Ce sont ces filles de Jérusalem793 que l’Amante sacrée conjure au cas qu’elles soient assez heureuses pour arriver jusqu’au trône de son Bien-aimé, de l’assurer qu’elle languit d’amour pour lui. À ces aspirations l’Époux céleste répond souvent par ses inspirations tout ardentes d’amour; la même Epouse l’avoue : Mon âme, dit-elle, s’est fondue d’amour sitôt que mon Bien-aimé m’a parlé.

C’est là, selon saint Denis, l’admirable et sacré Sagesse, par laquelle se lie l’union divine; et à l’aide de ces élancements amoureux l’amour sacré se porte droit à Dieu sans qu’il lui soit nécessaire de se préparer auparavant par aucune méditation, ni de faire précéder nulle autre recherche.

Usez fréquemment de ces traits amoureux. En tout lieu, à toute heure, en quelque état que vous soyez, lancez de ces vives étincelles vers le cœur de votre Bien-aimé. C’est ce que conseille saint François de Sales, lorsqu’il dit : «Tenez fort chères vos saintes affections; car la moindre vaut mieux que mille mondes; par exemple : O que vous êtes aimable, mon bien-aimé! O que vous êtes relevé en bonté! Par ce commerce si secret, si aisé et si prompt, vous ferez plus de progrès dans les voies de [482] Dieu, que vous ne feriez sans cela par les plus extrêmes austérités». Dans les maladies mêmes, nonobstant l’accablement du mal, on peut à tout coup s’unir à Dieu par ces courtes et excellentes prières. Le même saint ordonne à une de ses filles spirituelles : «Je sais bien, dit-il, que là, dessus le lit, vous jetez mille fois le jour votre cœur entre les mains de Dieu. Et, c’est assez.» Il lui commande de plus, d’obéir aux médecins lorsqu’ils lui défendront le jeûne, l’oraison mentale ou vocale, et même l’office; mais sans jamais omettre la jaculatoire

§ XIV. 6. De la fidélité.

Soyez fidèle jusqu’à la mort et je vous donnerai la couronne de la vie794. Il importe infiniment d’être fidèle dans les voies de Dieu, puisque c’est de là que dépend la couronne.

Or cette fidélité consiste, premièrement. À observer la volonté de Dieu, pour tâcher de la reconnaître, soit extérieurement, selon qu’elle nous est manifestée par la providence, ou par l’obéissance, qui sont comme les deux flambeaux qui nous la montrent; soit intérieurement, par l’inspiration divine; ainsi que le premier devoir d’un serviteur fidèle est d’être fort appliqué à apprendre les volontés de son maître. Deuxièmement. À exécuter promptement les volontés de Dieu reconnues, autant dans les petites choses que dans les grandes, et en tout généralement, sans exception quelconque; ce qui est le second point de la fidélité du bon serviteur; car, selon l’Oracle de Jésus-Christ, Celui qui est fidèle dans les petites choses, le sera aussi dans les grandes; et celui qui est injuste dans les petites choses, le sera aussi dans les grandes795. Ces âmes infidèles qui ne veulent éviter que les plus grands péchés, sans s’abstenir de légères fautes, sont si insupportables à Dieu, qu’il les menace de les vomir de sa bouche796; mais les âmes fidèles évitent avec autant de soin les fautes vénielles que les crimes, et les imperfections comme les péchés; parce qu’elles ne veulent ni offenser leur bien-aimé ni lui déplaire.

Un autre important devoir de la fidélité est de garder exactement les lois de l’amitié divine; ce qui est proprement être fidèle en fait d’amour.

Or ces sacrées lois sont ces trois principales : la souveraineté, la chasteté, et la générosité. Premièrement. Par la souveraineté de l’amour, on aime rien plus que Dieu; on aime rien autant que Dieu; et on n’aime rien que pour l’amour de Dieu; et le fidèle amateur sacrifie sans réserve non seulement tout soi-même et ce qui en dépend, mais aussi toute créature aux intérêts de son Dieu. Deuxièmement. Par la chasteté de l’amour on aime Dieu sans réserve, sans mélange, sans déguisement. Il y aurait de la réserve à ne pas assez renoncer à soi-même et à toutes choses pour l’amour de Dieu. Il y aurait du mélange à chercher ses propres avantages dans son service. Il y aurait du déguisement à protester que l’on aime Dieu de tout son cœur, et cependant vouloir encore lui déplaire ou lui résister en quelque [484] chose; sur quoi de grands maîtres spirituels nous assurent que certaines infidélités des amis de Dieu lui déplaisent plus que les crimes de ses ennemis. Cela même est tout naturel. Un manquement de correspondance d’une épouse déplaît plus à son époux que tous les outrages des serviteurs. Troisièmement. Par la générosité de l’amour, l’ami de Dieu est toujours prêt à tout faire, tout souffrir et tout perdre, plutôt que de manquer à son amitié. C’est en cela que l’amour doit être plus fort que la mort797.

Le premier degré du divin amour est qu’il soit véritable; le second est qu’il soit fort; le troisième est qu’il soit pur. Heureux celui qui marche dans le premier, plus heureux celui qui est dans le second; mais celui qui est arrivé au troisième est sain et parfait. Un grand point de la générosité de l’amour, c’est d’être fidèle à la Croix. On ne peut exprimer combien grande est la délicatesse de l’amour céleste en ce point : être fidèle à la croix, c’est ne jamais la refuser de quelque nature qu’elle soit, ne jamais se plaindre de sa rigueur, ne pas désirer d’en être affranchi, ne pas chercher des soulagements humains ni des adoucissements naturels, porter même avec une humble résignation la privation des consolations divines; enfin, laisser faire à la croix ce qu’elle a ordre de Dieu de faire en nous, lui demandant seulement la grâce de la porter avec une entière fidélité.

§ XV. De la prière vocale.

La prière vocale est l’hommage des lèvres et le sacrifice de la bouche par lequel on doit honorer Dieu non seulement en public aux assemblées des fidèles, mais aussi en particulier, où Dieu seul et ses anges en sont les témoins.

Cette prière est surtout de saison dans le printemps de la vie spirituelle, que je dépeins ici, tout paraît riant en nouveauté de vie, et où l’âme est toute fleurie de douceur et de grâce céleste. Outre l’obligation qu’il y a de s’acquitter des prières qui sont de préceptes, il est très utile de prier vocalement, surtout pour trois grands biens, qui en reviennent à l’âme.

Le premier est de prolonger la prière et de la multiplier : car dans cet état d’enfance spirituelle, l’oraison intérieure ne pouvant pas encore durer bien des heures, en priant de bouche ont fait davantage de prières que l’on en ferait sans ce secours; et la prière vocale étant ici accompagnée de la mentale, cet enfant de grâce ayant déjà appris à ne prier guère de bouche sans qu’il prie en même temps de cœur; il se trouve qu’il gagne beaucoup d’oraison de cœur, en multipliant celle de la bouche, outre qu’il reçoit beaucoup d’affections simples qui entretiennent l’application de l’esprit. C’est par cette union de la prière du cœur et de la langue qu’il éprouve ce que David admirait, que son cœur était dans la joie et sa langue dans le tressaillement798. [486]

Deuxièmement. Le second est de causer de tendres sentiments de grâce. Dites-nous, ô amis de Dieu qui les avez éprouvés, dites-nous, si vous le pouvez, quel est le goût de cette manne céleste qui se recueille en cette aurore du jour de la ferveur sensible; et combien ce lait en l’enfance spirituelle vous est délicieux? Mais ces consolations divines ne s’accordent guères qu’à ceux qui prient avec abandon, et dans une parfaite liberté de cœur, pour que Dieu l’applique à ce qu’il lui plaît. Car ceux qui tiennent en captivité l’esprit de sa grâce, ne peuvent sentir ses doux écoulements. Heureux mille fois ceux qui éprouvent ce que voulait dire David dans de semblables transports! Mon cœur et ma chair tressaillent de joie pour le Dieu vivant799 : c’est-à-dire, que l’intérieur et l’extérieur sentent, chacun en leur manière, le poids majestueux de la présence de Dieu et la douceur de son amour.

Troisièmement. Le troisième [des biens de l’oraison vocale] est d’éclairer l’âme de la lumière céleste; car en récitant la parole divine, elle reçoit grâce pour l’entendre; et c’est ici que l’intelligence lui en est donnée selon sa portée, en sorte qu’elle est autant ravie des sens admirables qu’elle y découvre, que des goûts spirituels qu’elle y trouve; et c’est alors qu’elle comprend un peu ce que veut dire ce verset du psaume : Vos paroles étant découvertes, éclairent et donnent l’intelligence aux petits800.

Priez donc beaucoup dans ce degré, autant que vous en aurez d’attrait et de liberté. Acquittez-vous très exactement de toutes vos prières d’obligations. Usez souvent des aspirations de bouche pour exciter la dévotion du cœur. Priant vocalement, offrez à Dieu un cœur vide et dégagé de tout, afin qu’il le remplisse des sentiments qui lui seront les plus agréables. Dieu a voulu que toutes nos meilleures prières commençassent par l’appeler Notre Père céleste, afin que nous apprécions à prier en enfants. Il ne se peut dire combien cette enfance spirituelle dans tous nos exercices communique de grâces.

Dans les prières vocales qui ne sont pas d’obligation, il faut observer trois choses qui sont d’une extrême conséquence : premièrement. La première, de ne pas les multiplier en tant de sortes différentes, comme tant de Pater et d’Ave pour une dévotion, et tant pour une autre; tant de litanies, offices ou chapelets. Cela cause plutôt un accablement ennuyeux qu’aucune ferveur d’esprit, et tient l’esprit et le cœur attachés avec gêne à la prière, au lieu de les élever à Dieu. Mais il faut les réduire toutes à une ou deux espèces, comme à tel office ou au Rosaire. Il est mieux aussi de ne pas s’engager dans plusieurs Confréries; parce que se chargeant de tous leurs devoirs, on s’en embarrasse et on ne s’en acquitte pas; une bonne suffit. Les Indulgences non plus ne manquent pas à qui les fait gagner. Deuxièmement. La seconde est, que comme la prière qui n’est pas l’obligation ne se doit entreprendre que pour exciter la dévotion intérieure, dès que celle-ci est assez enflammée, il faut quitter la prière de bouche pour ne prier plus que de cœur; autrement ce [488] serait se priver de la dévotion que l’on aurait actuellement pour en chercher une autre qui n’est qu’imaginaire. Plusieurs se font ainsi un tort considérable, étouffant la ferveur de l’esprit par le bruit de la bouche, et perdant des grandes miséricordes de Dieu par la vaine appréhension de manquer à la tâche qu’ils se sont imposée. Récitant donc une prière libre, si on se sent saisi d’un doux recueillement, et que le cœur ayant envie de parler tout seul à son Dieu, ou de se reposer dans l’admiration de sa volonté, invite la bouche à se taire, il le faut faire sans hésiter; la prière de la bouche, qui aide à celle du cœur en un temps, l’empêche dans un autre; et celle-là doit diminuer à mesure que celle-ci augmente. Troisièmement. La troisième [choses à observer] est, que selon les mêmes docteurs, les oraisons vocales qui sont libres, n’étant que des moyens pour arriver à la mentale, ceux-là se trompent grandement qui pour s’acquitter chaque jour d’un certain nombre de prières de bouche qu’ils ont pris à tâche, renoncent à la seule et tranquille prière du cœur puisque c’est quitter la fin pour s’amuser autour des moyens; c’est comme s’obstiner à ronger les os lorsqu’on peut sans peine se nourrir de la chair; ou vouloir toujours souffler le feu et ne jamais jouir paisiblement de son ardeur. Dieu aime mieux un quart d’heure d’oraison intérieure que dix heures de froide et sèche prière de la langue, en laquelle on met grande confiance, et qui n’est presque rien.

§ XVI. De la prière du corps.

Qu’il me soit permis d’appeler ainsi la posture humiliante par laquelle le corps durant la prière contribue de tout ce qui peut à la rendre plus soumise, plus attentive, et plus fervente.

Outre les humiliations du corps qui sont publiques de se tenir à genoux, la tête et les mains jointes, (ce qui est commun à tous les fidèles,) les serviteurs de Dieu en pratiquent plusieurs autres dans le secret, que le Saint-Esprit leur suggère, dont ils tirentà de très grands biens.

Quelque vain spirituel aurait beau nous dire que Dieu se doit adorer en esprit et en vérité; et que conséquemment la posture du corps est fort indifférente à cet acte de religion; que des cérémonies faites dans le secret sont des niaiseries. Cela approcherait fort du sentiment de ceux, qui par l’abus de ce principe, ont retranché les cérémonies de l’Église de leurs propres assemblées. Mais l’autorité de l’Écriture, l’exemple des saints, et l’expérience des meilleures âmes nous doit convaincre que l’abaissement du corps a une force merveilleuse pour lier l’esprit; et Dieu a souvent fait connaître que cela lui plaît grandement.

Les saints patriarches et prophètes ont souvent usé de ces pieuses inventions pour s’anéantir devant Dieu, du prosternement de tout le corps, de l’abattement du visage en terre, du sac, du cilice, et de la cendre. Mais le Saint [490] des Saints, Jésus le roi de gloire, en a plus que tous consacré l’usage, passant des nuits entières en oraison dans les postures les plus humiliantes, jusqu’à se prosterner le visage en terre801. Que si la seule vue d’un ange renversait autrefois les prophètes802, quiconque n’a jamais prosterné tout son corps devant Dieu, n’a jamais senti le poids de sa Majesté, qui accable ses petits serviteurs lorsqu’il daigne les visiter; et j’oserais dire que son esprit n’a jamais été abaissé par une vraie humilité.

Saint Jean Climaque a si bien écrit803 que ceux qui n’ont pas encore acquis la vraie oraison du cœur se doivent exercer par la prière du corps afin de l’obtenir, étendant les bras, se frappant la poitrine, poussant mille soupirs, gémissant à tout coup, regardant fixement le ciel, se prosternant souvent, et se tenant infatigablement à genoux; à cause que les démons prennent occasion d’inquiéter plus malignement ceux qui priant en présence d’autres personnes, n’ont pas la liberté de faire les mêmes choses.

Adorez ainsi votre Dieu de toutes les forces de votre esprit et de votre corps, sans pourtant vous contraindre par une posture trop gênante et trop pénible, de peur que l’excès de la souffrance n’empêche le fruit de l’oraison, qui est un plus grand bien. Ayez surtout une vive confiance que la même bonté de Dieu qui pardonna au publicain pour avoir frappé deux ou trois fois sa poitrine avec une véritable repentance de ses péchés, aura pitié de vous, et vous fera de très grandes miséricordes, vous voyant mille et mille fois humilié et abaissé de toutes vos forces devant sa redoutable Majesté.

Il est temps surtout de se prosterner en terre dans le secret, lorsqu’on veut lui demander avec insistance sa conversion; quand on veut lui faire amende honorable pour des péchés énormes; ou se donner à lui par un parfait abandon; ou lui demander quelque grâce signalée pour soi-même ou pour autrui; ou s’offrir pour apporter quelques bonnes croix; ou quand devant être visité de Dieu, on sent l’accablement délicieux qui est avant-coureur de sa venue, et l’anéantissement qui en est une bien sûre marque et l’un des plus grands fruits.

§ XVII. De l’amour de la volonté de Dieu.

C’est ici le second chef de la vie spirituelle que j’ai proposé dès le commencement. Comme l’union de l’âme avec Dieu se fait par la conformité parfaite de l’âme à la volonté de Dieu, et que c’est en cela que consiste la pureté de l’amour et l’unité d’esprit avec le Seigneur : c’est le plus doux, le plus pressant, et le plus continuel attrait dont il la prévient, que de lui donner un ardent amour de sa très juste volonté. Tous ceux qui doivent arriver à cette union divine, se font de la soumission à l’ordre de Dieu, la plus chère dévotion de leur cœur; et de l’admiration [492] de sa providence, l’occupation la plus ordinaire de leur esprit.

Abandonnez-vous donc à Dieu par une entière résignation, consentant qu’il fasse en vous et de vous, tant pour le corps que pour l’âme, pour la santé ou pour la maladie, pour la vie ou pour la mort, pour le temps et pour l’éternité, ce qui lui sera le plus agréable et le plus glorieux. Pour rien au monde ne vous laissez jamais tirer de cette disposition; mais dites constamment dans tout ce qui vous peut arriver : Il est le Seigneur, qu’il fasse tout ce qui est agréable à ses yeux804.

Adorez et aimez la justice de Dieu autant que sa miséricorde, vous soumettant aussi librement à l’une comme l’autre, puisque l’une et l’autre est également une même chose avec Dieu; et ne désirez rien plus sinon que Dieu se contente et se glorifie en vous et en toutes ses créatures à quelque condition que ce soit : parce que tout être créé doit être sacrifié à l’ordre du Créateur; et comme c’est le plus juste, c’est aussi le plus grand culte que sa créature lui puisse rendre, que de consentir à sa destruction totale pour reconnaître en périssant la souveraineté immortelle de son Dieu. C’est là la pénitence parfaite, qui tout d’un coup anéantit tous les péchés; parce que c’est la plus pure charité, avec laquelle nulle tâche ne peut subsister. C’est le plus grand sacrifice du cœur, que Dieu aime le plus, comme c’est celui qui le glorifie davantage. Si donc vous ne pouvez l’honorer par de grandes austérités, ni faire des choses extraordinaires pour sa gloire, remettez-lui votre franc arbitre qu’il vous a donné en propre; et ce don lui ravira le cœur en telle sorte, que par un contre-échange infiniment heureux, il s’obligera de se donner lui-même à vous.

Recevez tout ce qui vous arrive de moment en moment, soit de la part des hommes ou des démons, ou de toutes les causes naturelles, comme des effets sensibles de la volonté de Dieu à votre égard. Cela est si vrai et si universellement infaillible, qu’à la réserve de nos propres péchés, tout ce qui nous arrive, même par les péchés des autres, et pour nous une volonté de Dieu bien reconnue. C’est dans cette vérité que Jésus-Christ appelle sa Passion sainte causée par les plus méchants hommes, un calice que son père lui donne à boire805; et que David osa dire806 que le Seigneur avait ordonné à Sémeï de le maudire. Et que tous les amis de Dieu regardent les persécutions comme des grâces signalées. Heureux mille fois celui qui a cette vue de foi et ce goût d’amour dans tous les maux de cette vie! Il voit la main de Dieu caché sous les créatures dont il se sert pour l’affliger; et il admire que Dieu se serve de la malice des hommes et des démons pour sanctifier ses Élus.

Dès qu’une âme est pénétrée du rayon intérieur, elle change bien de sentiment touchant les providences qui lui arrivent. Loin d’en juger en la manière des raisonneurs humains, comme elle tâchait de faire autrefois, elle en parle en sage enfant de Dieu; et la beauté de l’ordre de Dieu lui étant peu à peu découverte, elle en est ravie au-delà de tout ce qui s’en peut dire. Acceptons donc tout ce qui nous est donné avec une égale [494] résignation. C’est le plus grand article de la science des saints. Une sainte fort éclairée de Dieu s’en explique si bien en ces termes807 : «Plus l’homme se conforme aux vouloirs divins, plus il s’éloigne de son imperfection, et il s’approche plus près de la perfection; de sorte que quand il ne peut plus s’écarter en rien de la divine volonté, il devient alors tout parfait, uni et transformé en Dieu. Vous voyez donc que l’âme demeurant en sa volonté déréglée est imparfaite, et qu’elle devient parfaite à mesure qu’elle s’approche de la volonté de Dieu.» Cela est autant infaillible comme il est certain que la volonté de Dieu est la règle de toute perfection; puisqu’étant une même chose avec Dieu, elle est aussi parfaite que Dieu même; et que comme le créateur donne l’être à toutes choses par sa puissance, il leur prescrit aussi leur perfection par sa volonté : c’est pourquoi le grand Apôtre nous exhorte à ne pas nous conformer à ce siècle, qui juge si mal des choses, mais à nous changer dans l’état nouveau de l’esprit, afin que nous connaissions ce que Dieu désire de nous de bon, d’agréable et de parfait808 : comme s’il voulait dire que rien ne peut être bon, agréable et parfait, qu’autant qu’il est conforme à la volonté de Dieu, qui est la source et la règle de toute perfection.

N’agissez plus en aucune chose par nulle considération humaine, mais par la seule vue de Dieu. Ne désirez pas de plaire, et ne craignez pas non plus de déplaire aux hommes; désirez uniquement de plaire et craignez seulement de déplaire à Dieu. Comment un chrétien qui croit à la parole de Jésus-Christ, que le monde ne peut pas recevoir son esprit de vérité, parce qu’il ne le voit ni ne les connaît point; et qui a appris du grand Apôtre, que s’il cherchait à plaire aux hommes il ne serait pas serviteur de Jésus-Christ809 : comment, dis-je, un chrétien peut-il consumer sa vie à apprendre les maximes du monde dépravé, et à étudier la complaisance humaine?

Pour vous, mon cher frère, qui aspirez à la perfection, vous n’agirez jamais par nature en aucune chose, c’est-à-dire dans la vue de votre propre goût, de votre gloire, ou de votre avantage; non pas même en des choses qui semblent permises : car cela n’est nullement permis par les lois du pur amour, qui ne cherche jamais ses propres intérêts810, mais seulement par l’avidité insatiable de la nature, qui se cherche en tout soi-même; et il est infaillible que811 tout ce qui ne se fait pas purement pour Dieu, passera par le feu. Mais agissez en tout par grâce, c’est-à-dire à dessein de plaire à Dieu, de concourir à sa gloire, et de vivre selon son esprit d’une manière parfaite.

Ne regardez plus dans vos actions si les hommes les estiment ou les blâment; si vous y avez du plaisir ou de la peine; si vous y gagnez ou si [496] vous y perdez : mais seulement, si elles plaisent à Jésus votre amour, pour lequel vous devez désormais faire et souffrir toutes choses.

Or il n’est pas si difficile que l’on s’imagine de connaître ses adorables volontés; car elles se connaissent par la Providence, par l’obéissance, par la Direction, par les Écritures saintes, et par la lumière intérieure, que le Saint-Esprit communique à ceux qui sont sincèrement disposés à faire la volonté de Dieu sitôt qu’ils l’auront reconnue; selon la promesse de Jésus-Christ, Si quelqu’un veut obéir à la volonté du Père, il connaîtra si cette doctrine vient de Dieu812.

§ XVIII. De la mortification.

La mortification est, selon la règle de saint Paul, le propre exercice de la vie spirituelle. Si vous vivez selon la chair, nous dit-il, vous mourrez; mais si par l’esprit vous mortifiez les passions de la chair vous vivrez. Et ailleurs, conduisez-vous selon l’esprit, et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair813. On ne peut vivre selon l’esprit sans mourir à la chair. Si quelqu’un vous apporte une autre doctrine, ne communiquez pas avec lui; car il est contraire à Jésus-Christ, qui nous a déclaré que pour le suivre il faut nécessairement nous renoncer nous même, et porter notre croix chaque jour814. Or nous renoncer nous-mêmes c’est ne suivre en rien nos inclinations naturelles pour suivre en tout la volonté de Dieu; et porter notre croix chaque jour, c’est persévérer constamment dans la mortification.

La pratique de la mortification chrétienne est : Premièrement. De retrancher à la nature tout plaisir inutile, tel qu’est-ce celui qu’elle veut prendre pour sa seule satisfaction; afin de lui apprendre à se contenter de ce qui est nécessaire selon l’ordre de Dieu. Deuxièmement. De l’affliger de quelques maux qu’on lui procure volontairement, pour la punir et la purifier autant que ses forces et l’obéissance le permettent. Il faut dans ces commencements porter l’austérité de la vie aussi loin qu’elle peut aller, et la continuer tant que Dieu en donne les forces. L’esprit de pénitence et de mortification, qui sont les fruits de la Croix du Sauveur, doivent nous y faire entrer, et y persévérer infatigablement, jusqu’à ce que Dieu nous en retire; ce qu’il fait par l’obéissance ou l’impuissance. De plus, c’est pour lors qu’il a d’autres desseins sur nous. Les premiers combats du chrétien se donnent par le retranchement des plaisirs, et les autres plus forts se soutiennent par la souffrance des douleurs. Il faut, dit excellemment saint Augustin, vaincre premièrement les plaisirs, avant que de pouvoir remporter la victoire sur les douleurs815; il faut savoir se renoncer avant que de pouvoir porter sa croix. Qui ne peut supporter une mortification, comment souffrirait-il la mort? Et qui ne peut mépriser les délices que le monde lui [498] promet, comment pourrait-il surmonter les supplices dont il le menace? Mais parce que la première de ces deux mortifications, qui consiste dans le retranchement des plaisirs, est beaucoup plus nécessaire et plus générale que l’autre, qui s’exerce par des maux volontairement infligés, quoiqu’elle soit moins connue et moins pratiquée; c’est d’elle-même que je veux vous donner plus de connaissance.

Le premier travail et de mortifier les sens : ce qui se fait en ne leur donnant que ce qui leur est nécessaire pour la conservation du corps, se contentant de la plus simple bienséance de la condition d’un chacun, et mesurant le tout au besoin et aux forces. Il faut donc retrancher toute inutilité, toute délicatesse, toute sensualité au manger et au boire, au coucher et au dormir, au linge et aux parures, à se chauffer, à se promener, parler, voir, écouter et converser. Vous ne chercherez plus à voir des objets qui repaissent de curiosité; vous ne ferez plus de cas des bijoux ni des bagatelles; vous n’entretiendrez point d’animaux pour votre seul divertissement : plus d’instruments ni de chansons, sinon pour se récréer en Dieu par des cantiques spirituels; les festins, les jeux les plus innocents, les visites et les assemblées ne seront plus pour vous, à moins que la nécessité, l’obéissance, ou la charité ne vous y engagent. Si votre cœur est pris de l’amour de Jésus et de l’estime de sa Croix, vous ne pourrez plus souffrir ni bouquets, ni fleurs, ni senteurs, ni parfum, ni poudre, ni tabac, ni autres semblables amusements. Le serviteur de Jésus-Christ a bien d’autres divertissements à chercher; et son divin Maître [mettre une note entrer l’excès] fait bien le régaler d’autres douceurs. Tant que l’homme sera attaché à ses plaisirs sensuels, il ne goûtera jamais les chastes délices de l’esprit; et une visite intérieure de Jésus réjouit plus le cœur de ses amis en un quart d’heure que tous les plaisirs de tout le monde ensemble ne sauraient faire en cent ans.

La seconde application doit être de mortifier les passions, en sorte qu’il y ait plus d’impatience, plus de colère, le, plus d’inquiétude, plus de soucis; point de désirs, point d’amour purement naturel, quoiqu’il passe pour honnête et raisonnable, ni point d’amitié qu’en Dieu et seulement pour le règne de Dieu en nous. Il faut s’entr’aimer par grâce, ainsi que les enfants de Dieu savent aimer. On ne peut plus ici souffrir d’attache à aucune créature, ni de désir d’être estimé ou aimé naturellement, ni aucune ambition, ni nulle passion pour le point d’honneur; tout cela n’étant qu’autant de dérèglements de la nature. Apprenez surtout de Jésus-Christ à être doux et humble de cœur816 comme lui; doux envers le prochain, ainsi qu’un agneau, et humble de cœur devant Dieu, par aimer votre bassesse pour la gloire qui lui en revient.

Le troisième exercice est de mortifier l’esprit, refusant aux trois puissances de l’âme tout ce qui leur est inutile ou dangereux. Premièrement. À l’entendement toute curiosité, toute lecture et toute connaissance que Dieu ne demande pas de vous. N’ayez que du rebut pour toutes les nouvelles du siècle, et pour tous ses contes amusants, comme [500] en étant séparé de cœur; afin d’avoir une conversation continuelle dans le ciel. Surtout renoncez à votre propre jugement, qui est votre plus dangereux ennemi, et le plus difficile à dompter; tenez-le soumis au jugement de Dieu; et pour cet effet, faites-le plier sous celui des hommes, ou qui ont droit de vous commander de sa part, ou qui vous contestent quelque chose que vous ne voyez pas évidemment être contre lui. Deuxièmement. À la mémoire, tout souvenir inutile, toute recherche ce qui ne sert de rien, toute réflexion qui n’est pas nécessaire, toute pensée qui n’est pas de Dieu, ou de ce à quoi l’ordre de Dieu vous applique. Troisièmement. À la volonté tout désir, tout dessein, toute inclination et tendance, empressement, tout propriété, tout attachement à ce qui n’est pas Dieu, et toute aversion naturelle; pour ne vouloir que Dieu et son bon plaisir en toutes choses.

Mais que fais-je en proposant un petit détail de la mortification chrétienne, puisque ceux qui n’ont point le sacré recueillement n’y comprendront rien, ou jugeront tout cela impossible : et ceux qui sont vraiment recueillis en pratiquent plus que je ne leur en saurais dire, l’Esprit saint de Dieu, qui les tient serrés au dedans d’eux, ne leur permettant pas une satisfaction purement naturelle? Il faut du moins que`tous m’accordent que sans cette vigoureuse poursuite de soi-même on ne peut attendre aucune perfection; et que la grâce de Dieu est toute puissante pour faire pratiquer à l’âme même avec joie et avec un courage incroyable, ce qui paraît d’abord si insupportable à la nature.

Ne me dites pas que l’oraison est trop rigoureuse, puisqu’elle nous engage à une vie si mortifiée. Ce n’est pas l’oraison qui nous y oblige; mais c’est elle qui nous aide à nous acquitter de ce devoir. L’oraison ne fait pas non plus naître nos peines de providence; mais elle les adoucit et les consacre. Ceux qui ne font point d’oraison, n’ont-ils donc rien à souffrir? Ou ceux qui font oraison sont-ils privés de tous plaisirs? O. Dieu! Il en faut laisser la décision à l’expérience; l’amour divin sait bien changer et de goût et de forces. Faites oraison, mon bien-aimé, et vous l’éprouverez; et vous admirerez combien l’oraison donne de grâce pour pratiquer la mortification, et combien la mortification mérite l’accroissement de l’oraison.

§ XIX. De la lecture spirituelle.

Renoncez pour jamais à toute lecture inutile, pour vous arrêter à celle qui est nécessaire à votre âme, ou vous acquitter de votre devoir selon Dieu.

Rejeter surtout les livres artificieux et humains ou l’on fait ostentation des choses divines; mais où Dieu ne répand point son onction ni son esprit. Ceux qui aiment ces sortes d’auteurs demeurent avec eux dans les ténèbres jusqu’à la fin de leur vie.

Les fruits de la lecture spirituelle sont très grands; et c’est une perte inestimable que de la [502] négliger. Il est croyable que de malheureuses chutes arrivent par cette infidélité.

Lisez beaucoup à dessein de vous occuper pieusement durant le temps que vous y employez pour vous remplir l’esprit de simplicité, et par là même en bannir les inutiles; pour recevoir des impressions de grâce, qui sont fréquentes dans ces pieuses recherches de la parole de Dieu; et pour vous servir de ce moyen de connaître Dieu et d’apprendre ses volontés. Mais lisez en telle sorte, que lisant vous fassiez oraison par une douce attention à Jésus-Christ, qui comme unique Maître et Docteur de Justice vous instruit intérieurement par lui-même, et se communique à vous comme Verbe. Il faut même, selon l’attrait, interrompre de fois à autre la lecture, afin de pousser vers le cœur de Dieu quelques aspirations, ou demeurer en repos devant lui pour l’écouter. Surtout sentant venir le doux recueillement, il faut s’y rendre; et quittant le livre, demeurer exposer à l’opération divine, regardant simplement le Crucifix écouter ce qui se dit au cœur; puis l’attrait étant passé on reprend sa lecture.

Mais entre une infinité de livres dont l’Eglise est enrichie, lesquels choisirez-vous? Ce que la divine providence fera tomber entre vos mains. Dans l’état dont je traite ici, les meilleurs sont l’Écriture Sainte, singulièrement le Nouveau Testament, ce grand livre de vie; les Vies des saints, et leurs ouvrages les plus intérieurs; l’Imitation de Jésus-Christ; lettre de Jésus à l’âme dévote par Lanpergius, l’échelle de saint Jean Climaque; la Règle spirituelle de Blosius; le Combat spirituel; la Philotée et les Entretiens de saint François de Sales; la Montée du Carmel du bienheureux Jean de la Croix; les opuscules de Saint Bonaventure sont admirables pour les religieux, surtout l’Instruction des novices : le progrès du Religieux, et les Six ailes des séraphins, dans lesquels il ne manque rien de ce qui se peut désirer, soit dans un supérieur, soit dans un inférieur.

§ XX. De l’usage du sacrement.

Comme l’on ne doit pas être bien longtemps sans aller à confesse, quelques repos de conscience que l’on sente; aussi ne faut-il pas en être si empressé qu’on veuille à tout coup s’approcher de ce sacrement. C’est avoir le cœur trop resserré que de n’oser pas communier à cause qu’on ne peut pas se confesser, quoiqu’on ne se sente coupable d’aucune faute considérable. Il faut alors chercher le remède à ces maux légers dans la communion même, qui sans doute les guérit tous dans des cœurs qui y vont avec foi et amour. Se confesser une fois ou deux la semaine peut suffire à ceux qui n’ont pas d’affection au péché véniel, et à qui par cette raison l’on permet de communier très souvent. Il ne faut pas moins éviter en ce degré la gêne et le resserrement de cœur dans cet exercice de pénitence, que dans tous les autres. Après que le cœur a été resserré par la crainte, il faut qu’il soit élargi par l’amour. La plus dure pénitence est celle de l’abandon à Dieu. [504]

Communiez souvent; et toujours avec permission. Portez à la sainte table une faim empressée de manger votre pain de chaque jour. Il est du devoir des Pères des âmes de répondre aux désirs qu’a Jésus-Christ qu’elles communient souvent à sa chair et à son sang; et pour paître fidèlement leurs Agneaux, ils doivent leur faire manger très fréquemment le pain des Anges. L’Église a assez témoigné par l’usage de ses premiers siècles, par l’Oracle de ses Conciles, et par l’organe des Pères, combien elle souhaite que ses Enfants se rendent dignes de la communion journalière par la pureté de leur vie. Le pape Innocent XI aujourd’hui séant, a fait un décret fort avantageux aux désirs des pauvres d’esprit, laissant aux directeurs le discernement nécessaire pour régler le nombre de leurs communions. Pour moi, je vous dis librement avec saint François de Sales que je ne serai jamais celui qui vous ôtera votre pain de chaque jour, tandis que vous serez bien obéissant. C’est ici la plus sûre marque pour connaître ceux qui en sont dignes.

La préparation à la sainte communion doit être ordinaire par une continuelle pureté de cœur. Qui sait bien communier à la volonté de Dieu, par le renoncement de soi-même et par son total délaissement entre ses mains, est toujours préparé pour communier au corps du Seigneur : outre cela, il n’est pas de meilleure préparation à la communion que la communion même, Jésus-Christ pouvant seul nous disposer à la recevoir dignement. Une disposition singulière est le souvenir de sa passion Sainte, qu’il nous a si fort recommandé; et l’un des plus grands fruits, est l’imitation de sa mort, crucifiant notre chair avec toutes ses passions. Je vous conjure par l’amour même qui a réduit le Sauveur dans un état si aimable, de ne vous priver jamais de la communion ni par crainte, ni par scrupule, lorsque vous aurez la commodité et la permission de la faire.

§ XXI. De la visite Jésus-Christ dans son sacrement.

Les amis de Jésus ne peut voir sans douleur qu’il soit si abandonné dans son sacrement d’amour, qu’encore que l’on croie qu’il y est toujours en propre personne, on ne daigne pas s’accommoder pour l’y aller adorer, et demeurer quelques moments auprès de lui. Il s’en plaint tendrement, vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie. Allons-y souvent; demeurons-y longtemps; et nous n’en sortons qu’avec peine. Ah, qu’il y fait bon pour ceux qui s’en approchent avec foi et avec amour! C’est là qu’il fait bon prier où Jésus est toujours en prière pour nous. C’est là qu’il fait bon nous offrir en sacrifice à Dieu le Père, où son Fils est toujours en état de victime immolée pour sa gloire. C’est là qu’il fait bon demeurer demander des miséricordes, où [506] le Sauveur est toujours assis sur son trône de grâce. O Sagesse éternelle, que les hommes sont aveugles à l’égard des inventions de votre amour!

Dérobons-nous souvent aux créatures pour aller à l’Église faire la cour à notre Roi et à notre Dieu817. Portons à ses pieds tous nos biens et tout nos maux, afin qu’il en dispose également pour sa gloire. Consultons ses Oracles dans nos doutes; cherchons-y la patience dans nos afflictions; attendons-y en silence et avec espérance la victoire de nos tentations; observons-y l’inspiration divine; apprenons-y à faire oraison; allons-y rallumer le flambeau de la présence de Dieu, lorsqu’il s’éteint par la multitude des occupations. C’est là qu’il faut nous relever après nos chutes, nous guérir de nos blessures, nous laver de nos tâches, nous recueillir après nos distractions, nous délassez après notre travail, nous instruire de tous nos devoirs, apprendre la science des chérubins, et imiter l’amour des séraphins. Enfin, allons-y souvent saluer, adorer, admirer, écouter et aimer Jésus roi de gloire, qui quelque caché qu’il soit, y est aussi véritablement qu’à la droite du Père; et là jouissons de lui, et laissons-lui réciproquement la liberté de jouir de nous. Ce doit être une de nos plus chères dévotions que de passer bien des heures auprès de notre aimable maître.

§ XXII. De l’usage du crucifix.

L’image de l’adorable Jésus crucifié ne nous est pas donnée pour la laisser inutile, ne la regardant qu’avec indifférence, sans daigner y toucher. Quiconque en use avec cette indévotion, ne sait pas ce qu’il perd. C’est l’image des images; car il n’est point de plus grande image ni de plus aimable que la vraie image de Dieu, telle qu’elle celle de Jésus-Christ crucifié pour nous. Tous en peuvent faire d’excellents usages, que l’amour de Jésus inspire aux cœurs qui en sont vivement épris. Il y en a deux principaux, l’un extérieur, l’autre intérieur.

À l’extérieur, ayez un crucifix dans votre chambre, ou portez en même un sur vous; et lorsque vous lisez, ou étudiez, ou priez, durant même que vous vous entretenez avec quelqu’un, lancez souvent vers lui de respectueuses et amoureuses œillades. Vous ne le regarderez jamais avec quelque sentiment de piété que Jésus-Christ ne vous regarde du ciel avec quelque nouvelle grâce. Étant seul avec l’Immense, prenez souvent ce signe de salut et de victoire entre vos mains; et vous mettant à genoux, vous prosternant, regarde-le fixement; baisez ses plaies; donnez-vous en la bénédiction, et jouez-vous innocemment avec ce précieux gage d’amour. Si vous en usez ainsi, vous sentirez bientôt ce que peut ce grand instrument de grâce, et la force qu’il a pour amollir les cœurs et tirer des yeux des sources de larmes [508] soit de douleur ou de joie. O. pauvres égarés de nos jours; c’est tout ensemble et le plus déplorable aveuglement et la plus terrible punition de votre infidélité que d’être privé et du portrait et de l’original du roi de gloire, vous obstinant à ne vouloir ni croire la vérité de l’eucharistie ni vénérer le crucifix. [Note extrait des conférences auprès des protestants], Mais si vouliez faire ce pieux usage du portrait, il vous conduirait bientôt jusqu’à l’original. O. lâches chrétiens, vous abandonnez le crucifié et vous méprisez le crucifix! Mais si vous vouliez vous servir du crucifix, il vous unirait bientôt par un ardent amour au crucifié. Dans nos tentations, dans nos obscurités, dans notre tristesse, dans nos doutes, dans nos délaissements, recourons incessamment à ce même exercice; et nous y trouverons sans faute le remède et la prompte assistance dans tous nos besoins.

Dans l’intérieur il faut nous imprimer tellement dans l’esprit l’image de Jésus crucifié, que cette image en chasse toute autre image ou mauvaise, ou inutile, dont les égarements de notre vie passée nous avaient remplis. L’image de Jésus crucifié est le balai du palais intérieur, le fouet des distractions, le fléau des démons, l’antidote des tentations, la mort de la nature, l’organe de la grâce, le signal du recueillement, la source de l’oraison, la manne de l’esprit, le caractère du nom nouveau, la force de l’attention, le but de l’intention, la porte de la contemplation. [Oratoire!]. Il n’y a pas de meilleur moyen de rappeler nos sens et notre esprit de leur dissipation que de les mener tous sur le Calvaire, et là les enchaîner au pied de la croix, et les fixer à la vue de Jésus souffrant, persévérant infatigablement dans cet exercice, jusqu’à ce qu’étant vide de tout autre chose, nous soyons plein de Jésus crucifié, et que notre âme avec ses puissances soit toute concentrée et comme toute confite dans sa Passion.

Que si après vous êtes ainsi exercé quelque temps, cette divine image même est enlevée de votre cœur, ne vous en effrayez pas, c’est Jésus lui-même qui le fait par une grande miséricorde, pour vous unir d’autant plus intimement à lui plus il se cache de vous. Il veut par là vous apprendre une autre plus excellente prière, qui se fait sans image, et qui est la vraie adoration en esprit et en vérité818, vous introduisant dans la foi nue et dans le pur amour; afin, comme le dit si bien Albert le Grand, de vous faire passer de lui-même en lui-même, de Jésus homme en Jésus Dieu, et par les plaies de son humanité dans les profondeurs de sa Divinité819.

Ce passage est indispensable pour arriver à la perfection que Jésus nous a mérité, et dont il est la voie, la vérité et la vie820. Tout ce que j’ai dit jusqu’ici ne regarde que Jésus notre voie dans les premiers pas de l’intérieur. Si vous y marchez avec courage et avec fidélité, vous pourrez passer à Jésus notre vérité dans le second état; et enfin à Jésus notre vie dans le troisième; qui sont des états cachés avec Jésus-Christ en Dieu821, dont il faut faire plus d’expérience que d’expression.

Ne tardez plus. Ne vous lassez point de travailler à votre perfection, en la manière que [510] vous venez d’apprendre puis qu’après y avoir employé longues années, vous commencerez seulement822 à connaître le bonheur ineffable que vous cherchiez; et croyant devoir en jouir, vous vous en trouverez infiniment éloigné. Mais ne perdez point courage. Dieu est fidèle823 en ses promesses; et il se laisse enfin heureusement trouver et posséder à ceux qui le cherchent avec une humble persévérance. Je vous laisse dans son cœur, j’ai confiance qu’il vous a déjà reçu : et je vous recommande à la parole de sa grâce, conjurant par le prix de son sang, d’allumer de plus en plus en vous le feu de son divin Amour, dont il vous a déjà fait sentir de vives étincelles, jusqu’à ce que, selon la théologie du grand mystique saint Paul, Jésus soit premièrement formé en vous824, et qu’ensuite vous soyez transformé en Jésus par l’esprit du Seigneur825, en sorte que Jésus vivant en vous826, bien plus que vous-même, il vous unisse si intimement à son Père, que vous ne soyez plus qu’un même esprit avec lui827.

§ XXIII. Maximes importantes, pour acquérir la perfection.

Demandez à Dieu par beaucoup de prières un directeur choisi entre mille; ou bien, contentez-vous de celui que la providence vous donne, lui découvrant, ainsi qu’un enfant au Père de votre âme, tout le bien, et tout le mal que vous pouvez remarquer en vous. Ne mettez cependant ni votre attache ni votre appui, ni votre confiance en l’homme; mais en Jésus-Christ seul, votre bon Pasteur, qui connaît ses brebis, et qui leur fait entendre sa voix, et leur donne la vie éternelle : écoutez-le dans l’homme, et honorez l’homme en lui.

La cause pour laquelle il est si peu de personnes qui vivent spirituellement, est, qu’ils ne veulent point de direction ni de dépendance. Ils se conduisent en insensés, se fiant à eux-mêmes; et la propre suffisance les aveugle.

Ces cinq exercices nous doivent être chers et familiers, comme les cinq doigts de la main.

Premièrement. La présence de Dieu.

Deuxièmement. L’oraison.

Troisièmement. Les aspirations.

Quatrièmement. La mortification.

Cinquièmement. La lecture spirituelle.

Nous devrions nous souvenir de Dieu aussi souvent que nous respirons. Tâchez du moins de le faire aussi souvent que vous le pouvez. Établissez une conversation intérieure avec Dieu, et faites-en votre principale occupation.

Ne manquez non plus à votre oraison qu’à vos repas. Ne pouvant la faire à l’heure réglée, tâchez de la reprendre à une autre. Ne laissez pas mourir de faim votre âme, manque de lui donner chaque jour sa nourriture. Heureux ceux qui peuvent y donner plusieurs heures chaque jour; et plus heureux les cœurs qui ne peuvent s’en rassasier!

Sans la mortification vous ne sauriez participer aux caresses de Dieu, ni éprouver les délices [512] intérieurs des saints, ni continuer à faire oraison. Nous ne vivrons jamais à Dieu qu’autant que nous serons morts à nous-mêmes; et nous ne pouvons mourir à nous-mêmes que par une continuelle mortification.

Ayez toujours quelque aspiration prête, pour saluer Dieu et l’adorer à chaque fois que vous le découvrirez dans votre fond. Qui est l’ami qui demeure muet à la rencontre de son ami? Ou qui est l’enfant à qui la parole manque étant auprès de son père? Quiconque ne sait pas consacrer à toute heure quelque affection à son Dieu, ne sait pas encore l’aimer.

Ne passez aucun jour sans faire quelque lecture spirituelle et ne prenez jamais votre repos sans l’avoir faite. Vous connaîtrez à l’heure de la mort ce que cela vous aura valu. Portez même un bon livre avec vous; et de temps en temps, cherchez-y les volontés et les vérités de Dieu. Autant de fois que vous l’ouvrirez, vous serez embaumé de l’odeur de sa grâce.

§ XXIV. Maximes particulières, envers Dieu.

Désirez uniquement d’être à Dieu sans réserve; de l’aimer plus que vous-même; et de suivre sa volonté en toutes choses.

Ne faites jamais en la présence de Dieu ce que vous n’oseriez faire devant un homme.

Donnez-vous, et redonnez-vous sans cesse, et abandonnez-vous infiniment à Dieu; afin qu’il fasse de vous ce qu’il lui plaira.

Consultez Dieu intérieurement avant vos réponses; résolutions, et entreprises de quelque conséquence, lui faisant une courte prière pour apprendre ses volontés828 .

Vivez intérieurement avec Dieu, comme s’il n’y avait que lui et vous dans le monde.

Rentrez à tout coup dans votre retraite intérieure par le recueillement, et aussi dans l’extérieure par la solitude, afin d’y converser avec Dieu.

Étant seul avec Dieu, on devient comme Dieu, conversant humainement avec les hommes, on devient presque démon.

Heureux celui qui par le renoncement de soi-même a trouvé la profonde paix du cœur! Dieu demeurera toujours en lui, et lui en Dieu.

Heureux celui à qui tout lieu, tout temps, tout moyen, tout emploi, tout état, sont devenus indifférents! Par ce que Dieu seul lui suffit pour toutes choses, et la génération du Verbe se fait en lui.

Heureux celui qui a le goût de l’ordre divin! Il lui suffit pour toute règle.

Heureux celui qui ne veut que ce que Dieu veut! Sa volonté s’accomplira toujours.

Heureux celui qui ne veut que Dieu, et qui n’a d’attache à aucune autre chose! Il est le maître de tout ce qui appartient à Dieu.

Heureux l’homme intérieur qui vit toujours avec Dieu, et l’humble abandonné qui lui est parfaitement soumis! C’est à lui que s’adresse ces charmantes paroles : Mon fils vous êtes [514] toujours avec moi, et je n’ai rien qui ne soit à vous829.

Heureux celui qui est vivement persuadé qu’il n’est rien, et que Dieu est tout! Il cesse de n’être rien pour devenir tout.

§ XXV. Maximes particulières, envers le prochain.

Aimez cordialement votre prochain, le considérant comme l’ouvrage, comme les délices, et comme l’image de Dieu.

Louez peu les autres, mais blâmez-les encore moins.

Ne dites jamais du mal d’autrui, ni du bien de vous-même, sinon pour quelque nécessité ou évidente utilité.

Ne contredisez à personne; et ne contestez point sur des choses indifférentes. Cédez à tout le monde et vous remporterez toujours la victoire.

Ne portez point de jugement sur ce dont vous n’êtes point certain : délaissez toutes choses au jugement de Dieu.

Vivez détaché de tous par une sainte liberté, pour rendre à Dieu la souveraine préférence que vous lui devez. Vivez uni à tous par la charité, pour témoigner à Dieu le parfait amour que vous lui portez.

Réconciliez-vous incessamment : demandez pardon, non seulement à ceux que vous aurez offensés; mais aussi, par un excès de charité, à ceux qui vous auront offensé.

Regardez le vain point d’honneur comme de la fumée; l’estime des hommes, comme un jeu d’enfant; les dignités, comme d’horribles croix; les plaisirs de la vie et les richesses du siècle, comme des songes.

Rendez-vous tout à tous, vous conformant à la portée et à l’état de ceux avec qui vous traitez, en tout ce qui n’est point péché. C’est beaucoup gagner sur eux que de leur point donner d’occasion d’offenser Dieu par une humeur incommode, ou de ne pas les affliger manque de complaisance.

Ne vous ingérez point dans les affaires d’autrui, n’étant pas chargé de leur conduite. N’observez pas même les défauts dont vous n’êtes pas responsables. Si vous les voyez par occasion, ne vous y arrêtez pas, mais appliquez-vous à vous corriger des vôtres.

Ne soyez pas curieux des nouvelles du siècle : la passion pour les gazettes et avis, est la mort de l’oraison : les railleries et les bouffonneries sont la ruine de la dévotion; les murmures sont la peste des communautés; la médisance est la gueule de l’enfer; et les discours précipités de la table sont la source de mille maux.

Soyez ravis d’avoir occasion de servir les pauvres et les malades; et d’assister tous vos prochains dans leurs besoins corporels ou spirituels. Mais hors de là, renoncez constamment aux visites non nécessaires, où sous prétexte de civilité les âmes reçoivent bien des blessures.

Ne croyez pas avoir fait grand progrès dans la vertu tant que vous ne pourrez pas supporter une correction sans excuse, une confusion sans trouble, une mortification sans plainte, une calomnie sans ressentiment, un commandement sans réplique. [516]

§XXVI. Maximes particulières pour vous-mêmes.

Une seule chose est à désirer, savoir d’aimer Dieu de tout notre cœur; et pour cela, nous haïr nous-mêmes de tout notre cœur; car selon la doctrine de Jésus-Christ l’amour de Dieu ne s’établit que sur la haine de nous-mêmes.

Une seule chose est à faire, savoir la volonté de Dieu.

Une seule chose est à craindre et à éviter, savoir l’offense de Dieu. Rien de souillé n’entrera dans le ciel; et ceux-là seulement verront Dieu qui auront le cœur pur830; et c’est à tous ceux qui veulent être sauvés, qu’il est dit soyez parfaits831.

Il faut donc nécessairement acquérir la perfection avant que d’entrer dans la gloire du ciel, ou en cette vie, par le feu purifiant de l’amour; en l’autre, par les flammes dévorant du purgatoire. Hélas qu’il y aura à souffrir pour ceux qui remettent ce grand ouvrage jusqu’à l’autre vie! Mais le pis est que là, quoique l’on se purifie, on ne croît plus en amour; car la charité divine ne croît qu’en cette vie832.

Cherchez la perfection de votre état, et par les voies communes, sans prétendre aux dons extraordinaires et miraculeux des grands saints. Dans quelque état que vous soyez par l’ordre de Dieu, rien ne vous empêche de devenir parfait; puisque le seul amour fait la perfection : et rien ne vous empêche d’aimer Dieu parfaitement.

Aimez à vivre caché, et à faire votre ouvrage à petit bruit. Édifiez votre prochain par vos bons exemples; mais ne désirez d’être vu que de Dieu.

Demandez à Dieu par beaucoup de prières et de travaux la vraie et pure humilité de cœur, qui est le gage certain de toute sainteté. O vertu si visible, tu n’es autre chose que l’amour, et la justice, et la vérité! Mais, O vertu si inconnue, que tu te caches de celui qui te cherche; et que celui qui te possède ne te peut jamais apercevoir! Le cerf blessé ne soupire pas avec plus d’ardeur après les eaux, qu’un cœur touché de l’amour de Dieu soupire après toi, ô vertu de Jésus-Christ, ô vertu la plus éclatante qui ait paru en Jésus-Christ, et vertu la plus impénétrable qui soit en ses amis!

Pour l’acquérir et la conserver, tenez-vous du moins caché aux yeux des hommes, tâchant de vous éteindre et de vous anéantir devant eux de tout votre possible, et ne vous produisez en rien vous-même, ni aucun de vos talents, que par un ordre de Dieu bien reconnu. Peut-être que Dieu daignera vous l’envoyer du trône de sa miséricorde; et si vous aimez les abjections qui vous arrivent par providence, ou par vos fautes, il vous fera passer de l’humiliation à l’humilité. Cette humilité n’est autre chose qu’une charité très ardente, qui fait fondre l’âme, jusqu’à ce qu’elle ne se trouve plus devant Dieu.

L’humble parle peu et se tient retiré autant qu’il le peut; il choisit toujours pour lui le plus bas, [518] le dernier et le pire. Il connaît son néant, et il l’aime pour la gloire qui revient à Dieu : les fautes mêmes considérables ne l’étonne et ne le trouble plus; il estime l’mépris; il chérit les injures; il s’accuse lui-même, se donne tort, se réjouit des outrages, et rends grâce à Dieu pour les calomnies; il ne sait ni contredire, ni contester, ni se plaindre, ni murmurer, ni juger personne, ni se fier à son jugement, ni se croire offensé, et beaucoup moins méprisé, ni se mettre en colère. Que l’humble et le superbe se considèrent dans ce miroir : l’humble ne s’y verra jamais; le superbe si reconnaîtra d’abord.

O Seigneur, s’il se pouvait faire, plutôt mourir grand pécheur que superbe! Car vous résistez aux superbes, et vous donnez votre grâce aux humbles. Ceux qui sont petits par une basse opinion d’eux-mêmes, obtiendront facilement miséricorde; mais les puissants en eux-mêmes, les fiers orgueilleux, seront tourmentés cruellement833. O mon Dieu que je ne vous dérobe rien; et cela me suffit!

Fuyez comme du poison toute singularité dans l’extérieur, vous comportant comme les autres en tout ce qui n’est pas contre le devoir; mais dans votre cœur, soyez tout singulier en l’amour de Jésus.

Entrer dans une si grande défiance de vous-même que vous en désespériez entièrement, étant convaincu devant Dieu par la vérité, que vous n’êtes bon à autre chose qu’à l’offenser et vous damner; mais en même temps relevez votre courage par une vive confiance en Dieu, espérant constamment qu’il fera en vous834, et vous fera faire avec lui par sa grâce, ce que vous ne sauriez faire par tous vos efforts. Celui-là est tout-puissant qui se défie entièrement de soi-même pour se confier uniquement à Dieu.

Soyez intérieurs; car le royaume de Dieu est au-dedans de nous; et toute la gloire de la fille du roi vient du dedans d’elle835.

Mais qu’est-ce que cette vie intérieure? C’est ce que Dieu vous fera éprouver si vous vous donnez à lui; c’est le recueillement des sens et des puissances de l’âme autour de leur centre; l’attention à Dieu présent; une conversation familière avec lui; une exacte fidélité à toutes les pratiques les plus intérieures; c’est en un mot, vivre avec Dieu en Dieu même : rien ne nous étant plus intérieur que lui, c’est le laisser régner sur nous et régner avec lui sur toutes choses.

Cette vie céleste, cette vie d’ange, se commence par le recueillement, se continue par l’attention amoureuse à Dieu, s’avance par les aspirations saintes, et se soutient par la nourriture divine de l’oraison. Mais elle aime la liberté et le délaissement entiers à l’Esprit de la grâce. Donnez, ô Jésus, qui nous avez mérité cette vie par votre mort, donnez-en la connaissance à tant de cœurs qui l’ignorent. Délivrez votre oraison des chaînes et des prisons où la volonté de l’homme la tient captive : et mettez en évidence le beau jour de l’intérieur que la raison humaine couvre de si épaisses ténèbres!

Traitez votre corps selon la nécessité, lui donnant ses besoins ou avec charité comme à un pauvre, ou avec religion comme à un membre [520] de Jésus-Christ. Si vous vous occupez plus de Dieu que du ventre et de la viande, il vous mettra bientôt dans la juste modération que vous devez garder à leur égard.

Jetez-vous enfin par un abandonnement entier entre les bras de Dieu, afin que par un continuel renoncement de vous-même vous sortiez de votre être propre et sali par les péchés, pour entrer en Dieu, qui est votre origine; pour passer de votre malice dans sa bonté, de votre égarement dans sa voie, de votre erreur dans sa vie, de votre multiplicité dans son unité, de votre néant dans son tout, et de votre misère dans sa gloire.

Si vous voulez aller sûrement à Dieu, défiez-vous beaucoup, ou du moins faites peu de cas du sensible, de l’extraordinaire, du gratuit et des lumières impétueuses; et contentez-vous de la foi et de l’abandon. La foi nous garantit de toute illusion, nous unissant à la seule vérité de Dieu; et l’abandon nous préserve de toute chute, nous attachant à la volonté de Dieu. Dans la foi il n’y a pas pas d’erreur, dans l’abandon il n’y a pas de malice : car l’erreur n’entre pas dans la vérité de Dieu, ni la malice dans sa volonté; ce n’est qu’en nous tirant de l’une ou de l’autre que nous tombons dans l’illusion ou dans le péché.

Et quand vous aurez observé fidèlement toutes ces choses, reconnaissez que vous n’êtes dans la vérité qu’un serviteur inutile836, et que vous n’avez fait que les premiers pas de la vie spirituelle.

Soyez cependant fidèles à pratiquer ce peu que je vous ai marqué, et Dieu vous apprendra le reste, ainsi qu’il l’a appris à une infinité de saints qui ont été fidèles à marcher dans ces premiers sentiers du Paradis intérieur. Cela se peut voir en partie dans les sacrés ouvrages qu’ils nous ont laissés sur les états mystiques et les degrés les plus éminents de l’Union divine.

Après que vous aurez appris à parler à Dieu par l’ardente oraison des affections, qui vous est conseillée dans cette lettre; l’Esprit saint de Dieu vous apprendra aussi à vous taire pour l’écouter par l’humble et paisible oraison de silence et de foi; et alors vous éprouverez avec ravissement ce qu’a dit avec vérité un serviteur de Dieu très caché, mais très saint : lorsque mon souverain maître, Jésus-Christ, daigne m’honorer d’une de ses visites, il m’apprend plus de choses en une heure de temps, que tous les docteurs du monde ensemble ne sauraient m’en apprendre, quand même ils s’y emploieraient jusqu’au jour du jugement837.

Faites-moi la charité de le prier pour moi, qui mérite un jugement rigoureux pour n’avoir point pratiqué ce que je vous écris, et que ma profession m’engage de dire à bien des gens. La vérité de Dieu est charmante par elle-même; mais elle est d’un poids accablant pour ceux qui lui sont infidèles.

Venez, ô Jésus, Réparateur du monde, réformez vous-même en nous toutes choses! L’Esprit et l’Épouse disent : Venez. Que celui qui l’entend dise aussi : Venez! 838.

Table des sections (omise).





MAXIMES SPIRITUELLES (– 1720)

«Les MAXIMES suivantes nous étant tombées entre les mains, et ayant été assurés qu’on ne devait aucunement douter qu’elles ne fussent du même Auteur… On avertit en même temps, qu’on a rimprimé [sic] en latin sous le titre de Sacra Orationis Theologia, chez Westein à Amsterdam 1711 l’ANALYSIS ORATIONIS MENTALIS DU même P. La Combe.» [Pierre Poiret].

[Maximes 1 à 20]

Ne rien dérober à Dieu, ne rien refuser à Dieu, ne rien demander à Dieu, c’est une grande perfection839.

2. Dans le commencement de la vie spirituelle, la plus grande patience est de supporter le prochain; mais dans le progrès la plus grande patience est de se supporter soi-même; et enfin la plus grande patience est de supporter Dieu.

3. Celui qui ne se voit plus qu’avec horreur, commence d’être les délices de Dieu.

4. Plus on découvre ce que c’est qu’humilité, moins on la découvre en soi-même.

5. Quand nous souffrons avec égalité la sécheresse et la désolation, nous donnons des preuves de notre amour à Dieu; mais quand il nous visite par ces douceurs sensibles, il nous témoigne l’amour qu’il a pour nous. [524]

6. Celui qui porte avec égalité la privation des dons de Dieu et de l’estime des hommes sait jouir de son bien souverain au-delà de tout temps, et au-dessus de tout moyen.

7. Qu’on ne demande pas de plus fortes marques d’un amour de Dieu très parfait, que d’être insensibles à sa propre réputation.

8. Voulez-vous tendre de toutes vos forces à l’union divine? Tendez de toutes vos forces à votre propre destruction.

9. Soyez autant ennemi de vous-même, que vous désirez être ami de Dieu.

10. Comment donc nous est-il ordonné dans la loi de nous aimer nous-mêmes? En Dieu, et par le même amour que nous portons à Dieu; car comme c’est proprement en lui qu’est notre vraie nous-mêmes, c’est aussi en lui que doit être tout notre amour.

11. C’est un rare don que de découvrir un je-ne-sais-quoi qui est au-dessus de la grâce et de la nature. Note : considérée comme écoulement de Dieu, et différente de Dieu. Une chose qui n’est pas Dieu, mais qui ne souffre aucun milieu entre Dieu et soi. C’est une émanation pure et sans mélange d’un être créé qui tient immédiatement à l’être Incréé de qui il procède. C’est une union d’essence à essence dans laquelle la rien de tout ce qui n’est ni l’un ni l’autre de ces essences ne peut être pour y faire un entre-deux.

12. Le rayon de la créature vit du Soleil de la Divinité; mais il ne peut en être séparé; et si sa dépendance de son divin principe lui est essentielle, son union ne l’est pas moins. O merveille! La créature qui ne peut être que par la [525] puissance de Dieu, ne peut exister sans Dieu; et la racine de son être emprunté tient si étroitement au fond de tout être, que rien ne peut s’y mêler ni causer la moindre division. Cette union est commune à toutes les créatures; mais elle n’est aperçue que de ceux dont les puissances étant épurées, peuvent découvrir la noblesse de leur centre; et dont le fond affranchi des impuretés qui le couvraient, commence à retourner dans son origine.

13. La foi et la croix sont inséparables. La croix est le reliquaire de la foi, et la foi est la lumière de la croix.

14. Ce n’est que par la mort à soi-même que l’âme peut entrer dans la vérité divine, et comprendre en partie ce que c’est que la lumière qui luit dans les ténèbres.

15. Plus les ténèbres de la propre science augmentent, plus la vérité divine se manifeste au milieu d’elles.

16. Ce ne peut être que l’opération divine qui cause le vide des créatures et de nous-mêmes; car ce qui est naturel, tend toujours à nous remplir des créatures, et à nous occuper de nous-mêmes. Ce vide sans distinction est donc un très bon signe, quoiqu’au milieu des plus profondes, et j’ose dire des plus incommodes tentations.

17. Dieu se fait promettre durant la paix ce qu’il se fait payer dans la guerre : il fait faire les abandons avec joie, mais il les exige avec bien des amertumes. Vous faites bien, ô Amour! D’user de vos droits : quoique l’on souffre on ne se reprend pas; ou si on souffre pour s’être repris, le remède à ce mal est de se redonner à [526] vous avec encore plus de générosité. O mal étrange, que celui qui ne se guérit que par un plus grand mal! Faites-moi faire, Seigneur, tout ce qu’il vous plaira pourvu que je ne fasse que votre volonté.

18. Théologie de l’amour, que vous êtes cachée! O. Amour, vous salissez jusqu’à l’excès ce que vous voulez mener à la plus haute pureté. Vous profanez jusqu’à votre sanctuaire; et il n’y a pierre que vous ne renversiez et que vous ne jetiez dans la boue. Mais quelle en sera la fin? Vous le savez : il est digne d’un si grand ouvrier que son ouvrage soit secret, et qu’il l’achève lorsqu’il semble le détruire.

19. Seigneur, qui sondez le fond des cœurs, vous voyez si j’attends quelque chose de moi, ou si je voudrais vous refuser quelque chose.

20. Qu’il est rare qu’une âme sorte de tous ses intérêts, pour entrer dans les seuls intérêts de Dieu!

[Maximes 21 à 40]

21. La créature veut bien cesser d’être créature pourvu qu’elle devienne Dieu; mais où en trouvera-t-on une qui veuille bien laisser reprendre à Dieu tout ce qu’elle avait reçu de lui, sans qu’il ne lui donne plus rien; je dis tout, et tout sans réserve, jusqu’à la propre justice, qui est plus chère à l’homme que son être; jusqu’au repos en soi-même, par lequel il jouit de soi, et des dons de Dieu en soi, et dans lesquels il établit sa félicité sans s’en apercevoir? Où trouvera-t-on un abandon qui aille aussi loin que peut aller la volonté de Dieu, non seulement par goût, par lumière et par sentiments, mais réellement et par état? O, c’est un fruit du paradis, qui ne se trouve guère sur la terre! [527]

22. Dieu est infiniment plus honoré par les sacrifices de mort, que par les sacrifices de vie : par ceux-ci on le traite en grand monarque; mais par ceux-là on le traite véritablement en Dieu, perdant tout pour sa gloire. C’est pourquoi Jésus-Christ a fait beaucoup plus de sacrifices de mort que de sacrifices de vie; et je crois que nul ne gagnera le tout qu’il n’est tout perdu; comme aussi que le dernier pas pour être dans la vie, c’est la perte de toute vie : ce dernier trait du Purgatoire est inévitable, soit en cette vie, soit en l’autre.

23. Il ne faut pas que la raison prétende comprendre les pertes les plus extrêmes; parce qu’elles sont ordonnées pour nous faire perdre la raison.

24. Dieu a des moyens qui sont plus forts et plus éclatant pour sa gloire, et plus édifiant pour les âmes; mais qui ne sont pas les plus sanctifiant; car les dons de force et d’éclat satisfont beaucoup la nature, lors même qu’elle semble succomber sous le poids, et ainsi la font vivre en elle-même; mais les renversements et les morts continuelles, et l’inutilité à tout bien, crucifient proprement ce qu’il y a de plus vivant en l’âme et ce qui empêche le règne de Dieu sur elle.

25. Dans nos solennités, les uns s’efforcent de faire quelque chose pour vous, ô, mon Dieu! Et les autres attendent que vous fassiez quelque chose pour eux; mais ni l’un ni l’autre ne nous est plus permis. L’amour empêche l’un, et ne peut souffrir l’autre.

26. Il est plus difficile de mourir aux vertus qu’au vice; cependant l’un n’est pas moins nécessaire que l’autre pour arriver à la parfaite union [528]. Les attaches sont d’autant plus fortes, qu’elles sont plus spirituelles.

27. Ce qui a été un moyen de perfection pour un temps, en est un empêchement pour un autre : ce qui vous était autrefois à marcher vers Dieu, vous empêcherez maintenant d’y arriver : plus on a besoin de quantité de choses, plus haut n’est éloigné de Dieu; et plus on s’approche de Dieu, plus on est en état de se passer de tout ce qui n’est pas Dieu : mais y étant arrivé, on se sert indifféremment de toutes choses, et l’on n’a plus besoin que de lui.

28. Qui nous dira jusqu’où le divin abandon pousse une pauvre âme qui en est possédée, ou plutôt à qui pourra-t-on dire l’extrémité des sacrifices qu’il exige de ses simples victimes? Il l’élève par degrés, puis il l’enfonce dans l’abîme; et lui découvrant tous les jours de nouveaux traits, il ne cesse point qu’il ne l’ait immolée à tout ce que Dieu peut vouloir, ne donnant point d’autres bornes à sa résignation que celles que Dieu a donnée à ses décrets. Il passe plus outre, il va jusqu’à tout ce que la puissance de Dieu peut faire, et sa volonté souveraine ordonner. C’est alors que tout intérêt de la créature cesse, que tout est rendu à l’auteur de toute chose, et que Dieu règne souverainement sur son néant.

29. Dieu nous départ des dons, des grâces et des talents naturels, non pour nous en servir, mais afin que nous les lui rendions; il a plaisir à nous en revêtir, et puis à nous en dépouiller, ou à nous tenir hors d’état d’en faire usage : mais le grand usage est de lui en faire un continuel sacrifice; et c’est ce qui le glorifie le plus. [529]

30. La foi nue est celle qui tient l’ignorance, dans l’incertitude, et dans l’oubli de toutes choses à l’égard de nous-mêmes; qui dit tout n’accepte rien, des grâces, ni nature; ni vertu, ni vice; les ténèbres nous couvrant tout à fait à nous-mêmes : mais elles nous découvrent d’autant plus la Divinité, et la grandeur de ses œuvres; et cette profonde obscurité donne un admirable discernement des esprits; elle déniche de plus l’estime et l’amour de nous-mêmes de leurs plus obstinés retranchements. Là-dessous cependant règne le pur amour : car comment une âme qui ne peut pas seulement se regarder, agirait-elle pour son propre intérêt? Ou comment pourrait-elle avoir de la complaisance à voir ce qu’elle ne voit pas? Ou elle ne voit rien, ou elle ne voit que Dieu, qui est en toutes choses : plus elle est aveuglée pour elle-même, plus elle est éclairée pour lui.

31. Il en est peu entre les hommes qui se conduisent par la raison, la plupart ne suivant que leurs sens et leurs passions : il en est beaucoup moins qui agisse par la foi lumineuse, ou par la raison illuminée par la foi : mais se trouvera-t-il quelqu’un qui n’ait plus pour guide que la foi aveugle, laquelle quoi qu’elle le mène droit à Dieu par le court sentier d’abandon, semble néanmoins le précipiter dans des abîmes, sans espérance d’en pouvoir jamais sortir. Il y en a pourtant de ses âmes, assez généreuses pour se laisser aveugler, et mener où elles ne savent pas. Plusieurs y sont appelés, mais peu y veulent entrer, et ceux qui ont le plus donné d’empire sur eux aux sens, aux passions, à la raison, et aux lumières comprises de la foi, sont ceux qui ont le plus [530] de peine à se laisser jeter dans le gouffre de la plus pauvre et plus nue foi; au lieu que les âmes simples y entrent facilement. Il en est comme de ceux qui savent bien nager ou qui attrapent quelques planches du débris d’un vaisseau; ils disputent longtemps, et combattent avec beaucoup peine avant que de se noyer : mais ceux qui ne savent point nager, et qui n’ont rien à quoi ils puissent s’arrêter, sont à l’instant submergé; et coulant sans résistance sous les eaux, ils sont d’autant plus tôt délivrés de ce supplice qu’ils ont plutôt expiré.

32. Ce n’est que présomption que la spiritualité de la plupart des spirituels. Lorsque la vérité divine se découvre par le centre, elle fait découvrir bien des larcins dans leur conduite, et elle apprend que pour s’en garantir il faut s’abandonner à Dieu sans réserve, et se laisser conduire; car tant que nous voulons faire nous-mêmes notre perfection ou celle des autres, nous ne faisons que de l‘imperfection.

33. Une âme qui doit être réduite à n’avoir d’autre appui que Dieu seul, est destinée à d’étranges maux. Combien d’agonies et combien de morts faut-il qu’elle essuie avant que d’avoir perdu toute propre vie? Elle n’aura point de purgatoire en l’autre monde, mais elle aura un terrible enfer en celui-ci; et un enfer non seulement de peine, (ce serait peu de choses,), mais aussi de tentations auxquelles elle ne discerne point sa résistance, ce qui est la croix des croix, et de toutes les souffrances la plus insupportable, et de toutes les morts la plus désespérée.

34. Toute consolation qui ne vient pas de Dieu, n’est que désolation : depuis qu’une âme à [531] appris à ne prendre de consolation qu’en Dieu seul il n’y a plus pour elle de désolation.

35. Par les alternatives intérieures d’union et de délaissement, tantôt Dieu nous fait sentir ce qu’il est, et tantôt il fait sentir ce que nous sommes. Quand il fait sentir ce que nous sommes, c’est pour nous faire haïr et mourir à nous-mêmes; et quand il fait sentir ce qu’il est, c’est pour se faire aimer, et nous élever à son union.

36. En vain l’homme s’efforce d’apprendre à l’homme ce que le Saint-Esprit seul peut lui enseigner.

37. Prendre et recevoir toutes choses non en nous-mêmes, mais en Dieu, c’est le vrai et très propre moyen de mourir à nous-mêmes et de ne vivre qu’en Dieu. Ceux qui connaissent cette pratique commencent à vivre purement. Hors de là, la nature se mêle toujours avec la grâce, et l’on se repose soi-même au lieu de ne nous permettre jamais aucun repos que dans le Bien Souverain, qui doit être le centre de tous les mouvements de notre cœur, puisqu’il est le dernier terme de toutes les démarches de l’amour.

38. Pourquoi nous plaignons-nous à enlever les divines vertus, sinon parce que nous les dérobions? Ou pourquoi en déplorons-nous la perte, sinon parce que nous croyions les posséder? Ou pourquoi la privation nous en est-elle si sensible, sinon à cause de la propriété avec laquelle nous y étions attachés?

39. Quand vous ne trouvez plus aucun bien en vous; réjouissez-vous de ce que tout est rendu à Dieu.

40. O. monstre digne de l’horreur de Dieu et [532] de toutes les créatures! Après avoir été humilié en tant de manières, je ne saurais devenir humble, et je suis tellement pétri d’orgueil, que lors même que je m’efforce de m’humilier, je me mets à faire des éloges.

[Maximes 41 à 60]

41. Il y a des Saints qui sont sanctifiés par la pratique aisée et forte de toutes les vertus; et il y a des Saints qui sont élevés à une sainteté par une privation des vertus supportée avec une parfaite résignation.

42. Si on ne va pas jusqu’à ne pouvoir plus être arrêté en aucune chose que par la seule puissance de Dieu, on n’est pas entièrement affranchi de la présomption : et si s’abandonne jusqu’à n’avoir point d’autres bornes que celles que la volonté de Dieu s’est données à soi-même, on n’est pas tout à fait dégagé de la propriété : et la présomption et la propriété ne sont qu’impuretés.

43. Je n’ai jamais trouvé personne qui fit si bien oraison, que ceux qui la font sans jamais avoir appris à la faire. Les âmes qui n’y ont pas l’homme pour maître y ont le Saint-Esprit pour conducteur.

44. Jamais l’oraison ne manquera à qui aura le cœur pur; et qui continuera à faire oraison, connaîtra ce que c’est que la pureté de cœur.

45. Dieu est si grand, et si indépendant, que la pureté même lui est un moyen de se glorifier.

46. Pendant que l’abandon nous réussit, nous épargne, plusieurs personnes vous le conseillent : dès qu’il nous jette en quelque confusion, les plus spirituels crient contre.

47. On peut facilement comprendre la voie des âmes qui vont de vertus en vertus; mais qui [533] comprendra les routes de celles qui tombent de précipice en précipice et d’abîme en abîme? Ou qui pourra aider et soutenir ces amis de Dieu si cachés, à qui il est peu à peu ôté tout soutien et toute aide, et qui sont réduits autant dans l’impuissance de se reconnaître et se soutenir eux-mêmes, que dans l’ignorance de tout ce qui les conserve?

48. Qui a pu comprendre jusqu’où vont les souverains hommages qui sont dus à la volonté divine?

49.Les gens abandonnés sont conduits de précipice en précipice, et d’abîme en abîme, comme s’ils étaient perdus.

50. La simplicité de la colombe est, de ne pas juger; la prudence du serpent est, de se défier.

51. La porte par laquelle une âme sort de sa paix est la recherche de soi-même; et la porte par laquelle elle y rentre est son abandon total entre les mains de Dieu.

52. Hélas! Qu’il est dur de ne vouloir que la volonté de Dieu, et toutefois de croire n’avoir fait autre chose que ce qui est contraire à la volonté de Dieu; de ne rien souhaiter tant que de faire cette volonté, et ne pouvoir pas même la connaître; de la pouvoir montrer très assurément aux autres et de ne pas la trouver pour soi! Lorsqu’on en est tout plein et tout pénétré, on ne la connaît plus. C’est un long et rigoureux martyre que celui-ci; mais un martyre qui doit produire une paix inaltérable en cette vie, et une félicité incompréhensible en l’autre.

53. Quiconque a appris à ne chercher plus que la volonté de Dieu, trouve toujours tout ce qu’il cherche.

54. Lequel est le plus dur à une âme qui a [534] connu et aimé Dieu, de ne savoir pas si elle aime Dieu, ou d’ignorer si elle est aimée de lui?

56. Dites-moi ce que c’est que ce qui n’est ni séparé de Dieu, ni uni à Dieu, mais qui en est inséparable?

57. Dites-moi quel est l’état d’une âme qui n’a plus ni puissance ni volonté; et ce qu’elle peut faire ou ce qu’elle ne peut pas faire?

58. Qui m’expliquera jusqu’où peut aller l’abandon d’une âme qui ne se peut plus posséder en aucune chose, et qui est vivement pénétré de la souveraineté du pouvoir et de la volonté de Dieu?

59. Qui comprendra jusqu’où sont allés les sacrifices intérieurs de Jésus-Christ, sinon celui à qui Jésus-Christ les a manifestés?

60. Comment perdront leur propre vie ceux qui ne veulent pas perdre tous leurs biens? Ou comment se croient dépouillés de tout, ceux qui possèdent le plus grand trésor qu’il y ait sous le ciel? Mais ne me le faites pas nommer, devinez-le si vous avez la lumière : il y en a un qui est moindre que l’autre, qui se perd devant lui, mais que ceux qui doivent tout perdre ont le plus de peine à perdre. fin.






PRÉFACE AU CANTIQUE DE MADAME GUYON (1683 – 1684)


Préface écrite par le P. Lacombe, si l’on en croit le cinquième interrogatoire de Madame Guyon devant greffier :

Question : Si ledit père de La Combe n’a eu aucune part à la composition dudit livre,

Réponse : A dit qu’elle l’a composé, et ne sait pas si le père de La Combe lorsqu’il a fait la préface dudit livre y a fait quelques corrections, qu’elle se souvient bien qu’il lui fit changer une [f ° 160] phrase qu’elle avait renversée, qu’il est vrai aussi qu’elle répondante ayant écrit le texte en français qu’elle avait prise dans une ancienne Bible imprimée à Louvain, le père de La Combe en corrigea les textes après l’avoir vérifié sur d’autres interprétations…

Claude Morali, éditeur 840 des Torrents et du Cantique nous informe sur le sort des écrits de Madame Guyon :

En premier lieu aucun de ses écrits ne fut délibérément imprimé et édité à son initiative, si pourtant elle ne dédaigna jamais, bien au contraire, de communiquer par d’autres voies le fruit de ses inspirations. Ceux qui le furent le durent à des instigations étrangères dont elle affirme, au moins pour les premières, ensuite on n’en sait même rien, n’avoir fait que ne pas s’y opposer.

Le premier de ses livres, le plus répandu, «Moyen court et très facile pour l’oraison...» sort à Grenoble en 1685, sur l’intervention d’un conseiller au Parlement de ses amis, qui l’aurait vu par le hasard d’une visite chez elle, sur une table!

Le second, «Le Cantique des Cantiques interprété selon le sens mystique et la vraie représentation des états intérieurs» paraît à Lyon en 1688 sans doute par l’entremise de l’entourage du Duc de Chevreuse.

Ce Cantique paraît avec une Préface probablement rapidement rédigée par le P. La Combe (elle est un peu terne), car sa composition date de leur séjour antérieur commun en Italie à Verceil (Vercelli) près de Turin où trois collaborateurs composèrent chacun leur écrit : Lacombe son Orationis en latin que l’on lira infra en traduction française, l’évêque Ripa son Cuore facilitata, Madame Guyon son Cantique.


PRÉFACE


Quiconque lira avec attention cette explication du sacré Cantique, surtout s’il a quelque discernement des voies intérieures, n’aura pas de peine d’avouer qu’elle a quelque chose de surprenant. Un éclaircissement, aussi aisé et aussi bien suivi d’un Livre des plus obscurs de la Sainte Écriture, ne peut être que le fruit d’une assistance particulière du Saint-Esprit, puisqu’au sentiment des Saints841, ce Cantique ne peut être enseigné que par l’onction divine, ni appris que par l’expérience et qu’il ne s’entend point au-dehors ni ne résonne point en public et n’est entendu que de celle qui le chante et de celui pour qui il est chanté, qui sont l’Époux et l’Épouse.

Chaque lecteur trouvera, dans cet ouvrage, des traits qui mériteront son admiration et des endroits qui, n’excédant pas sa capacité, pourront l’édifier : mais ceux-là seulement y découvriront plus de beautés, qui par l’anéantissement d’eux-mêmes, et par leur élévation en Dieu seront capables de comprendre ce chant Royal de l’Epoux céleste et de son Amante; y voyant avec ravissement le juste rapport de ce qui se dit ici, avec les merveilles que Dieu opère dans les âmes les plus épurées. Car ce Cantique ne se lit avec intelligence que par ceux qui lisent ce qui s’y chante, bien plus dans le miroir de l’expérience intérieure, que dans le Livre même qu’ils ont devant les yeux. C’est par cet essai du Cantique éternel, que l’âme retournée dans son origine, commence à pénétrer sur la terre ce qu’elle ne découvrira pleinement que dans le Ciel, et c’est ce qui a été prédit par Isaïe842 : Que le jeune Époux demeurera avec la Vierge son Épouse : que l’Epoux trouvera sa joie dans son Épouse; et que Dieu se réjouira en eux.

Si l’on demande qui est cet Époux? son Ami fidèle répondra : Que celui qui a l’Épouse est l’Époux843. Et si l’on veut savoir qui est le jeune Époux qui possède l’Épouse; il n’y a qu’à considérer, qui est celui, qui étant le Fils éternel de Dieu, s’est fait dans le temps le Fils de l’homme; afin d’être d’une même nature avec l’Amante, qu’il devait épouser; qui est mort pour la racheter et qui se l’est acquise au prix de son sang. Par là même on peut connaître, que l’âme pure est cette Épouse mille fois heureuse, qui en agit si familièrement avec Jésus-Christ.

Cet Époux donc et cette Épouse demeureront éternellement ensemble; puisqu’ils sont unis si intimement par le lien d’un très pur amour, qu’ils ne sont plus qu’un cœur, qu’un esprit et qu’un être. Et comme l’Épouse n’est plus capable d’autre joie que de celle qu’elle prend en son Seigneur aussi l’Épouse trouve son plaisir dans son Époux; et Dieu le Père prend aussi véritablement ses délices dans l’Époux et dans l’Épouse, puisqu’il est le centre de leur repos et le nœud de leur union. Que si Dieu se réjouit dans la vue de tous ses ouvrages844, admirant les beautés et les perfections qu’il leur a communiquées, combien plus se plaît-il dans ce chef-d’œuvre de sa grâce et dans la noce éternelle de son Fils unique avec son Amante très pure?

L’Ami de l’Époux le reconnaîtra aisément à sa voix et l’entendant il sera rempli de joie845, il désirera même d’avoir part au bonheur de l’Épouse; n’ignorant pas que le même avantage lui est offert, s’il veut suivre ses pas. Heureux celui qui, entendant ce chant mystique, sent que son cœur est de concert avec lui! Mais quiconque n’entend pas cette voix, ignore le vrai amour; et plein de l’amour de soi-même, et d’une attache sensuelle aux Créatures, il est incapable d’éprouver les effets ineffables de la pure Charité.

Ce Livre renferme des choses si mystérieuses qu’il ne faut pas s’étonner que l’explication en soit si relevée et qu’on n’y découvre qu’avec peine les secrets les plus profonds de l’intérieur : aussi porte-t-il avec justice le nom de Cantique des Cantiques; c’est-à-dire du plus noble et plus excellent de tous les Cantiques; étant le plus agréable pour sa matière, le plus relevé pour ses prophéties, le plus riche dans ses figures et dans ses mystères; et le plus charmant par les noms si tendres d’Époux et d’Épouse, sous lesquels sont compris les amours et les communications réciproques du Verbe et de l’Âme846. C’est l’éloge des éloges de Dieu, la louange de Jésus-Christ et de l’Église; le chant de l’amour sacré et l’épithalame du mariage éternel. C’est dans ces sacrés entretiens que Jésus-Christ instruit l’Âme, comme étant son Maître, qu’il la loue et la caresse en qualité d’Époux; et qu’il la purifie et perfectionne, parce qu’il est son Dieu : et sa fidèle Amante répondant parfaitement à ses desseins, reçoit assez de lumières et de grâces pour en faire part à une infinité d’autres cœurs.

Or tout cela ne se peut expliquer qu’en découvrant le secret commerce, qui se passe entre Jésus et l’Âme, qu’il veut bien prendre pour son Épouse, et en même temps les opérations mystiques par lesquelles Dieu s’applique à la purifier et à demeurer soumise à son opération divine; avec les déserts affreux et les dures épreuves, par lesquelles elle va à son anéantissement, et par là même à sa transformation en Dieu. C’est ce qui s’est fait heureusement dans cet écrit, qui nous a été donné par l’organe d’une personne de piété; laquelle paraît avoir été choisie comme une autre Sulamite, pour nous en donner cet éclaircissement. Il y a lieu d’admirer qu’elle ait pu déclarer avec tant d’ordre et de solidité les secrètes démarches des Âmes en Dieu et les raretés les plus inouïes du Royaume intérieur, tirant un sens si bien suivi et si clair d’un texte, qui paraît être sans ordre et sans liaison. D’autant plus que la diversité des personnes qui y parlent, les fréquentes interruptions et les expressions surprenantes par leur détachement, et sous une allégorie continuelle, n’avaient rien en apparence, d’où l’on pût tirer avec tant de justesse l’explication du commencement du progrès et de la consommation de la voie intérieure.

L’on a fait une infinité d’ouvrages pour interpréter ce Livre tout divin847. Les uns sont l’effet de l’étude, les autres sont le fruit de l’Oraison, et d’autres ont été dictés par le regorgement de la plénitude que cause l’union divine. Mais l’on distinguera celui-ci comme tout nouveau dans son genre, quoique sa vérité soit éternelle en Dieu : et l’on remarquera qu’il est si singulier qu’il peut passer pour original en cette matière, d’autant plus qu’il a été fait sans préméditation, et sans autre livre que le sacré Texte.

Que l’humble et pieux lecteur admire les profusions de la bonté divine envers les Âmes qui lui sont fidèles, n’attribuant rien à la Créature que la misère qui lui est naturelle, et qu’il glorifie le Seigneur de tout ce qu’il trouvera de solide et d’édifiant dans cet ouvrage.

Salomon par un mouvement certain du Saint Esprit, dont la foi de l’Église ne nous permet pas de douter, et avant sa chute déplorable, a chanté par ce Cantique mystérieux les chastes amours, les secrètes communications, la fidélité réciproque, l’intime union, et le sacré mariage de Jésus-Christ avec son Église. Mais cela même s’étend aussi à chaque Âme pure, comme étant un illustre membre de ce Corps mystique, dont il est le chef. En un mot il y a compris l’abrégé de tout ce que le Sauveur a fait pour l’Eglise sa principale Épouse; et aussi ce qu’il a fait pour chaque âme en particulier. Cet adorable Époux ayant fait pour chacune de ses Amantes ce qu’il a fait pour toutes en général.

Tout ce qui est compris dans ce Cantique848 est d’autant plus véritable qu’il est plus intérieur, et d’autant plus infaillible devant Dieu qu’il paraît plus incroyable aux hommes peu éclairés; mais le plus sage des hommes, par la direction de l’Esprit saint de Dieu, a couvert la majesté de cette alliance divine de tant de figures, même très communes, et il a caché des vérités si incontestables sous tant d’énigmes qu’il est nécessaire que Dieu, qui est l’auteur de l’écorce de ces mystères, en fasse pénétrer le sens, et que celui qui a formé ce corps apprenne à y découvrir l’esprit, dont il l’a animé.

On prie ceux qui ne sont pas expérimentés dans ces voies du saint Amour de ne pas en juger par la seule lumière de la raison; puisqu’on ne peut les apprendre par nulle étude; mais seulement par l’Oraison la plus abandonnée au Saint-Esprit849, et par le parfait renoncement de soi-même; qu’ils croient plutôt que les bontés de Dieu pour ses créatures sont infinies; surtout pour celles850 qui renonçant à toutes choses pour l’amour de lui, le suivent à l’aveugle, partout où il veut les conduire. Les miséricordes qu’il leur fait vont aussi loin que l’amour qu’il leur porte : et puisqu’il a bien voulu donner sa vie pour elles, faut-il s’étonner s’il les gratifie de sa parfaite union, et conséquemment des caresses et faveurs qui en sont les fruits? Il ne les a créées et rachetées que pour les rendre participantes de lui-même; et c’est pour les rendre propres à son unité qu’il les fait passer par des routes impénétrables; jusqu’à ce qu’étant parfaitement purifiées, elles puissent devenir un même Esprit avec lui. Il ne serait pas Dieu s’il n’avait des moyens infinis de se communiquer à ses créatures, inconnus à tous autres qu’à ceux qui les éprouvent. Les vérités, qui se découvrent ici, sont certainement comprises dans le livre du Cantique qui est expliqué : mais ce n’est que pour ceux qui ont les yeux de la foi la plus dénuée, pour les y voir. Ces mêmes vérités se prouvent aussi très réellement dans les âmes; mais seulement en celles qui, étant mortes à elles-mêmes, ne vivent plus qu’en Dieu : et851 qui, étant élevées au-dessus de tous sentiments, et de toutes lumières humaines, sont heureusement arrivées à celui qui est infiniment au-dessus de toute l’intelligence et de toute la pénétration de l’homme.

Quant à ceux qui auront peine à croire ces expériences mystiques, qu’ils se gardent bien de les condamner : l’humilité et la charité chrétienne leur doivent faire craindre d’être du nombre de ceux qui, comme dit852 Saint Jude, donnent des malédictions contre les mystères divins, qu’ils ignorent. Qu’ils travaillent plutôt à en faire l’expérience, se renonçant en toutes choses, s’adonnant à l’oraison du cœur, avec une fidélité infatigable, faisant et souffrant tout pour Dieu seul, agissant en toutes choses par le chaste mouvement d’un amour désintéressé qui seul peut les conduire à lui-même, et se contentant de la foi et de l’abandon pour entrer853 dans la suréclatante et plus que claire obscurité de la nuit ténébreuse, où Dieu s’est caché pour cette vie, afin qu’ils y soient instruits par lui-même, dans le silence et dans le plus secret du fond intérieur : ils en éprouveront même plus que Dieu n’en a fait écrire ici, car il est certain que des choses si ineffables ne se peuvent exprimer telles qu’elles sont.

Les Saints Pères donnent encore un avis très important touchant la lecture de ce Cantique du saint Amour : c’est que ceux qui ne sont pas purifiés de l’amour charnel ne doivent pas présumer854 de manger cette viande solide, qui n’est que pour les parfaits : de peur que n’ayant ni les oreilles, ni le cœur assez chastes pour entendre parler de ces amours incorruptibles, ils ne se scandalisent de ce qui a été écrit pour les plus purs amateurs de l’amour même, qui est Dieu, et qu’ils ne se figurent la corruption de la chair et du sang, dans un Cantique amoureux où tout est esprit et vie. Prenez garde, dit saint Bernard, de vous imaginer que nous pensions qu’il y ait rien de corporel dans ce mélange du verbe et de l’Âme. Nous ne disons que ce que l’Apôtre a dit855 : Que celui qui adhère à Dieu ne fait qu’un même esprit avec lui. Nous exprimons, comme nous pouvons, le ravissement en Dieu d’une Âme pure; ou la bienheureuse descente que Dieu fait dans cette Âme; parce que nous parlons à des personnes spirituelles. Cette union se fait donc en esprit, parce que Dieu est esprit.

Les Juifs même y apportaient déjà cette précaution : car, au rapport d’Origène et de saint Jérôme, ils ne permettaient la lecture de ce Livre sacré, qu’ils ont toujours reconnu pour l’ouvrage du Saint-Esprit, qu’aux personnes avancées en âge et d’une grande maturité d’esprit. Ce chaste et secret commerce de l’Époux et de l’Épouse n’est pas pour ceux qui sont encore enfoncés dans la boue de leurs péchés, ni même pour ceux qui gémissent dans les travaux de la pénitence, ni pour ceux qui se remuent et fatiguent encore par les bonnes activités, pour la purgation de leurs sens et pour l’acquisition des saintes vertus. Ce n’est pas qu’il n’y ait, dans ces entretiens de l’Époux et de l’Épouse, quelques instructions pour toutes sortes d’états : mais à les prendre dans toute leur étendue, et même dans la plus grande partie, c’est pour les parfaits qu’ils ont été écrits.

Ce chant céleste commence à se faire entendre dans le silence et dans le repos intérieur de l’Âme, lorsqu’étant déjà fort dégagée d’elle-même et élargie en Dieu, elle entre dans la fidélité passive et dans un plus parfait abandon, se laissent bien plus conduire à son Époux qu’elle ne se meut et conduit soi-même : ce qui est, selon l’Apôtre856, le propre des enfants de Dieu. Cela même est assez visible dans la suite de ce même Cantique, singulièrement où l’Amante dit857 : Que c’est le Roi qui l’a fait entrer dans ses celliers, et où elle le conjure de la tirer, afin qu’elle coure après lui.

Saint Grégoire Pape nous fait encore remarquer que, lorsque l’on entend parler dans ce Cantique de baisers, d’embrassements, de joues, de mamelles, de jambes et de cuisses, de lit et de mariage, loin d’en prendre sujet de se moquer de l’Écriture redoutable, il faut au contraire admirer la miséricorde de Dieu, qui a voulu en user envers nous avec tant de bonté que pour nous élever à l’expérience de son divin amour, il s’est abaissé jusqu’à se servir des termes et des expressions de notre amour charnel et impur, s’anéantissant jusqu’à nos façons de parler, pour porter notre intelligence jusqu’aux secrets impénétrables de la Divinité, et de son union avec les âmes pures. Nous ne devons donc chercher dans ces figures corporelles que ce qu’il y a d’intérieur, et il faut ici parler du corps, comme si l’on était hors du corps même. Ceux qui en sont fort dégagés savent par leur expérience comment la grâce de Dieu le fait en eux. Pour les autres, qu’ils se purifient avant que de vouloir entrer dans le Sanctuaire, ainsi que saint Denis le leur ordonne. Mais un ouvrage tout divin se doit laisser faire à Dieu, l’âme y contribuant seulement d’une fidèle soumission à sa conduite. Car, comment la créature pourrait-elle faire ce qu’elle ne peut même connaître et qui lui arrive, sans qu’elle puisse l’avoir prévu? Le modèle en est dans l’idée de Dieu, et l’exécution entre les mains de sa grâce. Il

demande un cœur qui se donne parfaitement à lui, sans plus se reprendre, et qui le laisse agir à son gré. L’Esprit et l’Épouse disent858 : Venez, que celui qui l’entend dise aussi : Venez, celui qui rend témoignage de ces choses dit : Oui, je viendrai bientôt. Amen; venez, Seigneur Jésus. Un cœur souple et sans résistance, une oreille prompte et soumise, une bouche pure et simple sont le cœur, l’oreille et la bouche que l’Époux désire dans son Épouse, pour lui faire comprendre son Cantique, et pour le lui faire chanter avec lui. Heureux ceux qui le comprennent dès cette vie! ils le chanteront éternellement dans le Ciel; mais quiconque ne voudra point se dépouiller de la chanson de l’homme n’apprendra jamais le Cantique de Dieu 859. Que celui qui a des oreilles pour l’entendre l’entende, car ces paroles sont très fidèles et très véritables.





ORATIONIS MENTALIS (1685) : DE L’ORAISON MENTALE traduit sous le titre VOIES DE LA VÉRITÉ (1795)


Ce texte rédigé en latin à Verceil lors de la collaboration entre l’évêque Ripa, madame Guyon et le P. Lacombe, que nous venons d’évoquer précédemment pour la préface au Cantique, a été traduit par le Pasteur Dutoit, le dernier éditeur de madame Guyon au XVIIIe siècle.

Nous reprenons ici la traduction éditée en 1795 dont le titre est bien adapté à son époque ! Nous l’avons comparé à sa source manuscrite TP 5140/2 de la bibliothèque universitaire de Lausanne. Les variantes sont négligeables et justifiées par un « lissage » préparant l’impression860.



Voies de la Vérité à la Vie

VOYES/DE LA/VÉRITÉ/À LA VIE. /1795.861

«Exemplaire de la bibliothèque Jésuite Maison Saint-Augustin, Enghien puis Les Fontaines Chantilly avec la notation suivante : “la première partie de ce volume publié à Lausanne est la traduction d’un ouvrage du père Lacombe intitulé Analysis Orationis Mentalis (c’est le deuxième opuscule dans cet exemplaire-ci) — la deuxième partie (ici la première) est la Guide Spirituelle de Michel de Molinos. (Allenspach).”»

Avis de l’éditeur au lecteur.

Celui qui a dit : Je suis la voie, la Vérité et la vie (Jean 14 verset 6) a toujours eu des Apôtres, rendant témoignage à sa parole, instruisant les hommes par son esprit; telles sont les deux petits traités [note : le premier traduit du latin textuellement a conservé une espèce de rudesse pour n’en pas altérer le sens. Le second a déjà paru en plusieurs langues.] réunis dans cet ouvrage, qui se servent de moyens et preuves réciproques; leurs auteurs ayant été les deux témoins hérauts et martyrs de la vérité : O hommes, qui que vous soyez, goûter et voyez! (Psaume 33 verset 9 Vulgate) lisez avec un cœur simple, un esprit dégagé de préjugés, une bonne et droite volonté et vous éprouverez par une heureuse expérience, qu’en suivant ces Voies, la Vérité vous mènera à la Vie.

Voies de la vérité à la vie.

Invocation à Jésus enfant.

[invocation assez longue, omise]




De l’oraison mentale.

I. Ce que c’est que l’oraison et ses trois espèces.

L’oraison mentale est une application religieuse à Dieu, qui s’opère dans le cœur par le silence des lèvres. C’est ainsi que selon le sentiment des Pères, ayant fermé la porte, nous prions Dieu notre Père dans le cabinet, pendant que dans un profond silence et sans le secours des lèvres, nous présentons devant le scrutateur des cœurs, et offrons à Dieu seul nos demandes et nos supplications. Cette manière de prier est la plus excellente, et le degré le plus parfait de nos prières, par lequel nous répandons nos cœurs en sa présence.

On peut ranger sous trois classes ce qui appartient à l’oraison. Elle est ou méditative, ou affective, ou contemplative. La méditative consiste dans l’assemblage de plusieurs pensées pieuses, par lesquelles l’homme recueilli en lui-même, cherche attentivement les moyens et les raisons de s’élever à Dieu. C’est ce qui lui fait donner le nom de méditation.

L’affectif consiste dans de fréquentes, courtes et libres affections du cœur, par lesquelles on s’entretient avec Dieu, pour s’élever à son union et au divin baiser de la bouche par les mouvements ardents et enflammés du sentiment. C’est pourquoi on leur donne communément le nom d’aspirations. L’oraison contemplative est le regard fixe, simple et libre porté sur Dieu et ses divins attributs, accompagné d’une admiration religieuse; c’est-à-dire que c’est une manière d’oraison sans actes proprement dits et multipliés, employés auparavant, l’âme imposant silence aux puissances, s’attache à Dieu par une simple vue, l’embrasse par un acte continuel de foi et d’amour, et se repose en lui par une jouissance tranquille; c’est pour cela qu’elle a retenu le nom de contemplation.

II. Cette division est légitime et fondée.

La méditation est bonne, l’aspiration vaut mieux, mais la contemplation est préférable [14] aux deux autres. La méditation est comme les dents qui broient les viandes, l’aspiration est comme le palais qui distingue leur saveur, et la contemplation est comme le goût et la douceur qui en résulte, qui restaure et fortifie, et comme il y a incontestablement différents degrés d’oraison, pour le chrétien, les uns plus avancés et plus parfait que les autres; il suit qu’on doit admettre ces trois ordres d’oraison gradués du plus bas degré, du degré moyen, et du plus haut, selon la distinction que nous venons d’en faire, et il n’est pas douteux que chacun n’ait son avantage pour tendre à la perfection chrétienne, à raison des progrès que les âmes ont fait dans la piété.

III. De la méditation. Qu’elle est bonne surtout pour les commençants.

Nous avons dit que la méditation est bonne, car qui oserait le contester, pendant que David met tout son plaisir à méditer la voie de Dieu et son commandement, Psaume 119, vs. 47, pour en pénétrer la profondeur et pour les suivre avec plus de fidélité? Ou quel fidèle pourrait blâmer la coutume des saints de la méditer jour et nuit, et de s’exercer dans ses ordonnances, afin que l’homme connaisse Dieu, qu’il se connaisse lui-même, qu’il détruise ses vices, qu’il acquière les vertus, et qu’il soit tout entier embrasé de l’amour divin? C’est la méthode qu’on d’abord suivie les saints, ç’a été leur manière d’oraison, qu’ils ont enseignée, surtout au commencement de la conversion, et qu’ils ont sagement prescrite. On doit donc l’employer, en faire cas, et la regarder comme un précieux don de Dieu.

IV. L’aspiration est préférable, surtout pour ceux qui ont fait des progrès.

Cependant l’aspiration, ou l’oraison d’affection lui est préférable; car comme elle est le fruit de la méditation, sa fin prochaine, et comme la partie la plus noble, qu’elle en est comme la graisse et la moelle (car la méditation n’en est que le prélude pour exciter le mouvement du cœur) il suit nécessairement que l’aspiration est plus parfaite que la méditation. Toutes enflammées de ses affections ardentes, elle est donc plus relevée que la première, et de là beaucoup plus avantageuse et plus utile. Car elle offre à Dieu autant d’holocaustes qu’elle pousse vers le ciel d’humbles prières et de profonds [16] soupirs du cœur; et comme tous ses efforts se portent vers Dieu, comme le feu s’élève en sa présence, souvent cette manière d’oraison consiste plus dans des gémissements que dans des discours, dans des larmes que dans des paroles.

À cela on peut ajouter que dans cette manière d’oraison, qui réunit des affections redoublées, l’homme qui prie a de tendres entretiens avec Dieu, s’élève à lui, soupire continuellement vers lui, et usant de cette liberté que donne et porte avec lui l’esprit du Seigneur, lui renvoie incessamment ces ardentes affections qu’il a reçues de l’esprit de grâce : c’est par conséquent prier d’une manière plus excellente et plus vraie que de le faire par différentes considérations et de longues méditations, soit qu’on médite seul et avec soi-même, ou avec des créatures, quelques saintes qu’on les suppose. Car l’oraison est l’adhésion affective de notre cœur à Dieu, une sorte d’entretien familier avec lui, et comme une station d’un esprit illuminé pour en jouir, autant qu’on le peut : ce qui certainement n’a pas lieu lorsque dans les saintes méditations on cherche le bien-aimé par les rues et les places de la ville, mais elle suppose qu’on l’a trouvé, qu’on le tient et qu’on savoure avec délectation le doux fruit de sa présence, et que par de fréquentes affections le cœur s’élève et s’unit enfin à lui par une intime familiarité.

Le caractère essentiel de cette oraison et sa marque singulière est donc un entretien libre et continuel avec Dieu : tels sont presque toutes les formules d’oraison que nous voyons dans nos livres sacrés, comme les psaumes, les cantiques, les lamentations des prophètes, les cris des pénitents, les louanges des saints, tous les signes de l’Église et ses oraisons, surtout cette divine oraison appelée dominicale, que Jésus-Christ nous a enseigné, qui ouvre courte préface, dans laquelle nous adorons Dieu comme notre Père, renferme six demandes libres, c’est-à-dire tout autant de succinctes affections. C’est de cette manière que les saints ont prié le plus souvent, comme il paraît par les ouvrages de saint Ambroise, de saint Augustin, de saint Anselme, de saint Bernard, du livre de l’Imitation de Saint Bonaventure, de leurs manuels, de leurs soliloques, de leur prière recommandable par leur utile et par leur tour, par où ils ont montré que ceux qui étaient avancés devaient ainsi former leur oraison.

Mais ces anciens anachorètes et ces sages conducteurs des armes, ont aussi souverainement recommandé d’usage fréquent de cette courte, fréquente et secrète oraison; et ils disent que c’est le vrai sacrifice, parce que le sacrifice agréable à Dieu est l’esprit brisé, c’est l’offrande salutaire, l’oblation pure, le sacrifice de justice, celui de louange, les vraies victimes, ces holocaustes offerts par des cœurs humbles et [18] contrits; c’est le vrai pédagogue, qui sert d’entrée à la contemplation : enfin cette oraison est la mère et l’origine de l’action qui nous élève à Dieu, et en priant de cette manière nous sommes éclairés pour connaître les degrés de la montée céleste.

V. La contemplation est la plus parfaite oraison.

L’oraison de contemplation est la plus parfaite des trois : elle est le fruit et la fin des deux précédentes, leur but, leur terme, leur récompense, et leur couronne : la méditation serait imparfaite et moins utile sans le terme et le repos de la contemplation; la méditation est une recherche, un travail pénible, mais on ne peut jamais trouver en elle ni une parfaite manière d’oraison ni la possession du souverain bien. Pour arriver à ce double bonheur de l’esprit, le repos, le terme, la découverte et la jouissance de Dieu comme notre dernière fin sont absolument nécessaires. Mais il faut soigneusement distinguer entre la perfection de celui qui prie et la perfection de l’oraison elle-même; car un homme parfait peut sans obstacle méditer, mais sa perfection ne consiste pas dans la méditation; puisque sans elle peut être parfait, si on a un genre de perfection plus élevée, et qu’on soit rempli de l’amour de Dieu. Et même la perfection de l’esprit exige absolument le repos, l’union, la jouissance, une charité paisible, qualité qu’une méditation agitée, altérée et toujours inquiète ne saurait jamais procurer; et si elle se trouve par hasard avec la méditation, elles ne seront point le fruit de la méditation, mais celui d’une charité parfaite, sans laquelle l’esprit n’est jamais uni à Dieu, et en vertu de laquelle il se repose et s’unit à Dieu dans la partie supérieure de l’esprit; quoique l’esprit par la volonté de Dieu ait quelquefois des entretiens avec lui comme un saint homme peut prier de bouche, et s’adresser à Dieu par des prières vocales, et cependant cette prière vocale n’est pas la perfection de cet homme, ni le moyen infaillible et immédiat de cette perfection, quoiqu’elle ait été un des moyens qui y conduisent. La méditation est donc une très bonne oraison, mais elle n’est pas une raison parfaite, ce qui est absolument conforme aux sentiments des Pères. La méditation, dit Saint-Thomas, est occupée à la recherche de la vérité, mais la contemplation se repose dans la simple vue de la vérité. C’est pourquoi lorsque l’âme fidèle, après des efforts plus ou moins longs, ou après avoir été prévenu par la grâce, (car il arrive quelquefois que le souverain arbitre de l’univers se fait trouver à ceux qui ne le cherchent pas) après, dis-je, qu’elle a trouvé son bien-aimé, qu’elle avait cherché par différents moyens et signes sensibles, ou par des actes particuliers répétés et distincts, qu’il s’est montré à elle comme son Époux, qu’il l’a introduite dans ses celliers, et lui a fait goûter de son vin précieux, qui donne le repos aux facultés de l’âme, et l’enivre de cette sainte et divine liqueur; alors le simple regard de la foi et le tendre sentiment de l’amour l’unissent à lui et elle contemple. Elle ne s’occupe plus de ces actes marqués et répétés, qui auparavant étaient tout autant d’échelons qui l’élevaient et la conduisait à lui, elle goûte et voit en silence et en repos combien le Seigneur est bon, elle n’est plus agitée de soucis et d’inquiétudes, puisqu’elle a trouvé celui qu’elle aime, elle n’a d’autre besoin que de le conserver et de ne le plus perdre, elle ne pense plus qu’à se reposer tranquillement, sous l’ombre de celui qu’elle a tant désiré, qu’à témoigner l’amour le plus généreux à celui qu’elle trouve incompréhensible, en sorte que par une foi inébranlable et un amour ardent, laissant les pénibles efforts qu’elle faisait auparavant, elle porte avec d’autant plus d’assurance son amour sur ce Dieu qui est le sien, qu’elle conçoit qu’il est au-dessus de toute compréhension, et que son intelligence surpasse toutes choses; elle se cache sous les ténèbres sacrées de la foi.

VI. Toutes les autres choses doivent lui céder, comme les moyens à la fin.

C’est cette prière de paix et de vérité, que le Seigneur avait promis par son prophète Jérémie 33 vs. 6 de révéler à ses serviteurs, et que Jésus-Christ nous a mérité par son sang. C’est, dis-je, une oraison de vérité, parce que c’est une oraison de paix, et plus elle est tranquille, plus elle est véritable. Car lorsqu’on sent la présence de Dieu, il faut lui laisser tout l’ouvrage et rester dans le sacré repos, ainsi la contemplation l’emporte d’autant plus sur la méditation et l’aspiration, qu’il est plus heureux de trouver que le chercher, goûter que de voir, d’embrasser que de soupirer, de se reposer que de courir, d’obtenir la vérité par la simple intelligence que d’aller à sa découverte par un discours laborieux. Et comme le repos est préférable au mouvement, le terme à la route, la fin au moyen, la jouissance au désir, ainsi cette espèce d’oraison simple doit succéder par une raison naturelle à toutes les autres espèces qui sont discursives; car elles sont des courses qui portent à Dieu, celle-là est une union, une jouissance et une immersion en Dieu, en qui [22] sous le voile de la foi et sur les ailes de l’amour, il y a des espaces infinis à parcourir. Et même, cette oraison dominicale dont nous avons parlé ci-dessus, toute inspiratrice qu’elle soit, malgré le degré de perfection qu’elle renferme porte ce qu’il emploie à cet état plus élevé et à cette oraison toute de feu, connu et éprouvé d’un petit nombre; elle les introduit, dis-je, en un degré éminent dans cette oraison ineffable, simple par son silence, quoique d’ailleurs plus éloquente que toutes les autres. Enfin la contemplation est une douceur aimable, un commencement de bonheur qui reçoit sa perfection dans la céleste patrie. Parole véritable! Qu’y a-t-il de plus aimable que la béatitude, qui a-t-il de plus doux que le bonheur? Et puisque la contemplation est le commencement du bonheur, ne sera-t-elle pas appelée à bon droit douceur très aimable, puisque l’âme jouit singulièrement et dans la réalité de ce souverain bien qui fait le partage des bienheureux dans le Ciel, qu’elle en jouit à la vérité, non dans la clarté de la gloire, mais sous l’obscurité de la foi? Mais Dieu soutient dans l’oraison de la méditation la faiblesse de celui qui pense, sa mémoire est d’abord remplie de sagesse, parce qu’il goûte avec délectation les biens du Seigneur et que son intelligence en pensant devient la contemplation de l’amant. Voilà comment l’oraison moins parfaite qui avait été discursive, fait place à une plus parfaite qui est simple, c’est-à-dire lorsque l’intelligence de celui qui pense devient la contemplation de celui qui aime, ce qui est sortir de la méditation par la méditation même, et par elle passer à la contemplation. Presque tous les saints ont éprouvé cette dernière, et ont souhaité ardemment que chacun en fît l’expérience.

VII. Aucune de ces espèces d’oraisons n’est à rejeter.

On ne doit donc condamner aucune de ces manières d’oraison, aucune ne peut être suspectée soit d’erreur, soit du plus petit danger; et celui-là se déclarerait ennemi de Jésus-Christ et de son Église qui en interdirait une d’entre elles; destructeur de la religion, il ferait outrage à l’Esprit saint; car comme personne ne peut dire par un pieux mouvement, Seigneur, que par le Saint-Esprit, assurément quiconque dirait anathème à l’une de ces trois sortes d’oraison par lesquelles on cherche, on invoque, on aime véritablement le Seigneur, dirait certainement anathème au Seigneur Jésus, ce que personne ne peut dire en parlant par le Saint-Esprit. Tous ces genres d’oraison, étant donc sûrs et [24] approuvés, peuvent en toute sécurité être enseignés et employés. Il est donc d’un sage Théologien de les peser avec précision, et d’assigner à chacun son degré.

VIII. Il ne faut pas les employer indistinctement ni se tenir strictement à une espèce.

Aucune de ces espèces d’oraisons ne convient indistinctement à tous les fidèles, et cependant toutes peuvent convenir à chacun. Ce qu’il faut entendre de cette manière, comme dit saint Paul, que comme chacun a son propre don de Dieu, et qu’il y a des grâces différentes, il y a un même esprit qui gratifie chacun comme il lui plaît. Il suit qu’on doit conseiller à chacun le genre d’oraison auquel un habile directeur remarque qu’il est appelé.

Quoique d’après l’ordre naturel il faille commencer par la méditation, continuer par les affections, et enfin s’arrêter à la contemplation; conformément à ce qu’ont dit avec vérité les Saints Pères; qu’on ne peut parvenir autrement au genre le plus sublime de l’oraison, qu’en s’élevant insensiblement et par ordre selon ces divers degrés; il faut excepter toutefois un ordre particulier de Dieu, qui fait commencer quelques-uns par les affections, d’autres mêmes par la contemplation. Car on a observé sagement 862 que le Seigneur avait assez souvent mis tout de suite dès le commencement de sa conversion, quelques personnes dans l’oraison d’affection, sans les faire passer par la méditation et le raisonnement, et qu’alors il fallait bien se garder de s’arrêter à la méditation, mais les pousser dans l’oraison affective. Quiconque aura parcouru le sanctuaire de l’intérieur reconnaîtra facilement la vérité de cette exception à l’aide du discernement sacré. Il sera même assuré que des enfants âgés seulement de quatre ans; que de pauvres gens du peuple et des paysans ont reçu, même dès le commencement, un don éminent de contemplation et de contemplation passive. Car Dieu par sa grâce en tire plusieurs des choses sensibles et les élève au faîte de la contemplation, comme aussi par un juste jugement, il prive de la contemplation et abandonne ceux qui retournés au terrestre sont retombés. C’est donc une erreur manifeste sur les premiers principes de la Théologie mystique, de vouloir que tous suivent toujours le même mode d’oraison, ou d’ordonner que pendant toute la vie, chacun garde les règles d’oraison qu’il a reçue au commencement, ou de prétendre que les fidèles n’aient pas de conduites intérieures différentes de celle que le directeur leur aura [26] prescrit lui-même, malgré qui lui est déclaré, qu’ils sont fortement attirés à un autre état. Car comme dit l’Apôtre Qui a connu la pensée du Seigneur, qui a été son conseiller?863 Et ne sommes nous pas avertis par les divins Oracles, Que nous ne savons pas ce que nous devons demander, mais l’Esprit demande pour nous, par des soupirs qui ne peuvent s’exprimer864. Comment suivrons-nous les gémissements ineffables du Saint-Esprit si nous les rejetons comme un mal? Et de plus : il ne faut pas mettre de bornes aux compassions du Seigneur, ni lui assigner ses moments à notre volonté.

Neuf. Quelques conditions requises de la part de Dieu, et de la part de l’homme.

Mais pour rendre l’objet plus clair, ramenons toute la question à ses principes.

Si nous considérons exactement ce que c’est que l’oraison, nous y découvrirons quatre choses qui constituent son essence, savoir, de de la part de l’homme qui prie, et de la part de Dieu qui règle l’oraison. De la part de l’homme, le but et la fin de l’oraison sont doubles; la première d’élever l’homme à Dieu, la seconde de l’unir à Dieu. De la part de Dieu, la première condition nécessaire, c’est que l’Esprit saint préside à l’oraison et qu’il l’inspire puisque celui qui sonde les cœurs, sait ce que l’Esprit désire, parce qu’il le demande pour les saints selon Dieu865. La seconde, que l’homme consente, qu’il règle l’oraison selon sa volonté, puisque où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté866.

De là il découle manifestement qu’un des plus grands obstacles à l’oraison, surtout quand elle est avancée, c’est une sorte de dureté et d’attache à son propre esprit, qui l’assujettit à certaines règles, le lie de chaînes, ou l’occupe de vains scrupules, lui imposant des pratiques d’obligation, ou l’engageant à se les imposer à lui-même, afin qu’il ne puisse s’élever librement à Dieu, ou qu’il se resserre par des actes multipliés, singuliers, imaginaires, ou sensibles, dans lesquels il s’entortille et se fatigue, de manière qu’il ne puisse point s’unir à Dieu, qui est très simple, très tranquille et très unissant. Assurément pour que deux choses auparavant très discordantes puissent s’unir, il faut qu’il s’établisse entre elles une sorte de ressemblance et de proportion; car comment pourrait-on unir autrement le mobile avec immobile, l’agitation avec le repos, le multiplié avec l’unité, le composé avec le simple, l’impur avec le pur, le contraire avec son contraire? C’est la raison pour [28] laquelle afin que notre esprit soit admis à la divine union, il faut qu’insensiblement, il ramène et rassemble toutes ses fins, à une unique fin, tous ses desseins à un unique dessein, toutes ces vues à une unique vue; enfin toute sa multiplicité, sa sollicitude, quelque pieuse qu’elle soit sur plusieurs choses, à la seule nécessaire; autrement il ne parviendra jamais à la fin qui lui est destinée; puisqu’il prendra le chemin tout contraire, comme l’a admirablement bien dit un des plus grands mystiques après les Apôtres, Denis l’Aréopagite. «Jésus lui-même concentre, réunit et perfectionne dans la vie unitive et divine nos mouvements divers et inconstants par l’amour des choses honnêtes, dirigé, et nous portant en lui.»

Merveilleuses paroles! Plus cette vie est unissante, plus elle est divine, et la vie de Jésus manifestée à nos cœurs nous élève autant à la divinité qu’elle nous met dans l’unité; d’où il arrive, que dans la proportion où quelqu’un est séparé de la communion à la vie divine, il l’est aussi de l’unité de l’Esprit.

C’est aussi le sentiment des anciens Pères que nous ne parviendrons à cette divine unité, que lorsque tout amour, tout désir, toute inclination, tout effort, toute pensée, tout ce que nous voyons, tout ce que nous disons, tout ce que nous espérons sera Dieu, et que cette unité qui est du Père avec le Fils, et du Fils avec le Père, aura été transfusé dans notre sens et dans notre esprit.

Voilà où se portaient tous les efforts des saints; voilà ce qu’ils enseignaient et où doivent tendre ceux qui désirent de bien prier? Jésus, l’objet de tous nos amours! Enseignez vous-même ceux qui craignent de voir cette brillante lumière, et qui s’ennuient de considérer ce qui par une faveur singulière de Dieu, fait le plus grand bonheur des autres. Oui, dis-je, ô Sauveur, dont la bonté surpasse tous nos désirs, qui êtes mort pour réunir en un les enfants de Dieu867 qui étaient dispersés, enfants, dis-je, intérieurs et dociles.

C’est le Saint-Esprit qui règle l’oraison, pourvu que notre cœur préparé lui soit présenté, afin qu’il y inspire l’oraison qu’il aura voulu. Car qui sait ce que désire l’Esprit, sinon l’Esprit lui-même? Or le cœur est préparé lorsqu’il est pur, lorsqu’il est résigné, lorsqu’il est très soumis à l’ordre divin, lorsqu’il dépouille toute volonté propre, toute recherche de soi-même, pour s’abandonner entièrement à Dieu. Car c’est en vain que l’homme se lève avant la divine lumière, et si le Seigneur ne bâtit la maison, (l’oraison, cette Sion sainte) ceux qui la bâtissent y travaillent en vain868. C’est pourquoi il est fort [30] à craindre que l’oraison de plusieurs ne soit moins pure, moins méritoire, puisqu’ils la composent eux-mêmes avec plus de soin, qu’ils la choisissent à leur gré, lorsqu’il aurait fallu en abandonner la conduite au Saint Esprit car l’onction du Saint-Esprit enseigne toutes choses869, mais ceux-là seulement qui ne s’arrêtent pas opiniâtrement à leurs propres inventions, obéissent docilement à son inspiration. Sans cela, on est bien éloigné de la parfaite oraison : non qu’il faille mépriser une religieuse préparation, nous sommes fort éloignés de le soutenir, mais on doit préférer la liberté du Saint-Esprit, à la propre dévotion, et on doit lui en laisser la principale conduite.

X. Qu’il faut suivre l’attrait de Dieu.

C’est pourquoi que les directeurs des âmes observent par quelle voie le Seigneur Jésus-Christ veut amener à lui une âme ce qu’ils pourront facilement connaître par l’inspiration assidue, par la douceur la facilité et le fruit qu’ils auront retirés d’un certain genre d’oraison, plutôt que des autres. Et comme ils ne doivent pas engager les fidèles qui leur sont confiés à un autre degré d’oraison, qu’ils ne voient par des indices certains qu’ils y sont divinement appelés; de même il ne convient pas de les tenir perpétuellement dans le même degré d’oraison, quand on découvre que c’est la volonté de Dieu qu’ils passent à un autre. Car il est certain qu’on doit quitter la méditation, dès que les affections se présentent fréquemment et réchauffent le cœur, et que l’âme altérée de Dieu n’a plus besoin de travaux, mais d’amour, dont son ardeur enflammée soit satisfaite ou soit heureusement allumée; de même on doit quitter les affections, dès que le silence et le repos est commandé au cœur, il ne peut l’être que par son Créateur et son tendre dominateur, lorsque que l’on éprouve le goût de la contemplation; on en pourra juger par les règles sûres et excellentes que donnent sur cette matière les Directeurs spirituels. Celui qui a obtenu la fin, ne doit donc plus s’embarrasser des moyens, ni se mettre en peine du chemin, lorsqu’il est arrivé au terme. Mais celui qui se donnera tout entier aux moyens, et voudra toujours rester dans la route, n’arrivera jamais.

XI. Les signes de l’attrait pour la contemplation et ceux qu’il faut suivre.

Il ne faut pas beaucoup de peine pour avoir un indice certain de cette vocation interne. Il est de deux sortes, et on le [32] connaît avec assez de certitude; le premier est l’impuissance de faire oraison autrement, le second la grande facilité de la faire de cette manière. C’est-à-dire, par exemple, lorsque quelqu’un est dans l’impuissance de méditer, en sorte que quelqu’effort qu’il fasse pour cela, cela soit pour lui infructueux et à dégoût, sans en éprouver aucune nourriture ni réfection; et qu’au contraire, il se sente doucement entraîné à la contemplation, et au repos en soi, en admiration et en amour de Dieu, dont il sent intimement la présence; alors il est clair qu’il faut laisser la méditation et embrasser la contemplation, alors il est commandé à cette personne de rechercher des dons plus excellents870 et de monter plus haut; c’est-à-dire, au pied de son amour qu’elle a trouvé pour son souverain bonheur et de s’y reposer. Et personne ne doit regarder cela comme une témérité, une arrogance (comme quelques-uns le soutiennent faussement.) Ce serait bientôt une orgueilleuse opiniâtreté de résister à l’appel de Dieu, puisque nous avons surtout été créés pour cette fin, pour jouir du Souverain Bien, ce qui ne peut pas avoir lieu sans cet intime et tranquille union. Il est même du devoir de l’homme de s’efforcer de faire choix et d’acquérir une telle vie contemplative des choses divines, comme la vie propre et naturelle de chacun de nous, et comme le bonheur de cette vie, ce qui n’a pas été inconnu au philosophe871. Or plus l’ami de l’Époux s’élève vers Dieu, plus il s’abaisse profondément en lui-même; car jamais l’humilité n’est séparée de la charité, et ce que la charité a élevé dans le ciel, l’humilité les a réduit au néant.

De quel danger pourrait-il être entre deux biens de choisir le meilleur, et si, comme nous l’avons établi plus haut, la méditation est bonne, si l’aspiration est meilleure, et si la contemplation l’emporte sur les deux, quel mal résultera-t-il, si on quitte la méditation pour l’aspiration, et l’aspiration pour la contemplation? Car il ne faut pas beaucoup délibérer, quand il est question de préférer une oraison plus parfaite à une qui l’est moins, celle-là étant contenue plus pleinement et plus éminemment dans la plus parfaite. Quelle est l’homme qui hésiterait longtemps entre un mauvais vin et un vin excellent, entre un pain grossier et un bon pain, entre de fausses perles et de véritables, entre de l’or épuré et un autre métal.

Une belle pièce d’or ne l’emportera-t-elle pas sur plusieurs petites pièces de cuivre; la beauté du ciel sur celle d’une plante, l’éclat du soleil sur celui d’une étincelle?

S’il est bon, s’il est religieux, s’il est [34] avantageux de mêler des raisonnements sur les choses sacrées dans la méditation, s’il est également bon de s’entretenir avec Dieu à la manière des faibles humains, pourquoi ne serait-il pas plus sûr, plus parfait d’adhérer à Dieu lui-même par un simple acte du cœur, puisque c’est un acte angélique et divin? À moins que quelqu’un ne s’avise de soutenir qu’il est saint et fort utile de parler toujours avec Dieu, mais qu’il est dangereux de l’écouter lui-même et de jouir de sa présence avec amour.

Est-il possible qu’il y ait des hommes qui donnent aux fidèles plus de crainte et d’horreur de ce sacré repos et de cet abandon paisible entre les mains de Dieu que du péché lui-même. Je leur répondrai volontiers avec mon maître : Marthe, Marthe tu te tourmentes pour beaucoup de choses, une seule est nécessaire, Marie a choisi la bonne part qu’il ne lui sera point ôtée872. Et quelle était cette bonne part? C’est qu’étant assise et en repos au pied du Seigneur, elle écoutait sa parole, elle se livrait entièrement à lui, regardant comme son bien d’adhérer à Dieu; il faut remarquer que non seulement elle ne fut pas blâmée par le Sauveur d’avoir choisi cette bonne part, mais qu’au contraire elle fut louée, et ce qui est encore remarquable, Marie choisit cette bonne part, non qu’elle prévînt cette lumière divine du secours divin, mais elle s’attacha sans hésiter à Dieu qui l’appelait. Chacun de nous peut donc choisir cette bonne part, surtout quand on sent dans son cœur cette force attirante et amoureuse de l’inspiration divine. Voilà, dis-je, cette bonne part, parce qu’elle est plus semblable à la vie des bienheureux, et qu’elle nous approche de Dieu, et de plus elle ne nous sera jamais ôtée. Car la contemplation de Dieu est durable pour l’autre vie, la part de Marthe lui sera ôtée, et sera changée en meilleure part, c’est-à-dire, cette méditation inquiète cessera un jour, mais la paisible contemplation de Dieu demeure éternellement.

XII. Il faut enfin écouter Dieu en silence.

Il dérive de tout ce que nous venons de dire, que nous ne devons pas beaucoup parler ou toujours parler en la présence de Dieu, mais qu’il faut quelquefois ce taire par ses ordres, afin d’entendre ce qu’il daigne dire en nous. Car certainement il veut parler de paix à son peuple873, son royaume est pour celui qui l’écoute au-dedans, et qui lui prête avec [36] attention les oreilles du cœur. Car Dieu ne nous parlera jamais, à moins que nous ne l’écoutions intérieurement par le silence entier de notre esprit, comme il l’enseigne expressément. Écoute, mon peuple et je parlerai874. Écoute, dit-il, et par ce silence tranquille, tu deviendras Israël, c’est-à-dire contemplateur de Dieu; et lorsque que je t’aurai rendu témoignage de cette manière sans méthode, assez connue à ceux qui en ont l’expérience, que je suis ton Dieu, tu n’auras d’autre souci que de m’abandonner et me laisser entièrement ton méprisable néant, de l’abandonner dis-je à moi, qui suis celui qui suis. C’est ce que dit le Saint-Esprit lui-même ouvertement par Isaïe : Le seigneur me prend et me touche l’oreille les matins, afin que je l’écoute comme un maître. Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille et je ne lui ai point contredit, je ne me suis point retiré en arrière875. Ah! Combien de fois le Seigneur voudrait-il toucher plus efficacement l’oreille du cœur, de tous ceux qui le prient, et même dès le matin, c’est-à-dire dès le commencement de leur oraison, afin qu’il l’écoutassent comme leur maître! Mais presque tous s’y opposent, et retournent en arrière, et se livrent d’autant plus péniblement à la méditation, qu’il les incline avec plus de bonté à la contemplation par une douce quiétude et par le sacré repos de son Esprit. Faites, ô maître divin, que vos serviteurs ne contredisent plus dans la suite votre vocation interne, et qu’aucun directeur de se dégoûte de démontrer cette excellente voie, à ceux qui sont invités par le Saint-Esprit à la fournir.

XIII. Explication des divers noms qu’on donne à la contemplation.

D’après ce que nous venons de rapporter ci-dessus, il est facile de voir la raison des différents noms donnés à l’oraison de contemplation, qu’on peut seulement distinguer par les divers degrés de cette oraison, dont l’ignorance a jeté les uns dans l’étonnement, les autres dans l’erreur, ayant regardé comme une hérésie odieuse, ce qui convient incontestablement à la sacrée contemplation des choses divines.

Car d’abord on l’appelle oraison de simplicité, ou d’unité, parce qu’elle ne consiste et ne s’exécute que par de simples actes, comme de voir, de goûter, d’admirer; elle rassemble toutes ses forces dans un seul objet, pour s’enfoncer en celui qui seul est le souverainement parfait. [38]

La largeur de l’oraison, étant ramenée par là à l’unité de la pureté ou simplicité intellectuelle; car la recherche de la raison n’aurait aucun effet si elle ne conduisait à une vérité intelligible.

Alors elle prend le nom d’oraison de foi, parce que la foi est le principe de l’oraison, la mère du repos et de la contemplation, et de la divine union; elle est dans cet exil où nous sommes, un moyen immédiat, comme le disent çà et là les Saints-Pères et les Docteurs, et surtout ce grand contemplateur. Voici comment et s’exprime876. «Plusieurs choses viennent interrompre l’âme légère, qui s’élève à toi : ô Seigneur, que par ton ordre tout se taise chez moi, que mon âme elle-même entre en silence, qu’elle outrepasse tout, qu’elle s’élève au-dessus de tout ce qui est créé, et au-dessus d’elle-même et parvienne jusqu’à toi, et qu’elle fixe les yeux de la foi en toi seul, qui est le Créateur de toutes choses.» Voilà la grande vérité qu’il établit. Le propre de la foi, lorsqu’elle a acquis des forces, est d’étouffer le bruit des créatures, de rejeter les formes et les fantaisies, d’imposer silence à l’âme elle-même, d’outrepasser tout le créé, de fixer sur le seul Créateur de toutes choses, tous ses regards éclairés abondamment par la nuit des sacrées ténèbres avec des délices inénarrables; ce qui n’est autre chose que d’éprouver que la contemplation produit une foi éminente et insigne, puisque ce que l’esprit a cru solidement, il l’admire et le goûte dans le repos. On l’appelle aussi oraison de silence, parce qu’on n’y entend pas même le langage du cœur, qui n’a que des oreilles pour entendre son Dieu; puisque lorsque le Seigneur Dieu est entré dans son temple, toute la terre, doit être en silence en sa présence877; c’est-à-dire, les sens, l’imagination, la fantaisie, les fantômes internes, et l’âme elle-même doivent se taire.

Il y a encore l’oraison de recueillement, qui rassemble toutes les forces et les facultés de l’âme dans son fond ultime, comme on appelle ses servantes à la Citadelle, pour placer le cœur dans la vertu de Dieu, et que toute sa force soit réservée autant qu’il est possible pour l’embrasser et en jouir; ce qu’un grand maître en matière d’oraison a exprimé sur ce sujet, d’une manière admirable.

«Mais vous878 lorsque vous prierez, entrez dans votre cabinet; c’est-à-dire dans l’intérieur de votre cœur, et ayant fermé la porte de vos sens, et là d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte, priez en secret votre Père en esprit et en vérité; ce [40] qu’on exécute convenablement, lorsque l’homme désoccupé et dépouillé de toutes les autres choses, et concentré entièrement lui-même, son esprit seul avec son Maître, négligeant et oubliant toutes choses, quelles qu’elles soient, découvre au pied de Jésus-Christ sans paroles, sans crainte et en confiance tous ses désirs au Seigneur son Dieu, et de cette manière se répand, s’enfonce, se dilate, s’enflamme et se débarrasse de toutes les affections de son cœur, du fond des moëlles, de toutes ses forces, avec sincérité et plénitude entre ses bras.»

On l’appelle aussi souvent oraison de la présence de Dieu, de quiétude, de repos, de paix, d’assoupissement et de sommeil, par la raison que sa naissance consiste dans une grande tranquillité, et qu’ayant trouvé son bien-aimé et le souverain bien, son âme dort à tout le reste, pendant que son cœur veille à celui seul sur lequel elle a fixé toutes les forces son esprit; c’est ce que dit saint Bernard879, expert en ces matières : «Un Dieu tranquille rend tout tranquille, et le regarder en repos c’est être en quiétude, et ce n’est pas oisiveté de vaquer ainsi à Dieu, puisqu’il nous l’ordonne lui-même880; cessez et reconnaissez que je suis Dieu». C’est là le faîte de la contemplation, d’éloigner et de réprimer tout bruit externe ou interne pour vaquer à Dieu seul. De cette manière nous demeurons en repos avec une action perpétuelle, nous sommes continuellement en quiétude et nous espérons, ce qui est vivre sans travail.

Le repos est de deux espèces, l’un est une cessation de toute œuvre, tel est l’état de ceux qui dorment; l’autre est une jouissance, la fin à laquelle le travail était dirigé, et telle qu’est le repos d’un général après la victoire, tel est le repos de celui qui contemple, qui fait s’élever à Dieu au-dessus de soi-même en esprit, et se reposer en lui avec jouissance. Pourquoi ne se reposerait-il pas, puisqu’il a trouvé ce qu’il cherchait; pourquoi ne se reposerait-il pas, puisqu’il a trouvé sa dernière fin et le souverain Bien, et qu’il en jouit autant qu’il est possible dans cette vie mortelle; puisque Jésus-Christ est non seulement le chemin, mais encore la vérité et la vie; et s’il est encore chemin, il est chemin pour avancer non à lui-même, mais en lui-même, afin de s’enfoncer plus profondément dans cet océan de la Divinité, où il a déjà été reçu, puisque ce que la méditation cherche, la contemplation le possède. Et afin que vous n’entriez pas en doute sur la nature de ce repos, tel que je l’ai dépeint, écoutez ce qu’on a pensé Saint-Augustin, afin que vous ne croyiez pas que c’est une fiction illusoire d’hommes oisifs. C’est la seule, dit-il, et [42] unique contemplation de Dieu à qui sont proposés tous les mérites des justifications et l’étude de toutes les vertus. Et quoique tous ces mérites de sainteté soient bons et utiles, non seulement pour le temps présent, mais aussi procurent le don de l’éternité; cependant si on les compare aux mérites de la divine contemplation, on les regardera comme des choses, pour ainsi dire, viles et de bas prix.

XIV. Pourquoi on l’appelle Mystique, ou ténébreuse ou inconnue.

Enfin, elle est appelée ou oraison, ou théologie, ou sagesse mystique, parce que le plus souvent elle est cachée et fort occulte, même à ceux qui la possèdent, parce que plus elle est pure, plus elle est ignorée; car comme le dit cet excellent Docteur mystique881 cette véritable lumière et connaissance des choses est inconnue assurément à ceux qui la possèdent, c’est-à-dire celle qui est appelée ignorance par rapport à Dieu, et les ténèbres qui la surpassent et qui sont couvertes de toute la lumière et qui échappe à toute science. L’ignorance d’un si grand don part de trois causes, outre que Dieu, par un effet de sa souveraine miséricorde, l’a ainsi ordonné pour que l’humilité serve de rempart à la contemplation.

Premièrement, la théologie mystique s’exerce par des actes directs et fort simples, d’où il arrive que pendant qu’il ne se replient point sur eux et sur leur principe, mais qu’ils tendent droit à l’incompréhensible, ils n’aperçoivent ni eux-mêmes ni celui qui opère; comme la lumière dans un air très pur, qui n’arrête point la vue, ne trouvant point de corps qui la borne, n’est point sensible, ce qui a donné lieu à cette maxime des anciens Pères, qui nous a été laissé par saint Antoine882 : l’oraison n’est pas parfaite, quand le solitaire s’aperçoit encore qu’il prie, ou ce qu’il prie.

En second lieu, parce que l’acte de la pure contemplation est entièrement dégagé de toutes formes, images, fantômes, espèces sensibles ou intelligibles, comme distinctes et aperçues; ce qui n’est certainement pas la fiction des commençants, comme l’avancent les ignorants; mais un axiome indubitable de tous les anciens, tiré premièrement de l’Ecriture elle-même, comme lorsque Moïse dit au peuple : Le Seigneur vous a parlé du milieu du feu, vous avez entendu le son de ses paroles, mais vous n’avez pas vu son visage883; c’est-à-dire lorsque Dieu dans cette [44] vie mortelle parle à ses serviteurs du milieu du feu très pur de son amour et de son rayon mystique; (ce qui est ranimer l’esprit par l’attouchement de son excellent principe, ou par l’écoulement de sa sagesse) elle paraît n’avoir aucune forme, mais tout se passe sous l’épaisse nuée de la nudité de la foi; à quoi se rapporte ce qui est dit dans le livre des Nombres884 : Il n’y a point d’idole en Jacob, et on ne voit point de simulacre en Israël. Le Seigneur son Dieu est avec lui, et le chant de triomphe pour la victoire de son roi est en lui. C’est-à-dire, dans ce courageux contemplatif, désigné ici par Jacob, il n’y a ni idole, ni simulacre; parce que son Seigneur Dieu est avec lui; par conséquent n’y figure ni forme de Dieu, Dieu seul, mais seulement un certain simulacre ou représentation885. Et Saint-Augustin expose cette vérité incontestable : tout ce qui se présente de tel, dit-il, aux spirituels qui pensent à Dieu, tout ce qui se présente de sensible sous une forme corporelle, ils le rejettent et le repoussent comme des mouches incommodes, ils l’éloignent de leurs yeux intérieurs, et ils acquiescent à la simple lumière, par le témoignage et le jugement que laquelle regardant ces images corporelles de leurs yeux internes, ils se convainquent de leur fausseté. Que peut-on dire de plus clair. Là même au témoignage d’un autre père886; ce cœur est pur qui présente à Dieu sa mémoire vide de toute forme et de toute espèce, prêt à recevoir tous les rayons du Soleil lui-même, qui peut l’éclairer : le poète Prudence a bien dit : «Le Dieu éternel est une chose inestimable; il n’est renfermé ni dans la pensée ni dans la vue. Il surpasse toute la conception de l’esprit humain, il ne peut tomber sous nos sens, il remplit tout en nous et hors de nous, et il se répand encore au-delà.»

C’était une chose incontestable parmi les anciens Pères du désert. La plus pure qualité de l’oraison, disaient-ils, est celle qui non seulement ne se forme aucune image de la divinité, et qui dans sa supplication ne lui donne aucune figure corporelle (ce qu’on ne peut faire sans crime), mais qui même ne reçoit dans son esprit aucun souvenir de parole, ni aucune espèce d’action ou forme de quelque caractère. Et lorsqu’ils se lamentent sur la simplicité et la grossièreté du vieillard Sérapion887, qui trompé par l’erreur des Anthropomorphites et ramené enfin à la tradition catholique, lorsque d’abord après avoir confondu et troublé dans son oraison de ce qu’il sentait effacée dans son cœur, cette image corporelle de Dieu, qu’il avait accoutumé d’employer auparavant, se livrant tout à coup à des [46] larmes amères et de fréquents sanglots; étendu par terre, il s’écria, avec la plus grande douleur; ils m’ont ôté mon Dieu, je n’ai plus rien que je puisse tenir, et je ne sais plus qui adorer ou supplier. Ne leur arriva-t-il pas quelque chose de semblable à ce que font ceux qui sont perpétuellement arrêtés aux formes sensibles?

Enfin, cela arrive par la manifestation de Dieu dans l’âme, et l’affluence immense de la divine lumière de la pure contemplation, qui surpassant et absorbant entièrement les forces naturelles de l’esprit, ne peut jamais tomber sous sa conception. Et pour rendre la chose encore plus sensible, je vais employer une comparaison rebattue. Tout ce qui est contenu dans un vase est certainement moins grand que ce vase et plus ce qui est contenu dans quelque chose par là même ne peut pas contenir ce qui le contient. De même lorsque nous distinguons, examinons, comprenons notre oraison, quelque sublime qu’elle nous paraisse, elle est cependant peu avancée, faible, bornée et imparfaite, et pour parler vrai, à peine dégagé des langes du berceau, puisque tout ce qui est contenu dans notre cœur est moins grand que notre cœur. C’est pour cela que Denis dit [] : si quelqu’un ayant vu Dieu, a compris ce qu’il a vu, il ne l’a pas vu lui-même, mais quelqu’une des choses qui tombent sous les sens; mais lorsque notre oraison s’est élevée jusqu’à l’immense, alors de nécessité notre cœur en est absorbé; tout comme au sommet de la montagne de la contemplation, les ténèbres dans lesquelles Dieu était, n’entrèrent pas en Moïse, mais Moïse, au contraire, entra dans les ténèbres où Dieu était.

De même notre cœur est dans l’obligation d’entrer en silence, en quiétude, en repos, en simplicité et en unité; parce que Dieu qui est plus grand que notre cœur888 y est lui-même entré889; lorsque la majesté de Dieu a rempli le temple, les prêtres n’y peuvent pas entrer ni y faire le service comme auparavant, parce que la majesté du Seigneur a rempli le temple; mais il faut laisser à cette divine majesté, et le temple dans toute son étendue, et le ministère de ce temple890. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende891. Ces paroles sont très certaines et véritables; car dans le monde intérieur, exposé aux rayons du soleil de justice, toutes choses ont leur temps, il y a temps de se taire et temps de parler, temps de guerre et temps de paix892. [48]

XV. De la contemplation active ou acquise, passive ou infuse; l’une et l’autre sensible ou insensible, réfléchie ou directe, aperçue ou inconnue; comment on les distingue.

Il nous reste à examiner une question sur la contemplation, question forte agitée dans notre siècle, mais ignorée dans les siècles précédents, parce qu’on n’y formait pas de doute sur la distinction qu’il fallait y apporter; savoir, y a-t-il contemplation acquise, comme on convient que Dieu en accorde une infuse selon sa volonté; et quelle différence doit-on mettre entre l’une et l’autre? Pour résoudre cette question tout à la fois brièvement, mystiquement et théologiquement, il faut avancer quelques observations propres à éclaircir les termes, à établir l’une et l’autre question d’une manière claire.

La contemplation active ou acquise est celle par laquelle l’homme tend aux choses divines, par des actes simples, unitifs, produits par son propre mouvement et dépendants de sa volonté; telles sont les actes des vertus et des dons surnaturels, quoique les habitudes en soient surnaturelles et infuses, les actes néanmoins en furent laissés à notre puissance. On appelle contemplation passive ou infuse, celle qui s’élève aux choses divines par des actes très simples et très unitifs, mais divinement infus, et qui ne sont point laissés à la volonté de l’homme; on connaît ensuite qu’ils sont infus, par leur force supérieure, par leur durée, leur pureté, leur illustration et leur excellence qui surpasse de toute manière l’activité des facultés de l’esprit fortifié même par une grâce ordinaire. Tel est, par exemple, l’entrée subite et perpétuelle893 de la lumière divine, la sortie de l’esprit en Dieu, la révélation, la prophétie et telle autre impression des choses divines; c’est par là que la contemplation infuse est placée au nombre des grâces accordées gratuitement; car elle possède d’ailleurs en abondance cette grâce qui fait ce qui est agréable; elle est la fille d’une ardente charité, et la mère en même temps d’un souverain amour.

La première est appelée active ou acquise, (non que la grâce divine n’y concoure; puisqu’au contraire, son concours y est absolument nécessaire, autrement elle ne serait qu’une contemplation philosophique et non pas théologique); mais parce qu’elle dépend de la volonté de l’homme, et qu’elle ne sorte point des bornes de la grâce et de la coopération commune; elle [50] a son analogie dans les actes des vertus théologales, et des dons du Saint-Esprit, qui, quoiqu’ils ne puissent être produits sans le secours d’une grâce commune, laissent cependant à l’homme la liberté de les mettre en pratique lorsqu’il le veut; Dieu lui donnant alors les secours généraux de la grâce qu’il a préparée pour cela.

La seconde est appelée passive et infuse, non parce que les puissances de l’âme n’y concourent pas, comme quelques-uns l’exagèrent gratuitement, puisque au contraire elles agissent véritablement dans cette admirable contemplation, et beaucoup plus parfaitement que dans ce qui a précédé. Ainsi que dans la gloire céleste les facultés de l’esprit agissent véritablement, parfaitement même avec une lumière surabondante de gloire; mais elle s’appelle contemplation passive, parce que par la surabondance ou l’excès de la lumière divine, l’âme, à son insu, sans y penser, est entraîné aux choses divines, adhère à Dieu et lui est très étroitement attachée par l’embrassement de la droite du Très-Haut. Et comme dans cette contemplation la grâce divine en fait la partie la plus considérable, elle a pris le nom de passive dont la ressemblance peut exister dans l’acte de la révélation divine, qui malgré la coopération de l’homme, lui vient cependant tout à coup, et qu’il ne peut ensuite se procurer à volonté.

Or, l’une et l’autre contemplation peut être, en partie sensible, lorsque la surabondance de la grâce redonde sur les sens ou internes ou externes, et que le cœur et la chair tressaillent dans le Dieu vivant; ou totalement insensible, lorsque tout est entièrement caché dans le fond du sanctuaire de l’Esprit; alors elle est quelquefois ou réfléchie, ou directe, ou aperçue au moins intellectuellement par celui qui la possède, ou absolument inconnue; la première est plus courte, plus pénible et moins parfaite; la seconde est au contraire beaucoup plus facile, plus durable, plus pure et plus douce. La première est celle du contemplateur avancé, la seconde du contemplateur parfait; parfait, dis-je, en raison de l’acte contemplatif, quoique peut-être il n’ait pas atteint encore la suprême pureté du cœur. Dans la contemplation active, l’habitude en est seulement infuse; dans la passive, les actes le sont aussi.

Quant à l’active, il paraît que saint Paul l’a en vue, lorsqu’il dit894 : Celui qui est attaché au Seigneur est un même Esprit avec lui. Car par celle-là, l’homme tend à Dieu par un simple regard, pour être rendu par cette adhésion un seul et même esprit avec lui. Quant à la passive, le même Apôtre a dit clairement895 : Ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. Ils sont donc plutôt [52] conduits qu’ils n’agissent, conduit qu’ils n’agissent, et comme le Père se montre à eux comme à des enfants; à l’imitation de son fils unique, ils sont conduits dans presque toutes leurs œuvres, surtout dans l’oraison par le Saint-Esprit; c’est pourquoi ils peuvent s’écrier avec raison : Seigneur vous nous donnerez la paix, car vous avez fait toutes nos œuvres896. Parole divinement admirable! Ce sont nos œuvres et néanmoins le Seigneur les opère en nous, en sorte qu’on peut comprendre qu’encore que ce soient nos œuvres par une véritable et réelle coopération de notre part, cependant à cause de l’écoulement d’une grâce surabondante, elles sont plutôt les œuvres de Dieu que les nôtres. Enfin, cette parole de l’ecclésiastique se rapporte à l’active [ecclésiastiques 39 versets sept] : Le juste appliquera son cœur et veillera dès le point du jour pour prier le Seigneur qui l’a créé. Est-ce qu’il n’applique pas son cœur à veiller, puisqu’il applique son esprit à contempler? Et ce qu’ajoute le Sage s’applique à la passive [ibid. verset neuf] : Car s’il plaît au souverain, il le remplira de l’Esprit d’intelligence, etc. Et si je voulais donner sur cet objet une explication plus détaillée, je couvrirai plutôt de ténèbres le rayon divin.

XVI. Il y a une contemplation infuse et passive, et comment l’esprit peut y être disposé.

De tout ce que nous venons de dire, il suit évidemment, par le témoignage et l’expérience d’un nombre presque infini de saints, et d’après le consentement unanime des Docteurs et le suffrage de l’Église, qu’il existe une contemplation infuse et passive, que Dieu accorde, par un privilège spécial, à qui il lui plaît.

Par cette contemplation l’homme pâtit les choses divines, il est plutôt mû de Dieu qu’il ne se meut lui-même; car immédiatement après que l’Esprit du Seigneur s’est emparé de quelqu’un, il est changé en un autre homme, accordant à l’opération divine un consentement aussi simple que paisible, et cependant l’amour du Créateur se joue en lui selon son bon plaisir, et fait ce dont, celui qui opère, a seul l’intelligence. Il en est de ce genre, dans l’Église, un plus grand nombre qu’on ne pense communément; ce don sublime ne consistant pas seulement dans l’Eglise dans les signes merveilleux qui frappent les yeux des mortels; mais bien plus dans la déiformité de l’esprit, dans le plus intime de l’homme, qui le plus souvent, sous l’apparence d’une [54] pauvreté méprisée, mène une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

Quoique personne, par ses propres efforts, soutenus même d’une grâce ordinaire, ne puisse atteindre à cette contemplation, ni la mériter puisqu’elle est un don gratuit, ni la désirer avec inquiétude, chacun cependant peut s’y disposer de quelque manière, selon le sentiment d’un très habile Directeur897, par ce que quoique la contemplation soit l’ouvrage de la grâce et même d’une grâce extraordinaire; cependant l’industrie de l’homme peut en faciliter les moyens, pourvu qu’il se sépare de tout ce qui n’est pas Dieu, et surtout de lui-même. Un autre Docteur, d’une grande autorité, a dit898 : Si nous étions parfaitement morts à nous-mêmes et dégagés intérieurement de tout, nous pourrions alors goûter dans notre intérieur, les choses divines et éprouver quelque chose de la contemplation divine. Le grand obstacle qui s’y oppose, c’est que nous ne sommes pas libres des passions et de la concupiscence; et que nous ne tâchons pas d’entrer parfaitement dans la vie des saints. Assurément ceux-là ne veulent pas entièrement mourir à eux-mêmes, qui s’efforcent toujours de conduire leur oraison par le propre raisonnement, qui sont toujours intérieurement entortillés en eux-mêmes, qui ne s’abandonnent jamais à la liberté du Saint-Esprit; tous ceux enfin qui veulent être sans cesse dominateurs, inspecteurs et juges de l’opération interne qui se passe en eux, n’éprouveront jamais l’action divine. Saint Grégoire le Grand, ce disciple élevé et maître dans la contemplation dit : Par la contemplation, nous voulons pénétrer les choses divines, nous qui non seulement n’avons pas la garde notre cœur, mais même celle de notre corps, puisque souvent nous portons des regards indécents, nous nous livrons à la curiosité, nous disons des choses superflues, nous usons du sommeil et des aliments, non pour remonter notre corps, mais pour la délectation.

De tout cela, il résulte qu’il y a principalement deux choses qui disposent à cette grâce. Premièrement. L’éloignement des obstacles qui peuvent être comptés au nombre de deux; l’impureté de la vie, et deuxièmement l’opiniâtreté à s’assujettir à un genre d’oraison extraordinaire; en ramenant ensuite insensiblement l’oraison à la tranquille simplicité et au repos : il faut cependant se garder d’avoir en vue que Dieu nous accorde une sorte de contemplation singulière, à la vue de cette disposition; ce motif annoncerait la présomption et la recherche de soi-même; mais que ce soit seulement pour acquiescer à la volonté divine, et pour qu’elle trouve le cœur disposé à tout ce qui lui plaît, ce [56] qui est la marque de l’humilité et de la charité.

XVII. Combien Dieu est disposé à accorder cette contemplation, lorsqu’il trouve des cœurs purs, doux, simples et humbles.

Saint Grégoire déclare d’une manière très expresse, combien il est agréable à Dieu d’accorder indistinctement à tous les hommes cette grâce éminente de la contemplation, pourvu qu’ils recherchent la pureté de cœur et qu’ils aiment leur Roi. Car, comme ajoute ce saint homme899, la grâce la contemplation n’est pas accordée seulement aux grands, aux hommes élevés; mais aussi aux petits, à ceux du plus bas rang; elle regarde indistinctement les grands, les petits, ceux qui sont éloignés, quelquefois ceux qui sont mariés; si donc il n’y a aucun état des fidèles qui puisse exclure de la grâce de la contemplation; quiconque a un cœur peut être éclairé de la lumière de la contemplation, d’où il résulte, par la décision ce grand homme, si célèbre dans l’Église, quel dommage il arrive aux âmes par la défiance qu’elles ont presque toutes de parvenir à la contemplation, et le désespoir de pouvoir y atteindre; si ceux-là seulement doivent désespérer d’obtenir cette grâce qui n’ont point de cœur; ceux, au contraire, dont il est bien disposé pour les choses intérieures, peuvent certainement arriver et même dans peu à la contemplation. Denis le Chartreux900 a dit dans les mêmes vues, pour parvenir à la Théologie mystique, il n’est pas nécessaire d’avoir un esprit subtil, d’être exercé dans les disputes des écoles, d’avoir fait des progrès dans les sciences abstraites et spéculatives; mais il faut éprouver des sentiments de pénitence, avoir un cœur pur, un amour ardent, la simplicité de l’esprit, l’élévation ou le recueillement, l’illumination du Saint-Esprit; et comme il arrive que ces qualités se trouvent plus souvent dans les idiots et dans les simples, dans les femmes et les filles, dans les gens doux et les humbles, dans ceux qui ont fait pénitence, surtout en ceux qui renoncent à leur propre volonté en toutes choses; il est certain que la contemplation de la sagesse mystique, leur est versée avec plus d’abondance qu’à ces grands génies, à ces savants qui ne se sont pas convenablement et dignement préparés à la voie unitive, par la voie purgative et illuminative; qui sont grands à leurs propres yeux, qui regardent [58] les autres comme rien, et qui par la même sont rejetés comme ineptes et indignes de cette théorie mystique.

XVIII. On prouve, par des autorités et des raisons, qu’il y a une contemplation acquise et active.

Il est certain qu’il existe une contemplation active et acquise; c’est celle par laquelle l’esprit épris d’amour pour la sagesse divine [sagesse huit verset deux], l’aime, la recherche même depuis la jeunesse de la vie spirituelle, et regarde comme un bien de s’attacher à Dieu901. Tous les Pères et tous les directeurs spirituels des âmes, je ne citerai pas ici les autorités, sont unanimement d’accord que l’homme, de son propre mouvement et avec le secours de la grâce, peut et doit s’élever à cette manière d’oraison dans le temps convenable, et même au commencement de la conversion, au moins de temps en temps, et par des actes non trop fréquents, en supposant qu’on y est disposé. Nous n’avanceront qu’une ou deux autorités. Premièrement. Celle de Saint Grégoire sur Job : Quiconque, dit-il, dilate son esprit par de saintes pratiques, doit encore l’élever jusqu’à la secrète recherche de la contemplation intime; et ailleurs902. Quelques-uns font tant de progrès dans l’amour de leur Créateur, qu’ils quittent même les bonnes œuvres pour se livrer à la douceur de la vie contemplative; et qu’ils désirent, par son moyen, de s’occuper de Dieu. Celle de saint Bernard903 : La contemplation, dit-il, exige un cœur pur, afin de dégager des vices, elle s’élève facilement aux choses célestes, et que quelquefois elle le tienne comme suspendu en admiration, comme en extase et étonnement par certains signes. Le même nous dit avec raison904 : Nous faisons de trois manières de grands progrès dans la grâce de la contemplation. Premièrement par la grâce. Deuxièmement par notre propre industrie, et enfin par la doctrine des autres. Il est évident cependant que la propre industrie et la doctrine des autres ne peuvent pas contribuer à la contemplation infuse. Mais est-il rien de plus formel que ces paroles de saint Denis à Timothée : Il abandonne, dit-il, le sens et l’intelligible905, il s’exerce à considérer les objets mystiques, il emploie ses forces d’une manière inconnue, pour se joindre [60] à celui qui est au-dessus de toute science et de toute substance, pour sortir de lui-même et de tout le créé, afin de s’élever au rayon des sacrées ténèbres. Ces actes sont manifestement propres à l’homme qui se porte et qui se meut vers Dieu; le même saint Denis le dit encore ailleurs expressément906 Il faut s’élever à l’habitude et la vertu de la contemplation, parler par le chaste regard de l’esprit. Et voici comment on s’élève à l’habitude de la contemplation par ces regards; c’est-à-dire par des actes; habitude, dis-je, acquise, puisqu’elle est l’effet de chaque regard particulier. La raison théologique donne la même instruction et la même conviction : car comme il est certain qu’il y a une manière d’oraison discursive par les actes répétés, qui produisent l’habitude qui y est conforme : il faut de même incontestablement admettre une manière d’oraison simple, par le moyen de l’intelligence du simple regard dont les actes répétés produisent l’habitude qui y est conforme, ou une sorte de facilité, quelle qu’elle soit, de parvenir à cette simple manière d’oraison, puisqu’elle se fait par une fois exquise, qui élevant l’esprit à Dieu, n’a pas besoin de discours ou de raisonnement. Car elle voit et elle sent plutôt qu’elle ne recherche ou en parle : elle admire plutôt ce qu’elle croit qu’elle ne recherche ce qu’elle doit croire, c’est ce qui a fait dire à saint Augustin [enchéri Dionne chapitre sept] : ce que croit la foi, l’espérance et la charité le demandent. N’est-ce pas par cette considération que la contemplation est définie en plusieurs endroits par les Pères, l’agréable admiration d’une vérité claire? Or, puisqu’il y a tant de vérités claires qui nous ont été révélées, tel par exemple qu’il y a un Dieu, et qu’il est souverainement aimable; pourquoi ces vérités ne produirait-elles pas sur nous une douce admiration?

Et ce sera une vraie contemplation. Ajoutons que si nous ne pouvions, par aucun effort, nous élever à la contemplation proprement dite, comment les saints Pères nous exhorteraient-ils par tant de passages à embrasser la vie contemplative? Puisqu’on ne peut pas appeler vie contemplative, celle où il n’y a pas de contemplation proprement dite907. La vie contemplative est particulièrement disposée à la contemplation de Dieu, d’après le témoignage du Docteur Angélique, lorsqu’il déclare : Que celui-là est beaucoup plus agréable à Dieu, qui occupe son âme à la contemplation qu’à l’action. Certainement il paraît avoir traité dans la question sur la contemplation, de la contemplation active proprement dite et avec plus d’étendue, [62] surtout lorsqu’il en parle le plus souvent d’une manière philosophique; c’est ce que n’ignorait pas le grand Théotime908 : La soif de l’amour divin, dit-il, pousse à méditer : mais cet amour enfin établi dans nos cœurs, nous retient dans la contemplation : nous méditons pour acquérir l’amour de Dieu; et quand nous l’avons acquis, nous contemplons. C’est pourquoi la contemplation est appelée avec raison la fille de cette charité dont la méditation est la mère, de même que le regard affectif de cette même méditation. Il est donc évident que l’acte ou l’habitude font partie de la contemplation active; car on voit clairement que les moyens et la fin tendent au même but; les moyens seraient également superflus et inutiles, s’ils ne pouvaient pas conduire au but désiré. Il s’ensuit donc nécessairement que la contemplation acquise répond à la méditation qui est un moyen acquis, et que cette contemplation en est la fin naturelle, dépendant du même genre d’oraison acquise.

XIX. Continuation de la même matière.

De plus; des trois opérations de l’entendement, il est certain que la simple appréhension ou perception saisit les objets qui lui sont proportionnés, par la seule vue, c’est-à-dire sans juger ou raisonner. Si donc la plupart des objets naturels sont connus par la simple appréhension, pourquoi serons-nous surpris que plusieurs objets surnaturels le soient aussi par le simple regard? Surtout puisqu’il n’exige que la foi, comme que Jésus est réellement présent dans le sacrement de l’Eucharistie.

Pourquoi, dis-je, quelqu’un se contentant de ce simple acquiescement ne demeurera-t-il pas comme saisi d’admiration, d’adoration et d’amour pour un si grand mystère, et ne le contemplera-t-il pas? C’est pour cela que les anciens ont regardé comme incontestable909 que l’acte de la sagesse théologique, soit acquise, soit infuse, méritait à bon droit le nom de contemplation. Enfin comme je puis par de pieux efforts chercher et attirer quelques actes de foi d’espérance de charité, de même Dieu peut me verser sans que j’y pense, d’une manière marquée quelques actes de ces mêmes vertus, ainsi incontestablement chacun peut contempler de ces deux manières.

Les philosophes sont d’accord qu’il y a une contemplation naturelle de la vérité, que les sages ont beaucoup célébrée, et se [64] sont proposés comme la récompense de leurs travaux, soutenant que c’était en cela que consiste le bonheur de l’homme. Et même la contemplation de la vérité convient à l’homme selon sa nature en qualité d’être raisonnable. À cause de cela il doit faire ses efforts et chercher à obtenir sur toutes choses une telle vie contemplative des choses divines, comme saint Thomas et Javellus l’enseignent par les principes d’Aristote. Et même la plupart des grands théologiens soutiennent avec vérité que910 la contemplation purement naturelle est possible, indépendamment de toute image; pourquoi donc tous les théologiens ne reconnaîtrait-il pas une contemplation acquise de la vérité divine éternelle? Surtout puisque le Saint-Esprit aide nos faiblesses dans son exercice, et qu’outre la force naturelle que le Créateur a donné à chacun de nous de contempler, il orne notre esprit de tant d’autres grâces surnaturelles, qui sont du genre de la grâce commune et ordinaire, qui l’élève, l’aide et le fortifie, en tant que souverain auteur de la grâce. Telles sont les trois vertus théologiques et les sept dons du Saint-Esprit, par lesquels les justes demeurent sanctifiés et disposés à la contemplation, surtout puisque la contemplation religieuse naît d’une foi exquise, soutenue par le don de l’intelligence et aidée du don de la sagesse que produit une ardente charité. À cela se joignent encore les secours ordinaires de la grâce qui y sont fort nécessaire, puisque les dispositions dont nous avons parlé les supposent pour exercer leurs actes dans le temps convenable, et que Dieu qui nous aide aime tendrement les offres toujours à ceux qui les lui demandent et les accorde à ceux qui en veulent profiter. Car comment pourrait-il arriver que celui qui nous exhorte partout et nous presse partout dans l’Écriture911 à prier sans cesse, à s’occuper uniquement de lui, à s’attacher uniquement à lui, à marcher toujours en sa présence, à se le proposer dans toutes nos voies, et à contempler les vérités éternelles, sachant912 que nous ne pouvons rien faire sans lui; comment913, dis-je, nous refuserait-il les secours nécessaires pour faire ces choses? Comment donc certains docteurs nous éloignent-ils impérieusement de la contemplation, comme des rochers inaccessibles, et nous menacent-ils de trouver un précipice dans une plaine unie? Pendant que tous les autres, soit par la philosophie, soit par la théologie, prennent à témoin le ciel et la terre que c’est le port de la tranquillité et l’état du bonheur dans cette vie, auquel si tous nos [66] efforts ne tendent pas, nous nous éloignons pour notre malheur du but auquel nous devons tendre.

XX. Il est plus facile de contempler que de méditer.

Et même ce n’est pas sans une raison suffisante que j’affirmerai, qu’il est beaucoup plus facile de contempler de cette manière, c’est-à-dire activement, que de méditer, au moins pendant quelques moments entremêlés de pieux mouvements, laquelle manière d’oraison est la plus facile de toutes et de temps en temps fort utile et merveilleusement efficace. Car la contemplation n’a pas besoin comme la méditation d’un raisonnement pénible et d’un appareil étudié de plusieurs pensées, ni d’un certain ordre entre elles et de réflexions internes, car914 c’est l’ouvrage de la méditation de fonder les choses secrètes, comme c’est celui de la contemplation d’admirer les choses claires. Or qui ne voit pas qu’il est beaucoup plus facile d’admirer ce qui est clair, que de fonder ce qui est caché?

Ensuite il est incontestablement plus facile de voir que de parler, de croire que de rechercher, d’aimer que de raisonner, de goûter, d’admirer et d’adorer que de montrer par plusieurs arguments la nécessité de ces actes. Ce qui fait que la sagesse appelle les petits, les simples et les ignorants, et ceux qui sont incapables de méditation au festin continuel de la contemplation. C’est pourquoi elle dit aux petits, venez, mangez de mes pains et buvez du vin que je vous ai versé915. Ceux-ci certainement916 mangent des pains qui se livrent à de pieuses méditations, qui prennent plaisir au mets agréable des saintes aspirations; mais ceux-là boivent le vin céleste qui s’enivrent sans peine du nectar de la contemplation. O docte ignorance! Plusieurs de ces petits qui n’ont pas encore appris à parler avec ordre devant Dieu, savent cependant admirer les choses divines, désirer Dieu et le bien prier917.

Enfin tous les hommes de quelques état, condition ou sexe qu’ils soient, sont capables d’exercer des actes de l’oraison acquise, pourvu qu’on le leur apprenne; car comme ils peuvent être exercés à la méditation, de même ils peuvent beaucoup plus facilement l’être à cette forme de contemplation. [68] qui empêche, par exemple, qu’après avoir considéré et saisi par la foi la naissance de Jésus-Christ, on ne soit tout de suite rempli d’admiration, d’amour et d’une douce délectation dans les vues de l’esprit et les mouvements du cœur, et qu’ainsi on ne soit nourri d’une véritable contemplation, comme l’a bien prouvé celui qui a écrit dernièrement avec étendue et connaissance sur l’oraison.

Au moins il faut avouer que la contemplation serait beaucoup plus facile pour plusieurs qu’elle ne l’est maintenant; si un plus grand nombre s’y adonnaient; si on n’était pas paresseux de s’occuper sérieusement et longtemps de l’oraison mentale; si on ne craignait pas de renoncer aux attraits de la chair et aux charmes trompeurs du monde; de réprimer ses passions; de pratiquer souvent les exercices internes d’une vie chrétienne; de marcher en la présence de Dieu; et comme la bonté divine nous invite à la contemplation, de nous y livrer de bon cœur et de coopérer au rayon divin. Car Jésus-Christ ne nous a pas moins mérité à tous la perfection que le salut; puisque saint Paul dit : Sans la sanctification nul ne verra Dieu918. Et il n’est pas moins disposé à accorder l’une à ceux qui la désirent et qui veulent marcher dans sa loi que l’autre. Et il ne dit pas moins à tous les chrétiens : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait919. Qu’il ne dit, si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements920.

XXI. Cette espèce d’oraison est la meilleure pour tous, la mieux accommodée à la volonté divine et à l’état d’un chacun.

Enfin cette oraison sera la meilleure qui se fera selon le bon plaisir divin, car le but principal et perpétuel de celui qui prie, doit être de ne jamais résister au Saint-Esprit, mais de se livrer tout entier à sa conduite, comme au grand Maître de l’oraison, et d’employer toujours cette oraison qu’il croira lui être le plus agréable, et à laquelle il se sentira entraîné par une inspiration également douce et efficace : Car qui pourra connaître le conseil de Dieu? Ou qui pourra reconnaître ce que Dieu veut?921 Personne, si ce n’est celui qui s’abandonne entièrement à Dieu, et qui se livre tout entier à l’inspiration céleste de l’oraison. Et comme celui-là doit certainement entrer dans la contemplation, qui après de long raisonnement et de fréquentes [70] aspirations, ne peut plus ou méditer, ou se livrer à des mouvements affectifs, de même il convient à chacun de se livrer aux mouvements affectifs et à la méditation lorsqu’ils se sentent libres et disposés à prier ainsi : et au contraire peu propres à la seule contemplation, quoiqu’il en ait reçu un don éminent; mais cela arrive très rarement.

Ainsi, l’ami fidèle sait se taire et parler selon la volonté de Dieu, dont il a l’expérience intérieure. Autrement si quelqu’un s’attachait à un certain genre d’oraison avec propriété, il se rechercherait lui-même et non pas Dieu uniquement : ce qui serait imparfait et contraire à l’entière résignation. Qu’on rende à chacun ce qui est à lui; si on compare oraison avec oraison, il est certain que l’aspiration est préférable à la méditation, et la contemplation à l’aspiration; mais si on compare l’oraison avec celui qui la fait, cette oraison sera la plus parfaite pour chacun, qui sera accommodée à son état ou à la nécessité, et ce qui est surtout essentiel à la volonté divine. Ainsi le lait convient proprement aux petits, comme la nourriture solide aux adultes, et la nourriture solide est aussi peu adaptée aux petits que le lait aux adultes; quoique la nourriture solide comparée au lait soit préférable. Si quelqu’un comparait l’état du mariage au célibat, ils trouveraient certainement que cet état est moins parfait que celui-ci; mais s’il comparait le célibat au mariage, ce dernier état sera préférable au premier pour ceux qui y sont appelés. Rien n’empêche, dans tous les états de la vie humaine, de tendre à la souveraine perfection et sanctification. On peut porter le même jugement des différents genres d’oraisons.

XXII. Précaution contre les censures injustes.

Que les directeurs des âmes tiennent donc ces préceptes et les enseignent avec prudence et avec sagesse, prenant garde surtout de censurer et tourmenter les autres, comme s’il fallait rejeter les témoignages de tant de saints et de savants hommes, parce qu’ils n’ont pas éprouvé ce que ceux-là ont avancé : Que chacun, selon le don qu’il a reçu, l’emploie pour le service des autres, comme bon dispensateur de la grâce de Dieu, qui a différentes formes922. Puis donc que la grâce de Dieu a différentes formes, assurément ceux-là s’en écartent beaucoup, qui veulent que tout le monde suive la même route, et qui pendant quarante ou cinquante ans, obligent indistinctement tous leurs dirigés [72] à tenir intérieurement la même conduite, et ne leur accordent jamais de quitter les rudiments de l’oraison923. Les pains des aliments célestes ne sont pas également adaptés à chacun et uniformes dans l’oraison; mais les opérations du Saint-Esprit dans l’homme924, sont aussi diverses que l’état des hommes est différent sur la terre925. Cela paraît donc être le plus utile, qui réjouit le plus, selon Dieu, celui qui fait oraison, qui lui inspire plus promptement l’esprit de dévotion et élève son esprit à la confiance en Dieu.

XXIII. Ce que l’on a dit jusqu’ici de l’oraison mentale, n’est ni une fiction, ni une nouveauté, mais la véritable et ancienne doctrine.

Le peu de choses que j’ai rapportées de la sacrée oraison, quelque indigne que je sois de la nommer, je l’ai recueilli avec soin de mon mieux, des sources pures de la parole de Dieu, des écrits des Saints Pères et des plus grands Docteurs spirituels; avançant presque tout ce que j’ai dit, entremêlé de leurs propres sentences, dans le dessein que ceux qui sont médiocrement instruits des matières théologiques, puissent voir clairement, que les principes de la Théologie mystique et le commerce interne des âmes avec Dieu, sont certains, clairs et solides et aussi anciens que le monde, et que, par conséquent, ce ne sont pas des fictions inventées de nos temps, comme le pensent vainement des gens sans expérience, mais sont fondés entièrement sur le sentiment universel de tous les siècles de l’Église, sur les écrits et sur la tradition constante des Saints Pères depuis les Apôtres, et confirmé par une nuée de témoins. Il me serait facile d’avancer un plus grand nombre de témoignages, si ce petit ouvrage n’était pas une simple esquisse d’une plus grande entreprise.

XXIV. Quelques traits remarquables sur l’une et l’autre contemplation, leurs caractères, leurs avantages. Que toutes ces choses sont fondées sur le renoncement à soi-même, sur la croix et sur l’amour.

Quelqu’un peut-être désirera pour acquérir une connaissance plus complète de ces deux espèces de contemplations, que je trace avec plus de détail ce qui peut [74] les éclaircir, et que je marque en même temps la différence qu’il y a entre les deux; je m’y prêterai, quelque incapable que j’en sois, et je dirais en peu de paroles ce qui est entièrement ineffable.

Les marques de la contemplation active sont le recueillement intérieur des sens et des facultés de l’esprit, le silence, le repos et la simplicité du cœur, le regard tranquille des choses divines, la cessation du discours intérieur, qui disparaît comme dans le cœur; l’admiration qui succède à la considération, une foi vive à Dieu présent, que l’esprit seul lui suffit, l’éloignement de toute recherche, car on a trouvé le vrai bien avec Dieu, goûté intimement : une plus grande faim de l’oraison et en même temps un rassasiement, un mélange rare ou fréquent des mouvements affectifs; car cette contemplation a besoin de ces secours, comme l’aurore a son lever pour parvenir graduellement au plein jour, la réduction des exercices internes multipliés, à un seul nécessaire, l’élévation agréable de l’esprit à Dieu, la dilatation du cœur et le goût de l’éternelle vérité saisie. Les fruits de cette oraison sont l’illumination d’en haut, d’où naît le mépris de soi-même et la souveraine estime de Dieu, l’entière mortification de la chair par l’esprit, et de l’esprit par le renoncement; l’accroissement de toutes les vertus, et la purification du cœur926. La paix de Christ qui triomphe dans le cœur, l’aurore d’un plein jour, la connaissance de la croix de Christ et l’amour du crucifié, l’intelligence des paroles de l’Écriture Sainte, qu’on n’avait jamais eues auparavant : la découverte du grand trésor caché dans le champ de l’Église, l’adoration du Père en esprit et en vérité, qui commence presque dès lors, le repos dans l’attente des promesses927 le septième jour que Dieu bénit et sanctifia, parce qu’il est le jour où il se reposa de toutes ses œuvres qu’il avait faites, la sainteté ne consistant pas dans l’usage des moyens ou la fatigue de l’esprit, mais dans la jouissance de la fin. D’où il reste un repos pour le peuple de Dieu, car celui qui est entré dans le repos de Dieu, se repose aussi lui-même en cessant de travailler, comme Dieu s’est reposé après ses ouvrages928. Heureuse les âmes qui ont appris par leur expérience cette parole de l’Apôtre : la vue de l’éternité qui soutient la patience et ranime la persévérance, est la disposition la plus prochaine à l’oraison surnaturelle929. C’est ainsi qu’à cette oraison acquise régulièrement, dans les hommes purifiés par le bienfait de Dieu, succède l’oraison infuse dans laquelle consiste le bonheur qu’on peut acquérir dans cette vie de la connaissance de Dieu. [76]

Les marques de la contemplation passive sont un souvenir perpétuel de Dieu, l’attention continuelle du même Dieu présent partout, et surtout dans le cœur, un état d’oraison perpétuelle indistinct, uniforme, très étendu; car celui qui n’a pas reçu la grâce du Paraclet, n’aura pas la permanence et la perpétuité de l’oraison; mais si un homme a le Paraclet, alors assis et se promenant, dormant et veillant, travaillant et se reposant, parlant et se taisant, il est en oraison. Une certaine immobilité divine, une impassibilité au-dessus des forces de la nature, une fermeté d’âme imperturbable, une véritable unité, en qui ni l’adversité, ni la prospérité ne produit point le changement; l’absence des formes et des fantômes, l’assujettissement de l’entendement à l’obéissance de la foi, par le moyen de laquelle toutes ses recherches se reposent enfin dans l’éternelle vérité, la perte de la volonté humaine dans le bon plaisir divin, l’affranchissement de tout mode, de tout temps, de tout exercice, de tout lieu, de toute méthode, de tout moyen, par lesquels on acquiesce à Dieu seul au-dessus de toute conception; car ici l’âme se trouve comme établie et enlevée du temps présent dans l’éternité, et contemple en elle-même Dieu d’une manière qui lui est inconnue. Les dons singuliers de Dieu sont, la continuité de l’oraison sans fatigue, un merveilleux rassasiement, avec une perpétuelle soif d’oraison, la vue et le sentiment très intime de Dieu en toutes choses, et de toute chose en Dieu; ce qui fait que celui qui a pénétré ce secret s’écrie avec raison, toutes choses me sont Dieu et Dieu m’est toutes choses. Enfin lorsque cette manière d’oraison aura été forte avancée, elle produit en l’homme la sortie de lui-même, et de toutes les créatures; ensuite il demeure libre en toutes choses, et étant heureusement mort dans le Seigneur, il rentre dans le repos de son Seigneur.

Il est surpris d’être fait une même chose avec Dieu, et cependant il ne doute pas qu’il ne soit distinct de Dieu. Il est réduit à l’anéantissement et ne se voit plus. Enfin par l’émulation de sa patrie céleste [Saint-Augustin] lorsqu’il a reçu cette joie ineffable, l’esprit humain disparaît en quelque façon et est divinisé.

Les fruits de cette contemplation sont930 l’holocauste et l’oblation, d’une très à agréable odeur au Seigneur, vivre et ne pas vivre, opérer et ne pas opérer, car la vie, l’opération, et les sens de ce contemplateur [je dis du parfait contemplateur,] est devenu tels, qu’il est recoulé comme dans son origine, il est passé en Dieu. Alors il est élevé au [78] dessus de toutes les vertus, il a la vraie humilité du cœur, un amour très pur, qui se glorifie dans la croix de Christ et possède cette paix de Dieu qui surpasse tout entendement931. L’oubli des fautes commises, le vrai bonheur de cette vie, les arrhes de la vie divine, l’entrée de Dieu dans son âme par la force son amour, le repos de l’un dans l’autre et la possession réciproque, la jouissance de Dieu en Dieu même, une merveilleuse révélation des choses divines, la pénétration des mystères, l’association aux anges, l’expérience très profonde des attributs divins. Ici on fait plus d’oraison dans une heure, que dans un autre temps pendant une année entière. Ici s’opère la manifestation du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ici on trouve en Jésus-Christ la plénitude du vrai bien et la joie du Seigneur. Ici la jeunesse est renouvelée comme celle de l’aigle932. [] Et la nuit même devient toute lumineuse au milieu des délices933. ici la charité opère la mort de la nature et la vie de l’esprit, oubli de toutes les créatures et la parfaite union avec le créateur. Enfin ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, et ce qui n’est point monté dans le cœur de l’homme934. Voilà ce que ces parfaits amateurs de Dieu éprouvent dans ce lieu d’exil, attendant cependant la bienheureuse espérance et l’arrivée du Seigneur935.

Or dans cette parfaite abnégation et soumission tout se consomme; et quiconque voudra éprouver ces merveilleuses et grandes choses, doit commencer par devenir très petit et très abject à ses propres yeux, et se renoncer toujours et en toutes choses. C’est ainsi qu’enfin par cette oraison perpétuelle et incessable, que s’accomplira en lui cette parole du prophète crie à moi et je t’exaucerai et je t’annoncerai les choses grandes et fermes que tu ignores936.

Au reste, si vous désirez de faire oraison d’une manière profitable, renoncez-vous vous-même, et ne parlez de l’oraison qu’après avoir beaucoup souffert. Celui-là ne connaîtra jamais les sacrés secrets de l’oraison, qui n’aura pas été séparé de toutes les créatures, ou qui ne se sera pas élevé à Dieu par un vol hardi; devenu supérieur à lui-même; et celui-là ne pourra pas défendre avec succès la contemplation, surtout celle qui est plus avancée et plus secrète, qui n’aura pas en sa faveur essuyé beaucoup de croix y étant exposé, comme à la défense de l’Évangile intérieur et éternel. Car comme Jésus-Christ nous a mérité ce don précieux [80] par le sens de sa Croix, de même Dieu accorde à ses serviteurs et à ses servantes cette grâce entièrement divine de le manifester et de le défendre, presque toujours par des opprobres, des injures, au milieu des traits fréquents d’une cruelle contradiction. On passe à cette paix, par des extases de la sagesse chrétienne, et il n’y a pas de chemin pour y aller que par un ardent amour pour le crucifié dont le sang purifie des souillures du vice.

L’amour de Christ et l’imitation du crucifié nous conduisent d’abord comme par la main à la contemplation, ensuite la contemplation elle-même élevant notre esprit à Dieu, amène l’amour de Christ à l’entière purification et à la plus sublime imitation du crucifié. [Saint-Augustin] Si on recherche cette sagesse comme il convient, elle ne peut se soustraire et se cacher à ceux qui l’aiment. De là on peut leur appliquer cette parole. Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez à la porte et on vous ouvrira937. L’amour demande, l’amour cherche, l’amour frappe à la porte, l’amour découvre, l’amour enfin persévère dans ce qui lui est révélé.

Que celui dont qui désir de connaître cet amour le cherchent où il et qu’ils ne cherchent pas dehors, puisqu’il est abondamment dans les cœurs. Dieu conserve cette fournaise dans les œuvres de sa chaleur938.

Dieu répand cette charité dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est donné939. C’est donc auprès de Dieu qu’il faut chercher cet amour sacré. C’est donc avec Dieu qu’il faut traiter par des exercices intérieurs, afin que par ce commerce notre esprit soit enflammé du feu divin. Lorsque quelqu’un aura cherché le Seigneur son Dieu il le trouvera, si cependant il a cherché dans toute l’angoisse de son âme940. Voilà la seule chose que nous devons chercher, voilà le chemin le plus sûr de le chercher, celui qui cherche Dieu seul et qui le cherche de tout son cœur; celui qui le cherche dans toute l’angoisse son âme le trouvera certainement et sûrement. Lorsque tous nos efforts se porteront droit, d’abord et uniquement à Dieu, lorsque nous l’aurons cherché par une incessable oraison, et une solide mortification, alors enfin nous le trouverons. Que la mortification soit donc l’assaisonnement de l’oraison pour qu’elle ne devienne pas vaine, que l’oraison fortifie la mortification, pour qu’elle ne [82] défaille pas; que l’une et l’autre fraient un chemin uni pour arriver à Dieu.

La contemplation de rejette pas la mortification, mais l’augmente. La mortification n’éloigne pas de la contemplation, mais y conduit d’un pas assuré. Ainsi Jésus-Christ est le chemin qui conduit au Père. Seigneur enseignez-nous à prier. Luc 11.





III. VINGT-HUIT ANNÉES DE PRISON (1687 - 1715)

Aucun commentaire ne peut rendre compte d’une épreuve sans fin sur laquelle nous ne savons presque rien car la correspondance couvre seulement cinq années (1690-1695) et se devait d’être rassurante. La Combe suit le calvaire vécu par le quiétiste Molinos dont on ne sait rien -- les archives romaines ayant brûlées -- sinon sa remarquable attitude lors d’une célèbre « journée » d’expiation.

Soulignons le remarquable rayonnement d’un homme seul qui va réussir à rassembler autout de lui un groupe spirituel -- une « petite église » comme il nommera justement mais malencontreusement ce groupe -- au sein de la prison de Lourdes, seule « situation stable » qui succéda à plusieurs transferts. La correspondance commence trois années après son premier enfermement.

Se joindront au cercle mystique le chapelain de la prison, des notables, de simples femmes, des religieuses... Le contact avec l’extérieur sera assuré sans faille par une voie qui nous reste inconnue, jusqu’à la saisie de madame Guyon vigoureusement recherchée par la police.

Soulignons également que l’on ne peut attribuer au prisonnier aucun aveu net et clair qui eût réglé une bonne fois pour toute le « problème quiétiste ». Les accusateurs « liquidateurs » en sont réduits à présenter une lettre forgée à la prisonnière parisienne. Aucune confrontation ne pourra avoir lieu.

La lettre de Tarbes est suffisemment étrange et différente des lettres qui parvinrent à madame Guyon par une voie sûre que nous la supposons arrangée ou obtenue par épuisement ou égarement provoqué du prisonnier. Tout se dénouera par la mort d’un vieillard peut-être devenu fou à force d’épreuves subies ou bien ayant retrouvé sa liberté dans la sénilité.


MADAME GUYON TÉMOIGNE DANS SA VIE PAR ELLE-MEME

3.3 ARRESTATION DU PÈRE LA COMBE

1. ‘Ils firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de Molinos …[S.M.] ordonna …que le père La Combe ne sortirait point de son couvent …Ils concertèrent de … le faire paraître réfractaire aux ordres … ils résolurent de cacher cet ordre au père La Combe.’ 2. Tromperies pour faire sortir le Père La Combe et établir des procès-verbaux. 3. Naïveté du Père toujours soucieux d’obéissance. 4. Le Père La Mothe obtient les précieuses attestations de la doctrine du Père La Combe et les fait disparaitre. 5. Le Père est arrêté le 3 octobre 1687. 6. Pressions du Père La Mothe et ‘il y eut même de mes amis assez faibles pour me conseiller de feindre de prendre sa direction.’ 7. Tous ceux qui ne la connaissent pas crient contre elle. 8. ‘Je ne faisais pas un pas, me laissant à mon Dieu.’ 9. Activité de l’écrivain Gautier. 10. Elle trouve des témoins qui connaissent la femme du faussaire ce qui peut démontrer l’innocence du Père La Combe mais le Père La Mothe, supérieur des barnabites, ‘voulait bien se mêler de livrer son religieux, mais non pas de le défendre.’ 11. ‘Un second Joseph vendu par ses frères.’ 12. ‘Ce fut sur cette lettre supposée, que l’on fit voir à Sa Majesté, que l'on donna ordre de m'emprisonner.’

[1.] À quelques jours de là, après avoir consulté avec M. Charon941 l’official, ils trouvèrent le moyen de perdre le père La Combe, voyant que je n’avais pas voulu m’enfuir. C’était celui qui leur avait paru le plus sûr : ils firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de Molinos et dans ses sentiments, supposant, sur le témoignage de l’écrivain et de sa femme, qu’il avait fait des crimes qu’il ne fit jamais. Sur cela Sa Majesté, avec autant de justice que de bonté, croyant la chose véritable, ordonna avec autant de justice que de bonté, que le père La Combe ne sortirait point de son couvent, et que l’official irait s’informer de lui-même quels étaient ses sentiments et sa doctrine. Il ne se trouva jamais un ordre plus équitable que celui-là; mais il n’accommodait point les ennemis du père La Combe, qui jugèrent bien qu’il lui serait très aisé de se défendre de choses aussi fausses. Ils concertèrent entre eux un moyen d’ôter cette affaire à la connaissance des généraux et d’y intéresser Sa Majesté. Ils n’en trouvèrent point d’autre que celui de le faire paraître réfractaire aux ordres du roi, et afin de réussir, - car ils savaient bien que l’obéissance du père La Combe était telle que s ‘il savait l’ordre du roi, il n’y contreviendrait pas, et qu’ils ne viendraient point à bout de leurs desseins, - ils résolurent de cacher cet ordre au père La Combe, afin que, sortant pour quelque exercice de charité ou d’obéissance, il fût pris comme rebelle. Le père La Combe prêchait et confessait à son ordinaire, et même fit deux sermons, l’un aux Grands Cordeliers à Saint-Bonaventure, et un autre à Saint-Thomas de Villeneuve, aux Grands-Augustins, sermons qui enlevèrent tout le monde. Ils lui cachèrent, dis-je, avec soin les ordres du roi et complotèrent avec M. l’official tout ce qu’ils firent, parce qu’ils ne pouvaient rien faire en ce point qu’ils ne fussent de concert.

[2.] Quelques jours auparavant, le père La Mothe me dit que M. l’official était son intime ami et qu’il ne ferait en cette affaire que ce qu’il lui plairait; et il feignit de faire une retraite spirituelle afin de n’être point obligé de s’écarter de la maison [261] et de mieux faire réussir son affaire, et pour avoir aussi un prétexte de s’exempter de servir le père La Combe et de le mener chez Mgr l’archevêque. Un après-dîner l’on vint dire au père La Combe qu’un cheval avait passé sur le corps d’une de ses pénitentes et qu’il la fallait aller confesser. Ce père, sans tarder, va demander permission au père La Mothe d’aller confesser cette femme. On la lui donna volontiers. À peine fut-il parti que M. l’official vint, qui fit son procès-verbal comme il ne l’avait pas trouvé et qu’il était un rebelle aux ordres du roi que l’on ne lui avait pas déclarés. Ils dirent tout haut à M. l’official qu’il était chez moi, quoiqu’ils sussent bien le contraire, car il y avait plus de six semaines qu’il n’y était venu et ils firent entendre à Mgr l’archevêque qu’il était toujours chez moi. Mais comme une seule sortie par l’ordre du supérieur n’était pas suffisante à leur gré pour faire paraître le père La Combe aussi noir à Sa Majesté que l’on voulait le faire paraître, il fallut venir d’autres fois. Cependant le père La Combe résolut de ne sortir pour rien au monde. Ce qui les embarrassant un peu, ils firent venir M. l’official un matin, et sitôt qu’il fut entré, on dit au père La Combe, qui ne savait pas qu’il fût là, de venir dire la messe. Il fut surpris parce que ce n’était pas son rang, et il eut assez tôt dit la messe pour voir sortir M. l’official. Il alla trouver son supérieur et lui dit : «Mon père, est-ce qu’on veut me surprendre? Je viens de voir sortir M. Charon l’official?» Le supérieur lui dit : «C’est qu’il me voulait parler; je lui ai demandé s’il voulait vous parler, il m’a dit que non.» Cependant l’on avait ce matin dressé un second procès-verbal comme942 le père La Combe n’y était pas, et qu’il était encore rebelle aux ordres de Sa Majesté. M. l’official vint une troisième fois; le père le vit de la fenêtre et demanda à lui parler; l’on ne voulut pas qu’il parût, disant qu’il avait des affaires avec le supérieur et qu’il ne venait pas pour lui. Il me vint trouver à son confessionnal où je l’attendais, et me dit qu’il craignait fort une surprise, que M. l’official était là, et qu’on ne voulait pas le lui laisser parler. L’on fit encore un troisième procès-verbal comme le père La Combe s’était trouvé pour la troisième fois rebelle aux ordres du roi.

[3.] Je demandai le père La Mothe et je lui dis que je le priais que l’on n’en usât pas comme cela, qu’il m’avait dit qu’il était fort ami de M. l’official et qu’assurément l’on voulait user de surprise. Il me dit assez froidement : «Il n’a pas voulu voir le père La Combe : il ne venait pas pour cela.» Je conseillai au père La Combe d’écrire à l’official et de le prier de ne lui pas refuser la grâce qui ne se refuse pas aux plus criminels, qui est de les entendre, et de lui faire la grâce de venir et de le demander. J’envoyai moi-même la lettre par une personne inconnue. M. l’official dit qu’il irait l’après-dîner sans y manquer. Le père La Combe eut quelque peine d’avoir écrit cette lettre sans la permission de son supérieur, car il ne se pouvait persuader les choses au point où elles étaient. Il le fut trouver pour le lui dire; aussitôt qu’il le sut, il envoya deux religieux à M. l’official, apparemment pour le prier du contraire, ainsi que l’événement l’a bien fait voir. Comme je passais pour aller à une maison que j’avais louée, je trouvai ces deux religieux : je me doutai du fait, car Notre Seigneur voulut que je fusse témoin de tout; je les fis suivre, et ils allaient chez M. l’official. Je ne [262] doutai plus que le père La Combe n’eût fait confidence au père La Mothe de la lettre écrite. Je fus trouver le père La Combe pour le lui demander, il me l’avoua; je lui dis que j’avais trouvé ces deux religieux en chemin et que je les avais fait suivre. Nous parlions encore lorsque le père La Mothe vint dire que M. l’official ne viendrait point, que les choses avaient changé. Le père La Combe vit bien dès lors que cette affaire serait de pure surprise.

[4.] Cependant le père La Mothe feignit de le vouloir servir. Il lui dit : «Mon père, je sais que vous avez des attestations de votre doctrine de l» Inquisition et de la Sacrée Congrégation des rites et des approbations des Cardinaux pour votre sûreté : ces pièces sont sans réplique, et puisque vous êtes approuvé de Rome, un simple official n’a rien à vous dire sur votre doctrine.» J’étais encore aux Barnabites lorsque le père La Combe fut chercher ces pièces et dresser ses mémoires. Croyant que le père La Mothe agissait d’aussi bonne foi qu’il le protestait et voyant qu’il m’assurait que M. l’official ne ferait que ce qu’il voudrait, qu’il était son ami et qu’il voulait servir le père La Combe. Ce père dans sa simplicité le crut, et lui apporta ses papiers, qui étaient sans réplique pour la doctrine; pour les mœurs, cela n’était point du ressort de l’official. Après que le père La Combe eut donné ces papiers si nécessaires, on les supprima, et le pauvre père eut beau les demander, le père La Mothe dit qu’il les avait envoyés à M. l’official; M. l’official dit qu’il ne les avait pas reçus : il n’en fut plus de mention.

[5.] Le jour de Saint-Michel, cinq jours avant la détention du père La Combe, je fus à son confessionnal. Il ne put me dire que ces paroles : «J’ai une si grande faim d’opprobres et d’ignominies, que j’en suis tout languissant. Je m’en vais dire la messe : entendez-la et me sacrifiez à Dieu comme je vais m’y immoler moi-même.» Je lui dis : «Mon père, vous en serez rassasié.» Et en effet, le troisième d’octobre 1687, veille de Saint-François son patron, comme on dînait, on le vint enlever pour le mettre aux pères de la Doctrine Chrétienne. Durant ce temps, les ennemis faisaient faussetés sur faussetés; et le provincial fit venir l’abbé943 qui avait été grand vicaire chez M. de Verceil, que M. de Verceil avait envoyé. Il vint exprès à Paris déposer des faussetés contre le père La Combe, mais cela fut détruit, cela ne servit que de prétexte pour le mettre à la Bastille, avec des mémoires non signés que le provincial apporta de Savoie, se vantant partout, en les apportant, qu’il avait de quoi faire mettre le père La Combe à la Bastille, et effectivement deux jours après, on le mit à la Bastille, et quoiqu’on l’ait trouvé très innocent, et qu’ils n’aient pu fonder un jugement, ils ont fait croire à Sa Majesté que c’était un esprit dangereux. C’est pourquoi sans le juger, on l’a enfermé dans une forteresse pour sa vie, à ce que l’on prétend. Et comme ses ennemis apprirent que dans la première forteresse les capitaines l’estimaient et le traitaient plus doucement, non contents d’avoir enfermé un si grand serviteur de Dieu, ils l’ont fait mettre dans un endroit où ils ont cru qu’il aurait plus à souffrir944. Dieu, qui voit tout, rendra à chacun selon ses œuvres. Je sais par la communication intérieure qu’il est très content et abandonné à Dieu.

[6.] Après que le père La Combe fut arrêté, le père La Mothe prit plus de soin que jamais de me porter à m’enfuir. Il le dit à tous mes amis, il me le dit à moi-même, m’assurant que si j’allais à Montargis, on ne me mettrait pas dans cette affaire, que si je n’y allais pas, on m’y mettrait. Il se mit ensuite dans l’esprit qu’afin de disposer de moi et du peu qui me reste, et pour se disculper devant les hommes d’avoir ainsi livré le père La Combe, il fallait qu’il fût mon directeur. Il me le proposait adroitement en me faisant des menaces, il ajoutait toujours : «Vous n’avez point de confiance en moi, tout Paris le sait.» J’avoue que cela me faisait compassion. Il venait de ses intimes amis me voir, qui me disaient que si je voulais bien me mettre sous la direction du [263] père La Mothe, l’on ne me ferait point d’affaire. Non content de cela, il écrivit de tous côtés et à ses frères pour me décrier dans leur esprit. Il y réussit si bien qu’ils m’écrivaient les lettres du monde les plus outrageantes, et surtout, que si je ne me mettais pas sous la direction du père La Mothe, j’étais perdue. J’ai encore les lettres. Il y a un père qui me priait de faire de nécessité vertu, que si je ne me mettais pas sous sa direction, je ne me devais attendre qu’à une entière déroute. Il y eut même de mes amis assez faibles pour me conseiller de feindre de prendre sa direction, et de le tromper. O. Dieu, vous savez combien je suis éloignée des détours, des déguisements, et des fourberies, surtout en cette matière! Je disais que je n’étais pas capable de faire une momerie de la direction et que mon fond rejetait cela d’une force effroyable.

[7.] Je portais tout avec une extrême tranquillité, sans soin ni souci de me justifier ou défendre, laissant à mon Dieu d’ordonner de moi ce qu’il lui plairait. Il augmentait ma paix à mesure que le père La Mothe prenait soin de me décrier de telle sorte que je n’osais presque paraître : chacun criait contre moi et me regardait comme une infâme. Je portais tout cela avec joie, et je vous disais, ô mon Dieu : C’est pour l’amour de vous que je souffre ces opprobres et que j’ai le visage couvert de confusion945. Tout le monde sans exception criait après moi, à la réserve de ceux qui me connaissaient par eux-mêmes, qui savaient combien j’étais éloignée de ces choses, mais les autres m’accusaient d’hérésie, de sacrilèges, d’infamies de toutes espèces que j’ignore même, d’hypocrisie, de malice. Lorsque j’étais à l’église, je m’entendais railler derrière moi, et une fois j’entendis des prêtres qui disaient qu’il fallait me jeter hors de l’église. Je ne puis exprimer combien j’étais contente au-dedans, me délaissant toute à Dieu sans réserve, toute prête à endurer les derniers supplices si telle était sa volonté.

[8.] Je ne faisais pas un pas, me laissant à mon Dieu. Cependant, le père La Mothe écrivit partout que je me perdais à force de solliciter pour le père La Combe. Je n’ai jamais fait ni pour lui, ni pour moi, aucune sollicitation. O mon amour, vous savez que je vous veux tout devoir, et que je n’attends rien d’aucune créature. Ce fut ce que j’écrivis au commencement à un de mes amis, qui aurait pu davantage me servir : que je le priais de ne s’en pas mêler et que je ne voulais pas qu’il fût dit, qu’autre que Dieu eut enrichi Abraham946, c’est-à-dire que je veux tout tenir de lui. O mon amour, je ne veux point d’autre salut que celui que vous opérez vous-même. Tout perdre pour vous, m’est gain; tout gagner sans vous, me serait perte. Quoique je fusse dans un décri général, Dieu ne laissait pas de se servir de moi pour lui gagner bien des âmes; et plus la persécution augmentait, plus il m’était donné d’enfants, auxquels Notre Seigneur faisait toujours de plus grandes grâces par sa petite servante.

[9.] Il ne se passait pas un jour que je n’eusse un nouvel assaut, et souvent plusieurs par jour. L’on me venait rapporter ce que le père La Mothe disait de moi, et un chanoine de Notre-Dame me vint dire que ce qui rendait le mal qu’il disait de moi si fort croyable, était qu’il faisait semblant de m’aimer et de m’estimer. Il m’élevait jusqu’aux nues, puis il me jetait dans l’abîme. Cinq ou six jours après qu’il eut dit qu’on avait porté des mémoires horribles contre moi chez Mgr l’archevêque, une bonne fille dévote fut chez l’écrivain Gautier, et ne le trouvant pas, elle ne trouva que son petit garçon, âgé de cinq ans, qui lui dit : «Il y a bien des nouvelles, mon papa est allé chez Mgr l’archevêque porter des papiers»; ensuite de cela, j’appris qu’effectivement les mémoires dont le père La Mothe avait parlé, avaient été portés chez Mgr l’archevêque après que le père La Combe fut arrêté.

[10.] Le père La Mothe pour se disculper me dit : «Vous aviez bien raison de dire que cette femme était méchante, c’est elle qui a fait tout cela.» Mais Notre Seigneur, qui le voulait laisser sans excuse, et qui ne voulait pas que j’ignorasse que les choses venaient [264] de lui, permit que deux marchands de Dijon vinrent à Paris, et comme ils me parlaient d’une méchante femme qui s’en était fuie des Repenties de Dijon, et qui s’était venu marier à Paris, qui avait fait des vols à Lyon de l’argenterie d’une fameuse confrérie, et qu’on lui avait pensé couper le nez dans un mauvais lieu, comme j’avais ouï parler à cette femme qu’elle avait demeuré à Dijon, je me doutai que c’était elle, et d’autant plus qu’une bonne fille qui l’avait vue servir dans une maison, m’assura qu’elle y avait volé, et changé de nom et de quartier. J’eus un pressentiment que c’était elle. Je demandai à ces marchands, qui sont de très honnêtes gens et qui m’apportaient une lettre de la procureuse générale, mon amie, qui est une sainte, si voyant cette femme, ils la reconnaîtraient. Ils dirent que oui.

Comme elle gagne sa vie à coudre des gants, cette fille dévote, qui la connaissait, la fit parler à ces marchands, qui la reconnurent d’abord, et me dirent qu’ils étaient prêts de déposer que c’était elle. Je ne pouvais me porter partie, car on ne m’avait point attaquée, mais bien le père La Combe. J’envoyai au père La Mothe lui dire que j’avais trouvé un bon moyen de faire reconnaître et la malice de cette femme et l’innocence du père La Combe; qu’il y avait des marchands qui la connaissaient, et qui étaient prêts d’aller déposer contre elle à l’officialité, après quoi, il se trouverait à Dijon plus de mille témoins. Le père La Mothe me fit réponse qu’il ne voulait point se mêler de cela. Il voulait bien se mêler de livrer son religieux, mais non pas de le défendre.

[11.] Je vis par là accompli tout ce que Notre Seigneur m’avait fait connaître cinq ans auparavant et du père La Combe et de moi, et comment il serait vendu par ses frères. J’en fis même alors des vers, car il me fut donné à connaître qu’il serait un second Joseph vendu par ses frères, et la persécution du père La Mothe me fut montrée avec la même clarté que je l’ai vue effectuer. Aussi n’en pouvais-je douter, car dans tout ce qui arrivait, j’avais une certitude intérieure que c’était lui, et Dieu me faisait voir les choses en songe, comme il les faisait, avant que je les apprisse.

[12.] L’on me pressait947 toujours pour me faire enfuir, quoique Mgr l’archevêque m’eût dit à moi-même de ne point quitter Paris, et l’on me voulait rendre criminelle et le père La Combe aussi par ma fuite. Ils ne savaient comment faire pour me faire tomber entre les mains de l’official : car si on m’accusait de crimes, il me fallait d’autres juges, et tout autre juge que l’on m’eût donné aurait vu mon innocence, et les faux témoins courraient risque. Cependant, l’on voulait me faire passer pour coupable, être maître de moi et m’enfermer, afin qu’on ne pût jamais connaître la vérité de cette affaire, et pour cela, il fallait me mettre hors d’état de pouvoir jamais faire entendre la vérité. L’on faisait toujours courir le même bruit des crimes horribles quoique M. l’official m’assurât qu’il n’en était point de mention, car il avait peur que je ne me dérobasse à sa juridiction.

Ils firent entendre à Sa Majesté que j’étais hérétique; que j’avais grand commerce avec Molinos par lettres — moi, qui ne savais pas qu’il y eût un Molinos au monde avant que la gazette me l’eût appris — que j’avais fait un livre dangereux et que pour cela il fallait que Sa Majesté donnât une lettre de cachet pour me mettre dans un couvent, afin qu’ils pussent m’interroger, mais que comme j’étais un esprit dangereux, qu’il fallait que je fusse enfermée sous la clef, sans avoir aucun commerce ni au-dehors, ni au-dedans; que j’avais fait des assemblées, ce que l’on soutint fortement, et c’était là mon plus grand crime, quoique cela fût très faux et que je n’en eusse jamais fait aucune, ni vu trois personnes ensemble; mais afin de mieux appuyer la calomnie des assemblées, l’on contrefit mon écriture, et on fit une lettre par laquelle j’écrivais que j’avais de grands desseins, mais que je craignais fort qu’ils ne fussent avortés par la détention du père La Combe; [265] que je ne tenais plus mes assemblées chez moi, que j’étais très espionnée, mais que je les ferais dans telles et telles maisons et dans telles rues, chez telles personnes, qui sont des gens que je ne connais point, et que je n’avais jamais ouï nommer. Ce fut sur cette lettre supposée que l’on fit voir à Sa Majesté, que l’on donna ordre de m’emprisonner.

3.4 INFAMIE DU P. LA MOTHE

1. Maladie. 2. Le Père La Mothe extorque une pièce qui pouvait sauver le Père La Combe. 3. Puis ‘il ne garda plus de mesures à m'insulter.’ 4. Accusations et abandon par tous. 5. ‘L’on me fit entendre qu'il fallait que je parlasse à M. le théologal. C’était un piège … deux jours après on fit entendre que j'avais …accusé bien des personnes, et ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas …C'est ce qui m'a été le plus douloureux.’ 6. ‘On m'apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine.’

[l.] On l’aurait exécuté deux mois plus tôt, mais je tombai très malade, avec des douleurs inconcevables et la fièvre. On croyait que j’avais un abcès dans la tête, car la douleur que j’y eus durant cinq semaines était à me faire perdre l’esprit; avec cela un mal de poitrine et une toux violente. Je reçus deux fois le Saint Sacrement en viatique. Sitôt que le père La Mothe sut que j’étais malade, il me vint voir. Je le reçus à mon ordinaire, c’est-à-dire de mon mieux pour l’amour de celui qui a toujours prié pour ses bourreaux; la première parole qu’il me dit fut qu’il fallait faire un testament et qu’il me le ferait faire. C’était bien plus pour cela que pour autre chose qu’il me venait voir; il me demanda ensuite si je n’avais point de papiers que je devais lui confier plus qu’à nul autre. Je lui dis que pour de testament je n’en avais point à faire, que je n’avais aucuns papiers. Il avait appris d’une personne de mes amis qui, sachant qui il était sans savoir qu’il fût l’auteur de cette affaire, lui mandait qu’elle m’envoyait des attestations de l’Inquisition pour le père La Combe, ayant appris que les siennes avaient été perdues. Cette attestation était une très bonne pièce, car ils avaient fait entendre à Sa Majesté que le père La Combe avait fui l’Inquisition.

[2.] Le père La Mothe fut fort alarmé de savoir que j’avais cette pièce; et se servant de son artifice ordinaire et de l’occasion de l’extrémité où j’étais, qui ne me donnait pas toute la liberté de mon esprit, à cause des excessives douleurs et de l’obfuscation de ma tête, il me vint trouver, contrefaisant l’affectionné et le joyeux et me disant que les affaires du père La Combe allaient très bien, il venait cependant de le faire mettre à la Bastille, qu’il était tout prêt à sortir victorieux, et qu’il en avait une extrême joie; qu’il ne leur manquait plus qu’une chose, qui était que l’on avait dit qu’il s’en était fui de l’Inquisition, qu’il avait besoin d’une attestation de l’Inquisition et que s’il l’avait, il serait délivré tout à l’heure. Il ajouta : «Je sais que vous en avez une : si vous me la donnez, cela sera fait.» Je fis d’abord difficulté de la lui donner, ayant autant de sujet que j’en avais de me défier de lui. Mais il me dit : «Quoi! vous voulez être cause de la perte du pauvre père La Combe le pouvant sauver, et vous nous causerez cette affliction faute d’une pièce que vous avez entre les mains!» Je me rendis et fis chercher cette pièce, et la lui remis entre les mains. Il la supprima aussitôt, et dit qu’elle était égarée; et quelque instance que je lui fisse de me la rendre, il ne l’a jamais voulu, car Monsieur l’ambassadeur de Savoie me fit dire de la lui envoyer et qu’il s’en ferait bien tenir compte.

[3.] Comme948 le père La Mothe vit qu’il n’avait plus rien à craindre de ce côté-là, il ne garda plus de mesures à m’insulter toute moribonde que j’étais. Il n’y avait presque point d’heure qu’on ne me fit de nouvelles insultes. L’on me disait qu’on n’attendait plus rien sinon que je fusse guérie pour m’emprisonner. Il écrivit toujours plus fortement à ses frères contre moi, leur faisant entendre que je le persécutais. J’admirais en cela l’injustice des créatures. J’étais seule, dépourvue de tout, ne voyant personne : car depuis l’emprisonnement du père La Combe, mes amis avaient honte de moi, mes ennemis triomphaient : j’étais délaissée et opprimée généralement de tout le monde, le père La Mothe, au contraire, en crédit, applaudi de tous, faisant tout ce qu’il voulait et m’opprimant de la manière du monde la plus étrange; et il se plaint que je le maltraite lorque je suis aux portes de la mort! Il est cru, et moi qui ne dis mot, et qui garde le silence, l’on m’outrage. [266] Ses frères m’écrivirent tous de concert; (l’un que) c’était pour mes crimes que je souffrais; que je me misse sous la conduite du père La Mothe ou que je m’en repentirais, et avec cela me disait des choses très outrageantes du père La Combe. L’autre me mandait que j’étais une frénétique, qu’il me fallait lier, une léthargique, qu’il fallait éveiller. Le premier m’écrivait encore que j’étais un monstre d’orgueil et quelque chose de semblable, puisque je ne voulais pas me laisser nettoyer, conduire et corriger par le père La Mothe durant que le Saint Enfant Jésus se laissait nettoyer de ses ordures par la Sainte Vierge; l’autre m’écrivait que je voulais que l’on me crût innocente pendant que je faisais tout ce qui ressemble au péché. C’était là mon régal journalier dans l’extrémité de mes maux, et avec cela, le père La Mothe criait de toutes ses forces contre moi, disant que je le maltraitais.

Je n’apportais que la douceur à ses insultes, lui faisant même des présents. Je cherchais, comme dit le Roi-Prophète, quelqu’un qui prît part à ma douleur, mais je ne trouvais personne949. Mon âme demeurait abandonnée à son Dieu, qui semblait être uni avec les créatures pour la tourmenter, car outre que dans toute cette affaire je n’ai jamais eu de soutien perceptible, ni de consolation intérieure, je pouvais dire avec Jésus-Christ : Mon Dieu, mon Dieu! pourquoi m’avez-vous délaissée? et avec cela, des douleurs inconcevables dans le corps. Je n’avais pas un ami, ni aucun soulagement corporel, car Notre-Seigneur permit que dans ce temps les filles qui me servaient se brouillèrent ensemble si bien qu’au lieu d’être soulagée, je n’avais que la tête étourdie de leurs querelles, cela semblait être fait pour moi, car ces querelles commencèrent avec ma maladie et finirent avec elle. Dieu permit encore qu’elles me faisaient tout de travers et loin de me soulager me faisaient bien du mal, non par faute d’affection, mais faute d’adresse. Si elles me donnaient un remède c’était à contretemps ou bien elles doublaient les doses. Si j’étais en sueur ou en frisson elles me jetaient de l’eau sans y penser et puis elles querellaient devant moi. À tout cela Notre-Seigneur me donnait toujours la même égalité et la même patience, quoique sans nul soutien intérieur perceptible ni la moindre consolation soit de la part de Dieu soit des créatures, sans savoir si j’étais agréable à Dieu et dans un décri si universel que chacun croyait rendre un service de dire le plus de mal de moi, car [4.] il n’y a crime d’infamie, d’erreur, de sortilège, de sacrilège dont on ne m’ait accusée. Il me semblait que je n’avais plus qu’une affaire, qui était d’être le reste de ma vie le jouet de la providence, ballottée continuellement, et après cela une victime éternelle de sa justice. Mon âme se trouve à tout cela sans résistance, n’ayant plus d’intérêt propre, et ne pouvant pas vouloir être autre que ce que Dieu la fera être pour le temps et pour l’éternité.

Que ceux qui liront ceci fassent une petite réflexion sur ce que c’est qu’un état de cette sorte, lorsque Dieu parut se ranger du côté des créatures, et avec cela une immobilité entière, qui ne se dément jamais. C’est bien là votre ouvrage, mon Dieu, où la créature ne peut rien!

[5.] Sitôt que je fus en état de me faire porter à la messe en chaise, l’on me fit entendre qu’il fallait que je parlasse à M. le théologal. C’était un piège concerté avec le père La Mothe et le chanoine chez qui je logeais, afin de fournir un prétexte pour m’arrêter. Je parlai avec bien de la simplicité à cet homme, qui est tout dans le parti des J [ansénistes] et que M. N... avait gagné pour me tourmenter. Nous ne parlâmes que des choses de sa portée, et qu’il approuva. Cependant deux jours après on fit entendre que j’avais déclaré beaucoup de choses et accusé bien des personnes, et ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas. L’on en exila un grand nombre que l’on disait avoir fait avec moi des assemblées. Ce sont tous gens que je n’ai jamais vus, dont je ne sais pas le nom et qui ne me connurent jamais. C’est ce qui m’a été le plus douloureux, que l’on se soit servi de cette invention pour exiler tant de gens (267) d’honneur, quoique l’on sût bien que je ne les connaissais pas. Il y en a un qu’on a exilé parce qu’il a dit que mon petit livre était bon; il est à remarquer que l’on ne dit rien à ceux qui l’ont approuvé; que loin de condamner le livre, l’on l’a réimprimé de nouveau depuis que je suis prisonnière et affiché à l’archevêché et par tout Paris. Cependant ce livre est le prétexte que l’on a pris pour me rendre justiciable de Mgr l’archevêque. Le livre se vend et se débite, se réimprime, et moi je suis toujours prisonnière. L’on se contente dans les autres, lorsque l’on trouve quelque chose de mauvais dans des livres, de condamner les livres, et on laisse les personnes en liberté, et pour moi, c’est tout le contraire; mon livre est approuvé de nouveau et l’on me retient prisonnière.

[6.] Le même jour qu’on exila tous ces messieurs, on m’apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine950. Je reçus la lettre de cachet avec une tranquillité qui surprit extrêmement celui qui me l’apporta. Il ne put s’empêcher de marquer son étonnement, ayant vu la douleur des messieurs qui n’étaient qu’exilés. Il en fut touché jusqu’aux larmes, et quoiqu’il eût ordre de m’emmener, il me laissa tout le jour sur ma bonne foi et me pria seulement de me rendre le soir à Sainte-Marie. Il vint ce jour-là quantité de mes amis me voir, je n’en parlai qu’à quelques-uns, j’avais une gaîté extraordinaire tout ce jour-là, ce qui étonna ceux qui me virent et qui savaient l’affaire. L’on me laissa à ma liberté toute la journée, et l’on eût été fort aise que j’eusse fui; mais Notre Seigneur me donnait des sentiments bien contraires. Je ne pouvais me soutenir sur mes jambes, car j’avais encore la fièvre toutes les nuits et il n’y avait pas quinze jours que j’avais reçu le bon Dieu. Je ne pouvais, dis-je, me soutenir qu’il me fallut soutenir un si rude choc. Je crus que l’on me laisserait ma fille et une fille pour me servir. Ma fille me tenait d’autant plus au cœur qu’elle m’avait plus coûté à élever, et que j’avais tâché avec le secours de la grâce de déraciner ses défauts et de la mettre dans la disposition de n’avoir aucune volonté, qui est la meilleure disposition pour une fille de son âge. Elle n’avait pas douze ans.

3.5 PREMIÈRE RÉCLUSION

1. ‘Le 29 Janvier 1688 …il me fallut aller à la Visitation. Sitôt que j'y fus, l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre. … l’on se servait de ma détention pour la vouloir marier par force à des gens qui qui étaient sa perte.’ 2. ‘C'est une maison où la foi est très pure et où Dieu est très bien servi; c'est pourquoi l’on ne pouvait m'y voir de bon oeil me croyant hérétique…’ 3. Son confesseur la renie par peur. 4. Elle souffre par la fille geôlière. 5. Une infidélité : ‘je voulus m’observer.’ 6. Songe d’une pluie de feu d’or. 7. Interrogatoire sur le Père La Combe par l’official et un docteur de Sorbonne. 8. Protestation écrite. 9. Interrogatoire sur le Moyen court. 10. Interrogatoire sur une lettre contrefaite à propos de supposées assemblées. 11. ‘« Vous voyez bien, Madame, qu'après une lettre comme celle-là, il y avait bien de quoi vous mettre en prison. » Je lui répondis : « Oui, Monsieur, si je l'avais écrite. »’ ‘L’on fut deux mois après la dernière interrogation sans me dire un mot, à exercer toujours la même rigueur envers moi, cette soeur me traitant plus mal que jamais.’ 12. Aucune illusion sur le but poursuivi de la faire paraître coupable à tout prix. 13. Visite mal intentionnée de l’Official seul. 14. ‘Il dressa un procès-verbal.’ / Lettre pour M. L’official, Lettre à M. L’archevêque / 15. ‘L’on me fit savoir que mon affaire allait bien et que j'allais sortir à Pâques.’

[l.] Enfin le 29 janvier 1688, veille de Saint-François-de-Sales, il me fallut aller à la Visitation. […]

[2.] L’on951 choisit la maison de la Visitation, rue Saint-Antoine, comme celle où je n’avais nulle habitude, et dont l’on était le plus assuré. L’on crut que l’on m’y tiendrait avec plus de rigueur que dans aucune autre, et l’on ne se trompait pas, parce que l’on savait le zèle de la mère supérieure pour exécuter les ordres du roi952. De plus, l’on leur avait fait de moi un si effroyable portrait qu’elles me regardaient avec horreur. C’est une maison où la foi est très pure et où Dieu est très bien servi; c’est pourquoi l’on ne pouvait m’y voir de bon œil me croyant hérétique.

L’on me choisit dans toute la maison pour geôlière celle que l’on savait qui me traiterait le plus rigoureusement. Il me fallait cette fille afin que ma croix fût complète.

[3.] Sitôt que je fus entrée, on me demanda qui était mon confesseur depuis la prison du père La Combe. Je le nommai : c’est un fort homme de bien, qui m’estime même. Cependant la frayeur avait tellement saisi tous mes amis à cause de mon emprisonnement que ce bon religieux, sans en pénétrer les conséquences, me renonça, disant qu’il ne m’avait jamais confessée, et qu’il ne me confesserait jamais. Cela fit un méchant effet; et m’ayant surprise, à ce que l’on disait, en mensonge, l’on ne doutait plus de tout le reste. Cela me fit compassion pour ce père, et admirer953 la faiblesse humaine. Je n’en eus pas moins d’estime pour lui; cependant j’avais bien des gens qui m’avaient vue à son confessionnal et qui pouvaient servir de témoins. Je me contentai de dire : «Un tel m’a renoncé aussi, Dieu soit loué!» C’était à qui me désavouerait, chacun s’efforçait de dire qu’il ne me connaissait pas et tout le reste disait de moi des maux étranges : c’était à qui inventerait le plus d’histoires.

[7.] Sitôt après que je fus dans cette maison, M. Charon, l’official, et un docteur de Sorbonne954, vinrent m’interroger. Ils commencèrent par me demander s’il était vrai que j’eusse suivi le père La Combe et qu’il m’eût emmenée de France avec lui. Je répondis à cela qu’il y avait dix ans qu’il était hors de France lorsque j’en sortis, et qu’ainsi je n’avais garde de l’avoir suivi. L’on me demanda s’il ne m’avait pas enseigné à faire l’oraison. Je déclarai que je l’avais faite dès ma jeunesse et qu’il ne me l’avait jamais apprise; que je ne l’avais connu que par une lettre du père La Mothe qu’il m’avait apportée en allant en Savoie, et cela dix ans avant mon départ de France. Le docteur de Sorbonne, qui agissait de bonne foi, et qui n’a jamais rien su des fourberies, car on n’a jamais voulu que je lui parlasse en particulier toute seule, dit tout haut, que ce n’était pas de quoi faire une grande connaissance. L’on me demanda si ce n’était pas lui qui avait fait le petit livre du Moyen facile955 de [270] faire oraison, je dis que non, que je l’avais fait en son absence, sans nul dessein qu’il fût imprimé; et qu’un conseiller de Grenoble de mes amis en ayant pris le manuscrit sur ma table, le trouva utile et désira qu’il fût imprimé, (qu’) il me pria d’y faire une préface et de le diviser par espèces de chapitres; ce que je fis en une matinée. Comme ils virent que tout ce que je disais était à la décharge du père La Combe, ils ne voulurent plus m’interroger sur lui. Ils commencèrent par m’interroger sur mon livre. Ils ne m’ont jamais interrogée ni sur ma foi, ni sur mon oraison, ni sur mes mœurs.

[…]

3.7 LETTRES CONTREFAITES 

1. On l’enferme au mois de juillet dans une chambre surchauffée - malgré la mère supérieure. 2. On l’accuse de ‘choses horribles’ mais elle ne peut avoir de précision ! ‘Je lui répondis que Dieu était le témoin de tout. Il me dit que, dans ces sortes d'affaires, prendre Dieu à témoin était un crime. Je lui dis que rien au monde n'était capable de m'empêcher de recourir à Dieu.’ 3. Le tuteur intervient auprès de l’Archevêque qui l’accuse sans preuve. 4. ‘Ce fut donc ces effroyables lettres contrefaites que l'on fit voir au père de La Chaise, pour lesquelles l’on me renferma.’ 5. Témoignage de commandants favorables au Père La Combe. On le fait transférer de prison. 6. Faux témoignage demandé à une personne d’honneur. Madame de Maisonfort de Saint-Cyr parle pour elle à Madame de Maintenon, mais le roi est prévenu. 7. Maladie. 8-10. Martyrs du Saint-Esprit. 11-12. Ils renouvelleront la face de la terre.

[4.] Ce fut donc ces effroyables lettres contrefaites que l’on fit voir au Père de la Chaise, pour lesquelles l’on me renferma. O. Dieu, vous voyez tout cela, et mon âme était contente auprès de tant de faussetés et de malices. Sitôt que je fus renfermée, l’on fit courir tout de nouveau le bruit que j’avais été convaincue de crimes et que j’en avais fait de nouveaux. Chacun se déchaîna contre moi : mes amis même s’en prenaient à moi et me blâmaient de la lettre que j’avais écrite au Père de la Chaise. L’on commençait même dans la maison à douter de moi et plus je voyais tout désespéré, plus j’étais contente, ô mon Dieu, dans votre volonté. Je disais : «O mon amour, ce sera à présent que l’on ne m’obligera plus de recourir aux créatures et que j’attends tout de [280] vous seul. Faites donc de moi, pour le temps et pour l’éternité, tout ce qu’il vous plaira. Contentez-vous de ma peine.» Le tuteur de mes enfants n’était point ferme. Il était quelquefois pour moi, mais sitôt que le père La Mothe lui avait parlé, il était contre, de sorte que son changement était continuel.

[5.] Trois jours avant que je fusse renfermée, le père La Mothe (avait) dit que l’on me renfermerait, et écrivit à ma sœur la religieuse une lettre toute passionnée contre moi et un ecclésiastique de l’archevêque en donna avis; un frère barnabite alla au collège où était ma fille qui parut fort passionné contre le Père La Combe, il disait : «Nous avons appris qu’il s’est trouvé, dans le lieu où le père La Combe est en prison, un commandant qui est de ses amis, l’on le fera bien renfermer.» Il faut savoir que lorsqu’il fut à l’île d’Oléron956, les commandants rendirent justice à sa vertu. Sitôt qu’ils le virent, ils reconnurent que c’était un véritable serviteur de Dieu. C’est pourquoi le commandant, plein d’amour pour la vérité, écrivit à M. de Chateauneuf que ce père était un homme de Dieu et qu’il le priait de donner un peu d’adoucissement à sa prison. M. de Chateauneuf montra la lettre à Mgr l’archevêque, qui la montra au père La Mothe, et ils conclurent qu’il le fallait transférer, ce que l’on a fait, le menant dans une île déserte, où il ne peut voir ces commandants. O Dieu, rien ne vous est caché : laisserez-vous longtemps votre serviteur dans l’opprobre et dans la douleur? […]

3.8 COMMUNICATIONS ET MARTYRE


1. Ils voulaient tirer des rétractations pour se couvrir. 2. ‘Comment voulez-vous, dit-il, que nous la croyions innocente, moi qui sais que le père La Mothe, son propre frère, …a été obligé de porter des mémoires effroyables.’ 3. ‘Quoique le père La Combe soit en prison, nous ne laissons pas de nous communiquer en Dieu d'une manière admirable.’ 4. ‘J’éprouve deux états à présent tout ensemble : je porte Jésus-Christ crucifié et enfant.’ ‘Fait ce 21 d'août 1688, âgée de quarante ans ; de ma prison.’ 5. ‘Je sentais l'état des âmes qui m'approchaient et celui des personnes qui m'étaient données, quelque éloignées qu'elles fussent.’ 6. ‘Le 21 d'août 1688. L’on croyait que j'allais sortir de prison et tout semblait disposé pour cela …Le 22e, je fus mise à mon réveil dans un état d'agonie.’ Indifférence entière. 7. L’épouse obtient tout de l’époux. 8. ‘M. L’official vint avec le docteur, le tuteur de mes enfants et le père La Mothe pour me parler du mariage de ma fille. / ‘L’on me dit que si je voulais y donner les mains, que l’on me donnerait ma liberté dans huit jours’ / 9. ‘Ma cousine voulut parler en ma faveur à Mme de Maintenon, mais elle la trouva si prévenue contre moi par la calomnie…’

[1.] Quoique Mgr l’archevêque eût dit au conseiller tuteur de mes enfants que je lui avais écrit ces rétractations, et ces effroyables lettres dont j’ai parlé que l’on avait fait écrire à l’écrivain faussaire qui avait fait la première, ainsi que Notre Seigneur me le fit voir en songe, l’on ne laissait pas de me solliciter sous main d’écrire quelque chose d’approchant, me promettant une entière liberté. L’on voulait tirer de moi des rétractations que l’on n’avait jamais exigées dans les interrogations, ni juridiquement, parce que le docteur, qui est [283] honnête homme, était témoin, et qu’il n’y avait rien qui en demandât, n’ayant jamais été interrogée sur rien d’approchant; mais c’est qu’ils prétendaient, en tirant cette lettre de moi, me déclarer coupable à la postérité, et faire connaître par là qu’ils avaient eu raison de m’emprisonner, couvrant ainsi tous leurs artifices. Ils voulaient de plus un prétexte qui parût et qui convainquît que c’était avec justice qu’ils avaient fait emprisonner le Père La Combe, et voulaient par menaces et par promesses me faire écrire qu’il était un trompeur. Je répondis à cela que je ne m’ennuyais pas dans le couvent ni dans la prison, quelque rigoureuse qu’elle fût; que j’étais prête de mourir et même d’aller sur l’échafaud plutôt que d’écrire une fausseté; que l’on n’avait qu’à montrer mes interrogations; que j’avais dit la vérité ayant juré de la dire.

[2.] Comme ils virent qu’ils ne pouvaient rien tirer de moi, ils firent une lettre exécrable, où ils marquent que je m’accuse de toutes sortes de crimes, que Notre Seigneur m’a fait la grâce d’ignorer, que je reconnais que le Père La Combe m’a abusée, que je déteste l’heure que je l’ai connu; /qui est la plus maligne invention du démon, et afin que je ne sache rien de cela, et que je n’en puisse demander raison, l’on me tient enfermée sous la clef dans une chambre de ce monastère. //O Dieu, vous voyez cela et vous vous taisez, vous ne vous tairez pas toujours.

Comme le père La Mothe vit que l’on commençait à croire qu’il était l’auteur de la persécution et de ce que l’on avait enfermé le père La Combe, il fit entendre au père La Combe que je l’avais accusé, afin de se disculper dans le monde. Il dit : «J’ai prié Mgr l’Archevêque de me montrer les interrogations de mon religieux. Je voulais même poursuivre et demander raison de ce qu’il était prisonnier, mais Mgr l’Archevêque m’a dit que c’était des affaires du roi, dont je ne devais pas me mêler.» Il publia à tout le monde que j’avais pensé perdre leur maison; que j’avais voulu les rendre quiétistes, moi qui ne leur parlais jamais. Il s’avisa d’une autre ruse afin que l’on ne pût jamais faire connaître à S(a) M(ajesté) qu’il était l’auteur de nos persécutions : Il se fait consulter par Mgr l’Archevêque, comme son directeur, savoir s’il peut en conscience me donner la liberté, parce qu’il craignait que Mme de Maintenon ne parlât pour moi. Il répond d’une manière à me faire paraître coupable, et lui dans mes intérêts : «Je crois, Mgr, répondit-il par écrit dans une lettre concertée, que vous pouvez faire sortir ma sœur nonobstant tout ce qui s’est passé, et je vous réponds après avoir consulté Dieu que je n’y trouve point d’inconvénient.» Cette lettre est portée à Sa Majesté pour faire voir la probité du père La Mothe pour arrêter tout soupçon à son sujet. Cependant l’on ne laisse pas de dire ouvertement, que malgré la consultation, l’on ne croit pas en conscience que l’on puisse me mettre en liberté, et c’est sur ce pied que l’on en parle à Sa Majesté, me rendant d’autant plus criminelle, que l’on fait paraître le père La Mothe plus zélé.

Un évêque parlant un jour de moi à un des mes amis, qui tâchait de me défendre : «Comment voulez-vous, dit-il, que nous la croyions innocente, moi qui sais que le père La Mothe, son propre frère, par zèle pour le bien de l’Église et par un esprit de piété, a été obligé de porter des mémoires effroyables contre sa sœur et son religieux957 chez Mgr l’Archevêque 958? C’est un homme de bien, qui n’a fait cela que par zèle.» Cet évêque est intime de Mgr l’Archevêque. Un docteur de Sorbonne, qui est tout chez M. de Paris, en dit autant. […]

[3.] Quoique le père La Combe soit en prison959, nous ne laissons pas de nous communiquer en Dieu d’une manière admirable. J’ai vu un billet de lui où il l’écrit à une personne de confiance. Bien des personnes spirituelles, auxquelles Notre Seigneur m’a unie par une espèce de maternité, éprouvent la même communication, quoique en mon absence, et trouvent en s’unissant à moi le remède à leurs maux. O. Dieu, qui avez choisi cette pauvre petite créature pour en faire le trône de vos bontés et de vos rigueurs, vous savez que j’omets quantité de choses faute de les savoir exprimer et faute de mémoire. J’ai dit ce que j’ai pu et avec une extrême sincérité et entière vérité. Quoique j’aie été obligée d’écrire le procédé de ceux qui me persécutent, je ne l’ai point fait par ressentiment, puisque je les porte dans mon cœur et que je prie pour eux, laissant [284] à Dieu le soin de me défendre et de me délivrer de leurs mains sans que je fasse un mouvement pour cela. J’ai cru, et compris, que Dieu voulait que j’écrivisse sincèrement toutes choses afin qu’il en fût glorifié, et qu’il voulait que ce qui avait été fait dans le secret contre ses serviteurs, soit un jour publié sur le toit et plus ils tâchent de se cacher aux yeux des hommes, plus Dieu manifestera toutes choses.

[4.] J’éprouve deux états à présent tout ensemble : je porte Jésus-Christ crucifié et enfant : l’un fait que les croix sont en grand nombre, très fortes, et sans relâche, y ayant peu de jours que je n’en aie plusieurs, et l’autre fait que j’ai quelque chose d’enfantin, de simple, de candide, quelque chose de si innocent qu’il me semble que si on mettait mon âme sous le pressoir, il n’en sortirait que candeur, innocence, simplicité et souffrance. O mon amour, il me semble que vous avez fait de moi un prodige devant vos yeux pour votre seule gloire. Je ne peux dire comment il se fait quelquefois que lorsque j’approche de l’image de Jésus-Christ crucifié ou enfant, je me sens sans sentir, tout à coup, renouvelée dans l’un ou l’autre de ces états, et il se fait en moi quelque chose de l’original qui se communique à moi d’une manière inexplicable que la seule expérience peut faire comprendre. Cette expérience est rare. C’est donc à vous, ô mon amour, que je rends ce que j’ai écrit pour vous.

Fait ce 21 d’août 1688, âgée de quarante ans, de ma prison, que j’aime et chéris en mon amour. Je ferai des mémoires du reste de ma vie pour obéir et pour achever un jour si l’on le juge à propos.

[6.] Le 21 d’août 1688, l’on croyait que j’allais sortir de prison et tout semblait disposé pour cela. […]

/Un bon père Jésuite alla parler pour moi au P. de la Chaise, il lui répondit : «comment voulez-vous que je la croie innocente quand son propre frère, parlant du Père de La Combe avoue qu’elle est coupable.» C’est de cette sorte que tout le monde était prévenu et que l’on ne me pouvait servir, car il faisait croire que c’était par zèle de la religion tout ce qu’il faisait. O Dieu, vous voyez ces artifices, et vous vous taisez! vous ne vous tairez pas (5.193) toujours. //

[…]



Témoignages provenant de la section « 4. Les prisons, récit autobiographique » dans notre édition de la Vie par elle-même.

Ce « récit des prisons », distinct de la Vie telle qu’elle fut publiée au XVIIIe siècle fut découvert au XXe siècle. Il porte plus rarement sur Lacombe mais on ne saurait manquer le chapitre extraordinaire où l’archevêque de Paris vient présenter une fausse lettre à la prisonnière, ce qui constitue probablement un cas unique de l’abaissement d’un archevêque -- pas n’importe lequel, celui de Paris -- devant le pouvoir politique.

Nous livrons l’intégralité des lettres concernées étonnantes par les épreuves subies ; cela donne quelque idée du sort probable du confesseur obscur abandonné par son Ordre, sur lequel on pouvait tout essayer et qui n’a rien livré.

Nous soulignons les mises en cause de Lacombe pour faciliter la recherche d’aiguilles perdues dans la paille carcérale…

4.3 LES PREUVES ABSENTES

‘Dix mois à Vincennes entre les mains de M. de La Reynie’. On tente de se débarrasser d’elle à l’aide d’un vin empoisonné. ‘M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable …qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir’ ‘…leur défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre.’ Lettre à M. de Paris de décembre 1697. Un confesseur lui rend service.

A quelques temps de là, M. le curé, m'étant venu voir, il me dit que M. de Paris avait des preuves incontestables des crimes que j'avais commis, et qu'ainsi il ne voyait pas qu'on me rendît jamais ma liberté. […] Je lui dis que je consentirais à être renfermée si on ne formait pas de nouvelles calomnies pour en fournir le prétexte ; mais que je devais à Dieu, à la piété, à ma famille, et à moi-même de demander le Parlement où tout serait éclairci. Il me répondit qu'il le dirait à M. de Paris, que sans l'affaire de M. de Cambrai960, je serais déjà en liberté.

[… large coupure du texte non paragraphé]

On me fit voir dans ces temps-là un livre qui me déchirait d'une manière étrange. Il était composé par un religieux de mérite961, ami d'un prélat qui m'avait fort considérée, et qui depuis avait changé de sentiments par des raisons que j'ai dites plus haut. Ce bon religieux plus prévenu par les histoires de toute espèce que l'on faisait de moi, plus que par les discours de ce prélat, son ami, qu'il rapporte, croyait rendre un service à Dieu et à l'Eglise de donner de moi au public les idées qu'il en avait prises. J'espère que Dieu lui tiendra compte de sa bonne intention.

Mais sans entrer dans une réfutation des choses qu'il rapporte, la vérité est que le Père La Combe n'a point demeuré avec moi à Grenoble. Il y vint deux fois en vingt-quatre heures de la part de Mgr l'évêque de Verceil pour me proposer de l'aller voir. J'ai été peu de temps à Lyon, environ douze jours chez Madame Belof, femme de mérite, connue de toute la ville pour sa vertu et sa piété, qui demeurait chez [77] M. Thomé, son père, où je ne voyais presque personne. Et je ne me suis jamais habillée en public. On peut imposer, sur de pareilles choses, aux gens qui ne m'ont point connue dans tous les temps et qui ne m'ont jamais vue.

Tout le reste de l'histoire de ce bon religieux n'est pas plus vrai puisqu'on ne m'a jamais fait sortir de nul diocèse [et] que M. de Grenoble lui-même me pria de m'établir à Grenoble. Je n'ai jamais vu à Lyon la fille de cinquante ans, ni d'un autre âge, et n'en connais aucune. M. de Genève me conta lui-même ce que le P. La Combe lui avait dit de la part de Dieu, car c'est ainsi qu'il s'en exprima deux ou trois ans avant que je fusse dans son diocèse. Et en me le contant il me dit : « Je sentais qu'il me disait vrai, et qu'il me disait des choses que Dieu seul et moi savions. » Cela ne l'empêcha pas de me le donner pour Directeur lorsqu'il m'engagea de faire l'établissement des Nouvelles Catholiques de Gex. J'ai parlé plus haut de tout cela962.

Lorsqu'on me mit à Sainte-Marie, l'on dit à M. l'Official que j'étais toujours [78] débraillée, qu'on me voyait jusqu'au creux de l'estomac. Lorsqu'il me vit vêtue comme je suis toujours et comme je l'ai toujours été dès ma jeunesse, il demeura si surpris qu'il ne put s'empêcher de me le dire, et il le dit aussi à la Mère Eugénie963

J'ai marqué aussi ce qui m'avait fait sortir de Verceil et l'amitié de ce prélat pour moi. La religieuse avec laquelle ce bon religieux dit encore que j'avais commerce, et qui passe pour sainte dans l'ordre de Sainte Ursule, et qui s'appelait la Mère Bon, était morte un an auparavant que je fusse en ce pays là. Elle a fait des écrits, à la vérité, mais ils sont tout en lumière964.

Je ne comprends pas comment ce bon religieux, si respectable d'ailleurs, a pu se résoudre à débiter tant de pauvretés sur des rapports vagues et incertains, si ce n'est qu'il a cru rendre gloire à Dieu en décriant une personne qu'on croyait si dangereuse et si capable de nuire. Je prie seulement qu'on fasse attention aux personnes que l'on a regardées comme mes amis dans tous les âges de ma vie, que j'ai vues et pratiquées un peu familièrement. [79] Il sera aisé de juger du fondement qu'on a eu à répandre tant de faussetés et tant de calomnies.

J'omets beaucoup de choses très fortes pour abréger, n'écrivant même ceci, à cause de ma faiblesse, qu'à tant de reprises, que quelquefois je n'écris par jour qu'une demi-page, et n'écris que la vérité pure, avec bien de la répugnance. Et loin d'excéder je diminue beaucoup965. Je crois que sans le procès que l'on avait à Rome, on ne m'aurait pas tant tourmentée : comme il me le fut dit dans la suite, après que toutes ses affaires furent finies, plus on me rendait odieuse, plus on me chargeait d'opprobres et de toutes sortes d'infamies, et plus on croyait ou, pour parler plus juste, plus on se flattait d'éblouir le public sur le procédé hautain et violent avec lequel on poussait cette affaire qui avait été portée à Rome dès le commencement. Et l'on prétendait faire retomber sur M. de Cambrai une partie de l'indignation que l'on avait prise contre moi, à cause qu'il avait paru m'estimer et qu'on le croyait de mes amis.[80]

Une grosse paysanne qui servait de servante à cette soeur qui me gardait, n'ayant aucun intérêt à me persécuter, était épouvantée de voir tout ce que l'on me faisait966, et ne put s'empêcher de le dire à son confesseur qui prit sur cela beaucoup d'estime pour moi. Et j'en reçus, depuis, tous les services qu'il put. Comme il venait beaucoup de pauvres dans cette maison, je leur faisais donner quelques aumônes par cette soeur qui, dans la dépense qu'elle écrivait, mettait tant967 par charité. M. de Saint-Sulpice l'ayant su, lui défendit de les mettre sur le mémoire de la dépense, et dit qu'il ne fallait pas qu'il parût que je fisse aucun bien. Cela fut rejeté sur d'autres dépenses, et je consentis que les aumônes que je faisais passassent pour être de ces soeurs, mais bien des gens ne le croyaient pas. Il venait des blessés pour être pansés chez elles. Elles ne s'y entendaient guère. Elles me priaient de le faire, et je les guérissais.

4.5  LA FAUSSE LETTRE

Ce chapitre constitue le “clou” des compte-rendus d’épreuves subies par la prisonnière -- moindres que celles subies par Lacombe ? Nous la reproduisons ici en entier (une reprise partielle infra fait partie du récit suivi des “années d’épreuves”). On en trouvera l’écho et des informations contradictoires dans l’extrait de témoignages provenant de cercles guyonniens du XVIIIe siècle.

Visite de M. de Paris avec une lettre forgée du Père La Combe. ‘S'approchant [le Curé] me dit tout bas : «On vous perdra.»’ Reproches de l’archevêque. Texte de la lettre. On la sépare de ses filles que l’on maltraitera. ‘Il y en a encore une dans la peine depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’]autre dont l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi. …elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son coeur. On me mena donc seule à la Bastille.’

Quelques jours après cette grande lettre, M. de Paris me vint voir en grand apparat968. Il entra dans ma chambre avec M. le curé, qui était au désespoir de ce que j'y avais paru si insensible. Il s'assit et fit asseoir M. le curé auprès de lui. Et comme je m'étais mise à une place qui était à contre-jour, il me fit mettre au grand jour parce qu'il me voulait voir en face.

Il se contraignit d'abord pour me parler avec douceur et me dit : « Je suis venu pour vous remettre bien avec M. le curé qui se plaint fort de vous, et qui ne veut plus vous confesser ». Je lui répondis : « Monseigneur, je ne crois pas lui avoir donné sujet de se plaindre de moi et je m'y suis confessée par obéissance ».

C'était tout dire. Car je suis persuadée, sans me flatter, [108] qu'une autre que moi ne s'y serait pas confessée après avoir connu que cet homme ne travaillait qu'à ma perte. Mais, comme il était revêtu du caractère969, je croyais me confesser à mon cher Maître en m'y confessant. Et j'ai toujours éprouvé qu'il me parlait si diversement au confessionnal de ce qu'il faisait ailleurs, que cela me confirmait la promesse de Jésus-Christ, lequel permet souvent à un mauvais prêtre de le consacrer, qu’il confesse lui-même dans un méchant et lui fait dire ce qui lui plaît. Je ne juge point de celui-ci. Je ne dis que des faits d'histoire que je jurerais sur l'Evangile.

Pour revenir à ce que je disais, M. de Paris me dit :

« Mais s'il ne vous confesse pas, personne ne voudra vous confesser ! 

- Monseigneur, lui dis-je, les jésuites me confesseraient si j'étais libre ».

Cela le mit dans une fort mauvaise humeur.

Il voulut l'obliger [M. le curé, confesseur imposé] à faire une déclaration publique que j'avais commis quantité de désordres honteux avec le P. La Combe [109] et me fit des menaces terribles si je ne déclarais pas que j'avais imposé aux gens de bien, que je les avais trompés, et que j'étais dans le désordre lorsque j'avais fait mes écrits. Enfin il me témoigna une colère que je n'aurais jamais attendue d'un homme qui m'avait autrefois paru si modéré. Il m'assura qu'il me perdrait si je ne faisais ce qu'il souhaitait.

Je lui dis que je savais tout son crédit, car il faut remarquer que M. le Curé avait pris grand soin de m’informer de sa faveur en m'apprenant le mariage de Monsieur son neveu avec la nièce de Madame de Maintenon970, que le roi lui avait donné la chemise, ce qui ne se faisait qu'aux Princes, qu'il lui avait donné beaucoup en faveur de ce mariage, en un mot tout ce qui pouvait me donner une grande idée de la considération que cela lui donnait dans le public. Mais Dieu sait le cas que je fais des fortunes de la terre. Je lui répondis donc qu'il pouvait [110] me perdre s'il le voulait, et qu'il ne m'arriverait que ce qu'il plairait à Dieu.

Il me dit là-dessus : « J’aimerais mieux vous entendre dire : je suis au désespoir, que de vous entendre parler de la volonté [de] Dieu.

- Mais Madame, me dit M. le curé, avouez Madame que lorsque vous avez écrit vos livres, vous étiez dans le désordre !

- Je mentirais au Saint-Esprit, lui répondis-je, si j’avouais une pareille fausseté

- Nous savons ce qu'a dit la Maillard », reprit M. de Paris. (C'est cette gantière dont il a été déjà parlé du temps que je fus mise aux Filles Ste Marie).

- « Monsieur, pouvez-vous faire fond sur une malheureuse qui a sauté les murailles de son cloître, où elle était religieuse pour mener une vie débordée dont on a des attestations ainsi que de ses vols ; qui enfin s’est mariée ; et le reste de son affreuse histoire ?

- Il me dit : Elle ira droit en paradis et vous en enfer. Nous avons la puissance de lier [111] et de délier.

- Mais, Monsieur, lui répliquai-je, que voulez-vous que je fasse ? Je ne demande qu'à vous contenter et je suis prête à tout pourvu que je ne blesse point ma conscience ».

Il me répondit qu'il voulait que j'avouasse que j'avais été toute ma vie dans le désordre ; que si je faisais cela, il me protègerait et ditait à tout le monde que j'étais convertie. Je lui fis voir l'impossibilité où j'étais d'avouer une pareille fausseté, et sur cela il tira de sa poche une lettte qu'il me dit être du P. de La Combe.

Il me la lut et me dit ensuite : « Vous voyez que le Père avoue avoir eu des libertés avec vous qui pouvaient aller jusqu'au péché ». Je n'eus ni confusion ni étonnement de cette lettre. M'étant approchée pour la considérer, je m'aperçus qu'il m'en cachait l'adresse avec soin et même l'écriture m'en parut contrefaite quoique assez ressemblante. Je lui répondis que, si le Père avait écrit cette lettre, [112] il fallait qu'il fût devenu fou ou que la force des tourments la lui eût fait écrire.

Il me dit : « La lettre est de lui.

- Si elle est de lui, dis-je, Monsieur il n'y a qu'à me le confronter.971 C'est le moyen de découvrir la vérité ».

M. le curé prit la parole et fit entendre qu'on ne prendrait pas cette voie parce que le Père La Combe ne faisait que me canoniser972, qu'on ne voulait pas mettre cette affaire en justice, mais qu'il amènerait des témoins qui feraient voir que l'on m'avait convaincue.

M. de Paris appuyant son discours, je lui dis que, cela étant ainsi, je ne lui dirais mot. Il reprit qu'on me ferait bien parler. « Non, lui dis-je, on pourra me faire endurer ce que l'on voudra, mais rien ne sera capable de me faire parler quand je ne le voudrai pas ».

Il me dit que c'était lui qui m'avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j'avais pleuré en le quittant, parce que je savais bien qu'on ne m'ôtait de ce lieu que pour me mettre dans un autre où l'on pourrait me supposer [113] des crimes. Il me dit qu'il savait bien que j'avais pleuré en le quittant, que c'étaient mes amis qui l'avaient prié de se charger de moi et que sans cela on m'aurait envoyée bien loin. A quoi je répondis qu'on m'aurait fait un fort grand plaisir.

Alors il me dit qu'il était bien las de moi. Je lui dis « Monsieur, vous pourriez vous en délivrer si vous vouliez, et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pourriez me remettre ». Il parut embarrassé et il me dit qu'il ne savait que faire, et que, M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouverait personne qui se voulut charger de moi.

Et s'approchant il me dit tout bas : « On vous perdra ».

Je lui dis tout haut : « Vous avez tout pouvoirMonsieur, je suis entre vos mains. Vous avez tout crédit, je n'ai plus que la vie à perdre

- On ne veut pas vous ôter la vie, me dit-il, vous croiriez être martyre et vos amis le croiraient aussi ; il faut les détromper ».

Ensuite il m'attesta par le Dieu vivant, comme au jour du jugement, [114] de dire si je n'avais jamais eu la moindre et légère liberté avec le P. La Combe. Je lui dis, avec ma franchise et ingénuité qui ne peut mentir, que lorsqu'il arrivait de quelque voyage, après bien du temps qu'on ne l'avait vu, il m'embrassait me pressant la tête entre ses mains, qu'il le faisait avec une extrême simplicité et moi aussi. Sur cela, il me demanda si je m'en étais confessée. Je lui répondis que non et que, n'y croyant pas de mal, la pensée même ne m'en était pas venue ; qu'il ne me saluait pas moi seulement, mais toutes les personnes qui étaient présentes et de sa connaissance. « Avouez donc, dit M. le curé, que vous avez vécu dans le désordre - Je ne dirai jamais un pareil mensonge, Monsieur, lui répondis-je, et ce que je vous dis n'a rien de commun avec le désordre et en est bien éloigné. » Si ce ne sont pas les mêmes paroles, c'en est au moins la substance.

Comme je parlais [avec] beaucoup de respect à Monsieur de Paris, il me disait : « Eh! mon Dieu, Madame, pas tant [115] de respect et plus d'humilité et d'obéissance !»

Il y eut un autre endroit où se laissant aller à l'excès de sa peine, il me dit : « Je suis votre arch[evêque]. J'ai le pouvoir de vous damner, oui, je vous damne ! »

Je lui répondis en souriant : « Monsieur, j'espère que Dieu aura plus d’indulgence, et qu'il ne ratifiera pas cette sentence ».

Il me dit encore que mes filles endureraient le martyre pour moi et que c'était ainsi que je séduisais ceux qui m'avaient connue. Dans un autre endroit, en me demandant de signer que j'avais commis des crimes et d'énormes péchés, il m'allèguerait973 l'humilité de saint François qui le disait de lui. Lorsque je disais que je n'en avais point fait, l'on m'accusait d'orgueil et d'endurcissement, et si je l'eusse avoué dans le sens de saint François, l'on m'aurait donnée au public comme reconnaissant avoir commis ces infamies.

Il me demanda encore si j'étais sûre que la grâce fût en moi ? Je dis à cela que nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. [116] Il me reprocha l'histoire de ma Vie et voulait me faire écrire que l'envie de me faire estimer m'avait portée à écrire tous les mensonges dont elle est pleine.

Il me reprocha que je faisais prendre la meilleure viande, et examina sur le livre de la sœur ce qu'on achetait pour ma nourriture : la volaille, le vin, rien ne fut oublié. A la vérité tout y était mis avec emphase, et je me souviens d'un grand article où il y avait pour poules, pigeons et chapons, trente six sols. Le vin, qu'on avait pris pour le quinquina dont je faisais un usage presque continuel à cause de la fièvre qui me reprenait toujours, fut exagéré comme si je buvais avec excès. Mais à tout cela je n'ouvrais pas la bouche.

Enfin après bien des menaces des suites fâcheuses à quoi je me devais attendre, M. de Paris s'en alla et M. le Curé, restant, me dit : «Voilà la copie de la lettre du P. La Combe. Lisez-la avec attention, écrivez-moi, à moi, [117] et je vous servirai. » Je ne lui répondis rien, et M. de Paris l'envoya quérir pour le ramener. Voici la copie de cette lettre :

« C'est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu'il y a eu de l'illusion, de l'erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous, et que je rejette et déteste toute maxime et toute conduite qui s'écarte des commandements de Dieu et de ceux de l'Eglise, désavouant hautement tout ce que j'ai pu faire ou dire contre ces sacrées et inviolables lois, et vous exhortant en Notre-Seigneur d'en faire de même, afin que vous et moi réparions autant qu'il est en nous le mal que peut avoir causé notre mauvais exemple, ou tout ce que nous avons écrit qui peut donner la moindre atteinte à la règle des moeurs que professe la Sainte Eglise catholique, à l'autorité de laquelle doit être soumise, sous le jugement des prélats, toute doctrine de spiritualité de quelque degré que [118] l'on prétende qu'elle soit. Encore une fois je vous conjure dans l'amour de Jésus-Christ que nous ayons recours à l'unique remède de la pénitence, et que par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l'Eglise par nos fausses démarches. Confessons, vous et moi, humblement, nos péchés à la face du ciel et de la terre, ne rougissons que de les avoir commis et non de les avouer. Ce que je vous déclare ici vient de ma pleine franchise et liberté. Et je prie Dieu de vous inspirer les mêmes sentiments qu'il me semble recevoir de sa grâce et que je me tiens obligé d'avoir.» Fait le 27 avril 1698. Signé Dom François de La Combe, Religieux Barnabite.

Cette lettre m'ayant été lue par M. de Paris, je demandai à la voir. Il me fit grande difficulté. Enfin, la tenant toujours sans [119] vouloir me la mettre entre les mains, je vis l'écriture, un instant, qui me parut assez bien contrefaite. Je crus que c'était un coup de portée974 de ne pas faire semblant de m'en apercevoir dans la pensée qu'ils me confronteraient au P. La Combe lorsque je serais en prison, et qu'il me serait pour lors plus avantageux d'en faire connaître la fausseté. Ce qui me porta à dire simplement que si la lettre était de lui, il fallait qu'il fût devenu fou depuis seize ans que je ne l'avais vu, ou que la question qu'il n'avait pu porter975 lui eût fait dire une pareille chose.

Mais après qu'ils furent partis et que j'eus lu la copie que M. le curé m'avait laissée, je ne doutais point que la lettre ne fût véritablement contrefaite et que cette copie même n'en fût l'original, parce qu'on y avait corrigé un v différent de ceux du P. La Combe ; et corrigé d'une main que je reconnus, pour servir de modèle à l'écrivain, [120] lequel en contrefaisant le corps de l'écriture s'était négligé sur les v qu'il n'avait pas faits semblables à ceux du Père.

De dire tout ce qui me passa dans l'esprit au sortir de cette conversation, c'est ce qu'il ne m'est pas possible. Il est certain que le respect que je croyais devoir à un homme de ce caractère m'empêcha de lui donner un démenti en face, en lui faisant connaître que je voyais l'imposture dans toute son étendue et l'indignité du piège qui m'était tendu. Mais je ne pus me résoudre à lui donner une telle confusion, outre qu'en lui laissant supposer que je croyais la lettre véritable, je les rendais par là plus hardis de la produire au public, ce qui m'aurait donné lieu d'en faire connaître la fausseté à tout le monde, et de faire juger de la pièce par l'échantillon.

Car quoi de plus naturel, pour justifier tant de violences et pour ne laisser aux gens qui m'estimaient [121] encore aucun lieu de le faire, que de me faire mon procès sur de telles pièces et avec des témoignages si capables de les détromper ? Le public si prévenu en aurait saisi les moindres apparences, et mes amis, qu'on avait si fort au coeur, disait-on, de faire revenir de leurs préjugés, n'auraient rien eu à répliquer, et auraient dû être les premiers à me jeter la pierre, comme les ayant trompés sous un faux voile de piété : tout était fini. Et l'on n'aurait jamais pu donner assez de louanges à ceux qui auraient rendu un si grand service à l'Eglise : voilà ce que la droiture leur devait inspirer.

Mais, ce qui paraîtra peut-être incroyable, c'est qu'après avoir répandu cette prétendue lettte du P. La Combe dans tout Paris, et de là dans les provinces, comme une conviction des erreurs du quiétisme et en même temps comme une justification de la conduite que l'on tenait à mon égard en m'envoyant à la Bastille, il n'a jamais été question ni de cette lettre, ni des affaires du P. La Combe, dans tant d'interrogatoires qu'il m'a fallu souffrir. [122] Ce qui est encore une preuve bien certaine qu'on ne cherchait qu'à imposer au public et encore plus à Rome en confondant les affaires de M. de Cambrai avec les miennes, pour le rendre odieux à cette Cour, et justifier l'éclat qu'on avait fait par des vues que ne faisant rien à ce qui me regarde, je passe sous silence.

Une preuve encore que le P. La Combe n'avait pu écrire cette lettre, c'est que, dans cette conversation, l'on me fit entendre qu'il me canonisait. Quel rapport y-a-t-il à [entre] une louange si excessive, et une lettre qui suppose des crimes ! Elle n'est même pas de son style, et il est aisé d'y voir une affectation dans les termes propre à l'effet pour lequel elle était composée.

De plus le P. La Combe n'avait pu m'écrire une pareille lettre sans être le plus scélérat de tous les hommes, lui qui m'a confessée si longtemps et qui a connu jusqu'aux derniers replis de mon coeur. Mais je suis bien éloignée d'une telle pensée, l'ayant toujours estimé et regardé comme un des plus grands serviteurs que Dieu ait sur la terre. Si Dieu ne permet [123] pas que son innocence soit reconnue pendant sa vie, l'on verra avec étonnement, dans l'éternité, le poids immense de gloire réservé à ses souffrances.

Je trouvai encore le moyen d'envoyer cette copie à la même personne et la priai instamment de me la garder, car il sera toujours aisé de voir par cette copie la fausseté de l'original. Et j'ai su depuis qu'elle l'avait encore.

Ma première pensée fut de m'aller mettre à la Conciergerie et de présenter ma plainte au Parlement, attendu qu'il s'agissait de crimes. Mais, outre que je ne pouvais me tirer de cette maison qu'en impliquant autrui dans mes affaires, il me parut qu'en y étant par une lettre de cachet, je leur donnerais par cette démarche une prise sur moi dont on ne manquerait pas de me faire une nouvelle accusation, mieux fondée que les autres. Je demeurai donc en paix, en attendant ce qu'il plairait à Dieu d'en ordonner, mais comptant sur les plus grandes violences.

Je sus par cette bonne paysanne que M. de Cambrai [124] demandait sans cesse quelle mine je faisais, ce que je disais, mais Dieu ne permit pas qu'on remarquât le moindre changement ni le moindre chagrin sur mon visage ni dans mes discours. Je remarquais bien que les filles m'observaient avec attention et même paraissaient inquiètes, mais j'agissais à l'ordinaire, leur faisant les mêmes honnêtetés et gardant un profond silence. On me fit proposer adroitement de fuir pout éviter les mauvais traitements à quoi j'allais être exposée. Mais le piège était grossier, j'étais bien éloignée de le faire, car c'était donner gain de cause à mes ennemis.

Desgrez se trouvant malade, je restai trois semaines dans cette situation. Enfin, se trouvant guéri au bout de ce temps-là, il vint et me dit qu'on l'avait fort pressé de venir, et le sujet qui l'en avait empêché. Il ajouta qu'on m'accusait d'avoir commis mille crimes dans cette maison. Cette bonne paysanne se trouvant là dans ce moment, je lui demandai devant [125] lui ce que j'avais fait. « Hélas Madame, répondit-elle, rien que du bien, et aucun mal. » Je dis à Desgrez : « Vous savez ce que je vous dis en venant : qu'on ne m'amenait ici que pour me faire des suppositions ? Le voilà bien vérifié ». Il me dit tout bas et presque la larme à l'oeil : « Que vous me faites de pitié. » Il avait ordre de ne laisser aucun papier sans l'apporter976. M. le Curé croyait par là reprendre ses lettres, mais il ne se trouva rien. En m'envoyant quelque chose, un jour, que je l'avais prié de me faire acheter - c'étaient des livres - il se trouva dedans des imprimés exécrables. Je n'y eusse jamais pris garde si, en voulant dévider un écheveau, je n'eusse aperçu au papier quelque chose d'affreux. Je brûlai tous ces papiers. S'il fit donner cet ordre à dessein, ou si c'est par hasard, Dieu le sait mais il eut la bonté de m'assister en cela comme en tout le reste.

Il faut que je dise la disposition de mon coeur et tous les sacrifices que Dieu me fit faire dans cette maison de Vaugirard. [126] Premièrement j'y étais, malgré les bourrasques, dans une très grande tranquillité, attendant de moment à autre l'ordre de la Providence à qui je suis dévouée sans réserve. Mon coeur était dans un continuel sacrifice sans sacrifice, contente d'être la victime de la Providence.

Un jour, je ne pensais à rien, il fallut me mettre à genoux et me prosterner même, avec une certitude qu'on m'ôterait mes filles afin de me tourmenter davantage et de les tourmenter elles-mêmes pour les obliger à dire quelque chose contre moi. Je le leur dis. Elles pleurèrent amèrement et me prièrent de demander à Dieu que cela ne fût pas. Loin de le demander, j'en fis le sacrifice, ne pouvant que vouloir la volonté de Dieu.

Une autre fois, j'eus un pressentiment qu'on m'ôterait la communion. Il fallut m'y sacrifier, et consentir à ne communier qu'à la volonté de Dieu. Tout cela arriva977.

Après que Desgrez eut fouillé partout, il me dit [127] qu'il fallait aller seule en prison sans mes filles. Je ne fis aucune résistance et ne donnais nulles marques de chagrin. Elles se désespéraient quand elles se virent arrachées de moi. Je leur dis qu'il ne fallait tenir à rien et que Dieu leur serait toute chose. Je partis de la sorte après les avoir vues faire mettre avec violence dans deux carrosses séparés afin qu'elles ne sussent l'une et l'autre où on les menait. Elles ont toujours été séparées, et ce qu'on leur a fait souffrir pour [les faire] parler contre leur maîtresse passe l'imagination, sans que Dieu ait permis que tant de tourments leur aient fait trahir la vérité. Il y en a encore une dans la peine depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’]autre, dont l'esprit était plus faible, le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi. On la mit depuis en liberté et on la rendit à ses parents. [128] Les bons traitements qu'on lui a faits et le soin que sa famille en a pris, l'ont entièrement rétablie, et elle y vit présentement paisible et servant Dieu de tout son coeur.

On me mena donc seule à la Bastille978.

J'ai oublié de dire que, comme j'avais la fièvre double tierce, je prenais presque continuellement du quinquina. On allait quérir du vin au cabaret. De sorte que, quoiqu'en un autre temps il n'en fallût qu'une chopine par jour pour moi, tout le vin qu'il fallait pour le quinquina, joint à l'autre, [cela] en faisait beaucoup en peu de temps. On écrivit tout ce vin sur le mémoire, et montrant cet endroit à M. de Paris il semblait que j'en busse environ deux pintes par jour, parce quc l’on n'avait pas mis que c'était pour du quinquina, de sorte qu'il me reprocha que je me gorgeais de vin et de viande. J'avais encore de si grands maux d'estomac que je ne pouvais manger. Je lui répondis que [129] j'étais sûre que s'il me voyait manger, il trouverait plutôt que je mangeais trop peu que par excès. Il demanda si j'avais jeûné tout le carême. On lui dit que oui. Il fit sur cela une certaine mine dédaigneuse. Il est certain que je n'étais guère en état de le faire, vomissant presque tout ce que je mangeais. Cependant je jeûnai tout le carême avec des douleurs inexplicables. Il fallait quelquefois se lever la nuit pour me donner un peu de vin d'Alicante : je croyais aller mourir.

Après qu'on eut enlevé le vin, cette sœur dont j'ai parlé venait pour m'en parler, et d'autres de la communauté de Paris, afin que je dise quelque chose qu'elles pussent déposer contre moi parce que, le vin n'étant plus, les preuves manquaient. Mais je ne répondais rien. M. le Curé eut même la hardiesse de dire dans sa lettre et dans ses mémoires que, ne m'étant pas contentée du meilleur vin de Paris à cent écus le muid, [130] j'en envoyais encore prendre au cabaret. Ce vin était si pernicieux, qu'en ayant emporté une bouteille à la Bastille pour me justifier, et pour être un témoignage de ce qui s'était passé à Vaugirard, une demoiselle, en balayant une araignée, fit tomber cette bouteille et la cassa. L'odeur seule fit qu'elle se trouva mal, et elle fut du temps à en revenir et mourut peu après.

Je ne peux dire par le menu tout ce qu’on me fit dans cette maison ; tout ce que je peux dire, c’est que j’aurais regardé comme délice d’aller à la Bastille, si on m’y avait laissé mes filles, ou du moins une, parce que je croyais que je n’aurais à répondre qu’à M. de la Reynie, qui étant un homme droit et plein d’honneur, ne laissait craindre aucune surprise. Et comme je leur ai dit à eux-mêmes, je ne crains rien de la vérité, mais des suppositions et du mensonge.

Les interrogatoires continuent et nous livrons en entier les deux chapitre traduisant le « nadir » des épreuves -- toujours pour compenser le manque d’informations convernant directement Lacombe.

4.6 LA BASTILLE

Le 4 juin 1698. ‘on me donna une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi.’ Humidité du lieu, défaillance de 24 heures. Le ‘P. Martineau me dit : “Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure.” … M. d’Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. … plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. … Après cet interrogatoire si long qu'il dura près de trois mois, et qu'on (n'] en a jamais tant fait aux plus grands criminels, on prit deux ans, apparemment pour s'informer partout.’ Elle s’occupe d’une pauvre femme qui se croit damnée et que l’on saigne à mort espérant tirer un témoignage chargeant Madame Guyon. Dureté du confesseur.

Je fus donc mise seule à la Bastille dans une chambre nue. J'y arrivai la veille de la petite fête de Dieu979. Je m'assis [131 d'abord à terre. M. de Loncas [du Junca]3153 me prêta une chaise et un lit de camp, jusqu'à ce que mes meubles fussent venus. Cela dura quatre ou cinq jours, après quoi je fus meublée. J'étais seule avec un contentement inexplicable. Mais cela ne dura pas, car on me donna une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. Je sentis la peine d'être gardée à vue, non que je craignisse, mais c'est que je perdais ces heureux moments où, étant seule avec mon cher Maître, rien ne me distrayait de lui, et je ne vois pas de bonheur pareil à celui d'être seule.

Comme parmi mes meubles qui étaient à Vaugirard on m'apporta beaucoup de livres, comme l'Ecriture Sainte et d'autres bons livres, on alla dire à la Cour qu'on m'avait apporté une charretée de livres, on avait dit que c'étaient des livres [132] très mauvais, et l'on ordonna qu'on en fit un inventaire. M. du Junca les fit emporter, et ayant pris un écrivain on fit l'inventaire. L’on fut surpris de voir qu'il n'y avait que de bons livres. Il s'y en trouva un de petits emblèmes de l'amour divin980. On mit sur le mémoire : « Emblèmes d'amour ». Je dis à M. du Junca : « Achevez donc ce qu'il y a après. » Il avait de la peine à le faire. On porta le mémoire à M. de Paris qui, ne voyant rien moins que ce que l'on avait [fait] entendre à la Cour, n'y envoya pas le mémoire, se contentant de la persuasion où elle était que j'avais des livres abominables.

J’eus beaucoup à souffrir d'abord tant de la dureté que l'on affectait d'avoir pour moi, qu'à cause de l'humidité du lieu où il y avait longtemps que l'on n'avait fait du feu, ce qui me causa une très grande maladie et très douloureuse. Je ne pouvais m'aider dans mon lit. [133] Il me prit comme une défaillance qui dura près de vingt-quatre heures. On croyait que j'allais mourir. Je revins un peu, et je dis à M. du Junca qui était là avec le porte-clefs, que je le priais de dire à M. de Paris que j'étais innocente des choses dont on m'accusait et que je le protestais en mourant. Le porte-clefs qui était un très honnête homme, dit : «  Je le crois bien, pauvre dame.  » Je ne parlais encore de longtemps après, mais j'entendais fort bien M. du Junca lui dire : « Si vous parlez de ceci, vous n'aurez point d'autre bourreau que moi ». Dans le moment que je pus parler, je demandai à me confesser. Le P. Martinot [Martineau]3154 vint pour la première fois.

Je ne le connaissais pas. Je me confessai avec assez de peine. Lorsque j'eus commencé à le faire, il fut quérir le médecin qui était en bas. Je fus surprise de voir qu'il n'achevait pas d'entendre ma confession. Il revint avec le médecin. Il lui [134] demanda si j'allais mourir tout à l'heure. Le médecin lui répondit que non, à moins qu'il ne survînt quelques nouveaux accidents. Alors le P. Martineau me dit : «  Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure.  » Je lui dis que, s'il me prenait quelques nouvelles syncopes, je ne serais plus en état de me confesser et qu'ainsi je mourrais sans confession. Il en avait ouï la plus grande partie. Il s'en retourna sans vouloir m'entendre, disant qu'on lui avait défendu de me confesser, et que si je mourais, comme cela ne dépendait ni de lui ni de moi, que je fusse en repos. Je ne sais si ce sont ses termes, mais c'est le sens. Et les mêmes discours m'ont été réitérés plusieurs fois. J'étais véritablement fort en repos, n'ayant rien qui me fit peine de ce côté-là et ayant mis mon sort entre les mains de Dieu.

J'avais toujours cette femme qui épiait mes paroles et toutes choses, [135] croyant faire fortune par là. Une de mes femmes m'envoya, par Desgrez, un bonnet piqué qu'elle avait fait. Cette femme le décousit. Il y avait un billet écrit de son sang, n'ayant pas d'encre, et elle me mandait, dans un petit morceau que j'y trouvai encore, qu'elle serait toujours à moi malgré ce qu'on lui pouvait faire. Elle le prit encore et donna le tout à M. du Junca.

Sitôt que je pus me tenir debout981 dans une chaise, M. d’Argenson982 vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. Car il faut remarquer que, ayant vu que M. de La Reynie m'avait rendu justice, on lui avait donné un autre emploi et l'on avait fait tomber le sien à celui-ci, qui était lié de toutes manières aux personnes qui me persécutaient. J'avais résolu [136] de ne rien répondre. Comme il vit en effet [que] je ne lui répondais rien, il se mit dans une furieuse colère et me dit qu'il avait ordre du roi de me faire répondre. Je crus qu'il valait mieux obéir, je répondis. Je crus que du moins, malgré ses préventions, il mettrait les choses comme je les disais. J'avais vu tant de probité et de bonne foi dans M. de La Reynie que je croyais les autres de même.

On commença, quoique je fusse très faible, un interrogatoire de huit heures sur ce que j'avais fait depuis l’âge de quinze ans jusqu'alors, qui j'avais vu, et qui m'avait servie. Ces trois articles furent le sujet de plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. J’avoue que je manquai d'esprit dans cette occasion, Dieu le permettant sans doute de la sorte pour me faire beaucoup souffrir. Car rien ne m'a jamais tant fait souffrir que ces interrogatoires [137] où, sûre de dire la vérité, je la disais, mais je craignais de ne la pas dire assez exactement faute de mémoire. Les tours malins que l'on donnait à tout et aux réponses les plus justes, ne les rendant jamais ni dans les termes, ni dans le sens, sont des choses qui ne se peuvent exprimer. Je n'avais qu'à dire qu'ayant été interrogée par M. de La Reynie, je n'avais plus rien à répondre sur toutes ces choses, que si j'avais fait quelque chose depuis Vincennes, il n'y avait qu'à le faire voir, mais je m'avisais de cela trop tard. D'ailleurs, comme on se flatte toujours et qu'on ne croit pas la malice aussi grande qu'elle est, je me persuadais qu'on voulait s'informer à charge et à décharge, comme je le demandai d'abord, et j'étais sûre qu'une information de cette nature aurait fait paraître mon innocence à toute la terre. Mais on [138] était bien éloigné de cela.

Comme il y avait eu de fausses lettres où mon écriture était si bien contrefaite que j'aurais eu bien de la peine à la reconnaître moi-même si, outre la différence du style, on ne m'avait pas fait écrire des lieux où je n'avais jamais été et à des gens que je n'avais jamais connus, pour ne point tomber dans cette méprise, on voulut s'assurer des lieux qu'il983 avait désignés. [Je dis] que je n'avais point changé les filles qui étaient auprès de moi, que pour les autres, ç'avait été selon l'occurrence, et que les laquais ayant toujours été mis en métiers, je ne pouvais m'en souvenir. Quelque chose d'approchant.

On en vint où l'on voulait, qui était mon veuvage. Je répondis la vérité article par article, et [au sujet] de mon voyage à Gex, de même que celui que je fis avec le Père La Combe, où j'avais pris un ancien religieux pour nous accompagner. [139] On ne voulait rien mettre de cela. On faisait toujours en sorte qu'il semblait que j'étais seule avec lui. [Dans] un [voyage] que je fis de Thonon à Genève où il n'y a que trois lieues, nous étions cinq ou six. Il ne le voulut jamais mettre de la sorte et fit écrire : « Elle a été avec lui à Genève. » Quelque chose que je pusse dire, on passait outre. On me montra un ordre du roi - faux ou vrai ? - de ne garder aucune forme de justice avec moi.

Il mit une fois, de lui-même, parlant de quelque chose qui s'était passé chez M. Fouquet, que je n'y demeurais pas encore alors. Je lui dis que je n'y avais jamais demeuré et qu'il ne fallait pas mettre cela. Il me dit : « J'ai à vous interroger demain là-dessus et je le mettrai. » Comme je ne pénétrais pas alors toute sa malignité, je le crus et signai. Le lendemain je lui dis donc de remettre que jamais je n'avais demeuré chez M. Fouquet. [140] Il n'en voulut rien faire.

Il faut savoir qu'il y avait chez M. Fouquet une des parentes de Madame sa femme qui avait été mariée à un homme qui avait deux femmes, ce qui fit grand bruit. Il fut mis en prison. Elle se blessa, et comme elle accoucha avant terme à cause d'une grande chute et qu'on plaidait, ayant affaire à un homme rusé et malin, il fallut garder l'enfant six semaines, jusqu'aux neuf mois. On le fit baptiser à St Germain et l'enfant mourut dès que le terme fut arrivé. Ils savaient cette histoire du curé. Comme on profitait de toutes ces histoires, et qu'on en grossissait les mémoires pour Rome et ceux de la Cour, ils avaient fait rouler cette affaire sur moi sans que je le susse, et, pour y donner couleur, ils avaient mis que je ne demeurais pas encore chez M. Fouquet, afin qu'il parût que j'y avais demeuré ensuite, et justement dans le temps [141] de cet accouchement. Il m'arriva plusieurs autres choses de cette nature qui marquaient la malice et la mauvaise foi de M. d’Argenson.

Il me demanda ensuite combien j'avais vu de fois M. de Cambrai. Je lui dis : « Je n'ai jamais été chez lui. Il est venu chez moi par ordre de M. de Meaux, - comme il était vrai - et jamais seul.» Lorsqu'il y vint de la part de M. de Meaux, c'était pour quelque affaire de St Cyr. Il mit que M. de Cambrai était venu trois fois chez moi, et ne voulut jamais mettre : par ordre de M. de Meaux, se fâchant même que je prononçasse son nom, comme si je l'avais profané. Lorsqu'il s'agissait de M. de Cambrai, il se mettait en fureur. Je lui dis : « Monsieur, un juge ne doit point être si partial et montrer tant de colère contre les personnes qu'il interroge ou contre ceux qu'il veut mêler dans l'interrogatoire, et tant de dévouement pour leur parti. » Il devint tout en feu, et ensuite il ne fit plus [142] le lion mais le renard.

Quelquefois il se mettait en colère contre les réponses que je lui faisais et disait qu'on me donnait des avis. On regardait partout pour voir si cela pouvait être. On mit un treillis de fil d'archal au haut de la cheminée, afin, disaient-ils, qu'on ne jetât point d'avis par là. Je lui dis, comme il était vrai, qu'on ne m'avait point donné d'avis, que j'étais gardée à vue de tous côtés et que ma tour était très haute. Il me dit : « C"est donc un ange qui vous dicte les réponses ! » Il disait cela avec tant de colère et de mépris, que des personnes équitables qui l'auraient vu, l'auraient regardé comme un homme incapable d'être juge dans une affaire où il témoignait tant de passion. Ce fut sur ce pied de prévention et de colère qu'il tourna toutes mes réponses, sans entendre que très peu comme je les disais.

Un jour, comme il s'en allait, le greffier ramassant des papiers [143] pour les remettre dans le sac, me dit tout bas : «Pauvre dame, que vous me faites pitié! » Il s'aperçut que j'étais restée près du greffier. Je parlai haut d'une chose indifférente. Il lui jeta un regard épouvantable et ne [le] quitta point qu'il ne fût sorti. Depuis ce temps-là le greffier n'osait me regarder.

J'avoue que si j'eusse pu deviner le traitement que me fit M. d’Argenson, si différent de celui de M. de La Reynie, je ne lui eusse jamais répondu. Mais la peur de faire tort à d'autres en ne répondant pas, me fit rompre un silence que j'étais résolue de garder. Je souffrais d'une oppression si étrange, faite par un juge malicieux et rusé qui avait par écrit ses matières prêtes, et qui donnait à mes réponses un tour violent, tâchant de glisser son venin ; moi, sans défense et sans conseil, observée de toutes parts, maltraitée en toutes manières, [et] qu'on tâchait d'intimider [144] de toutes façons.

Après qu'il eut mis que je ne demeurais pas alors chez M. Fouquet, M. du Junca me vint parler du curé de St Germain comme d'un homme qui était son ami et qui savait bien de mes nouvelles. Comme M. Fouquet et sa parente m'avaient confié toutes choses, je compris alors pourquoi M. d’Argenson avait fait mettre cela dans mes réponses, et j'en vis toute la malignité. Ensuite le gouverneur et M. du Junca me faisaient des mines très sévères et effrayantes, mais tout cela ne m'épouvantait pas. Le meilleur rempart est l'innocence et la confiance.

Après cet interrogatoire si long qu'il dura près de trois mois, et qu'on [n'] en a jamais tant fait aux plus grands criminels, on prit deux ans, apparemment pour s'informer partout. On demandait à cette femme que j'avais auprès de moi, si je ne parlais pas contre la religion, [145] si je ne faisais pas de crimes. Elle leur dit que j'étais bien éloignée de cela, que j'étais pleine de douceur et de patience, que je priais Dieu et lisais de bons livres, et que je la consolais ; car elle était dans un désespoir horrible dont je dirai la cause.

C'était une femme de condition, mais très pauvre, chargée de trois enfants. Elle trouvait un bourgeois de Paris, très riche, qui la voulait épouser, et qui aurait donné son bien à ses enfants et à elle, si elle n'en avait point. On lui avait fait croire qu'elle devait demeurer auprès d'une dame dans un couvent, qu'elle verrait qui il lui plairait, que ce n'était que pour trois mois et qu'elle sortirait même pour ses affaires. Cependant on la pressa de venir à la Bastille pour parler à M. du Junca.

Lorsqu'elle y fut venue, on la fit monter dans une chambre, et on l'enferma avec moi. Elle y fut quelques jours sans s'affliger, croyant qu'elle sortirait pour mettre ordre à ses affaires. Mais lorsqu'elle vit qu'on ne voulait pas la laisser sortir, ni parler [146] à personne, elle entra dans des désespoirs effroyables. Elle s'en prenait à moi et me disait ce que la fureur lui inspirait. Je l'assurai que j'avais des filles qu'on m'avait ôtées de force984, et qui se seraient regardées comme très heureuses si elles avaient pu passer leur vie avec moi dans la prison, qu'on me la donnait de force, de même qu'on l'y retenait. Elle s'apaisait un peu. On lui promit même une très grande fortune, si elle pouvait dire quelque chose contre moi985.

Quoiqu'elle fut Thiange du côté de sa mère, et d'une aussi bonne maison du côté de son père, cousine ou plutôt nièce à la mode de Bretagne de Madame la Maréchale de La Motte, elle avait été élevée avec si peu de religion qu'elle n'en connaissait pas les premiers principes que les enfants apprennent dans leur bas âge, ne connaissant Dieu qu'à peine. Tout lui paraissait permis. Elle n'était point capable d'être touchée d'aucun sentiment de Dieu. Et comme ce que je pouvais dire pour la consoler, dans les [147] commencements, lui était suspect à cause des mauvaises impressions qu'on lui avait données contre moi, elle croyait qu'une femme peut faire un mariage de conscience avec un homme déjà marié, qu'il suffisait de se promettre la foi l'un et l'autre pour être légitimement mariés, quoique l'homme eût une autre femme. J'eus toute la peine du monde à la désabuser là-dessus.

Elle croyait qu'il lui était permis de me prendre tout. Elle coupait mes draps et s'emparait de tout ce que j’avais à cause que j'étais là986. Outre mes peines, une grande maladie que j'eus ensuite des tourments de M. d'Argenson, j'étais tout le jour occupée à l'empêcher de se désespérer. Je n'osais paraître triste ni même recueillie devant elle. On aurait cru que ma tristesse était une preuve de mon crime, et le recueillement en eût été un autre très affreux. On m'observait donc en toutes manières. J'assure que ce n'était pas un petit tourment.

Cependant cette femme était quelquefois [148] touchée des bontés que j'avais pour elle et de ma douceur ; mais comme on la menait une ou deux fois la semaine, pendant plusieurs heures, en quelque lieu où on l'interrogeait avec toutes sortes de promesses, où on lui disait que j'étais une hypocrite et une hérétique, lorsqu'elle revenait de [ces] conversations, de la chambre au-dessous de la mienne, elle me regardait avec étonnement et horreur. Quand elle avait été quelques jours sans leur parler, elle prenait de l'estime pour moi, mais les désespoirs ne finissaient pas pour cela. Enfin elle tomba malade de chagrin. C'était une fièvre continue très violente et une inflammation de poitrine. Elle me parut d'abord très mal. Je priai M. du Junca de la faire confesser. Il ne le voulut point. Elle en avait cependant un extrême besoin car je la voyais frappée à mort. J'en pris plus de soin qu'une servante n'en prend de sa maîtresse. Etant seule avec elle, je fus sept nuits sans me (149) déshabiller ni me coucher. Il fallait souvent vider ses bassins. Je faisais tout de grand cœur, mais sans force. Je lui parlai de Dieu tant que je pus.

Une nuit je la trouvai très mal, je lui fis faire des actes de contrition. Elle promit à Dieu avec larmes de ne plus retomber en ses péchés si elle revenait. Elle s'imaginait que, sitôt que je n'étais plus auprès d'elle, le Diable entrait et se tenait près de son lit, de sorte qu'elle m'appelait avec un effroi horrible. J'y allais avec de l'eau bénite. Sitôt que je paraissais, elle disait : « Il disparaît ». Comme je vis l'état où elle était, je priai M. du Junca avec la dernière instance de la faire confesser. Il me dit d'un air affreux... (la réponse manque)987. La nuit, elle fut très mal. Je fis ce que je pus pour l'exhorter. Sur le matin, n'en pouvant plus, je me mis sur mon lit. Elle m'appela : « Madame, venez vite! » Je n'eus que le temps de descendre du lit et de prendre des mules. Elle me dit : (150) « Il n'est plus temps ; je suis à lui, cela est fait, je suis damnée. » Je fis ce que je pus pour la consoler.

Les soins que j'avais d'elle, ce que je lui disais, la dureté des autres à ne point vouloir la laisser se confesser, ne voyant point de médecin ni chirurgien qui vînt la saigner, elle eut une grande estime pour moi, et dit : « Puisque je suis damnée, il ne faut pas que je sois dans votre chambre. » Comme je fis dire qu'elle était très mal, le chirurgien vint avec M. du Junca. Elle dit : « Qu'on m'ôte d'ici : je suis damnée. » Ils croyaient avoir trouvé la pie au nid, et qu'elle voulait dire qu'on l'ôtât de ma chambre parce que je la faisais damner. C'était le contraire qu'elle disait, que, puisqu'elle était damnée, il ne fallait pas qu'elle restât dans ma chambre.

On prit des témoins de ce qu'elle disait. On fit venir le médecin à qui elle dit la même chose. On crut tirer d'elle beaucoup de choses contre moi. On la vint (151) enlever sur le soir, et on y fit aller l’aumônier de la Bastille. Elle avait demandé le curé ou le vicaire de St Côme, mais on ne le voulut pas faire venir. L’on espérait que l'aumônier en tirerait bien des choses contre moi et que le témoignage d'un mourant pourrait être d'un grand poids. Mais le transport lui prit, elle leur dit du bien de moi, ne voulut point se confesser à l'aumônier et demanda toujours son confesseur. Comme elle m'avait [confié], la3155 nuit, une partie de ses péchés, j'étais très affligée de la voir mourir sans confession, en l'état où elle était. Mais comme ils lui refusèrent son confesseur, elle acheva d'entrer dans un délire absolu. Quoique son mal fut une inflammation de poitrine où l'on ne saigne jamais du pied, l'envie qu'ils avaient de tirer quelque chose d'elle contre moi fit que, ne ménageant rien et ne songeant qu'à me faire du mal, on la saigna (152) deux fois du pied coup sur coup, ce qui la fit mourir sans lui ôter son transport.

Comme ils voulaient se servir contre moi, de façon ou d'autre de ce qu'ils prétendaient tirer de cette femme, la chose leur ayant manqué, ils dirent au P. Martineau qui venait me voir de loin à loin, dans la vue qu'il me le dirait, qu'il y avait de fortes dépositions de cette femme contre moi. Le Père qui le crut à la bonne foi et qui ne pénétrait rien au-delà, me le fit entendre, la première fois que je le vis. Je ne lui parus point étonnée, comme en effet je ne le fus point. Car n'étant plus en état d'inventer, je ne craignais rien de la vérité, mais tout du mensonge. Le Père me dit que le témoignage d'une personne mourante était bien fort.

M. d'Argenson vint encore avec un air plus sévère qu'à l'ordinaire. Il me dit que cette femme disait bien des choses contre moi, faisant (153) entendre qu'elle était encore en vie et en état de m'être confrontée. Comme je suis trop franche, je lui répondis qu'elle était morte. Il me répondit : « Comment le savez-vous ? » Je lui dis que je n'en doutais pas, quoiqu'on ne me l'eût pas dit. Comme il crut qu'on me l'avait dit, il se servit de ce qu'elle pouvait avoir déclaré, disait-il, en mourant. Je lui dis qu'elle était sortie de ma chambre le transport au cerveau. Lorsqu'il vit que je ne prenais pas le change, il rengaina cet interrogatoire et chercha autre chose à m'interroger sur cette femme, et mes réponses auraient été écrites, mais Dieu ne le permit pas.

Il semblait que Dieu se mît du parti des hommes en ce temps-là, car j'étais fort exercée au-dedans et au-dehors. Tout était contre moi : je voyais tous les hommes unis pour me tourmenter et me surprendre ; (154) tout l'artifice et la subtilité d'esprit de gens qui en ont beaucoup et qui s'étudiaient à cela ; moi, seule et sans secours, sentant la main de Dieu appesantie sur moi, qui semblait m'abandonner à moi-même et à ma propre obscurité : un délaissement entier au-dedans, sans pouvoir m'aider de mon esprit naturel dont toute la vivacité était amortie depuis si longtemps, que je cessais d'en faire usage pour me laisser conduire à un Esprit supérieur, ayant travaillé toute ma vie à soumettre mon esprit à Jésus-Christ, et ma raison à sa conduite ; mais, dans tout ce temps, je ne pouvais m'aider ni de ma raison ni d'aucun soutien intérieur, car j'étais comme ceux qui n'ont jamais éprouvé cette admirable conduite de la bonté de Dieu et qui n'ont point d'esprit naturel. Lorsque je priais, je n'avais que des réponses de mort. Il me vint dans ce temps le passage de David : « Lorsqu'ils me persécutaient, j'affligeais (155) mon âme par le jeûne »988. Je fis, aussi longtemps que ma santé me le permit, des jeûnes très rigoureux et des pénitences austères, mais cela me paraissait comme de la paille brûlée. Et un moment de la conduite de Dieu est mille fois d'un plus grand secours.

On me donna une autre fille qui était filleule de M. du Junca. Il lui fit comprendre même qu'il l'épouserait afin d'en tirer plus que de l'autre. Et [il] lui donnait les plus forts témoignages de passion. Comme elle n'avait que dix-neuf ans et qu'il était persuadé qu'il n'y a rien qu'on ne fasse faire à ceux dont on est aimé, il crut avoir trouvé un moyen sûr de réussir dans ses desseins et de se faire un mérite auprès des personnes qui me persécutaient. Je crois qu'il aurait eu de la considération pour moi sans cette grande envie qu'il avait de leur plaire. Il ne me le célait pas et me disait que, devant sa fortune à Messieurs de Noailles, il n'y avait rien qu'il ne fit pour eux ; qu'ils lui avaient promis qu'il serait gouverneur de la Bastille, qu'on n'avait pu se dispenser d'y mettre M. de Saint-Mars, (156) mais qu'il allait mourir, et qu'ainsi il ne reculait que pour mieux sauter. J'eus au cœur qu'il ne serait jamais gouverneur de la Bastille et, sans m'expliquer, je lui dis que souvent les plus vieux survivaient aux plus jeunes. Cependant on envoyait toujours à Rome de nouvelles informations qu'on faisait contre moi, et, pourvu que l'on pût par artifice donner quelque couleur à la calomnie, c'était assez.

D'un côté, le P. Martineau me disait les choses les plus outrées, comme si j'avais été la dernière des misérables, même des injures. Mais je voyais qu'il se faisait violence et qu'étant naturellement honnête, il ne faisait que suivre les instructions qu'on lui donnait. Deux ou trois [jours ?]3156 après m'avoir dit toutes les duretés incroyables que je recevais avec autant de douceur et de tranquillité que s'il m'avait dit les choses du monde les plus obligeantes, il me dit qu'il ne m'outrageait pas volontairement, mais qu'il était obligé d'obéir. D'un autre côté, M. du Junca, qui ne savait rien sinon qu'il me croyait une hérétique outrée (157) et une infâme, me disait toutes les duretés imaginables. Il ne pouvait accorder tant de tranquillité et de gaieté parmi tant de traverses. Il attribuait tout à mal à cause qu'on le prévenait. Ils étaient tous au désespoir de ce que je ne leur donnais point de prise par des emportements ou par quelque parole sur laquelle on pût compter pour me tourmenter de nouveau. Mais quoique mon naturel soit prompt, Dieu ne le permit pas.

Lorsque le procès à Rome fut perdu, ils en triomphaient tous, et ce fut alors que pendant plusieurs jours on ne cessa, et le P. Martineau aussi, de me faire insulte. Je demeurai toujours la même. On vint me demander ce que je croyais que M. de Cambrai ferait après cela. Je répondis : « Il se soumettra, il est trop droit pour faire autrement. » Ils croyaient sans doute que je dirais qu'on lui avait fait injustice, et qu'ayant témoigné plus de force à le soutenir que moi-même, je témoignerais un extrême chagrin et de l'emportement. Mais ils virent sur cela la même égalité que sur tout le reste. Ils demandaient à cette petite demoiselle qu'ils avaient mise auprès de moi [158] si je n'étais pas bien triste : elle répondit que non. Lorsqu'ils eurent fait tous les manèges, Monsieur du Junca vint de la part de M. de Paris me dire qu'on était quelquefois obligé par des raisons de faire des choses qu'on ne voudrait pas, et que je devrais écrire à M. de Paris une lettre d'excuses et le prier de me venir voir, et que je sortirais. Je crois qu'il parlait de bonne foi et que je serais peut-être sortie dès ce temps-là, si j'eusse fait quelques démarches. Mais j'étais si accoutumée à me voir tendre des pièges que je ne doutais pas que ce n'en fut un, et qu'on voulait me faire signer la condamnation de M. de Cambrai. Je répondis à cela que je n'avais rien à demander à M. de Paris et encore moins à lui dire, et qu'ainsi il serait fort inutile qu'il se donnât la peine de venir, que je ne désirais point sortir, que je me trouvais bien dans ma solitude. On ne m'en parla plus. J’étais bien résolue, si l'on avait voulu me faire signer cette condamnation, de dire que ce n'était pas [159] aux femmes à condamner les Evêques, que je me soumettais à la décision du Pape, comme il s'y était soumis.

On croira peut-être qu'après tant d'interrogations, et m'avoir présenté une lettre falsifiée du P. La Combe, et avoir fait tant de bruit dans le monde, on m'aura représenté989 les lettres et interrogée sur cela. Je l'attendais, et le désirais même. Mais on ne m'en parla point du tout. Cependant on fit courir le bruit qu'on me l'avait confronté. Je l'eusse bien désiré, mais comment me confronter un homme qui ne disait que du bien de moi et qui ne pensa jamais à m'écrire les lettres qu'on lui imputait. On ne trouva pas d'autre moyen de le mettre en jeu que de m'interroger de toute ma vie, où j'avais été, qui j'avais vu, qui m'avait confessée, et choses de cette nature. Mais on ne m'en parla jamais autrement dans les interrogatoires : « Qui est-ce qui vous a accompagnée en un tel endroit ? » Je dis que c'était lui, avec un autre prêtre âgé, et que nous étions six. [160] On ne voulut mettre que lui et moi, et l'on dit qu'on aurait occasion d'en parler, et qu'on mettrait ce que je voudrais.

Sitôt que l'affaire eut été jugée à Rome, on cessa de m'interroger, mais on ne me confessa pas davantage. On me sollicitait fortement à dire que je [ne] voulais pas du P. Martineau. On me faisait entendre que c'était contre l'intention de M. de Paris qu'il ne me confessait pas et que, si je demandais l'aumônier, il me confesserait et communierait d'abord. Le P. Martineau, de son côté, m'assurait qu'on le lui avait défendu. Il est incroyable les promesses et les menaces que l'on employa pour me faire prendre [pour confesseur] l'aumônier de la Bastille, un Provençal inconnu, après avoir toujours dit que, puisque M. de Paris m'avait donné le P. Martineau, que je ne connaissais pas auparavant, il pouvait lui donner la permission de me confesser ; que je ne savais point qui était l'aumônier ; que [161] j'avais déjà éprouvé ce que c'était que l'envie d'avoir des bénéfices, et qu'il serait aisé de faire croire que j'aurais avoué à cet homme bien des choses auxquelles je ne pensais jamais ; qu'un homme d'une Compagnie célèbre avait son honneur et celui de sa Compagnie à ménager, et que je le croyais incapable d'inventer ; qu'ainsi j'irais à lui et point à d'autres, et qu'il pouvait aussi bien me confesser qu'un autre. D'ailleurs il n'avait point de bénéfice à attendre. Lorsque dans la suite il eût été déclaré confesseur des princes, l'on vint me trouver et on me dit que cela valait bien un bénéfice, qu'apparemment je le quitterais à présent. On me représenta tout le mal qu'il pourrait me faire.

Ce qui est surprenant, c'est que le P. Martineau, de son côté, me traitait durement. Cependant je ne voulus jamais le quitter, et je persévérai jusqu'au bout. Si j'avais été seule dans cette affaire, [162] mon Dieu sait bien que je n'aurais pas pris tant de précautions et que j'aurais fait ce qu'on aurait voulu ; mais lorsque je pensais que je me devais à Dieu, à la piété outragée, le Diable faisant tous ses efforts et faisant accuser les personnes d'oraison afin de les décrier, que je me devais à mes amis, et à ma famille qui était mon moindre souci, je ne voulus jamais qu'on pût dire que j'eusse avoué quelque fausseté.

Je crois qu'il ne sera pas mal à propos de faire ici une petite digression. Dès le commencement du monde, le Diable a toujours fait le singe de Dieu. Il l'a fait dans tous les temps. Et lorsque saint Pierre faisait de si grands miracles, Simon le Magicien s'efforçait de l'imiter et le surpassait même. Dans la suite, saint Clément d'Alexandrie fait voir que comme il y avait de vrais gnostiques, hommes admirables, il y en avait de faux qui faisaient des abominations. Dans le temps de sainte Thérèse, vraiment illuminée de Dieu, il s'éleva en Espagne des misérables [163] illuminés du Démon et non de Dieu990. Dans ce siècle où il y a des personnes simples, vraiment intérieures et d'oraison, il s'est élevé de misérables créatures, sous la conduite d'un certain père V[autier], et ailleurs d'une autre manière, afin que leurs abominations, étant découvertes, décriassent les voies du Seigneur et fissent persécuter ceux qui leur étaient les plus opposés. J'ai écrit plusieurs lettres avant que d'être mise en prison, et devant qu'on me tourmentât, qui feraient voir combien je les ai poursuivis, et mis de gens en garde contre elles. J'ai des témoins vivants de cela, et comme j'ai fait avertir de tous côtés qu'on s'en défiât, j'ai cru cette digression utile.

4.7  L’ABIME

‘J’avais donc auprès de moi la filleule de M. du Junca, avec la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser.’ Elle la convertit : ‘Elle comptait demeurer auprès de moi tant que j'aurais vécu, mais après qu'elle y [fut resté] trois ans, dans une même chambre, il fallut qu'elle s'en allât. Elle mourut quinze jours après. … Je restai seule un an et demi. J'eus un an la fièvre, sans en rien dire.’ Tentative de suicide d’un prisonnier : ‘Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté …sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir.’ Déposition contre elle de Davant, un prêtre. ‘Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli.’ ‘Ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans.’ ‘J'avais toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat empoisonné. …Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison.’ ‘Je fus plus d'un an seule, car la petite demoiselle dont j'ai parlé étant morte, je priai qu'on ne m'en donnât plus, et je pris prétexte qu'elles mouraient.’

Pour revenir à la Bastille, j'avais donc auprès de moi la filleule de M. du Junca avec la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser. Il crut tirer d'elle contre moi tout ce qu'il voudrait. On lui avait fait de moi un portrait si affreux qu'elle tremblait de venir. Elle craignait, [164] m'a-t-elle dit, que je n'allasse l'étrangler la nuit. Il lui promit qu'elle n'y serait qu'autant qu'elle s'y trouverait bien. Il l'assura néanmoins que j'étais douce et que je ne lui ferais pas de mal.

Elle vint, habillée d'une manière toute coquette, soit dans sa coiffure, soit à montrer sa gorge. Elle était fort jolie. Elle avait été élevée avec assez de crainte de Dieu. Je ne lui parlai point d'abord de cacher sa gorge ni d'ôter ses fontanges991. Je la laissai libre. Quelque prévenue qu'elle fut contre moi, elle n'y fut pas huit jours qu'elle prit pour moi une amitié à toute épreuve, et une confiance proportionnée. Elle voyait que je priais Dieu souvent.

Comme elle avait été longtemps en religion992 et qu'elle savait qu'on y faisait oraison, elle me demanda comment il fallait la faire. Je lui donnai quelques endroits de la Passion à méditer. Elle en profita si bien que, d'elle-même, elle vînt à cacher sa gorge soigneusement et à se [165] coiffer modestement. Elle avait une si extrême frayeur de la mort que, lorsqu'elle me lisait quelque chose elle passait le mot de «  mort  » sans le lire, et me priait de n'en point parler. Dans les premiers jours, prévenue de ce qu'on lui avait dit, elle me tirait les cheveux en me peignant, me faisant tourner la tête par des coups de poings. Mais ensuite, quoiqu'elle fût d'une extrême promptitude, s'il avait fallu donner son sang pour moi, elle l'aurait fait. Je crois que la patience que Dieu me donna pour souffrir tout ce qu'elle me faisait, ne contribua pas peu à sa conversion.

Après avoir été un peu de temps avec moi, elle souffrait que je lui parlasse de la mort. Je voyais qu'elle se mortifiait en tout. Quand elle s'était accommodé quelque chose qui lui siérait993 bien pour le mettre le dimanche à la messe, après s'être à moitié accommodée, elle avait mouvement de mettre [166] quelque chose de plus négligé, et le suivait. Je la voyais se défaire, elle m'avouait après que c'était cela994. Autant elle avait appréhendé la prison et la mort, autant elle était ravie d'y être. Elle eut mouvement de demander à Dieu de mourir auprès de moi et de ne plus retourner dans le monde. Elle le demandait malgré les répugnances de la nature qui étaient si extrêmes qu'elle s'en trouvait mal. A mesure qu'elle se surmontait de la sorte, la facilité de faire oraison lui était donnée, et son oraison devenait plus simple, avec une facilité de se recueillir.

Après qu'elle eut cassé une certaine bouteille de ce vin de Vaugirard dont j'ai parlé, elle tomba malade, elle me disait une fois comme M. de ... avait voulu d'elle des choses horribles, et la résistance qu'elle lui avait faite. Il écoutait à la porte. Il entra d'abord fort interdit. Je vis bien qu'il avait tout ouï, et j'en [167] eus de la peine. Il témoigna depuis tant d'aversion pour elle que, si elle y eût consenti, il l'aurait fait sortir dès lors. Il amena un apothicaire qui lui était dévoué, et, homme sans religion, il voulut, malgré moi, lui donner un bol lui-même, qu'il disait n'être que de la casse995, et que cela l'empêcherait de devenir malade. Depuis qu'elle l'eut pris, il n'y eut plus d'espérance pour sa vie. Sa fièvre qui était tierce et légère, devint continue, son visage changea, et il assurait lui-même qu'elle ne reviendrait jamais.

Elle, de son côté, demandait à Dieu malgré elle de mourir de cette maladie. On la voulut faire sortir pour prendre l'air. Après qu'elle s'y fut opposée, elle ne sortit qu'à condition de revenir auprès de moi. Ils le lui promirent, sachant bien qu'elle n’en reviendrait pas. Elle me disait : « Si je croyais mourir je ne sortirais pas, afin de mourir auprès de vous. » Ils étaient au désespoir de ce que le dessein qu'ils avaient eu de la faire entrer dans leurs vues et dans leurs intérêts leur eut si mal réussi. Son extrême jeunesse leur avait fait [168] croire qu'elle succomberait à tant de promesses de fortune qu'ils lui mettaient continuellement devant les yeux, que par là elle dirait contre moi tout ce qu'ils voudraient ; mais lorsqu'ils virent le contraire et combien elle était ferme à soutenir mes intérêts, ils ne songèrent plus qu'à me l'ôter. Je lui rendis pendant quatre mois, jour et nuit, tous les services imaginables. Enfin on l'ôta pendant qu'elle était auprès de moi.

On se servait de sa confession pour lui inspirer contre moi de mauvais sentiments. Mais ce qu'elle voyait était si contraire à ce qu'on lui disait, qu'elle soutenait la vérité avec un courage qui n'était pas d'une personne de son âge. On lui disait de prendre garde que je ne la corrompisse, et comme elle sentait les miséricordes que Dieu lui avait faites depuis qu'elle était avec moi, elle pleurait amèrement l'entêtement de ces personnes. Elle comptait demeurer auprès de moi tant que j'aurais vécu, mais après qu'elle y eut resté trois ans dans une même chambre, il fallut qu'elle s'en allât. Elle mourut quinze jours après, étant devenue étique.

Je ne voulus plus personne auprès de moi. Je restai seule [169] un an et demi. J'eus un an la fièvre, sans en rien dire. Je996 fus plus d'un an seule, car la petite demoiselle dont j'ai parlé étant morte, je priai qu'on ne m'en donnât plus, et je pris prétexte qu'elles mouraient. Je passais ainsi les jours et presque les nuits sans dormir, car je ne me couchais qu'après minuit et me levais de grand matin. Il me vint un mal aux yeux, [de sorte] que je ne pouvais ni lire ni travailler, et quoique je fusse très délaissée au-dedans, je me contentais sans contentement de la volonté de Dieu.

Sitôt que cette fille dont je viens de parler fut morte, on me le vint dire. J'ai cru devoir faire connaître les miséricordes de Dieu sur cette pauvre enfant. Dieu l'a enlevée du monde à vingt et un ans, afin qu'elle ne s'y corrompît pas dans la suite, car, comme on ne voulait plus qu'elle fût auprès de moi, elle y eut retourné.

Pour revenir à ce qui me regarde, M. d’Argenson, après avoir été deux ans sans m'interroger et m'avoir interrogée si longtemps, comme je l'ai dit, revint au bout de ce temps-là.

Il y avait, au-dessus de ma chambre, un prisonnier qu'on y avait amené. Il y avait apparence que cet homme était coupable, car il marchait jour et nuit sans cesse, sans se reposer un moment, et courait comme un forcené. Un jour de saint Barthélémy que nous nous habillions pour la messe, nous l'entendîmes tomber, et ensuite nous n'ouïmes plus rien. Après la messe on nous apporta à dîner. Je dis à cette jeune demoiselle : « Allez écouter à la porte quand on apportera à dîner là-haut, car je crains que cet homme-là ne se soit défait lui-même. » Effectivement quand on ouvrit la porte, ils firent un cri : « Allez quérir un chirurgien [170] et M. du Junca ! » Cet homme était noyé dans son sang. Il s'était ouvert le ventre. On le pansa avec tant de soin qu'il guérit au bout de huit à dix mois. On le lui recousit, et l'on prétend que c'est une des plus belles cures que l'on ait faites. S'il avait fait cela le soir, on l'aurait trouvé mort.

Il arrive souvent de semblables choses en ces lieux-là, et je n'en suis pas surprise. Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté, la conformité à Jésus-Christ souffrant, jointe à l'innocence, qui fasse vivre en paix dans un tel lieu, sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolations jettent dans le désespoir. On ne vous fait savoir, en ce lieu, que ce qui peut vous affliger, et rien de ce qui peut vous faire plaisir. Vous ne voyez que des visages affreux qui ne vous traitent qu'avec les dernières duretés. Vous êtes sans défense lorsqu'on vous accuse. On fait entendre au-dehors ce qu'on veut. Dans les autres prisons vous avez du conseil, si l'on vous accuse ; vous avez des avocats pour vous défendre ; des juges qui, en examinant la vérité, s'éclairent les uns les autres. Mais là vous n'avez personne. Vous n'avez qu'un juge, qui est le plus souvent juge et partie, comme il m'est arrivé, qui vous interroge comme il lui plaît, qui écrit ce qu'il veut de vos réponses, [171] qui est dispensé de toutes les règles de la justice, et l'on n'a plus personne, après, qui le redresse. On tâche de vous persuader que vous êtes coupable, on vous fait croire qu'il y a bien des choses contre vous. Et de pauvres personnes qui ne savent ce que c'est que la confiance en Dieu, ni l'abandon à sa volonté, et qui d'ailleurs se sentent coupables, se désespèrent.

Pour revenir à M. d'Ar[genson], il revint au bout de deux ans, non plus avec cet air de fureur, mais sous la peau d'une brebis, afin de me faire tomber plus aisément dans le piège qu'il m'avait tendu. On n'a jamais fait tant d'honnêtetés et tant d'offres de services qu'il m'en fit. Cependant, comme l'on n'avait jusqu'alors rien trouvé contre moi, ils crurent avoir trouvé de quoi justifier toutes leurs violences passées par l'homme qui s'était ouvert le ventre au-dessus de ma chambre. C'était un prêtre. Je n'ai jamais su pour quelle raison il était là997. Tout ce que j'en sais c'est qu'il a dit m'avoir vue aux Ursulines de Thonon et que, si on voulait lui sauver la vie, il dirait contre moi tout ce qu'on voudrait. Il fallait qu'il fût en état de paraître. On lui fit son interrogatoire tel qu'on voulut, et il le signa.

Il déposa d'abord que comme j'étais fort malade, le P. La Combe m'apporta le bon Dieu, et qu'il resta sans revenir à la maison plus de trois heures. Cela pouvait être vrai [172] car il dit la messe aux religieuses et les confessa.

Il est à remarquer que jusqu'alors, dans une si grande multitude d'interrogatoires que l'on m'avait faits, on ne m'avait encore accusée de rien, et c'était seulement pour savoir ce que j'avais dit, vu, fait depuis l'âge de quinze ans, et où j'avais été. M. de la Reynie ne m'avait interrogée que sur des lettres, comme je l'ai dit ; les ecclésiastiques ne l'avaient fait que sur mes livres. Mais alors ce [furent] des accusations en forme. J'en dirai ce [dont] [je me] souviendrai.

On m'interrogea sur un cahier de l'écriture du P. La Combe que le prêtre disait avoir vu, et qu’il y avait lu cet endroit : « O heureux péché qui nous a causé de si grands avantages. » Et quelques mots encore dont je ne me souviens plus. Je dis que je n'avais aucune idée de cela, mais qu'en tout cas, c'étaient quelques écrits de piété où il avait mis ce que chante l'Eglise : « O felix culpa ». Il ne voulut jamais mettre ma réponse et dit que cela signifiait autre chose. Il mit simplement que je ne m'en souvenais pas, sans mettre « O felix culpa » qui était le sens de ces paroles.

Ensuite il me dit que le prêtre m'accusait de lui avoir écrit bien des lettres où il y avait des choses qui n'étaient pas bien. Je répondis [que]  je ne me souvenais pas de l'avoir vu, [173] je me souvenais encore moins de lui avoir écrit, et que s'il avait de mes lettres, il n'avait qu'à les produire ; que je ne renoncerais998 jamais mon écriture. On mit ma réponse.

On me dit encore que cet homme avait déposé - car on lisait les dépositions telles qu'on les avait écrites, que j'étais une voleuse, une impie, une blasphématrice, une impudique, une personne si cruelle que je disais que « je hacherais ma fille menu comme chair à pâté - ce sont ses termes - si je croyais que Dieu le voulût, ou si je me l'étais mis dans la tête. » On ne me spécifia aucune action particulière qui eût rapport à pas un999 de ces crimes, mais seulement ce que je viens de dire.

Cette accusation me donna une [si] sensible joie dans mon fonds que je ne la puis exprimer, me voyant comme vous, mon cher Maître, au rang des malfaiteurs. J'avais beau champ1000 pour faire voir que, quand on quitte le bien que j'ai quitté, ce n'est pas pour prendre le bien d'autrui, qu'il n'y avait point de lieux où j'eusse demeuré dont les églises ne portassent des marques de ma piété, que je n'avais en toute ma vie fait aucun serment, ce que chacun sait. [174] Pour la cruauté, jamais personne n'en fut plus éloignée, car je ne puis voir tuer un poulet. D'ailleurs M. de Paris, avec un air moqueur, m'avait dit à Vaugirard que je n'avais pas été cruelle aux hommes, quoiqu'il soit certain que c'est un chapitre sur lequel Dieu m'a fait des grâces que je n'ai pas méritées, comme on l'a pu voir dans le récit de ma Vie. Il y avait encore que j'étais une fourbe et une menteuse. A tout cela je ne répondis autre chose sinon qu'il fallait faire voir quand et comment j'avais fait ces crimes.

Ensuite il dit qu'il m'avait vue en un autre endroit chez un curé jouer aux Echets1001, je dis que je n'en avais jamais su le jeu. On dit que c'était aux jonchets1002. On me disait un lieu pour un autre, parce que cet endroit se nommait d'une autre façon. Je dis que je n'avais pas été en ce lieu, que je m'étais arrêtée dans un autre endroit en revenant de Bourbon, mais que le curé n'y était pas, et que ce n'était pas le lieu que l'on nommait.

On dit que, ce prêtre étant venu là pour m'y voir, j'avais fait comme ne le connaissant pas, que je l'avais reçu fort mal ; et ensuite l'on me faisait [175] lui avoir dit des choses d'une confidence si étonnante que, quand j'aurais eu de pareils sentiments, ce qui ne fut jamais, je n'en aurais pas [fait] de telles à mes meilleurs amis. On me lui fit parler contre l'Etat, contre M. de M. à qui j'avais alors mille obligations, contre mes meilleurs amis. La conversation qu'on me faisait avoir eue avec lui, fut la matière de plusieurs interrogatoires. Je me défendis autant que je pus selon les choses que l'on me demandait, faisant voir le peu d'apparence que j'eusse parlé de la sorte des personnes pour lesquelles j'avais alors et conserverai toute ma vie un respect infini.

Ma trop grande franchise me fit faire une grande faute, car je tenais M. d’Argenson par un endroit sans réplique. Comme il avait fait faire lui-même à cet homme ses dépositions, et qu'il écrivait de mes réponses ce qu'il lui plaisait, il me disait à moi-même sans pudeur : « Ah! que je suis content de cet interrogatoire, il n'y a plus de refuge ni de faux-fuyant ! » enfin je ne sais quels termes qui me faisaient comprendre que je ne m'en relèverais jamais. J'avais assez des preuves de sa prévention maligne, pour lui devoir laisser [176] tout faire sans rien dire. Mais sur ce qu'il me dit, après tant d'interrogatoires, qu'il avait encore pourtant à m'interroger le lendemain sur cette prétendue conversation [qui] me chargeait, - et qui m’avait causé des peines que Dieu seul sait, car quoique je fusse résolue par la grâce de Dieu à tout événement, Dieu le permettant de la sorte, je souffris trente cinq ou quarante jours que dura cet interrogatoire des déchirements d'entrailles que je ne puis exprimer, et je fus, à la réserve de deux ou trois fois qu’on me fit prendre un peu de vin, tout ce temps-là sans manger et dormir, sans qu'il me fût possible de faire autrement, Dieu me soutenant, [tout] en appesantissant sa main sur moi, pour me faire vivre sans aliments - je dis donc à M. d’Argenson que j'étais fort surprise qu'un homme qui disait que je l'avais reçu si froidement que j'avais fait semblant de ne le pas connaître, se pusse vanter que je lui eusse fait des confidences si étranges, et [dit] des choses que je ne pensai jamais. Car je proteste devant Dieu que c'était un galimatias de doctrines si étonnant qu'après me l’avoir fait lire plusieurs fois, il me fut impossible [177] de rien comprendre, et encore moins d'en retenir le moindre sens. Je lui dis donc simplement, croyant qu'il l'écrirait, qu'il n'y avait pas d'apparence que j'eusse fait de pareilles confidences à un homme qui se plaignait de mon incivilité et de ma froideur ; d'ailleurs, que sa déposition portait qu'il ne m'avait parlé qu’une heure, que cependant deux jours ne suffiraient pas pour fournir à tant de choses sur des sujets et des matières de la nature dont étaient celles qu'on me faisait lui dire. Et lui adressant la parole, j'ajoutai : « Comment, Monsieur, une conversation d'une heure, telle que celle dont il parle dans sa déposition, peut-elle s’accorder avec tout ce qu'on veut que je lui ai dit et tant de choses que vous me dites sur (lesquelles) vous avez encore à m'interroger ? »

Il vit d'abord sa bévue, mais il ne voulut jamais écrire ce que je disais, m'assurant que le lendemain, à la fin de son interrogatoire, il mettrait ma réflexion. Je compris qu'elle me serait encore plus avantageuse, quand on aurait ajouté huit heures à cette conversation prétendue. Le greffier dit : « J'avais déjà fait la remarque que fait Madame, mais je ne dois rien dire. » Il y avait [178] encore un grand papier pour finir l'interrogatoire commencé, mais profitant de ma simplicité il feignit une affaire chez lui, fit signer l'interrogatoire, remporta ses papiers, et ne vint point le lendemain comme il avait dit. Je vis bien ma faute et la malignité de mon juge, mais que faire sinon souffrir ce qu'on ne peut empêcher.

Je crois que ce qui porta à faire ce dernier interrogatoire où l'on voulait à quelque prix que ce fût me faire paraître criminelle, c'est que dans l'Assemblée du clergé de l'année 1700 que présidait M. l'archevêque de Sens, on avait déclaré, en condamnant le petit livre du Moyen Court et le Cantique des cantiques, qu'il n'avait jamais été question de mœurs à mon égard, que j'avais toujours témoigné une grande horreur pour toute sorte de dérèglements, ainsi qu'on l'a pu voir dans le procès-verbal de cette assemblée, fait et dressé sous les yeux de M. de Meaux, le plus zélé de mes persécuteurs1003. Il y a de l'apparence que cette déclaration leur donna de l'inquiétude, et qu'elle les engagea à supposer le [179] malheureux prêtre dont je n'ouïs plus parler depuis lors qu’on me le confronta.

Après ce dernier interrogatoire mes peines redoublèrent. Je ne voyais que des visages affreux. On me traitait en criminelle. On me vint prendre quelques lettres de mes enfants qu'on m'avait laissées. J'en avais brûlé quelques-unes. On me menaçait de me les bien faire retrouver. Le P. Martineau redoublait ses injures et ses duretés par l'ordre qu'il en avait reçu. On ne m'envoyait quérir que rarement, par un porte-clefs, pour la messe, ou par un de même étoffe. M. du Junca ne venait plus, ce qui me consola, car, comme je l'ai dit, la main de Dieu était plus appesantie au-dedans que celle des hommes au-dehors. Ce fut alors que, voyant qu'il n'y avait point de forme de justice observée, qu'on faisait dire à un malheureux tout ce qu'on voulait, je crus que les choses n'étant fondées que sur le mensonge, on me ferait peut-être mourir. Cette pensée me donna tant de joie que je mangeai et dormis. Et lorsque je voulais me divertir, je songeais au plaisir que j'aurais de me voir sur un [180] échafaud. Je pensais que peut-être ne voudrait-on pas faire l'injustice entière, et qu'on enverrait ma grâce sur l'échafaud, et que, pour l'empêcher, je dirais au bourreau, dès que j'y serais montée, de faire son office, et que la grâce ne venant qu'après le coup donné, j'aurais le plaisir de mourir pour mon cher Maître.

J'ai bien de l'obligation à cette jeune demoiselle qui était auprès de moi, car quoiqu'elle vît que je ne mangeais pas et que je lui disais ces choses, elle témoigna toujours que j'étais gaie et contente. Il est vrai que, lorsque je voyais quelqu'un, Dieu me donnait un visage gai et content. Ils auraient voulu me voir au désespoir et me voir un chagrin mortel, mais ils ne voyaient rien de tout cela, car, quoique je souffrisse beaucoup, je n'étais point chagrine, c'était une souffrance toute intérieure qui me consumait.

Enfin après bien du temps passé, M. d’Argenson revint ; il ne fut plus question de sa conversation, on n'en voulut plus reparler. C'étaient de nouvelles choses. Cet homme avait dit que j'étais logée avec le P. La Combe dans un lieu où j'avais été. Je fis voir que je logeais à une [181] extrémité de la ville, chez un trésorier de France, et lui chez une demoiselle à l'autre extrémité. Il dit qu'il l'avait vu chez Madame Languet, veuve du Procureur général. Cela était vrai, il dit qu'il m'avait vue lui donner un bouillon. Je dis que je le faisais bien aux pauvres, que j'étais restée à le garder ce jour-là, je dis que oui, mais que Madame Languet, M[ademois]elle sa fille et la D[emois]elle y étaient aussi, que nous y accommodâmes un petit Jésus de cire cassé, que j'avais voulu lui donner de l'argent pour aller à Rome afin de solliciter un évêché in partibus pour le Père , et que je lui promettais de lui faire tous les ans trois mille livres de pension pour soutenir sa dignité. Je dis que je n'avais garde de promettre ce que je n'avais pas, car, n'ayant que deux mille huit cent livres de revenu, je ne pouvais donner mille écus, surtout étant obligée de vivre moi-même, n'ayant que faiblement ce qu'il me fallait pout cela.

Enfin après bien des discours puérils, il me dit qu'il m'amènerait l'homme pour me le confronter, que je n'allasse pas le méconnaître. Je dis que si je le connaissais, [182] je le dirais. Il m'exhorta fort à ne me mettre pas en colère contre lui, et je compris après qu'il craignait que je ne l'intimidasse. A quelques jours de là on m'amena cet homme. Il faut remarquer qu'on faisait courir le bruit à Paris qu'on me confrontait le P. La Combe, et on ne m'a jamais fait mention qu'il eût dit ou écrit quelque chose contre moi. On ne me le nommait que par incident.

On m'amena l'homme que j'eus peine à reconnaître pour un homme dont j'avais déjà désapprouvé la conduite peu réglée. Sans doute que cela lui avait été rapporté, mais comme je dis, j'en doute encore. Lorsque je le vis, je lui dis : « Comment, Monsieur, vous m'accusez d'être une voleuse, etc.? » Il dit qu'il ne l'avait pas dit. Je dis à M. d’Argenson de faire écrire qu'il se dédisait. Je dis que j'en appelais au Parlement, que je demandais que l'affaire y fût portée en l'état [où] elle était, et que je protestais de nullité contre tout ce qui se faisait. Jamais je n'ai vu fureur pareille à celle de M. d’Argenson. Il me menaça du roi. Je lui répondis que le roi ne trouverait pas mauvais que je défendisse mon innocence devant cette Cour souveraine, et qu'il était trop équitable pour cela. On commença donc [183] à lire toutes ses dépositions en sa présence. Il lut toujours dans un livre sans rien écouter, mais lorsque ce fut à l'endroit du cahier dont j'ai parlé, le prêtre dit : « Monsieur c'était : O felix culpa qu'il y avait. » Comme je gardais le silence, ne voulant plus répondre depuis ma protestation, je ne relevai rien là-dessus, mais M. d’Argenson le regardant d'un air de fureur lui dit : « Vous êtes une bête », et ne voulut point écrire ce mot : « ô felix culpa ». Lorsqu'il me demandait mes réponses, je protestais toujours de nullité, et que j'en appelais au Parlement. L’homme ne disait rien du tout. Et cependant on écrivit qu'il persistait à soutenir son dire. On me demanda si je voulais des témoins. Je dis que je dirais au Parlement mes causes de récusation et protestais toujours de nullité. Cela fini, ce prêtre signa en tremblant et pâle comme la mort. Je signai de bon coeur malgré les menaces qu'on me faisait. J'attendais de moment à autre une nouvelle scène. Car M. d'Argenson me dit : « Vous êtes lasse d'être dans une prison honorable. Vous voulez goûter de la Conciergerie, vous en goûterez.  »

Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et [184] l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli, et que j'y demeurerais bien. On disait que l'eau y venait. Je leur disais : « Il n'y a qu'à faire un plancher vers la voûte et y mettre mon lit, une chaise, et une montée pour m'apporter à manger. J'y serai fort bien. » Ils me voyaient toujours égale malgré tant de menaces. Ils se lassèrent de me faire des visages affreux et me laissèrent en repos. M. d’Argenson ne parut plus quoique je crusse qu'il pourrait bien revenir.

Mais [l'appel au] Parlement fut un coup de foudre ; je tombai malade. Je le fus plus d'un an. Je dissimulai ma fièvre plus de huit mois. J'étais si contente d'être seule, que je n'aurais pas changé de fortune pour être reine. Je me suis vue des moments où je croyais aller mourir ainsi seule.

Un soir entre autres que j'étais dans mon cabinet, je sentis que ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans. Ce cabinet était un retranchement que j'avais fait avec des rideaux, qui me servait de retraite dans une des croisées de ma chambre. Mais je ne [185] mourus pas, Dieu me réservant à d'autres croix. J'étais ravie de mourir ainsi seule, puisqu'on ne me confessait pas, et je me faisais un sensible plaisir de mourir seule avec mon cher Maître, dans l'abandon de toutes choses. J'avais1004 toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert.

On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme, qui me donna quelques remèdes, mais inutiles. L’apothicaire me donna un opiat empoisonné. J'ai su, depuis ma sortie, de quelle part cela venait. Je m'en défiais. Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. Ce chirurgien en mit sur sa langue qui enfla d'abord. L’apothicaire, en ayant eu vent, sous prétexte de me venir voir, prit le pot sur ma table, et, le cachant sous son manteau, s'en alla et l'emporta.

Si l'on fait en lisant ceci quelque attention aux croix par lesquelles il a plu à Dieu de me faite passer, qu'on fasse aussi réflexion sur les soins de sa Providence à me délivrer de tant de dangers presque [186] inévitables.

Avant le dernier interrogatoire, je fis deux songes : le premier, que le P. La Combe me parut attaché à une croix comme je l'avais songé plus de vingt ans auparavant. Mais au lieu qu'alors il me paraissait tout brillant et éclatant, il me paraissait pour lors meurtri et livide, la tête enveloppée d'un linge. Il me semble qu'il me dit : « Je suis mort », et qu'il m'encourageait. Je lui demandai comment il se trouvait : « Les souffrances de cette vie ne sont pas dignes d'être comparées à la gloire qui nous est préparée. » Et il ajouta avec force : « Pour une légère souffrance, on a un poids d'une gloire immense. » Je me réveillai.

Je rêvais ensuite que je me trouvais engagée dans un chemin qui insensiblement me conduisait dans une charbonnière embrasée en ais, couverte de terre. J'avais fait bien du chemin dessus. Et j'en voyais un plus grand où les flammes paraissaient en quelques endroits. Cette longueur m'obligea à descendre. Et je trouvais en bas une rivière, de sorte que je ne descendais du feu que pour entrer dans l'eau, et ne voyant aucune issue. Il vint une dame vénérable qui me donna la main [187] et me fit entrer dans l'église Notre-Dame. Je me souvins1005 de ce passage : « ils ont passé par le feu et par l'eau ».1006

La peine que j'avais était une femme qui venait faire ma chambre. Elle avait quelquefois aidé à l'office chez Madame de B.1007, où elle avait fait un vol. Elle me prenait tout ce que j'avais. Elle avait fait faire des clefs sur les miennes. Quelque chose que je fisse, je ne pouvais l'empêcher. Je n'osai lui rien dire, car elle était soutenue de l'aumônier. J'en dis un jour quelque chose à cet aumônier qui me dit que chacun avait ses vices, que j'avais les miens et que c'était le sien, que lorsqu'elle voulait me prendre quelque chose, je lui donnasse les dix, les vingt écus pour l'empêcher. Tout mon revenu n'y aurait pas suffi. Je ne doutais pas que ce ne fût une espionne [188] que j'avais. Il me fallut laisser tout prendre sans rien dire. D'un autre côté on ne souffrit plus que le gouverneur me vînt voir, parce qu'il paraissait avoir de la considération pour moi. Ils étaient tous surpris de ma douceur et de la patience que Dieu me donnait, et lorsque je revenais de la messe dans ma chambre, je remontais avec allégresse.

Le neveu du gouverneur me disait en me ramenant que j'étais bien différente des autres qui se désespéraient en remontant dans leurs chambres. Je lui répondis que j'y trouvais ce que j'aimais, et que les autres ne l’y trouvaient peut-être pas. Il n'était pas riche, cependant il assistait les prisonniers de tout ce qu'il pouvait et en avait compassion. Je lui dis un jour que Dieu lui donnerait une meilleure fortune assurément. Il me témoigna que ne la pouvant avoir qu'aux dépens de la vie du fils du gouverneur, il n'en souhaitait point. Ce fils est mort depuis et il est naturellement son héritier. M. du Junca me disait, pour s'excuser des peines qu'il me faisait, qu'il devait sa fortune à M. de Noailles dont son père avait été domestique, qu'il serait gouverneur de la Bastille après la mort de M. de Saint-Mars, [189] qu'il sentait déjà le sapin. Je lui dis que les jeunes gens mouraient souvent avant les plus vieux. Je ne pouvais m'ôter de l'esprit qu'il mourrait devant le gouverneur. Il est mort en effet devant lui. De quoi lui a servi le désir de fortune ? et tant de ménagement aux dépens de la charité et de la justice ?




«Les années d’épreuves sous le Roi Très Chrétien»


« Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien » prennent la suite du «Crépuscule des mystiques» de l’abbé Cognet.

Nous reprenons intégralement des parties de ce dossier organisé couvrant la période vécue par madame Guyon prisonnière, car il est édité dans une collection difficilement accessible à cause de son titre généraliste et vague de “Pièces d’Archives” 1008 et aussi parce qu’il trie des faits essentiels en suivant l’ordre chronologique (les parties I, II & III constitutifs du présent volume “noient” les faits dans une abondance informative).

Nos modifications sont ici très réduites et nous ne tentons pas d’éviter des “doubles” par exemple de lettres éditées intégralement dans ce même volume.

L’essentiel des interrogatoires de madame Guyon durant lesquels les dernières lettres du P. Lacombe saisies par la police peu après l’arrestation de la «dame directrice» sont largement utilisées est complété par des sections mettant en cause Lacombe. On y trouvera des lettres de Lacombe insérées ici dans leur context chronologique. Elles sont parailleurs reprises dans la troisième partie regroupant l’ensemble épistolaire issu de Lacombe.

La Combe et le procès des mœurs

Dans le cas présent, on avait saisi des lettres qui semblaient assez bien s’accorder au bruit qui courait d’une relation trop étroite entre Mme Guyon et son confesseur, le père de la Combe, que nous orthographierons dorénavant La Combe. Nous en reproduisons des extraits substantiels au début du chapitre 6, section intitulée «Des lettres compromettantes», juste avant les interrogatoires par La Reynie où elles tiennent un rôle important. Écrivant surtout en latin ou en italien, celui-ci ne parvint jamais à dominer notre langue : ses lettres décrivant leur lien spirituel dans un style hyperbolique qui s’accorde peut-être avec un lyrisme transalpin mais sûrement pas avec l’esprit clair mais sans humour d’un la Reynie. Fait beaucoup plus grave, il relatait l’éclosion d’un cercle spirituel de quiétistes parallèle au cercle parisien en termes ambigus. Car un cercle mystique s’était développé autour de lui au sein même de la prison royale de Lourdes, avec la participation du confesseur en titre du lieu, le sieur de Lasherous!

Ce qui démontre la force morale de son animateur, qui n’était pas un médiocre1009. Loin d’être un personnage naïf et illuminé, il est considéré comme l’inspirateur de Mme Guyon par l’interrogateur habile La Reynie. Il sera invoqué comme un martyr dans des cercles guyonniens au XVIIIe siècle. Ses écrits sont raisonnables — à l’exception de la correspondance saisie où visiblement il accumule les bourdes qui feront le supplice de la prévenue lors de ses interrogatoires.

1687 : Condamnation de Molinos et arrestation du P. La Combe

Un orage de caractère plus général s’annonce : le 23 janvier, l’Avocat général Talon reproche vivement au pape Innocent XI son manque de vigueur dans la poursuite des quiétistes et le 27 août est produit le décret du Saint-Office contre Molinos. Les répercussions en France sont fâcheuses :

« Ils firent entendre à Sa Majesté que le P. La Combe était ami de Molinos, [...] sur le témoignage de l’écrivain1010 et de sa femme, qu’il avait fait des crimes. »

La Combe est interdit de sortie de son couvent sans qu’on l’avertisse, si bien que sa sortie pour une urgence permet de le faire passer pour rebelle. On lui fit remettre des papiers qui auraient permis sa défense mais on les supprima. Harlay, archevêque de Paris, interdit la prédication au Père qui passe outre (par ignorance?) et prononce un sermon aux Augustins le 15 septembre.

Le troisième d’octobre 1687 on le vint enlever pour le mettre aux pères de la Doctrine Chrétienne [de Saint-Charles]. Durant ce temps, les ennemis faisaient faussetés sur faussetés [...] pour le mettre à la Bastille [...] Sans le juger, on l’a enfermé dans une forteresse1011.

Mme Guyon reçoit une attestation en faveur de La Combe, mais très malade en novembre, elle se la laisse enlever par le P. la Mothe. Après une entrevue organisée avec l’Official,

…on fit entendre que j’avais déclaré beaucoup de choses [...] Ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas [...] On m’apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du Faubourg Saint-Antoine1012.

Le 20 novembre, la condamnation de Molinos est confirmée par le Bref Cœlestis Pastor

La séquence des pièces

Les interrogatoires eurent lieu à Vincennes : nous sont parvenus les neuf premiers comptes rendus sous greffe en ce qui concerne la seule Mme Guyon. S’y s’ajoutent quatre de l’abbé Couturier et deux de Melle Pecherard, proches arrêtés en même temps qu’elle. L’issue était de grande importance : qu’en aurait-il résulté pour Fénelon et pour les autres membres du cercle quiétiste si les espérances de voir «craquer» la Dame Directrice et d’établir ainsi le bien-fondé d’accusations de comportements immoraux, même étayées par des pièces forgées, s’étaient matérialisées par quelque reconnaissance signée de sa main? La production d’écrits par les prélats aurait été bien moindre et la querelle se serait conclue à un niveau fort médiocre, comparable à celui qui prévalut en Italie autour de la figure de Molinos en 1687, c’est-à-dire par le poids d’une condamnation établie principalement au niveau des mœurs1013.

Nous n’aurions pas connu l’affinement mystique élaboré par Fénelon dans les textes de controverses qui couvrent la période des dernières années du siècle précédant le bref de 1699, et dont on reconnaît de nos jours que cet affinement marque le juste aboutissement d’une longue tradition mystique chrétienne1014. Les interrogatoires constituent donc le point nodal caché de la querelle du quiétisme et qui assura son prolongement sur près de quatre années.

Nous faisons précéder leurs comptes rendus des lettres compromettantes écrites depuis la prison de Lourdes par le Père La Combe et par des membres de la «petite Église» du lieu, qui furent saisies par la police, ainsi que des extraits de l’enquête écrite1015 adressée très probablement à Mme de Maintenon. Les lettres saisies, pleines d’expression hyperbolique, seront une charge difficile à contrer. Les bourdes de La Combe et de Lasherous, aumônier de la prison devenu membre du cercle quiétiste local, seront la croix de la prévenue. À bout d’arguments, elle demandera que l’on s’adresse à eux directement pour réduire les doutes assez compréhensibles de la Reynie, homme habile, honnête, mais apparemment dénué d’humour.

L’enquête bien informée permit de préparer soigneusement les questions, ce dont témoigne le «mémoire sur le quiétisme» et le manuscrit des interrogatoires qui comporte de nombreux soulignements semblables à ceux des autres prévenus. Elle révèle l’excellente surveillance exercée sur Mme Guyon et sur toutes ses relations. On note par exemple l’importance du rôle très justement attribué à Monsieur Bertot1016 comme étant le principal spirituel «quiétiste» précédant Mme Guyon.

Quelques pièces de police établissent la situation de la prisonnière, puis nous abordons le plat de résistance : la totalité des transcriptions résumées portant sur neuf interrogatoires de la principale cible (on sait qu’ils seront suivis d’autres dont nous n’avons pas de transcriptions) : ils constituent un document fascinant sur la pratique policière, fidèlement traduite par le greffier attaché à cette importante confrontation sur ordre royal. On espérait mettre à mal l’honneur de l’accusée et ainsi précipiter la chute du cercle quiétiste. Tout dépendait donc d’une résistance qu’il fallait briser, ce qui explique le soin avec lequel ces entrevues furent préparées. Les interrogatoires préalables de membres de son entourage permirent l’élaboration des questions posées. Tous ces documents forment le cœur du ms. B.N.F., nouv. acq. fr. 5250 que nous décrivons partiellement ci-dessous en note1017.

Les interrogatoires constituent un véritable marathon. À la suite du premier, nous avons précédemment indiqué, dans l’introduction générale à la tactique inquisitoriale, comment les huit suivants constituent deux groupes, concentrés à la fin janvier et au début d’avril. Voici plus précisément, c’est-à-dire individuellement, leurs dates et une brève «signature» de leurs contenus :

Premier interrogatoire de Mme Guyon, le 31 décembre 1695, renseignant sur les filles à son service : Marie de la Vaux [de Lavau] depuis quinze années et Françoise Marc depuis huit années.

Interrogatoires de deux proches arrêtés à Popaincourt en même temps que Mme Guyon : l’abbé Couturier les 3, 9, 12, 17 janvier et Mlle Pecherard les 9 et 12 janvier.

Commence le premier assaut en cinq interrogatoires concentrés sur treize jours, fin janvier :

Deuxième interrogatoire de Mme Guyon, le jeudi 19 janvier 1696, sur la «petite Église», selon l’expression malheureuse de La Combe, et sur le commentaire de l’Apocalypse.

Troisième, le lundi 23 janvier, sur la sortie de Meaux, sur la citation de La Combe «O illustre persécutée, femme forte...» et sur une lettre de Lashérous, aumônier de la prison de Lourdes («Je ne rougirai jamais, Mme, en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine...»), ainsi que sur un portrait d’elle destinée à Jeannette, disciple du cercle de Lourdes.

Quatrième, le jeudi 26 janvier, sur ses envois au P. La Combe de livres (Job, Benoît de Canfeld), sur Gex et Thonon, sur la servante Marie Delavau [de Lavau], sur le séjour à Turin.

Cinquième, le samedi 28 janvier, portant sur la suite du récit des voyages.

Sixième, le mercredi 1er février, sur le père jésuite Alleaume «qu’elle connaît depuis environ trois ou quatre années».

Après une pause d’un mois, survient le deuxième assaut en trois interrogatoires sur quatre jours. Il débute un dimanche :

Septième interrogatoire, le dimanche 1er avril, portant sur le P. La Combe, sur «l’évangile nouveau», sur saint Michel.

Huitième interrogatoire, dès le lendemain, sur la lettre inconsidérée de La Combe en décembre 1695 se félicitant de l’«augmentation de notre Église...».

Enfin neuvième interrogatoire tournant à l’entretien, du mercredi 4 avril, sur les livres que possédait Mme Guyon : Amadis, des pièces de théâtre et des romans de chevalerie.

Des lettres compromettantes

Les deux lettres1018 du P. La Combe et de l’aumônier de la prison de Lourdes, de Lasherous, saisies à Popincourt, sont datées du 10 octobre et du 11 novembre 1695. Une lettre de Jeannette [Pagère], fidèle de la «petite Église», fut saisie avec elles. Une troisième lettre de La Combe, du 7 décembre, ne fut saisie que plus tardivement : elle parvint au domicile de Mme Guyon après son arrestation. Cette dernière lettre sera évoquée au septième interrogatoire. Nous donnons de ces quatre lettres des extraits révélateurs, car leur ambiguïté et leurs bourdes1019 furent à la source d’interrogations répétées…

L’appel à la visite cachée, les termes de «petite Église» (par La Combe), de «mère des enfants de la petite Église» (par Lasherous), la reconnaissance d’envois d’argent, l’emploi du surnom de Famille désignant une fille au service de Mme Guyon, forment un ensemble -- déjà complet dès la première lettre1020 -- particulièrement difficile à défendre : la prévenue en sera réduite à renvoyer au premier auteur.

Première lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre

Ce 10 octobre. Je n’ai reçu la vôtre du 22e du mois passé que le 8 du présent. Un retardement considérable me faisait craindre que vous ne fussiez plus en état de nous donner de vos chères nouvelles. La divine Providence ne nous en veut pas encore priver. Qu’elle nous serait favorable, si elle nous accordait le bien et le plaisir de vous voir! Si c’est elle qui vous en a inspiré la pensée, elle saura bien en procurer l’exécution; c’est à ses soins, par-dessus tout, que j’en abandonne le succès, vous en disant ici naïvement ma pensée; je tiendrais cette entrevue pour une faveur du ciel si précieuse, si consolante pour moi, qu’après le bonheur de plaire à Dieu et de suivre en tout Sa volonté, il n’en est point que j’estimasse plus en ce monde. Toute la petite Église de ce lieu en serait ravie, la chose ne me paraît point impossible, ni même trop hardie; en prenant, comme vous feriez sans doute, les meilleures précautions, changeant de nom, marchant avec petit train comme une petite damoiselle, on ne vous soupçonnerait jamais que ce fût la personne que l’on cherche et, quand vous seriez ici, nous arrangerions les choses avec le plus de sûreté qu’il nous serait possible pour n’être pas découverts [...] Vous prendrez le carrosse de Bordeaux, de là vous viendrez à Pau, d’où il n’y a que six lieues jusques ici. Si la saison était propre, le prétexte de prendre les eaux aux fameux bains de Bagnères, qui est à trois lieues d’ici, serait fort plausible. En tout cas en attendant le temps des eaux, vous viendriez faire un tour en cette ville, puis vous retourneriez à Pau ou à Bagnères, et ainsi à diverses reprises, selon que l’on jugerait plus à propos. [...] Si vous venez, écrivez-nous en partant de Paris, en arrivant à Bordeaux et à Pau. Nous prierons Dieu cependant de vous faire suivre courageusement Son dessein, selon qu’il vous sera suggéré par Son esprit et secondé par Sa providence, et nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu’elle vous ait vue. Quelle joie n’aurait-elle point de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie et pénétrant vivement votre état! Votre billet, quoique si court, l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise, si l’on peut dire qu’elle puisse l’être davantage [...]

J’ai reçu la lettre de change, mais non encore le paquet des livres. Il est vrai que vous m’avez plus fait tenir d’argent depuis environ un an que les autres années; je le sens fort bien par l’abondance où vous m’avez mis, et je ne puis que me louer infiniment de vos charités. [...] Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église. Si vous veniez, vous ne prendriez qu’une fille et vous lui changeriez son nom. Je ne serais pas fâchée de revoir Famille1021. Je salue aussi l’autre de bon cœur. Ô Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l’éternité dans Votre dessein; c’est là, ma très chère, que je vous suis parfaitement acquis.

[Lettre jointe de Lasherous1022 :]

Ô illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit Maître, [...] Que je m’estimerais heureux, M [adame], d’avoir l’honneur de vous aller prendre à Paris, ou en tel endroit qu’il vous plairait me prescrire pour vous conduire ici ou ailleurs, c’est la grâce que je vous demande. [...] Je finis, M [adame], en vous proposant que je vous honore, vous estime et vous aime en Notre Seigneur Jésus-Christ plus que je ne saurais vous exprimer1023.

Deuxième lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 11 novembre

Ce 11 novembre1024.

Je reçois la vôtre du 28 octobre à laquelle je réponds le même jour. Je le fis de même l’autre fois avec diligence et encore par l’ordinaire. Vous avez de trop bonnes raisons de ne pas vous mettre en voyage devant l’hiver, pour que nous y apportions la moindre contradiction. Quelque désir que nous ayons de vous voir, nous préférons votre conservation à la joie que nous causerait un si grand bien, remettant de plus, tous nos souhaits, entre les mains de Dieu. Il y a en ce pays des eaux de toutes sortes pour différents maux. Il y en a pour boire et pour le bain et en trois ou quatre lieux différents; celles de Bagnères, sont les plus renommées, on y vient de toutes parts et je crois qu’elles vous seraient utiles, si Dieu vous donne le mouvement d’y venir. O quelle satisfaction pour nous tous! Je ne l’espère presque plus, voyant un délai considérable pendant lequel il peut arriver quelque changement considérable, sinon par notre élargissement, du moins par notre mort. [...] Ce comble semble approcher pour notre chère Jeannette, qui s’use et s’affaiblit de plus en plus. [...] Les autres filles vous saluent avec une estime et un amour très particuliers. L’affection et le zèle de M. de Lasherous sont très grands assurément, il n’épargnerait ni sa bourse ni sa personne pour vous rendre service, mais comme sa présence est trop nécessaire et trop remarquée dans ce lieu, une longue absence causerait une admiration plus propre à éventer le mystère qu’à le bien ménager. [...] Je ne m’étends pas davantage, jusqu’à ce que nous sachions si notre nouvelle adresse réussira. Que nous dites-vous, qu’on vous a empoisonnée1025? [...] Nous saluons tous cordialement ces bonnes filles qui sont avec vous. Dieu fait aux nôtres de très sensibles miséricordes.

[Lettre jointe de Lasherous :]

La joie de la petite société, M [adame], dans le désir ardent qu’elle avait d’avoir l’honneur de vous voir et de la consolation qu’elle attendait d’un bien si précieux, a été bien courte, mais comme uniquement la volonté de Dieu est tout le bien de la petite Église, elle seule lui suffit pour toute prétention. Je laisse au petit Maître de nous y rendre souples et parfaitement soumis. Je le ferai toujours, M [adame], à votre égard, et s’il est dans le dessein de Dieu, que vous veniez dans ce canton, je me rendrai ponctuellement dans l’endroit où vous me ferez l’honneur de me marquer, n’en déplaise au très R [évérend] et très vénérable P [ère]. Je ne rougirais jamais, m [adame], en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, disciplines et mœurs, comme je l’ai fait en présence de notre prélat, à son retour de Paris, au sujet de l’illustre et plus qu’aimable Père. Il ne manque point ici des Égyptiens qui cherchent les petits premiers-nés des Israélites, pour les submerger. [...]

Lettre du P. La Combe du 7 décembre, saisie tardivement

Elle fut utilisée dans la série des trois derniers interrogatoires qui furent les plus approfondis -- un mois les sépare de celle des six premiers.

Q [uis] U [t] D [eus]. Ce 7 décembre.

Je reçus hier votre lettre où étaient les anneaux. La joie en a été grande dans notre petite Église. Vous pouvez bien croire que j’en ai eu ma bonne part, d’autant plus que le temps me paraissait long depuis la réception de la précédente. Ce me sera toujours non moins un plaisir qu’un devoir, de répondre à vos bontés vraiment excessives envers moi : du moins par le commerce de lettres, autant que la divine Providence m’en fournira les moyens, comme elle a fait jusqu’à présent d’une manière admirable. Il faut qu’on soit bien acharné contre vous, pour ne vous laisser point de repos après qu’on vous a tant tourmentée et que vous avez donné une ample satisfaction à ce qu’on a exigé de vous. […] Songez donc à faire le grand voyage vers le printemps, afin que nous ayons la satisfaction de vous voir et de vous rendre quelques services. Vous ne trouverez pas ailleurs une société qui vous soit plus acquise que la nôtre. Personne ne pourrait aller d’ici pour vous conduire sans que cela fît trop d’éclat. Il faut que vous preniez quelqu’un où vous êtes. Encore craindrais-je que vous n’en fussiez plutôt embarrassée et surchargée que bien servie, comme il vous arriva autrefois. Une femme intelligente et fidèle vous suffirait, avec un garçon sur qui l’on pût s’assurer, tel qu’était Champagne. Dieu veuille vous inspirer ce qui est dans Son dessein, et vous en faciliter l’exécution.

[… à propos de la maladie] Les eaux fort minérales et détersives telles qu’il y en a en ce pays, pourraient y être un fort bon remède. […] Votre vie trop sédentaire, contribue beaucoup à ce mal. L’exercice, le changement d’air, l’agitation du voyage vous seraient utiles. Venez à l’air des montagnes, qui est vif et pénétrant.

Les jansénistes vont remonter1026, leurs adversaires seront rabaissés. Peut-être se prépare-t-on déjà à un nouveau combat. Port-Royal ressuscitera. […]

J’ai lu votre Apocalypse1027 avec beaucoup de satisfaction, nul autre de vos livres sur l’Écriture m’avait tant plu. Il y a moins à retoucher que dans les autres. Les états intérieurs sont fort bien décrits et tirés, non sans merveille, du texte sacré, où rien ne paraissait moins être compris. Si toute votre explication de l’Écriture était rassemblée en un volume, on pourrait l’appeler la bible des âmes intérieures, et plut au ciel que l’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies, afin qu’un si grand ouvrage ne périsse pas! Les vérités mystiques ne sont pas expliquées ailleurs avec autant de clarté et d’abondance et ce qui importe le plus, avec autant de rapport aux saintes Écritures. Mais hélas, nous sommes dans un temps, où tout ce que nous penserions entreprendre pour la vérité, est renversé et abîmé. On ne veut de nous qu’inutilité, destruction et perte. N’avez-vous pas pu recouvrer le Pentateuque1028? Pour moi, dans le grand loisir que j’aurais, je ne puis rien faire, quoique je l’aie essayé souvent. Il m’est impossible de m’appliquer à aucun ouvrage de l’esprit, du moins de coutume, m’ayant fait violence pour m’y appliquer, ce qui me fait traîner une languissante et misérable vie, ne pouvant ni lire ni écrire, ni travailler des mains, qu’avec répugnance et amertume de cœur, et vous savez que notre état ne porte pas de nous faire violence. On tirerait aussitôt de l’eau d’un rocher.

L’ouvrage de M. Nicole1029, me fait dire de lui ce qui est dans Job : il a parlé indifféremment de choses qui surpassent excessivement toute sa science. […]

Il s’est fait une augmentation de notre Église, la rencontre de trois religieuses d’un monastère assez proche de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est faite l’oraison que Dieu enseigne Lui-même aux âmes et l’obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L’une de ces trois filles a été mise par le Saint-Esprit même dans son oraison. L’autre y étant appelée combattait son attrait en s’attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, tourmentée de scrupules, n’est pas encore en état d’y être introduite.

Jeannette me grondera de ce que je remplis mon papier sans vous parler d’elle, et que vous en dirai-je? Que toujours il semble que Dieu nous l’enlève et toujours elle nous est laissée. Qu’elle vous honore et vous aime parfaitement et ses compagnes de même. Elles sont toutes en fête pour leurs anneaux. Songez à m’apporter aussi quelques bijoux. Tous les amis vous saluent tant et tant. O ma très chère, pourrai-je encore vous revoir : si Dieu m’accorde un si grand bien, je chanterais de bon cœur le Nunc dimittis. Nous raconterions à loisir toutes nos aventures qui sont étranges et donc pas vue mais serait cachée à votre cœur. Etc.1030.

Lettre de Jeannette du 7 décembre (?)

Vive Jésus.

Madame.

Permettez qu’en ce célèbre jour, je donne un peu d’efforts au [illis.] à l’amour qui pénètre mon cœur et le fond de mon âme, en voyant vos vertus, votre ardeur, votre flamme pour le Dieu souverain, de qui le bras puissant vous fera triompher du parti de Satan. Si le ciel est d’airain, s’il vous paraît de bronze, c’est que par un chemin et d’épines et de ronces, Jésus veut éprouver votre fidélité. /[…]/Le rapport est si doux entre nos deux esprits, qu’un même sentiment les joint et les unit sans rien m’attribuer de vos voies admirables. Divines unions et grâces ineffables. /J’aperçois entre nous cet aimable rapport qui naturellement vient d’un pareil sort : la Croix ayant été souvent notre partage, nous nous comprenons bien, parlant même langage. Ah, que me reste-t-il donc, que de vous imiter, de marcher sur vos pas sans jamais m’arrêter! Priez le bon Jésus, qu’Il m’en fasse la grâce et de suivre après vous, Ses vestiges et Sa trace. Etc.1031.

Une enquête bien organisée

La séquence des interrogatoires a été indiquée précédemment avec un très bref aperçu du contenu pour chacun d’entre eux. A son premier interrogatoire qui a lieu le 31 décembre 1695 juste après son arrestation, succèdent ceux des proches saisis dans la maison de Popaincourt. L’abbé Couturier est interrogé les 3, 9, 12 et 17 janvier, et la dame Pecherard les 9 et 12 janvier, c’est-à-dire entre les premières informations demandées à Mme Guyon et son second interrogatoire. Il faut en effet préparer des questions ; en fait elles proviendront surtout des lettres saisies.

Sont donc combinés les renseignements tirés des proches (décevants car sans grande importance ; par ailleurs on n’obtient rien des deux « filles » fidèles au service de leur maîtresse), des deux lettres malheureuses de La Combe (fort compromettantes par l’ambigüité des termes dont en premier lieu « la petite Église… »). On n’a aucun indice d’une communication à Paris de ses interrogatoires de Tarbes. La Combe n’aurait pas été transféré à Paris avant mars 1698.

On peut alors s’attaquer à la principale animatrice du cercle quiétiste ; un répit de trois semaines environ a eu lieu depuis son premier interrogatoire, mais une série rapprochée de cinq interrogatoires, assurée par La Reynie, « de six, sept et huit heures quelquefois1032 », les 19, 23, 26 et 28 janvier 1696, enfin le 1er février, est un rude choc pour la prévenue. Ils visent à faire céder la prisonnière par épuisement ; mais elle tient bon - des informations sur cette résistance inattendue parvinrent jusqu’à la Cour, - ce qui explique probablement qu’un mois de réflexion se soit ensuite écoulé avant un deuxième et dernier assaut par le même La Reynie : trois interrogatoires ont lieu les 1, 2 et 4 avril.

Les soigneux procès-verbaux de ces neuf journées d’épreuve nous sont parvenus. La pauvre femme écrira ensuite deux lettres entre le 5 et le 12 avril, avec son sang.

Suit une nouvelle pause d’un mois également avant d’exercer une troisième pression, cette fois par la voie religieuse ; il s’agit de la lettre du 9 juin où le docteur Pirot rejoue ainsi son ancien rôle : « Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… ».

Ce qui suivra sera consigné par des lettres écrites par la prisonnière à sa confidente, la « petite duchesse » de Mortemart, lorsque Mme Guyon aura été transférée au « couvent » très spécial établi à Vaugirard près de la maison du maître policier.

Quant aux interrogatoires ultérieurs à la Bastille, assurés par l’inquiétant maître du lieu d’Argenson1033 qui a succédé à la Reynie en janvier 1697, et qui n’avait pas la rectitude de ce dernier, ils n’ont pas laissé d’enregistrements à notre connaissance. On sait seulement les pressions exercées : des menaces directes de passer de la Bastille – prison dure, mais dont les hôtes de marque survivaient – à la Conciergerie où la durée de vie moyenne d’un prisonnier était réduite à quelques mois1034.

1er interrogatoire, fin

[…]

Plus ledit sieur Desgretz nous a remis entre les mains en presence de la d. dame Guyon trois autres pieces ma­nuscrites qu’il nous a dit avoir esté trouvéés entre les mains de ladite dame Guyon lorsqu’il l’arresta par ordre du Roy, la premiere dattéé en teste ce dixiesme d’octobre, commen­ceant par ces mots «J’ay receu la vostre du 22e du mois passé» et finissant par ces autres mots «en Nostre Seigneur Jésus Christ plus que je ne scauroit (sic) vous exprimer» la­dite piece paroissant estre ecrite de deux differentes mains, la seconde dattée ce 11e novembre commenceant par ces mots «j’ay receu la vostre du vingt huit octobre» et finissant par ces autres mots «inuiolablement acquis et at­taché auec la grâce de mon dieu», ladite piece paroissant ainsy que la premiere ecrite de deux différentes main [sic], la troisiesme commenceant par ces mots «vive Jesus, Ma­dame permettez» et finissant par ces autres mots «et de suivre ses vestiges et sa trasse»,1035.

Ce fait touttes les susdites pieces ont esté par nous cottées paraphéés et par ladite répondante et a ledit sieur Desgrez signé la minute,

Lecture faite du present Interrogatoire la repondante a dit ses réponses contenir verité y a perseueré et a signé la minute. Signé Jeanne M. Bouvier et de la Reynie.

Les lettres saisies lors de l’arrestation de la prévenue proviennent de son ancien confesseur La Combe, ainsi que de membres de la «petite Église», le cercle spirituel qu’il a réussi à rassembler autour de lui et qui comprend notamment le Sieur de Lasherous, aumônier de la prison de Lourdes. Elles permettent à la Reynie de rentrer dans le vif du sujet. L’expression des «colonnes de la petite Église» fait l’objet d’une vive attention ainsi qu’un projet de voyage à Barèges imprudemment commenté par les correspondants de Lourdes, pour terminer enfin par quelques points accessoires : l’argent et les livres envoyés à La Combe1036.

Second interrogatoire de Mme Guyon, le 19 janvier 1696

Interrogatoire fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller ordinaire du roi en son Conseil d’État, de l’ordre du roi, à la dame Guyon prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu’il ensuit :

Du jeudi dix-neuvième janvier 1696 dans le cabinet du donjon dudit château de Vincennes.

Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

À dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier âgée1037 de quarante-sept ans ou environ veuve de Messire Jacques Guyon chevalier seigneur du Quesnoy demeurant avant sa détention et lors qu’elle a été arrêtée à Paincourt [Popaincourt] les Paris.

Avons représenté à la répondante deux pièces qui sont deux lettres missives paraphées le trente et unième décembre dernier, la première datée ce 10e d’octobre commençant par ces mots : «J’ai reçu la vostre du 22e du mois passé», et finissant par ces mots «en notre Seigneur Jésus Christ plus que je ne saurais vous exprimer», la seconde datée ce onzième de novembre, commençant par ces mots «J’ai reçu la vostre du 28e octobre» et finissant par ces autres mots «Inviolablement acquise et attachée avec la grâce de mon Dieu»1038,

Interpellée de les reconnaître, et de déclarer en quel temps elle a reçues lesdites deux lettres missives,

À dit, après les avoir vues et examinées qu’elle les a reçues quelques jours avant de quitter la maison de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois pour aller en celle de Paincourt [Popaincourt] où elle a été arrêtée.

Par qui lesdites lettres lui ont été écrites.

A dit ce sont deux lettres qui lui ont été écrites par le père de la Combe, et qu’elle les a reçues trois semaines ou environ après la date de chacune desdites lettres.

Si lesdites deux lettres ne sont pas écrites de deux différentes mains, et si elle connaît la personne qui a écrit les dernières parties de chacune desdites lettres.

A dit qu’elles sont écrites de [f ° 134] deux différentes mains, que la première partie de chacune desdites lettres est de l’écriture du père de la Combe, et que l’autre partie est écrite de la main d’un ecclésiastique qu’elle n’a jamais vu.

Si elle ne sait pas que ledit ecclésiastique qui a écrit les dernières parties desdites lettres s’appelle le sieur de Lasherous et qu’il est aumônier du château de Lourdes.

A dit que oui.

Sous quelle adresse elle a reçu lesdites lettres.

A dit qu’elle les a reçues directement du bureau de la poste sous l’adresse la dame Bernard, rue Saint-Germain-l’Auxerrois où elle, répondante, demeurait.

De quel lieu lesdites lettres lui ont été écrites.

A dit qu’elles lui ont été écrites (du château de Lourdes add.marg.) où le père de la Combe est par ordre du roi.

Si la lettre datée ce 10e d’octobre n’est pas la réponse à une lettre qu’elle avait écrite le vingt-deux de septembre dernier1039, et sur l’avis qu’elle avait donné au dit père de la Combe qu’elle irait au lieu où il est, sous prétexte d’avoir à prendre des eaux du côté de Pau.

A dit que ladite lettre est une réponse à celle qu’elle avait écrit au père de la Combe de la date qu’il est marqué par sa réponse, que sa première pensée avait été en se retirant de se mettre dans un couvent des filles de Sainte-Marie à Bordeaux, qu’après cela lui vint dans l’esprit d’aller prendre les eaux de Barèges1040 et ensuite, ayant fait réflexion qu’on pourrait trouver quelque méchante interprétation à donner à ce voyage, elle écrivit au dit père de la Combe que la saison de l’hiver ne lui pouvait permettre de faire ce voyage.

Ce qu’elle a entendu après les témoignages de la satisfaction que le père de La Combe prétendait avoir en la voyant, par les termes de la même lettre, qui sont au commencement de la première page de la lettre du dixième octobre «toute la petite Église de ce lieu en serait ravie».

A dit que c’est une manière de parler dont le père de La Combe a accoutumé de se servir, et qu’elle ne connaît point cette petite Église.

Si elle ne sait pas de quelles personnes cette petite Église est composée.

[f ° 135] A dit qu’elle ne sait point qu’elle soit composée d’autres per­sonnes que d’une fille appelée Jeannette et de deux autres filles dont elle ne sait pas le nom et n’en a d’autre connaissance que celle que ledit père de La Combe lui en a donné, et le dit sieur de Lasherous, ne les ayant jamais vues.

Avons remontré à la répondante que si le père de La Combe n’avait voulu lui faire connaître que trois personnes seulement, il ne lui aurait pas écrit comme il a fait en ces termes «Toute la petite église de ce lieu en serait ravie» et il n’y aurait pas ajouté non plus ces autres termes «Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église1041», et il ne se serait pas expliqué de cette sorte si en effet elle répondante n’avait connu les amis et les amies qu’elle avait en ce même lieu, et que ledit père de La Combe lui a désignés comme «les colonnes de la petite Église».­

A dit qu’elle ne connaît point plus particulièrement quelles personnes ledit père de La Combe a prétendu désigner par ces termes «les colonnes de la petite Église», que ledit père de La Combe lui a écrit plusieurs fois avec des sentiments d’une grande estime pour celle qui s’appelle du nom de Jeannette, qu’il [qu’elle] ne voyait pas néanmoins, et qui était d’une grande vertu et à laquelle Dieu avait donné une connaissance particulière d’elle répondante.

Lui avons remontré que si elle n’avait d’autre connaissance que celle qu’elle nous dit avoir de la petite église et de ceux qui la composent dans le lieu où le père de La Combe est actuel­lement, le sieur de Lasheroux qui a aussi écrit à elle répondante dans la même lettre du père de la Combe, datée du 10e octobre qui lui est représentée, n’aurait pas qualifié elle répondante comme il a fait du titre entre autres «de mère des Enfants de la petite Église»1042 si les enfants de cette petite Église lui avaient été inconnus et si elle n’avait pas su ce que c’était que cette petite Église.

A dit qu’elle ne peut dire autre chose sur cela que ce qu’elle nous vient de déclarer, et que c’est au père de La Combe et au sieur Lasheroux à déclarer et à dire de quelles personnes ils pré­tendent qu’est composée cette petite Église.

[f ° 136] Avons remontré à la répondante qu’il est difficile de présu­mer que le père de La Combe et le sieur de Lasheroux lui eussent écrit comme ils ont fait sur le sujet de cette petite Église, si elle répondante n’en avait pas été plus particulièrement infor­mée, et ledit père de La Combe ne se serait pas encore expliqué en ces autres termes qui sont sur la fin de la quatrième page de ladite lettre «les amis de confidence de ce lieu en attendent le succès. Nous avons recommandé la chose a Dieu dans nos saints sacrifices, et nous continuerons si le maître de la vie et de la mort n’en dispose autrement et y avons engagé toutes les bonnes âmes de ce lieu, et singulièrement, celle de l’étroite confidence1043».

A dit que c’est ledit sieur de Lasheroux qui s’est expliqué en ces termes et que c’est à lui à dire ce qu’il a entendu en les écri­vant, et qu’à son égard d’elle répondante, elle n’entend autre chose par les termes dont s’est servi ledit sieur de Lasheroux que de bonnes âmes qui sont plus particulièrement attachées à Dieu.

Ce qu’elle a entendu par ces autres termes de ladite lettre «nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu’elle vous ait veue. Quelle joye n’aurait-elle point de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie, et pénétrant si vivement votre état1044.»

A dit qu’elle a entendu suivant que le père de La Combe lui a témoigné que c’est une fille, à qui Dieu a donné des vues à l’égard d’elle répondante.

S’il n’est pas vrai qu’elle répondante a eu commerce par lettre avec ladite Jeannette.

A dit que ladite Jeannette lui écrivit il y a environ cinq ou six années, et lui marqua que Dieu lui avait donné une connaissance particulière d’elle répondante1045 -- elle lui fit réponse en ce même temps-là par un billet assez court, qu’elle se recomman­dait à ses souffrances et à ses prières et qu’elles demeureraient unies en Dieu.

Avons remontré à la répondante qu’il paraît par ces autres termes de ladite lettre du père de la Combe qu’elle a encore écrit depuis peu à ladite Jeannette : «votre billet quoique si court l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise si l’on peut dire qu’on puisse l’être davantage1046.»

[f ° 137] A dit qu’il peut bien être qu’elle a écrit un billet séparé en écrivant au père de la Combe, où elle a écrit dans la même lettre quelques lignes pour ladite Jeannette pour lui marquer qu’elle était toujours unie à elle, et ne le peut dire plus particulièrement.

Pour quelle cause elle a jugé nécessaire en partant de Meaux de dire qu’elle avait besoin d’aller aux eaux quoique en effet elle n’eût pas l’intention d’en prendre, ainsi qu’il paraît par lesdites lettres représentées.

A dit qu’elle croyait en avoir besoin et que c’était son intention d’y aller.

Lui avons remontré que si elle avait cru avoir besoin d’aller prendre les eaux, et si en effet le voyage qu’elle prétendait faire du côté des Pyrénées avait été pour y prendre des eaux, elle n’aurait pas fait tous les projets qu’il paraît qu’elle a concertés avec le père de la Combe et le sieur de Lasherous, pour être inconnue en changeant de nom et en pratiquant tout ce qui paraît qu’on lui proposait de faire pour demeurer cachée dans le lieu où le père de la Combe a été envoyé.

A dit que son dessein était d’aller aux eaux de Bourbon1047, mais que, ayant laissé passer la saison sur l’avis qu’il lui fut donné qu’il y avait ordre d’observer quand elle passerait sur la route de Bourbon, il lui vint en pensée, ainsi qu’elle l’a ci-dessus déclaré, d’aller prendre les eaux du côté des Pyrénées1048.

Quelle nécessité elle a cru avoir de disparaître et de se cacher sans aucune participation de sa famille et de ses propres enfants.

A dit qu’elle avait été cachée pendant plus d’une année et demie avant d’aller à Meaux et que sa conduite avait été approuvée en cela même, et qu’étant toujours accusée de dogmatiser dans l’Église de Dieu, elle avait cru que le meilleur parti qu’elle pouvait prendre était celui de demeurer cachée et inconnue.

Avons remontré à la répondante que supposé que ce parti eût été juste et raisonnable, elle devait au moins éviter d’aller au lieu où elle savait que le père de la Combe était par ordre du roi, et que le dessein de vivre inconnue et cachée dans ce même lieu ne pouvait jamais être approuvé.

[f ° 138] A dit qu’elle n’a jamais eu ce dessein, mais seulement d’y passer quinze jours et de se retirer après cela.

Avons remontré à la répondante que les deux lettres que nous lui représentons, font connaître qu’elle, aussi bien que le père de la Combe, avaient fait un autre projet.

A dit qu’elle nous a déclaré la vérité et qu’après la première pensée qui lui était venue, elle l’avait presque aussitôt rejetée et improuvée, qu’il paraît même qu’elle n’a pas eu dessein de l’exécuter, ayant fait depuis l’acquisition de la petite maison de Paincourt [Popaincourt] où elle a été arrêtée, pour y rester inconnue et cachée.

Ayant remontré à la répondante qu’il paraît que l’acquisition qu’elle faisait de ladite maison de Paincourt était pour en gratifier l’une des filles qui étaient auprès d’elle, et que d’ailleurs la maison de Paincourt lui pouvait servir à la tenir cachée jusqu’au temps qu’elle eût voulu faire le voyage proposé du côté des Pyrénées.

A dit qu’elle faisait état de prendre une contre-lettre de la fille sous le nom de laquelle l’acquisition de la maison devait être faite, et à l’égard du voyage des Pyrénées, elle avait changé de dessein ainsi qu’elle nous l’a dit, et pour preuve qu’elle n’avait aucune intention de faire le voyage des Pyrénées, le sieur de Piailliere [La Pialière] gentilhomme de Normandie dont il a été fait mention par son premier interrogatoire, peut dire qu’elle, répondante, l’avait prié de chercher en Normandie un couvent où elle pût être et demeurer inconnue.

Avons remontré à la répondante que suivant ce que le père de la Combe lui a écrit par sa lettre du 10e octobre, elle lui avait envoyé une lettre de change. Interpellée de déclarer de quelle somme était ladite lettre de change.

A dit que ladite lettre de change était de cinquante livres seulement, et qu’elle lui en a envoyé de temps en temps, et pour ses besoins seulement, et qu’elle lui a fait tenir plus d’argent cette année, ainsi qu’il est marqué par ladite lettre que les années précédentes, parce qu’il avait besoin de linge et d’être habillé.

Quel était le paquet de livres qu’elle, répondante, avait envoyés au père de la Combe, et dont il fait mention dans ladite lettre,

A dit que c’était un livre que M. Nicole avait fait contre le livre du Moyen court et facile1049, et une Explication manuscrite de l’Apocalypse qu’elle, répondante, avait faite il y avait près de dix ans et qu’elle lui envoyait ce manuscrit afin qu’il le corrigeât, ou qu’il en fît ce qu’il voudrait, elle, répondante, n’en voulant plus garder aucun.

Si c’est au sujet du manuscrit et Explication de l’Apocalypse que le dit père de la Combe lui a écrit par sa dite lettre du 10e d’octobre dernier : «Votre Explication de l’Apocalypse me paraît très belle, très solide, et très utile. Je ne m’étends pas davantage jusqu’à ce que je sache si notre nouvelle adresse réussira»,

A dit que c’est du manuscrit qu’elle avait envoyé audit père de la Combe qu’il lui a écrit en ces termes.

Avons remontré à la répondante qu’en envoyant comme elle a fait le manuscrit de l’Explication de l’Apocalypse de sa composition d’elle, répondante, au père de La Combe pour le corriger et le revoir, elle ne s’est pas tenue dans les termes qu’elle avait promis de se tenir après ses déclarations, et la soumission qu’elle avait témoigné vouloir rendre à ceux qui avaient examiné sa doctrine et ses livres.

A dit qu’elle avait envoyé ledit manuscrit au père de La Combe pour l’examiner, pour le corriger, même le brûler s’il le jugeait à propos et pour en faire tout ce qu’il voudrait.

Avons remontré à elle, répondante, qu’en se rapportant au père de la Combe de faire dudit manuscrit ce qu’il jugerait à propos, c’était se soumettre au père de la Combe et non à ceux qui ont eu autorité et droit de juger de sa doctrine et de lui prescrire des règles pour sa conduite.

A dit que ne voulant garder aucun des manuscrits qu’elle avait eus en son pouvoir, elle avait envoyé ce manuscrit au père de La Combe ainsi qu’elle nous l’a déclaré ci-dessus.

Ce fait, avons paraphé lesdites deux lettres missives représentées et les avons fait parapher par ladite répondante.

Lecture faite du présent interrogatoire, A dit ses réponses contenir des vérités et y a persévéré et a signé la minute.

Signé Jeanne M. Bouvier et de La Reynie.

Résumé, suggestions et notes de La Reynie

Une lettre de La Reynie à Pontchartrain1050 résume les renseignements obtenus sur Mme Guyon, sur le P. de la Combe, etc., à l’issue des interrogatoires de ses proches et de deux interrogatoires de la prévenue. Elle porte sur le projet de voyage de Mme Guyon et sur la «petite Église» que La Combe a constituée, car «il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites», dont le prêtre aumônier de la prison Lasherous1051 qui y a «titre et crédit». Il suggère aussi quelques mesures à «faire du côté de Lourdes», car tout progrès de cette «secte» n’est pas à exclure -- ni peut-être une fuite hors du royaume; et il faut préparer la suite de l’enquête.

Ce 22 janvier 1696.

Monsieur,

Par deux lettres que Mme Guyon a reconnues et que le père de la Combe lui a écrites aux mois d’octobre et de novembre derniers, peu de temps avant qu’elle ait été arrêtée, et par les éclaircissements qu’elle a commencé de donner, il paraît qu’elle a conservé et entretenu un commerce particulier de lettres avec le père de la Combe, même dans les temps qu’elle rendait raison de sa doctrine, de ses écrits et de sa conduite, et qu’elle donnait par écrit et autrement des assurances de sa soumission.

Mme Guyon depuis son retour du couvent des filles de Sainte-Marie de Meaux, avait fait état de disparaître, de passer ensuite inconnue et de se retirer dans le lieu même où le père de la Combe est actuellement par ordre du roi.

La route lui avait été marquée par le père de la Combe, aussi bien que ce qu’elle ferait, étant sur les lieux, pour se dire et passer pour être parente du père de la Combe du côté de la mère qui était de Franche-Comté avec ce qu’il faudrait qu’elle fît du reste pour n’être connue que de ceux de la petite Église de Lourdes et de ceux qui sont de l’étroite confidence1052.

Il paraît, Monsieur, par ces mêmes lettres, que ce voyage a été remis jusqu’après l’hiver. Mme Guyon dit sur cela qu’après avoir fait quelque réflexion sur le dessein de ce voyage, elle l’avait abandonné, et que lorsqu’elle y avait pensé, c’était uniquement pour voir le père de la Combe et pour passer quinze jours seulement dans le lieu où il est. Cependant, Monsieur, il n’est pas impossible que le projet de ce voyage qui paraît avoir été médité et fortement désiré, n’ait toujours subsisté et [f ° 21v °] qu’il n’ait été remis à un autre temps plus convenable par des raisons particulières. Le crédit et la liberté que le père de la Combe s’est acquis cependant dans le château de Lourdes, pourraient bien aussi le faire soupçonner, aussi bien que Mme Guyon, d’avoir pensé à quelque moyen de sortir du Royaume1053.

La ville et le château de Lourdes sont situés dans le Comté de Bigorre du côté de Béarn, à huit lieues de Pau et à sept lieues de Tarbes. C’est dans cette ville et dans le château de Lourdes, où le père de La Combe est actuellement par ordre du roi, et qu’il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites, qui font ensemble, selon qu’il l’a écrit, une petite Église dans ce lieu et qu’il dit être de l’étroite confidence, et il en désigne même les personnes qui sont les plus considérables, en les appelant les colonnes de la petite Église. Mme Guyon est aussi qualifiée du titre de mère de la petite Église, et il y a sur les lieux une femme, entre autres, connue à Lourdes sous le nom de Jeannette, qui a été inspirée, instruite ou dressée sur le modèle de Mme Guyon, qui, s’il peut être permis de le dire, paraît être une sainte de la petite Église. Mme Guyon ne fait même aucune difficulté de dire que Dieu a donné réciproquement à Jeannette et à elle de grandes connaissances l’une de l’autre, sans qu’elles se soient jamais vues. Le sieur de La Sherous, prêtre et aumônier du château de Lourdes, est tellement persuadé des opinions du père de la Combe et attaché de telle sorte à lui et à Mme Guyon, que lui et le père de la Combe écrivent la même chose, que leurs lettres à Mme Guyon sont en partie écrites de la main du père de la Combe, et en partie de la main du sieur de La Sherous, et ce prêtre qui est aussi de la petite Église [f°22] et de ce qu’on appelle de l’étroite confidence, en sait autant que le père de la Combe et il écrit comme lui du secret de la secte, et il assure Mme Guyon qu’il soutiendra partout sa doctrine et qu’il n’en rougira jamais.

Tout cela supposé, il semble, Monsieur, qu’il y ait dès cette heure quelque chose à faire du côté de Lourdes pour remédier au mal qui peut être déjà fait et pour en empêcher le progrès.

Il serait bon apparemment de saisir les papiers du père de La Combe et ceux du sieur de Lasherous et d’en faire autant à l’égard de Jeannette, et on trouvera entre les mains du père de La Combe le manuscrit de l’Explication de l’Apocalypse fait par Mme Guyon, qu’elle lui a envoyé pour le revoir depuis qu’elle est revenue de Meaux. Mais tout ce qu’il plaira au roi d’ordonner sur ce sujet, doit être, s’il est possible, exécuté et ménagé sur les lieux par quelque personne sage et habile, d’autant plus qu’à l’égard du château de Lourdes, le sieur de La Sherous n’y est pas seulement avec un titre et du crédit, mais encore parce que sa parenté paraît être considérable à Lourdes. D’un autre côté on croit que le Gouverneur ou Commandant du château est aussi tellement prévenu et rempli du père de la Combe, qu’on peut douter à cet égard qu’il soit autant exact qu’il pourrait être désiré1054.

Il est échappé au père de La Combe dans ses deux dernières lettres, d’y marquer des sentiments et d’y employer des expressions assez fortes pour faire juger non seulement qu’il persiste dans la doctrine condamnée, mais encore qu’il est dans des pratiques extraordinaires qu’il serait peut-être dangereux de dissimuler après les avoir découvertes, et dont le père de La Combe pourrait être aussi justement obligé de rendre raison à ceux qui auront droit de les examiner; [f ° 22v °] et si Sa Majesté jugeait cependant qu’il fût à propos d’ôter le père de La Combe du lieu où il est, peut-être serait-il bon de l’approcher à quelque distance de Paris, tant par cette considération que pour être plus sûrement et plus exactement gardé. J’ai, Monsieur, encore beaucoup de choses à éclaircir sur son sujet avec Mme Guyon et sur d’autres articles, et je serais nécessairement obligé d’y employer plus de temps que je n’avais pensé. Mme Guyon a eu, à ce qu’elle a dit, quelques accès de fièvre et elle a pris ces trois derniers jours pour faire des remèdes, mais je la dois revoir demain. Je suis, etc.1055

Le même La Reynie donne, dans des pièces diverses rassemblées en fin du recueil manuscrit, le résumé d’une autre lettre envoyée au même ministre; suivent des notes diverses qu’il sépare par des traits et dont nous donnons quelques extraits lorsqu’elles présentent un intérêt factuel1056 :

Voilà la lettre que j’ai écrit le 22 janvier [sic] à M. de Pontchart [rain] :

[…]

La Reynie revient sur les deux lettres en provenance de Lourdes, pour en savoir plus sur les intermédiaires entre Paris et Lourdes. Il reprend les questions sur la secte présumée de la «petite Église» à partir des phrases malheureuses écrites par La Combe et par de Lasherous. Enfin le surnom de famille donné à Marie de Lavau lui pose toujours problème.

Troisième interrogatoire de Mme Guyon, le 23 janvier 1696

[f ° 140] Interrogatoire fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller ordinaire du roi en son conseil d’État de l’ordre du roi à la dame Guyon, prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu’il s’ensuit,

Du lundi 23e jour de janvier 1696 dans le cabinet du donjon du château de Vincennes,

Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, a prêté serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier âgée de 47 ans, veuve de messire Jacques Guyon chevalier seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Avons remis entre les mains de la répondante deux pièces par elle paraphées et lues ce 31 décembre dernier et 19e du présent mois datées du 10 octobre et 11 novembre, qui sont deux lettres et missives qu’elle a reconnues par son dernier interrogatoire lui avoir été écrites du château de Lourdes par le père de la Combe, et par Le Sieur Lashérous prêtre aumônier dudit château. Interpellée de déclarer quelle est la nouvelle adresse sous laquelle elle a reçu les deux dernières lettres, et dont celle qui est datée du 10 octobre,

A dit que ç’a été par la voie du bureau de la poste sous l’adresse de Mme Bernard,

Quelle était l’adresse dont elle se servait auparavant,

A dit qu’elle était sous le nom de demoiselle de Beaulieu au pavillon Adam au faubourg Saint-Antoine,

Si elle a toujours adressé toutes les lettres qu’elle a écrit [es], et ce qu’elle a envoyé au père de La Combe depuis qu’il est au château de Lourdes, à monsieur de Normande chez monsieur de Colomer banquier, rue de Peyré à Toulouse, pour faire tenir à monsieur de Lasherous de Cobotte,

A dit qu’elle n’a adressé que les seules lettres de change et un paquet de livres dont elle nous a parlé par son dernier interrogatoire au sieur de Normande chez le sieur Colomer banquier, et qu’à l’égard des lettres et missives elle les a [f ° 141] toujours adressées à Tarbes à monsieur Cossiève, prêtre prébandier de l’Église Saint-Jean de Tarbes, et que ce sont les adresses qui lui ont été envoyées de ce lieu même,

Avons représenté à la répondante deux pièces paraphées et cotées 20 et 25. Interpellée de les reconnaître, et de déclarer de quelle main elles sont écrites,

A dit après les avoir tenues que ce sont les adresses qui lui ont été envoyées, dont elle vient de faire mention pour mettre sur les lettres qu’elle répondante écrivait au père de la Combe, que la pièce cotée 25 est écrite de la main de la nommée Marc qui est à son service. Et à l’égard de la pièce cotée vingtième elle est écrite de la main d’un gentilhomme appelé M. Dupuis [Dupuy] qui faisait toutes les affaires d’elle répondante, et qui recevait même sa pension avant qu’elle fut à Meaux. Et elle étant à Meaux, elle reçut une lettre par la voie de monsieur l’évêque de Meaux, par laquelle le dit sieur Dupuis lui donna avis qu’il lui avait été fait défense de se mêler à l’avenir de ses affaires, qu’il ne s’en mêlerait plus; et en effet depuis ce temps le dit sieur Dupuis ne s’en est plus mêlé,

Ce qu’elle répondante a envoyée au père de La Combe depuis qu’il est à Lourdes :

A dit qu’autant qu’elle s’en peut souvenir, elle a envoyé en divers temps, et à plusieurs fois, savoir le dictionnaire de Moreri en trois volumes. Une autre fois des oignons de fleurs et de plantes à cause que le dit père de La Combe avait soin du jardin du château de Lourdes; qu’elle lui a envoyé un surplis; deux bréviaires en quatre parties chacun; le mandement de monsieur l’archevêque de Paris1057 contre les livres compris dans le même mandement au nombre desquels est Le Moyen court et facile,

Si elle répondante a communiqué au père de La Combe les cahiers qu’elle a dit avoir remis entre les mains de monsieur l’évêque de Meaux avant de les lui remettre,

A dit que non, et qu’il lui aurait été impossible de faire, n’ayant eu que cinq semaines de temps pour les faire, et que le père de La Combe ne les a tenus ni avant ni après qu’ils ont été faits,

S’il n’est pas vrai qu’elle a informé le père de La Combe étant à Meaux de [f ° 142] tout ce qui se passait à son égard et qu’elle lui a aussi fait savoir ce qu’elle avait souffert,

A dit qu’elle ne lui a point écrit qu’elle dût aller à Meaux, et qu’elle n’était par elle-même avertie du temps qu’elle serait obligée d’y aller, qu’étant dans le couvent de Sainte-Marie à Meaux depuis le treizième1058 janvier 1695 jusqu’au treizième juillet en suivant elle n’a écrit ni reçu aucune lettre que par les mains de la supérieure du couvent suivant l’ordre qu’elle en avait reçu de M. de Meaux. Qu’il est vrai qu’étant tombée malade dans le dit couvent et se sentant assez mal, elle écrivit une lettre au père de La Combe qu’elle remit ouverte entre les mains de la supérieure, du moins à une religieuse qui avait soin de cacheter les lettres,

Si lors qu’elle fit sortir du couvent la nommée Marc pour l’envoyer à Paris, elle ne lui donna pas des lettres qu’elle avait écrites pour diriger des personnes et entr’autre pour le père de la Combe, le tout indépendamment de la supérieure du couvent,

A dit que les religieuses, et non elle répondante firent sortir du couvent ladite Marc pour faire leurs provisions et qu’elle répondante ne se souvient pas si elle écrivit ou non par ladite Marc, ni si elle écrivit par elle au père de la Combe. Et quant à ce qu’elle a souscrit dressé par M. l’évêque de Meaux, elle répondante n’en a pu donner avis audit père de la Combe que depuis sa sortie. Cela n’ayant été fait que deux jours devant sa sortie du dit couvent, mais qu’elle peut bien en avoir informé le père de La Combe par les lettres qu’elle a écrite depuis sa sortie au père de la Combe, mais qu’elle ne peut se souvenir si elle a envoyé ou non la copie de l’écrit de ce qu’elle avait souscrit et remis entre les mains de monsieur l’évêque de Meaux,

Si elle a fait connaître par cette lettre au père de la Combe, qu’elle persistait dans le sentiment qu’elle avait avant d’en avoir souffert la condamnation,

A dit que non.

A quoi donc elle répondante applique ces termes de la réponse qui lui a été faite par le dit père de la Combe, et qui sont à la fin de la troisième page de ladite lettre : «Ô illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit maître qui suivez la lumière dont je vous éclaire et le consultez dans toute entreprise1059». Et sur quoi elle répondante est qualifiée [f ° 143] de persécutée, pourquoi femme forte, si elle répondante a fait connaître au père de La Combe qu’elle eût changé de sentiment et qu’elle se fut soumise,

A dit que ce n’est pas le père de La Combe qui lui a écrit en ces termes, mais bien le Sieur de Lasherous, auquel elle répondante n’avait point écrit, et quand elle est qualifiée du titre de persécutée, c’est que tout le monde sait bien qu’elle a été calomniée depuis plus de quatorze années, quoiqu’elle ait toujours demandé qu’on examinât sa conduite,

Pourquoi elle répondante est qualifiée de mère de la petite Église,

A dit qu’elle n’en sait pas la raison1060, et qu’il la faut demander à ceux qui l’ont écrit et qu’ils ne l’ont qualifiée de ce titre que cette fois-là qu’elle sache,

Ce que signifient ces autres termes de servante du petit maître,

A dit que c’est à cause qu’elle a toujours eu une dévotion particulière à l’Enfant Jésus, et qu’elle avait accoutumée de l’appeler son petit maître,

Qu’elle est cette doctrine dont il est fait mention sur la fin de la troisième page de la lettre représentée datée du onzième de novembre en ces termes, «Je ne rougirai jamais Madame en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, discipline et mœurs, comme je l’ai fait en présence de notre prélat à son retour de Paris au sujet de l’illustre et plus qu’aimable père»,

A dit que c’est le sieur de Lasherous qui a écrit en ces termes, et qu’elle croit bien qu’il juge d’elle répondante (qu’il ne connaît pas) par le sentiment du père de la Combe, lequel pour marquer sa soumission à l’Église, n’a voulu écrire quoi que ce soit pour soutenir son livre depuis que ledit livre a été condamné, quoiqu’il eût été approuvé par l’Inquisition de Verceil, sur l’ordre qu’elle en avait reçu de la Sacrée Congrégation,

Avons remontré à la répondante qu’il paraît tout à fait extraordinaire de voir dans une lettre écrite en partie par le père de La Combe et en partie par le dit Sieur de Lasherous, que deux prêtres attribuent à elle répondante une doctrine et une discipline particulière; à elle remontré qu’elle doit expliquer ce que c’est, et sur quoi elle est qualifiée de mère des enfants de la petite Église, et qu’il n’est pas moins extraordinaire de voir que ces deux prêtres aux termes [f ° 144] de leur lettre professent la doctrine d’une femme, qui n’a et qui ne peut avoir aucun droit ni caractère d’enseigner aucune doctrine et discipline particulière,

A dit qu’elle ne peut entendre autre chose par ces termes de ladite lettre si ce n’est que ceux qui l’ont écrit (croient qu’elle n’a pas de mauvais sentiment) que sa foi est orthodoxe, qu’elle n’a aucun sentiment relâché, et qu’il n’y a aucune corruption dans ses mœurs, que si ils ont entendu autre chose, c’est à eux à qui il le faut demander,

Si ce n’est par ce suivant cette même doctrine particulière que le père de La Combe lui a écrit par la lettre représentée du 10e octobre «voyez donc devant Dieu ce que le cœur vous dira là-dessus» et ce qui est écrit ensuite, au sujet de Jeannette : «elle se sentit inspirée de vous demander un anneau d’or pour elle, et d’argent pour les deux confidentes.»

A dit qu’elle n’a pas de part à cela, et qu’il n’y a point de bonne pensée si elle ne nous est donnée d’en haut,

Si ce n’est pas, suivant cette même doctrine et discipline qui lui sont attribuées, et sur son propre état, que ledit père de La Combe lui a écrit par la même lettre du 10e octobre en ces termes : «Si je vous écrit quelque chose touchant votre état, ce n’est pas pour vous rassurer, l’homme est très incapable de donner des assurances à une âme à qui Dieu lui ôte tout etc., et qu’il veut dans une affreuse apparence, et même conviction de perte, et de désespoir, une ruine, et destruction entière», n’est pas compatible avec la sécurité. Je vous en dis seulement ma pensée sans la faire valoir, et sans prétendre qu’elle sert à autre chose,

A dit que le père de La Combe lui a écrit que la nommée Jeannette1061 avait de si hautes connaissances, et tenait1062 sur elle répondante qu’elle n’a pu se persuader qu’elles ne fussent bien fondées, Dieu lui faisant sentir tout le contraire, et se souvient qu’elle répondante a entendu dans le temps qu’elle a reçu ladite lettre, que le père de La Combe ne prétendait pas la rassurer parce qu’il n’y a que Dieu qui le puisse faire,

Quel est le véritable sujet qui l’oblige d’être en correspondance avec des ecclésiastiques capables de lui écrire en ces termes, et d’avoir d’aussi étranges [f ° 145] sentiments de son état,

A dit que ce qui a donné lieu à écrire dans ces termes qui touchent son état tient toujours de ce que ladite Jeannette avait fait entendre au père de la Combe, par le sieur de Lasherous, sur le sujet d’elle répondante; et sur ce qu’elle avait écrit audit père de la Combe, qu’elle ne se pouvait appuyer sur ce que ladite Jeannette avait dit sur son sujet, «que Dieu la regardait comme une personne qu’il aimait et qui lui était chère», puisqu’elle «ne trouvait rien en elle-même»1063 sur quoi elle pût appuyer, étant lors dans un état de délaissement.

Ce qu’elle a entendu par cet autre terme de ladite lettre du père de La Combe (après lui avoir demandé les trois bagues pour Jeannette dont j’ai fait mention) : «pour moi vous me donnerez ce que le cœur vous dira, je voudrais avoir le portrait que je vous rendis à Passy1064 et je vous prie de ne me le pas refuser. Venez vous-même s’il se peut, et nous aurons tout en votre personne1065»,

A dit qu’une fille dévote qui est morte à présent ayant fait le portrait d’elle répondante en pastel, ladite fille remit ledit portrait au père de la Combe, et elle répondante ayant su que ladite fille l’avait donné au père de la Combe, elle fut quinze jours après ou environ demander ledit portrait au père de La Combe qui le lui rendit à Passy,

Si ce n’était pas la demoiselle Desgrée qui travaillait souvent chez elle répondante qui avait fait ledit portrait,

A dit qu’oui et que ladite Desgrée1066 avait même fait une copie dudit portrait, ne sait ce que l’original est devenu, mais croit en avoir brûlé la copie,

Ce qu’elle avait écrit audit père de La Combe qui a donné lieu de lui écrire de sa part en ces termes «que nous dites-vous qu’on vous a empoisonnée, est-il possible que la matière soit allée jusqu’à un tel excès, mais comment votre corps si délicat, si faible, a-t-il pu résister à la violence du poison, avez-vous su par quelle main ce crime a été commis, pauvre victime» et le reste, et si elle répondante a été effectivement empoisonnée, et en quelque temps,

A dit qu’il y a six ans que cet accident lui arriva1067 mais qu’elle [f ° 146] n’en avait point écrit jusque-là au père de la Combe, et qu’elle lui en écrivit seulement afin de consulter si les eaux des Pyrénées seraient propres à la soulager, par rapport à l’accident qui lui était arrivé, dont elle a soupçonné un laquais qui était entré à son service, et qui disparut aussitôt après, sans qu’elle l’ait revu de puis, et sans qu’elle ait cherché ni entendu quel pouvait être le motif de ce laquais, ou de ceux qui s’étaient servis de lui, et quand elle l’aurait connu, elle n’en aurait jamais parlé,

Ce qu’elle a entendu par ces autres termes de la lettre datée le onzième novembre qui sont à la fin de la troisième page de ladite lettre, «il ne manque pas ici des Égyptiens qui recherchent les petits des premiers nés des Israélites pour les submerger.»

A dit qu’elle n’a pas entendu ce que le dit sieur de Lasherous a voulu dire, et que c’est à lui qu’il en faut demander l’explication,

Ce qu’elle a aussi entendu par ces autres termes qui sont écrits sur la fin de la troisième page de la lettre datée du dixième octobre : «Ô Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l’éternité dans votre dessein1068»,

A dit qu’elle a compris que le père de La Combe entendait par ces termes que Dieu fera connaître un jour l’innocence d’elle répondante, et que le père de La Combe a toujours cette pensée dans l’esprit,

Qui sont les deux personnes dont il est écrit au même endroit : «Je ne serais pas fâché de voir famille1069, je salue aussi l’autre de bon cœur» :

A dit que ce sont les deux filles qui sont à son service, et que celle qui est désignée par le nom de famille est celle qui est actuellement auprès d’elle répondante, à laquelle on donna le nom de Sainte famille dans le couvent des ursulines de Thonon en Savoie,

De quel intérêt avait le père de La Combe de savoir le nom de celui qui avait été nommé évêque de Genève qu’il a demandé par la même lettre à elle répondante,

A dit que le père de La Combe est du diocèse de Genève et qu’il y a fait des missions pendant [f ° 147] plusieurs années,

Ce fait les deux pièces ci-dessus représentées ont été paraphées de nous et de la répondante,

Lecture faite du présent interrogatoire et dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minute.

Quatrième interrogatoire de Mme Guyon, le 26 janvier 1696

Le long exposé par la répondante du voyage à Gex au service des Nouvelles Catholiques concorde avec le récit de la Vie qu’elle savait être entre les mains de Bossuet. Le récit du séjour italien fournit d’intéressantes indications complémentaires.

Le jeudi 26e janvier 1696 dans le donjon dudit château de Vincennes,

Interrogée de son nom, surnom, âge qualité et demeure après serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier veuve de messire Jacques Guion chevalier seigneur du Quesnoy âgée de 47 ans demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Avons remontré à la répondante qu’elle a dit entre autres choses par son dernier interrogatoire que depuis quatorze années elle a été continuellement calomniée sans expliquer autrement quel en a été le sujet ou le prétexte, ce que pour un plus grand éclaircissement des faits sur lesquels elle est interrogée, elle peut dire présentement ce qui a donné lieu à ces calomnies, et faire connaître aussi particulièrement le sujet de tous les voyages qu’elle a faits depuis qu’elle s’est retirée de Montargis, qui était le lieu d’établissement et de sa demeure ordinaire,

A dit avant de répondre à ce que nous lui demandons présentement, qu’elle s’est souvenue depuis son dernier interrogatoire, sur le sujet de ce que nous lui avons demandé, qu’elle avait envoyé au père de la Combe, qu’outre ce qu’elle a déclaré, elle lui a envoyé il y a déjà plusieurs années des cahiers de philosophie et de théologie que ledit père de La Combe lui avait laissés entre les mains, et qu’elle lui envoya outre cela un livre de Job1070, et un autre livre du père Benoît de Canfeld capucin, de la Volonté de Dieu1071; qu’elle s’en [est] aussi souvenue que pendant le temps qu’elle a été dans le couvent des filles de Sainte-Marie de Meaux, la nommée Marc1072 sa domestique, est sortie deux fois du couvent, quoiqu’elle ait dit par son précédent interrogatoire que ladite Marc n’était sortie qu’une fois, ne s’étant pas souvenue dans ce temps-là comme elle a fait depuis, que ladite Marc est sortie encore une autre fois; s’est pareillement souvenue que lorsqu’elle fut malade dans ledit couvent elle envoya aussi au père de La Combe les 34 articles qui lui furent présentés par M. l’évêque de Meaux, et au bout desquels elle a écrit et signé sa [f ° 149] soumission, de laquelle soumission, elle envoya aussi copie en même temps au père de la Combe, auquel elle écrivit, et par la réponse que le père de La Combe lui fit, il marqua à elle répondante, qu’il signerait les 34 articles de tout son cœur si on les lui présentait1073, et la copie des dix articles et soumission qu’elle envoya étaient écrits de la main de ladite Marc1074; et répondant à ce que nous lui demandions, elle dit qu’elle ne se plaint de personne, et qu’elle n’a pas su même bien précisément quels étaient les prétextes des calomnies qu’on faisait contre elle.

Quant aux voyages qu’elle a faits, elle nous les a déclarés aussi bien que les motifs qui l’ont obligée de les faire, et que ce fut en l’année 1683, après que Dieu lui eût fait la grâce de s’employer à la conversion de plusieurs protestants de la ville de Montargis, que Dieu lui inspira aussi la pensée de s’employer à la conversion des calvinistes de Genève, et pendant qu’elle en avait l’esprit rempli, elle communiqua cette pensée à plusieurs personnes de piété qui était dispersées en plusieurs endroits du royaume, et qui étaient dans une haute estime de piété et de science, qui indépendamment les unes des autres approuvèrent toutes le dessein qu’elle avait de passer à Genève, et que le père Chaupignon1075, religieux jacobin qui était en ce même temps-là en la ville de Chartres fut inspiré en disant la messe de venir trouver elle répondante, à une petite maison où elle était retirée proche Montargis pour lui communiquer une autre pensée que ledit père Chaupignon avait pour lui-même, et y étant venu il communiqua à elle répondante, le désir qu’il avait de se retirer à la Trappe ou de passer au Japon pour la conversion des idolâtres, et sur cela elle dit audit père Chaupignon que ce n’était pas pour cela que Dieu l’avait envoyé vers elle, mais bien au contraire afin qu’il lui donne un conseil touchant son dessein de passer à Genève. Et après que ledit père Chaupignon eut prié pendant trois jours et célébré la sainte messe pour demander à Dieu la grâce de faire connaître ce qu’elle répondante devait faire, il lui dit qu’il ne voyait rien de mieux à faire que d’en parler à M. l’évêque de Genève1076, et que si M. de Genève approuvait ce dessein on pouvait assurer qu’il était dans l’ordre de Dieu, et dans ce même temps deux religieux barnabites étant arrivés dans la même maison de campagne d’elle répondante, ils lui apprirent que [f ° 150] M. l’évêque de Genève était à Paris.

Et elle l’ayant dit au père Chaupignon, il voulut bien se rendre à Paris pour conférer avec M. l’évêque de Genève, et ayant même expliqué l’état d’elle répondante, M. l’évêque de Genève lui répondit suivant que le père Chaupignon rapporta à elle répondant qu’il fallait que la dame de laquelle il lui voulait eût un grand amour de Dieu ou qu’elle fût folle1077; que M. l’évêque de Genève ajouta à cela qu’il méditait depuis longtemps de faire un établissement de Nouvelles Catholiques dans son diocèse, après quoi elle répondante se rendit à Paris, vit diverses fois M. l’évêque de Genève, et considérant que si elle était une fois à Genève, ayant du bien pour y faire quelques dépenses, même par la distribution de remèdes dont elle avait une connaissance particulière, ce dont elle avait fait beaucoup d’expérience en les appliquant à divers pauvres dont elle avait pris soin1078, elle pourrait faire des progrès et convertir des hérétiques;

Elle1079 se disposa pour exécuter son dessein qu’elle communiqua à la sœur Garnier, supérieure de la maison des Nouvelles Catholiques de Paris qui s’offrit d’aller avec elle répondante1080, mais la sœur supérieure ne lui ayant pas voulu permettre, la sœur Garnier lui donna trois sœurs de la maison, du nombre desquelles était une jeune fille parfaitement belle, bien faite et très sage, qu’elle répondante a fait depuis religieuse au couvent de Puyberlay en Poitou, et avec les trois sœurs et deux autres filles qu’elle répondante avait, et sa propre fille qui est à présent la dame comtesse de Vaux, et qui était alors âgée de cinq ans quelques mois, fut à Lyon par la diligence, de là prit le carrosse jusqu’à Chambéry, et de Chambéry fut à Annecy, où elle trouva M. l’évêque de Genève qui lui fit entendre que le projet qu’elle avait fait de s’établir dans Genève était alors impraticable, mais que dans peu les dispositions pourraient changer, et persuada elle répondante d’aller à Gex;

Et M. l’évêque de Genève s’étant rendu à Gex quelques jours après, elle répondante lui fit connaître son état intérieur, et le pria de la vouloir conduire, mais M. de Genève lui ayant dit sur cela qu’il croyait bien qu’elle était dans une bonne voie, sans pouvoir néanmoins se charger de sa conduite, mais qui lui donnerait un homme qui serait capable de le faire et auquel [f ° 151] elle pourrait se confier comme à lui-même, qui était le père de La Combe1081 qu’elle répondante n’avait vu depuis dix ans, que ledit père de La Combe passant à Montargis pour aller à Boulogne [Bologne] en Italie, lui rendit une lettre du père de la Motte aussi barnabite1082; que dans ce temps-là, et pendant le séjour qu’elle fit à Gex, un ecclésiastique du pays ayant fait des visites qu’elle répondante croyait trop fréquentes à la jeune sœur des Nouvelles Catholiques qu’elle avait amenée1083, elle répondante en avertit ledit ecclésiastique qui n’en fut pas content, et parce que dans le lieu particulier où elle répondante avait commencé de faire quelque sorte d’établissement à Gex, il y logeait, et elle faisait recevoir tous les pauvres enfants qui se trouvaient bien souvent affligés de différentes maladies, elle répondante jugea nécessaire de mettre sa fille en quelque autre endroit, où elle fut plus convenablement à son âge et pour son éducation;

Et ayant désiré de la mettre dans un couvent des ursulines de Thonon1084, elle se disposa à la mener elle-même, mais l’ecclésiastique auquel elle avait parlé, ne lui ayant voulu faire trouver aucun équipage, elle répondante fut obligée de s’adresser au père de la Combe, qui lui fit trouver des chevaux, et parce qu’elle ne connaissait ni les chemins ni le pays, le père de La Combe s’offrit de l’accompagner à ce voyage, ce qu’il fit, et ce voyage fut fait avec quatre1085 ou cinq chevaux sur l’un desquels un homme du pays prit devant lui la fille d’elle répondante, et elle répondante monta un autre cheval, le père de La Combe sur un autre et une fille sur le quatrième, elle répondante ayant toujours un grand laquais qui était à son service auprès d’elle, parce qu’elle ne sait pas aller à cheval; qu’étant arrivée à Thonon, elle entra au même moment avec sa fille au couvent des ursulines où elle demeura dix ou douze jours, jusqu’à ce que sa fille se fut accoutumée avec les religieuses du couvent, après quoi elle s’en revint à Gex, d’où le père de La Combe l’accompagna sur le lac jusqu’à la ville de Genève1086, où M. le Résident du roi lui ayant fait donner des chevaux, elle se rendit à Gex avec un autre ecclésiastique du pays.

Pendant six ou sept mois de séjour qu’elle fit au dit lieu de Gex, après avoir fait une dépense considérable pour l’établissement [f ° 152] nouveau qu’elle y faisait, elle fut sollicitée et pressée par l’ecclésiastique dont elle a fait mention ci-dessus, et qui n’était pas content d’elle répondante d’employer à fonder la maison des Nouvelles Catholiques à Gex le peu de bien qu’elle s’était réservée après avoir fait une donation de tout le reste à ses enfants pendant le séjour qu’elle fit à Gex en l’année 1682, à ce qu’elle croit; elle fit difficulté d’en suivre la proposition, et ledit ecclésiastique ayant obligé M. l’évêque de Genève de la presser de son côté sur le même sujet1087, et elle lui ayant fait entendre les raisons qu’elle pouvait avoir pour ne le pas faire, sitôt M. l’évêque de Genève approuva d’abord ses raisons, et depuis ledit ecclésiastique ayant encore fait changer de sentiment M. de Genève, elle répondante fut obligée de se retirer à Thonon dans le couvent des ursulines, où elle demeura environ trois années1088;

Et dès le lendemain qu’elle répondante fut arrivée, le père de la Combe, après avoir dit la messe aux ursulines, partit pour aller prêcher le carême à Oste [val d’Aoste], d’où il passa ensuite à Rome pour les affaires de sa congrégation, où il demeura encore près d’un an, et lorsque le père de La Combe revint au dit lieu de Thonon dont il était supérieur, la sœur d’elle répondante, qui était religieuse ursuline1089 du couvent de Montargis, arriva au dit lieu avec une permission de M. l’archevêque de Sens, et une lettre pour elle répondante par laquelle il l’invitait de revenir dans son diocèse, que cependant M. de Genève ayant dit au père de La Combe de porter elle répondante à donner le bien qu’elle avait réservé à la maison des Nouvelles Catholiques de Gex, et le père de La Combe s’étant excusé de l’exiger d’elle répondante, M. l’évêque de Genève lui en veut mauvais gré, et le1090 menaça de l’interdire;

Mais les persécutions de l’ecclésiastique de Gex pendant tout ce temps-là n’ayant pas cessé de la part dudit ecclésiastique de Gex nonobstant l’offre qu’elle répondante faisait de donner mille livres tournois de rente à ladite maison de Gex pendant qu’elle serait dans le pays, qu’elle a donné pendant les trois années qu’elle a demeuré à Thonon, madame de Savoie en fut enfin avertie et cette princesse ayant d’ailleurs quelque mécontentement de M. l’évêque de Genève de ce qu’il avait écrit contre elle [f ° 153] à M. le duc de Savoie avant son mariage, madame de Savoie envoya à elle répondante une lettre de cachet qui fut expédiée par M. le marquis de Saint-Thomas secrétaire d’état, avec ordre à elle répondante de se rendre à Turin, et au père de La Combe de l’y accompagner, ce qu’il fit1091, et afin qu’en exécutant cet ordre le voyage fût fait avec toute convenance possible, elle répondante désira qu’un autre religieux du même ordre du père de La Combe les accompagnât jusqu’à Turin. Le père Alexis Fau... âgé lors d’environ quarante ou quarante-cinq ans, vint à Turin avec elle répondante, sa fille et la servante qui est actuellement auprès d’elle appelée Marie de Lavau, et connue en divers endroits sous le nom de famille;

Que pendant huit ou neuf mois qu’elle demeura à Turin, elle fut toujours chez la marquise de Pruné sœur de M. le marquis de Saint-Thomas1092, que le père de La Combe s’en retourna après cela à Verceil, et madame Royale1093 ayant désiré de l’entendre prêcher en français, il y vint prêcher l’Avent à Turin, d’où M. l’évêque de Verceil1094 le rappela le quatrième dimanche de l’Avent; que pendant le séjour qu’elle répondante fit à Turin, le fils de la dame de Pruné étant revenu des études dans la maison de sa mère, elle répondante eut quelque peine, à cause de sa fille, ne croyant pas convenable qu’elle y demeurât davantage à cause du retour du fils de la maison qui était un jeune homme, et ayant proposé sa difficulté à ladite dame de Pruné, qui avait d’ailleurs quelque pensée de faire un jour le mariage de son fils avec la fille de la répondante, elle lui donna conseil de la mettre à Monfleury en Dauphiné. D’un autre côté M. l’évêque de Verceil ayant eu la pensée d’établir une congrégation, à peu près comme celle de Mme de Miramion, ladite dame de Pruné ayant représenté à elle répondante que dans la suite M. l’évêque de Verceil penserait aussi à faire le mariage de sa fille avec l’un de ses neveux, si elle la mettait dans le couvent des filles de Sainte-Marie de Turin, où M. de Verceil avait une sœur religieuse, elle répondante prit la résolution de la mener, comme elle fit, à Monfleury.

Cependant M. de Verceil ayant eu avis de sa résolution lui écrivit plusieurs fois, et lui envoya le père de La Combe à Grenoble pour la persuader [f° 154] d’aller à Verceil pour faire l’établissement de la congrégation dont elle a ci-devant parlé1095, mais s’en étant excusée, et six mois après elle répondante, voulant revenir chez ladite dame marquise de Pruné1096 à Turin, suivant qu’elle lui avait promis, elle partit pour cet effet de Grenoble; et la montagne étant dans ce temps trop difficile à passer, elle fut conseillée de s’embarquer sur le Rhône, et le sieur Lyons promoteur de M. de Grenoble avec un autre ecclésiastique de la connaissance du dit sieur Lyons s’offrirent de l’accompagner jusqu’à Marseille, où le sieur Lyons qui est du pays avait quelque consultation à faire pour sa santé. Et en partant de Grenoble le sieur comte de Tache l’ayant chargé d’un paquet pour le sieur chevalier de Moreüil, et dans ce paquet s’y étant trouvé un livre du Moyen court et facile..., lors de l’ouverture du paquet par l’aumônier de Galeve dudit sieur chevalier de Moreüil, qui était bien de septante-deux disciples de Saint-Ciran1097, le prétexte de ce livre attira un grand nombre de personnes à la maison où la répondante était logée, pour lui faire insulte, ce qui l’obligea de voir M. de Marseille et de se retirer après cela, pour continuer son chemin à Verceil où elle demeura pendant six mois.

Et ayant résolu de repasser en France, à cause du mauvais air de ce lieu, elle en partit après six mois de séjour, et M. l’évêque de Verceil lui donna un carrosse, un ecclésiastique et un gentilhomme pour l’accompagner, et parce qu’en ce même temps le général des barnabites vint à décéder, et que le père Aupois qui était premier assistant, avec l’autorité du général, avait destiné le père de La Combe pour être de la maison et famille de Paris, le dit père Aupois ordonna au dit père de La Combe d’accompagner elle répondante, comme il fit, premièrement jusqu’à Grenoble, où elle répondante prit sa fille à Monfleury, et partirent de Grenoble avec le père de La Combe par les voitures publiques jusqu’à Lyon où elle répondante remit sa fille avec sa gouvernante entre les mains du père de la Mothe pour la mettre au couvent de Malnoüe jusqu’à ce qu’elle répondante fût arrivée à Paris; qu’elle partit de Lyon avec le père de La Combe dans une voiture publique, et furent à Dijon chez la dame Languet, où elle demeura [f° 155] pendant quelque temps.

Pendant lequel le dit père de La Combe allait et venait à un lieu proche de Dijon, où l’on voulait faire un établissement d’une maison de leur ordre, et après avoir demeuré en ce lieu environ 15 jours, elle répondante revint à Paris par la voiture publique avec la fille qui l’avait toujours suivie, le père de La Combe était dans la même voiture1098, mais elle répondante pria le beau-père du sieur marquis de Montpipault de vouloir bien accompagner elle répondante jusqu’à Paris1099.

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ces réponses contenir vérité a persévéré et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minut.1100.

Lettre d’envoi

Ce quatrième interrogatoire, important par son long historique, fut envoyé accompagné de la lettre qui suit. On observe une certaine discrétion de La Reynie1101. Plus tard, lorsque la capacité de résistance de l’accusée deviendra évidente, il sera relayé par d’Argenson, interrogateur plus musclé opérant au sein de la Bastille :

M./Je vous envoie l’interrogatoire de Mme Guyon du 26 de ce mois, où elle a fait l’histoire de ses voyages avec le père de La Combe et expliqué les motifs qui l’ont engagée à les faire. L’honnêteté à l’égard de cette dame et la décence ne m’ont pas permis de l’interroger au-delà et j’ai recueilli simplement ce qu’elle a bien voulu dire sur ces points. Cependant tout adouci et accommodé que puissent être1102, il semble qu’il n’en résulte rien qui convienne aux grandes idées qu’on s’est fait de l’esprit et de la conduite de cette femme.

Je repris hier la suite de cette histoire par un autre interrogatoire que je vous enverrai incessamment M. et vous y verrez encore quelques nouvelles circonstances des voyages, vous y trouverez aussi l’histoire des livres, de la composition prétendue de Mme Guyon, qui n’augmentera pas apparemment l’estime que plusieurs personnes en ont faite jusqu’ici. Comme il n’y a rien cependant qui empêche d’entrer dans une plus grande discussion des faits sur cet article, il sera aussi sans doute beaucoup plus étendu que l’autre.

Je dois même M. vous rendre compte par avance, que Mme Guyon depuis la condamnation de ses [f ° 25v °] livres et depuis sa soumission, a non seulement envoyé au père de La Combe à Lourdes le manuscrit de l’explication de l’Apocalypse, pour le revoir et pour le corriger, mais elle a aussi donné, de plus, au père Alleaume, jésuite, les livres imprimés du Cantique des cantiques, qu’elle dit avoir composés pour les revoir et pour les corriger. Ce même interrogatoire que je vous enverrai monsieur après celui du 26, vous fera connaître d’autres circonstances du commerce que Mme Guyon a eu avec le père Alleaume. J’ai cru que je devais vous envoyer la copie des remarques et des corrections écrites de la main du père Alleaume, qu’il a faites sur le livre des Cantiques qui vous feront connaître les fautes d’expresssion et de langage et qu’il a corrigé [… illis.] qui sont au-delà de la Loire et qu’elles ne peuvent être de Paris ni de Montargis.

Je vous envoie aussi M. une lettre écrite à Mme Guyon peu de jours avant qu’elle ait été arrêtée, et comme elle contient une espèce de confession : je n’en ai fait aucun usage pour cette raison et par les autres considérations qui s’entendent par la lettre même. Je l’ai montrée à Mme Guyon avec quatre petites tresses de cheveux blonds qui étaient dans cette lettre1103. Elle a dit à l’égard des cheveux que ce sont des cheveux qu’elle a coupés à l’une des femmes qu’elle avait auprès d’elle que c’était pour s’en servir à coiffer les figures de cire de l’enfant Jésus qu’elle a chez elle et cela peut être vrai. Du reste M. elle n’est dit qu’elle ne nommerait jamais celui qui lui a écrit cette lettre, qu’elle m’assurait qu’elle n’en a fait jamais reçu aucune autre, qu’elle ne [f ° 26] l’avait jamais vu et qu’elle ne lui avait aussi écrit qu’une seule fois, pour lui faire réponse, et pour finir tout commerce. Mais sur ce que je lui ai dit simplement que le dernier article de la lettre faisait facilement connaître celui qui l’avait écrite, elle a répliqué vivement pour empêcher qu’on ne l’attribuât mal à propos à quelqu’un, elle voulut bien dire que celui qui l’avait écrite était très proche parent de la personne dont il est fait mention à la fin de la lettre. Sa Majesté jugera s’il y a quelque autre usage à faire de cette lettre. Je suis etc. 1104. /[à] M. de Pontchartrain /29 de janvier 1696.

La Reynie l’interroge sur ses voyages «hors du royaume», puis sur les contributions des correcteurs de ses ouvrages, dont le père Alleaume1105 et le père La Combe, enfin sur divers capucins rencontrés près de Grenoble. On note l’intérêt particulier pour les années de voyage en Savoie et en Italie : les années parisiennes sont bien connues (par Mme de Maintenon, l’Official Pirot, etc.) et ne semblent pas permettre une mise en cause de la répondante sur le plan moral. Par contre le général des chartreux dom Le Masson qui s’opposa violemment à la «Dame Directrice» fut à l’origine d’insinuations sur les mœurs1106.

Cinquième interrogatoire de Mme Guyon, le 28 janvier 1696

[f ° 156] Cinquième interrogatoire de la dame Guyon1107.

Interrogatoire fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie conseiller ordinaire du roi en son conseil d’État de l’ordre du roi, à la dame Guyon prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu’il ensuit,

Du samedi 28e janvier 1696 dans le donjon dudit château de Vincennes,

Interrogée de son nom, surnom, âge qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier veuve de messire Jacques Guyon chevalier seigneur du Quesnoy, âgée de 47 ans demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Avons remontré à la répondante qu’après avoir expliqué elle-même par son interrogatoire du 26e de ce mois les voyages qu’elle a faits depuis l’année 1681; et les motifs qui l’ont portée à sortir de son pays à l’âge de trente-deux ans, de quitter ses parents, son bien, deux de ses propres enfants, et de sortir après cela du Royaume avec la plus jeune de ses enfants, sa fille âgée en ce temps-là de cinq ans seulement, il est encore à désirer qu’elle fasse plus clairement connaître la véritable cause qui l’a obligée de passer plusieurs années de suite en Savoie et en Piémont et qu’elle explique aussi davantage s’il est possible le motif de son retour en France dans le temps précisément que le père de La Combe a obtenu de son supérieur la permission d’y venir et pourquoi aussi le père de La Combe a fait encore ce dernier voyage avec elle répondante, et l’a toujours1108 accompagnée depuis Verceil jusqu’à Paris,

A dit qu’elle a toujours espéré que son dessein pour la ville de Genève pourrait avoir quelque succès, qu’elle a fait plusieurs tentatives pour cela pendant son séjour en Savoie et en Piémont, et qu’étant une fois entre autres à Genève, elle y fut maltraitée et battue dans l’Église de Saint-Pierre, parce qu’elle avait reçu dans la maison de Gex la fille d’un ministre, et la sœur d’un seigneur de la ville; que depuis ce temps-là un ecclésiastique de Grenoble ayant eu dessein [f ° 157] d’établir un hôpital aux portes de Genève et de donner pour cet effet une somme considérable, elle répondante voulut concourir à ce même dessein, mais s’y étant trouvé de grandes difficultés ce dessein resta sans aucune exécution1109; qu’elle répondante a demeuré cinq années à Gex, en Savoie et Piedmont, et que le père de La Combe n’a jamais demeuré trois mois de suite dans les lieux où elle a été, à la réserve de Verceil où elle a été1110 pendant quatre ou cinq mois,

Si elle répondante a passé en quelques autres lieux d’Italie,

A dit qu’étant à Marseille, ainsi qu’elle l’a déclaré par son précédent interrogatoire, elle fut à Nice, et n’ayant pu passer la montagne à cause de la neige, elle s’embarqua dans une chaloupe pour aller jusqu’à Savone1111 et la tempête les ayant portés à Gênes, elle y fut pendant deux jours seulement, et que de Gênes elle se rendit à Verceil et n’a point fait d’autre voyage; qu’à l’égard de son retour en France, sa mauvaise santé1112 causée par le mauvais air de Verceil, l’obligea de quitter ce pays-là, par le conseil même de M. l’évêque de Verceil; et à l’égard du père de la Combe, il en était parti environ à un mois avant, mais le père Arpoie qui tenait la place du général de la congrégation lui ordonna de venir prendre elle répondante à Turin ou en deçà de la montagne et de l’accompagner jusqu’à Paris1113;

En quelle année elle répondante revint en France et arriva à Paris,

A dit que ce fut en l’année 1686, et qu’elle arriva à Paris la veille de la fête de la Madeleine

En quel temps et en quel lieu le père de La Combe fut arrêté par ordre du roi,

A dit que ce fut en la maison des barnabites à Paris, croit que ce fut quatre ou cinq mois après qu’il y fût arrivé1114 et que ce fut le troisième d’octobre veille de Saint-François, ne peut néanmoins se souvenir précisément s’il fut arrêté dans la même année qu’il vînt à Paris ou l’année suivante

A quelle personne elle a communiqué son livre de «Cantique des Cantiques de Salomon interprété selon le génie mystique» pour le revoir sur l’impression [f ° 158] qui en avait été fait,

A dit qu’elle répondante ayant donné son manuscrit à un ecclésiastique pour le copier, il en retint une copie indépendamment d’elle répondante et du père de la Combe, qui était lors à Verceil1115, et elle répondante à Grenoble, que ledit ecclésiastique portant un an après sa copie qu’il fit imprimer à Lyon par le nommé Briaçon, et elle répondante en ayant eu avis aussi bien que le père de la Combe, il écrivit trois différentes lettres au dit Briaçon pour le prier de ne pas imprimer, et le dit père de la Combe, voyant qu’il ne pouvait empêcher cette impression, écrivit au dit Briaçon de suspendre la continuation de l’impression des feuilles dudit livre jusqu’à ce qu’il y eut fait une préface que le père de La Combe fit ensuite, et qui est celle qui est au commencement dudit livre1116, que sans cela elle répondante se serait contentée d’y mettre le texte qui se voit encore au dit livre; qu’elle répondante le composa pendant son séjour de Grenoble, sur ce que, en lisant l’Écriture, il lui vint plusieurs pensées qu’elle écrivit rapidement en telle sorte que ledit livre fut composé et écrit dans l’espace d’un jour et demi après avoir demandé la permission au père de La Combe d’écrire sur ce sujet les pensées qu’elle avait; et le père de La Combe étant venu ensuite à Grenoble de la part de M. l’évêque de Verceil, elle répondante lui montra ledit manuscrit en lui disant le peu de temps qu’elle y avait employé, et le père de La Combe ayant vu l’étendue du dit manuscrit lui dit sans l’examiner autrement que cela n’était bon que jeter au feu, et elle, pour obéir le jeta sur-le-champ dans le feu, mais le père de La Combe l’en retira aussitôt1117,

Avons représenté à la répondante une pièce remise en notre main avec d’autres papiers et livres suivant l’ordre du roi par M. François Desgrez, et qu’il a dit avoir été par lui trouvés parmi les livres qui étaient dans l’appartement qu’elle répondante occupait en la maison de Paincourt, lors que ses meubles ont été transportés suivant l’intention d’elle répondante, ladite pièce commençant par ces mots «voici le peu que j’ai trouvé» et finissant sur la troisième page par [f ° 159] ces autres mots : «peut commencer à rentrer et à sortir». Interpellée de la reconnaître, et de déclarer si les observations qui sont dans ladite pièce lui ont pas été renvoyées sur son livre imprimé du Cantique des Cantiques, en quel temps elle les a reçues, et par qui lesdites observations ont été faites,

A dit que depuis environ trois mois avant qu’elle ait été arrêtée, et que depuis son retour de Meaux, elle donna au père Aleaume jésuite ledit livre, le pria s’il l’avait, ne peut dire lequel des deux, de vouloir bien le revoir pour en corriger les fautes de diction, parce qu’elle répondante n’écrit pas correctement; que ce fut au pavillon Adam au faubourg Saint-Antoine, où le dit père Aleaume vint deux fois dire la messe dans ladite maison, qu’elle lui fit cette prière et que la pièce que nous lui représentons contient les observations que ledit père Aleaume fit sur ledit livre, et qu’il lui envoya, ne peut dire non plus si ledit père Aleaume porta lui-même, ou s’il envoya lesdites observations à elle répondante, ne l’ayant vu depuis son retour de Meaux, que trois fois seulement, et qu’elle l’a vu pareillement pendant les trois journées qu’elle fut chez Mme de Morstin [Morstein],1118

Avons remontré à la répondante que les observations qui ont été faites sur le livre des Cantiques qui ne touchent que la diction seulement, et qui sont qualifiées de fautes de langage, font connaître clairement que l’auteur qui a fait ces fautes de langage n’est pas originaire des provinces qui sont en deçà de la rivière de Loire, que cet auteur n’est pas correct dans la langue française, et par conséquent que ce n’est pas elle qui a composé ce livre,

A dit que l’ecclésiastique qui a fait imprimer ledit livre à Lyon, y a fait des fautes contre la langue française et qu’elle répondante y en a fait aussi de la même qualité1119,

Si ledit père de La Combe n’a eu aucune part à la composition dudit livre,

A dit qu’elle l’a composé, et ne sait pas si le père de La Combe lorsqu’il a fait la préface dudit livre y a fait quelques corrections, qu’elle se souvient bien qu’il lui fit changer une [f ° 160] phrase qu’elle avait renversée, qu’il est vrai aussi qu’elle répondante ayant écrit le texte en français qu’elle avait prise dans une ancienne Bible imprimée à Louvain, le père de La Combe en corrigea les textes après l’avoir vérifié sur d’autres interprétations1120,

Et qu’après cela le père de La Combe écrivit aussi le texte latin qui est au dit livre du Cantique afin qu’on pût voir que la traduction française du texte était conforme à la version latine

Si le père de La Combe n’a pas aussi travaillé à la composition dudit livre de l’Explication de l’Apocalypse dont elle a envoyé en dernier lieu le manuscrit au dit père de la Combe,

A dit que non, et qu’elle ne lui a jamais communiqué jusqu’à ce qu’elle lui en a envoyé le manuscrit depuis être sortie de Meaux, et qu’elle a composé avec la même rapidité qu’elle avait fait le livre des Cantiques1121.

Si le père de La Combe n’a eu aucune part à la composition du livre qui a pour titre Moyen court et facile1122,

A dit que non, mais qu’il est bien vrai que ledit père de La Combe étant à Paris, et ayant lu ledit livre, il y fit diverses corrections qu’il écrivit de sa main sur le livre même, et qu’il le porta ensuite au sieur Coursier Théologal de Paris; qu’elle composa ledit livre1123 étant à Grenoble et qu’un conseiller de ce parlement appelé M. Girault en ayant trouvé le manuscrit sur la table d’elle répondante, il le prit, et après l’avoir communiqué à une autre personne de piété, le fit imprimer sans la participation d’elle répondante, qui néanmoins à la prière dudit sieur Girault le divisa par article, et y fit la préface qui se voit au dit livre,

Si ledit père de La Combe n’a pas aussi travaillé, et eu part à la composition du manuscrit des Torrents,

A dit que c’est le premier livre manuscrit qu’elle ait fait, et que ce fut aux ursulines de Thonon qu’elle le composa, et elle répondante en ce temps-là n’avait pas vu quatre fois le père de la Combe, mais étant à Verceil elle remit ledit manuscrit des Torrents au père de La Combe qui ne lui a pas rendu depuis1124.

[f° 161] Si les observations contenues dans la pièce que nous lui avons représentée, sur le livre des Cantiques, ne sont pas entièrement écrites de la main du dit père Aleaume1125,

A dit que oui.

Avons représenté à la répondante une autre pièce aussi à nous remise ainsi que la précédente par ledit Desgrez, sans date ni sans signature, ayant pour souscription ces mots : «à Madame de Guyon à Paris», commençant par ces mots «Dieu nous donne sa paix» et finissant par ces autres mots «des nouvelles de notre cher père». Interpellé de la reconnaître et de déclarer par qui ladite lettre lui a été écrite,

A dit que la dite lettre lui a été écrite par le frère Joseph1126, religieux capucin du couvent de Grenoble, et qu’elle l’a reçue par le sieur abbé Sautreau,

De quel couvent est le père Antoine dont il est fait mention au commencement de ladite lettre, et par lequel, elle répondante avait écrit au dit frère Joseph,

A dit qu’aux termes de la lettre même, le dit père Antoine était de famille à Grenoble, et la ville de Romans à cinq lieux de Grenoble de laquelle ledit père Antoine était, et qu’elle ne l’a jamais vu qu’une fois à Grenoble1127,

Pourquoi celui qui lui a écrit prend la qualité de l’un des enfants d’elle répondante1128 qu’il appelle sa mère,

A dit que le frère Joseph qui est déjà âgé, qui est homme de bonne famille, qui a même étudié et qui a voulu par humilité rester simple frère dans son ordre, dans lequel néanmoins ayant eu quelque peine qu’il communiqua à elle répondante, Dieu permit qu’elle ne lui fut pas inutile, et qu’à cause de cela le dit frère Joseph se disait être son enfant, et l’appelait sa mère,

Ce que c’était que le père Antoine lui avait promis de lui envoyer, et qu’il ne lui avait pas envoyé par la crainte que ce qu’il lui avait promis ne fut surpris en chemin,

A dit que ledit père Antoine lui ayant dit qu’une femme de grande piété était décédée, laquelle avait laissé de parfaitement beaux écrits, et elle répondante ayant prié de lui faire voir, ledit père Antoine devait les lui envoyer et il ne l’a pas fait, [f ° 162]

Quelles sont les sœurs dont le frère Joseph lui a fait des compliments par la dite lettre?

A dit que ce sont des filles qui ont soin à Grenoble du temporel des capucines,

Si elle connaît la personne qui est désignée par la dite lettre sous le nom de Pierrette,

A dit que oui, et que c’est une pauvre fille très simple que les autres filles qui ont soin du temporel des capucines ont retirée à cause de sa simplicité, et qu’elle vit comme une sainte,

Ce qu’elle a entendu par les termes de cette lettre au sujet de la sœur Pierrette : «elle est toute dans son rien1129»,

A dit que c’est un langage des personnes qui aiment la vie spirituelle,

Ce qu’elle répondante a entendu par ces autres termes de la lettre représentée qui sont écrits au sujet de ladite Pierrette : «elle est souvent visitée par l’ennemi qui la bat très bien, et qui la jette par terre sans pitié, elle est toujours plus absorbée dans ses prières»,

A dit que du temps qu’elle était à Grenoble, elle a su par la dite Pierrette même, les maux que le démon lui faisait, qu’elle l’a vue une fois entre autres ayant deux dents cassées dans la bouche et la joue fort enflée, et qu’il y avait plusieurs personnes dans Grenoble qui le savaient aussi bien qu’elle répondante,

Si lors qu’elle répondante était à Grenoble elle a pareillement su ou vu elle-même suivant ce qui est écrit dans la dite lettre, qu’aussitôt que la dite Pierrette est à l’Église, elle est extatique, sans mouvement et sans connaissance,

A dit qu’elle ne l’a point vue en cet état, et n’a point su de nouvelles de ladite Pierrette que par le frère Joseph, qui lui en a écrit deux ou trois fois,

Si ce n’est parler du père de La Combe que ledit frère Joseph lui a écrit en ces termes qui finissent la dite lettre : «ne nous donnerez vous jamais des nouvelles de notre1130 cher père»,

A dit qu’oui.

Avons aussi représenté à la répondante deux autres pièces à nous remises entre les mains par ledit Desgrez, l’une commençant par ces mots «à M. de Normande», et l’autre commençant aussi par ces mots «Écoutez le son de l’horloge». Interpellée de les reconnaître et de déclarer de quelles mains elles sont écrites,

A dit après les avoir vues que [f ° 163] celle qui commence à «M. de Normande», est écrite de la main de la nommée Marc qui est à son service, et qu’elle ne connaît pas l’écriture de l’autre, qu’elle a trouvé dans un livre.

Si depuis l’année 1686 qu’elle répondante est de retour à Paris, elle y a toujours demeuré, et en quels lieux,

A dite qu’elle a fait un voyage à Bourbon il y a environ cinq ans, qu’elle a été une fois à Montargis où elle fut cinq jours seulement dans le couvent des bénédictines d’où elle sortit point1131, et où elle ne vit personne, qu’elle a été au couvent des filles de Sainte-Marie par ordre du roi, pendant huit mois et demi, il y a environ neuf ans et que ce fut quatre mois où environ après que le père de La Combe eût été1132 arrêté,

Ce fait lesdites pièces représentées ont été paraphées par nous et par la répondante,

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minute.

Sixième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er février 1696

Ce dernier interrogatoire épuise le sujet : retour sur le père Alleaume — il n’est pas un personnage négligeable — et sur ses révisions. La défense de fond des écrits et de la doctrine est solide, mais elle a contrevenu à la censure en faisant relire ses écrits.

[f ° 164] 6e interrogatoire de Mme Guyon 61133.

Interrogatoire fait par nous Gabriel Nicolas de la Reynie Conseiller ordinaire du roi en son conseil d’État, de l’ordre du roi, à la dame Guyon prisonnière au château de Vincennes, auquel interrogatoire nous avons procédé ainsi qu’il ensuit,

Du mercredi premier jour de février 1696 dans le donjon du château de Vincennes,

Interrogée de son nom, surnom âge qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité,

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier âgée de 47 ans, veuve de messire Jacques Guyon, chevalier seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris,

Depuis quand elle connaît le père Aleaume qu’elle nous a dit avoir fait à sa prière les corrections du livre de l’exposition mystique du Cantique des Cantiques qu’elle répondante nous a aussi dit être de sa composition,

A dit qu’elle le connaît depuis environ trois ou quatre années1134, et l’a connu par hasard étant venu dans une maison où elle était, et quelque temps après ledit père Aleaume lui apporta un livre qu’il avait traduit de l’espagnol en français et qui avait pour titre Les douleurs ignominieuses de Notre Seigneur Jésus-Christ1135,

Quels autres ouvrages d’elle répondante le père Aleaume a revu et corrigé?

A dit qu’elle ne croit point que le père Aleaume en ait revu et corrigé aucun autre à la réserve du Pentateuque1136, et ne peut dire s’il y a fait quelques corrections1137,

À quel dessein elle a donné au père Aleaume le livre du Cantique déjà imprimé et débité1138 depuis un temps considérable. Est-ce n’a pas été à dessein de le faire réimprimer à nouveau après qu’il aurait été revu et corrigé,

A dit qu’elle n’a prié le dit père Aleaume de revoir et corriger ledit livre que parce qu’il lui reprochait souvent qu’elle y avait fait des fautes de langage et qu’il y avait aussi quelques phrases renversées, et parce que le dit père Aleaume écrit exactement,

Avons remontré à la répondante que par la circonstance du temps auquel [f ° 165] elle a prié le père Aleaume de revoir et de corriger ledit livre, et par cette correction qu’il y a faite, il paraît clairement qu’elle n’a pris le soin depuis qu’elle est sortie du couvent des filles de Sainte-Marie de Meaux, que pour donner au public une nouvelle impression de ce livre1139,

A dit qu’autant qu’elle peut s’en souvenir que ç’a été avant d’aller à Meaux qu’elle a prié le dit père Aleaume de revoir et de corriger ledit livre par la raison qu’elle a dit ci-dessus,

Avons remontré à la répondante qu’avant d’aller à Meaux ledit livre avait déjà été censuré par M. l’archevêque de Paris. Et quand il serait vrai qu’elle aurait prié ledit père Alleaume de voir et de corriger ledit livre avant d’aller à Meaux, elle aurait toujours fait une faute considérable de faire revoir et corriger ledit livre depuis la censure, et qu’elle n’aurait pu en ce temps-là même le faire revoir et corriger que pour donner une nouvelle impression,

A dit qu’autant qu’elle s’en peut souvenir elle fit cette prière au père Aleaume quelques jours avant la censure de M. l’archevêque de Paris1140, et que d’ailleurs le père Aleaume n’y a fait que des corrections de langage et à quelques phrases mal disposées, et n’a pas touché à la doctrine,

Avons remontré à la répondante que les corrections du dit livre faites par le père Aleaume ne sont pas seulement des défauts de langage, et des phrases renversées, mais qu’il y a aussi corrigé d’autres fautes, même des fautes d’impression, ainsi qu’il paraît par le mémoire dudit père Aleaume que nous avons présentement remis entre les mains d’elle répondante, ce que ledit père Aleaume n’aurait pas fait si elle ne l’avait pas expressément chargé de les corriger exactement et si elle n’avait pas eu dessein d’en faire une nouvelle édition, car sans cela le père Aleaume n’aurait pas écrit comme il a fait au commencement du mémoire des corrections : «voici le peu que j’ai trouvé à redire dans l’exposition mystique du Cantique des Cantiques. Vous verrez que puis1141 que j’ai marqué [f ° 166] jusqu’aux fautes d’impression et de langage, si j’en ai oublié de plus considérable c’est manque de lumière»,

A dit qu’elle n’a rien à dire de plus sur ce sujet que ce qu’elle a dit,

Avons remontré à la répondante que la correction faite par exemple en la page quatrième de la préface du dit livre, suivant le mémoire sur cet endroit, et sur cette parole : «ne sont qu’un cœur, qu’un esprit, et qu’un être» et que ce que le père Aleaume a ajouté de lui : «que l’époux et l’épouse ne soit qu’un être, cela me paraît trop fort» qu’outre cette correction il y a d’autres endroits corrigés suivant ce mémoire qu’elle répondante peut voir. Et qu’il n’est pas nécessaire de répéter, qui méritait bien aussi d’être corrigés, et le père Aleaume en faisant ces corrections n’aurait pas écrit comme il a fait ce qu’il fallait mettre aux endroits corrigés, et substituer en la place des mots qui en devaient être retranchés si elle répondante n’avait pas eu dessein de faire réimprimer le dit livre après ses corrections suivant ce qui se pratique lorsque les livres sont réimprimés et donnés de nouveau au public

A dit qu’elle n’a rien à dire du tout, qu’elle n’a pas eu cette intention, et à l’égard de la préface du dit livre, du Cantique des Cantiques imprimé, la préface en a été faite par le père de La Combe ainsi qu’elle répondante l’a déclaré par ses précédents interrogatoires,

Avons remontré à la répondante qu’il paraît qu’elle n’a pu faire revoir et corriger ledit livre du Cantique des Cantiques pour aucun autre dessein que celui de le faire réimprimer, soit qu’elle ait fait faire revoir et corriger dans le temps des conférences qu’elle a eues avant d’aller dans le couvent de Meaux, ou qu’il ait été revu depuis la censure de M. l’archevêque de Paris, ou même depuis son retour de Meaux, et si elle répondante avait voulu en demeurer au terme de la Soumission1142 qu’elle nous a dit avoir signée, et de ce qu’elle avait promis1143, ledit livre étant déjà censuré ou en état de l’être, et elle en ayant depuis souscrit la censure, elle aurait entièrement abandonné le livre, tel qu’il était imprimé, et censuré avec toutes les fautes qui avaient donné lieu à la [f ° 167] censure, sans se mettre en aucun soin de le faire revoir et corriger,

A dit que les fautes de langage et d’impression n’ont donné aucun lieu à la censure, et qu’elle se souvient présentement que ces corrections ont été faites avant la première censure du dit livre, parce que le père Aleaume depuis avoir remis les corrections qui sont écrites dans la pièce que nous lui représentons, lui porta peu de jours après la censure de feu M. l’archevêque de Paris,

Si elle répondante a devant elle quelque exemplaire corrigé du livre du Cantique des Cantiques, sur les corrections du père Aleaume,

A dit que non, et qu’elle n’a pas même lu les observations et corrections du père Aleaume, parce que lesdites corrections lui étaient inutiles, sa manière d’écrire étant libre, et qu’elle répondante est incapable de pouvoir se servir de telles corrections, et de s’y assujettir, et tous ceux qui la connaissent savent qu’elle en est incapable1144,

Pourquoi elle répondante depuis sa sortie des filles de Sainte-Marie de Meaux a envoyé au père de La Combe le manuscrit qu’elle a dit avoir composé de l’Explication de l’Apocalypse pour le revoir et pour le corriger et donné d’un autre côté au père Aleaume le livre imprimé du Cantique des Cantiques aussi pour le revoir et pour le corriger, et pour quelle raison elle a agi ainsi, et chargé le père de La Combe de revoir le livre de l’Apocalypse, et le père Aleaume de revoir le livre des Cantiques,

A dit qu’elle n’a rien à dire sur ce sujet, et qu’elle a dit tout ce qu’elle avait à dire par ses précédentes réponses.

Ce qu’est devenu le manuscrit sur le Pentateuque qu’elle nous a dit avoir communiqué au père Aleaume,

A dit que ledit manuscrit a été remis entre les mains du sieur Tronçon [Tronson] lorsque les livres et les écrits d’elle répondante ont été examinés, ne sait ce qu’il est devenu,

Si le père Aleaume a eu la liberté de la voir pendant qu’elle demeurait cachée dans la maison de la rue Saint-Germain l’Auxerrois sous le nom de [F ° 168] Mme Bénard,

A dit que non, et qu’il était déjà exilé dans le temps1145 qu’elle demeurait,

Si elle répondante sortait pour aller à la messe la paroisse, les jours de dimanches et fêtes dans le temps qu’elle était en la maison de la rue Saint-Germain,

A dit que non, et qu’elle entendait la messe ces jours-là1146, lorsqu’on la disait dans la chapelle des orfèvres de la maison où elle était logée, parce que ces jours-là, la messe était chantée, et qu’on entendait du lieu où elle était logée, tout ce qui était chanté dans la dite chapelle,

Comment et par qui elle répondante avait fait savoir au père1147 Aleaume qu’elle était au pavillon Adam, au faubourg Saint-Antoine sous le nom de la demoiselle de Beaulieu,

A dit que ce fut par la demoiselle Van, qui demeurait dans ladite maison sous le nom de la demoiselle de Beaulieu et que ce fut par elle qu’elle écrivit un billet au dit père Aleaume pour le prier de la venir voir,

Pourquoi elle répondante, après avoir obligé l’abbé Couturier de revenir de la campagne au mois d’octobre dernier elle lui donna quelques cahiers de sa composition et pour quel usage,

A dit qu’elle lui donna quelques cahiers manuscrits qu’elle avait composés pour la justification de ses ouvrages, et qu’elle était bien aise qu’il les lût parce qu’elle y avait recueilli ce que les saints Pères ont écrit sur cette matière.

Avons remontré à la répondante qu’en cela même, elle a contrevenu à la promesse qu’elle avait faite en sortant du couvent de Sainte-Marie de Meaux,

A dit qu’elle était bien aise que l’abbé Couturier vît les sentiments des Pères de l’Église sur cette matière,

Avons remontré à la répondante qu’elle nous a ci-devant déclaré que ce qu’elle avait recueilli des Pères avait été par elle écrit et mis en cahiers pour justifier la doctrine de ses livres, et ayant donné comme elle a fait depuis son retour1148 de Meaux ce qu’elle avait fait auparavant, pour [f ° 169] justifier sa doctrine, et ses livres, ça n’a pu être par aucun autre motif, que pour justifier cette même doctrine et ses livres, et qu’en les justifiant de cette sorte, elle a agi en cela contre ce qu’elle avait consenti et souscrit, mais aussi elle a témoigné par cette conduite qu’elle persistait dans la même doctrine et dans les mêmes sentiments, parce qu’autrement elle n’aurait pas pris le soin qu’elle s’est donnée de les justifier par ces cahiers à l’abbé Couturier,

A dit qu’elle n’a prétendu justifier ses écrits et sa doctrine qu’autant que sa doctrine sera conforme à celle des saints canonisés par l’Église, qu’elle n’a fait que rapporter leurs paroles dans ses écrits, et si elle s’en est éloignée, elle a mérité justement d’être conjurée, mais si elle n’y a rien changé et si elle a rapporté seulement la doctrine des saints, ça n’a point été pour justifier sa doctrine particulière, qui lui a été seulement défendu de dogmatiser dans l’Église, et qu’elle ne l’a point fait; aussi, que ce qu’elle a écrit pour justifier ses livres a été écrit par elle répondante sur l’ordre que M. l’évêque de Meaux lui en avait donné, même de le faire avec le plus d’étendue qu’elle pourrait,

Avons remontré à la répondante qu’après la censure de ses livres et sa soumission il ne s’agissait plus de se justifier, et que de vouloir justifier après cela, c’était les soutenir et en les soutenant pour ainsi dire dogmatiser, et vouloir persuader à l’abbé Couturier que ses livres n’étaient pas justement conjurés,

A dit qu’elle n’a eu d’autres sentiments en faisant voir les cahiers au dit abbé Couturier que de lui faire connaître quelle était la doctrine des saints1149, sans aucun dessein particulier de justifier et de soutenir ses livres,

Avons représenté à la répondante trois cahiers manuscrits paraphés le douzième janvier dernier, l’un desdits cahiers coté sur la première page 62 et sur la dernière 89, le second coté sur la première page 90 et sur la dernière 113, et le troisième coté sur la première page [f ° 170] 114, et sur la dernière 145. Interpellée de les reconnaître et de déclarer s’ils ne sont pas écrits de la main de la nommée Françoise Marc, et les mêmes qu’elle répondante a donnés à lire à l’abbé Couturier depuis qu’elle est de retour de la ville de Meaux,

A dit après les avoir vus et considérés que les trois cahiers sont de sa composition, qu’ils sont écrits de la main de la nommée Françoise Marc et les mêmes qu’elle a donnés pour les lire à l’abbé Couturier, après être revenue de la ville de Meaux1150,

En quel temps elle a travaillé et composé le livre de la vie et de l’intérieur du chrétien, conforme à la vie et à l’intérieur de Jésus-Christ, tiré de la Sainte Écriture tant de l’ancien que du Nouveau Testament,

A dit qu’elle n’a point composé ni travaillé à faire aucun livre qui ait eu ce titre, qu’il est bien vrai qu’avant d’être au couvent des filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine de Paris, elle se mit en devoir de recueillir tous les passages de l’Écriture qui lui paraissaient les plus beaux et les plus touchants sur la même matière, mais ayant trouvé ce travail trop pénible, et n’étant pas capable d’écrire avec application, elle en abandonna le dessein, après avoir commencé de recueillir quelques passages de l’Écriture dans un certain ordre qu’elle s’était proposé de leur mettre1151,

Avons représenté à la répondante trois cahiers de grand papier, à nous remis par M. François Desgrez de l’ordre du roi, le premier coté, cahiers a : c : timbré sur le premier feuillet abandon, et sur le verso dudit premier feuillet, s’est trouvé un quart de feuille manuscrite, attaché et légèrement collé. Au dit premier feuillet, commençant par ce mot «J’avoue» et à ladite pièce après avoir été détachée ce sont trouvés au droit de ladite pièce ces mots «La vie et l’intérieur du chrétien, conforme à la vie et à l’intérieur de Jésus-Christ tiré de la Sainte Écriture, tant de l’ancien que du Nouveau Testament» et au-dessous sont écrits «mon père a fait réponse à M. de Cahade qu’il fera ce qui lui pl : [plaît]» Le deuxième cahier timbré sur la première feuille «cinquième [f ° 171] cahier prédicateurs». Et le troisième cahier coté «huitième cahier pouvoir et souveraineté»... Interpellée de les reconnaître et de déclarer si tout ce qui est écrit dans lesdits Cahiers est de son écriture et entièrement écrite sa main, et si ladite pièce attachée au premier feuillet du premier cahier représenté qui paraît être une préface, et ce qui est au dos de ladite préface est aussi écrit de sa main,

A dit après avoir vu lesdits cahiers avec ladite préface que le tout est entièrement écrit de sa main, que ce sont les cahiers dont elle a fait mention ci-dessus qui ont dû être trouvés dans la maison de Paincourt, que la préface est aussi de sa composition, et n’ayant pu continuer par la raison1152 qu’elle nous a déjà dit qu’elle ne peut s’appliquer, elle abandonna le dessein de ce livre, qu’elle se souvient cependant que tout ce qui est écrit sur les trois cahiers a été par elle écrit et recueilli en deux ou trois jours de temps,

Ce fait lesdites deux pièces ont été par nous paraphées et par la répondante,

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé, J. M. Bouvier et de la Reynie1153.

Septième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er avril 1696

L’épreuve se poursuit par une série de trois interrogatoires sur quatre jours. Les questions du septième interrogatoire portent sur la lettre du père La Combe datée du 7 décembre et arrivée tardivement au logis où eut lieu la saisie : elle n’avait donc pas été encore utilisée. On la questionne de nouveau sur «la prétendue petite Église» vue comme une secte depuis le début, puis sur deux épîtres saisies, l’une en français traduisant l’autre en latin; elles ne sont pas de sa main. A-t-elle vraiment «composé un Évangile nouveau, pour la secte de ceux qui ont pris le titre d’Enfants du petit maître»? La séance se termine sur le sieur de Lasherous.

[f ° 172] Interrogatoire1154 fait par nous, Gabriel Nicolas de La Reynie, conseiller ordinaire du roi en son conseil d’état, à Mme Guyon, prisonnière au donjon du château de Vincennes, de l’ordre de Sa Majesté, auquel interrogatoire nous avons procédé selon et ainsi qu’il ensuit.

Du dimanche 1er avril 1696, dans le donjon dudit château de Vincennes.

Interrogée de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier, âgé de 47 ans, veuve de M. Jacques Guyon, Chevalier Seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris.

Avons représenté à la répondante, une lettre missive datée ce sept de décembre, sans signature ni souscription, commençant par ces mots : «je reçus hier votre lettre», et finissant sur la quatrième page par ces autres mots «cachée à votre cœur», ladite lettre portée du bureau de la poste à la maison du nommé Bidault, rue Saint-Germain, où elle était adressée à Mme Bernard, remise par ledit Bidault, au sieur abbé Couturier. Interpellé de la reconnaître et de déclarer si ce n’est pas la réponse du père de la Combe, à la dernière lettre qu’elle répondante lui a écrite avant d’être arrêtée.

A dit avant que de répondre sur la lettre que nous lui représentons, qu’elle ne peut se dispenser de nous dire qu’elle s’est souvenue depuis ses derniers interrogatoires, qu’il y avait un an et demi, ou deux ans, que le père Aleaume lui avait donné les observations et corrections qu’il avait faites sur le livre du Cantique des Cantiques, que nous lui avons ci-devant représenté. Et quant à la lettre que nous lui représentons à cette heure, elle répondante reconnaît que c’est la réponse à la lettre qu’elle répondante avait écrite au père de la Combe, en lui envoyant les bagues et anneaux qu’il lui avait demandés.

Avons remontré à la répondante qu’il paraît par cet réponse du père de la Combe, qu’elle a continué d’être en commerce de lettres avec lui, jusques au temps qu’elle a été arrêtée, et qu’elle faisait encore état au temps de la dernière lettre d’elle répondante, de se rendre au printemps au lieu où le père de La Combe est actuellement, et que c’est par cette même raison que le père de La Combe lui a écrit par la lettre représentée en ces termes : «Songez à faire le grand voyage» et par là qu’elle avait demandé au père de La Combe quelque personne du pays pour la conduire, il lui a fait réponse que personne ne pouvait aller du lieu où il est pour se rendre auprès d’elle, sans que cela fît trop d’éclat, ainsi qu’il lui avait marqué par d’autres lettres ci-devant représentées.

A dit qu’elle a toujours eu commerce de lettres avec le père de la Combe, qu’elle l’aurait continué si elle était restée libre, et qu’il ne lui a jamais été défendu; quant au dessein du voyage, ce que le père de La Combe lui marque par sa dernière lettre, est toujours en conséquence de la première lettre qu’elle répondante lui avait écrite sur ce sujet et quoiqu’elle répondante eut entièrement changé de volonté à cet égard, elle a cru qu’il suffisait de faire savoir au printemps le changement de son dessein.

S’il n’est pas vrai que pour se disposer à ce [f ° 173] voyage, qu’elle répondante a acquis cent livres de rentes sur l’hôtel de ville au denier quatorze au nom et au profit de la nommée Marc, l’une de ses femmes, et qu’elle a fait aussi l’acquisition de la maison de Paincourt, sous le nom de la nommée Lavau, qui est pareillement à son service, et pour les récompenser en les quittant1155, pour aller vivre cachée auprès du père de la Combe, suivant le dessein qu’elle en avait fait, et qu’elle avait aussi concerté avec le père de La Combe au terme de ses lettres ci-devant représentées et de celles que nous lui représentons encore à présent, par laquelle le père de La Combe lui écrit en ces termes : «Il faut que vous preniez quelqu’un où vous êtes encore, craindrais-je que vous n’en fussiez embarrassée et surchargée comme il vous arriva autrefois1156». C’est-à-dire dans le temps qu’elle répondante suivait le père de La Combe au pays de Gex en Dauphiné, en Savoie et en Piémont; à quoi le père de La Combe a ajouté par la même lettre ces autres termes : «Une femme intelligente et fidèle, vous suffirait, avec un garçon sur qui l’on put s’assurer, tel qu’était Champagne.»

A dit qu’elle répondante ayant demandé au père de la Combe le sieur de Lasherous prêtre pour la conduire et pour n’être pas exposée à l’inconvénient qui arrive quand on voit une femme seule avec d’autres femmes par pays et en voyage, le père de La Combe lui a marqué par ses lettres et non seulement cet autre inconvénient d’une personne du pays et l’éclat que pourrait faire son absence, mais encore qu’il craignait qu’elle n’en fût chargée, ainsi qu’elle avait été d’un autre ecclésiastique, qui l’avait accompagnée et pour le retour duquel de Verceil en Dauphiné il lui fallut faire une dépense considérable et qu’au surplus, elle répondante n’a point suivi le père de La Combe ainsi que nous le disons. Quant aux deux acquisitions qui ont été faites au nom des deux femmes qui sont à son service, le contrat de constitution de cents livres de rentes au profit de la dame Marc, lui a été mis entre les mains par la dame Marc, pour le garder, et que le prix de l’acquisition est promesse de 1400 livres que la dame Marc a touchée du tuteur du second fils d’elle répondante, et qu’à l’égard de l’acquisition de la maison de Paincourt sous le nom de la nommée De Lavau, elle répondante a toujours prétendu qu’elle lui en donnerait une déclaration.

Quelle est cette petite Église qui a reçu une grande joie à la réception de la dernière lettre d’elle répondante, suivant la réponse du père de La Combe que nous lui représentons.

À dit qu’elle a déjà répondu sur cet article et qu’elle n’en n’a point d’autre connaissance plus particulière, et que ceux qui composent cette Église doivent être des gens qui aiment Dieu, et qu’elle répondante ne connaît point.

Avons remontré à la répondante qu’elle doit s’expliquer plus clairement et plus sincèrement qu’elle n’a fait jusqu’ici, touchant la prétendue petite Église, dont il est fait mention, non seulement dans la lettre représentée, mais encore dans les deux autres lettres précédentes du père de la Combe, qu’elle répondante a reçues depuis sa sortie des filles de Sainte-Marie de Meaux, parce qu’il paraît que cette petite Église, est une Église de secte particulière, et le Roi (qui est protecteur de la vraie et seule Église catholique), a droit et intérêt de savoir quelle est cette petite Église dans son Royaume, et quelle est la secte qui l’a établie et qui la reconnaît.

Et dit qu’elle ne croit point qu’en s’unissant [f ° 174] ensemble pour servir et aimer Dieu plus parfaitement, cela doive être appelé du nom de secte, ni même d’Église, qu’elle ne s’est point servie de ces termes de petite Église, et que c’est au père de La Combe a expliquer ce qu’il a entendu par ces termes de petite Église, qu’à son égard d’elle répondante, elle a toujours compris, comme les pécheurs se recherchent les uns les autres, les gens de bien se cherchaient de même, et que la société où ils étaient pour servir Dieu, n’était ni secte ni Église différente, et elle répondante abhorre toutes les sectes, et aimerait mieux perdre la vie que de se séparer de l’Église catholique.

Avons représenté à la répondante un feuillet de papier écrit des deux côtés, ayant pour titre à l’un des côtés ces mots : «Épître aux Enfants du petit Maître1157» et finissant du même côté par ces autres mots «que voulez-vous d’avantage.» La dite pièce trouvée dans la maison de Paincourt avec d’autres papiers et les livres qu’elle répondante y avait. Interpellée de reconnaître la dite pièce et de déclarer de quelle main ladite pièce est écrite, ce que c’est que cette Épître pour les enfants du petit maître, aussi bien que l’Évangile nouveau1158 qui est écrit au-dessous de ladite Épître.

A dit, après avoir vu ladite pièces, qu’elle en connaît l’écriture, et que la dite pièce lui a été envoyée par une religieuse, mais qu’elle n’en peut dire ni le nom ni le couvent d’où elle est, parce qu’elle ne croit pas que la charité lui permette de nommer les personnes qui ont eu communication avec elle, ou qui lui ont découvert l’état de leur conscience, et qu’à l’égard de l’Épître et de l’Évangile, elle ne sait ce que c’est, mais qui lui paraît que ce sont tous textes de l’Écriture qui composent lesdites deux pièces.

Avons représenté à la dite répondante une autre pièce manuscrite d’un côté seulement, ayant pour titre ces mots : «Epistola sancti Michaelis arcangeli ad michelinos» et finissant par ces autres mots «manet in aeternum»1159. Ladite pièce trouvée en ladite maison. Interpellée de la reconnaître et déclarer de quelle main elle est écrite et à quel usage cette pièce lui a été donnée.

A dit après avoir vu ladite pièce, qu’elle en reconnaît l’écriture, et qu’elle est écrite d’une autre main que la précédente, mais qu’elle ne nommera pas non plus la personne qui l’a écrite et qu’elle fut écrite sur la table d’elle répondante au sujet de la dévotion à l’archange saint Michel, et sur ce qu’elle remarquait qu’il n’y avait que de petits enfants qui allassent en pèlerinage pour la dévotion de saint Michel.

Avons remontré à elle répondante qu’il paraît que l’Épître en français aux Enfants du petit maître, qui lui a été ci-dessus représentée est la traduction de l’Épître qui est en langue latine, écrite sur la pièce que nous lui représentons et étant de différentes personnes et en diverses mains, il paraît que ladite Épître aussi bien que l’Évangile sont à l’usage de ceux qui se disent les Enfants du petit maître.

A dit qu’elle ne peut dire comment cela été fait, mais qu’elle voudrait bien que tout le monde aimât et servît Dieu dans la simplicité suivant qu’il est porté dans lesdites pièces que nous lui représentons et dans la simplicité des petits enfants, et qu’elle ne croit pas qu’il y ait en cela aucun mal.

Si elle croit qu’il soit de la piété chrétienne et qu’il puisse être promis être quelque édification pour l’Église et pour la Religion de supposer une Épître de l’archange saint Michel, de la faire lire [f ° 175] aux simples et de la leur distribuer comme on donne à lire les Épîtres canoniques, dont il paraît qu’on a en celle-ci imité le style et rejeté l’esprit.

A dit qu’elle ne trouve dans ladite pièce qu’un esprit de simplicité et que des gens ont fait cela pour se divertir sans aucun dessein.

Si elle croit qu’il soit aussi de quelque utilité à l’Église et à la Religion, ou de quelque édification, d’avoir avec la même imitation, composé un Évangile nouveau, pour la secte de ceux qui ont pris le titre d’Enfants du petit maître.

A dit qu’il n’y a dans ladite pièce que des paroles de l’Écriture, ne sait d’où cela vient, ni si c’est la même personne qui a fait l’Épître et l’Évangile, mais qu’elle peut dire qu’il n’y a pas eu de mauvaise intention.

Si elle ne sait pas qu’on ne peut sans impiété composer et supposer un Évangile nouveau et lui donner le même titre sous lequel l’Église donne aux fidèles la vraie Écriture et la parole de Notre Seigneur.

A dit que ce que nous appelons un Évangile nouveau, est un bout de papier dans lequel on a ramassé plusieurs passages de la Sainte Écriture, qui regardent la petitesse et la simplicité, et que cela n’est pas un Évangile nouveau, puisqu’il y a rien dans ladite pièce, qui ne soit tiré de la Sainte Écriture, mais qu’elle n’y a point de part; et depuis a dit que puisqu’elle ne peut nommer les personnes qui ont part aux dites pièces, elle veut bien s’en charger, comme si elle les avait faites, et en porter la peine.

S’il n’est pas vrai que les conseils et que les préceptes qui se trouvent dans cette prétendue Épître et dans cet Évangile nouveau, sont entièrement conformes à la doctrine des livres et des écrits d’elle répondante, et qu’elle a si souvent expliquée.

A dit qu’il peut y avoir des termes en ces deux pièces représentées, qu’elle n’a pas assez examinées, mais qu’à l’égard du fond et de l’amour de la petitesse, il est conforme à ses sentiments.

S’il n’est pas vrai que les deux pièces représentées ont été faites pour servir de règle à ceux qui se disent être Enfants du petit maître et si le père La Combe de concert avec elle répondante, n’a pas composé lesdites deux pièces.

A dit que le père de La Combe n’en a jamais eu aucune connaissance et que l’épître latine fut écrite en présence d’elle répondante, et lui paraît être une saillie d’esprit, d’un jeune homme, ne sait pas néanmoins s’il avait médité auparavant ladite Épître; quant à l’Évangile elle répondante ne sait qui l’a composé.

Avons remontré à la répondante, que le soin qu’elle a pris de distribuer un grand nombre d’estampes de l’image de l’archange saint Michel, marque qu’elle a quelque dévotion particulière à ce saint archange, et qu’il est vraisemblable que par cette raison ce soit elle qui ait composé ou faite composer l’Épître latine représentée, pour ceux qui sont appelés Michelins, et qu’il paraît aussi par rapport à l’Évangile pour les Enfants du petit maître, qu’elle a réduit tous ses exercices et tout son culte extérieur à cette sorte de pratique et à tenir chez elle diverses figures de cire de l’Enfant Jésus dont on a trouvé la principale chargée d’un grand nombre de petits cœurs d’or et la niche remplie de tous les meubles d’orfèvrerie qu’elle a pu imaginer, qu’il semble que c’est à quoi elle a réduit les exercices de la religion, s’étant entièrement abstenue de ceux d’obligation pendant tout le temps (que sans aucune nécessité) [f ° 176] elle a bien voulu se tenir cachée.

A dit qu’à la vérité elle a une dévotion particulière à saint Michel, qu’elle en a distribué plusieurs estampes, mais que ce n’est point par rapport à cette dévotion que l’Épître représentée a été faite, qu’à l’égard de l’Évangile qui a pour titre «Évangile des Enfants du petit maître», ce n’est pas non plus par rapport au culte qu’il a été fait; qu’il est vrai qu’elle a deux figures de cire de l’enfant Jésus auprès de l’une desquelles il y avait un grand cœur d’or, qui était la figure du cœur de Notre Seigneur, avec la plaie, dans lequel étaient plusieurs autres petits cœurs aussi d’or, qu’elle avait tout offert au petit Jésus, que l’un de ces petits cœurs étaient le sien propre, ceux de ses Enfants, et de plusieurs autres personnes de ses amis, qu’elle voulait remplir le grand cœur d’autres petits cœurs d’or, et quand on lui a rendu le grand cœur, sans les autres petits cœurs, elle a prié l’enfant Jésus qu’il en prit autant de chair, comme on lui en avait pris d’or, et que cette dévotion lui a été inspirée à sainte Marie de Meaux, et que c’est la supérieure de la maison de Meaux, qui a pris soin, à la prière d’elle répondante, de lui faire avoir ledit grand cœur d’or, et quant à son culte, elle nous a dit par ses précédents interrogatoires, les raisons qui l’avaient empêchée de satisfaire à toutes ses obligations.

S’il n’est pas vrai que la petite Église dont le père La Combe lui a toujours écrit, est composée seulement de ceux qui se disent les Enfants du petit maître.

A dit qu’elle ne le sait pas.

Avons remontré à elle répondante, qu’elle ne peut dire comme elle fait, que cette petite Église, et que la secte des Enfants du petit maître lui soit inconnue, puisqu’on y professe non seulement sa doctrine, mais aussi parce qu’elle répondante est appelée mère des enfants de la petite Église, et que ceux mêmes qui conduisent la dite prétendue petit Église à Lourdes, le père de la Combe, et le prêtre de Lasherous qui est avec lui, ont écrit conjointement deux lettres missives à elle répondante ci-devant représentées des 10 octobre et 11 novembre derniers, par lesquelles et au sujet de la petite Église, le prêtre de Lasherous a écrit entre autres choses avec le père de La Combe touchant la doctrine d’elle répondante précisément en ces termes : «Je ne rougirai jamais, madame, en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, discipline et mœurs, comme je l’ai fait en présence de notre prélat, de son retour de Paris, au sujet de l’illustre et plus qu’aimable père1160» quoique au temps que ces lettres ont été écrites, la doctrine d’elle répondante aussi bien que celle des livres du père de La Combe fussent déjà juridiquement condamnées.

A dit que la doctrine du père de La Combe n’a pu être tenue pour censurée que dans le diocèse où elle l’a été en effet et que sa doctrine n’a point été condamnée, qu’au contraire elle a été approuvée par l’Inquisition de Verceil, par la Sacrée Congrégation des Rites, et qu’enfin elle n’a point été condamnée dans le diocèse où le père La Combe est actuellement. Qu’à son égard d’elle, on n’a rien trouvé dans ses écrits contre la foi, et qu’elle en a une bonne décharge1161, et que si il y a quelques termes qu’elle ait employés mal à propos et sur lesquels elle se soit trompée, c’est un effet de son ignorance, et les désavoue et les déteste de tout son cœur1162; qu’elle est bien assurée qu’il ne se trouvera aucune erreur dans aucun de ses écrits et qu’elle n’a point eu aussi à faire aucune [f ° 177] rétractation, et qu’ainsi le père de La Combe1163 et le sieur Delasherous ont écrit en toute assurance, qu’ils ne rougiraient jamais de confesser la pureté de sa doctrine, de sa discipline et de ses mœurs, et qu’ils sont bien persuadés que sa foi est conforme à celle de l’Église, que sa discipline est bonne et qu’il n’y a rien à dire dans ses mœurs; et à l’égard de ce qu’elle est qualifiée Mère de la petite Église, n’a autre chose à dire que ce qu’elle a dit ci-devant sur cela, par ses précédents interrogatoires. Et qu’elle ne sait autre chose.

Avons remontré à la répondante que si elle n’avait pas eu une plus grande connaissance de la prétendue petite Église, le père de La Combe ne lui en aurait pas écrit comme il a fait par toutes ses lettres, et d’ailleurs par ce qui lui a été écrit touchant sa doctrine, il est évident qu’elle répondante a une doctrine et une discipline particulière, confessée au moins à Lourdes, par deux prêtres, et qu’il y a aussi d’autres personnes dans le même lieu qui suivent la même doctrine, qui sont de l’étroite confidence et qui composent la secte de la prétendue petite Église dont il s’agit et surtout le père de La Combe et le sieur de Lasherous, n’auraient pas assuré elle répondante de l’affection particulière de ceux qui composent la petite Église, principalement de ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église, s’il n’y avait point de secte ni de petite Église et qu’après de telles explications, une dénégation constante d’elle répondante sur un fait d’ailleurs prouvé est une espèce de conviction.

A dit quant à ce que le père de La Combe et le sieur de Lasherous ont écrit de la doctrine et de la discipline d’elle répondante, ils n’ont entendu autre chose non plus qu’elle répondante, sinon que la doctrine et la discipline étaient bonnes et orthodoxes et que ces termes n’excluent point l’uniformité de la doctrine et qu’elle ne soit conforme à celle de l’Église. Qu’elle n’a jamais connu de secte particulière et que si le père de La Combe était capable d’en suivre quelqu’une, elle aurait autant d’éloignement qu’elle a d’estime pour lui, qu’il faut demander au père de La Combe et au sieur de Lasherous ce que signifient ces termes «des personnes de l’étroite confidence1164» et ceux qui sont comme les «colonnes  de la petite Église», qu’elle répondante n’a entendu autre chose si ce n’est que les personnes désignées comme «les colonnes de la petite Église» étaient plus affermies que d’autres dans la piété et que celles de «l’étroite confidence» étaient celles auxquelles on aurait pu se confier [blanc laissé dans le ms.] Qu’elle répondante aurait été dans le lieu si elle avait fait le voyage.

Avons remontré à la répondante qu’il est vrai que les termes avec lesquels le sieur de Lasherous s’est expliqué, n’excluent point absolument, ainsi qu’elle le dit, la conformité de la doctrine d’elle répondante à celle de l’Église catholique, mais si le sieur de Lasherous n’avait eu qu’à faire entendre qu’elle répondante suivait entièrement la doctrine de l’Église, il se serait contenté de le dire ainsi et ne lui aurait pas attribué une doctrine et une discipline particulières en l’assurant qu’il ne rougirait jamais de la soutenir.

A dit que le sieur de Lasherous dit également par sa lettre qu’il ne rougirait jamais de soutenir sa doctrine, sa discipline et ses mœurs, et que si l’on prenait ce qu’il a écrit dans le sens que nous l’entendons, il s’en suivrait que le sieur de Lasherous avait entendu qu’elle avait aussi des mœurs particulières, ce qu’il n’a point prétendu apparemment, ni voulu dire que sa doctrine ni sa discipline fussent particulières non plus que les mœurs.

Avons remontré la répondante que cette réponse paraît être une pure évasion, et que le véritable sens des termes dont s’est servi le sieur de Lasherous, est qu’il soutiendra la doctrine et la discipline d’elle répondante, et qu’il assurera toujours qu’elle est de bonnes mœurs, et qu’il n’y connaît rien qui ne soit parfaitement louable.

A dit que si la doctrine d’elle répondante n’avait pas été conforme à celle de l’Église, le sieur de Lasherous n’aurait point écrit qu’il la soutiendrait partout, parce qu’il n’y a point de bonne doctrine hors celle de l’Église catholique, et que si ces termes sont susceptibles de quelque autre sens, il faut en demander l’explication au sieur de Lasherous.

Ce fait lesdites pièce représentées ont été par nous paraphées et par la dite répondante.

Lecture faite du présent interrogatoire.

A dit les réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé la minute, signé de la Reynie.

Huitième interrogatoire de Mme Guyon, le 2 avril 1696

Les questions reprennent la lettre citée précédemment et portent sur «la secte» de Lourdes qui suivrait une doctrine hétérodoxe, sur «les trois religieuses qui ont augmenté l’église», sur les communications intérieures… La Reynie situe exactement le problème lorsqu’il est écrit : «Avons remontré à la répondante, qu’il ne s’agit pas de savoir quelle est la doctrine ni de l’examiner, mais qu’il s’agit seulement de déclarer si elle ne sait pas qu’il y a une secte et une Église particulière à Lourdes, qui suit la doctrine d’elle répondante et du père la Combe…».

[f ° 179] Interrogatoire fait par nous, Gabriel Nicolas de La Reynie, conseiller ordinaire du roi en son conseil d’état, à Mme Guyon, prisonnière au donjon du château de Vincennes, de l’ordre de Sa Majesté, auquel interrogatoire nous avons procédé selon et ainsi qu’il ensuit.

Du lundi deuxième avril 1696, dans le donjon dudit château de Vincennes.

Interrogée de son nom, surnom, âge, qualité et demeure, après serment fait de dire et répondre vérité.

A dit qu’elle s’appelle Jeanne Marie Bouvier, âgé de 47 ans, veuve de M. Jacques Guyon, Chevalier Seigneur du Quesnoy, demeurant avant sa détention à Paincourt les Paris.

Avons remis entre les mains de la répondante la lettre missive du père de la Combe, datée du 7 décembre, qui lui fut le jour d’hier représentée; et à elle remontré, qu’il n’est pas seulement prouvé par les lettres du père de La Combe et du prêtre de Lasherous qu’il y a une secte à Lourdes, appelée de l’étroite confidence et des Enfants du petit maître, mais qu’il est aussi prouvé que cette secte fait profession de suivre la doctrine et les sentiments d’elle répondante, et que c’est cette secte qui fait la prétendue petite Église. Qu’il est aussi évident que cette secte et cette Église suivent une doctrine particulière et d’autres sentiments que ceux de l’Église catholique; car si elle n’avait aucune doctrine particulière et si ceux qui composent cette Église suivaient en tout les sentiments de l’Église catholique, le père de La Combe n’aurait pas encore écrit à elle répondante en ces termes par la dernière lettre du 7 décembre : «Il s’est fait une augmentation de notre Église, par la rencontre de trois religieuses d’un monastère assez proche de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est fait l’oraison que Dieu lui-même enseigne aux âmes, et l’obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L’une de ces trois filles, a été mise par le Saint-Esprit même dans son oraison, l’autre y étant appelée, combattait son attrait en s’attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, combattue de scrupules, n’est pas encore en état d’y être introduite.1165»

A dit qu’elle ne connaît point d’autre oraison que celle de remise en Dieu et de simple regard, dont parle saint François de Sales et grand nombre de saints, que si le père de La Combe a entendu autre chose par sa lettre, qu’elle répondante n’a point reçue, c’est à lui à qui il en faut demander la raison. Qu’elle ne veut pas entrer dans cette discussion et ne connaît point les trois religieuses dont il fait mention dans ladite lettre, et qu’elle déteste tout de nouveau toute secte séparée de la Religion Catholique, en quelque endroit qu’elle puisse être.

Avons remontré à la répondante, qu’il ne s’agit pas de savoir quelle est la doctrine ni de l’examiner, mais qu’il s’agit seulement de déclarer si elle ne sait pas qu’il y a une secte et une Église particulière à Lourdes1166, qui suit la doctrine d’elle répondante et du père la Combe, ainsi qu’il paraît qu’elle en a connaissance par toutes les lettres du père de La Combe et particulièrement par la dernière que nous lui représentons, par [f ° 180] laquelle le père de La Combe marque précisément en ces mots : «Il s’est fait une augmentation de notre Église» et si elle répondante n’était pas de cette Église, le père de La Combe ne l’aurait pas qualifiée comme il a fait, notre Église.

A dit que le père de La Combe ne lui a jamais écrit de la petite Église, que dans les trois dernières lettres qu’il lui a écrites, et que nous lui avons représentées, et qu’elle ne peut dire sur ce sujet que ce qu’elle nous a déjà dit plusieurs fois.

Avons remontré à la répondante, que nous ne pouvons nous dispenser de lui représenter encore qu’elle répondante ayant supprimé toutes les autres lettres du père de la Combe, il semble qu’il lui est aisé de dire comme elle dit présentement que le père de La Combe n’a écrit de la petite Église que par les trois dernières lettres qui ont été conservées.

A dit qu’elle n’a point supprimé les autres lettres du père de la Combe, et qu’on n’a qu’à l’interroger lui-même sur ce sujet, et qu’elle n’a aucune idée ni souvenir qu’il lui ait écrit dans les autres lettres de la petite Église; et n’a jamais pu entendre par là sinon que c’était un nombre de personnes qui faisaient profession d’une vie intérieure dans l’Église, et d’une piété plus solide.

Si les autres lettres sont entre les mains d’elle répondante.

Et dit que non.

Si elle nous veut déclarer entre les mains de qui elle les a mises.

A dit qu’elles sont entre les mains d’une personne de qualité, à laquelle elle les a envoyées, lorsqu’elle les a reçues1167.

Avons remontré à la répondante, que les termes de la dernière lettre du père de la Combe, non plus que ceux des deux autres qui lui ont été représentées, ne sont point équivoques, et qu’il ne lui aurait point écrit comme il a fait, si elle répondante n’avait pas été en état d’entendre ce qu’il lui écrivait au sujet de la petite Église, et il a fallu nécessairement qu’elle ait su qu’il y avait une Église, pour entendre l’augmentation qui s’y était faite en dernier lieu par les trois religieuses qui l’ont augmentée.

A dit qu’elle n’a jamais entendu autre chose que l’union de vertu de sainteté de plusieurs personnes qui se sont unies pour la pratique.

Avons remontré à la répondante, que les trois religieuses qui ont augmenté l’Église dont le père de La Combe lui a écrit, étaient, suivant sa lettre, d’un monastère assez proche de Lourdes. Ce monastère, ou cette communauté de filles religieuses, avait un pasteur et des supérieurs orthodoxes, sous la conduite desquels elles observaient les règles de l’Église et celles de leur institut; elles faisaient oraison et elles priaient ainsi qu’il leur avait été enseigné de prier, jusqu’à ce que le père de La Combe a eu occasion de leur parler, et jusqu’à ce qu’en leur enseignant à faire oraison il a fait abandonner, premièrement à l’une de ces trois religieuses, la manière de prier et de faire l’oraison qu’elles avaient apprise dans l’Église catholique sous la conduite de son pasteur et de ses supérieures légitimes; c’est de cet religieuse la première persuadée, que le père de La Combe a écrit que son Église avait été d’abord augmentée, et pour le compte qu’il a voulu rendre à elle répondant, il lui a écrit les dispositions des deux autres religieuses, même de ce qui manquait encore à l’une des deux pour être introduite dans cette Église; par où il est manifeste que cette Église du père de la Combe, et de laquelle il a écrit si souvent, [f ° 181] a une doctrine particulière et une manière de prier différente de celle de l’Église catholique, et il paraît qu’elle répondante, ne reconnaît pas la vérité, lors qu’elle persiste à dire qu’elle ne sait ce que c’est que cette Église, quoique cette même Église la reconnaisse pour mère, et qu’elle fasse profession d’exprimer sa doctrine.

Et dit qu’elle a dit la vérité, et qu’elle demande que le père de la Combe, qui est un homme de doctrine, soit entendu sur ce sujet et qu’il rende raison de ce qu’il a écrit. Elle répondante ne voulant pas s’engager dans cette discussion et qu’elle ne peut dire autre chose que ce qu’elle a dit.

Avons remontré à la répondante, qu’elle devait d’autant moins persister dans cette dénégation, qu’il paraît par les trois dernières réponses du père de la Combe, et par ce qu’elle a bien voulu reconnaître elle-même, que les sentiments du père de La Combe et ceux d’elle répondante, sont entièrement conformes; que leur doctrine qui est celle des Enfants du petit maître, sont non seulement semblables, mais encore concertées entre eux; que les livres imprimés, que les manuscrits qu’elle répondant a dit avoir faits, sont ouvrages communs d’elle et du père de la Combe, et que depuis qu’elle et le père de La Combe ont été séparés, ils n’ont cessé d’…1168 réciproquement et sur toute leur conduite, le conseil l’un de l’autre.

A dit que le dit père de la Combe, lui ayant été donné par un évêque pour son directeur, et qu’elle-même l’ayant depuis choisi pour cela, elle n’aurait jamais cessé de lui obéir et de suivre sa conduite, si elle avait été à portée de le pouvoir faire; qu’elle lui obéirait encore si elle pouvait lui demander ses avis et ses conseils, à moins qu’il ne lui fût défendu, ou que l’on lui fit voir quelques erreurs dans la doctrine du père de La Combe et dans ce dernier cas d’hérésie, elle le détesterait de tout son cœur, et qu’il y a peu d’apparence qu’une petite femme ignorante comme elle1169, se soit mêlée de donner des conseils au père de la Combe, que ce n’est que par humilité et confiance qu’il lui a écrit ce qui se trouve dans les lettres.

Avons remontré à la répondante, qu’on ne saurait douter de la vérité de ces faits, quand on ne ferait attention qu’au seul fait du manuscrit de l’explication de l’Apocalypse, qu’elle répondante a reconnu avoir envoyé au père de La Combe et que ce qu’il lui a écrit à ce sujet, par ses deux dernières lettres des 11 novembre et 7 décembre derniers, elle répondante avait montré à messieurs les évêques qui ont examiné sa doctrine et ses écrits, le manuscrit de l’explication de l’Apocalypse, et après l’avoir vu ils lui avaient défendu de le faire imprimer, même d’en faire voir le manuscrit; cependant elle n’a pas laissé depuis1170 de l’envoyer au père de la Combe, qui lui a fait réponse par sa lettre du onzième de novembre, contre le sentiment de ceux qui avaient le droit et l’autorité d’en juger et auxquels elle s’était soumise; ces termes qui sont dans la lettre du père de La Combe : «Votre explication de l’Apocalypse me paraît très belle, très solide et très utile. Je ne m’étends pas davantage, jusqu’à ce que nous sachions si notre adresse nouvelle réussira», et depuis le même père de La Combe lui a écrit par son autre lettre du 7 décembre dernier : «J’ai vu votre Apocalypse avec beaucoup de satisfaction, nul autre de vos livres sur l’Écriture ne m’avait tant plu, il y a moins à retoucher que dans les autres, les états intérieurs sont fort bien décrits et tirés, non sans merveille, du texte sacré où rien ne paraît être moins compris.»

A dit que M. l’évêque de Meaux, auquel elle a donné un des deux manuscrits qu’elle [f ° 182] avait de L’Explication de l’Apocalypse, ne lui a point défendu de le faire voir, et de lui a point dit non plus qu’il y eut rien mauvais, et quand elle a envoyé le manuscrit qui lui restait de cette Explication, ç’a été pour s’en défaire, bien aise néanmoins de le remettre entre les mains d’un homme de doctrine et savant, afin qu’il y corrigeât les fautes qu’elle y pourrait avoir faites par ignorance.

Avons remontré à la répondante qu’il n’est point extraordinaire que le père de La Combe ait voulu après cela, aussi bien que les autres sectateurs d’elle répondante, la reconnaître en qualité de mère de leur petite Église et professer sa doctrine, puisque le même père de la Combe, n’a fait aucune difficulté de lui écrire au mois de décembre 1695, au sujet de la doctrine d’elle répondante : «Si toute votre explication de l’Écriture était assemblée en un volume, on pourrait l’appeler la Bible des âmes intérieures, et plût au ciel qu’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies, afin qu’un si grand ouvrage ne se perdît pas. Les vérités mystiques ne sont point expliquées ailleurs avec autant de clarté et d’abondance, et ce qui importe le plus, avec autant de rapport aux saintes Écritures1171». L’on ne doit point être surpris que le père de La Combe se soit ainsi expliqué en dernier lieu au sujet de l’explication de l’Apocalypse, puisque plusieurs années auparavant et dans un temps où la conduite du père de La Combe à l’égard d’elle répondante ne paraît pas avoir été accompagnée de toute la précaution et de toute la prudence qui pouvait être à désirer, il n’a fait aucune difficulté de mettre dans la préface qu’il a faite au livre de l’Explication du Cantique des Cantiques, qu’elle répondante a dit avoir composé, et qui a été juridiquement censuré et condamné par les grands évêques qui l’ont examiné, de dire entre autres choses d’elle répondante, dans cette préface de son livre, que «ce livre nous avait été donné par l’organe d’une personne de piété, laquelle paraissait avoir été choisie comme une autre Sulamite, pour nous donner l’éclaircissement du Cantique des Cantiques1172». Que c’est sur ces mêmes sentiments que la secte et la petite Église, se sont formées, cette Église dans laquelle on professe la doctrine d’elle répondante, et de laquelle elle est qualifiée la mère. Mais c’est aussi ce qui doit porter elle répondante à reconnaître sincèrement la vérité, et de déclarer ce qu’elle sait à cet égard, pour ne se point exposer à la confusion de s’être efforcée en vain de couvrir par ses dénégations et par quelque ambiguïté dans ses réponses, ce que la vérité et la lumière ne peuvent manquer de découvrir.

A dit qu’elle ne loue point le père de la Combe de tout ce qu’il peut avoir écrit d’avantageux au sujet d’elle répondante, et que s’il y a quelque chose de bon dans ses livres et dans ses écrits, c’est Dieu uniquement qui lui a donné, et s’il s’y trouve quelque chose de mauvais, elle répondante reconnaît qu’il vient entièrement de sa part, et prie Dieu qu’Il veuille bien le retrancher, ayant même prié ceux qui les ont lus, de le vouloir faire; qu’elle n’a pas de doctrine particulière, et que ce que le père de La Combe a trouvé à louer dans ses écrits, lui a paru conforme à la doctrine de l’Église, laquelle est composée de deux parties (comme tout chrétien) d’intérieur et d’extérieur, et qu’à proportion qu’un chrétien est intérieur, il est plus parfait, d’autant que c’est l’intérieur qui fait agir l’extérieur, et que nos actions extérieures sont d’autant plus parfaites qu’elles procèdent d’un principe plus pur, en nous unissant à Dieu, qui nous a appris qu’il ne fallait pas honorer des lèvres seulement, mais aussi [f ° 183] en esprit et en vérité.

Si c’est d’elle-même, ou si c’est sur le témoignage du père de la Combe, ou de quelque autre, qu’elle a dit en plusieurs lieux et à diverses personnes, qu’elle avait la grâce et la vocation de l’apostolat.

A dit que, quoique qu’elle se reconnaisse très orgueilleuse, il ne lui est point arrivé néanmoins de dire rien de semblable d’elle-même en aucun lieu ni a aucune personne; qu’il est bien vrai qu’elle a fait et composé un petit écrit de l’état apostolique et des qualités que doivent avoir les personnes qui n’ont point de caractère ecclésiastique, et qui veulent aider aux autres à faire leur salut, que ces personnes doivent avoir des qualités éminentes, une grâce et une vocation particulière, ne se point chercher, ni même s’ingérer à cela, et qu’il fallait attendre que1173 la providence en fournît les sujets et les occasions.

Si elle n’a pas dit aussi qu’elle se prétendait tellement remplie de grâce, qu’elle était comme forcée d’écrire et de la répandre par ses écrits, et qu’elle a dit aussi d’elle-même qu’elle était la femme forte et autres choses de pareille nature.

A dit qu’elle a écrit dans ses Justifications, ce qui regarde les communications intérieures; qu’elle en a écrit en d’autres endroits, mais qu’elle n’en a jamais parlé à personne et n’a jamais dit ni pensé les autres choses mentionnées en cet article de son interrogatoire.

Lecture faite du présent interrogatoire.

A dit ses réponses contenir vérité, y a persévéré et a signé la minute. Signé J. M. Bouvier [et] de la Reynie1174.

Vie, 4,5 : La fausse lettre de La Combe

Quelques jours après cette grande lettre, M. de Paris me vint voir en grand apparat1175. Il entra dans ma chambre avec M. le curé, qui était au désespoir de ce que j’y avais paru si insensible. Il s’assit et fit asseoir M. le curé auprès de lui. Et comme je m’étais mise à une place qui était à contre-jour, il me fit mettre au grand jour parce qu’il me voulait voir en face.

Il se contraignit d’abord pour me parler avec douceur et me dit : «Je suis venu pour vous remettre bien avec M. le curé qui se plaint fort de vous, et qui ne veut plus vous confesser». Je lui répondis : «Monseigneur, je ne crois pas lui avoir donné sujet de se plaindre de moi et je m’y suis confessée par obéissance».

C’était tout dire. Car je suis persuadée, sans me flatter, [108] qu’une autre que moi ne s’y serait pas confessée après avoir connu que cet homme ne travaillait qu’à ma perte. Mais, comme il était revêtu du caractère1176, je croyais me confesser à mon cher Maître en m’y confessant. Et j’ai toujours éprouvé qu’il me parlait si diversement au confessionnal de ce qu’il faisait ailleurs, que cela me confirmait la promesse de Jésus-Christ, lequel permet souvent à un mauvais prêtre de le consacrer, qu’il confesse lui-même dans un méchant et lui fait dire ce qui lui plaît. Je ne juge point de celui-ci. Je ne dis que des faits d’histoire que je jurerais sur l’Évangile.

Pour revenir à ce que je disais, M. de Paris me dit : «Mais s’il ne vous confesse pas, personne ne voudra vous confesser! - Monseigneur, lui dis-je, les jésuites me confesseraient si j’étais libre». Cela le mit dans une fort mauvaise humeur.

Il voulut m’obliger à faire une déclaration publique que j’avais commis quantité de désordres honteux avec le P. La Combe [109] et me fit des menaces terribles si je ne déclarais pas que j’avais imposé aux gens de bien, que je les avais trompés, et que j’étais dans le désordre lorsque j’avais fait mes écrits. Enfin il me témoigna une colère que je n’aurais jamais attendue d’un homme qui m’avait autrefois paru si modéré. Il m’assura qu’il me perdrait si je ne faisais ce qu’il souhaitait.

Je lui dis que je savais tout son crédit, car il faut remarquer que M. le Curé avait pris grand soin de m’informer de sa faveur en m’apprenant le mariage de Monsieur son neveu avec la nièce de Mme de Maintenon1177, que le roi lui avait donné la chemise, ce qui ne se faisait qu’aux Princes, qu’il lui avait donné beaucoup en faveur de ce mariage, en un mot tout ce qui pouvait me donner une grande idée de la considération que cela lui donnait dans le public. Mais Dieu sait le cas que je fais des fortunes de la terre. Je lui répondis donc qu’il pouvait [110] me perdre s’il le voulait, et qu’il ne m’arriverait que ce qu’il plairait à Dieu. Il me dit là-dessus : «J’aimerais mieux vous entendre dire : “Je suis au désespoir”, que de vous entendre parler de la volonté [de] Dieu. — Mais Madame, me dit M. le curé, avouez, Madame, que lorsque vous avez écrit vos livres, vous étiez dans le désordre! — Je mentirais au Saint-Esprit, lui répondis-je, si j’avouais une pareille fausseté. — Nous savons ce qu’a dit la Maillard», reprit M. de Paris. (C’est cette gantière dont il a été déjà parlé du temps que je fus mise aux Filles Ste Marie). — Monsieur, pouvez-vous faire fond sur une malheureuse qui a sauté les murailles de son cloître, où elle était religieuse, pour mener une vie débordée dont on a des attestations ainsi que de ses vols; qui enfin s’est mariée; et le reste de son affreuse histoire? — Il me dit : Elle ira droit en paradis et vous en enfer. Nous avons la puissance de lier [111] et de délier. — Mais, Monsieur, lui répliquai-je, que voulez-vous que je fasse? Je ne demande qu’à vous contenter et je suis prête à tout pourvu que je ne blesse point ma conscience». Il me répondit qu’il voulait que j’avouasse que j’avais été toute ma vie dans le désordre; que si je faisais cela, il me protégerait et dirait à tout le monde que j’étais convertie. Je lui fis voir l’impossibilité où j’étais d’avouer une pareille fausseté, et sur cela il tira de sa poche une lettre qu’il me dit être du P. de La Combe1178.

Il me la lut et me dit ensuite : «Vous voyez que le Père avoue avoir eu des libertés avec vous qui pouvaient aller jusqu’au péché». Je n’eus ni confusion ni étonnement de cette lettre. M’étant approchée pour la considérer, je m’aperçus qu’il m’en cachait l’adresse avec soin et même l’écriture m’en parut contrefaite, quoique assez ressemblante. Je lui répondis que, si le Père avait écrit cette lettre, [112] il fallait qu’il fût devenu fou ou que la force des tourments la lui eût fait écrire. Il me dit : «La lettre est de lui — Si elle est de lui, dis-je, Monsieur, il n’y a qu’à me le confronter.1179 C’est le moyen de découvrir la vérité».

M. le curé prit la parole et fit entendre qu’on ne prendrait pas cette voie parce que le Père La Combe ne faisait que me canoniser, qu’on ne voulait pas mettre cette affaire en justice, mais qu’il amènerait des témoins qui feraient voir que l’on m’avait convaincue.

M. de Paris appuyant son discours, je lui dis que, cela étant ainsi, je ne lui dirais mot. Il reprit qu’on me ferait bien parler. «Non, lui dis-je, on pourra me faire endurer ce que l’on voudra, mais rien ne sera capable de me faire parler quand je ne le voudrai pas».1180

Il me dit que c’était lui qui m’avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j’avais pleuré en le quittant, parce que je savais bien qu’on ne m’ôtait de ce lieu que pour me mettre dans un autre où l’on pourrait me supposer [113] des crimes. Il me dit qu’il savait bien que j’avais pleuré en le quittant, que c’étaient mes amis qui l’avaient prié de se charger de moi et que sans cela on m’aurait envoyée bien loin. A quoi je répondis qu’on m’aurait fait un fort grand plaisir.

Alors il me dit qu’il était bien las de moi. Je lui dis : «Monsieur, vous pourriez vous en délivrer si vous vouliez, et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pourriez me remettre». Il parut embarrassé et il me dit qu’il ne savait que faire, et que, M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouverait personne qui se voulût charger de moi. Et s’approchant, il me dit tout bas : «On vous perdra». Je lui dis tout haut : «Vous avez tout pouvoir Monsieur, je suis entre vos mains. Vous avez tout crédit, je n’ai plus que la vie à perdre. - On ne veut pas vous ôter la vie, me dit-il, vous croiriez être martyre et vos amis le croiraient aussi; il faut les détromper1181».

Ensuite il m’attesta par le Dieu vivant, comme au jour du jugement [114] de dire si je n’avais jamais eu la moindre et légère liberté avec le P. La Combe. Je lui dis, avec ma franchise et ingénuité qui ne peut mentir, que lorsqu’il arrivait de quelque voyage, après bien du temps qu’on ne l’avait vu, il m’embrassait me pressant la tête entre ses mains, qu’il le faisait avec une extrême simplicité et moi aussi. Sur cela, il me demanda si je m’en étais confessée. Je lui répondis que non et que, n’y croyant pas de mal, la pensée même ne m’en était pas venue; qu’il ne me saluait pas moi seulement, mais toutes les personnes qui étaient présentes et de sa connaissance. «Avouez donc, dit M. le curé, que vous avez vécu dans le désordre — Je ne dirai jamais un pareil mensonge, Monsieur, lui répondis-je, et ce que je vous dis n’a rien de commun avec le désordre et en est bien éloigné.» Si ce ne sont pas les mêmes paroles, c’en est au moins la substance.

Comme je parlais [avec] beaucoup de respect à Monsieur de Paris, il me disait : «Eh! Mon Dieu, Madame, pas tant [115] de respect et plus d’humilité et d’obéissance!» Il y eut un autre endroit où se laissant aller à l’excès de sa peine, il me dit : «Je suis votre arch [evêque]. J’ai le pouvoir de vous damner, oui, je vous damne! ». Je lui répondis en souriant : «Monsieur, j’espère que Dieu aura plus d’indulgence, et qu’il ne ratifiera pas cette sentence». Il me dit encore que mes filles endureraient le martyre pour moi et que c’était ainsi que je séduisais ceux qui m’avaient connue. Dans un autre endroit, en me demandant de signer que j’avais commis des crimes et d’énormes péchés, il m’alléguerait1182 l’humilité de saint François qui le disait de lui. Lorsque je disais que je n’en avais point fait, l’on m’accusait d’orgueil et d’endurcissement, et si je l’eusse avoué dans le sens de saint François, l’on m’aurait donnée au public comme reconnaissant avoir commis ces infamies.

Il me demanda encore si j’étais sûre que la grâce fût en moi. Je dis à cela que nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. [116] Il me reprocha l’histoire de ma Vie et voulait me faire écrire que l’envie de me faire estimer m’avait portée à écrire tous les mensonges dont elle est pleine.

Il me reprocha que je faisais prendre la meilleure viande, et examina sur le livre de la sœur ce qu’on achetait pour ma nourriture : la volaille, le vin, rien ne fut oublié. A la vérité tout y était mis avec emphase, et je me souviens d’un grand article où il y avait pour poules, pigeons et chapons, trente-six sols. Le vin, qu’on avait pris pour le quinquina dont je faisais un usage presque continuel à cause de la fièvre qui me reprenait toujours, fut exagéré comme si je buvais avec excès. Mais à tout cela je n’ouvrais pas la bouche.

Enfin après bien des menaces des suites fâcheuses à quoi je me devais attendre, M. de Paris s’en alla et M. le Curé, restant, me dit : «Voilà la copie de la lettre du P. La Combe. Lisez-la avec attention, écrivez-moi, à moi, [117] et je vous servirai.» Je ne lui répondis rien, et M. de Paris l’envoya quérir pour le ramener. Voici la copie de cette lettre :

«C’est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous, et que je rejette et déteste toute maxime et toute conduite qui s’écarte des commandements de Dieu et de ceux de l’Église, désavouant hautement tout ce que j’ai pu faire ou dire contre ces sacrées et inviolables lois, et vous exhortant en Notre Seigneur d’en faire de même, afin que vous et moi réparions autant qu’il est en nous le mal que peut avoir causé notre mauvais exemple, ou tout ce que nous avons écrit qui peut donner la moindre atteinte à la règle des mœurs que professe la Sainte Église catholique, à l’autorité de laquelle doit être soumise, sous le jugement des prélats, toute doctrine de spiritualité de quelque degré que [118] l’on prétende qu’elle soit. Encore une fois je vous conjure dans l’amour de Jésus-Christ que nous ayons recours à l’unique remède de la pénitence, et que par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l’Église par nos fausses démarches. Confessons, vous et moi, humblement, nos péchés à la face du ciel et de la terre, ne rougissons que de les avoir commis et non de les avouer. Ce que je vous déclare ici vient de ma pleine franchise et liberté. Et je prie Dieu de vous inspirer les mêmes sentiments qu’il me semble recevoir de sa grâce et que je me tiens obligé d’avoir.» Fait le 27 avril 1698. Signé Dom François de La Combe, Religieux barnabite.»

Cette lettre m’ayant été lue par M. de Paris, je demandai à la voir. Il me fit grande difficulté. Enfin, la tenant toujours sans [119] vouloir me la mettre entre les mains, je vis l’écriture, un instant, qui me parut assez bien contrefaite. Je crus que c’était un coup de portée1183 de ne pas faire semblant de m’en apercevoir dans la pensée qu’ils me confronteraient au P. La Combe lorsque je serais en prison, et qu’il me serait pour lors plus avantageux d’en faire connaître la fausseté. Ce qui me porta à dire simplement que si la lettre était de lui, il fallait qu’il fût devenu fou depuis seize ans que je ne l’avais vu, ou que la question qu’il n’avait pu porter1184 lui eût fait dire une pareille chose.

Mais après qu’ils furent partis et que j’eus lu la copie que M. le curé m’avait laissée, je ne doutais point que la lettre ne fût véritablement contrefaite et que cette copie même n’en fût l’original, parce qu’on y avait corrigé un v différent de ceux du P. La Combe; et corrigé d’une main que je reconnus, pour servir de modèle à l’écrivain, [120] lequel en contrefaisant le corps de l’écriture s’était négligé sur les v qu’il n’avait pas faits semblables à ceux du Père.

De dire tout ce qui me passa dans l’esprit au sortir de cette conversation, c’est ce qu’il ne m’est pas possible. Il est certain que le respect que je croyais devoir à un homme de ce caractère m’empêcha de lui donner un démenti en face, en lui faisant connaître que je voyais l’imposture dans toute son étendue et l’indignité du piège qui m’était tendu. Mais je ne pus me résoudre à lui donner une telle confusion, outre qu’en lui laissant supposer que je croyais la lettre véritable, je les rendais par là plus hardis de la produire au public, ce qui m’aurait donné lieu d’en faire connaître la fausseté à tout le monde, et de faire juger de la pièce par l’échantillon.

Car quoi de plus naturel, pour justifier tant de violences et pour ne laisser aux gens qui m’estimaient [121] encore aucun lieu de le faire, que de me faire mon procès sur de telles pièces et avec des témoignages si capables de les détromper? Le public si prévenu en aurait saisi les moindres apparences, et mes amis, qu’on avait si fort au cœur, disait-on, de faire revenir de leurs préjugés, n’auraient rien eu à répliquer, et auraient dû être les premiers à me jeter la pierre, comme les ayant trompés sous un faux voile de piété : tout était fini. Et l’on n’aurait jamais pu donner assez de louanges à ceux qui auraient rendu un si grand service à l’Église : voilà ce que la droiture leur devait inspirer.

Mais, ce qui paraîtra peut-être incroyable, c’est qu’après avoir répandu cette prétendue lettre du P. La Combe dans tout Paris, et de là dans les provinces, comme une conviction des erreurs du quiétisme et en même temps comme une justification de la conduite que l’on tenait à mon égard en m’envoyant à la Bastille, il n’a jamais été question ni de cette lettre, ni des affaires du P. La Combe, dans tant d’interrogatoires qu’il m’a fallu souffrir. [122] Ce qui est encore une preuve bien certaine qu’on ne cherchait qu’à imposer au public et encore plus à Rome en confondant les affaires de M. de Cambrai avec les miennes, pour le rendre odieux à cette Cour, et justifier l’éclat qu’on avait fait par des vues que ne faisant rien à ce qui me regarde, je passe sous silence.

Une preuve encore que le P. La Combe n’avait pu écrire cette lettre, c’est que, dans cette conversation, l’on me fit entendre qu’il me canonisait. Quel rapport y a t-il à [entre] une louange si excessive, et une lettre qui suppose des crimes! Elle n’est même pas de son style, et il est aisé d’y voir une affectation dans les termes propre à l’effet pour lequel elle était composée.

De plus le P. La Combe n’avait pu m’écrire une pareille lettre sans être le plus scélérat de tous les hommes, lui qui m’a confessée si longtemps et qui a connu jusqu’aux derniers replis de mon cœur. Mais je suis bien éloignée d’une telle pensée, l’ayant toujours estimé et regardé comme un des plus grands serviteurs que Dieu ait sur la terre. Si Dieu ne permet [123] pas que son innocence soit reconnue pendant sa vie, l’on verra avec étonnement, dans l’éternité, le poids immense de gloire réservé à ses souffrances.

Je trouvai encore le moyen d’envoyer cette copie à la même personne et la priai instamment de me la garder, car il sera toujours aisé de voir par cette copie la fausseté de l’original. Et j’ai su depuis qu’elle l’avait encore.

Ma première pensée fut de m’aller mettre à la Conciergerie et de présenter ma plainte au Parlement, attendu qu’il s’agissait de crimes. Mais, outre que je ne pouvais me tirer de cette maison qu’en impliquant autrui dans mes affaires, il me parut qu’en y étant par une lettre de cachet, je leur donnerais par cette démarche une prise sur moi dont on ne manquerait pas de me faire une nouvelle accusation, mieux fondée que les autres. Je demeurai donc en paix, en attendant ce qu’il plairait à Dieu d’en ordonner, mais comptant sur les plus grandes violences.

Je sus par cette bonne paysanne que M. de Cambrai [124] demandait sans cesse quelle mine je faisais, ce que je disais, mais Dieu ne permit pas qu’on remarquât le moindre changement ni le moindre chagrin sur mon visage ni dans mes discours. Je remarquais bien que les filles m’observaient avec attention et même paraissaient inquiètes, mais j’agissais à l’ordinaire, leur faisant les mêmes honnêtetés et gardant un profond silence. On me fit proposer adroitement de fuir pour éviter les mauvais traitements à quoi j’allais être exposée. Mais le piège était grossier, j’étais bien éloignée de le faire, car c’était donner gain de cause à mes ennemis.

Desgrez se trouvant malade, je restai trois semaines dans cette situation. Enfin, se trouvant guéri au bout de ce temps-là, il vint et me dit qu’on l’avait fort pressé de venir, et le sujet qui l’en avait empêché. Il ajouta qu’on m’accusait d’avoir commis mille crimes dans cette maison. Cette bonne paysanne se trouvant là dans ce moment, je lui demandai devant [125] lui ce que j’avais fait. «Hélas, Madame, répondit-elle, rien que du bien, et aucun mal.» Je dis à Desgrez : «Vous savez ce que je vous dis en venant : qu’on ne m’amenait ici que pour me faire des suppositions? Le voilà bien vérifié». Il me dit tout bas et presque la larme à l’œil : «Que vous me faites de pitié.» Il avait ordre de ne laisser aucun papier sans l’apporter1185. M. le Curé croyait par là reprendre ses lettres, mais il ne se trouva rien. En m’envoyant quelque chose, un jour, que je l’avais prié de me faire acheter — c’étaient des livres — il se trouva dedans des imprimés exécrables. Je n’y eusse jamais pris garde si, en voulant dévider un écheveau, je n’eusse aperçu au papier quelque chose d’affreux. Je brûlai tous ces papiers. S’il fit donner cet ordre à dessein, ou si c’est par hasard, Dieu le sait, mais il eut la bonté de m’assister en cela comme en tout le reste.

Il faut que je dise la disposition de mon cœur et tous les sacrifices que Dieu me fit faire dans cette maison de Vaugirard. [126] Premièrement j’y étais, malgré les bourrasques, dans une très grande tranquillité, attendant de moment à autre l’ordre de la Providence à qui je suis dévouée sans réserve. Mon cœur était dans un continuel sacrifice sans sacrifice, contente d’être la victime de la Providence.

Un jour, je ne pensais à rien, il fallut me mettre à genoux et me prosterner même, avec une certitude qu’on m’ôterait mes filles afin de me tourmenter davantage et de les tourmenter elles-mêmes pour les obliger à dire quelque chose contre moi. Je le leur dis. Elles pleurèrent amèrement et me prièrent de demander à Dieu que cela ne fût pas. Loin de le demander, j’en fis le sacrifice, ne pouvant que vouloir la volonté de Dieu.

Une autre fois, j’eus un pressentiment qu’on m’ôterait la communion. Il fallut m’y sacrifier, et consentir à ne communier qu’à la volonté de Dieu. Tout cela arriva.

Après que Desgrez eut fouillé partout, il me dit [127] qu’il fallait aller seule en prison sans mes filles. Je ne fis aucune résistance et ne donnais nulles marques de chagrin. Elles se désespéraient quand elles se virent arrachées de moi. Je leur dis qu’il ne fallait tenir à rien et que Dieu leur serait toute chose. Je partis de la sorte après les avoir vues faire mettre avec violence dans deux carrosses séparés afin qu’elles ne sussent l’une et l’autre où on les menait. Elles ont toujours été séparées, et ce qu’on leur a fait souffrir pour [les faire] parler contre leur maîtresse passe l’imagination, sans que Dieu ait permis que tant de tourments leur aient fait trahir la vérité. Il y en a encore une dans la peine depuis dix ans pour avoir dit l’histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’] autre, dont l’esprit était plus faible, le perdit par l’excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d’elle contre moi. On la mit depuis en liberté et on la rendit à ses parents. [128] Les bons traitements qu’on lui a faits et le soin que sa famille en a pris, l’ont entièrement rétablie, et elle y vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur.

On me mena donc seule à la Bastille.

J’ai oublié de dire que, comme j’avais la fièvre double tierce, je prenais presque continuellement du quinquina. On allait quérir du vin au cabaret. De sorte que, quoiqu’en un autre temps il n’en fallût qu’une chopine par jour pour moi, tout le vin qu’il fallait pour le quinquina, joint à l’autre, [cela] en faisait beaucoup en peu de temps. On écrivit tout ce vin sur le mémoire, et montrant cet endroit à M. de Paris il semblait que j’en busse environ deux pintes par jour, parce que l’on n’avait pas mis que c’était pour du quinquina, de sorte qu’il me reprocha que je me gorgeais de vin et de viande. J’avais encore de si grands maux d’estomac que je ne pouvais manger. Je lui répondis que [129] j’étais sûre que s’il me voyait manger, il trouverait plutôt que je mangeais trop peu que par excès. Il demanda si j’avais jeûné tout le carême. On lui dit que oui. Il fit sur cela une certaine mine dédaigneuse. Il est certain que je n’étais guère en état de le faire, vomissant presque tout ce que je mangeais. Cependant je jeûnai tout le carême avec des douleurs inexplicables. Il fallait quelquefois se lever la nuit pour me donner un peu de vin d’Alicante : je croyais aller mourir.

Après qu’on eut enlevé le vin, cette sœur dont j’ai parlé venait pour m’en parler, et d’autres de la communauté de Paris, afin que je dise quelque chose qu’elles pussent déposer contre moi parce que, le vin n’étant plus, les preuves manquaient. Mais je ne répondais rien. M. le Curé eut même la hardiesse de dire dans sa lettre et dans ses mémoires que, ne m’étant pas contentée du meilleur vin de Paris à cent écus le muid, [130] j’en envoyais encore prendre au cabaret. Ce vin était si pernicieux qu’en ayant emporté une bouteille à la Bastille pour me justifier, et pour être un témoignage de ce qui s’était passé à Vaugirard, une demoiselle, en balayant une araignée, fit tomber cette bouteille et la cassa. L’odeur seule fit qu’elle se trouva mal, et elle fut du temps à en revenir et mourut peu après.

Je ne peux dire par le menu tout ce qu’on me fit dans cette maison; tout ce que je peux dire, c’est que j’aurais regardé comme délice d’aller à la Bastille, si on m’y avait laissé mes filles, ou du moins une, parce que je croyais que je n’aurais à répondre qu’à M. de la Reynie, qui étant un homme droit et plein d’honneur, ne laissait craindre aucune surprise. Et comme je leur ai dit à eux-mêmes, je ne crains rien de la vérité, mais des suppositions et du mensonge.

Le procès des mœurs (revue de détail)

Le procès1186 qui fut fait à Mme Guyon comporte deux volets, l’un lié au quiétisme en tant qu’une spiritualité condamnée en 1687, l’autre portant sur ses mœurs. Nous traitons ici ce second volet1187.

Il est nécessaire de revenir en arrière, aux années «étrangères» passées en Savoie et en Piémont. A l’automne 1683, elle se rend de Thonon à Turin qu’elle quittera le 2 avril 1684 pour Grenoble. Elle reprend dans cette ville française un apostolat :

Je ne fis aucune visite, mais je fus surprise lorsque, peu de jours après mon arrivée, il vint me voir plusieurs personnes qui faisaient profession d’être à Dieu d’une manière singulière. /Je m’aperçus aussitôt d’un don de Dieu qui m’avait été communiqué, sans que je le comprisse, du discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre. […] Je voyais clair dans le fond l’état des âmes de celles qui me parlaient, et cela avec tant de facilité, que celles qui venaient me voir étaient dans l’étonnement et se disaient les unes aux autres que je leur donnais à chacune ce qu’elles avaient besoin […], elles s’envoyaient (à moi) les unes les autres. Cela vint à tel excès que, pour l’ordinaire, depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, j’étais occupée […]. Il leur était donné une facilité surprenante pour l’oraison… 1188.

Cet apostolat s’étend à des religieux capucins et / ou bénédictins1189 :

… un frère qui s’entend très bien aux malades étant venu à la quête, et ayant su que j’étais mal, entra. Notre Seigneur […] permit que nous entrâmes dans une conversation qui réveilla en lui l’amour qu’il avait pour Dieu, et qui était, à ce qu’il dit, étouffé par ses grandes occupations. Je lui fis comprendre qu’il n’y avait aucune occupation qui pût l’empêcher ni d’aimer Dieu, ni de s’occuper de lui.1190.

Ce bon frère fit en sorte que son supérieur me vint voir pour me remercier des charités, disait-il, que je leur faisais. Notre Seigneur permit qu’il trouvât quelque chose dans ma conversation qui lui agréa. Enfin il fut achevé d’être gagné, et ce fut lui qui, étant fait visiteur à quelque temps de là, débita une si grande quantité de ces livres [il s’agit du Moyen court] qu’ils firent acheter à leurs frais…1191.

Elle fait allusion à l’ordre dont nous savons par l’intervention de leur Général qu’il s’agit des chartreux :

Notre Seigneur me donna un très grand nombre d’enfants et trois religieux fameux d’un ordre dont j’ai été et suis encore fort persécutée. Ceux-là me sont très intimes, surtout un. Il me fit servir à un grand nombre de religieuses et de filles vertueuses…1192.

Elle rédige des Explications de l’Écriture sainte incluant une interprétation du Cantique des cantiques. Le 7 mars 1685, est publié le Moyen court, à l’initiative de M. Giraud, conseiller au Parlement. D’assez nombreuses réimpressions feront de cet ouvrage un succès de librairie tandis que le rayonnement de l’auteur atteint de nombreux chartreux et des chartreuses qu’elle visite.

La grande Chartreuse n’est guère distante «de la ville de Grenoble, d’où l’on apporte tous les jours des denrées, la charge de deux mulets, car il faut beaucoup de vivres aux religieux, qui sont au nombre de plus de soixante… » 1193. Mme Guyon rencontra dom Le Masson, peut-être pour solliciter sa permission de prendre contact avec des chartreuses. Ce dernier nous déclare :

Je n’avais pu me dispenser, six ou sept ans auparavant, de parler à la dame, qui était venue de Grenoble, monter dans un endroit de nos rochers, où elle pouvait me parler. Ceux qui m’accompagnaient peuvent être des fidèles témoins de ce que je leur dis après être sorti de la conversation de cette dame, des sentiments que j’avais conçus de ces entretiens spirituels, qui m’étaient venus tout d’abord [sic] fort suspects. 1194.

Le rayonnement de l’apostolat d’une simple laïque apparaît assez dérangeant et l’évêque de Grenoble, Étienne Le Camus1195, fait prier Mme Guyon de quitter son diocèse :

… La dame me demanda la permission de continuer ses conférences, et je la lui refusai, et je lui fis dire qu’il lui serait avantageux de se retirer du diocèse [de Grenoble]. De là, elle s’en alla dans des monastères de chartreuses, où elle se fit des disciples. /Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée… [suit un récit que nous allons reproduire ci-dessous]/Ce général [dom Le Masson], homme très savant et très sage, a été obligé de sortir de sa solitude, pour aller réparer les désordres que cette dame avait faits dans quatre couvents de chartreuses, où elle avait fait la prophétesse comme partout ailleurs.1196.

Mme Guyon visita de fait probablement le monastère de Premol, distant de trois lieues de Grenoble, qui comptait une trentaine de religieuses1197 :

Elle vit en ce pays-là les chartreuses de Ple…. [sic; pour Prémol], à qui elle donna un commentaire sur le Cantique des cantiques et leur apprit beaucoup de choses de spiritualité, dont le père général des chartreux ne fut pas content : ce qui l’a même engagé depuis à faire d’autres commentaires sur le même cantique […] elle cessa, à cause de cela, de voir les chartreuses…1198.

Ses livres et sa doctrine pénétrèrent également à Mélan et à Salettes1199. Cette irruption dans la vie des chartreuses irrita le Général, dont son biographe nous dit :

À peine averti, nous le voyons recourir aux grands moyens : il va se rendre lui-même sur les lieux. /Pour comprendre ce que cette démarche a de tout à fait insolite, il faut se rappeler que l’observance des «limites de chartreuse» est pour le général [...] une tradition sacro-sainte, et à laquelle on ne cite que très peu de dérogations dans toute histoire de l’ordre. Néanmoins Dom le Masson n’hésite pas à recourir à Rome pour demander les dispenses nécessaires. Le 4 avril 1690, il obtient d’Alexandre VIII un bref l’autorisant à visiter en personne les trois couvents [...] Dom Innocent agit avec vigueur. Il fait brûler sous ses yeux tous les livres qui, de près ou de loin, touchent au quiétisme; puis il rassemble les moniales en séance capitulaire, et, après avoir réfuté les doctrines guyoniennes, il expose les principes du véritable amour de Dieu d’après saint François de Sales : la première preuve en est l’obéissance à la loi de Dieu et aux Statuts de l’ordre. [...] La visite avait porté d’excellents fruits. «Les moniales furent subjuguées par la science et la vertu du révérend père» nous dit l’historien du monastère de Mélan [...] «J’ai de la joie, écrit de son côté le général à la prieure de ce monastère, d’apprendre que vous avez remis les esprits à la paix» [...] Vous savez, ajoute-t-il, qu’il y avait bien du déchet... 1200.

L’irritation de Le Masson envers «cette femme que saint Jean appelle Jézabel dans son Apocalypse1201» l’emporte :

Je connais de quoi est capable Mme de Guyon et de nom et de doctrine, d’œuvre et même de visage, car elle a voulu me voir, et je lui ai parlé sur le bord de notre désert. [...] Mme de Maintenon a fait un bien qui est encore plus grand qu’elle ne pense en faisant écarter et resserrer cette femme... 1202.

L’alarme, qui n’avait visiblement pas été dissipée par leur rencontre, provoqua finalement la rédaction par Le Masson d’une Déclaration […] à la postérité 1203 :

Voici l’origine de ma descente chez les moniales […] J’ai reconnu depuis par expérience locale la grandeur du mal qui surpasse beaucoup tout ce que je pensais, et la nécessité du remède [...] sans recourir à Rome, où il faudrait décliner son nom, révéler la turpitude, etc.

La «turpitude» ne semble pas avoir été très considérable. En 1702 :

Dom Charles le Coulteux montre que nul reproche ne fut tenu contre les communautés de Prémol et de Salettes; il précise ce qu’on put constater à Mélan : «Choses de peu d’importance», selon lui, «dont les communautés de filles ne sont jamais exemptes». Notre documentation ne nous permet guère de concilier ces jugements contrastants [entre Le Masson et Le Coulteux]…1204.

Revenons à Mme Guyon, en route pour la seconde fois vers le Piémont, cette fois-ci par mer, car nous sommes à peine sortis de l’hiver 1685. A Marseille, elle est appréciée par le célèbre mystique aveugle Malaval. Après un voyage difficile sur mer, par suite de tempête, et sur terre, par suite du mauvais accueil des Génois bombardés peu de temps auparavant 1205, et d’une rencontre de voleurs, elle arrive à Gênes le 18 avril et à Verceil [Vercelli, à 70 kilomètres de Milan] le 20 avril. Elle est bien accueillie par l’évêque V. A. Ripa1206, qui fut en relation avec le remarquable cardinal quiétiste Petrucci, puis par son amie, la marquise de Prunai, proche de la Cour de Turin. Elle écrit toutefois le 3 juin 1685 à J. d’Arenthon, évêque de Genève, mais il lui refusera de s’installer dans son diocèse1207. Enfin, après un séjour de près d’un an en Piémont 1208, Mme Guyon et le P. la Combe, nommé à Paris, retournent au printemps 1686 en France, et passent une seconde fois par Grenoble :

Tous ceux que Dieu m’avait donnés la première fois que je fus à Grenoble, me vinrent voir durant ma maladie, et témoignèrent une extrême joie de me revoir. Ils me montrèrent les lettres et les rétractations de cette pauvre fille passionnée [Cateau-Barbe] 1209, et je ne vis pas que personne fut resté impressionné de ses contes. Monsieur de Grenoble me témoigna plus de bonté que jamais, m’assura n’en avoir jamais rien cru, et m’offrit de rester dans son diocèse. L’on me fit encore de nouvelles instances pour me porter à rester à l’hôpital général…1210.

Ils remontent enfin vers Paris. Ils sont à Lyon le 25 mai, puis à Dijon où ils rencontrent Claude Quillot, ce qui provoquera plus tard des ennuis1211. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome.

J’arrivai à Paris la veille de la Madeleine 1686 [22 juillet], justement cinq ans après mon départ.

Le dossier des accusations portant sur la vie privée de Mme Guyon deviendra incontournable puis laissera longtemps planer des doutes, parce que l’autorité du Général des chartreux, dont on nous dit qu’il était crédule, leur avait donné du poids. Les calomnies ont été réfutées grâce aux travaux érudits de L. Cognet et surtout de J. Orcibal, enfin de M.-L. Gondal.

Dom Innocent Le Masson avait écrit à M. Tronson1212, le 8 novembre 1694 :

… Permettez-moi de vous témoigner la consolation que j’ai eue en voyant l’Ordonnance de Mgr votre archevêque, qui condamne et défend les livres d’une dame directrice dont la doctrine métaphysique a fait bien du tort à plusieurs bonnes âmes, et sa conduite encore plus à quelques-unes. J’ai trouvé son Cantique 1213 entre les mains de nos filles chartreuses, qui leur aurait mis dans l’esprit de dangereuses rêveries si je ne leur avais retiré des mains; et même je leur en ai dressé un autre  1214, afin de leur arracher de l’esprit ce que celui de la dame y avait déjà imprimé. Je me donne l’honneur de vous l’envoyer…

Il s’agissait là d’une «compétition portant sur l’autorité spirituelle» : le Général avait de bonnes raisons pour ne pas accepter l’intervention d’une laïque chez ses dirigées quand bien même Mme Guyon se défendait d’avoir recherché extérieurement ou intérieurement une telle autorité.

Mais Dom Innocent ne s’arrête pas là. Dans une lettre1215 écrite trois jours plus tard, le 11 novembre 1694, où il informe l’abbé de La Pérouse1216 de l’envoi de son propre Cantique en réponse à celui de la Dame, il insinue des «choses terribles» 1217. Car tout procès d’Inquisition requiert que deux volets soient remplis, l’un portant sur la doctrine et l’autre portant sur les mœurs1218.

… J’ai écrit à M. Tronson une lettre de congratulation […] J’ai même donné charge à un des officiers de la Chartreuse de Paris de lui porter un de mes Cantiques, où il verra que je ne l’ai fait que pour détruire les dangereuses et méchantes rêveries de la Dame. […] C’est à moi-même, monsieur, que la patiente [il s’agit de Cateau-Barbe, fille qui fut un temps au service de Mme Guyon] l’A dit, flens et gemens [pleurant et gémissant]. Elle me l’a dit comme un enfant à son père, pour tirer de lui instruction et consolation. C’est un sujet d’affliction qui lui reste au cœur d’avoir suivi, etc. [sic]; et un des sujets de ses plus intimes actions de grâces à Dieu, c’est d’avoir été préservée du danger, qui lui paraît comme un abîme où elle devait périr, sans un secours spécial de la miséricorde de Dieu. C’était comme un pauvre agneau innocent qu’on menait, etc. [sic]. Il y a des circonstances singulières que le papier ne peut souffrir; mais je prie M. T [ronson] d’user de sa prudence en ceci : car si cette dame adroite [Mme Guyon] en avait la moindre ouverture, elle se douterait bien que c’est la patiente qui me l’a révélé, et elle envelopperait une fille angélique dans ses affaires. C’est un grand service pour le public que d’arrêter le cours du dommage que cette illuminée fera partout, si on la laisse faire... 1219.

On ne perçoit pas très clairement la nature exacte du lien suggéré. En tout cas Tronson aura connaissance de ces insinuations, comme l’indique sa lettre  à l’abbé de la Pérouse du 29 janvier 1695, rendant compte de la défense de Mme Guyon à l’époque des entretiens d’Issy :

… elle donne des explications si catholiques aux difficultés qu’on lui propose, qu’il ne sera pas aisé de condamner la personne touchant la doctrine, à moins qu’on ne voie du dérèglement dans les mœurs. Le fait contenu dans le billet du Père général est terrible; mais comme on ne peut nommer personne, il ne fera pas sur les esprits toute l’impression qu’il serait à désirer […] le détail que je vous ai écrit était pris de sa Vie […] je vous prie même d’effacer dans les lettres que je vous ai écrites, que ces choses sont tirées de sa Vie 1220.

Ce qu’il répète dans le post-scriptum à sa lettre adressée à Le Masson le 8 juillet 1695 :

Je n’ai pu me servir efficacement du billet que vous savez et que M. l’abbé de la Pérouse m’avait envoyé, parce que le secret [d’obligation] m’empêchant de nommer personne, ni de dire le lieu d’où il était envoyé, il n’a eu aucun effet. 1221.

Le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble, reprendra l’accusation dans une lettre adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre qui circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes1222 a déjà été citée à propos de l’activité «missionnaire» de Mme Guyon. Nous reproduisons maintenant les accusations :

[…] Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée, et qu’elle faisait coucher avec elle 1223 : cette fille est très bien faite et pleine d’esprit. Elle l’a menée à Turin, à Gênes, à MarseiIle et ailleurs, et ses parents s’étant venus plaindre à moi de l’enlèvement de leur fille, j’écrivis qu’on la renvoyât, et cela fut exécuté. Par cette fille, on a découvert d’affreux mystères. On s’est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s’expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d’une piété solide; mais aux autres, elle dit tout ce qu’il y a de plus pernicieux dans son livre des Torrents, ainsi qu’elle en a usé à l’égard de Cateau-Barbe; c’est le nom de cette fille dont l’esprit et l’agrément lui plaisaient.

Repassant par Grenoble, elle me fit tant solliciter1224, que je ne pus lui refuser une lettre de recommandation […]

Si le bénédictin [Dom Richebracque] ne s’était pas rétracté, c’eût été une nouvelle preuve contre cette dame : mais ce père se trouva engagé à se dédire par une personne de grande qualité dont il faut taire le nom 1225. Mais il y avait déjà de quoi se convaincre assez des erreurs et de la conduite de cette femme, qu’on voyait courir de province en province avec son directeur […]

Le général des chartreux a écrit une très grande lettre à M. N. [Tronson], sur tout ce qu’il a découvert de la conduite de cette dame et de Cateau-Barbe. Ce général, homme très savant et très sage 1226

Terminons sur les suites des insinuations concernant la perturbatrice. L’enquête menée par Chevreuse conduisit à des témoignages donnant un tout autre son de cloche. S’en détache celui du bénédictin, Dom Richebracque, qui répond point par point, en prenant la défense de l’accusée, en particulier, sur la question de ses mœurs 1227 :

… le bruit s’apaisa bientôt, parce, disait-on, que la fille [Cateau-Barbe] s’était rétractée, ayant, par les remords de sa con­science, reconnu que le seul dépit de n’avoir pas fait le voyage [en Piémont] l’avait fait parler si mal à propos. On di­sait aussi que cette fille avait eu quelque temps l’es­prit égaré. Vous voulez, monseigneur, que j’ajoute s’il ne m’est rien revenu d’ailleurs de mauvais des mœurs de la dame. Je le fais, en vous assurant que non. On di­sait au contraire beaucoup de bien de sa grande re­traite, de ses charités, de son édifiante conversa­tion, etc. Un M. Giraud [l’éditeur du Moyen court], entre les autres, conseiller, et si j’ose le dire d’un si saint homme, mon ami, homme d’une probité reconnue, et que l’on m’a mandé être mort depuis quelques mois en odeur de sainteté, ne pouvait s’en taire, et prenait généreusement son parti, quand la prudence ou la charité l’exigeaient de lui. 

On dispose également d’attestations remarquables des religieuses et de la supérieure du couvent de Meaux où Mme Guyon fut emprisonnée, de réfutations d’accusations diverses, etc.1228.

En conclusion, les deux insinuations les plus directes portant sur les mœurs les plus intimes, d’une part issue d’une dénonciation de Cateau-Barbe, reprise par Dom Le Masson, d’autre part venant des témoins de rapports paraissant trop intimes avec le P. la Combe, renforcés par une fausse lettre attribuée au P. La Combe et présentée à Mme Guyon à Vincennes, ne purent être confirmées malgré des pressions intenses. Mme de Maintenon eut communication des interrogatoires préparés soigneusement, une enquête avait été préalablement conduite sur toutes les relations de l’accusée1229. Mme Guyon fut finalement lavée sur le chapitre des mœurs :

«Et quand l’Assemblée du Clergé donna le 26 juillet 1700 à Bossuet l’occasion de présenter une relation de toute l’affaire, il dut reconnaître […] que pour les abominations qu’on regardait comme les suites de ces principes [quiétistes], il n’en fut jamais question, et cette personne en témoignait de l’horreur. » 1230.

L’abbé Cognet, en 1967, met en cause l’évêque de Grenoble : «l’attitude prise par Le Camus demeure mystérieuse et, pour l’apprécier, il faut tenir compte des sympathies ouvertement jansénistes et de l’évidente duplicité du personnage, qui plus tard cherchera à se donner la gloire un peu facile d’avoir été l’un des premiers à détecter le quiétisme en France1231.» Deux études de Jean Orcibal confirment la réhabilitation 1232. Mme Gondal constate qu’«à mesure que les documents sortent du silence où ils ont été enfouis, la contre-accusation menée par l’accusée s’avère exacte 1233.»

Lettre du cardinal Le Camus à l’évêque de Chartres

M. l’évêque de Genève avait mis Mme Guyon chez les Nouvelles Catholiques de Gex, espérant qu’elle leur ferait du bien dans leurs affaires temporelles. Mais ayant appris qu’elle et son père La Combe dogmatisaient, il les obligea de quitter son diocèse. Ils vinrent à Grenoble, où ils ne furent pas plus tôt arrivés que le P. La Combe employa tous mes amis pour obtenir la permission de confesser, de diriger et de faire des conférences; mais cela lui fut absolument refusé. En ce temps-là, j’allai faire ma visite, qui dura quatre mois1234.

Mme Guyon profita de mon absence; elle y dogmatisa, et elle fit des conférences de jour et de nuit, où bien des gens de piété se trouvaient; et surtout les novices des capucins, à qui elle faisait des aumônes, y assistaient, conduits par un frère quêteur. Par son éloquence naturelle et par le talent qu’elle a de parler de la piété d’une manière à gagner les cœurs, elle avait effectivement fait beaucoup de progrès, elle s’était attiré beaucoup de gens de distinction, des ecclésiastiques, des religieux, des conseillers du Parlement, et elle fit même imprimer sa méthode d’oraison. A mon retour, ce progrès me surprit, et je m’appliquai à y remédier. La dame me demanda la permission de continuer ses conférences, et je la lui refusai, et je lui fis dire qu’il lui serait avantageux de se retirer du diocèse. De là, elle s’en alla dans des monastères de chartreuses, où elle se fit des disciples.

Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée, et qu’elle faisait coucher avec elle : cette fille est très bien faite et pleine d’esprit. Elle l’a menée à Turin, à Gênes, à MarseiIle et ailleurs, et ses parents s’étant venus plaindre à moi de l’enlèvement de leur fille, j’écrivis qu’on la renvoyât, et cela fut exécuté. Par cette fille, on a découvert d’affreux mystères. On s’est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s’expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d’une piété solide; mais aux autres, elle dit tout ce qu’il y a de plus pernicieux dans son livre des Torrents, ainsi qu’elle en a usé à l’égard de Cateau Barbe; c’est le nom de cette fille dont l’esprit et l’agrément lui plaisaient.

Repassant par Grenoble, elle me fit tant solliciter1235, que je ne pus lui refuser une lettre de recommandation qu’elle me demandait pour M. le Lieutenant civil, sous prétexte d’un procès par-devant ce magistrat. Il n’y avait rien que de commun dans cette lettre : je disais seulement que c’était une dame qui faisait profession de piété1236; mais j’ai su depuis qu’elle n’avait aucun procès, et qu’elle n’avait pas rendu la lettre à M. le Lieutenant civil; mais elle prit grand soin de la montrer, croyant que cela pourrait lui donner quelque réputation et quelque appui...

Si le bénédictin1237 ne s’était pas rétracté, c’eût été une nouvelle preuve contre cette dame : mais ce père se trouva engagé à se dédire par une personne de grande qualité dont il faut taire le nom1238. Mais il y avait déjà de quoi se convaincre assez des erreurs et de la conduite de cette femme, qu’on voyait courir de province en province avec son directeur, au lieu de s’appliquer à sa famille et à ses devoirs. L’Inquisition de Verceil voulait faire des informations contre elle et le P. de La Combe, mais Son Altesse royale [le duc de Savoie] les fit sortir de ses états, sans beaucoup de cérémonie.

Le général des chartreux a écrit une très grande lettre à M. N. [Tronson], sur tout ce qu’il a découvert de la conduite de cette dame et de Cateau Barbe. Ce général, homme très savant et très sage, a été obligé de sortir de sa solitude, pour aller réparer les désordres que cette dame avait faits dans quatre couvents de chartreuses, où elle avait fait la prophétesse comme partout ailleurs1239.



LETTRES DE PRISONS (1690 - 1695)


« Ce 20 août 1695. / Soli Deo honor et gloria.

« Ce n’est pas une petite consolation pour moi, ma très chère et toujours constamment aimée en Notre Seigneur, durant ma longue captivité, et avec ma désolation extérieure et intérieure, d’avoir encore de vos lettres; et je ne puis assez louer la divine Providence de ce qu’elle me conserve un si grand bien, malgré tout ce qui s’y est opposé. Soyez persuadée que mon cœur répond au vôtre autant qu’il en est capable. Une union liée par la croix, et sous les sûrs nuages de la foi, comme il vous souvient bien que commença la nôtre, se soutient, se raffermit, se consomme par la contradiction et par les traverses, son progrès répondant à sa naissance, afin qu’elle soit cimentée comme elle a été fondée. Je me réjouis du repos et de la paix que Dieu vous accorde présentement dans votre solitude; cela durera selon Sa volonté. L’amour d’infinie préférence que nous Lui devons nous rend indifférents pour toutes les dispositions où il Lui plaît de nous mettre; et il est certain que tout état fait notre félicité, depuis que nous ne l’établissons plus que dans le bon plaisir de Dieu que nous savons en être l’auteur. C’est ce que peut la souveraine résignation : de l’enfer elle se ferait un paradis, dès que l’ordre de Dieu l’y tiendrait. Ô la grande grâce que Dieu fait à une âme, que de la tenir dans l’amoureuse et aveugle soumission à toutes Ses volontés! Grâce des grâces, avec laquelle rien ne lui manque. Aussi, ayant ce trésor inestimable, elle ne peut rien désirer au-delà, ni craindre d’autre mal que d’en être privée.

« Vous ne l’apercevez point, dites-vous, cette parfaite résignation, vous l’avez d’autant plus, étant toute passée dans ce bienheureux état : queb votre intérieur se cache de plus en plus, jusqu’à disparaître. C’est la suite naturelle et le progrès de la voie de perte et d’anéantissement, à laquelle vous avez singulièrement été appelée. Puisque le parfait anéantissement doit réduire l’âme au pur rien, il n’y doit plus rien paraître. Tant qu’on se trouve, qu’on se voit, et qu’on remarque en soi quelque chose, soit bonne ou mauvaise, on n’est pas réduit au seul néant. »



Le P. Lacombe fut interné à partir de 1687 dans diverses prisons avant d’être pour longtemps un «hôte» de celle de Lourdes, lieu alors très retiré. Il fut alors capable d’établir autour de lui un cercle spirituel qui incluait même le chapelain confesseur Lasherous! ce qui suggère un rayonnement intérieur exceptionnel exercé par le prisonnier.

Il fut capable de faire parvenir des lettres à madame Guyon, alors en liberté et active à Paris -- nous ne connaissons pas l’identité de l’intermédiaire; il s’agit probablement d’une proche d’un membre de la «petite église» mystique constituée au sein de la prison. On sait combien cette appellation, très malheureuse au temps de la recherche des assemblées protestantes, causa de difficultés lors des interrogatoires de la «dame directrice» présentés supra dans notre seconde partie.

9. DU PÈRE LACOMBE AU GÉNÉRAL DES BARNABITES 1er février 1689.

Benedicite pater. Je n’ai pu répondre à la dernière lettre dont votre Paternité Révérendissime1 m’a honoré, ainsi que l’eût exigé mon devoir, à cause des multiples occupations où j’étais alors comme englouti. De plus, peu de temps après, j’ai été incarcéré à l’improviste, et traité avec tant de rigueur que toutes relations me furent interdites, aussi bien avec nos religieux qu’avec toute autre personne.

Sans doute durant les quatre mois que je fus à l’île d’Oléron, j’ai joui d’un peu de liberté, et j’en ai profité pour de là envoyer une protestation au révérend père provincial. Toutefois, la peur de causer de nouveaux désordres vu l’interdiction qu’il m’était faite d’écrire, me retint alors et m’a retenue jusqu’à ce jour. Aujourd’hui cependant, ayant trouvé le moyen de faire passer ma lettre, j’estime que je ne dois plus différer l’accomplissement d’une obligation qui est mienne, puisque la loi divine et la loi humaine me font un devoir d’obéir en tout à Votre Révérence.

Je confesse tout d’abord, et j’en demande humblement pardon, que je fus extrêmement surpris d’apprendre les prohibitions rigides qui me furent infligées par vous, dont la bonté pour moi avait toujours été si grande, et aussi de savoir quelle mauvaise impression mes adversaires vous avaient donnée à mon sujet. D’autant plus que je n’avais été prévenu par aucun avis préalable, que rien absolument ne m’avait été interdit dans le passé, et que je n’avais, de ma vie, transgressé aucun ordre d’aucun supérieur.

En me voyant donc devenu tout d’un coup tellement suspect qu’il semble que je dusse infecter quiconque aurait en moi de la confiance, et cela avant même la tragédie survenue depuis lors, je pensais que la Congrégation sans doute serait bien aise de se débarrasser de moi, et de me voir déchargé d’un fardeau dont elle-même paraissait fort incommodée. Tout cela me poussa à demander un changement de religion2, mais non certes avec la pensée d’offenser la nôtre, qui est pour moi une mère très aimée et très vénérée, non plus que votre paternité (Dieu m’en garde!), et encore moins avec la pensée de vous causer la plus petite peine. Car j’aime et révère au plus haut point et la tête, et les membres, et le corps de notre saint Ordre, et me tiens pour très heureux et très honoré d’en faire partie. Mais, dès lors que Votre Paternité fut blessée de cette demande, j’avoue que j’espère de cette clémence un pardon que j’implore avec instante soumission.

Par la suite, je sus d’où venaient ces étranges rumeurs et tous ces horribles récits qui furent répandus sur mon compte, en Italie aussi bien qu’en France. Mais Dieu en soit loué! C’est Sa gloire et Sa volonté souveraine en toutes choses que je veux servir, et de la manière qu’Il jugera plus expédiente.

J’envoie quelques détails au Révérend père Assistant, de qui Votre Paternité pourra entendre ce qui lui semblera plus à propos. Quant à moi, j’ai le devoir de ne pas vous fatiguer les yeux par la lecture de choses désagréables et tristes, d’autant plus que je tiens pour certain que diverses personnes vous ont mis au courant. Et encore que le plus grand nombre juge selon ses préjugés ou selon les apparences, je me remets de tout cela à la Providence divine, et par grâce du Seigneur, j’attends, en toute paix et tranquillité, le terme de la scène qui se déroule sous ses divins regards. Ce qui m’importe surtout, c’est que Votre Paternité me voie sous les traits où je me suis dépeint dans la protestation3 ci-jointe, que j’abandonne entre ses mains très prudentes, afin qu’il en dispose comme bon lui semblera.

De nouveau, je proteste de mon obéissance et de mon attachement indéfectible à la sainte Église et notre religion, tout prêt à me soumettre à ce que m’imposeront l’une et l’autre. C’est toujours avec leur acquiescement et leur concours que j’ai enseigné sur les choses intérieures. Il n’est personne qui puisse alléguer une prohibition quelconque par moi transgressée : je veux agir de même dans l’avenir, et avec plus encore d’attention et de diligence. Que si, plus tard, le Seigneur veut de nouveau m’honorer des saintes fonctions, ou bien au contraire si je suis destiné à mourir dans cette ignominieuse obscurité, je garderai dans mon cœur ces sentiments qui sont vraiment les miens, et me consolerai près de Sa divine Majesté, dont je préfère infiniment les adorables volontés, voire même les coups de Sa justice, à mille travaux, à mille honneurs et à mille vies.

J’ajoute que le premier qui lança la balle à Rome fut l’abbé Montani, ex-vicaire général de Monseigneur de Verceil 4, alors qu’il était au service de ce bon prélat. Cet homme, vindicatif jusqu’à l’extrême, fut chassé par l’évêque à cause de ses allures, et à cause de faiblesses trop peu en accord avec la dignité dont il était honoré. Déjà, il avait conçu contre moi une haine farouche, soit qu’il fût jaloux de la faveur et de l’honneur dont j’étais l’objet de la part de l’illustrissime prélat, soit que je l’eusse blessé, en faisant connaître confidentiellement à un prêtre tout dévoué à Monseigneur l’évêque de Verceil une censure encourue par lui. De plus, venu à Rome, il y apprit que le prélat l’avait dépeint sous ses plus vraies couleurs, en sorte que, finalement, il y déchargea sa colère à mon préjudice en me traitant de quiétiste. Et non content de cela, sachant que j’étais allé à Paris, il y écrivit sur moi en termes épouvantables à l’Eminentissime Ranuzzi 5, nonce près de Sa Majesté Très Chrétienne.

Cela, je le sais de source très sûre. Le feu mis à la mine, je devais sauter. À vrai dire, cet abbé commença de me tenir en mauvaise considération, après que les chanoines de Verceil eurent reçu certaines lettres venant de Genève, où il savait que, par la bonté du prélat, j’occupais un poste honorable.

Par la suite, mon évêque6 envoya à la cour de France d’effrayants rapports. Il est certain que si les accusations produites par lui eussent été prouvées, c’était assez pour me faire condamner comme hérétique consommé. Il y eut ensuite, à Paris, quelqu’un que je ne connais pas, mais dont j’ai bien quelque indice, qui recueillit les propositions erronées de Molinos, répandues en France et en Italie avant d’être condamnées, y joignit un billet où ces doctrines étaient dites les miennes propres, et envoya le tout à un monastère de moniales où j’étais allé deux ou trois fois appelé par l’abbesse.

Ainsi s’est répandu le bruit que j’étais un quiétiste de marque, venu tout exprès en France pour enseigner la doctrine perverse et lui donner cours dans ce royaume. Comme aucune des accusations ne pouvait être prouvée, on procéda à ex aequitate et ad cautelam7, en recourant à l’autorité souveraine du roi afin d’obvier à des désordres, lesquels, à dire vrai, étaient redoutés non sans graves apparences. Et me voilà ici!

Qu’on ait interdit mon petit livre Analysis8, je n’en suis point émerveillé. Je m’attendais à ce coup, sachant qu’on n’avait point pardonné à certain livre de l’Eminentissime Petrucci9, que je sais bien indemne pourtant de ces vilaines erreurs en ayant des preuves très certaines; ce dont je rendrais volontiers témoignage, si j’étais en état de le faire. Et puis, lorsqu’on m’a vu condamné comme quiétiste par ce tribunal, avec raison on a pu croire que j’avais publié mon opuscule dans un but pervers.

Mais Dieu le sait, telle ne fut jamais ma pensée. J’aime mieux croire que la censure visait la personne du misérable auteur, bien plus que son modeste livre. Si j’en juge ainsi, c’est d’après des cas analogues, attendu que mon ouvrage, avant d’être imprimé, fut apprécié favorablement et recommandé par tant de personnages très doctes et vraiment qualifiés, voire même par des cardinaux. Quoi qu’il en soit, que Dieu soit loué, et qu’en dispose à son gré la toute-puissance de l’Enfant-Jésus à la protection duquel je l’avais confié.

J’aurais mieux fait de faire imprimer l’écrit, plus bref, qu’avait approuvé la Congrégation de l’Index, et, en y mettant en tête la lettre de cette Congrégation qui y avait donné l’imprimatur. Mais conseillé par un religieux distingué de notre Ordre de l’augmenter, j’y ajoutais une préface avec un plus grand nombre de sentences d’auteurs sacrés, et quelques réflexions de moi. À ce qu’il me semble et à ce qu’il a semblé à l’Inquisiteur et aux Consulteurs de Verceil qui ont examiné et approuvé le tout, je n’en ai altéré nullement la substance ni changé les dogmes. Pourrais-je connaître les points qui ont mérité la censure? Ou bien faut-il perdre tout espoir d’une édition nouvelle où seraient faites les corrections nécessaires?

Je termine, tout confus d’avoir tant retenu Votre Révérence, et je me jette à ses pieds, la priant de me bénir. Dom Frère La Combe. 1er février 1689.


A.-S.-S., pièce 7026, donne le texte italien : « Benedicite Pater, Non potei replicare all’ultima di cui restai honorate da V.F.M.R. […] » - UL, Correspondance de Bossuet, IX, Appendice II «Lettres du P. La Combe», p. 466-471 : «Traduit sur l’original italien.» Cette pièce a été communiquée à Levesque par les archives du général des barnabites qui doit donc contenir d’autres documents en italien (et en français?) relatifs à Lacombe. Nous n’avons pas exploré cette source.

[Nous donnons dorénavant les notes à la fin des lettres à la suite des sources :]

1 «Le père Maurice Chiribaldi à qui cette lettre est adressée était né en 1619, à Porto Maurizio (diocèse de Valdinga, en Ligurie). Il avait fait profession le 10 février 1636, chez les barnabites de Monza. Après avoir gouverné la province de Piémont-France de 1656 à 1659, et celle de Tasca de 1665 à 1668, il fut à la tête de son ordre de 1686 à 1692. Il mourut à Gênes, au collège de Saint-Paul in Campetto le 12 mars 1697. C’est lui qui fonda le collège de Bourg-Saint-Andéol (1659).» [UL]

2Quitter l’ordre barnabite.

3 Une protestation longue en latin que nous omettons, est reproduite dans UL, IX, page 472 et suivantes.

4 L’évêque de Verceil était Augusto Ripa, qui gouverna son diocèse de 1680 à 1691. Sur sa collaboration avec Lacombe et Madame Guyon, v. Index, Ripa.

5 Angelo Maria Ranuzzi, Bolonais, archevêque in partibus de Damiette, puis évêque de Fano, et enfin archevêque de Bologne. Après avoir été nonce en Pologne, il fut nonce extraordinaire en France de 1683 à 1689. Créé cardinal en 1686, il mourut à Fano en 1689.

6 D’Arenthon d’Alex se borna à prier l’archevêque de Paris et le père de La Chaise d’empêcher le retour du père La Combe à Thonon, à cause de sa mauvaise doctrine. Voici la lettre assez confuse qu’il écrivait le 16 janvier 1688 au père Général des barnabites : «[...] pour le père La Combe, il n’aura rien à me reprocher, car je lui ai prédit cent fois, et par écrit et de vive voix, qu’il se perd, sans que pourtant je lui aie jamais rendu aucun mauvais office, ni auprès de ses supérieurs majeurs, ni auprès des souverains, ni des magistrats; et dans le dernier voyage qu’il fît à Rome, je lui fis encore une lettre qui contenait sept propositions sur lesquelles je le conjurai de se précautionner tandis qu’il serait dans la source [sens incertain]. Et la vérité est qu’il a été arrêté à Paris sans que j’y ai influé aucunement, n’en ayant jamais écrit, ni à la Cour, ni à Monseigneur l’archevêque, ni à qui que ce soit qu’au Révérend père Guyon Lamotte [sic] pour l’engager à retirer doucement sa sœur. Il est vrai que, depuis qu’il a été traduit à la Bastille, on m’a demandé trois choses : l’une, [s’il était vrai] que je l’eusse employé dans les missions et en la conduite de quelques monastères; l’autre, s’il était vrai que je l’eusse vu partir de mon diocèse avec regret et que je le réclamais encore; la dernière, si je ne m’étais point aperçu qu’il eût donné dans quelque désordre d’impureté. J’ai répondu sur le premier chef, qu’il était vrai, et que j’avais donné une grande confiance au père La Combe par un effet de la vénération que j’ai pour toute la Congrégation et des grandes impressions que j’avais au commencement de sa vertu; sur le second, qu’il n’était nullement vrai que je l’eusse vu partir de mon diocèse avec chagrin, ni que je le réclame avec ardeur, parce que j’avais remarqué sur la fin quelque singularité dans sa doctrine et dans sa direction; et, sur le dernier chef, j’ai répondu que je n’avais jamais découvert en sa conduite aucun vestige d’impureté, et que je me rendrai volontiers garant qu’il n’était point capable d’un si horrible égarement. Voilà, mon très Révérend père, la pure vérité en abrégé de la conduite que j’ai gardée à l’égard du père La Combe...». [UL].

7Avec équité et précaution.

8Orationis Mentalis Analysis, Verceil, 1686.

9Petrucci (1636-1701), évêque de Jesi, créé cardinal en 1686 mais censuré comme quiétiste dans un climat de suspicion et de chasse au mystique. Auteur, il «domine tous les quiétistes et semi-quiétistes italiens par sa culture spirituelle…», v. DS, 12.1217-1227, art. «Petrucci». L’évêque Ripa, qui reçut à Verceil Mme Guyon et le P. Lacombe, résida à Jesi.

10. DU PERE LACOMBE. 1690 (?)

Je m’étonnais jusqu’ici pourquoi Dieu vous unissait si fort à moi et vous donnait à mon égard une dépendance incomparable, me voyant en tout si misérable, et plus qu’incapable de vous servir en rien. Maintenant j’en comprends le secret; c’est que Dieu, voulant ajouter à votre intérieur très perdu un extérieur des plus anéantis, et vous conduire par des renversements étranges et par les plus profondes abjections, il m’a choisi pour en être l’organe, comme le plus insensé et le plus malhabile de tous les hommes, qui, par son imprudence et ses pauvretés (dans la pensée néanmoins de servir Dieu et de vous servir vous-même), vous précipitera dans les états les plus misérables selon l’homme, mais les plus divins devant Dieu. Je me vois maintenant comme un démon qui n’est bon qu’à vous exercer, quoique je n’aie pas de mauvaise volonté comme le Démon, mais je serai, à votre égard, un terrible instrument de providence, très propre à vous traîner par la boue et à vous crucifier.

Je ne puis en cela plaindre ni mon sort, ni le vôtre, parce que le vôtre en sera plus divin, et le mien est de servir, en quelque office que ce soit, aux desseins de mon Maître, qui s’accompliront tous infailliblement sur vous, quoique vous soyez conduite par un aveugle; et dans tous les fossés où je vous ferai tomber, vous y trouverez indubitablement les bras de Jésus-Christ, qui vous recevront, et vous enfonceront d’autant plus dans le sein de Dieu Son Père avec Lui. Nous nous causerons l’un à l’autre beaucoup de larmes, et des maux réciproques nous feront sentir leurs contusions.

Les miennes d’hier au soir veulent recommencer, et je suis dans une douleur de mort, et de mort éternelle, que je ne puis vous celer, quoique je ne veuille pas que vous les ressentiez. En voilà assez pour le peu de temps que j’ai. L’amour vous en dira davantage. Je suis autant convaincu de votre salut que je suis persuadé de ma perte1. Et je vous justifie devant Dieu de tout mon cœur, en même temps que je me vois condamné par Son juste jugement, non pour un seul, mais pour cent sujets que je ne puis m’exprimer à moi-même : Circumdedit me felle et labore et dedit me in manu de qua non potero surgere2.

Conservez cette lettre, et ne pressez point l’Époux du ciel de me consoler, car cet état, quelque douloureux qu’il me paraisse, m’est très bon, d’autant plus qu’il est juste, et que sans doute Dieu en tirera Sa gloire. Commandez à N. de se bien porter, et d’aller demain avec vous à la messe. L’amour vous fait le même commandement. C’est maintenant que je puis commander en son seul nom, car le mien disparaît devant lui d’une distance infinie. Adieu.


– Quatrième lettre éditée à la fin de la Vie, «Addition de quelques lettres…», avec le résumé suivant par Poiret : «Où l’on voit d’un côté la grande humilité de ce père et le mépris qu’il faisait de soi-même; et de l’autre la vérité des événements qu’il prévoyait touchant la personne de Madame Guyon.» Nous supposons cette lettre postérieure à l’arrestation du père. Nous la situons alors en 1688 lorsque Madame Guyon est internée à la Visitation de la Rue Saint-Antoine.


1. Perte à soi-même Poiret

2. Lam. de Jér. 3, 5 : «Il m’a environné de fiel et de peines, il m’a livré à une main de laquelle je ne pourrai jamais me relever.» Poiret

11. DU PERE LACOMBE. 8 novembre 1690.

Ce 8 novembre 1690.

Dernièrement, il me fut dit le matin que c’était ce jour-là que la volonté de Dieu me devait être manifestée; au soir je sentis par impression que je serais prisonnier jusqu’à l’an quatre-vingt-quinze, c’est-à-dire encore cinq ans, quoiqu’il me semble que ce ne doive pas être toujours dans le même lieu. Cette dernière particularité me paraît plus douteuse que l’autre. Quoi qu’il en soit, il a fallu vous mander ceci, parce que j’en étais poursuivi. C’est une prodigieuse miséricorde que Dieu me fait que de me tenir si longtemps dans cet état, libre de tout emploi, séparé des créatures et débarrassé de tout afin de ne m’occuper que de Lui. C’est là que va... a

[verso]

... persécuteur... b

... bien dû à ma témérité et à ma folie, et qu’une conduite aussi pitoyable que la mienne l’a toujours été, devait avoir naturellement pour succès et pour terme la ruine et la perte où je suis tombé. J’en ai néanmoins de la joie, et beaucoup, avec un parfait contentement, par l’amour de l’ordre de Dieu. Cette disposition se raffermit et s’augmente en moi à proportion que mon état extérieur est plus désolant et plus désespéré selon l’homme. Pour ce qui est de mon illustre adversaire, s’il est vrai, comme il dit, qu’il a le plus contribué à me réduire où j’en suis, on peut dire qu’il m’a donné de cette sorte le coup de pistolet à la tête dont il me menaçait autrefois à Turin me... c la mort civile, et me laissant la naturelle, afin que...


A. S.-S., pièce 7250, autographe difficile qui se présente comme un fragment dont on peut déchiffrer les deux côtés, d’où l’interruption dans le texte; au même numéro de pièce se trouve rattachée la transcription moderne par E. Levesque.

a fin du texte porté au recto.

b fin de ligne manquante.

c manque.

12. DU PERE LACOMBE. 28 janvier 1693.

Ce 28 janvier 1693

Epouse de Jésus-Christ,

Je prends la plume sans savoir que vous dire ni de quoi vous entretenir : toutes choses sont si peu qu’on n’a ni pouvoir ni volonté même de les regarder. Dieu est tellement tout qu’Il remplit, absorbe et épuise tout et, sans qu’on n’en sache rien dire, ni même qu’on le veuille ni qu’on y pense, on en est tellement plein, sans en sentir la plénitude, qu’on n’a ni force ni vigueur pour quoi que ce soit, quoique jamais on n’ait eu plus de force et de vigueur pour être mû, pour entreprendre et pour soutenir tout ce qu’un autre nous-mêmes veut de nous. On est sans force, sans dessein, sans vue et sans désir par soi-même et de soi-même, non que l’on sente ou que l’on aperçoive ce soi-même : on n’en a pas même la moindre idée, pas plus que si jamais l’on n’avait eu de soi-même ou qu’on eût su ce que c’était. C’est une vie bien cachée aux sens et aux créatures.

Vous savez, chère amante de Jésus enfant, et l’unique délice de mon cœur, vous savez que l’esprit de l’homme, quelque grand et doué qu’il soit ou qu’il s’imagine d’être, n’est pas capable de comprendre par lui-même la millième partie de cette vie de Dieu dans l’âme. Et comment la comprendrait-on? Ce ne serait plus ce que c’est, si on le comprenait. Il faut en être compris pour en apercevoir quelque chose, et encore, quand il nous est donné, et non autrement. Depuis que mon cœur a goûté le vôtre, il ne peut plus rien goûter sur la terre : il avait encore auparavant quelque reste de sentiment pour ces âmes que Dieu Se destine pour Lui-même et qu’Il attire à Lui, mais à présent il est tellement perdu dans le vôtre que je crois qu’afin qu’il sente ou goûte quelque chose, il faut que vous le sentiez et le [f °.1 v °] goûtiez auparavant. Comprenne cela qui voudra, mais cela ne laisse pas d’être. Il est surprenant, unique attrait de mon âme sans attrait, il est surprenant comment cette âme, bâtie de cette manière, peut être, agir, paraître au-dehors, et y avoir toute sorte de mouvement, comme si rien n’était. Il n’est pas moins surprenant qu’elle parle et écrive d’elle-même et de cet état, sans y penser et sans y réfléchir : elle y est, et elle en parle sans qu’elle s’y voie ni qu’elle s’y entende. Quel profond abîme que la divinité! Jusqu’à ce qu’on y soit entièrement perdu et abîmé, mon Dieu, qu’on est quelque chose de pitoyable!

Encore un coup, chère épouse de Jésus-Christ enfant, que je goûte votre cœur! Que mon âme est perdue dans la vôtre! Oui, perdue, car elle ne s’y voit, ni ne s’y sent, et elle y est. Que de charmes sans charmes! Que d’attraits sans attraits dans tout ce qui vient de vous! J’ai lu vos Prophètes et vos Psaumes, je vois partout l’état de cette âme où Jésus-Christ S’est incarné et dont Dieu est devenu la résurrection et la vie. Il y a une si grande différence d’elle à elle, de ce qu’elle était avant cette résurrection et cette nouvelle vie, et ce qu’elle est après, que l’on voit bien que ce ne peut être que l’ouvrage de la main toute-puissante de Dieu. Vous voulez bien que je vous dise que je n’y ai rien vu que de très véritable, et que la bonté de Dieu a bien voulu faire expérimenter à un autre vous-même. Quoique tous les mystères qui y sont compris soient effectivement des mystères pour la chair et pour le sang, pour la raison et pour la science, ce ne sont que des premières vérités pour l’expérience et pour ces âmes qui, ne vivant plus en elles-mêmes, ont reçu, ou pour mieux dire, sont possédées d’une autre vie qui ne leur paraît pas distinguée de Dieu même.

Mais pourquoi vous parler de cet état, l’esprit de Dieu s’étant servi de vous pour en écrire si divinement? Est-ce pour vous réjouir, et vous faire admirer les effets de la toute-puissance de votre petit Maître? Il a fait des merveilles dans cette naissance, je suis témoin qu’Il a tellement charmé et attiré de certains cœurs qu’ils ne respirent que Jésus enfant. Remerciez-Le bien de ce qu’Il a la bonté de Se faire goûter aux cœurs de Ses créatures : elles en sont tellement charmées qu’elles ne se connaissent plus. Qu’il fait bon de L’avoir pour son petit Maître et de Lui servir de ballon pour Se divertir1 : c’est une de vos expressions qui ne se laisse pas facilement oublier. Vous avez donc été Son ballon depuis que je vous ai quittée : Il vous a fait souffrir [f. 2 r ° en travers] mille maux, ce petit Maître, Il vous a fait crier dans des douleurs horribles comme un petit enfant et, quand vous Lui disiez : «Mon petit Maître, je n’en peux plus», Il vous fortifiait pour vous faire souffrir encore davantage. Qu’Il est aimable, ce cher petit Maître! Que Ses coups sont agréables! Il est bien maître chez vous, j’en suis bien aise. Je veux bien qu’Il soit aussi bien maître ici. S’Il vous tient dans la maladie et les douleurs, Il me tient dans une santé que rien n’altère : c’est un grand embonpoint et point de douleur ni d’infirmité. Nous voulons pourtant bien être Son petit ballon dont Il puisse Se jouer et Se divertir comme Il voudra. Faites-Lui bien des amitiés pour moi. On veut être bien petit, et non pas grand, on veut toujours être votre petit frère, et non plus votre grand frère. On ne laisse pas de paraître fier, ferme et grand au-dehors, quoiqu’en dedans on aime bien à être petit, et qu’on se sente bien éloigné de vouloir être grand.

Vous ne m’aviez pas dit le nom de votre abbé2, de cet abbé que je voulais déplacer pour me mettre en sa place. Je ne pouvais souffrir qu’il fût avant moi, vous vous en souvenez bien, et cela vous faisait rire : je ne fus pas même content quand on me mit dans le même rang. Vous savez comment on trouva le secret de me contenter sans pourtant le déplacer. Je suis bien aise qu’il conserve sa place, il n’est pas mal placé selon ce que j’ai connu que vous aviez pour lui. Il sera bien des amis du petit Maître, puisqu’il l’est tant des vôtres. Je sais son nom à présent, je sais qui il est : n’est-il pas vrai que c’est celui qui est allé cet automne où vous deviez aller et où l’on vous attend ce carême?

Je n’aurais pas grande peine à faire à présent bien l’enfant. Il est bien juste qu’un Dieu enfant nous rende tous enfants. Je n’en ai point encore trouvé qui le fût tant que vous. Si nous étions ensemble, nous le deviendrions toujours de plus en plus. Que ces prudents et ces sages du siècle sont quelque chose de fade pour un cœur qui a goûté Jésus enfant! Cet enfant est d’un trop bon goût pour vouloir jamais goûter autre chose.

J’ai lu bien souvent votre lettre, et je l’ai baisée bien des fois, mais aussi il m’est arrivé bien souvent, en le faisant, de rester sans parole, sans pensée, sans mouvement, dans un si grand repos et si profond silence qu’on reste tout abîmé et tout absorbé avec un grand plaisir et bien de la douceur, sans pourtant que l’on veuille ni le plaisir ni la douceur ni quelqu’autre chose que ce soit : on ne veut rien, mais on reste immobile, dans un si grand oubli de tout, que l’on ne sait pas si l’on se souvient encore que l’on soit. Qui aurait jamais cru que l’on peut être dans une si grande séparation de soi-même, être encore dans le monde, et n’être point ni à soi, ni dans soi? [f. 2 v °]

Vous me dites que l’on vous persécute toujours, mais vous ne me dites pas les circonstances, ni qui en sont les auteurs. Et comment être une même chose avec Jésus enfant sans être persécuté? Ce ne serait donc pas le même Jésus enfant qui est né il n’y a pas longtemps, car d’abord on L’a vu persécuté par les grands et les puissants du siècle, pendant que d’autres voix venaient de bien loin pour Le chercher et L’adorer : il faut que la même chose arrive encore à présent, que Jésus enfant soit méprisé et méconnu des siens, pendant que des étrangers viennent de loin pour se faire un plaisir de Le voir dans Son enfance. Vous me voyez devenu bien enfant et parler bien en enfant, une autre fois nous le serons encore davantage, et cela vous fera plaisir.

Celui qui ne vous avait vu qu’une fois pendant une si longue et si dangereuse maladie, m’écrivit d’abord que vous aviez été toujours à l’extrémité depuis que je n’y étais plus, me chargeant de prier Dieu pour vous : je ne lui ai pas répondu sur cet article. S’il devenait enfant, je serais un peu plus de ses amis; je l’aime bien, mais je l’aimerais davantage. Si vous allez où l’on vous attend ce carême, et où je croyais que vous étiez allée dès cet automne, vous aurez bien de la satisfaction. Les choses vont bien, j’en suis très content, et je suis sûr que vous le serez : vous me le saurez dire à votre retour. J’espère toujours de voir cette Vie, et que votre petit Maître vous fournira quelqu’un pour l’écrire; ne me l’envoyez pas que je ne le sache auparavant, pour vous donner une adresse fidèle, parce que les messages ne viennent pas jusqu’ici. Faites bien un petit enfant de votre abbé, que j’honore bien : il me suffit que j’aie vu l’estime et l’amitié que vous aviez pour lui. Ce ne sera pas une affaire quand il deviendra tout à fait enfant, puisque le Verbe a bien voulu être enfant. Plus il a d’esprit, plus il doit être enfant : vous me disiez quelque chose de fort bon là-dessus. Eh comment pourrait-on vivre en cette saison sans être enfant?

Voilà bien du discours pour un enfant qui ne savait pas le premier mot qu’il devait dire quand il a commencé. Je ne vous quitte point, toutes les unions que j’ai avec d’autres me paraissent plutôt des désunions que des unions, il n’y a qu’avec vous que je suis bien un. Vous auriez trop d’affaire de lire tout de suite cette lettre : elle est un peu trop longue, vous pouvez la partager en plusieurs pièces jusqu’à ce qu’il en vienne une autre. Servez-vous-en pour vous divertir et pour faire un peu l’enfant ensemble.

Quand vous ne serez plus malade, il faudra bien prendre un plus grand papier pour me répondre. Vous voyez comme je fais : quelque grand papier que je prenne, et quelque petit que soit le caractère, je ne finis que quand tout le papier est fini. Je suis bien à vous, quoique je ne sache pas encore quel nom je dois vous donner à mon égard. Je sais bien que je suis votre petit frère : c’est ainsi que vous m’avez toujours appelé. Mais pour moi, je n’ai pas encore pu vous donner aucun nom, je n’en vois point dans tout le monde qui puisse bien expliquer ce que vous m’êtes et ce que je vous suis. Je sais bien que vous êtes cette unique et l’épouse de Jésus-Christ, mais je ne saurais expliquer ce que vous m’êtes. Pour moi, je vous suis tout ce que vous voulez que je vous sois.

– A. S.-S., pièce 7276, copie; pièce 7277 : résumé et bref commentaire de Levesque : «Il lui exprime les sentiments que Dieu lui inspire pour elle [...] Je crois que la malignité du monde trouverait un peu trop à s’égayer sur la mysticité de cette lettre» — «Lettre du P. Lacombe à Madame Guyon», Revue d’Histoire de l’Église de France, Janvier-Février 1912, p. 1-8 : «… transféré au château de Lourdes. Il y séjourna dix années. […] Il n’était pas en cellule; il pouvait descendre au jardin, où il se délassait de ses oraisons par les soins de la culture des fleurs [une prison idyllique!]. Il ne tarda pas à gagner l’aumônier, l’abbé de Lashérous, si bien que celui-ci devint un fervent disciple. Grâce à lui, plusieurs dévotes du pays furent bientôt complètement gagnées…»


1 Image classique de la balle livrée au jeu divin.

2 Noter la belle franchise de l’aveu qui suit.

13. AU PERE LACOMBE. 1693 (?)

Je prie Dieu, mon cher père, d’être votre consolation, votre mort et votre résurrection. Nous ne perdons pas nos amis, quoiqu’ils meurent, si nous avons la foi : ils ne font que nous devancer, lorsqu’ils sont à Dieu comme l’était notre ami. S’il a souffert quelque peine après sa mort, son resserrement en est la cause : ne s’étant jamais parfaitement abandonné à Dieu, pour mille choses, il aurait cru se perdre s’il n’avait pas tenu son âme en ses mains. Cependant je ne doute point qu’il n’ait une grande gloire, il n’a fait que nous devancer de peu de moments. Vous me direz : «Ce qui m’afflige est de voir mourir ceux qui pourraient soutenir le bien». Je vous dirai à cela que c’est le temps de la destruction, et que la colère de Dieu n’est point apaisée. Le torrent de l’iniquité est débordé partout et rien ne l’arrête : il s’enfle et se déborde de plus en plus. Et la colère du Seigneur… jusque sur les troupeaux de Sa bergerie : Il retire du monde ceux qui n’auraient pas la force d’être témoins de malheurs, et des lois que Sa justice lance sur la terre comme des flèches enflammées, Il fait entendre aux autres qu’ils ne doivent point s’opposer à Sa justice. Saint Paul, qui désirait d’être anathème pour ses frères, ne pouvait s’opposer à la colère de Dieu contre les Juifs. Il faut entrer dans Ses intérêts contre nous-mêmes : c’est L’aimer plus que nous et plus que toutes choses.

Les hommes d’à présent sont trop corrompus pour que Dieu les épargne, et les autres ne sont pas assez purifiés pour servir au dessein de Dieu sans y rien prendre. L’homme se mêle en tout, c’est ce qui fait qu’on voit si peu de fruit. Ce que je vois et entends m’afflige. On croit heureux ceux qui ont des rois protestants : ils sont libres. On en espère un sans religion pour lequel l’Angleterre et la Hollande s’intéresseront. On a des intrigues secrètes dans ces pays. Les paroles données de part et d’autre, tout menace ruine. Ô Dieu, vous savez ce que Vous voulez faire dans cette destruction générale : ceux qui demeureront le verront. Il y en a qui paraissaient du bon parti, devant d’être en place, qui se font connaître ce qu’ils sont, sitôt qu’ils sont placés. On a inséré un mot, qui ne paraît rien, dans ce qu’on a envoyé à Rome qui, dans la place où il est inséré, détruit tout ce qu’on paraît y établir. En voilà beaucoup pour une lettre. Je prie le p[etit] M[aître] de la faire arriver à bon port. Consolez-vous, cher père, en ne voulant que la volonté de Dieu : Dieu purifie par là l’écume dès lors... diminue et n’en restera guère lorsque l’écume en sera ôtée, mais ce qui restera sera pur pour le Seigneur. Je vous embrasse des bras du p[etit] M[aître].

– A. S.-S., pièce autographe.

14. DU PERE LACOMBE. 16 novembre 1693.

Ce 16 novembre 1693

J’ai reçu votre lettre avec une nouvelle et vive joie, dans un temps où il semblait que je dusse être privé pour longtemps ou pour toujours de ce commerce si doux et si avantageux pour moi. Sortant de la lire, je fus poussé à ouvrir le Nouveau Testament. J’y trouve ces paroles : Jésus-Christ habite par la foi dans vos cœurs, étant enracinés et fondés dans la charité 1. Plaise à la divine bonté que cela soit ainsi. Je n’ai point vu qu’il y eut de rupture dans le fond ni de changement quant au cœur. Comme je vous l’ai déclaré plus d’une fois, j’ai regardé cela comme un effet de la nature, laquelle, quoique domptée et bien soumise, ne laisse pas de faire quelques échappées à sa mode, surtout quand il plaît à Dieu de nous livrer à ces infirmités pour des fins qui servent à Sa gloire. Cette bourrasque que nous venons d’essuyer entre nous était nécessaire, à vous, pour rendre votre désolation plus extrême, à moi, pour être encore dépouillé de la douceur de l’avantage que je trouve dans notre union. Ce coup de retranchement fut le dernier, ce me semble, qui me disposa à ma mort mystique, laquelle s’acheva le 6 du mois passé, fête de saint Bruno. J’ai tout sujet de le croire par la manifestation intime et singulière qui m’en fut faite alors, et par les effets qui l’ont suivie et qui continuent; daignez en rendre grâces et gloire à Dieu pour moi. Dès l’entrée de ma prison, je me trouvai tout naturel et tout animal. Qu’il a fallu donner de coups! Qu’il a fallu faire avaler de poison à une si grosse et si vilaine bête pour la faire mourir. Cette mort entière et défaillance totale à soi-même et à tout le créé n’arrive pas si tôt que l’on pense. Elle n’avance qu’à proportion [f. 1 v °] des privations et des dépouillements qui la causent, et il paraît bien, par ce qui arrive à la suite, qu’elles n’étaient pas extrêmes ni complètes, lorsqu’on l’aurait pu croire.

Qu’est-ce qui vous a obligée de quitter Paris et de vous cacher ainsi? Quoi! tous vos anciens amis vous ont-ils abandonnée? Il ne vous reste plus que M. f. pour vous conserver encore une petite porte de communication. J’ai peur que cela n’aille encore plus loin. J’ai vu en songe que nous faisions voyage vous et moi dans les montagnes de Savoie, avec une demoiselle qui m’est inconnue; pendant qu’elle et moi allâmes voir l’église du village où nous devions dîner, je vis des prêtres étrangers, dont l’un me fut représenté sous le nom de Monsieur Vincent, qui disaient entre eux en parlant de vous : «Pauvre Française, devoir mourir!» J’entrai dans l’église où cette demoiselle m’apporta à déjeuner et me fit manger et boire au balustre près de l’autel. Après quoi, étant rentré dans le logis pour vous rejoindre, je vous vis couchée sur un lit, à demi nue et à demi revêtue de méchants haillons, comme de toiles grossières à la manière des plus pauvres gens : accablée de mal comme mourante, le visage si gâté, hideux et contrefait qu’il eût été impossible de vous reconnaître2. Je vous dis qu’il ne me semblait pas que vous dussiez encore mourir. Vous me répondîtes qu’il fallait mourir, non une, mais mille fois. Que vous le vouliez de tout votre cœur, puisque Dieu le voulait. Après quoi, tout disparut. Je n’en ai pas l’intelligence. Si c’est le présage d’un nouveau martyre, ce sera la matière d’une haute gloire pour Dieu et d’une inestimable couronne pour vous.

Je suis tout confus de vos nouvelles libéralités. Je ne savais [f.2r °] pas que vous eussiez mis quatre Louis dans le surplis, parce qu’on ne l’a pas encore reçu, quoi que j’aie averti depuis longtemps de le faire chercher à Toulouse. Croyez que mon cœur est fort reconnaissant et que si le vôtre ne se dément point, comme il paraît par les preuves sensibles que vous m’en donnez, le mien lui répond de son mieux. Avec le secours que vous me donnez, je m’en vais, Dieu aidant, me bien habiller et me mieux nourrir. Ne m’envoyez rien de plus d’un an.

Quoique les espérances que l’on me donnait de ma prochaine délivrance fussent si bien fondées qu’elles ne pouvaient l’être davantage selon l’homme, néanmoins je n’ai jamais pu compter là-dessus. Si mes pressentiments ne me trompent point, je ne serai jamais rétabli parmi les barnabites, mes confrères. Il est arrivé deux obstacles à ce que l’on s’était promis en ma faveur : l’un est que le père Presset, supérieur de Tonon [Thonon]3, ayant tenu des discours séditieux (ainsi qu’on les appelle) au marquis de Sales, étant à table avec lui en présence de gens qu’il ne croyait pas suspects, tout fut rapporté à M. le Ma[récha]l de Catinat, qui en a informé le Roi; c’est la cause pourquoi on n’a pas osé demander ma liberté à Sa Majesté. Ledit père est fugitif d’état pour ce sujet. L’autre obstacle est qu’on a fait à la Cour de nouvelles plaintes de ce que, dit-on, je reçois beaucoup de lettres. Sur quoi M. le marquis de Chateauneuf a écrit une seconde lettre à notre gouverneur, après la première de même style qui vint, il y a trois ans, lui ordonnant de la part de Sa Majesté de tenir soigneusement la main à ce que je n’écrive ni ne reçoive aucune lettre. Ce que l’on a sifflé encore contre moi étant faux et visiblement controuvé4, puisque je n’ai de commerce qu’avec vous et qu’aucune de nos lettres n’est tombée entre leurs mains. Aussi ne dit-on qu’en termes vagues que je reçois beaucoup de lettres sans en indiquer aucune en particulier. Il faut que ce soit un tour que m’ont joué mes adversaires de Paris : le dessein des pères de Lescar [f. 2 v °] étant venu à leur connaissance, ils ont auparavant pris ce biais pour empêcher que je ne sois élargi, ou pour me faire tirer de ce lieu, ou les confrères qui sont proches, Dieu me témoigne tant de bontés que ceux-là ne peuvent souffrir. Il est surprenant que, sur ce second texte de reproches, on ne m’ait pas aussitôt enlevé d’ici pour me transférer en une autre prison : Dieu avait d’étranges et infinis desseins sur ma longue détention dans cette place. Par-dessus cela, le P. dom Cipry a été malade à l’extrémité : je n’ai encore pu savoir s’il est mort ou hors de danger. De plus, j’avais un petit commerce avec un confrère d’une des maisons de ces quartiers qui m’apprenait bien des choses. Mon disciple, neveu du gouverneur, s’en étant aperçu, l’a rapporté à son oncle : voilà sa reconnaissance. Sans la culture des jardins, je serais renfermé à la rigueur.

La chère sœur Septa souffre des maux de corps inconcevables avec un profond et sec délaissement intérieur. Elle est fidèle à l’abandon. Elle vous salue et embrasse de tout son cœur. Sur ce que je lui fais part de quelques-unes de vos nouvelles, elle en estime et goûte encore plus votre état, disant que plus la créature paraît créature par sa totale destruction, plus le Créateur paraît créateur. En effet, à bien concevoir la chose, rien n’est plus sanctifiant pour une âme que ce qui se fait en elle, de plus glorieux pour Dieu par la haute manifestation de Ses qualités divines, qui se fait par mille et mille dépouillements et sacrifices de la pauvre créature. Les autres amis de ce lieu sont fermes à merveille. Dieu me laisse encore ce soulagement que tout esprit loue le Seigneur. Si l’on venait à m’ôter d’ici, on vous le ferait savoir. Cependant je suis invariablement tout à vous, avec un tendre renouvellement d’estime et d’amitié. Traverses sur traverses cimentent notre union. Amen.


– A. S.-S., pièce 7280, autographe; pièce 7279, copie. Nous n’avons pu déterminer les personnes citées selon une orthographe probablement fautive. Le père est enfermé dans la forteresse de Lourdes, où il a cependant pu établir un cercle ami.


1 Éphésien, 3, 17.

2 Mort mystique ou prémonition d’épreuves à venir?

3 Les barnabites avaient une maison à Thonon, Savoie.

4 Controuver : inventer une chose fausse.

15. DU PERE LACOMBE Fin 1693.

Qui que vous soyez, vous qui m’avez fait un billet non moins édifiant qu’obligeant, sans que je puisse me figurer qui vous êtes, soyez persuadé que je réponds de tout mon cœur à l’honneur que vous me faites et à l’amitié sainte que vous me témoignez, me réjouissant avec vous du progrès que vous faites dans les voies de Dieu, ravi que je suis que Son règne paraisse en vous, et qu’Il S’y établisse dans toute l’étendue du divin conseil, par l’entière mort à vous-même et par l’absolu désintéressement du pur amour. Je n’ai que faire de vous connaître par votre nom ou par les traits de votre visage. Il me suffit de vous savoir touché de Dieu et résolu1 de Le suivre jusqu’à la consommation de Son éternel dessein. Comme tel, je vous embrasse en Lui-même et vous offre, en contre-échange de vos cordiales préventions, un cœur qui, quoique plein de misères et tout environné de ténèbres, vous est parfaitement acquis.

Mais pour ce que vous me demandez, hélas! à qui vous adressez-vous? Une roche sèche vous donnerait aussitôt des eaux. Je n’eus jamais de talent considérable pour cela, non plus que pour toute autre chose, et ce peu ou de génie ou d’envie que j’avais pour ces sortes de compositions, s’est tellement dissipé qu’il ne me reste que l’étourdissement pour tout partage, avec une impuissance entière d’entreprendre rien de semblable. Le violon et la harpe, le tambour et la flûte sont dans le silence. Tous les instruments de tels concerts sont pendus aux saules du lieu de mon exil2, où je suis de plus condamné aux mines3, étant réduit par une admirable providence à travailler à des jardins depuis le matin jusqu’au soir, n’ayant d’autre étude que de cultiver la terre, ni de plus ordinaire méditation que celle des plantes. Hors de là, tout est réduit à une espèce d’abrutissement. Priez Dieu, mon très honoré et très cher inconnu4, mais fort connu et bien-aimé du Très-Haut, qu’Il me fasse servir à Sa gloire, à laquelle il est trop juste que nous soyons sacrifiés, non par force et violemment, mais par le libre assujettissement de l’amour. Cependant je conjurerai l’amour même, par ses amabilités infinies, de vous rendre un fidèle ministre de sa parole et en tout point un homme selon son cœur, tel qu’il vous désire. Je vous envie un peu le bonheur de connaître la personne que nous connaissons5, mais ce n’est pas le seul des grands sacrifices que le saint abandon exige de ceux qui se dévouent à lui sans réserve. Vers la fin de l’an 1693 6.

Vie, Add., Lettre 5. «Du père La Combe à Madame Guyon : Réponse du père La Combe à un billet que Madame Guyon lui avait fait parvenir dans sa prison sans se faire connaître».


1Madame Guyon est destinataire de la lettre, il faut donc souvent rectifier le genre masculin en féminin.


2Ps. 136 : «Nous avons suspendu nos instruments de musique aux saules qui sont au milieu de Babylone…» (Sacy).

3 L’envoi au travail forcé dans les mines était l’une des peines infligées aux chrétiens sous l’Empire romain, auxquels se compare Lacombe.

4 Intermédiaire entre le père et Madame Guyon.

5 Madame Guyon.

6 Ajout de l’éditeur Poiret.

16. DU PERE LACOMBE. 10 novembre 1694.

Ce 10 novembre 1694.

Au seul Dieu soient honneur et gloire.

Je pensais avant-hier matin, à mon réveil, qu’il y avait longtemps que je n’apprenais rien de vous. Pénétré d’un vif sentiment de compassion, peu d’heures après, je reçus tout à la fois deux de vos lettres, toutes deux sans date; vous devriez toujours l’y mettre. La plus courte me paraît la première. Que devons-nous sinon bénir Dieu de la grande et admirable histoire qui s’accomplit en vous pour Sa gloire? Pendant cinq ou six jours après la réception de votre autre lettre qui nous apprenait de si terribles choses, je portais une profonde impression de votre supplice et du mien : il me paraissait tout assuré, tout réel. Dieu me faisait la grâce d’en être content, car, si l’on supposait comme preuves les crimes dont on nous accuse, mon caractère n’empêcherait pas une sanglante exécution. Puis tout cela me fut ôté, comme qui m’aurait enlevé un manteau de dessus les épaules. Il me sembla que vous et moi étions destinés pour bien d’autres choses. Ce fut aussi le pressentiment d’un [f°68v°] ecclésiastique de notre union, lequel ne s’y méprend guère. Nous attendons en paix l’accomplissement de ce qui en a été arrêté dans le ciel.

Le travail que vous avez entrepris, pour justifier les voies intérieures, est pieux et louable, mais je doute qu’il persuade ceux qui leur sont contraires. Ils ne veulent pas même lire ces sortes d’ouvrages, entêtés qu’ils sont qu’il n’y a rien de bon; ou s’ils en lisent quelque peu, c’est avec tant de préoccupation et si peu d’intelligence qu’ils ne peuvent être éclairés ni édifiés des solides et pures vérités que [de] tels livres contiennent. J’avais entrepris un ouvrage foncier sur ces matières à dessein de convaincre les doctes, et par l’autorité des plus grands auteurs, et par la théologie scolastique; j’y travaillais avec des dégoûts et amertumes intérieurs qui me faisaient assez connaître que cela ne m’était pas inspiré de Dieu. A la fin, il m’a fallu brûler ce que j’avais fait et abandonner l’entreprise. J’ai néanmoins un traité tout fait en latin, pour la confirmation et la plus ample [f°69] explication de mon livre. J’ai retouché une seconde fois le Moyen facile : il est au net, mais comment vous l’envoyer dans une si grande incertitude de votre sort? J’avais commencé à réduire en meilleur ordre votre écrit des Rivières1; il a fallu le quitter. Je me sens porté à entreprendre quelques compositions de cette nature; puis ayant un peu avancé, on me les fait abandonner. Présentement toute lettre même m’est interdite : on me veut dans une si exacte dépendance que je ne puis former aucun dessein ni disposer d’une action ou d’un quart d’heure de temps. Il faut que l’aveugle et rapide abandon entraîne tout, justement comme le torrent, qui, dans les plus violentes cataractes, ne peut ni regarder d’où il vient ni prévoir où il va. Il ne m’a pas été permis de retenir dans ma chambre ce que j’avais d’écrits; j’ai été obligé de les abandonner à un ami.

La doctrine du Saint-Esprit ne s’apprend que du Saint-Esprit même, et dans ces choses mystiques, la maxime de saint Bernard est toujours véritable, que l’homme ne peut entendre que ce dont il a l’expérience. Il est vrai que l’on peut faire voir [f°69v°] aux adversaires de cette divine science qu’il n’y a point d’erreurs ni de dangers dans les expressions qui lui sont particulières et nécessaires, s’ils veulent entendre patiemment ce qu’on leur en dit. Aussi Rome en condamnant plusieurs de ces livres ne déclare aucune de leurs propositions erronée ou hérétique, ce qu’elle n’omettrait pas, s’il y en avait. C’est seulement par manière de discipline qu’elle en défend la lecture. On dit qu’on a aussi défendu les œuvres de l’auteur du Chrétien intérieur 2. C’est aujourd’hui la mode que de très bons livres soient proscrits, et que de très méchants soient en vogue. Si, depuis sept ans, on avait trouvé quelques mauvais dogmes ou dans mes écrits ou dans mes réponses juridiques, on n’aurait pas manqué de me les produire et d’en triompher; il en est de même des vôtres. On a condamné comme hérétique, dans nos jours, une proposition qui est en termes formels dans Sainte Catherine de Gênes depuis trois cents ans, sans que l’on y ait trouvé à redire! Mais pour donner à nos contradicteurs de l’estime et du goût pour les voies intérieures, il faudrait pouvoir les engager à faire constamment oraison, et à se renoncer et poursuivre eux-mêmes. Alors la lumière naîtrait dans leurs cœurs. Ce fut la réponse que fit le savant et saint cardinal Ricci à un qui voulait disputer avec lui sur ces matières : «Allez, lui dit-il, faire oraison durant vingt ans, puis vous viendrez en raisonner avec moi». Ainsi il n’y a pas lieu de s’étonner que la doctrine mystique ait tant d’ennemis. Il faut qu’elle en ait autant que l’estime et l’amour-propre ont d’amis. Les uns se liguent contre elle pour donner un spécieux prétexte à leurs passions, les autres, par un mouvement de zèle non assez éclairé; ainsi la troupe en est grande. Je crois pourtant que plus ces pures voies sont décriées et combattues aujourd’hui, plus elles vont s’établir et régner dans une infinité de cœurs : il y va de la gloire de Dieu à s’y prendre de la sorte.

Pour ce que vous me demandez, si vous devez aller vous présenter vous-même, après avoir achevé vos Justifications, je vous dirai, 1 ° qu’encore qu’il faille communiquer toutes choses avec les gens d’union, il est néanmoins mal [f°70v°] aisé de donner un bon conseil aux âmes, qui, ne se possédant plus elles-mêmes, sont conséquemment entre les mains d’un Maître jaloux de Sa possession, et qui ne prend pas conseil de nous : ainsi, je ne puis que vous dire de faire ce qui vous sera mis dans le cœur. 2 ° Puisque vous avez promis de vous présenter, il n’y a plus à consulter là-dessus. Ce sera une action digne de vous, digne de votre bonne cause, digne de Dieu, pour la gloire de qui vous la soutiendrez, même dans les liens et jusqu’au supplice, s’il le faut. Vous étant livrée pour tous, il vous faut paraître, parler, répondre, payer pour tous. A la bonne heure, que Dieu prenne Sa cause en main et confirme dans Sa vérité et dans Son amour tous ceux qui ne rougissent point de Le confesser et de Le défendre! Pour moi, je n’ai que le silence et l’inutilité en partage. Une vie tracassière, traînante, abjecte, obscure est mon affaire. Si je pense m’en retirer pour peu que ce soit, je me trouve mal : le ver n’est bien que dans sa boue. Continuez-nous la consolation d’avoir de vos amples nouvelles. Toute la chère et constante société de ce lieu vous en prie, vous saluant de tout son cœur3.

[f°71] On dit aussi que, si l’on ne vous eût pas découverte à Versailles, j’aurais été élargi. Le P. Dom Julien4 qui vous a vue souvent, m’est venu voir avec un grand courage, il y a un mois; et je n’en apprends plus rien, ni de lui ni des autres. Vous êtes toujours mon insigne bienfaitrice. Ce que Dieu a lié tient bien fort : on n’est plus sujet à l’inconstance humaine. J’apprends que de pitoyables considérations empêchent des gens qui faisaient fort les empressés, d’avoir plus de commerce avec moi. Tout nous est fort bon, parce que tout nous est la volonté de Dieu. Je me persuadai quasi que vous étiez sortie du royaume. Dieu rend Son œuvre plus admirable en vous tenant cachée dans le lieu même où l’on vous cherche. Il saura vous couvrir de toiles d’araignées tant qu’Il ne voudra pas que vous paraissiez, et quand il faudra que vous paraissiez, Son Esprit parlera par votre bouche. Les filles extatiques, qui disent que vous êtes l’Antéchrist, sont fort habiles de croire que l’Antéchrist doive être une femme. Se trouve-t-il quelqu’un d’assez sot pour l’écouter? C’est comme les Huguenots, qui, soutenant que le pape est l’Antéchrist, sont obligés de reconnaître une centaine d’antéchrists.

[f°71v°] Je n’ai pu deviner ce que vous entendez par ce P. V.5 enfermé, si c’est votre, ou vicieux. Je sais qu’il y en a un des nôtres enfermé, mais je doute qu’il eût des pénitentes, si souvent on se venge soi-même sous couleur de la cause de Dieu, ce qui fait qu’on laisse de gros vices impunis, quand l’homme d’autorité n’est point intéressé. Adieu donc, pauvre femme, puisque vous avez aussi contrefait les pauvres; ce manteau vous a servi pour un temps, maintenant il est usé, il vous en faut un autre. La sacrée famille de ce lieu vous salue, vous honore, vous aime, vous embrasse très cordialement. Le chef, qui sert à notre commerce, est toujours obligeant et généreux, il me fait mille biens. Dieu suscite de bons consolateurs parmi nos traverses. Jeannette6, notre chère sœur et comme l’âme de notre société, souffre extraordinairement. Ô qu’elle vous aime!


– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f ° 68, autographe du P. Lacombe – Fén. 1828, vol 7, lettre 50.


1Les Torrents.

2 Bernières (1602-1659), condamné post-mortem.

3Le P. Lacombe avait constitué un cercle spirituel. La «sacrée famille» deviendra par la suite «la petite Église», faisant l’objet principal de l’un des interrogatoires de Madame Guyon (19 janvier 1696).

4 Non identifié.

5 Le P. Vautier, dont Lacombe semble demander s’il est un proche de Madame Guyon.

6 «Madame Guyon ne fait même aucune difficulté de dire que Dieu a donné réciproquement à Jeannette et à elle de grandes connaissances l’une de l’autre, sans qu’elles se soient jamais vues.» (Lettre de La Reynie du 22 janvier 1696).

17. DU PERE LACOMBE A? Février 1695.

J’ai bien reçu votre lettre, ô personne qui m’êtes inconnue, mais comme vous dites, bien unie selon Dieu. J’en ai eu d’autant plus de joie que je ne m’attendais plus à avoir aucunes nouvelles de la Ch [ère] M [ère]. Vous pouvez encore nous en donner, ce qui ne me sera pas une petite consolation. J’avais mandé à N [otre] Ch [ère] M [ère] de ne faire qu’une enveloppe, avec l’adresse à Mgr de Cossier, sans parler du tout de l’autre ami; elles me seront rendues avec autant de sûreté. Mais elle n’a reçu ni cette lettre-là ni quelques autres, témoin celles qui sont tombées entre vos mains. Je bénis Dieu d’en avoir sauvé quelques-unes de la trahison ou du naufrage. On ne m’avait pas encore donné l’adresse que je reçois de vous, on s’en servira tant que le ciel nous laissera encore quelque ressource. Ne peut-on point confier à l’ami Le Sieur où est renfermée l’illustre souffrante? Illustre à la vérité devant Dieu si, suivant la règle évangélique, on juge de la grandeur d’une âme par la grandeur de ses croix et de ses opprobres, portés [f.1v°] chrétiennement. Cette personne que j’honore véritablement comme ma mère en N [otre] S [eigneur] vous a pu dire quelle est notre union. Mais je ne saurais assez vous exprimer ce que je porte dans le cœur pour elle, et combien je lui suis acquis malgré les tempêtes dont nous avons été battus. Si vous trouvez quelque ouverture, faites-lui savoir ma sincère disposition à son égard; rien du monde n’est capable de l’altérer. Je m’étonnais qu’elle ne faisait aucune mention de mes réponses, quoique je les lui fisse fort régulièrement : une partie a été interceptée. L’autre vous a été heureusement rendue. Je n’ai pas envoyé le paquet qu’elle vous a fait chercher, parce que je ne voyais pas qu’elle pût le recevoir. On n’a pas reçu non plus celui qu’elle m’a envoyé par le messager de Toulouse, ainsi que les dernières lettres le portaient. Il y a à craindre qu’elle n’ait pas été servie fidèlement non plus que pour le premier surplis, dont le paquet fut perdu. Ayez la bonté de nous faire savoir ce que vous jugerez se pouvoir hasarder. De ce côté-ci, il ne s’est perdu aucune lettre. L’adresse est sûre de l’ami très fidèle et très [f.2r°] généreux.

Pour ce qui est de vous, chère personne, qui, quoique inconnue, êtes si aimante et si aimée de la pauvre persécutée, daignez me donner quelque part à votre souvenir devant Dieu, ou dans votre cœur telle place qu’il plaira de m’y donner à Celui qui le possède pour Son amour et pour Sa gloire. J’avais vu, il y a longtemps, votre caractère [écriture] sur les paquets de la ch [ère] M [ère] et dans quelques chansons; mais je ne me serais jamais imaginé que ce fût le caractère d’une femme, surtout y remarquant une si bonne orthographe, ce qui est rare pour le sexe. Il y a bien des morts à essuyer par la privation de tant de personnes que l’on verrait de si bon cœur, et pour qui l’on conçoit tant de correspondance, de par la nécessité de se trouver parmi tant de visages que l’on ne goûte point. L’amour et la volonté de Dieu rend tout supportable : plaise à Sa divine bonté de nous la faire aimer éternellement, quoi qu’il y ait à souffrir pour Lui plaire. C’est dans Son même amour que je vous embrasse cordialement.

– A. S.-S., pièce 7383, autographe. En tête : «Du P. Lacombe à Mme de (Guyon biffé), XXX, Février 1695».

18. DU PERE LACOMBE 4 mars 1695.

Ce 4 mars 1695

J’ai reçu heureusement la vôtre dernière aussi bien que la précédente. L’incertitude où vous me mettez de pouvoir plus vous en faire tenir des miennes, fait que je ne me sens pas dans celles-ci. Nous avons suivi les différentes adresses que l’on nous a données : comme je les supposais sûres, j’écrivais plus rondement. Mais comme vous dites fort bien, tous ne sont pas capables des vérités singulières, et la préoccupation où l’on est peut donner lieu à de sinistres jugements. Nous attendrons ce qui arrivera par les ordres de la divine Providence, et ce que vous pourrez nous en apprendre. Si vous voyez la chère M[ère]1, assurez-la de la constante continuation de tout ce que je lui suis, aussi bien que de l’attachement de la petite société de ce lieu2. Le paquet de papiers qu’elle disait avoir envoyé à Toulouse ne s’y est point trouvé; il faut le faire chercher au Bureau de Paris pour Toulouse. Peut-être y trouverait-on [f.1v°] aussi le paquet du premier surplis dont on n’a jamais eu de nouvelle3. Je finis pour reprendre mon silence jusqu’à ce que je sache si l’on pourra encore vous écrire; il ne s’en perdra aucune lettre de ce côté-ci, par la protection divine et par les soins de la personne qui nous rend depuis si longtemps un si bon office.

Depuisa que la personne préposée à Toulouse pour la réception des paquets à nous adressés, a su la remise de celui qu’on envoyait, elle a été au bureau à l’arrivée de chaque messager, mais inutilement. Si vous le jugez à propos, mad [emoise] lle ma très chère sœur en N [otre] S [eigneur] J [ésus] — C [hrist], vous en ferez faire la recherche : peut-être l’a-t-on oublié au bureau. L’adresse en est à M. de Normande chez M. de Colomès, banquier à Toulouse, pour faire tenir à M. de Lasherous4. On avait même déclaré au bureau que c’était des sermons et un livre que M. Mamelus envoie à M. de Lasherous. Le premier, qui s’est perdu aussi au Bureau de Paris, à la réserve que par oubli il y fût encore, <il> s’adressait à M. de Vergès chez M. Bousat, droguiste à…, [f °.2 r °] pour faire tenir à M. de Lasherous de Caubotteb à Lourdes; il y avait un surplis et quatre Louis dedans. Les âmes unies de ce lieu saluent et embrassent très cordialement l’illustre souffrante et persécutée : vous êtes mise et comprise dans le ballot, ma très chère sœur en Notre Seigneur Jésus-Christ. Que le grand Maître règne en nous par amour, et c’est dans cet amour que je vous embrasse très cordialement, bien que je n’aie l’honneur et l’avantage de vous connaître.

– A. S.-S., pièce 7384, autographe, sans adresse. En tête : «Du P. Lacombe à Mme de Guyon». La seconde partie de la lettre est peu lisible, d’où nos points de suspension.


a Cette fin de lettre est d’une autre écriture, probablement de l’intermédiaire côté Lacombe..

b Lecture incertaine.


1Madame Guyon à qui cette lettre est adressée par un intermédiaire.

2 Le groupe dévot constitué par Lacombe, «âmes unies» de la fin de la lettre.

3 Indice de l’aide envoyée par Madame Guyon, probablement sous forme de louis cousus dans le surplis.

4 «Ce prêtre [aumônier de la prison]… assure Madame Guyon qu’il soutiendra partout sa doctrine et qu’il n’en rougira jamais. Tout cela supposé, il semble, Monsieur, qu’il y ait dès cette heure quelque chose à faire du côté de Lourdes...» (lettre de La Reynie du 22 janvier 1696).

19. DU PERE LACOMBE. Mai 1695.

Au seul Dieu soit honneur et gloire.

J’ai vu l’Ordonnance du seigneur prélat dans le diocèse duquel vous êtes présentement. Je ne puis que louer et bénir Dieu avec votre cœur, qui le fait sans doute constamment, pour la nouvelle flétrissure qu’Il a permis qui nous soit arrivée par cette nouvelle condamnation de nos petits ouvrages, lesquels néanmoins ne sont pas tant de nous que de tant de graves auteurs qui ont écrit sur ces matières avec beaucoup plus d’étendue et plus de liberté. Nous ne sommes que leurs échos, qui avons tâché de répéter fidèlement les paroles que nous avions reçues d’eux.

Dans mon Analysis 1, j’ose dire qu’il n’y a rien du mien que la préface, à laquelle on ne trouva rien à redire lorsque je fus interrogé à Paris. Tout le reste est tiré de bons auteurs qui y sont cités; et si, vers la fin de 1’ouvrage, je ne les allègue pas, je ne laisse pas de rapporter leurs propres termes, comme il me serait aisé de le justifier si j’étais en liberté et que je pusse être écouté. Mais puisque les pasteurs des églises du Seigneur réprouvent ces opuscules, nous les devons nous-mêmes réprouver quant à l’usage qu’on n’en veut pas souffrir, et aussi quant aux propositions qu’ils déclareraient erronées, dès qu’on nous les montrerait en propres termes dans nos écrits. Le bien de l’union, de l’obéissance, de la charité est préférable à toute contestation, ou résistance, ou justification; outre que, dans le fond, vous et moi [f ° 127v °] trouvons, dans ce succès de nos petits traités, tout ce que nous avons prétendu, savoir : l’accomplissement de la volonté de Dieu, en cela comme dans

tout le reste. Qui ne se propose point d’autre but, n’est jamais frustré de ses espérances. Il n’arrive rien dans le monde dont Dieu ne fasse un sujet de Sa gloire. Si l’amour de cette adorable gloire fait tout notre contentement, comme nous le demandons à la divine bonté, rien ne manquera à notre satisfaction, comme rien ne saurait empêcher l’accomplissement de notre unique dessein. C’est là que se trouve l’heureuse immobilité du cœur, si combattue, et néanmoins si nécessaire en nos jours.

Je m’étonnerais qu’en épargnant tant d’écrivains qui en ont dit infiniment plus que nous, on nous eût singulièrement entrepris, n’était que les désordres qu’on a reconnus en nos jours ont donné lieu de se plus défier. Cependant j’ai devant Dieu, dans ma conscience, la consolation de ne voir, ni dans mon écrit ni dans mon opinion, les erreurs qui sont justement condamnées dans les articles de l’Ordonnance. Et si je pouvais produire ce que j’en ai écrit, on verrait que je combats directement les principales qui y sont marquées, et contre Molinos, la continuation de son acte de foi non interrompu, ce qui est d’autant plus ridicule qu’il la veut établir même dès les premiers pas de la vie intérieure, au lieu que ce privilège n’est que pour les parfaits contemplatifs gratifiés d’une contemplation infuse, et contre l’aveugle Malaval2, qui a exclu de l’objet de la [f ° 128] contemplation les attributs divins et l’humanité de Jésus-Christ, contre le sentiment de tous les anciens, et contre la définition même de la contemplation. Si je pouvais vous envoyer ces écrits que j’ai faits, je le ferais volontiers, mais je doute que vous puissiez les recevoir.

Pour ce qui est des actes, il est certain qu’il en faut faire. Qui ne ferait point d’actes, ne ferait rien, puisque ces actes sont l’action de l’âme. Mais comme il y en a de plus ou moins parfaits dans leur étendue, dans leur durée, dans leur élévation, dans le dégagement des sens, il faut, de nécessité, que ceux des personnes plus avancées ou parfaites soient plus simples et plus élevés, et conséquemment moins sensibles que les autres. Je vous ai déjà mandé que je signerais sans difficulté les articles qu’on vous a fait signer. Encore qu’il soit vrai que la théologie mystique, comme les premiers écrivains en ont averti, ne se puisse comprendre que par ceux qui ont l’expérience, et qu’en ce sens on puisse dire qu’elle est la pierre blanche, et le nom nouveau que nul ne connaît que celui qui le reçoit3, il est néanmoins certain qu’elle ne contrarie en rien la théologie commune, qui discerne très bien ce qui est erreur d’avec ce qui ne l’est pas, et qui conserve, défend, explique, propose les règles de la foi, selon la parole de Dieu ou écrite ou transmise par tradition. Je ne voudrais point de théologie mystique, si elle était contraire à la scolastique; mais pour lui être ou cachée ou supérieure en certaines choses, elle ne la contrarie pas; elle n’est même que la suite, le progrès [f ° 128v °] et le couronnement de l’autre, en ce que, sur les principes que celle-ci établit, celle-là tâche de s’élever par les degrés anagogiques jusqu’à l’union divine et à la jouissance de Dieu, telle qu’on la peut obtenir dans cette vie par un parfait amour, quoique sous le voile de la foi.

Pour nous, ma chère sœur, frappés, flétris, décriés depuis si longtemps, laissons à Dieu le soin de Sa vérité, de Son Église, des âmes où Il veut régner, et contentons-nous, pour tout bien, de l’amour de Sa volonté et de l’accomplissement de Ses plus que justes desseins. Rien ne périt pour nous, puisque rien ne périt pour Dieu. Demandons-Lui d’un même cœur le véritable amour de Sa gloire plus que de nous-mêmes, plus que de tout bien créé : vivons et mourons dans le total abandon que Son amour nous doit inspirer. Ô que cet abandon est bien exprimé dans ces beaux mots de saint Cyprien et de saint Augustin : ut totum detur Deo! que tout soit donné à Dieu, tout remis, tout délaissé, et pour le temps et pour l’éternité; que ce soit l’unique terme où tende fidèlement notre cœur! Avec cela seul, il ne lui manquera jamais rien, car c’est là la parfaite charité à laquelle rien ne manque, puisque Dieu est charité. Je Le prie d’être votre force et votre protection parmi vos traverses et vos maux de toutes sortes, jusqu’à ce qu’Il opère votre bienheureuse consommation. Tous les amis et les bonnes âmes de ce lieu vous saluent très cordialement. On a fait de cœur beaucoup de prières pour vous. Des personnes d’une vertu éprouvée se sentent unies à vous sans vous avoir vue, quelques-unes même sans avoir guère ouï parler de vous. Pour moi, je demeure constamment votre très acquis en notre Seigneur Jésus-Christ crucifié.

– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f ° 127, en tête : «mai ou juin 1695». – Fénelon 1828, t. 7, lettre 84.


1 Orationis Mentalis Analysis, Verceil, 1686.

2Sur le mystique aveugle de Marseille, v. Index.

3 Apocalypse, 2, 17.


20. DU PERE LACOMBE. 12 mai 1695.

Ce 12 mai, jour de l’Ascension, 1695.

J’ai été également surpris et réjoui, lorsqu’à l’ouverture du paquet, que mon tout-puissant Maître a conduit heureusement, j’ai reconnu votre caractère [écriture], dans un temps où il y avait si peu d’apparence que je pusse recevoir de vos nouvelles, de vous-même, ni guère par autre voie. La divine Providence se rend admirable en nous ouvrant toujours des moyens de nous communiquer nos croix et nos confusions, afin que notre union de foi et de croix ait toute l’étendue et toutes les suites que Dieu lui a destinées. Que je suis obligé, en mon particulier, à la charitable personne qui vous a permis de m’écrire! Je prie Dieu de lui en donner une immortelle couronne, et de bénir de ses plus grandes grâces la maison1 où vous êtes traitée si charitablement, pendant que d’ailleurs on vous exerce et poursuit avec tant de rigueur. Je vous croyais en repos dans une profonde retraite, et j’apprends que c’est là même que vous êtes plus tourmentée. De toutes les lettres, si bonnes, si utiles, si fidèles, que j’ai reçues de vous, nulle ne m’est si chère que la dernière, parce qu’aucune ne m’a tant fait voir jusqu’où la divine main vous immole, et quelle est la pesanteur de la croix dont elle vous a chargée. A en juger évangéliquement, et à remarquer les dispositions dans lesquelles vous la portez, assistée d’une puissante grâce qui vous rend immobile dans l’amoureuse résignation, ce n’est pas mauvais signe; au contraire, la conduite et le règne de Dieu y paraissent sensiblement. Pour peu qu’on y fît d’attention, on y découvrirait les caractères [f ° 125v °] de l’Esprit de Dieu, mais, dans le temps d’obscurcissement, de si claires et de si pures vérités sont méconnues et traitées d’erreurs. Dieu qui permit que les prêtres et les docteurs de la loi fussent aveuglés au sujet de la vie et de la doctrine de Jésus-Christ Son Fils, le permet de même à l’égard des âmes qu’Il veut rendre plus conformes à cet adorable Fils. C’est 1’amour-propre qui aveugle le cœur de l’homme; la science et l’autorité l’enflent; le désir de plaire aux puissances, de se faire un mérite auprès d’elles, de s’acquérir un nom dans le monde, détournent facilement de la droite voie et du juste jugement. Quoi qu’il en soit, vous avez appris de Dieu même à recevoir tout de Sa main et à Lui tout délaisser : avec cela, tout va très bien pour vous. Dieu laisse fort embrouiller les choses pour les démêler un jour avec plus d’éclat, ne fût-ce qu’au grand jour de Son jugement.

Pour moi, par l’intime conviction que j’ai que vous êtes à Dieu, et qu’Il habite et règne en vous, je m’estimerais heureux de vous tenir compagnie dans le supplice, en criant hautement que je tiens pour vous, persuadé que vous tenez pour Dieu. Et certes, je ne suis pas sans supplice : grâce, gloire à la divine Providence! il est assez rude et assez long, sans savoir ce qui m’en reste à essuyer. Dieu nous réserve vers la fin les choses les plus extrêmes, les plus surprenantes, les plus écrasantes.

Il me souvient de ce que vous disiez de cette année 1695, que ce serait la queue de la persécution. Il est bien vrai, car rien n’est plus malaisé à écorcher que la queue. De toutes les croix, je n’en connais pas de plus rude que [° 126] celle d’être traité comme vous l’êtes. Quand je commençai d’être interrogé et contredit avec tant de préoccupation et d’aigreur sur des vérités si claires et si importantes, j’en fus si démonté et si accablé, que rien ne me paraît plus sensible. Mais je ne comprends pas comment vous pouvez signer, pour erreurs, des dogmes qui ne sont pas certainement de vous. À moins qu’on ne vous les montre dans leurs propres termes en vos écrits ou en vos réponses, il faut constamment refuser de les avouer pour vôtres, et persister dans la soumission que vous avez tant protestée, demandant un jugement sur le tout, et vous excusant de tant de signatures. Dieu vous veut sans autre conseil que le Sien; c’est bien assez; ce qui paraît renversement et désordre à l’esprit humain, sera reconnu de Dieu pour vérité, pour justice, pour amour. Que de bon cœur je vous aiderais de tout ce qui dépendrait de moi! Mais Dieu, pour Sa gloire et pour la consommation de votre sacrifice, vous veut abandonnée des hommes, et délaissée à Lui seul. Il s’accomplit en votre personne une histoire si singulière que la divine volonté, qui l’a inventée et qui l’exécute sur son projet éternel, en tirera une gloire immense.

Nous avons reçu le paquet des écrits depuis peu de jours seulement. J’ai lu le Purgatoire 2 : il est fort bon et solide. Il y aurait quelque chose à ajouter et à expliquer. Un seul endroit doit être raccommodé; c’est où il est parlé du jugement particulier : il est certain que chaque âme le reçoit à l’heure de sa mort; mais celles qui doivent être plus sévèrement punies l’oublient aussitôt après, le souvenir leur en étant ôté pour les faire plus souffrir. Saint Clément 3 alexandrin est un excellent ouvrage; il paraît que son auteur a été singulièrement inspiré pour déterrer d’un auteur si grave et si ancien la véritable théologie mystique et l’illustre témoignage qu’elle en reçoit. [f ° 126v °] Le Job 4 est beau et plein d’une véritable et salutaire doctrine, tirée du sacré texte avec beaucoup de justesse, non sans une particulière inspiration; néanmoins il aurait besoin d’être un peu retouché.

Toute facilité d’écrire et de lire m’est ôtée, et mon étourdissement augmente de jour en jour. Je n’attends que la mort, et elle ne vient point; ou plutôt elle vient assez cruellement chaque jour, sans nous achever par son dernier coup. Le jardinage que j’exerce depuis cinq ans m’est insupportable, et d’une amertume extrême; cependant il faut que je le continue. Le corps est fort épuisé de forces et languissant, et si la divine main le pousse plus loin que jamais, une peine intérieure, laa plus bizarre que j’aie eue de ma vie, me fait beaucoup souffrir depuis quelques mois. Tout se verra en Dieu, si nous ne pouvons plus nous voir en ce monde.

Les enfants de Dieu dans ce lieu-ci sont constants dans leurs voies. Tous ceux qui ont ouï parler de vous vous honorent et vous aiment. Le principal ami5 ne se lasse point de me continuer ses charités et ses libéralités. Le jeune ecclésiastique comprend toujours mieux les voies de Dieu. Jeannette 6 ne vit presque plus que de l’esprit, son corps étant consumé par des maux si longs et si cruels. Elle vous aime et vous est unie au-delà de ce qu’ou peut en exprimer, vous goûtant et vous estimant d’autant plus que plus on vous décrie et vous déchire. Elle vous salue et embrasse en Notre Seigneur, avec toute la cordialité dont elle est capable. Nous n’attendons que l’heure que Dieu nous l’enlève. Elle a une compagne et confidente, entre autres qui est d’une simplicité et candeur admirable. Pour moi, je vous suis acquis plus que jamaisb, mais comme cela est toujours plus intime, je le sens et l’aperçois moins, et il faut que je vous… c

– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f ° 125. – Cor.Fénelon 1828, t. 7, lettre 82.

a et si (mot illis. raturé) (la divine main ajout interligne) le pousse plus loin que jamais. Une (mot illis. raturé) (peine intérieure ajout interl.) la

b fin de l’édition de 1828.

c fin du feuillet.

1 Sainte Marie de Meaux.

2 Le Traité du Purgatoire de Mme Guyon. Sur le jugement particulier, I.3 : «Je ne crois pas que Dieu la juge d’un jugement particulier […] notre divin juge attendra à la fin du monde à se montrer ou favorable aux justes, ou rigoureux aux pécheurs.»

3 Le Clément de Fénelon (réédité par Dudon : Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie..., Beauchesne, 1930.)

4 L’Explication de Job par Madame Guyon.



5 Probablement Lasherous, prêtre aumônier de Lourdes, v. note à la lettre n° 271, de Lacombe, du 4 mars 1695.

6 Voir Index, Jeannette.

21. DU PERE LACOMBE 25 mai 1695.

Ce 25 mai 1695.

J’ai reçu heureusement deux de vos lettres de Meaux. Plaise au ciel que vous receviez de même mes réponses! Je ne puis assez admirer ni assez louer la divine Providence de ce qu’elle me fait savoir une bonne partie de vos croix, auxquelles il est juste que je prenne part, et parce que leur cause nous est commune et par la compassion que je dois avoir de vos maux. Vos croix extrêmes ayant opéré votre parfait anéantissement en Dieu seul selon Son dessein, feront jusqu’à votre dernière heure la couronne et le voile glorieux de ce même anéantissement. Tout ce que vous me marquez de votre état en est une preuve plus que probable. Depuis que l’on n’est plus et que l’on ne subsiste plus en soi, mais en Dieu seul, il faut de nécessité qu’on ne se trouve plus, et qu’on ne se sente plus être ce qu’on était. Dieu tirera une grande gloire d’un ouvrage si profond et si caché en Lui, lorsque, l’ayant couronné et glorifié, Il le [f ° 129v °] mettra en parfaite évidence. Cependant il faut que les plus extrêmes souffrances, et de toutes sortes, avancent, conservent et consomment cette œuvre admirable. Ces extrêmes souffrances ne sont point séparées des extrêmes humiliations. Il n’est plus question de voir ni de sentir l’abandon, dès qu’il est arrivé à son comble : on demeure abandonné sans l’abandonnement. En un mot, j’éprouve un peu que l’on est tellement tiré hors de soi-même que l’on ne se trouve plus que pour souffrir. Mais Dieu ne soutient jamais plus puissamment une âme si accablée, que quand tout soutien créé lui manque, et même tout soutien divin aperçu. Alors, la protection de Dieu est d’autant plus forte et plus étendue que le délaissement est plus désolant. Souffrons donc autant qu’il Lui plaira, sans autre appui ni confiance que Lui seul. Grâce à Son infinie bonté, tout autre soutien vous est bien retranché.

Dans les Articles1 que l’on vous a fait [F ° 130] signer, je ne vois rien à quoi je ne voulusse souscrire après les prélats et les docteurs qui les ont dressés. Je ne remarque pas qu’on ait prétendu qu’ils soient dans vos écrits, ni les erreurs qu’ils condamnent, mais ce sont des vérités orthodoxes qu’il faut absolument sauver, sans y donner aucune atteinte sous prétexte de théologie mystique; ce qui n’empêche qu’il n’y ait une autre façon de produire ces actes, laquelle, pour être plus simple, plus durable et réunie dans le regard amoureux de Dieu, ne laisse pas d’être très réelle, et de satisfaire encore plus parfaitement aux obligations communes à tous les fidèles. J’ai expliqué cette difficulté dans le Moyen court et facile que j’ai retouché2, et il y en a des passages de très graves auteurs dans mon infortunée Analysis 2 b. J’ai aussi fait un chapitre exprès dans un ouvrage latin plus ample que j’ai fait, pour prouver contre l’aveugle de Marseille3 et quelques autres l’article 244 des 34 qu’on vous a présentés; il est très solide. [f ° 130v °] Votre soumission et souscription auxdits Articles me paraît complète et édifiante. Je ne sais ce que l’on peut exiger davantage, à moins qu’on ne prétende vous faire rétracter des erreurs formelles qu’on supposerait être dans vos écrits. C’est tout ce que peut faire une femme que de se soumettre aux pasteurs de l’Église, sans qu’elle soit obligée de résoudre des difficultés scolastiques.

Depuis mon autre lettre, j’ai lu tout votre Job. Il me paraît très bon, plein d’une connaissance profonde des voies les plus intérieures, et d’un don singulier de les bien expliquer. Il n’y a que deux ou trois endroits que je voudrais tant soit peu raccommoder, et en quelques autres, ajouter quelques petits éclaircissements. Il y a bien des choses qui m’ont été gravées dans le cœur depuis ma prison et que j’ai lues avec plaisir dans votre écrit telles que je les lisais en moi-même. Je prie Dieu d’être d’autant plus votre consolation, votre fidélité, votre force, votre tout, que plus Il vous retranche tout le reste. Je ne puis travailler à aucun ouvrage de l’esprit, mais seulement à mes jardins, encore avec un extrême dégoût. La petite Église d’ici5 vous salue.

– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f ° 129. – Fénelon 1828, tome 7, lettre 85.


1Les 34 articles, compromis entre Fénelon et Bossuet résumant les entretiens d’Issy, publiés dans les instructions pastorales des 16 avril, 25 avril, 21 novembre, assortis d’une condamnation des écrits de Madame Guyon ainsi que de l’Analysis du P. Lacombe.

2 Travail perdu.


2b Orationis Mentalis Analysis, Verceil, 1686.

3Malaval.

4 Article 24 : C’en est une [d’erreur] également dangereuse d’exclure de l’état de contemplation, les attributs, les trois personnes divines et les mystères du Fils de Dieu incarné, surtout celui de la croix et de la résurrection; et toutes les choses qui ne sont vues que par la foi sont l’objet du chrétien contemplatif.

5 Le cercle spirituel animé par le P. Lacombe.

22. DU PERE LACOMBE. 3 juillet 1695.

Ce 3 juillet 1695.

Je reçois heureusement, ma très chère et toujours uniquement aimée en Notre Seigneura, toutes vos lettres de Meaux; avez-vous reçu de même mes réponses? Voici la quatrième. Je bénis Dieu d’un même cœur avec vous de tout ce qui nous arrive par Sa plus qu’aimable volonté. La grandeur de votre croix me fait juger de la grandeur de Son amour pour vous. Il faut que, par toutes sortes de souffrances, d’opprobres, de contradictions, vous ressembliez à Jésus-Christ, qui a paru comme un lépreux, frappé de Dieu, humilié et anéanti en toutes manières. Mais pour signer ou reconnaître que vous ayez jamais rejeté Sa médiation, ou nié Sa personne divine, c’est ce que vous ne devez jamais faire. Il n’est point d’autorité qui ait droit de vous y contraindre, à moins que de si exécrables erreurs ne se trouvassent en propres termes dans vos dogmes. Dieu nous garde d’être jamais intimidés jusqu’à avouer que nous ayons blasphémé contre l’adorable Sauveur, en qui nous avons toujours cru et espéré, comme fait toute l’Église, fallût-il être frappé de tous les maux et de toutes les flétrissures possibles, et dans le temps et dans l’éternité! Ne confessons jamais d’avoir douté le moins du monde de ces vérités fondamentales du christianisme, qui, par la grâce de Dieu, ont toujours fait le principal objet de notre foi, le fond de nos espérances, et le centre de notre amour. Si cela paraissait dans vos écrits, il faudrait le détester dans les formes; s’il n’a été écrit que dans votre cœur, comment présume-t-on de l’en déterrer? Ceux qui vous écrivent différemment là-dessus reçoivent sans doute de différentes relations, qui leur font changer d’avis.

Je vous compatis infiniment, mais je goûte d’autant plus votre état qu’il est plus dénué d’appui créé, et même de l’incréé en manière aperçue. Mais notre Dieu et tout-puissant maître, qui vous fait boire à longs traits le calice de la contradiction extérieure et du délaissement intérieur, vous enivrera bientôt de Ses divines consolations, et vous recevra pour jamais dans la paix et dans la joie qui ne peuvent manquer à ceux qui aiment la vérité, et qui marchent dans la justice, et qui ne respirent que l’amour. Il y a longtemps que je sais que c’est là l’esprit et la vie de votre âme que j’aime toujoursb fortement et tendrement en notre Seigneur Jésus-Christ, ce qui fait que je ne saurais craindre pour vous. Dieu est fidèle, Il n’abandonne pas à l’erreur ou à la corruption des mœurs ceux qui, par Sa grâce, n’ont d’autre volonté que la sienne, ni d’autres prétentions que de le voir régner avec une gloire immense. L’heure viendra que cette longue et effroyable tragédie prendra fin. Il y a près de huit ans que nous sommes sur le théâtre avec tant d’ignominie, sans compter les cinq ou six années précédentes de nos premiers renversements.

Toutes les lettres que je reçois de vous depuis ce temps-là m’apprennent des choses funestes selon l’homme, mais bonnes, mais avantageuses selon le dessein de Dieu. Qui sait si, un jour, après tant d’épines qui nous ont si fort piqués et déchirés, nous ne recevrons point du ciel quelques roses de paix et de repos? Du côté des hommes, je n’en vois aucune apparence. Dieu est tout-puissant. On m’a décrié de nouveau en ces quartiers sur des récits qui sont venus de loin. Je m’étonne que l’on ne m’entreprenne pas une autre fois. Quoi qu’il arrive de vous et de moi, Dieu, Sa vérité, Son règne, Sa volonté, Sa gloire subsistera toujours et triomphera en nous. Avec cela, rien ne peut nous manquer, puisque c’est là que se terminent toute notre ambition et tous nos vœux. Il se rend singulièrement admirable dans la conduite qu’Il tient sur nous et sur nos semblables. Il y paraît Dieu hautement, puissamment, terriblement. Tous les esprits L’en loueront dans l’éternité.

Tous les amis de ce lieu vous honorent constamment, vous estiment, vous aiment, quoique je ne leur cache pas tout le mal que l’on dit de vous. Les meilleures âmes que nous y connaissions vous sont les plus unies. Pour moi, je vous suis toujours très sincèrement attaché en Notre Seigneur. Encore un peu de patience, et le souverain Juge viendra prendre notre cause en main. Par Sa miséricorde, depuis qu’Ilc nous a singulièrement appelés à Son service, nous n’avons prétendu que Son règne, ni cherché que Son amour. Quand on cherche sincèrement Dieu, on ne peut s’écarter de la vérité ni de l’amour, puisque quiconque Le cherche sans feinte Le trouve infailliblement, et que, L’ayant trouvé, on possède en Lui-même toute vérité et le parfait et immortel amour.

On salue cordialement vos filles1, et toutes ces bonnes âmes à qui Dieu donne des sentiments de compassion et de tendresse pour vous. Ô chère mère, Dieu vous a bien livrée pour tant d’autres! Ô gloire de Dieu, ô empire du Très-Haut, établissez-vous, paraissez avec éclat, n’épargnez pas ces néants où ils peuvent y servir! Ils sont à vous sans réserve, non seulement par le droit de la création, mais par l’amoureux assujettissement qu’ils vous ont mille fois voué sans bornes et sans exception.


– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f ° 131, autographe et XI2, f ° 133, copie. – Fénelon 1828, t. 7, lettre 86, p. 184.

Il y a des reprises dans la lettre suivante de Lacombe, du 28 juillet, mais les deux lettres s’avèrent cependant distinctes. On est partagé entre le doute sur l’édition de 1828 (cependant très bonne pour l’époque et très exacte pour le début de cette lettre), sur l’état mental de Lacombe, peut-être déjà perturbé, mais il se peut aussi que Lacombe reprenne volontairement des fragments, compte tenu de la perte prévisible de courriers. Les répétitions ont lieu au sein même de la lettre suivante, ce qui semble malheureusement favoriser l’hypothèse d’un état mental perturbé. L’écriture est ici moins ferme que celle des lettres précédentes; plus fréquemment qu’auparavant les jambages des lettres sont inclinés tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche.

Noter la répétition de la fin de la lettre présente, dans celle du 29 juillet suivant. Cependant on ne dépend ici que de l’imprimé de 1828 pour cette fin et une confusion de cet éditeur entre deux sources est possible.


a «Ma très chère et toujours uniquement aimée en n.s.» biffé sur la copie, manque sur l’imprimé de 1828. 

bfin de notre source autographe, nous poursuivons à partir de la copie reprise par Fénelon 1828.

cfin de la copie, nous poursuivons à partir de l’imprimé de 1828.


1 Famille (Marie de Lavau) et Françoise Marc.

23. DU PERE LACOMBE. 15 juillet 1695.

Ce 15 juillet 1695.

Je viens de recevoir votre bonne lettre, ma chère et très honorée en Notre Seigneur, avec toute la joie qu’on peut avoir en apprenant de vos nouvelles et voyant ces propres caractères de la personne du monde que l’on aime le plus. Vos persécutionsa et tous vos autres maux ne font que raffermir notre union, de même que mon ignominie ne vous rebute pas. Il vient quelque ennui de vivre parmi d’inconcevables misères, mais l’esprit ne se lasse pointb de voir accomplir la volonté de Dieu, à l’empire et à la gloire de laquelle on s’est uniquement dévoué.

Je voudrais bien faire ce que vous souhaitez, touchant les écrits que j’ai. Ce me serait un véritable plaisir d’être occupé à de si belles choses, au lieu que je ne fais que me traîner sur la terre et parmi la boue, outre que la plupart du temps je ne sais que faire. Mais je ne puis souffrir aucun ouvrage de l’esprit. J’en ai un presque achevé, auquel je n’ai pu toucher depuis quatre ou cinq mois. J’essaierai néanmoins de passer la main sur les vôtres. Priez le tout-puissant Maître de m’en donner la facilité avec le discernement nécessaire. [f°146v°] Cependant on vous enverra, sous l’adresse que vous nous donnez, ce qu’il y a de prêt. Je bénis Dieu de ce qu’Il Se choisit des cœurs pour les éclairer de Ses pures vérités jusque dans des lieux et des états où il paraît moins de dispositions pour un si grand bien. Le souverain Monarque et Roi des rois ne craint point d’opposition, et ne dépend d’aucune disposition, quand Il veut signaler Ses miséricordes.

Je verrais volontiers votre Apocalypse, ne l’ayant pas lue, mais ne me l’envoyez que dans deux mois d’ici. Si je puis travailler aux autres ouvrages, je vous le ferai savoir. L’esprit humain, quoique savant, ne pouvant comprendre les pures voies de Dieu, les altère et les brouille, croyant les bien démêler et les découvrir à fond. Rien n’empêchera l’Esprit de Dieu de Se communiquer à qui il Lui plaira. Pour être éclairé par Lui, on n’a que faire de livres : il n’y a qu’à s’abandonner à Lui, Le suivre, et Lui demeurer bien soumis. Aussi, plus on Lui est assujetti en foi nue et par un pur amour, moins on a besoin de [f°147] livres. Sa divine onction enseigne tout ce qu’il nous faut savoir pour Lui plaire, et c’est tout ce qu’il nous faut savoir. Je ne doute point qu’en voulant mettre en beaux termes les ouvrages de ces grands hommes, on ne les affaiblisse et les altère, surtout si leurs traducteurs ne sont pas conduits par le même Esprit qui animait ces divines plumes. Saint François de Sales n’est pas si vieux qu’on ne l’entende fort bien, et qu’il n’ait beaucoup de netteté et de grâce. Un habile avocat de Paris, célèbre il y a environ vingt-cinq ans, avant que de composer un plaidoyer, lisait toujours quelques chapitres de saint François de Sales, pour imiter sa clarté et ce flux si aisé de son style.

Tous les enfants d’ici vous saluent très cordialement : plus que tous, les deux ecclésiastiques, et Jeannette. Celle-ci est toujours aux portes de la mort, et si [sic], elle ne saurait passer. Le règne de Dieu s’établit ici comme ailleurs, en très peu d’âmes, mais par les mêmes voies d’abandon et de perte. Tout à vous en notre Seigneur Jésus-Christ.


A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI2, f ° 146, autographe. Correspondance de Fénelon, 1828, t. 7, Lettre 89, p. 193, (cette édition s’avère très fidèle, atténuant seulement les expressions trop affectueuses, ici comme dans les autres début ou fin de lettres de Lacombe).


a Ma très chère et très honorée en notre Seigneur, avec toute la joie qu’on peut avoir en apprenant de vos nouvelles. Vos persécutions Fénelon, 1828, omissions.

bjamais Fénelon, 1828.

24. DU PERE LACOMBE 29 juillet 1695.

Ce 29 juillet 1695

Grâces et gloire à Dieu, ma très honorée et très chère en Notre Seigneur, sous toutes les qualités que vous n’ignorez pas. Je viens d’apprendre par votre lettre votre heureuse délivrance d’une cruelle persécution. Dieu avait daigné m’en donner un signe sensible le jour de Notre-Dame du Mont Carmel, le 16 de ce mois, lorsqu’étant à genoux devant mon feu pour apprêter mon pauvre souper, je vous vis en esprit passer devant moi vite comme un éclair, mais avec un visage gai et un air tout riant, sans que je comprisse ce que cela voulait dire, car vous ne me disiez rien, jusqu’à ce que, venant à disparaître, il me fut dit dans le cœur que vous veniez d’être mise en liberté. Je doutai néanmoins si vous n’étiez point morte. Toute la petite Église de ce lieu1 s’en réjouit avec moi et glorifie Dieu, qui tire si puissamment des plus mauvais pas ceux qu’Il a jugés d’y abandonner pour Sa gloire. Nous espérons qu’Il en fera de même des autres épreuves auxquelles Il veut encore vous livrer, afin qu’Il ne manque aucun ornement ni éclat à la couronne qu’Il vous a destinée. [f ° 1v °] Ne me diriez-vous pas quelle est cette persécution nouvelle qui vient encore fondre sur vous, ô femme très heureuse pour en avoir tant à essuyer, et de très rudes et très ignominieuses? Ce sont autant de joyaux de grand prix dont le céleste Époux vous pare et enrichit pour la noce éternelle. Quand même il faudrait sortir de ce monde comme Lui, par un infâme et très rigoureux supplice, ce serait la plus glorieuse issue des travaux de cette vie que nous puissions espérer. Mais sa seule volonté est tout notre Dieu. Elle seule nous suffit pour toute prétention à toute félicité. Vous souvient-il que, quand, à Montboneau 2, il fallut nous livrer à elle pour les plus ineffables sacrifices, elle exigea en même temps de nous que nous fussions abandonnés pour plusieurs années à l’ignominie et au supplice? Pensant quelquefois à la conduite qu’il a plu à Dieu de tenir sur nous, et qu’Il garde de même sur plusieurs autres, je Lui dis, dans ma respectueuse simplicité, qu’Il est en puissance unisseusea, mais tôt après cruel séparateur. Il faut néanmoins avouer que par la séparation même, Il unit plus fortement.

De plus, [f ° 2] je n’ai pas cru non plus qu’il faille vous envoyer si tôt les écrits que vous souhaitez, tant parce que je voudrais les retoucher et y en ajouter d’autres qui sont presque achevés, qu’à cause que, dans l’incertitude où nous sommes, étant battus d’une si longue et si furieuse tempête, nous pourrions trop exposer ces ouvrages et ne rien faire. Si vous jugez, nous différerons encore, en attendant si Dieu daignera nous accorder le repos de la paix avec ceux qu’Il a revêtus de son autorité. Je deviens de plus fort infirme, épuisé de forces et capable de très peu de chose. Il ne faut qu’un néant sans résistance à un Dieu tout-puissant pour en faire ce qui Lui plaît. La peine bizarre dont je vous touchai deux mots dans une des miennes me dure encore; je ne puis encore vous l’expliquer clairement3. Rien ne m’avait causé de peines et si extravagantes et si cruelles, quoique au fond ce ne soit qu’une bagatelle, dont autrefois je n’aurais fait que me moquer. Les misères croissant, bien loin de diminuer, il en faut éprouver de toutes sortes. Ô combien de sacrifices Dieu exige-t-Il d’une âme qu’Il a destinée pour signaler en elle les droits souverains de Sa [f ° 2v °] toute-puissante volonté!

Tous les amis et amies vous saluent très cordialement. En particulier Jeannette4, plutôt de l’autre monde que de celui-ci. Ses maux corporels sont extrêmes, sans pouvoir encore s’achever. Son esprit, tout tiré hors d’elle, trouve tout en Dieu. Il est croyable que l’Époux céleste la rend mère de plusieurs enfants de grâce; vous savez par expérience qu’il en coûte de cruelles douleurs. Recommandez-nous tous à l’immense petit Maître, comme nous vous offrons très particulièrement à Lui. Nos salutations à vos bonnes filles, Marc et Famille 5. Envoyez-nous de nouveau l’adresse pour vous écrire. Votre bon ami, l’abbé nommé à l’archevêché6, n’a t-il point été ébranlé, affaibli, ou ébloui par l’éclat de sa dignité et par l’amour de la réputation et de la paix qu’il est si doux de conserver, et si précieux de ménager avec soin dans le monde? Pour votre ancien ami, tout malheureux, tout décrié, tout ruiné, il vous est invariablement acquis, et vous honore et vous aime parfaitement en Jésus-Christ Notre Seigneur [F ° 3] purement; et que rien ne peut séparer les cœurs qu’Il a unis.

La mort subite et violente de mon évêque et principal adversaire [d’Arenthon] me paraît un peu funeste, quelque homme de bien qu’il fût d’ailleurs. Quand on est emporté si inopinément, on ne peut qu’on ne laisse à faire… b Le spirituel et pour le temporel, bien des choses préméditées. Heureux ceux ou qui ont tout fait, ou qui n’ont rien à faire. Cette mort est arrivée à peu près dans le temps que vous aviez marqué dans votre prophétie de la chaise grise7, il y a prèsa de sept ans. Je ne sais si cela pourrait donner lieu à mon élargissement, mais je ne doute point que ce prélat n’ait le plus contribué à ma ruine selon le monde. J’ai tant de fois prié si affectueusement pour lui, surtout dans les moments de douce et sensible amour, et, dans le fond, je l’aimais comme mon père. J’adore les incompréhensibles jugements de Dieu.

Je comprends un peu ce que vous souffrez au-dedans par ma propre expérience. Ce sont des peines d’autre nature que les précédentes, et plus cruelles sans comparaison, car l’âme et le corps en sont pressés jusqu’à la [f ° 3v °] défaillance, sans consolation, sans soutien, sans savoir ce que c’est, sans comprendre à quoi il tient qu’on ne rentre dans la liberté, dans le large, dans la paix d’autrefois. Toute l’humanité est accablée et abreuvée d’une inconcevable amertume, ce qui fait qu’on ne peut comparer cet état qu’à un enfer. Mais si c’est un enfer pour le tourment qu’il souffre, c’est bien un paradis pour la souveraine résignation qui reste dans le fond. Je crois que c’est un genre de peine propre aux âmes déjà fort anéanties, et qui sert également et à annoncer de plus en plus leur anéantissement, et à se couronner pour la plus inconcevable croix; à qui ne l’a pas éprouvée aussi sans un profond anéantissement, il serait impossible d’en porter le poids. Dieu la réserve pour le temps qu’il faut. Ce que vous en éprouvez me marque d’autant plus le pur règne de Dieu en vous.

La croix intérieure du délaissement et de la générale défaillance de la nature fut celle qui mit Jésus-Christ en état de souffrir plus cruellement dans Sa passion, et qui enfin épuisa Sa vie et Le livra à la mort, non sans qu’Il en eût fait Sa respectueuse plainte à Son père. On en dit et écrit quelque chose scolastiquement, mais ce n’est presque rien au prix de [F ° 4] l’expérience. Il me semble que ce martyre intérieur sert particulièrement à ruiner, à faire fondre et disparaître ce qui reste d’être, même après la mort et la résurrection mystiques, et en même temps, les derniers appuis et effets de notre être, qui sont la raison, le conseil, la préméditation, la conduite naturelle à l’homme, choses qui coûtent infiniment à perdre, surtout dans ceux qui avaient été forts en eux-mêmes et plus habitués aux façons humaines. Il faut néanmoins en venir là, afin que Dieu soit parfaitement toutes choses en nous et qu’Il opère en nous toutes nos œuvres. La grâce qui est donnée aux âmes, en manière de ruine et de perte, trouve toujours de quoi s’occuper à ruiner et à perdre, faisant tomber l’âme de pauvreté en pauvreté, de défaillance en défaillance, et par telle conduite elle la tire tellement d’elle-même qu’il est impossible que cette âme, voulant se chercher et se regarder, se trouve plus en soi, ni autre part qu’en Dieu, qui seul est, et est Tout. Il n’y a plus de soi, ni de chez soi, pour une telle âme qu’un néant entre les mains de l’adorable Tout qui en fait ce qu’Il veut. [f ° 4v °].

Vous pouvez croire, mon unique, ma chère en Notre Seigneur, qu’il n’y a pas femme au monde à qui je voulusse plus complaire qu’à vous. Cependant il m’est impossible de travailler aux ouvrages que vous m’avez envoyés, ni aux miens propres qu’il faut que je laisse imparfaits, ne trouvant aucune ouverture intérieure pour m’y appliquer; au contraire tout m’est fermé de penser, de faire, et je demeure incapable de toute fonction de l’esprit, infiniment éloigné de toute littérature, outre que, ne pouvant encore être déchargé du soin des jardins, il m’occupe beaucoup. Au sortir de là, il faut venir m’apprêter moi-même de quoi manger. Le peu de temps qui me reste me dure beaucoup parce que je ne sais que faire. Qu’il me serait doux de pouvoir m’occuper à de si belles choses, de manier tant de pierreries, d’être parfumé de ces célestes senteurs! Mais tout m’en interdit. Parlez-en au petit Maître : demandez-Lui si ce que je vous en dis n’est pas véritable. Il a tout pouvoir entre ses mains, tout crédit auprès de l’éternel Papa8; qu’Il me livre à toutes Ses volontés! Qui sait si le temps qui n’est pas encore venu, ne viendra point [f° 5] fortement et tendrement en N.S.J.C., ce qui fait que je ne saurais craindre pour vous. Dieu est fidèle; Il n’abandonne pas à l’erreur ni à la corruption des créatures ceux qui, par Sa grâce, n’ont d’autre volonté que la Sienne, ni d’autre prétention que de Le voir régner avec une gloire immense.

L’heure viendra que cette longue et effroyable tragédie prendra fin. Il y a près de huit ans que nous sommes sur ce thrône avec tant d’ignominie, sans compter les cinq ou six années précédentes de nos premiers renversements. Toutes les lettres que je reçois de vous depuis ce temps-là m’apprennent des choses funestes selon l’homme, mais bonnes, mais avantageuses selon le dessein de Dieu. Qui sait si, un jour, après tant d’épines qui nous ont si fort piqués et déchirés, nous ne recevrons point du ciel quelques roses de paix et de repos? Du côté des hommes, je n’en vois aucune apparence. Dieu est tout-puissant. On m’a décrié de nouveau en ces quartiers sur des récits qui sont venus de loin. Je m’étonne que l’on ne m’entreprenne pas une autre fois. Quoi qu’il arrive de vous et de moi, Dieu, Sa vérité, Son règne, Sa volonté, Sa gloire subsistera toujours et triomphera en nous. Avec cela, Dieu ne peut nous manquer, puisque [f° 6] c’est là que se terminent toute notre ambition et tous nos vœux. Il se rend singulièrement admirable dans la conduite qu’Il tient sur nous et sur nos semblables. Il y paraît Dieu, hautement, puissamment, terriblement. Tous les esprits bienheureux L’en loueront dans l’éternité.

Tous les amis de ce lieu vous honorent constamment, vous estiment et vous aiment, quoique je ne leur cache pas tout le mal que l’on dit de vous. Les meilleurs âmes que nous y connaissions vous sont les plus unies. Pour moi, je vous suis toujours très sincèrement attaché en Notre Seigneur. Encore un peu de patience, et le souverain Juge viendra prendre notre coupe en main. Par Sa miséricorde, depuis qu’Il nous a singulièrement appelés à Son service, nous n’avons prétendu que Son règne, ni cherché que Son amour. Quand on cherche sincèrement Dieu, on ne peut s’écarter de la vérité, ni de l’amour, puisque quiconque Le cherche sans feinte le trouve infailliblement et que, L’ayant trouvé, on possède de Lui-même toute vérité et le parfait et immortel amour. Agréez que je vous embrasse en Jésus-Christ de toute l’affection de mon cœur. Tous les intimes en font ici de même. [f. 5 v°, en travers] Jeannette est toujours mourante et toujours vivante. Il ne lui reste guère que l’esprit; encore est-t-il hors d’elle, reçu dans le sein de Celui qui la possède.

On salue cordialement vos filles et toutes ces bonnes âmes à qui Dieu donne des sentiments de compassion et de tendresse pour vous. Ô chère mère, Dieu vous a bien livrée pour tant d’autres9. Vous souvient-il qu’à Montboneau il fallut nous livrer pour porter le supplice10? Nous ne savons encore quelle sera notre fin. Mais jusqu’ici, grâce à Dieu nous avons été assez bien pris.

Ô gloire de Dieu, Ô inspirée du Très-Haut, établissez-vous, paraissez avec éclat, n’épargnez pas ces néants où ils peuvent y servir : ils sont à vous sans réserve, non seulement par le droit de succession de Sa création, mais par l’amoureux assujettissement qu’ils vous ont mille fois voué sans bornes et sans exception11.


– A. S.-S., pièce 7395, autographe de lecture délicate, sans adresse. Sur les répétitions, v. notre commentaire à la lettre précédente du 3 juillet.


aLecture incertaine.


1La «petite église» sera remarquée des enquêteurs!

2Montboneau, où eut lieu un événement inconnu, probablement d’ordre intérieur, très présent à la mémoire de Lacombe, v. ses répétitions.

3Une dépression?

4 Nous ne savons rien de plus sur cette figure de la «petite église», qui revient plusieurs fois dans les lettres de Lacombe.

5 v. l’Index sur ces deux fidèles filles de compagnie.

6 Fénelon. On devine une pointe d’amertume, mais la franchise du propos est méritoire.

7 Prophétie inconnue! (à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de lecture).

8 Il s’agit de Dieu le Père et non du pape!

9 Répétition du troisième paragraphe : «Tous les amis et amies vous saluent très cordialement. En particulier Jeannette…» — ainsi que de la fin de la lettre précédente du 3 juillet : «On salue cordialement vos filles, et toutes ces bonnes âmes à qui Dieu donne des sentiments de compassion et de tendresse pour vous. Ô chère mère, Dieu vous a bien livrée pour tant d’autres! Ô gloire de Dieu… ».

10 Répétition du premier paragraphe : «… à toute félicité. Vous souvient-il que, quand, à Montboneau, il fallut nous livrer à elle pour les plus ineffables sacrifices, elle exigea en même temps de nous que nous fussions abandonnés pour plusieurs années à l’ignominie et au supplice? Pensant quelquefois à la conduite… ».

11 Les deux derniers paragraphes apparaîssent dans la lettre précédente du 3 juillet : il peut toutefois s’agir d’une erreur de l’imprimé de 1828 qui est la seule source pour la fin de cette précédente lettre.

25. DU PERE LACOMBE 20 août 1695.

Ce 20 août 1695. / Soli Deo honor et gloria.

Ce n’est pas une petite consolation pour moi, ma très chère et toujours constamment aimée en Notre Seigneur, duranta ma longue captivité, et avec ma désolation extérieure et intérieure, d’avoir encore de vos lettres; et je ne puis assez louer la divine Providence de ce qu’elle me conserve un si grand bien, malgré tout ce qui s’y est opposé. Soyez persuadée que mon cœur répond au vôtre autant qu’il en est capable. Une union liée par la croix, et sous les sûrs nuages de la foi, comme il vous souvient bien que commença la nôtre, se soutient, se raffermit, se consomme par la contradiction et par les traverses, son progrès répondant à sa naissance, afin qu’elle soit cimentée comme elle a été fondée. Je me réjouis du repos et de la paix que Dieu vous accorde présentement dans votre solitude; cela durera selon Sa volonté. L’amour d’infinie préférence que nous Lui devons nous rend indifférents pour toutes les dispositions où il Lui plaît de nous mettre; et il est certain que tout état fait notre félicité, depuis que nous ne l’établissons plus que dans le bon plaisir de Dieu que nous savons en être l’auteur. C’est ce que peut la souveraine résignation : de l’enfer elle se ferait un paradis, dès que l’ordre de Dieu l’y tiendrait. Ô la grande grâce que Dieu fait à une âme, que de la tenir dans l’amoureuse et aveugle soumission à toutes Ses volontés! Grâce des grâces, avec laquelle rien ne lui manque. Aussi, ayant ce trésor inestimable, elle ne peut rien désirer au-delà, ni craindre d’autre mal que d’en être privée.

Vous ne l’apercevez point, dites-vous, cette parfaite résignation, vous l’avez d’autant plus, étant toute passée dans ce bienheureux état : queb votre intérieur se cache de plus en plus, jusqu’à disparaître. C’est la suite naturelle et le progrès de la voie de perte et d’anéantissement, à laquelle vous avez singulièrement été appelée. Puisque le parfait anéantissement doit réduire l’âme au pur rien, il n’y doit plus rien paraître. Tant qu’on se trouve, qu’on se voit, et qu’on remarque en soi quelque chose, soit bonne ou mauvaise, on n’est pas réduit au seul néant. Dans le [f°148v°] vide de tout, rien ne paraît, ni bien ni mal. Que si l’on agit encore, on ne peut l’attribuer qu’à Celui qui est, et qui seul fait aussi bien toutes choses, comme Il est tout en toutes choses. Si l’on se retrouve quelquefois, ce n’est plus en soi, mais en Dieu seul, en qui tout est passé, en qui tout a été reçu. Il ne reste au néant qu’une inexplicable figure d’être, avec toute la misère qui fait son apanage, et avec la seule capacité de souffrir, et de souffrir beaucoup plus qu’on ne faisait quand on était dans son être propre.

M. l’abbé Nicole a eu un beau champ pour exercer sa bonne plume1, en écrivant contre des gens sans défense, et de qui les écrits ont été flétris par les prélats et par les docteurs. Avec de tels préjugés contre nous, comment pourrions-nous lever la tête? Quand nous aurions écrit infiniment et le plus solidement, de quoi servirait-il, sinon pour plaire à ceux qui sont déjà enseignés et persuadés par l’onction de l’Esprit? Car pour les autres, prévenus aussi puissamment qu’ils le sont, ils ne daigneraient pas seulement regarder nos défenses, ou s’ils y jetaient les yeux, ce ne serait que pour y chercher les erreurs qu’ils prétendent qui y sont. De quoi a servi tout ce que vous avez écrit avec tant de peine, faisant, comme vous dites, la concordance de vos maximes2 avec celles des bons auteurs? De quoi a servi le Saint Clément d’Alexandrie3, tout utile qu’il est dans le fond? Son auteur a lui-même souscrit contre, en rejetant, avec ceux de l’assemblée d’Issy, les traditions secrètes que reconnaît cet ancien Père de l’Église. Dans la préoccupation où l’on est, on n’écoute rien. Vous savez que la Sorbonne ne veut plus approuver aucun ouvrage mystique où il soit parlé de voie passive. De plus, tout ce qu’on soupçonnerait qui viendrait de nous, frappés et décriés comme nous le sommes, serait d’abord rejeté comme anathème. Ainsi je crois que nous devons demeurer en paix, abandonnant à Dieu le soin de Sa cause, sans plus nous tourmenter inutilement.

Voulez-vous bien que je vous dise encore que nous n’avons [f°149] que trop écrit et imprimé, quoique nous n’ayons mis au jour que de fort petits ouvrages? Jugeons-en par le succès, et par les contradictions et les flétrissures qui nous en sont arrivées. Les voies intérieures étant si fort décriées dans nos jours à cause des scandales du quiétisme, on s’en défie partout; et par une funeste méprise, on impute à la pure et parfaite oraison les désordres et les erreurs qu’on a vus naître de la corruption de ceux qui se couvraient d’un si beau manteau. Voilà, ma très chère, ce que j’en pense, outre que je me trouve encore dans la même impuissance de composer et d’écrire, étant au contraire toujours plus hébété et épuisé d’esprit et de corps. Il faudrait, de plus, beaucoup de livres pour convaincre par autorité ceux qui se sont fort préoccupés et destitués de l’expérience, qui est la maîtresse de l’Intérieur.

Je conçois plus que jamais que les livres non seulement ne sont pas nécessaires, mais même qu’ils sont peu utiles pour la vie fort intérieure, car, puisque le Saint-Esprit en est l’auteur et le maître et qu’on ne la comprend qu’autant qu’on l’éprouve, il n’y a que cela de nécessaire. Si l’on n’est pas dans les états, on ne les comprendra pas pour les lire. Si l’on y est, on a quelque plaisir de les voir bien décrits, et c’est tout, on peut même aisément s’y flatter, se brouiller, s’attribuer ce que l’on n’a pas, s’écarter de son chemin. Aussi voyons-nous que les âmes les plus simples, qui ne lisent point, marchent, avancent, arrivent plus sûrement, plus promptement, plus heureusement que celles qui lisent beaucoup. Et n’éprouvons-nous pas tous, que quand nous sommes établis dans l’intérieur, et assez persuadés et rassurés par l’expérience, nous ne goûtons plus les livres, et nous nous passerions de tous sans peine? Il n’y a que les nôtres propres, et ceux de nos amis, que nous aimons toujours à voir, et que nous souhaiterions de faire valoir, par un sentiment de nature qui n’est jamais entièrement détruit tant que nous sommes revêtus de chair. Une infinité de très grands Intérieurs ont été formés sans livres, et le même Esprit qui les a formés Lui seul, en formera dans tous les siècles une infinité d’autres. Je ne puis apprendre que de l’Esprit de Dieu ce que Dieu veut de moi en particulier.

[f°149v°] Cec me serait un sort bien doux de finir mes jours solitaires auprès de vous et de vous rendre tous les services dont je serais capable mais je ne crois pas que l’on fût d’humeur à m’y souffrir. Trop heureux que je serais de vous revoir encore une fois. Cela serait si un songe que j’ai fait depuis peu était véritable; mais hélas ce ne sont que des songes. Ceux que j’avais faits dans le commencement de notre ruine se sont terriblement accomplis. J’en ai fait un depuis que vous m’avez appris la mort de Mr de Genève, où je me voyais avec de petites bergères dans la campagne et ce prélat y survenant me demanda si j’avais des livres. N’avez-vous rien appris de particulier touchant sa mort, son testament, les dispositions du diocèse, qui l’on destine pour son successeur? Ces idées d’autrefois m’ont souvent tourmenté et me tourmentent encore.

Toute la petite Église de ce lieu se soutient, grâce à Dieu; elle n’augmente ni ne diminue. On vous y estime et honore et aime particulièrement; dès qu’on se sent uni à nous, on l’est aussi à vous. L’ecclésiastique qui, depuis sept ans, nous rend mille bons offices, ne se lasse point : il redouble plutôt ses amitiés et ses charitables soins. Il fait toute la dépense des lettres et des paquets, sans souffrir que j’y contribue d’un sou. L’autre ecclésiastique va son train. La mort le talonne et l’abandon le tient à la gorge. Jeannette vous aime inconcevablement : elle se trouve si unie à vous que rien plus, vous apercevant tout absorbée en Dieu comme une âme qui n’est plus de ce monde.

Elled a pleuré le comte Moressis, polonais, comme son cher frère, par l’intime union qu’elle a sentie pour lui. Cette bonne fille, toute fille qu’elle est, est Mère de plusieurs Enfants spirituels, dont quelques-uns lui sont manifestés. Une seconde confidente a été ajoutée à la première, toutes deux fort simples et fort bonnes. Si l’on y regardait de près, on reconnaîtrait qu’il n’est point de voie plus sûre ni plus pure dans l’Intérieur que celle qui faisant outrepasser tout intérieur de la créature, tend uniquement à ceux du Créateur, à l’accomplissement de sa volonté et à l’établissement de sa gloire, ce qui se fait plus par les extrêmes abandons.

Pour moi, je suis et serai éternellement tout à vouse, ma très chère en Jésus-Christ Notre Seigneur. Salut à vos filles Famille et Marc.


– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI2, f ° 148, autographe. – Correspondance de Fénelon, 1828, t. 7, lettre 90.


amoi, durant Fénelon 1828 (Omission).

bprivée. (Vous ne l’apercevez […] état add.interligne). /Que autographe.

cCe paragraphe est omis par Fénelon 1828.

dCe paragraphe est omis par Fénelon 1828.

e éternellement à vous. Fénelon 1828 (Omission).


1Nicole venait de publier sa Réfutation des principales erreurs des Quiétistes.

2 Allusion aux Justifications de Mme Guyon.

3 Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie, texte majeur de Fénelon, resté inédit en un seul manuscrit, A. S.-S. 2043,  «6e carton Le Gnostique», et publié seulement en 1930 par Dudon.


26. DU PERE LACOMBE Août? 1695.

Il paraît, par la suite de vos maux, que Dieu vous avait préparé un calice fort grand et bien rempli; il le faut boire jusqu’à la dernière goutte. Pour être dans une prison fixe1, je ne suis pas sans incertitude. Au-dedans de moi, j’ai été très souvent dans des impressions effrayantes de changements, et du dehors, je suis tous les jours à la veille de me voir ou renfermé à la rigueur ou transféré ailleurs. Quoi qu’il en soit, buvons chacun notre calice tel qu’il nous a été préparé. Hélas! qu’on souhaiterait de vivre la dernière heure qui en doit épuiser la dernière goutte!

Pourquoi tant d’habiles, sans éclairer touchant l’intérieur, n’entreprennent-t-ils pas sa défense? Quoi! personne n’ose se déclarer, non seulement contre la préoccupation, mais même contre l’imposture? Si Dieu n’en suscite pas quelqu’un, c’est qu’Il veut laisser opprimer Sa cause en apparence et pour quelque temps, afin de la rendre un jour victorieuse avec plus d’éclat. Cependant rien n’empêchera le Roi des cœurs de régner dans ceux qu’Il S’est particulièrement choisis, et de les conduire sûrement dans les voies admirables qu’Il leur a destinées. Quelqu’un de vos amis, ma très chère en N [otre] S [eigneur], aurait bientôt fait la vérification des passages asseza corrompus ou supposés dans vos livres, pour en donner le démenti au célèbre critique. Pour moi, outre que je ne trouve ni génie ni inclination, je suis de plus dans l’impuissance de faire autre chose que de traîner une très inutile et très misérable vie.

Tous les amis et amies de ce lieu vous sont toujours très constamment acquis et unis en Notre Seigneur. Je ne leur cache pas vos croix et vos persécutions, je leur communique vos lettres, du moins aux principaux et avec choix; loin que cela les rebute, ils vous aiment de plus en plus. Si l’on vous savait en repos, on vous écrirait plus ouvertement, mais l’incertitude de votre sort nous arrête un peu. Jeannette surtout vous estime, vous aime, se sent unie à vous très particulièrement. Elle vous appelle sa chère maman avec une cordiale tendresse. Elle vous aperçoit toujours plus absorbée en Dieu. Quand elle lut l’endroit de votre lettre où vous l’appelez votre sœur, elle fût attendrie jusqu’à tomber en défaillance. Il se passe des choses assez merveilleuses entre elles, et ces confidences [sic]! surtout la première. La seconde est, comme la sœur Trinson a, à l’état de perte, avec des communications divines; celle-là est d’une rare simplicité, et Dieu Se communique à elle par celle [f°1v°] qu’il lui a donnée pour mère. Jeannette a des entrailles de mère; l’union qu’elle a avec vous se fait sentir à l’égard des personnes qui vous sont unies2. Elle a pleuré le comte de Morstein, puis la désolation de sa veuve, qu’elle vous prie de saluer cordialement de sa part. Les cœurs unis en Dieu se sentent de loin. Notre chère Jeannette, que j’aime tant sans la voir, tant le Séparateur nous est cruel, mérite bien que vous lui fassiez un petit billet, et je vous en prie.

Puisque vous voulez bien me continuer vos charités, je les accepte de bon cœur et avec toute la reconnaissance dont je suis capable, mais à votre commodité. Il se passera encore quelques mois avant que je puisse la recevoir. Grâces à Dieu, avec vos puissants secours, j’ai été toujours soulagé de pourvoir du nécessaire, quoique le retranchement que vous savez dure encore. Si Dieu veut que l’on vous fasse mourir, d’où vient que la dévote prétendue ne connaisse pas par révélation le lieu où vous êtes, et que ne le dit-elle, sans qu’il soit besoin d’employer pour cela les courses des archers. Peut-être que Dieu voudra renverser l’ordre de la justice, et que les tribunaux qui la rendent en Son nom, feront mourir les gens sans forme de procès sur la seule révélation d’une personne privée.

La Garasse nous a appris que c’est M. de Châlons qui est nommé à l’archevêché de Paris. A la bonne heure, puisque tel est l’ordre du ciel! Nous verrons, pauvres victimes, de quelle manière il s’y prendra. Lorsque notre capitaine fut à Paris, l’hiver dernier, le supérieur de notre maison lui dit qu’à son retour du chapitre général, il voulait les principaux d’entre eux aller encore me demander au roi. Il est assez surprenant que, depuis si longtemps que l’on me tient ici, l’on ne remue rien sur mon compte. Allons, ma très chère de toujours, constamment aimée en Notre Seigneur, allons jusqu’au bout de la carrière qui nous a été préparée pour la finir avec la grâce du tout-puissant Maître, de la manière qu’Il l’a résolu pour Sa gloire. Envoyez-moi le livre de M. Nicole3, à toutes bonnes fins. Si la liberté de travailler était rendue, on pourrait faire quelque chose. Nous avons ici le Cantique : il n’est pas nécessaire de l’envoyer; mais joignez, s’il vous plaît, des aiguilles au paquet. On vous embrasse de toutes les forces du cœur. Au seul Dieu soit honneur et gloire.

– Folio qui précède et est accolé à la pièce 7406 : «Ce 3 septembre 1695/Au seul Dieu soit honneur et gloire…».

a Lecture incertaine.

1Le P. Lacombe passa de prison en prison : la Bastille, l’île d’Oléron, l’île de Ré, la citadelle d’Amiens, le château de Lourdes à quarante-neuf ans, Vincennes à cinquante-huit ans…

2 Il s’agit de l’union et de la communication de la grâce de cœur à cœur.

3 Réfutation des principales erreurs des quiétistes […], 1695.

27. DU PERE LACOMBE 5 septembre 1695.

Ce 5 septembre 1695.

Au seul Dieu soit honneur et gloire.

Quoique vos lettres, ma très chère en N[otre] S[eigneur], ne m’apprennent guère que des choses qu’humainement on appelle funestes, de nouvelles persécutions, des confusions, des maux de toute sorte, je ne laisse pas d’y trouver une satisfaction d’autant plus solide que je ne la goûte qu’en Dieu, qui, par là, établit Son règne en vous et y travaille particulièrement pour Sa gloire. Dans la profonde solitude où vous êtes, le divin Époux vous possède seul, et sous l’inutilité où Il semble vous tenir, Il ne laisse pas d’opérer en vous ou par vous de très grandes choses; celle qui me semble Le glorifier davantage, est d’achever votre ruine et de consommer votre anéantissement. Dieu ne paraît point assez ce qu’Il est, s’Il ne règne sur des âmes parfaitement anéanties. Tant qu’il reste à la créature quelque état ou quelque nom, quelque grand et utile que cela paraisse, il y a encore quelque chose en elle qui affecte la divinité, qui la dispute et la partage avec Celui qui n’est pas moins l’unique que le souverain Etre. Ainsi il faut bien, comme vous dites, que les objets changent à votre égard, c’est-à-dire votre manière de les apercevoir, puisqu’à proportion que l’esprit est absorbé en Dieu, toute créature y est de même absorbée avec Lui. A son égard, Il ne peut non plus leur attribuer d’être qu’il ne peut en retenir pour soi. Je n’entreprendrais pas de rendre raison de vos dispositions; elles doivent être toujours plus incompréhensibles pour faire un avancement et une consommation de perte, mais il me semble que leur fond est ce peu que j’en dis : toujours plus de perte, toujours plus d’anéantissement, par conséquent toujours plus de progrès en Dieu, quoique non seulement cela soit imperceptible, mais qu’il paraisse même absurde et impossible.

Vous ne me nommez point celui que l’on destine pour [f.1v°] archev[êque] de Paris. Vous me consolez bien! Je croyais qu’après la mort des deux prélats qui m’étaient si contraires, vous me donneriez quelque espérance d’un prompt élargissement; or, vous me dites qu’il faut nous attendre à quelque chose de pis! Voilà de quoi nous rafraîchir après huit ans d’aussi bon exercice que nous en avons eu. Volonté de Dieu pour tout, bien souverain avec lequel rien ne manque! Vous dites que vous n’avez plus l’amour de la volonté de Dieu; si vous ne l’aviez pas, vous seriez désespérée. Qu’est-ce qui cause donc votre égalité et votre indifférence pour tout ce qui n’est point Dieu? Un si grand bien est caché à l’âme, afin qu’elle se possède avec plus de pureté. Est-ce la consommation du divin abandon que d’être toujours plus abandonné et d’apercevoir toujours moins son abandon?

Tout ce qui paraît d’extraordinaire dans la dévote des jansénistes peut avoir le diable pour auteur : il lui est aisé de causer des maladies dans un corps et de les guérir de même pour couvrir sa supercherie. Il sait en peu de moments ce qui se passe dans des pays éloignés, ou par des récits que lui en font ses camarades démons comme lui, ou pour s’y transporter lui-même, en revenir aussitôt, ce qui est naturel aux esprits détachés de toute matière. Tant qu’il n’y a pas de claires prédictions de l’avenir, ou des miracles bien avérés, ou des effets sensibles de la grâce de Dieu, ce n’est rien d’où l’on puisse conclure en faveur de l’Esprit de Dieu. Mais ce qui me convainc de l’imposture, c’est que je sais, par ma propre expérience et par toutes les preuves que l’on peut humainement avoir, de quelle manière vous avez écrit, et que tout ce que vous écrivez est original, ne vous aidant ni d’aucun manuscrit, ni d’aucun livre, autre que le texte sacré. Ainsi j’espère que Dieu confondra cette hypocrite et séductrice; cependant Il laisse brouiller les choses pour les éclaircir avec plus de gloire dans son grand jour. Vous voyez bien, ma pauvre persécutée, qu’on est tellement prévenu contre nous qu’on ne veut écouter aucune justification. C’est pourquoi la prudence veut que nous gardions le silence, parce que les temps nous sont contraires. La cause de Dieu est bien entre Ses mains. Il est bien visible, comme vous dites, qu’Il ne veut rien de nous ou qu’Il nous a destinés à une affreuse ruine. Bien loin qu’il y ait lieu d’espérer un rétablissement, tout tend au contraire à notre entière destruction.

Ici, chez moi, l’abandon est porté toujours plus loin, la misère m’entraîne toujours plus bas. Toute force, toute conduite, tout être disparaît de plus en plus. Ce n’est presque plus qu’un désespoir. Tout ce qui rassurerait un peu est emporté, il ne reste que conviction de perte. [f.°2r°] [……]a plus effrayant à qui en éprouve une assez bonne partie et conçoit que la ruine peut aller encore plus loin, jusqu’à l’image ou à l’expérience d’un désespoir et d’une rage, qui ne paraît que damnation, tant Dieu aime achever Son œuvre dans les âmes qu’Il a destinées pour cette voie et à Se cacher d’autant plus Lui-même à elles, que plus Il les aime et les possède, et qu’elles Lui sont plus parfaitement unies. C’est dans ces mêmes âmes, où la grâce ne paraît plus, qu’elle agit plus fortement, car jamais leur renoncement ne fut plus parfait conséquemment, ni leur résignation, et de même leur amour et leur union. La même grâce se signale de plus, dans ces victimes de l’amoureuse fureur d’un Dieu, par la pure souffrance où elle les tient, sans consolation, sans assurance, sans force. La croix est générale, accompagnée d’affaiblissement dans la nature et dans toute l’âme, et de délaissement du côté de Dieu, ce qui la rend extrêmement cruelle. A en juger par ces signes, ce qui est si excessif est proche de sa fin. Mais qui peut savoir où Dieu a fixé la consommation de nos peines et des épreuves auxquelles Il a résolu de nous livrer? Qu’Il achève donc Son œuvre en vous, en moi, en tous pour Sa gloire. Je puis bien vous dire que j’ai ma bonne part à l’amertume de cœur et à la désolation, toujours plus insupportable à moi-même, et toujours plus dans l’impuissance de me soutenir ou de me conduire, aussi bien qu’avec moins d’espérance de voir aucun remède à mes maux [……]a [f.2v°] que ce peu de cervelle et de génie que j’avais, est épuisé. De plus la préoccupation est si forte aujourd’hui contre les vérités mystiques, et ceux qui les professent sont si décriés qu’on ne veut rien écouter, ni examiner, mais seulement rejeter tout ce qui en a le nom ou quelque teinture.

J’ai beaucoup d’heures où je ne sais que faire. Si je lis quelque peu, c’est fort irrégulièrement, sans dessein, sans espérance d’en profiter, sans presque comprendre, et sans retenir. Ainsi, las et dégoûté de tout, renversé, précipité, je ne m’attends qu’à me voir consumer dans une effroyable misère, plus grande en vérité que je ne puis vous la dépeindre.

Vous n’avez pas attendu que je vous demandasse un nouveau secours. Vos entrailles maternelles toujours tendres, toujours généreuses, toujours fidèles, n’ont pu différer plus longtemps de m’assister. Vous m’êtes aussi utilement que véritablement mère. Obtenez-moi de Dieu que je vous suive, que je marche fidèlement sur vos pas.

Je ne comprends pas pourquoi, après que les prélats vous ont tant examinée et ont tiré de vous la satisfaction qu’ils prétendaient, vous ayant remise en liberté, on vous veut encore renfermer. Il y a bien des ressorts dans les machines de la divine Providence. Plaise à Dieu de nous y rendre souples et parfaitement soumis. Que cela soit dans la vérité, quoique nous ne Le connaissions pas et que nous paraissions tels lorsque Son jugement mettra tout en évidence. Pour moi, ma chère mère, je vous suis invariablement acquis et attaché, avec la grâce de mon Dieu, pour jamais.

[f.3r°] Il est bien vrai que, pendant que le divin abandon paraît, une âme est assez heureuse puisque c’est son trésor et son vrai bonheur, l’estime et l’amour incomparable de la volonté de Dieu lui tenant lieu de tout bien; mais quand ce même abandon vient à disparaître, dès lors la pauvre âme tombe dans la plus profonde désolation, elle n’aperçoit plus ce qu’elle préférait à tout, et qui lui suffisait pour toute assurance et pour toute félicité. Il me semble qu’après que l’inexorable abandon a dépouillé l’homme de tout ce qu’il avait de plus cher, il se cache enfin lui-même et se dérobant à sa vue, le laisse sans aucune consolation. Si celle-là lui manque, il n’en peut goûter aucune autre, ayant librement donné toutes les autres par un suprême renoncement pour posséder celle-là seule. Alors cet homme totalement donné peut bien dire comme Tobie 1 : «De quelle joie puis-je être capable, puisque je ne vois plus la lumière du ciel?» Je connais une personne qui, sentant disparaître cette douce lumière de ses yeux, ne vit plus que dans l’amertume de cœur, et avec si peu d’opinion d’être en bon état, qu’il se dit à lui-même que, si Dieu lui laissait faire son propre jugement, il ne le pourrait faire qu’à sa condamnation. Laissons à Dieu et le soin de la conduite et la connaissance de Son œuvre. Il y a près de sept ans qu’une idée m’était venue que le saint abandon me jouerait à la fin ce tour si cruel, savoir qu’après avoir fait tout entreprendre, tout risquer, tout quitter, tout perdre pour le conserver et le suivre jusqu’au bout, il s’éclipserait enfin lui-même et ne me laisserait qu’une affreuse perte et l’image du désespoir. Cela commence bien à s’accomplir. Je crois bien qu’Il vous traitera encore plus durement avant que Son mystère vous soit entièrement dévoilé et que votre consommation arrive. Soyez donc, à la bonne heure, ma très chère mère en N [otre] S [eigneur], soyez la victime de toutes Ses rigueurs, pour être un jour abîmée par Lui dans les ineffables délices que Dieu a préparées à ceux qui L’aiment avec autant de pureté que de désintéressement.

Notre petite Église va toujours son train, selon qu’il plaît à Dieu de la mener. Dame raison et grondeuse réflexion y mettent quelques obstacles; Dieu les surmonte quand il Lui plaît. Il [f.°3v°] fait après cela doubler le pas pour regagner le temps perdu. Il y a plaisir à voir comment les âmes parfaitement simples se laissent conduire, même par les routes qu’elles ne comprennent pas. Les unes et les autres vous honorent singulièrement et vous saluent de toute la force de leur cœur. Jeannette est comme la mère de la famille. Elle se sent de plus en plus unie à vous avec estime de votre état, mais différemment selon qu’il plaît au grand Maître de diversifier ses dispositions, ou à proportion qu’elle a quelque sentiment ou intelligence des vôtres. Qu’à jamais Dieu reçoive toute la gloire de Ses miséricordes! Souffrez que je vous embrasse de toute l’affection de mon cœur, en vous déclarant que mon cœur est bien malade, ou plutôt cruellement mourant, sans savoir plus de quel côté se tourner. Les plus furieuses tempêtes sont pour le vôtre; le mien est aussi battu de quelques bonnes vaguesh.

– A. S.-S., pièce 7406. Inscrit en travers gauche du f ° 2r ° : «  août sans doute». Il se peut que le f ° 2 soit un fragment d’une autre lettre : «… plus effrayant […] pour jamais.»

a Le haut du feuillet manque, soit environ 9 lignes.


1 Paraphrase de la prière de Tobie, au chap. 3. Ce dernier, tel Job, est constant au milieu de ses misères.

28. DU PERE LACOMBE ET DU Sr DE LASHEROUS

Ce 10 octobre. Je n’ai reçu la vôtre du 22e du mois passé que le 8 du présent. Un retardement considérable me faisait craindre que vous ne fussiez plus en état de nous donner de vos chères nouvelles. La divine Providence ne nous en veut pas encore priver. Qu’elle nous serait favorable, si elle nous accordait le bien et le plaisir de vous voir! Si c’est elle qui vous en a inspiré la pensée, elle saura bien en procurer l’exécution; c’est à ses soins, par-dessus tout, que j’en abandonne le succès, vous en disant ici naïvement ma pensée; je tiendrais cette entrevue pour une faveur du ciel si précieuse, si consolante pour moi, qu’après le bonheur de plaire à Dieu et de suivre en tout Sa volonté, il n’en est point que j’estimasse plus en ce monde. Toute la petite Église de ce lieu en serait ravie, la chose ne me paraît point impossible, ni même trop hardie; en prenant, comme vous feriez sans doute, les meilleures précautions, changeant de nom, marchant avec petit train comme une petite damoiselle, on ne vous soupçonnerait jamais que ce fût la personne que l’on cherche et, quand vous seriez ici, nous arrangerions les choses avec le plus de sûreté qu’il nous serait possible pour n’être pas découverts. Il vous en souffrirait un peu plus de voyager, mais à cela près, puisque vous êtes obligée de demeurer sans commerce, il serait mieux, ce me semble, que vous fussiez éloignée, et que vous changeassiez de temps en temps de demeure dans des provinces reculées, vrai moyen de n’être pas reconnue. Votre état intérieur et extérieur est conduit de Dieu, d’une manière à ne laisser guère de lieu [248v°] à la consultation et à la prévoyance. Si néanmoins le cœur vous dit de partir, partez avec le même abandon dont vous faites profession pour toutes choses. Dieu sera le protecteur de l’entreprise qu’Il aura Lui-même excitée, et il n’en arrivera que ce que nous souhaitons uniquement pour tout succès, l’accomplissement de la très juste et plus qu’aimable Volonté. Vous prendrez le carrosse de Bordeaux, de là vous viendrez à Pau, d’où il n’y a que six lieues jusques ici. Si la saison était propre, le prétexte de prendre les eaux aux fameux bains de Bagnères, qui est à trois lieues d’ici, serait fort plausible. En tout cas en attendant le temps des eaux, vous viendriez faire un tour en cette ville, puis vous retourneriez à Pau ou à Bagnères, et ainsi à diverses reprises, selon que l’on jugerait plus à propos. De vous faire passer ici pour parente de M. Delagherous [Lasherous], il n’y a pas d’apparence, toute la parenté étant si connue dans ces quartiers qu’on en ignore aucune personne. Vous pourriez bien mieux passer pour ma parente du côté de ma mère, qui était de Lion le Sauniere [Lons-le-Saulnier] en Franche-Comté, vous faisant appeler N. Chevalier, qui était son nom de maison. Je crois que nous sommes encore plus unis et plus proches dans la vérité que ne le sont les parents et alliés selon la chair. Enfin, dès que nous vous aurions sur les lieux, nous étudierions mieux tous les moyens de vous tenir cachée, et le secret n’étant confié qu’à peu de personnes et d’une intime confidence, il y aurait tout à espérer. Voyez donc, devant Dieu, ce que le cœur [249] vous dira là-dessus. Si vous venez, écrivez-nous en partant de Paris, en arrivant à Bordeaux et à Pau. Nous prierons Dieu cependant de vous faire suivre courageusement Son dessein, selon qu’il vous sera suggéré par Son esprit et secondé par Sa providence, et nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu’elle vous ait vue. Quelle joie n’aurait-elle point de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie et pénétrant vivement votre état! Votre billet, quoique si court, l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise, si l’on peut dire qu’elle puisse l’être davantage; pour des salutations et des embrassements, elle vous en envoie une infinité des plus tendres. Elle s’est sentie inspirée de vous demander un anneau d’or pour elle, et deux d’argent pour ses deux confidentes. Pour moi, vous me donnerez ce que le cœur vous dira, mais je voudrais avoir le portrait que je vous rendis à Passy, et je vous prie de ne pas me le refuser. Venez vous-même, s’il se peut, et nous aurons tout en votre personne.

Si je vous écris quelque chose touchant votre état, ce n’est pas pour vous rassurer. L’homme est trop incapable de donner des assurances à une âme à qui Dieu les ôte toutes, et qu’Il veut, dans une affreuse apparence et même conviction de pente et de désespoir : une ruine et dépossession entière n’est pas compatible avec la sécurité. Je vous en dis seulement ma pensée sans la faire valoir et sans prétendre qu’elle serve à autre chose.

J’ai reçu la lettre de change, mais non [249v°] encore le paquet des livres. Il est vrai que vous m’avez plus fait tenir d’argent depuis environ un an que les autres années; je le sens fort bien par l’abondance où vous m’avez mis, et je ne puis que me louer infiniment de vos charités. Ce que je vous ai touché du retranchement de ma pension, je dois entendre de la moitié de celle que le roi me donne et que l’on me retient encore, comme je vous l’ai mandé autre fois. Je ne suis point avide des nouvelles du siècle, moins encore voudrais-je que vous prissiez la peine de m’en écrire. J’aurais souhaité de savoir qui l’on a fait évêque de Genève, ne l’ayant pu apprendre par la gazette. Ici tout va d’un même train. J’aurais bien des choses à vous raconter si Dieu voulait que je le pusse faire un jour de bouche. Qu’Il accomplisse en cela comme dans tout le reste Son adorable volonté. Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église. Si vous veniez, vous ne prendriez qu’une fille et vous lui changeriez son nom. Je ne serais pas fâchée de revoir Famille1. Je salue aussi l’autre de bon cœur. Ô Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l’éternité dans Votre dessein; c’est là, ma très chère, que je vous suis parfaitement acquis.

[Lettre jointe de Lasherous :]

Ô illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit Maître, qui suivez la lumière dont Il vous éclaire et Le consultez dans toutes vos entreprises et qui n’avez d’autre désir [250] que de Lui plaire, ni d’amour que pour Sa sainte et adorable volonté, quelle grande et favorable nouvelle nous avez-vous annoncée! Qu’elle s’exécute, si elle est dans le dessein du ciel! Les âmes de confidence de ce lieu en attendent le succès, comme une grâce et faveur du ciel; Jeannette, aussi bien qu’elles, dans les ordres de la soumission au bon plaisir de Dieu, la préféreront à tout ce que Paris et tout l’univers a de plus beau, de plus rare et de plus charmant. Et comme elle ne fait, avec l’illustre et incomparable père2, qu’un même cœur, qu’un même esprit et une même volonté, elle ratifie et souscrit à tout ce qu’il vous en écrit, elle m’a chargé de vous l’assurer et marquer. Permettez-moi de vous dire, M [adame], et il est vrai, qu’il y a deux mois que j’ai songé la nuit que j’avais été à Toulouse, pour vous y prendre et vous conduire en ce canton. Que je m’estimerais heureux, M [adame], d’avoir l’honneur de vous aller prendre à Paris, ou en tel endroit qu’il vous plairait me prescrire pour vous conduire ici ou ailleurs, c’est la grâce que je vous demande. O illustre persécutée, si vous le jugez à propos pour le présent, que votre main plus que libérale me fait l’honneur de m’offrir, tout ce que je vous demande dans les ordres de la Providence, que je puisse avoir l’honneur et le plaisir de vous voir, que je préfère à toute autre chose. Nous avons recommandé la chose à Dieu dans nos saints sacrifices et nous continuerons, si le Maître de la vie et de la mort n’en dispose autrement, et y avons engagé toutes les bonnes âmes de ce lieu et singulièrement [250v °] celles de l’étroite confidence. Tout est entre les mains de la Puissance souveraine, que tout soit pour Sa gloire et Son honneur. Je finis, M [adame], en vous proposant que je vous honore, vous estime et vous aime en Notre Seigneur Jésus-Christ plus que je ne saurais vous exprimer. Etc.


– B.N.F., ms. Nouv. acq. fr. 5250, copie «de la lettre écrite par le père de La Combe et par le Sr Delasherous [De Lasherous, aumônier de la prison de Lourdes] du 10 octobre 1695, de la main utilisée pour les copies fidèles des lettres de madame Guyon écrites avec son sang».


1 Ecrit sans majuscule! On sait combien ce nom d’une fille au service de madame Guyon, Marie de Lavau, lui occasionnera de peine lors de ses interrogatoires. Sur les deux filles au service de madame Guyon voir Index, Famille et Marc.

2 Fénelon.

29. DU PERE LACOMBE 20 octobre 1695.

Ce 20 octobre 1695.

Je redouble, vous ayant écrit par le dernier ordinaire, dans la pensée que celle-ci pourra encore vous trouver où vous êtes, quand même vous auriez résolu de partir, sur ce que je vous ai mandé par la précédente. Nous avons reçu les livres envoyés en dernier lieu. Ayant parcouru et lu en partie celui de la Réfutation1, je vois bien qu’il ne serait pas malaisé de répondre au réfutateur, autant incapable de juger à fond des voies intérieures qu’il est non seulement sans expérience, et très peu versé dans les auteurs qui en traitent, mais de plus fortement préoccupé contre elles. Les mêmes censures dont il nous a frappés, ont été lâchées contre les mystiques, presque dans tous les siècles, et l’on n’y peut guère faire que les mêmes réponses. Il faudrait de nécessité en venir aux redites, parce que ceux qui nous combattent, ou n’ont pas lu ce qu’on a répondu, ou le dissimulent. Tant d’autres écrivains ont parlé de ces choses beaucoup plus ouvertement que nous. On les laisse dans la possession où ils sont, et l’on ne s’en prend qu’à nous, parce que nous avons écrit nos livres dans un mauvais temps. Il en serait à peu près de même de tout ce que nous pourrions écrire pour nous expliquer ou pour nous justifier.

1 L’ouvrage de Nicole dont il est parlé dans sa lettre précédente, Réfutation des principales erreurs des Quiétistes.

Tout serait rejeté avec un implacable mépris par un effet de la prévention où l’on est, et plus encore par l’impression que fait dans les esprits la condamnation de nos livres par les évêques. Nos adversaires sont forts par ce seul endroit de cette autorité, pour laisser aucun lieu à notre justification, d’autant plus que dans ce jugement public que l’on a rendu, on n’a point eu d’égard aux éclaircissements que nous avons fournis dans nos interrogatoires; il me souvient de leur en avoir donné de très formels, touchant les principaux chefs qu’on nous impute. On prétend que nos écrits contiennent les principales erreurs des quiétistes, et il n’y en a pas une en termes précis de celles que le Saint-Siège a censurées sous le nom de Molinos, leur auteur; la congrégation de Rome qui examine les livres l’a reconnu et déclaré, par sa lettre à l’inquisiteur [f°150v°] de Verceil touchant mon Analysis1b; je ne trouve pas non plus qu’il y en ait dans les vôtres. Mais on tire des conséquences outrées, souvent même cruelles et absurdes, des termes énoncés avec candeur et simplicité sans aucun venin. Que ferions-nous à cela, sinon demeurer abandonnés à la disposition divine pour ce regard aussi bien que pour tout le reste?

Le seul nom d’abandon choque étrangement ces messieurs; ils le déchirent à belles dents sans considérer que c’est la gloire de Dieu, la perfection et le bonheur de l’homme, puisque, si on le prend dans son vrai sens, ce n’est autre chose que la plus haute pratique du renoncement évangélique et de la résignation chrétienne. C’est la pure et entière soumission de notre cœur à son Dieu, et l’amoureux empire de notre créateur sur nous. Tant qu’il plaît à Dieu de laisser une si bonne cause dans l’obscurcissement ou dans l’oppression, qui pourra l’en tirer? S’Il veut un jour lui donner son éclat et sa liberté dans le monde, Il en trouvera bien les moyens. En tout cas, ce sera la profonde matière de Son dernier jugement. Et durant le cours des siècles qui restent, le tout-puissant Maître des cœurs saura bien S’assujettir par un parfait amour ceux qu’Il a destinés pour servir singulièrement à Sa gloire par leur aveugle et totale soumission à Sa volonté. Présentement, qui nous écouterait, si nous voulions parler? Qui lirait nos écrits? Ceux qui n’en auraient pas besoin, étant assez persuadés par l’onction de l’Esprit. Dans les ouvrages que j’ai tout prêts, il y a, ce me semble, de quoi donner satisfaction sur ces matières à tout esprit raisonnable, mais comment les produire? Ceux qui ont les clefs de la science et de la juridiction ne pourraient pas même les souffrir dans les conjonctures présentes. Vous voyez que ceux qui entendent bien les divines voies dans les âmes et qui sont élevés en dignité2, n’osent ni en écrire ni en parler. Comment recevrait-on les cris d’un prisonnier flétri, décrié, proscrit? Dieu pourra susciter quelqu’un pour écrire utilement sur ces hautes vérités. Pour nous, je ne vois pas que nous y puissions rien, à moins qu’Il ne change la face des choses présentes. Demeurons devant Lui en abandon, en amour, en délaissement absolu, ce qui est une continuelle prière, [f ° 151] afin qu’il Lui plaise de regarder d’un œil favorable ceux qui n’ont d’autre prétention que de Le voir régner parfaitement sur eux, et s’il se pouvait, sur tous les cœurs.

Pour mon particulier, je ne trouve point en moi d’ouverture ni de pouvoir pour entreprendre aucun ouvrage de l’esprit; Dieu ne me paraît vouloir de moi que mon entière destruction, puisqu’Il me tient dans l’impuissance de rien écrire, ni même d’achever de petits ouvrages fort avancés, outre que je connais et sens, plus que jamais, l’incapacité et la petitesse naturelle de mon génie. Ma témérité a été bien punie par la condamnation de mon petit ouvrage, quoique je crusse l’avoir mis à couvert de toutes les foudres des tribunaux, l’ayant appuyé de tant d’autorités qu’il n’y a presque rien du mien que leur arrangement, et muni de toutes les approbations en pareil cas requises. Le saint Enfant Jésus, à qui je l’avais dévoué, fera voir, lorsqu’Il jugera le monde, ce qu’il y a de Sa vérité dans ce livre, et ce que j’y ai mêlé de mes imaginations; et le juste discernement qu’Il en fera me sera plus cher qu’une gloire immortelle d’avoir bien rencontré. J’en dis de même de vos traités. Demeurons cependant sincèrement soumis aux ordonnances de Ses Églises, et de leurs pasteurs qu’Il a revêtus de Son autorité.

Il y a dans les voies intérieures, et dans les conduites plus particulières de Dieu dans les âmes, des choses qui ne se devraient point divulguer ni guère écrire, comme saint Denis en avertit dès le commencement. Elles se doivent laisser à la tradition secrète, et à l’expérience des âmes que Dieu y fait marcher. Les savants, qui n’ont pas ces secrets rayons, s’effaroucheront toujours au simple récit de telles merveilles, et se récrieront comme contre autant d’erreurs. Bien des auteurs mystiques, qui, pour avoir paru en un temps où l’on ne regardait pas de si près, jouissent de leur ancienne possession, seraient rejetés aujourd’hui avec la même rigueur que l’ont été tous les modernes, à cause que l’on impute à leurs principes les désordres et les abus que l’on a découverts.

Il me faudrait beaucoup de livres pour convaincre par de puissantes autorités ceux que l’illustration intérieure ne persuade pas; ici l’on en


manque. Gloire soit à Dieu pour tous Ses desseins et Ses dispositions, que je préfère infiniment à tout autre bonheur imaginable.


– A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI2, f ° 150, autographe. Ajout d’une autre main au verso du dernier feuillet : «+ Si vous envoyez aucun autre paquet, mettez s’il vous plaît, à Mr de Normande pour faire tenir à Mr de Lasherous». – Fénelon 1828, t. 7, lettre 92.


Orationis Mentalis Analysis, Verceil, 1686.

2Fénelon probablement, encore « prudent » à l’époque.

30. DU PERE LACOMBE ET DU Sr DE LASHEROUS 11 novembre 1695.

Ce 11 novembre.

Je reçois la vôtre du 28 octobre à laquelle je réponds le même jour. Je le fis de même l’autre fois avec diligence et encore par l’ordinaire. Vous avez de trop bonnes raisons de ne pas vous mettre en voyage devant l’hiver, pour que nous y apportions la moindre contradiction. Quelque désir que nous ayons de vous voir, nous préférons votre conservation, à la joie que nous causerait un si grand bien, remettant de plus, tous nos souhaits, entre les mains de Dieu. Il y a en ce pays des eaux de toutes sortes pour différents maux. Il y en a pour boire et pour le bain et en trois ou quatre lieux différents; celles de Bagnères, sont les plus renommées, on y vient de toutes parts et je crois qu’elles vous seraient utiles, si Dieu vous donne le mouvement d’y venir. O quelle satisfaction pour nous tous! Je ne l’espère presque plus, voyant un délai considérable pendant lequel il peut arriver quelque changement considérable, sinon par notre élargissement, du moins par notre mort. Vos infirmités sont extrêmes et par leur excès et par leur durée. Bonnes et fortes croix pour l’assaisonnement des autres dispositions. La même toute-puissante main qui vous frappe, vous soutient et vous conserve jusqu’au comble des souffrances et des épreuves qu’elle vous a destinées. Ce comble semble approcher pour notre chère Jeanette, qui s’use et s’affaiblit de plus en plus. Nous n’osons presque plus lui donner de remèdes, de crainte qu’elle ne puisse pas les supporter. Elle vous embrasse de tout son cœur, sensible à vos maux et tendrement compatissant. Vous courez grande fortune de ne vous voir l’une et l’autre, qu’en l’autre [251v °] monde. J’en dis de même de vous et de moi. Les autres filles vous saluent avec une estime et un amour très particuliers. L’affection et le zèle de M. de Lasherous sont très grands assurément, il n’épargnerait ni sa bourse ni sa personne pour vous rendre service, mais comme sa présence est trop nécessaire et trop remarquée dans ce lieu, une longue absence causerait une admiration plus propre à éventer le mystère qu’à le bien ménager. Pour moi, je vous suis toujours également acquis en Notre Seigneur. Votre Explication de l’Apocalypse me paraît très belle, très solide et très utile. Je ne m’étends pas davantage, jusqu’à ce que nous sachions si notre nouvelle adresse réussira.

Que nous dites-vous, qu’on vous a empoisonnée1240? Est-il possible que la malice soit allée jusques à un tel excès, mais comment votre corps si délicat et si faible a-t-il pu résister à la violence du poison? Avez-vous su par quelles mains ce crime a été commis? Pauvre victime, il faut bien que vous souffriez toutes sortes de maux. La gloire de Dieu paraîtra hautement en vous. Nous saluons tous cordialement ces bonnes filles qui sont avec vous. Dieu fait aux nôtres de très sensibles miséricordes.

[Lettre jointe de Lasherous :]

La joie de la petite société, M [adame], dans le désir ardent qu’elle avait d’avoir l’honneur de vous voir et de la consolation qu’elle attendait d’un bien si précieux, a été bien courte, mais comme uniquement la volonté de Dieu est tout le bien de la petite Église, elle seule lui suffit pour toute prétention. Je laisse au petit Maître de nous y rendre souples et parfaitement soumis. Je le ferai toujours, [252] M[adame], à votre égard, et s’il est dans le dessein de Dieu, que vous veniez dans ce canton, je me rendrai ponctuellement dans l’endroit où vous me ferez l’honneur de me marquer, n’en déplaise au très R[évérend] et très vénérable P[ère]. Je ne rougirais jamais, m [adame], en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, disciplines et mœurs, comme je l’ai fait en présence de notre prélat, à son retour de Paris, au sujet de l’illustre et plus qu’aimable Père. Il ne manque point ici des Égyptiens qui cherchent les petits premiers-nés des Israélites, pour les submerger. Je consultai un fameux médecin, au sujet de vos incommodités, qui m’a assuré que les eaux de Lautaret se boivent pour vos maux, — qui sont à quatre lieues de cette ville et pour y aller, il y faut passer nécessairement, feront des effets merveilleux. Il m’a demandé si je savais de quel poison vous aviez été empoisonnée, je lui dis que non, il m’a prié de vous le demander, que si vous ne le saviez, du moins de savoir les symptômes que le poison vous cause dans le commencement, parce que par les symptômes il connaîtra le poison. Il m’a protesté qu’il avait des remèdes, singulièrement pour cela, admirables. La petite société m’a recommandé par exprès de vous assurer de leurs regretsa très humbles, toute vous honore parfaitement et vous salue de toute la force de leur cœur et je vous suis invariablement acquise et attachée avec la grâce de mon Dieu.


– B.N.F., Nouv. acq. fr., ms. 5250, f ° 251-252 v °. Cette lettre fait suite au projet de voyage de madame Guyon à Lourdes. En tête, addition marginale : «Copie de la lettre écrite par le P. de la Combe et par le Sr de Lasherous, du 11 novembre 1695.»

a lecture incertaine.

31. DU PÈRE LACOMBE ET DE JEANNETTE. 7 décembre 1695.

Q [uis] U [t] D [eus]1241. Ce 7 décembre.

Je reçus hier votre lettre où étaient les anneaux. La joie en a été grande dans notre petite Église. Vous pouvez bien croire que j’en ai eu ma bonne part, d’autant plus que le temps me paraissait long depuis la réception de la précédente. Ce me sera toujours non moins un plaisir, qu’un devoir, de répondre à vos bontés vraiment excessives, envers moi : du moins par le commerce de lettres, autant que la divine Providence m’en fournira les moyens, comme elle a fait jusqu’à présent d’une manière admirable. Il faut qu’on soit bien acharné contre vous, pour ne vous laisser point de repos après qu’on vous a tant tourmentée et que vous avez donné une ample satisfaction à ce qu’on a exigé de vous. C’est que le tout petit et très grand Maître n’a pas encore achevé Son œuvre en vous, ni comblé la mesure de vos souffrances. Cependant Il vous protège sensiblement, vous tenant cachée avec Lui dans le sein de Son Père, malgré toutes les poursuites de vos adversaires. Songez donc à faire le grand voyage vers le printemps, afin que nous ayons la satisfaction de vous voir et de vous rendre quelques services. Vous ne trouverez pas ailleurs une société qui vous soit plus acquise que la nôtre. Personne ne pourrait aller d’ici pour vous conduire sans que cela fit trop [253v°] d’éclat. Il faut que vous preniez quelqu’un où vous êtes. Encore craindrais-je que vous n’en fussiez plutôt embarrassée et surchargée que bien servie, comme il vous arriva autrefois. Une femme intelligente et fidèle vous suffirait, avec un garçon sur qui l’on pût s’assurer, tel qu’était Champagne. Dieu veuille vous inspirer ce qui est dans Son dessein, et vous en faciliter l’exécution.

Je ne conçois pas comment vous pouvez vivre avec les glaires que vous avez dans le corps. C’est la pituite ou l’humeur aqueuse mêlée avec le sang qui se glace dans vos veines, et cela empêchant la circulation du sang, il est inconcevable que vous n’en mouriez pas dans peu d’heures. Je me figure que cette glaire, vient à la surface des vaisseaux, et que le sang a encore quelque passage libre par le milieu, sans quoi vous ne vivriez pas. Les eaux fort minérales et détersivesa, telles qu’il y en a en ce pays, pourraient y être un fort bon remède. Vous devriez, ce me semble, [prendre] un peu de liqueur fort agissante et cordiale, du meilleur vin, d’eau clairette, de Roffolis, d’eau de canelle et de tout ce qui peut le plus donner de mouvement au sang et le réchauffer, afin qu’il ne se fige pas dans les vaisseaux. Votre vie trop sédentaire, contribue beaucoup à ce mal. L’exercice, le changement d’air, [254] l’agitation du voyage vous seraient utiles. Venez à l’air des montagnes, qui est vif et pénétrant.

Les jansénistes vont remonter, leurs adversaires seront rabaissés. Peut-être se prépare-t-on déjà à un nouveau combat. Port-Royal ressuscitera. O vicissitude des choses, mais qui pourra arrêter les desseins d’un Dieu, ou empêcher qu’Il ne tire Sa gloire de tout ce qu’il a résolu de faire ou de permettre? C’est là le souverain plaisir et l’unique prétention des cœurs qui lui sont bien soumis, et c’est pour cette raison que leur abandon leur suffit pour tout. Abandon sacré et très ferme, qui est la plus tranquille, la plus parfaite et la plus heureuse disposition de l’âme.

J’ai lu votre Apocalypse avec beaucoup de satisfaction, nul autre de vos livres sur l’Écriture m’avait tant plu. Il y a moins à retoucher que dans les autres. Les états intérieurs sont fort bien décrits et tirés, non sans merveille, du texte sacré, où rien ne paraissait moins être compris. Si toute votre explication de l’Écriture était rassemblée en un volume, on pourrait l’appeler la bible des âmes intérieures, et plût au ciel que l’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies, afin qu’un si grand ouvrage ne périsse pas! Les vérités mystiques ne sont pas expliquées ailleurs avec autant de clarté et d’abondance et ce qui importe le plus, avec autant de rapport [254v °] aux saintes Écritures. Mais hélas, nous sommes dans un temps, où tout ce que nous penserions entreprendre pour la vérité, est renversé et abîmé. On ne veut de nous qu’inutilité, destruction et perte. N’avez-vous pas pu recouvrer le Pentateuque1242? Pour moi, dans le grand loisir que j’aurais, je ne puis rien faire, quoique je l’ai essayé souvent. Il m’est impossible de m’appliquer à aucun ouvrage de l’esprit, du moins de coutume, m’ayant fait violence pour m’y appliquer, ce qui me fait traîner une languissante et misérable vie, ne pouvant ni lire ni écrire, ni travailler des mains, qu’avec répugnance et amertume de cœur, et vous savez que notre état ne porte pas de nous faire violence. On tirerait aussitôt de l’eau d’un rocher1243.

L’ouvrage de M. Nicole, me fait dire de lui, ce qui est dans Job : il a parlé indifféremment de choses qui surpassent excessivement toute sa science. Il serait aisé de leur réfuter et faire voir que son raisonnement fait pitié à ceux qui s’entendent un peu aux choses mystiques. Il ne comprend pas même en certains endroits, l’état de la question et le sens des termes. Il prend pour des péchés ce que l’on ne blâme que comme des imperfections, et sur cette [cela] il tire d’absurdes conséquences, dont il triomphe. Il s’imagine qu’à cause qu’on pratique l’oraison de simple [255] regard, on ne fait jamais aucun acte distinct, comme si le Saint Esprit à qui l’on tâche de se soumettre, ne portait pas l’âme à faire bien chaque chose en son temps. Il combat les mystiques par des raisonnements contraires à l’expérience intérieure auxquels on a répondu si souvent. Il accuse de nouveauté une spiritualité qui est le témoignage de tous les siècles, et que l’Église même a autorisée, en recevant avec estime les écrits des saints comme de sainte Thérèse et de saint François de Sales, qui dans un de ses entretiens, déclare qu’il a remarqué que l’oraison de la plupart des filles de la Visitation, se termine à une oraison de simple remise en Dieu. Qu’est-ce autre chose, que le simple regard? Il n’allègue ni ne refuse pas un seul passage de mon Analysis, cependant on le met au rang des livres qui contiennent, dit-on, les principales erreurs des quiétistes. S’il en eut remarqué quelques-unes, il ne me l’aurait pas pardonné. Avec cela, il sera applaudi par la foule. Mais Dieu prendra la défense de la vérité et étendra Son règne intérieur malgré la contradiction des hommes. Il y a certaines opinions de Malaval, que je n’ai pu approuver et contre lesquelles j’ai écrit expressément.

Il s’est fait une augmentation de notre Église, la rencontre de trois religieuses d’un monastère assez proche [255v °] de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est faite l’oraison que Dieu enseigne Lui-même aux âmes et l’obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L’une de ces trois filles a été mise par le Saint-Esprit même dans son oraison. L’autre y étant appelée, combattait son attrait en s’attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, tourmentée de scrupules, n’est pas encore en état d’y être introduite.

Jeannette me grondera de ce que je remplis mon papier sans vous parler d’elle, et que vous en dirai-je? Que toujours il semble que Dieu nous l’enlève et toujours elle nous est laissée. Qu’elle vous honore et vous aime parfaitement et ses compagnes de même. Elles sont toutes en fête pour leurs anneaux. Songez à m’apporter aussi quelques bijoux. Tous les amis vous saluent tant et tant. O ma très chère, pourrai-je encore vous revoir : si Dieu m’accorde un si grand bien, je chanterais de bon cœur le Nunc dimittis. Nous raconterions à loisir toutes nos aventures qui sont étranges et donc pas vue mais serait cachée à votre cœura. Etc.

– B.N.F., ms. 5250, copie, f ° 253-255 v °.

a manquent des mots ?

[De Jeannette :]

Vive Jésus.

Madame.

Permettez qu’en ce célèbre jour, je donne un peu d’efforts au... a à l’amour qui pénètre mon cœur et le fond de mon âme, en voyant vos vertus, votre ardeur, votre flamme pour le Dieu souverain, de qui le bras puissant vous fera triompher du parti de Satan. Si le ciel est d’airain, s’il vous paraît de bronze, c’est que par un chemin et d’épines et de ronces, Jésus veut éprouver votre fidélité.

Qu’il vous est glorieux d’aimer la vérité, votre intrépidité, votre rare constance vous sont des boucliers de très forte défense. Jouissez, jouissez d’une profonde paix, tandis que l’on vous veut accabler sous le faix. Le Seigneur aura soin de rompre vos chaînes, Il en dissipera la douleur et la peine. Brisons sur ce sujet, parlons de vos bontés : je les sens tous les jours, et vos honnêtetés m’obligent d’avouer que vous êtes charmante, quoique je tiens à honneur d’être votre servante, pressée à vous obéir, à vous ouvrir mon cœur, que vous avez comblé de grâce et de faveurs. Vous ne doutez jamais de ma reconnaissance, de ma fidélité, de ma persévérance.

Le rapport est si doux entre nos deux esprits, qu’un même sentiment les joint et les unit sans rien m’attribuer de vos voies admirables. Divines unions et grâces ineffables.

J’aperçois entre nous cet aimable rapport qui naturellement vient d’un pareilb sort : la Croix ayant été souvent notre partage, nous nous comprenons bien, parlant même langage. Ah, que me reste-t-il donc, que de vous imiter, de [256v °] marcher sur vos pas sans jamais m’arrêter! Priez le bon Jésus, qu’Il m’en fasse la grâce et de suivre après vous, Ses vestiges et Sa trace. Etc.


– B.N.F., ms. 5250, copie, f ° 256. Jeannette appartient à la «petite Église», le groupe réuni autour de Lacombe à Lourdes.

a mot illisible.

b d’un (semblable ajout interligne) pareil


32. LETTRE FORGEE ATTRIBUÉE AU P. LA COMBE 27 avril 1698.

Ce 27 avril 1698

Au seul Dieu soit honneur et gloire.

C’est devant Dieu Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous, et que je rejette et déteste toute maxime et toute conduite qui s’écarte des commandements de Dieu ou de ceux de l’Église, désavouant hautement tout ce que j’ai pu faire contre ces saintes et inviolables lois, et vous exhortant en Notre Seigneur d’en faire de même, afin que vous et moi réparions, autant qu’il est en nous, le mal que peut avoir causé notre mauvais exemple, ou tout ce que nous avons écrit qui peut donner atteinte à la règle des mœurs que propose la sainte Église Catholique, à l’autorité de laquelle doit être soumise, sous le jugement de ses prélats, toute doctrine et spiritualité, de quelque degré que l’on prétende qu’elle soit. Encore une fois, je vous conjure, dans l’amour de Jésus-Christ, que nous ayons recours à l’unique remède de la pénitence, et que par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l’Église par nos fausses démarches. Confessons, vous et moi, humblement nos péchés à la face du ciel et de la terre; ne rougissons que de les avoir commis et non de les avouer. Ce que je vous déclare ici vient de ma pure franchise et liberté, et je prie Dieu de vous inspirer les mêmes sentiments qu’il me semble recevoir de sa grâce, et que je me tiens obligé d’avoir. Fait ce 27 avr[il] 1698.

Dom François La Combe

Religieux barnabite


A. S.-S. pièce 7246. Au dessus de cette lettre est écrit : «... pour madame guyon»; annotation d’une autre main : «l’original a été montré à Mr. Le nonce à Paris» — A. S.-S. pièces 7588, 7589, 7591 - Cor. Fénelon 1828, tome 9, lettre 391, p. 36, avec l’annotation : «Cette lettre a été publiée par D. Deforis, dans les œuvres de Bossuet, 1788, tome XIV, p.185 […]»

Madame Guyon présente cette lettre dans sa Vie 4.5 comme suit : «Enfin après bien des menaces des suites fâcheuses à quoi je me devais attendre, M. de Paris s’en alla et M. le Curé, restant, me dit : «Voilà la copie de la lettre du P. La Combe. Lisez-la avec attention, écrivez-moi, à moi, et je vous servirai.» Je ne lui répondis rien, et M. de Paris l’envoya quérir pour le ramener. Voici la copie de cette lettre : [suit la copie exactement conforme à la pièce 7246 ci-dessus; elle poursuit ensuite son récit :] «Cette lettre m’ayant été lue par M. de Paris, je demandai à la voir. Il me fit grande difficulté. Enfin, la tenant toujours sans vouloir me la mettre entre les mains, je vis l’écriture, un instant, qui me parut assez bien contrefaite. Je crus que c’était un coup de portée [de grande portée] de ne pas faire semblant de m’en apercevoir dans la pensée qu’ils me confronteraient au P. La Combe lorsque je serais en prison, et qu’il me serait pour lors plus avantageux d’en faire connaître la fausseté. Ce qui me porta à dire simplement que si la lettre était de lui, il fallait qu’il fût devenu fou depuis seize ans que je ne l’avais vu, ou que la question qu’il n’avait pu porter lui eût fait dire une pareille chose.»

L’édition de 1828 porte l’annotation suivante : «M. le cardinal de Bausset rapporte que cette lettre du P. Lacombe fut portée par le cardinal de Noailles et M. de la Chétardie, curé de Saint-Sulpice, à Mme Guyon, détenue alors à Vaugirard; qu’après en avoir entendu lecture, Mme Guyon répondit tranquillement qu’il fallait que le P. Lacombe fût devenu fou; qu’on insista vainement pour obtenir de cette dame un aveu conforme à celui du P. Lacombe, et qu’on s’aperçut bientôt après que ce père avait perdu totalement l’usage de la raison. On fut obligé de le transférer à Charenton, où il mourut l’année suivante, en état de démence absolue [en fait Lacombe mourut plus tardivement, en 1715]. (Hist. de Fénelon, liv. III, n. 50.) […]».

La lettre est aujourd’hui reconnue fausse.

33. DU P. LA COMBE A L’ÉVÊQUE DE TARBES. 9 janvier 1698.

A Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Evêque de Tarbes.

Comme l’on n’a pas jugé à propos de m’entendre ici avant que d’envoyer à Votre Grandeur les écrits que l’on m’a trouvés et les nouveaux chefs d’accusation dressés contre moi, j’ai cru que la justice me permettait et qu’il était même de mon devoir de vous faire, Monseigneur, avec un profond respect les déclarations et protestations suivantes, comme à mon évêque diocésain et mon juge naturel et légitime depuis dix ans qu’il y a que je suis retenu dans votre diocèse.

Entre ces écrits, il y en a cinq qui ne sont pas de moi et auxquels je n’eus jamais de part savoir l’Explication de l’Apocalypse 1, le traité sur saint Clément d’Alexandrie2 et trois ouvrages de feue Mère Bon de l’Incarnation, religieuse ursuline de Saint Marcellin en Dauphiné3. L’un est intitulé Jésus bon-pasteur, un autre est du pur amour, un autre Catéchisme spirituel 4, quoique ce dernier soit écrit de ma main à cause que je lui ai donné quelque ordre et la distinction des chapitres [f ° 2], car il n’y en avait point dans l’original.

Parmi ceux qui sont de ma façon, on retrouvera le Moyen court et facile pour faire oraison, que j’avais corrigé, réformé et plus expliqué sur celui de Mme Guyon5, quatre ou cinq ans avant que Messeigneurs les Archevêques de Paris et l’évêque de Meaux eussent censuré le livre de ladite Dame.

Il y a une ébauche d’un livret intitulé Règle des Associés à l’Enfance de Jésus, livret qui devait être tout autre que celui qui a été imprimé sous le même titre6, et que Monseigneur l’évêque de Meaux a frappé de sa censure, quoique celui-là dût être formé sur le même dessein; je l’avais commencé étant à Verceil, en Piémont, il y a quatorze ans, avant presque que l’autre eût paru, et depuis je n’y ai plus touché.

Ces écrits, avec ceux des Remarques spirituelles et morales, me furent envoyés de Paris par un de mes confrères qui mourut peu après, dès qu’on supposa avec fondement que j’étais ici confiné pour le reste de mes jours. J’ai fait les autres en différents lieux et en divers temps de ma prison, à dessein de m’édifier et de m’occuper dans une si longue et si profonde solitude.

Si j’ai tenu ces écrits cachés pendant quelque temps, ç’a été par la crainte de les perdre dès qu’ils seraient tombés en d’autres mains, y ayant encore quelque attache et y trouvant de la consolation, et non que je crusse qu’il y eût rien de mauvais. Présentement je bénis Dieu de bon cœur de ce que, par une singulière providence, ils sont remis à votre Grandeur. Et pour ne rien soustraire à sa censure, je lui soumets encore les deux ouvrages ci-joints, les seuls qui me restaient et qu’on n’avait pas su trouver en fouillant ma chambre : l’un est l’Analysis 7 de nouvelle façon8, qui est celui dont j’avais eu l’honneur de parler à votre Grandeur dès que j’eus l’avantage de la voir; l’autre expose mes véritables sentiments touchant le pur et parfait amour de Dieu, je veux dire sincèrement, tel que je les ai compris et professés.

J’abandonne très librement tout ce que j’ai écrit au jugement de votre Grandeur et à celui de tout autre prélat et docteur orthodoxe qui pourrait être commis pour l’examiner, aimant mieux que l’on jette tout au feu que d’y souffrir quelque erreur et le moindre danger d’infection.

Pour ce qui regarde mes mœurs, j’avoue à ma confusion que j’ai très mal fait que de m’ingérer à donner ici quelques avis spirituels dans le peu d’occasions que j’en ai eues, quoiqu’à peu de personnes, mais aussi à quelques-unes de l’autre sexe. Ce malheur m’était déjà arrivé lorsque vous m’en fîtes, Monseigneur, une très juste et très sage défense. J’en demande très humblement pardon à votre Grandeur, comme encore d’y avoir depuis donné quelque atteinte. J’accepte de tout mon cœur telle punition qu’il lui plaira de m’imposer pour ce chef, aussi bien que pour mes autres transgressions, si celle d’une très étroite réclusion, où je suis rentré après une prison d’onze ans, ne paraît pas suffisante.

J’ai dit que de bonnes et saintes âmes étaient quelquefois livrées par un secret jugement de Dieu à l’esprit de blasphème, ce qui a scandalisé quelques personnes; cependant plusieurs graves auteurs l’ont écrit, entre autres saint Jean Climaque 8a. On convient que ces horribles paroles sont formées par le démon, qui remue les organes de la personne qui les souffre malgré elle. Je n’ai jamais conseillé de consentir à cet état, ni d’y entrer, ni pris aucune part à cette terrible épreuve, de laquelle même je me défendis lorsqu’elle me fut intérieurement proposée, il y a quinze ou seize ans, aimant mieux être sacrifié à toute autre peine qu’à la moindre ombre d’un mépris de la divine Majesté. Ayant ici connu deux personnes livrées à cette affreuse humiliation, je les ai consolées et aidées sans y participer.

J’ai dit que de bonnes et saintes âmes sont quelquefois livrées à des peines d’impureté soit à un esprit8b, ou à un état qui leur en fait souffrir de cruels effets, sans que l’on puisse pénétrer comment cela se fait. Je ne l’ai pas avancé de mon chef, j’ai trouvé en divers pays des directeurs qui disent l’avoir reconnu; mais je n’en ai jamais donné de sûreté, ni aucune certitude, comme l’ont fait quelques-uns et principalement Molinos. Au contraire, je disais que ces terribles épreuves, supposé qu’il y eût du dessein de Dieu, devaient faire perdre toute assurance et toute confiance en la propre justice. Je n’ai jamais prétendu non plus en faire une règle générale ou un moyen nécessaire. Bien loin de là, j’ai toujours cru que le cas était très rare, posé qu’il y en eût, et j’avoue de bonne foi qu’après les divines lois et Écritures desquelles cette maxime s’écarte, rien ne me la rendit plus suspecte que d’apprendre qu’en divers lieux, plusieurs personnes s’y laissaient entraîner. Ainsi je n’ai pas cru que la pente que j’avais à croire qu’il peut en cela y avoir du dessein de Dieu et une humiliation sans péché, fût contraire à la profession de foi catholique que j’ai toujours très sincèrement faite, et que constamment je préfère à tout, puisque je n’attribuais cela qu’à une volonté de Dieu extraordinaire et du tout impénétrable, qui cause un moins cruel qu’incompréhensible martyre aux âmes qui y sont abandonnées. C’est ainsi que j’en raisonnais.

Dieu me sera témoin que je n’ai jamais fait d’assemblée pour parler de ce point, que, de ma vie, je n’en ai conféré qu’avec très peu de personnes, et que même je n’en ai pas touché un mot à qui que ce soit jusqu’à ce que j’ai été prévenu, excepté seulement que j’en écrivis une fois à un grand personnage en Italie pour lui demander conseil. Sa réponse fut négative et très orthodoxe. Ainsi, sans des avances qui m’ont été faites, je n’en aurais pas ouvert la bouche, comme effectivement je n’en ai pas parlé à qui ne m’en a pas donné d’ouverture.

Bien loin d’affecter d’être chef de secte, comme on me l’impute9, Dieu sait que je n’ai jamais cherché à y engager personne, que je voudrais avoir tout le monde acquis à Jésus-Christ par amour et soumis à l’Église, son Épouse. Non seulement je n’ai ni relation ni commerce de lettres, mais je bénis Dieu de me voir toujours plus en état de n’en avoir pas du tout, et qu’une étroite prison me rempare contre ma fragilité et contre les surprises de l’ennemi, promettant de plus de n’avoir jamais de tel commerce, à moins qu’on ne me le permît, quand même j’en trouverais les moyens.

Je ne sais si l’on peut me convaincre d’avoir donné dans aucune des erreurs de Molinos, que celle dont j’ai parlé. Pour moi, je ne l’ai pas reconnu, et pour ce qui est de celle-là, je la rejette et déteste véritablement, aussi bien que toutes les autres, reconnaissant enfin clairement l’abus de ces pernicieuses conséquences, grâce à Jésus-Christ.

Je n’ai pas compris, et l’on ne m’a pas fait connaître qu’il y eût dans mon livre d’Analysis ou dans autre quelconque de mes écrits aucune des erreurs des nouveaux mystiques, quoiqu’on mêle mon nom avec les leurs, en censurant leurs maximes que j’ai toujours rejetées et expressément réfutées, il y a plus de dix ans, comme on le pourra voir dans ma seconde Analyse, que j’ai prié qu’on remît à votre Grandeur. J’ai bien mérité cette confusion par ma très imprudente et vraiment folle conduite en beaucoup de rencontres. Je souscris volontiers à la condamnation qui a été faite de mon livre.

J’ai soutenu avec saint Jean Climaque10 et avec d’autres grands auteurs, la permanence et la durée ordinaire de l’oraison dans les âmes qui la possèdent fort élevée et parfaite. Mais je n’ai pas décidé si cela se fait par un même acte physiquement continu, ou seulement par une continuité équivalente, qui consiste dans une suite très facile de plusieurs actes dont l’interruption n’est presque pas aperçue, ce qui me paraît plus vraisemblable.

Je suis tombé dans des misères et des excès de la nature de ceux dont j’ai parlé ci-dessus. Je l’avoue avec repentance et avec larmes; mais à même temps que je confesse mon iniquité contre moi-même, je me crois obligé d’ajouter que je mentirais, si je disais que c’eût été à dessein de séduire personne ou seulement de me satisfaire, absit10b, ou par les mêmes principes qu’on le fait dans le désordre du monde. On peut voir dans mes écrits : je dépeins naïvement mon intérieur, n’écrivant que pour moi-même l’estime, l’amour, l’attachement et la souveraine préférence que Dieu m’a donnée pour Sa volonté et pour Ses lois. Me voir après cela livrer et précipiter par entraînement de folie et de fureur à des choses qu’elle défend, sans perdre le désir de lui être conforme en tout, et n’y être tombé qu’après les consentements réitérés qu’il a exigés de moi plusieurs fois pour tous ses plus étranges desseins sur moi, m’en faisant en même temps prévoir et accepter les plus terribles suites, c’est ce que je n’ai jamais pu comprendre moi-même, bien loin que je présume de le faire comprendre et approuver aux autres.

Mon Dieu, sous les yeux de qui j’ai écrit ceci, sait combien de prières je lui ai adressées et combien de larmes j’ai versées en sa présence pour le conjurer de me délivrer d’une telle misère, ou bien de me la changer contre toutes les autres peines, et de me couvrir de tous opprobres plutôt que de permettre que je me séduisisse moi-même, que j’en trompasse d’autres par des endroits si glissants et si dangereux. Il est vrai qu’en même temps, je m’abandonnais pour cela même à cette tout absolue et toute puissante volonté, supposé qu’il y allât de sa gloire, ne pouvant Lui refuser rien de tout ce à quoi Il lui eût plu de me sacrifier, soit pour le temps ou pour l’éternité. Il est bien certain qu’on en excepte toujours le péché, puisque c’est pour ne déplaire pas à Dieu, même par une imperfection ou par la moindre propriété et recherche de soi-même, qu’on en vient jusque-là, selon qu’on s’y sent porté par la plus haute résignation, que pour cet effet l’on appelle l’extrême abandon. Voilà très sincèrement comme cela m’est arrivé et comme la vérité me le ferait protester en confession et sur l’échafaud ou au lit de la mort.

Grâce à Dieu, j’en suis bien revenu depuis un temps considérable. Je me trouve affranchi de cette peine et plus éclairé touchant ces illusions, espérant de la divine bonté que par les mérites de Jésus-Christ mon Sauveur, elle me fera la grâce de finir mes jours dans sa paix par la pénitence.

Après ce que je viens d’exposer, j’accepte par avance et promets de suivre en tous points ce que l’on m’ordonnera touchant les dogmes et les mœurs, suppliant en même temps que, sans épargner ma personne selon que l’on me trouvera coupable, on veuille épargner le nom et la réputation du corps dont je suis membre11 et duquel j’ai été la croix et l’opprobre depuis si longtemps, comme aussi les personnes qui pourraient être intéressées dans ma cause, promettant, avec l’assistance de mon Dieu, d’user à l’avenir de tant de retenue et de précaution, que l’on n’aura plus aucun sujet de se plaindre de moi.

J’ai cru que votre Grandeur ne désagréerait pas la liberté que j’ai prise de lui faire cette très humble remontrance et sincère protestation, et abandonnant le tout à sa bonté pastorale et à son équité, je la supplie de souffrir que je me jette à ses pieds pour lui demander sa sainte bénédiction.

Signé dom François La Combe. À Lourdes, le 9e de l’an 1698.


A.S.-S. ms. 2179 p.7590 et p.7592 copie - UL, Correspondance de Bossuet, IX, Appendice II «Lettres du P. La Combe», p. 480-488. (les p. 472-480 reproduisent le texte latin qui accompagne cette lettre) avec l’annotation : «Une copie dans le recueil de Ledieu et une autre de la main de M. Bourbon, secrétaire de M. Tronson. Publiée par Phélippeaux dans sa Relation, t. II, p. 48, avec la date du 5 janvier 1698. Cette déclaration parvint aux agents de Bossuet à Rome le 20 mars 1698…»


1 L’Apocalypse de S. Jean Apôtre avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, tome VIII de l’éd. intitulée Le Nouveau Testament… par P. Poiret, «A Cologne», 1713.

2De Fénelon, publié seulement en 1930 par Dudon.

3 Sur la mère Bon (1636 - 1680), vue en rêve par Madame Guyon, v. sa présentation en fin de volume.

4 Catéchisme spirituel pour les personnes qui désirent vivre chrétiennement […] en manuscrit aux A. S.-S., ms. 2056. Ce texte suit immédiatement deux copies des Torrents de Madame Guyon dans le recueil constitué vers 1700.

5 Perdu.

6 Imprimé à Lyon en 1685 et condamné par le saint Office le 29 novembre 1689. Edité par Poiret : Les Opuscules spirituels de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion […] A Cologne [Amsterdam], 1720, «Règle des Associés à l’enfance de Jésus», p. 349-404.

7Orationis Mentalis Analysis, Verceil, 1686.

8 Perdu. (DS, art. «La Combe»).

8a Voir J. Climaque, L’Échelle Sainte, Degré XXIII.

8b Sens : «… soit dans (un état) d’esprit, ou en un état qui…»

9 «La petite église», expression très malheureuse employée par Lacombe pour désigner le cercle spirituel réuni autour de lui.

10 Jean Climaque auteur de L’Échelle Sainte, lue probablement dans la traduction d’Arnauld d’Andilly, de 1652, prenant la suite de celle de René Gaultier, de 1603. (A. Villard, «L’Échelle Sainte», La Solitude et les solitaires de Port-Royal, p. 143 sq.)

10 b absit : Dieu m’en garde!

11 L’ordre barnabite. Ce qui précède et suit («la croix et l’opprobre») font douter de la liberté extérieure et / ou intérieure qui accompagnait cette lettre-déposition.


SEPT LETTRES EDITEES AVEC LA VIE en 5.4 figurent en Correspondance II Années de combat : I en n8 supra, II en 9, III en 10, IV en 14, V en 19. VI & VII hors Lacombe.









APOLOGIE du P. La Combe par lui-même


REVUE FÉNELON, Première année. No 2. Septembre 1910, «Une Apologie du P. La Combe par lui-même», Présentation par Charles Urbain, 68-72. Suivi du texte : 73-87, puis, No 3. Décembre 1910, 139-164. Slatkine reprints, Genève, 1971.

68

UNE APOLOGIE DU P. LA COMBE PAR LUI-MÊME

[Présentation par Charles Urbain]

Craignant de voir s’éterniser et peut-être échouer la campagne engagée contre Fénelon, Bossuet fit passer la controverse du quiétisme du terrain des idées sur celui des faits. Il voulait établir (avec combien de justice, est-il besoin de le dire) que les sentiments de Fénelon conduisaient aux pratiques abominables de Molinos, et pour cela, il devait faire voir que le P. La Combe s’était rendu coupable de ces horreurs et que Mme Guyon, dont l’archevêque de Cambrai défendait la doctrine, avait été la complice du barnabite, son directeur. Une telle démonstration, à n’en pas douter, découragerait les partisans de Fénelon, achèverait de tourner contre lui l’opinion publique, triompherait des hésitations de la Cour de Rome et amènerait l’écrasement de l’archevêque de Cambrai [1].

Or le P. La Combe, depuis plus de dix ans, languissait dans la prison où on l’avait jeté sans débats contradictoires et malgré ses appels à Rome [2].


(1) Il y a lieu de se demander si c’est Bossuet qui eut le premier l’idée de cette tactique, où si elle lui fut suggérée par La Reynie, le lieutenant de police. Quoi qu’il en soit, une chose sûre, c’est la longue collaboration de l’évêque de Meaux et de La Reynie. Voir à la Bibliothèque nationale les papiers de ce policier, n. a fr. 5250, en particulier F ° 101 & 118.

(2) «Il a été jugé par M. Chéron [l’Official de Paris], sans aucune formalité, dit-on, convaincu d’opiniâtreté, trop attaché aux intérêts du Pape, ne parlant que de Rome, à la censure de qui il soumet ses livres; et condamné à une peine perpétuelle. Il a rappelé au Pape de la sentence; mais le voilà renfermé par provision pour le reste de ses jours» [Nouvelles ecclésiastiques, février 1688, publié par M. Ravaisson, Archives de la Bastille, t. IX, p. 40].

701244

De la forteresse de Lourdes, on le transféra à Vincennes; on tira de lui [nous ne savons par quels moyens] une lettre, du 25 avril 1698, dans laquelle il reconnaissait qu’il y avait eu entre Mme Guyon et lui, “de l’illusion, de l’erreur et du PECHE”, et à cette lettre on donnait pour commentaire des paroles envenimées [1]. Peu de temps après, on faisait comparer en chaire par le P. La Rue Fénelon à Abélard [2], sans se demander si le public n’allait pas pousser la comparaison jusqu’au bout et assimiler Mme Guyon à Héloïse. Enfin Bossuet publiait sa fameuse Relation sur le quiétisme, où il ne craignait pas d’appeler Fénelon le Montan d’une nouvelle Priscille!

Il importe de le remarquer : on avait transféré le P. La Combe du fond de la France à Vincennes dans l’intention de le confronter avec Mme Guyon [3]. Après la lettre du P. La Combe, la confrontation s’imposait, d’autant plus que Mme Guyon niait l’authenticité de cette


(1) On en peut juger par ce qu’écrit à l’archevêque de Paris Mme de Maintenon, que le P. La Combe dit avoir passé quinze nuits» avec Mme Guyon (Lettre du 9 septembre 1698, édit. Lavallée, t. IV, p. 252).

(2) Lettre de Bossuet à La Loubère, du 1er juin 1698.

(3) «Le P. La Combe, directeur de Mme Guyon, est à Vincennes, où on le doit interroger et confronter avec cette Dame. On a sa Déclaration, où il avoue tontes les pratiques de Molinos par inspiration. Il ne reste plus qu’à faire voir la liaison avec M. de Cambrai» (Bossuet à son neveu, 28 avril 1698). «J’espère que les interrogations qu’on fera au P. La Combe et sa confrontation pourront découvrir quelque mystère» (Lettre de l’abbé Phelipeaux à Bossuet, du 27 mai 1698).

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lettre, à moins que son ancien directeur ne fût devenu fou. Et pourtant la confrontation n’eut pas lieu et on continua non seulement à faire état de la lettre, mais encore à retenir captifs le P. La Combe et Mme Guyon : et ce n’est pas le moindre des sujets d’étonnement que présente cette étrange affaire (1).

En quelques lignes hautaines, autorisant les plus odieux soupçons, sans qu’aucun arrêt ou aucun débat contradictoire eût permis d’y donner un fondement juridique, l’auteur de la Relation sur le quiétisme en appelait, sur Mme Guyon et son ancien directeur, au témoignage de l’évêque de Genève. «Ce Père La Combe est l’auteur de l’Analyse condamnée à Rome, et depuis par plusieurs évêques. Les circonstances de sa liaison avec cette femme ont été connues du défunt évêque de Genève de sainte mémoire, Jean d’Aranthon, et l’histoire en est devenue publique dans la vie de ce saint évêque, que le docte et pieux Général des Chartreux a mise au jour. Le temps est venu où Dieu veut que cette union soit entièrement découverte : je n’en dirai rien davantage... (2).»


(1) Le P. La Combe mourut en 1715, âgé de soixante-douze ans [en fait 75 ans NDE] , à l’hôpital de Charenton, où il avait été transporté du château de Vincennes [donc encore emprisonné dans son grand âge, tandis que madame Guyon était sortie de prison en 1703 : différence d’origine, peut-être intervention de ses amies NDE] le 29 juin 1712, parce qu’il était atteint de folie furieuse (V. Ravaisson, Archives de la Bastille, t. IX, p. 99).

(2) Bossuet, Relation sur le quiétisme, section IV, n. 19. L’historien de M. d’Aranthon d’Alex remercia Bossuet de l’honneur qu’il lui faisait de l’associer à son œuvre (Lettre du 11 juillet 1698, dans les Œuvres de Bossuet). Il est intéressant de noter que, vers la même époque (15 août 1698), Dom Le Masson envoyait au frère, aux sœurs et aux neveux de Bossuet un diplôme qui les rendait participants aux prières et aux bonnes œuvres des Chartreux (Ce diplôme se trouve à la Bibliothèque Nationale, Pièces originales, 426). Pareille faveur avait été faite à Bossuet lui-même le 14 août (Bulletin d’hist. ecclés. des diocèses (le Valence, Gap, etc., mai 189o). Cf. Bulletin du Bibliophile, juin-juillet 1910, p. 320.

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Il paraît que le récit du Général des Chartreux fut contesté clans un écrit qu’il qualifie de libelle diffamatoire, imprimé à Genève. «On m’y accusait, dit-il, d’imposture et de calomnie, et on y relevait l’innocence et le mérite du P. La Combe et de la Dame, non seulement jusqu’à condamner le procédé que le roi et les évêques ont si sagement observé contre leurs personnes, mais même on en venait jusqu’à assurer que ces deux personnes seraient mises un jour sur les autels (1).» Ce résumé de l’apologie des deux prisonniers est-il fidèle? Je l’ignore, n’ayant pu découvrir un exemplaire de l’ouvrage. En revanche, j’ai reconnu parmi les manuscrits de la bibliothèque de la Sorbonne (no 802) une apologie du P. La Combe par lui-même.

Peut-être trouvera-t-on quelque intérêt â la lire; il sera du moins équitable de faire une fois entendre la voix d’un accusé sur le compte duquel nous n’avons guère d’autres renseignements que les imputations de ses adversaires. Est-ce à dire que nous entreprenons de justifier le P. La Combe et que nous nous portons garant de la vérité de son plaidoyer? Pas le moins du monde. Nous désirons seulement qu’on fasse la part de l’exagération dans les griefs articulés contre lui, et surtout que le jugement qu’on portera sur lui et sur Mme Guyon ne repose pas uniquement sur le crédit de ses accusateurs.

Charles URBAIN.

(1) (D. Innocent Le Masson), Éclaircissements sur la Vie de Messire Jean d’Aranthon d’Alex, Chambéry, 1699, in-8.

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Réponse à ce qui est dit du Père La Combe et d’une Dame dans la Vie de Mre Jean d’Aranton, évêque de Genève

Un auteur s’expose étrangement au danger de calomnier, quand il écrit sur des mémoires peu fidèles, ou qu’il avance comme certains des faits qui n’ont pour fondement que des bruits confus ou des préventions désavantageuses qu’il faudrait examiner à fond avant que de les débiter au public comme autant de vérités; par une telle précipitation, on ne manque pas de s’attirer la confusion d’être convaincu de faux par les hommes ou déjà bien informés des choses, ou pouvant l’être à la suite; et, ce qui est pis, d’en souffrir la pleine conviction pour jamais au jugement de Dieu.

C’est l’écueil où est malheureusement tombé l’écrivain de la vie du feu évêque de Genève, de sainte mémoire, dans le chapitre 4 du livre 3e de son histoire (2), où il a jugé de faire mon portrait de la manière que tout le monde y peut voir. C’est dommage que le récit de tant de belles actions, si digne de paraître au jour, ait été interrompu et obscurci par ce fâcheux endroit; je dis fâcheux, non pas tant pour moi, à qui Dieu fait la miséricorde de l’en bénir de très bon cœur, le priant de joindre sa grâce à cette humiliation, afin qu’elle me rende véritablement humble, que pour l’historien que cent et cent personnes encore vivantes condamneront sur plusieurs faits dont elles sont témoins, et qui verra lui-même un jour, ne fût-ce qu’à celui de sa mort, combien de faussetés il a reçues et publiées comme des «vérités incontestables et dans une matière aussi diffamante que celle d’erreur et de secte touchant la religion, et de corruption dans les mœurs.

J’ai aussi bonne opinion de la sainteté du vénérable Jean d’Aranton d’Alex, et autant de vénération pour sa mémoire qu’on en puisse guère avoir, fondé bien autant, pour le moins, sur le plan qu’il donne lui-même de son intérieur dans ce qu’il en a écrit, que sur ses rares talents et ses vertus


(1) Lyon, 1697, in-8. Jean d’Arantlion d’Alex fut évêque de Genève, de 166 o à 1695.

(2) Pages 261 et suivantes.

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éclatantes (1). Je suis même bien aise que l’écrivain de la vie d’un si digne prélat m’ait fait servir de marchepied pour rehausser son trône, et qu’il établisse une partie de sa gloire sur les débris de ma réputation; qu’il ait transmis à la postérité mon nom couronné de l’infamie qu’il mérite, remède salutaire pour guérir mon orgueil en le punissant, s’il plaît à Dieu d’y joindre le baume de sa grâce; et qu’il ait joint un tableau si affreux à tant d’autres aventures qui me couvrent d’ignominie. Dieu, qui sonde les cœurs, voit que, par sa miséricorde, le mien est sans aversion et sans aigreur, et que je lui offre d’instantes prières pour le T. R. P. (car quoiqu’il n’ait pas mis son nom à la tête du livre, il a bien voulu qu’on connût qu’il en est l’auteur), qui a cru me devoir si peu épargner, et qui s’est persuadé qu’il rendait service à Dieu en me décriant sans ressource.

S’il avait été bien informé de ce qui s’est passé entre le très illustre prélat et moi et du reste de ma conduite, qu’il prétend rapporter avec une entière assurance, il ne se serait pas mépris jusqu’à avancer autant de faussetés qu’on en peut compter dans le dénombrement que j’en vais faire. Après avoir attesté le jugement de Dieu que je ne dirai rien qui ne soit véritable, je rapporterai ce que j’ai su, vu, touché ou fait, s’agissant de ce qui me regarde, au lieu que mon Censeur n’a pu écrire que ce qu’on lui est allé conter dans sa solitude : ce qui a imposé à sa bonne foi sur plusieurs chefs.

Je ne lui compte pas pour une méprise de m’appeler le directeur de la Dame, parce que tout le monde a eu lieu de le croire sur ce qui en paraissait; cependant la vérité est que je n’en avais guère que le nom. J’étais si prévenu d’estime pour cette personne, et non sans fondement, ayant su sa vie très régulière, et vu dans elle des preuves sensibles d’une rare vertu, avec une connaissance des voies de l’Esprit bien au-dessus de ce que j’en avais compris jusqu’alors, avant que les choses fussent brouillées comme elles l’ont été depuis,


(1) La réputation de sainteté de ce personnage ne doit pas faire oublier la dureté avec laquelle il traita la M. de Chaugy, visitandine, jadis secrétaire de Mme de Chantal, ni la part qu’il prit aux tracasseries auxquelles fut en butte cette vénérable religieuse (Voir Semant, Vie de la Mère M. de Chaugy, Orange, 1839, in-12.)

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que je lui déférais extrêmement, jusques à respecter des pensées que j’aurais dû combattre, si j’eusse suivi les miennes, en bien des rencontres, et consenti à des démarches peu régulières qui ont mal édifié le public, en quoi je reconnais que j’ai eu grand tort. Je devais me servir de l’autorité que me donnait mon caractère, et seconder la confiance que la Dame avait prise en moi.

Ire FAUSSETÉ. – Mais c’est la première et principale fausseté du récit en question, que de dire que j’ai dogmatisé. On sait combien ce terme est odieux en fait de religion, et il faut, pour en remplir le sens, chercher à détacher des âmes de l’Église pour en former une secte, et enseigner une doctrine certainement contraire à la foi catholique. C’est ce que (grâces à Dieu) je n’ai point fait, ni n’ai su que la Dame ait fait tant que j’ai été auprès d’elle. C’est s’y prendre cruellement que de faire passer pour ennemis déclarés de l’Église des personnes qui ne s’en sont jamais séparées, et qui ne cherchent qu’à vivre et mourir dans l’obéissance qu’ils lui doivent. De mon côté, j’en suis sûr; de la part de la Dame, si j’avais su qu’elle ne fût pas soumise, je l’aurais abandonnée dès l’heure même; elle m’a toujours donné des preuves de sa dépendance des supérieurs, de son attachement à l’Église.

J’ai bronché touchant un point dont j’ai fait une confession publique et en même temps un désaveu solennel. Mais, comme je n’ai jamais prétendu en avoir moi-même aucune certitude, loin d’en donner, et que j’ai seulement dit ce que plusieurs en pensaient (ce n’est pas ici le lieu d’en faire une plus ample déduction; j’en ai rendu compte à mes supérieurs), aussi n’y a-t-il pas lieu de croire que cela emporte une séparation de l’Église, malheur que j’ai toujours abhorré. Ma conscience m’en rend témoignage, quoi qu’en pensent les hommes; je n’ai parlé de ce dogme, que je reconnais sincèrement pernicieux, qu’à deux personnes en Italie, et à une seule en toute la Savoie, pendant douze ou treize ans que j’y ai été dans toute la liberté de servir les âmes, et ce ne fut que sur la fin du long séjour que j’y fis; encore fus-je prévenu par ces mêmes personnes, qui en voulurent savoir mon sentiment une fois ou deux en passant, sans quoi je n’en aurais jamais parlé. Je m’en accuse au public comme j’ai fait dans ma confession sacramentale : Dieu sait que je ne mens point.

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Si j’eusse eu dessein d’en parler seulement, je n’en manquais pas d’occasions, ayant eu tant d’emplois pour le service des âmes, deçà et delà les monts. S’il y avait eu en Savoie le désordre que le T. R. P. prétend, il aurait bientôt paru; de telles nouveautés ne demeurent pas longtemps cachées. Dans ces pays-là, on ne m’en a fait aucun reproche; l’évêque dont il a écrit la vie savait à fond tout ce qui se passait dans son diocèse, si jamais évêque l’a su, parce qu’il y donnait une singulière application. Il avoue cependant dans sa lettre pastorale (1) touchant les erreurs et les désordres du temps, qu’il n’en avait pas encore vu, par la grâce de Dieu, des exemples parmi ceux qui professent la foi orthodoxe dans son diocèse (2).

Ce saint prélat a censuré un livre qui a pour titre : Lettre d’un serviteur de Dieu (3). Il est de moi, et n’est pas plus gros qu’un almanach; il traite en substance de la libre oraison d’affection dégagée des méthodes ordinaires (4). Comme quelques-uns ne le goûtèrent pas, je l’envoyai à Paris pour être examiné; deux célèbres docteurs, à qui il fut présenté, n’y trouvèrent à redire que la rudesse du style et l’inégalité des matières : le R. P. de La Motte (5) en peut rendre


(1) Lettre pastorale de Mgr l’Illustrissime et Révérendissime Evèque et Prince de Genève à MM. les Curés de son diocèse, qui contient les précautions qu’ils doivent prendre pour empêcher que les ouailles qui leur sont commises ne donnent dans les égarements du quiétisme (Datée d’Annecy, 4 novembre 687. Réimprimée dans sa Vie, pages 583 et suivantes.)

(2) Page 591 du livre de la Vie du prélat (Note de La Combe).

(3) Lettre d’un serviteur de Dieu à une personne qui aspire à la perfection religieuse. Cet opuscule a été mis à l’Index le 29 novembre 1689. L’exemplaire de la Bibliothèque Nationale est intitulé : Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre screment à la perfection chrétienne. Paris, Warin, s. d., in-32. Imprimé à Grenoble chez Frémont (1686), avec approbation de Rouffié, docteur en théologie et curé de Grenoble, datée du 4 novembre, 1685. D 18245.

(4) Le ms. donne à tort : oraison d’affections dégagées des méthodes ordinaires.

(5) Dominique de La Motte, barnabite, frère de Mme Guyon et prédicateur renommé. Il fut visiteur de son Ordre et mourut en 1704 (Voir le Mercure de novembre 1704).

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témoignage. Le défunt évêque me fit l’honneur de me dire qu’il était convenu avec un théologien de notre Ordre qu’il n’y avait rien dans ce livret qui ne fût soutenable, et qu’entre autres, les maximes qui sont à la fin, étaient fort bonnes; et d’effet, il en souffrit dans le diocèse et jusque dans les monastères pendant sept ans. S’il l’eût cru si mauvais, lui qui avait tant de lumières et tant de zèle, eût-il pu le tolérer si longtemps? Enfin, ayant appris que j’étais emprisonné, il le déclara suspect avec quelques autres dont je parlerai. Il ne condamna point mon Analyse (1), quoiqu’il eût déjà vu la bulle d’Innocent Xl contre les erreurs de Molinos; s’il y en eût remarqué quelqu’une, il ne l’aurait pas épargné. L’Analyse fut imprimée en pays d’Inquisition (2) avec toutes les approbations et permissions requises; ce n’était pas en vouloir faire un livre de cabale. Je n’avance ceci que pour faire voir que je n’avais aucune intention de dogmatiser. Hors de là, j’ai souscrit volontiers à la condamnation du livre dès qu’on l’a exigé de moi.

Pour les autres, que j’aurais dû faire supprimer si j’avais été plus éclairé et plus prudent, quoique je n’en sois pas l’auteur, ou pour la Règle des associés (3), à laquelle j’ai eu quelque part, j’ose protester devant Dieu que mon dessein ne fut jamais d’y insérer ni d’y souffrir rien de contraire à la foi ou aux mœurs catholiques. Ce n’a été que par mon ignorance et par mon inconsidération qu’il s’y est trouvé (le quoi donner lieu à la censure qui en a été faite et à laquelle je me soumets véritablement. Le Moyen court (4) fut imprimé à Grenoble la première fois lorsque j’étais à Verceil, sans que j’y eusse aucune part, et à mon insu. Le Cantique (5) le


(1) Orationis mentalis Analysis, deque variis ejusdem speciebus Judicium. Cet ouvrage a été mis à l’Index le 9 septembre 1688.

(2) A Verceil, en 1686.

(3) La Règle des associés à l’Enfance de Jésus, modèle de perfection pour tous les états fut condamnée à Rome le 29 novembre 1689. Ce livre passe pour l’œuvre de M. de Bernières.

(4) Moyen court et très facile pour l’oraison, que tous peuvent pratiquer très aisément, arriver par là en peu de temps à une haute perfection. Cet opuscule de Mme Guyon fut condamné à Rome le 29 novembre 1689. Il avait été imprimé d’abord à Grenoble, puis à Lyon, en 1686.

(5) Le Cantique des cantiques de Salomon interprété selon le sens mystique et la vraie représentation des états intérieurs, imprimé à Lyon, en 1688.


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fut à Lyon depuis mon emprisonnement. Je méditais la correction de certains endroits, sur ce qu’un docteur de Lyon m’en avait écrit, lorsque je fus arrêté. La Règle des associés, dont j’avais le manuscrit, me fut demandée lorsque j’étais en Piémont. Je fus surpris que peu de temps après on me le montrât imprimé, car on m’avait caché ce dessein.

Tant qu’on est dans les dispositions de simplicité et de soumission, on n’est point dogmatiseur. Il arrive à de grands hommes, même élevés aux plus hautes dignités, que leurs livres soient défendus, sans que pour cela on les prive de leur rang. Tant qu’on vit dans l’obéissance à l’Église, on ne peut sans injustice être traité de partisan de l’erreur; si l’on tombe comme homme fragile, on se relève comme fidèle, en obéissant aux pasteurs qui tendent leurs mains secourables.

Qui a donc pu révéler à cet habile écrivain que j’ai voulu répandre partout la fausse et pernicieuse doctrine du quiétisme? Ou a-t-il pu le lire dans mon cœur? Pour moi, je n’y aperçus jamais un tel dessein : j’eusse plutôt souffert le plus cruel supplice, non une, mais dix et cent fois, que d’arracher une seule âme du sein de l’Église, que Dieu m’a toujours fait la miséricorde d’aimer extrêmement. Quand ces petits livres parurent, Molinos n’était pas encore condamné (1), le quiétisme n’était pas découvert, on ne croyait que suivre les sentiments des spirituels et des mystiques approuvés ou tolérés; des docteurs, des curés, des grands vicaires, des Inquisiteurs avaient approuvé ces petits ouvrages, de grands évêques les souffraient. Depuis qu’ils ont été condamnés, on les abandonne; ce n’est pas vouloir se séparer de l’Église ni chercher à en détacher d’autres. Enfin, pour exposer simplement la vraie situation de mon cœur, c’est que Dieu, mon souverain juge, sait que le crime d’infidélité et de secte n’y eut jamais d’entrée, non adhaesit mihi cor pravum (2). Quand même ce malheur me serait arrivé, de quoi Dieu me veuille préserver pendant que je suis encore en vie, capable de retour, de pénitence, de réparation du scandale


(1) Il le fut seulement le 28 août 1687, par l’Inquisition de Rome.

(2) Psalm C, 4.

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et de toute satisfaction requise, y a-t-il de la justice, pour ne pas parler de la charité, à me dépeindre dans un livre comme un empoisonneur d’âmes, un chef de parti, un égaré sans espérance de conversion? Le livre demeure sans aucun correctif, quoique la grâce de Dieu puisse apporter tout remède à mes maux, même avec plus d’avantage, et me conduire à une heureuse éternité. Cet auteur ayant fait un horrible portrait d’un homme encore vivant, le laisse là pour jamais, comme s’il n’y avait plus de pénitence pour lui, ni d’apparence qu’il voulût y avoir recours. Quiconque lira cet endroit du livre, aura lieu de croire, s’il n’est bien informé d’ailleurs, qu’il n’y en a point eu. Si cela est conforme aux règles de la prudence chrétienne, je le laisse discerner à tout bon juge, pendant que j’ai une ferme espérance que Dieu me fera miséricorde, et que je lui demande tous les jours la conservation et l’accroissement de la douce confiance dont il me console. Ego autem semper sperabo, et ad j iciam super omnem laudem tuam, Deus meus (1).

IIe FAUSSETÉ. – Ce ne fut point moi qui attirai la Dame à Thonon (2); j’aurais, au contraire, souhaité qu’elle fût demeurée dans la maison de la Propagation, qui comptait si fort sur elle, et à laquelle elle avait déjà fait de grands biens. Mais y ayant été six mois et ne voyant point de jour d’entrer dans Genève comme on l’avait espéré, ne sentant point non plus de vocation pour cet institut, elle me déclara qu’elle ne pouvait se résoudre d’y finir ses jours. Pouvais-je l’y contraindre ! Est-ce à l’homme à donner une vocation à qui ne l’a pas? Une mésintelligence qui survint dans la maison acheva de la déterminer. Je consentis donc qu’elle se retirât dans un couvent d’ursulines à Thonon, jusques à ce que Dieu en disposât autrement. Je n’ai pas laissé de sentir une amère douleur quand j’ai réfléchi sur la nature de cette action étrange par elle-même et sur les grands biens temporels et spirituels que la Dame aurait pu faire dans cette communauté naissante.


(1) Psalm. LXX, 14.

(2) D. Le Masson (p. 262) avait dit que le P. La Combe, résidant alors à Thonon, avait attiré dans cette ville Mme Guyon, qui, en quittant. Paris, était allée habiter dans une communauté naissante do la Propagation de la foi, à Gex.

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Je fus aussitôt en faire excuse à l’évêque, qui, me faisant l’honneur de me serrer la main, me dit : «Père, prenez garde; on vous mettra tout dessus, on ne s’en prendra qu’à vous.» Dans ce temps-là, la Dame était déjà sortie de Gex; je n’eus autre chose à répondre à ce grand prélat, sinon qu’il n’était pas en mon pouvoir de donner une vocation qu’elle me protestait n’avoir pas, et que je prévoyais assez que j’aurais beaucoup à souffrir pour ce changement. J’aurais toujours été fort aise qu’elle eût pris le parti d’y retourner, mais je ne crus pas l’y devoir contraindre.

Environ deux ans après, nous essayâmes de renouer (1). N’étant qu’à trois lieues d’Annecy, j’écrivis au prélat, le suppliant de trouver bon que nous eussions l’honneur de l’aller voir et de conférer avec lui il nous fut refusé. On tenta la même chose une autre fois. Un gentilhomme français demeurant auprès de l’évêque de Verceil en écrivit à M. de Montoux, prévôt (2) de la cathédrale, pour sonder le prélat; la réponse fut si ambiguë et si sèche qu’on n’y vit aucun jour. Je laissais à la Dame son entière liberté, ou pour s’en retourner dans son pays, ou pour prendre telle résolution qu’elle verrait à propos; elle n’en disconviendra pas. Sa répugnance était de reprendre chez elle ce qu’elle avait quitté pour Dieu, et ne se sentant point déterminée à un autre genre de vie, elle demeurait ainsi en suspens en attendant ce que la divine providence en ordonnerait.

IIIe FAUSSETÉ. – La Dame m’avait connu sans doute avant qu’elle allât en Savoie. Je l’avais vue en passant par la ville d’où elle est native (3) pour m’en aller en Italie, oit l’obéissance m’appelait. Mais il est faux qu’elle prit le prétexte de demeurer à la Propagation de Gex pour venir s’établir auprès de moi : on l’a cru sans fondement, et ce qu’on en a assuré est un jugement téméraire.

Je vais dire la véritable histoire, après avoir remarqué qu’on s’est aussi trompé quand on a supposé qu’elle avait pour directeur un régulier de la maison de notre Ordre (4) en cette


(1) Avec l’évêque de Genève.

(2) Dans les diocèses de Savoie, on appelle prévôt le doyen du

chapitre.

(3) Montargis.

(4) Les Barnabites.

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même ville. Elle s’y confessait, à la vérité, assez souvent; mais son directeur était M. Bertaud, prêtre séculier assez connu, qui faisait sa résidence et dirigeait dans la célèbre abbaye de Montmartre (1). Le régulier ne sut jamais rien du dessein de la Dame, qu’après que tout le monde en eut vu l’exécution.

Au bout de dix ans depuis notre entrevue, sans avoir reçu qu’une lettre ou deux d’elle pendant que j’étais en Italie, et n’en ayant eu aucune nouvelle depuis cinq ans, elle me manda qu’elle se croyait inspirée de Dieu d’aller à Genève finir ses jours dans le service des pauvres et des nouveaux convertis, me priant de lui en dire ma pensée. Je lui répondis qu’il fallait consulter son directeur sur une affaire de si grande conséquence. Elle le fit; la réponse fut affirmative. Il ajouta qu’il croyait bien que Dieu voulait quelque chose d’elle, et approuva son dessein de se défaire de ses grands biens, en se réservant une pension, pour se dévouer entièrement à Dieu. J’entrai dans la même pensée, non sans admirer jusqu’à l’étonnement une telle résolution qui n’aurait jamais pu me venir dans l’esprit, loin que je la lui eusse inspirée, comme on l’a cru.

On parlait alors si fort de rétablir l’évêque dans Genève avec la liberté de conscience, qu’on n’en doutait presque plus. Comme j’en fis mon compliment, ainsi que tous les autres, à ce digne prélat, il me fit l’honneur de l’écouter avec joie, et de me dire qu’un ministre de la Cour de France lui en avait donné par une lettre de si grandes espérances, qu’il n’avait point feint de l’en féliciter par avance. C’était ce qui flattait la dévotion de cette Dame, son zèle pour la foi et sa charité pour les pauvres tous ceux qui l’ont connue dans sa patrie savent combien elle s’y est distinguée par ces pieux endroits (2).


(1) «Où il est mort le 27 avril 1683» (Note du manuscrit). Bertaud ou Bertot, célèbre directeur. On a imprimé : Le Directeur mystique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de M. de Bernières et directeur de Mme Guyon, Cologne, 1726, 4 vol. in-I2.

(2) D. Le Masson reconnaît (p. 263) qu’aux Ursulines de Thonon, Mme Guyon se conduisit «d’une manière qui paraissait fort exemplaire», et faisait beaucoup de bien aux pauvres.

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Dans ce temps, l’évêque ayant eu lieu de la voir à Paris, la partie fut liée avec lui et avec les Dames de la Propagation qu’on espérait faire entrer dans Genève sitôt qu’elle serait ouverte à la religion catholique. Mais comme bientôt après on ne vit plus de jour à un si grand bien, la Dame voyant sa principale intention frustrée, ne se sentant point appelée à l’institut de la Propagation, s’étonnant de plus qu’on voulût la charger entièrement de la maison de Gex pour en être supérieure, sans avoir fait aucun essai ni serment, ni vœu qui l’engageât à cette congrégation, elle crut devoir s’en retirer. Voilà comment arriva cette séparation.

Ve FAUSSETÉ (1). Il est si peu vrai que nous eussions, comme dit l’auteur, de grandes correspondances avec la religieuse de Dauphiné (2), qu’elle était morte avant que la Dame vînt en Savoie; jamais elle n’avait ouï parler d’elle. Les historiens mal informés débitent ainsi assez de grossiers mensonges pour autant d’importantes vérités. Un frère de la religieuse me donna la nouvelle de sa mort arrivée depuis quelques mois, en passant à Rumilly (3), où j’avais une station, et, au bout de ma carrière, l’évêque me manda d’aller incessamment à Gex voir la Dame, qui devait y arriver au premier jour.

Pour moi, j’ai vu une fois la même religieuse de l’aveu de mon directeur, sur le bruit qui s’était répandu de sa rare piété et de ses profondes connaissances touchant les voies intérieures. Je lui ai écrit, je crois, deux fois en ma vie, et j’en ai eu autant de réponses; voilà tout. Elle a toujours été tenue pour une religieuse fort exemplaire, jusqu’à répandre une odeur de sainteté attestée par des grâces singulières que Dieu lui a faites. On l’a toujours vue très soumise à ses supérieurs. Toute contrefaite qu’elle était de corps, on ne laissa pas de la faire supérieure de son monastère pendant plusieurs années. Dans quelques traverses qu’on lui suscita,


(1) La «quatrième fausseté» manque au manuscrit.

(2) D. Le Masson avait raconté (page 264) que Mme Guyon avait eu des rapports fréquents avec une religieuse quiétiste de Grenoble, qui a laissé des écrits.

[il s’agit de la Mère Bon, voir notice fin de volume NDE]

(3) Rumilly, aujourd’hui chef-lieu de canton de l’arrondissement d’Annecy.


M. l’archevêque de Vienne (1), son diocésain, pria M. de Grenoble (2) de l’examiner; il le fit, et ayant approuvé son esprit et sa conduite, il la rétablit avec avantage. Enfin les Ursulines de Paris ont fait imprimer sa vie, comme d’une personne de qui la mémoire est en vénération. Il n’y a pas lieu de rougir pour l’avoir connue. Pour ce qui est de ses écrits, je ne dois pas en faire ici la discussion; ils sont en certains endroits fort mystiques, c’est assez pour qu’ils ne soient pas du goût de tout le monde, surtout depuis que les temps sont devenus brouillés et suspects comme nous le voyons.

VIe FAUSSETÉ. Il n’est point vrai non plus que nous eussions de grandes communications avec une Dame de Piémont (3). Celle de France (4) n’avait reçu d’elle aucune lettre ni ne la connaissait pas même, jusqu’à ce qu’au bout de douze ans, elle fut pressée par elle, sur ce qui s’en disait d’édifiant, d’aller demeurer chez elle à Turin (5), ayant pour cet effet obtenu en même temps un ordre de notre Père Provincial pour m’y faire aller. Tout cela fut ménagé à notre insu, et je n’en fus pas peu surpris. Tout à coup un autre commandement me vint de la part du Père Général de passer en Piémont pour le service de l’évêque de Verceil (6), comme je dirai ci-après.

VIIe FAUSSETÉ. C’est pure calomnie que d’imputer à la Dame d’avoir débité de mauvaises maximes dans le couvent des Ursulines où elle était logée dans l’appartement des pensionnaires, où elle ne voyait guère que la religieuse qu’on


(1) Henri de Villars, archevêque de Vienne en Dauphiné, de 1662 à 1693.

(2) Le cardinal Ëtienne Le Camus, évêque de Grenoble, de 1671 à 1707.

(3) D. Le Masson, p. 264.

(4) Mme Guyon.

(5) C’est la duchesse de Savoie qui demanda à Mme Guyon de venir s’installer à Turin. Pendant les huit ou neuf mois qu’elle résida dans celte ville, Mme Guyon demeura chez Mme de Pruney, sœur du marquis de Saint-Thomas, secrétaire d’État.

(6) L’évêque de Verceil, de 1679 à 1691, fut Victor Augustin Ripa.

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avait donnée pour maîtresse à sa fille, et quelquefois la Supérieure. Ses livres n’étaient pas encore faits. La plupart du temps, elle était malade. Si on lui demandait quelque avis, ce qui n’arrivait que très rarement, elle répondait suivant les maximes communes. Je savais à fond ce qui s’y passait, par la confiance qu’avaient en moi la Supérieure et la Maîtresse des pensionnaires. Il ne s’y passa rien de suspect, ni qui donnât le moindre sujet de plainte pendant qu’elle y fut; non, bien assurément. L’Évêque qui vint sur les lieux un an après que la Dame s’y était retirée, et qui ne manqua pas de bien sonder toutes choses, y aurait bien remédié; il la laissa comme il l’avait trouvée.

VIIIe FAUSSETÉ. — C’est à faux qu’on accuse la Dame d’avoir fait dans ce monastère un renversement qu’on aurait peine à croire. Je sais de toute humaine certitude qu’elle en est innocente comme un enfant qui est à naître. Elle n’y était plus quand la chose dont on veut parler arriva; elle n’y avait contribué en façon du monde. Une religieuse en avait engagé une autre en quelque extravagance depuis notre départ de Savoie; c’était tout. On m’en manda quelque chose à Verceil, où j’étais depuis quelque temps. Repassant à Thonon deux ans après, on m’y parla assez confidemment de tout; je n’y découvris rien de plus; on ne se plaignit point du tout de la Dame, et on ne l’aurait pu faire avec vérité.

Ici, je cherche la vérité et la prudence d’un écrivain qui publie à toute la terre un accident qu’on n’a pu savoir que par voie de confession ou de direction, c’est-à-dire sous les plus inviolables secrets. Ce qu’on a cru peut-être lui pouvoir confier, n’était pas afin qu’il en fit le sujet d’une honteuse flétrissure pour ce monastère. On n’y lira jamais la Vie du saint évêque, qu’on ne rougisse et frémisse d’y voir cette communauté expressément nommée, couverte d’une telle confusion dans un petit lieu où se connaît tout; tant de filles innocentes sont enveloppées dans le blâme qu’on donne à tout le corps. Cela est capable d’ébranler la confiance qu’elles devaient avoir à leurs Supérieurs.

IXe FAUSSETÉ. — «Le mal se communiquait de telle sorte, continue le T. R. P., que notre évêque fut obligé de prier la Dame de se retirer de son diocèse.» C’est ce qui ne fut jamais.

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On souhaitait, au contraire, qu’elle y demeurât, dans l’espérance que, dès que je serais sorti, elle retournerait à Gex. J’ai admiré la patience et la modération du saint évêque en ce point comme en plusieurs autres; car il se possédait extrêmement. Quoiqu’il fût si peu satisfait de nous à cause de la rupture de Gex, il nous souffrait néanmoins comme si rien n’était arrivé. Il permit que la Dame demeurât près de deux ans dans un monastère qui lui était totalement soumis (1), ce qu’il aurait pu empêcher après qu’elle lui avait manqué dans une affaire de telle conséquence. Là, il lui rendit visite; il agréa que la sœur de la Dame (2), qui l’était venue voir de France, y demeurât un temps considérable auprès d’elle. Enfin on avait si peu fait entendre à la même personne que l’évêque voulait qu’elle sortît du diocèse, qu’elle ne prit la résolution de le faire que sur la lettre de là dame de Piémont dont j’ai parlé ci-dessus et sur ce qu’elle vit que l’on m’envoyait à Verceil. Tout le monde s’attendait à nous voir séparés; moi aussi, qui, grâce à Dieu, m’y résolvais sans peine, niais qui n’eus pas assez de fermeté pour lui refuser de la conduire jusques à Turin, où la Dame l’attendait. Toute la modération que nous y apportâmes fut de prier un de mes confrères, homme d’honneur et de probité (3), de nous accompagner avec la fille de la Dame et sa fille de chambre (4). Voilà comment elle sortit du diocèse, et nullement par la voie que l’on a fait entendre à notre auteur.

Xe FAUSSETÉ. Pour suivre notre histoire mieux qu’il ne fait, en ayant été si mal informé, il faut remarquer que la Dame n’alla point alors à Grenoble s’établir, comme il dit (5). Elle n’y fut qu’environ un an après, ayant passé ce temps à Turin.


(1) Les Ursulines de Thonon.

(2) Cette sœur de Mme Guyon appartenait aux Ursulines de Montargis.

(3) Le P. Alexis Faveras, quarante-cinq ans.

(4) Marie Delavau, connue en différents endroits sous le nom de «Famille».

(5) Vie de Messire d’Aranthon, p. 264 et 265,

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XIe FAUSSETÉ. -- Je ne la suivis pas non plus à Grenoble, ainsi qu’il le suppose, à moins que je ne fusse en deux lieux tout à la fois, puisque je fus envoyé à Verceil.

XIIe FAUSSETÉ. -- Si c’est avoir demeuré longtemps à Grenoble auprès d’elle que d’y avoir séjourné une fois quatre ou cinq jours et, plus d’un an après, encore peu de jours, deux autres religieux de notre Ordre y étant avec moi, le T. R. P. a raison. Mais jamais je n’y demeurai ce qui s’appelle en bon français longtemps, puisque à peine le séjour que j’y ai fait, en trois ou quatre fois que j’y ai été, peut arriver à un mois en tout.

XIIIe FAUSSETÉ. – Il n’est pas non plus vrai que j’ai cherché à répandre «dans Grenoble, la doctrine de l’oraison de quiétude (1)» Je ne m’y mêlai en façon du monde de direction; j’y parlai à très peu de gens, n’y paraissant que comme étranger et en passant. Personne n’a eu lieu de s’y plaindre de moi, et je n’ai point su qu’on en ait formé de plaintes. J’eus l’honneur de faire la révérence à M. de Grenoble deux fois. Il me reçut avec toute honnêteté, sans me témoigner rien d’approchant de ce qu’on a voulu dire (2). L’auteur, pour être si proche de Grenoble, était peu informé de ce qui s’y passait sur mon compte.

Que l’évêque de Genève eût désiré de me voir hors de son diocèse, je n’en doute point; j’avais su de bonne part qu’il avait pressé le R. P. Provincial de m’en retirer. Celui-ci s’en excusa pour lors. Quelque temps après, le P. Général, par un excès d’honnêteté, me proposa si je voulais aller servir l’évêque de Verceil en qualité de son confesseur et d’examinateur pour les besoins de son clergé; je lui répondis que je n’avais point d’autre parti à prendre que celui de l’obéissance. Mon censeur m’impute plus d’une fois des démarches


(1) Ibid., p. 265.

(2) Voici, en effet, ce qu’écrivait l’évêque de Grenoble à M. d’Aranthon d’Alex, le 18 avril 1685 : «Son directeur (de Mme Guyon) me paraît fort sage et fort posé, et je ne doute pas qu’il n’arrête cette attache sensible que cette Darne a pour lui et à laquelle les dévotes sont sujettes si on ne les réprime. Elle a besoin d’être beaucoup humiliée et tenue dans le rabaissement; je ne sais si elle le pourrait supporter, cela lui serait très avantageux» (Lettres du cardinal Le Camus, édit. Ingold, p. 445).

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et des établissements médités de mon chef. Tl se trompe; il ne blesse pas moins la charité que la vérité : depuis longtemps, je ne me remuais que par l’ordre de mes supérieurs. Tout après, je reçus mon obédience pour Verceil. De pénétrer si c’était un jeu joué de concert avec le grand évêque, c’est ce que je n’entreprends pas : il me souvient trop que j’ai pris Dieu à témoin que je n’avancerais rien que de certain. Tout ce que je puis dire, c’est que ce digne prélat n’en voulait pas tant à ma doctrine qu’à ma mauvaise conduite (1), laquelle je ne puis ni ne veux excuser; et que, comme je le plaignais et le justifiais moi-même au sujet de la malheureuse affaire de Gex, je l’aimais véritablement et l’honorais dans mon âme, et rendant justice à son mérite, j’avais un profond respect pour lui, rien n’a été plus humiliant ni plus affligeant pour moi que de m’être vu brouillé avec cet admirable évêque, mon diocésain, de qui j’avais reçu les ordres sacrés, qui m’avait en cent rencontres fait tant d’honnêteté, accordé si obligeamment tout ce que je lui avais demandé, et qui avait eu des égards singuliers pour moi plus qu’indigne de paraître seulement devant lui.

C’est l’un des endroits de ma misérable vie qui m’incommode le plus, jusqu’à m’écraser et m’anéantir quand j’y fais réflexion. Je lui dois cette confession et satisfaction pour tout ce qu’il y a eu de ma faute. Il ne condamnait point les voies intérieures, non pas même les plus mystiques, étant lui-même et savant et intérieur : je sais ce qu’il m’en a dit confidemment et très judicieusement. Il blâmait seulement qu’on voulût les rendre communes, ou aller plus loin que ne fait la grâce, ou qu’on n’y apportât pas assez de discernement, ou qu’on en parlât indiscrètement en public, avec danger de scandaliser les uns et de précipiter les autres. Les abus et les désordres que l’on découvrit depuis l’obligèrent â faire son excellente lettre pastorale sur ces matières.

(A suivre.)

(1) Il ne s’agit pas ici, comme on, pourrait le croire de prime abord, d’inconduite, d’immoralité, mais de démarches inopportunes, ou de la mauvaise direction donnée aux âmes par le P. La Combe.

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UNE APOLOGIE DU P. LA COMBE PAR LUI-MÊME

(suite : Première année. N° 3. Décembre 1910).

XIVe FAUSSETÉ. -- A lire ce qui est dit de la manière dont on prétend que la Dame s’habillait (2), il semble que rien n’est plus vrai. On allègue «des témoins oculaires très dignes de foi», des «auditeurs de l’un et de l’autre sexe et de toutes sortes d’états»; cela convainc et enlève les esprits sans résistance. Cependant rien ne m’a plus l’air d’une insigne fausseté.

J’étais avec cette personne à Lyon, où l’on dit que cela est arrivé. L’historien a ignoré cette circonstance, car il dira plus bas que «sachant qu’elle était à paris, j’allai l’y rejoindre. Nous ne fûmes que peu de jours dans cette ville, où nous passions pour venir ensemble à Paris. Il n’y eut jamais ni auditeurs assemblés ni conférence concertée, excepté une seule que j’eus avec un homme d’épée fort savant, en présence de la Dame et de notre hôtesse seulement. Je suis sût qu’il n’y eut que très peu de personnes qui y vinssent : deux

(2) «On ne parlait que d’oraison, que de mort intérieure et on poussait la mortification jusqu’à la destruction de tout l’humain. Enfin on s’était tellement apprivoisé avec cette Dame, que des témoins oculaires très dignes de foi assurent qu’elle s’habillait en présence de ses auditeurs, de l’un et de l’autre sexe et de toute sorte d’états, ayant la gorge découverte, en disant cependant ces belles choses. Le lecteur ne s’étonnera pas de ce que j’en viens à ce détail : l’affaire a eu trop de suites et est de trop grande importance pour ne pas s’en expliquer plus ouvertement, afin qu’on se garde de semblables pièges» (Vie de Messire Jean d’Aranthon, p. 265).

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ecclésiastiques, dont l’un était frère de la dame chez qui nous logions, deux capucins, deux autres religieux, deux Dames de la Propagation, deux demoiselles qui y vinrent une fois ou deux séparément; voilà tout ce que j’en pourrais compter. Ce n’étaient que des simples visites. La dame qui nous reçut chez elle avait fait un renoncement si parfait à la vie mondaine et était d’une dévotion si exacte et si fervente, qu’elle n’eût jamais souffert une telle immodestie si elle l’eût le moins du monde aperçue. Et pouvait-elle l’ignorer, couchant dans une chambre tout joignant celle de la Dame, et la voyant dès le matin et presque à toute heure de la journée? Ne m’en eût-elle point averti? Ne l’aurait-elle point dit au R. P. de La Motte, frère de la Dame, lequel y logea avec nous en revenant du Chapitre général? Ni sa fille de chambre fort vertueuse, ni personne ne me l’aurait appris durant tout le temps que j’ai été auprès d’elle? Jamais je n’en ouïs parler jusques à la lecture de ce livre.

Ceux qui la connaissent savent qu’elle a un tout autre air. M. l’abbé de La Pérouse (1) l’ayant vue à Paris, quoique fort prévenu contre elle, lui avoua ingénument qu’elle n’avait point la mine d’être celle que l’on disait. Elle a trop d’avantage de naissance, d’éducation, d’honneur et de retenue pour paraître en public avec tant d’indécence, même devant des hommes, comme dit le livre. Ce ne pouvait être que des ecclésiastiques, car il n’en parut pas d’autres. C’est de quoi des prostituées auraient trop de honte. Il ne me paraît pas possible que j’eusse pu l’ignorer, si elle l’avait fait aussi librement et ordinairement comme on l’a supposé. Tant


(1) François de Bertrand de La Pérouse, d’une famille savoyarde alliée à celle de saint François de Sales, étudia à Saint-Sulpice et fut reçu docteur de Paris en 1665. A la Faculté de théologie, il se signala par l’ardeur de ses sentiments ultramontains, qui éclatèrent surtout dans sa tentative et sa mineure ordinaire. Il fut doyen de la collégiale de Chambéry. Après la révocation de l’édit de Nantes, il prêcha en différents diocèses de France. Il mourut en 1695 (Jos. Grandet, Les saints Prêtres français du XVIIe siècle, édit. G. Letourneau, Paris et Angers, 2 vol. in-8, t. I [1897], p. 339; Picot, Essai sur l’influence de la religion en France au XVIIe siècle, Paris, 1824, 2 vol. in-8, t. II, p. 3/12; G. Hermant, Mémoires, éd. Gazier, Paris, 1904-19[o, 6 vol. in-8, t. IV, p. 200 et 383; t. V, p. 4.73 et 474).

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d’autres faits de cette histoire visiblement faux sont des préjugés pour celui-ci. Quant à ceux que l’on prétend s’être passés loin de moi ou à mon insu, je n’en veux rien dire, de peur de blesser mon serment; mais pour celui-là, qu’on veut être certain, quoique, étant sur les lieux et dans le même logis, je n’en aie pas eu le moindre vent, et dont je vois le récit accompagné de fausses circonstances, je puis le rejeter sans crainte.

Je remarquerai ici en passant que ce qu’il relève si fort de la «destruction de tout l’humain», peut avoir un très bon sens, dans lequel le même saint évêque de qui il écrit la vie s’est servi plus d’une fois des mêmes termes dans des avis spirituels rapportés dans le livre.

S’il était nécessaire que l’auteur en vînt jusqu’au détail qu’il fait, j’en laisse le discernement au lecteur judicieux, pendant que je me persuade que plusieurs n’approuveront pas qu’un religieux solitaire entreprenne d’en faire plus que tant de grands prélats que le Saint-Esprit a établis pour gouverner l’Église de Dieu, et que le Saint-Siège même, qui, condamnant les erreurs, laisse à part la vie et les mœurs de ceux qui les ont forgées ou qui les fomentent, comme on l’a vu de nos jours. On peut remarquer dans plusieurs Ordonnances et Instructions pastorales d’évêques zélés pour la foi, pour les mœurs, pour la discipline de l’Église, la modération avec laquelle ils épargnent les personnes. En convainquant leurs égarements et les condamnant comme ils le méritent, ils couvrent du manteau de la charité les misères du prochain, en même temps qu’avec une vigueur apostolique ils prennent la défense de la vérité. L’écrivain de la vie du saint évêque de Genève aurait pu imiter la prudente et charitable retenue qu’il a lui-même gardée dans sa Lettre pastorale, quoique si fort intéressé dans l’histoire de la Dame et de moi. Quoiqu’il y déclare nos livres suspects, il n’y donne néanmoins aucune atteinte au nom ni de l’un ni de l’autre. Son historien a cru devoir prendre une autre route et s’est fait un mérite de ne point nous ménager, sinon quand il dit : «Mais j’arrête ici ma plume » (I), façon de

(1) «On traitait la raison comme devant être morte, puisque, sans cela, on aurait encore eu quelque chose de l’humain. Mais j’arrête ici ma plume. Cependant les effets de ces pernicieuses doctrines font penser que le démon ne pourrait pas trouver de moyen plus subtil et plus malin que celui-ci pour séduire les personnes les plus désireuses du bien» (Vie de Messire d’Aranthon, p. 266).


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parler qui en donne plus à entendre qu’on n’en pourrait dire avec quelque fondement, qui vous ouvre une large entrée à tout jugement téméraire, et qui, comme je crois, ne serait pas autorisée de tout bon casuiste, d’autant plus qu’il parait par les étranges méprises que j’ai rapportées et par celles que j’y vais joindre combien il a été facile à les croire et prompt à les écrire. Des confidences (1) qui se firent à Grenoble, je ne dirai rien, pour ne rien avancer d’incertain, parce que, dans le temps dont il parle, j’étais à Verceil.

XVe FAUSSETÉ. -- — “Le P. La Combe, dit-il, avait été interdit dans le diocèse de Genève” (2). Si c’est être interdit que d’y prêcher et confesser jusqu’au jour que j’en sortis, il a raison. Tout le Chablais, dont Thonon est la capitale, sait que je le fis jusques à la fin. Pour dire tout ce qu’il y eut de changement, c’est qu’au retour d’un voyage que je fis à Rome, je fus remettre aux pieds de l’évêque tous les pouvoirs qu’il m’avait donnés par le passé, le suppliant d’en user comme il lui plairait. Il eut la bonté de me dire qu’il n’exceptait que les religieuses (3), et que, pour les séculiers, il me laissait mes anciennes approbations aussi amples qu’il avait daigné me les donner.


(1) Il faut sans doute ici comprendre : conférences.

(2) Ibid., p. 267.

(3) Cette exception suffit à expliquer le terme équivoque d’interdiction dont s’est servi le P. La Combe dans une lettre à l’évêque de Genève. Le P. Innocent Le Masson rapporte une grande partie de cette lettre, sans en donner la date, et il en abuse un peu pour prouver que le P. La Combe avait été interdit : «Pour mon particulier, Monseigneur, vous avez étendu votre bras sur moi, me frappant d’interdiction, pour quel sujet, vous le savez. Je n’avais changé ni de mœurs ni de doctrine, quoique Mme Guyon eût quitté les Nouvelles catholiques (la maison de la Propagation de la foi, de Gex); et cependant, avant cela, j’étais propre à diriger toutes les communautés, et après je n’ai plus été capable d’en diriger aucune» (Lettre publiée par D. Le Masson dans ses Eclaircissements sur la Vie de Messire J. d’Aranthon d’Alex, Chambéry, 1699, in-12, p. 18 et 29).

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Je prêchai cette année-là le carême et presque tout l’annuel dans l’église paroissiale de Thonon : si cela se peut accorder avec une interdiction, j’étais interdit. Pour ce qui est des religieuses, il ne laissa pas, nonobstant sa défense, de me permettre d’en confesser, de saines et de malades, même de la Visitation et du monastère de Rumilly, dont sa nièce et son élève très chère était supérieure. On comprend assez si cela marque qu’on soit suspect autant qu’on a voulu me dépeindre.

XVIe FAUSSETÉ. «Monseigneur de Grenoble, poursuit-il, lui refusa la permission de prêcher et de confesser dans son diocèse (1).» Qui a pu donner à ce R. P. tant de mensonges si mal conçus? Je n’eus jamais la pensée de demander, ni moi-même, ni par tierce personne, une telle permission. Je le dois bien savoir : quelle apparence qu’un homme qui ne fait que passer dans une ville, s’avise de vouloir y prêcher et confesser? Notre Ordre n’a aucune maison ni dans Grenoble, ni dans tout le diocèse. Un an avant que la Dame vînt en ce pays-là, un frère que j’avais à Montmélian m’avait engagé d’y prêcher un jour pour avoir ensuite le carême. J’en fus demander la permission â Monsieur de Grenoble, qui était alors en visite dans le décanat de Savoie (2). Il me l’accorda avec tant d’honnêteté qu’il aurait voulu y être pour m’entendre. Je n’y prêchai pas cependant, parce qu’A mon arrivée, je trouvai qu’un jésuite m’avait prévenu; c’est là tout ce que j’ai jamais demandé à ce digne prélat, pour un jour seulement.

XVIIe FAUSSETÉ. -- «Cela (continue-t-il) joint à ce que cet illustre prélat avait dit à la Dame sur cette société scandaleuse l’obligea à s’éloigner promptement (3).» Cela qu’il suppose étant chimérique, comme je viens de le montrer, il ne pouvait m’obliger à rien. Il est aussi faux qu’il y ait eu de société scandaleuse à Grenoble, qu’il l’est que j’y aie fait


(1) Vie de Mre d’Aranthon, p. 267.

(2) 11 n’y avait point alors d’archevêché à Chambéry; cette ville et la région voisine relevaient de l’évêque de Grenoble.

(3) Vie de Mre d’Aranthon, p. 267.

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un séjour considérable. Et enfin il ne fallait pas d’antre motif pour m’éloigner promptement de Grenoble, où je ne faisais que passer, que celui d’obéir à mes supérieurs qui m’envoyaient à Verceil. Le T. R. P. me dépeint comme un volontaire et vagabond, qui cherchait à s’établir où l’Ordre n’a point de résidence.

XVIIIe FAUSSETÉ. -- Sur ce pied, il ajoute que j’allai à Verceil, ville de Piémont, où l’on disait que je devais être coadjuteur de l’évêque (1). C’est ce qu’il n’aurait pas dit, s’il eût su qu’on ne fait point de coadjuteur en Italie, et qu’y ayant demeuré plus de trois ans en d’autres temps, et à Bologne, qui en est le centre, et à Rome, la capitale, je pouvais ne pas l’ignorer. Je sais bien aussi qu’une telle prétention n’entra jamais dans mon cœur; c’est du livre de mon censeur que j’en ai appris la nouvelle.

XIXe FAUSSETÉ. -- Il soutient sur ses conjectures que, parce que la Dame alla à Verceil m’y trouver, «la liaison était si grande que l’un ne savait se passer de l’autre». Je puis répondre de mon cœur, qui n’y avait pas même pensé. Elle me manda par une lettre qu’elle songeait à y venir, supposant que l’évêque n’en serait pas fâché. Je lui répondis de ne le pas faire encore, voulant gagner temps et éluder le coup. Elle se trouva partie avant que la lettre arrivât à Grenoble. Surpris autant qu’on le peut être de la voir en Piémont sans que j’eusse eu le moindre vent de son voyage, je n’eus pas le temps de me reconnaître, que l’évêque la prit sous sa protection, la logea chez une baronne, sa nièce, en prit de grands soins et souhaita qu’on fît une fondation de Dames sans vœux et sans clôture à la rigueur, comme il y en a tant en France. Des dames piémontaises y voulaient entrer. On avait choisi Bielle, ville du diocèse, pour y faire cet établissement. L’Évêque fit des avances jusqu’à louer une maison et en payer le premier terme de ses propres deniers. Mais, quand il fut question d’avoir le consentement des parents de la Dame pour lui faire toucher sa pension, ou pour lui compter un fond de 20000 lt dont elle pouvait disposer, on répondit que le Roi n’y consentirait jamais pour une fondation hors du royaume. Ainsi toutes les mesures qu’on avait prises furent inutiles.

(1) Ibid.

XXe FAUSSETÉ. -- On dit, s’il en faut croire l’auteur, «que S. A. R. le duc de Savoie ayant eu des plaintes de leur conduite par l’Inquisiteur, voulut les faire arrêter; mais qu’il se contenta de leur faire dire de se retirer». Il continue d’avancer ce qu’on lui a faussement supposé. Est-il de la prudence d’un homme de son caractère d’écrire ainsi sur des on-dit et d’adopter dans un livre des bruits incertains quoique très diffamants? Je lui déclare sous les yeux de la Vérité même que [dans] tout ce qu’il dit sur cet article, il n’y a rien de véritable.

Ce n’est point le style de l’Inquisition de s’adresser-au Prince quand elle croit les gens suspects en ce qui regarde son tribunal. Elle a tout pouvoir d’arrêter et de saisir sur le champ, aussi bien un régulier que tout autre. Si l’Inquisiteur de Verceil eût vu qu’il y eût lieu, il n’aurait point laissé, ni pour le Prince, ni pour l’Evêque que je servais, de faire son devoir, quand même ces puissances auraient voulu me protéger. L’Inquisiteur, dans ce même temps, permit l’impression de mon livre, après en avoir envoyé le manuscrit à Rome; ce qu’il n’aurait pas fait, s’il eût eu sujet de se plaindre de moi. J’étais en bonne intelligence avec lui et avec son vicaire, aussi bien qu’avec mon évêque. Dans ce même temps, je fus deux fois â Turin, je parus en cour. Deux des principaux ministres me faisaient l’honneur de me voir de bon œil; on m’accorda une charge d’officier de guerre pour un de mes frères. M. l’Archevêque me permettait de voir les religieuses, grâce singulière pour les réguliers en Italie, de prêcher à la Visitation, où l’on prêche assez souvent en français, d’y entendre les confessions extraordinaires. L’évêque que je servais, était neveu du chancelier de la couronne, lequel m’honorait de sa bienveillance; tout cela n’est guère compatible avec ce que le T. R. P. s’est laissé dire et a bien voulu autoriser en l’imprimant, afin qu’on le crût jusques à la fin du monde.

La véritable cause de notre sortie de Piémont fut celle que

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je rapporte ici en toute sincérité. Les parents de la Dame avaient toujours souhaité de la faire revenir; plusieurs tentatives pour cette fin ayant été inutiles par la raison que j’ai dite ci-dessus, qu’elle ne pouvait se résoudre à reprendre ce qu’elle avait quitté pour Dieu, non pas même retourner en sa patrie, ils employèrent les plus puissants moyens. On s’adressa à l’ambassadeur du Roi auprès de Son Altesse Royale de Savoie, afin de faire agir à Rome et de presser le Supérieur général de notre Ordre de me commander d’aller à Paris et d’y conduire la Darne. L’ambassadeur recommanda l’affaire au résident de Savoie auprès de Sa Sainteté. Ils eurent bientôt ce qu’ils souhaitaient. M. l’ambassadeur en ayant reçu le premier la nouvelle, me la manda par un de ses gens exprès à Verceil. Peu de jours après, mon obédience vint du Père Général avec une lettre à l’Evêque pour le supplier de m’accorder un congé. J’étais mieux alors dans l’esprit de mon prélat que je ne l’avais été depuis deux ans que je le servais. Il eut la bonté de me dire que si un tel ordre ne fût venu que de la part de mes supérieurs, il en aurait bien empêché [l’effet], ayant assez de crédit et d’amis en Cour de Rome pour cela; mais que, puisque les ministres des couronnes s’en mêlaient, il ne voulait rien tenter, de peur de n’y pas réussir. Pour moi, je ne songeai qu’à obéir.

Il y avait deux ans qu’on me demandait à Paris. Le P. Provincial m’avait commandé de m’y rendre; je ne le pus, parce que le P. Général m’avait auparavant engagé à l’évêque de Verceil. Il fallut enfin y venir, tout conspirant alors à l’exécution de ce projet. Ce sont là les véritables dénouements de ce voyage et de mon retour en France, après quinze ans, y ayant autrefois demeuré un temps considérable. Dieu ne me reprochera pas d’y être venu dogmatiser ou pour semer rien de mauvais; il sait la droiture de mes intentions, quoi que le monde ait pu penser de contraire à la protestation que j’en fais. Je ne suis venu que pour suivre en obéissant les ordres de la divine providence.

XXIe FAUSSETÉ. -- Notre auteur continue de se tromper dans sa chronologie, quand il dit que la Dame, partie de Verceil, «revint à Grenoble, où elle voulait faire des conférences à des religieuses». Sortant de Verceil, nous allâmes à Paris. Il se méprend aussi dans ce qu’il prétend «qui se passa à Annecy entre l’Evêque et moi, quand cette Dame fut partie de Thonon pour aller à Grenoble»; l’affaire était arrivée un an avant qu’elle partît de Paris pour aller à Gex. Si mal il a été informé des faits qu’il avance comme incontestables! On ne verra guère de récits où il y ait plus de faussetés. La plupart se peuvent convaincre juridiquement, si l’on en venait aux preuves. En voici d’autres bien insignes.

XXIIe FAUSSETÉ. — «Le P. La Combe avait dessein de répandre sa doctrine dans Turin, et il y avait fait quelque séjour, pensant y faire des conquêtes, mais il n’y gagna qu’une Dame, et l’appréhension qu’il eut de l’Inquisition rompit tous ses desseins (1).»

Peut-on avancer tant de choses en l’air ? La justice chrétienne permet-elle d’imputer ainsi au prochain des intentions si criminelles sans fondement? Je n’avais pas alors ce qui peut s’appeler une ombre ou la plus légère idée de tout ce qui a pu m’être imputé ou qui m’est arrivé depuis. Je ne songeais qu’à travailler à ma conversion par les meilleures voies. Comment a-t-on pu connaître un si pernicieux dessein qu’on dit que j’avais, dans un temps où il n’y eut pas la moindre plainte contre moi, ni plus de douze ans après?

XXIIIe FAUSSETÉ. -- C’était l’an 1674, qu’une charge que j’avais dans la religion m’obligeait de résider à Turin. Aucun supérieur, ni séculier ni régulier, ne se plaignit de moi; je vivais presque sans commerce au dehors. La Dame qu’il dit que je gagnai, ne demeurait pas même à Turin : elle en était à deux journées loin avec ses enfants. II y a eu connaissance et amitié spirituelle entre nous; mais jamais je ne l’ai dirigée ni entendue en confession, qu’une seule fois qu’il me souvienne, environ vingt ans après ce temps-là.

XXIVe FAUSSETÉ. -- De craindre l’Inquisition, il n’y en avait sujet. Je revenais de Rome, où j’aurais été bien éclairé et relevé, si j’eusse bronché, y ayant demeuré quinze mois à enseigner la théologie à nos religieux. De tout le temps que je fus à Turin et de neuf ou dix ans après, on n’eut nulle part aucune défiance de ma doctrine, ni de mes mœurs. Laissons à part ce qui m’est arrivé depuis; il est constant


(1) ibid., p. 268.

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que jusqu’alors ma réputation était sans atteinte. Ce n’en était pas une légère preuve que je fusse neuf ans consécutifs en charge dans la religion, même supérieur d’une maison de noviciat et d’étude pendant six ans. Comment les supérieurs majeurs auraient-ils pu ignorer ce qu’a prétendu bien savoir le T. R. P. de mes desseins corrompus et de ma doctrine envenimée dès ce temps-là? Les évêques de Turin, de Genève, de Verceil, d’Aoste, qui m’ont honoré de divers emplois dans leurs diocèses pendant un si long temps, n’ont pu découvrir mon poison, et un solitaire l’a senti du lieu de sa retraite.

J’ai déjà fait remarquer que le feu évêque de Genève m’a laissé prêcher et confesser jusqu’au jour que je sortis de son diocèse. Mon égarement pouvait-il s’être dérobé à son extrême vigilance? Il n’avait donc rien paru jusqu’alors qui lui donnât lieu de me juger digne d’interdiction ou suspect dans ma doctrine. Ce qu’on en a dit n’est donc que l’effet de la téméraire présomption d’avoir lu dans mon cœur. Cette preuve me suffirait quand je n’en aurais pas d’autres. Un pasteur aussi éclairé et aussi zélé qu’était celui de qui notre écrivain fait l’histoire ne pouvait souffrir dans les fonctions sacrées un homme perdu de doctrine et de réputation depuis huit ans, ni l’ignorer si cela eût été vrai. Les provinces entières du Piémont et de la Savoie me sont témoins de ce que j’avance. Je rougirais de rapporter les sentiments avantageux qu’avait de moi le très illustre évêque jusqu’à l’affaire que je raconterai. Et même, un an après, il m’établit directeur de la Communauté de la Propagation à Gex : tant le T. R. P. a ignoré ce qui se passait à mon égard pendant un si long espace de temps!

XXVe FAUSSETÉ. -- Il continue à dire que je «vins ensuite à Thonon, où je fus employé à faire des missions, que je semais secrètement ma doctrine, qui n’était guère différente, dans le fond, de celle de Molinos». Qui sème sa doctrine particulière est un hérétique, car l’Église n’a partout qu’une doctrine répandue unanimement par tous ses différents ouvriers. Si l’on m’a convaincu de ce crime, ou si l’on en a seulement découvert quelque trace pendant huit ou neuf ans que j’ai eu tous les pouvoirs des missionnaires, comment un si grand évêque l’a-t-il pu souffrir? Je reviens à ma preuve démonstrative : comment a-t-il pu m’employer à une mission dans Annecy, où est sa cathédrale, assistant lui-même à tous mes sermons? Que si l’on n’en a eu aucune preuve, d’où l’a pu déterrer celui qui me l’impose si hardiment i Je n’appelle ici que le bon sens pour juge, et pour témoin tout le diocèse, où l’on sait que jusques à mon départ, je continuai dans mes emplois ordinaires, sans que jamais je fusse repris pour mauvaise doctrine ou pour crime, ni par l’Évêque, ni par mes supérieurs. Pour ce qui me peut être arrivé depuis en France, je n’en parle point ici; je suis en état de rendre compte à mes juges; je réponds seulement à ce que l’auteur prétend sans fondement que j’aie fait en Savoie.

Comment donc répandais-je la méchante doctrine de Molinos (avec qui il faut remarquer que je n’eus jamais aucun commerce)? Était-ce en prêchant? on ne s’en est jamais plaint en aucun lieu. Je prêchai un carême devant feu M. d’Aoste, de notre Ordre (1); il eut la patience d’entendre tous mes sermons. Son exactitude était si grande que, dès qu’un prédicateur s’écartait tant soit peu, il le relevait ou l’expliquait en plein auditoire. Grâce à Dieu, il n’eut rien à me reprocher. Je faisais aussi des entretiens sur l’oraison aux Filles de Sainte-Marie (2); on n’y trouva rien à redire. Dix-huit mois après, ayant eu l’honneur de le revoir, il voulut de moi un sermon au même monastère. Je le fis de matières fort intérieures; au sortir de là, il me dit : «Je vous écoutais avec grande attention; si vous eussiez dit quelque chose de travers, je vous allais bien relever.»

C’était donc dans la confession ou dans des conférences que je séduisais les âmes? Cela eût-il pu durer si longtemps lorsqu’on s’en fût aperçu l D’autant plus que, comme il est dit dans la même Vie de l’Évêque, il avait partout des censeurs et des correcteurs, qui, veillant aussi bien sur les réguliers que sur les autres, déterraient tout pour lui en faire leur


(1) Albert Bally ou Bayly, mort au mois d’avril 1691.

(2) Ou Visitandines.

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rapport chaque mois (1). Enfin, quatre ans après ma sortie du diocèse, il déclara lui-même dans sa Lettre pastorale, comme je l’ai déjà remarqué (mais il est nécessaire de le redire ici), qu’il n’avait point encore vu d’exemple de séduction dans son diocèse parmi ceux qui professent la foi orthodoxe; m’accusera-t-on encore de l’avoir reniée ou d’avoir ouvertement apostasié?

Un an seulement avant mon départ du diocèse, sur ce que j’appris que l’on avait semé quelques bruits sourds contre moi, je fus à Rome m’exposer à la censure du P. Général et savoir si on lui avait porté quelque plainte contre moi; il me dit qu’il n’y avait qu’un confrère qui avait écrit quelque chose. La Lettre du serviteur de Dieu y fut examinée. On n’y trouva point d’erreurs; il me blâma seulement de ce que je n’y avais point mis mon nom, comme on le veut absolument en Italie suivant le décret du dernier concile, et de n’en avoir pas demandé l’approbation. Pour marquer qu’on me tenait fort suspect, il me continua supérieur du même lieu de noviciat et d’études di je l’avais déjà été cinq ans.

J’ai déjà dit le jugement que porta sur cette Lettre le très digne évêque que je révère et aime à tel point, que, persuadé de sa gloire, je l’invoque tous les jours dans le secret de mon cœur. Je lui avais donné avis de mon voyage à Rome, afin que, s’il avait quelque chose à me reprocher, il pût le faire pendant que j’y serais auprès de mes supérieurs. Il m’honora d’une réponse dans laquelle il me reprenait de rendre l’oraison de repos ou de contemplation trop commune et de donner trop d’assurances aux âmes que je dirigeais. Il avait raison : je me suis bien reconnu coupable de ces deux manquements. Il parait qu’il était informé de tout à fond; s’il eût découvert quelque chose de pis dans ma direction, sa conscience aurait-elle pu lui permettre de le dissimuler? Ce que son historien m’oppose offense le prélat dont il fait l’éloge.

Dans tout le temps que j’ai été employé aux missions, je prêchais la doctrine de l’Église; je conseillais l’oraison mentale et la vie intérieure selon que je trouvais les cœurs disposés. Les R. R. P. P. de l’Oratoire, qui ont un collège à Runilly, pourraient m’en rendre témoignage, ayant eu la


(1) Vie de Messine J. d’Aranthon, p. 180.

bonté de me loger chez eux pendant deux carêmes consécutifs que y prêchai, et de me permettre de confesser dans leur église. Ils me virent aussi servir à une mission qui se fit un peu après dans la même ville.

XXVIe FAUSSETÉ. — Je n’enseignais pas autre chose à deux ecclésiastiques qui prenaient direction de moi. Le saint évêque les sonda à fond; et bien loin qu’il trouvât en eux rien de mauvais, il les employa tous deux en même temps au service des âmes, l’un dans la ville même de Thonon, l’autre dans une paroisse considérable de la campagne : ce sont des faits connus dans tout le pays. Des religieux que j’avais élevés dans le noviciat pourraient bien avoir confiance en moi. On sait dans la Congrégation quelle a toujours été leur intégrité dans la foi et dans les mœurs, et leur obéissance aux supérieurs; ce qui est bien éloigné du détestable terme de parti dont mon correcteur veut que j’aie rempli le sens, si prompt et si facile il est (pour ne rien dire de plus fort, mais qui ne serait pas moins juste) à condamner aujourd’hui de révolte et de secte un homme qui, dans le temps dont il parle, n’en était point soupçonné, qui n’avait été appelé devant aucun tribunal pour ce fait ni pour autre quelconque, qui n’a point été déclaré tel depuis par tout ce qu’il a eu de supérieurs et de juges, et qui, Dieu aidant, ne le sera jamais, puisqu’il lui fait la miséricorde de préférer sa soumission â l’Église et son union à tous les avantages possibles de ce monde.

XXVIIe FAUSSETÉ. -- Il dit (1) que j’avais «ébranlé tout un monastère de filles». On ne se croira pas obligé d’ajouter foi au témoignage que je rends que ce monastère dont il entend parler a toujours été des plus réguliers et des plus édifiants du diocèse, et que de tout le temps qu’il y a eu quelque direction, il n’y est arrivé ni trouble ni division, ni scandale; outre que je sais dans ma conscience de n’y avoir dit ni fait, soit en secret ou en pleine assemblée, rien de contraire aux lois de l’Église et aux saintes constitutions et maximes de leurs fondateurs. Mais j’ai su d’une personne qui l’avait appris de la bouche même du saint évêque,


(1) Ibid., p. 268.

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qu’ayant lui-même examiné ces filles, et en général et en particulier, il n’y avait trouvé rien de gâté, et que, pour ce sujet, il était sur le point de m’y rétablir comme auparavant, n’eût été qu’un religieux l’en détourna, lui alléguant que, selon toute apparence, dans six mois, je serais tout à fait fou. Depuis ce temps-là, je n’ai pu faire aucun mal à ce monastère, n’y ayant eu aucun commerce, non pas même par une seule lettre. Cela arriva la dernière année de mon séjour en Savoie (1683).

Si le Très R. P. n’eût parlé que comme ce religieux, je n’aurais aucun sujet de m’en plaindre, persuadé que j’ai toujours été fou. Mes extravagantes démarches m’en convainquent tristement; une prison de bientôt douze ans, avec une si complète ignominie, doit bien me l’avoir appris, outre tant de nouvelles épreuves que j’en fais assez souvent. Mais c’est une bizarre espèce de folie qui me laisse faire des sottises manque de sens et qui n’empêche pas que je ne les reconnaisse aussitôt que je les ai faites. La lumière ne me vient qu’après coup. Je fais des faux pas en insensé, et tôt après il faut que je les paye comme si j’étais sage, bien plus sans comparaison pour les cuisants reproches que j’en sens dans mon âme que par les punitions que je me suis attirées du dehors. C’est mon véritable portrait, que personne ne pourrait mieux faire que moi.

J’avais omis l’endroit où l’auteur dit qu’il «passe sous silence pour de bonnes raisons des choses considérables arrivées au voyage que fit la Dame passant à Marseille pour aller en Piémont (1)». J’ai bien su qu’on avait cru comme indubitable que j’avais été à Marseille avec elle, et que l’évêque de cette ville s’était plaint de nous; mais jamais je ne lus à Marseille, ni n’ai mis le pied dans la Provence. J’étais à Verceil (ce fut l’an 1685) quand ce voyage se fit (2). Notre écrivain a lui-même dit ci-dessus que ce fut là que la Dame me vint joindre. J’ai de plus vu de mes yeux une lettre du même évêque en réponse à une que la Dame lui avait écrite sur ce qu’on lui avait donné quelque mauvaise opinion d’elle,


(1) Ibid., p. 267.

(2) Dans son voyage de Grenoble à Marseille, où elle voulait s’embarquer pour l’Italie, Mine Guyon fut accompagnée par M. Lyons, promoteur de l’évêché de Grenoble, et par n autre ecclésiastique de sa connaissance, mais non par le P. La Combe.

où il ne lui reprochait rien du tout, témoignait d’être satisfait et la traitait avec toute sorte d’honnêteté. S’il y a eu quelque autre chose, je ne l’ai point su.

Venons maintenant à ma célèbre aventure, ou, si l’on veut, mon fanatisme avec l’illustre évêque (1). Le T. R. P. l’a si peu sue et la rapporte si mal, que, dans tout ce paragraphe, il n’y a pas deux ou trois lignes de justes en tout point, et outre cela, il contient six faussetés. J’y étais, moi, et non celui qui l’a publiée; j’en vais faire le véritable récit sans m’épargner, et d’un bout à l’autre tout comme l’affaire est arrivée. Aussi cette insigne action mérite d’avoir lieu dans l’histoire.

Une religieuse que je ne pouvais pas croire qui fût facilement trompée, parce qu’elle avait grand intérieur et le témoignage des vertus, me dit que Dieu lui avait fait connaître qu’il voulait que j’allasse dire de sa part quelque chose à l’Évêque. Je dirai plus bas que c’était moi qui ai toujours été trop crédule par la légèreté naturelle de mon esprit et par la prévention que Dieu ne laissait pas tromper facilement les âmes qui agissent de bonne foi et qui ont beaucoup d’oraison. Au lieu de rejeter cela d’abord, j’y déférai simplement. M’étant ensuite jeté devant Dieu auprès du Saint Sacrement, je m’offrais à lui pour l’exécution d’une chose si étrange, aussi bien que pour toute autre qu’il lui plairait d’exiger de moi, quoi qu’il m’en pût arriver, le priant de me faire connaître son dessein et d’agréer ce sacrifice de ma foi et de ma soumission. Je communiquai l’affaire à une religieuse d’un autre monastère, à laquelle Dieu avait fait des grâces particulières dès son bas âge. Elle fut du même avis que la première. En troisième lieu, j’en fis faire instances à Dieu par une ancienne religieuse, sainte fille, en un mot, selon les règles de l’Évangile; je savais à fond toute sa vie. Elle entra dans le même sentiment. C’en était déjà trop pour enlever un cœur faible comme le mien, mais un cœur qui avait conçu tant d’amour pour la volonté de Dieu, par sa pure et très gratuite miséricorde, que j’aurais plutôt voulu m’exposer à tout autre danger qu’à celui de lui rien refuser. Nous fîmes nous quatre une neuvaine, en conjurant tous les jours et presque à toute heure, la divine bonté de nous


(1) Vie de Messire J. d’Aranthon, p. 268 et 269.

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éclairer, au bout de laquelle nous étant trouvés confirmés dans la même pensée, je partis pour l’aller exécuter.

XXVIIIe FAUSSETÉ. -- Ce ne fut donc point pour m’être laissé aller à la ferveur de l’esprit qui me possédait selon le T. R. P. (on sait ce que veulent dire ces termes), que j’entrepris une telle affaire, beaucoup moins espérant d’inspirer à l’1vêque quelque chose de ma doctrine, ainsi qu’il ose le dire comme s’il avait pénétré mon intention. Le dessein n’en vint pas de moi, comme je viens de l’exposer; j’y songeais comme à m’aller faire Turc, lorsque la proposition m’en fut faite. Une ferveur de faux esprit a bien le temps de se dissiper en quinze jours; car, outre la neuvaine, je mis deux jours à aller à Annecy, et là, je fus encore jusques au troisième jour sans avoir audience. Le premier jour, je ne me présentai pas; le second se trouva le jour des dépêches du prélat. Au troisième, fête de la sainte Trinité, je lui parlai. J’eus ainsi le temps de dire trois fois la messe à l’autel de saint François de Sales, mon apôtre : je le priai autant que je pus de m’aider de ses intercessions dans un pas si périlleux. Ce fut là que, faisant mon action de grâces devant sa relique, je conçus ma harangue. Quel fut l’esprit qui l’arrangea dans mon cerveau, je ne le sais pas avec une entière certitude; y réfléchissant depuis, je me suis condamné moi-même de pure illusion.

Le long du chemin, ayant du temps pour rêver là-dessus, et n’étant pas si privé de sens que je ne visse assez le danger que je courais, je me disais à moi-même : Que vas-tu faire? Si le prélat ne te reçoit pas bien, te voilà perdu. Quelle assurance as-tu que Dieu veuille cela de toi? Ces bonnes âmes sur lesquelles tu as compté peuvent s’être trompées et toi aussi. — J’en conviens, me répondais-je; mais, ô mon Dieu, c’est à vous seul que je me fie, persuadé que ne cherchant qu’à faire votre volonté dans ce que j’entreprends, vous m’en détournerez si elle ne s’y trouve pas.

Priant un matin avec instance devant une Notre-Dame-de-Lorette qu’il y a au collège, il me fut mis dans le cœur qu’il fallait que ce jour je sentisse ma faiblesse, et que le lendemain je serais revêtu de force. Là même, je me vis en esprit couvert d’un grand manteau rouge de la façon d’une chape, qui marquât assez bien la confusion qui m’était préparée, quoique je ne le comprisse pas pour lors. Tout ce, four-là, je tremblai de peur comme un scélérat qui s’attend à l’heure de son supplice, sans que cela fût capable de me faire changer ni confier mon dessein à personne, quoique j’eusse là d’intimes amis selon Dieu. Le lendemain, je me sentis tout le jour une fermeté si grande avec une égalité telle que ce que je fis ne rue coAta point et ce que me dit le prélat ne m’intimida nullement.

L’ayant prié d’entrer dans son cabinet, je me jetai à ses pieds pour les baiser; il ne le voulut pas, et, par grande humilité se baissant, il mettait la main sur son pied, afin que je la baisasse et non le soulier. Je lui dis cire je ne lui parlerais point qu’il ne me l’eut permis. 11 se rendit. Je me levai debout et me couvris sottement sans attendre qu’il me le dit, m’étant imaginé qu’il le fallait ainsi pour mieux remplir le personnage que je devais faire. Je l’avais prié de ne me pas interrompre; il m’écouta avec une admirable modération. Voici en substance ce que je lui dis durant l’espace d’un bien court Miserere.

«Monseigneur, je suis envoyé vers vous de la part de Dieu, pour vous faire connaître un défaut subtil et secret qui est en vous et qui lui déplaît : c’est celui de la propre suffisance. Les personnes élevées en dignités et douées de grands talents ont bien de la peine à le reconnaître; il peut néanmoins aller jusqu’à mettre le salut en danger. Il n’y a guère que deux moyens pour en être délivré. L’un est cruel, c’est une chute grossière qui fait ouvrir les yeux à l’âme humiliée pour découvrir sa présomption qui y a donné lieu; l’autre est la révélation divine; c’est le plus doux. Dieu l’a choisi pour vous. On est persuadé qu’il vous aime et qu’il veut vous faire des grâces particulières; on lui a fait d’instantes prières peur votre sanctification.»

Sitôt que j’eus dit, je me jetai de nouveau it genoux. 11 protesta qu’il voulait faire de tout son cœur ce que Dieu exigerait de lui. Je lui dis qu’il ne devait pas s’effrayer pour cela, que j’avais confiance que Dieu lui inspirerait ce qu’il demandait de lui.

J’avoue présentement que si j’eusse connu la grandeur de sa grâce, que M. Vincent (1) reconnut par lumière divine dès

(1) Saint Vincent de Paul.

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le jeune âge du prélat, lui prédisant même ce qu’il devait être un jour, èt que si j’eusse été bien persuadé de sa profonde humilité comme on l’est aujourd’hui, je me serais peut-être bien gardé de lui faire un tel compliment. Il y a apparence que Dieu voulut de lui cette humiliation et pour moi l’ignominie qui m’en devait arriver.

XXIXe FAUSSETÉ. -- Qu’on remarque qu’il est faux que je lui disse nettement qu’il était prédestiné, quoiqu’on soit assez persuadé que je ne me serais pas trompé; mais je n’ai garde de m’en faire honneur aux dépens de la vérité. Je ne lui dis rien non plus de ce qu’on a conté au T. R. P. II n’est pas vrai que je voulusse lui donner d’autres avis ni que je lui aie débité d’autre doctrine.

XXXe FAUSSETÉ. -- Le prélat me demanda si l’on ne le soupçonnait point de mauvaise doctrine. Je lui répondis que non, n’en ayant pas eu le moindre vent depuis tant de temps que j’étais dans le diocèse. Il me dit si je voulais bien lui donner par écrit ce que je lui avais dit de bouche. Monseigneur, lui dis je, si Votre Grandeur me l’ordonne, je le ferai pour lui obéir et par abandon à Dieu. Ce ne fut donc pas une hardiesse qui dît le surprendre, comme l’auteur du récit me le reproche, supposé que le Prélat me crût sincère, je ne pénétrai pas sa pensée, mais la mienne fut celle que je viens de dire, de quelque mauvais biais qu’on ait pris mon action.

Dès le soir du même jour, je lui portai mon écrit conçu dans les mêmes termes, après avoir recommandé la chose à Dieu très instamment. J’y mis cette inscription vraiment hardie, et que je crois même téméraire, ayant agi en tout cela sans certitude, en simple et nue foi et abandon : flaec dicit Deus, et non homo; pour dire que je ne cache pas mon faible dans cette histoire. Il me demanda quel signe j’avais eu pour croire que c’était là la volonté et la parole de Dieu. Monseigneur, lui répondis je, si V. G. n’a rien senti dans l’âme, elle peut croire que cela ne vient pas de Dieu. Mais si vous avez été ému dans votre fond, il y a lieu de croire que c’est lui qui a parlé. Il avoua qu’il avait bien senti quelque chose, ajoutant néanmoins que cela ne suffisait pas pour persuader un fait si surprenant.

Le lendemain au matin, j’eus l’honneur de le voir pour la troisième fois avant que de partir pour m’en retourner au lieu de ma résidence. Ce fut alors qu’il me dit qu’il avait communiqué la chose à des personnnes habiles, de qui le sentiment était qu’il ne devait point y ajouter foi, et que si je suivais de telles routes, il m’interdirait. Je n’eus à lui répondre sinon qu’il ferait tout ce qui lui plairait et que je lui obéirais de bon cœur en tout. Il me laissa cependant tous les mêmes pouvoirs que j’avais; il m’offrit même de me rendre le billet que je lui avais fait, me demandant plus d’une fois si je le voulais. Monseigneur, lui dis-je, V. G. peut en user selon que Dieu l’inspirera. Si elle juge de me le rendre, je le reprendrai, sinon je le laisse à sa disposition; mon unique vue était de marquer â mon Dieu un entier délaissement et d’attendre de la main de sa providence tout ce qui m’en pourrait arriver. Car d’ailleurs je voyais assez combien il m’importait de ravoir ce billet. Je n’avais qu’à prendre au mot le Prélat et y joindre mes prières; il n’eût pu me le refuser après me l’avoir lui-même offert.

XXXIe FAUSSETÉ. -- S’il y avait eu des erreurs dans cet écrit, ou s’il en parut dans mon entretien, comme l’auteur le prétend, j’en laisse juger tout homme équitable et savant sur ce que je viens d’exposer sincèrement. Je ne pouvais m’être mépris que quant au fait., jugeant que le Prélat eût un défaut que je dois croire qu’il n’avait pas, mais quant au dogme où sont ces erreurs Ce grand évêque ne m’en a repris jamais. S’il en eût découvert, n’était-il pas obligé de m’interdire à l’heure même, de me faire éloigner ou mettre en prison ! L’Évêque est juge naturel, légitime, immédiat en ce qui regarde la doctrine; son panégyriste ne prend pas garde que, me noircissant de ce crime, il fait tomber une partie du blâme sur ce saint homme, puisqu’il est constant qu’il ne m’interdit en rien pour lors, non pas même pour les religieuses, qu’il ne me reprocha aucune erreur ni ne m’en fit rien dire par personne.

Un an après, il me sut en mission à Rumilly avec mes confrères; il nous fit l’honneur d’y venir, il entendit nos sermons. Ce libre usage du sacré ministère dura autant de temps que je fus encore dans le diocèse. Je prêchai depuis un second carême à Rumilly, un à Thonon, un à la cité d’Aoste. Je fus employé encore pendant deux ans pour la direction dans des monastères de tilles à Annecy, à Thonont à

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Rumilly, à Seyssel, à Évian. En vérité, un évêque qui aurait une si molle indulgence pour un homme qui lui aurait débité des erreurs en face et les lui aurait même donnés par écrit, s’oublierait furieusement et ferait bien mal l’office de grand pasteur d’un grand troupeau. Et quelle eût été mon extravagance, si, ayant découvert des nouveautés suspectes à publier, j’eusse commencé par les porter à mon évêque et les lui laisser écrites de ma main? C’est un excès de folie où il est malaisé de se précipiter tant qu’il reste encore quelque lueur de bon sens

XXXIIe FAUSSETÉ. -- Notre écrivain a pensé prévenir ces justes reproches quand il a dit : L’Evêque engagea les confrères de cet illuminé de le reléguer hors de son diocèse, en sorte n’y remît jamais les pieds. Je fus si bien relégué dès lors hors du diocèse, et il est si vrai que je n’y remis jamais les pieds, que j’y demeurai encore plus de trois ans dans la charge et dans les fonctions dont j’ai parlé ci-dessus. L’affaire que je viens de raconter arriva l’an 168o, le 16 de juin, et je ne quittai le pays que l’an 1683, au mois d’octobre. On verra encore d’autres preuves de cette méprise qui saute aux yeux dans ce qui me reste à dire. Ce n’est pas un fait secret : tout le diocèse en est témoin et les livres des actes de notre Congrégation en feraient foi.

Comme j’avais dit à l’Évêque que nous étions quatre personnes qui avions eu la même pensée après l’avoir fort rerommandée à Dieu sous un entier secret, sans pourtant lui nommer les autres, de quoi même il eut la discrétion de ne me pas presser, ce fut peut-être ce qui le porta à divulguer lui-même mon action, crainte que, si elle venait à être sue d’ailleurs, cela ne donnât atteinte à sa dignité. Pour moi, je n’avais garde de l’éventer. A peine fus-je parti, qu’on la sut, et comme elle fut bientôt répandue partout, bientôt l’on dit partout, de l’air qu’on a accoutumé dans de telles circonstances : «Le P. La Combe est un illuminé, un visionnaire. Hélas! on l’estimait, il paraissait avec quelque distinction, et aujourd’hui c’en est fait, il est devenu fou, il est perdu.» Chacun en dit ce qu’il lui plaît, et moi, je nie vis couvert d’une assez bonne confusion, grâces au Ciel, pour servir d’emplâtre à mon orgueil et pour le salaire de mon coup d’essai de fanatisme, Aussi depuis en ai-je fait d’autres in — signes. Je n’aurais jamais ni écrit ni raconté tout le détail de cette affaire si ce que le T. R. P. en a voulu écrire ne m’y eût obligé. Encore remets je ce récit entre les sacrées mains de mon illustre prélat pour en disposer comme il verra à propos.

XXXIIIe FAUSSETÉ. – Il n’y a rien de vrai de ce que l’auteur donne pour certain : I° que l’Évêque me dit ces paroles : «Je pourrais à présent vous perdre»; 2 ° que mes confrères vinrent se jeter à ses pieds pour le prier de leur remettre cet écrit; 3 ° qu’il le brûla en leur présence : trois faussetés que je range sous l’article d’une seule. Ce n’est pas qu’il vaille la peine de les séparer : je le vais prouver en bonne forme, outre que quelques-uns des Pères qui composaient alors la communauté du collège d’Annecy, encore vivants, peuvent en déposer.

Mon grand prélat partit, la même semaine, le lendemain de la Fête-Dieu, pour son second voyage de Paris. Je me donnai l’honneur de lui écrire, le suppliant de ne me pas savoir mauvais gré de ce qui était arrivé, puisque je ne l’avais cru faire que pour le bien de son âme et pour obéir à Dieu; qu’au reste, je lui renouvelais très sincèrement les humbles protestations de mes respects et de mes obéissances. Il m’honora d’une réponse, dont la première partie était pleine de sentiments d’humilité, de sagesse et d’une très édifiante piété pour ce qui le regardait lui-même, m’exposant de quelle manière il faisait un saint usage de cette aventure. L’autre partie de la lettre était pour mon compte, y reprenant son rang après s’être abaissé comme particulier. Il m’y donnait de très sages avis pour ma conduite; il m’apprenait qu’il avait communiqué l’affaire à Paris à de très habiles gens, qu’on lui avait répondu qu’il ne fallait pas condamner facilement de telles démarches, mais qu’il fallait s’en défier. Il leur avait montré mon billet sans doute, car il l’avait si bien porté à Paris, qu’il m’assurait dans la même lettre que c’était là qu’il l’avait déchiré pour s’épargner le chagrin de le faire voir à mes supérieurs de Paris. Comment donc pouvait-il l’avoir» brûlé en présence de nos Pères d’Annecy? En faut-il plutôt croire à son historien qu’à lui-même? La précieuse lettre était toute écrite de sa main. Je l’ai gardée plus de

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seize ans. Un ecclésiastique de Tarbes (1) l’a lue, qui en rendrait témoignage. Je la brûlai il n’y a pas bien longtemps. Eût-il plu à Dieu que je l’eusse conservée ! Mes tristes aventures ne me laissent pas prendre les mêmes mesures que si on était en liberté. Voilà comment on se trompe en déférant aux ouï-dire et qu’ensuite on en impose au public, puis on est applaudi comme si on avait dit merveilles.

XXXIVe FAUSSETÉ. -- Ce ne fut donc point de la manière que prétend l’auteur que je sortis du diocèse, ni je n’allai point de là trouver la Dame à Grenoble, puisqu’elle ne vint même à Gex qu’un an après (i68i). L’Evêque, dans ce voyage, eut occasion de la voir et de lier avec elle et avec les autres Dames de la Propagation le dessein de l’établissement; et comme il eut lieu de parler de moi, il eut la bonté de lui dire qu’il voulait renouer avec moi, et qu’elle en serait comme le lien. Et d’effet, elle ne fut pas plus tôt arrivée au pays qu’il me manda de l’aller voir, et m’ordonna de prendre soin de toute la troupe, avec plein pouvoir de les confesser et diriger toutes; comme aussi, de mon côté, aussitôt que je sus le Prélat de retour dans son diocèse, je fus lui rendre tous mes devoirs et protester de mon entière soumission. Tout se passait ensuite en bonne intelligence jusqu’à la rupture de la Dame avec la Communauté de Gex, comme je l’ai raconté.

XXXVe FAUSSETÉ. -- Je ne fus point non plus trouver la Dame à Grenoble en sortant du diocèse, comme il l’a cru, puisque nous allâmes ensemble à Turin, et je ne la suivis point à Paris sachant qu’elle y était, l’y ayant conduite moi-même par ordre de mon Supérieur; ce qui n’arriva que six ans après l’affaire que j’eus avec l’Évêque (2).

XXXVIe FAUSSETÉ. -- Enfin il conclut sa relation par ce cruel endroit : «Ils ont tous deux dogmatisé à Paris et y ont fait ce qui est connu de tout le monde (3).» C’est autoriser tout ce qui s’en est dit en public, dès qu’on s’en tient à ce qu’on


(1) Lourdes, où fut détenu le P. La Combe, est dans le diocèse de Tarbes

(2) Mme Guyon rentra à Paris le 21 juillet 1686.

(3) Vie de Messire d’Aranthon, p. 270.

prétend être connu de tout le monde : procédé qui n’est jamais juste, à moins que les preuves n’en soient et claires et publiques. Rien n’est plus glissant pour précipiter son jugement et sa plume, et par là même porter l’inconsidération et [l’im] prudence jusques à blesser également la vérité, la justice et la charité, comme on peut dire qu’il est arrivé en notre cas.

Comment tout le monde a-t-il su depuis longtemps, comme suppose l’auteur, de qui le livre est de l’an 1697 (1), ce que les juges devant qui nous avons paru tous deux n’ont pu découvrir certainement jusqu’à l’an i 698, qu’ils ont su ce que j’ai bien voulu moi-même déclarer sans y être contraint par les voies juridiques, dans une matière où les moindres excès sont des crimes; quoique c’en fût déjà un assez grand que d’avoir donné lieu de nous en soupçonner par notre peu de conduite (2). Avant ce temps-là, il n’y avait ni conviction ni confession sur quoi on pût appuyer un jugement dans les formes. Des évêques qui ont censuré les erreurs du temps n’avaient cru nous pouvoir encore regarder que comme suspects; aucun ne nous avait condamnés ouvertement. Leur zèle a été accompagné d’une judicieuse modération : toute la condamnation était tombée sur nos livres; pour les personnes, pour soupçonnées qu’elles fussent quant aux mœurs, on n’avait pu avoir encore aucune preuve suffisante pour en juger. Des magistrats qui y ont été employés, les commissaires des prélats, avec leur vigilance et leur exactitude, n’ont pas trouvé de quoi prononcer sur ce chef, et, s’il en faut croire le T. R. P., tout le monde


(1) Le manuscrit donne la date 1687, évidemment fautive.

(2) Encore une fois, il ne s’agit pas d’immoralité, ruais de démarches inconsidérées ou imprudentes. On voit que le P. La Combe se les reproche comme un crime. Voilà ce qui doit servir de règle pour expliquer sa lettre du 25 avril 1698, dont on a tant abusé contre Mme Guyon, et par suite contre Fénelon lui-même; et encore, pour cela, s’en est-on tenu à la première phrase, sans voir qu’elle devait s’interpréter par cc qui suit : «Encore une fois, je vous conjure dans l’amour de Jésus-Christ, que nous ayons recours à l’unique remède de la pénitence, et que, par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l’Église par nos fausses démarches.»

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a connu ce que nous avons fait. Quoi? sinon d’étranges excès, des crimes qu’il suppose de notoriété publique. Parmi une infinité de témoins, il était bien aisé d’en trouver deux : ils ne se trouvèrent pas, depuis bientôt onze ans que je suis prisonnier, et un historien trouve tout le monde pour garant de ce qu’il avance.

Je ne prétends pas passer pour innocent, m’étant déclaré moi-même coupable; mais comme ce n’est que depuis peu, je demande si un historien en a pu savoir plus que mes juges P et quel est cc tout le monde qui a connu ce qu’ils n’ont pu convaincre? Ce n’est pas à moi à suggérer les réflexions qui viennent naturellement sur un tel procédé.

Il excède d’autant plus que c’est dans Paris qu’il nous fait plus criminels que par ailleurs, et c’est où, pendant quinze mois seulement que j’y ai été en liberté, nous avons donné moins de sujet de le croire. Il ne s’est pas trouvé encore deux personnes qui se soient plaintes de mes mœurs ou de m’avoir ouï débiter des maximes séduisantes dans Paris, pour en pouvoir déposer avec certitude. Je n’y ai fait ni semé aucun écrit autre que des sermons auxquels on ne trouva point à redire. Si j’y avais fait autant de mal que mon censeur prétend, on n’aurait pas été onze ans sans en déterrer quelque chose, avec des preuves convaincantes.

J’avoue qu’en province, à l’occasion de quelques voyages non nécessaires, où même il nous est échappé de donner dans des imprudences grossières, sans que toutefois il ait rien paru d’immodeste (1), on a lieu de nous soupçonner, mais non de nous convaincre; beaucoup moins à Paris, où, vivant séparés et fort éloignés l’un de l’autre, nous gardions beaucoup plus de mesures. Et à ouïr dire le T. R. P., c’est â Paris où nous avons fait des monstres et des meurtres, en un mot ce que tout le monde a connu.

S’il veut adopter tout ce qui s’est dit dans le monde sur mon compte, il n’y a guère de crimes qu’il ne me doive imputer, car je n’ai pas été épargné (que mon Dieu et mon Sauveur veuille en tirer sa gloire en m’accordant la grâce de le bien souffrir pour son amour!) jusques à être accusé de


(1) Preuve nouvelle que les aveux de La Combe n’ont pas porté sur des actes d’immoralité dont Mme Guyon eût été la complice.


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faire la fausse monnaie, d’être enchanteur, magicien. On m’a attribué les plus exécrables blasphèmes, on m’a fait auteur des erreurs de Molinos, on a voulu que je les eusse apportées d’Italie et semées à Paris, où jamais je n’en eus seulement une copie. Le cardinal Cibo les avait marquées en premier lieu dans sa lettre circulaire aux évêques, avant même que je vinsse en France. On m’a fait élève et partisan de Molinos, avec qui je n’eus jamais de commerce, ne l’ayant pas même voulu voir quand je fus à Rome au temps qu’il était encore en grande réputation. Enfin on me tient encore pour fauteur de diverses erreurs en fait d’oraison et de contemplation, contre lesquelles je me suis toujours déclaré et de vive voix et par écrit quand je l’ai pu.

Dès que le manteau de la réputation d’un homme commence à se découdre ou à être déchiré, chacun se croit en droit d’en emporter sa pièce, et aussi bientôt il n’en reste plus rien; plusieurs même s’en prennent ensuite à la peau et en arrachent des morceaux sans pitié, et c’est ce qu’il faut remettre au jugement de Dieu, où tout sera mis en parfaite évidence pour jamais.

C’est là que j’ai confiance que cet écrit confronté avec celui que je viens de réfuter soutiendra l’éclat et la force de l’éternelle vérité, parce que je n’y ai rien avancé que de véritable autant qu’humainement on peut en être certain. Que deviendra donc celui de son adversaire?

On aura peine à m’en croire. Comment un si grand personnage, dira-t-on, a-t-il pu écrire tant de faussetés, trente-six, en une assez courte relation, en lui faisant grâce encore de deux ou trois. Hélas! tout homme est menteur, et particulièrement en ce sens que, sans le vouloir même, il débite des mensonges par trop de crédulité et de promptitude (1).


(1) Le P. La Combe n’est pas le seul à faire peu de cas de l’autorité historique de D. Le Masson. À propos d’une controverse que le général des Chartreux soutint contre l’abbé de Rancé, le savant abbé Goujet écrit : «Jamais homme ne fut plus crédule que ce bon Général, et plus facile à adopter tout ce qu’on lui disait au désavantage de ceux qu’il croyait avoir raison de ne point aimer. Sa Vie de M. d’Aranthon d’Alex, en particulier, est pleine de pareils traits» (Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIIe siècle, Paris, 1736, 3 vol. in-8, t. 1, p. 462.) Ce jugement est de tout point conforme à celui de l’abbé de La Bletterie, de l’Académie des Inscriptions, dans ses Lettres à un ami au sujet de la Relation du quiétisme (1733).

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Des gens dignes de foi ne laissent pas d’être trompés; étant trompés, ils en trompent d’autres aussi dignes de foi, et la tromperie transmise de l’un â l’autre devient d’autant plus difficile à découvrir que plus de personnes graves se sont laissé surprendre. Dans mon fait, sachant les choses d’original, je vois clairement combien l’on s’y est mépris, et je ne puis que dire avec l’Apôtre que je dois me déclarer pour la vérité, loin de l’abandonner : la vérité est toujours la plus forte, elle subsistera éternellement.

Que si cet écrit venait à être vu de cc personnage vraiment grand et par son rang et par son mérite, et qu’il trouvât que j’eusse tant soit peu rais le pied hors du respect que je lui dois, qu’il soit persuadé que, me jetant à ses pieds, je lui en demande très humblement pardon. Je n’ai pu appeler les choses que par leur nom, sans avoir la moindre pensée de m’écarter de mon devoir. Pour ce qui est de la charité chrétienne, bien loin que je veuille la blesser, j’en sens au contraire un doux redoublement pour cet habile écrivain qui a fait mon tableau d’une manière qui m’est plus utile que s’il m’avait donné de grandes louanges. Seulement je le prie, et toute autre personne aussi qui pourrait lire cet écrit après le sien, de ne me pas croire aussi corrompu et rebelle à la vérité comme il m’a dépeint, puisque je déclare et proteste devant mon Seigneur et mon Dieu, Jésus-Christ, mon souverain Juge, que je suis par sa grâce catholique romain, que je n’ai jamais eu dessein de me séparer de l’Église, ni d’en détacher personne, que je désire être tel jusqu’à mon dernier soupir, et que, pour les excès que je puis avoir commis soit en fait de dogme, soit touchant les mœurs, il n’est point de jugement, de peines, de correction que je n’accepte de tout néon cœur de la part de tout prélat ou supérieur à qui il appartient de me juger, aimant mieux que l’on m’impute tout autre crime due celui de manquer de soumission à l’Église, épouse de Jésus-Christ et notre aimable mère.






Dernière trace

RAPPORT DE M. D’ARGENSON SUR LE PERE LACOMBE. 1715?

Le P. de la Combe, barnabite, âgé de soixante-douze ans, est entré à l’hôpital de Charenton le 29 juin 1712, par lettre de cachet expédiée par Mgr le C[omte] de Pontchartrain, du 18 du même mois.

Il a été transféré du château de Vincennes en cette maison. La détention de madame Guyon a été la principale cause de son malheur. Sa raison avait paru alternativement altérée et rétablie, ce qui avait fait soupçonner, avec assez d’apparence, qu’il y avait dans sa folie plus d’affectation que de vérité. Cependant, lorsqu’il a été tiré de Vincennes, il y avait plus d’un an que l’alternative de son extravagance continuait sans interruption; d’ailleurs il ne mangeait presque point, et il se fâchait quand on lui présentait d’autres aliments que des légumes, des fruits et du poisson, dont il n’usait que fort rarement; il excommuniait, il damnait tous ceux qui l’approchaient, il parlait sans ordre et sans suite, quoique d’ailleurs sa santé parût très bonne. Ainsi, ses désordres passés ou présents n’ayant pas permis de le rendre libre, ni de l’exposer aux yeux du public pour l’honneur de son institut, ni pour l’intérêt de la religion qu’il a scandalisée en tant de manières, le roi a bien voulu qu’il passât dans cet hôpital, où il paraît encore plus extravagant qu’à Vincennes. Il dit que les prêtres l’ont diffamé, que ceux qui approchent de lui ont dessein de le séduire, que sainte Marie Égyptienne était une garce, que saint François de Paule était un corrupteur de femmes et saint François d’Assise un sorcier, que madame Guyon est une véritable sainte, mais que la plupart des autres saints sont damnés, qu’il dit toutes ces choses de la part de Dieu, et que c’est le Saint-Esprit qui les lui a révélées.

En 1713. Sa folie est toujours la même et paraît se tourner en imbécillité : il dit pourtant encore que tous les prêtres sont des femmes, et il ajoute que Constantinople n’est qu’à trois lieues d’ici. Ainsi l’on n’a pu faire aucun usage de la décision qu’il plut à M. de Pontchartrain, qui fut qu’il fallait tâcher de le convertir, le dérangement de son esprit le rendant incapable de repentir et de correction.

Il est mort à Charenton, sans se reconnaître ni vouloir se confesser, et lorsque le prêtre s’approchait de lui, il le repoussait avec de grands cris, en disant que c’était une femme. En l’année 1715 1.

– Ravaisson, Archives de la Bastille, t. IX, p. 98-99.


1. [nous ne résistons pas à citer cette note de Ravaisson, digne de son siècle :] «Les principaux acteurs de cette triste comédie quittèrent la scène de ce monde presque en même temps : Fénelon était mort dès 1712 [en 1715], et madame Guyon, vieille et infirme, traîna jusqu’en 1717. Certes nous n’avons pas cherché à atténuer la gravité de leurs erreurs, mais il est impossible de ne pas estimer que le châtiment fut excessif, surtout à l’égard du P. de la Combe, ce pauvre moine qui resta vingt-huit années en prison pour avoir appliqué dans toute leur rigueur les pieuses rêveries de sainte Thérèse et de saint François de Sales.»




Madame Guyon se souvient

Lettre 406 1245. Au baron de Metternich.

[…]

Rien n’égale ma pauvreté :

Je m’y complais, Seigneur, content de tes richesses.

Possède seul l’honneur, les biens, la sainteté :

Je ne veux rien pour moi que mes faiblesses.

Ô mon Dieu, disait un grand serviteur de Dieu, plutôt pécheur que superbe13. La faiblesse est le partage de l’homme : combien lui est-il quelquefois avantageux d’être faible! Mais l’orgueil est l’apanage du diable. Le diable a soin de faire paraître ses assujettis sans aucun défaut, quoique leur cœur soit diabolique; mais Dieu couvre les siens de défauts apparents, quoique leur cœur soit plein d’innocence et qu’il soit le trône de la majesté de Dieu.


13 Brève Instruction du P. Lacombe, dans les Opuscules spirituels tome II, p. 518 : «Ô Seigneur, s’il se pouvait faire, plutôt mourir grand pécheur que superbe





Témoignages de Dupuy

34. De Dupuy au marquis de Fénelon. 8 février 1733.

Le 8 février 1733.

J’ai à répondre à deux de vos lettres, mon cher marquis  : je le ferai du mieux qu’il me sera possible, et autant que la mémoire me le pourra fournir après tant d’années. […]

Pour ce que vous me demandez de la lettre à M. de Tarbes7, j’ai bien ouï dire qu’il y en avait eu une en même temps que celle qu’on attribue8 du P. Lacombe à Mme Guyon; mais je ne l’ai jamais vue. Il y a bien de l’apparence, si elle existe, qu’elle vient de la même boutique que la dernière, qui est certainement très fausse, non seulement par le style, qui ne ressemble en rien à celui du P. Lacombe, mais par le caractère de l’écriture, dont Mme Guyon reconnut la fausseté dans le moment qu’on la lui montra, car elle était fort mal contrefaite; mais parce qu’il n’était pas possible que ce père eût pu lui écrire une pareille lettre, elle en ayant plusieurs de lui en original qui font voir l’idée qu’il avait de sa vertu, de sa piété, de son amour pour la croix et pour les souffrances, et des grands desseins de Dieu sur son âme par la grandeur de ces mêmes souffrances. La même bouche ne souffle point le froid et le chaud avec cet excès en même temps : aussi en fut-elle si peu effrayée, quand on lui montra cette lettre, qu’elle répondit sans chaleur à M. l’archevêque de Paris et au curé de Saint-Sulpice de ce temps-là, qu’il fallait, si la lettre était du P. Lacombe, ou qu’il fût devenu fou, ou qu’on la lui eût fait écrire à force de tourments9. Elle ne voulut pas parler de la fausseté, qui lui sauta d’abord aux yeux, par l’espérance d’une procédure juridique où elle espérait de la faire connaître telle qu’elle était; et elle se contenta de leur dire qu’elle les priait de le lui confronter, et qu’elle était bien sûre qu’il désavouerait cette lettre. En effet, c’était le droit du jeu que d’en venir à une confrontation; mais on était bien éloigné de la faire. Il y a lieu de croire, ou que ces deux messieurs étaient trompés les premiers à cette lettre prétendue qu’ils produisaient, ou que, s’ils la connaissaient pour ce qu’elle était, ils voulurent voir ce qu’elle produirait, supposé que l’impression qu’on leur avait donnée de l’un et de l’autre eût quelque fondement, ce qu’ils auraient pu découvrir par une première surprise. Quoi qu’il en soit, cette lettre à M. de Tarbes, du même temps que l’autre, ne peut venir que du même endroit. Une autre réflexion qui me vient en écrivant ceci, c’est que le P. Lacombe, à qui la tête tourna vers ces temps-là, par l’excès des souffrances d’une si longue prison sans aucun commerce, et par les tourments qu’on lui fit pour en tirer quelque chose contre Mme Guyon, aurait bien pu succomber à la persécution et écrire ce qu’on lui aurait dicté : mais la lettre est fausse de tout point, et soit fausseté ou folie, l’on n’a jamais osé la confronter. […]


7Lettre du 9 janvier 1698, qui ne présente pas de faits objectivement condamnables, mais le père, soumis à une forte pression et probablement dépressif, s’accuse volontiers «d’illusion» et même d’être «tombé dans des misères et des excès de la nature.» Éditée dans notre vol. II : Combats.

35. De Dupuy au marquis de Fénelon. 4 mars 1733.

Le 4 mars 1733.

Je commence cette lettre, mon cher marquis, que je ne prétends finir qu’à plusieurs reprises, ,, ,car je suis fort faible, relevant à peine d’un rhume fâcheux avec de la fièvre, que les trois quarts de Paris essuient [...] 1

Je vous envoie plusieurs copies de lettres que j’ai trouvées chez le fils du Tuteur2, qui vous donneront des éclaircissements sur plusieurs questions que vous me faites au sujet du libelle3 dont vous me parlez. Je vous ai déjà envoyé copie de celles du cardinal Le Camus [...] 4

Il m’est encore tombé trois lettres du P. Lacombe, dont je vous envoie les copies à telle fin que de raison : vous jugerez, par le tout, si cet homme si décrié méritait l’horrible persécution qu’il a soufferte, et celle que souffre encore sa mémoire par toutes les horreurs qui sont répandues dans le libelle en question, sans qu’on lui ait jamais dit plus haut que son nom, qu’il ait subi aucun interrogatoire que sur son Analyse approuvée à Rome par l’Inquisition, qu’il y ait eu autre information, nul corps de délit, ni de confrontation. Dieu soit béni! Il sait pourquoi Il permet le mal qu’on fait à Ses serviteurs, et ce qu’Il leur prépare dans l’autre monde. Je ne puis que je ne vous marque mon indignation contre la malignité de ces faiseurs de libelles. Il semble que l’enfer soit déchaîné. Dieu surtout.

Je vous embrasse, mon cher marquis, de tout mon cœur. Ce que vous me dites de la santé de Mme de Fénelon me donne de l’inquiétude pour elle et pour vous. Je vous embrasse de tout mon cœur.


– Lettre 669 du tome septième de la Correspondance de Fénelon de 1829, tome onzième, p.81 ss.


1 Nous nous limitons à quelques extraits de cette lettre.

2 Le duc de Chaulnes, fils du duc de Chevreuse.

3 La Relation de l’abbé Phelippeaux.

4 Suit un commentaire des copies de la lettre de Madame Guyon à Mme de Beauvilliers avec la lettre fausse de Lacombe, de trois lettres de Lacombe, de la protestation du 15 avril 95 etc.



ETUDE [en cours] :

Choix orienté vers une lecture « spirituelle »

Cette étude annoncée ici en est au stade préliminaire où nous avons rassemblé un choix de matériaux à élaborer :

Madame Guyon sous-estime ce qui arrivera au P. Lacombe :

36. [DE MADAME GUYON] AU PERE LACOMBE 1683.

[…] Il n’y a rien à espérer de moi ni par moi, du moins de longtemps. Mon sort est l’ignominie et l’infamie, et le délaissement le plus étrange. Ô vous [P. Lacombe en état mystique de lumière] qui êtes soutenu de lumières, vous avez un lieu de refuge; vous n’êtes pas à plaindre quand vous seriez réduit à une prison perpétuelle! Mais pour moi, Dieu ne veut pas que je retourne encore chez nous, pour me rendre vagabonde, la plus délaissée et abandonnée qui fut jamais, et décriée partout. Ô Dieu, les renards ont des tanières1246, mais je n’aurai point de refuge! Ceci vous paraîtra une imagination, mais quoique je n’en sache pas le temps, cela arrivera très assurément, et alors vous vous souviendrez que je vous l’ai dit. 1683.

Union éclaircie et complète en Dieu. Lacombe perd ses lumières : « À mesure que vous perdrez toute distinction pour Dieu, vous perdrez toute distinction pour les âmes perdues en Lui, non par oubli comme des autres créatures, mais par intimité. » :

37. [DE MADAME GUYON] AU PERE LACOMBE. 28 février (?) 1683.

Le songe «scandaleux» de la lune sous les pieds. Prévision de persécutions qui ne détruiront pas l’union spirituelle.

Ce 28 février 16831247.

Il me semble que jusqu’ici l’union qui est entre nous avait été couverte de beaucoup de nuages, mais à présent, cela est tellement éclairci que je ne peux plus vous distinguer ni de Dieu ni de moi; et la même impuissance que j’éprouve depuis longtemps de me tourner vers Dieu à cause de l’immobilité, je l’éprouve un peu à votre égard, quoique imparfaitement, quoique d’unemanière si pure, si insensible, si paisible, si profonde, que cela ne se peut dire. Ma fièvre s’opiniâtre étrangement, comment va la vôtre? Il me vient dans l’esprit que, lorsque votre anéantissement sera consommé en degré conforme par la nouvelle vie, [f ° 38v °] vous ne sentirez plus rien, ni ne distinguerez plus rien, et comme Dieu ne Se distingue plus dans l’unité parfaite, aussi les âmes consommées en unité en Lui ne se distinguent plus : celle des âmes unies à Dieu ne se distinguent guère, quoique l’intimité du dedans opère une correspondance autant pure que divine. À mesure que vous perdrez toute distinction pour Dieu, vous perdrez toute distinction pour les âmes perdues en Lui, non par oubli comme des autres créatures, mais par intimité. Dieu a voulu vous la faire sentir dans les commencements, afin que vous n’en puissiez douter; et vous la connaîtrez dans la suite par la croix. / Il y aura quantité de croix qui nous seront communes; mais vous remarquerez qu’elles nous uniront davantage en Dieu par une fermeté invariable à soutenir toutes sortes de maux. [… ]

Fragilité ressentie par le P. Lacombe :

38. DU PERE LACOMBE À MADAME GUYON. 1683.

Je comprends fort bien que c’est pour cela que Dieu vous a adressée à moi, afin que mes imprudences et la pauvreté de ma conduite contribuent à vous détruire terriblement1248, vous enfonçant d’autant plus dans la boue que plus je croirai vous en tirer. Mais je suis sûr que je ne vous tromperai jamais, car tout vous étant devenu Dieu, mes tromperies mêmes vous seraient Dieu, et une âme abandonnée au point que vous l’êtes ne peut rencontrer, quelque part qu’elle tombe, que Dieu et Son ordre. Je porte une profonde frayeur de tout ceci, et si j’osais demander quelque chose à Dieu, je Le prierais de ne pas permettre que je vous manque jamais. Offrez-moi à Lui sans réserve. Je vous sacrifie de bon cœur à Sa gloire. Ce serait grand dommage si le fond de grâce qu’Il a mis en vous était épargné. 1683

– Troisième lettre éditée à la fin de la Vie, «Addition de quelques lettres…», avec le résumé suivant de Poiret : «Il lui prédit les terribles croix et les délaissements tant de l’extérieur que de l’intérieur qui lui sont effectivement arrivés.»

Prise de risque excessive par manque total de modération et de prudence :

39. DU PERE LACOMBE A D’ARENTHON d’ALEX. Juin 1685.

[…] Si vous saviez les pertes inestimables qui se font dans votre diocèse, pour ne pas permettre qu’on y cultive l’esprit intérieur, et le compte formidable qu’il vous faudra rendre à Celui qui a mérité ce trésor par la perte de Son sang, vous en trembleriez de frayeur. Dieu, par un excès de Sa bonté, avait envoyé dans votre diocèse des personnes qui pouvaient enseigner les voies les plus pures de l’esprit, entre autres celle qu’il avait ôtée à la France pour la donner à notre pauvre Savoie, capable sans doute d’embaumer tous nos monastères de l’amour de Dieu le plus épuré, bien loin de les gâter, et on ne les a pas voulu souffrir. Eh bien, ils en sortent. Ce Royaume intérieur sera porté à des gens qui l’accepteront. […]

A la décharge de Lacombe dans la suite de la même lettre :

Pour mon particulier, Monseigneur, vous avez étendu votre bras sur moi, me frappant d’interdiction; pour quel sujet? Vous le savez, je n’avais changé ni de mœurs ni de doctrine, quoique Madame Guyon eût quitté les Nouvelles Catholiques, et cependant avant cela, j’étais propre à diriger toutes les communautés, et après je n’ai plus été capable d’en diriger aucune. […]

Ce qui provoque la réaction suivante très compréhensible de l’évêque :

40 1249. DE JEAN D’ARENTHON D’ALEX A N. 29 Juin 1683.

... Elle donne un tour à ma disposition à son égard, qui est sans fondement. Je l’estime infiniment et par-dessus le père de Lacombe; mais je ne puis approuver qu’elle veuille rendre son esprit universel […] Je n’ai que ce grief contre elle; à cela près, je l’estime et je l’honore au-delà de l’imaginable

«LETTRE D’UN SERVITEUR DE DIEU, CONTENANT UNE BREVE INSTRUCTION POUR TENDRE SUREMENT A LA PERFECTION CHRETIENNE»

§ I. De la Conversion parfaite.

[…] Mon fils, donnez-moi votre cœur; et que vos yeux s’attachent à mes voies1250. Le Saint-Esprit nous ouvre par ce peu de paroles l’entrée et le progrès de la vie spirituelle. L’entrée se trouve heureusement en donnant le cœur à Dieu. Le progrès s’avance en tenant les yeux attachés à ses voies.

Nous donnons notre cœur à Dieu par la résignation que nous faisons de notre liberté. Nous tenons nos yeux attachés à ses voies, premièrement par l’oraison qui nous donne la lumière nécessaire pour la découvrir, et la grâce qui nous y doit faire marcher sûrement. Deuxièmement par l’amour de la volonté de Dieu, qui nous fait soumettre d’un plein consentement à ses ordres éternels sur nous.

Voilà la clé du paradis intérieur : voilà l’abrégé [448] de la vie spirituelle, que je dois vous expliquer avec un peu plus d’étendue.

§ II. De la Donation du cœur à Dieu.

Commencez donc par donner votre cœur à Dieu, afin qu’il le rende lui-même tel qu’il le veut, et faites cette donation en cette manière.

[…] Marquez ce jour de votre donation à Dieu et de votre vocation à la grande Oraison, comme [450] l’un des plus heureux de votre vie, et ne manquez pas d’en faire chaque année fête secrète, mais célèbre aux yeux de Dieu et de ses Anges, dans le temple de votre cœur.

[…] Dieu nous a tellement donné en propre le franc arbitre qu’il ne le force jamais et il nous laisse conduire par ce propre mobile tant que nous voulons le tenir. Mais nous en le retenant, [452] nous en abusons à tout coup, ou résistant aux grâces que Dieu nous offre, ou perdant celles que nous avions reçues, ou par une infinité de méprises; prenant le change de notre volonté pour la sienne. Il n’y a donc rien de plus sûr que de lui rendre votre liberté puisque nous faisons en cela ce qui lui est le plus agréable et ce qui nous est le plus avantageux. Il n’y a pas de meilleur moyen de réussir dans l’entreprise de notre perfection que d’engager Dieu à y travailler en nous, avec nous et pour nous : et nous ne pouvons mieux l’y engager, qu’en lui résignant notre liberté, tant parce que c’est elle seule qui lui résiste, et que cette résistance propriétaire étant ôtée il règne sur nous avec un parfait agrément, ce qui fait toute notre perfection.[…]

§ III. Excellence de cette donation.

[…] Il n’y a, pour ainsi dire, qu’une chose à faire pour devenir saint, qui est, de se donner à Dieu, consentir qu’il le fasse, et être fidèle à le laisser faire. C’est par où il entreprend lui-même une âme qu’il veut sanctifier. «J’environne l’homme, dit-il par Sainte Catherine de Gênes1251, par diverses voies et différents moyens pour l’assujettir à ma providence; et ne trouvant rien en lui qui me soit contraire, sinon le franc arbitre que je lui ai donné, je combats [454] sans cesse contre cette même liberté par l’excès de mon amour, jusqu’à ce qu’il me la donne et m’en fasse un sacrifice et depuis que je l’ai reçue et acceptée, je réforme peu à peu cet homme par une opération secrète et inconnue et avec un soin amoureux, ne l’abandonnant jamais jusqu’à ce que je l’aie conduit à la fin que je lui ait destinée.

[…] Prenons la chose dans sa source : cherchons d’abord le règne de Jésus en nous. Où son amour entrera, les vices et les imperfections s’anéantiront; ainsi que toutes les branches d’un arbre tombent tout à coup par terre quand on le coupe par la racine, sans qu’il soit besoin de les retrancher toutes l’une après l’autre. Or c’est l’amour qui coupe en nous le mauvais arbre, bannissant le péché avec tous ses restes;

[…] Plusieurs passent longues années et consument leur vie à amasser des matériaux, de la pourpre, du lin, de l’or et des pierreries, sans jamais en venir jusqu’à la construction du tabernacle intérieur qui doit servir à Dieu de demeure, et être le lieu de ses délices. Ils s’obstinent même dans cette perte, parce qu’ils veulent toujours tenir tout entre leurs mains, au lieu de s’en fier pleinement à Dieu.

[…] C’est dans ce grand sens que Dieu nous demande notre cœur, comme s’il nous disait : mon fils, si vous voulez purifier votre cœur et le perfectionner, confiez-le moi, afin que je le fasse moi-même, non pourtant sans vous : autrement vous vous tourmenterez beaucoup et vous n’avancerez guère; car votre cœur sera toujours [456] impur et imparfait tant que vous voudrez le polir et épurer par vous-même, quand même je vous offrirais de très grandes grâces pour vous aider dans votre dessein; par ce que, ou vous les refuseriez pour suivre votre propre conduite; ou vous en abuseriez même après les avoir reçues, voulant en disposer vous-même au lieu de vous laisser régir par leur divin mouvement. Outre que vous ne sauriez assez distinguer mes inspirations de vos propres volontés sans une très pure lumière et un goût expérimental, que je ne donne qu’à ceux qui s’abandonnent parfaitement à moi.

Grande clarté d’esprit de Lacombe :

§ IV. Deux règles principales de la vie spirituelle. I. Se soumettre à la volonté de Dieu. II. Faire oraison.

Il est hors de doute que la perfection chrétienne consiste à être uni à Dieu et à jouir de lui; d’où il est clair1252 que pour arriver à ce bonheur il faut tendre de toutes nos forces à cette union et à cette jouissance. Or cette union se fait par la soumission de l’âme à la volonté de Dieu; et cette jouissance s’établit par l’oraison.

Toute la vie spirituelle se réduit donc à ces deux grands points, qui sont comme les deux pôles sur lesquels roule le firmament d’infinies vertues et de toutes les saintes pratiques. I. Faire l’oraison mentale. II. Aimer la volonté de Dieu.

L’oraison doit être notre principal exercice; et la volonté de Dieu notre unique prétention. [457] Par l’oraison on découvre la volonté de Dieu et on reçoit grâce pour l’aimer; par l’amour de la volonté de Dieu on avance de plus en plus dans l’oraison et on se repose en Dieu. L’oraison est la nourriture et le principal exercice de la vie spirituelle; l’amour de la volonté de Dieu en est l’âme et le centre.[…]

§V. Du sujet de l’oraison.

Si un seul sujet vous arrête, en sorte que votre âme s’en trouvant nourrie, soutenue et doucement occupée, ait peine à le quitter pour en prendre un autre, ne le changez pas pour quelque prétexte que ce soit, quand même cet attrait vous durerait des mois et des années. C’est une grande méprise de croire qu’il faille changer de discours et de langage autant de fois que l’on veut parler à Dieu. L’église nous enseigne bien le contraire par les mêmes prières qu’elle nous fait répéter tous les jours, et même plusieurs fois chaque jour. Le vénérable Père Grégoire Lopez, célèbre solitaire des Indes, et un des plus grands contemplatifs que l’on ait connu, fit durant trois ans cette seule prière : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel Amen, Jésus! Et après cela il fut élevé à la plus sublime contemplation. […] Lorsqu’on se sent arrêter à un point, c’est signe que Dieu en a fait pour l’âme une source de grâce; et il ne faut pas le changer jusqu’à ce que cet attrait soit passé. Dieu ne veut pas de tous une même sorte d’oraison.

Du pas à pas pour les débuts :

§X. 2. De la présence de Dieu.

L’exercice de la présence de Dieu est une attention amoureuse à Dieu présent. Dieu, dit saint Denis, est toujours présent à toutes choses; mais toutes choses ne lui sont pas toujours présentes. Il est toujours présent à nous par son immensité, mais nous ne lui sommes proprement présents que lorsque nous pensons à lui. Or il ne suffirait pas d’y penser seulement, si ce n’était avec religion et avec amour : car les philosophes y pensent sèchement pour en discuter, et les méchants y pensent criminellement pour lui insulter. […]

§XI. 3. De l’intention.

[…] Mais pour arriver plutôt à la perfection, il faut se dégager de tout propre intérêt, et par un amour généreux outrepasser tout ce qui nous regarde pour n’avoir en vue que Dieu seul; Dieu et son bon plaisir, et son amour et sa gloire. Au lieu de vous fatiguer à multiplier vos intentions, il faut au plus tôt vous accoutumer à celle-là qui est la moins embarrassante, et néanmoins la plus parfaite.

C’est là l’intention des intentions; c’est la charité généreuse; c’est la pureté de l’amour. Tout motif intéressé est imparfait, puisque l’on s’y cherche soi-même; et que l’on donne par là une sensualité à la nature, et un morceau délicat à l’amour propre. […]

§ XVII. De l’amour de la volonté de Dieu.

Abandonnez-vous donc à Dieu par une entière résignation, consentant qu’il fasse en vous et de vous, tant pour le corps que pour l’âme, pour la santé ou pour la maladie, pour la vie ou pour la mort, pour le temps et pour l’éternité, ce qui lui sera le plus agréable et le plus glorieux. Pour rien au monde ne vous laissez jamais tirer de cette disposition; mais dites constamment dans tout ce qui vous peut arriver : Il est le Seigneur, qu’il fasse tout ce qui est agréable à ses yeux1253.

Adorez et aimez la justice de Dieu autant que sa miséricorde, vous soumettant aussi librement à l’une comme l’autre, puisque l’une et l’autre est également une même chose avec Dieu; et ne désirez rien plus sinon que Dieu se contente et se glorifie en vous et en toutes ses créatures à quelque condition que ce soit : parce que tout être créé doit être sacrifié à l’ordre du Créateur; et comme c’est le plus juste, c’est aussi le plus grand culte que sa créature lui puisse rendre, que de consentir à sa destruction totale pour reconnaître en périssant la souveraineté immortelle de son Dieu. […]

§ XXIII. Maximes importantes, pour acquérir la perfection.

[…] Ces cinq exercices nous doivent être chers et familiers, comme les cinq doigts de la main.

Premièrement. La présence de Dieu.

Deuxièmement. L’oraison.

Troisièmement. Les aspirations.

Quatrièmement. La mortification.

Cinquièmement. La lecture spirituelle. […]

§ XXIV. Maximes particulières, envers Dieu.

[…] Donnez-vous, et redonnez-vous sans cesse, et abandonnez-vous infiniment à Dieu; afin qu’il fasse de vous ce qu’il lui plaira.

Consultez Dieu intérieurement avant vos réponses; résolutions, et entreprises de quelque conséquence, lui faisant une courte prière pour apprendre ses volontés1254 .

Vivez intérieurement avec Dieu, comme s’il n’y avait que lui et vous dans le monde. […]

§ XXV. Maximes particulières, envers le prochain.

Aimez cordialement votre prochain, le considérant comme l’ouvrage, comme les délices, et comme l’image de Dieu.

Louez peu les autres, mais blâmez-les encore moins.

Ne dites jamais du mal d’autrui, ni du bien de vous-même, sinon pour quelque nécessité ou évidente utilité.

Ne contredisez à personne; et ne contestez point sur des choses indifférentes. Cédez à tout le monde et vous remporterez toujours la victoire.

Ne portez point de jugement sur ce dont vous n’êtes point certain : délaissez toutes choses au jugement de Dieu.

Vivez détaché de tous par une sainte liberté, pour rendre à Dieu la souveraine préférence que vous lui devez. Vivez uni à tous par la charité, pour témoigner à Dieu le parfait amour que vous lui portez. […]

§XXVI. Maximes particulières pour vous-mêmes.

[…] Fuyez comme du poison toute singularité dans l’extérieur, vous comportant comme les autres en tout ce qui n’est pas contre le devoir; mais dans votre cœur, soyez tout singulier en l’amour de Jésus.

Entrer dans une si grande défiance de vous-même que vous en désespériez entièrement, étant convaincu devant Dieu par la vérité, que vous n’êtes bon à autre chose qu’à l’offenser et vous damner; mais en même temps relevez votre courage par une vive confiance en Dieu, espérant constamment qu’il fera en vous1255, et vous fera faire avec lui par sa grâce, ce que vous ne sauriez faire par tous vos efforts. Celui-là est tout-puissant qui se défie entièrement de soi-même pour se confier uniquement à Dieu.

Soyez intérieurs; car le royaume de Dieu est au-dedans de nous; et toute la gloire de la fille du roi vient du dedans d’elle1256.

Mais qu’est-ce que cette vie intérieure? C’est ce que Dieu vous fera éprouver si vous vous donnez à lui; c’est le recueillement des sens et des puissances de l’âme autour de leur centre; l’attention à Dieu présent; une conversation familière avec lui; une exacte fidélité à toutes les pratiques les plus intérieures; c’est en un mot, vivre avec Dieu en Dieu même : rien ne nous étant plus intérieur que lui, c’est le laisser régner sur nous et régner avec lui sur toutes choses. […]

MAXIMES SPIRITUELLES (– 1720)

2. Dans le commencement de la vie spirituelle, la plus grande patience est de supporter le prochain; mais dans le progrès la plus grande patience est de se supporter soi-même; et enfin la plus grande patience est de supporter Dieu.

Excessif comme lui-même :

23. Il ne faut pas que la raison prétende comprendre les pertes les plus extrêmes; parce qu’elles sont ordonnées pour nous faire perdre la raison.

41. Il y a des Saints qui sont sanctifiés par la pratique aisée et forte de toutes les vertus; et il y a des Saints qui sont élevés à une sainteté par une privation des vertus supportée avec une parfaite résignation.

Voies de la Vérité à la Vie

I. Ce que c’est que l’oraison et ses trois espèces.

L’oraison mentale est une application religieuse à Dieu, qui s’opère dans le cœur par le silence des lèvres. C’est ainsi que selon le sentiment des Pères, ayant fermé la porte, nous prions Dieu notre Père dans le cabinet, pendant que dans un profond silence et sans le secours des lèvres, nous présentons devant le scrutateur des cœurs, et offrons à Dieu seul nos demandes et nos supplications. […]

VIII. Il ne faut pas les employer indistinctement ni se tenir strictement à une espèce.

[…] Quoique d’après l’ordre naturel il faille commencer par la méditation, continuer par les affections, et enfin s’arrêter à la contemplation; conformément à ce qu’ont dit avec vérité les Saints Pères; qu’on ne peut parvenir autrement au genre le plus sublime de l’oraison, qu’en s’élevant insensiblement et par ordre selon ces divers degrés; il faut excepter toutefois un ordre particulier de Dieu, qui fait commencer quelques-uns par les affections, d’autres mêmes par la contemplation. Car on a observé sagement 1257 que le Seigneur avait assez souvent mis tout de suite dès le commencement de sa conversion, quelques personnes dans l’oraison d’affection, sans les faire passer par la méditation et le raisonnement, et qu’alors il fallait bien se garder de s’arrêter à la méditation, mais les pousser dans l’oraison affective. Quiconque aura parcouru le sanctuaire de l’intérieur reconnaîtra facilement la vérité de cette exception à l’aide du discernement sacré. Il sera même assuré que des enfants âgés seulement de quatre ans; que de pauvres gens du peuple et des paysans ont reçu, même dès le commencement, un don éminent de contemplation et de contemplation passive. […]

Neuf. Quelques conditions requises de la part de Dieu, et de la part de l’homme.

[…] un des plus grands obstacles à l’oraison, surtout quand elle est avancée, c’est une sorte de dureté et d’attache à son propre esprit, qui l’assujettit à certaines règles, le lie de chaînes, ou l’occupe de vains scrupules, lui imposant des pratiques d’obligation, ou l’engageant à se les imposer à lui-même, afin qu’il ne puisse s’élever librement à Dieu, ou qu’il se resserre par des actes multipliés, singuliers, imaginaires, ou sensibles, dans lesquels il s’entortille et se fatigue, de manière qu’il ne puisse point s’unir à Dieu, qui est très simple, très tranquille et très unissant. Assurément pour que deux choses auparavant très discordantes puissent s’unir, il faut qu’il s’établisse entre elles une sorte de ressemblance et de proportion; car comment pourrait-on unir autrement le mobile avec immobile, l’agitation avec le repos, le multiplié avec l’unité, le composé avec le simple, l’impur avec le pur, le contraire avec son contraire? C’est la raison pour [28] laquelle afin que notre esprit soit admis à la divine union, il faut qu’insensiblement, il ramène et rassemble toutes ses fins, à une unique fin, tous ses desseins à un unique dessein, toutes ces vues à une unique vue; enfin toute sa multiplicité, sa sollicitude, quelque pieuse qu’elle soit sur plusieurs choses, à la seule nécessaire; autrement il ne parviendra jamais à la fin qui lui est destinée; puisqu’il prendra le chemin tout contraire, comme l’a admirablement bien dit un des plus grands mystiques après les Apôtres, Denis l’Aréopagite. «Jésus lui-même concentre, réunit et perfectionne dans la vie unitive et divine nos mouvements divers et inconstants par l’amour des choses honnêtes, dirigé, et nous portant en lui.»

Merveilleuses paroles! Plus cette vie est unissante, plus elle est divine, et la vie de Jésus manifestée à nos cœurs nous élève autant à la divinité qu’elle nous met dans l’unité; d’où il arrive, que dans la proportion où quelqu’un est séparé de la communion à la vie divine, il l’est aussi de l’unité de l’Esprit.

C’est aussi le sentiment des anciens Pères que nous ne parviendrons à cette divine unité, que lorsque tout amour, tout désir, toute inclination, tout effort, toute pensée, tout ce que nous voyons, tout ce que nous disons, tout ce que nous espérons sera Dieu, et que cette unité qui est du Père avec le Fils, et du Fils avec le Père, aura été transfusé dans notre sens et dans notre esprit. […]

XII. Il faut enfin écouter Dieu en silence.

Il dérive de tout ce que nous venons de dire, que nous ne devons pas beaucoup parler ou toujours parler en la présence de Dieu, mais qu’il faut quelquefois ce taire par ses ordres, afin d’entendre ce qu’il daigne dire en nous. […]

XIII. Explication des divers noms qu’on donne à la contemplation.

[…] On l’appelle aussi souvent oraison de la présence de Dieu, de quiétude, de repos, de paix, d’assoupissement et de sommeil, par la raison que sa naissance consiste dans une grande tranquillité, et qu’ayant trouvé son bien-aimé et le souverain bien, son âme dort à tout le reste, pendant que son cœur veille à celui seul sur lequel elle a fixé toutes les forces son esprit; c’est ce que dit saint Bernard1258, expert en ces matières : «Un Dieu tranquille rend tout tranquille, et le regarder en repos c’est être en quiétude, et ce n’est pas oisiveté de vaquer ainsi à Dieu, puisqu’il nous l’ordonne lui-même1259; cessez et reconnaissez que je suis Dieu». C’est là le faîte de la contemplation, d’éloigner et de réprimer tout bruit externe ou interne pour vaquer à Dieu seul. De cette manière nous demeurons en repos avec une action perpétuelle, nous sommes continuellement en quiétude et nous espérons, ce qui est vivre sans travail. […]

XIV. Pourquoi on l’appelle Mystique, ou ténébreuse ou inconnue.

Enfin, elle est appelée ou oraison, ou théologie, ou sagesse mystique, parce que le plus souvent elle est cachée et fort occulte, même à ceux qui la possèdent, parce que plus elle est pure, plus elle est ignorée; car comme le dit cet excellent Docteur mystique1260 cette véritable lumière et connaissance des choses est inconnue assurément à ceux qui la possèdent, c’est-à-dire celle qui est appelée ignorance par rapport à Dieu, et les ténèbres qui la surpassent et qui sont couvertes de toute la lumière et qui échappe à toute science. L’ignorance d’un si grand don part de trois causes, outre que Dieu, par un effet de sa souveraine miséricorde, l’a ainsi ordonné pour que l’humilité serve de rempart à la contemplation.

Premièrement, la théologie mystique s’exerce par des actes directs et fort simples, d’où il arrive que pendant qu’il ne se replient point sur eux et sur leur principe, mais qu’ils tendent droit à l’incompréhensible, ils n’aperçoivent ni eux-mêmes ni celui qui opère; comme la lumière dans un air très pur, qui n’arrête point la vue, ne trouvant point de corps qui la borne, n’est point sensible, ce qui a donné lieu à cette maxime des anciens Pères, qui nous a été laissé par saint Antoine1261 : l’oraison n’est pas parfaite, quand le solitaire s’aperçoit encore qu’il prie, ou ce qu’il prie.

En second lieu, parce que l’acte de la pure contemplation est entièrement dégagé de toutes formes, images, fantômes, espèces sensibles ou intelligibles, comme distinctes et aperçues; ce qui n’est certainement pas la fiction des commençants, comme l’avancent les ignorants; mais un axiome indubitable de tous les anciens, tiré premièrement de l’Ecriture elle-même, comme lorsque Moïse dit au peuple : Le Seigneur vous a parlé du milieu du feu, vous avez entendu le son de ses paroles, mais vous n’avez pas vu son visage1262; c’est-à-dire lorsque Dieu dans cette [44] vie mortelle parle à ses serviteurs du milieu du feu très pur de son amour et de son rayon mystique; (ce qui est ranimer l’esprit par l’attouchement de son excellent principe, ou par l’écoulement de sa sagesse) elle paraît n’avoir aucune forme, mais tout se passe sous l’épaisse nuée de la nudité de la foi; à quoi se rapporte ce qui est dit dans le livre des Nombres1263 : Il n’y a point d’idole en Jacob, et on ne voit point de simulacre en Israël. Le Seigneur son Dieu est avec lui, et le chant de triomphe pour la victoire de son roi est en lui. C’est-à-dire, dans ce courageux contemplatif, désigné ici par Jacob, il n’y a ni idole, ni simulacre; parce que son Seigneur Dieu est avec lui; par conséquent n’y figure ni forme de Dieu, Dieu seul, mais seulement un certain simulacre ou représentation1264. Et Saint-Augustin expose cette vérité incontestable : tout ce qui se présente de tel, dit-il, aux spirituels qui pensent à Dieu, tout ce qui se présente de sensible sous une forme corporelle, ils le rejettent et le repoussent comme des mouches incommodes, ils l’éloignent de leurs yeux intérieurs, et ils acquiescent à la simple lumière, par le témoignage et le jugement que laquelle regardant ces images corporelles de leurs yeux internes, ils se convainquent de leur fausseté. Que peut-on dire de plus clair. Là même au témoignage d’un autre père1265; ce cœur est pur qui présente à Dieu sa mémoire vide de toute forme et de toute espèce, prêt à recevoir tous les rayons du Soleil lui-même, qui peut l’éclairer : le poète Prudence a bien dit : «Le Dieu éternel est une chose inestimable; il n’est renfermé ni dans la pensée ni dans la vue. Il surpasse toute la conception de l’esprit humain, il ne peut tomber sous nos sens, il remplit tout en nous et hors de nous, et il se répand encore au-delà.»

C’était une chose incontestable parmi les anciens Pères du désert. La plus pure qualité de l’oraison, disaient-ils, est celle qui non seulement ne se forme aucune image de la divinité, et qui dans sa supplication ne lui donne aucune figure corporelle (ce qu’on ne peut faire sans crime), mais qui même ne reçoit dans son esprit aucun souvenir de parole, ni aucune espèce d’action ou forme de quelque caractère.

[…] Et pour rendre la chose encore plus sensible, je vais employer une comparaison rebattue. Tout ce qui est contenu dans un vase est certainement moins grand que ce vase et plus ce qui est contenu dans quelque chose par là même ne peut pas contenir ce qui le contient. De même lorsque nous distinguons, examinons, comprenons notre oraison, quelque sublime qu’elle nous paraisse, elle est cependant peu avancée, faible, bornée et imparfaite, et pour parler vrai, à peine dégagé des langes du berceau, puisque tout ce qui est contenu dans notre cœur est moins grand que notre cœur. […]

XVI. Il y a une contemplation infuse et passive, et comment l’esprit peut y être disposé.

De tout ce que nous venons de dire, il suit évidemment, par le témoignage et l’expérience d’un nombre presque infini de saints, et d’après le consentement unanime des Docteurs et le suffrage de l’Église, qu’il existe une contemplation infuse et passive, que Dieu accorde, par un privilège spécial, à qui il lui plaît.

Par cette contemplation l’homme pâtit les choses divines, il est plutôt mû de Dieu qu’il ne se meut lui-même; car immédiatement après que l’Esprit du Seigneur s’est emparé de quelqu’un, il est changé en un autre homme, accordant à l’opération divine un consentement aussi simple que paisible, et cependant l’amour du Créateur se joue en lui selon son bon plaisir, et fait ce dont, celui qui opère, a seul l’intelligence. Il en est de ce genre, dans l’Église, un plus grand nombre qu’on ne pense communément; ce don sublime ne consistant pas seulement dans l’Eglise dans les signes merveilleux qui frappent les yeux des mortels; mais bien plus dans la déiformité de l’esprit, dans le plus intime de l’homme, qui le plus souvent, sous l’apparence d’une [54] pauvreté méprisée, mène une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu. […]

XXIV. Quelques traits remarquables sur l’une et l’autre contemplation, leurs caractères, leurs avantages. Que toutes ces choses sont fondées sur le renoncement à soi-même, sur la croix et sur l’amour.

Quelqu’un peut-être désirera pour acquérir une connaissance plus complète de ces deux espèces de contemplations, que je trace avec plus de détail ce qui peut [74] les éclaircir, et que je marque en même temps la différence qu’il y a entre les deux; je m’y prêterai, quelque incapable que j’en sois, et je dirais en peu de paroles ce qui est entièrement ineffable.

Les marques de la contemplation active sont le recueillement intérieur des sens et des facultés de l’esprit, le silence, le repos et la simplicité du cœur, le regard tranquille des choses divines, la cessation du discours intérieur, qui disparaît comme dans le cœur; l’admiration qui succède à la considération, une foi vive à Dieu présent, que l’esprit seul lui suffit, l’éloignement de toute recherche, car on a trouvé le vrai bien avec Dieu, goûté intimement : une plus grande faim de l’oraison et en même temps un rassasiement, un mélange rare ou fréquent des mouvements affectifs; car cette contemplation a besoin de ces secours, comme l’aurore a son lever pour parvenir graduellement au plein jour, la réduction des exercices internes multipliés, à un seul nécessaire, l’élévation agréable de l’esprit à Dieu, la dilatation du cœur et le goût de l’éternelle vérité saisie. Les fruits de cette oraison sont l’illumination d’en haut, d’où naît le mépris de soi-même et la souveraine estime de Dieu, l’entière mortification de la chair par l’esprit, et de l’esprit par le renoncement; l’accroissement de toutes les vertus, et la purification du cœur1266. La paix de Christ qui triomphe dans le cœur, l’aurore d’un plein jour, la connaissance de la croix de Christ et l’amour du crucifié, l’intelligence des paroles de l’Écriture Sainte, qu’on n’avait jamais eues auparavant : la découverte du grand trésor caché dans le champ de l’Église, l’adoration du Père en esprit et en vérité, qui commence presque dès lors, le repos dans l’attente des promesses1267 le septième jour que Dieu bénit et sanctifia, parce qu’il est le jour où il se reposa de toutes ses œuvres qu’il avait faites, la sainteté ne consistant pas dans l’usage des moyens ou la fatigue de l’esprit, mais dans la jouissance de la fin. D’où il reste un repos pour le peuple de Dieu, car celui qui est entré dans le repos de Dieu, se repose aussi lui-même en cessant de travailler, comme Dieu s’est reposé après ses ouvrages1268. Heureuse les âmes qui ont appris par leur expérience cette parole de l’Apôtre : la vue de l’éternité qui soutient la patience et ranime la persévérance, est la disposition la plus prochaine à l’oraison surnaturelle1269. C’est ainsi qu’à cette oraison acquise régulièrement, dans les hommes purifiés par le bienfait de Dieu, succède l’oraison infuse dans laquelle consiste le bonheur qu’on peut acquérir dans cette vie de la connaissance de Dieu. [76]

Les marques de la contemplation passive sont un souvenir perpétuel de Dieu, l’attention continuelle du même Dieu présent partout, et surtout dans le cœur, un état d’oraison perpétuelle indistinct, uniforme, très étendu; car celui qui n’a pas reçu la grâce du Paraclet, n’aura pas la permanence et la perpétuité de l’oraison; mais si un homme a le Paraclet, alors assis et se promenant, dormant et veillant, travaillant et se reposant, parlant et se taisant, il est en oraison. Une certaine immobilité divine, une impassibilité au-dessus des forces de la nature, une fermeté d’âme imperturbable, une véritable unité, en qui ni l’adversité, ni la prospérité ne produit point le changement; l’absence des formes et des fantômes, l’assujettissement de l’entendement à l’obéissance de la foi, par le moyen de laquelle toutes ses recherches se reposent enfin dans l’éternelle vérité, la perte de la volonté humaine dans le bon plaisir divin, l’affranchissement de tout mode, de tout temps, de tout exercice, de tout lieu, de toute méthode, de tout moyen, par lesquels on acquiesce à Dieu seul au-dessus de toute conception; car ici l’âme se trouve comme établie et enlevée du temps présent dans l’éternité, et contemple en elle-même Dieu d’une manière qui lui est inconnue. Les dons singuliers de Dieu sont, la continuité de l’oraison sans fatigue, un merveilleux rassasiement, avec une perpétuelle soif d’oraison, la vue et le sentiment très intime de Dieu en toutes choses, et de toute chose en Dieu; ce qui fait que celui qui a pénétré ce secret s’écrie avec raison, toutes choses me sont Dieu et Dieu m’est toutes choses. Enfin lorsque cette manière d’oraison aura été forte avancée, elle produit en l’homme la sortie de lui-même, et de toutes les créatures; ensuite il demeure libre en toutes choses, et étant heureusement mort dans le Seigneur, il rentre dans le repos de son Seigneur.

Il est surpris d’être fait une même chose avec Dieu, et cependant il ne doute pas qu’il ne soit distinct de Dieu. Il est réduit à l’anéantissement et ne se voit plus. Enfin par l’émulation de sa patrie céleste [Saint-Augustin] lorsqu’il a reçu cette joie ineffable, l’esprit humain disparaît en quelque façon et est divinisé. […]

MADAME GUYON TÉMOIGNE DANS SA VIE PAR ELLE-MEME

3.3 ARRESTATION DU PÈRE LA COMBE

[1.] À quelques jours de là, après avoir consulté avec M. Charon1270 l’official, ils trouvèrent le moyen de perdre le père La Combe, voyant que je n’avais pas voulu m’enfuir. C’était celui qui leur avait paru le plus sûr : ils firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de Molinos et dans ses sentiments, supposant, sur le témoignage de l’écrivain et de sa femme, qu’il avait fait des crimes qu’il ne fit jamais. Sur cela Sa Majesté, avec autant de justice que de bonté, croyant la chose véritable, ordonna avec autant de justice que de bonté, que le père La Combe ne sortirait point de son couvent, et que l’official irait s’informer de lui-même quels étaient ses sentiments et sa doctrine. Il ne se trouva jamais un ordre plus équitable que celui-là; mais il n’accommodait point les ennemis du père La Combe, qui jugèrent bien qu’il lui serait très aisé de se défendre de choses aussi fausses. Ils concertèrent entre eux un moyen d’ôter cette affaire à la connaissance des généraux et d’y intéresser Sa Majesté. Ils n’en trouvèrent point d’autre que celui de le faire paraître réfractaire aux ordres du roi, et afin de réussir, - car ils savaient bien que l’obéissance du père La Combe était telle que s ‘il savait l’ordre du roi, il n’y contreviendrait pas, et qu’ils ne viendraient point à bout de leurs desseins, - ils résolurent de cacher cet ordre au père La Combe, afin que, sortant pour quelque exercice de charité ou d’obéissance, il fût pris comme rebelle. […]

3.7 LETTRES CONTREFAITES 

[4.] Ce fut donc ces effroyables lettres contrefaites que l’on fit voir au Père de la Chaise, pour lesquelles l’on me renferma. […]

[5.] Trois jours avant que je fusse renfermée, le père La Mothe (avait) dit que l’on me renfermerait, et écrivit à ma sœur la religieuse une lettre toute passionnée contre moi et un ecclésiastique de l’archevêque en donna avis; un frère barnabite alla au collège où était ma fille qui parut fort passionné contre le Père La Combe, il disait : «Nous avons appris qu’il s’est trouvé, dans le lieu où le père La Combe est en prison, un commandant qui est de ses amis, l’on le fera bien renfermer.» Il faut savoir que lorsqu’il fut à l’île d’Oléron1271, les commandants rendirent justice à sa vertu. Sitôt qu’ils le virent, ils reconnurent que c’était un véritable serviteur de Dieu. C’est pourquoi le commandant, plein d’amour pour la vérité, écrivit à M. de Chateauneuf que ce père était un homme de Dieu et qu’il le priait de donner un peu d’adoucissement à sa prison. M. de Chateauneuf montra la lettre à Mgr l’archevêque, qui la montra au père La Mothe, et ils conclurent qu’il le fallait transférer, ce que l’on a fait, le menant dans une île déserte, où il ne peut voir ces commandants.

3.8 COMMUNICATIONS ET MARTYRE

[…] Ils voulaient de plus un prétexte qui parût et qui convainquît que c’était avec justice qu’ils avaient fait emprisonner le Père La Combe, et voulaient par menaces et par promesses me faire écrire qu’il était un trompeur. […] Comme le père La Mothe vit que l’on commençait à croire qu’il était l’auteur de la persécution et de ce que l’on avait enfermé le père La Combe, il fit entendre au père La Combe que je l’avais accusé, afin de se disculper dans le monde. […][3.] Quoique le père La Combe soit en prison1272, nous ne laissons pas de nous communiquer en Dieu d’une manière admirable. J’ai vu un billet de lui où il l’écrit à une personne de confiance. […]

4. Les prisons, récit autobiographique [de ce qui arriva à madame Guyon mais concerne aussi le P. Lacombe]

4.5  LA FAUSSE LETTRE

Quelques jours après cette grande lettre, M. de Paris me vint voir en grand apparat1273. Il entra dans ma chambre avec M. le curé […]

Il voulut l'obliger [M. le curé, confesseur imposé] à faire une déclaration publique que j'avais commis quantité de désordres honteux avec le P. La Combe [109] et me fit des menaces terribles si je ne déclarais pas que j'avais imposé aux gens de bien, que je les avais trompés, et que j'étais dans le désordre lorsque j'avais fait mes écrits. Enfin il me témoigna une colère que je n'aurais jamais attendue d'un homme qui m'avait autrefois paru si modéré. Il m'assura qu'il me perdrait si je ne faisais ce qu'il souhaitait.

Je lui dis que je savais tout son crédit, car il faut remarquer que M. le Curé avait pris grand soin de m’informer de sa faveur en m'apprenant le mariage de Monsieur son neveu avec la nièce de Madame de Maintenon1274, que le roi lui avait donné la chemise, ce qui ne se faisait qu'aux Princes, qu'il lui avait donné beaucoup en faveur de ce mariage, en un mot tout ce qui pouvait me donner une grande idée de la considération que cela lui donnait dans le public. Mais Dieu sait le cas que je fais des fortunes de la terre. Je lui répondis donc qu'il pouvait [110] me perdre s'il le voulait, et qu'il ne m'arriverait que ce qu'il plairait à Dieu.

Il me dit là-dessus : « J’aimerais mieux vous entendre dire : je suis au désespoir, que de vous entendre parler de la volonté [de] Dieu.

- Mais Madame, me dit M. le curé, avouez Madame que lorsque vous avez écrit vos livres, vous étiez dans le désordre !

- Je mentirais au Saint-Esprit, lui répondis-je, si j’avouais une pareille fausseté

- Nous savons ce qu'a dit la Maillard », reprit M. de Paris. (C'est cette gantière dont il a été déjà parlé du temps que je fus mise aux Filles Ste Marie).

- « Monsieur, pouvez-vous faire fond sur une malheureuse qui a sauté les murailles de son cloître, où elle était religieuse pour mener une vie débordée dont on a des attestations ainsi que de ses vols ; qui enfin s’est mariée ; et le reste de son affreuse histoire ?

- Il me dit : Elle ira droit en paradis et vous en enfer. Nous avons la puissance de lier [111] et de délier.

- Mais,Monsieur, lui répliquai-je, que voulez-vous que je fasse ? Je ne demande qu'à vous contenter et je suis prête à tout pourvu que je ne blesse point ma conscience ».

Il me répondit qu'il voulait que j'avouasse que j'avais été toute ma vie dans le désordre ; que si je faisais cela, il me protègerait et ditait à tout le monde que j'étais convertie. Je lui fis voir l'impossibilité où j'étais d'avouer une pareille fausseté, et sur cela il tira de sa poche une lettte qu'il me dit être du P. de La Combe.

Il me la lut et me dit ensuite : « Vous voyez que le Père avoue avoir eu des libertés avec vous qui pouvaient aller jusqu'au péché ». Je n'eus ni confusion ni étonnement de cette lettre. M'étant approchée pour la considérer, je m'aperçus qu'il m'en cachait l'adresse avec soin et même l'écriture m'en parut contrefaite quoique assez ressemblante. Je lui répondis que, si le Père avait écrit cette lettre, [112] il fallait qu'il fût devenu fou ou que la force des tourments la lui eût fait écrire.

Il me dit : « La lettre est de lui.

- Si elle est de lui, dis-je, Monsieur il n'y a qu'à me le confronter.1275 C'est le moyen de découvrir la vérité ».

M. le curé prit la parole et fit entendre qu'on ne prendrait pas cette voie parce que le Père La Combe ne faisait que me canoniser, qu'on ne voulait pas mettre cette affaire en justice, mais qu'il amènerait des témoins qui feraient voir que l'on m'avait convaincue.

M. de Paris appuyant son discours, je lui dis que, cela étant ainsi, je ne lui dirais mot. Il reprit qu'on me ferait bien parler. « Non, lui dis-je, on pourra me faire endurer ce que l'on voudra, mais rien ne sera capable de me faire parler quand je ne le voudrai pas ».

Il me dit que c'était lui qui m'avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j'avais pleuré en le quittant, parce que je savais bien qu'on ne m'ôtait de ce lieu que pour me mettre dans un autre où l'on pourrait me supposer [113] des crimes. Il me dit qu'il savait bien que j'avais pleuré en le quittant, que c'étaient mes amis qui l'avaient prié de se charger de moi et que sans cela on m'aurait envoyée bien loin. A quoi je répondis qu'on m'aurait fait un fort grand plaisir.

Alors il me dit qu'il était bien las de moi. Je lui dis « Monsieur, vous pourriez vous en délivrer si vous vouliez, et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pourriez me remettre ». Il parut embarrassé et il me dit qu'il ne savait que faire, et que, M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouverait personne qui se voulut charger de moi.

Et s'approchant il me dit tout bas : « On vous perdra ».

Je lui dis tout haut : « Vous avez tout pouvoirMonsieur, je suis entre vos mains. Vous avez tout crédit, je n'ai plus que la vie à perdre

- On ne veut pas vous ôter la vie, me dit-il, vous croiriez être martyre et vos amis le croiraient aussi ; il faut les détromper ».

Ensuite il m'attesta par le Dieu vivant, comme au jour du jugement, [114] de dire si je n'avais jamais eu la moindre et légère liberté avec le P. La Combe. Je lui dis, avec ma franchise et ingénuité qui ne peut mentir, que lorsqu'il arrivait de quelque voyage, après bien du temps qu'on ne l'avait vu, il m'embrassait me pressant la tête entre ses mains, qu'il le faisait avec une extrême simplicité et moi aussi. Sur cela, il me demanda si je m'en étais confessée. Je lui répondis que non et que, n'y croyant pas de mal, la pensée même ne m'en était pas venue ; qu'il ne me saluait pas moi seulement, mais toutes les personnes qui étaient présentes et de sa connaissance. « Avouez donc, dit M. le curé, que vous avez vécu dans le désordre - Je ne dirai jamais un pareil mensonge, Monsieur, lui répondis-je, et ce que je vous dis n'a rien de commun avec le désordre et en est bien éloigné. » Si ce ne sont pas les mêmes paroles, c'en est au moins la substance.

Comme je parlais [avec] beaucoup de respect à Monsieur de Paris, il me disait : « Eh! mon Dieu, Madame, pas tant [115] de respect et plus d'humilité et d'obéissance !»

Il y eut un autre endroit où se laissant aller à l'excès de sa peine, il me dit : « Je suis votre arch[evêque]. J'ai le pouvoir de vous damner, oui, je vous damne ! »

Je lui répondis en souriant : « Monsieur, j'espère que Dieu aura plus d’indulgence, et qu'il ne ratifiera pas cette sentence ».

Il me dit encore que mes filles endureraient le martyre pour moi et que c'était ainsi que je séduisais ceux qui m'avaient connue. Dans un autre endroit, en me demandant de signer que j'avais commis des crimes et d'énormes péchés, il m'allèguerait1276 l'humilité de saint François qui le disait de lui. Lorsque je disais que je n'en avais point fait, l'on m'accusait d'orgueil et d'endurcissement, et si je l'eusse avoué dans le sens de saint François, l'on m'aurait donnée au public comme reconnaissant avoir commis ces infamies.

Il me demanda encore si j'étais sûre que la grâce fût en moi ? Je dis à cela que nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. [116] Il me reprocha l'histoire de ma Vie et voulait me faire écrire que l'envie de me faire estimer m'avait portée à écrire tous les mensonges dont elle est pleine.

Il me reprocha que je faisais prendre la meilleure viande, et examina sur le livre de la sœur ce qu'on achetait pour ma nourriture : la volaille, le vin, rien ne fut oublié. A la vérité tout y était mis avec emphase, et je me souviens d'un grand article où il y avait pour poules, pigeons et chapons, trente six sols. Le vin, qu'on avait pris pour le quinquina dont je faisais un usage presque continuel à cause de la fièvre qui me reprenait toujours, fut exagéré comme si je buvais avec excès. Mais à tout cela je n'ouvrais pas la bouche.

Enfin après bien des menaces des suites fâcheuses à quoi je me devais attendre, M. de Paris s'en alla et M. le Curé, restant, me dit : «Voilà la copie de la lettre du P. La Combe. Lisez-la avec attention, écrivez-moi, à moi, [117] et je vous servirai. » Je ne lui répondis rien, et M. de Paris l'envoya quérir pour le ramener. Voici la copie de cette lettre :

« C'est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu'il y a eu de l'illusion, de l'erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous, et que je rejette et déteste toute maxime et toute conduite qui s'écarte des commandements de Dieu et de ceux de l'Eglise, désavouant hautement tout ce que j'ai pu faire ou dire contre ces sacrées et inviolables lois, et vous exhortant en Notre-Seigneur d'en faire de même, afin que vous et moi réparions autant qu'il est en nous le mal que peut avoir causé notre mauvais exemple, ou tout ce que nous avons écrit qui peut donner la moindre atteinte à la règle des moeurs que professe la Sainte Eglise catholique, à l'autorité de laquelle doit être soumise, sous le jugement des prélats, toute doctrine de spiritualité de quelque degré que [118] l'on prétende qu'elle soit. Encore une fois je vous conjure dans l'amour de Jésus-Christ que nous ayons recours à l'unique remède de la pénitence, et que par une vie vraiment repentante et régulière en tout point, nous effacions les fâcheuses impressions causées dans l'Eglise par nos fausses démarches. Confessons, vous et moi, humblement, nos péchés à la face du ciel et de la terre, ne rougissons que de les avoir commis et non de les avouer. Ce que je vous déclare ici vient de ma pleine franchise et liberté. Et je prie Dieu de vous inspirer les mêmes sentiments qu'il me semble recevoir de sa grâce et que je me tiens obligé d'avoir.» Fait le 27 avril 1698. Signé Dom François de La Combe, Religieux Barnabite.

Cette lettre m'ayant été lue par M. de Paris, je demandai à la voir. Il me fit grande difficulté. Enfin, la tenant toujours sans [119] vouloir me la mettre entre les mains, je vis l'écriture, un instant, qui me parut assez bien contrefaite. Je crus que c'était un coup de portée1277 de ne pas faire semblant de m'en apercevoir dans la pensée qu'ils me confronteraient au P. La Combe lorsque je serais en prison, et qu'il me serait pour lors plus avantageux d'en faire connaître la fausseté. Ce qui me porta à dire simplement que si la lettre était de lui, il fallait qu'il fût devenu fou depuis seize ans que je ne l'avais vu, ou que la question qu'il n'avait pu porter1278 lui eût fait dire une pareille chose.

Mais après qu'ils furent partis et que j'eus lu la copie que M. le curé m'avait laissée, je ne doutais point que la lettre ne fût véritablement contrefaite et que cette copie même n'en fût l'original, parce qu'on y avait corrigé un v différent de ceux du P. La Combe ; et corrigé d'une main que je reconnus, pour servir de modèle à l'écrivain, [120] lequel en contrefaisant le corps de l'écriture s'était négligé sur les v qu'il n'avait pas faits semblables à ceux du Père.

De dire tout ce qui me passa dans l'esprit au sortir de cette conversation, c'est ce qu'il ne m'est pas possible. Il est certain que le respect que je croyais devoir à un homme de ce caractère m'empêcha de lui donner un démenti en face, en lui faisant connaître que je voyais l'imposture dans toute son étendue et l'indignité du piège qui m'était tendu. Mais je ne pus me résoudre à lui donner une telle confusion, outre qu'en lui laissant supposer que je croyais la lettre véritable, je les rendais par là plus hardis de la produire au public, ce qui m'aurait donné lieu d'en faire connaître la fausseté à tout le monde, et de faire juger de la pièce par l'échantillon.

Car quoi de plus naturel, pour justifier tant de violences et pour ne laisser aux gens qui m'estimaient [121] encore aucun lieu de le faire, que de me faire mon procès sur de telles pièces et avec des témoignages si capables de les détromper ? Le public si prévenu en aurait saisi les moindres apparences, et mes amis, qu'on avait si fort au coeur, disait-on, de faire revenir de leurs préjugés, n'auraient rien eu à répliquer, et auraient dû être les premiers à me jeter la pierre, comme les ayant trompés sous un faux voile de piété : tout était fini. Et l'on n'aurait jamais pu donner assez de louanges à ceux qui auraient rendu un si grand service à l'Eglise : voilà ce que la droiture leur devait inspirer.

Mais, ce qui paraîtra peut-être incroyable, c'est qu'après avoir répandu cette prétendue lettte du P. La Combe dans tout Paris, et de là dans les provinces, comme une conviction des erreurs du quiétisme et en même temps comme une justification de la conduite que l'on tenait à mon égard en m'envoyant à la Bastille, il n'a jamais été question ni de cette lettre, ni des affaires du P. La Combe, dans tant d'interrogatoires qu'il m'a fallu souffrir. [122] Ce qui est encore une preuve bien certaine qu'on ne cherchait qu'à imposer au public et encore plus à Rome en confondant les affaires de M. de Cambrai avec les miennes, pour le rendre odieux à cette Cour, et justifier l'éclat qu'on avait fait par des vues que ne faisant rien à ce qui me regarde, je passe sous silence.

Une preuve encore que le P. La Combe n'avait pu écrire cette lettre, c'est que, dans cette conversation, l'on me fit entendre qu'il me canonisait. Quel rapport y-a-t-il à [entre] une louange si excessive, et une lettre qui suppose des crimes ! Elle n'est même pas de son style, et il est aisé d'y voir une affectation dans les termes propre à l'effet pour lequel elle était composée.

De plus le P. La Combe n'avait pu m'écrire une pareille lettre sans être le plus scélérat de tous les hommes, lui qui m'a confessée si longtemps et qui a connu jusqu'aux derniers replis de mon coeur. Mais je suis bien éloignée d'une telle pensée, l'ayant toujours estimé et regardé comme un des plus grands serviteurs que Dieu ait sur la terre. Si Dieu ne permet [123] pas que son innocence soit reconnue pendant sa vie, l'on verra avec étonnement, dans l'éternité, le poids immense de gloire réservé à ses souffrances. […]

4.6 LA BASTILLE

[…] Sitôt que je pus me tenir debout1279 dans une chaise, M. d’Argenson 1280 vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. Car il faut remarquer que, ayant vu que M. de La Reynie m'avait rendu justice, on lui avait donné un autre emploi et l'on avait fait tomber le sien à celui-ci, qui était lié de toutes manières aux personnes qui me persécutaient. J'avais résolu [136] de ne rien répondre. Comme il vit en effet [que] je ne lui répondais rien, il se mit dans une furieuse colère et me dit qu'il avait ordre du roi de me faire répondre. Je crus qu'il valait mieux obéir, je répondis. Je crus que du moins, malgré ses préventions, il mettrait les choses comme je les disais. J'avais vu tant de probité et de bonne foi dans M. de La Reynie que je croyais les autres de même.

On commença, quoique je fusse très faible, un interrogatoire de huit heures sur ce que j'avais fait depuis l’âge de quinze ans jusqu'alors, qui j'avais vu, et qui m'avait servie. Ces trois articles furent le sujet de plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures.

[…]On en vint où l'on voulait, qui était mon veuvage. Je répondis la vérité article par article, et [au sujet] de mon voyage à Gex, de même que celui que je fis avec le Père La Combe, où j'avais pris un ancien religieux pour nous accompagner. [139] On ne voulait rien mettre de cela. On faisait toujours en sorte qu'il semblait que j'étais seule avec lui. [Dans] un [voyage] que je fis de Thonon à Genève où il n'y a que trois lieues, nous étions cinq ou six. Il ne le voulut jamais mettre de la sorte et fit écrire : « Elle a été avec lui à Genève. » Quelque chose que je pusse dire, on passait outre. On me montra un ordre du roi - faux ou vrai ? - de ne garder aucune forme de justice avec moi. […]

On croira peut-être qu'après tant d'interrogations, et m'avoir présenté une lettre falsifiée du P. La Combe, et avoir fait tant de bruit dans le monde, on m'aura représenté1281 les lettres et interrogée sur cela. Je l'attendais, et le désirais même. Mais on ne m'en parla point du tout. Cependant on fit courir le bruit qu'on me l'avait confronté. […]

4.7  L’ABIME

[…] Enfin après bien du temps passé, M. d’Argenson revint ; il ne fut plus question de sa conversation, on n'en voulut plus reparler. C'étaient de nouvelles choses. Cet homme avait dit que j'étais logée avec le P. La Combe dans un lieu où j'avais été. Je fis voir que je logeais à une [181] extrémité de la ville, chez un trésorier de France, et lui chez une demoiselle à l'autre extrémité. Il dit qu'il l'avait vu chez Madame Languet, veuve du Procureur général. Cela était vrai, il dit qu'il m'avait vue lui donner un bouillon. Je dis que je le faisais bien aux pauvres, que j'étais restée à le garder ce jour-là, je dis que oui, mais que Madame Languet, M[ademois]elle sa fille et la D[emois]elle y étaient aussi, que nous y accommodâmes un petit Jésus de cire cassé, que j'avais voulu lui donner de l'argent pour aller à Rome afin de solliciter un évêché in partibus pour le Père , et que je lui promettais de lui faire tous les ans trois mille livres de pension pour soutenir sa dignité. Je dis que je n'avais garde de promettre ce que je n'avais pas, car, n'ayant que deux mille huit cent livres de revenu, je ne pouvais donner mille écus, surtout étant obligée de vivre moi-même, n'ayant que faiblement ce qu'il me fallait pout cela.

Enfin après bien des discours puérils, il me dit qu'il m'amènerait l'homme pour me le confronter, que je n'allasse pas le méconnaître. Je dis que si je le connaissais, [182] je le dirais. Il m'exhorta fort à ne me mettre pas en colère contre lui, et je compris après qu'il craignait que je ne l'intimidasse. A quelques jours de là on m'amena cet homme. Il faut remarquer qu'on faisait courir le bruit à Paris qu'on me confrontait le P. La Combe, et on ne m'a jamais fait mention qu'il eût dit ou écrit quelque chose contre moi. On ne me le nommait que par incident. […]

Avant le dernier interrogatoire, je fis deux songes : le premier, que le P. La Combe me parut attaché à une croix comme je l'avais songé plus de vingt ans auparavant. Mais au lieu qu'alors il me paraissait tout brillant et éclatant, il me paraissait pour lors meurtri et livide, la tête enveloppée d'un linge. Il me semble qu'il me dit : « Je suis mort », et qu'il m'encourageait. Je lui demandai comment il se trouvait : « Les souffrances de cette vie ne sont pas dignes d'être comparées à la gloire qui nous est préparée. » Et il ajouta avec force : « Pour une légère souffrance, on a un poids d'une gloire immense. » Je me réveillai. […]

«LES ANNEES D’EPREUVES SOUS LE ROI TRES CHRETIEN»

Première lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre

[…] je tiendrais cette entrevue pour une faveur du ciel si précieuse, si consolante pour moi, qu’après le bonheur de plaire à Dieu et de suivre en tout Sa volonté, il n’en est point que j’estimasse plus en ce monde. Toute la petite Église de ce lieu en serait ravie, la chose ne me paraît point impossible, ni même trop hardie; en prenant, comme vous feriez sans doute, les meilleures précautions, changeant de nom, marchant avec petit train comme une petite damoiselle, on ne vous soupçonnerait jamais que ce fût la personne que l’on cherche et, quand vous seriez ici, nous arrangerions les choses avec le plus de sûreté qu’il nous serait possible pour n’être pas découverts [...] Vous prendrez le carrosse de Bordeaux, de là vous viendrez à Pau, d’où il n’y a que six lieues jusques ici. Si la saison était propre, le prétexte de prendre les eaux aux fameux bains de Bagnères, qui est à trois lieues d’ici, serait fort plausible. En tout cas en attendant le temps des eaux, vous viendriez faire un tour en cette ville, puis vous retourneriez à Pau ou à Bagnères, et ainsi à diverses reprises, selon que l’on jugerait plus à propos. [...] Si vous venez, écrivez-nous en partant de Paris, en arrivant à Bordeaux et à Pau. Nous prierons Dieu cependant de vous faire suivre courageusement Son dessein, selon qu’il vous sera suggéré par Son esprit et secondé par Sa providence, et nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu’elle vous ait vue. Quelle joie n’aurait-elle point de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie et pénétrant vivement votre état! Votre billet, quoique si court, l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise, si l’on peut dire qu’elle puisse l’être davantage [...]

J’ai reçu la lettre de change, mais non encore le paquet des livres. Il est vrai que vous m’avez plus fait tenir d’argent depuis environ un an que les autres années; je le sens fort bien par l’abondance où vous m’avez mis, et je ne puis que me louer infiniment de vos charités. [...] Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église. Si vous veniez, vous ne prendriez qu’une fille et vous lui changeriez son nom. Je ne serais pas fâchée de revoir Famille1282. Je salue aussi l’autre de bon cœur. Ô Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l’éternité dans Votre dessein; c’est là, ma très chère, que je vous suis parfaitement acquis.

[Lettre jointe de Lasherous :]

Ô illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit Maître, [...] Que je m’estimerais heureux, M [adame], d’avoir l’honneur de vous aller prendre à Paris, ou en tel endroit qu’il vous plairait me prescrire pour vous conduire ici ou ailleurs, c’est la grâce que je vous demande. [...] Je finis, M [adame], en vous proposant que je vous honore, vous estime et vous aime en Notre Seigneur Jésus-Christ plus que je ne saurais vous exprimer.1283.

Lettre du P. La Combe du 7 décembre, saisie tardivement

[…] Si toute votre explication de l’Écriture était rassemblée en un volume, on pourrait l’appeler la bible des âmes intérieures, et plut au ciel que l’on pût tout ramasser et en faire plusieurs copies, afin qu’un si grand ouvrage ne périsse pas! Les vérités mystiques ne sont pas expliquées ailleurs avec autant de clarté et d’abondance et ce qui importe le plus, avec autant de rapport aux saintes Écritures. Mais hélas, nous sommes dans un temps, où tout ce que nous penserions entreprendre pour la vérité, est renversé et abîmé. On ne veut de nous qu’inutilité, destruction et perte. N’avez-vous pas pu recouvrer le Pentateuque1284? Pour moi, dans le grand loisir que j’aurais, je ne puis rien faire, quoique je l’aie essayé souvent. Il m’est impossible de m’appliquer à aucun ouvrage de l’esprit, du moins de coutume, m’ayant fait violence pour m’y appliquer, ce qui me fait traîner une languissante et misérable vie, ne pouvant ni lire ni écrire, ni travailler des mains, qu’avec répugnance et amertume de cœur, et vous savez que notre état ne porte pas de nous faire violence. On tirerait aussitôt de l’eau d’un rocher.

L’ouvrage de M. Nicole1285, me fait dire de lui ce qui est dans Job : il a parlé indifféremment de choses qui surpassent excessivement toute sa science. […]

Il s’est fait une augmentation de notre Église, la rencontre de trois religieuses d’un monastère assez proche de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est faite l’oraison que Dieu enseigne Lui-même aux âmes et l’obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L’une de ces trois filles a été mise par le Saint-Esprit même dans son oraison. L’autre y étant appelée combattait son attrait en s’attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, tourmentée de scrupules, n’est pas encore en état d’y être introduite. […]

Lettre de Jeannette du 7 décembre (?)

[…] Le rapport est si doux entre nos deux esprits, qu’un même sentiment les joint et les unit sans rien m’attribuer de vos voies admirables. Divines unions et grâces ineffables. /J’aperçois entre nous cet aimable rapport qui naturellement vient d’un pareil sort : la Croix ayant été souvent notre partage, nous nous comprenons bien, parlant même langage. […]

Second interrogatoire de Mme Guyon, le 19 janvier 1696

Où Madame Guyon est acculée :

[…] Lui avons remontré que si elle n’avait d’autre connaissance que celle qu’elle nous dit avoir de la petite église et de ceux qui la composent dans le lieu où le père de La Combe est actuel­lement, le sieur de Lasheroux qui a aussi écrit à elle répondante dans la même lettre du père de la Combe, datée du 10e octobre qui lui est représentée, n’aurait pas qualifié elle répondante comme il a fait du titre entre autres «de mère des Enfants de la petite Église»1286 si les enfants de cette petite Église lui avaient été inconnus et si elle n’avait pas su ce que c’était que cette petite Église. […]

A dit qu’elle ne peut dire autre chose sur cela que ce qu’elle nous vient de déclarer, et que c’est au père de La Combe et au sieur Lasheroux à déclarer et à dire de quelles personnes ils pré­tendent qu’est composée cette petite Église.

[…]

S’il n’est pas vrai qu’elle répondante a eu commerce par lettre avec ladite Jeannette.

A dit que ladite Jeannette lui écrivit il y a environ cinq ou six années, et lui marqua que Dieu lui avait donné une connaissance particulière d’elle répondante1287 — elle lui fit réponse en ce même temps-là par un billet assez court, qu’elle se recomman­dait à ses souffrances et à ses prières et qu’elles demeureraient unies en Dieu.

Avons remontré à la répondante qu’il paraît par ces autres termes de ladite lettre du père de la Combe qu’elle a encore écrit depuis peu à ladite Jeannette : «votre billet quoique si court l’a extrêmement réjouie. Elle vous est toujours plus acquise si l’on peut dire qu’on puisse l’être davantage1288.»

[f ° 137] A dit qu’il peut bien être qu’elle a écrit un billet séparé en écrivant au père de la Combe, où elle a écrit dans la même lettre quelques lignes pour ladite Jeannette pour lui marquer qu’elle était toujours unie à elle, et ne le peut dire plus particulièrement.

Pour quelle cause elle a jugé nécessaire en partant de Meaux de dire qu’elle avait besoin d’aller aux eaux quoique en effet elle n’eût pas l’intention d’en prendre, ainsi qu’il paraît par lesdites lettres représentées.

A dit qu’elle croyait en avoir besoin et que c’était son intention d’y aller.

Lui avons remontré que si elle avait cru avoir besoin d’aller prendre les eaux, et si en effet le voyage qu’elle prétendait faire du côté des Pyrénées avait été pour y prendre des eaux, elle n’aurait pas fait tous les projets qu’il paraît qu’elle a concertés avec le père de la Combe et le sieur de Lasherous, pour être inconnue en changeant de nom et en pratiquant tout ce qui paraît qu’on lui proposait de faire pour demeurer cachée dans le lieu où le père de la Combe a été envoyé.

A dit que son dessein était d’aller aux eaux de Bourbon1289, mais que, ayant laissé passer la saison sur l’avis qu’il lui fut donné qu’il y avait ordre d’observer quand elle passerait sur la route de Bourbon, il lui vint en pensée, ainsi qu’elle l’a ci-dessus déclaré, d’aller prendre les eaux du côté des Pyrénées1290. […]

Résumé, suggestions et notes de La Reynie

[…] La route lui avait été marquée par le père de la Combe, aussi bien que ce qu’elle ferait, étant sur les lieux, pour se dire et passer pour être parente du père de la Combe du côté de la mère qui était de Franche-Comté avec ce qu’il faudrait qu’elle fît du reste pour n’être connue que de ceux de la petite Église de Lourdes et de ceux qui sont de l’étroite confidence1291.

Il paraît, Monsieur, par ces mêmes lettres, que ce voyage a été remis jusqu’après l’hiver. Mme Guyon dit sur cela qu’après avoir fait quelque réflexion sur le dessein de ce voyage, elle l’avait abandonné, et que lorsqu’elle y avait pensé, c’était uniquement pour voir le père de la Combe et pour passer quinze jours seulement dans le lieu où il est. Cependant, Monsieur, il n’est pas impossible que le projet de ce voyage qui paraît avoir été médité et fortement désiré, n’ait toujours subsisté et [f ° 21v °] qu’il n’ait été remis à un autre temps plus convenable par des raisons particulières. Le crédit et la liberté que le père de la Combe s’est acquis cependant dans le château de Lourdes, pourraient bien aussi le faire soupçonner, aussi bien que Mme Guyon, d’avoir pensé à quelque moyen de sortir du Royaume1292.

La ville et le château de Lourdes sont situés dans le Comté de Bigorre du côté de Béarn, à huit lieues de Pau et à sept lieues de Tarbes. C’est dans cette ville et dans le château de Lourdes, où le père de La Combe est actuellement par ordre du roi, et qu’il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites, qui font ensemble, selon qu’il l’a écrit, une petite Église dans ce lieu et qu’il dit être de l’étroite confidence, et il en désigne même les personnes qui sont les plus considérables, en les appelant les colonnes de la petite Église. Mme Guyon est aussi qualifiée du titre de mère de la petite Église, et il y a sur les lieux une femme, entre autres, connue à Lourdes sous le nom de Jeannette, qui a été inspirée, instruite ou dressée sur le modèle de Mme Guyon, qui, s’il peut être permis de le dire, paraît être une sainte de la petite Église. Mme Guyon ne fait même aucune difficulté de dire que Dieu a donné réciproquement à Jeannette et à elle de grandes connaissances l’une de l’autre, sans qu’elles se soient jamais vues. Le sieur de La Sherous, prêtre et aumônier du château de Lourdes, est tellement persuadé des opinions du père de la Combe et attaché de telle sorte à lui et à Mme Guyon, que lui et le père de la Combe écrivent la même chose, que leurs lettres à Mme Guyon sont en partie écrites de la main du père de la Combe, et en partie de la main du sieur de La Sherous, et ce prêtre qui est aussi de la petite Église [f ° 22] et de ce qu’on appelle de l’étroite confidence, en sait autant que le père de la Combe et il écrit comme lui du secret de la secte, et il assure Mme Guyon qu’il soutiendra partout sa doctrine et qu’il n’en rougira jamais.

Tout cela supposé, il semble, Monsieur, qu’il y ait dès cette heure quelque chose à faire du côté de Lourdes pour remédier au mal qui peut être déjà fait et pour en empêcher le progrès.

Il serait bon apparemment de saisir les papiers du père de La Combe et ceux du sieur de Lasherous et d’en faire autant à l’égard de Jeannette, et on trouvera entre les mains du père de La Combe le manuscrit de l’Explication de l’Apocalypse fait par Mme Guyon, qu’elle lui a envoyé pour le revoir depuis qu’elle est revenue de Meaux. Mais tout ce qu’il plaira au roi d’ordonner sur ce sujet, doit être, s’il est possible, exécuté et ménagé sur les lieux par quelque personne sage et habile, d’autant plus qu’à l’égard du château de Lourdes, le sieur de La Sherous n’y est pas seulement avec un titre et du crédit, mais encore parce que sa parenté paraît être considérable à Lourdes. D’un autre côté on croit que le Gouverneur ou Commandant du château est aussi tellement prévenu et rempli du père de la Combe, qu’on peut douter à cet égard qu’il soit autant exact qu’il pourrait être désiré1293. […]

Troisième interrogatoire de Mme Guyon, le 23 janvier 1696

[…] Avons remontré à la répondante qu’il paraît tout à fait extraordinaire de voir dans une lettre écrite en partie par le père de La Combe et en partie par le dit Sieur de Lasherous, que deux prêtres attribuent à elle répondante une doctrine et une discipline particulière; à elle remontré qu’elle doit expliquer ce que c’est, et sur quoi elle est qualifiée de mère des enfants de la petite Église, et qu’il n’est pas moins extraordinaire de voir que ces deux prêtres aux termes [f ° 144] de leur lettre professent la doctrine d’une femme, qui n’a et qui ne peut avoir aucun droit ni caractère d’enseigner aucune doctrine et discipline particulière,

A dit qu’elle ne peut entendre autre chose par ces termes de ladite lettre si ce n’est que ceux qui l’ont écrit (croient qu’elle n’a pas de mauvais sentiment) que sa foi est orthodoxe, qu’elle n’a aucun sentiment relâché, et qu’il n’y a aucune corruption dans ses mœurs, que si ils ont entendu autre chose, c’est à eux à qui il le faut demander, […]

Quatrième interrogatoire de Mme Guyon, le 26 janvier 1696

Le récit du séjour italien fournit d’intéressantes indications complémentaires.

[…]

Et dès le lendemain qu’elle répondante fut arrivée, le père de la Combe, après avoir dit la messe aux ursulines, partit pour aller prêcher le carême à Oste [val d’Aoste], d’où il passa ensuite à Rome pour les affaires de sa congrégation, où il demeura encore près d’un an, et lorsque le père de La Combe revint au dit lieu de Thonon dont il était supérieur, la sœur d’elle répondante, qui était religieuse ursuline1294 du couvent de Montargis, arriva au dit lieu avec une permission de M. l’archevêque de Sens, et une lettre pour elle répondante par laquelle il l’invitait de revenir dans son diocèse, que cependant M. de Genève ayant dit au père de La Combe de porter elle répondante à donner le bien qu’elle avait réservé à la maison des Nouvelles Catholiques de Gex, et le père de La Combe s’étant excusé de l’exiger d’elle répondante, M. l’évêque de Genève lui en veut mauvais gré, et le1295 menaça de l’interdire; Mais les persécutions de l’ecclésiastique de Gex pendant tout ce temps-là n’ayant pas cessé de la part dudit ecclésiastique de Gex nonobstant l’offre qu’elle répondante faisait de donner mille livres tournois de rente à ladite maison de Gex pendant qu’elle serait dans le pays, qu’elle a donné pendant les trois années qu’elle a demeuré à Thonon, madame de Savoie en fut enfin avertie et cette princesse ayant d’ailleurs quelque mécontentement de M. l’évêque de Genève de ce qu’il avait écrit contre elle [f ° 153] à M. le duc de Savoie avant son mariage, madame de Savoie envoya à elle répondante une lettre de cachet qui fut expédiée par M. le marquis de Saint-Thomas secrétaire d’état, avec ordre à elle répondante de se rendre à Turin, et au père de La Combe de l’y accompagner, ce qu’il fit1296, et afin qu’en exécutant cet ordre le voyage fût fait avec toute convenance possible, elle répondante désira qu’un autre religieux du même ordre du père de La Combe les accompagnât jusqu’à Turin. Le père Alexis Fau... âgé lors d’environ quarante ou quarante-cinq ans, vint à Turin avec elle répondante, sa fille et la servante qui est actuellement auprès d’elle appelée Marie de Lavau, et connue en divers endroits sous le nom de famille;

Que pendant huit ou neuf mois qu’elle demeura à Turin, elle fut toujours chez la marquise de Pruné sœur de M. le marquis de Saint-Thomas1297, que le père de La Combe s’en retourna après cela à Verceil, et madame Royale1298 ayant désiré de l’entendre prêcher en français, il y vint prêcher l’Avent à Turin, d’où M. l’évêque de Verceil1299 le rappela le quatrième dimanche de l’Avent; que pendant le séjour qu’elle répondante fit à Turin, le fils de la dame de Pruné étant revenu des études dans la maison de sa mère, elle répondante eut quelque peine, à cause de sa fille, ne croyant pas convenable qu’elle y demeurât davantage à cause du retour du fils de la maison qui était un jeune homme, et ayant proposé sa difficulté à ladite dame de Pruné, qui avait d’ailleurs quelque pensée de faire un jour le mariage de son fils avec la fille de la répondante, elle lui donna conseil de la mettre à Monfleury en Dauphiné. D’un autre côté M. l’évêque de Verceil ayant eu la pensée d’établir une congrégation, à peu près comme celle de Mme de Miramion, ladite dame de Pruné ayant représenté à elle répondante que dans la suite M. l’évêque de Verceil penserait aussi à faire le mariage de sa fille avec l’un de ses neveux, si elle la mettait dans le couvent des filles de Sainte-Marie de Turin, où M. de Verceil avait une sœur religieuse, elle répondante prit la résolution de la mener, comme elle fit, à Monfleury.

Cependant M. de Verceil ayant eu avis de sa résolution lui écrivit plusieurs fois, et lui envoya le père de La Combe à Grenoble pour la persuader [f ° 154] d’aller à Verceil pour faire l’établissement de la congrégation dont elle a ci-devant parlé1300, mais s’en étant excusée, et six mois après elle répondante, voulant revenir chez ladite dame marquise de Pruné1301 à Turin, suivant qu’elle lui avait promis, elle partit pour cet effet de Grenoble; et la montagne étant dans ce temps trop difficile à passer, elle fut conseillée de s’embarquer sur le Rhône, et le sieur Lyons promoteur de M. de Grenoble avec un autre ecclésiastique de la connaissance du dit sieur Lyons s’offrirent de l’accompagner jusqu’à Marseille, où le sieur Lyons qui est du pays avait quelque consultation à faire pour sa santé. Et en partant de Grenoble le sieur comte de Tache l’ayant chargé d’un paquet pour le sieur chevalier de Moreüil, et dans ce paquet s’y étant trouvé un livre du Moyen court et facile..., lors de l’ouverture du paquet par l’aumônier de Galeve dudit sieur chevalier de Moreüil, qui était bien de septante-deux disciples de Saint-Ciran1302, le prétexte de ce livre attira un grand nombre de personnes à la maison où la répondante était logée, pour lui faire insulte, ce qui l’obligea de voir M. de Marseille et de se retirer après cela, pour continuer son chemin à Verceil où elle demeura pendant six mois.

Et ayant résolu de repasser en France, à cause du mauvais air de ce lieu, elle en partit après six mois de séjour, et M. l’évêque de Verceil lui donna un carrosse, un ecclésiastique et un gentilhomme pour l’accompagner, et parce qu’en ce même temps le général des barnabites vint à décéder, et que le père Aupois qui était premier assistant, avec l’autorité du général, avait destiné le père de La Combe pour être de la maison et famille de Paris, le dit père Aupois ordonna au dit père de La Combe d’accompagner elle répondante, comme il fit, premièrement jusqu’à Grenoble, où elle répondante prit sa fille à Monfleury, et partirent de Grenoble avec le père de La Combe par les voitures publiques jusqu’à Lyon où elle répondante remit sa fille avec sa gouvernante entre les mains du père de la Mothe pour la mettre au couvent de Malnoüe jusqu’à ce qu’elle répondante fût arrivée à Paris; qu’elle partit de Lyon avec le père de La Combe dans une voiture publique, et furent à Dijon chez la dame Languet, où elle demeura [F ° 155] pendant quelque temps.

Pendant lequel le dit père de La Combe allait et venait à un lieu proche de Dijon, où l’on voulait faire un établissement d’une maison de leur ordre, et après avoir demeuré en ce lieu environ 15 jours, elle répondante revint à Paris par la voiture publique avec la fille qui l’avait toujours suivie, le père de La Combe était dans la même voiture1303, mais elle répondante pria le beau-père du sieur marquis de Montpipault de vouloir bien accompagner elle répondante jusqu’à Paris1304.

Lecture faite du présent interrogatoire a dit ces réponses contenir vérité a persévéré et a signé ainsi signé J. M. Bouvier et de la Reynie en la minute.1305.

Cinquième interrogatoire de Mme Guyon, le 28 janvier 1696

[…] A quelle personne elle a communiqué son livre de «Cantique des Cantiques de Salomon interprété selon le génie mystique» pour le revoir sur l’impression [f ° 158] qui en avait été fait,

A dit qu’elle répondante ayant donné son manuscrit à un ecclésiastique pour le copier, il en retint une copie indépendamment d’elle répondante et du père de la Combe, qui était lors à Verceil1306, et elle répondante à Grenoble, que ledit ecclésiastique portant un an après sa copie qu’il fit imprimer à Lyon par le nommé Briaçon, et elle répondante en ayant eu avis aussi bien que le père de la Combe, il écrivit trois différentes lettres au dit Briaçon pour le prier de ne pas imprimer, et le dit père de la Combe, voyant qu’il ne pouvait empêcher cette impression, écrivit au dit Briaçon de suspendre la continuation de l’impression des feuilles dudit livre jusqu’à ce qu’il y eut fait une préface que le père de La Combe fit ensuite, et qui est celle qui est au commencement dudit livre1307, que sans cela elle répondante se serait contentée d’y mettre le texte qui se voit encore au dit livre; qu’elle répondante le composa pendant son séjour de Grenoble, sur ce que, en lisant l’Écriture, il lui vint plusieurs pensées qu’elle écrivit rapidement en telle sorte que ledit livre fut composé et écrit dans l’espace d’un jour et demi après avoir demandé la permission au père de La Combe d’écrire sur ce sujet les pensées qu’elle avait; et le père de La Combe étant venu ensuite à Grenoble de la part de M. l’évêque de Verceil, elle répondante lui montra ledit manuscrit en lui disant le peu de temps qu’elle y avait employé, et le père de La Combe ayant vu l’étendue du dit manuscrit lui dit sans l’examiner autrement que cela n’était bon que jeter au feu, et elle, pour obéir le jeta sur-le-champ dans le feu, mais le père de La Combe l’en retira aussitôt1308, […]

Si ledit père de La Combe n’a eu aucune part à la composition dudit livre,

A dit qu’elle l’a composé, et ne sait pas si le père de La Combe lorsqu’il a fait la préface dudit livre y a fait quelques corrections, qu’elle se souvient bien qu’il lui fit changer une [f ° 160] phrase qu’elle avait renversée, qu’il est vrai aussi qu’elle répondante ayant écrit le texte en français qu’elle avait prise dans une ancienne Bible imprimée à Louvain, le père de La Combe en corrigea les textes après l’avoir vérifié sur d’autres interprétations1309,

Et qu’après cela le père de La Combe écrivit aussi le texte latin qui est au dit livre du Cantique afin qu’on pût voir que la traduction française du texte était conforme à la version latine

Si le père de La Combe n’a pas aussi travaillé à la composition dudit livre de l’Explication de l’Apocalypse dont elle a envoyé en dernier lieu le manuscrit au dit père de la Combe,

A dit que non, et qu’elle ne lui a jamais communiqué jusqu’à ce qu’elle lui en a envoyé le manuscrit depuis être sortie de Meaux, et qu’elle a composé avec la même rapidité qu’elle avait fait le livre des Cantiques1310.

Si le père de La Combe n’a eu aucune part à la composition du livre qui a pour titre Moyen court et facile1311,

A dit que non, mais qu’il est bien vrai que ledit père de La Combe étant à Paris, et ayant lu ledit livre, il y fit diverses corrections qu’il écrivit de sa main sur le livre même, et qu’il le porta ensuite au sieur Coursier Théologal de Paris; qu’elle composa ledit livre1312 étant à Grenoble et qu’un conseiller de ce parlement appelé M. Girault en ayant trouvé le manuscrit sur la table d’elle répondante, il le prit, et après l’avoir communiqué à une autre personne de piété, le fit imprimer sans la participation d’elle répondante, qui néanmoins à la prière dudit sieur Girault le divisa par article, et y fit la préface qui se voit au dit livre, […]

Septième interrogatoire de Mme Guyon, le 1er avril 1696

[…] Avons remontré à la répondante qu’il paraît par cet réponse du père de la Combe, qu’elle a continué d’être en commerce de lettres avec lui, jusques au temps qu’elle a été arrêtée, et qu’elle faisait encore état au temps de la dernière lettre d’elle répondante, de se rendre au printemps au lieu où le père de La Combe est actuellement, et que c’est par cette même raison que le père de La Combe lui a écrit par la lettre représentée en ces termes : «Songez à faire le grand voyage» et par là qu’elle avait demandé au père de La Combe quelque personne du pays pour la conduire, il lui a fait réponse que personne ne pouvait aller du lieu où il est pour se rendre auprès d’elle, sans que cela fît trop d’éclat, ainsi qu’il lui avait marqué par d’autres lettres ci-devant représentées.

A dit qu’elle a toujours eu commerce de lettres avec le père de la Combe, qu’elle l’aurait continué si elle était restée libre, et qu’il ne lui a jamais été défendu; quant au dessein du voyage, ce que le père de La Combe lui marque par sa dernière lettre, est toujours en conséquence de la première lettre qu’elle répondante lui avait écrite sur ce sujet et quoiqu’elle répondante eut entièrement changé de volonté à cet égard, elle a cru qu’il suffisait de faire savoir au printemps le changement de son dessein. […]

Huitième interrogatoire de Mme Guyon, le 2 avril 1696

[…] Avons remontré à la répondante, qu’elle devait d’autant moins persister dans cette dénégation, qu’il paraît par les trois dernières réponses du père de la Combe, et par ce qu’elle a bien voulu reconnaître elle-même, que les sentiments du père de La Combe et ceux d’elle répondante, sont entièrement conformes; que leur doctrine qui est celle des Enfants du petit maître, sont non seulement semblables, mais encore concertées entre eux; que les livres imprimés, que les manuscrits qu’elle répondant a dit avoir faits, sont ouvrages communs d’elle et du père de la Combe, et que depuis qu’elle et le père de La Combe ont été séparés, ils n’ont cessé d’…1313 réciproquement et sur toute leur conduite, le conseil l’un de l’autre.

A dit que le dit père de la Combe, lui ayant été donné par un évêque pour son directeur, et qu’elle-même l’ayant depuis choisi pour cela, elle n’aurait jamais cessé de lui obéir et de suivre sa conduite, si elle avait été à portée de le pouvoir faire; qu’elle lui obéirait encore si elle pouvait lui demander ses avis et ses conseils, à moins qu’il ne lui fût défendu, ou que l’on lui fit voir quelques erreurs dans la doctrine du père de La Combe et dans ce dernier cas d’hérésie, elle le détesterait de tout son cœur, et qu’il y a peu d’apparence qu’une petite femme ignorante comme elle1314, se soit mêlée de donner des conseils au père de la Combe, que ce n’est que par humilité et confiance qu’il lui a écrit ce qui se trouve dans les lettres. […]

Vie, 4,5 : La fausse lettre de La Combe

Nous ne reprenons pas sauf quelques précisions :

[…] Il me dit : «La lettre est de lui — Si elle est de lui, dis-je, Monsieur, il n’y a qu’à me le confronter.1315 C’est le moyen de découvrir la vérité». […]

Le procès des mœurs (revue de détail)

[…] En conclusion, les deux insinuations les plus directes portant sur les mœurs les plus intimes, d’une part issue d’une dénonciation de Cateau-Barbe, reprise par Dom Le Masson, d’autre part venant des témoins de rapports paraissant trop intimes avec le P. la Combe, renforcés par une fausse lettre attribuée au P. La Combe et présentée à Mme Guyon à Vincennes, ne purent être confirmées malgré des pressions intenses. Mme de Maintenon eut communication des interrogatoires préparés soigneusement, une enquête avait été préalablement conduite sur toutes les relations de l’accusée1316. Mme Guyon fut finalement lavée sur le chapitre des mœurs : «Et quand l’Assemblée du Clergé donna le 26 juillet 1700 à Bossuet l’occasion de présenter une relation de toute l’affaire, il dut reconnaître […] que pour les abominations qu’on regardait comme les suites de ces principes [quiétistes], il n’en fut jamais question, et cette personne en témoignait de l’horreur. » 1317.

L’abbé Cognet, en 1967, met en cause l’évêque de Grenoble : «l’attitude prise par Le Camus demeure mystérieuse et, pour l’apprécier, il faut tenir compte des sympathies ouvertement jansénistes et de l’évidente duplicité du personnage, qui plus tard cherchera à se donner la gloire un peu facile d’avoir été l’un des premiers à détecter le quiétisme en France1318.» Deux études de Jean Orcibal confirment la réhabilitation 1319. Mme Gondal constate qu’«à mesure que les documents sortent du silence où ils ont été enfouis, la contre-accusation menée par l’accusée s’avère exacte 1320.»

LETTRES DE PRISONS (1690 - 1695)

41. DU PÈRE LACOMBE AU GÉNÉRAL DES BARNABITES 1er février 1689.

[…] peu de temps après, j’ai été incarcéré à l’improviste, et traité avec tant de rigueur que toutes relations me furent interdites, aussi bien avec nos religieux qu’avec toute autre personne.

Sans doute durant les quatre mois que je fus à l’île d’Oléron, j’ai joui d’un peu de liberté, et j’en ai profité pour de là envoyer une protestation au révérend père provincial. Toutefois, la peur de causer de nouveaux désordres vu l’interdiction qu’il m’était faite d’écrire, me retint alors et m’a retenue jusqu’à ce jour. Aujourd’hui cependant, ayant trouvé le moyen de faire passer ma lettre, j’estime que je ne dois plus différer l’accomplissement d’une obligation qui est mienne, puisque la loi divine et la loi humaine me font un devoir d’obéir en tout à Votre Révérence.

Je confesse tout d’abord, et j’en demande humblement pardon, que je fus extrêmement surpris d’apprendre les prohibitions rigides qui me furent infligées par vous, dont la bonté pour moi avait toujours été si grande, et aussi de savoir quelle mauvaise impression mes adversaires vous avaient donnée à mon sujet. D’autant plus que je n’avais été prévenu par aucun avis préalable, que rien absolument ne m’avait été interdit dans le passé, et que je n’avais, de ma vie, transgressé aucun ordre d’aucun supérieur.

En me voyant donc devenu tout d’un coup tellement suspect qu’il semble que je dusse infecter quiconque aurait en moi de la confiance, et cela avant même la tragédie survenue depuis lors, je pensais que la Congrégation sans doute serait bien aise de se débarrasser de moi, et de me voir déchargé d’un fardeau dont elle-même paraissait fort incommodée. Tout cela me poussa à demander un changement de religion2, mais non certes avec la pensée d’offenser la nôtre, qui est pour moi une mère très aimée et très vénérée, non plus que votre paternité (Dieu m’en garde!), et encore moins avec la pensée de vous causer la plus petite peine. Car j’aime et révère au plus haut point et la tête, et les membres, et le corps de notre saint Ordre, et me tiens pour très heureux et très honoré d’en faire partie. Mais, dès lors que Votre Paternité fut blessée de cette demande, j’avoue que j’espère de cette clémence un pardon que j’implore avec instante soumission.

Par la suite, je sus d’où venaient ces étranges rumeurs et tous ces horribles récits qui furent répandus sur mon compte, en Italie aussi bien qu’en France.

[…] Par la suite, mon évêque6 envoya à la cour de France d’effrayants rapports. Il est certain que si les accusations produites par lui eussent été prouvées, c’était assez pour me faire condamner comme hérétique consommé.

[…] Qu’on ait interdit mon petit livre Analysis8, je n’en suis point émerveillé. Je m’attendais à ce coup, sachant qu’on n’avait point pardonné à certain livre de l’Eminentissime Petrucci9, que je sais bien indemne pourtant de ces vilaines erreurs en ayant des preuves très certaines; ce dont je rendrais volontiers témoignage, si j’étais en état de le faire. Et puis, lorsqu’on m’a vu condamné comme quiétiste par ce tribunal, avec raison on a pu croire que j’avais publié mon opuscule dans un but pervers. […]

42. DU PERE LACOMBE. 1690 (?)

Je m’étonnais jusqu’ici pourquoi Dieu vous unissait si fort à moi et vous donnait à mon égard une dépendance incomparable, me voyant en tout si misérable, et plus qu’incapable de vous servir en rien. Maintenant j’en comprends le secret; c’est que Dieu, voulant ajouter à votre intérieur très perdu un extérieur des plus anéantis, et vous conduire par des renversements étranges et par les plus profondes abjections, il m’a choisi pour en être l’organe, comme le plus insensé et le plus malhabile de tous les hommes… […]

43. DU PERE LACOMBE. 8 novembre 1690.

[verso]

... persécuteur... b

... bien dû à ma témérité et à ma folie, et qu’une conduite aussi pitoyable que la mienne l’a toujours été, devait avoir naturellement pour succès et pour terme la ruine et la perte où je suis tombé. J’en ai néanmoins de la joie, et beaucoup, avec un parfait contentement, par l’amour de l’ordre de Dieu. Cette disposition se raffermit et s’augmente en moi à proportion que mon état extérieur est plus désolant et plus désespéré selon l’homme. Pour ce qui est de mon illustre adversaire, s’il est vrai, comme il dit, qu’il a le plus contribué à me réduire où j’en suis, on peut dire qu’il m’a donné de cette sorte le coup de pistolet à la tête dont il me menaçait autrefois à Turin me... c la mort civile, et me laissant la naturelle, afin que...


A. S.-S., pièce 7250, autographe difficile qui se présente comme un fragment dont on peut déchiffrer les deux côtés, d’où l’interruption dans le texte; au même numéro de pièce se trouve rattachée la transcription moderne par E. Levesque.

a fin du texte porté au recto.

b fin de ligne manquante.

c manque.

44. DU PERE LACOMBE. 28 janvier 1693.

Je prends la plume sans savoir que vous dire ni de quoi vous entretenir : toutes choses sont si peu qu’on n’a ni pouvoir ni volonté même de les regarder. Dieu est tellement tout qu’Il remplit, absorbe et épuise tout et, sans qu’on n’en sache rien dire, ni même qu’on le veuille ni qu’on y pense, on en est tellement plein, sans en sentir la plénitude, qu’on n’a ni force ni vigueur pour quoi que ce soit, quoique jamais on n’ait eu plus de force et de vigueur pour être mû, pour entreprendre et pour soutenir tout ce qu’un autre nous-mêmes veut de nous. On est sans force, sans dessein, sans vue et sans désir par soi-même et de soi-même, non que l’on sente ou que l’on aperçoive ce soi-même : on n’en a pas même la moindre idée, pas plus que si jamais l’on n’avait eu de soi-même ou qu’on eût su ce que c’était. C’est une vie bien cachée aux sens et aux créatures.

Vous savez, chère amante de Jésus enfant, et l’unique délice de mon cœur, vous savez que l’esprit de l’homme, quelque grand et doué qu’il soit ou qu’il s’imagine d’être, n’est pas capable de comprendre par lui-même la millième partie de cette vie de Dieu dans l’âme. Et comment la comprendrait-on? Ce ne serait plus ce que c’est, si on le comprenait. Il faut en être compris pour en apercevoir quelque chose, et encore, quand il nous est donné, et non autrement. […]

Vous ne m’aviez pas dit le nom de votre abbé, de cet abbé que je voulais déplacer pour me mettre en sa place. Je ne pouvais souffrir qu’il fût avant moi, vous vous en souvenez bien, et cela vous faisait rire : je ne fus pas même content quand on me mit dans le même rang. Vous savez comment on trouva le secret de me contenter sans pourtant le déplacer. Je suis bien aise qu’il conserve sa place, il n’est pas mal placé selon ce que j’ai connu que vous aviez pour lui. Il sera bien des amis du petit Maître, puisqu’il l’est tant des vôtres. […]

J’espère toujours de voir cette Vie, et que votre petit Maître vous fournira quelqu’un pour l’écrire; ne me l’envoyez pas que je ne le sache auparavant, pour vous donner une adresse fidèle, parce que les messages ne viennent pas jusqu’ici. Faites bien un petit enfant de votre abbé, que j’honore bien : il me suffit que j’aie vu l’estime et l’amitié que vous aviez pour lui. Ce ne sera pas une affaire quand il deviendra tout à fait enfant, puisque le Verbe a bien voulu être enfant. […]

Juste :

résumé et bref commentaire de Levesque : «Il lui exprime les sentiments que Dieu lui inspire pour elle [...] Je crois que la malignité du monde trouverait un peu trop à s’égayer sur la mysticité de cette lettre»

exemple tiré de cette lettre : Encore un coup, chère épouse de Jésus-Christ enfant, que je goûte votre cœur! Que mon âme est perdue dans la vôtre! Oui, perdue, car elle ne s’y voit, ni ne s’y sent, et elle y est. Que de charmes sans charmes! Que d’attraits sans attraits dans tout ce qui vient de vous! J’ai lu vos Prophètes et vos Psaumes, je vois partout l’état de cette âme où Jésus-Christ S’est incarné et dont Dieu est devenu la résurrection et la vie.

45. AU PERE LACOMBE. 1693 (?)

Je prie Dieu, mon cher père, d’être votre consolation, votre mort et votre résurrection. Nous ne perdons pas nos amis, quoiqu’ils meurent, si nous avons la foi : ils ne font que nous devancer, lorsqu’ils sont à Dieu comme l’était notre ami. […]

En voilà beaucoup pour une lettre. Je prie le p[etit] M[aître] de la faire arriver à bon port. Consolez-vous, cher père, en ne voulant que la volonté de Dieu : Dieu purifie par là l’écume dès lors... diminue et n’en restera guère lorsque l’écume en sera ôtée, mais ce qui restera sera pur pour le Seigneur. Je vous embrasse des bras du p[etit] M[aître].

46. DU PERE LACOMBE. 16 novembre 1693.

[…] Cette bourrasque que nous venons d’essuyer entre nous était nécessaire, à vous, pour rendre votre désolation plus extrême, à moi, pour être encore dépouillé de la douceur de l’avantage que je trouve dans notre union. Ce coup de retranchement fut le dernier, ce me semble, qui me disposa à ma mort mystique, laquelle s’acheva le 6 du mois passé, fête de saint Bruno. J’ai tout sujet de le croire par la manifestation intime et singulière qui m’en fut faite alors, et par les effets qui l’ont suivie et qui continuent; daignez en rendre grâces et gloire à Dieu pour moi. Dès l’entrée de ma prison, je me trouvai tout naturel et tout animal. Qu’il a fallu donner de coups! Qu’il a fallu faire avaler de poison à une si grosse et si vilaine bête pour la faire mourir. Cette mort entière et défaillance totale à soi-même et à tout le créé n’arrive pas si tôt que l’on pense. Elle n’avance qu’à proportion [f. 1 v °] des privations et des dépouillements qui la causent, et il paraît bien, par ce qui arrive à la suite, qu’elles n’étaient pas extrêmes ni complètes, lorsqu’on l’aurait pu croire.

Qu’est-ce qui vous a obligée de quitter Paris et de vous cacher ainsi? Quoi! tous vos anciens amis vous ont-ils abandonnée? […]

Si mes pressentiments ne me trompent point, je ne serai jamais rétabli parmi les barnabites, mes confrères. Il est arrivé deux obstacles à ce que l’on s’était promis en ma faveur : l’un est que le père Presset, supérieur de Tonon [Thonon]3, ayant tenu des discours séditieux (ainsi qu’on les appelle) au marquis de Sales, étant à table avec lui en présence de gens qu’il ne croyait pas suspects, tout fut rapporté à M. le Ma[récha]l de Catinat, qui en a informé le Roi; c’est la cause pourquoi on n’a pas osé demander ma liberté à Sa Majesté. Ledit père est fugitif d’état pour ce sujet. L’autre obstacle est qu’on a fait à la Cour de nouvelles plaintes de ce que, dit-on, je reçois beaucoup de lettres. Sur quoi M. le marquis de Chateauneuf a écrit une seconde lettre à notre gouverneur, après la première de même style qui vint, il y a trois ans, lui ordonnant de la part de Sa Majesté de tenir soigneusement la main à ce que je n’écrive ni ne reçoive aucune lettre. Ce que l’on a sifflé encore contre moi étant faux et visiblement controuvé4, puisque je n’ai de commerce qu’avec vous et qu’aucune de nos lettres n’est tombée entre leurs mains. […]

De plus, j’avais un petit commerce avec un confrère d’une des maisons de ces quartiers qui m’apprenait bien des choses. Mon disciple, neveu du gouverneur, s’en étant aperçu, l’a rapporté à son oncle : voilà sa reconnaissance. Sans la culture des jardins, je serais renfermé à la rigueur. […]

47. DU PERE LACOMBE Fin 1693.

[…] [Mme Guyon lui a demandé d’écrire] Tous les instruments de tels concerts sont pendus aux saules du lieu de mon exil, où je suis de plus condamné aux mines, étant réduit par une admirable providence à travailler à des jardins depuis le matin jusqu’au soir, n’ayant d’autre étude que de cultiver la terre, ni de plus ordinaire méditation que celle des plantes. Hors de là, tout est réduit à une espèce d’abrutissement. Priez Dieu, mon très honoré et très cher inconnu […]

48. DU PERE LACOMBE. 10 novembre 1694.

[…] Le travail que vous avez entrepris, pour justifier les voies intérieures, est pieux et louable, mais je doute qu’il persuade ceux qui leur sont contraires. Ils ne veulent pas même lire ces sortes d’ouvrages, entêtés qu’ils sont qu’il n’y a rien de bon; ou s’ils en lisent quelque peu, c’est avec tant de préoccupation et si peu d’intelligence qu’ils ne peuvent être éclairés ni édifiés des solides et pures vérités que [de] tels livres contiennent. J’avais entrepris un ouvrage foncier sur ces matières à dessein de convaincre les doctes, et par l’autorité des plus grands auteurs,

1Les Torrents.

et par la théologie scolastique; j’y travaillais avec des dégoûts et amertumes intérieurs qui me faisaient assez connaître que cela ne m’était pas inspiré de Dieu. A la fin, il m’a fallu brûler ce que j’avais fait et abandonner l’entreprise. J’ai néanmoins un traité tout fait en latin, pour la confirmation et la plus ample [F ° 69] explication de mon livre. J’ai retouché une seconde fois le Moyen facile : il est au net, mais comment vous l’envoyer dans une si grande incertitude de votre sort? J’avais commencé à réduire en meilleur ordre votre écrit des Rivières1; il a fallu le quitter. Je me sens porté à entreprendre quelques compositions de cette nature; puis ayant un peu avancé, on me les fait abandonner. Présentement toute lettre même m’est interdite : on me veut dans une si exacte dépendance que je ne puis former aucun dessein ni disposer d’une action ou d’un quart d’heure de temps. Il faut que l’aveugle et rapide abandon entraîne tout, justement comme le torrent, qui, dans les plus violentes cataractes, ne peut ni regarder d’où il vient ni prévoir où il va. Il ne m’a pas été permis de retenir dans ma chambre ce que j’avais d’écrits; j’ai été obligé de les abandonner à un ami.

La doctrine du Saint-Esprit ne s’apprend que du Saint-Esprit même, et dans ces choses mystiques, la maxime de saint Bernard est toujours véritable, que l’homme ne peut entendre que ce dont il a l’expérience. Il est vrai que l’on peut faire voir [f ° 69v °] aux adversaires de cette divine science qu’il n’y a point d’erreurs ni de dangers dans les expressions qui lui sont particulières et nécessaires, s’ils veulent entendre patiemment ce qu’on leur en dit. […]

Mais pour donner à nos contradicteurs de l’estime et du goût pour les voies intérieures, il faudrait pouvoir les engager à faire constamment oraison, et à se renoncer et poursuivre eux-mêmes. Alors la lumière naîtrait dans leurs cœurs. Ce fut la réponse que fit le savant et saint cardinal Ricci à un qui voulait disputer avec lui sur ces matières : «Allez, lui dit-il, faire oraison durant vingt ans, puis vous viendrez en raisonner avec moi». Ainsi il n’y a pas lieu de s’étonner que la doctrine mystique ait tant d’ennemis. Il faut qu’elle en ait autant que l’estime et l’amour-propre ont d’amis. […]

Pour ce que vous me demandez, si vous devez aller vous présenter vous-même, après avoir achevé vos Justifications, je vous dirai, 1 ° qu’encore qu’il faille communiquer toutes choses avec les gens d’union, il est néanmoins mal [f ° 70v °] aisé de donner un bon conseil aux âmes, qui, ne se possédant plus elles-mêmes, sont conséquemment entre les mains d’un Maître jaloux de Sa possession, et qui ne prend pas conseil de nous : ainsi, je ne puis que vous dire de faire ce qui vous sera mis dans le cœur. 2 ° Puisque vous avez promis de vous présenter, il n’y a plus à consulter là-dessus. Ce sera une action digne de vous, digne de votre bonne cause, digne de Dieu, pour la gloire de qui vous la soutiendrez, même dans les liens et jusqu’au supplice, s’il le faut. Vous étant livrée pour tous, il vous faut paraître, parler, répondre, payer pour tous. A la bonne heure, que Dieu prenne Sa cause en main et confirme dans Sa vérité et dans Son amour tous ceux qui ne rougissent point de Le confesser et de Le défendre! Pour moi, je n’ai que le silence et l’inutilité en partage. Une vie tracassière, traînante, abjecte, obscure est mon affaire. Si je pense m’en retirer pour peu que ce soit, je me trouve mal : le ver n’est bien que dans sa boue. Continuez-nous la consolation d’avoir de vos amples nouvelles. Toute la chère et constante société de ce lieu vous en prie, vous saluant de tout son cœur. […]

49. DU PERE LACOMBE. Mai 1695.

Au seul Dieu soit honneur et gloire.

Sur leurs écrits :

J’ai vu l’Ordonnance du seigneur prélat dans le diocèse duquel vous êtes présentement. Je ne puis que louer et bénir Dieu avec votre cœur, qui le fait sans doute constamment, pour la nouvelle flétrissure qu’Il a permis qui nous soit arrivée par cette nouvelle condamnation de nos petits ouvrages, lesquels néanmoins ne sont pas tant de nous que de tant de graves auteurs qui ont écrit sur ces matières avec beaucoup plus d’étendue et plus de liberté. Nous ne sommes que leurs échos, qui avons tâché de répéter fidèlement les paroles que nous avions reçues d’eux.

Dans mon Analysis 1, j’ose dire qu’il n’y a rien du mien que la préface, à laquelle on ne trouva rien à redire lorsque je fus interrogé à Paris. Tout le reste est tiré de bons auteurs qui y sont cités; et si, vers la fin de 1’ouvrage, je ne les allègue pas, je ne laisse pas de rapporter leurs propres termes, comme il me serait aisé de le justifier si j’étais en liberté et que je pusse être écouté. […]

Je m’étonnerais qu’en épargnant tant d’écrivains qui en ont dit infiniment plus que nous, on nous eût singulièrement entrepris, n’était que les désordres qu’on a reconnus en nos jours ont donné lieu de se plus défier. Cependant j’ai devant Dieu, dans ma conscience, la consolation de ne voir, ni dans mon écrit ni dans mon opinion, les erreurs qui sont justement condamnées dans les articles de l’Ordonnance. Et si je pouvais produire ce que j’en ai écrit, on verrait que je combats directement les principales qui y sont marquées, et contre Molinos, la continuation de son acte de foi non interrompu, ce qui est d’autant plus ridicule qu’il la veut établir même dès les premiers pas de la vie intérieure, au lieu que ce privilège n’est que pour les parfaits contemplatifs gratifiés d’une contemplation infuse, et contre l’aveugle Malaval2, qui a exclu de l’objet de la [f ° 128] contemplation les attributs divins et l’humanité de Jésus-Christ, contre le sentiment de tous les anciens, et contre la définition même de la contemplation. […]

Pour nous, ma chère sœur, frappés, flétris, décriés depuis si longtemps, laissons à Dieu le soin de Sa vérité, de Son Église, des âmes où Il veut régner, et contentons-nous, pour tout bien, de l’amour de Sa volonté et de l’accomplissement de Ses plus que justes desseins. Rien ne périt pour nous, puisque rien ne périt pour Dieu. Demandons-Lui d’un même cœur le véritable amour de Sa gloire plus que de nous-mêmes, plus que de tout bien créé : vivons et mourons dans le total abandon que Son amour nous doit inspirer. Ô que cet abandon est bien exprimé dans ces beaux mots de saint Cyprien et de saint Augustin : ut totum detur Deo! que tout soit donné à Dieu, tout remis, tout délaissé, et pour le temps et pour l’éternité; que ce soit l’unique terme où tende fidèlement notre cœur! Avec cela seul, il ne lui manquera jamais rien, car c’est là la parfaite charité à laquelle rien ne manque, puisque Dieu est charité. Je Le prie d’être votre force et votre protection parmi vos traverses et vos maux de toutes sortes, jusqu’à ce qu’Il opère votre bienheureuse consommation. Tous les amis et les bonnes âmes de ce lieu vous saluent très cordialement. On a fait de cœur beaucoup de prières pour vous. Des personnes d’une vertu éprouvée se sentent unies à vous sans vous avoir vue, quelques-unes même sans avoir guère ouï parler de vous. Pour moi, je demeure constamment votre très acquis en notre Seigneur Jésus-Christ crucifié.

50. DU PERE LACOMBE. 12 mai 1695.

[…] Je vous croyais en repos dans une profonde retraite, et j’apprends que c’est là même que vous êtes plus tourmentée. De toutes les lettres, si bonnes, si utiles, si fidèles, que j’ai reçues de vous, nulle ne m’est si chère que la dernière, parce qu’aucune ne m’a tant fait voir jusqu’où la divine main vous immole, et quelle est la pesanteur de la croix dont elle vous a chargée. A en juger évangéliquement, et à remarquer les dispositions dans lesquelles vous la portez, assistée d’une puissante grâce qui vous rend immobile dans l’amoureuse résignation, ce n’est pas mauvais signe; au contraire, la conduite et le règne de Dieu y paraissent sensiblement. Pour peu qu’on y fît d’attention, on y découvrirait les caractères [f ° 125v °] de l’Esprit de Dieu, mais, dans le temps d’obscurcissement, de si claires et de si pures vérités sont méconnues et traitées d’erreurs. Dieu qui permit que les prêtres et les docteurs de la loi fussent aveuglés au sujet de la vie et de la doctrine de Jésus-Christ Son Fils, le permet de même à l’égard des âmes qu’Il veut rendre plus conformes à cet adorable Fils. C’est 1’amour-propre qui aveugle le cœur de l’homme; la science et l’autorité l’enflent; le désir de plaire aux puissances, de se faire un mérite auprès d’elles, de s’acquérir un nom dans le monde, détournent facilement de la droite voie et du juste jugement. […]

Quand je commençai d’être interrogé et contredit avec tant de préoccupation et d’aigreur sur des vérités si claires et si importantes, j’en fus si démonté et si accablé, que rien ne me paraît plus sensible. Mais je ne comprends pas comment vous pouvez signer, pour erreurs, des dogmes qui ne sont pas certainement de vous. À moins qu’on ne vous les montre dans leurs propres termes en vos écrits ou en vos réponses, il faut constamment refuser de les avouer pour vôtres, et persister dans la soumission que vous avez tant protestée, demandant un jugement sur le tout, et vous excusant de tant de signatures. Dieu vous veut sans autre conseil que le Sien; c’est bien assez; ce qui paraît renversement et désordre à l’esprit humain, sera reconnu de Dieu pour vérité, pour justice, pour amour. Que de bon cœur je vous aiderais de tout ce qui dépendrait de moi! Mais Dieu, pour Sa gloire et pour la consommation de votre sacrifice, vous veut abandonnée des hommes, et délaissée à Lui seul. Il s’accomplit en votre personne une histoire si singulière que la divine volonté, qui l’a inventée et qui l’exécute sur son projet éternel, en tirera une gloire immense. […]

Toute facilité d’écrire et de lire m’est ôtée, et mon étourdissement augmente de jour en jour. Je n’attends que la mort, et elle ne vient point; ou plutôt elle vient assez cruellement chaque jour, sans nous achever par son dernier coup. Le jardinage que j’exerce depuis cinq ans m’est insupportable, et d’une amertume extrême; cependant il faut que je le continue. Le corps est fort épuisé de forces et languissant, et si la divine main le pousse plus loin que jamais, une peine intérieure, laa plus bizarre que j’aie eue de ma vie, me fait beaucoup souffrir depuis quelques mois. Tout se verra en Dieu, si nous ne pouvons plus nous voir en ce monde.

Les enfants de Dieu dans ce lieu-ci sont constants dans leurs voies. Tous ceux qui ont ouï parler de vous vous honorent et vous aiment. Le principal ami5 ne se lasse point de me continuer ses charités et ses libéralités. Le jeune ecclésiastique comprend toujours mieux les voies de Dieu. Jeannette 6 ne vit presque plus que de l’esprit, son corps étant consumé par des maux si longs et si cruels. Elle vous aime et vous est unie au-delà de ce qu’ou peut en exprimer, vous goûtant et vous estimant d’autant plus que plus on vous décrie et vous déchire. Elle vous salue et embrasse en Notre Seigneur, avec toute la cordialité dont elle est capable. Nous n’attendons que l’heure que Dieu nous l’enlève. Elle a une compagne et confidente, entre autres qui est d’une simplicité et candeur admirable. Pour moi, je vous suis acquis plus que jamaisb, mais comme cela est toujours plus intime, je le sens et l’aperçois moins […]

51. DU PERE LACOMBE 25 mai 1695.

[…] Depuis mon autre lettre, j’ai lu tout votre Job. Il me paraît très bon, plein d’une connaissance profonde des voies les plus intérieures, et d’un don singulier de les bien expliquer. Il n’y a que deux ou trois endroits que je voudrais tant soit peu raccommoder, et en quelques autres, ajouter quelques petits éclaircissements. Il y a bien des choses qui m’ont été gravées dans le cœur depuis ma prison et que j’ai lues avec plaisir dans votre écrit telles que je les lisais en moi-même. […]

52. DU PERE LACOMBE. 3 juillet 1695.

[…] L’heure viendra que cette longue et effroyable tragédie prendra fin. Il y a près de huit ans que nous sommes sur le théâtre avec tant d’ignominie, sans compter les cinq ou six années précédentes de nos premiers renversements.

Toutes les lettres que je reçois de vous depuis ce temps-là m’apprennent des choses funestes selon l’homme, mais bonnes, mais avantageuses selon le dessein de Dieu. Qui sait si, un jour, après tant d’épines qui nous ont si fort piqués et déchirés, nous ne recevrons point du ciel quelques roses de paix et de repos? Du côté des hommes, je n’en vois aucune apparence. Dieu est tout-puissant. On m’a décrié de nouveau en ces quartiers sur des récits qui sont venus de loin. Je m’étonne que l’on ne m’entreprenne pas une autre fois. Quoi qu’il arrive de vous et de moi, Dieu, Sa vérité, Son règne, Sa volonté, Sa gloire subsistera toujours et triomphera en nous. Avec cela, rien ne peut nous manquer, puisque c’est là que se terminent toute notre ambition et tous nos vœux. Il se rend singulièrement admirable dans la conduite qu’Il tient sur nous et sur nos semblables. Il y paraît Dieu hautement, puissamment, terriblement. Tous les esprits L’en loueront dans l’éternité.

Tous les amis de ce lieu vous honorent constamment, vous estiment, vous aiment, quoique je ne leur cache pas tout le mal que l’on dit de vous. Les meilleures âmes que nous y connaissions vous sont les plus unies.[…]

53. DU PERE LACOMBE. 15 juillet 1695.

[…] Je voudrais bien faire ce que vous souhaitez, touchant les écrits que j’ai. Ce me serait un véritable plaisir d’être occupé à de si belles choses, au lieu que je ne fais que me traîner sur la terre et parmi la boue, outre que la plupart du temps je ne sais que faire. Mais je ne puis souffrir aucun ouvrage de l’esprit. J’en ai un presque achevé, auquel je n’ai pu toucher depuis quatre ou cinq mois. J’essaierai néanmoins de passer la main sur les vôtres. Priez le tout-puissant Maître de m’en donner la facilité avec le discernement nécessaire.

[…] Rien n’empêchera l’Esprit de Dieu de Se communiquer à qui il Lui plaira. Pour être éclairé par Lui, on n’a que faire de livres : il n’y a qu’à s’abandonner à Lui, Le suivre, et Lui demeurer bien soumis. Aussi, plus on Lui est assujetti en foi nue et par un pur amour, moins on a besoin de [F ° 147] livres. Sa divine onction enseigne tout ce qu’il nous faut savoir pour Lui plaire, et c’est tout ce qu’il nous faut savoir. Je ne doute point qu’en voulant mettre en beaux termes les ouvrages de ces grands hommes, on ne les affaiblisse et les altère, surtout si leurs traducteurs ne sont pas conduits par le même Esprit qui animait ces divines plumes. Saint François de Sales n’est pas si vieux qu’on ne l’entende fort bien, et qu’il n’ait beaucoup de netteté et de grâce.

[…] Tous les enfants d’ici vous saluent très cordialement : plus que tous, les deux ecclésiastiques, et Jeannette. […]

54. DU PERE LACOMBE 29 juillet 1695.

[…] Il ne faut qu’un néant sans résistance à un Dieu tout-puissant pour en faire ce qui Lui plaît. La peine bizarre dont je vous touchai deux mots dans une des miennes me dure encore; je ne puis encore vous l’expliquer clairement3. Rien ne m’avait causé de peines et si extravagantes et si cruelles, quoique au fond ce ne soit qu’une bagatelle, dont autrefois je n’aurais fait que me moquer. Les misères croissant, bien loin de diminuer, il en faut éprouver de toutes sortes. […]

Tous les amis et amies vous saluent très cordialement. En particulier Jeannette4, plutôt de l’autre monde que de celui-ci. Ses maux corporels sont extrêmes, sans pouvoir encore s’achever. Son esprit, tout tiré hors d’elle, trouve tout en Dieu. Il est croyable que l’Époux céleste la rend mère de plusieurs enfants de grâce; vous savez par expérience qu’il en coûte de cruelles douleurs. Recommandez-nous tous à l’immense petit Maître, comme nous vous offrons très particulièrement à Lui. Nos salutations à vos bonnes filles, Marc et Famille 5. […]

Il me semble que ce martyre intérieur sert particulièrement à ruiner, à faire fondre et disparaître ce qui reste d’être, même après la mort et la résurrection mystiques, et en même temps, les derniers appuis et effets de notre être, qui sont la raison, le conseil, la préméditation, la conduite naturelle à l’homme, choses qui coûtent infiniment à perdre, surtout dans ceux qui avaient été forts en eux-mêmes et plus habitués aux façons humaines. Il faut néanmoins en venir là, afin que Dieu soit parfaitement toutes choses en nous et qu’Il opère en nous toutes nos œuvres. […]

L’heure viendra que cette longue et effroyable tragédie prendra fin. Il y a près de huit ans que nous sommes sur ce thrône avec tant d’ignominie, sans compter les cinq ou six années précédentes de nos premiers renversements. Toutes les lettres que je reçois de vous depuis ce temps-là m’apprennent des choses funestes selon l’homme, mais bonnes, mais avantageuses selon le dessein de Dieu. Qui sait si, un jour, après tant d’épines qui nous ont si fort piqués et déchirés, nous ne recevrons point du ciel quelques roses de paix et de repos? Du côté des hommes, je n’en vois aucune apparence. Dieu est tout-puissant. On m’a décrié de nouveau en ces quartiers sur des récits qui sont venus de loin. Je m’étonne que l’on ne m’entreprenne pas une autre fois. Quoi qu’il arrive de vous et de moi, Dieu, Sa vérité, Son règne, Sa volonté, Sa gloire subsistera toujours et triomphera en nous. Avec cela, Dieu ne peut nous manquer, puisque [f° 6] c’est là que se terminent toute notre ambition et tous nos vœux. Il se rend singulièrement admirable dans la conduite qu’Il tient sur nous et sur nos semblables. Il y paraît Dieu, hautement, puissamment, terriblement. Tous les esprits bienheureux L’en loueront dans l’éternité.

Tous les amis de ce lieu vous honorent constamment, vous estiment et vous aiment, quoique je ne leur cache pas tout le mal que l’on dit de vous. Les meilleurs âmes que nous y connaissions vous sont les plus unies. Pour moi, je vous suis toujours très sincèrement attaché en Notre Seigneur. Encore un peu de patience, et le souverain Juge viendra prendre notre coupe en main. Par Sa miséricorde, depuis qu’Il nous a singulièrement appelés à Son service, nous n’avons prétendu que Son règne, ni cherché que Son amour. Quand on cherche sincèrement Dieu, on ne peut s’écarter de la vérité, ni de l’amour, puisque quiconque Le cherche sans feinte le trouve infailliblement et que, L’ayant trouvé, on possède de Lui-même toute vérité et le parfait et immortel amour. Agréez que je vous embrasse en Jésus-Christ de toute l’affection de mon cœur. Tous les intimes en font ici de même. [f. 5 v°, en travers] Jeannette est toujours mourante et toujours vivante. Il ne lui reste guère que l’esprit; encore est-t-il hors d’elle, reçu dans le sein de Celui qui la possède.

On salue cordialement vos filles et toutes ces bonnes âmes à qui Dieu donne des sentiments de compassion et de tendresse pour vous. Ô chère mère, Dieu vous a bien livrée pour tant d’autres9. Vous souvient-il qu’à Montboneau il fallut nous livrer pour porter le supplice10? […]

10 Répétition du premier paragraphe : «… à toute félicité. Vous souvient-il que, quand, à Montboneau, il fallut nous livrer à elle pour les plus ineffables sacrifices, elle exigea en même temps de nous que nous fussions abandonnés pour plusieurs années à l’ignominie et au supplice? Pensant quelquefois à la conduite… ».

55. DU PERE LACOMBE 20 août 1695.

[…] Soyez persuadée que mon cœur répond au vôtre autant qu’il en est capable. Une union liée par la croix, et sous les sûrs nuages de la foi, comme il vous souvient bien que commença la nôtre, se soutient, se raffermit, se consomme par la contradiction et par les traverses, son progrès répondant à sa naissance, afin qu’elle soit cimentée comme elle a été fondée. […]

Vous ne l’apercevez point, dites-vous, cette parfaite résignation, vous l’avez d’autant plus, étant toute passée dans ce bienheureux état : queb votre intérieur se cache de plus en plus, jusqu’à disparaître. C’est la suite naturelle et le progrès de la voie de perte et d’anéantissement, à laquelle vous avez singulièrement été appelée. Puisque le parfait anéantissement doit réduire l’âme au pur rien, il n’y doit plus rien paraître. Tant qu’on se trouve, qu’on se voit, et qu’on remarque en soi quelque chose, soit bonne ou mauvaise, on n’est pas réduit au seul néant. Dans le [f ° 148v °] vide de tout, rien ne paraît, ni bien ni mal. Que si l’on agit encore, on ne peut l’attribuer qu’à Celui qui est, et qui seul fait aussi bien toutes choses, comme Il est tout en toutes choses. Si l’on se retrouve quelquefois, ce n’est plus en soi, mais en Dieu seul, en qui tout est passé, en qui tout a été reçu. Il ne reste au néant qu’une inexplicable figure d’être, avec toute la misère qui fait son apanage, et avec la seule capacité de souffrir, et de souffrir beaucoup plus qu’on ne faisait quand on était dans son être propre. […]

Voulez-vous bien que je vous dise encore que nous n’avons [F ° 149] que trop écrit et imprimé, quoique nous n’ayons mis au jour que de fort petits ouvrages? Jugeons-en par le succès, et par les contradictions et les flétrissures qui nous en sont arrivées. Les voies intérieures étant si fort décriées dans nos jours à cause des scandales du quiétisme, on s’en défie partout; […]

Je conçois plus que jamais que les livres non seulement ne sont pas nécessaires, mais même qu’ils sont peu utiles pour la vie fort intérieure, car, puisque le Saint-Esprit en est l’auteur et le maître et qu’on ne la comprend qu’autant qu’on l’éprouve, il n’y a que cela de nécessaire. Si l’on n’est pas dans les états, on ne les comprendra pas pour les lire. Si l’on y est, on a quelque plaisir de les voir bien décrits, et c’est tout, on peut même aisément s’y flatter, se brouiller, s’attribuer ce que l’on n’a pas, s’écarter de son chemin. Aussi voyons-nous que les âmes les plus simples, qui ne lisent point, marchent, avancent, arrivent plus sûrement, plus promptement, plus heureusement que celles qui lisent beaucoup. Et n’éprouvons-nous pas tous, que quand nous sommes établis dans l’intérieur, et assez persuadés et rassurés par l’expérience, nous ne goûtons plus les livres, et nous nous passerions de tous sans peine? Il n’y a que les nôtres propres, et ceux de nos amis, que nous aimons toujours à voir, et que nous souhaiterions de faire valoir, par un sentiment de nature qui n’est jamais entièrement détruit tant que nous sommes revêtus de chair. Une infinité de très grands Intérieurs ont été formés sans livres, et le même Esprit qui les a formés Lui seul, en formera dans tous les siècles une infinité d’autres. Je ne puis apprendre que de l’Esprit de Dieu ce que Dieu veut de moi en particulier. […]

Toute la petite Église de ce lieu se soutient, grâce à Dieu; elle n’augmente ni ne diminue. On vous y estime et honore et aime particulièrement; dès qu’on se sent uni à nous, on l’est aussi à vous. L’ecclésiastique qui, depuis sept ans, nous rend mille bons offices, ne se lasse point : il redouble plutôt ses amitiés et ses charitables soins. Il fait toute la dépense des lettres et des paquets, sans souffrir que j’y contribue d’un sou. L’autre ecclésiastique va son train. La mort le talonne et l’abandon le tient à la gorge. Jeannette vous aime inconcevablement : elle se trouve si unie à vous que rien plus, vous apercevant tout absorbée en Dieu comme une âme qui n’est plus de ce monde.

Elled a pleuré le comte Moressis, polonais, comme son cher frère, par l’intime union qu’elle a sentie pour lui. Cette bonne fille, toute fille qu’elle est, est Mère de plusieurs Enfants spirituels, dont quelques-uns lui sont manifestés. Une seconde confidente a été ajoutée à la première, toutes deux fort simples et fort bonnes. Si l’on y regardait de près, on reconnaîtrait qu’il n’est point de voie plus sûre ni plus pure dans l’Intérieur que celle qui faisant outrepasser tout intérieur de la créature, tend uniquement à ceux du Créateur, à l’accomplissement de sa volonté et à l’établissement de sa gloire, ce qui se fait plus par les extrêmes abandons.

Pour moi, je suis et serai éternellement tout à vouse, ma très chère en Jésus-Christ Notre Seigneur. Salut à vos filles Famille et Marc.

56. DU PERE LACOMBE 5 septembre 1695.

[…] Ici, chez moi, l’abandon est porté toujours plus loin, la misère m’entraîne toujours plus bas. Toute force, toute conduite, tout être disparaît de plus en plus. Ce n’est presque plus qu’un désespoir. Tout ce qui rassurerait un peu est emporté, il ne reste que conviction de perte. […]

La croix est générale, accompagnée d’affaiblissement dans la nature et dans toute l’âme, et de délaissement du côté de Dieu, ce qui la rend extrêmement cruelle. A en juger par ces signes, ce qui est si excessif est proche de sa fin. Mais qui peut savoir où Dieu a fixé la consommation de nos peines et des épreuves auxquelles Il a résolu de nous livrer?[…]

J’ai beaucoup d’heures où je ne sais que faire. Si je lis quelque peu, c’est fort irrégulièrement, sans dessein, sans espérance d’en profiter, sans presque comprendre, et sans retenir. Ainsi, las et dégoûté de tout, renversé, précipité, je ne m’attends qu’à me voir consumer dans une effroyable misère, plus grande en vérité que je ne puis vous la dépeindre. […]

Il y a près de sept ans qu’une idée m’était venue que le saint abandon me jouerait à la fin ce tour si cruel, savoir qu’après avoir fait tout entreprendre, tout risquer, tout quitter, tout perdre pour le conserver et le suivre jusqu’au bout, il s’éclipserait enfin lui-même et ne me laisserait qu’une affreuse perte et l’image du désespoir. Cela commence bien à s’accomplir. […]

Notre petite Église va toujours son train, selon qu’il plaît à Dieu de la mener. Dame raison et grondeuse réflexion y mettent quelques obstacles; Dieu les surmonte quand il Lui plaît. Il [f.3v °] fait après cela doubler le pas pour regagner le temps perdu. Il y a plaisir à voir comment les âmes parfaitement simples se laissent conduire, même par les routes qu’elles ne comprennent pas. Les unes et les autres vous honorent singulièrement et vous saluent de toute la force de leur cœur. Jeannette est comme la mère de la famille. […]

57. DU PERE LACOMBE 20 octobre 1695.

[…] Le seul nom d’abandon choque étrangement ces messieurs; ils le déchirent à belles dents sans considérer que c’est la gloire de Dieu, la perfection et le bonheur de l’homme, puisque, si on le prend dans son vrai sens, ce n’est autre chose que la plus haute pratique du renoncement évangélique et de la résignation chrétienne. C’est la pure et entière soumission de notre cœur à son Dieu, et l’amoureux empire de notre créateur sur nous.[…]

58. DU PÈRE LACOMBE ET DE JEANNETTE. 7 décembre 1695.

[…] Il s’est fait une augmentation de notre Église, la rencontre de trois religieuses d’un monastère assez proche [255v °] de ce lieu, étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler et de voir de quelle manière est faite l’oraison que Dieu enseigne Lui-même aux âmes et l’obstacle qu’y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L’une de ces trois filles a été mise par le Saint-Esprit même dans son oraison. L’autre y étant appelée, combattait son attrait en s’attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès. La troisième, tourmentée de scrupules, n’est pas encore en état d’y être introduite.

Jeannette me grondera de ce que je remplis mon papier sans vous parler d’elle, et que vous en dirai-je? Que toujours il semble que Dieu nous l’enlève et toujours elle nous est laissée. […]

59. DU P. LA COMBE A L’ÉVÊQUE DE TARBES. 9 janvier 1698.

[…] J’ai dit que de bonnes et saintes âmes sont quelquefois livrées à des peines d’impureté soit à un esprit8b, ou à un état qui leur en fait souffrir de cruels effets, sans que l’on puisse pénétrer comment cela se fait. Je ne l’ai pas avancé de mon chef, j’ai trouvé en divers pays des directeurs qui disent l’avoir reconnu; mais je n’en ai jamais donné de sûreté, ni aucune certitude, comme l’ont fait quelques-uns et principalement Molinos. Au contraire, je disais que ces terribles épreuves, supposé qu’il y eût du dessein de Dieu, devaient faire perdre toute assurance et toute confiance en la propre justice. Je n’ai jamais prétendu non plus en faire une règle générale ou un moyen nécessaire.[…]

RAPPORT DE M. D’ARGENSON SUR LE PERE LACOMBE. 1715?

[…] Sa raison avait paru alternativement altérée et rétablie, ce qui avait fait soupçonner, avec assez d’apparence, qu’il y avait dans sa folie plus d’affectation que de vérité. Cependant, lorsqu’il a été tiré de Vincennes, il y avait plus d’un an que l’alternative de son extravagance continuait sans interruption; d’ailleurs il ne mangeait presque point, et il se fâchait quand on lui présentait d’autres aliments que des légumes, des fruits et du poisson, dont il n’usait que fort rarement; il excommuniait, il damnait tous ceux qui l’approchaient, il parlait sans ordre et sans suite, quoique d’ailleurs sa santé parût très bonne. Ainsi, ses désordres passés ou présents n’ayant pas permis de le rendre libre, ni de l’exposer aux yeux du public pour l’honneur de son institut, ni pour l’intérêt de la religion qu’il a scandalisée en tant de manières, le roi a bien voulu qu’il passât dans cet hôpital, où il paraît encore plus extravagant qu’à Vincennes. […]

TÉMOIGNAGES DE DUPUY

60. De Dupuy au marquis de Fénelon. 8 février 1733.

Pour ce que vous me demandez de la lettre à M. de Tarbes7, j’ai bien ouï dire qu’il y en avait eu une en même temps que celle qu’on attribue8 du P. Lacombe à Mme Guyon; mais je ne l’ai jamais vue. Il y a bien de l’apparence, si elle existe, qu’elle vient de la même boutique que la dernière, qui est certainement très fausse, non seulement par le style, qui ne ressemble en rien à celui du P. Lacombe, mais par le caractère de l’écriture, dont Mme Guyon reconnut la fausseté dans le moment qu’on la lui montra, car elle était fort mal contrefaite; […] Elle ne voulut pas parler de la fausseté, qui lui sauta d’abord aux yeux, par l’espérance d’une procédure juridique où elle espérait de la faire connaître telle qu’elle était; et elle se contenta de leur dire qu’elle les priait de le lui confronter, et qu’elle était bien sûre qu’il désavouerait cette lettre. En effet, c’était le droit du jeu que d’en venir à une confrontation; mais on était bien éloigné de la faire. Il y a lieu de croire, ou que ces deux messieurs étaient trompés les premiers à cette lettre prétendue qu’ils produisaient, ou que, s’ils la connaissaient pour ce qu’elle était, ils voulurent voir ce qu’elle produirait, supposé que l’impression qu’on leur avait donnée de l’un et de l’autre eût quelque fondement, ce qu’ils auraient pu découvrir par une première surprise. Quoi qu’il en soit, cette lettre à M. de Tarbes, du même temps que l’autre, ne peut venir que du même endroit. Une autre réflexion qui me vient en écrivant ceci, c’est que le P. Lacombe, à qui la tête tourna vers ces temps-là, par l’excès des souffrances d’une si longue prison sans aucun commerce, et par les tourments qu’on lui fit pour en tirer quelque chose contre Mme Guyon, aurait bien pu succomber à la persécution et écrire ce qu’on lui aurait dicté : mais la lettre est fausse de tout point, et soit fausseté ou folie, l’on n’a jamais osé la confronter. […]

61. De Dupuy au marquis de Fénelon. 4 mars 1733.

[…] Il m’est encore tombé trois lettres du P. Lacombe, dont je vous envoie les copies à telle fin que de raison : vous jugerez, par le tout, si cet homme si décrié méritait l’horrible persécution qu’il a soufferte, et celle que souffre encore sa mémoire par toutes les horreurs qui sont répandues dans le libelle en question, sans qu’on lui ait jamais dit plus haut que son nom, qu’il ait subi aucun interrogatoire que sur son Analyse approuvée à Rome par l’Inquisition, qu’il y ait eu autre information, nul corps de délit, ni de confrontation.[…]




SOURCES ASSOCIEES


Nous plaçons ici des textes qui ne rentrent pas dans la présentation chronologique propre aux trois parties précédentes.

La séquence débute sur l’étude maîtresse de Jean Orcibal que nous avons largement utilisée. Elle parut dans le Dictionnaire de Spiritualité.




«La Combe» étudié par Jean Orcibal


DICTIONNAIRE DE SPIRITUALITÉ ASCÉTIQUE ET MYSTIQUE

FASCICULES LIX-LX, BEAUCHESNE, PARIS, 1975

[col.35]

LA COMBE (François), barnabite, 1640-1715. 1. Vie. -- 2. Œuvres. -- 3. Spiritualité.

1. Vie.

1.1 Avant le procès.

-- Né à Thonon (Savoie) en 1640, François La Combe reçut l’habit des barnabites au collège de cette ville qui était tenu par ces religieux (1655); il fut sans doute profès le 9 juillet 1656. Sous-diacre le 17 décembre 1661, il est ordonné prêtre le 19 mai 1663 par Jean d’Arenthon d’Alex, évêque de Genève. Au collège d’Annecy, il enseigna avec grand succès la grammaire, la rhétorique, la philosophie et la théologie (ses Disputationes sabbatinae furent particulièrement remarquées); il prêcha et collabora aux missions du Chablais. A la fin de 1667, il fut appelé au collège Saint-Éloi de Paris avec le titre de consulteur du provincial. En 1669 et 1670, il prit une part notable aux missions du diocèse d’Autun. Il fut ensuite envoyé enseigner la théologie à Bologne (7 septembre 1671), où on le chargea aussi des exercices spirituels. De Bologne, La Combe passa à Rome, également en qualité de lecteur (12 septembre 1672-6 mars 1674). Le 18 avril 1674, il fut, avec le titre de vice-provincial, chargé de la visite des collèges de Savoie, mais la maladie le contraignit à se retirer à Thonon le 27 mars 1675.

Nommé supérieur de la maison d’études et du noviciat de Thonon (1677-1683), La Combe s’en absenta souvent pour prêcher, diriger des religieuses, etc. Il jouissait alors d’une excellente réputation. Il ne semble pas [col.36] avoir à ce moment-là subi l’influence de Mme Guyon, dont il n’aurait reçu que deux lettres avant 1680, ou de Molinos qu’il ne rencontra jamais. A Rome, c’était au contraire le jésuite Honoré Fabri qui le regardait comme son disciple. Il est en revanche certain que La Combe doit beaucoup à Marie de l’Incarnation Bon, supérieure des ursulines de Saint-Marcellin en Dauphiné (1636-1680; DS, t. 1, col. 1762). Bien que La Combe dise ne l’avoir vue qu’une fois, il était déjà assez attaché aux idées mystiques d’abandon et de total délaissement à Dieu pour s’être laissé entraîner par trois religieuses à ce qu’il appellera «un coup de fanatisme» (16 juin 1680) : il assura à Arenthon d’Alex qu’il était envoyé par Dieu pour le guérir de sa «propre suffisance». La Combe y perdit l’estime qu’on avait pour lui en Savoie et un religieux assura même à l’évêque que «dans six mois il serait fou». C’est cependant à La Combe qu’Arenthon d’Alex confie Mme Guyon l’année suivante lorsqu’elle vient à Gex avec le projet de fonder une maison de Nouvelles Catholiques.

Dès lors, la vie de La Combe est étroitement mêlée à celle de Mme Guyon (cf DS, t. 6, col. 1313 svv). Nous n’en mentionnons que les événements qui sont particuliers à La Combe. Après avoir prêché le carême 1682 à Aoste, il fait le voyage de Rome pour se disculper d’une dénonciation portée contre sa spiritualité; c’est peut-être alors qu’il consulta le futur cardinal Petrucci sur les «violences diaboliques». Il prêche à Thonon pour l’Assomption 1682. En 1683, le [général des barnabites envoie La Combe à Verceil où l’évêque V. A. Ripa demandait un directeur. En octobre 1683, avec la permission de son provincial, il accompagne Mme Guyon dans son voyage d’Annecy à Turin. En avril 1684, craignant qu’elle ne le rejoigne, il la persuade de regagner Paris et l’accompagne jusqu’à Grenoble. Étienne Le Camus (DS, t. 9, ci-dessous) écrit à Arenthon qu’il lui paraît fort sage et fort posé a. Mais le 20 avril 1685 Mme Guyon arrivait à Verceil où elle demeura jusqu’en avril 1686, date à laquelle, La Combe ayant été nommé à Paris, elle l’accompagne. Les deux voyageurs arrivèrent dans la capitale le 21 juillet 1686.

Au collège Saint-Éloi, on reprocha à La Combe de voir trop souvent Mme Guyon, mais le succès de ses nombreuses prédications lui fit peut-être encore plus de tort (cf La Bruyère, Les caractères, De quelques usages 22) : au moment des procès de Molinos et de Petrucci, il prêchait sur l’oraison; il ignorait sans doute que Louis xiv écrivait au cardinal d’Estrées alors à Rome qu’il était prêt à empêcher «l’introduction de sectes nouvelles» (11 septembre 1687) et que La Combe était dénoncé par certains confrères. Qu’il ait ou non bravé une interdiction de prêcher signifiée par l’archevêque Harlay, il fut le 3 octobre envoyé chez les Pères de la Doctrine chrétienne par une lettre de cachet.

1.2. Procès et prisons.

-- Le 29 octobre, l’official Chéron et le docteur Edme Pirot furent chargés d’interroger le barnabite; d’après le secrétaire de l’archevêque, L. Legendre (Mémoires, Paris, 1863, p. 194), ils n’obtinrent que de simples indices sur lesquels «il y aurait de l’injustice à croire que La Combe s’est livré aux abominations de Molinos». L’enquête du nonce A. Ranuzzi n’était pas plus défavorable (Correspondance, éd. B. Neveu, t. 2, Rome, 1973, p. 173-174, 194) et Arenthon reconnaissait lui-même le 16 janvier 1688 n’avoir «jamais découvert en sa conduite aucun vestige d’impureté a. C’est La Combe qui aggravait son cas par un [col.37] appel à Rome. Or, Louis xiv faisait alors arrêter pour quiétisme des docteurs connus comme ultramontains, et un projet du manifeste lancé le 6 septembre 1688 par le roi contre Innocent xx mentionnera comme un titre de gloire l’arrestation de La Combe, venu infester le royaume.

Enfermé à la Bastille le 29 novembre 1687, le barnabite fut transféré le 27 février 1688 à l’île d’Oléron, puis à l’île de Ré, à la citadelle d’Amiens et enfin, avant le 1 er février 1689, au château de Lourdes.

Ce jour-là, le prisonnier envoyait deux lettres, l’une pour son supérieur général M. Giribaldi, l’autre pour le chapitre de son ordre; il n’y reconnaît que des imprudences, aucune accusation grave n’ayant été prouvée; il proteste contre la procédure, qui n’a rien de canonique; il défend son enseignement spirituel (son Orationis mentalis analysis a été mise à l’Index le 9 septembre 1688) et il rappelle qu’il a prouvé depuis longtemps sa soumission à Rome. Le 7 mai 1689, le général lui répondait que la congrégation interviendrait en sa faveur dès qu’elle le pourrait sans risquer d’aggraver son sort.

La captivité de La Combe à Lourdes n’est guère connue que par ses lettres à Mme Guyon; elles couvrent la période fin 1690 — décembre 1695.

Trois lettres saisies chez Mme Guyon lors de son arrestation (éd. dans Urbain-Levesque, cité infra, t. 8, p. 442-455) font connaître la composition d’une «petite église' qui entourait La Combe à Lourdes : J. Lashérous prébendier de la collégiale, J.-L. BurIotte aumônier de la citadelle, quelques femmes dont la principale est Jeannette de Pagès Pradère «toujours mourante; Ah! qu’elle vous aime!» (ces lettres sont datées des 10 oct., 11 nov. et 7 déc. 1695). Dès janvier 1696, l’enquêteur La Reynie invita la Cour à «s’assurer plus particulièrement de La Combe et de Lashérous D; or rien ne semble avoir été fait. Les plus compromis par ces lettres seront ceux qui chargeront le plus La Combe lors de l’information de l’official de Tarbes.

Nous perdons de vue La Combe jusqu’au 9 janvier 1698, date à laquelle il adresse à l’évêque de Tarbes Fr. de Poudenx une défense de sa doctrine et de sa conduite (dans Urbain-Levesque, t. 9, p. 480-486); en ce qui concerne les «épreuves» contre la pureté, on y relève quelques incohérences et contradictions. On conserve aussi un Extrait de l’information faite par M. B. de Poudenx, official, «en la ville de Lorde le 23 avril 1698» (Bibl. Vaticane, Ottob. lat. 3164, f. 134141). L’information ne fait entendre la voix de l’accusé qu’à travers celle du vicaire général Cl. Dupont qui l’avait entretenu le 5 mars. La Combe lui aurait avoué que «depuis qu’il était à Lourdes, il était tombé dans les misères humaines s dont il avait «eu le pressentiment» quinze ans plus tôt. Ses réflexions à leur sujet offrent autant de contradictions que sa lettre du 9 janvier. Cette dernière pièce avait déjà été utilisée par Bossuet, qui l’envoya à Rome dès le 3 mars, pour établir la liaison entre La Combe, Mme Guyon et Fénelon. Elle arrivait fort à propos, les examinateurs romains des Maximes des saints se trouvant définitivement divisés par moitié. Seule l’insistance sur les mobiles cachés de Fénelon pouvait empêcher un accommodement. Le 15 avril l’examinateur Granelli invoquait la lettre du 9 janvier au Saint-Office. Les semaines suivantes, l’agent de Bossuet réclamait «la preuve de la liaison du P. La Combe avec M. de Cambrai par actes authentiques o. Elle ne vint jamais, puisque les deux hommes n’avaient eu aucun rapport, [col.38] même indirect (cf RHEF, t. 3, 1912, p. 76) et il devint d’autant plus nécessaire de noircir Mme Guyon.

On y parvint sans peine en utilisant la lettre du 25 avril 1698 adressée à Mme Guyon que l’archevêque de Paris Noailles obtint de La Combe, transféré depuis peu au donjon de Vincennes (dans Urbain-Levesque, t. 9, p. 487-488).

Durant l’été, La Combe rédigea une réfutation de la Vie de Messire d’Aranthon, par Innocent Le Masson (DS, t. 9, infra); elle a été éditée dans la Revue Fénelon (t. 1, 1910-1911). L’accusation n’y put rien glaner de nouveau touchant les relations entre lui et Mme Guyon. On fut donc forcé de recourir à nouveau aux témoins de Lourdes : Jeannette de Pagès Pradère ajouta complaisamment le 2 août 1698 que la confidence de La Combe relative aux «quinze nuits s, dont elle avait déjà parlé dans sa déposition du 23 avril, visait bien Mme Guyon. Mais Mme de Maintenon s’étonnait le 9 septembre 1698 qu’on n’osât pas confronter les deux complices. Noailles envoya ce «recolement D à Rome. La Combe était ramené à Tarbes, puis transféré à Vincennes (fin 1698). Des expressions ambigués de Bossuet et de Tronson ne prouvent pas qu’il ait jamais été confronté à Mme Guyon. La victoire acquise, Bossuet se rétracta d’ailleurs dans la relation qu’il fit le 22 juillet 1700 à l’Assemblée du clergé.

Désormais La Combe disparaît de la scène; il vit à Vincennes et sombre de plus en plus dans la folie. Le 29 mars 1701, le supérieur général des barnabites le considère comme incurable. Il fut transféré le 29 juin 1712 à Charenton, hospice d’aliénés, où il continua à exposer ses révélations, dont l’une était que «Mme Guyon était une sainte, mais que la plupart des autres saints sont damnés a. Il mourut le 29 juin 1715 (Fr. Ravaisson, Archives de la Bastille, t. 9, Paris, 1877, p. 99)

2. Œuvres.

La Combe n’a publié que deux petits volumes. 1 ° Le premier est anonyme : Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre sûrement à la Perfection chrétienne.

Elle circule dans le diocèse d’Annecy de 1680 à 1687 (Revue Fénelon, t. 1, 1910, p. 76), mais le général des barnabites en fait détruire les exemplaires en juillet 1682. L’ouvrage fut édité à Grenoble par A. Fremon avec la permission du théologien Rouillé et l’approbation du Parlement. Dès le début, il est en vente à Paris chez Varin (cf Bibl. nat. de Paris, ms fr. noue. acq. 5250, f. 230r). Il est relié avec la seconde édition du Moyen court et très facile de faire oraison de Mme Guyon (Grenoble, J. Petit, 1686) et paraît seul à Paris chez Michallet en 1687 (approbation du théologal Courcier; exemplaire à la bibl. S.J. de Chantilly). Arenthon d’Alex condamna la Lettre le 4 novembre 1687 et elle fut mise à l’Index le 29 novembre 1689.

Autres éditions : Brèves instructions pour tendre.., dans Opuscules spirituels de Mme Guyon, Cologne, 1707, 1712, 1720; . 4vis salutaires d’un serviteur de Dieu…, Nancy, 1734; Paris, 1890; Lettre d’un serviteur de Dieu.., Lyon-Paris, 1838.

2 ° Orationis mentalis analysis, ouvrage signé, Verceil, 1686 (138 p. in-80); épargnée par Mgr d’Arenthon, elle fut mise à l’Index le 9 septembre 1688. P. Poiret la réédite (Amsterdam, 1711, dans sa Sacra orationis theologia). Une traduction anonyme parut sous le titre de Voyes de la vérité à la vie en 1795 (à Lausanne?) qui recouvre également une traduction de la Guide spirituelle de M. de Molinos.

3. L’Apologie du P. La Combe contre les assertions d’Innocent Le Masson (dans sa vie de Mgr d’Arenthon, Lyon, 1697) a été publiée par Ch. Urbain dans la Revue Fénelon (t. 1, 19101911, p. 69-87, 139-164).

4. Les principales lettres de La Combe sont éditées dans la Correspondance de Bossuet (éd. Ch. Urbain et E. Levesque, t. 8, Paris, 1914, p. 442-445; 1. 9, 1915, p. 391-392, 466-488), dans [col.39] les Œuvres complètes de Fénelon (t. 9, Paris, 1851, p. 38-40, 62-73), et dans RHEF, t. 3, 1912, p. 72-77 (lettre du 18 janvier 1693).

On saisit à Lourdes en 1698 le Moyen court et facile «corrigé, réformé et plus expliqué sur celui de Mme Guyon» (écrit vers 1689) et une ébauche de la Règle des associés à l’enfance de Jésus, livret qui devait être tout autre que celui qui a été imprimé sous le même titre; La Combe l’avait commencé à Verceil (cf Urbain-Levesque, t. 9, p. 481). Ces deux manuscrits sont perdus, ainsi que l’Analysis corrigée dont La Combe parle dans ses lettres à Mme Guyon.

Quoiqu’il affirme n’être pour rien dans l’impression des ouvrages de Mme Guyon, celle-ci lui attribue la préface du Cantique des cantiques (Paris, Bibl. nat., ms franç., nouv. acq. 5250, f. 157 svv). [NDE voir notre reprise suite à la reconnaissance par Lacombe dans son Apologie].

3. Spiritualité.

La Brève instruction commence par proclamer la nécessité de la seconde conversion, qui fait passer de l’activité mercenaire au pur amour. Pour cela, La Combe prescrit une donation, habilement placée sous le patronage d’Ignace de Loyola, qui ne demandera ensuite que des ratifications «par de petits actes intérieurs ». Dieu ne contraint jamais notre liberté, mais, si nous la lui résignons, nous gagnerons son cœur et progresserons plus vite. Cet abandon permettra de vaincre beaucoup plus aisément les imperfections en en coupant les racines. Ceux qui «laisseront faire Dieu „ recevront de lui des inspirations reconnaissables à «un goût expérimental ».

Mais puisque la perfection chrétienne n’est autre chose que l’union à Dieu par la soumission de la volonté à la sienne, et qu’on découvre celle-ci dans l’oraison, tout le livre de La Combe défend la nécessité de cette dernière. Dieu seul est l’objet de l’oraison et la meilleure est celle où l’on s’occupe de lui « par la vue amoureuse de sa présence et par l’affection qu’il fait naître ». C’est lui qui en choisira la matière, et des oraisons jaculatoires telles que « Mon Dieu, mon tout» valent mieux que «cent beaux raisonnements et considérations sublimes».

On commencera par un acte de foi, on continuera par un acte de contrition et enfin un acte de résignation conduira à une aspiration sainte qui pourra durer l’heure entière. Les considérations où l’on raisonne avec les créatures ne sont pas prière; la véritable oraison est un gémissement ineffable de l’Esprit du Seigneur. Les défauts à éviter dans l’oraison sont les distractions (à mépriser plus qu’à combattre), les réflexions volontaires (qui sont pires), la multiplication des actes, la recherche indiscrète des doux sentiments de la grâce. Inversement six exercices préparent à l’oraison, comme le recueillement qui consiste en une désoccupation des créatures et en une introversion, mais qu’on ne peut connaître que par expérience; le sixième exercice, qui consiste en la fidélité à la volonté de Dieu montrée extérieurement ou intérieurement, est décrit en termes très canfieldiens.

La Combe assigne ensuite une place à la prière vocale, à la lecture spirituelle et à l’usage des sacrements. On n’y relève aucune singularité. C’est pour lui l’occasion de revenir à l’oraison telle qu’il l’enseigne. «Il faut s’abandonner e à la volonté de Dieu «par une entière résignation... pour la vie et pour la mort, pour le temps et pour l’éternité». «C’est le plus grand culte que sa créature puisse rendre à Dieu, que de consentir à sa destruction totale, pour reconnaître en périssant la Souveraineté immortelle de son Dieu» (p. 93 svv). Si l’on trouve inquiétantes ces phrases d’inspiration condrénienne, on sera rassuré par l’idée de l’échange [col.40] des cœurs et par la précision qu’à la réserve de nos propres péchés, tout ce qui nous arrive est pour nous une volonté de Dieu. La Combe invoque Catherine de Gênes et résume ensuite Benoît de Canfield : identique à Lui, la volonté de Dieu est la règle de toute perfection (p. 101).

Cela entraîne des exigences sévères quant à la mortification dont les principes sont exposés selon saint Paul et dont les pratiques sont longuement énumérées : retranchement des plaisirs, souffrances, mortification des sens, des passions, de l’esprit (selon les trois puissances). Tout cela serait impossible sans l’oraison qui en donne la grâce, la force et le goût. A la suite du Traité de la Passion de Canfield, La Combe souhaite que «notre âme avec ses puissances soit toute concentrée et comme toute confite dans la Passion ». Mais il revient aux rhéno-flamands en ajoutant que, si cette image (la Passion) nous est ôtée, c’est pour nous introduire par la foi nue d’images dans le pur amour. Jésus notre voie conduit en effet à Jésus notre vérité et notre vie, «qui sont des états cachés avec Jésus-Christ en Dieu dont il faut faire plus d’expérience que d’expression» (p. 128).

L’ouvrage se termine par quatre séries de maximes qui reprennent souvent des réflexions éparses dans le cours de l’ouvrage.

Bien que ce petit livre contienne des imprudences (p. 26, 94, 128, 143 svv), il a pu circuler jusqu’à la bulle contre Molinos : des docteurs parisiens ne lui auraient reproché que «la rudesse du style et l’inégalité des matières» et Arenthon aurait reconnu que «les maximes à la fin du livre sont fort bonnes» (Revue Fénelon, t. 1, p. 76 svv). P. Dudon (cité infra, p. 204 svv) porte le même jugement sur la seconde partie, mais la première lui paraît favoriser le quiétisme en opposant la voie ascétique longue et pénible à la voie courte et facile que caractérisent l’abandon et l’oraison affective.

Plus technique, l’Analysis orationis mentalis commence par une élévation, assez bérullienne de ton, à l’Enfant-Jésus véritable adorateur, qui semble faire consister l’adoration dans la seule contemplation (p. 6). La Combe définit l’oraison mentale une «pieuse application à Dieu par le cœur, en silence» et il proclame que la méditation (intellectuelle) est bonne, l’aspiration (affective) meilleure, la contemplation excellente. Il s’attache surtout à démontrer la supériorité de la contemplation, «simple vue de la vérité» et par là angélique, sur la méditation qui n’en est que la recherche; il utilise Thomas d’Aquin (Somme 2. 2be, q. 180 a. 3), mais aussi le pseudo-Denys, Grégoire le Grand, Richard de Saint-Victor, saint Bernard, Tauler. On se prépare au don de la contemplation en réduisant le multiple à l’unité (Denys est ici invoqué) et en particulier en détruisant toute volonté propre.

Après avoir expliqué (n. 13-14) les divers noms donnés à la contemplation, La Combe traite de la contemplation acquise (n. 15, 18-20). En celle-ci, l’homme tend vers le divin par des actes simples et unitifs, qui demeurent en son pouvoir, quoique les habitus en soient infus. Au contraire, la contemplation infuse dépasse les forces humaines (grâce gratis data) et ses actes eux-mêmes sont infus. Cependant, La Combe ne met guère entre les deux contemplations qu’une différence de degré : l’acquise exige, en effet, une grâce sans laquelle elle ne serait qu’une contemplation philosophique, et l’infuse suppose le concours des puissances de l’âme; c’est seulement parce que la [col.41] grâce y tient la place la plus importante et y conduit l’âme qu’elle mérite le nom de passive. La Combe montre qu’il existe un consentement très simple et très tranquille qui permet cette passivité à des âmes plus nombreuses qu’on ne le croit souvent. Si l’on ne peut mériter cette grâce de la contemplation infuse, on peut cependant s’y disposer. A fortiori, des actes répétés engendrent l’habitus de la contemplation acquise (cf le ch. 3 de la Hiérarchie céleste de Denys) : elle est la fille de cette charité dont la méditation est la mère.

L’analyse de ses deux opuscules prouve que La Combe ne se flattait pas en prétendant en mai 1695 avoir combattu «Molinos... et la continuation de son acte de foi non interrompu... qu’il veut établir même dès les premiers pas de la vie contemplative» et «l’aveugle Malaval qui a exclu de l’objet de la contemplation les attributs divins et l’humanité de Jésus-Christ... ». Plus prudent que Mme Guyon, il s’abstenait de rien dire de l’état apostolique au sujet duquel celle-ci avait exposé ses vues les plus audacieuses. En outre, il faisait de ses ouvrages un centon des autorités les plus respectées. Ce manque d’originalité et cette prudence expliquent que, malgré les atouts que sa vie donnait à ses adversaires, les idées de La Combe n’ont pas été attaquées avec précision. La Réfutation des principales erreurs des quiétistes de Nicole (1695) se contente à son égard d’une condamnation globale. Dans son Instruction pastorale de novembre 1695 où il dénonce une soixantaine de propositions, Godet des Marais n’en cite qu’une seule de l’Analysis (p. 42). Quant à l’Instruction sur les états d’oraison de Bossuet (éd. Lachat, t. 18, p. 441), elle ne lui reproche que de ne pas considérer le Pater comme la forme d’oraison la plus parfaite.

Pourtant, l’Analysis assimile perfection et contemplation (p. 117), elle caractérise la contemplation acquise par une industrie dans laquelle elle voit une disposition à l’infuse (p. 93, 101), et elle y applique beaucoup de textes où il est question de vie contemplative (p. 105, 109) et parfois de prière. Il est d’ailleurs visible que La Combe donne souvent le nom de contemplation à ce qui n’est qu’oraison affective (p. 113, 125). Mais aussi sa vivacité polémique (p. 10, 38, 74) était faite pour attirer une censure. Il est pourtant remarquable que celle-ci ne soit intervenue que lorsque les condamnations de Molinos et de Petrucci eurent entraîné la mise à l’Index d’un grand nombre d’ouvrages spirituels publiés longtemps auparavant.

Sources manuscrites.

Lettres aux Archives romaines des barnabites (cf Premoli et Boffito, cités infra), à la Bibl. nat. de Paris (nouv. acq. fr. 5250 et 16316, f. 72-80, avec passages soulignés par Bossuet), et aux Archives de Saint-Sulpice à Paris (fonds Fénelon, n. 7250-7406, passim; 7569). – Pièces de procédure : Bibl. Vaticane, ms Ottob. lat. 3164, n. 30, f. 134141.

Sources éditées. — Archives de la Bastille, éd. Ravaisson, citée supra, t. 9, p. 40-99. — H. Mauparty, Histoire du quillotisme, Zell, 1703. — Relation de l’origine du quiétisme, s. 1, 1732 (par Phélipeaux). — Les Correspondances de Bossuet, Fénelon, Tronson, Mme de Maintenon (éd. Langlois) et du nonce Ranuzzi (t. 2, cité supra, passim).

Études. — P. Dudon, La Combe et Molinos, dans Recherches de science religieuse, t. 10, 1920, p. 183-211. — O. Premoli, Storia dei Barnabiti nei Seicento, t. 2, Rome, 1922. — G. Boffito, Scrittori Barnabiti, t. 2, Florence, 1933, p. 305-311 (voir aussi p. 336-337, et t. 3, 1934, p. 220). — Sur le séjour de La Combe à Lourdes, J.-Fr. Boulet, Traditions et réformes reli [col.42] gieuses dans les Pyrénées, Pau, 1974, p. 308-312. — Voir surtout A. M. Bianchi, Fr. La Combe, un barnabite sacrificato, thèse, Gênes, 1972.

Sur la spiritualité de La Combe, cf la lettre à lui adressée par le jésuite Honoré Fabri (Arch. de Saint-Sulpice, ms 2043, 1); H. Delacroix, Etudes d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, 1908, p. 193, 256 svv; – J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, Paris, 1973, table ; DS, t. 1, col. 31-33, 48-49; t. 4, col. 675-676; t. 6, col. 13061336, passim.

Jean ORCIBAL.




Le P. Lacombe cité dans le « Supplément à la Vie de madame Guyon »


Le « Supplément à la vie de Madame Guyon écrite par elle-même », manuscrit de Lausanne TP1155 repris par l’addition Add. A24 d’Oxford qui s’avère secondaire, lui-même intitulé « Supplément à la vie de M[me] de Guyon suivi d’observations sur sa lettre à M. de Fénelon touchant Mme de Maintenon », livrent des informations précieuses qui ont constitué la plus grande partie du chapitre « 5. Compléments biographiques » dans notre édition de la Vie par elle-même. Nous avons pris le manuscrit de Lausanne (L) pour leçon, tout en suivant partiellement le découpage en paragraphes de celui d’Oxford (Osup)1321.

On y trouve l‘atmosphère propre aux cercles dévôts et isolés des guyoniens du XVIIIe siècle mais aussi un éclairage précis sur ‘notre mère’. Voici le passage qui concerne Lacombe :

[…]

Nous ne suivrons pas La Beaumelle dans tous les traits qu’il laisse contre Madame Guyon et Fénelon : cela nous mènerait trop loin. Nous en choisirons quelques-uns des plus qualifiés ; nous ne nous arrêterons pas non plus aux railleries, aux saillies indécentes, qu’il se permet sur la doctrine intérieure. Il était de son ordre de tenir ce langage, fruit de l’ignorance et de la malignité ; semblable à ces religieux contre lesquels il crie avec raison, qui abusaient des termes mystiques pris dans un sens criminel pour se livrer à toutes sortes de désordres, il tombe lui-même, si ce n’est de fait du moins en paroles, dans la même abomination. Quand est-ce que ceux qui n’entendent rien aux choses s’abstiendront de juger et cesseront de jeter du ridicule sur les choses les plus saintes ! quand est-ce que ceux qui ne voient goutte aux marches de la grâce, ne les toiseront plus par une raison aveugle ! [30]

Mais ce qui mérite surtout l’indignation des honnêtes gens, c’est la recension maligne qu’il fait de ce prétendu billet du Père La Combe, pour lors, selon lui, enfermé à Vincennes, et des familiarités qu’il rappelait à Madame Guyon etc. D’abord il paraît qu’il renverse l’ordre des temps. Le Père La Combe n’était pas à Vincennes dans le temps de la dernière persécution de Madame Guyon : on l’avait exilé dans une île déserte, où il était fort maltraité dès l’an 16871322. Il avance comme garant de ce prétendu billet les mémoires de l’évêque d’Agen, qu’on sait être fort suspects, mémoires manuscrits, mémoires d’un ennemi de Fénelon. Si ce billet avait existé, ou si, ayant existé, son authenticité avait été reconnue, Bossuet l’aurait connu, en aurait tiré parti contre Madame Guyon. Avait-il besoin d’autre chose pour la perdre ? Etait-il nécessaire de la forcer à signer de fausses déclarations1323 ? Sans doute ce billet aurait été produit dans les conférences et aurait fondé une condamnation.

[31] Cependant ses mœurs ne purent être entamées, la conférence d’Issy où Bossuet tenait la plume lui expédia en 1700 un témoignage en déclarant : que pour les abominations qu’on regardait comme les suites de ses principes, il n’en fut jamais question, elle en avait toujours témoigné de l’horreur. Or si ce billet avait existé, cette assemblée l’aurait-elle pu supprimer, l’aurait-elle voulu ? Bossuet, si acharné contre elle et intéressé à sa perte, l’aurait-il permis ? Ce Bossuet qui était l’âme de cette conférence, c’est lui-même qui expédie la déclaration d’innocence, ce même Bossuet qui lui avait donné précédemment un acte pareil1324.

Supposons plus, supposons que ce billet ait existé, mais qu’on n’ait pas eu de preuves de son authenticité, il aurait au moins laissé la chose dans le doute, et par conséquent on ne lui aurait pas donné un acte authentique de son innocence ; mais ce qui paraît inconcevable dans La Beaumelle et qui montre ses perpétuelles contradictions, c’est qu’il s’annonce ainsi en parlant de ce qu’il appelle [32] “quiétisme” : On verra l’innocence opprimée, un roi vigilant surpris, un fantôme d’hérésie poursuivi avec acharnement etc.1325 et ailleurs : les mœurs de M. de Cambrai demeurèrent sans tache dans une querelle où ses adversaires disaient sans cesse que les mœurs étaient perdues. Celles mêmes de Madame Guyon furent dans la suite vengées par le témoignage solennel d’une Assemblée du clergé1326. Voilà La Beaumelle ; pour disculper Mme de Maintenon. Rien ne lui coûte, les contradictions ne l’effraient point. Il suppose des déclarations portées contre Madame Guyon d’une vie licencieuse ; il attribue à ces déclarations son emprisonnement, puis un peu loin de là, il avance des faits qui détruisent cette odieuse imputation. Téméraire écrivain, est-ce ainsi qu’on calomnie ?

On ne peut retenir son indignation quand on l’entend débiter d’un ton cavalier1327 qu’une religieuse de Saint-Cyr remit à M. de Chartres un manuscrit relié qui renfermait des choses qui firent frissonner Mme de Maintenon. [33] L’ouvrage était donc bien mauvais1328, comment n’en fit-on pas usage ? Comment ne charge

t-il pas le tableau ? C’est ainsi que sur des mémoires manuscrits qui n’ont aucune autorité, où l’on a lu ce qu’on a voulu, on veut ternir les réputations les plus intactes. Quand est-ce que ceux qui se mêlent d’écrire l’histoire connaîtrons le respect que l’on doit à la vérité ?

Je ne m’arrêterai pas aux calomnies qu’il débite contre le Père La Combe, qu’il accuse d’avoir été débauché dans sa jeunesse, pendant qu’il était en odeur de sainteté partout où il demeurait, pendant que ce qui faisait son crime c’était la régularité de sa vie par son contraste avec celle de plusieurs de ses confrères. Que dirons-nous encore des conventicules qu’il accuse Madame Guyon de tenir, où selon lui elle prêchait des journées presque entières. C’était l’accusation de la Gautier, de la sœur Rose et de toute cette troupe de faussaires qui contrefaisait les écritures, qui allait de confesseur en confesseur pour attaquer Madame Guyon. En vérité un auteur qui puise dans de telles sources mérite le mépris des honnêtes gens et [34] l’animadversion publique.

[…]



Un renseignement sur le sort du confesseur.


Lacombe est prisonnier depuis quelques mois chez les « pères de la Doctrine » et ne sera jamais délivré tandis que madame Guyon subit un premier bref enfermement : «Enfin le 29 janvier 1688, veille de Saint-François-de-Sales, il me fallut aller à la Visitation…» (Vie 3.5.1).

En témoigne le récit de « l’Abbé Pirot, Docteur de la Maison et Société de Sorbonne et chancelier de l’Église de Notre-Dame de Paris» que l’on trouve dans les Papiers du P. Léonard, L 22, n° 11, f ° 2 :

Cette Dame fut mise aux filles de la Visitation de Sainte Marie de la rue saint Antoine, dans le temps que le P. de Lacombe était aux pères de la Doctrine chrétienne [nos italiques]. Elle y fut interrogée à la grille neuf ou dix séances par Mr Chéron, Mr Pirot présent…

Le même Pirot reprendra du service commandé : il s’occupera durement de Madame Guyon en 1696, lors de sa seconde période de prison beaucoup plus longue mais non définitive.

Nous supposons que ses amis les puissants ducs de Chevreuse et Beauvilliers et peut-être même l’archevêque Fénelon furent capables d’exercer quelque influence en faveur de leur amie ? Et tentèrent-ils quelque action en faveur de l’obscur prisonnier de Lourdes ?






Un résumé (tendancieux) de la doctrine du P. Lacombe

Doctrine enseignée par le père François de La Combe, barnabite, à ses plus illustres pénitentes1329.

Première proposition. La contemplation en oraison de repos consiste à se mettre en la présence de Dieu avec un acte de foi obscure, pure et amoureuse, et puis sans aller plus avant, sans admettre aucun discours, [aucune] espèce, aucune pensée, demeurer ainsi oisif. Et c’est offenser Dieu et une irrévérence contre Dieu de changer ce premier acte, qui est d’un si grand mérite qu’il ne contient pas seulement en soi les actes de toutes les vertus ensemble, mais il les surpasse de beaucoup, et l’on est réputé, tout le temps de sa vie, dans la persévérance, pourvu qu’on ne le rétracte jamais par un acte contraire. Ainsi il n’est pas nécessaire de le renouveler jamais.

2e. La science et la doctrine théologique et sacrée empêchent et répugnent à la contemplation à laquelle les docteurs ne peuvent juger, mais les vrais contemplatifs. [f ° 1v °]

3e. Sans la contemplation, on ne peut avancer un pas dans la perfection par la voie de la méditation.

4e. Il n’y a que la Divinité sur laquelle on puisse parfaitement contempler; et les images de l’Incarnation, vie et Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, ne sont pas des sujets de contemplation : au contraire ils l’empêchent, et ainsi on s’en tient éloigné, et ne les regarder qu’en passant.

5e. La pénitence corporelle et l’austérité de la vie ne convient pas aux contemplatifs; au contraire, on commence bien mieux par la vie contemplative que par la purgation, et par conséquent les contemplatifs ne doivent pas seulement fuir et rejeter les pénitences, les affections de dévotion sensible, la tendresse de cœur, les larmes et les consolations spirituelles, mais même ils les doivent mépriser, comme répugnantes à la contemplation.

6e. La vraie et parfaite contemplation doit seulement [se] former de l’Essence de Dieu, sans s’arrêter aux Personnes ni aux attributs, car un simple acte de foi est plus parfait que n’est celui qui connaît les Personnes [F ° 9] divines et les attributs, et même ce que Jésus-Christ Lui-même nous a enseigné, puisque ce second acte est un empêchement à la vraie et parfaite contemplation de Dieu.

7e. Dans la contemplation même acquise, l’âme s’unit immédiatement à Dieu; ainsi on n’a pas besoin de fantasmes, d’images et autres espèces, de quelque sorte qu’elles puissent être.

8e. Tous les contemplatifs, dans l’acte de leur contemplation, souffrent des peines et angoisses si grandes que non seulement elles égalent les peines des martyrs, mais même les surpassent. Pendant le sacrifice de la messe, et pendant les fêtes des saints, il vaut mieux s’appliquer à un seul acte de foi ou contemplation qu’au mystère du même sacrifice, ou à considérer les actions ou les pratiques des mêmes sujets.

9e. La lecture des livres spirituels, les prédications, les oraisons, l’invocation [F ° 2] des saints ou autres choses semblables sont des empêchements à la contemplation et à l’oraison d’affection, laquelle ne doit être prévenue d’aucune préparation.

10e. Le sacrement de pénitence avant la communion n’est pas pour les âmes intérieures et contemplatives, mais seulement pour les extérieures et méditatives.

11e. La méditation ne regarde pas Dieu avec la lumière de la foi simple simplement, mais avec la lumière de la nature, et de là vient qu’on n’a point de mérite devant Dieu.

12e. Non seulement les images intérieures et mentales sont très préjudiciables aux contemplatifs, mais même encore on les doit fuir et ôter de devant soi, quoiqu’elles représentent Jésus-Christ, la Vierge ou quelque autre saint, afin de mieux vaquer à la contemplation. [f ° 3]

13e. Celui qui s’est une fois appliqué à la contemplation ne doit pas retourner à la méditation, parce que ce serait passer du plus au moins parfait.

14e. Si, durant le temps de la contemplation, il vient des pensées sales et déshonnêtes, il ne faut pas apporter aucune diligence à les rejeter, ni même recourir aux bonnes pensées pour les chasser. Au contraire, il faut se réjouir d’en être tourmenté.

15e. Tous les actes intérieurs de notre affection intérieure, quand ils seraient formés de notre foi, ne plaisent pas à Dieu supposé qu’ils ne soient pas infusés du Saint-Esprit. Car on suppose qu’ils soient [sont] formés par nous-mêmes, et non pas comme des dons du Saint-Esprit, que nous devons patiemment attendre, et même être toujours joyeux quand ils ne viendraient pas. [f ° 3v °]

16e. Ceux qui sont dans l’acte de la contemplation ou oraison de repos, soit qu’ils soient personnes religieux ou religieuses, enfants de famille ou autres dépendant d’autrui, ne doivent pas, pendant ce temps-là, obéir, pratiquer leurs règles, ni exécuter aucun ordre, ni commandement de leur supérieur, crainte de se distraire ou détourner de leur contemplation.

17e. Les contemplatifs doivent être tellement dépouillés de l’affection de toutes choses, qu’ils rejettent d’eux-mêmes et qu’ils méprisent les dons et les faveurs de Dieu jusqu’à se détacher de la vertu même. De plus, pour se détacher davantage de toutes choses, et pour mieux se vaincre soi-même, ils doivent faire encore ce qu’ils ont fui et quitté dans le passé pour acquérir la pureté, ils doivent encore faire ce qui répugne à la modestie et à [F ° 4] l’honnêteté, pourvu que ce ne soit rien contre les préceptes du Décalogue.

18e. Les contemplatifs sont quelquefois sujets à des violences par lesquelles ils sont privés de l’usage du libre arbitre, de sorte que, quoiqu’ils pèchent extérieurement et grièvement, néanmoins ils ne commettent aucun péché intérieurement; et ils ne doivent pas même se confesser de ce qu’ils ont fait dans ces violences, ce qui se prouve par l’exemple de Job, car, quoiqu’il [in] juriât son prochain et qu’il blasphémât contre Dieu avec impiété, il ne péchait pas, parce qu’il faisait cela par la violence du démon. Et la théologie scolastique et morale ne peuvent pas juger de ces violences, et il n’y a que l’Esprit surnaturel, qui ne se trouve qu’en très peu. C’est pourquoi, en ceci, il ne faut pas juger de [f ° 4v °] l’intérieur par l’extérieur, mais de l’extérieur par l’intérieur.

Voilàa la seule instruction que le père de la Combe donnait aux âmes les plus épurées.


A. S.-S., ms. 2043, fond Fénelon, «Pièces concernant le père Lacombe», troisième pièce. Sa formulation, excessive dans la forme pour l’époque, ferait penser à un ensemble de propositions destiné à condamner la mystique «quiétiste» de Lacombe?

aCette dernière phrase, de la même écriture large, ronde et appliquée, que le texte qui précède, en est séparé par un trait horizontal.




Mère Bon (1636-1680) contemplative ursuline influente sur le P. Lacombe.

Nous relevons ici le texte du volume en développement1330 qui aborde successivement la Mère Bon suivie du P. La Combe :

La Mère Marie Bon («en religion une troisième Marie de l’Incarnation!) n’a pas été reconnue à sa valeur et fut suspectée de quiétisme, malgré le livre du P. Maillard1331 puis l’appréciation de Bremond selon laquelle elle serait «la vivante réalisation de ce que les théoriciens de la mystique ont décrit de plus sublime.»1332.

Elle naît d’un père avocat au Parlement de Grenoble et perd sa mère à l’âge de deux ans. «Les religieuses ne voulaient pas la recevoir à cause de sa petite taille et de ses infirmités 1333 ». Elle entre cependant en religion à vingt et un ans, le 20 décembre 1657, éprouve des résistances et des troubles intérieurs, mais une vision du Crucifié en 1661 semble clore cette période; elle obtient de Dieu de cacher toute manifestation de Ses grâces tandis qu’elle enseigne les filles selon la vocation des ursulines. Les religieuses «attribuaient ses faiblesses à la continuelle attention qu’elle apportait aux opérations de Dieu dans son cœur. Mais elle dit à l’une de ces religieuses, que son mal venait au contraire de ce qu’elle ne s’appliquait pas assez à Dieu. Elle ajouta qu’elle puisait ses forces dans la contemplation [54]». Elle a la vision d’«une personne renfermée dans un globe de cristal», ce qui lui est expliqué ainsi : Vous êtes dans Moi, Je vous environne de tous côtés : tout ce qui vous vient de la part des créatures passe par Moi [66].

Alors qu’elle était accoutumée «de former des intentions très pures au commencement de ses actions [86] [… Dieu] lui montra qu’il y avait quelque amour propre […] la satisfaction d’être assurée qu’elle faisait ses actions pour Dieu. Afin de détruire ce défaut […] elle devait regarder Dieu seul, Lui abandonner ses propres intentions […] Le voir opérant dans elle comme dans un néant qui ne peut produire aucune chose; qu’Il régnait ainsi dans l’âme, laquelle n’usait alors de sa liberté que selon les mouvements de la grâce, lui disant :Sacrifiez-moi le désir que vous sentez [101] d’avoir de l’humilité, pour vous rendre conforme à ma volonté et ne considérez pas cette vertu en vous, parce que vous la perdrez lors que vous croirez la posséder […] vous devez suivre seulement la lumière que Je répands dans votre esprit, comme les Israélites suivaient l’Ange.”» 

Vers 1664, Courbon, vicaire de l’archevêque de Vienne, lui commande d’écrire : elle adresse à son directeur l’exposé suivant :

Mon âme se trouve dans un simple regard de Dieu, ou pour mieux dire, dans une simple attention à la parole de Dieu dans mon [124] cœur, se tenant dans un profond respect et dans un silence semblable à celui que l’Amante Madeleine gardait aux pieds de son Sauveur. Car c’est ainsi qu’Il me l’a fait voir Lui-même…

Il n’y a de ma part […] que l’acquiescement […] Tout ce qui n’est pas Dieu […] empêche le cours de [125] Sa grâce : laquelle exige de couler continuellement dans l’âme […] Et de même que l’eau d’une vive source court promptement, lors qu’ayant été retenue elle trouve un passage libre […] ainsi cette grâce ayant arrêté son cours par l’infidélité de l’âme […] se répand à la même vitesse, quand cette âme retourne à sa première fidélité. C’est ce qui m’arrive quelquefois…

Son père est assassiné le 21 septembre 1664. A l’époque elle traverse une nuit spirituelle :

Lorsque vous êtes fortement poussée à vous jeter par la fenêtre, vous n’y consentez pas, car vous vous retirez promptement : sachez qu’il en est de même de vos autres tentations [163]. Elle reconnut que son amour propre lui faisait craindre de devenir folle…

Elle s’applique au soulagement des âmes du Purgatoire et Dieu lui révèle les secrets des consciences :

 Je m’étonnais de ce qu’Il voulait se servir de moi pour sauver les âmes […] Il m’a témoigné que cela Lui déplaisait. […] Ne sais-tu pas que tu es un néant et que c’est pour cela que Je t’ai choisie? [245]

Au parloir où elle est souvent placée par ordre, malgré ses infirmités, les personnes accourent de tous côtés :

Elle disait avec une sainte liberté […] aux gens de qualité et aux autres, les défauts […] Ils n’avaient aucun repos de conscience qu’ils n’eussent exécuté ce qu’elle [250] les avait priés de faire. Il n’était pas nécessaire que chacun lui dit ses dispositions intérieures, [251] pour lui déclarer son état : les lumières de la grâce les lui faisaient voir aussitôt qu’on commençait à lui parler.

Ceci risque d’attirer des jalousies : un Traité de l’oraison la fait imputer d’hérésie. Mais une traduction italienne est approuvée. Elle dirige une comtesse piémontaise, qui fonde un couvent à Turin d’ursulines (madame Guyon sera en relation avec une comtesse et son couvent lors de son séjour turinois). Elle est deux fois supérieure — précédant une persécution qui dure sept ans :

[Une nouvelle supérieure] lui ordonna de la lui demander [il s’agit de la communion], comme les novices le pratiquent, toutes les fois qu’elle voudrait s’approcher des saints mystères […] elle se soumit volontiers […] elle prenait le temps des assemblées de la Communauté et se mettait à genoux devant la Supérieure [279].

Cette persécution s’acheva dix-huit mois avant sa mort à l’âge de quarante cinq ans. Elle fut influente sur le Père La Combe et peut-être par voie mystique sur madame Guyon :

Il se présenta à moi à quelque temps de là, la nuit en songe, une petite religieuse fort contrefaite, qui me paraissait pourtant et morte et bienheureuse. Elle me dit : «Ma sœur, je viens vous dire que Dieu vous veut à Genève.» Elle me dit encore quelque chose dont je ne me souviens plus. J’en fus extrêmement consolée, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. Selon le portrait de la mère Bon, que j’ai vu depuis, j’ai connu que c’était elle; et le temps que je la vis se rapporte assez à celui de sa mort. 1334

Son Catéchisme spirituel se trouve relié avec deux copies (sur trois reconnues) des Torrents de madame Guyon1335. Il s’agit d’un «catéchisme» tout mystique qui comporte un dialogue sur les thèmes : Dieu seul, chemin désintéressé, adhérence à la grâce.

D. Que peut faire l’âme ainsi dénuée de tout plaisir, jugement volontaire et intérêts propres? – M. Elle n’a jamais fait de si bonnes affaires qu’elle en fait pour lors, parce que jouissant de [662] Dieu d’une manière inconnue aux sens, elle opère par Lui, et Il opère en elle, de sorte que Ses opérations sont toutes saintes et d’un mérite très grand. C’est pour lors […] qu’elle peut être appelée spirituelle; parce qu’elle n’est plus que pour adhérer à l’esprit de la grâce […] pour lors elle peut dire avec vérité les paroles de St Paul : «je vis en moi mais non plus moi, mais l’esprit de Jésus-Christ vit en moi».

[668] M. L’anéantissement doit détruire toute présomption et donner la gloire à Dieu de toutes ses bonnes œuvres. Il faut de plus retrancher les paroles, je ne suis rien, je suis un grand pécheur et je ne fais que du mal, d’autres semblables, lesquelles ordinairement ne sont que compliment de l’amour propre.

[676] D. Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu? – M. Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à Sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’Il en donne; ne pas prendre conseil avec soi-même pour savoir si on doit se soumettre ou non; et enfin faire la volonté de Dieu intérieurement et extérieurement sans perdre la vue de Dieu pour la faire, et sans s’occuper l’esprit…

D. Pourquoi il faut ainsi nous détruire nous-mêmes pour agir simplement? – M. Cette simplicité pour être parfaite demande ces anéantissements parce que son occupation est de regarder Dieu en tout temps et en tout lieu comme son unique objet et sa fin dernière sans permettre même à l’âme qui la pratique de considérer distinctement ce qu’elle fait en cette pratique et ce qu’elle y acquiert, non pas même de voir si Dieu est son unique objet par une application particulière, [678] de sorte que l’on pourrait dire de l’âme qui agit simplement qu’elle agit purement, parce qu’elle est toute perdue en Dieu et n’agit que par Lui, c’est pour lors qu’elle est, parce qu’elle cesse d’être à elle-même pour être à Dieu.

M. [682] Le chemin que je veux vous montrer et que je souhaite que vous marchiez à grands pas, porte le nom de la Voie ou Chemin Désintéressé… – D. Ayez la bonté de me conduire à cette porte. – M. Cette porte n’est autre que l’humble prière [… 683] qui se fait dans le cœur par adhérence aux mouvements de l’esprit de la grâce, lequel donne à un cœur qui lui est soumis, ce qu’il doit demander et la manière…

L’analyse des difficultés rencontrées au début de l’oraison met en garde contre l’activité subtile qui cherche à contrôler l’entendement et à éviter un vide nécessaire à l’opération divine :

D. S’il arrivait des bonnes pensées dans l’imagination […] faudrait-il les détruire? – M. Il n’y a pas de nécessité de détruire les pensées qui occupent l’imagination : il se peut même faire que l’imagination étant ainsi occupée sans que l’âme ait pris aucun soin, donnera à la volonté une plus grande facilité pour faire sa prière. [692]

D. Quelle différence mettez-vous entre la considération et la pensée qui vient de l’imagination? – M. Ce qui fait cette différence, est que la volonté se porte délibérément à faire que l’entendement soit occupé dans une pensée ou sujet pour le considérer […] Si bien que [693] toute l’âme, ou du moins ses trois puissances, se trouvent toutes occupées et remplies de telle sorte qu’il n’y reste point de vide pour recevoir l’opération de Dieu, [mais] au contraire une opposition générale par l’attachement volontaire qu’elles ont au sujet qui les occupe. Cette opposition n’est pas dans la pensée qui se présente à l’imagination, parce que l’âme ne l’ayant pas choisie elle n’y a pas de volonté, ni par conséquent de propriété et d’attachement, et venant à s’en apercevoir, elle s’en défait ordinairement comme d’un sujet qui vient la séparer de celui qu’elle s’est choisi et auquel elle veut se tenir…

Elle insiste sur le libre don de Dieu à tous, montrant le même optimisme que madame Guyon dans son Moyen court :

[700]M. Ceux qui disent que l’oraison est un don de Dieu, disent le vrai. Mais lorsqu’ils ajoutent qu’il ne le donne pas à tous, ils se trompent […] Il ne tient qu’à l’âme de faire oraison […] un peu d’amour pour Dieu ou pour elle-même la ferait profiter de l’esprit de prière et d’oraison qui est en elle […] on viendrait à connaître par expérience qu’il n’est pas difficile de suivre les divins mouvements pour prier.

Elle analyse tbien la sécheresse causée par l’amour de la propre perfection :

La privation des effets sensibles de la grâce [a lieu] pour retrancher les dérèglements de l’amour propre […] il faut qu’elles [les âmes] se perdent si bien en Dieu qu’elles ne voient que Lui et non plus elles-mêmes…

[723] D. Il faut donc préférer l’attrait qui unit l’âme à Dieu à tous ceux que l’on a pour la pratique de la vertu? – M. Oui, il le faut […] Combien de personnes s’éloignent de la perfection par le défaut de fidélité [724] sans néanmoins en manquer aux autres attraits qu’elles ont pour la pratique des vertus […] de sorte que regardant les dispositions que la présence de Dieu lui communique comme moyen de se rendre plus parfaite, elle s’y attache et s’en sert par intérêt propre et ne craint point de perdre la vue de Dieu pour celle qu’elle prend plaisir d’avoir en Ses dons; de sorte que si la divine Bonté ne retirait pas Ses dons pour la remettre en son devoir, elle resterait dans son aveuglement. […] Pour tout avoir, il ne faut rien avoir…

Un acquiescement de volonté en silence à celle de Dieu par lequel l’esprit [739] agit ou n’agit pas suivant ce que cette divine Volonté ordonne, et cet acquiescement produit sans bruit [… la] pure foi.

[745] Dieu est ce grand miroir […] dans la glace duquel l’âme chrétienne aperçoit ses défauts et la fidélité qu’elle a à s’y regarder, lui mérite la grâce de les détruire; c’est là que les imperfections lui paraissent telles qu’elles sont, l’amour propre n’ayant moyen de les couvrir du manteau de déguisement. L’âme qui veille à Dieu, Il a Lui-même la bonté de veiller pour elle sur elle-même; de sorte qu’elle pourrait dire qu’elle se voit par les yeux de Dieu et non point autrement.

Lorsque le chemin est engagé profondément :

[763] L’âme qui est à Dieu par l’abandon ou donation qu’elle lui fait d’elle-même et de tout ce qui la touche, demeure en repos et en silence auprès de Lui sans souci, sans dessein, sans volonté, éloignée de toute inquiétude parce qu’elle ne veut que la volonté de Dieu à laquelle elle adhère simplement, bien que l’amour-propre et la conduite humaine s’y oppose…

Reprise de la voie : connaissance de soi, élans d’amour, consentement à la purgation, transformation en Dieu et possession par Lui :

[ 781] Par la connaissance de soi-même on se voit inhabile à la pratique du bien sans le secours de la grâce…

[793] l’âme dans cette vie de Dieu reçoit de sa bonté un nombre infini de bons sentiments qu’elle rend en même temps à son bienfaiteur […] mais comme elle n’a pas encore la pureté d’amour qui lui est nécessaire, elle reste dans ses élans et transports d’amour, par l’ardeur desquels elle se purifie et dépouille des sentiments naturels, des désirs des choses créées, des attachements qu’elle y a…

[794] Ces transports et élans amoureux doivent être modérés en sorte qu’ils ne paraissent pas à l’extérieur […] cette grâce demande que celles qui l’ont reçue commencent à mener une vie cachée […] et pour cet effet elle doit taire tous ses bons sentiments, ne pas parler de Dieu ni de la vertu quelque bonne intention qui la pousse.

[802] L’occupation de l’âme dans cet état n’est autre qu’une cessation de toute occupation pour se laisser occuper de Dieu seul, un anéantissement continuel de ses puissances intérieures pour se [803] perdre en lui et en être possédé; son oraison peut être appelée un silence intérieur par lequel elle prie […] contemplation infuse de la part de Dieu et passive de la sienne pour le recevoir.

[831] Aimer Dieu par lui-même c’est avoir anéanti toutes ses propres opérations excepté celle de la simple attention à Dieu par la foi et la simple adhérence […] il lui semble toutefois souvent qu’elle est sans amour parce qu’elle n’a plus de sentiment sensible ni d’affection dans le cœur qui l’en assure : comment pourrait-elle en avoir puisque pour aimer purement il faut de nécessité n’être plus.

[832] La vertu de simplicité […] est une émanation de l’être simple de Dieu […] elle fait que l’âme quitte la multiplicité pour se tenir dans l’unité, qu’elle quitte toutes pensées et même les lumières surnaturelles et les grâces reçues pour ne voir que Dieu.

D. L’âme n’acquiert-elle point d’autre bien…? – M. La connaissance expérimentale d’elle-même, par laquelle elle est en état de ne se fier plus à elle-même, et de ne s’attribuer jamais la gloire du bien qu’elle fera, mais à Dieu qu’elle voit en être l’auteur.



Vittorio Augustin Ripa (-1691) évêque ‘quiétiste’ 

Cet ancien gouverneur de Jesi1336 (auparavant à Bénévent et à Fermo), de Verceil de 1679 à sa mort, « était lié au cardinal Petrucci (1636-1701) par une étroite amitié. Il entretenait avec lui une correspondance assidue1337 ». Après Molinos, Petrucci est la figure d’envergure du quiétisme italien dont les écrits sont les plus remarquables.

Le Général des barnabites envoie La Combe à Verceil où Ripa demandait un directeur : en octobre 1683, avec la permission de son provincial, le P. Lacombe accompagne madame Guyon dans son voyage d'Annecy à Turin.1338 Il jouissait de la confiance de Ripa « au point de devenir son confesseur, d’être chargé d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse, et même de l’accompagner dans ses visites pastorales1339 ».

Lacombe aurait-il été « converti » par Ripa à Verceil1340 ? Lors de sa formation romaine antérieure, avait-il déjà rencontré Molinos qui occupait une place privilégiée à Romen et/ou Petrucci ?

Cela expliquerait les deux voyages de madame Guyon traversant courageusement les Alpes par le val d’Aoste ou la mer Méditerranée. Leur activité commune à Verceil1341 incluant un apostolat dont il nous reste une trace trilingue, signes tangibles d’une forte activité commune concertée dans ces années qui précèdent la chute de Molinos (1687). En effet à Verceil madame Guyon rédigea son commentaire de l’Apocalypse, La Combe son Orationis mentalis analysis, l’évêque Ripa l’Orazione del cuore facilitata.

A l'oraison, surtout à l'oraison contemplative, Ripa attribue la capacité de faire avancer l'âme avec facilité dans la voie de la sanctification ; mais la méditation et la pénitence ne sont pas omises, ni la prière vocale […] Cette situation existentielle de « fiente sono, niente posso, niente voglio » invite l'âme à « Odia il niente, ama el tutto, che è Dio solo, se non vuoi essere tutto del niente e fiente del tutto » (p. 151 : « Déteste le rien, aime le tout qui est Dieu seul si tu ne veux pas être le tout du rien et le rien du tout »). Toutefois, Dieu semble inconnaissable ; l'âme amoureuse doit croire plus que voir, sans aucun soutien, et doit par conséquent se nourrir d'un amour qui soit un pur amour1342. Dans cet itinéraire de ténèbre obscure, il y a renversement des plans par rapport au schéma traditionnel ; ici, c'est la mystique qui ouvre la voie à l'ascèse et provoque la conversion profonde du cœur. Mais1343 bien des pages offrent un enseignement solide s'il est bien compris ; ainsi : « Le plus grand secret de la vie spirituelle consiste à se rendre de plus en plus passif, sous la volonté de Dieu, consentant volontiers à ses opérations avec une indifférence totale et une résignation très patiente, heureux que Dieu dispose de nous comme bon lui semble. Celui qui laisse Dieu faire ce qu'il veut, comment pourrait-il ne pas se sentir toujours bien ? » (p. 253). L'ouvrage ne fut pas mis à l'Index. Il est difficile de dire qui, de La Combe, Mme Guyon ou Ripa, influença les autres. Ce qui est certain, c'est qu'ils étaient en communion spirituelle dans des préoccupations et une ambiance diffuse favorables à ce qu'on a appelé le quiétisme, et que Verceil fut un lieu à travers lequel le quiétisme italien passa en France et, inversement, le « préquiétisme » français put arriver en Italie1344 ».










MARIE-ANNE DE MORTEMART (1665-1750)


La « petite duchesse » en relation avec

Madame Guyon,

Fénelon et son neveu






UNE ESQUISSE BIOGRAPHIQUE

Esquisse

La « petite duchesse » Marie-anne de Mortemart (1665-1750), aide dévouée auprès de Madame Guyon  1345 puis « secrétaire » et confidente appréciée 1346, prit sa relève au sein du cercle des disciples lorsque cette dernière fut emprisonnée puis assignée à résidence à Blois. La cadette du « clan Colbert » avait un fort tempérament 1347, ce qui semble avoir été prévisible et fut utile pour prendre sa juste place dans la grande famille Colbert 1348. Ce tempérament lui fut par ailleurs reproché.

Après 1717, date du décès de la ‘Dame directrice’, la duchesse corrigée de défauts de (relative) jeunesse atteindra quatre-vingt-cinq ans et l’année centrale du demi-siècle des Lumières.

Elle aura ainsi peut-être 1349 succédé à Madame Guyon et du moins partagé la direction des disciples lorsque « notre mère » disparut peu après la disparition prématurée de « notre père » Fénelon.

Nous explorons sa biographie dans ses grandes lignes dans ce premier texte courant en l’accompagnant d’amples notes. Celles très précieuses de l’éditeur I. Noye accompagnent et authentifie ce qui s’avère constituer la plus longue série de lettres rapportée en [CF 18] pour une même correspondante. De nature plus éditoriale que biographique elles ne sont pas toutes reprises dans le premier choix que l’on va lire, mais leurs attributions et leurs datations assurent la séquence du regroupement.

Pour notre chance ! Car l’attribution à la duchesse de Mortemart de lettres nettoyées des renseignements sur leur provenance de membres du cercle « quiétiste » afin de permettre l’édition sans risques de 1718 n’a été établie qu’assez tardivement 1350 tandis que l’édition critique de la série de lettres spiritueles « LSP * » est récente 1351  : la filiation mystique fut ainsi très -- trop, peut-être volontairement -- préservée.

Nous donnerons, après cette esquisse biographique et le premier choix annoncé, la série reconstituée complète des lettres dont seuls quelques passages seront omis au fil du texte principal.

Mais qui était cette « petite duchesse » ? Nous alternons ici Orcibal avec le duc de Saint-Simon, sans oublier en notes Boislisle, regroupant ainsi l’admirable écrivain observateur avec les deux plus grands érudits qui précédèrent le plus récent éditeur de lettres Irénée Noye :

« La ‘Petite Duchesse’ de Mortemart, fille du ministre Colbert et sœur cadette des dames de Chevreuse et de Beauvillier, épousa en 1679 Louis de Rochechouart1352.

« Ce dernier, né en 1663, « donnait les plus grandes espérances (en 1686 il avait forcé les pirates de Tripoli à se soumettre), mais sa santé, minée par la phtisie, provoquait dès l'été 1687 de vives inquiétudes. » Il mourut jeune en 1688. En 1689 et en 1690, on voit souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin 1353. »

Cela peut avoir été facilité et facile pour une jeune veuve de vingt-trois ans dont Saint-Simon décrit un charme qu’il considère digne de « l’esprit Mortemart » 1354. Le duc de Saint-Simon use ensuite de son piquant propre en rapportant une dévotion peu jusfifiée à ses yeux :

« La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l'aimait fort aussi, et de tout à la Cour, la quitta subitement de dépit des romancines1355 de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans l'exemple de ses deux sages beaux-frères [les ducs] à se confirmer dans son goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints amusements pour s'occuper…1356

Nous relevons du même duc de Saint-Simon une note complémentaire du fil principal de ses Mémoires. Elle est bien informée sur l’origine et sur la permanence du « petit troupeau » après la mort de Louis XIV. Elle pose ensuite la duchesse comme « pilier femelle 1357 » lorsque Mme Guyon, sortie de la Bastille, est en résidence surveillée à Blois. Nous indiquons les dates des figures car plusieurs établissent le réseau du « petit troupeau » mystique :

« Mme Guyon a trop fait de bruit, et par elle, et par ses trop illustres amis, et par le petit troupeau qu'elle s'est formé à part, qui dure encore, et qui, depuis la mort du Roi [en 1715], a repris vigueur, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira d'en dire un mot d’éclaircissement, qui ne se trouve ni dans sa vie ni dans celle de ses amis et ennemis, ni dans les ouvrages écrits pour et contre elle, où tout le reste se rencontre amplement.

« Elle ne fit que suivre les errements d'un prêtre nommé Bertaut [Jacques Bertot, 1620-1681], qui, bien des années avant elle [Jeanne Guyon, 1648-1717], faisoit des discours à l'abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples […] M. de Beauvillier [1648_1714] fut averti plus d'une fois que ces conventicules obscurs, qui se tenaient pour la plupart chez lui, étoient sus et déplaisaient ; mais sa droiture, qui ne cherchait que le bien pour le bien, et qui croyait le trouver là, ne s'en mit pas en peine. La duchesse de Béthune [1641 ?-1716], celle-là même qui allait à Montmartre avec M. de Noailles, y tenait la seconde place. Pour ce maréchal, il sentait trop d'où venait [415] le vent, et d'ailleurs il avait pris d'autres routes qui l'avaient affranchi de ce qui ne lui était pas utile. La duchesse de Mortemart [‘petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. Tels étaient les piliers mâles et femelles de cette école, quand la maîtresse [Guyon] fut éloignée d'eux et de Paris, avec une douleur, de leur part, qui ne fit que redoubler leur fascination pour elle…1358. »

Par la suite,

« La duchesse vécut ensuite en liaison étroite avec ses beaux-frères, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. « Plusieurs lettres du P. Lami, bénédictin, nous apprennent que la duchesse faisait de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait profession1359, et qu’elle y occupa même assez longtemps une cellule […] Elle y mourut le 13 février 1750 1360».

« La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ame du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avait forcé la duchesse [la comtesse] de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardait aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle allait à Cambrai, et y avait passé souvent plusieurs mois de suite. C'était donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque; ou ne le pouvait même ignorer1361. »

Doit-on la considérer comme assurant suite dans la lignée mystique ?

Le successeur dans la filiation ?

Déjà dans une lettre de septembre 1697, Madame Guyon lui écrivait :

« …Cependant, lorsqu'elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu'Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s'est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j'ai toujours cru qu'Il l'accordait à l'humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi… »

La petite duchesse pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux.

Nous pensons que la « suppléante de Mme Guyon » lui a très probablement succédé : Fénelon meurt trop tôt. Elle intègre la « lignée » qui passe de sources franciscaines au sieur de la Forest ( ?) et au Père Chrysostome de Saint-Lô, à Jean de Bernières, à Jacques Bertot, à Jeanne Guyon.

Cette solide duchesse de Mortemart qui vécut longtemps (†1750) fut probablement secondée par les deux duchesses de Chevreuse (†1732) et de Beauvillier (†1733), par Du Puy († après 1737), par le marquis de Fénelon (†1745), par ‘la colombe’ qui désigne la duchesse de Gramont (†1748). Ensuite nous relevons des figures mystiques en Écosse dont 16th Forbes (†1761) & Deskford (†1764) ; ainsi qu’en Suisse, qu’en Hollande et dans l’Empire1362.

Opinions de Fénelon et de Chevreuse

Nous avons quelques lettres à des tiers où Fénelon exprime son appréciation de la Petite Duchesse :

Au moment où le duc de Montfort leur fils des Chevreuse est grièvement blessé, Dieu « vous met sur la croix avec son Fils; je vous avoue que, malgré toute la tristesse que vous m'avez causée, j'ai senti une espèce de joie lorsque j'ai vu Mme la duchesse de Mortemart partir avec tant d'empressement et de bon naturel pour aller partager avec vous vos peines. » (L.168 à la duchesse du 7 avril 1691).

A la comtesse de Gramont : « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart (1); elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus en plus. La vertu lui coûte autant qu'à un autre, et en cela elle est très propre à vous encourager. » (L.300 du 22 juin 1695)

A la comtesse de Montberon : « A mon retour, j'espère que nous aurons ici Mad. la d[uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée. » (L. entre le 2 et le 6 juillet 1702)

Le duc de Chevreuse écrit à Fénelon :

« Je suis plus content que jamais de la B.P.D. [de Mortemart]. J'y trouve le même esprit de conduite qu'elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond. » (L.913A du 16 mai 1703).

Traits relevés par Saint-Simon

Nous trouvons dans les Mémoires de Saint-Simon deux passages qui éclairent la duchesse cadette à l’occasion de deux décisions importantes dont la première discutée. Elle les prit non sans relief et vigueur dont témoigne ces deux extraits que l’on va retrouver bintôt insérés dans leur contexte :

« La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l'aimait fort aussi, et de tout à la cour, la quitta subitement de dépit des romancines de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. »

« La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardoit aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle alloit à Cambrai, et y avoit passé souvent plusieurs mois de suite. C'étoit donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque… »

Tome 4 ch.12 1703 pp. 213-214 La duchesse de Mortemart quitte la cour et marie un fils difficile…

M. de Beauvilliers qui avoit deux fils fort jeunes, et dont toutes les filles s'étaient faites religieuses à Montargis, excepté une seule, la maria tout à la fin de cette année au duc de Mortemart qui n'avoit ni les moeurs ni la conduite d'un homme à devenir son gendre. Il étoit fils de la soeur cadette des duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers [notre « petite duchesse »]. Le désir d'éviter de mettre un étranger dans son intrinsèque entra pour beaucoup dans ce choix; mais une raison plus forte le détermina. La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l'aimait fort aussi, et de tout à la cour, la quitta subitement de dépit des romancines de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans l'exemple de ses deux sages beaux-frères à se confirmer dans son goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints amusements pour s'occuper. Mais ce qu'elle y rencontra de plus solide fut le mariage de son fils. [oh, féroce Duc!] L'unisson des sentiments dans cet élixir à part d'une dévotion persécutée où elle figuroit sur le pied d'une grande âme, de ces âmes d'élite et de choix, imposa à l'archevêque de Cambrai, dont les conseils déterminèrent contre ce que toute la France voyoit, qui demeura surprise d'un choix si bizarre, et qui ne répondit que trop à ce que le public en prévit. Ce fut sous de tels auspices que des personnes qui ne perdoient jamais la présence de Dieu au milieu de la cour et des affaires, et qui par leurs biens et leur situation brillante avoient à choisir sur toute la France, prirent un gendre qui n'y croyoit point et qui se piqua toujours de le montrer, qui ne se contraignit, ni devant ni après, d'aucun de ses caprices ni de son obscurité, qui joua et but plus qu'il n'avoit et qu'il ne pouvoit , et qui s'étant avisé sur le tard d'un héroïsme de probité et de vertu , n'en prit que le fanatisme sans en avoir jamais eu la moindre veine en réalité. Ce fléau de sa famille et de soi-même se retrouvera ailleurs. […]

Tome 6 ch.8 1708 pp. 154, 162-166 Mariage de la fille Mortemart & aperçus sur sa mère et des membres du cercle guyonnien.

[…] Enfin les liens secrets qui attachoient ensemble Mme la duchesse de Bourgogne et les jeunes Noailles, ses dames du palais, répondoient de cette princesse pour le présent et pour le futur ; et par eux-mêmes auprès de Mgr le duc de Bourgogne ils étoient sûrs des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers. Ils y gagnoient encore la duchesse de Guiche, dont l'esprit, le manège et la conduite avoit tant de poids dans sa famille, chez Mme de Maintenon, et auprès du roi même, et qui imposoit tant à la cour et au monde. Je n'avois avec aucun des Noailles nulle sorte de liaison, sinon assez superficiellement avec la maréchale, qui ne m'en avoit jamais parlé. Mais je croyois voir tout là pour les Chamillart, et c'étoit ce qui m'engageoit y exhorter les filles, et ceux de leur plus intime famille qui pouvoient être consultés.

Le duc de Beauvilliers étoit ami intime de Chamillart. Il pouvoit beaucoup sur lui, mais non assez pour le ramener sur des choses qu'il estimoit capitales au bien de l'État. Il espéra vaincre cette opiniâtreté en se l'attachant de plus en plus par les liens d'une proche alliance. Je n'entreprendrai pas de justifier la justesse de la pensée, mais la pureté de l'intention, parce qu'elle m'a été parfaitement connue. Lui et la duchesse, sa femme, qui ne pensèrent jamais différemment l'un de l'autre, prirent donc le dessein de faire le mariage de la fille de la duchesse de Mortemart, qui n'avoit aucun bien, qui étoit auprès de sa mère et ne vouloit point être religieuse. Au premier mot qu'ils en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d'aversion, que plus d'une année avant qu'il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu'elle seroit dans la faveur, pour la sonder là-dessus: « Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris. » M. et Mme de Chevreuse, quoique si intimement uns avec M. et Mme de Beauvilliers, car unis est trop peu dire, rejetèrent tellement cette idée qu'ils ne furent plus consultés. J'ai su d'eux-mêmes et de la duchesse de Mortemart, que, si sa fille l'eût voulu croire, jamais ce mariage ne se seroit fait.

De tout cela je compris que M. et Mme de Beauvilliers, résolus d'en venir à bout, gagnèrent enfin leur nièce, et que, sûrs de leur autorité sur Mme de Mortemart et sur le duc et la duchesse de Chevreuse, ils poussèrent leur pointe vers les Chamillart, qui, peu enclins aux Noailles, ne trouvant point ailleurs de quoi se satisfaire, saisirent avidement les suggestions qui leur furent faites. Une haute naissance avec des alliances si proches de gens si grandement établis flatta leur vanité. Un goût naturel d'union qu'ils voyoient si grande dans toute cette parenté les toucha fort aussi. Une raison secrète fut peut-être la plus puissante à déterminer Chamillart; en effet, elle étoit très-spécieuse à qui n'envisageoit point les contredits. Personne ne sentoit mieux que lui-même l'essentielle incompatibilité de ses deux charges et l'impossibilité de les conserver toutes deux. Il périssoit sous le faix, et avec lui toutes les affaires. Il ne vouloit ni ne pouvoit quitter celle de la guerre; mais, étant redevable du sommet de son élévation aux finances, il comprenoit mieux que personne qu'elles emporteroient avec elles toute la faveur et la confiance, et combien il lui importoit en les quittant de se faire [de son successeur] une 164 créature reconnoissante qui l'aidât, non un ennemi qui cherchât à le perdre, et qui en auroit bientôt tout le crédit. Le comble de la politique lui parut donc consister dans la justesse de ce choix, et il crut faire un chef-d'oeuvre en faisant tomber les finances sur un sujet de soi-même peu agréable au roi, et par là peu à portée de lui nuire de longtemps ; il se le lia encore par des chaînes si fortes, qu'il lui en ôta le vouloir et le pouvoir.

La personne de Desmarets lui parut faite exprès pour remplir toutes ces vues. Proscrit avec ignominie à la mort de Colbert son oncle, revenu à Paris à grande peine après vingt ans d'exil, suspect jusque par sa capacité et ses lumières, silence imposé sur lui à Pontchartrain, contrôleur général, qui n'obtint qu'à peine de s'en servir tacitement dans l'obscurité et comme sans aveu ni permission; la bouche fermée sur lui à tous ses parents en place qui l'aimoient ; poulié à force de bras et de besoins par Chamillart, mais par degrés, jusqu'à celui de directeur des finances , mal reçu même alors du roi, qui ne put s'accoutumer à lui tant qu'il fut dans cette place, redevable de tout à Chamillart, c'étoit bien l'homme tout tel que Chamillart pouvoit désirer. Restoit de l'enchaîner à lui par d'autres liens encore que ceux de la reconnoissance, si souvent trop foibles pour les hommes ; et c'est ce qu'opéroit le mariage de Mlle de Mortemart, qui rendroit encore les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers témoins et modérateurs de la conduite de Desmarets si proche de tous les trois , et si étroitement uni et attaché aux deux ducs. Tant de vues si sages et si difficiles à concilier, remplies avec tant de justesse, parurent à Chamillart un coup de maître ; mais il en falloit peser les contredits et comparer le tout ensemble.

Il ne tint pas à moi de les faire tous sentir, et je prévis aisément, par la connoissance de la cour et des personnages, le mécompte du duc de Beauvilliers et de Chamillart. Celui-ci étoit trop prévenu de soi, trop plein de ses lumières, trop attaché à son sens, trop confiant pour être capable de prendre en rien les impressions d'autrui. Je ne crus donc pas un moment que l'alliance acquit sur lui au duc de Beauvilliers le plus petit grain de déférence ni d'autorité nouvelle; je ne crus pas un instant que Mme de Maintenon, indépendamment même de son désir pour les Noailles, pût jamais s'accommoder de ce mariage. Sa haine pour M. de Cambrai étoit aussi vive que dans le fort de son affaire. Son esprit et ses appuis le faisoient tellement redouter à ceux qui l'avoient renversé, et qui possédoient Mme de Maintenon tout entière, que, dans la frayeur d'un retour, ils tenoient sans cesse sa haine en haleine. Maulevrier, aumônier du roi, perdu pour son commerce avec lui, avoit eu besoin des longs efforts du P. de La Chaise, son ami intime, pour obtenir une audience du roi, afin de s'en justifier, il n'y avoit que peu de jours. La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ûme du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avoit forcé la duchesse de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardoit aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle alloit à Cambrai, et y avoit passé souvent plusieurs mois de suite. C'étoit donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque; ou ne le pouvoit même ignorer.

J'étois de plus effrayé du dépit certain qu'elle concevroit de voir Chamillart, sa créature et son favori , lui déserter pour ainsi dire, et passer du côté de ses ennemis, comme il lui échappoit quelquefois de les appeler, je veux dire, dans la famille des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, qu'elle 166 rugissait encore en secret de n'avoir pu réussir à perdre. Je n'étois pas moins alarmé sur son intérêt que sur son goût. Elle en avoit un puissant d'avoir un des ministres au moins dans son entière dépendance, et sur le dévouement sans réserve duquel elle pût s'assurer. On voit comme elle étoit avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers. Elle n'aimoit guère mieux Torcy, et par lui-même et comme leur cousin germain, qui s'étoit toujours dextrement soustrait à sa dépendance, et ne s'en maintenoit pas moins bien avec le roi. Elle étoit tellement mal avec le chancelier dès le temps qu'il avoit les finances, qu'elle contribua, pour s'en défaire dans cette place, à lui faire donner les sceaux; et depuis qu'il les eut, ses démêlés avec M. de Chartres, et par lui avec les évêques pour leurs impressions et leurs prétentions à cet égard, avoient de plus en plus aigri Mme de Maintenon contre lui. […]





LETTRES DES DEUX DIRECTEURS


Ce qui nous permet de mieux connaître la « petite duchesse » chère à madame Guyon se réduit presque aux nombreuses lettres que « n m » et « n p »  lui adressèrent. Car elle eut la chance d’être « formée mystiquement » conjointement par madame Guyon et par Fénelon.

Madame Guyon lui écrivit de juin 1695 à mai 1698 : lorsqu’il faut protéger le duc de Chevreuse, tout passe par la « petite duchesse » qui devint la « secrétaire » bientôt chère confidente. Ce qui nous surprend le plus c’est que le flux de lettres ne fut pas interrompu par l’arrestation de Mme Guyon à la fin décembre 1695. Cette abondante correspondance couvre la plus grande partie du présent dossier. Il ne concerne qu’incidemment ce qui est personnel à la petite duchesse1363.

Fénelon lui écrivit avant et après cette période critique, et même très tardivement. Ne nous sont parvenues de lui que 28 lettres mais elles portent sur la longue durée : les premières seraient de 1693, la dernière est datée de la fin juillet 1711 (totuefois la majorité de cette correspondance est non datée tandis que le nom de la destinataire fut longtemps inconnu).

Enfin dans la correspondance de madame Guyon dont les pièces autographes ou copies furent assemblées et reliées en volumes par I. Noye, le grand connaisseur et ami des membres de cercles quiétistes auquel nous devons d’avoir souvent levé l’identité de la destinataire de Fénelon, figurent d’assez nombreuses lettres échangée entre les Amis membres des cercles de Blois et de Cambrai, dont une série de 16 lettres de la large écriture très particulière à la « petite duchesse ». Elle écrit au marquis de Fénelon depuis sa blessure de 1711 mais avant la mort de Fénelon qui survint en janvier 1715.

Les lettres adressées à la petite duchesse de Mortemart furent jusqu’aujourd’hui négligées : il fallait attendre que I. Noye en rétablisse le plus grand nombre dans le volume [CF 18] et la révèle comme destinataire par de solides présomptions. Ce dernier volume de la Correspondance de Fénelon n’a été publié en 2007. Malgré un titre bien peu porteur 1364, il permet enfin de révéler Fénelon comme essentiellement mystique et conforte l’attribution d’un rôle directeur à la « petite duchesse ».



DE MADAME GUYON

Cette première lettre apparaît isolée au sein de la série adressée au duc de Chevreuse qui est alors l’intime secrétaire de madame Guyon par lequel passe à une époque paisible une correspondance abondante.

136. A LA « PETITE DUCHESSE » (?) Décembre 1693.

J’ai tous les sujets du monde de croire que monsieur de Meaux ne désire voir tant d’écrits que pour me condamner hautement, et ce qui me le fait croire est qu’il en a assez vu pour juger ; mais sûrement, il ne s’arrête pas à la chose, mais aux termes, afin de me condamner. Vous voyez l’état où l’on m’a mise, mais Dieu l’a permis1.

P.2 me mande qu’il m’envoie 50 livres. Vous les a-t-il données ? Il est vrai que je me retire tout à fait, voyant bien que tout tourne à me condamner, et s’il ne le fait pas d’abord, c’est qu’il garde des mesures. Mais Dieu saura bien Se faire aimer et connaître malgré tout le monde. Je crois qu’ils brûleront tous mes écrits. Je souhaiterais fort que l’Apocalypse, qui est à présent entre les mains de monsieur de Chartres, fût exempte du feu. Si b p3 voulait la redemander à monsieur de Chartres, et le prier au nom de Dieu, et vous aussi, de ne l’emporter pas à monsieur de Meaux ! car je suis certaine qu’il ne veut tout que pour le condamner au feu. Il dit que je suis dans l’hérésie de Luther. Et cependant monsieur de Chartres est content de lui ; il se flatte assurément sans en avoir de sujet, car je vous donne ma parole que je serai condamnée, comme mon Maître des docteurs de la loi. Si l’on avait voulu garder l’Apocalypse sans la brûler, on aurait vu que je mets tout cela. J’eusse [f°21 v°] été bien aise que monsieur de Meaux ne l’eût point vue ! Mais monsieur de Chartres la veut, je crois, montrer. Soyez certaine, encore un coup, qu’on ne cherche point à me justifier, mais à me perdre. Plus je serai perdue aux yeux des hommes, moins je le serai devant Dieu4.

Pour vous, ma très chère5, soyez persuadée que je vous aime toujours, que vous me trouverez toujours en Dieu et que je vous distingue beaucoup dans mon cœur. Je suis très contente des miséricordes que Dieu vous fait, j’espère qu’il les augmentera et aura un soin très particulier de vous. Vous me trouverez toujours dans le besoin. J’emmène Famille6. La petite Marc reste à la maison : vous pourrez y envoyer vos lettres, mais les réponses seront bien tardives. Obligez-moi de gagner sur monsieur de Chevreuse qu’il ne donne plus rien à monsieur de Meaux et qu’ils me laissent en repos. Telle que je suis, innocente ou coupable, Dieu est toujours Dieu, cela suffit. Laissons les hommes raisonner en hommes. Madame de Maintenon a donné parole qu’elle n’empêcherait point qu’on ne me mît en prison, ceci en secret. Le c[uré] de Vers[ailles] est une partie secrète bien forte1365.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°21], « dec. 93 » - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [21].

1 Madame Guyon a repris confiance en son expérience.

2 Put pour Dupuy (cf. les premières lettres du latin puteus, puits).

3 Monsieur Tronson (« bon père ») ?

4 Renouvellement de confiance en son expérience.

5 « Ma très chère » désigne le plus souvent la « petite duchesse » de Mortemart.

6 Fille de compagnie, Marie de Lavau, v. Index.


Dix-huit mois s’écoulent, les conférences d’Issy ont été un échec du côté du faible parti de la quiétude, tout se gâte. Il faut maintenant protéger Chevreuse.

Cette seconde lettre débute l’importante série adressée à la « petite duchesse » car elle devient la secrétaire de madame Guyon, seul lien écrit avec le cercle des fidèles extérieur. Madame Guyon est soumise à la pression de Bossuet au sein de la Visitation de Meaux et sera saisie par la police à la fin de la même année 1695 pour subir de nombreux interrogatoires à Vincennes.

Mon dossier qui prend la suite du Crépuscule de l’abbé Cognet éclaire les conditions de cette abondante correspondance qui couvre plus de cent lettres1366.

A LA « PETITE DUCHESSE » [DE MORTEMART]. Juin 1695.

Je vous avoue, ma bonne p[etite)] d[uchesse], que je crains pour vous le voisinage de la femme autant que je vous désire celui du M. : l’on voudra éplucher toutes vos actions, l’on s’en fera une matière de chagrin à soi-même et à nous aussi. D’un côté, je vois les commodités que cela vous apporterait, mais en vérité les troubles de cœur que vous en pourriez recevoir l’emportent beaucoup. Que la petite C[omtesse] vous en dise simplement sa pensée. La liberté est au-dessus de tous les accommodements, c’est ce qui me vient à vous dire.

Il est vrai que les duretés de M. de M[eaux] et ses menaces, qu’on ne peut point exprimer comme elles sont, vont à l’excès. Jusqu’à présent Notre Seigneur m’a donné des réponses : une égalité, une douceur à son égard qui ne me seraient point naturelles. La Mère1 croit que ma trop grande douceur et honnêteté le rend hardi à me maltraiter parce que son caractère d’esprit est tel qu’il en use toujours de la sorte avec les doux, et qu’il plie avec les gens hauts. Cependant je ne changerai pas de conduite.

J’espère que Dieu me donnera la grâce qui me sera nécessaire pour achever ma vie en patience. Le livre qu’il fait est presque imprimé. L’on ne voit pas d’apparence que je reste dans son diocèse. Je vous prie de ne dire ceci à personne de peur que l’inquiétude ne prenne. Je ne tomberai sur les bras de personne et je saurai si bien laisser ignorer à toute la terre où je serai, qu’on ne doit point se faire de la peine là-dessus. Dieu, qui ne manque pas aux corbeaux, ne me manquera pas en cela. Je vous manderai sûrement lorsque je ne serai plus ici sans rien mander autre chose ; ainsi tout commerce cessera. Mais comme je dis, ne dites ceci à personne, afin que la sagesse ne fasse pas prendre des [119v°] mesures pour me faire rester dans un lieu qui m’est un enfer et où je ne puis croire que Dieu me veuille longtemps. Les plus rudes coups ne nous sont pas toujours portés de nos ennemis, mais tout est bon de la main de Dieu, et Il suffit tout seul, même à un cœur qu’il semble accabler au- dedans aussi bien qu’au-dehors du poids de Sa rigueur. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Une religieuse de vingt et un ans est morte en quatre jours, je ne l’ai point quittée qu’après son dernier soupir. Que la mort est digne d’envie, mais il faut supporter patiemment la vie. Adieu.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°119] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [149].

1 La mère Le Picard, supérieure du couvent de Meaux.

290. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1695.

Lorsque j’ai prié qu’on gardât le secret sur le passage de M. de Mors[tein], c’est plutôt pour les autres qui prennent facilement des ombrages que pour moi, et aussi pour lui-même. Je vous prie donc qu’on le garde avec la même exactitude qu’il est gardé ici. L’on peut dire à madame de Chevreuse que j’ai écrit au t[uteur]. Elle comprendra facilement que je l’ai adressée à madame de Mors[tein] comme étant à portée de la lui donner plus que personne.

Lorsque je vous ai mandé que je me retirerai, c’est parce que j’espérais que M. de M[eaux] finirait, mais l’on prétend qu’il ne veut rien finir. La dernière soumission que je lui ai donnée, il y eut samedi huit jours, a été mise comme les trois autres dans la poche. Il dit à présent qu’il viendra disputer avec moi et qu’il attend qu’il ait cinq heures pour faire sa dispute en présence de témoins, puis qu’il m’excommuniera. J’ai répondu que je n’avais garde de disputer contre lui puisque j’étais soumise à tout, et que c’était des vérités que j’avais toujours crues. Voilà où en sont les choses.

Je vous prie [120r°] de ne point dire que j’ai eu ni que j’ai dessein de me retirer tout à fait, de peur que certaines personnes, qui se disent mes amis et qui ne le sont, je crois, guère, m. B., ne se prévalussent de cela pour avoir une lettre de cachet pour me faire rester de force où je suis volontairement. Je vous demande donc cette seule marque d’amitié, qui est de ne dire cela à personne.

Si je sors, je vous le manderai afin qu’on ne m’écrive plus, mais assurément je n’embarrasserai personne, et mon dessein est de me retirer de tout commerce, étant aussi inutile que je le suis, et ne pouvant que nuire de toute façon. C’est le seul parti que je puis et dois prendre. Je ne puis même que nuire aux personnes que j’ai le plus voulu servir.

J’espère que Dieu vous maintiendra dans l’union les uns avec les autres ; cela suffit pour moi. Il me faut laisser là comme un vieux meuble pourri. Il me suffit que Dieu connaisse la sincérité de mon cœur et pour Lui et pour vous tous. Ne me répondez point sur tout ceci, car j’ai peur qu’on n’ouvre les lettres.

- - A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°119v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [149].

291. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1695.

Je vous suis tout à fait obligée des marques d’amitié que vous me donnez. J’en conserverai toute ma vie, dans le fond de mon cœur, toute la reconnaissance que je dois, et pour celles de tous ceux qui ont la même charité pour moi. Je prie Dieu qu’Il vous soit à tous toutes choses.

J’avais prié qu’on n’eût point de familiarité avec les s[oeurs] grises ; j’avais pour cela de fortes raisons, mais l’on a cru devoir suivre plutôt l’inclination de certaines personnes que ce que je connaissais. Je prie Dieu que cela ne fasse tort à personne. Je crois qu’on craint où il ne faut pas, et l’on ne craint pas où il faut ; mais Dieu permet à Baraquin, je crois, [120v°] de pervertir le jugement, en sorte qu’on craint ceux que Dieu semblait avoir donnés et l’on ne craint pas où il faut craindre. Je prie Dieu de nous donner à tous une lumière sûre, et qu’Il ne permette pas qu’on s’égare : c’est Son affaire. Je n’ai pu m’empêcher de dire encore cela, car le Chi[nois] qui nous l’a fait voir, sait mon intention mieux que personne sur cela, mais peut-être est-elle1 plus éclairée que moi. Je n’ai pas dessein de nous géhenner2. Je ne dis cela que parce que j’en suis pressée. Je ne prétends pas que mes amis prévalent sur ceux des autres, Dieu le sait, mais je le dis parce que cela m’afflige.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°120] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [150].

1[sic] : une personne vue par l’intermédiaire du « Chinois » ? Le « Chinois », comme la « sœur grise », restent indéterminés.

2Dans l’emploi figuré, être soumis à une douleur intense.

292. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1695.

J’ai reçu avec joie la réponse de mon t[uteur]. La conversation que j’ai écrite à M. de Mors[tein] a précédé de huit jours celle que j’ai écrite à mon t[uteur]. Pour ce que j’ai dit à M. de Mors[tein] qu’on voulait couler à fond, il faut, s’il vous plaît, que cela soit du dernier secret, parce qu’il m’est venu par la Mère. Vous jugez bien le tort [121 r°] que cela lui ferait, et je suis d’autant plus obligée de lui garder le secret qu’elle s’est confiée sur des choses de cette importance. Elle m’a encore dit que M. de M[eaux] lui avait dit que mes amis reconnaissaient à présent de bonne foi qu’ils s’étaient égarés et qu’ils revenaient.

J’attends ce qu’il dira sur le modèle que je lui ai donné, qu’il a mis dans sa poche et dont il ne dit plus rien. Il fait comme cela de tous, puis il revient, à huit jours de là, plus échauffé qu’auparavant. Je vous prie donc que la Mère ne soit compromise en rien, car c’est la chose du monde qui me répugne davantage que de compromettre quelqu’un. J’aime mieux encore tout porter. Faites savoir à M. de Mors[tein] la dernière conversation accompagnée d’un bon nombre d’injures.

J’ai bien de la joie que ma petite fille se porte mieux. Je ne vois nulle nécessité que vous écriviez, ni la bonne p[etite] d[uchesse] à la Mère ; il suffit de me mander des amitiés pour elle. Comme madame de Cha[rost] est sa parente, sa lettre était fort à propos.

Soyez persuadée que je vous aime tendrement tous deux, je ne puis vous séparer l’un de l’autre, parce que Dieu qui vous tient unis en Lui nous unit aussi ensemble. Je vous embrasse de tout mon cœur. Je vous prie que personne ne sache que j’ai vu M. de Morst[ein], personne du monde ne s’en est aperçu ici et la Mère est d’un grand secret.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°120v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [151].

298. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1695.

Je suis fort en peine du paquet que je vous ai envoyé où étaient les deux billets de M. de M[eaux]. Mandez-moi si vous les avez reçus, et ne me manquez pas pour dimanche, car il faudrait aller coucher à Claye. Si vous ne pouviez venir, envoyez-moi un carrosse de louage et je le paierai, et ce qu’il faudra, mais j’eusse été plus consolée que c’eût [121 v°] été vous, mais à petit bruit. Je vous aime de tout mon cœur. Je crains des ordres nouveaux de M. de M[eaux], et lorsque je vous verrai, vous saurez les puissantes raisons, qui regardent l[e] p[etit] M[aître], que j’ai de n’y demeurer pas. Adieu. Ecrivez-moi un mot pour m’ôter de peine.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°121] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [151].

Ici prennent place deux attestations et une soumission (v. la série des documents à la fin du volume) : «PREMIERE ATTESTATION DE M. de MEAUX. 1er juillet 1695»., et «SECONDE ATTESTATION DE M. de MEAUX. 1er juillet 1695». Puis trois «SOUMISSIONS».

316.  A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

Je vous avoue, ma p[etite] d[uchesse], que je suis toute prête de me livrer plutôt que d’être cause que les autres souffrent pour moi. Brûlez la lettre pour [destinée à] être montrée à Eud[oxe]1, et montrez seulement à mon t[uteur] celle pour M. de M[eaux]. J’aimerais mieux aller chez Cal.2 que chez madame de Mors[tein] à cause que c’est leur faire tort, mais je crains aussi d’en faire à Cal. Ainsi, ou je resterai ici à attendre la Providence, ou je retournerai à Meaux avec serment de ne signer jamais [123r°] rien de nouveau, quelque tourment qu’on me puisse faire ; mais je sais qu’il n’y a tourment que M. de M[eaux] ne me fasse souffrir. Voyez donc avec le t[uteur] la lettre que je lui écris ; et si je demeure ici, que tous, à la réserve de vous, croient que je n’y suis pas. Il n’y a que les lettres, car je voudrais aussi que M. Thev[enier] me crût hors d’ici, et je n’ai personne de connaissance. Il vaut pourtant mieux se fier à Dieu qu’aux hommes.

Si vous croyez qu’en me livrant, j’arrête la tempête3, voyez avec L B [Fénelon], car j’irai me mettre à la Bastille si mon t[uteur] et L B le jugent à propos. J’aime mieux ce dernier parti que d’être tourmentée par M. de M[eaux] comme je l’ai été. Si en me tenant cachée, je ne leur nuis pas, je resterai comme je vous dis. Proposez-leur aussi la Bastille, ou rester cachée en quelque lieu, mais ne leur dites pas où. Ou bien s’ils croient que je fusse en assurance chez mon fils, dites-leur bien tout cela, ensuite répondez-moi. Dans les terres, les gens d’affaires, les curés et tout cela nuit. J’ai encore un parti, c’est d’aller à Lyon incognito, mais je ne sais où trouver des maisons. Sur les chemins, l’on m’arrêterait : il faut passer par une route où je suis connue. Enfin je ne vois d’autre parti que de rester cachée, d’aller chez mon fils ou à Meaux. Réponse ?

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°122v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [153].

1Mme de Maintenon.

2L’abbé de Beaumont.

3La persécution du cercle « quiétiste ».

320. A LA PETITE DUCHESSE. Peu après le 6 août 1695.

Enfin, l’archevêque de Paris est donc mort, et mort subitement ; j’en souffre une douleur extrême à cause de la perte de son âme. Hélas ! Seigneur, donnez-lui un successeur qui répare tout ! Je vous prie de le mander à S. B. Je ne me porte pas bien et peut-être ne vivrai-je pas longtemps. Adieu. Il sait ce qu’Il veut faire de moi. Ecrivez sans différer à S. B.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°123v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [154].

321. A LA PETITE DUCHESSE. Avant le 15 Août 1695.

Je me suis trouvée si mal depuis hier que j’appris la mort imprévue de M. l’archevêque que je ne suis guère en état d’écrire. [124r°] Une douleur de tête fort grande m’a même empêchée quelques temps de lire vos lettres. Cette nouvelle qui vraisemblablement me dev[r]ait faire plaisir, m’ayant trouvée assez dépouillée de mes propres intérêts, ne m’a laissée que l’horreur effroyable de sa destinée éternelle. Je ne crois pas que notre ami soit archevêque de ce coup. Je n’en sais pourtant rien, mais comme j’ai cru longtemps qu’il y en aurait un entre, je vous écris ce que je pense. Si c’est l’homme à la pension1 qui est archevêque, j’en serai d’autant plus fâchée que nos amis le connaissent peu. Le t[uteur], sur une conversation qu’il a eue avec lui, le croit le mieux intentionné du monde et est plus pour lui que jamais, au lieu de juger de la duplicité par les différents personnages qu’il fait.

Pour ce qui nous regarde tou[te]s deux, je crois que le démon fait tous ses efforts pour nous désunir dans ce temps où il voit qu’il est de la dernière conséquence pour madame de Mors[tein] qu’elle soit bien avec nous. Ce que je crois donc, c’est qu’elle doit se faire violence pour ne se rien cacher à elle-même et à nous. Je suis fâchée qu’elle ait été voir la maison, cela ne convient pas. Je la prie donc de vous croire absolument, et vous de lui dire vos pensées avec moins de véhémence et plus de douceur. Défiez-vous de l’ennemi, et je vous dirai ce que dit le bon abbé Abraham 2 à un solitaire qui vint le consulter pour le défaire d’un autre qui le chargeait fort : ils se voulaient séparer. Il leur dit : « Prenez garde que, lorsque le Maître viendra, Il ne vous trouve pas divisés, car Il vous demandera compte à vous de l’âme de votre frère, et à lui de l’abus de Ses grâces ».

Quand je serai en état, je vous écrirai plus au long. J’écrirai aussi à la Colomb[e]. Mandez-lui en attendant que je m’appelle Jeanne de baptême et Marie de confirmation. J’ai toujours oublié de vous dire que je devais recevoir des lettres de conséquence par l’hôtel de Mors[tein]. J’ai peur que les domestiques ne s’en soient saisis. Je vous prie de les faire chercher : il doit y en avoir une du P[ère] l[a] C[ombe] et l’autre des Ben[édictines]. Si vous avez reçu toutes mes lettres, faites-le moi savoir. Je prie Dieu qu’Il unisse votre cœur avec celui de la p[etite] c[omtesse] ; cela est nécessaire. Cela eût été bien joli que nous eussions été à Château3, mais le t[uteur] ne le voulant pas, il faut avoir patience. Je suis si certaine que madame de M[aintenon] fait à leur égard un personnage faux sur l’affaire du Général [Fénelon] que je n’en puis douter. Cela m’est trop imprimé pour en douter, mais comme on ne me croit pas, je laisse toutes choses. Adieu, je vous embrasse toutes deux.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), 123v° - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), 154.

1Noailles ?

2Père du désert.

3Châteauvillain ? Le château de Châteauvillain appartenait à l’époux de Mme de Morstein, qui venait d’être tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695.

322. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

Ma bonne p[etite] d[uchesse], je ne manquerai pas d’avoir des affaires avec M. de M[eaux]. Il faudrait que le t[uteur] lui écrivît pour ne l’irriter pas, et lui mandât qu’il a appris que madame de Cha[rost] lui a renvoyé une lettre pour moi, qu’il croit lui pouvoir dire qu’il sait de bonne part que je me suis retirée dans une solitude ou pour y être en repos - je n’ai voulu dire à personne le lieu où je me retirais - ; qu’il doit être fort en repos sur mon chapitre, ces dames n’étant plus à portée de me voir ni personne ; que j’ai dit que j’enverrai quérir ma pension tous les trois mois : comme je ne suis point à Paris, l’on peut toujours l’assurer. Il ne s’agit que de couler le temps, car Dieu est tout-puissant ; ou Il m’ôtera bientôt du monde ou Il mettra les choses sur un autre pied. Je vous prie que mon t[uteur] parle à M. et à Mme de No[ailles]1, qu’il leur montre la décharge [125r°] et qu’il leur dise ce que M. de M[eaux] dit, car il parle aux autres bien différemment qu’à lui. Cela est nécessaire pour le repos de la petite Colomb[e]2 qu’on mette les choses sur un pied que M. de M[eaux] ne pense plus à moi.

Si madame de Maintenon continue de me persécuter, je lui écrirai, quoi qu’il m’en puisse arriver, une lettre si forte que, si elle m’attire des malheurs, j’aurai la consolation de lui avoir dit ses vérités que la lâcheté de tous les hommes lui cache et que la justice de Dieu découvrira un jour et peut-être plus tôt qu’elle ne pense. Il y a un juge qui ne reçoit point les mauvaises excuses et qui la fera payer pour elle-même et pour le salut du roi.

Vous pouvez montrer au t[uteur] cette première partie de votre lettre, je vous en prie même. Pour madame de Mors[tein], n’ayez nulle complaisance mauvaise pour elle, mais aussi tâchez par la douceur de gagner sa confiance : je crains tout, mais plus il y a à craindre, plus il la faut ménager de vous à elle. Je vous plains bien, mais vous êtes engagée : il faut enterrer la synagogue avec honneur3. Faites-lui prendre le deuil et meubler de noir. Cela serait mal ; voilà ce qu’elle m’écrit. Je ne sais que lui dire car il ne la faut pas rebuter, il faut plutôt tirer que rompre. Offrez-lui la pensée de me voir, vous en voyez la conséquence.

Attendons, cette année débrouillera peut-être bien des choses. Vous ne sauriez croire combien j’ai été touchée de l’effroyable mort de cet homme4 ; l’horreur de sa destinée m’a rendue malade. S’il avait été en état de recevoir du soulagement, il n’y a rien à quoi je ne me fusse offerte pour cela. J’ai même prié que, s’il était en état de cela, que Dieu m’exauçât, [125v°] et s’il n’était pas encore jugé, que Dieu reçût mes vœux et mon sacrifice.

Je ne sais si vous faites réflexion que cinq personnes des persécuteurs sont déjà mortes subitement : M. l’Official 5, M. de la Pérouse 6, madame de Raffetot, M. de Gus.7 et celui-ci. Peut-être en mourra-t-il bien d’autres avant la fin de l’année. Je prie Dieu qu’ils aient le temps de se reconnaître. C’est être trop vengée que de l’être une éternité. Cette pensée me fait tant de peine que je me livrerais à tous les maux possibles pour leur salut.

Je ne laisse pas d’être indignée contre nos amis pour leur aveuglement sur madame de M[aintenon] et sur M. de M[eaux]. Adieu, petite femme que j’aime tant. Dites-moi ce que je pourrai donner à M. Thev[enier]. Parlez-moi simplement.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°124v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [155]

1 Marie-Christine de Noailles (1672-1748), « La colombe », mariée le 12 mars 1687 à Antoine de Gramont, comte de Guiche. V. Index.

2petite colom[be], fille de la « colombe. »

3Familièrement, bien finir une chose. « Ils [les premiers chrétiens] vivaient à l’extérieur comme les autres juifs […] ce qu’ils continuèrent tant que le temple subsista, et c’est ce que les Pères ont appelé enterrer la synagogue avec honneur. » (Fleury cité par Littré).

4L’archevêque de Paris Harlay. Il mourut d’apoplexie le 6 août 1695, sans trouver de secours.

5L’Official Nicolas Chéron, « homme assez connu dans le monde par le dérèglement de ses mœurs. »

6 « L'abbé de la Pérouse, et plusieurs docteurs de Sorbonne faisant au commencement de l'année 1689, une grande mission dans la paroisse de Saint Michel de Dijon, découvrirent que le sieur Guillot [Quillot] dont j'ai déjà parlé, enseignait à ses dévotes la nouvelle spiritualité. Le Moien court était répandu dans toutes les maisons, et ils en firent brûler 300 exemplaires par Madame Languet, veuve de M. Languet, Procureur Général du Parlement. Cette bonne dame très vertueuse, était chargée de les distribuer sans en connaître le poison et l'illusion… » ( Phelipeaux, Relation…, 1732, t. I, p. 35).

7 Ces deux derniers noms nous sont inconnus.

323. A LA PETITE DUCHESSE. Avant le 20 Août 1695.

Vous ne me répondez pas aussi simplement que je vous écris, ma p[etite] d[uchesse], sur ce qui regarde M. Thev[enier]. Il est question que je dois et veux lui donner quelque chose, mais comme il ne me rend autre service que les lettres et de payer la maison, ce quelque chose ne doit pas être bien considérable. Or comme je n’imagine rien, je vous prie dans votre simplicité de me mander ce que je dois donner selon ce que je suis et ce qu’il fait. Voilà tout.

Pour ce qui vous regarde, souffrez la vue de vos misères ; ces pensées que ce que vous faites est bon ne sont pas volontaires, il les faut laisser tomber. Ne vous inquiétez de rien, je vous aime fort.

Pour madame de Morst[ein], je crains beaucoup. La voilà privée de tout secours, monsieur son père ayant droit d’empêcher qu’elle ne m’écrive ; quoiqu’il demande la même chose pour vous, je ne vous crois pas sujette ni à son obéissance ni à celle d’Eud[oxe]. Cette jeune veuve fera sans doute quelques écarts, mais que faire ? Si elle n’a point de confiance, on ne la donnera pas : Dieu seul [126r°] la peut donner. Il faut souffrir et ne pas rompre. Tâchez de couler1 jusqu’à la fin du mois. Je prends part à vos peines, mais elle me fait bien plus de pitié à cause des suites. Bon courage sans courage.

Tout le baraquinage est une momerie, ceci dans le dernier secret de madame de M[aintenon], qui fait semblant de souhaiter que S B [Fénelon] ait la place que vous savez; elle l’empêche assurément et fait croire le contraire, disant que c’est lui qui ne le veut pas, et sur cela emploie le bon [Beauvillier], quoiqu’elle sache, à ce qu’elle dit, que c’est inutilement, et fait cent momeries, qu’ils croient ; et j’ai la certitude que c’est elle seule qui s’y oppose : ceci m’est donné sous un grand secret, ne le dites à personne. Si on vous en parle, dites, comme l’apprenant dans ce moment, que c’est un jeu joué de cette femme, qui est si bonne comédienne qu’ils la méconnaissent toujours : elle et M. de M[eaux] sont deux bons acteurs de théâtre.

Je ne me porte point bien. J’ai des maux de cœur continuels. Demandez pour moi au t[uteur] une bible de M. de Sassi [Sacy] sans explications : il m’est venu de lui demander cela par vous, et je le fais.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°125v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [156].

1Tâchez d’être souple, de laisser s’écouler le temps.

2Les amis de Fénelon espéraient l’archevêché de Paris pour lui en remplacement de Mgr de Harlay. On sait qu’ils furent déçus et que Fénelon avait été éloigné de la Cour en étant nommé archevêque de Cambrai.

324. A LA PETITE DUCHESSE. Avant le 20 Août 1695.

Voilà m b p d [ma bonne petite duchesse] un brouillon de lettre que j’ai fait pour M. de M[eaux]. Si le t[uteur][Chevreuse] le trouve bien, qu’il me le renvoie afin que je l’écrive. J’écrirai, comme de loin, à la mère et lui adresserai la lettre au prélat tout ouverte1. Je crois qu’après, le t[uteur] pourra parler à madame de M[aintenon] et lui proposer ce que j’ai dit sans montrer ma lettre, car j’ai peur qu’elle ne soit pas bien. Enfin, consultez avec lui, et si l’on veut me donner parole de ne me point inquiéter chez mon fils ni ne point envoyer de lettre de cachet, je m’y retirerai. Ne serait-il point mieux d’y aller d’abord secrètement, ensuite de faire voir le [126v°] parti que j’ai pris, qui est bien éloigné de vouloir avoir commerce avec personne, m’étant retirée à plus de quarante cinq lieues de Paris, en une campagne déserte ? Consultez sur cela le B[on] [Beauvillier] et le T[uteur]? Réponse au plus tôt. Ou si je resterai cachée, si on le trouve mieux ; on ne me découvrira pas, sûrement. Je suis bien fâchée de l’exil, non à cause de lui, mais de vous tous. C’est un tour de messieurs de No[ailles] et Ch[alons]. Ce dernier avait parlé assez mal, comme j’étais à Meaux, du père A[lleaume]. Voilà un mot pour la pauvre Colom[be].

Je vous laisserai mes quittances : je vous prie d’écrire tout ce que vous avancez pour moi. Adieu, je vous plains, mais vous êtes trop vive. Si m[on] B[on] [Beauvillier] continue la charité qu’il fit l’année passée au P[ère] l[a] C[ombe] et qu’il fait tous les ans, qu’il vous la donne avant que je parte. Demandez-moi une bible au t[uteur].

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°126] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [156].

1Il s’agit de la lettre n° 335 transmise à Bossuet par la lettre n°334 de la mère Le Picard. Elle avait été envoyée au duc de Chevreuse (lettre n°331).

325. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

J’ai pensé, Ma p[etite] d[uchesse], que peut-être ne me laissera-t-on pas en repos chez mon fils si l’on sait que j’y suis. Cependant la violence en paraîtra beaucoup plus grande de m’aller chercher à cinquante lieues de Paris pour me tourmenter. Parlez-en au tut[eur] sous le secret de confession, et en ce cas j’écrirai à mon fils selon ce qu’on aura résolu. Si la lettre n’est pas portée, ne l’envoyez pas que vous n’ayez vu le tut[eur]. Voilà une lettre que je lui écris à telle fin que de raison : il en fera l’usage qu’il lui plaira. Je m’adresse à vous pour cela et, à la réserve de la personne destinée à mes commissions, je n’écrirai à personne.

Vous pouvez en assurer. Voilà ce que j’ai pensé. Réponse lorsque vous aurez vu le tut[eur].Voilà un mot pour Dom Al[leaume]. Madame de No[ailles] n’a rien dit que de concert avec ma[dame] de M[aintenon] au tut[eur] ; je l’ai connu, mais je ne retournerai point à Meaux du vivant de M. de M[eaux] : j’en ai [f°127r°] fait serment à mon Maître. Vous me ferez, s’il vous plaît, réponse sur tout ceci. La fièvre ne me quitte pas depuis la Notre-Dame1, et de grands maux de cœur.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°126v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [157].

1Le 15 août.


326. A LA PETITE DUCHESSE. Peu après le 16 Août 1695.

Le tut[eur] me mande de sortir d’ici sans délai et de chercher une maison. Je vous envoie la lettre, brûlez-la lorsque vous l’aurez lue, et voyez où je puis aller. L’aum[ônier] me propose Beaurepaire. Cela vaut bien la peine que vous fassiez un tour à Paris pour voir où l’on me peut mettre, sinon je resterai ici. Je connus le jour de la Vierge, à la messe, que ce serait M. de Cha[lons]1 : je le dis à l’aum[ônier] au sortir de la messe, et j’en pensais mourir de douleur. Je suis bien affligée de l’exil du P[ère] Al[leaume], mais je la suis bien plus du prélat ; nos amis ne le connaissent point. Faites pour une maison ce que vous voudrez. Je prétends vous écrire toujours. Vous n’êtes redevable qu’à vous-même. Envoyez cette lettre au tuteur.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°127] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [157].

1Louis-Antoine de Noailles (1651-1729) fut nommé évêque de Cahors, rapidement transféré à Châlons, et le 16 août 1695 nommé archevêque de Paris après la mort de Mgr de Harlay. « D'abord déclaré pour Fénelon dans l'affaire du quiétisme, il se livra ensuite à Bossuet… »

327. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

Je n’ai point été fâchée contre vous et je ne veux pas même que vous fassiez réflexion sur tout cela. Les fautes que vous faites servent à vous humilier et à vous [128r°] éclairer. Avez-vous reçu tant de lettres que je vous ai envoyées, et une si ample que je vous ai écrite, où il y en avait une du tut[eur] [Chevreuse] ? Je suis étonnée que vous ne l’accusiez pas ; elle avait huit pages. Je vous ai aussi écrit des lettres pour le Ch.1 ? Je vous prie que j’aie l’Apocalypse qui est en cahiers : le P[ère] l[a] C[ombe] me le demande et je l’attends pour lui envoyer les autres livres. Tâchez, lorsque vous parlez, de ne point suivre votre naturel ; lorsque cela vous est échappé, ne vous en étonnez pas.

Il faut ménager madame de Mors[tein]. Que dites-vous de l’envie qu’elle a d’aller à Chateauvilain [Châteauvillain]2 avant ses couches ? Dites-lui ce que vous en pensez,  et voyez avec M. et Mme de Ch[evreuse]. M. de Ch[evreuse] m’ayant interdit de lui écrire, comme vous l’avez vu dans sa lettre, souffrira encore moins que j’y aille avec elle. Ainsi il faut se préparer à tout. J’y aurais été volontiers si monsieur de Chevreuse, à qui elle doit l’obéissance, ne m’avait priée de n’avoir plus de commerce avec elle. Je le lui ai mandé, il y a plus de quatre jours ; je suis étonnée que vous n’ayez pas recu la lettre. J’admire comme M. de Ch[evreuse] est toujours la dupe de madame de M[aintenon] et de M. de M[eaux]3. Dieu les bénisse tous. Je n’ai pas le temps de vous en dire davantage. Je n’en serai pas moins unie à Mme de Mors[tein], pour ne lui oser écrire. Je vous mande dans cette lettre que je ne croyais pas que N.3 fut cette fois archevêque de Paris. Je salue votre compagne.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°127v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [158].

1 Il peut s’agir aussi de « M. de Ch. » : le chevalier de Gramont (v. lettre du 13 octobre 1695 à son fils de La Sardière).

2 Le château de Châteauvillain appartenait à l’époux de Mme de Morstein, qui venait d’être tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695.

3 Sur la conduite étonnante de Chevreuse, compte tenu de la situation, on tiendra compte du jugement de Saint-Simon :  « J’ai parlé ailleurs [...] de la droiture de son cœur, et avec quelle effective candeur il se persuadait quelquefois des choses absurdes… »

4 Fénelon.

338. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

Ma bonne p[etite] d[uchesse], la lettre qui a été perdue est quelque chose de bien affligeant à cause d’une lettre de l’aumô[nier][l’abbé de Charost]. Il faut que la cervelle lui soit tournée pour écrire une lettre comme celle-là. Il n’y a à cela nulle réplique, à moins de dire que c’est un fol. Il m’écrit les choses les plus affreuses, dit-il, par esprit de liberté, et me dit cela comme s’il faisait tous les maux et que je les lui conseillasse, et en des termes étonnants, [qu’]on1 ne le connaît pas, et que des vétilles lui paraissent des monstres. Tout l’assaisonnement y est. Deux lettres adressées sous mon nom qui ne laissent plus lieu de douter que c’est à moi qu’on écrit. Il y a de la friponnerie sur la lettre. Premièrement j’avais envoyé prier M. Thev[enier] avec la dernière instance, de ne me point envoyer les lettres s’il en recevait, [f°127v°], et que je les enverrais quérir. Lorsqu’on apporta la boîte, j’envoyai demander à la femme s’il n’y avait point de lettres ; elle répondit que non. Le lendemain, en apportant un autre paquet, elle dit à propos de rien : « Au moins j’en donnais hier un plus petit que celui-là, et selon ce qui était dedans, il devait être plus gros ». J’envoyai dans le moment à M. Thure [Theu] ; il a toujours dit, trois fois que j’y ai envoyé, que sa femme n’était pas chez elle, et n’a rien fait chercher ; tout est adressé à Mme Lep[autre ?].

Voilà la pensée qui m’est venue que j’écris au tut[eur], vous lui donnerez ouverte et vous verrez ensemble. Vous lui direz que, par imprudence, l’aumônier, sans dire quoi, m’a écrit des choses qui, prises d’un sens, me peuvent perdre, que vous parliez de Les. et d’Eud[oxe][Madame de Maintenon]. Ne pourrait-on point faire que ces deux noms fussent deux personnes ? Car on s’offenserait moins du dernier nom que du premier. Jusqu’à présent, j’étais innocente ; à présent, je puis passer pour coupable et sans réplique. S’il y a de la sûreté à la proposition que je fais au tut[eur], c’est le mieux pour nous tirer tous d’embarras. Ne m’envoyez ni desg.2 ni Put [Dupuy], que vous ne voyiez si l’on se charge de cette proposition. Ensuite vous m’enverrez qui vous voudrez, mais j’aimerais mieux desg. car de demeurer ici [sic], le paquet étant adressé à madame Lep[autre]. Mais le plus fâcheux, c’est les dessus de lettres de mon fils. Ne m’envoyez pas le p. arch.3 : cela n’est pas de saison.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), f°127r°, A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [158].

1Nous ajoutons « qu’ », tentant de rendre ce passage plus clair.

2Desgr. qui pourrait être la sœur de Famille ?

3Petit Archange ? (une statue de saint Michel).

340. A LA PETITE DUCHESSE. Début septembre 1695.

Madame de M.1 a t-elle retiré les papiers de son mari ? Depuis que je vous ai écrit, je me sens si fort portée à rester ici, abandonnée à Dieu, qu’il me paraît que c’est le seul parti [128v°] que je puisse prendre. Le pis qui me puisse arriver, étant prise, est d’être mise entre les mains de

M. de M[eaux] ou de Ch[alons]2. Mandez-moi ce qu’il y avait dans le paquet de lettres qui a été perdu. Ce ne sont point les industries humaines qui me sauveront, mais la volonté de Dieu. Je suis sûre qu’on ne dit tout cela à M. de Ch[evreuse] que parce qu’on croit qu’il me le peut faire savoir. Je crains de la friponnerie sur le paquet, et ce n’est pas sans sujet que je le crains. J’ai laissé, chez M. The. [Theu], une cassette : que l’aumônier [l’abbé de Charost] l’aille prendre lui-même, et qu’on me la serre.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°128] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [159].

1Morstein ?

2Chal[ons] La Pialière

341. A LA PETITE DUCHESSE. Début septembre 1695.

Je n’ai pas plus tôt fait une proposition qu’elle me paraît impertinente : Dieu permet que je sois présentement incapable de bien juger. J’ai oublié de dire au tut[eur][Chevreuse] qu’il vît s’il y avait lieu de se fier qu’on ne m’arrêtât pas chez mon fils après une parole donnée. En tout cas, qu’il ne fasse, s’il vous plaît, la proposition qu’après la Notre-Dame1. J’ai pensé que si vous avez quelque chose d’absolument nécessaire, le Ch. pourrait bien apporter les lettres : venant très rarement, cela serait plus sûr que personne. Ma p[etite] d[uchesse], servez-moi de directeur, et qu’on ne m’écrive jamais de lettres pareilles à celles de l’aum[ônier] qui sont pires que je ne puis dire. Avez-vous recommandé les lettres au p[etit] M[aître] ? Que ne lui faites-vous reproche ! S’Il ne les a pas gardées, si elles sont en mauvaise main, nous en entendrons bientôt parler. Ainsi ne remuez rien, même pour chercher une maison de quelque temps.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°128v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [159].

1Le 8 septembre. Cette lettre serait donc à placer peu après celle adressée à Chevreuse et reçue par celui-ci le 12.

342. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

J’attendrai ici les ministres de la fureur de Jes. [Jésus ?]. Vous ne me mandez rien sur le parti d’aller demeurer avec mon fils et vous avez raison ; je n’y serais pas sûrement. J’ai payé M. The. [Theu] et l’ai remercié, en lui faisant entendre que je m’en vais. Lorsqu’on écrira par lui, ce qui ne sera que dans une extrême nécessité, il ne faut pas demander réponse sur le champ, comme on a fait toujours, mais attendre trois ou quatre jours pour avoir la réponse. Je ne suis nullement surprise de la trahison d’Eud[oxe][Madame de Maintenon]. S’ils voyaient tout, ils en verraient bien d’autres, mais il n’y a pas moyen de les changer.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°128v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [159].

343. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

Le paquet est perdu : M. Thev[enier] l’avait envoyé par une femme qu’il croyait sûre et cette femme l’a perdu, ainsi vous voyez que je ne puis répondre sur la maison. Voyez cette lettre et me la renvoyez. Vous pouvez m’écrire tous les vendredis, et le jeudi suivant, vous aurez la réponse. N’écrivez à B. [Beauvillier] par la poste qu’avec précaution, et sachez de lui ce qu’il pense pour retourner où l’on était ou demeurer caché. Si le paquet de lettres est tombé dans de certaines mains, où en sommes-nous ! Mais Dieu sur tout. Fam[ille] s’imagine qu’on pourrait se confier à sa sœur, mais je ne sais si cela serait sûr, et qu’elle apporterait toutes les semaines les lettres et me donnerait le temps d’y répondre. Mais à moins que vous n’ayez cela au cœur, ne le faites pas, car j’ai toujours cru Desg.1 très indiscrète. Je crois qu’il faut que, selon toutes les apparences, le b. [Beauvillier] agisse de concert avec M. de Ch[alons], mais qu’il ne s’y fie que de bonne sorte. Cela est bien lâche à M. et Mme de No[ailles] de dire ce qu’ils disent de M. de C[ambrai] : quand cela serait vrai, un bien dont on se vante, et qui est reproché, devient un [f°129v°] mal et désoblige. Dites-lui que je l’aime de toute mon âme. Mandez-moi sans déguisement ce que vous dit le cœur sur la lettre de M. de Ch[alons], mais cela sans déguisement. Je vous réponds que, quand vous ne me seriez pas venu quérir, il suffirait que je fusse dehors pour donner de l’ombrage. Si ma lettre est perdue, il n’y a rien à faire, ni pour la maison que vous avez vue ni pour rester ici. Faites des amitiés pour moi à m b. [Beauvillier]. Je voudrais qu’il eût nommé Jean-Michel cet enfant2.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°129] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [160].

1Desg. : la sœur de Famille ?

2 Beauvillier eut treize enfants : Marie-Françoise (morte à deux ans), Marie-Antoinette, Marie-Geneviève, Marie-Louise, Marie-Thérèse, Marie-Henriette, Marie-Paule, Marie, Marie-Françoise… en neuvième enfin, un fils ! Deux fils restèrent en vie : l’aîné était le comte de Saint-Aignan, le cadet, le comte de Séry. (v. G. Lizerand, Le duc de Beauvillier 1648-1714, Belles- Lettres, 1933, p. 341 et 345).

344. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

Ma bonne] p[etite] d[uchesse], rien n’est plus certain qu’il y a de la friponnerie du côté de M. The [Theu], car lorsque je reçus la boîte, j’envoyais demander à la femme d’où vient qu’il n’y avait point de lettres ; elle manda qu’il n’y avait que la boîte. Je suis sûre de madame Lapierre, qui m’aime, qui a de la confiance et qui en est fort affligée. Lorsqu’on a demandé à la femme, qui dit avoir donné le paquet, sa grosseur, elle a dit qu’il était comme une lettre. Il vaut mieux ne me plus écrire du tout. Ne m’envoyez personne.

La lettre de l’aum[ônier], par sa mauvaise manière de s’exprimer, est à me faire brûler. Dieu a poussé les choses à la dernière extrémité, et il faut qu’Il veuille notre ruine totale puisque les lettres sont perdues, car je crois qu’elles sont en main de gens qui sauront s’en prévaloir. Cette lettre prise à la lettre convainc de crime, et le mot que vous mettez : « Ne voulez-vous pas faire m. cette Jes1 » est inexcusable, quoique qu’il soit très innocent au sens que vous l’entendez. Les lettres de mon fils et de ma belle-fille font connaître qu’elles sont pour moi et à [f°130r°] cela, il n’y a pas d’excuse et de remède. Je n’ai point au cœur de me fier à pet. J’aime mieux n’avoir point de lettres : je ne veux point me mettre entre les mains de madame de M[aintenon], surtout après la perte des lettres. Je crains plus les recherches de madame de N.a que toutes les autres. Il me semble qu’il ne fallait point écrire une lettre comme celle de l’aum[ônier]. Cependant, Dieu sur tout.

Si j’avais une personne sûre, de basse condition, qui louât une maison à boutique et qui me donnât un appartement, mais il n’y a personne. Mon fils me demande avec instance, mais on me trouverait chez lui. Demandez au b. [Beauvillier] ce qu’il en pense. Sinon, je resterai ici et je prendrai une chambre, en cas qu’il arrivât quelque malheur, pour me retirer. J’irais à cent lieues d’ici pour éviter de tomber entre les mains de m[adame] de M[aintenon]. Put [Dupuy] avait une femme sûre : voyez avec lui. Je savais bien dès M[eaux] les sentiments de madame de M[aintenon] et je ne m’y suis jamais fiée ; elle est dévouée à la fortune, je m’attends au dernier supplice. Il semble que Dieu ne Se veuille point apaiser. Je doutais s’il y aurait batt[erie]3 , mais nous l’aurions gagnée avec grande perte. Consolez-vous, bonne p[etite] d[uchesse], la p[utain]4 n’osera, je crois, s’attaquer à vous. Il faut bien se donner de garde, dans la conjoncture des choses, de m’envoyer la femme de Monfort. Sachez ce que pense le b [Beauvillier] pour aller chez mon fils. Si les lettres sont trouvées, il faut se résoudre à la mort, cela n’est pas difficile. N’allez point pour moi au p. arch.5, mais bien pour les autres.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [129v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [160].

a Plusieurs mots barrés dans La Pialière.

1Peut-être : « m[adame] cette Jés[uiterie] ?

3Au sens de : bataille.

4Injure utilisée à la Cour pour désigner Madame de Maintenon, par exemple par la princesse Palatine ; exceptionnellement ici par Madame Guyon, acculée.

5Petit Archange (saint Michel) ?

345. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1695.

Si je vous ai mandé quelques mots sur le tort que je craignais que le Ch.1 vous pût faire, c’est parce que j’ai longtemps porté une conviction que Ba[raquin] ferait tout ce qu’il pourrait pour nuire aux Enfants. J’en avais même écrit à M. f.2, et j’appréhendais, dès ce temps-là, pour le Ch. Je vous prie de ne lui rien témoigner, car vous savez de quelle conséquence cela m’est. Ce qui m’a encore porté à vous dire cela, c’est que, ayant vu le petit Ch., qui m’a parlé avec toute sorte d’ouverture, j’ai appris que le grand [Ch.] lui avait insinué d’assez dangereuses maximes, dont je l’ai détrompée et lui ai fait voir la vérité. J’en ai été extrêmement satisfaite, mais le grand Ch. est demeuré dans son entêtement, sans vouloir démordre de quoi que ce soit. Son obstination a

1Ch. pour Charost ? Grand et petit Ch. : il s’agit d’une mère et de sa fille ; le féminin est indiqué par « …j’ai appris que le grand [Ch.] lui avait insinué d’assez dangereuses maximes, dont je l’ai détrompée… » puis à la fin de la lettre, par « elle est bien loin sur cela de la simplicité… » ; ce qui n’exclut pas de façon certaine un surnom qui lui aurait été associé de « ch[eval] ».

2Non identifié.

353. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1695.

Je suis en peine, Ma p[etite] d[uchesse], si vous avez reçu dimanche une lettre qu’on vous porta, à ce qu’on dit, à l’hôtel de C[hevreuse], mandez-le moi incessamment. Plus j’ai d’éloignement pour la d[ame] et plus j’aime Lam1. Je vous avoue que plus je vois le Ch., plus je le trouve égaré et éloigné. Je vous en ferais voir des circonstances qui vous étonneraient ; mais c’est à présent le temps de souffrir et de se taire. Il semble que bar[aquin] ait puissance pour un temps, mais que dire et que faire ? Souffrir et se taire. Dites au m.2, lorsqu’il sera arrivé, qu’il y a longtemps que vous gardez cette lettre et que je vous l’ai envoyée en partant. Il est de conséquence que vous ne témoigniez rien au Ch. de ce que je vous ai mandé, car elle me peut beaucoup nuire, n’épargnant rien pour se maintenir. Ce sera Dieu qui sera juge entre les infidèles et moi. Je vois avec frayeur les cèdres tomber tandis que les petites herbes demeurent fermes. Je prie Dieu qu’Il soit votre force et votre soutien.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°133] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [163].

1Indéterminé.

2Indéterminé. Au marquis ?

354. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1695.

J’ai au cœur de vous dire que je crains que le Ch. ne vous nuise, car je la trouve bien pleine d’amour-propre. Je vous avoue, ma p[etite] d[uchesse], que je suis étrangement surprise de ses manières, de ses frayeurs et du risque qu’elle croyait courir en me venant voir. Je crois qu’il ne me la faut plus envoyer et nous passer de nous écrire. Il faut que l’aum[ônier] envoie chez lam, comme p[ut][Dupuy] le lui dira, un gros paquet de livres que Dom [Alleaume] a laissé pour moi en partant. Vous y pourriez joindre encore une lettre si vous avez quelque chose à me faire savoir. Il faut que je reste ici, abandonnée au p[etit] M[aître]. Je crois que le défaut de foi du tut[eur][Chevreuse] vient du défaut de soumission pour n’avoir pas voulu venir seul. Je ne doute point qu’Eu[doxie][Madame de Maintenon] ne pousse les choses à toute extrémité. Dieu y peut seul mettre remède ; s’Il ne le veut pas, il faut le souffrir.

Je vous aime bien tendrement et j’espère que m[on] p[etit] M[aître] vous bénira de cela. Si vous aviez quelque chose de conséquence à me faire savoir, desgr1 pourrait porter les lettres chez M. Cam2, comme p[ut] [Dupuy] en conviendrait avec vous afin que nul de nos gens n’ouït cela, et j'enverrais tous les jeudis chez lui. Mandez-moi si vous entrez là-dedans ou si nous ne nous écrirons plus tout à fait. Mais je ne suis point contente du Ch. en façon que ce puisse être : je crains pour le secret. Mais je laisse tout. Peut-être que comme elle craint qu’on ne sache qu’elle a eu commerce avec moi, cela pourra l’empêcher de dire où je suis.

Où trouve-t-on des âmes vides de tout intérêt ? Je demeure ici en paix, attendant ma destinée, car partout, ne me voyant jamais sortie, je serai suspecte. Je voudrais trouver une maison d’huguenots3, car je n’y serais pas examinée. D’un autre côté, il me paraît que je ferai mieux de rester ici dans mon abandon. Que vous dit le cœur sur tout cela ? Mandez-le moi.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°133] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [164].

1Desg., sœur de Famille ?

2Non identifié.

3Liberté dans l’appréciation des différences religieuses. On sait qu’elle sera à la fin de sa vie en relation avec de nombreux protestants, dont son éditeur Poiret.

355. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1695.

Je crois, ma très chère, qu’il ne faut pas penser à venir à présent. Je vous assure que je le souhaite autant et plus que vous, mais le p[etit] M[aître] ne le permet pas : Lb. [Beauvillier] ne pourrait s’empêcher de le dire à B. [Fénelon]. Pour N.1, je donnerais ma vie afin qu’elle fût comme Dieu la veut si elle avait acquiescé ! Je sais bien de quoi il s’agit, mais elle ne l’avouera jamais : c’est son inclination pour N. qui la fait si fort souffrir. Ne témoignez jamais que je vous l’ai mandé, ni que vous le soupçonniez. Si elle avouait cette faiblesse, qui n’est rien, elle serait guérie. Ne m’écrivez pas par Cam que le gros enfant [La Pialière] ne soit parti. J’entre dans ce que vous me dites pour vous adresser toutes les lettres. Je vous écrirai demain plus au long. Je vous aime bien tendrement.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°133v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [164].

1 Non identifié ; de même plus bas, pour Cam.

359. A LA PETITE DUCHESSE. 27 novembre 1695.

Jusqu’à présent, j’ai gardé un profond silence dans toutes les calomnies qu’on a inventées contre moi, parce qu’elles ne regardaient que ma personne, et que j’ai cru qu’il suffisait que Dieu, qui sonde les cœurs et les reins1, fût témoin de mon innocence. Mais à présent que je vois que la malignité de ceux qui [ne] me persécutent que parce que j’ai découvert leur turpitude, a trompé la crédulité des plus saints prélats et des plus gens de bien, je dois un aveu de la vérité au public. Je dirai donc que je ne reconnais point l’écrit des Torrents dans la lettre pastorale de M. de Chartres2, que je le vois seulement travesti, qu’il est absolument méconnaissable, ceux qui l’ont transcrit avec une fin malicieuse ayant ajouté des endroits et tronqué d’autres qui le rendent tout à fait différent de lui-même. Si le manuscrit est de ma main, qu’on le fasse voir, mais ce sont des copies auxquelles on a malignement ajouté des choses qui ne furent jamais ; par exemple, il y a que l’homme renaît de sa cendre, et est fait un homme nouveau3. Ils ont mis que l’homme prend vie dans son désordre, et des endroits où il y a trois ou quatre lignes ajoutées, qui rendent les propositions très mauvaises ; d’autres où on coupe le vrai sens pour prendre des mots de côté, et d’autres dont on fait une liaison. Puisqu’on ajoute bien aux imprimés, comme a fait M. Nicole dans sa Réfutation, pénultième feuillet, que ne fait-on point aux manuscrits, qui, n’étant pas de ma main, sont habillés de toutes sortes de couleurs ? C’est néanmoins sur ce fondement si faux qu’on explique deux livres que j’ai soumis tant et tant de fois.

La bonne foi de ma soumission fait que je n’ai pas écrit un mot pour les éclaircir ni défendre. Dieu, qui voit le fond des cœurs, sait que j’ai écrit dans un temps où il n’était point mention des abominations que l’on a

1Dieu sonde les reins et les cœurs : Psaumes, 7, 10 ; Jérémie, 11, 20.

2Ordonnance du 21 novembre 1695.

3I Corinthiens, chap. 15, par ex. 42 : …Le corps, comme une semence, est maintenant mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible. (Sacy).

[181] découvertes depuis4. Je proteste, devant Ses yeux divins, que j’ignorais entièrement ces choses lorsque j’ai écrit, et que je n’en avais jamais ouï parler. Le petit traité des Torrents fut la première chose que j’écrivis au sortir de ma patrie : la vie que j’y avais menée justifierait pleinement toutes choses. Il me suffit de dire que je n’ai jamais pensé ce qu’on me veut faire penser. Pourquoi juger des intentions d’une personne? Si j’ai pensé ces choses, je dois les avoir dites pour que l’on puisse juger de mes pensées ? Si je les ai dites, qu’on produise les personnes auxquelles je les ai dites ? Si je ne les ai point dites, pourquoi me faire penser ce que je ne pensai jamais ? J’ai été examinée tant et tant de fois, et après des examens si rigoureux et de personnes si fort prévenues, l’on n’a rien trouvé. Je ne suis sortie de Meaux, où je m’étais mise moi-même pour être examinée, qu’après une décharge de toutes ces choses, et une reconnaissance du prélat qu’il ne me trouvait avoir aucun des sentiments qu’on m’impute.

Je n’ai point promis de retourner à Meaux, comme on fait courir le bruit. Si je l’avais promis, je l’eusse tenu, quoi qu’il m’en dût coûter. Il est vrai qu’après la décharge donnée, je demandai à ce prélat s’il agréerait que j’allassea passer les hivers dans son diocèse ; il me dit que je lui ferais plaisir. Je ne dis cela que parce que j’aimais les religieuses de ce monastère, et comme une action libre de faire ou ne faire pas. Depuis ce temps, j’ai vu que ce prélat, plein de grandes qualités, loin de s’arrêter à ses lumières propres, desquelles je n’ai pas sujet de me plaindre, agissait le plus souvent contre ses propres sentiments par l’instigation de personnes mal intentionnées5, ce qui faisait que les choses ne prenaient point de fin, et qu’après tant et tant d’examens où l’on avait paru content, l’on en revenait toujours aux impressions étrangères. J’ai cru qu’il était plus à propos de garder le silence et de me retirer dans un lieu à l’écart, non pour fuir la lumière, comme on veut le persuader. Ai-je fui la lumière, puisque je me suis toujours présentée lorsqu’il a été question de répondre de la pureté de ma foi que j’ai toujours été prête de soutenir aux dépens de ma vie ? Il est vrai que, voyant les esprits si fort indisposés, je me suis retirée dans une profonde solitude, éloignée de tout le monde, où je n’ai commerce avec personne. Si je suis dangereuse, et que mon commerce le soit, pouvais-je prendre un meilleur parti pour me mettre à couvert de tout soupçon, surtout ne l’ayant fait qu’après avoir rendu jusqu’à la fin toutes sortes de témoignages de ma foi ? Je me suis même rendue inconnue à mes meilleurs amis, je me suis retirée à l’écart et dans la solitude, sans nul commerce avec les hommes, et l’on dit que

4Les Torrents restés en manuscrit depuis 1685, Molinos fut condamné en 1687.

5Sous la pression de Madame de Maintenon.

je cherche les ténèbres pour faire le mal ! lorsque j’ai paru, l’on dit que je ne l’ai fait que pour séduire. Quel parti [182] peut-on prendre, qui ne soit pas condamné ? Si je parle, mes paroles sont des blasphèmes ; si je me tais, mon silence m’attire l’indignation. C’est pourtant l’unique parti que je puis et dois prendre, après toutes les protestations que j’ai données de ma foi pour laquelle je suis prête de mourir, ne m’étant jamais écartée un moment des sentiments de l’Église ma mère, condamnant tout ce qu’elle condamne et dans moi et dans les autres, étant prête de répandre jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour la pureté de sa doctrine. Ce sentiment n’est jamais sorti de mon cœur, même pour un instant.

Mais pour tant de choses qu’on m’impute par des sens si violents qu’on donne à mes écrits, qu’il serait très aisé de justifier et d’en faire voir la pureté et l’innocence, je déclare qu’on m’impute des pensées, qu’on donne des tours auxquels je n’ai jamais pensé. L’on attribue à péchés énormes ce que je dis de simples défauts ; l’on fait des crimes réels de ce qui n’est qu’une simple impression de l’imagination, que Dieu permet qui soit remplie et offusquée de telle sorte que celui qui souffre ces peines ne discerne pas s’il y consent ou n’y consent pas. L’on prend des épreuves des démons - où Dieu permet que ces misérables esprits, par des coups redoublés et des rigueurs inouies, exercent encore de pauvres âmes en ce siècle, comme ils ont fait du temps des Hilarion et des Antoine -, pour des choses abominables, les maximes du plus pur amour pour des exécrations, parce qu’il a paru dans ce siècle de misérables créatures livrées au dérèglement de leur cœur, que j’ai tâché de tirer du désordre, que j’ai indiquées, qui m’ont toujours trouvée en leur chemin, dont je produirais même de bons témoins, si je ne prenais pas le parti du silence ; ce sont ces misérables qui m’accusent, et qui veulent trouver dans mes livres le sens corrompu qu’elles donnent à toutes choses. Le soin qu’on a pris de tronquer les passages, d’ajouter à d’autres, marque assez le peu de bonne foi qu’on a conservé en tout cela.

Mais c’est à ce Dieu fort et puissant, qui S’est revêtu en S’incarnant de la faiblesse de notre chair, à faire connaître la vérité, à la faire sentir et éprouver dans les cœurs qu’Il a choisis pour cela. Il n’a que faire d’aucune créature pour en venir à bout ; Il pénètre les lieux les plus cachés, et l’onction enseigne toutes choses à Ses enfants. Et cette onction étant produite dans les âmes par le Saint-Esprit qui ne peut enseigner que la vérité, Il ne permettra pas qu’ils prennent le change ; il faut l’espérer de Sa bonté. Il ne me convient pas de réfuter les endroits ajoutés à mes écrits, non plus que ceux qui sont tronqués ou mal entendus, laissant cela aux personnes plus éclairées, et m’étant imposé un silence éternel.


J’ajoute ce passage de saint Aug[ustin], au livre de la véritable religion 6, chap. 6, § 11 : « Souvent même la Providence de Dieu permet que quelques-uns de ces charnels dont je viens de parler, trouvent moyen, par des tempêtes qu’ils excitent dans l’Église, d’en faire [chasser] de très gens de bien ; et lorsque ceux qui ont reçu un tel outrage, aiment assez la paix de l’Église [183] pour le prendre en patience, sans faire ni schisme ni hérésie, ils apprennent à tout le monde, par une conduite si sainte, jusqu’où doivent aller la pureté et le désintéressement de l’amour qui nous attache au service de Dieu. Ils demeurent donc dans le dessein de rentrer dans l’Église dès que le calme sera revenu ; ou si l’entrée leur en est fermée, soit par la durée de la tempête ou par la crainte que leur rétablissement n’en fît naître de nouvelles et de plus fâcheuses, ils conservent toujours dans leur cœur la volonté de faire du bien à ceux mêmes dont l’injustice et la violence les ont chassés ; et sans former de conventicules ni de cabales, ils soutiennent jusqu’à la mort et appuient de leur témoignage la doctrine qu’ils savent qu’on prêche dans l’Église catholique ; et le Père qui voit dans le secret de leur cœur leur innocence et leur fidélité, leur prépare en secret la couronne qu’ils méritent. On aurait peine à croire qu’il se trouvât beaucoup d’exemples de ce que je viens de dire; mais il y en a, et plus qu’on ne saurait se l’imaginer. Ainsi il n’y a point de sortes d’hommes, non plus que d’actions et d’événements, dont la Providence de Dieu ne se serve pour assurer le salut des âmes, pour instruire et former son peuple spirituel. »

Je voudrais mettre ici un autre passage de saint Jean Chrysostome, mais je ne l’ai pas, où ce saint dit que lorsqu’il s’agit de combattre par la raison, on combat une raison par une autre, et il est aisé à la vérité de surmonter le mensonge et la calomnie ; mais lorsqu’on use de violence, il n’y a qu’à céder et souffrir, car la vérité ne peut rien contre la violence7.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°159] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [180]. - Fénelon 1828, t. 7, 1. 93, p. 206.

aje retournasse Fénelon 1828.

b faire chasser de Fénelon 1828. Mot absent dans La Pialière !

6De vera religione, écrit en 390 ; P.L. Migne, 34. Long passage déjà cité un an auparavant, dans la lettre à Chevreuse du 10 novembre 1694 : « J'ai trouvé à l'ouverture du livre de St Augustin, intitulé De la véritable religion un endroit qui m'a paru bien beau dans la conjoncture présente. C'est au chapitre 6, page 33 : « Souvent même la Providence de Dieu […] former son peuple spirituel. »

7Cf. « Car il y a cette extrême différence que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque, au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. » (Pascal, Les Provinciales, en conclusion de la 12e lettre, Lafuma, Seuil, 1975, 429b).

362. A LA PETITE DUCHESSE (?) Décembre 1695.

Je vous assure que le gros enfant [La Pialière] n’a rien lu de ce que je lui ai donné sans le cacheter ; il est, sur cela comme sur le reste, d’une fidélité inviolable. Lorsque je lui ai donné, je lui ai dit de ne les pas lire, et il ne pourrait porter d’avoir fait une pareille infidélité sans me le dire : soyez en repos sur cela. Pour la jeune v[euve], ne l’obligez plus de vous rien dire, laissez-la agir naturellement. J’ai bien peur qu’elle ne tienne de N. Le gros enfant vous dira les perquisitions qu’on fait de tous côtés. Envoyez-moi, par lui, quelque argent en or pour subsister du temps sans envoyer chez vous. Je ne sais pourquoi vous êtes jalouse, vous aimant comme je fais. Je crois qu’il faut recevoir la lettre du bon M. sans lui promettre de réponse qu’après les Rois. Adieu, je ne cacheterai pas cette lettre autrement que par la sûreté de l’homme à qui je la donne.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°134v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [165].

Madame Guyon est arrêtée et transférée à Vincennes. Prennent place les documents suivants : « LE ROI A M. DE NOAILLES, ARCHEVEQUE DE PARIS. » et « EXTRAITS DES INTERROGATOIRES. »

377. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1696.

Mon cœur me rend un bon témoignage de vous, et je vous aime de tout mon cœur. Bon courage ! Je ne demanderais pas mieux que d’avoir confiance en [le] curé de Saint-Sulpice, eta les premières fois, dès que je sus qui il était, j’en eus une entière. Mais que je m’en trouvai mal, et que ce que je lui dis me fut nuisible ! Je le crois homme de bien, mais tellement prévenu contre moi, si fort dans les intérêts de ceux qui me tourmentent, qu’il n’y a rien à faire. Il me dit toujours que j’ai enveloppé dans mes livres des sens cachés ; il m’a dit à moi-même des choses si fortes en confession de ce qu’il pense de moi, et m’a toujours traitée sur ce pied, étant six semaines sans vouloir que je communie et continuant toujours de même. Il a prévenu la fille qui me garde ici d’une si étrange manière qu’elle me regarde comme un diable. Toutes les honnêtetés que je lui fais l’offensent parce qu’elle croit que c’est pour la gagner. De plus [le] curé ne me parle que d’une manière embrouillée, voulant tantôt savoir entre les mains de qui j’ai mis ma décharge pour la ravoir. Il voit souvent M. de M[eaux] chez l’abbé de Lannion. Jec ne lui ai jamais ouï dire un mot de vrai, ni deux fois de la même manière. Je lui donnai au commençement une lettre pour M. Tronson, pleine de confiance, il me jura foi de prêtre qu’il la lui donnerait sans que qui que ce soit la vît ; il la porta à M. de Paris, quid en fut en colère contre moi, et puis en me parlant il se coupa, et enfin il me fit connaître que M. de P[aris] l’avait vue. Plus je me confie, plus mon cœur est serré. Je fais pourtant au-dehors, dans le peu que je le vois, ce que je puis pour lui marquer de la confiance, mais il me demande par exemple de lui écrire tout ce que [f°165v°] M. de M[eaux] m’a fait et de le signer, et quelque chose au-dedans m’empêche et me dit que c’est une surprise.

Je suis ici où l’on me fait faire des dépenses excessives en choses qui ne me regardent point, et je n’ai ni linge, qui m’a été pris, ni habits, ne mangeant que de la viande de boucherie, et [ain]si je dépense quatre fois comme à Paris, mais cela n’est rien au prix des autres duretés. Cependant je suis paisible et contente dans la volonté de Dieu. Pour vous dire tout ce qu’on me fait, il faudrait des volumes : on me traite plus mal depuis six semaines ou deux mois qu’on ne faisait auparavant. [Le] Curé veute que mes amis lui soient obligés, lors même qu’il favorise mes ennemis. Il faut toujours que vous lui marquiez une espèce de confiance, mais tenez-vous sur vos gardes. J’ai un testament que je voudrais vous envoyer ; je n’ose le risquer. Payez bien cette bonne femme, je n’ai rien du tout pour lui donner. L’autre ne peut plus rien faire ; on l’a ôtée parce qu’on a cru qu’elle me servait avec affection. N. me demande où je veux aller ; je lui ai dit que je pourrais aller chez mon fils, mais que je ne demandais rien, car je n’ai jamais demandé la moindre chose. J’ai toujours dit que je ne voulais que la volonté de Dieu, et je me suis laissée ballotter comme on a voulu, mais je n’ai rien dit et rien fait que je ne dusse. M. Py[rot] m’a fait des choses qu’on aurait peine à croire, mais Dieu voit tout. Si vous vouliez me mander ce qu’est devenu Dom [Alleaume] et le P[ère] L[a] C[ombe], ou plutôt, si vous l’agréez, Famille 1 irait chez vous le soir et reviendrait.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°165] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [183] : « Nbre 1696 » ; « ce qui suit est du temps de Vaugirard ».

a en N. (curé de St-Sulpice add.interl.), et

b De plus N. (curé add.marg.) ne

c La[nion add.interl.). Je

d M. de P(aris add.marg.), qui

e auparavant. N. (Curé add.interl.) veut

1La servante de Madame Guyon.

Ici prend place (v. la série des documents à la fin du volume) le document suivant : « DECLARATION SIGNEE AVANT DE SORTIR DE VINCENNES. 9 octobre 1696. »

378. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1696.

Je vous prie d’empêcher que je n’aille chez mon fils. J’ai prié N. [le curé]1 de ne le point faire, mais cela n’a servi de rien. Je ne sais ce qu’il a

1La Chétardie, curé de Saint-Sulpice, comme indiqué par addition interligne dans une lettre précédente.

dans la tête, mais la fille qui est ici peut bien, avec mille fantaisies qu’elle a, faire naître des soupçons. L’on ne peut lui témoigner plus de confiance [185] que je fis la dernière fois, mais comme je vous dis, cette hospitalière2 me rend auprès de lui tous les mauvais services qu’elle peut. Elle s’ennuie ici où elle est seule, et me brusque à tout moment, disant qu’elle n’a que faire de moi ici et être gênée pour moi. Vous avez vu ce que je vous ai écrit par lui. Je n’ai reçu de lettre de qui que ce soit au monde que de vous, et c’était sur votre lettre. Je ne me plaignais que de la défiance de N. pour moi. Faites-lui toujours des amitiés, c’est un capital3, et soyez sûre de mon cœur. Je ne crois pas devoir écrire davantage. N. ne m’a jamais donné aucun lieu de m’ouvrir à lui, je lui ai parlé toujours avec simplicité ; lorsque je lui ai voulu parler de moi, il m’a toujours fort rebutée et, lorsqu’il m’a interrogée, je lui ai toujours répondu avec une extrême droiture.

Je crains extrêmement d’aller chez mon fils et ne le souhaite en nulle manière. Obligez N. à me venir voir, je l’en ai prié avec instance. Je lui en ai écrit ; vous a-t-il envoyé la lettre et les chansons ? Voilà la copie de ce que j’ai écrit à M. Tronson, ensuite de ce que N. m’avait soutenu que j’avais fait des assemblées où il s’était passé des choses horribles. Non content de l’avoir assuré, de la plus forte manière dont je suis capable, que cela n’est pas, il a voulu obliger la p[etite] m[arc]4 de se confesser des choses qui se passaient dans ces assemblées ; il m’a toujours parlé sur ce pied. J’écrivis la lettre dont je vous envoie la copie. Dites-lui qu’il me doit croire lorsque je lui dis que j’ai confiance en lui. Je crois N. très bon, mais prévenu par M. de Chartres. Faitesa qu’il me vienne voir et accommodez tout. Je l’ai prié avec instance de se charger de moi. Je lui ai dit, avec une simplicité d’enfant, les raisons que j’avais eues de ne me pouvoir fier à lui dans certains temps et les sujets que j’en avais, lui marquant en même temps une cordialité et droiture inconcevables, en sorte qu’il me dit que je n’étais que trop droite, m’en blâmant. Depuis ce temps je ne l’ai vu que deux fois, une demi-heure chaque fois, et parlant de choses qu’il voulait savoir et que je lui dis. Enfin je vous laisse tout ménager, mais obligez-le de se charger de moi, et n’écrivons plus que par lui pour aller plus droit et ne rien exposer. Cependant précaution de votre part. Mais soyez persuadée que je sens plus votre bon cœur

2 Sœur hospitalière de la communauté des sœurs de St Thomas de Villeneuve  où se trouve enfermée Madame Guyon.

3Rare au figuré pour « qui se trouve en tête, domine », sens plutôt réalisé par capitaneus, capitaine. (Rey).

4Marc, fille de compagnie de Madame Guyon.

381. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1696.

N. [La Chétardie] mea marque une si horrible défiance de moi, et il bouche si fort toutes les avenues à s’ouvrir, quoiqu’il me semble que j’agis toujours simplement. Il m’avait proposé de signer certains articles, il ne me les a plus proposés, quoique je lui eusse dit que je les signerais. Vous savez que je ne recherche rien et que je suis toujours plus portée à demeurer comme on me fait être sans me mêler de rien ; c’est pourquoi je ne [186] lui en ai point parlé. Dites-lui que, lorsqu’il voudra me faire faire quelque chose, qu’il parle positivement, et faites-lui entendre que, loin que l’indifférence que je témoigne pour tout ce qu’on fait de moi doive le rebuter et lui faire croire que c’est faute de confiance, cela le doit porter au contraire à prendre soin de moi et à agir d’une façon plus ouverte, car pour moi, je persisterai jusqu’au bout à ne rien demander et à ne rien refuser. L’on me disait à Vin[cennes] : « Demandez », je ne pouvais, et lorsque je l’ai fait par déférence et contre mon cœur, cela m’a toujours attiré des affaires, car si je n’avais point demandé à me confesser, on n’aurait eu nul prétexte de m’envoyer M Py[rot].

Je ne me plains de rien, il suffit que Dieu voie toutes choses. J’ai pourtant été blessée de voir dans une lettre que vous avez écrite à N., que vous disiez que je n’avais pas d’autre ressource que lui. Eh, Dieu n’est-Il pas tout-puissant ? Si je savais qu’une créature me fût une ressource hors de Son ordre divin, je la fuirais comme le diable. Ô ma très chère, ne tombons pas dans l’humain, et quoi qu’on puisse vous avoir dit au contraire, soyez persuadée que je ne fus jamais plus entre les mains de Dieu que je m’y suis laissée dans cette affaire. Les hommes parlent selon leurs vues, mais Dieu voit le fond du cœur. Le P[ère] de la M[othe] est celui qui gouverne les personnes entre les mains de qui je suis ; je n’en ai pas de peine, tout m’est bon.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°166v°] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [185].

a N. (Chétardie add. marg.) me

384. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1697.

Je crois vous devoir dire que le curé [La Chétardie] n’aa pas voulu me venir voir, quelque instance que je lui en ai faite. Il vint en passant trois jours après qu’il amena le notaire, il y fut un quart d’heure et n’est pas venu depuis. Ne lui en témoignez plus rien, laissons faire Dieu. On a augmenté ma garde et [l’on m’a] resserrée de plus près depuis ce temps. N’en savez-vous point la raison ? Je suis très contente de souffrir tant et si longtemps qu’il plaira à Dieu ; mais je vois par la conduite de N. [le curé] qu’il faut que ce qu’on lui dit fasse plus d’impression sur son esprit qu’il ne marque. Il n’est point opposé aux jansénistes. Il blâme en général ce qu’il estime en particulier, et je l’ai bien vu sur M. B[oileau]. On ne lit ici que la Fréquente communion, les Essais de morale, le Testament de Mons1. Je suis fort tranquille, quoique fort incommodée. Je vous prie d’aller neuf samedis à Notre-Dame : faites dire autant de messes et communiez à mon intention. Je suis fâchée de la maladie de P. [Dupuy ?]. Je prie Dieu qu’Il donne à tous ce qui est nécessaire. Qu’est devenu Dom [Alleaume], n’en savez-vous rien ? Je voulus dire quelques mots d’une sœur d’ici que N. [le curé] n’aimait pas ; sitôt que je lui eus témoigné qu’elle était brusque et que je n’en étais pas contente, il lui donna les preuves d’une considération extraordinaire ; il en fit autant à Bernaville à Vin[cennes], et il est à présent son meilleur ami. Je crois que Dieu, loin de vouloir que je lui parle en confiance sur tout cela, désire de moi un profond silence. Tout ce que je dis pour marquer de la confiance me nuit. Ce qui regarderait mes défauts et mes misères, je le dirais volontiers avec simplicité. On m’a [187] fait entendre que N., et tout le monde, est las de moi, qu’on ne me regarde qu’à cause de l’importunité de mes amis.

Laissons donc faire Dieu : s’Il me veut rendre encore un nouveau spectacle aux hommes et aux anges, Sa sainte volonté soit faite. Tout ce que je Lui demande, c’est qu’Il sauve ceux qui sont à Lui, et qu’Il ne permette pas que personne se sépare de Lui, que les puissances, les principautés, l’épée, etc. ne nous sépare[nt] jamais de la charité de Dieu qui est en J[ésus]-C[hrist]. Que m’importe ce que tous les hommes pensent de moi ! Qu’importe ce qu’ils2 me fassent souffrir,

1 Œuvres jansénistes : De la fréquente communion d’Arnauld, 1643 ; le Nouveau Testament de Mons, 1667 ; Les Essais de morale, contenus en divers traités…, 1671, 1675, 1678 de Nicole.

2Vérifié sur les deux copistes. Le sens devient plus clair en suprimant « ce » (mais on perd la référence concrète à des moyens utilisés pour faire souffrir).

puisqu’ils ne peuvent me séparer de mon Seigneur J[ésus]-C[hrist] qui est gravé dans le fond de mon cœur ! Si je déplais à mon Seigneur J[ésus]-C[hrist], quand je plairais à tous les hommes, ce serait moins que de la boue. Que tous les hommes donc me haïssent et me méprisent, pourvu que je Lui soit agréable ! Les coups des hommes poliront ce qui est de défectueux en moi, afin que je puisse être présentée à Celui pour lequel je meurs tous les jours, jusqu’à ce que la Vie vienne consumer cette mort. Priez donc Dieu qu’Il me rende une hostie pure en son sang afin de Lui être bientôt offerte. Je Lui demande qu’Il purifie aussi votre cœur, et que nous soyons un dans l’éternité en Celui qui nous est tout. Mandez-moi où sont les deux personnes3 persécutées à mon occasion et si l’on n’a point fait de peine à d’autres. J’embrasse tout de la charité de J[ésus]-C[hrist]4.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°167] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [186].

a N. (curé add.interl.) n’a

3Les deux « filles », Famille et Marc ? (v. lettre 378)..

4s’inspire de Rom., 8, 35-39.

385. A LA PETITE DUCHESSE. Février 1697.

Je désire tout à fait d’avoir des nouvelles du B[on] [Beauvillier] que j’aime plus que jamaisa, je voudrais aussi en avoir de M. de p1 : n’est-il pas toujours fidèle ? Qui est-ce qui a tout quitté ? J’espère de la bonté de Dieu que vous ne ferez pas de même. Bon courage, et allons tête baissée car Dieu nous appelle. Il y a si peu de personnes qui L’aiment alors sans réserve. Donnons-Lui le plaisir de ne rien ménager avec Lui dans un temps où la fidélité est aussi rare qu’elle coûte cher ! C’est le temps d’épreuve où Dieu veut sonder ceux qui sont à Lui sans mélange. L’on est présentement ici toujours appliqué à me faire des propositions et des questions toutes jansénistes. Une petite confiance faite à N. [le curé] sur ce point m’a réussi comme les autres ! Je vous avoue que quoique je fasse de mon mieux pour lui marquer le contraire, mon cœur en a du rebut malgré moi. Je ne lui marque point de confiance qu’elle ne me soit reprochée intérieurement et que je ne m’en trouve mal intérieurement. On m’a fait entendre que sûrement N. [La Chétardie] me voulait enfermer à la Miséricorde2 ; le tas de gens dont cette maison est remplie me répugne beaucoup. J’abandonne tout au p[etit] m[aître]. L’on m’a dit ici que j’incommode, qu’on est géhenné à cause de moi, qu’on ne peut sortir, qu’il faut toujours qu’on me garde. Je ne réponds que par d’extrêmes honnêtetés à tout cela et j’ajoute que tout m’est agréable dans la volonté de Dieu. On traite ici les jésuites avec un mépris outré. A propos, savez-vous la communauté nouvelle de l’Estrapade 3 que N. dit avoir plus à cœur que toutes ses autres affaires. C’est mademoiselle de la Croix qui la commence. On dit qu’on y est plus austère qu’à la Trappe. On n’entend parler que de cela. Soyons les petits [f°175v°] du Seigneur, et n’éclairons que par notre humiliation. Avez-vous reçu une petite croix d’or ? Ecrivez-moi amplement. Je ne sais rien et ne puis vous rien dire, si ce n’est que je vous aime bien tendrement et que je prie bien le Seigneur pour vous. Je ne m’étonne pas du p. Arch.4 Les personnes qui craignent pour eux, croient s’assurer en donnant sur ceux qui sont persécutés. Cette faiblesse est bien universelle et la vérité est bien abandonnée dès qu’elle est opprimée. Pourvu que mon Maître tire Sa gloire de tout ceci, heureuse vie bien accablée de tant de coups de pierres !

La faiblesse et l’inconstance de N. [le curé] m’étonnent : il fait mille propositions, assure des choses avec des serments horribles ; après, c’est tout le contraire. Je ne fais pas semblant de le voir. Les filles de cette petite maison ne communient point. Presque toute leur vertu consiste à s’éloigner des sacrements. Je vais mon train, et comme les messes coûtent beaucoup à cause qu’on fait venir les prêtres de Paris, je n’en fais dire que deux fois la semaine et les fêtes, n’ayant pas le moyen de le faire tous les jours. Nous sommes vis-à-vis la porte de l’église, et l’on fait grand bruit dans le village de ce que l’on est enfermé sans y aller : on ne sait ce que cela veut dire, on se promet d’en faire bien d’autres à Pâques. Je leur laisse faire tout ce qu’il leur plaît. Je ne puis tomber que debout, car mon Maître fera toujours Sa volonté malgré la malice des hommes. Oh ! ferai-je faire mes amitiés au tut[eur] ? Faites comme il vous plaira, soyez ma gouvernante, aimez-moi autant que je vous aime.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°175].

aj’ayme (tout à fait biffé) plus que jamais

1Non identifié.

2 Sur la paroisse de Saint-Médard se trouvait l'hôpital de la Miséricorde, fondé en 1624 par Antoine Séguier, Président du Parlement de Paris, pour de pauvres orphelines (v. Lebeuf, Vieux Paris). Mme Guyon n’est cependant pas oubliée de ses amis : « 12 février. La Chétardie rencontre, à son retour de Vaugirard, le duc de Chevreuse à la porte d'Issy : « ils ont parlé ensemble plus « d'une heure, après quoi... le duc a été avec M.N.C.P. [Monsieur Notre Cher Père : M. Tronson] » de 5 heures jusqu'au souper (Journal de M. Bourbon, n° 1129). » (Orcibal, chronologie de la CF).

3Probablement de la rue de l’Estrapade (car l’austérité ne va pas jusqu’au recours à ce moyen).

4Il s’agit cette fois-ci d’un « Père Archange », peut-être le P. Archange Enguerrand ?

386. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

Je vous conjure, au nom du p[etit] M[aître], de m’envoyer le livre1 de S. B. [Fénelon] ena question : je vous promets que personne du monde ne le saura jamais. Ne me refusez pas. N. [le curé : La Chétardie] ne me le donnera pas, assurément. Je fus indignée de la manière dont il me parla de N. [Fénelon] : il me dit qu’il l’avait vu un petit prêtre plus gueux que lui, et tout d’un coup devenir ce qu’il est devenu, qu’il a cherché l’honneur, qu’il n’a eu que de l’ambition, et que l’humiliation lui est venue. Je répondis qu’il n’avait jamais rien cherché, et qu’il n’avait accepté les choses que parce que Dieu le voulait. Il fit toujours de grandes risées de tout cela, et me dit : « Voilà ce que c’est de chercher la grandeur. S’il me l’avait montrée, il ne ferait pas de pareilles choses. M. de M[eaux] m’enverra les feuilles à mesure qu’il les fera imprimer2. Oh ! que si vous étiez à présent à Vin[cennes], vous n’en sortiriez jamais ». Je répondis : « Plût à Dieu que tout tombât sur moi seule et que Dieu en tirât Sa gloire, j’irais de bon cœur au supplice ! ». Il dit : « Tous vos amis sont perdus », et ensuite témoigna beaucoup de refroidissement pour moi. Mais toute la conversation se tourna à blâmer l’auteur avec les derniers excès. Croiriez-vous que, pour l’amitié que je lui porte, cela m’a fait plus souffrir que toutes mes affaires ?

Voilà mon espèce de testament ; il faut [188] l’ajouter au codicille que je fis à Meaux. P. [Put : Dupuy] a tout - c’est un bon enfant -, P[ut], le t[uteur : Chevreuse] et vous pouvez ouvrir celui-ci et le recacheter3. Je crois être obligée de mettre toutes ces choses pour l’avenir, afin que la vérité soit connue. Il fut écrit à Vin[cennes].

Vous m’avez réjouie de me dire que les jésuites soutiennent le livre. N.[le curé] est tout janséniste dans l’âme, et croyez qu’il est vrai. Je rêvais, étant à Vin[cennes], que j’étais avec N.[Fénelon ?], que j’aime

1 Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, achevé d’imprimer le 25 janvier 1697. Ce texte majeur de Fénelon mérite un bref aperçu de son histoire bibliographique, v. à la fin du volume : Notices, « Explications des maximes, bibliographie de Fénelon. »

2 l’Instruction sur les états d’oraison de Bossuet, achevé d’imprimer le 30 mars 1697. Sur les interprétations divergentes des 34 articles d’Issy, v. Fénelon, Œuvres I, Gallimard, 1983, « notice sur l’Explication… » par J. Le Brun.

3« …enfant -, que P… » : nous supprimons « que » pour rendre un sens à la construction cassée de cette anacoluthe.

uniquement, comme vous savez, et qu’il me montrait N. sous la figure d’un chien, et moi je ne voyais qu’un singe. Nous eûmes dispute là-dessus et, après bien du temps, enfin il vit aussi bien que moi que ce qu’il avait cru un chien était un singe.

Je fais carême à feu et à sang : je me mourais avant que de le commencer, mais j’eus mouvement de le faire, m’en dût-il coûter la vie, et je le fais bien, quoique assez mal nourrie et sans provisions. Le Maître fait faire ce qu’Il veut. Je ne suis pas étonnée de la mère de l’aum[ônier][Mme de Charost], car la prospérité la rassure et l’adversité la tente. Ce devrait être tout le contraire ; Dieu nous souffre dans nos faiblesses.

Tout ce que je dis à N. [le curé] enb confiance et qu’il paraît approuver, il s’en sert après contre moi, je ne trouve même rien à lui dire. Je vous conjure, par le sang de J[ésus]-C[hrist], qu’on ne fasse rien d’humain pour se tirer de l’oppression. N. [le curé] me dit encore que tout ce livre de N. [Fénelon] était plein de fautes grossières contre la doctrine, qu’il parlait de le prouver par des passages, mais que ce serait passages renversés et mal tournés, comme disait fort bien M. de M[eaux]. Je lui dis que tous les passages étaient si formels qu’on n’y pouvait donner un autre sens. Je souhaiterais extrêmement qu’il en mît de formels dans cette seconde édition, cela est nécessaire : priez-l’en car, assurément, cela est important. Il en trouvera une infinité de rapportés dans les notes du P[ère] Jean de la Croix. Lorsque N. [le curé] me dit que N. [Fénelon ?] m’avait condamnée, je lui dis : « Il a bien fait si je suis condamnable ». Enfin il me fit entendre que ce qui était de bon dans le livre de M. de C[ambrai] avait été volé dans les manuscrits que M. de M[eaux] lui avait prêtés. J’en fus si mal satisfaite que je ne vous le peux exprimer.

Si vous voulez m’écrire plus au long, tenez vos lettres prêtes, écrivez par jour ce que vous voudrez, et j’enverrai tous les premiers dimanches des mois, et de cette manière sans y aller fréquemment, vous saurez les choses. Pourriez-vous me faire changer ma pendule contre une qui répète ; je l’enverrai par N., cela me serait fort utile. Je la voudrais très bonne, je ne me soucie pas qu’elle soit belle. Si cela vous embarrasse, usez-en librement. D’où vient que je ne puis rien avoir de ce qui était au pavillon ? Il y a des livres de conséquence. Les écrits qu’avait le G.E. [Gros Enfant  : La Pialière] ont-ils été perdus ? L’a-t-on interrogé, etc. ? J’ai déchargé tout le monde. Toutes mes interrogations ont roulé sur deux lettres du P[ère] d[e] L[a] C[ombe], où il me mettait : « La petite [189] Église-Dieu vous salue4 ». Il n’est sorte de tourments qu’on ne

4La « petite église » est souvent présente dans les lettres de 1695 (25 mai, 29 juillet, 20 août, 5 septembre, 10 octobre, 7 décembre). On ne retrouve pas « Église-Dieu » mais, le 25 mai :  « La petite Église d’ici vous salue ».

m’ait fait là-dessus. Mais ce qui incite à me tourmenter, c’est qu’il y avait : « Les jansénistes sont à présent sur le pinacle5, etc. »

Ayez bon courage, c’est peu d’être fidèle à Dieu dans la prospérité si l’on ne l’est dans l’adversité. Ce n’est donc pas sans raison que j’aime si fort le tuteur, puisqu’il est comme il doit et si bien. Bon courage, Dieu mérite plus que cela. Empêchez que N. ne soit infidèle : son amie est une pierre d’achoppement, mais parmi tant de bon il faut pardonner les faiblesses. J’ai lu dans la gazette un mariage de la fille aînée du B[on][Beauvillier] avec le neveu de N. qui m’a surprise : a-t-elle quitté Dieu pour l’homme6 ?

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°168] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [187].

a livre (de S.B. add.interl.) en

b N. (curé add.interl.) en

5Madame Guyon se tourmente à juste titre : v. sa quatrième lettre du même mois de mars 1697 : « M. de la Reynie ne me fut contraire que lorsqu’il eut vu cet endroit : « Les jansénistes sont sur le pinacle, ils ne gardent plus de mesure avec moi … »

6Il pourrait s’agir de Marie-Antoinette, née le 29 janvier 1679, religieuse aux bénédictines de Montargis, au mois d’octobre 1696. Voir le début des mémoires de Saint-Simon qui la demanda en mariage sans succès.

387. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

Je ne crains point que le prêtre me trahisse sur la messe et la communion : il y est autant intéressé que moi, et craindrait extrêmement qu’on ne le sût. Pour nous, ma t[rès] c[hère], ne craignez pas, mais continuez de vous délaisser à N[otre] S[eigneur] J[ésus]-C[hrist], notre divin Maître, qui sait ce qu’il nous faut. Faites tous les jours un peu d’oraison pour vous soutenir, et n’y manquez jamais. Je suis très convaincue que cela est de nécessité absolue, quand vous y seriez comme une bûche. Montrez toujours votre fidélité en cela. [169v°] Lisez quelque chose, ou des écrits ou d’autre chose sur la voie, qui puisse vous renouveler ; l’esprit abattu a besoin de ces petits secours. La fièvre ne m’a pas quittée depuis le dimanche gras. Non seulement on ne se met pas en peine de me faire rompre carême, mais je jeûne à feu et à sang. J’ai un mal d’yeux et de gorge avec la toux. La fièvre me redouble tous les jours avec un violent mal de tête. Tout ce qu’on recommande est que, même à la mort, on ne me fasse venir aucun prêtre. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Depuis ceci écrit, on a changé ici de curé ; celui qui l’était était un docteur fort honnête homme, nommé M. Le Clerc ; celui qu’on y a fait mettre, à cause que l’autre est un peu vieux, s’appelle M. Huon. L’on a pris prétexte des infirmités du premier. Le dernier a demeuré aux Missions Etrangères : informez-vous ce que c’est, car on croit qu’on me le veut donner pour confesseur. C’est un homme dévoué à M. de P[aris]. Je ne crois pas qu’il soit pis que celui que j’ai. Je laisse tout à Dieu. J’ai appris que ce nouveau curé a demeuré à Saint-Eustache. Il est sans doute connu de l’aum[ônier][l’abbé de Charost] ; vous pourriez savoir de lui ce que c’est, comme une nouvelle que vous avez apprise. Le supérieur de ces filles qui me gardent s’appelle M. l’abbé Bosquin ; il est maître du Collège des Quatre Nations1 et [du] grand pénitencier. Je vous prie de m’informer de tout cela. N’oubliez pas les ceintures de prêtre. La fièvre m’a quittée d’hier. Je vous embrasse.

J’ai songé cette nuit qu’ayant trouvé l[a] bonne c[omtesse] [de Morstein], j’ai voulu lui parler, elle m’a évitée, je l’ai poursuivie et, avec d’extrêmes instances, je l’ai obligée de m’écouter. Elle m’a dit qu’après les impertinences que j’avais dit d’elle, je lui ai dit2 que je la priais de ne pas croire cela, que n’ayant parlé à personne, je n’ai pu parler ni pour ni contre elle ; elle m’a cité M. Py[rot] et N. ; je lui ai protesté que cela était faux, et qu’elle se souvînt que je lui avait prédit qu’on se servirait de tout pour me l’arracher : elle est revenue à elle. Ce songe me porte à vous prier de tâcher de la joindre en quelque lieu que vous [170] puissiez, sans égard à votre rang ni à un petit dépit naturel. Entrez en éclaircissement avec elle avec charité, protestant que vous ne le faites que par le devoir de l’amitié et de la charité chrétienne, tâchant de tirer d’elle ce qui l’a obligée à en user ainsi. Si elle vous dit que j’ai dit quelque chose, assurez-la, comme de vous, que vous répondriez bien que cela est faux, et qu’elle se souvienne que je lui ai dit qu’il n’y aurait point d’invention dont on ne se servirait pour la détacher de moi. Jugez ce que j’aurais dit d’elle à ces gens-là !

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°169] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [189].

1Le collège Mazarin ou collège des Quatre-Nations, ouvert en 1688, fréquenté par la noblesse pauvre, supprimé en 1793, actuellement siège de l’Institut et de la Mazarine. (v. Conti (quai de-) dans Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris).

2[sic] : elle m’a dit que je lui ai dit…

388. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

Ce que vous m’avez mandé de Dom [Alleaume1] m’a donné autant de douleur que ce que vous me mandez du succès du livre me donne de joie : c’est une marque que Dieu l’agrée, puisqu’Il le couronne par une si forte tribulation. Si les méchants en deviennent plus endurcis, ceux qui aiment Dieu en seront fortifiés. Cela m’unit davantage à son auteur, et je prie Dieu qu’Il envoie un plus grand embrasement dans son cœur que celui qu’Il a envoyé dans sa maison. En quelle situation est le B[on][Beauvillier] ? Et le Tut[eur][Chevreuse] ? J’aime toujours beaucoup ce dernier.

Tout ce que je crains de tout ceci, c’est que, sous bon prétexte, on ne travaille à descendre de dessus la croix ; J[ésus]-C[hrist] en avait un merveilleux, qui était le salut des Juifs, cependant Il n’en voulut pas descendre. Je ne désire pas non plus d’en sortir, assurément, et j’attends le Seigneur avec grande patience. N. [le curé] m’aa proposé d’aller à la maison de Paris de ces filles d’ici ; je lui ai dit que je lui obéirais en tout. Cependant j’aimerais beaucoup mieux être ici où il y a de l’air et où il ne vient personne, que là où il y aurait bien plus d’examinateurs et de tourmentants. Mais je laisse tout entre les mains de Dieu. Ce n’est pas à présent le temps du succès et de l’applaudissement, [f°170v°] mais de la contradiction, de l’épreuve et de l’humiliation ; c’est ce dont il faut faire usage, tout autre effet nous déplacerait. Satan a demandé de nous cribler2 et le Seigneur le lui a permis : le temps est fort à passer, mais courage ! Pourvu que Dieu soit glorifié, qu’importe à quel prix.

Tout est-il en paix à présent dans la famille du p[etit] m[aître] ? Je le souhaite et que personne ne prenne le change. Ayez bon courage, je vous en conjure, et ne vous laissez pas abattre. Il faut que le fléau sépare la paille du bon grain. Dom. est-il revenu à Paris ? Le G.E. [Gros Enfant : La Pialière] est-il ferme, et tout va-t-il selon le Seigneur ? Je crains fort le respect humain pour certaines gens que vous connaissez, surtout la mère de l’aum[ônier][Mme de Charost]. Pour moi, je suis entre les mains de Dieu : Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Ne pourriez-vous m’envoyer le livre en question par l’homme qui vous porte celle-ci ? Il est sûr.

Voilà mes petites litanies que je fis avec les chansons3. Si je reste ici, je pourrai vous donner de temps en temps de mes nouvelles. Si j’en sors,

1Suspect de quiétisme, le P. Alleaume fut exilé de Paris. V. Index.

2Cf. Luc, 22, 31.

3S’agit-il du manuscrit en très petits caractères de poèmes écrits en réclusion, inclus dans le recueil A.S.-S., ms. 2057 ? (Ils seraient donc composés avant l’embastillement ; nous en avons édité deux à la fin de la Vie, p. 1041).

je ne le pourrai, à moins de quelque nouvelle providence. J’eusse bien voulu que vous eussiez été informée des choses qui m’ont été faites, dans mon séjour de Vin[cennes], par ceux du dehors et du dedans, qui vous étonneraient sans doute. Mais je ne les écris pas, et je laisse tout écouler dans le sein [191] de Dieu, prêt à être le sujet, si l’on veut, d’une sanglante tragédie. Lorsque j’aib écrit, je croyais vous mander mille choses ; il ne m’est rien venu. Vous pourrez tout confier au Tut[eur] car il est très secret, et j’ai envie de savoir par vous de ses nouvelles. Plus les gens me coûtent, plus je les aime ; je plains votre sœur et je crains sa faiblesse. C’est à Dieu de garder ce qui est à Lui.

Il est vrai que je n’ai pas été trompée au succès du livre et que je crus bien, lorsque N. [f°171] m’en parla, qu’il serait mal reçu parce que le temps n’est pas propre pour cela. Je pensai même que M. de M[eaux] ne différerait l’impression du sien que pour voir quel cours aurait celui-ci et pour en tirer avantage. Mais tout cela ne me fit pas en avoir de peine, quoique je comprisse bien qu’il m’en coûterait quelques années ou mois de captivité. Je pensai que Dieu pourrait avoir en cela ou des desseins d’éclaircir la matière, parce que la nécessité obligerait peut-être à prouver par les autorités mêmes ce qu’on ne dit que par citation, ou bien des desseins de destruction, et tout est également bien, pourvu qu’Il Se glorifie Lui-même en nous.

L’aveuglement sur cette matière est si étrange que l’éclaircir, c’est aveugler. Les yeux malades se persuadent que la lumière est douloureuse et propre à aveugler davantage, quoique son caractère soit tout différent de cela. J’eus une impression que le grand-père [Louis XIV] mourrait entre cy et le mois de septembre. J’en dis quelque chose au N. [le curé] avec ma simplicité. La chose n’arrivera pas, je crois, car cette impression m’a paru peut-être un tour de Bar[aquin] pour me décrier dans l’esprit de N. Je n’en ai point eu de peine, et s’il m’arrivait d’être trompée, je crois que je n’en aurais point. S’il m’arrivait encore de pareilles choses et que j’eusse un pareil mouvement, je les dirais de même. Mais N. est bien éloigné de comprendre cette simplicité. Je lui ai parlé avec bien de la confiance, c’est-à-dire que je lui ai dit des choses qui me regardent, mais ni il n’entre en rien et ne comprend pas même ce que je lui dis, ni mon cœur ne correspond pas à cela, car je ne puis parler que légèrement, et des choses de ma jeunesse. Mais comment parler lorsqu’on ne vous entend pas, et même qu’on ne vous écoute pas, faute d’intelligence?

Je crains, en vous envoyant cet homme de temps en temps, que votre domestique ne soupçonne quelque chose. Avez-vous dit que [f°171v°] vous avez mis une lettre dans la bourse ? Je le dirai si vous l’avez dit, sinon je ne le dirai pas, car il m’a envoyé le paquet tout cousu : cela est bien commode et bon à lui. Je crois qu’il voudrait peut-être bien mieux faire, mais qu’il n’en est pas le maître. Pour les filles d’ici, leurs supérieurs [sic], leur générale, leurs protecteurs, tous sont intimes ou pénitents du P. de l[a] m[othe]4. On ne peut les traiter plus honnêtement que je fais, elles ne laissent pas de me regarder comme un démon. Mes honnêtetés leur sont suspectes : c’est pour les gagner. M. de P[aris] les a été voir et leur a dit qu’elles avaient plus de courage et de lumières que toutes les autres [192] religieuses pour ne se pas laisser tromper ni gagner. Tout cela n’est rien.

Je voudrais, avec mes peines, avoir celles de N. Comment prend-t-il cela ? Est-ce avec peine ou hauteur, ou avec petitesse et sans découragement ? Je prie Dieu qu’Il soit sa force et la nôtre. C’est ici le temps de l’affliction, du trouble et de l’incertitude. Le P[ère] arc[hange ?]5, quel personnage fait-il ? Vos parents en sont-ils contents ? Heureux qui persévérera jusqu’à la fin. Il n’y a plus de justice ni de vérité dans le monde, le courant entraîne : vouloir s’y opposer, cela est impossible. Souffrons tant qu’il plaira au Seigneur. Tout ce qu’on fait va toujours de mal en pis. Dieu est jaloux, Il veut tout faire par Lui-même : laissons-Le faire. Soyez persuadé que je vous aime tendrement. Mandez-moi la situation de N. [Fénelon] dansc tout ceci, car Dieu en lui est plus que tout. S’il commence comme Job, il pourra achever comme lui. Est-ce malice ou accident qui a mis le feu chez lui ?

Depuis ceci écrit, N. [le curé] m’est venu voir, qui m’a dit le contenu du livre. Je vous avoue que j’en suis affligée, car il ne peut servir aux bonnes âmes n’étant pas selon leurs expériences, et il nuit beaucoup à l’auteur et à la vie intérieure. Mais Dieu l’a permis. Je crains qu’il ne l’ait fait par quelque politique et que Dieu ne l’ait pas béni. Mais quoi qu’il en soit, il faut [f°172] faire usage de tout. M. d[e] M[eaux] est dans un déchaînement affreux, qui dit qu’il le va pousser à toute extrémité, se promettant de le faire condamner à Rome. Il faut tout abandonner à Dieu. N. m’a dit de ne point vous écrire à l’avenir en vous donnant des commissions. Sa situation sur N. [Fénelon] ne me plaît pas : il croit que N. [Fénelon] a pris des matières de M. d[e] M[eaux] et s’en est servi, qu’il n’a pas voulu approuver le livre de M. d[e] M[eaux], ce qu’il aurait dû faire, que c’est ce qui indigne M. d[e] M[eaux] contre lui, qu’il ne se relèvera jamais de cela, qu’il est perdu et le reste. Pourvu que Dieu soit glorifié, il n’importe, et ce sera par sa destruction. J’ai dit à N. que

4On connaît les agissements de ce dernier envers sa demi-sœur et le P. Lacombe qui appartenait au même ordre religieux des barnabites (v. Vie, début de la troisième partie).

5Attribution incertaine. Un indice : ce religieux est en service auprès de la famille de la petite duchesse.

vous m’avez écrit, car comme les choses ne viennent pas directement, ces filles auraient vu une lettre dans la bourse et le lui avaient déjà dit. Il faut se priver de cette consolation. Mais bon courage ! M. de P[aris] dit que M. de C[ambrai] condamne entièrement mon livre dans tout le sien, et qu’il ne l’a fait que pour faire voir qu’il me condamnait, etc. Ne témoignez rien de ceci à N.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°170] - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [190]. - L’accord est excellent entre Dupuy et La Pialière : nous avons relevé, sur ce long texte, une seule et légère correction par Dupuy, absente de La Pialière, v. la variante « b ».

a N. (le curé add.interl. de la main de la table des abréviations qui termine le ms.) m’a

bje vous ai Dupuy

cde N. (S.B. add. interl.) dans

389. A LA DUCHESSE DE BEAUVILLIER. Mars 1697.

Je ne sais pourquoi vous croyez que je n’aime plus L B [Beauvillier], car je l’aime fort ; mais c’est qu’il ne me vint alors à vous parler que du T[uteur][Chevreuse], pour lequel je trouvais un goût particulier. Il n’y avait rien que de très édifiant dans les lettres du P[ère] L[a] C[ombe] : il m’invitait à aller aux eaux qui sont près de lui ; ensuite, après avoir témoigné la joie qu’il aurait de me voir, il ajoutait qu’il ne serait pas fâché de voir Famille ; ce mot leur avait paru un mystère exécrable et digne du feu, mais lorsqu’ils surent, par les preuves que je leur en donnai, que c’était le nom de ma femme de chambre, ils furent étonnés. Et c’est cela seul qui avait fait dire que c’était des lettres effroyables. Toutes les peines qu’on m’a faites n’ont roulé que sur ce mot : «  La petite Église d’ici vous salue, illustre persécutée1 ». J’avais plus de peine de la peine que vous pouviez avoir que de ce que je souffrais.

J’ai lu le livre2 avec respect et satisfaction, j’y trouve peu de [193] choses à redire. On se pouvait peut-être passer de mettre quelque chapitre

1 Lettre du 10 octobre 1695.

2 L’Explication des maximes des saints sur la vie intérieure de Fénelon traite « toute la matière par articles rangés suivant les divers degrés que les mystiques nous ont marqués dans la vie spirituelle. Chaque article aura deux parties. La première sera la vraie […] La seconde partie sera la fausse, où j’expliquerai l’endroit précis où le danger de l’illusion commence. » (Avertissement, Œuvres I, 1983, p. 1006) – Le faux est en effet très poussé dans les secondes parties, comme va le faire remarquer Madame Guyon.

des épreuves3, mais aussi peut-être cela était-il nécessaire. Je trouve en quelques petits endroits le faux trop poussé, et qu’il peut causer bien de la peine à quelques âmes timorées. Je trouve encore qu’il est trop concis en bien des endroits qui auraient besoin de plus d’explication. Tout en gros, je le crois très bon et que les crieries viennent de l’ennemi de la vérité. A Dieu ne plaise que je me plaigne d’y être condamnée en quelques endroits, puisque outre que la condamnation n’est pas formelle, Dieu sait que je voudrais de tout mon cœur, pour le bien de l’Église en général et pour l’utilité des particuliers, être condamnée de tout le monde. Dieu connaît la sincérité de mon cœur. Je peux m’expliquer mal, étant une femme ignorante, mais plutôt mourir que de croire mal et de ne pas soumettre toute expérience à ceux qui doivent juger de tout, et surtout à une personne pour laquelle j’ai tant de respect. Je n’ai jamais été arrêtée à mes pensées, je les ai expliquées le moins mal que j’ai pu, mais j’ai toujours été pressée de les condamner dès qu’on m’aurait dit que je me serais méprise, sans même exiger qu’on me montrât ces méprises. Voilà, devant Dieu, quels ont toujours été et quels seront toujours, s’il plaît à Dieu, mes sentiments : prête à tout et prête à rien. Je prie Dieu qu’Il inspire à l’auteur d’ajouter et d’éclaircir ce qui sera pour Sa gloire, et qu’en nous enseignant le pur amour, il n’y mêle jamais ni politique ni propre intérêt ni considération humaine ; il doit bannir tout cela de sa conduite comme il le bannit de l’amour pur. Je prie donc Dieu de tout mon cœur qu’Il Se glorifie toujours en lui et par lui.

Je crois vous devoir dire le contenu des lettres du P[ère] L[a] C[ombe]. Il y avait qu’une fille, nommée Jeannette, était toujours à l’extrémité, qu’elle avait eu de moi une connaissance si intime, selon ce qu’ils m’avaient mandé ; sur cela, on veut m’obliger à dire ce que c’est que cette connaissance et ce qu’on m’avait mandé. Je refusai constamment de le dire, mais M. de la Reynie me poussant à bout, je lui dis que je ne refusais de le dire que parce qu’il m’était avantageux ; il me dit : « Mais on vous y force, et on vous l’ordonne » ; alors je lui dis qu’elle avait connu que j’étais bien chère à Dieu. Quoique je ne dise que par force et la moindre des choses qu’elle disait, M. Pyrot [Pirot] m’en fit un crime de Lucifer, et encore d’un songe rapporté dans ma Vie, de la chambre de l’Epoux trouvée sur la montagne.

M. de la Reynie ne me fut contraire que lorsqu’il eut vu cet endroit : « Les jansénistes sont sur le pinacle, ils ne gardent plus de mesure avec moi », et M. Py[rot] me fit entendre que j’étais à leur discrétion, assurant que M. de la Reynie ne ferait paraître [194] que ce qu’ils voudraient,

3 Ainsi l’article IX de l’Explication traite des « épreuves extrêmes ».

qu’il avait été domestique de la maison d’Epernon, qu’une dame de ce nom, qui est aux carmélites et qu’il élevait au-dessus des nues à cause de sa constance à ne rien signer, avait tout pouvoir sur lui, m’insinuant doucement, pour m’accuser ensuite de rébellion, que les grandes âmes se signalaient à ne rien signer. Je lui dis que je faisais gloire de marquer ma simplicité par ma soumission, et non ma grandeur d’âme par la révolte. Ensuite il ne m’épargna plus, et me demanda des signatures infâmes que je ne pouvais faire ni en honneur ni en conscience. Mais il n’y avait pas la moindre chose qu’on pût reprendre dans les lettres du P[ère] L[a] C[ombe] : s’il y avait eu la moindre chose, on ne m’aurait pas épargnée.

Il y a deux endroits qui me font de la peine, et je porte impression que ceci va avoir des suites fâcheuses. Je prie Dieu que tout tombe sur moi. Il fallait omettre de parler des prières vocales d’obligation, mais le plus fâcheux, c’est l’endroit de l’épreuve de pure foi où il exclut possessions et obsessions : cela fait croire mille choses fausses. L’on ne peut même expliquer cela sans accroître la prévention4, et si tout eût été confondu, les hommes en sont plus capables.

Il me paraît qu’il y a un amour sans raison d’aimer, ou qui n’en peut rendre aucune : elle aime parce qu’elle aime, elle ne songe ni à beauté ni à bonté, elle est enivrée d’une totalité qui absorbe toute distinction spécifique car Celui qu’on aime est au- dessus du beau et du bon.

Je n’ai pu me résoudre de garder le livre plus longtemps : je vous le renvoie. Soyez persuadée de mon affection. N. [le curé] vient de sortir, il m’a dit d’abord : « M. [la petite duchesse] vousa mande que les bruits du livre s’apaisent un peu ». Mais c’est pis que jamais, les choses seront poussées à toute extrémité. Je viens de dîner avec M. de Blois5 et M. Brisacier, mais M. d[e] M[eaux] fait un livre qui sera approuvé de tous. Je sais ce que m’a dit madame la princesse6. J’ai cru devoir vous renvoyer le livre, et ceci crainte d’accident. Je crains fort votre domestique. Je vous ai envoyé une petite croix et le portrait de M. de M.7

4Madame Guyon craint que l’on soit trop prévenu contre l’état de pure foi et que les hommes en deviennent moins capables. On ne peut expliquer les dangers attachés à cet état sans créer des malentendus chez ceux qui n’en n’ont pas fait l’expérience.

5Bertier (1652 – 1698), nommé le 22 mars 1693 à l'évêché de Blois nouvellement créé, ami de Fénelon. v. Index.

6Indéterminée.

7Ces initiales désignent habituellement M. de Meaux : Madame Guyon eût-elle conservé le portrait de Bossuet ? Il s’agirait du tableau offert dans la lettre à Bossuet, vers le 10 janvier 1695, qu’il lui aurait renvoyé.  Ce tableau, selon Deforis, représentait une Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras. Ce qui expliquerait que : « Ni Bossuet, ni Phelipeaux, dans leurs Relations, ni Mme Guyon dans sa Vie, n’ont parlé de ce cadeau. [UL] ». Il peut aussi s’agir d’un portrait de M. ou Mme de Mortemart ?

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°172] qui sépare nettement de la lettre précédente par son indication habituelle de date, attachée à la fin de la lettre - A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [192] : à la suite de la lettre précédente dont elle est seulement séparée par le sigle : « $ ». Les deux lettres ont-elles été envoyées ensemble ? – Fénelon 1828, tome 9, en note 2 à la lettre 403, p. 80-81, reproduit de longs passages de cette seconde lettre, comme « lettres à la duchesse de Beauvillier » : il est probable que les deux lettres firent partie du même envoi, la première adressée à la « petite duchesse », la seconde à la duchesse de Beauvillier, d’où son début : « Je ne sais pourquoi, vous croyez que je n’aime plus L B [Beauvillier], car je l’aime fort. »

a M. [la pd add.interl.] vous

390. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

Je suis trop en peine de l’état des personnes et des affaires pour ne vous pas demander des nouvelles. Je suis tout à fait affligée, et je ne trouve rien de plus dur au monde que d’être obligée de se confesser à un homme qui vous opprime et se déclare [f°176] le plus cruel ennemi : on ne me traite que de scandaleuse, d’hypocrite, de sorcière. Tout ce que la gantière dit a un air de vérité, à ce qu’on dit, dont on ne peut douter. J’ai fais des crimes horribles en Bretagne où je ne fus jamais, et cela me sera soutenu. On récompense ceux qui me maltraitent. Que ne me fait-on mon procès ? Je l’ai tant demandé. Je sais que je dois tout attendre des faux témoins, mais qu’importe. La mort me serait un gain1.

Je ne sais si vous êtes informée d’un artifice le plus étrange du monde. Un certain père de St La., ami du c[uré] de V[ersailles][Hébert], que le tut[eur] connaît de réputation, est venu en cour en habit séculier, s’est fait nommer le m. S. - il s’appelle S. - ; a fait des prophéties au R[oi]a ; il s’est informé auparavant de choses secrètes passées. Le passé qu’il a dit a donné crédit au futur, et tout gît à détruire N N., à m’imposer des crimes qu’on a connus par révélation, à installer la dem[ois]elle La Croix. Il a parlé, il a été écouté, et on se sert de cela pour m’opprimer. Nous voilà dans un étrange temps. Pourvu que Dieu soit content, il n’importe.

Les outrages de N [La Chétardie] me sont plus sensibles, car il veut une confession et m’exhorte à déclarer mes crimes et mes sortilèges. En vérité, si j’étais ce qu’il dit, je me tirerais de ses mains. Les railleries piquantes qu’il fait sur ceux qui me touchent, m’affligent plus que tout. Il dit qu’il s’était tenu suspendu jusqu’à présent. Je vous avoue que je trouve une espèce d’impiété à vouloir me confesser sans me croire ; ou qu’il me

croie ou qu’il cesse de me confesser. Je ne crois pas que j’eusse jamais pu tomber en de plus mauvaises mains. C’est un homme plein de cautèle2, auquel les plus fameux J[ansénistes] vont. Il me veut persuader que M. B[oileau] est de mes amis, un homme plein de charité, il confesse ses pénitentes [f°176v°] et entre autres, Mad[ame] d’A. On voulait qu’elle me vît, on avait quelque dessein en cela ; je ne sais si on le fera. Enfin, je suis à présent plus criminelle qu’on ne peut dire, et on a eu grand tort de me tirer de Vincennes. On fait tous les jours cent suppositions. Si tout tombait sur moi, à la bonne heure ! Les artifices et les intrigues des J[ansénistes] est horrible. Je ne sais si je puis avec honneur et en conscience continuer d’aller à confesse à N.[le curé] : il affecte de me confesser, sans me laisser communier, pour donner à connaître qu’il agit avec connaissance de cause. Mandez-moi, je vous prie, comme tout se passe, et priez le bon Dieu pour moi : qu’Il ne retire pas Sa force, ou bien, s’Il veut que je sois faible, que Sa volonté soit faite. Depuis ma lettre écrite, N. a envoyé un homme à lui avec les parents de la petite Marc pour me l’enlever, mais elle a fait des si grands cris qu’ils n’ont osé en parler pour le faire. La fille qui me garda, connivant3 avec eux, avait fait venir adroitement la petite Marc …b je redoute de lui parler et l’avait enfermée sous la clef dans sa chambre de peur que Manon ne fût à son secours ; elle l’a fort sollicitée à me quitter. Après des choses comme celles-là et celles qui se sont passées, puis-je en conscience me confesser à lui ? Consultez le b[on : Beauvillier] et me répondez : vous ne me répondez point sur ces choses.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°175v°] : « mars 1697 ».

a R inversé.

b Un mot rayé.

1Phil., 1, 21.

2Cautèle : « Prudence rusée » (Rey).

3 De connivence.

391. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

J’avais résolu de ne plus écrire après la réponse que l’homme [me] dit de bouche1 que vous aviez faite, qui était qu’il ne revînt plus, mais je la crois nécessaire. J’ai eu beaucoup d’inquiétude, ne sachant si l’homme avait porté la lettre, car j’ai peine à comprendre qu’ayant le cœur comme vous l’avez, vous m’eussiez congédiée sans me dire par écrit un mot des raisons que vous en avez. Faites-moi donc la [f°177] grâce de me faire un mot de réponse, je vous en prie, sur ce qui se passe.

Vous saurez que les deux hospitalières2 sont venues, contre l’ordinaire, me voir bien des fois de suite, me mettant toujours sur les questions les plus outrées du janséni[sme], comme me disant par exemple que l’Église était dans un relâchement effroyable, qu’on ne faisait plus de pénitences publiques, et beaucoup d’autres choses. Je dis que l’Église avait ses raisons pour changer de conduite suivant les besoins, qu’il fallait en tout la respecter. Enfin, après bien des poursuites, ils ont connu que je n’étais pas pour cette secte et c’en a été assez. Ils en usent plutôt comme des comites3 que comme des hospitalières ; non contentes de cela, on a fait venir une créature de je ne sais où, qui était en conférence avec elles. Dès qu’une de mes filles la vit, elle s’enfuit et rougit beaucoup, elle ne put voir son visage à cause que le soleil lui donnait en plein sur les yeux. Sitôt que cette créature fut partie, elle s’en fut dans tout le village dire qu’elle m’était venue demander de la part de gens de qualité, afin que cela fît éclat. Ensuite cette supérieure envoya quérir Manon4, c’était le jour de Pâques, disant qu’elle s’allait plaindre et que l’on faisait venir ici des personnes afin de leur parler, qu’elle était sûre que c’était sa sœur, qu’elle lui ressemblait, etc., faisant des grandes plaintes avec des menaces et des emportements fort grands, qu’elle n’avait que faire d’être géhennée à cause de nous. Manon lui répondit fort honnêtement, puis elle me vint dire toutes les menaces qu’on lui faisait. Je lui mandai par elle qu’elle ferait telle plainte qu’il lui plairait, que je n’avais rien à craindre dans toute mon affaire par rapport à la vérité, mais bien par le contraire. L’autre dit que ces discours ne me justifiaient pas. Ensuite elle est allée [f°177v°] à Paris porter son paquet, où elle a été deux jours. Pour moi, je n’ai rien dit ni témoigné aucune peine, je n’en ai pas écrit un mot à N., quoiqu’on m’ait fort menacée de lui. A des artifices de cette nature, on ne doit répondre que par le silence. Cette fille est d’un emportement et d’une déraison outrée, et par-dessus entêtée de jansénisme. Je suis résolue de tout souffrir jusqu’au bout sans dire rien, et je crois triompher par là de l’artifice. Des créatures, on est bien exposé à tout ; ce n’est pas comme dans un couvent où il y a toujours

2Sœurs hospitalières de la communauté des sœurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve : dans une lettre précédente de novembre 1696, Madame Guyon dit : « cette [sœur] hospitalière me rend auprès de lui [le curé] tous les mauvais services qu’elle peut. Elle s’ennuie ici où elle est seule, et me brusque à tout moment… »

3 Comite : officier préposé à la chiourme d’une galère. (Littré qui cite Saint-Simon).

4 Manon, appelée Famille : Marie de Lavau, très fidèle fille au service de Madame Guyon.

des personnes droites, mais deux filles de rien gagnées et qui font gloire de s’établir en me maltraitant.

N. vint jeudi, il me parla avec beaucoup d’éloges du livre de monsieur de Meaux, qu’on me le ferait voir, et avec beaucoup de mépris de celui de M. de C[ambrai]. Je lui dis que je croyais que le dernier était bon, par le soin qu’on avait de me le cacher, cela en riant. Il me dit toujours que je serais en liberté sans le livre. Je répondis que je ne demandais rien, que ma liberté était entre les mains de Dieu. Je ne sais quel est leur dessein en me faisant traiter ainsi par ces filles, mais Dieu est le maître : pourvu qu’il me donne la patience, cela me suffit. Il me dit que j’étais une présomptueuse, que je devais trembler d’avoir renversé l’Église par mes livres. Je lui dis que mes livres n’avaient fait de mal que celui qu’on leur avait fait faire, et qu’ainsi je ne prétendais pas me remplir la tête de scrupules, qu’il me laissât au moins la liberté, parmi tant de peines, de penser que je n’avais rien voulu faire que pour Dieu.

C’est une chose étrange que je me meurs toutes les nuits, et le jour je vais médiocrement bien. Je ne sais à quoi Dieu me réserve. Si la fille qui est venue n’est pas de leur part, il faut qu’ellea soit d’elle-même bien mauvaise pour faire de pareils tours. Faites-moi [f°178r°] le plaisir de vous en informer sous main. Après tant d’éclat, N. [le curé] ne manquera pas de vous en parler. Un mot de réponse, s’il vous plaît. N. me dit encore, en me parlant de M. de C[ambrai] : « Il a parlé, il a écrit, il a imprimé, et c’est plus qu’il n’en faut », et cela en se moquant. Il me dit qu’on avait envoyé son livre à Rome et que, dans la disposition où était le Saint-Siège sur ces matières, on ne doutait point qu’on ne le fît condamner facilement, que pour lui, tout ce qu’il en avait lu lui déplaisait.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°176v°].

a il faut ou qu’elle : nous supprimons le « ou » qui suppose une alternative.

1Sens : « …que l’homme [me] dit oralement, que vous aviez… » Nous adoptons cette interprétation, introduisant « [me] ».

392. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

Je vous écris encore cette lettre, ne sachant pas si, après les violences qu’on exerce sur moi, je le pourrai encore faire. Ce sont des traitements si indignes qu’on ne traiterait pas de même la dernière coureuse. Cette créature fut hier dans ma chambre pour en faire condamner la seule fenêtre dont je peux avoir de l’air. On m’a réduite à une seule chambre où il faut faire la cuisine, laver la vaisselle. Je l’ai laissé tout faire sans dire un mot. La fille qui était dans la chambre, car j’étais descendue dans le jardin, lui dit qu’elle ne souffrirait pas qu’on me fît étouffer dans ma chambre, que je n’y étais pas et qu’elle ne pourrait permettre qu’on la condamnât. Elle vint avec une fureur de lionne me trouver au jardin. Je me levai pour la calmer, elle me dit : « J’étais allée faire condamner votre fenêtre, et une bête s’y est opposée, mais l’on verra ». Je lui répondis fort doucement et en lui faisant honnêteté que, lorsque N serait venu, je ferais aveuglément ce qu’il me dirait, et que c’était l’ordre que l’on m’avait donné de lui obéir dans le moment. Criant comme une harengère, tenant une main sur son côté et l’autre qu’elle avançait contre moi en me menaçant, elle me dit : « Je vous connais bien, je sais bien qui vous êtes et ce que [f°178v°] vous savez faire ». Remuant toujours la main levée contre moi : « Je suis bien instruite, vous ne me croyez pas aussi savante que je suis ». Je lui dis, toujours du même ton d’honnêteté, et levée devant elle, que j’étais connue de personnes d’honneur. Elle se mit à crier, avec une servante à elle qu’elle avait amenée : « Vous dites que je ne suis pas fille d’honneur ! ». Je lui dis, sans hausser la voix : « Je dis, mademoiselle, que je suis connue de personnes d’honneur ». Elle se mit à crier plus fort qu’elle me connaissait bien, que je ne croyais pas qu’elle fût si savante sur tout ce que j’avais fait. Je lui dis : « Mademoiselle, je dirai tout cela à N. [le curé]. - Je ne vous conseille pas de lui dire, me répondit-elle ; si vous le lui dites, vous vous en trouverez mal et je sais ce que je ferai ». Je lui dis : « Mademoiselle, vous ferez ce qu’il vous plaira. » Elle fit un vacarme de démon. Et lorsqu’elle voit qu’on ne lui répond rien, elle crie qu’on se veut faire passer pour des saintes, pour obliger de lui dire quelque chose. Elle envoya quérir un homme pour condamner non seulement la fenêtre, mais la porte. Je lui envoyai dire qu’elle pourrait faire condamner toutes les portes, que cela m’était indifférent, que pour la fenêtre, il fallait attendre que N. [le curé] fût venu. « Non, non, dit-elle, on a refusé et [ce] qui est dit est dit ; on verra une géhenne ici ; on n’avait que faire d’y venir ; j’ai de bons ordres ». Manon lui dit : « Si vous avez quelques ordres, montrez-les, mademoiselle, et on les suivra ». « Non, non, je ne les veux pas montrer. » Et [elle] fit toujours les mêmes menaces. Elle s’est mise en tête que je mangerai ses fruits quand ils seront mûrs ; je lui ai fait dire qu’on n’en détachera pas un seul et qu’elle en soit assurée. Elle dit qu’elle sait cultiver le jardin et qu’on en a le plaisir, [f°179] qu’on n’a que faire de cela ; le jardin est en friche, il n’y a que des choux et des poireaux ! On ne lui répond rien, elle crie et fait l’alarme toute seule. J’ai écrit à N. [le curé] pour le prier de venir, car après le tour qu’ils ont fait de faire venir chez [moi] une créature qui criait qu’elle me venait voir de la part de gens de qualité, toutes les menaces qu’elle fait et ajoutant comme si j’avais fait ici des crimes horribles dont elle est bien informée1, je m’attends à tout ce qu’il y a de pis. J’ai traité, depuis que je suis ici, cette fille avec une honnêteté la plus grande du monde, lui donnant tout ce qui lui a fait quelque plaisir. Je ne lui ai jamais dit une parole.

Cela ne se fait pas sans dessein : on veut m’ôter d’ici et m’enfermer en quelque lieu inconnu, ou m’obliger à me plaindre ou à me fâcher ou à demander quelque chose. Mais j’espère que Celui pour lequel je souffre me donnera la patience. Je n’ai pas le moindre trouble de tout cela, il ne m’arrivera que ce qu’il plaira à Dieu. Plût à Sa bonté que je fusse Sa juste victime. Ils ont d’abord fait courir le bruit que je me voulais faire enlever, qu’il était venu pour cela des hommes à cheval. Ensuite elle m’a fait confidence qu’on me voulait faire enfermer à la Miséricorde. Elle m’a poussée par mille emportements à toute extrémité, sans que j’aie fait un mot de plainte. Je n’en ai pas encore parlé à N. [le curé]. Ainsi je m’attends à tout. J’ai bien cru, lorsqu’on me mettait dans une maison comme celle-là, composée de deux personnes, qu’on avait dessein de m’en imposer, mais Dieu sur tout. Il y a apparence que vous n’entendrez plus parler de moi, mais en quelque lieu qu’on m’enferme, nous n’en serons pas moins unies en Jésus-Christ. Il faut que le règne de la puissance des ténèbres ait tout le temps que le Seigneur lui a permis.

Je vous [f°179v°] embrasse de tout le cœur. Recevez ces dons du St Esprit. Je ne garde pas vos lettres [un] demi-quart d’heure ; on ne m’en trouvera point. Si N. vous dit qu’on m’accuse de bien des choses dans cette maison et qu’il ne s’en veut plus mêler, dites-lui qu’il ne croie pas sans venir soi-même en savoir la vérité, et cela comme de vous. Elle dit encore à Manon : « Puisque vous n’exécutez pas mes ordres, je ne vous en donnerai plus, mais vous verrez », avec une hauteur horrible. Mais comme j’avais défendu de lui répondre, elle ne dit rien. Elle me dit que je lui avais mandé des impertinences en lui faisant dire que je ne pouvais craindre la vérité, que dans toute mon affaire d’un bout à l’autre, je n’avais à craindre que le mensonge et qu’ainsi elle écrirait ce qui lui plairait, que Dieu serait notre juge. C’est une créature d’un emportement, qui jure comme un charretier, une basse bretonne. Vous devriez aller voir N. [le curé] : comme il est assez facile à dire2, il vous dira peut-être quelque chose. Je crois qu’on me veut enfermer ici et faire croire que je suis ailleurs. Plus on me cachera aux hommes, plus Dieu me voit.

Un procédé de cette violence justifierait un coupable ; comment ne fera-t-Il pas connaître l’oppression d’une innocente, trop heureuse d’imiter notre Maître, jusqu’à mourir même.

1Nous transcrivons exactement cette phrase obscure, éclairée quelque peu par le début de la lettre suivante. Noter une lacune probable que nous indiquons par les points de suspension (absents chez Dupuy).

2Le curé parle facilement.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 178].

393. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

Depuis ma lettre écrite, j’ajoute que la fille fit tant de bruit en disant des injures et prenant des témoins pour les dire, sans qu’on dise autre chose, sinon que Dieu serait notre juge, menaçant de tout ce qu’il y a de pire, qu’un homme dit : « Il faut que ce soit des coureuses1 qu’elles tiennent là enfermées ». Je crus être obligée d’envoyer prier N [le curé] de venir. Il vint, je lui dis qu’en vérité, c’était bien assez d’être renfermée sans entendre des injures atroces. Je lui contai le fait et lui dis que si j’étais [f°180] coupable, qu’on me fît mon procès, mais que d’entendre des infâmies de cette nature qu’en vérité cela était odieux. Il fit semblant d’être fâché, puis sortit pour leur aller défendre de me plus injurier, à ce qu’il dit. Il revint et me dit que je n’avais nulle confiance en lui. Je lui répondis qu’on m’avait si fort menacée que, si je me plaignais à lui, que je m’en trouverais mal, qu’il m’était aisé de voir qu’on avait commencé l’effet de la menace. Il me dit ensuite : « M. l’arch[evêque] de Reims a juré sur les Evangiles que N. [Fénelon] vous était venu voir ici ». Je lui dis qu’on le connaissait bien mal de juger cela de lui, et par-dessus cela il ne l’avait pu faire. Ensuite il dit qu’il était chassé de la Cour et bien d’autres2, me fit entendre que, n’ayant plus de protecteurs, que je me devais attendre à tout, qu’on avait fort trouvé à redire que M. l’arch[evêque] de P[aris] m’eût fait sortir de Vincennes, qu’on disait ouvertement que j’étais bien là. Je lui dis que j’étais prête à y retourner si l’on le souhaitait, que je n’étais pas plus renfermée qu’ici, et que j’y étais à couvert des suppositions de ces prétendues visites ; que je ne demandais nulle grâce, étant résolue de tout souffrir pour Dieu à quelque extrémité qu’Il pût aller, que je voudrais être la seule victime.

Ensuite il se radoucit, disant qu’il voulait me communier, que pour cela il était obligé de dire du mal de moi, et que M. de Meaux avait dit : « Voilà un homme, celui-là ; on ne la pourrait mettre en de meilleures mains ». Il m’assura qu’il me protégeait contre la tempête et

1Fille ou femme de mauvaise conduite (7e sens figuré, Littré).

2 Lorsque Fénelon fut envoyé à Cambrai on chassa des emplois de la Cour d’autres personnes moins considérables, dont Dupuy.

témoigna qu’il adoucirait tout, mais il désirait un témoignage de moi comme il avait de la charité. Il fit bien des personnages. Je lui écrivis une belle lettre de remerciement. Ensuite il fit condamner ma porte et voulut en faire autant de la fenêtre, mais lui [f°180v°] ayant fait voir qu’il fallait étouffer si l’on m’ôtait l’air, on l’a condamnée avec des treillis de fer. Dieu qui n’abandonne pas tout à fait, a fait trouver un trou par lequel ces bonnes gens qu’on envoie vers nous, ont témoigné qu’ils nous serviraient jusqu’à la mort. Ils sont pleins d’affection et sans nous, ils auraient quitté la maison, car ils sont bons jardiniers et ils font cela en tournée. Il y a ici un des prêtres qui dit me connaître et avoir une extrême affection de me servir : c’est un homme intérieur ; il les encourage, quoiqu’ils n’en aient pas besoin. Dans le tintamarre qu’ils ont fait, il m’a écrit pour me témoigner son zèle et combien il est touché d’un pareil procédé. La rage de cette fille vient de ce qu’une autre, qui a demeuré ici avec elle au commencement, et contre laquelle elle a une haine et jalousie horribles, paraît être affectionnée pour moi et en dire du bien en toute rencontre. Cela l’a aigrie contre moi. Quand elle me fait faire des honnêtetés par les sœurs qui viennent de Paris, je lui en fais aussi. Elle devient comme un lion. Les autres me témoignent à l’envie, lorsqu’elles en trouvent l’occasion, qu’elles sont bien fâchées des manières d’agir de cette fille, mais que c’est son humeur, personne ne pouvant vivre avec elle. Je ne leur en dis pas un mot, parce que ce que je dirais affaiblirait ce qui se voit. En vérité, de pareilles violences justifieraient un coupable ; comment n’appuiraient-elles pas le bon droit d’un innocent ?

N. n’a plus en bouche que M. de Chartres : c’est l’homme incomparable ! Pour moi je vois M. de C[ambrai] comme un second saint Jean Chrysostome dans toutes les circonstances ; je prie Dieu qu’Il lui en donne le courage, et à nous celui de persévérer jusqu’au bout. Faites amitiés à ces bonnes gens : je leur ai bien de l’obligation. Il faut que ce soit le Bon Dieua qui leur donne tant d’affection, ne pouvant, en l’état où je suis, [f°181] leur faire du bien. Je suis très contente et n’ai jamais été plus en paix. On m’enferme à mes dépens. C’est de mon argent qu’on paye les chaînes dont on me captive, et les murailles pour m’enfermer.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°179v°].

abon dieu : Dupuy ne met très généralement aucune majuscule, même à Dieu.

394. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

Il est de conséquence d’éclaircir plutôt le livre1 que de l’abandonner. Il est de l’intérêt de la vérité de tendre toujours à l’éclaircissement et à l’explication. C’est de cette manière et par ces sortes de disputes qu’on a donné le jour à la vérité ; je suis sûre que c’est tout ce que les ennemis craignent. Mais si l’auteur a de la fermeté, il faudra bien qu’on en passe par là, puisque c’est un parti qu’on n’a jamais refusé dans l’Église. Si vous avez encore quelque crédit, faites que l’on le prenne et qu’on ne se relâche jamais là-dessus ; c’est à présent qu’il faut faire voir sa fermeté et la fidélité de l’amour. Je vous conjure par les entrailles de Jésus-Christ qu’on n’abandonne pas le livre, mais qu’on l’éclairasse2. Dites-le au b [Fénelon].

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°181].

1L’Explication des maximes des saints de Fénelon.

2  « …dès la fin d’avril 1697, la Première réponse […] aux difficultés de l’évêque de Chartres évoquait l’introduction de « correctifs » […] Fénelon ajoutait de nouvelles corrections. Les dossiers, conservés aujourd’hui en partie, ne furent jamais publiés… » (Fénelon, Œuvres I, 1983, « notice » par J. le Brun, p. 1541.) – « Une partie des corrections est représentée par l’introduction d’atténuations… » (id., p. 1543), conformément au souhait de Madame Guyon exprimé dans une lettre de mars : « Je trouve en quelques petits endroits le faux trop poussé… »

395. A LA PETITE DUCHESSE. 18 avril 1697.

Je ne suis point surprise qu’on ait fait tout cela à M. de V.1 et à Rema. Je lui ai mandé bien des fois que je craignais ce qui est arrivé. Elle m’a toujours dit que M. C.2 l’approuvait : elle est bonne, elle a beaucoup d’esprit et de savoir-faire. Ne lui dites point que vous avez avec moi nul commerce secret, je vous en prie, mais ce que vous lui dites, dites-le comme de vous-même. Ma pensée est qu’elle demeure chez mad[ame] puc3 tant que M. de V. n’y viendra point, et il est d’une extrême conséquence que M. de V. ne quitte point sa cure dans le temps où nous sommes. On ne la lui peut point ôter, et ce serait se déclarer coupable que de la quitter. Il faut souffrir et y demeurer ferme : c’est la seule manière de détruire la calomnie. J’ai pensé d’abord que M. Ol.4 ne faisait semblant [f°181 v°] d’approuver que pour avoir un prétexte spécieux de le perdre. Enfin, je demeurerais ferme dans ma cure. S’il quitte et s’il vient demeurer chez mad[ame] Puc., que Rem.5 quitte et prenne une petite chambre comme elle faisait autrefois. Il faut lui faire la charité, elle en a véritablement besoin. Ce n’est pas comme le ch., car elle n’a rien du tout. C’est à ces personnes qu’on doit borner la charité dans le temps où nous sommes. Ce sont ces fidèles qu’il faut soutenir. Vous pouvez la voir quelquefois, et c’est une fille qui a d’excellentes qualités. Un peu politique : cela est d’usage à présent. Mais ne la prenez point chez vous, ce qui lui ferait tort, et à nous. Elle peut demeurer inconnue aisément dans une petite chambre à Paris au cas que M. de V. vienne chez madame Puc, mais qu’ils ne demeurent pas ensemble : les soupçons et les jalousies de M. de V. vous causeraient toujours des affaires. Il s’est déclaré ouvertement contre moi lorsque je lui ai dit la vérité. Son amour-propre et l’estime de lui-même lui fait croire que tout ce qu’il ne pense pas est mal pensé.

Je prie Dieu qu’Il nous fasse entrer toutes deux en ce que je vous dis, car le pas serait glissant, mais je crois que Dieu nous le fera faire. C’est à présent, comme dans la primitive Église, qu’il faut soutenir ceux que la persécution afflige, trop heureux de partager les chaînes des captifs. Il est aisé de tromper madame de b. et de lui faire entendre que l’on se sert du nom d’anciens domestiques auxquels j’ai été trompée, mais que tout passe par N. Bab[et]2 et le chien3 peuvent faire bien du mal, mais je ne devinais pas ; j’ai cru toute autre chose et je sentais avoir obligation à des gens qui n’y avaient pas de part. N’ayant pas de robe et étant toute nue, j’ai pensé qu’on s’était servi de cette voie. M[adame] de b. me [f°182] paraissait la mère, etc., que vous jugezb assez. Le moyen d’éviter cela ? Qui a pu dire à bab[et] que j’ai eu une domestique de ce nom ? Et comment cela s’est-il pu faire? J’abandonne tout à Dieu. Je pense quelquefois qu’ils n’auront point de repos qu’ils ne m’aient fait endurer le dernier supplice, et je le regarde comme le plus grand bien. C’est le seul repos que j’aie ici.

Je crois devoir vous dire que je n’ai jamais conseillé à Rem. a de demeurer avec M de V. Ils étaient ensemble que j’étais encore à Meaux, et je ne le sus qu’après. Je mandais les inconvénients que je craignais,

3 Babet probable, surnom que nous retrouvons dans des lettres tardives, entre disciples de Madame Guyon alors résidant à Blois.

4Non élucidé.

on m’assura du contraire, comme je vous l’ai mandé. J’ai approuvé, sur les raisons qu’on me disait, ce que je ne pouvais empêcher ; cela est différent de le conseiller. Ceci entre vous et moi, dont vous ferez usage. Je me souviens d’une circonstance qui vous prouvera ce que je vous ai dit et qui vous remettra en voie : vous vous souviendrez peut-être bien qu’étant revenue de Meaux, nous envoyâmes quérir le Chi[nois] chez N., qu’elle m’apprit que Rem. était allée demeurer chez M de V., que j’en fus surprise, que le chi[en] me dit qu’ils en avaient écrit à Dom Al[leaume] qui l’avait approuvée après qu’elle lui avait exposé son attrait intérieur sur tout cela ; que j’acquiesçais à ces raisons, mais que je persistais toujours à dire qu’il fallait qu’ils prissent une vieille femme pour les servir, et pour cesser le scandale d’obliger le chi[nois], et même Dom Al[leaume], de leur en écrire. Je crois que nous pouvons remettre cela dans notre mémoire. Peut-être que s’ils l’eussent fait, la chose se serait passée plus doucement.

N. [le curé] sort d’ici, jeudi 18 ; il m’est venu défendre de communier de la part de N.6 Je lui ai dit que c’était ma seule force. Il n’est entré en nulle raison sur cela, et ensuite, prenant son sérieux, il m’a dit que la Maillard7 l’était venue voir, qui lui avait dit les choses avec des circonstances si fortes, assurant qu’elle soutiendrait tout en face, de manière qu’on ne peut pas ne la point croire. Ensuite il m’a dit que j’étais responsable devant Dieu de tout le trouble de l’Église, que je devais avoir de grands remords de conscience d’avoir perverti tous les meilleurs, surtout N. [Fénelon]. Je lui ai dit que la souffrance les sanctifierait, qu’il deviendrait un saint Jean Chrysostome. Il s’est mis fort en colère et m’a demandé si Luther et Calvin étaient des saint Jean Chrysostome. Ensuite il m’a exhortée sérieusement à rentrer en moi-même et à me convertir, à ne me pas damner. Je lui ai dit : « Mais, monsieur, après avoir tout quitté et m’être donnée à Dieu comme je l’ai fait ! ». Il m’a interrompue sans me vouloir laisser parler, disant qu’il avait connu des sorcières qui avaient fait de plus grandes choses et qui passaient pour des saintes, que cependant elles s’étaient converties et étaient bien mortes ; qu’il m’exhortait à profiter de la charité qu’il avait pour moi à ne me pas perdre, que pour le diable on faisait encore plus de choses que pour Dieu, et qu’il me conseillait d’y faire réflexion, qu’il me tendait les mains, qu’on devait profiter du temps, qu’il savait de bonne part, et à n’en pouvoir douter, que le P[ère] l[a] C[ombe] était un second Louis Goffredi, qui fut brûlé à Marseille8, et m’a toujours soutenu la même

6 Peut-être l’archevêque de Paris.

7 La Maillard autrement Grangée ou Des Granges.

8 Louis Goffridy, ecclésiastique qui fut brûlé à Aix, le 30 avril 1611.

chose, me faisant entendre que si je l’excusais, il me croirait de même ; enfin, qu’on me faisait encore bien de la grâce de me laisser ici. J’ai dis que si N. trouvait qu’il me fallût une autre prison, j’étais prête d’y aller. Je crois bien que je n’ai qu’à m’attendre à tout ce qu’il y a de pis. Il m’a dit qu’un grand seigneur avait eu réponse de Rome qu’on y condamnerait le livre de M. de C[ambrai], que c’était un homme perdu sans ressource. On croit que je l’ai ensorcelé. L’on commence même à me refuser les choses sur la nourriture dont j’ai besoin, mais c’est peu que cela. En vérité, j’ai bien besoin que Dieu m’aide, car on me pousse avec bien de la vigueur. J’ai peur qu’on ne fasse quelque nouvelle procédure : ils sont assurés de leurs faux témoins.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°181].

a Lecture incertaine.

b Lecture incertaine.

c Mot illisible.

1 Non élucidé : Mme de Vibraye ?

2 M. C. : M. de Cambrai (Fénelon) ? peu probable.

5Non élucidé : cette lettre est bien un rébus (volontaire) !

397. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

N. [le curé] sort d’ici, qui, après m’avoir fait les exhortations ordinaires de me convertir et rentrer en moi-même, que je pourrais mourir subitement, que je ne me damnasse pas ; il m’a enfin fait entendre que le tut[eur][Chevreuse] avait reçu une lettre d’une personne du premier rang dans l’Église, qui n’est pas M. de Grenoble1, qui mandait des choses abominables et si bien circonstanciées qu’il jurait avec les serments les plus forts, mais qu’il avait promis au tut[eur][Chevreuse], sans le nommer, qu’il garderait un secret inviolable. Je lui ai fait les dernières instances pour savoir ce dont il s’agit, il n’a jamais voulu me le dire. Enfin, il m’a promis de lui en demander la permission. Il dit que le tut[eur] lui avait avoué que jusqu’à présent il m’avait cru bonne, mais qu’il ne savait plus que croire, que tout ce qu’il pouvait était de suspendre son jugement et que je lui avais fait bien de fausses prophéties. Je lui ai dit que je ne me piquais pas d’être prophétesse, mais que pour des crimes, je n’en avouerais aucun. Il a dit : « Nous n’en parlerons pas ». Je lui ai dit que ce n’était pas assez et qu’il fallait me les dire, qu’il me serait peut-être fort aisé de prouver le contraire, que je ne croyais rien de plus étrange que de calomnier et ensuite de demander le secret, que le secret était pour moi la plus petite chose du monde, mais que je demandais qu’on me donnât le moyen de justifier la chose. Il me remet toujours la Maillard, et dit qu’il n’y a pas d’apparence qu’une femme soutînt quatorze ans une chose si elle n’était vraie2. Quand je lui ai dit que c’étaita une mauvaise [f°183v°] femme, il dit que les larrons s’entre-accusent bien et sont crus.

Je vous prie qu’il ne puisse jamais revenir à N. [le curé] que vous sachiez ceci. Dieu a donc permis que nos meilleurs amis, aussi bien que les autres, aient enfin cru, avec d’apparentes raisons, les calomnies ! La volonté de Dieu soit faite. Nous n’avons que le temps pour souffrir, mais je vous assure que je ne les ai jamais voulu tromper ; Dieu le sait. Si je suis trompée, que Sa sainte volonté soit faite. On ne cessera jamais de faire des calomnies et, quand une fois la porte est ouverte, c’est à qui ira faire la sienne. J’ai la dernière douleur de ce que N. m’a dit que les meilleurs allaient être chassés de la Cour2b. Je souhaite qu’ils me chargent si cela leur est utile : ils le peuvent faire à présent, sans blesser leur

1Il s’agit donc de dom Le Masson rapportant l’histoire de Cateau Barbe et non du cardinal Le Camus. V. sur cette affaire : Orcibal, Etudes…, « Le cardinal Le Camus… ».

2L’affaire Cateau-Barbe date du séjour de 1684 à Grenoble soit treize ans auparavant. La Maillard est la « dévote de Dijon » sur laquelle des « renseignements accablants » parvinrent à Tronson qui avait entrepris une enquête en 1693. V. Orcibal, Etudes…, « Madame Guyon devant ses juges », à la p. 822.

2bFénelon a été nommé par Louis XIV à Cambrai le 4 février 1695 (non à cause du quiétisme, le Roi ayant jusque-là ignoré le problème ; au printemps 1697 aucune mesure n’avait été prise mais une campagne y préparait ; voir C.F., t. V, p.263 sv.). Il doit s’agir ici de Beauvillier dont on attendait la disgrâce – qui ne vint pas. Bien au contraire, Louis XIV lui conservera toute sa confiance puisqu’il sera chargé des finances. Il aura dû quand même désavouer Mme Guyon.

conscience, puisqu’ils me croient mauvaise, ou du moins puisqu’ils le peuvent croire sur de belles apparences. Il me semble qu’il est bon pour moi, si Dieu en est glorifié, que je sois livrée pour tout le monde.

Je vous remercie de votre charité. Allez toujours à Dieu : Il est toujours le même. Quand je serais un démon, Il n’en est pas moins ce qu’Il est. Je ne vous écrirai plus, car je ne veux plus embarrasser personne. Je ne vous en aimerai pas moins en Notre Seigneur Jésus-Christ, et vous ne serez jamais effacée de mon cœur. Il faut attendre l’éternité.

Je m’étonne que le tut[eur] ait fait cette confiance à N. [le curé]. Il dit que c’est par charité et, à la fin, qu’il m’exhorte à ne me pas perdre ; je l’en remercie et je lui demande ses prières, afin de faire l’usage que Dieu veut de tout ceci. Dès que je réponds un mot à N., pour lui dire la vérité ou pour l’éclaircir, quoique je le fasse le plus doucement que je puis, il me dit que je suis une emportée, que si j’avais de la vertu je ne répondrais rien, et puis il recommence les exhortations sur ce que je profite de la commodité de l’avoir et que je lui fasse un aveu sincère [f°184] de mes crimes. Il ne vient plus que pour cela. Si je savais les choses, je pourrais en faire voir la fausseté, mais ne les sachant pas, je laisse à Dieu de faire croire ce qu’il Lui plaira. Si j’ai trompé le tut[eur], je prie Dieu qu’Il le désabuse. Enfin il dit que ma Vie est abominable et qu’il l’a vue. Il faut donc qu’on en ait fait une autre ? Ou bien, si c’est la même, comment n’a-t-on pas eu la charité de me le dire lorsqu’on l’a vue ? On en a vu, à ce qu’il dit, donner au public certains endroits critiqués, mais il m’a dit cela si fort entre ses dents que je ne sais quel sens y faire. Ma consolation est que Dieu voit le fond des cœurs. Soit qu’Il me châtie si je Lui ai déplu sans le vouloir et sans le connaître, soit qu’Il m’exerce, c’est toujours un effet de sa bonté. J’oubliais à vous dire que N. [le curé] m’a dit que l’auteur [Fénelon] avait eu la témérité d’écrire à Rome et d’y envoyer son livre, mais qu’il y serait assurément condamné.

Je n’ai de nouvelles que par vous et par lui. Comme il m’avait dit plusieurs fois que le C[uré] de V[ersailles]3 disait beaucoup de mal de moi, d’ailleurs ayant appris combien on relevait Mlle de la Croix, ensuite ayant lu qu’un nommé Solan était venu de province et m’étant souvenu que M. le C[uré] de V[ersailles] m’avait dit que son M. Solan demeurait en province en habit séculier, ensuite N. [le curé] m’ayant dit qu’on avait appris de moi, par certaines voies, des choses, cela en manière entrecoupée, j’avais fait un pot-pourri de tout cela dans ma tête. Qu’est-ce qu’une main qui a écrit à Saint-Denis ? M. Lar et N. sont si contents de ma fille ? Elle me doit venir voir incognito. J’attends tout

3 Hébert, v. Index.

ce qu’il plaira à Dieu, mais on me fait bien sentir qu’on m’aurait ménagée à cause de mes amis, mais que leur chute fait qu’on ne veut plus avoir de ménagement. N. ne me parle plus de vous : est-ce que vous ne le voyez plus ? J’oubliais encore à vous dire [f°184v°] que N. m’a dit qu’il m’apporterait un extrait de la lettre écrite au tut[eur] s’il le voulait. Je me donne la torture sans pouvoir deviner ce que c’est. Il m’a encore dit que la raison pour laquelle on m’ôtait la communion, c’est que cela me justifiait trop de me voir communier, et cela ferait croire qu’on n’avait pas raison de me traiter comme on fait. Il dit que M. et Mme de Renty lui avaient dit que je prêche par-dessus les murailles.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°183].

aque (une ligne biffé illisible) c’était

b Un ou deux mots illisibles.

398. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

C’était moi qui avais ouvert la lettre et contrefait mon écriture pour le dessus. N. [le curé] m’a positivement dit tout ce que je vous ai mandé ; il m’a dit de plus que si le tut[eur][Chevreuse] le voulait bien, il m’apporterait une copie de cette lettre. Il m’anathémisa en s’en allant, disant que, puisque je ne voulais pas confesser tous mes crimes, il me laissait à la justice de Dieu et aux remords de ma conscience. Il me fit entendre que je pourrais bien rentrer en prison, mais je ne parus point en être fâchée.

La lettre que vous m’avez écrite m’a donné une grande joie, voyant la disposition des serviteurs du Seigneur dans une si forte épreuve. Que ce qui me regarde ne les arrête pas ! Ils n’ont qu’à témoigner qu’ils m’abandonnent et qu’ils laissent à Dieu le jugement de tout. Dieu sait que c’est de tout mon cœur que je me suis offerte à Lui comme une victime pour tous. Plût à Dieu qu’il S’en contentât, mais peut-être ne suis-je pas digne d’un si grand bien ? N. [le curé] me dit qu’il était venu des dames à équipages pour déposer contre moi. Je n’en connais aucune, et il faut que ce soit des personnes qui en aient loué. Enfin je me sacrifie à Dieu sans réserve pour la plus sanglante tragédie ; il me semble qu’on n’aura pas de repos qu’on n’en soit venu là. Je vous en prie, que l’on perde plutôt la vie que de faiblir sur l’intérêt de Dieu et de la vérité ; mais pour ce qui me regarde, qu’on ne se fasse pas d’affaires à cause de moi qui voudrais donner mille vies, si je les avais, pour eux tous. Quel personnage fait madame de B.1 en tout cela ? On n’entend rien d’elle, et je crois bien qu’elle tire son épingle du jeu. Pour nous, ma bonne d[uchesse], vous avez une douleur de compassion et d’amitié qui n’est pas la moindre souffrance. Je n’écrivis point le premier lundi, n’ayant rien à mander et y ayant peu que je l’avais fait. Je trouve trop d’inconvénient à envoyer aux s.1 J’ai toujours oublié de vous dire que b.1 avait servi à ma prise, et ce fut le gantier, mari de cette Maillard, qui vint avec Desgrez me reconnaître. Je crois que pour mon égard, la tragédie n’est pas finie. La seule consolation qui me reste est que cela ira peut-être jusqu’à m’ôter la vie ; j’en ferais un grand régal à moins que Dieu ne me changeât, car forte ou faible, la mort de cette sorte est un bien. J’ai résolu, si Dieu me le laisse faire et qu’on m’interroge de nouveau par les voies de la justice, de ne rien répondre du tout, ayant assez fait connaître la vérité. Plus on est innocent, plus on veut qu’on soit criminel. Il n’y a qu’à laisser faire selon le pouvoir que Dieu en a donné. Il est expédient qu’un périsse pour plusieurs2 : Jésus-Christ en a donné l’exemple.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 184v°].

1 Non élucidé.

2Jean, 11, 50.

399. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

Je ne suis pas surprise de ce que vous me mandez. Dès que je fus ici et que je vis la disposition des choses, je compris qu’on ne m’y mettait que pour me faire des suppositions. J’en écrivis sur ce pied à M. Tronson. Cela ne me sortit point de l’esprit. Leur premier dessein fut de me faire enlever, et de faire ensuite courir le bruit que c’était moi qui me faisais enlever. Je n’entendais parler que de cavaliers qui venaient, disaient-ils, pour m’enlever de la part de mes amis, et qu’ils viendraient en plus grand nombre. Je dis que je savais que, ni de ma famille ni de mes amis, on ne me viendrait enlever, que si je l’étais, je crierais si fort qu’on saurait de quelle part. Depuis [f°185v°] ce temps, ils ont changé de batterie[s]. N. [le curé] me dit, dès Pâques, que M. le duc de Villeroy l’avait assuré avoir vu ici M. de C[ambrai], à heure indue, qui me venait voir, et vous, une autre fois ; je n’en fis que rire, parce que cela était si faux et si impossible. Cependant j’ai fait réflexion que comme ils n’en veulent pas à moi seule, et que N. a une maison à côté de celle-ci où il demeure des prêtres, il se peut faire que M. de Vil[leroy] m’ait vue entrer là et que des gens apostés lui aient dit que c’était M. de C[ambrai], ou bien qu’ayant ouï dire que je suis ici, il l’ait cru lui-même. Pour la fille, il faut que ce soit un démon pour avoir donné pareil certificat. Que puis-je avoir fait ici ? Si ce qu’ils disent était vrai, pourquoi appréhender si fort que je le sache, qu’on a fait boucher hier jusqu’à des trous où on ne pourrait passer qu’à peine une aiguille à faire des bas ? Pourquoi défendre qu’on ne me confesse même à l’heure de la mort, ce qu’on ne refuse pas aux plus coupables ? C’est N.2 qui se fait faire lui-même les dépositions, qui les reçoit avec deux hommes à lui. C’est leur dernière ressource après m’avoir voulu faire mourir. Je rêvais il y a quelque temps que ma sœur, la religieuse qui est morte, me disait : « Fuyez. Quand vous n’habiteriez que des cavernes et des carrières, vivant de pain demandé par aumône, vous seriez plus heureuse ». Mon cœur est préparé à tout ce qu’il plaira à Dieu, trop heureuse de donner vie pour vie, sang pour sang.

La fille qu’on a fait supérieure générale3, apparemment pour signer des faussetés contre moi, me dit en partant : « Si l’on dit que j’aie dit quelque chose contre vous, dites que je vous le soutienne4, que j’ai menti. » Ensuite elle me dit : « Ils prennent des mesures qu’ils croient très sûres, pour que vous ne sortiez jamais de leurs mains ». Celle qui est à N. m’a fait entendre [f°186] que madame de Lu. était tout ouvertement contre moi, savais toute ma vie5 et la disant d’une manière bien opposée à la vérité.  Ne vous affligez pas : Dieu règnera toujours et c’est assez. N’aurait-on point surpris l[a] bonne c[omtesse] pour lui faire aussi signer quelque chose sans qu’elle le sût ? Comment la gouvernez-vous ? Enfin si Dieu permet que mes amis croient toutes les faussetés qu’on fait dire à des gens apostés, la volonté de Dieu soit faite. L’éternité les détrompera, et cela leur fera plus de tort qu’à moi. C’est le dernier coup de Bar[aquin].

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 185].

1M. de Villeneuve ?

2le curé ?

3La religieuse qui eut la garde de Mme Guyon était Mme Sauvaget de Villemereuc, de la congrégation dite de Saint-Thomas-de-Villeneuve, « bâtie à la hâte, où l’on me mit en me faisant sortir de Vincennes » (Vie 4.1, p. 900 de notre édition).

4Sens obscur.

5Elle aurait lu le manuscrit de la Vie ?


400. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

Je vous avoue que je suis bien fâchée des mouvements que N. [Fénelon ?] se donne ; il aurait mieux fait de tout prévenir à R[ome], mais Dieu saura bien lui ôter ces appuis. Pour bab[ette], je n’ai découvert que depuis peu ce que c’est. Il y a environ deux ou trois mois que N. m’envoya une lettre d’une fort belle écriture signée Anne de la Bi., où cette personne me mandait qu’elle me priait de lui envoyer un de mes habits parce qu’elle avait fait faire une robe de peau d’agneau pour moi et n’avait rien de quoi la couvrir. Je ne savais si c’était ami ou ennemi qui écrivait. Je compris qu’en me demandant une robe, on donnait par là moyen d’écrire. Je n’en voulus rien faire, mais je fis réponse par N. même que je n’avais point d’habits, mais qu’il n’y avait qu’à acheter de l’étoffe pour la couvrir, que je ferais rendre l’argent. Vous ne sauriez croire combien on m’a tourmentée pour avoir une robe à moi : je n’en ai point voulu envoyer, j’ai envoyé de l’étamine en pièce pour me faire un manteau. Ils m’ont envoyé une robe de peau d’agneau la mieux choisie du monde que N. a payée soixante-deux livres ; mais comme il y avait du ruban qu’ils ne comptaient pas, n’ayant rien, j’ai envoyé sans savoir à qui des babioles. Je crus d’abord que c’était le petit ch.1 C’est donc un tour de bar[aquin]. [f°186v°] Dans la dernière lettre qu’ils m’ont écrite, il y avait : « Ma fille Babette vous salue », mais je me suis mise en tête que le petit ch. s’appelait babet. Bref, de tout cela, j’ai eu deux robes, et c’est N. lui-même par qui tout cela a passé. Il reçoit des lettres de tous ceux qui lui en portent ; pourvu que tout passe par lui, il est content. Les lettres vous feront voir tout cela, mais ce tour-là n’est pas bien.

Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N.[Fénelon], mais Dieu le veut pour Lui. Il me semble que je vois l’effet de mon songe [d’]il y a huit ans : une femme l’a arrêté, l’abandon de cette femme le fera aller. C’est par la perte de tout qu’on trouve tout. Je bénis Dieu de l’abandon du b [Beauvillier] ; Dieu assurément prendra soin de lui, Sa main ne sera pas abrégée2. Je vous prie d’envoyer quérir le petit ch. et lui dire que vous avez appris que bab[et] se vantait de cela. Dites-lui que j’ai assez de chagrin sans m’en attirer encore. Vous savez mieux que moi ce qu’il faut faire. Je crois que Dieu mettra N.[Fénelon] hors d’état de trouver de refuge autre part qu’en Dieu : c’est l’unique appui d’un homme de son caractère. Tout autre appui est un roseau cassé qui perce la main de celui qui s’y appuie. Bon courage en J[ésus]-C[hrist] !

Oh ! ne vous étonnez pas de vos faiblesses, mais confiez-vous à Celui qui est tout, et force et sagesse et bonté et fidélité ; laissez-vous entièrement à Lui pour tout.

J’ai cru qu’il était de conséquence de vous éclaircir sur bab[et] et vous envoyer les preuves. Ces gens-là me font du mal en tous lieux sans que j’y puisse parer. Je n’ai écrit à qui que ce soit au monde qu’à vous par la voie de N. Les autres lettres sont par N., qu’il m’a fait écrire lui-même. Vous voyez qu’ils se plaignent, même que mon billet est court. Enfin j’ai cru ne rien risquer par là et voir de quoi il s’agissait, mais je vois bien à présent que c’est bab[et] et Mlle Van.3 et non le petit ch. Soyez sûre que je [f°187] n’écrirai à âme vivante qu’à vous, encore appréhendè-je beaucoup lorsque j’envoie. Cela me paraît bien extraordinaire, mais en l’état où je suis, on ne devine guère. Surtout comme tout passait par N., je ne craignais rien.

Je n’ai rien à vous mander sur N. [Fénelon] sinon que l’abandon à Dieu ; j’espère qu’Il le sanctifiera, mais je ne puis supporter sa hauteur et sa sécheresse comme le grand-père [le roi]. On prend plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre. Tout dépend de R[ome], d’y avoir des amis et de l’intrigue, sans quoi rien ne va. M. de Rheims a entre les mains Saint Clément et d’autres écrits. C’est le temps de la tempête et de la destruction. Si mon amitié vous console, vous devez être bien consolée, car je vous aime et vous goûte tout à fait, mais c’est le temps de souffrir. Dieu ne bâtit un édifice que par la destruction : soyons les victimes. N. [Fénelon] s’est si fort consacré et a tant demandé l’humiliation qu’il l’a eue. Dieu lui-même, en lui ôtant tous les appuis, le fera tomber dans Son ordre et fera Son œuvre en lui et par lui, lorsqu’Il l’aura détruit. Bon courage, adieu.

Je ne sais par qui il s’est fait porter ces robes chez N. [le curé ?], mais il dit toujours : « Ce bonhomme et cette bonne femme ». S’il vous en parle, demandez-lui si je n’ai point écrit à quelqu’un par lui ; il dira peut-être « A de bonnes gens » ; vous direz : « C’est les bonnes gens qui sont si aises d’avoir des lettres qu’ils s’en vantent d’ordinaire comme de choses qui leur font honneur et plaisir » ; et si vous approfondissez cela, vous verrez que ce sont ces bonnes gens, car N. fait les choses et les oublie. N’écrivez qu’un mot pour tirer d’inquiétude. Je ne sais si je pourrai écrire.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 186], « mai 1697 ».

a Lecture incertaine.

b Illisible

1Le petit ch[eval] ? Déjà rencontrée.

2Isaïe, 59, 1 : La main du Seigneur n’est point raccourcie… (Sacy). Souvent cité par Madame Guyon.

3 Non identifiée.

401. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

Je vous dirai que N. [le curé] est venu, qu’il me tourmente avec excès pour me faire avouer mille faussetés, et dit que je suis [f°187v°] dans l’illusion, qu’on n’en peut douter, et qu’une personne dans l’illusion est capable de tout. Je lui ai répondu que, pour l’illusion, je le croyais lorsqu’on me le disait, que j’étais prête, comme je lui avais toujours dit, à tâcher de faire l’oraison comme on me l’ordonnerait, qu’on ne me prescrivait rien sur cela, et qu’ainsi je demeurais dans ma bonne foi jusqu’à ce qu’on me dise autrement ; que pour des choses de fait, que ni la prison, ni la question, ni la mort ne me feraient point avouer des faussetés, mais que je ne lui dirais jamais une parole de justification. J’ai écouté ensuite, sans lui répondre une parole, les choses du monde les plus dures pendant un temps considérable. Il m’a dit ensuite que le livre était à l’Inquisition, et que cependant c’était mon esprit rectifié ; que l’auteur, le pauvre homme, avait ouvert son cœur et avoué qu’il ne l’avait écrit que parce qu’il avait la tête pleine des maximes que je lui avais débitées. Il ne m’a plus parlé de l’extrait de la lettre qu’il me devait apporter, mais il me fait un péché mortel d’être cause du livre. Il m’en fait un autre de ce qu’il dit qu’on a chassé quatre dames de St-C[yr], et que c’est moi qui leur ai rempli la tête. Il y en a une que je n’ai jamais vue.

Ce qui me fait plus de peine, c’est le tourment qu’il fait à mes filles pour faire avouer des faussetés. Si elles disent : « Cela n’est pas », ce sont des emportées ; si elles ne disent mot, elles sont convaincues. Je crois qu’il leur fera tourner la cervelle. Manon en est si changée qu’elle n’est pas reconnaissable, je crains qu’elle ne tombe tout à fait malade ; cela me ferait bien tort en l’état où je suis, mais la volonté de Dieu soit faite. Il menace ouvertement du retour à Vincennes. Je lui ai dit que j’étais toute prête si on jugeait que cela fût nécessaire et se duta [faire], mais je suis résolue de ne répondre pas un mot. Si l’on se confesse d’une parole vivea, il nous la reproche ensuite à toutes les autres confessions. Cependant cela me paraît des roses auprès de la peine de nos amis. Je la sens mille [f°188] fois plus que tout cela, et j’offre tous les jours ma vie en sacrifice pour la leur épargner. Mandez-moi s’il y a des nouvelles certaines du livre1.

Les fréquentes visites que ma fille rend à N. [le curé] ne me sont d’aucune utilité, bien au contraire ; il faut qu’elle lui ait communiqué une partie de l’aversion qu’il a pour Manon, car il est incroyable comme il la traite. Il m’accuse devant elle de mille choses qui non seulement sont fausses, mais même qui n’ont rien de vraisemblable ; si elle tâche

1L’Explication des maximes des saints.

de faire voir que cela ne peut être, il lui dit que ce qu’elle dit pour m’excuser lui fait voir qu’elle a une méchante âme, et qu’il juge d’elle toute sorte de maux et sur cela, lui refuse l’absolution. Ma fille m’a envoyé des livres, dit-elle, pour me divertir, que j’ai renvoyés sans les lire étant bien éloignés de me convenir. La prudence est bien nécessaire, et un petit mot que ma fille peut dire, même avec bonne intention, à cet homme-là, peut beaucoup nuire.

Mais je laisse tout. Dites au jardinier, si je change, de suivre de loin jusqu’au lieu où l’on me mettra et de vous le venir dire, que vous reconnaîtrez sa peine : il le fera. N’y aurait-il pas moyen que vous puissiez m’envoyer, par cet homme, un peu de tabac ? Ma toile sera-t-elle perdue ? Il m’est venu dans l’esprit que si l’on me transférait, il serait à propos que j’eusse quelque argent, que je ferais coudre sur quelque endroit, car quelquefois cela est bien nécessaire. En ce cas, je vous enverrai un billet de dix louis à recevoir sur M. L… ; mandez-moi votre pensée. J’ai employé un louis, j’en ai encore un.

Depuis ma lettre écrite, la fille qui me garde s’est avisée de dire qu’elle avait ouï un grand bruit toute la nuit, ce qui est bien faux, car je ne dormais pas et je n’ai rien ouï ; elle fut faire du bruit. C’est le jardinier qui l’assura que cela était faux et qu’on n’avait fait aucun bruit. Je dis la même chose sur ce [f°188v°] qu’on me vint dire ; elle persista à dire qu’elle n’était pas dupe, et ensuite est allée à Paris faire un fracas horrible. On est venu condamner la seule vue qui restait. C’est tous les jours de nouvelles suppositions, et on a dessein, voyant que je ne donne aucun sujet, de me maltraiter. Le jardinier dit qu’il sait des choses que, si on les savait, que non seulement elle, mais toute la société serait chassée. Son confesseur lui a défendu de les dire, assurant qu’il perdrait cette société s’il les disait. Pour moi, je le ferais plutôt exhorter au secret qu’à le dire, car je laisse la vengeance au Seigneur, et j’ai défendu qu’on lui demandât ce que c’est, cela étant arrivé avant que j’y fusse. Jugez en quelles mains je suis. N.2 leur vaut déjà plus de quinze cents livres de rentes. Dieu soit béni. Mandez-moi qui on a exilé, parce que le bon prêtre, confesseur du jardinier, lui a dit qu’on avait exilé un de ses amis particuliers, que les lettres de cachet volent, que cela est horrible. J’aime bien les trois bons amis, surtout N. et celui qui le sert si bien. Je vous embrasse mille fois. J’ai certaine peine sur le petit ch.2 : est-il revenu de la campagne ?

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°187].

aLecture incertaine.

2Le « petit cheval », déjà mentionné ?

402. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

Quand je vous ai demandé de l’argent, m[adame], je l’ai cru nécessaire, car vous comprenez bien que, quelque affection qu’aient ces bonnes gens, étant très pauvres, chargés d’enfants et d’une mère âgée, le peu que je leur donne les encourage. Je n’ai dépensé le louis d’or qu’à les récompenser. Nous tenons l’argent cousu sur nous, en sorte qu’on ne le peut jamais découvrir. Si je n’avais plus d’argent, je n’oserais jamais les employer, quoique je croie bien que vous leur en donnez de votre côté. L’homme a peut-être compris que vous lui demandiez si on l’avait interrogé aujourd’hui, car il a dit les demandes et les réponses qu’il a faites. La femme même a assuré qu’on l’avait connue pour être sa femme. J’avais cru que Des g1 pourrait garder le secret et qu’il était plus sûr de ne point envoyer chez nous. Je vous laisse la maîtresse.

Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N. [Fénelon]. [f°189] J’ai toujours cru que le livre2 serait condamné par le crédit des gens, mais Dieu voulant l’auteur pour Lui et détaché de tout, Il ne l’épargnera pas. C’est la conduite ordinaire de Dieu de joindre les épreuves intérieures aux extérieures ; c’est ce qui rend les commencements bien glissants et qui affermit dans la suite. Ce que le P[ère] l[a] C[ombe] a souffert, pendant plusieurs années de sa prison, des peines intérieures, passe ce qui s’en peut dire. La moindre petite chose qu’on fait pour se tirer d’affaire, ne réussit pas, au contraire gâte tout, redouble les peines intérieures, affaiblit et déroute tout. Je voudrais de tout mon cœur porter ses peines avec les miennes.

Que ce que vous me dites du b [Beauvillier] me charme. Pour Let.3, sans philosophie, il serait de même insensible ; dans la situation, on doit être tout intérieur. Il y a je ne sais combien de temps que je sens que le petit ch.4 n’est pas bien, cela me faisait de la peine ; elle serait mieux de n’être pas à la campagne. Son état est la suite d’une éducation mauvaise, et de précipiter les gens où Dieu ne les demande pas. Il faut la ménager avec douceur et avec adresse, crainte de pis [pire]. Je suis bien aise que vous soyez liée avec Dom [Alleaume ?]. Conservez le dehors5 et suivez Dieu autant que vous pouvez. Je vous assure que vous m’êtes infiniment chère, Dieu vous soutient, quoique vous ne le voyiez pas. Il faut que les choses aillent aussi loin que l’Apocalypse les a décrites. Pourvu que

1La sœur de Famille, cette dernière au service de Mme Guyon.

2L’Explication des maximes des saints.

3Inconnu.

4Le petit ch. : la fille du grand ch. [Mme de Charost ?] ?

5Le comportement extérieur.

Dieu tire Sa gloire de tout, cela suffit. Je crois qu’on pourrait avertir ma fille que N. [le curé] n’est pas pour moi, qu’elle prenne de grandes mesures avec lui, surtout pour les livres qu’elle m’envoie. Mad[ame] de B.5a ferait bien cela, si elle était d’une autre humeur ; N. tient assez de discours pour qu’on la puisse avertir sur ce qu’on entend. Vous ferez avec prudence ce que vous jugerez, car ma fille se pique aisément. Je vous prie de m’envoyer de la cire d’Espagne, je n’ose en faire acheter, à cause que je n’écris plus. Je souhaite fort que N. [Fénelon] soit ferme ; c’est un bien pour lui de sortir d’un livre où il tient si fort. Dieu n’établit que par la destruction. Souffrons pour la vérité, et c’est une grâce que Dieu nous fait. Plus les tourments sont grands, [f°189v°] plus Dieu Se glorifie en nous. Je crois qu’on ne me harcèle comme on fait que pour m’obliger à me plaindre ou à dire quelque chose, mais je ne dis pas une seule parole. Voyez devant Dieu s’il ne serait pas mieux d’envoyer Des g., et faites ensuite ce que Dieu vous inspirera. Je trouverai tout bon.

Depuis avoir écrit jusques ici, j’ai eu une peine très grande. Il me semble qu’on ne manquera jamais de suivre l’homme chez nous, ce qui me fait beaucoup de peine. Je ne me suis même pu résoudre à l’envoyer ; ainsi il faut, je crois, hasarder de se confier à Desg. plutôt que s’exposer que l’homme soit suivi. Je vous prie qu’on n’effarouche pas le petit ch. et qu’on ait pour elle beaucoup de douceur pour tâcher de la mettre en voie. Je vous prie d’envoyer ma boite au plus tôt, je la ferai blanchir. Je ne vous dis pas assez combien je vous aime et combien je compatis à vos peines ; je voudrais les porter toutes. Il me vient de vous dire que Rem.6 est un peu vive sur les personnes qu’elle ne goûte pas : prenez vos mesures là-dessus ; elle est très adroite, d’ailleurs d’esprit bon et sûr. Tant que je pourrai empêcher que le jardinier ne dise ce qu’il sait, je le ferai. Je dis : même quand je n’y serai plus. Il me semble que Dieu me porte incessamment à leur faire du bien pour le mal qu’elles me font ; loin de le recevoir d’où il vient, elles m’en traitent plus mal, croyant que je les crains. Je n’ai jamais été plus délaissée au-dedans que je le suis depuis bien du temps, mais tout demeure comme à une personne qui n’espère ni n’attend.

Je souhaite fort que N. [Fénelon] ne sorte jamais de son abandon, quoique pénible : partout ailleurs, il y trouvera plus de peine et moins de paix. Le temps est fort à passer ; Dieu veut qu’il ne tienne qu’à Lui seul et qu’il perde tout pour Lui. Qu’il soit en paix et que Dieu soit sa force.

On a laissé ce qu’on a sur soi et l’on ne nous fouille jamais. Si j’avais eu sur moi de l’argent cousu ou sur Manon, on ne l’aurait pas pris, mais il

5aMme de Béthune ?

6Inconnue.

[f°190] était dans une cassette et je n’avais rien. Faites ce qu’il vous plaira sur cela, et sur le reste. Il me vient dans l’esprit de vous dire que vous ne vous livriez pas entièrement à Rem., que vous lui gardiez assez de secret pour que M. de V[ersailles][Hébert], auquel elle ne cache rien et que l’amour-propre porte quelquefois à se mettre du parti des plus forts, ne sache ce que vous vouleza. On fait grand bruit sur un endroit de muraille plus bas. On soutient qu’on y a passé. Pour moi, je n’y ai jamais vu passer que des chats et je ne savais pas qu’on y pût passer. D’où vient que notre ami ne retourne pas à son diocèse7? Il faut qu’il ait des raisons pour cela, sans quoi j’y attendrais en paix ce qu’il plairait à Dieu d’ordonner quel personnage faire en tout ceci. Le p. a son ami M de Cr...8 je voudrais le savoir, si cela se peut. Je prie Dieu de les soutenir tous, et surtout notre ami, que j’honore et aime comme je dois. Je vous embrasse mille fois.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°188v°].

a Lecture incertaine.

7Fénelon devra quitter Paris le 3 août par ordre reçu le 1er août 1697. « Le 6 août, on parlait beaucoup à la cour et à la ville du départ de l'archevêque de Cambrai pour son diocèse, et tout le monde voulait qu'il soit disgracié... » (Mémoires de Sourches cités par Orcibal).

8Les deux phrases précédentes sont obscures et difficiles à déchiffrer.

403. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

Je vous assure, madame, que lorsque vous me mandez qu’on est bien, il me semble que je n’ai plus de mal. Je crois qu’il faut faire tous les efforts possibles pour aller soi-même à R[ome]1, envoyer, si l’on ne peut obtenir d’y aller, les éclaircissements et la traduction, mander qu’on est résolu d’y aller, si l’on en peut obtenir la permission ; faire voir que cette permission ne se doit jamais refuser ; après avoir fait de son mieux, s’abandonner à la Providence. J’écrirai au S.2 une lettre très soumise, très filiale et d’un style qu’il n’a pas appris de voir dans les adversaires. Après cela, se soumettre avec petitesse, attendant plus de Dieu que des propres efforts. C’est la cause de Dieu : s’Il veut cacher Sa vérité pour un temps, qu’y faire ? Il peut ouvrir le cœur du Saint-Père et l’éclairer. Je ne crois pas qu’on puisse refuser d’aller là. Si on le fait,

1A Rome où le pape doit prendre une décision dans la controverse publique entre Fénelon et Bossuet.

2 Le Saint père ?

l’assurance qu’aura le V. P.3 du désir d’y aller, et de suivre, comme un enfant, sa décision, pourra bien l’incliner.

Pour notre mariage, je ne voudrais ni avancer ni reculer, [f°190v°] laissant faire les choses par providence, sans s’en mêler en prévenant, ni aussi refuser. Je crois que vous ne devez pas balancer de faire monter M. votre fils à cheval à Versailles. S’il faut y aller plus souvent, c’est notre devoir qui nous y engage ; ainsi lorsqu’on fait ce qu’on doit, il faut laisser dire le monde, qu’on ne contente jamais lorsqu’on est à Dieu.

J’ai bien du désir qu’on aille à R[ome]. Il faut prier Dieu qu’il se fasse accorder4. N. hait, dites-vous, et le déclarera ? On se déclarera ainsi contre l’abus, mais ce n’est pas contre la vérité qu’on tâchera d’éclaircir et de faire toucher au [du] doigt. C’est tout ce que je puis vous dire là-dessus. L’ecclésiastique dont je vous envoie les deux lettres, me parle souvent de ce qu’on dit sur N. Je ne sais s’il a envie de savoir si je le connais, mais je ne lui réponds jamais rien sur ces sortes de choses.

J’ai appris enfin d’où venait ce bruit de lettres. C’est de N. [le curé] lui-même. Toutes les fois que j’écris par lui, il fait du bruit qu’il est passé des lettres, sans dire que c’est par lui, afin que cette fille veille plus et tourmente davantage. Sur la lettre que j’écrivis à M. Tronson par lui, le tourment dura deux mois. Si l’on va à R[ome], j’espère qu’on pourra aller au Mont Saint-Michel et qu’il protègera. Notre-Dame de Lorette est-elle trop loin ? Prions Dieu qu’on y laisse aller si c’est pour Sa gloire, et de demeurer unis en Son amour et dans Sa volonté. Ça [Ce] sera nos plus fortes armes. On affecte à présent de faire mettre dans les gazettes que nos amis seront chassés, et les éloges de M. de M[eaux].

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°190], « mai 1697 ».

3 Le Vénérable père ou Pontife.

4« Il [Fénelon] avait demandé congé au Roi pour aller à Rome pour y soutenir son livre […] Le Roi lui ayant refusé, il avait pris le parti de s'en aller à Cambrai... » (Mémoires de Sourches). Le 12 août le Roi et Madame de Maintenon ont approuvé que l'abbé Bossuet et Phélipeaux restent à Rome pour y poursuivre la condamnation de Fénelon.

404. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Les persécutions affligent la nature, mais elles nourrissent l’amour. Il faut à présent exercer l’abandon qu’on n’a eu qu’en spéculation. Il vaut mieux tout perdre que de trahir la vérité, et si on la trahissaita pour se raccommoder, loin de se raccommoder, on se ruinerait. Je suis très fâchée de l’examen qu’on a demandé1. C’est une faute qu’on fit sur moi et qui est la source de tout ceci. C’est ce que N. ne devait jamais faire, mais la chose étant faite, je suis sûre que les gens choisis condamneront par [f°191] politique et par ignorance. Plût à Dieu que je puisse, par tout mon sang, empêcher tout ceci et être la seule victime ! Dieu connaît mon cœur là-dessus. Pour les livres, si on oblige de les condamner, je dirais, si la chose a été confondue en ce sens par l’auteur : «  Il ne vaut rien » ; mais de cet autre sens, il est bon qu’on fasse contre moi ce qu’on voudra ; mais il faut périr plutôt que de trahir la vérité.

Qu’avons-nous à perdre ou à gagner dans le monde ? Pourquoi parler de l’abandon si nous ne sommes abandonnés dans l’occasion ? Le tonnerre qui gronde si fort n’est pas toujours le plus à craindre. Voyons ce que les martyrs ont souffert. Souffrons avec Jésus-Christ, mais ne trahissons jamais la vérité. Plutôt tout perdre. La vérité nous fera tout retrouver en Dieu. Je ne puis que je ne sois affligée de l’examen : on ne devait jamais demander cela. Pour vous j’espère qu’on vous laissera en repos, vous ne faites ni bien ni mal à ces gens-là. La main de Dieu n’est pas abrégée. Monsieur de Meaux a cherché le crédit et la fortune, il l’a trouvée. Cherchons Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, humilié, combattu, décrié : nous le trouverons. Je suis sûre que si l’on trahit la vérité pour l’établir, on fera tout le contraire, et les peines qui succèderaient seraient de grands bourreaux. Lorsque la conscience ne reproche rien, et qu’on n’a point trahi la vérité, l’on porte en paix les disgrâces. Laissons-nous dévorer à l’amour ; soyons ses victimes, et l’amour établira son empire par notre destruction. Tout ce que nous voyons ne nous doit pas surprendre, si nous considérons par quelles voies Jésus-Christ a établi son Église. La prospérité est le partage des impies, mais l’affliction est le partage des serviteurs de Jésus-Christ. La vie est courte, Dieu a Ses vues et Ses desseins pourvu que nous n’abandonnions point la vérité ; la vérité elle-même nous défendra. Quelle honte serait-ce de l’abandonner après l’avoir obtenue !

M. de M[eaux] parle contre [f°191v°] ce qu’il croit et connaît, et Dieu saura bien l’en punir un jour. Le livre sera condamné par les examinateurs, cela est sûr. L’Église seule, et non quatre têtes prévenues et politiques2, doit faire la règle, et il ne faut pas plier sur cela ; mais la chose étant faite, point de faiblesse. Mourons, s’il faut mourir. Plût à Dieu que ma mort la plus rigoureuse et la plus ignominieuse pût L’apaiser ! Je ne suis point surprise

1S’agit-il de l’examen demandé par Madame Guyon à Madame de Maintenon, sous la pression de ses amis ? Plus probablement de l’enquête menée par le duc de Chevreuse.

2Jean 9, 24-25 et 20-21.

2Quarteron qui reste indéterminé : les juges Romains ?

du ch., car quand on se cherche, on s’égare. J’ai de la joie de tout le reste. J’espère que Dieu vous aidera jusqu’au bout, je L’en prie de toute l’instance dont je suis capable. Il n’est pas vrai qu’on ait découvert aucun commerce. Ces gens sont sûrs et Dieu l’est encore plus. Je prie Dieu qu’Il soutienne tout et qu’Il m’accepte pour victime pour tous.

Je songeais, il y a quelque temps, que je voulais passer par une porte si étroite qu’il m’était presque impossible ; N. me disait d’y passer, et je faisais des efforts qui me paraissaient m’aller écraser ; il me tendit la main, je passais avec bien de la peine ; je crus, en passant, avoir fait tomber la porte sur lui, je restais fort effrayée, mais, avec une main, il la replaça, et je me trouvais avec lui dans une église fort spacieuse et pleine d’un très grand monde ; comme je fus dehors, je trouvais que tout le monde mangeait des feuilles de chêne vertes, et chacun m’en offrait ; je n’en voulais point, disant que je me nourrissais de viandes plus solides ; on me reprocha mon mauvais goût, disant que c’était ce qu’il y avait de plus à la mode et que tout le monde les trouvait excellentes. Il n’est que trop vrai qu’on se repaît de feuilles et qu’on rejette le pain vivant et vivifiant ! Prions tous le Seigneur qu’Il ait pitié de Son peuple, humilions-nous devant Lui. Que savons-nous s’Il ne changera pas le conseil des hommes ? S’Il ne le fait pas, adorons, mais ne cessons [pas] de L’importuner afin qu’Il n’abandonne pas aux bêtes de la terre les âmes qu’Il a rachetées1.

Vous [f°192] avez dit à l’homme d’aller chez vous lorsqu’il était à Paris. Je vous prie de lui dire de n’y point aller, et je l’enverrai seulement les premiers lundis des mois, à huit heures, aux Jacobins. J’ai une furieuse défiance de votre domestique. Si vous croyez même qu’il y ait du danger aux Jac[obins], il vaudrait mieux se priver d’avoir des nouvelles. Votre pensée sur cela, je vous prie, mais que l’homme n’aille point chez vous.

Je ne puis m’empêcher de me sacrifier sans cesse à Dieu afin que tout tombe sur moi seule. J’ai une extrême peine que N. [Fénelon] se soit soumis à des gens qui n’ont nul droit sur lui, et à gens prévenus. Il est certain que, dans le système de l’intérieur, il y a le droit et le fait ; le droit est ce qui regarde certains dogmes et certaines expressions, ou de vouloir établir en règle générale ce qui n’est qu’une conduite particulière de Dieu, et c’est ce qu’on peut régler par la doctrine et l’autorité ; il y a le fait, qui est l’expérience d’une infinité d’âmes qui ne se sont jamais vues et qui n’ont jamais ouï parler de ces choses. Qu’un médecin veuille persuader à un malade qu’il ne souffre pas une certaine douleur dont il est fort travaillé, parce que lui, médecin, et d’autres ne la sentent pas, le malade qui sent toujours la même douleur, n’en est pas plus persuadé ; tout ce dont il reste persuadé, après bien des raisonnements, est : ou que le médecin ne l’entend pas, ou qu’il ne sait pas expliquer son mal en des termes qui se puissent faire entendre. Il en est de même des expériences de l’intérieur. Je captive et soumets mon esprit pour croire que ce que je souffre ou expérimente n’est ni un tel bienb ni un tel mal, et c’est ce qui est du domaine de la raison et de la foi ; mais je ne suis pas maître de mes douleurs, ni ne puis me persuader ni par la raison ni par la foi, que je ne les sens pas, car je les sens véritablement. Tout ce que je puis faire donc, est de croire que je m’en exprime mal, qu’elles ne sont pas d’un tel ordre de certaines maladies, que je donne à ces [f°192v°] douleurs des noms qu’elles ne doivent pas avoir ; mais de me convaincre que je ne les sens pas, cela est impossible : elles se font trop sentir. Je n’en sais ni la cause ni les définitions, mais je sais que je les endure. On me dit à cela que tels et tels les ont contrefaites, que d’autres se sont imaginées d’en avoir, etc., qu’enfin peu d’âmes ont ces douleurs, et que par conséquent je ne les ai pas. Je crois tout cela, mais je n’en puis croire la conclusion qui est que je ne les sens pas, parce que ce qu’on sent et souffre tombe sous l’expérience, demeure réel et ne peut être la matière de ma foi. Je croirai que des gens l’imaginent, [que] d’autres contrefont, d’autres exagèrent leurs maux, d’autres abusent ; je croirai encore que la tendresse que j’ai pour moi me fait exagérer mes maux, me leur fait donner un nom qu’ils n’ont pas ; mais je ne croirai point, lorsque je les sens avec tant de violence, qu’ils soient imaginaires en moi, puisque je les souffre.

Je ne dirai donc pas, si vous voulez, que tels et tels sont intérieurs, je ne dirai pas que je le sois moi-même, mais je sais bien que j’ai fait un chemin où j’ai trouvé bons ces passages. Je ne dispute ni du nom des villes que j’ai trouvées en mon chemin, ni de leur situation, ni même de leur structure, mais il est certain que j’y ai passé. J’ai éprouvé telles et telles douleurs, telles et telles syncopes, je ne dispute ni de leur nom ni de leur origine, mais je sais que je les ai souffertes et n’en puis douter. Il me semble qu’on ne peut pas se dispenser, pour savoir la vérité, de soutenir la vérité de l’expérience intérieure, qui est réelle. Pour les noms, les termes, les dogmes qu’ils veulent introduire, plions et soumettons, mais dans le fait de l’expérience de bon de saintes âmes, peut-onc dire, avec vérité ni même avec honneur le contraire ? Et quand nous serions assez lâches pour le faire, l’expérience de tant de saintes âmes qui ont précédé, qui sont à présent et qui viendront après nous, ne rendrait-elle pas témoignage contre nous ? Tout passe, la force, les préjugés, etc., mais la vérité demeure. [f°193] Il me paraît de conséquence de séparer ici le dogme, je ne sais si je dis bien, du fait de l’expérience3.

Tous les cheveux me sont tombés4 ; ils ne tombent pas, me dira-t-on, en un tel temps, pour telle ou telle raisons ? Je ne sais ni les raisons ni les choses, cependant il est de fait qu’ils me sont tombés, que je n’en ai plus et que j’en avais. Je vous écris simplement ce qui me paraît d’une extrême conséquence à séparer.

Je crois que je ne vous écrirai plus, car je ne puis me résoudre à vous envelopper dans mes disgrâces ; il me suffit de souffrir. Plût à Dieu que je payasse pour tous !

Le droit s’appuie ou se détruit par le raisonnement, mais le fait se prouve par témoins. Il faut donc demander à prouver le fait avancé par une foule de témoignages, changer les termes et les dogmes par soumission, mais soutenir le fait qui, étant toujours ce qu’il est en soi, ne doit être altéré ni par l’autorité ni par les termes, etc. Jusqu’à ce qu’on vienne, et demander de prouver par témoins ; et jusqu’à ce qu’on ait établi tous ces témoignages, on croira toujours qu’on en impose au public. Si le livre n’était pas fait, le meilleur parti serait le silence pour n’engager pas des esprits violents à déchirer la vérité. Mais le livre étant fait, il faut faire croire qu’on n’a rien écrit qui ne soit dans les ouvrages des saints. Du reste des termes, si on a dû écrire ces choses ou ne les écrire pas, si l’Église n’approuve plus ce qu’elle a approuvé, c’est à quoi il faut se soumettre. On dit à l’aveugle-né : « Donne gloire à Dieu, cet homme est un méchant.  -  Je ne sais, dit-il, s’il est méchant, mais je sais que j’étais aveugle et que je vois ». Son père et sa mère dirent de même sur le fait : « Nous n’entrons point dans tout le reste. Le fait est que c’est notre fils, qu’il est né aveugle et qu’il voit ». Que si deux témoins irréprochables suffisent pour prouver un fait en justice, combien ces témoins sans nom ne doivent-ils plus suffire ? Rien ne prouve tant la vérité du fait que la souvenance d’expériences [f°193v°] qu’ils ont tous. Si l’on examine le livre, que ce soit en présence de l’auteur, qu’il prouve par les auteurs ce qu’il a avancé : il faut faire écrire ce qui sera conclu sur le champ5.

Je ne sais ce qui est arrivé, mais il y a du tracas. On envoya quérir hier fort tard la supérieure. J’envoie celle-ci6 avant qu’elle soit venue, [de] crainte de ne le pouvoir plus faire. J’enverrai, si je le puis et s’il n’y a rien de nouveau, le premier lundi du mois aux Jacobins, mais plus chez vous.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°190v°] : « Juin 1692 ». Le début (« Les persécutions …Je suis très fâchée de l’examen qu’on a demandé. ») est repris au [f°207v°].

aon la (raccomodait biffé) trahissait

b Lecture incertaine.

c l'expérience (de tant de illisible) peut-on

1Psaume 73, 19.

3Affirmation capitale sur le primat de l’expérience.

4Comparaison familière et concrète entre expérience et raisons qu’on y oppose.

5Madame Guyon croit avoir trouvé la solution : méthode expérimentale et témoignages… comme si ces gens étaient de bonne foi et réceptifs, acceptant d’être contrariés !

6Cette lettre.

405. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Je ne suis point surprise que les choses aillent à toute extrémité, mais je le suis beaucoup, ou plutôt je suis plus affligée que surprise, que les amis aient si peu de cœur. Mais il faut s’attendre à tout des personnes vivantes, et où l’amour-propre règne. Mais pourquoi s’amuser aux conférences ? Qu’on ne perde pas un moment à demander d’aller à R[ome] et à envoyer le livre1. On attend toujours que les choses soient sans remède. Rien ne m’ébranle sur cela, et je persiste dans la pensée qu’on ne doit pas différer d’un moment à le faire. Il faut ensuite en laisser l’événement à la Providence. Mais pourquoi faire d’autres tentatives ? On ne demeure pas ferme dans une résolution. Qu’on se borne à solliciter pour aller à Rome, qu’on commence par envoyer le livre et les éclaircissements, avec une lettre extrêmement soumise qui explique encore l’intention qu’on a eue.

Je rêvais une de ces nuits que tous les amis avaient tourné le dos, que vous étiez seule restée, mais si ferme que vous m’aidiez à marcher dans les rues. Dieu vous bénira, mon enfant, Dieu vous bénira. Il faut, selon l’Apocalypse, que tout aille jusqu’aux plus grandes extrémités. Ce sera un saint Jean Chrysostome s’il est ferme2. Mais que craindre ou qu’espérer ? En Dieu, n’est-on pas au-dessus de tout, et en soi n’est-on pas au-dessous de tout ? Point de paix que hors de nous. Laissons donc tout intérêt, ne songeons qu’à [f°194] aller à R[ome], et laissons les autres faire ce qu’ils voudront. Si on ne se sent pas assez de courage pour poursuivre d’aller à R[ome] et rompre toutes conférences, qu’on aille dans son diocèse, et que de là, on écrive au P[ape], qu’on fasse connaître adroitement la cabale, mais surtout qu’on témoigne vouloir suivre à l’aveugle la détermination du Saint-Siège. Pourquoi n’en demeure-t-on pas là ? Et pourquoi reste-t-on entre deux termes, à écouter le sifflement des troupeaux ? Quand M. de Paris promettrait tout, il ne tiendrait rien : on ne sait à présent ce que c’est que de tenir aucune parole, et la probité est bannie de dessus la terre. Tout court à la faveur, et les plus grandes indignités sont permises par là. Ne cherchons que la faveur du ciel, et nous l’aurons.

C’est un feu bien adroit3 de la dame [madame de Maintenon] pour se tirer de tout blâme, d’attirer à elle les amis, et le coup est d’une adresse et d’une politique étonnante. Je ne puis croire qu’elle les aime, mais lorsqu’ils auront servi à ses desseins, ils l’éprouveront telle qu’elle est. Heureux qui ne s’attache qu’à Dieu : il trouve en Lui la paix au milieu des plus grands maux. Dieu est jaloux du cœur de N. [Fénelon], Il le veut tout pour Soi, Il est fâché de son partage. Une marque qu’il tenait est la peine qu’il a de tout perdre. Quand il aura tout perdu, il trouvera tout.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), f°193, « juin 1697 ».

1Fénelon restera à Paris jusqu’au 3 août, date à laquelle il se rendra dans son archevêché de Cambrai, n’ayant pu obtenir du Roi la permission d’aller défendre sa cause à Rome.

2 Il s’agit bien entendu de Fénelon. Devenu évêque de Constantinople, l’intransigeance de Saint Jean Chrysostome lui aliéna beaucoup d’intrigants. Il fut déposé, rappelé, déposé à nouveau, banni, et mourut, épuisé par des marches forcées, en 407. (v. DS, 8.333).

3 Les amis de Mme Guyon, et particulièrement Fénelon, hésitaient sur la conduite à tenir vis-à-vis de la très intelligente dame. « Feu » est expliqué par « coup » qui suit.

406. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Je n’ai pas entendu ce que vous voulez dire. Qu’ils demandent seulement que N. [Fénelon] dise qu’il s’est mal expliqué et ensuite qu’il s’explique, puisqu’on trouve son explication aussi mauvaise que son livre. Ce sont nos termes. Si l’explication ne vaut rien, le seul aveu qu’on ne s’est pas bien expliqué la première fois peut-il rendre bonne la seconde explication, si on trouve qu’elle ne l’est pas ? Il est certain que si, pour apaiser toutes choses et rendre la paix à l’Église, il ne fallait qu’avouer qu’on ne s’est pas bien expliqué, je n’en ferais point de difficulté, [f°194v°] puisque le bien général de la paix est préférable à un intérêt particulier, et ainsi je ne rejetterais pas la négociation de M. de V[ersailles]1 avec les missions étrangères, si l’on était sûr de cela. Mais comme vous croyez qu’on ne cesserait pas de poursuivre quand il aurait accordé cela, de quelle utilité peut être d’accorder ce qui ne termine rien ? J’enverrais mon livre incessamment à R[ome], mais je ne l’enverrais pas sans envoyer le recueil des passages qui le soutiennent. Je les

1François Hébert, v.Index. Il est rare de désigner un curé par « M. de… » on ne sait rien sur la négociation.

ajouterais à la seconde édition, car c’est ce qui est le plus propre à faire revenir les gens qui ne sont que prévenus sans être mal intentionnés. Je ne perdrais pas un instant à envoyer toutes choses à R[ome], car peut-être ne le voudra-t-on plus. Il est sûr que si, en mettant qu’on ne s’est pas assez bien expliqué, tout peut être en paix, il le faut mettre sans hésiter, mais si cela est inutile, il nuirait et ne donnerait pas la paix.

J’ai au cœur que les choses seront encore plus extrêmes2, car Dieu semble ne pas épargner. Peut-être est-ce une terreur panique, qui vient des continuelles malices qu’on a essayées. Je prie Dieu qu’il éclaire et console.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 194].

2Juste pressentiment, v. Vie 4 (le récit des prisons).

407. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Je ne vous saurais exprimer la douleur où je suis de la faiblesse de N. [Fénelon], non pour ce qui me regarde, Dieu m’en est témoin, et que je préférerais la mort la plus cruelle à le voir trahir la vérité. Il n’y aurait pas d’autre parti à prendre pour lui que d’attendre la décision du pape et se soumettre à cette décision. Quel droit ont les autres de le juger ? La fermeté l’aurait fait souffrir un peu, mais lui aurait attiré dans la suite l’estime de Dieu et des hommes. Qu’a-t-il à perdre ? Et quelle crainte doit-il avoir d’être chassé, puisque cela même serait son avantage selon Dieu, et lui rendrait la paix ? Pourquoi avez-vous cessé de le voir ? Vous l’eussiez peut-être soutenu. Dieu saura se susciter d’autres défenseurs, s’Il le veut. [f°195] Je suis sûre qu’il s’attirera même le mépris de ceux qui lui font faire ces choses1.

J’ai vu, il y a environ six semaines, me promenant le matin, ayant levé les yeux au ciel, une grande croix d’un nuage, le mieux formé que j’ai vu, qui dura un demi-quart d’heure, ce qui me fit une grande impression. Quelques temps après, je vis un glaive assez lumineux. Depuis ce temps, je fais des songes les plus affreux. Je ne suis point surprise de la mère du petit ch. Si on l’abandonne de cette manière par amour-propre, à qui Dieu en demandera-t-Il compte ? Il ne faudrait

1 Le 12 janvier 1697, M. Tronson prévient Fénelon qu’il n’a pas fait de démarches auprès de Godet-Desmarais. Mais celui-ci lui a écrit le même jour pour l’inviter à « désabuser » l’archevêque et ses amis « de l’estime qu’ils ont pour Mme Guyon ».  (Orcibal, CF, chronologie)

plus, pour comble de malheur, que vous vinssiez à changer ; je ne le crois pas. Je vous aime au-delà de tout. Bon Dieu, qu’est devenu N. [Fénelon] ? Est-ce le même homme ? Comment le tut[eur][Chevreuse] souffre-t-il2 qu’il fasse de pareilles choses ? Fallait-il commencer par soutenir la cause de Dieu pour l’abandonner ensuite ? Il eût été bien mieux de ne pas écrire. Mais comme le motif d’écrire n’a peut-être pas été pur ; Dieu, qui ne veut rien souffrir de cette nature, permet toutes ces choses. Pour moi, je ne puis que Lui abandonner de plus en plus Sa cause et Le prier de Se faire des cœurs fidèles. Ce livre m’a toujours fait peine. Il fallait attendre que monsieur de M[eaux] eût écrit, et ensuite faire un grand ouvrage soutenu des passages, l’envoyer à R[ome], manuscrit, avant de l’imprimer, et demeurer ferme sur cela. Tout ce que vous dites est très bien pensé. S’il n’a pas encore fait le pas, soutenez-le, je vous prie, sinon gémissons devant Dieu. C’est tout ce que je puis. Je perds les yeux et ne vois quasi pas à écrire. Je ne puis lire une ligne, mais n’importe.

Savez-vous que l’abbé de Lan[ion]3, qui a commencé le premier avec M. Boi[leau] cette persécution - le tut[eur] le connaît -, s’est allé faire huguenot ; il a été demander au p[rince] d’Orange une place de ministre ; il en a été refusé ; il est allé à Genève. C’est cet ecclésiastique qui m’a mandé cela. Il était de ses amis. Il dit que [195v°] N. écrit pour rétracter son livre : on en triomphe. Si vous m’envoyez ma boîte, cela ferait blanchir ici. Je prie sans cesse pour l’aub. Je ne doute point que Dieu ne récompense votre fidélité. Bon courage. J’aimerais mieux expliquer le livre, mais pour l’abandonner, je ne le ferais jamais. C’est le plus mauvais parti.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°194v°].

a Illisible.

2Chevreuse avait été profondément impliqué lors des épisodes des discussions d’Issy et pouvait donc intervenir facilement auprès de Fénelon. Ce dernier subissait des pressions multiples de la Cour, ignorées peut-être de la prisonnière qui doute de lui. Par tempérament et par finesse, il explore les accommodements possibles – jusqu’au point d’honneur. Cette limite est atteinte lorsqu’on lui demande non seulement de se distancier de la prisonnière (ce qu’elle avait demandé à ses amis), mais de la désavouer ; il écrit alors des lettres courageuse, mais qui demeurent évidemment ignorées de Mme Guyon.

3Inconnu de même que les personnages suivants.

408. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Vous ne sauriez croire combien je suis affligée de tout ce que vous me mandez de N.1 Il n’a garde qu’il ne soit troublé. J’espère que Dieu Se servira de cela pour l’éloigner d’un lieu qui lui est si funeste puisqu’il y tient si fort. J’ai toujours connu son attache pour une certaine personne. C’est ce qui lui tient le plus au cœur. Pourquoi ne vous voit-il plus ? Cela m’afflige, mais j’espère que la tempête le jettera au port, et que lorsqu’il sera éloigné de ce lieu, il sentira le repos que son attache lui dérobe. Je prie Dieu pour lui de toute mon âme.

Je suis ravie de ce que vous me mandez du p.2 Je voyais bien qu’il commençait à être un peu éprouvé. Il faut qu’il apprenne à ses dépens à perdre tous les appuis de sainteté et de vertu ; c’est une doctrine bien combattue, où néanmoins l’expérience ne rend que trop savant. Pour le b[on] P[ère]3, Dieu le bénira. Ce sera poussé plus loin.

Vous ferez bien, les choses étant comme vous me les mandez, de laisser le petit ch. à la campagne. Le grand [ch.] est-il toujours fort lié à Rem. ? Je comprends que vous devez avoir le cœur bien serré. Pour M. de V[ersailles ?]4, il est bien loin de pouvoir vous aider avec son amour-propre. Dieu nous appelle à bien plus de pureté d’amour et de dégagement. Laissez-vous conduire par la Providence : c’est un bon guide, elle ne vous laissera pas égarer, quoiqu’elle vous déroute quelquefois. Ne laissez pas le pauvre N. à lui-même, voyez-le malgré lui, et tâchez de le faire rentrer dans son premier abandon. Je vous donne mission pour cela. Voilà un billet pour prendre deux cents livres sur M. Le L. Il n’est pas juste que vous mettiez [196r°] du vôtre. J’espère que la bourse du petit Maître fournira à tous. Ne lui témoignez pas que je vous écris. Je ne le date pas : il servira en temps et lieu.

L’ecclésiastique que je vous ai mandé être le confesseur de ces bonnes gens m’a encore écrit. Il m’a mandé que N. avait fait un livre, me l’a même envoyé pour lire, mais je n’ai fait semblant de rien. Je sais qu’il connaît nos adversaires, qu’il est de leurs amis et qu’il est très instruit de ce qui se passe. Cela m’a fait tenir sur mes gardes. Il m’a mandé que le livre était fort combattu, qu’on l’avait envoyé à R[ome], que le pape n’ayant pas voulu qu’il fût à l’Inquisition, avait nommé deux cardinaux pour l’examiner, et qu’il le croyait approuvé. Si cela est, il ne

1 Fénelon, attaché à une certaine personne de la Cour : Mme de Maintenon ?

2 puteus (Dupuy) considéré déjà auparavant comme « trop sage » ?

3Nous ne savons pas attribuer de nom avec certitude. Il en est de même pour presque tous les personnages auxquels cette lettre fait allusion.

4François Hébert ?

faut pas s’étonner qu’on presse si fort N. [Fénelon] de le soumettre aux évêques. J’attendrais assurément la décision du pape et tiendrais ferme sur cela sans plus varier. C’était l’unique parti qui était à prendre. Il m’a aussi envoyé une lettre supposée écrite par une personne qui a pris le parti de se faire religieuse. Elle se vend chez Coignard, rue St Jacques, à la Bible d’or. C’est proprement une critique du livre de N. tourné en ridicule par ses propres expressions ; faites-la acheter. Il m’a mandé qu’on disait que je ne serais plus guère ici. Il dit encore que N. a lu son livre en Sorbonne pour le faire approuver. Je me tiens sur mes gardes et ne réponds qu’en général, comme n’y prenant pas d’intérêt. Si j’apprends autre chose, je vous le ferai savoir. Ces bonnes gens paraissent tristes et découragés : ils croient peut-être qu’en ne portant pas les lettres chez nous, ils n’auront rien. Je laisse tout entre les mains de Celui qui doit tout régler. Je vous embrasse et aime de tout mon cœur.

Cet ecclésiastique m’a mandé qu’un grand directeur de la Cour - il le nomme même directeur de M. et madame de B., de madame de Ponchartrain -, a dit au curé d’Issy que j’étais dans sa cure. Le curé a répondu qu’il ne pourrait approuver la dureté avec [196v°] laquelle on me traitait. Il lui a répondu que j’étais un esprit dangereux, et qu’on faisait bien de m’empêcher de voir personne. Ce curé a toujours soutenu que la conduite était trop rigoureuse, à quoi le directeur répondit : « On aurait pris des mesures, il y a quelques jours, pour l’ôter de là ; je ne sais pourquoi on ne l’a pas encore fait. »

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°195v°].

409. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

N. [le curé] sort d’ici. Je ne l’avais point vu depuis trois jours devant la Pentecôte. Je crois devoir vous dire toute notre conversation. Il m’a dit d’abord que N. [Fénelon] faisait un livre pour se rétracter et qu’il m’y condamnait formellement, moi personnellement et mes deux livres1. Je lui ai dit que s’il les croyait condamnables et moi aussi, qu’il faisait bien, et que je n’avais pas assez d’amour-propre pour m’en offenser, que pourvu que l’intérêt de Dieu et de l’Église fût conservé, que cela me suffisait. Il m’a répondu que ce second livre le rendrait encore plus méprisable que le premier2, et ne satisferait personne, parce qu’on était fort persuadé qu’il ne

1Le Moyen court […] et le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique […]

2Au premier livre de Fénelon, l’Explication des maximes des saints, publié le 29 janvier, ne succèdera aucun « second » livre en 1697, mais de nombreux - et courts -opuscules (v. Fénelon, Œuvres I, 1983, « Chronologie », XXXIII et suiv.). Il faut attendre la fin août 1698 pour que la Relation sur le quiétisme de Bossuet, écrit qui se veut historique et « présente Mme Guyon comme folle et inquiétante » (Id., « Notice » par J. Le Brun, p. 1608), provoque la nécessaire et substantielle Réponse de Monseigneur l’archevêque de Cambrai à l’écrit de Monseigneur de Meaux intitulé relation sur le quiétisme (Id., p. 1097-1199 ; l’éditeur J. Le Brun ).

condamnait pas mon livre dans son cœur et qu’il ne le faisait que par politique, par respect humain et pour ne pas perdre la fortune. Il m’a dit : « Enfin tout tombe sur la pauvre madame, en me nommant. Vous voyez que vous n’avez plus d’amis. » Je lui ai répondu : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit. » Il m’a dit ensuite, [qu’]il avait écrit à R[ome] une lettre fort mal conçue, et priait le pape d’examiner son livre. Je lui ai dit : « Apparemment, monsieur, qu’il attend la décision du Saint-Siège pour s’y conformer avant d’imprimer. » Il m’a répondu en faisant des éclats de rire : «  C’est là le ridicule, qu’il ait écrit à R[ome] sans en attendre la décision : il se hâte de prévenir la condamnation et le coup qui le va achever. » Je lui ai répondu : «  Je ne suis qu’une femme, mais si j’étais à sa place, j’aurais assurément attendu la décision du pape tranquillement, et m’y serais ensuite conformée avec une entière soumission. » Il m’a répondu que je disais le plus expédient, qui [197r°] l’eût tiré d’affaire et lui aurait attiré l’estime de tout le monde ; cette soumission eût confondu les jansénistes. Et puis entre les dents, un mot comme si c’était ce qu’il craignait. J’ai dit : « Monsieur, on peut se tromper, et il faut une soumission entière au chef de l’Église, mais aussi il faut de la fermeté et du courage pour ne rien faire par respect humain. » Il m’a dit : « Le pauvre homme est faible, tout le monde lui tourne le dos, il ne peut supporter cela. »

Je crois qu’on a dessein de me transférer plus loin, et que ce sera dans le diocèse de Chartres. Je suis à Dieu, Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Je perds les yeux, j’écris sans quasi les ouvrir, et bientôt peut-être ne le pourrai-je plus. N’y aurait-il pas moyen que N. se corrigeât et qu’il ne fît rien imprimer qu’il n’eût eu la réponse de R[ome], et ensuite faire imprimer conformément au sentiment du pape ? Il me paraît que c’est l’unique parti ; dites-le au tut[eur], faites vos efforts pour le lui faire prendre, je vous en conjure. Il m’a encore dit que le dernier livre n’aurait guère l’Esprit de Dieu, que c’était bien le trouble et le respect humain qui en seraient l’auteur. Il a fait ce qu’il a pu à confesse pour porter la petite Marc à me quitter. Certaines choses que j’ai ouïes me font croire qu’ils m’en veulent donner de leur main4. Je ne m’étonne pas de ce que Jésus-Christ a choisi de pauvres pécheurs pour prêcher et soutenir sa doctrine, car s’Il avait pris de grands seigneurs et des gens riches, la peur de perdre leur fortune leur aurait inspiré des ménagements qui les eussent rendus indignes et incapables de soutenir une doctrine si combattue. Si l’on me veut mettre à Poissy, diocèse de Chartres, ainsi que j’ai lieu de le croire, je demanderai qu’on me remette entre les mains de M. de Sens, mon pasteur légitime, qui fera de moi ce qui lui plaira, ayant droit de le faire, mais je ne répondrai jamais à M. de Chartres. Si vous pouviez [197v°] m’envoyer des lunettes, j’essaierai de m’en servir, car je perds la vue.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°196v°].

4Passer aux actes.

410. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Vous ne sauriez croire la joie que vous me donnez de me mander qu’on tiendra ferme et que la chose ira à R[ome]. Je donnerais jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour qu’on demeure ferme dans cette résolution. S’il reste encore quelque union pour moi, je n’en veux que cette seule marque, j’en conjure par tout ce qu’il y a de plus saint et de plus sacré, et je ne doute pas que sitôt qu’on aura pris ce parti, on ne retrouve la paix et l’étendue de cœur. Si je savais quelques termes assez fort pour persuader de cette conduite, je l’emploierais : ce sera la seule sûre et agréable à Dieu. Quoi qu’il en puisse arriver, il sera toujours glorieux à un fils de l’Église de se soumettre à son véritable père et à son juge légitime. Que ne puis-je écrire cela avec mon sang !

Je suis effrayée de la proposition que vous me faites d’envoyer aux Cord[eliers]. Les sœurs d’ici ont leur maison auprès, dans la rue de Grenelle, elles y vont toujours à la messe ; elles connaissent toutes la jardi[nière]. Ce serait tout perdre ; choisissez tantôt un lieu tantôt un autre, mais jamais celui-là. J’ai conçu que le directeur était le c[uré] de V[ersailles]1, il ne faut pas s’y fier assurément.

Pour Rem.2, songez qu’elle est très fine : faites-lui toujours bien de l’amitié. Et voyez le ch.3 de temps en temps, cela est nécessaire. Ne

1Le curé de Versailles Hébert ; l’alliance d’une activité de directeur des religieuses à celle de confesseur de Madame Guyon que l’on tente ainsi de maîtriser n’est guère étonnante : la congrégation n’a t-elle pas été constituée « pour » Madame Guyon ?

2 « Rem » est un diminutif fréquent, attribué à une dame du cercle de Madame Guyon, que nous n’avons pu identifier : nous arrêtons dorénavant de signaler son mystère.

3Il en est de même pour le « ch. » (le cheval ?) ; nous avons suggéré antérieurement Mme de Charost.

fermons jamais la porte au retour, au contraire, ouvrons-en toutes les voies, mais tenons-nous sur nos gardes pour ne pas tomber dans le piège. Je donnerais mon sang pour le retour du ch., mais la bonne opinion d’elle-même qu’on a nourrie malheureusement en mon absence, m’y paraît un terrible obstacle. N’usez plus de toutes ces déférences, recevez-la avec charité, mais engagez-la à avouer son tort avec petitesse. Il faudrait que Rem. lui parlât avec vous, et vous verriez de quelle manière elle s’y prendrait. L’amour-propre de M. de V[ersailles][Hébert] est effroyable ; sa jalousie en est l’effet, [198r°] mais il n’importe. Rem. ne pouvant que lui obéir, il faut qu’elle outre tout pour ne le pas mécontenter. Cependant elle devrait lui parler quelquefois avec courage sur un amour-propre si grossier. Pour N.4, que vous dirais-je de ses manières d’agir avec vous ? Je les veux regarder comme des marques d’amitié, car il a toujours été pour moi comme vous le remarquez à présent pour vous ; cela fait bien souffrir, mais il faut aimer nos amis avec leurs défauts. Je comprends bien ce que vous me dites de ça. C’est à Dieu lui-même à lui ôter ses idées de sainteté et de vertu : les hommes n’y peuvent rien. Plus il en sera prévenu, plus il lui en coûtera d’épreuves et d’humiliations pour les perdre5.

C’est ma fête aujourd’hui, aimez-moi toujours autant que je vous aime. L’ecclésia[stique] m’a fait voir aujourd’hui le livre de M. de M[eaux]6 ; sa préface est fort belle, et son livre affreux et d’une malignitée outrée, plein de faits faux, de faux exposés et de fausses conséquences. Adieu. Je n’ai pas si mal aux yeux aujourd’hui. Si vous m’envoyez la toile, envoyez-moi du café, à présent qu’il est à bon marché : je suis bien aise d’en avoir au cas qu’on me transfère. On dit que ma cousine7 est à Sainte-Marie de M[eaux] ; cela m’afflige, car elle sera bien tourmentée. Rien n’est plus aisé que de réfuter le livre, si je l’avais à moi : il est faux dans ses principes, plus faux dans ses exposés et très faux dans ses conséquences. Je voudrais écrire trois lignes à p.8 pour une chose de conséquence, cela se peut-il ?

4Il en est de même.

5Aperçu sur la voie de foi nue qui n’est pas une « école de morale, de sainteté ou de vertu. »

6S’agirait-il d’une première rédaction de la Relation sur le quiétisme de Bossuet, achevé d’imprimer à Paris, chez Jean Anisson, le 31 mai 1698, soit près d’un an plus tard ? Un « écrit historique », s’attaquant aux personnes, fut rédigé « dans les derniers jours de 1697 » (Fénelon, Œuvres I, 1983, « Notice » à sa Réponse…, p. 1607). On pense plutôt à l’Instruction sur les états d’oraison, achevé d’imprimer le 30 mars 1697.

7Madame de la Maisonfort, qui fut chassée de Saint-Cyr, pour quiétisme, le 10 mai 1697.

8Indéterminé. Dupuy ?

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°197v°].

411. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

Je suis dans un étonnement de voir le peu de vérité qu’il y a dans le livre de M. de M[eaux], que je ne puis vous l’exprimer. Rien n’est plus aisé à réfuter que ce livre1. Je rêve assez souvent au tut[eur][Chevreuse], et cette nuit, comme je le voyais assez extraordinaire, je lui ai demandé ce qu’il avait ; il m’a avoué qu’il avait de grands doutes sur moi2 ; je lui ai fait le signe de la croix sur le cœur, et je lui ai dit : «  Je [198v°] prie Dieu de faire sentir la vérité à votre cœur3. »

Je suis bien plus indignée de ce que M. de M[eaux] écrit contre M. de C[ambrai] que de tout ce qu’il met contre moi, car quelque soin qu’il prenne de détruire l’intérieur et de donner un sens forcé et détourné aux passages des saints, il leur reste encore assez de force pour établir, auprès des personnes de bonne foi et sans prétention, ce qu’il veut détruire. Je me mets peu en peine de ce qu’on peut penser de moi, pourvu que la vérité soit connue. Quand je serais aussi trompée et aussi méchante qu’on le veut faire croire, il est certain et établi, par ceux-mêmes qui le veulent détruire, que l’Intérieur n’est pas une chimère4, qu’il est réel dans les saints ; que tels et tels l’ayant outré ou en ayant abusé, cela ne fait rien au fait véritable de l’Intérieur en lui-même, et pourvu qu’on reconnaisse que Dieu conduit certaines âmes par cette

1Ce qui confirme qu’il s’agit de l’Instruction sur les états d’oraison, achevé d’imprimer le 30 mars 1697. Il est moins aisé de démentir des insinuations « historiques » que de réfuter une théorie de l’oraison en s’appuyant sur l’autorité de certains pères de l’Église ou des mystiques reconnus, comme cela avait été fait dans les Justifications de 1695.

2Le duc de Chevreuse fit en effet une enquête assez complète sur Madame Guyon, parallèlement à celle de M. Tronson, en 1695. V. le récit de l’enquête à propos de Cateau Barbe. Il s’enquit auprès de Richebracque, sous la pression de Bossuet, v. Orcibal, Etudes…, « Le cardinal Le Camus », p. 812, et à la fin de notre volume : Notices, « Cateau Barbe ».

3L’approche correcte, car directe, par le canal intérieur, par le « cœur ».

4 « Que l’Intérieur n’est pas une chimère ! » Affirmation en fait très forte, car beaucoup n’osent aller au terme de leur doute, en posant l’alternative, l’inexistence de l’Intérieur, dont témoigne leur vie qui cherche appui ailleurs. Nous écrivons cet Intérieur avec une majuscule, pour marquer la différence entre une Vie qui sourd de l’intérieur de nous-mêmes et ce dernier, fait de conscient et d’« inconscient ». La contradiction entre le doute profond et l’affirmation inverse est souvent résolue au prix d’une crispation sur des institutions, des dogmes, etc., créations humaines.

voie, qu’il y a un vrai abandon et une sainte indifférence, cela me suffit. Que je sois anathème pour mes frères5 après cela, qu’on juge de moi ce qu’on voudra, cela ne fait rien à l’affaire.

Dieu ne juge pas comme les hommes. Il sait bien connaître ce qui est sûr quand tous les hommes le méconnaîtraient, et c’est bien véritablement de la conduite intérieure qu’on peut dire : «  Ô profondeur des richesses, de la science et de la sagesse de Dieu, que vos voies sont impénétrables ! Qui a été le conseiller de Dieu6 ? » Cependant on dit ordinairement : « Cela est bon, ceci ne vaut rien », quoique ce soit précisément la même chose. On est obligé, pour prouver ce qui ne vaut rien, d’user de « c’est-à-dire », établissant tout sur des principes faux, et voulant assurer qu’on pense ce qu’on n’a jamais pensé. Quand il faut imputer à des personnes des pensées pour les condamner, cette condamnation est bien mince, car qui peut mieux savoir sa pensée que Celui qui la forme ? Et qui s’est jamais avisé de pénétrer des pensées qu’on n’a jamais déclarées, et qu’au contraire on a toujours soutenu être [199r°] toutes différentes ! On est consolé de ce que Celui qui sonde les cœurs et les reins7 et qui connaît le fond des cœurs, n’ignore pas non plus quelles sont nos pensées, et qu’Il ne saurait s’y méprendre. J’ai une grande union aujourd’hui avec saint Pierre 8, et bien intime : je ne crois pas qu’il me rejette ni condamne comme font les autres.

Je vous embrasse de tout mon cœur. On m’a envoyé du vin : ainsi je pense qu’on s’est déterminé à me laisser ici, après avoir fait courir le bruit que je n’y suis plus.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°198].

5Paul, cf. Romains, 9, 3 : Car je désirais d’être moi-même anathème (& séparé) de Jésus-Christ pour mes frères, avec qui je suis uni par le sang. (Amelote).

6Romains,11, 33 : « Ô altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei…

7Romains, 8, 27.

8Pierre, fondateur de la vraie Église, intérieure. Toute la lettre oppose « le peu de vérité » de l’Église institutionnelle à l’Intérieur prouvé (à soi-même) par l’expérience d’une union intime.

412. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

Je ne sais que penser du changement que vous me marquez, sinon qu’on veut engager N. [Fénelon] de ne point aller à R[ome] pour le perdre plus aisément. C’est un coup de partie1 de demeurer dans la défiance et de persister dans le dessein d’aller à R[ome]. Je ne voudrais pas2 avoir une conférence avec M. de M[eaux] : je ne refuserais pas de lui rendre une visite ou de le voir, mais je voudrais avoir de bons témoins et n’entrer en rien3. Je disais toujours que je le craignais beaucoup moins lorsqu’il était en colère que lorsqu’il affectait de la douceur. Je ne me fie point du tout à l’ecclés[iastique]4, mais comme il confesse les bonnes gens et qu’il est de leur confidence, cela m’oblige à le ménager. Croyez-moi, défiance de tous côtés.

Pour ce qui est du mariage de N.5, plût à Dieu que vous acceptassiez par là la paix de nos amis, et ce qui est de plus, quelque trêve pour l’intérieur6. Suivez leur conseil, et n’allez pas tout perdre par trop de fermeté ; je crois cela nécessaire à présent ; ce qui est bon dans un temps ne l’est pas dans l’autre. Si l’on vous fait d. d. p. [dame du palais] j’espère que Dieu vous y conservera et que vous pourrez servir un jour à la pp.[petite princesse]. Dieu sait pourquoi Il fait les choses. Pour moi, j’ai plus de crainte lorsque les choses flattent que lorsqu’elles paraissent désespérées. Enfin, défions-nous de tout et [199v°] ne cédons jamais qu’à la vérité. Je n’attendrais point l’autorité pour le mariage de N. Je le ferais de bonne grâce avec les conditions bonnes. J’espère que Dieu Se contentera du sacrifice que je lui fais et que je paierais pour tous. Que je sache tout ce qui se passera sur cela, je vous en prie, et ne me cachez rien, pourvu que l’intérêt de Dieu et de l’intérieur soient conservés.

J’enverrais toujours par avance les éclaircissements à R[ome] ; c’est peut-être ce qu’ils appréhendent ; puisqu’on envoie bien le livre, on peut envoyer les éclaircissements8 sans préjudice de ce qu’on fera ici, et je crois la chose tout à fait de conséquence. Je conjure donc de les envoyer : il n’y peut avoir d’inconvénient, et c’est la voie droite de l’équité. Je ne crois point du tout l’ecclés[iastique], mais je lui écris en réponse de loin en loin.

1Un coup qui décidera de la partie.

2Madame Guyon se met à la place de Fénelon qu’elle conseille implicitement.

3N’entrer dans aucune discussion. Fénelon suivait déjà cette ligne de conduite et refusait toute conférence orale avec les prélats français. (v. CF, chronologie, 30 juin 1697.)

4Qui pourtant se révèlera bientôt beaucoup plus humain que N., le curé.

5Mariage dont il a été question dans une lettre précédente.

6L’un des époux semble donc ne pas appartenir au cercle quiétiste.

7La petite princesse est l’épouse du duc de Bourgogne dont le mariage allait être célébré le 9 décembre 1697.

8 « …en même temps qu’il établissait des listes d’Autorités pour étayer sa doctrine, Fénelon ajoutait à son livre [l’Explication des maximes des saints] de nouvelles corrections. Les dossiers, conservés aujourd’hui en partie, […] serviront d’arsenal au cours de la querelle. En revanche, de nouvelles corrections furent introduites dans l’édition interfoliée… » (Fénelon, Œuvres I, 1983, « Notice », p. 1541-1542).

Je vous assure que mon cœur est très content de vous et que vous pensez mal sur cela. Je vous aime très tendrement. Il me vient une pensée que M. l’abbé Cout[urier]9, sans faire semblant de rien, pourrait bien savoir ce que c’est que cet ecclésia[stique] qui demeure à Vaug[irard] ; il s’appelle M. des ch.10 Je crains bien la conférence de M. de M[eaux], et je suis sûre qu’on ne trouvera qu’à Rome la fin et le remède à tous les maux. La manière outrageante dont M. de M[eaux] traite M. de C[ambrai] dans son livre, mérite qu’il soit ferme et ne lui donne point de prise. Cet homme fait le renard ; enfin sa douceur est mille fois plus à craindre que sa colère. Je parle par expérience : un homme sans parole, qui trompe, etc. Croyez-moi, qu’on ne se fie pas à lui. Voilà un billet pour p.11 Vous avez oublié la toile et un peu de rhubarbe que je vous avais demandés. Il me vient dans l’esprit que le changement vient peut-être de la condamnation que N. [Bossuet] a fait de mes livres et de ma personne, car c’est tout ce qu’ils voulaient. Qu’en pensez-vous ? Je n’ai pas de peine.

Depuis ceci écrit, N. [le curé] m’est venu voir. Il m’avait fait accepter du vin, je lui avais mandé que s’en trouvait d’excellent ici à [f°200] cent francs, il a voulu m’en envoyer à cinquante écus du septier, qui n’est pas si bon à beaucoup près. Mais ce n’est pas de quoi il s’agit ; il m’a dit que M. de P.12 avait contre moi des preuves incontestables de crimes, et qu’ainsi il ne croyait nulle apparence qu’on me donnât jamais ma liberté. Je lui ai répondu que je ne demandais pas ma liberté et que je ne l’avais jamais demandée, mais que je trouvais fort étrange qu’après avoir été dix mois dans les mains de M. de la Reynie, qui est si éclairé et qui d’ailleurs n’était pas prévenu en ma faveur après tant d’informations, on me parlât encore de ces prétendus crimes ; que j’avais toujours demandé qu’on examinât ma vie, que non contente de l’avoir demandé par écrit à Mme de M[aintenon] et de l’avoir fait demander par d’autres, sitôt que je vis M. de la Reynie à Vincennes, que c’était la première

9L’abbé Couturier subira à Vincennes quatre interrogatoires par La Reynie avant d’être remis en liberté. Mme Guyon demeura « dans une maison de la rue Saint Germain l'Auxerrois, que ledit sieur Abbé Couturier prit soin de louer pour elle et à sa prière. » (Interrogatoire de Mme Guyon en 1696).

10Inconnu.

11p. pour put (Dupuy) ou pour La Pialière ? Moins visible que les puissants au-dessus d’eux, ces futurs copistes des lettres pourraient avoir eu l’un et/ou l’autre un rôle important auprès de Madame Guyon à cette période. La Pialière sera en contact avec elle tout à la fin, assurant un de ses déménagements, avant qu’elle ne soit découverte et prise par Desgrez.

11aM. de Paris, l’archevêque.

chose que je lui demandais, et que l’ayant prié de demander au r[oi] de ma part qu’on examinât ma vie, il le lui demanda, que le r[oi] lui dit que ma demande était juste. Ensuite M. de la Reynie prit un détail de tous les lieux où j’avais été, de toutes les personnes qui m’avaient accompagnée, de celles chez qui j’avais logé et avec qui j’avais eu commerce ; et après trois mois de perquisitions, il me dit que je n’avais qu’à demeurer dans ma tranquillité et qu’on n’avait rien trouvé contre moi, que tout me serait rendu. Ce sont ses termes. Il m’a dit qu’on avait pris le dessein de me remettre à Vincennes. Je lui ai dit que je demandais d’être mise à la Conciergerie afin que le Parlement connût de mon affaire, qu’il me fît punir si j’étais coupable, et qu’on punisse aussi les calomniateurs. Il m’a dit :  «  Mais vous êtes toujours entre les mains de la justice, car c’est M. Desgrez qui vous a amenée ici et vous êtes en sa charge ; et comme les crimes que vous avez faits ne peuvent vous [f°200v°] faire juger à mort, il est plus sûr de vous renfermer. » Je lui ai répondu que je consentirais à être renfermée si on ne formait pas de nouvelles calomnies pour en servir de prétexte, mais que je devais à Dieu, à la vérité, à la piété, à ma famille et à moi-même de demander cela : qu’on fît examiner la vérité au Parlement. Il m’a dit qu’il le dirait à M. l’arch[evêque]12, que sans le livre de M. de C[ambrai], je serais hors d’affaire. Je lui ai dit que le livre de M. de C[ambrai] ne me rendait ni plus coupable ni plus innocente, que si les faux témoins me faisaient mourir, je m’estimerais heureuse, mais que mon affaire n’avait nul rapport à ce livre. Il m’a exhortée ensuite à lui avouer mes crimes, disant que Dieu m’avait fait bien des grâces de m’avoir tirée de l’occasion de les continuer, que je n’avais point de confiance en lui. Je lui ai dit que je n’avais aucun crime à avouer, que j’avais eu plus de confiance en lui qu’on en a ordinairement pour une personne venant de la main de ceux qui sont prévenus contre nous, etc. Il s’en est allé, disant qu’il trouvait juste qu’on me remît entre les mains de la justice, que tout était bien prouvé et que M. l’arc[hevêque] n’en doutait pas.

Comment accorder cela avec ce que vous me mandez, sinon qu’on veut persuader aux amis les crimes imaginaires, et les leur insinuer en leur donnant des marques d’amitié ? Dieu sur tout. Je lui ai dit que lorsque ma fille serait revenue, que [3] je ferais présenter une requête pour être mise entre les mains du Parlement.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°199].

12L’archevêque de Paris, Noailles, depuis août 1695.

413. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

Je vais vous dire une chose qui vous surprendra sans doute. Vous saurez que, ayant besoin de vin, j’en avais fait chercher ici, que j’en avais trouvé d’excellent à cent francs le demi-muid1. Je le crus un peu cher. Je mandais à N. [le curé] que je le priais de me mander si je n’en pourrais pas trouver à meilleur marché, parce que [f°201] j’avais peine d’y mettre tant d’argent. Sans me faire de réponse, il m’en envoya une feuillette à cent écus le muid, c’est-à-dire cinquante écus la feuillette ; cela me parut extraordinaire, mais je le laissais passer. Sitôt qu’il fut ici, le fût n’en valait rien ; il s’en perdit un tiers, quelque diligence qu’on y apportât, mais ce n’est rien ; lorsque j’ai voulu en boire, j’ai trouvé qu’il me brûle [sic] la bouche, la gorge et les entrailles avec des douleurs que je croyais mourir. Sitôt qu’on y met un peu d’eau, il n’a plus le goût de vin et n’en brûle pas moins. J’ai prié qu’on envoyât quérir un homme qui passe pour le plus honnête homme du village, pour voir si c’était qu’il fallût y faire quelque chose, ou s’il n’était pas en boite2. Sitôt qu’il en eut goûté, il fut effrayé, disant que ce ne pouvait être qu’un fripon qui eût envoyé ce vin, que pour lui il n’en voudrait pas boire un demi-septier et qu’il ne le goûtait pas sans terreur, qu’il y avait des choses dedans qu’il savait bien, et qu’il brûlerait les entrailles à qui le boirait ; et tout cela devant la fille qui me garde, qui était au désespoir de l’avoir fait venir. Il reste dans la bouche, après l’avoir bu, le même effet que les biscuits de Vincennes où l’eau forte paraissait dessus, et les taches et l’odeur. Je ne les fis que mâcher et cracher, et j’en fus incommodée ; Manon, qui en mangea gros comme une noisette, le fut bien davantage.

Ce que je puis juger de cela, c’est que, me voyant fort mauvaise, ils croient faire service à Dieu de me faire mourir. Il y a un cabaretier qui le prendra à deux tiers de perte pour mettre sur un râpé3 et qui m’en donne en échange du naturel. Voyez quelle aventure, dont, par providence, il y a des témoins dignes de foi. Je n’en témoignerai jamais rien. J’ai prié la demoiselle de ne point dire à N. qu’on l’eût changé. Le cabaretier ne le mettra [201 v°] que peu à peu sur son râpé, le mêlant avec des …a On

1Un demi-muid ou feuillette équivalait à un peu plus de 100 litres. Le vin était généralement bu mélangé à l’eau qu’il devait certainement purifier par son alcool.

2Boite : vin en boite, vin bon à boire : « Ce vin est trop vert, il ne sera dans sa boite que dans trois mois » Furetière.

3Râpé : substantivé en parlant d’un vin fabriqué en faisant passer un vin faible dans un tonneau dont on a rempli un tiers de raisin nouveau. Par extension, vin éclairci avec des copeaux ; également restes mélangés servis dans les cabarets. Rey. – Il est étrange que Mme Guyon accepte de se débarrasser ainsi d’un poison !

avait pris la précaution d’en faire goûter d’autre très bon à M. le L.4, afin que, si l’on disait quelque chose, on puisse dire qu’il en avait goûté. C’est du vin blanc où l’on a mêlé du gros rouge tiré à clair. Dieu, par Sa bonté, a dissipé le conseil5. Cet homme dit qu’on n’en peut boire sans avoir les entrailles brûlées, qu’il est plein de chaux et d’autres choses qu’il ne dit pas. Il s’est trouvé mal sitôt qu’il en a eu goûté, et a dit que c’était un voleur qui vendait de pareil vin. Il a fort pressé pour savoir d’où il venait, mais je n’ai jamais voulu lui dire. Que dites-vous de cela ? Que Dieu fasse de moi ce qu’il Lui plaira, mais je ne l’éviterai pas tôt ou tard. Que Sa volonté s’accomplisse ! Ils croient que c’est un grand service à Dieu de se défaire de moi.

Depuis ceci écrit, l’homme qui avait voulu acheter le vin s’étant trouvé fort mal d’en avoir goûté, a envoyé un homme qui goûte tous les vins du pays pour le goûter encore. Dès qu’il l’a mis sur sa main et qu’il l’a odoré, il n’en a point voulu goûter et a dit que c’était du vin empoisonné. On l’a prié d’accommoder le fût qui ne vaut rien. Il a dit que, quand on lui donnerait autant d’argent qu’il en pourrait tenir dans la cave, il n’en boirait pas et n’y toucherait pas ; qu’il y aurait de quoi le faire pendre d’accommoder de tel vin, et qu’il était impossible d’en boire sans mourir, qu’il fallait déclarer qui l’avait vendu pour faire pendre les gens. La fille qui me garde est demeurée bien étourdie, car comme le vin a été mis à clair dans le vaisseau6, on a vu que c’est un dessein formé. Je brûle toute, j’ai les entrailles en feu, la gorge écorchée, je ne cesse de boire de l’eau sans désaltérer. Envoyez-moi de la thériaque7 par la jardinière.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°200v°].

aLecture incertaine : bessières ? (ce mot existe-t-il ? inconnu de Littré).

4M. le Lieutenant (de police) ?

5Fait échec à un groupe malveillant (Ps. 32, 10).

6Récipient.

7Médecine que l’on regardait comme un spécifique contre toute espèce de venin […] La thériaque est stomachique et calmante. Littré.

414. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

N.1 ne veut pas prendre le vin, mais quelques bouteilles pour dire qu’il est bon. Je n’ai garde d’en boire, je n’en ai bu qu’à trois repas, j’en ai pensé mourir.

Je suis étonnée de ce que dit M. de V.2, et je vous avoue que cela m’effraye. Je serais bien fâchée qu’on préférât mes lumières à d’autres, mais je crois que Dieu ayant acheminé les choses pour R[ome], c’est suivre Son ordre que d’y aller. Que si l’on veut assurément finir toute dispute, non en disant qu’on s’est trompé, ce qui est faux, mais qu’on ne s’est pas bien expliqué, je crois qu’il le faudrait. Mais je crois qu’on ne fait toutes ces démarches, et vous le verrez, que pour empêcher d’aller à R[ome] et pour faire que le p[ape], indigné de ce qu’on n’aura pas exécuté ce qu’on a demandé, condamne le livre. Ces gens-là n’ont nulle bonne intention et, lorsqu’on va droit, on ne se sert pas de tant d’artifices et de fourberies.

R[ome], R[ome] : c’est l’ordre hiérarchique que Dieu a établi dans l’Église. Si on y est condamné, c’est à un fils sincère de se soumettre à son père, et c’est l’ordre de Dieu3. Quel fond à faire sur des gens qui usent de toute violence, qui ne tiennent aucune parole ? M. de V. s’est laissé prévenir par des discours spécieux, et il prend son imagination échauffée pour la volonté de Dieu. Quel inconvénient d’aller à R[ome] ? Car, quand le pape condamnerait, ce que j’ai peine à croire, voyant la soumission, il ne demanderait pas autre chose que l’aveu qu’on s’est trompé. Rome, R[ome], au nom de Dieu ! C’est la petitesse d’ordre de Dieu que de se soumettre au pape, et c’est une bassesse de faire autre chose. Mon Dieu, ma tr[ès] ch[ère], que j’ai de peine et que je crains qu’on ne prenne pas ce parti, si fort dans l’ordre de Dieu et qui est une volonté déclarée ! Ne nous amusons plus. Le livre et les éclaircissements dev[r]aient être [202 v°] partis. Il me paraît que c’est une chose horrible de dire qu’il ne s’en faut pas rapporter au pape. Les raisons que vous dites sont si bonnes et si vraies ! Faire autrement, c’est suivre l’enthousiasme4. M. de V. n’a pas, je crois, grâce pour nous tous : il peut

1 Le curé ?

2 V. plus bas, dans cette même lettre : « … le c[uré] de V[ersailles ?], qui est ami de M. de V[ersailles ?]… ».

3 A la racine de l’obéissance de Madame Guyon : une soumission à l’ordre surnaturel qui a établi par Pierre Son Église et non à des hommes.

4 Madame Guyon se sépare nettement des « Enthousiastes », comme on appelait à l’époque des spirituels guidés uniquement par leur intuition, sans considération (critique) d’aucune Église, souvent trompés par leur interprétation (par exemple prophétique) hasardeuse s’accommoder fort bien avec l’amour-propre, mais pas avec le pur amour. Sa certitude et son infaillibilité m’effrayent. Je crois que N. [le curé] est fort de son avis, et N. J’ai fait ce qu’ils ont voulu sans faire de bassesse. R[ome], je vous en conjure, R[ome], au nom de Dieu : c’est Son ordre, et par conséquent Sa volonté. Je ne dirai jamais autre chose que R[ome]. Il m’est venu dans l’esprit que le c[uré] de V[ersailles], qui est ami de M. de V. pourrait bien lui avoir inspiré ces choses et cet air prophétique ? Je crois qu’ils craignent Rome.

Je vous prie que tous les frères se renouvellent en pureté de cœur et d’amour de Dieu, qu’ils implorent de toutes leurs forces Sa clémence, afin qu’Il inspire et soutienne M. de C[ambrai]. Dieu veut être quelquefois prié de cette sorte et que l’on s’unisse de cœur et d’esprit pour cela. Que chacun fasse belle dévotion, ou pénitence que Dieu lui inspirera ; la meilleure est le renoncement de tout intérêt propre. Je m’unirai à vous, dites cela comme de vous, et que N.5 le demande à tous ; qu’ils s’appetissent, s’abandonnant à Dieu, ne voulant que Sa sainte volonté. Non point à nous la gloire, mais à notre bon Seigneur. Je vous embrasse. Je vous prie que tous disent trois fois la prière de Mardochée et d’Esther6 pour impétrer7 le secours de Dieu.

Le N. [curé] régala ici il y a deux jours ses amis, il y fut tout le jour sans venir. Sur le soir, comme il se mettait à table, il envoya quérir la fille qui me garde, et lui dit qu’on envoyât du vin pour régaler ses amis parce qu’il était excellent. On y fut dans le moment ; il n’en voulut point disant qu’il n’était plus temps ; comme il a sa maison vis-à-vis celle-ci, on [203r°] ne fit que traverser la rue. La conclusion fut qu’il fallait que je le busse et que, si je ne le trouvais pas assez fort, que j’y misse moins d’eau, mais qu’il me le fallait faire boire. Elle n’osa lui rien répliquer, mais comme elle a vu ce qu’on m’a dit, elle me dit : «  Madame, quoique ce soit d’excellent vin, comme il vous fait mal à vous, vous n’en devez point boire, mais si vous voulez donner la feuillette pour deux pistoles, on la prendra pour mêler avec quantité d’autre vin. » Je lui dis que pour tirer vingt francs de cinquante écus, ce n’était pas la peine, et que puisqu’il était si excellent, qu’il n’y avait qu’à le garder, qu’on trouverait

5L’aumônier des Michelins (père abbé de Charost) ?

6 Mardochée, qui a sauvé la vie de Xersès, par sa pupille Esther, aimée de ce dernier, demande le salut de leur peuple. Esther, 7, 3-4 : « … je vous conjure de m’accorder, s’il vous plaît, ma propre vie et celle de mon peuple […] Car nous avons été livrés, moi et mon peuple, pour être foulés aux pieds, pour être égorgés et exterminés » (Sacy) ; « …nous avons été vendus, moi et mon peuple : A exterminer ! A tuer !.. » (TOB). 

7 Impétrer : obtenir de l’autorité compétente, à la suite d’une requête.

peut-être marchand dans la suite. Je crois le devoir garder, car c’est toujours une épine au pied. S’il n’y était plus, il n’y aurait tyrannie qu’il ne fît. La fille craint de le faire goûter et dit n’avoir permission de le laisser goûter à personne. Comment vendre ce qu’on ne veut pas laisser goûter ? La chose est demeurée comme cela. Je lui ai dit que cette perte est une bagatelle, car je fais semblant que je veux le croire bon.

N’y aurait-il pas moyen de savoir ce que le P[ère] L[a] C[ombe] est devenu ? Adieu.

Depuis ma lettre écrite, il est venu une cabaretière de leurs amis pour acheter le vin. Il lui a paru d’abord ce qu’il était, mais elle n’a pas voulu le dire ; elle a néanmoins dit que ceux qui avaient vendu cela étaient des fripons, qu’il était plein de chaux, d’eau de vie, de fiente de pigeons et d’autre chose qu’elle ne disait pas ; qu’elle en donnerait dix écus, non pour le faire boire à ses connaissances, mais pour le donner à de gros ivrognes qui ne font que passer. Je l’eusse donné, mais je ne l’ai pu. Mon cœur m’a frappé que, dès qu’il serait enlevé, N. [le curé] me ferait tous les mauvais traitements possibles, et j’ai dit que je le laisserais pour faire du vinaigre, que j’achetais davantage. La demoiselle a été bien aise, car [203v°] elle craint que ceux qui le boiront ne s’aperçoivent de ce qu’il est. La cabaretière en voulait faire goûter au commis, mais la demoiselle n’a pas voulu. Je vous prie de consulter quelqu’un comme le tut[eur][Chevreuse] et de savoir s’il n’est pas de conséquence de le garder. J’ai encore, depuis trois semaines que je n’en bois plus, le palais écorché et plein de vessies qui me pèlent, et la langue. J’en ferai ce que vous me manderez. La chose me paraît de grande conséquence. C’est du vin du pays qu’on a accommodé comme cela, et afin que les commis n’en goûtassent pas, elles ont dit que c’était du vin de leur cave qu’elles menaient dans leur maison de Vaugirard, jurant qu’il n’était ni vendu ni commencé à vendre. Réponse là-dessus, s’il vous plaît. La femme, en s’en allant, a dit à la demoiselle qui me garde qu’une personne ne pouvait boire de ce vin huit jours sans mourir.

Depuis ceci écrit, on a dit qu’on voulait faire prendre le vin pour le changer pour un faible vin qui ne vaut pas grand chose, car ils veulent l’ôter de mes mains. J’ai cru devoir laisser faire sans rien dire tout ce qu’on voudrait, et ainsi on prend le mien sur le pied de trente francs. J’ai fait tout ce qu’on a voulu, abandonnant la suite à la Providence.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°202].

415. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

Que puis-je vous dire, ma tr[ès] c[hère] ? Les raisons que vous me dites contre le mariage me paraissent très fortes, mais je crois que vous devez vous abandonner à Dieu. Si l’on voulait la chose de force, comme vous me paraissez le craindre, il serait beaucoup mieux de la faire avec agrément. Enfin suivez votre cœur. Pour l’Académie, je crois qu’il serait mieux que monsieur votre fils montât à cheval à Versailles qu’à Paris, et que vous êtes obligé de le veiller ou de le mettre chez NN. Suivez votre cœur en tout cela.

Je ne vois que trop clair. Mes vues sont bien inutiles, car j’ai toujours vu que Rem. voulait demeurer avec le grand ch., [204r°] que tout son goût était là et que les craintes qu’elle nous marque ne sont pas tout à fait sincères. Qu’elle ne sache pas notre commerce, je vous en prie ! Il faut à présent boucher les yeux à bien des choses : laissez-les faire leur ménage ensemble. M. de V[ersailles ?] ne fait semblant de l’abandonner que par politique, mais, comme je vous dis, aveuglons-nous. Pourquoi parlez-vous en mon nom à ceux qui ne veulent pas écouter ? Laissez-les faire à leur fantaisie. Ce qui n’est pas soutenable dans le livre se doit changer, et la paix de l’Église est préférable à tout, mais je croyais qu’on la trouverait mieux à R[ome]. Il n’y faut pas porter l’affaire, si l’on n’y veut pas aller soi-même : ce serait tout perdre. Mais si l’on veut bien y aller, il n’y a rien qu’on ne doive quitter pour cela. Dieu prendra soin de ce qu’on abandonnera pour Lui. Mais à quoi sert de dire cela si l’on ne veut pas croire ? J’aimerais autant travailler à gagner bar[aquin] que les j[ansénistes]1. C’est s’allier avec les ennemis de la vérité. Mais laissons tout faire, Dieu est tout-puissant pour la défendre par Lui-même. Avez-vous reçu ma lettre où je vous mandais la conversation de N.[le curé]. Vous ne m’en dites rien. Il y avait un billet pour p. Je vous prie que Rem. ne sache pas que je vous écris, elle est plus fine que nous. Je vous aime de tout mon cœur. J’espère que je paierai pour tout.

Je garde le silence sur le vin empoisonné, il est perdu en pure perte. J’ai pensé mourir d’en avoir bu un jour, j’en suis encore très incommodée. J’ai bu une si grande quantité d’eau que rien plus. J’ai encore la langue, la gorge, le palais et la poitrine tout écorchés. J’ai souffert des douleurs d’entrailles très grandes mais, à force de boire de l’eau, j’ai éteint le grand feu. Il est incroyable la dureté que cette fille exerce sur moi ; il semble qu’elle ait regret à ce que la chose est découverte et que

1Plutôt que les jésuites ! Avec certains d’entre eux, tel le P. Alleaume, Madame Guyon entretenait des relations cordiales, tandis que ses références aux jansénistes, qui se nommaient entre eux les « Amis de la Vérité », sont toujours négatives.

je ne suis pas [204v°] morte. Ne pourriez-vous savoir où est allé N. On me cache son voyage avec grand soin. Je crois qu’on me veut faire bien de la peine par le vin. J’ai pensé que, lorsqu’on verra que je ne suis pas morte, qu’il a été goûté, on dira que je l’ai empoisonné moi-même. Si l’on allait par voie de justice, je prouverais aisément que je n’ai pas pu le faire, n’ayant rien que ce qu’ils me donnent. Ils examinent tout ce qu’on m’envoie, décousant tout, et ainsi cela est impossible. Mais Dieu sur tout. C’était ce qu’il voulait peut-être m’imputer, car jamais chose n’a été si grossière. Quand ils en auraient mis dix fois moins, la longue[ur] aurait toujours fait ce que la violence eût fait en peu de jours, et cela eût moins paru. Je ne sais ce que Dieu veut faire.

Il y avait, dans la gazette d’Hollande et celle de Hambourg, que nos amis allaient être chassés de la cour. Les j[ansénistes] ont coutume de faire savoir au public ce qu’ils veulent par des lettres qu’ils font courir, et leur esprit inquiet ne laisse en repos que ceux qui leur appartiennent. Je ne puis vous mander autre chose, adieu. Quoi qu’il m’arrive, soyons toujours unies ; vous êtes quasi seule qui me soyez restée. Dieu vous aidera. Il m’a pris le matin une affliction d’être dans de si cruelles mains qui m’a pensé suffoquer, mais je n’en étais pas moins abandonnée, ce me semble. Il me vient dans l’esprit de vous dire de ne rien presser sur le mariage ; ne refusez pas, mais reculez sur la jeunesse de quelque temps, car enfin les gens peuvent mourir, et le mauvais esprit vous resterait. J’espère que Dieu vous conduira par la main sur tout cela comme sur le reste. N’y serait-elle portée ? L’apparence serait contraire.

Je trouve que le vin m’a bien attaqué la tête.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°203v°].

416. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

Je crois comme vous qu’il faut interrompre le commerce pour quelque temps. Je n’enverrai plus que le second jour d’août,[f°205] et ce sera aux Th[éatins]1 en cas que j’y sois encore. J’ai toujours bien cru qu’on ne m’avait mise ici, et entre les mains d’une fille gagnée et à eux, que pour me faire des suppositions2. Je n’ai pas fait la moindre chose,

1Théatins, un ordre disparu aujourd’hui ; les cahiers de lettres manquants de la correspondance avec Fénelon appartinrent aux théatins qui disposaient d’un fond de livres quiétistes.

2Supposition : le mot s’emploie en droit (1636) pour parler de la production d’une pièce fausse donnée pour authentique. Rey.

j’ai souffert tout sans rien dire. Je n’ai pas fait semblant de voir les choses, pas dit un mot. On a nommé ma patience folle, disant que les personnes comme moi affectaient la patience ; si j’ai dit un mot par crainte des suppositions, dont j’avais dès le commencement tant d’impressions, on a regardé cela comme les derniers emportements. Ainsi le moindre mot est un crime, le silence et la patience un autre crime. Il y a quelques temps que le Père de ces filles3, nommé le Père Ange, vint dire la messe. La petite Marc, peinée de bien des choses sur N. [le curé], demanda à ce Père s’il la voulait confesser ; il a refusé4. Si c’est là ce qu’il veut dire, jugez-en vous-même. Il me fit entendre à moi que c’étaient des crimes que j’ai fait autrefois, et qu’il en serait éclairci. On dit qu’il est parti pour un mois. Ne pourriez-vous savoir où il est allé5 ?

Je m’attends à tout de la malice et de l’artifice des hommes. Je suis à Dieu, Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Mais ne croyez rien de tout ce qu’il pourrait vous dire. Ils supposeront mille choses pour colorer la violence qu’ils sont sur le point de renouveler, mais mon témoin et mon juge est au ciel. Je crois qu’ils me veulent pousser à toute extrémité, et ils veulent faire des choses, en me renfermant, qui paraissent aux yeux des hommes un prétexte spécieux, mais qui peut se dérober aux yeux de Dieu ? Consolez-vous et ne soyez plus dans l’amertume, car Dieu sera toujours glorifié, quand même Il nous laisserait accabler. J’ai de la joie du bref6, mais j’en aurais bien davantage si tout était porté en cette cour. J’abandonne cela à Dieu comme le reste. Ne doutez jamais de mon affection, je vous prie : on peut diviser les corps, mais on ne peut désunir nos cœurs, si nous ne sommes infidèles [205v°] à Dieu.

Ils auraient dit dernièrement que le jard[inier] avait fait entrer des hommes par chez lui, et comme je témoignais m’offenser de cela, on dit que c’était mon fils, ce qui était très faux, car depuis que je suis ici, je n’ai parlé qu’à N. [le curé]. On prit le prétexte pour me renfermer. Si l’on veut faire ensuite des suppositions ? N. m’a dit lui-même que des gens dignes de foi l’avaient assuré qu’on m’avait vue sur les murailles parler de l’oraison et dogmatiser, moi qui ne puis seulement monter une

3Le confesseur de la communauté.

4Peut-être pour éviter d’avoir à prendre parti. Il veut d’ailleurs être éclairci sur ce qu’on lui a probablement exposé.

5Ce qui pourrait éclairer sur les « commanditaires » de cette prison religieuse.

6 « Le 30 juin, de Versailles, Fénelon vient à Paris et rend une visite au nonce [...] qui a remis le bref pontifical et la lettre du secrétaire d'Etat à l'archevêque. Celui-ci a témoigné sa reconnaissance et sa soumission au Saint-Siège. [...] Bossuet écrit à M. de Paris : « …on imprime le livre [de Fénelon] partout [...] le nouveau bref lui donne de l'autorité par sa seule ambiguïté. » » (v. CF, chronologie).

marche sans être aidée. Ils ont dit que l’herbe était foulée au droit de la muraille derrière la haie, ils y menèrent des hommes, apparemment pour servir de témoins. Je n’y ai jamais vu qu’un gros chat qui y passe continuellement. Je n’ai pas fait semblant de rien apercevoir, quoiqu’on dit cela fort haut afin que je l’entendisse, faisant des menaces en l’air. Je n’ai rien pris pour moi, connaissant mon innocence et laissant tout à Dieu. Je ne dis mot et laisse tout faire.

Voilà des lettres, avec la copie de ce qu’on dit que j’ai signé à Vincen[nes], qu’on ne m’a donnée que du temps après que j’ai eu signé, sans me permettre de lire ni confronter rien. Enfin vous voyez les lettres de M. Tronson, et comme je fus obligée d’écrire, dès le commencement, par l’extrême impression que j’avais qu’on ne m’avait mise ici que pour m’en imposer, au cas qu’on me mette en justice, comme on le prétend, dès qu’on aura amassé, dit-on, tout ce qu’on cherche. Le N. [curé] me dit un mot qui me parut effroyable dans la bouche d’un p[rêtre], qui était qu’on ne me mettait pas en justice parce qu’il n’y aurait pas de quoi me faire mourir. Puis, en se ravisant, il ajouta : « Mais il est vrai qu’on peut toujours vous faire une punition proportionnée, etc. » Il m’avait juré sur sa part de paradis que je ne serais ici que trois mois, qu’on ne m’y ferait point de suppositions. Sa part de paradis est bien perdue, [206r°] si Dieu a égard à un serment si fol et si faux ! Le tut[eur][Chevreuse] a bien des lettres qui pourraient me servir, et il faudrait retirer des mains de M. Tronson les lettres qu’on lui a confiées. Madame de No[ailles] en a aussi, qu’elle a tirées par adresse.

Je voudrais, pour moi, me laisser faire mon procès sans me défendre, mais comme je crains de faire tort à la piété, mandez-moi le sentiment du tut[eur], si je dois me laisser condamner sans me défendre. On m’amènera une foule de témoins, d’infâmes créatures qui n’étant ni récusées ni confondues, tout passerait pour vrai et constant, car il se faut attendre à tout. Je voudrais aussi savoir si, après les choses qui sont arrivées, je dois me confesser à N. [le curé]. Je crois que je ne le dois pas, et il me paraît qu’il y a quelque chose d’indigne d’aller à confesse à un homme qui me suppose chaque jour des crimes et auquel je n’entends jamais dire vrai. Je n’ai rien voulu faire sur cela sans avoir un conseil. Faites-moi donc réponse. N. a emmené avec lui, dans son voyage, le Père de ces filles qu’il met dans une réputation de filles admirables, quoiqu’elles en soient bien éloignées, afin de donner plus de force aux faux témoignages que celle-ci fera. Dieu sur tout. Je viens de recevoir une lettre de l’ecclésias[tique] qui paraît très affligé, disant qu’on me suppose milles choses fausses et que la résolution est prise de m’enfermer pour le reste de mes jours dans la tour d’Angers : Dieu sur tout ; qu’on a fait courir le bruit que l’on m’a remise à Vincennes et que N. [le curé] est allé. Je vous prie de tâcher de découvrir s’il est à Angers. N. se vante qu’il aura mon argent sans billet tant qu’il voudra. Je vous prie qu’on n’en donne plus, car m’enfermer dans une tour et disposer de mon argent pour me faire maltraiter, il n’y a pas d’apparence. Il en veut user de la sorte pour faire croire que je serais toujours ici. Après que [f°206v°] N. a fait son coup, il est allé en campagne, il espère que je crois ne me plus trouver8. J’oubliais de vous dire qu’il m’a dit : « Le vin n’est pas bon au goût, mais ne laissez pas d’en boire, il est stomachal. » !

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°204v°].

8Phrase peu claire : le curé espère t-il avoir jeté dans le trouble la prisonnière (qui d’ailleurs est à bout, doutant de ce qu’il faut faire et demandant conseil à Chevreuse) ? Ou bien, compte tenu de la phrase suivante : « Il espère, que je crois, ne me plus trouver », espérant sa mort.

417. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

Puisque vous voulez, ma très c[hère], que je vous mande de mes nouvelles, je vous dirai que, comme je n’ai bu du vin qu’à trois repas et avec une grande quantité d’eau, j’en ai moins de suites fâcheuses. Il m’est resté dans la poitrine une impression de chaleur, comme d’excoriation. Comme j’ai bu extrêmement d’eau pour apaiser le feu qui me dévorait, cela m’a fort enflée. Je prends des bouillons de veau au bain-marie avec du cerfeuil pour me désenfler, mais je suis exposée  à tout ce qu’il plaira à Dieu. Je pris avant hier de l’orviétan1 : cela me causa de grandes douleurs sans que j’en sache la cause, si ce n’est quelque combat. Depuis cet accident, il m’est resté une chose singulière que je ne comprends pas ; c’est une agitation d’entrailles ou de rate ; je ne sais ce que c’est, mais cela remue continuellement comme si j’avais deux enfants très forts.

On bouche et ferme tout. On veut faire croire que je ne suis plus ici et faire de moi ce qu’on voudra. Ils sont sûrs de cette fille ici à laquelle ils feront dire et faire ce qu’il leur plaira. Je conserve un grand silence sur tout ce qu’on fait, ne faisant pas semblant de l’apercevoir, et je suis fort en paix parce que j’appartiens à Dieu et qu’il est trop juste qu’il fasse de sa victime ce qu’il Lui plaît, et quoique je sois dans de si étranges mains, je suis dans les Siennes. J’ai perdu bien de la récréation en perdant presque les yeux, car je ne puis travailler. Je file assez gros et sans trop regarder, car ma vue est si faible que je ne peux lire du tout. Je suis bien aise qu’on retourne dans son diocèse1a. C’est lundi la Madeleine, souvenez-vous-en !2 Ne témoignez rien sur N. : il ne vous en servira pas moins bien, mais qu’il ne sache rien de notre commerce. Je crois bien que le commerce des créatures [207r°] ne peut être que pénible, et c’est une grâce que Dieu vous fait parce qu’Il vous veut toute pour lui. J’écris à diverses reprises à cause de mes yeux.

Depuis ceci écrit, il m’a pris de grandes douleurs dans le corps avec la fièvre. Ce vin montait d’abord à la tête ; depuis que j’en ai bu, j’ai toujours la bouche amère et échauffée ; cela m’a donné du dégoût de tout ce que je mange, que je trouve amer. Je vous prie, si je meurs ici, je vous ferai avertir de venir avec un chirurgien pour me faire ouvrir, tirer mon cœur, l’embaumer et le mettre entre les mains de qui vous savez3. J’attends ce service de notre amitié. Prenez courage, il vaut mieux aller par l’amertume du calvaire que par la douceur du Thabor : suivons Jésus, nu sur le calvaire. C’est un bien pour vous que vous ne trouviez que de la peine dans les créatures, car elles vous amuseraient. Poursuivons dans le chemin de la foi et de la croix, où tout est d’autant plus pour Dieu qu’il y a moins pour nous. Je vous embrasse.

Un des hommes qui a goûté le vin, a été trouver l’ecclésiast[ique] dont je vous envoie encore une lettre, pour lui dire qu’il était obligé en conscience de l’avertir qu’on avait apporté ici du vin que quiconque en boirait, mourrait ; qu’il y mîs ordre. Il l’a mandé de vive voix par la jard[inière]. Voyez ce qu’il mande. La prospérité de M. de M[eaux] m’effraye, loin que je lui porte envie. On fait courir le bruit que je suis au château d’Angers à cause de mes fourberies. Voyez les circonstances : on commence par vouloir m’ôter mes filles ; voyant qu’elles ne me veulent pas quitter, on les maltraite ; ensuite, on m’impute des crimes, on me renferme plus à l’étroit ; on m’envoie du vin emp[oisonné], on me dit que je le trouverai mauvais au goût, mais que je ne laisse pas d’en boire ; on me charge encore d’outrages ; on s’en va ensuite, et l’on me garde à vue depuis ce temps afin que je ne puisse avertir personne.

1aFénelon quitta Paris le 3 août pour arriver à Cambrai le 9.

2Anniversaire important pour Madame Guyon, v. sa Vie dont les événements importants coïncident souvent avec l’anniversaire de sainte Madeleine, 22 juillet : plaie amoureuse en 1668 (Vie, 1.10.5), contrat de vœux dressé par la mère Granger en 1672 et renouvelé chaque année (Vie, 1.19.10), celle de la mort de son mari en 1676 (Vie, 1.22.7), fin de la nuit mystique en 1680 (Vie, 1.28.1), arrivée à Gex l’année suivante (Vie, 2.1.10), veille de son retour à Paris en 1686 (Vie, 3.1.3)…

3Fénelon bien sûr ! pratique assez fréquente à l’époque.

Obligez-moi de ne pas laisser mon cœur entre leurs [207v°] mains : depuis qu’il est à Dieu, il n’a jamais brûlé d’un feu étranger. Une circonstance du vin que j’omets, c’est que je mandai que j’en trouvais ici d’excellent à cent francs la feuillette, mais que je prie qu’on me mande si je n’en pourrais pas avoir à meilleur marché. Sans me répondre, on m’en envoie promptement à cinquante francs la feuillette ! Toutes ces circonstances sont fortes.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°206v°].

1Drogue inventée par Ferrante d’Orviéto, en vogue au XVIIe siècle.

419. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

N. sort d’ici, il m’a dit qu’il venait de Bourges. Je n’ai fait semblant de rien. Il m’a dit qu’il fallait ôter mes affaires des mains de M. Le L1 - cette proposition m’a surprise -, et les donner à ma fille. J’ai esquivé la réponse, mais je n’en ferai rien. Cela me fait voir qu’il a du dessein. Pour moi, je laisse tout à Dieu : Il fera ce qu’il Lui plaira de ce qui est à Lui. Ne pourriez-vous parler à ma fille, sans lui laisser sentir que je vous écris, mais sur les choses que vous savez du dehors, afin qu’elle prenne avec lui des précautions ? Je ne vois plus presqu’à écrire. Il m’a fort parlé du mauvais état des affaires de M. de C[ambrai]. Savez vous ce qu’est devenu le pauvre père La Combe  ?

Depuis ceci écrit, cette fille qui me garde, a dit à mes filles que N. [le curé] lui avait dit que le vin était trop bon, et qu’il le renverrait quérir en bouteilles lorsqu’il viendrait quelque personne de qualité au séminaire, et un grand galimatias auquel elles n’ont rien répondu, sinon que je ne m’en plaignais pas. Aujourd’hui samedi, cette fille est venue, elle m’a dit : « N. dit hier qu’il ferait prendre notre vin en bouteille lorsqu’il viendrait des gens de qualité ». Je lui ai dit : « Vous savez, mademoiselle, ce qu’on [208r°] nous a dit du vin -  Ma foi çà, qu’elle dit, je ne lui en ai pas parlé. » Je lui ai dit de le prendre en bouteille si loin à loin et, « achetant chaque bouteille, comme vous dites, le vin se gâterait moins. Mandez à M. N.2 qu’il ne s’en fasse point de peine, que je n’y pense pas, et que ceux qui l’ont vendu se sont peut-être mépris ; que j’aimerais mieux perdre encore cinquante écus qu’il y pensât et s’en fît quelque chagrin ; que s’il le veut retirer tout à fait, je paierai le remuage et les autres frais ; qu’il fasse ce qu’il lui conviendra. » Je crois que je ne pouvais pas faire autre chose. Mandez-moi votre pensée.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°207v°].

1M. le Lieutenant ?

2Indéterminé.

420. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

Je ne vous écrivis pas dimanche, je ne pouvais encore le faire. Il m’arriva, il y eut lundi huit jours, deux accidents en même temps : je tombais et me pensais rompre la cuisse ; on dit que j’en serai incommodée quarante jours, je boite fort. Ensuite une mouche-guêpe vint me piquer le bras : elle était si venimeuse qu’on croyait que je perdrais le bras ; il s’enfla depuis les doigts jusqu’au coude avec une rougeur et dureté horribles, il était tout noir. Pour moi, je crus que c’était un bar[aquin]. Cela augmentait tous les jours à vue d’œil. Je m’avisai de dire à m[on] p[etit] M[aître] : « Si vous n’avez pas agréable que j’ai écrit mes écrits, faites-moi perdre le bras, et je les ferai brûler, sinon guérissez-le ! » Il l’a guéri. Ceux à qui l’on a fait voir mon bras croyaient que c’était une morsure d’autre bête, d’autant que j’avais des maux de cœur, mais m[on] p[etit] M[aître] m’a guérie tout d’un coup. Il n’y a plus que la marque.

L’ecclés[iastique] m’a mandé qu’on avait envoyé à R[ome] une condamnation du livre de M. de C[ambrai], signée de quatre évêques, douze docteurs de Sorbonne, entre lesquels il y en a deux réguliers. Il m’a aussi mandé qu’on avait défendu à N. [Fénelon] d’écrire à pp. [au duc de Bourgogne]. Mandez-moi des nouvelles.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°208].

421. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

Bien loin que l’exil1 m’ait fait de la peine, j’en ai eu une joie que je ne puis vous exprimer. Vous savez que je vous avais mandé que, dès que le parti serait pris d’aller à son diocèse, qu’il serait en [208v°] paix et remis à sa place. Comme il n’avait pas le courage de le faire, Dieu l’a fait de Son autorité : Il n’a permis l’état terrible, où vous l’avez vu avant cela, que pour mieux faire connaître la différence et confirmer la parole que j’avais donnée de Sa part qu’il serait en paix. Prions tous incessamment et disons tous la prière d’Esther et de Mardochée pour lui, afin que Dieu inspire le chef de Son Église, car c’est tout ce que nous devons souhaiter.

Ne vous étonnez pas de votre faiblesse : il faut que nous sentions tous ce que nous sommes, et que nous ne voulions pas être fortes lorsqu’Il nous laisse dans notre faiblesse. Bon courage, ma très ch[ère]. Oh !

1Eloignement de la Cour. Parti le 3 août, Fénelon arrive à Cambrai le 9. Mme Guyon ignore que c’est par un ordre du Roi.

portez toutes ces dispositions crucifiantes en abandon, sans connaître ni sentir l’abandon. Souffrez les réflexions importunes, mais ne donnez lieu à aucune. Dieu est plus puissant que toutes les puissances : ayons recours à Lui, faisons dire quelques messes à Notre-Dame et en l’honneur de saint Michel. Peut-être que Dieu Se contentera de nous avoir humiliés sans vouloir nous perdre tout à fait. Ne négligeons pas les menues dévotions puisque Dieu me les met au cœur. Soyons petits en cela comme en tout le reste. Si Dieu en inspire d’autres à quelques-uns, qu’on les suive ! Car Dieu veut quelquefois ces choses qui, loin de nous faire sortir de notre abandon, l’augmentent. N. [Fénelon] sera bien plus en état de faire les choses à présent qu’il sera rétabli dans sa place. J’admire la bonté de Dieu qui nous arrache ce que nous n’avons pas la force de Lui immoler. Soyons donc à Dieu malgré tout ce qui peut arriver et ne donnons pas la victoire au démon par notre infidélité. Que chacun se renouvelle et fasse dire des messes selon son pouvoir. Il en faut faire dire au Saint-Esprit et ne cesser de prier afin que le démon ne soit pas le plus fort. Ô mon Dieu, nous sommes vos enfants et votre héritage, que vous vous êtes acquis d’une manière particulière, ayez pitié de ce qui est à vous, n’abandonnez pas vos saints aux bêtes de la terre1a. Bon courage ! Je vous embrasse de tout mon cœur.

Je voudrais bien que S[a] S[ainteté]2 sût les refus qu’on lui a fait d’aller à R[ome]. Le grand vicaire3 ne serait-il pas homme à se laisser gagner ? Le P[ape] ne pourrait-il point demander au R[oi] de laisser venir M. de C[ambrai] lui-même, et ne pourrait-on point lui insinuer cela ? Si je dis une folie, n’importe !

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°208], « août 1697 ».

1a Ps. 73, 19.

2Le rétablissement des noms adopté est probable.

3Chanterac (envoyé à Rome).

422. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

J’ai une peine de ce qu’on reprend le vin très grande, non à cause de la perte, mais parce que je crois qu’on a de mauvais desseins.

Je crois que vous m’avez communiqué votre tristesse sans que j’en sache la cause. [Je] veux croire M. de V. être1 tout ce que N. dit, mais il est certain qu’il n’a pas grâce pour vous autres, lui qui même s’est séparé de sa famille1a d’une manière si éclatante, préférant ce qu’il

1Archaïsme : être = est.

1aLa congrégation des Missions.

appelle « mouvements » et que j’ai toujours remarqué être esprit de nature, à tout ce qu’on lui a pu dire. D’où vient que même Rem., qui est celle pour laquelle il peut y avoir grâce, souffre de si horribles peines lorsqu’il suit ses prétendus mouvements : s’ils ne sont pas sûrs pour lui-même, comment le seraient-ils pour une famille2 qui n’a nulle relation avec lui ? Même, depuis deux ans et demi que N.3 se conduit par lui, elle n’a plus eu de liaison avec moi, et je trouve que cela fait un peuple4 différent. Dieu nous appelle à mourir à nous-mêmes et à nous renoncer ; ce n’est point là sa voie, et jamais homme ne fut moins souple ni moins petit, ce qui n’empêche pas que je ne fusse prête à consentir qu’on préférât sa lumière à la mienne. Notre conduite n’est pas de suivre des mouvements extraordinaires, mais la conduite de la Providence, qu’on suit pas à pas. Lorsqu’on est pressé de se déterminer et qu’on n’a pas le temps de demander conseil, alors en se recueillant intérieurement, suivre son mouvement, à la bonne heure, ou bien aller son chemin lorsque rien n’arrête, mais aller par des enthousiasmes, c’est [f°209v°] le moyen de s’égarer. Vous voyez que la Providence nous mène à son but, comme il lui plaît.

Ne songez point au mariage de M. votre fils : dans le temps Dieu vous donnera ce qui vous conviendra. Laissez agir la Providence. Laissez penser à N. ce qu’il voudra sur cela ; il a ses vues, c’est un défaut, mais un défaut qui, venant de l’envie d’être plus à Dieu, quoiqu’il lui empêche une certaine aisance, ne déplaît pas à Dieu. Il est bon et fidèle. Pour ce qui est de votre N. et du N., je les marierais et ne les renverrais pas d’abord, de peur de les scandaliser, mais si dans la suite ils vous servent mal, je les renverrais ; mais il faut les marier sans délai et ne pas souffrir que Dieu soit offensé chez vous.

Je ne veux plus que vous soyez triste, bon courage. Dieu sait bien ce qu’il vous faut. Lorsque la privation de quelque chose vous peine, c’est une marque que nous y tenons, et Dieu purifie cela afin que nous possédions après les mêmes choses sans attache. Ne vous étonnez pas de votre peine, portez-la de votre mieux, sans vouloir démêler ni sentir votre soumission, lorsque Dieu vous la cache. Je ne garde pas vos lettres un moment. Je vous embrasse de tout mon cœur.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°209].

2La famille spirituelle du cercle quiétiste.

3Indéterminée.

4Faire un peuple : constitue une communauté (le sens moderne se constitue progressivement au XVIIIe siècle). Rey.

423. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

C’est une ruse pour empêcher qu’on aille à R[ome]. Au nom de Dieu, qu’on poursuive à R[ome] avec toute la vivacité et la paix possible, mais qu’on ne retarde par un moment le voyage du grand vicaire1. Il faut pousser à R[ome] comme s’il n’était pas question d’ici, et écouter ici comme s’il n’était pas question de R[ome]. Je vous assure que ce n’est qu’artifice, il n’y a rien de sincère dans leur procédé. Ecoutons, mais surtout allons à Rome2. Il peut et doit faire incessamment le mandement qui explique son livre3, et si c’est ce qu’ils demandent, ils seront contents. Il peut même promettre d’expliquer dans la seconde édition les endroits qui ont paru obscurs à ceux qui n’entendront jamais les voies de Dieu, parce que toutes entrées leur en sont [f°210r] fermées. Je conjure donc qu’on aille à R[ome], et que la négociation d’ici ne ralentisse rien de ce côté-là. Vous avez affaire à des gens passionnés et rusés. Devant que j’eusse signé l’écrit de M. Tronson, M. de Chartres me fit dire qu’il viendrait lui-même me dire la messe et me communier ; dès que je l’eus signé, on me déclara de sa part qu’il ne m’en croyait pas moins mauvaise, et que cette signature était l’effet de mes artifices ordinaires. Voyez le fonds qu’on peut faire sur de tels esprits.

La paix que Dieu a rendue à N. [Fénelon] marque Sa volonté. J’ai bien de la joie de ce que vous me mandez du grand vicaire, je prie Dieu de lui donner Son Esprit et je l’accompagnerai par mes prières. J’espère que notre Maître l’aidera, que saint Michel le couvrira de son bouclier et que le saint Enfant, qui est la Parole éternelle, mettra dans sa bouche les paroles de Vie, pourvu qu’il le Lui demande. Prions tous pour cela, mais je vous prie qu’on ne dise pas un moment de poursuivre à R[ome]. Le diable est enragé. M. de Ch[artres] a cru prendre N. par promettre de lui conserver sa place [sic] ; mais sa place est Dieu, et si Dieu veut lui conserver l’autre, leurs efforts seront faibles. Ne vous étonnez pas de votre état, allez sans savoir où. Je vous embrasse mille fois. J’ai un vomissement qui ne me quitte pas depuis hier ; c’est pourquoi je finis.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°209v°].

1Chanterac, qui était déjà grand‑vicaire de Cambrai, lorsque Fénelon le choisit en 1697 pour son agent à Rome, dans l'affaire des Explications des maximes.

2En toutes lettres, signe de l’importance accordée à cette démarche à Rome.

3Il s’agit bien entendu de Fénelon et de son livre Explication

424. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

Je vous assure que j’ai bien de la peine de la faiblesse et de la mollesse de N. [Fénelon], mais il en sera puni par tout ce qu’il fait. Il a affaire à des gens qui ne sont forts que lorsqu’il craint, et qui craignent lorsqu’on est résolu. Cela vous fait bien voir que la véritable force est en Dieu. Ce n’est point être humble que de ramper, mais l’humilité s’accorde avec la générosité d’âme. Si cela empêche qu’il n’envoie promptement à R[ome], ce qu’il faut [faire], ce sera céder à Bar[aquin] tout pur. On se moque de ses lettres, et on les regarde comme celles d’un homme qui a peur. Cela me fait bien pitié. Ma consolation est que j’espère qu’il aura un jour honte de lui-même [f°210v°] et que cela lui ôtera un peu de sa hauteur.

Pour récompenser la fille qui me gardait du mauvais traitement qu’elle m’a fait, on la fait générale de sa société1. Il en vient une autre de Loudun. Je ne sais ce que ce sera, mais elle ne peut faire pis. Je suis malade. J’attends de vos nouvelles. Il m’est venu fortement dans l’esprit que M. de Cha[rtres] n’entretenait commerce avec N. [Fénelon] que pour voir le tour que l’affaire aura à R[ome]. Si elle va mal pour N., il doit s’attendre à mille indignités de leur part ; si elle va bien pour lui, ils feront avec lui quelque accommodement au préjudice de R[ome], afin de le décrier en ce pays-là et de le rendre ridicule. C’est là ce que je crois. N. [le curé] couve quelque dessein contre moi. Dieu sur tout. Il a fort prévenu ma nouvelle gardienne, mais je la crois bien moins mauvaise que l’autre. Elle dit que si l’on croyait qu’elle eût la moindre estime pour moi et que j’en fusse contente, on ne l’y laisserait pas trois jours.

Depuis ceci écrit, cette fille a fait entendre à Manon qu’elle serait obligée, par obéissance, de faire des choses qui me déplairaient ; elle ne veut pas dire ce que c’est, mais je crois que c’est pour ôter mes filles. Ils en font encore venir une. Je crois qu’ils comptent de me laisser seule en pension chez elles. Je vois bien que je dois m’attendre à d’étranges choses. Dieu sur tout. N. sort d’ici. Il ne m’a pas grondée.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°210].

1Elle succède donc à Mme Sauvaget de Villemereuc, comme supérieure de la congrégation dite de saint Thomas de Villeneuve.

425. A LA PETITE DUCHESSE. Peu après le 15 Août 1697.

N. [le curé] vint la veille de la Vierge et comme le vin n’est plus ici, il commença à nous faire sentir sa cruauté. Il ne parle qu’à confesse. Il dit à Manon, qui y fut la première, qu’il fallait qu’elle s’en allât et qu’on voulait mettre d’autres filles auprès de moi, et qu’il la ferait rendre à ses parents ; elle dit qu’elle n’avait point de parents. Cela la saisit si fort qu’elle ne put dire autre chose ; elle revint près de moi plus morte que vive. Il ne dit rien à la petite Marc, parce qu’il compte, à cause de la faiblesse de son esprit, d’en faire ce qu’il voudra.

Après je fus à confesse. Il me dit qu’il avait obtenu de M. l’arch[evêque] que je communierai le jour de la Vierge. Ensuite il me dit que M. de C[ambrai], par son opiniâtreté, [f°211 ] avait enfin obligé qu’on le fit chasser de la Cour et qu’on l’avait envoyé dans son diocèse. Je lui dis : « Oh ! que j’en suis aise ! Que le bon Dieu soit béni : il aura plus de temps pour L’aimer et Le servir, étant hors de ce fracas ». Il m’a dit : « Son affaire est à R[ome], il en sera mauvais marchand, on la renverra ici aux prélats ». Je ne lui répondis rien.

Il me fit ensuite l’éloge de mon frère1, puis il me parla des sujets qu’on avait de me maltraiter. Ensuite il me dit en m’insultant : « Votre patience est-elle à bout ? », voulant faire entendre que je n’avais qu’à me préparer à bien d’autres choses. S’il m’ôte mes filles, c’est pour m’en donner qui fassent ce que le vin n’a pas fait, et ils se feront un mérite de cela devant Dieu et devant les hommes. Je vous avoue qu’une telle tyrannie de m’ôter des filles qui, du moins, ne sont ni des traîtres ni espionnes, pour m’en donner auxquelles on fera dire ce qu’on voudra, m’a serré le cœur. Ma confiance est en Celui qui voit les tyrannies.

Je vois, par cet homme-ci, la rage des autres : ils ne feront, par leur négociation, qu’empirer tout s’ils [le] peuvent, et assurément quelque jugement qu’il y ait à R[ome]. Je ne voudrais pas sortir des mains du Saint-Père pour me mettre dans les leurs. Je vous embrasse mille fois. N. [le curé] dit à Manon qu’on avait chassé M. de C[ambrai] à cause de la rébellion, et que c’était moi qui faisais tous les maux, faisant entendre qu’il m’en fallait punir. Vous me demandâtes si je voulais du lin, je le refusais, car je ne filais pas alors ; à présent que mes mauvais yeux m’empêchent de faire autre chose, si vous m’en voulez envoyer par N., vous me ferez plaisir. J’avais envie de filer de la soie et de m’en faire de l’étoffe : mandez-moi votre avis. Vous ne m’avez rien répondu sur le P[ère] L[a] C[ombe].

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°210v°].

1Dominique de la Motte.

426. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

Je ne crois point que vous deviez cesser de nous voir rarement comme vous faites, à moins d’une défense absolue, et les précautions feraient songer à ce qu’on ne pense pas. Il n’arrivera de tout [f°211 v°] ceci que ce que Dieu a résolu de toute éternité. Si la croix est un bien, nous devons aimer et respecter ceux qui y ont part. Comment N.1 est-elle si bien informée que l’abbé de Beau[mont ?]2 n’est point dans tout cela, s’il ne s’en est expliqué lui-même ! S’il l’a fait, que dites-vous de cela ? Dans quelle situation d’esprit est pp.3 sur l’exil de N. [Fénelon] et sur tout le reste ?

Je ne crois pas que vous ayez besoin de tant de réflexions pour vous corriger. Une attention simple le fera mieux. Votre esprit, vif de lui-même, s’y embarrasserait beaucoup et vous remarquez aisément que, lorsque vous êtes mal, vous réfléchissez plus que lorsque vous êtes bien. J’espère que Dieu vous assistera. Ne soyez plus triste, je vous en prie. Je comprends que vous ne convenez pas en tout avec les personnes avec lesquelles vous êtes, mais la séparation du corps est toujours un grand bien. Je sens quelquefois d’ici l’amour-propre et l’appui en soi4. J’espère que Dieu vous aidera et qu’Il achèvera son oeuvre en vous. Allez donc simplement, et croyez que je suis incapable de déguiser mon sentiment sur ce qui vous regarde. Soyez fidèle sans connaître votre fidélité, et renoncez-vous en tout selon la lumière actuelle. Lorsque vous ne connaissez rien, demeurez en repos, mais dès que vous apercevez quelque chose en vous, ou une lueur seulement de vous renoncer en quelque chose, suivez-la fidèlement. J’espère que Dieu n’abandonnera pas ce qui est à Lui et que, si nous ne triomphons pas en cette vie, Il triomphera en nous. C’est tout ce que nous devons souhaiter.

J’ai songé cette nuit des choses qui m’ont fait une impression de vérité très forte. Il me semblait que je voyais M. Pyrot [Pirot], qu’il me faisait fort froid ; je lui ai dit, comme c’est la vérité, que j’avais été fort fâchée qu’on m’eût rendu de mauvais offices auprès de lui, que,

1Toujours inconnue.

2 L’abbé de Beaumont, « panta », fut associé à Fénelon, en 1689, en qualité de sous‑précepteur du duc de Bourgogne. La disgrâce qui accabla, au mois de juin 1698, les amis de Fénelon, obligea l'abbé à se retirer à Cambrai, où l'archevêque le fit son grand‑vicaire. Il peut s’agir aussi de l’abbé de Beaufort, lié à une Noailles mais bien disposé envers Fénelon, cf. C.F., t. V, p. 116 sv.

3Le petit prince, le duc de Bourgogne.

4Noter la capacité de Mme Guyon à ressentir de loin l’état intérieur des gens qui lui sont confiés.

quoique que j’eusse toujours remarqué qu’il faisait des efforts pour me faire rester à Vincennes, que néanmoins je ne m’étais pas plainte de lui et que j’avais témoigné au c[uré] de S[ain]t S[ulpice] [la Chétardie], lorsqu’il vint, [f°212] que ma peine était que lui, M. Py[rot], croirait que je ne serais pas contente de lui. Il ne me nia pas qu’il avait fait son plan de me faire rester à Vincennes, mais que néanmoins j’étais mieux entre ses mains qu’en celles de N. Je lui ai demandé : « D’où vient que M. Lar [de La Reynie] était si irrité contre moi ? » Il m’a répondu qu’il ne l’était qu’autant que N. [le curé] le faisait être5. Il s’en est allé, et il me semble que N. était dans le même lieu. Il l’a fait demander, il est venu, j’étais cachée dans un coin. M. Py[rot] a demandé à N. : « Comment êtes-vous content de N.6 » ? Il a répondu avec des gestes et des manières inexprimables plus mal qu’on ne peut dire, et je voyais que ses gestes et la manière dont il disait cela, faisait plus croire de mal de moi que tout ce qu’on en a jamais dit. Je lui ai dit, sortant du lieu où j’étais : « Je vous atteste au jugement de Dieu ; c’est devant le Juge redoutable que je vous cite, et c’est à Lui que je demande justice de votre malice ». A mesure que je lui parlais, il me semblait que son habit de prêtre se changeait en de gros haillons de linge sale. On m’a dit : « Fuyez, car vous êtes dans les plus mauvaises mains que vous puissiez jamais être ».

Je me suis éveillée là-dessus. J’avais songé auparavant que ma sœur, la religieuse qui est morte7, me disait : « Fuyez, et vivez plutôt dans des cavernes de pain sec que d’être en de telles mains. Vous ignorez les maux qu’il vous prépare ».

Depuis ma lettre écrite, N. [le curé] a parlé au jard[inier] et lui a fait de grandes caresses, lui demandant s’il n’avait point porté de lettres de ma part ; il lui a dit que non. Il lui a dit : «  Si l’on vous en donne, apportez-la moi, je vous donnerai un écu. Cela ne vous fera point d’affaire, car je la lirai, la cachetterai, vous la reporterez et vous m’apporterez la réponse dont je vous donnerai trente sous ; et je la lirai et je la recachetterai de même ». Le jard[inier] lui a dit qu’il ne portait point de lettres et n’était pas un fripon. Cela [f°212 v°] n’a pas laissé de me faire de la peine, quoique je croie bien que s’ils n’étaient pas fidèles, ils ne diraient pas ces choses. Dieu sur tout.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°211].

5« Et quoiqu’il [La Reynie] me parlât fort honnêtement, je remarquai qu’on l’avait fort prévenu contre moi. » (Vie, 4.1).

6Madame Guyon.

7Marie-Cécile (1624-1664), l’ursuline appréciée de la jeune Jeanne-Marie Guyon.

427. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

Je crois que l’unique parti qu’il y ait à prendre est de joindre les deux lettres ensemble : d’en donner l’une sans l’autre, ce n’est rien faire ; de donner l’une après l’autre, vous y voyez du risque ; le parti sûr est donc de les joindre ensemble. N. [le curé] cherche de tous côtés s’il ne peut rien attraper contre moi. Enfin, il est réduit à soutenir que je me suis échappée et qu’il a de bons témoins comme on m’a vu courir dans Paris, que j’ai été réfractaire aux ordres du r[oi] et qu’après une telle chose, je ne puis jamais avoir ma liberté. Jugez comment moi qui ne puis marcher, qui suis restée boiteuse de ma chute, qui suis enfermée, [alors] qu’on a fait hausser les murs, condamner toutes les portes de notre côté, je puis avoir été à Paris courir les rues ! Apparemment je ne les ai pas courues pour rien, et après les témoins qui disent que je les ai courues, il y en aura [pour] d’autres choses. Cette fille ici est une bonne fille qui a de l’intérieur, scrupuleuse, mais on ne l’y laissera guère. N.1 et d’autres filles de leur société viennent l’intimider, la prévenir comme si j’étais un monstre. Mais, jusqu’à présent, elle ne cesse pas d’avoir pour moi de l’amitié. Non que je voulusse mettre son amitié à l’épreuve en quoi que ce soit ; au contraire, je suis plus précautionnée avec elle. Je sais de bonne part que N. [le curé] a des gens apostés à notre porte ; ainsi, soit que vous y soyez ou n’y soyez pas, il ne faut pas qu’on aille chez nous ; cela est de conséquence tout à fait, car il n’y aurait mauvais traitement qu’on ne prît prétexte de faire, et l’on mettrait dehors les bonnes gens. C’est demain le 25, on menace beaucoup, je ne sais quel est le dessein qu’on a, mais Dieu sur tout. Je vous embrasse mille fois. Je crois que vous deviez m’écrire un mot par N.2 car il paraît peut-être extraordinaire que vous m’ayez abandonnée, et cela [f°213] peut le faire soupçonner ; je le crois nécessaire. Je voudrais bien avoir la vie de sainte Catherine de Gênes, elle était parmi mes livres, envoyez-la moi par la jard[inière], cachetée. Si vous ne l’y trouvez plus, le tut[eur] m’en donnera bien une, par charité.

Depuis ceci écrit, j’ai appris bien des nouvelles. La fille qui disait n’avoir rien voulu signer contre moi, a signé un certificat faux comme [quoi] j’ai passé par une brèche qu’elle ne savait pas et que j’ai été

1Probablement la sœur précédente qui est devenue supérieure.

2Le porteur des lettres.

3La Vie et les Œuvres de sainte Catherine de Gênes, trad. par Jean Desmarets. Nous avons comparé sa « troisième édition revue et corrigée » chez Michallet, Paris, 1697, à une précédente (ainsi qu’à la traduction de Poiret). Mme Guyon utilisa probablement cette édition de Desmarets.

courir à Paris. Pour cette fausseté, elle a été faite généralissime de sa société, et sur ce même certificat qu’on a fait voir au r[oi], il y a un ordre nouveau, signé, de me transférer, je ne sais si c’est à Angers ou à Chartres, je ne l’ai pu savoir. Dieu est partout. Je crois qu’on ne m’y donnera point mes filles. J’espère que Dieu me sera tout. Si je ne puis plus vous écrire, vous saurez que je n’y suis plus. Toute à vous en notre Maître. Voilà des lettres qui me sont d’une extrême conséquence à garder, mais comme j’ai peur qu’on ne nous fouille, je vous les envoie pour être serrées avec les autres. La suite fera voir qu’on en a besoin. Adieu.

Depuis ceci écrit, N. [le curé] est venu voir la fille qui me garde, sans me voir. Il lui a défendu de laisser jamais communier dans la chapelle, parce qu’il ne veut point absolument qu’on y communie, que je suis4 un diable incarné ! Je lui ai dit qu’il était impossible que je me confessasse jamais à un homme qui me croyait si méchante ; lorsque je ne me confesserais pas de pareille chose, je ne crois pas le pouvoir en conscience, et il n’y a personne qui pût jamais me faire autant de mal que lui.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°212v°].

4Style indirect libre. Sens : [Parce] que je suis…

428. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697

Vous m’avez bien consolée, ma très ch[ère], de me mander que la lettre n’a point été décachetée. L’homme ne revint qu’à près de trois heures après midi ; cela, joint avec l’état où je trouvais la lettre, me fit croire ce que j’appréhendais. Je ne crois pas qu’il soit à propos que vous renvoyiez le gouverneur de N. Faites venir l’autre ; après l’avoir vu, examinez son caractère d’esprit ; [f°213v°] vous pourrez alors reprendre celui-ci auprès de vous, comme il y était auparavant, et faire demeurer celui que vous prendrez auprès de N comme vous le projetez. Nous sommes en un temps où il ne faut faire aucun éclat.

Pour vos défauts, quoique M de C[ambrai] vous en reprenne avec âpreté et humeur1 comme c’est là sa manière, ne laissez pas de les croire en vous, mais ne vous en tourmentez pas pour cela. Attendez [plutôt] de Dieu que de votre industrie, et faites comme je vous ai marqué. Je n’approuve pas qu’il les dise aux personnes que vous me marquez ; ne laissez pas d’en porter l’humiliation en paix. Ne souhaitons jamais qu’on nous croie meilleurs que nous ne sommes. Pour la lumière présente qui nous est donnée, lorsqu’elle vous porte à quelque chose de bon de soi ou qui va contre votre naturel, suivez-la sans examen, car ces sortes de lumières et de grâces perdent lorsqu’on veut les examiner. Allez simplement ; plus vous irez simplement, plus vous irez bien. Ne disputez jamais sur vos défauts avec qui que ce soit qui vous les dise ; si vous les avez, c’est un bien qu’on vous en avertisse ; si vous ne les avez pas, outre qu’on ne vous fera point de peine en vous les disant, c’est que cela ne peut vous nuire de les croire, pourvu que vous ne vous entortilliez pas en réflexions et que vous ne vous découragiez pas.

Comme je crois que ce n’est pas par hauteur que vous ne goûtez pas N., je n’ai rien à vous dire : Dieu donne grâce pour les uns, qu’il ne la donne pas pour les autres ; de plus, il se peut mêler en elle beaucoup de nature. Cependant, lorsqu’elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre2. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu’Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s’est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j’ai toujours cru qu’Il l’accordait à l’humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi, car j’ai vu que ceux qui n’étaient pas disposés ne l’avaient pas. Si Jésus-Christ [214r°] a voulu cette disposition en ceux qui l’approchaient, combien plus doit-elle être en nous ! Car il avait le pouvoir suprême en Lui-même.

C’est pour vous obéir que je vous mande mes pensées, ne prétendant pas que vous y fassiez d’autre fond que celui que Dieu vous y fera faire. Mais surtout ne vous attristez pas. Ne croyez pas venir à bout de vos affaires tout d’un coup et à force de bras ; la petitesse, la patience envers vous-même, la confiance en Dieu, la désoccupation de vous-même, l’occupation de Dieu est ce qu’il vous faut. Je vous aime bien tendrement. J’aime mieux vous voir méprisée pour vos défauts que de vous voir applaudie : l’un est bien plus glorieux à Dieu que l’autre. Il ne laissera pas, si votre cœur est toujours bon et droit, de faire en vous Son œuvre. Je continuerai le commerce par la femme, puisqu’ils sont sûrs. Aimez-moi toujours ; Dieu le veut. Pax nobis. Envoyez-moi du papier et de la cire. Adieu. Je fais bien de l’encre, mais je ne sais pas faire du papier !

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°213].

a fit (craindre biffé) croire

1Nous n’avons pas relevé de lettre traduisant cette âpreté.

2La petite duchesse pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux, comme Mme Guyon. La suite de la lettre est importante. Elle pourrait avoir succédé à Mme Guyon ; v. notre note portant sur ce sujet qui reste ouvert, à la lettre n° 222 détaillant les « emplois » au sein du cercle et adressée en octobre 1694 à Nicolas de Béthune-Charost. Voir aussi C.F., t. XIV-XV, notamment t. XV, p.182, 184 et surtout t. XV, p.215-216.

429. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

Vous verrez par les deux lettres ci-jointes les mesures que nous devons prendre, et vous y verrez encore plus la malice de la fille qui me garde qui fait consulter sa servante sur des prétendues commissions que je lui ai données à son insu, ce qui est faux comme le démon, car cette fille qui lui a été envoyée du diocèse de Chartres, il y a environ quatre ou cinq mois, est de la part du grand vicaire de Chartres, dont je me défie si fort qu’on ne lui parle jamais. Il est aisé de voir par là qu’on veut m’imputer le vin dont je n’ai pas ouvert la bouche. Je vous prie de bien garder les lettres que je vous envoie avec les autres1. Non contents de cela, ils ont dit devant témoins que nous avions rompu tous les arbres de leur jardin. Il y eut, durant les grands vents, un abricotier [f°214v°] qui ne tenait à la muraille qu’avec de la paille, le vent l’abattit ; ils disent à présent que c’est nous qui l’avons rompu et le montrent, et sur cela on fait une muraille pour nous empêcher d’aller au jardin. Je laisse tout faire sans dire une parole. Elles tourmentent sans cesse pour faire parler, viennent regarder au nez pour remarquer la contenance, se cachent derrière des arbres pour écouter ce qu’on dit et harcèlent continuellement ; cela est pénible, mais j’espère que Dieu soutiendra jusqu’au bout ce qui est Sien. Qu’Il en dispose selon Sa sainte volonté, il est trop juste qu’Il fasse de Sa victime une victime consommée. Je ne contredirai pas aux paroles du saint. Défiez vous de G.2 : je vous prie qu’il n’ait nulle trace de notre commerce. Ne dites rien de ce que je vous mande là-dessus à mademoiselle man.3, mais agissez prudemment, parce qu’ils ne connaissent rien. Je m’attends aux dernières extrémités à voir la malice aussi complète qu’elle est. La paix de l’âme gît dans l’abandon sans réserve entre les mains de Dieu. Lui seul voit toutes ces choses : une personne à laquelle on impute tout ce qu’on veut et qu’on met hors d’état de défense, qu’on enferme et qu’on opprime au point que vous savez. Réponse mardi sans faute.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°214].

1Au cas où Madame Guyon ne sortirait pas vivante.

2Inconnu.

3Inconnue.

430. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

Les trois lettres de l’ecclési[astique] dont il est parlé ci-dessus sont avec l’original.

N. [le curé] est venu, il paraissait très irrité. Le tonnerre gronde, j’attends l’orage. Il est fort en colère contre la petite Marc de ce qu’elle ne s’en est pas allée, et il menace. Il semble que Dieu a puni la fille qui nous garde de ce qu’elle a connivé1 pour la faire enlever. Le lendemain, les plus beaux arbres fruitiers se trouvèrent coupés et àa terre, si net que la scie ne pouvait le faire, et plusieurs hommes n’auraient pu les rompre, et quand ils l’auraient fait, il y aurait eu des éclats. Elle dit d’abord [f°215] qu’on les avait rompus, mais lorsqu’elle les vit de près, elle vit bien que cela était impossible. N. [le curé] me dit que M. de C[ambrai] avait écrit des lettres fort humbles, comme voulant dire en apparence, mais qu’il y avait des choses qui avaient beaucoup déplu et qu’on avait écrit contre lui des lettres très fortes. Je lui dis qu’il fallait que le torrent eût son cours, que ces choses-là étaient comme des maladies ; il a répondu que si son livre avait été fait il y a trente ans, qu’on n’y eût pas pensé. M. de M. sera premier aumônier de madame la Dauphine2. Je ne sais comme cela se nomme.

Je ne sais rien de nouveau à vous mander. Je suis restée boiteuse : j’ai le nerf de la cuisse raccourci. Je ne sais comme cela est arrivé, car je ne tombais que de la douleur que je me fis à la cuisse en marchant. Cela fut si prompt que je ne sais comme cela s’est fait. J’attends de vos nouvelles. Vous ne me mandez rien ni de R[ome], ni des affaires de M. de C[ambrai]. D’où vient cela ? J’y prends beaucoup d’intérêt. Lorsque le g[rand] vicaire3 sera arrivé, il faut faire dire neuf messes au Saint-Esprit ; je vous prie, n’y manquez pas. Je vous embrasse mille fois. Qu’est devenu le P[ère] A[lleaume] ?

L’ecclésiasti[que] m’a mandé qu’il me répondait du ja[rdinier] et de sa femme, que ce sont des gens pleins de probité et d’honneur. La fille qui me garde vient de me dire, tout éplorée, qu’elle s’en allait, qu’elle n’avait fait tout ce qu’elle avait fait que parce qu’on lui avait ordonné absolument, qu’elle avait de l’honneur et de la conscience, que je le verrais, que si elle avait voulu trahir l’un et l’autre, elle ne s’en irait pas. Je lui ai dit que le plus fort était fait, qu’on était accoutumé à elle, que je la priais de ne s’en pas aller. Elle a dit que je ne savais pas tout, et qu’il s’en

1été de connivence (forme déjà rencontrée une fois).

2Bossuet deviendra aumônier de la Dauphine en novembre.

3Chanterac, envoyé par Fénelon à Rome.

fallait bien que le plus fort ne fût fait, et qu’elle voyait des choses bien terribles ; que pour elle, elle n’espérait point de fortune, qu’elle ne voulait pas blesser sa conscience. [f°215v°] Qu’est-ce que cela veut dire, si ce n’est qu’on la sollicite à rendre un faux témoignage pour avoir lieu de m’ôter d’ici et me renfermer, après m’avoir ôté mes filles ? Je vis tout ce qu’il y a de plus noir, hier, dans les yeux de N. [le curé]. Dieu sur tout.

Depuis ceci écrit, la fille qui me garde m’a encore abordée, elle m’a paru très embarrassée, comme une fille qui a fait quelque mauvais coup, qui en voit les suites plus grandes qu’elle ne pensait. Elle fut hier à l’archevêché, apparemment qu’on tira d’elle plus qu’elle ne voulait. Elle m’a dit qu’elle s’en allait pour laisser passer l’orage, et enfin qu’il m’allait arriver des choses bien terribles, qu’elle n’y avait point de part. Elle m’a fait entendre qu’on m’allait ôter mes filles, m’a fort exhortée à la patience. J’ai toujours répondu qu’on pouvait m’ôter celles-là, mais que je n’en recevrai point de leurs mains, que je savais bien que ce n’était pas l’intention du r[oi] qu’on fît de telles violences, mais que j’abandonnais tout à Dieu, qu’il ne m’arriverait que ce qu’Il voudrait. Elle m’a fait entendre qu’on m’accusait d’étranges choses, mais qu’il fallait des preuves4.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°214v°].

a « et à » à la place d’un mot illisible..

4L’année 1697 voit de grands efforts déployés pour trouver la preuve d’une liaison charnelle avec Lacombe. On forgera la fausse lettre de ce dernier qui sera présentée à Madame Guyon dans une entrevue mémorable, v. Vie, 4.5.

431. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

Je savais bien que N.1 avait dit hautement que personne n’approuvait ma conduite, qu’elle [n’]y avait été qu’opposée ; que, quelque chose qu’on fît de moi, ni ma famille ni nul autre ne s’en mêlerait, et le faisait entendre même sur le procès. Cela leur a donné cœur de tout entreprendre. Exprimez-moi ses regrets : est-ce de m’avoir vue, ou sur quelque chose mal à propos que je leur ai dit ? Tous le font-ils unanimement ? Et n’y en a-t-il point à qui la croix de Jésus-Christ ne soit pas une occasion de scandale ? Qu’ils se souviennent combien celui qui est à présent si persécuté2 et moi, nous nous sommes livrés à l’humiliation -, Dieu a exaucé ce qu’on a demandé -, en faisant un livre avec

1L’inconnue (pour nous) !

2Fénelon.

bonne intention qui lui a attiré ce qui n’était alors que sur moi3. Plût à Dieu qu’en me faisant mon procès, je pusse souffrir pour tous ! Plût [f°216] à Dieu que, par la mort la plus dure, je pusse leur apprendre à souffrir, et le mérite de la croix! Il est impossible d’appartenir totalement à Jésus-Christ sans souffrir des opprobres pour Lui, ou l’évangile est faux.

N. ne nous épargne pas. Il dit qu’il nous a à vue pour tâcher de nous convertir, mais qu’ayant connu notre opiniâtreté, il n’a plus voulu nous voir. Lorsqu’on parle de nous, il dit : « Oh ! pour celle-là, elle va bien debitoribus4 à gauche. » Quel ridicule terme ! Si on avait un peu d’amour pour Dieu, ayant vu la persécution si clairement décrite dans l’Apocalypse, avec quelle joie ne souffrirait-on pas ! Mais il paraît bien que c’est nous que nous avons aimés, et non Dieu en Lui-même et en nous. Je Le prie qu’Il soit notre force et notre paix au Saint-Esprit5 ; on n’en peut trouver que dans l’abandon de notre volonté en celle de Dieu. Ceux qui sèment la prudence de la chair en recueilleront les fruits dès cette vie, parce qu’ils ne seront pas crucifiés avec Jésus-Christ ; mais ceux qui sèment le pur amour sincère recueilleront la croix : cette dernière croix même n’est arrivée que pour avoir voulu se justifier. Si l’on me fait mon procès, je suis résolue de ne pas répondre un mot, car on ne le fera qu’en donnant des juges apostats, comme les témoins. Ainsi je tâcherai d’imiter mon Maître. Peut-être sont-ils bien aise de faire courir le bruit, afin de dire que c’est avec raison qu’on me retient. Mais peut-être craindraient-ils plus le procès que moi, car ils ne savent pas que je me tairai, et je pourrais prouver des choses qui leur feraient tort : le vin6, etc. Mais quoi qu’il arrive, mon cœur est préparé. Le peu de fermeté qu’on a pour Dieu est plus affligeant que les plus grandes peines. Laissons triompher les autres, et triomphons par notre humilité et notre patience.

Je ne sais pourquoi on ne peut avoir d’argent. N. [le curé ?] en veut sans que je donne un billet. Ne savez vous point comme cela va ? J’ai peur qu’il n’ôte mes [f°216v°] affaires à M.C.T.a pour disposer de mon bien et de moi à leur gré. Il n’y a rien qu’on ne doive attendre de cet homme-là. Ce bon prêtre m’a envoyé un écrit latin, il y a deux jours, que

3L’Explication des maximes des saints, publiée le 29 janvier 1697.

4Et dimitte nobis debita nostra, sicut at nos dimittimus debitoribus nostris : Et pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (Paroles du Pater).

5Paix en le Saint-Esprit.

6Empoisonné.

je lui envoyai parce que je ne l’entendais pas. Il m’écrit ce que vous voyez. Brûlez sa lettre après l’avoir lue.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°215v°].

a Lecture incertaine de ces initiales : « Mon Cher Tuteur » ?

432. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

Puisque les choses vont comme vous les dites sur le petit ch.,laissez-la donc à N. ; pour le grand [ch.], il faut la laisser penser d’elle ce qu’elle voudra. Dieu, pour retenir les âmes faibles à Son service, permet qu’elles aient quelquefois de grandes idées de leur grâce : c’est encore beaucoup, dans le temps où nous sommes, qu’on ne quitte pas tout à fait [la voie]. Voyez-vous le grand ch. ? Je suis surprise, sans l’être, de votre sœur ; je suis ravie que N. lui soit utile. Je prie Dieu qu’elle y prenne assez de confiance pour ne quitter pas tout à fait la voie de Dieu. Quant on ne tiendrait qu’à un filet, on ne s’échappe pas si le filet ne se rompt.

Pour nous, ma très ch[ère] avec laquelle j’ai tant d’union, il faut que vous soyez un ver de terre que chacun foule aux pieds, et c’est par là que vous deviendrez conforme à notre cher et divin petit Maître. Ne soyons rien afin qu’Il soit tout, mais rien devant Lui, devant les yeux des hommes et à nos propres yeux. Comment votre sœur pense-t-elle sur moi ? Vous ne m’en dites rien. Ceux qui veulent être quelque chose, Dieu leur laisse être quelque chose, mais ceux qui veulent bien être tout à Lui, Il leur fait n’être rien. Il les traite comme Il a été traité Lui-même. Ce sont les plus heureux, quoique plus malheureux en apparence : les premiers tremblent de la crainte seule d’une humiliation qu’ils n’auront jamais, et les autres sont en paix au plus fort de l’humiliation même. Si nous avions les yeux ouverts, nous verrions que ce qui nous paraît hideux parce que nous avons les yeux fermés, nous paraîtrait charmant et tout divin.

J’ai trouvé la lettre pastorale admirable1. Je laisse à part ce qui peut me regarder. Plût à Dieu que, par la condamnation même que mes meilleurs [f°217] amis feraient de moi, l’intérieur fût connu pour ce qu’il doit être, suivi et embrassé ! Il y a des passages admirables pour le pur amour, et je voudrais de tout mon cœur que cette lettre fût vue à

115 septembre 1697 : Instruction pastorale de Mgr l’archevêque duc de Cambrai sur le livre intitulé Explication des maximes des saints (Œuvres complètes (Gosselin), 1851-1852, t. II, p. 286-328).

Rome. Je vous envoie deux lettres de M. l’abbé de la Trappe, il y en avait encore une de l’abbé Testu, qui soutient celles de M. l’abbé de la Trappe jusqu’à dire que les lettres pleines de zèle seront mises dans le procès de sa canonisation. Elle est tout à fait maligne, mais je ne l’ai pas fait transcrire à cause qu’elle est fort longue, et que j’ai peine à avoir du papier. Il promet de faire une dissertation sur les lettres de ce grand saint, c’est ainsi qu’il appelle M. de la Trappe, le comparant à saint Benoît qui employait son zèle contre les hérétiques de son temps et même qui donne des avis au pape Eugène. Elles sont bien emportées, ces lettres, pour un saint, et si M. de M[eaux] traite saint Bonaventure de petit moine sur ce qu’il dit de l’intérieur, comment doit-on appeler l’abbé de la Trappe ? Renvoyez-moi les Fondements de la Vie Spirituelle 2 sans retardement. La fille qui me garde les a vus, elle me demande à les voir. Je ne sais que dire.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°216v°].

2[Surin], Les Fondements de la Vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation […], composé par I.D.F.S.P. [Jean de Sainte-Foi, prêtre], Paris, 1669.

433. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

Je ne sais que vous répondre, ma tr[ès] ch[ère]. Je n’ai au cœur ni pour ni contre. Je crois néanmoins que M. de C[ambrai] devrait différer cette impression1 si elle peut faire le fracas, [et] qu’on ait décidé à Rome, car si on décide pour2, la décision d’elle-même raccommodera dans son diocèse les esprits prévenus. Si on décide contre, alors une explication, et son humble soumission, fera, je crois, le même effet. D’ailleurs, il faudra faire la lettre pastorale ou d’autres ouvrages conformes au sentiment du Saint-Siège, car je ne crois point du tout que le pape condamne absolument, voyant la soumission de M. de C[ambrai] ; mais il pourra ordonner d’expliquer son livre de telle et telle manière, d’en supprimer certains endroits. Si j’avais su qu’on eût fait ce

1La grande bataille autour de l’Explication des maximes des saints est en cours : en décembre Fénelon publiera la Réponse […] à la Déclaration de Mgr l’archevêque de Paris, de M. l’évêque de Meaux et de M. l’évêque de Chartres (Œuvres complètes, t. II, p. 329-382) [la Déclaration des trois évêques, du 6 août, avait été publiée en septembre], et la Réponse à l’ouvrage de M. de Meaux intitulé Summa doctrinae (Œuvres complètes, t. II, p. 382-402) en décembre (cf. Le Brun : Fénelon, Œuvres, t. I, « chronologie »).

2En sa faveur.

livre, j’aurai prié de ne se point presser, mais de faire un livre très étendu, soutenu de tous les passages positifs des saints3. Mais la chose étant faite, [f°217v°] je crois qu’il faut temporiser, montrer des manuscrits aux plus éclairés et voir après l’arrivée du grand vicaire [Chanterac] à R[ome] comme les choses iront. Ne précipitons rien et attendons plus de Dieu que de notre industrie. J’espère que sa soumission, sa petitesse, etc., feront tout l’effet dans son diocèse qu’on en peut souhaiter. Dieu a voulu confondre son propre esprit afin qu’il ne s’appuie que sur Lui seul.

Je vois souvent N. [le curé] dans une grande fureur contre moi. Je vous aime plus que je ne peux dire et je veux que vous m’aimiez : Dieu le veut. Si vous ne m’envoyez de la cire et du papier, je ne pourrai plus écrire.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°217].

3Fénelon en avait préparé, mais Noailles jugea que cela alourdissait les Justifications et les fit retirer.

434. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

Je ne crois point du tout que vous deviez vous captiver et vous géhenner1 dans ce silence. L’Esprit de Dieu est libre et je ne crois point du tout que Sa grâce soit attachée à fermer les yeux et à ne point ...a L’Esprit de Jésus-Christ est bien loin de toutes ces observations prudentes que fait la dame2, et si elle s’admire si fort, Dieu ne l’admire guère, car Il ne compte que ce qui est simple, petit, candide et innocent.

Marchez avec votre simplicité et ne vous embarrassez pas des autres. Ne mandez point à N.3 ce qu’il a dit4 ; cela ne servirait à rien qu’à décharger la nature oppressée. Dieu vous suffit. Profitez des avis qu’il vous donne, du moins en pratiquant l’humilité, et souffrez une certaine irritation du sentiment que cela cause, en paix, sans sentir la paix. Je crois que Dieu aura soin de vous et qu’Il accordera à votre simplicité ce qu’Il refuserait à une prudence affectée. Jeûnez la veille de saint Michel5. Ceux que vous voyez le peuvent faire sans que cela paraisse, car c’est maigre.

1 Vous captiver et vous géhenner : vous enfermer et vous torturer.

2Madame de Maintenon.

3Fénelon ?

4Ce qu’il a demandé ?

5Le 29 septembre.

Ne vous inquiétez pas même lorsque vous manquez à ce que l’on vous dit, ayant une vraie volonté de le faire. Attendez tout de Dieu et rien de vous, et reprenez un nouveau courage pour mieux faire une autre fois, sans vous laisser gagner à la réflexion. Quand je vous parlerais, je ne vous connaîtrais pas mieux : Dieu [218 r°] ne le permet pas, c’est assez. Je vous embrasse. D’où vient que vous ne me voulez pas envoyer du papier et de la cire?

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°217v°].

a Illisible.

435. A LA PETITE DUCHESSE. 28 Septembre 1697.

J’ai envoyé jeudi aux Th[éatins], et on n’y était pas. Je ne sais que faire, car il n’est point à propos qu’on aille chez vous. Voyez donc si vous voulez que je n’envoie plus du tout, car l’hiver, N.1 ne pourra aller là, et il n’y a pas moyen d’envoyer chez vous : je crois que N. [le curé] y fait épier. Si elle ne trouve personne dimanche et jeudi, je n’y enverrai plus.

La rage de N. [le curé] contre moi passe ce qui s’en peut dire, jusqu’à faire entendre que c’est une vraie excommunication, que je suis hérétique, retranchée de l’Église. Il défend que s’il me prend quelque mal subit, comme apoplexie et le reste, de faire venir de prêtre, et qu’il vaut mieux me laisser mourir sans sacrements. Ils croient que personne ne saura ce qu’ils font, mais Dieu le sait, cela suffit. Je crois bien que notre commerce va finir, car N. ne pouvant aller l’hiver aux Th[éatins], et ne pouvant envoyer chez vous de crainte qu’on n’épie, je ne sais que faire. Ils ont conclu qu’on me laisserait ici et qu’on ferait savoir qu’on m’a renfermée, après m’avoir excommuniée pour toute ma vie parce qu’on a découvert en moi, depuis peu, des choses horribles. Ils en parlent par ce pied à cette fille qui me garde, lui faisant entendre que cela est exécrable. Consultez si, en conscience, je puis m’y confesser. Je vous aime bien. Demain, saint Michel, je ne communierai pas2.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°218].

1La porteuse des lettres.

2Probablement à la suite de la défense du curé de laisser communier une hérétique.

436. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1697.

Je crois, autant que je le peux conjecturer, que N.1 est la confidente à laquelle M. de B.2 fait ces sortes de déclarations. Vivez avec elle à votre ordinaire. Si elle voulait rentrer de plein cœur dans l’union avec moi, elle retrouverait la paix et le large, et elle ne ferait plus de semblables écarts.

N. a pris l’écrivain Maillard3. [218v°] Je sais qu’on lui fait faire des écritures. C’est un grand faussaire qui en contrefait de toutes sortes, et ce fut sur une lettre qu’il fit, en contrefaisant mon écriture, qu’on me mit, il y a dix ans, à Sainte-Marie. Dites-moi qui sont ceux qui sont ébranlés, et qui vous croyez qui serait disposé à croire toutes ces faussetés machinées qu’on ne veut pas qui viennent à ma connaissance, de peur que je ne fisse connaître la vérité.

Faites, où vous voudrez, la neuvaine au Saint-Esprit et communiez-y, je vous en prie. Je vous aime bien. Ne vous étonnez point de vos sécheresses intérieures : Dieu veut que nous Le servions à nos dépens. Je vous suis bien unie. Que fait le petit ch. ? On n’est guère propre à la soutenir dans de pareilles dispositions. Le père A[lleaume] est exilé à N. Je n’ai point besoin d’habits, j’en ai fait faire pour mon hiver. Si vous avez la bonté de m’envoyer des noix confites, que ce ne soit pas par le N.4 [que] nous craignons non sans fondement ; cependant, j’en ai besoin l’hiver à cause de mes fréquents vomissements. Faites surtout comme vous voudrez. C’est Fam[ille] qui a voulu que je vous mandasse cela. N’oubliez pas sainte Catherine de Gênes,je vous en prie, et de m’envoyer avec, par la femme, un livre couvert en parchemin, qui sont les œuvres de saint Denis [Denys], qui sont parmi mes livres, et les Secrets sentiers de l’amour divin. C’est ce bon ecclésiastique, à qui j’ai mille obligations, qui en a affaire. Voilà la lettre latine qu’il m’a donnée, que je vous envoie. N. [le curé] sort d’ici, il m’a fait les airs les plus doux, des protestations de m’honorer. J’ai à dire ses différents personnages. Il m’a dit que je lui envoyasse une lettre pour vous : je le ferai.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°218].

1Toujours inconnue.

2Indéterminé.

3Mari de la Maillard.

4par le porteur.

5Œuvre du capucin Constantin de Barbanson (cité dans les Justifications) intitulée : Les secrets sentiers de l’amour divin esquels est cachée la vraie sapience céleste et le royaume de Dieu en nos âmes, « composés par le P. Constantin de Barbanson prédicateur capucin et gardien du convent de Cologne, édités en 1623 chez Jean Kinckius libraire à Cologne ». Cet ouvrage, réédité en 1932, doit être complété par l’Anatomie de l’âme et des opérations divines en icelle, ensemble qui fut édité après sa mort, en 1635, à Liège.

437. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1697.

Je ne suis point surprise que vous ayez remarqué la fausseté de N. [le curé]. C’est la première chose qui me sauta aux yeux : il me faisait des sermons horribles de choses, dont il me disait ensuite le contraire. Cela m’effraya, et je vous mandai d’abord ce qui en était, et je fus d’une étrange surprise lorsque vous me mandâtes [f°219] que c’était un saint.

J’espère que Dieu soutiendra sa cause à R[ome]. S’Il ne le fait pas, c’est que la fin des souffrances n’est pas encore arrivée. Est-ce que personne ne prend soin d’instruire R[ome] de la cabale et de la vérité ? Les j[ésuites], pour qui tiennent-ils ? Tout le mal que N.1 fait aux religieux et religieuses ne leur ouvre-t-il pas les yeux ? Il défend de se confesser aux religieux, et mille choses de cette sorte. Quand est-ce que la lettre pastorale de M. de C[ambrai] paraîtra ? N’y aurait-il pas moyen de la voir ? Croyez-vous qu’on reçoive sans murmurer la déclaration du mariage ? Mandez-moi ce qui en est, et n’entrez jamais en nulle confidence avec N. D’où vient qu’on n’envoie pas la traduction latine2 ? Cela me fait de la peine : un si long retardement ne peut que tout gâter. Vous ne me mandez point de vos nouvelles ! Je vous prie de m’en faire savoir, et de mademoiselle votre fille. Je ne me porte pas trop mal. Je suis restée boiteuse. Je songeais, il y a deux ou trois nuits, que saint Pierre me parlait avec tant de bonté ; je souhaite qu’il inspire cet esprit à son successeur3 et qu’il lui fasse voir clair au travers de l’horrible nuit de la malice. Je vous embrasse. Envoyez-moi les livres que je vous ai demandés.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°218v°].

1On pense à un janséniste ou à Boileau ?

2De l’ouvrage de Fénelon, à Rome.

3Innocent XII.

438. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1697.

Ce bon ecclési[astique] m’a mandé que N.[Bossuet] avait fait un mandement latin contre M. de C[ambrai], mais qu’ayant vu la lettre pastorale, il s’est mis en retraite pour y répondre1. Il m’a envoyé une lettre de M. de C[ambrai] à un de ses amis2, que j’ai trouvée très belle, et une en réponse, que j’ai trouvée d’un tour diabolique. On a promis à monsieur de Meaux qu’il serait cardinal. On ne fait point de doute que le livre de M. de C[ambrai] ne soit condamné à R[ome] à cause de la forte cabale. Pour moi, je suis persuadée que le Saint-Père sera de quelque ménagement, voyant la docilité de l’auteur et le venin de la cabale3. Les trois Eusèbes4 font tous leurs efforts contre Athanase [Fénelon], mais s’il souffre à présent, s’il est même condamné par l’artifice de ses ennemis, sa mémoire sera en bénédiction au ciel et sur la terre. Mandez-moi quelles nouvelles vous avez de ce pays-là5, [f°219v°], ce que le gr[and] v[icaire] pense et fait là. C’est un déchaînement effroyable. Il me semble que je crois revivre les temps de saint Athanase et de saint Chrysostome6. M. de C[ambrai] est-il en paix en lui-même ? Comment porte-t-il toutes ces choses ? Je prie Dieu de lui donner la force nécessaire pour cela. Tout le monde s’en mêle, afin de faire sa cour. Lorsque N. [le curé] parle de M. de Cha[rtres], il ne l’appelle que le saint. Défiez-vous de lui, je vous en prie : c’est un renard. Considérons que M. de C[ambrai] est traité comme J[ésus]-C[hrist] et par des personnes semblables. Mandez-moi tout ce qui regarde cette affaire, car j’y prends bien de l’intérêt. J’en apprends plus du bon prêtre7 que de vous, quoique vous deviez en savoir plus que lui. Ne nous lassons pas de prier Dieu ; peut-être ne rejettera-t-Il pas toujours nos prières !

Voilà une lettre de l’ecclés[iastique] ; il a voulu savoir mon sentiment sur la lettre de M. de C[ambrai]. Je lui ai mandé que je la trouvais pleine

1S’agit-il de la Summa doctrinae qui paraît en octobre 1697 ? Non car Madame Guyon découvrira ce texte « abominable » par la suite. S’agit-il du traité latin intitulé Mystici in tuto sur l’oraison passive, auquel Fénelon répondit par une Lettre de la fin octobre 1698 ? Du traité latin intitulé Schola in tuto sur la charité, auquel Fénelon répondit par une autre Lettre ce même mois d’octobre 1698 ? Pour suivre la séquence des « questions (Bossuet) – réponses (Fénelon) » de toute cette période v. Fénelon, Œuvres I, 1983, chronologie en tête de volume.

2Lettre de Fénelon à un de ses amis du 3 août 1697.

3Ce qui effectivement se produira, le pape Innocent XII adoucissant la condamnation de l’Explication des maximes des saints par une réponse sensible au mandement de Fénelon acceptant le bref Cum alias.

4Les trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais, auteurs de la Déclaration du 6 août 1697 (publiée en septembre) contre l’Explication des maximes…

5Rome.

6Saint Athanase (v. 295 – 373), ascète et évêque d’Alexandrie ; saint Jean Chrysostome (v. 350 – 407), déposé puis banni en Arménie et enfin sur le Pont : il mourut en route, épuisé par des marches forcées.

7Le  « Bon prêtre » reste inconnu.

de l’Esprit de Dieu, et l’autre pleine d’une aigreur artificieuse. Il m’est venu souvent dans l’esprit que si M. de C[ambrai] avait eu plus de fermeté dans les commencements et n’eut pas voulu gagner les évêques, les choses eussent mieux été : ils ont abusé de sa bonté. Mais Dieu tirera Sa gloire de tout. Il me paraît qu’il devrait éviter à présent d’invectiver contre les personnes intérieures et même contre moi. Je sais que cela lui peut faire tort envers les honnêtes gens, qui croiraient que la faiblesse le lui ferait faire. Sa lettre au pape a plu à tous les gens sans prévention. J’espère que Dieu lui fera tout faire pour le mieux.

Il faut vous dire toutes mes folies. Il y a plus de huit mois que j’ai dans la tête que c’est un sort qu’on a donné à M. V. F.8 ; c’est ce qui, je crois, fait sa maladie. Bar[aquin] est enragé de ce que vous êtes fidèle à Dieu, et j’entrevois ce que je ne dis pas. Si M de C[ambrai] venait jamais à Paris, il faudrait qu’il lui dise les prières que l’Église dit en pareil cas. Qu’est-ce que les médecins disent de cette maladie ? Voilà une couronne de saint …a pour lui mettre sur la tête. Si vous lui mettiez, bien cacheté, le portrait du P[ère] L[a] C[ombe] que vous avez9, peut-être cela lui serait-il utile ? Si cela ne sert de rien, il ne lui fera pas de mal. Je vous aime bien tendrement, aimez-moi toujours. Il ne faut pas que N. quitte le petit ch. Si elle [f°220] parlait au père L’emp.10, elle saurait ses sentiments. C’est un homme franc, ne le croyez-vous plus ? Que fait madame de Ma[intenon] ?

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°219].

aUn mot difficile à déchiffrer : Ovide ? !

8 Monsieur votre frère ?

9Voilà qui dit bien l’estime que Madame Guyon avait pour le P. Lacombe. Cette estime perdurera, comme le montre les lettres adjointes à l’édition de la Vie, puis le culte que lui rendront les cercles guyonniens.

10Lempereur ? « Un père minime, qui est de mes amis… » (Lettre 85 du 5 septembre 1693).

439. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1697.

N. [le curé] vint me confesser la veille de la Toussaint. Il me parla fort des prétendus crimes, mais il me dit que cela n’était pas bien clair, qu’il y avait un certificat d’une personne fort élevée en dignité qui disait ces choses horribles dont il était témoin. Je lui dis qu’il fallait donc ou qu’il me fût venu voir, ou que j’eusse été chez lui, et que cela ne pouvait être ; que si on me disait de quoi il s’agit, que je ferais peut-être bien voir le contraire.

Je crois que c’est de M. de Grenoble ou du général des chartreux. Il dit que ce dernier avait fait la vie de M. de Genève, où il mettait des choses horrible du p[ère l[a] C[ombe] et de moi1. Il me dit une chose du P[ère] l[a] C[ombe] envers l’évêque, qui est en fait très fausse, car l’évêque me l’a contée lui-même, et c’était avant que je fusse en ce pays-là : c’était une chose qui marquait le discernement de l’Esprit de Dieu en le père.

Ensuite il me dit qu’on avait fait voir à madame de M[aintenon] quantité de chefs d’accusation et de certificats contre moi, et me fit entendre qu’on m’ôterait d’ici. Je lui dis que mon cœur était préparé à tout, trop heureuse de donner ma vie pour Celui qui l’a donnée pour moi. Ensuite il me dit qu’il s’agissait aussi de ma foi, que tout ce que j’avais signé n’était point sincère, et qu’il me voulait faire voir le livre de M. de C[ambrai] et une lettre pastorale qu’il avait faite. Enfin je compris qu’il voulait m’obliger de condamner le livre de M. de C[ambrai]. Je ne fis pas semblant de le comprendre, et je suis résolue, s’il m’en parle, de lui dire que ce n’est pas à moi de condamner des évêques, que je me contente de condamner ce que le pape condamne et d’approuver ce qu’il approuve, que je ne signerai rien de ma vie, que tout ce que je signerai de nouveau aurait le même sort que ce que j’avais signé, et qu’on n’aurait pas plus de raison de le croire sincère. Si je dois dire autre chose, vous me le ferez savoir. Il y a un endroit dans la lettre pastorale qui ne m’a pas plu, c’est sur le trouble [220v] involontaire de Jésus-Christ2. Vous en pénétrez les raisons.

Je vous recommande ces bonnes gens cet hiver. Votre charité ne peut être mieux employée : elle est grosse, et trois enfants, son mari ne fait rien l’hiver, et je sais de bonne part qu’il a refusé deux conditions fort bonnes, ne voulant pas me quitter. Le P[ère] l[a] C[ombe] est resté où il était, il a souffert de grands besoins, présentement que je ne le puis assister ; c’est ce qu’on m’a fait savoir. C’est ce bon prêtre qui sait qu’il souffre beaucoup, je ne sais par qui. Mais ces nouvelles sont très sûres.

1Il s’agit de l’ouvrage du général des chartreux Dom Le Masson, Vie de Mgr d’Arenthon d’Alex.

2Le trouble avant la Passion. V. Instruction pastorale de Mgr l’archevêque duc de Cambrai sur le livre intitulé Explication des maximes des saints, du 15 septembre 1697, Œuvres complètes (Gosselin), 1851-1852, t. II, p. 286-328 : « […] XIX. Plusieurs personnes ont été mal édifiées de trouver les termes de trouble involontaire, dans un endroit de mon livre où il est parlé de la peine intérieure de Jésus-Christ. Ceux qui ont ajouté ces termes dans mon livre, ont voulu dire seulement que le trouble de Jésus-Christ, qui était volontaire en tant qu’il était commandé par sa volonté, était involontaire en ce que sa volonté n’en était pas troublée. Mais je n’ai aucun intérêt de défendre cette expression, qui ne vient pas de moi. Ceux qui ont vu mon manuscrit original en peuvent rendre témoignage […] »

Ne témoignez point que vous le connaissez. M[adame] Van. 3 m’a écrit par N. [le curé] une lettre très adroite où, sans qu’on puisse rien voir, elle me fait savoir la misère du P[ère] l[a]C[ombe], et me mande que, malgré sa pauvreté, elle lui a fait tenir quelque chose, mais bien peu. Cela m’afflige de ne pouvoir l’aider. Il faut tout abandonner à Dieu. C’est le temps des martyrs du Saint-Esprit.

Le bon prêtre m’a mandé que le bailli de l’archevêché, parlant de moi, avait dit que j’avais couru les rues de Paris depuis peu, que M. de C[ambrai] m’était venu voir, qu’il était venu des hommes, de nuit, me voir ici, et bien d’autres choses, qu’on attendait la décision de R[ome] pour savoir ce qu’on ferait de moi, et que je devais bien prier Dieu qu’on ne trouvât pas que j’écrivisse, que je serais perdue sans ressource, qu’on voulait perdre M. de C[ambrai]. Monsieur de Meaux a encore envoyé à R[ome] son neveu4 avec un docteur, prévôt de l’église de M[eaux] autrefois, auquel on a donné une abbaye. Il commence à reparler de mes voyages, et loin d’en dire le motif, il dit des choses affreuses. Ils croient être sûrs de la condamnation du livre de M. de C[ambrai]. Ils ont fait signer quantité de docteurs et des faux témoins contre M. de C[ambrai] pour le calomnier.

J’oubliais de vous dire que le bon ecclési[astique] m’a mandé que c’était une dévote qui disait toutes ces choses, en laquelle on a une créance entière. Elle est à présent à prier Dieu de lui révéler le jour et l’heure où M. de C[ambrai] m’est venu voir, ceux où j’ai été courir à Paris, et les nuits que les hommes sont venus, et lorsqu’on les [f°221] saura, on me convaincra. Ce bon prêtre me demande si je ne sais qui est cette dévote5 ; vous savez bien qui elle est, et mon tut[eur][Chevreuse] aussi. Dites-lui ceci, je vous prie. On fera des crimes à qui l’on voudra sur ces prétendues révélations, et M. de P[aris], aussi bien que madame de M[aintenon] la croient infaillible. Remarquez, s’il vous plaît, qu’à moi, N. [le curé] me dit que ce sont d’anciens crimes, et aux autres, qu’ils sont depuis que je suis ici. Je crois que c’est au diocèse de Cha[rtres] qu’on me veut mettre.

J’ai vu ici deux […]a, mais une assez bonne fille, et même intérieure, mais on ne l’a pas crue capable de certifier des choses fausses. On en a envoyé une de Chartres, conduite par les intimes de M. de Cha[rtres], qui me regarde comme un démon, mais il ne m’importe. Que Dieu fasse

3Intermédiaire entre Lacombe et Madame Guyon. Lacombe fait allusion dans ses lettres à un tel « relais ».

4L’abbé Bossuet, de comportement scandaleux à Rome.

5Il s’agit probablement de la « dévote de M. Boileau », sœur Rose ou Catherine d’Almeyrac, v. Index, Rose.

Sa sainte volonté. Je vous embrasse de toute la tendresse de mon cœur. Voyez toujours le petit ch. : il faut tâcher de la ramener doucement. Vous verrez par cette lettre les sentiments que la demoiselle, qu’on vient de retirer d’ici après deux mois de séjour, avait pour moi : elle avait une entière ouverture pour ce bon prêtre, sans savoir qu’il me connut vic[aire], que sur ce qu’il lui paraissait goûter l’intérieur. Bien des amitiés au tut[eur]. Dieu sait combien il m’est cher en Lui.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°220].

a Il manque un mot dans la copie.

440. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1697.

Vous savez, ma très ch[ère], que tous les égarements et écarts commencent toujours par le dégoût qu’on a de moi, et dès que je sais cela, je crains qu’on ne quitte bientôt Dieu1. N. croit se conserver et se tirer d’affaires en attachant tout à soi, mais Dieu la trompera bien avec son effroyable amour-propre : je ne crois pas que Dieu Se communique par une personne qui s’aime tant soi-même2. Je trouve vos sentiments sur l’amitié de N. tels qu’ils doivent être, et Dieu vous bénira sans doute. Que les défauts des autres nous ouvrent les yeux pour nous faire entrer dans un renoncement et une mort entière à nous-mêmes !

Comment fait le grand ch. sur tout cela ? Il m’est venu la pensée qu’il [221v] était bien aise qu’on connût les défauts du petit [ch.]. Mais il n’importe, il se faut servir même des défauts des âmes pour empêcher, autant qu’on peut, les faibles de quitter Dieu. C’est pourquoi parlez au grand ch., à Rem., et vous-même tâchez de ramener le petit [ch.] par toutes les voies de la douceur. J’ai toujours eu bien du pressentiment sur le petit ch. de ce qui est arrivé. On veut avancer, dit-on, les âmes, et pour les avancer, on les perd : Dieu ne permet pas que ceux qu’on attire avec quelque mélange humain subsistent. Mais il faut porter les faibles et les aider dans leurs faiblesses, de crainte qu’ils ne quittent pas3 tout à fait,

1Cette affirmation qui paraît irrecevable (« on me quitte, on quitte Dieu ! ») est pourtant issu de l’expérience chez le directeur mystique - canal incontournable pour son dirigé.

2Il s’agit donc d’une personne qui croit pouvoir communiquer la grâce sans être purifiée de son moi. Il semble d’agir du « petit [ch.] », cf. plus bas. La suite est très instructive sur la vie intérieure du cercle et la « méthode » guyonnienne.

3Explétif, prête à confusion.

et c’est ce qu’il faut faire. Le grand ch. sera ravi de se donner la gloire de la tirer de là ; il faut lui en applaudir et lui laisser cette satisfaction humaine, donnant le lait aux enfants et le pain aux forts.

J’enverrai donc quérir le grand ch. avec Rem., et je leur dirai qu’il faut que le grand ch. en prenne soin et qu’elle la retire de son égarement, que quelquefois des personnes ont grâce pour d’autres, etc. Et je n’en parlerais pas à N. S’il y avait quelque chose à lui dire, il faudrait que ce fut Rem. qui le lui dise, mais son amour propre lui ferait tout perdre pour se tirer d’affaires. Pour moi, je suis ravie de porter tout si cela ne tombait que sur moi, mais cela tomberait sur ceux qui n’en peuvent mais.

Pour votre sœur, je crois que vous la devez traiter comme une malade, avoir pour elle milles prévenances de charité, fermer les yeux sur mille choses. Il faut vouloir le plus parfait pour vous, mais supporter les autres dans leurs faiblesses et imperfections : il vaut mieux les tenir liés par un fil que de les laisser échapper tout à fait. Ma consolation est, que dès qu’on goûte l’amour-propre, on cesse de me goûter.

On ôte la fille qu’on m’avait mise ; on a cru qu’elle ne serait pas d’humeur à rendre de faux témoignages, on en remet une de Chartres. Tout m’est indifférent dans la volonté de Dieu. Je vous assure qu’il m’est impossible de rien vouloir. Il faut prier le bon Pasteur de ramener les brebis égarées. [f°222]

Le petit ch. ne manque pas apparemment de faire de l’éclat au dehors. Il faudrait savoir jusqu’où a été ce qu’elle a dit et fait, après il faut tout laisser à Dieu quand nous aurons fait ce que nous aurons pu. J’ai été fâchée que cette femme ait refusé le livre de saint Denis, car ce n’était pas pour la faire passer. N. a la Vie de sainte Catherine de Gênes à moi : elle était dans mes livres ; elle en a même deux ; quelque ami nous la trouverait aisément. Je prie Dieu qu’Il soit votre force. Je vous aime bien tendrement. Vous me consolez seule de l’infidélité des autres.

Je suis étonnée de N. à votre égard, qu’on ne sentît pas l’amour pur où il est, et l’amour propre. Il sait combien de temps N. nous a empêchés d’être à l’aise, lui et moi3. J’ai plus d’éloignement de son amour propre à elle que de la faiblesse des autres. Nos ennemis font courir le bruit que, lorsque je fus arrêtée, on avait surpris à la petite Marc des lettres où je vous écrivais de vous trouver à une assemblée, que je tenais en un certain endroit, et que là il s’y passait des choses horribles. Ils firent contrefaire une pareille lettre pour d’autres, lorsque je fus à Sainte-Marie. Ils reprennent leur premier train4.

4On retrouve l’équipe de la première période d’emprisonnement, enfin capable de prendre sa revanche.

Défiez-vous de N. [le curé] : il est plus à craindre lorsqu’il affecte plus de douceur. Le bon ecclési[astique] m’a mandé qu’il était venu de C[ambrai] un des amis de M. de C[ambrai], qui lui avait dit qu’il officiait tous les dimanches, que le reste du temps, il était à travailler à la campagne. Renvoyez-moi saint Denis5, je vous prie. Voilà une lettre de ce bon prêtre. Je vous prie d’en tirer ce qu’il faut que vous sachiez pour le dire, et brûlez la lettre. C’est un très bon ecclési[astique], qui s’adonne fort à l’intérieur. Il m’a envoyé une lettre latine de M. de M[eaux] pour le cardinal Spada 6, qui est abominable, intitulée Summa doctrinae 7 : faites-le acheter. J’ai ici un livre très fort, intitulé Les fondements de la vie spirituelle 8, approuvé [f°222v°] de lui. Si le tut[eur][Chevreuse] juge qu’il soit utile, mandez-le moi, je vous l’enverrai. Je vous envoie toujours le livre, s’il peut servir à M. de C[ambrai] et qu’on le veuille envoyer à R[ome], le voilà, sinon vous me le renverrez au premier voyage.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°221].

5L’œuvre de notre pseudo-Denys.

6Fabrice Spada (1643-1717), secrétaire d’Etat et membre de la Congrégtion du Saint-Office, lors de l’examen du livre des Maximes.

7Texte d’octobre 1697.

8Déjà cité par Madame Guyon dans une lettre de fin septembre, œuvre de Surin sous pseudonyme : Les Fondements de la Vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation […], composé par I.D.F.S.P. [Jean de Sainte-Foi, prêtre], Paris, 1669.

441. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1697.

Tout le monde est à présent contre M. de C[ambrai]. Les Eusèbes1 disent les choses avec tant de malice et tant de vraisemblance que tout le monde les croit. Je crois que le bon ecclés[iastique] est un peu étourdi, pas pourtant ébranlé. J’ai toujours appréhendé que N.2 ne passât pas vingt ans, et je crains bien que, s’il devient infidèle et qu’il suive

1Déjà mentionnés précédemment  : les trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais, auteurs de la Déclaration du 6 août 1697 (publiée en septembre) contre l’Explication des maximes…

2Le jeune duc de Monfort ? Madame Guyon disait au duc de Chevreuse dans une lettre que celui‑ci reçut le 6 décembre 1692 : « Je vous prie de ne vous pas inquiéter pour M. le D[uc] de M[onfort]. Faites‑en le sacrifice à Dieu et le lui abandonnez [...] Il sera du temps égaré parce que vous et Madame avez trop compté sur vos soins et sur votre éducation. Mais il ne se perdra pas ». Un peu plus d'une année plus tard elle écrivait à propos du mariage du jeune duc : « J'espère que le Seigneur lui fera miséricorde. Le Seigneur qui poursuit les péchés des pères sur les enfants récompense avec bien plus de plaisir les vertus des pères en leurs enfants. »

la route de l’iniquité, cela n’arrive. S’il était comme il faut, Dieu le conserverait. Jamais la noirceur ni la malice n’a été pareille.

L’auteur de la vie de frère Laurent3 a écrit une lettre imprimée pour justifier le livre, où il traite bien mal M. de C[ambrai] et se jette sur ma friperie à merveilles. Qu’est-ce que j’ai à faire à [avec] la vie du frère Laurent pour s’en prendre à moi ? Mais il semble que Dieu me veuille mêler avec M. de C[ambrai], afin que, dans la suite, il soit obligé de soutenir la vérité4. Chacun s’en mêle. On dit qu’il ne s’imprime plus de livre où il n’y ait un article de préservatif5 contre nous. Pourvu que Dieu soit content de nous, qu’importe ! Nous n’avons pas cherché la gloire des hommes lorsque nous nous sommes donnés à Lui : si nous l’avons cherchée, malheur à nous !

Rodriguez est un très bon livre6, Alvarez 7, Suarez 8 ; l’Imitation de Jésus-Christ est intérieure sans suspicion ; les Soliloques de St Augustin ont un caractère propre à remuer le cœur. Il faut espérer que Dieu règnera après tout ceci, car le dragon frappe de la queue et a déjà entrainé la troisième partie des étoiles9. C’est à présent qu’il faut aimer Dieu purement, non en parole, mais en œuvres. Si nous L’aimons, nous laisserons tout intérêt propre pour le seul intérêt de Dieu [f°223] seul, et

3L’abbé de Beaufort, grand vicaire du cardinal de Noailles, éditeur de ce qui nous reste des écrits du frère Laurent de la Résurrection, « auteur d’un Eloge où il brosse à large traits la physionomie de l’humble convers. » (S. M. Bouchereaux, Fr. Laurent, L’expérience de la présence de Dieu, 1948. V. aussi l’éd. récente de ses œuvres par Conrad de Meester, 1996).

4Ce qui se produira, Fénelon, après quelque hésitation, prenant courageusement se défense, par exemple dans sa lettre à l'abbé de Chanterac, 8 décembre 1697: « ... je pense encore secrètement, avec un très petit nombre d'amis, que cette femme est une sainte qu'on opprime, qu'elle a bien pensé... »

5Préservatif : son emploi substantivé, en parlant de ce qui préserve d’un mal moral, est archaïque.

6Alphonse Rodriguez, jésuite (1538-1616), auteur de l’Ejercicio de perfeccion y virtudes cristianas. « L’ouvrage est, après la Bible et l’Imitation, l’un des plus lus par les chrétiens de ces trois derniers siècles… », v. DS, art. Rodriguez.

7Baltazar Alvarez, jésuite (1533-1580), l’un des principaux directeurs de sainte Thérèse : « J’avais un confesseur qui me mortifiait beaucoup et qui, même parfois, à force de me tourmenter, me jetait dans le chagrin et la désolation. Et cependant, à mon avis, c’est lui qui a été le plus utile à mon âme. » (Livre de la Vie, chap. 26).

8François Suarez, jésuite (1548-1617), théologien spirituel. – On voit encore ici que les jésuites sont appréciés par Madame Guyon, morts et vivants !

9Apocalypse, 12, 4 : Il entraînait avec sa queue la troisième partie des étoiles du ciel… (Sacy) ; et Daniel, 8, 10 : Il éleva sa grande corne jusqu’aux armées du ciel, et il fit tomber les plus forts et ceux qui étaient comme des étoiles, et il les foula aux pieds. (Sacy).

lorsque nous n’aurons que l’intérêt de Dieu, nous soutiendrons Sa querelle avec fermeté et sans retour sur nous-mêmes. C’est à présent que nous devons mourir véritablement à nous-mêmes, afin que Dieu vive et règne. J’espère que, si l’on travaille avec désintéressement et cette vue de Dieu, que Dieu prendra la cause en main, qui est la Sienne. On appelle monsieur de Meaux et M. de P[aris] [les] saint Augustin et saint Jean Chrysostome de ce siècle : ils sont les persécutés, les outragés et trahis ; c’est eux qui défendent la vérité ; on leur est infiniment obligé d’avoir découvert nos fourberies et malices et le reste !

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°222v°].

442. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

Ce bon prêtre m’a mandé qu’on avait ajouté encore trois examinateurs aux sept, et on croit que c’est à la sollicitation de monsieur de Meaux. Si cela est, cela pourrait nuire, mais Dieu sur tout. Je crois que notre peu de fidélité, d’abandon à Dieu et de mort à nous-même, notre recherche de tout appui hors de Dieu, nous nuit plus que les autres ne peuvent nuire. Cependant ne nous étonnons jamais de nos propres faiblesses, ni de celle des autres. Que sommes-nous par nous-mêmes que misère et pauvreté ! Lorsque la tempête sera passée, nous rougirons de notre peu de foi.

Il serait bien aisé d’aider le pauvre P[ère] L[a] C[ombe] : comme on sait son adresse1, il n’y a qu’à lui écrire d’une écriture inconnue et lui mander d’envoyer une adresse sûre pour lui faire tenir quelque chose, lui donner à lui une adresse, afin qu’il pût écrire. M[adame] Van. 2 ferait cela à merveille, sans lui dire ni lui laisser pénétrer que je vous écris. Il n’y aurait qu’à la faire avertir par M. l’ab[bé] Cout[urier], et qu’il lui proposât qu’il voudrait faire une charité ample, et que comme elle a demeuré avec N. [Lacombe], il pense qu’elle sait son adresse et pourrait lui faire tenir quelque chose.

J’ai pensé mourir tout d’un coup de mon rhumatisme qui m’était tombé sur la poitrine, mais Dieu n’a point voulu de moi. Vous ne me dites pas comment vous vous portez, j’en suis en peine. Je n’ai garde de

1Le père est enfermé à Lourdes.

2Madame Van., citée dans une lettre du mois précédent : « M[adame] Van. m’a écrit par N. [le curé] une lettre très adroite où, sans qu’on puisse rien voir, elle me fait savoir la misère du P[ère] l[a]C[ombe]. »

vous reprendre, ma très ch[ère] : vous dites bien, et bien juste. [f°223v°] Plût à Dieu que nous nous fiassions à Dieu seul ! mais comme Il tire Sa gloire de tout, Il la tirera de nos faiblesses. Je prie Dieu qu’Il pacifie N. [Fénelon] ; qu’il agisse dans la lumière pure de la Vérité, et non dans la fausse lueur des appuis créés. Prions, et ne nous lassons pas de demander à Dieu qu’Il achève Son ouvrage, qu’Il ne consulte que Sa bonté, et non nos misères, pour nous accorder ce que nous demandons. Après, attendons en paix ce qu’il Lui plaira d’ordonner. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Il m’est venu dans l’esprit que le tut[eur][Chevreuse] pourrait peut-être vous fournir une adresse sûre afin que le P[ère] L[a] C[ombe] pût écrire. Il a des écrits admirables et très doctes sur la matière en question. Si on lui demandait cela, il se ferait un plaisir de l’envoyer dans la conjoncture présente, ce qui serait d’une utilité plus grande qu’on ne pense ; ceci n’est pas à négliger. Il a soutenu une thèse, comme j’étais en ce pays-là, sur le pur amour, qui fut combattue là et approuvée à Rome. Il faisait voir que la béatitude était l’objet de l’espérance, et non de la charité qui ne voyait que Dieu seul, heureux pour lui-même et le reste3. Si on veut écrire, il faut mettre le dessus de la lettre à M. de la her. de cob., aum[ônier] du ch[âteau] de L[ourdes], à L[ourdes], et puis une enveloppe à N.4 J’ai cru qu’il aurait peine à se confier à une écriture inconnue, c’est pourquoi j’ai fait écrire le billet.

Cet ecclési[astique] m’a écrit que ceux-mêmes qui estiment M. de C[ambrai] se sont mis du parti de M. de M[eaux], parce qu’il est clair que M. de C[ambrai] a fait une trahison à M. de M[eaux], ayant fait imprimer son livre lorsqu’il avait en main celui de M. de M[eaux] en manuscrit, sans l’en avertir. Il y a une nouvelle lettre de M. de P[aris] qui est horrible, intitulée Instruction pastorale 5, etc. Faites-la acheter. Jamais lettre ne fut plus maligne. Ayez soin de la jardin[ière]6. Quoique je dépense beaucoup, j’ai à peine le nécessaire. La messe me coûte plus de 400 livres à trente sols chaque fois.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°223].

3Le P. Lacombe n’a publié que deux petits volumes : Lettre d’un serviteur de Dieu… que l’on retrouve dans les Opuscules spirituels de 1720, et Orationis mentalis analysis, Verceil, 1686. Autres éditions ou traductions, v. DS, 9.35-42, art. « La Combe » par Orcibal.

4Adressée à l’intermédiaire, Madame Van. probablement.

5Fénelon y répondra par la publication, en février 1698, de Première […] Quatrième lettre […] à Mgr l’archevêque de Paris […] sur son Instruction pastorale du 27e jour d’octobre 1697.

6La jardinière, citée précédemment, se proposait pour porter les lettres, mais elle était trop connue des sœurs gardiennes.

443. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

Ma fille m’est venue voir ; je fis fort l’étonnée. N. [le curé] y fut toujours présent, et elle-même évitait de me parler. Elle est si prévenue pour lui1 et pour N. Il faut tout abandonner à Dieu. Je la priai de vous voir, afin de ne lui pas laisser croire que j’eusse commerce avec vous. Lorsqu’elle put me dire un mot bas, ce ne fut que pour me dire que je n’en devais pas avoir, et me parler à l’avantage des N. Enfin j’en fus peu satisfaite. Je vous prie, si elle vous va voir, de lui faire amitié. Elle se loue fort de N. J’ai lieu de croire que N. a parlé et est contre moi.

On appelle à présent le silence que nous gardions « la bouderie » et ma maison « le boudoir ». N. [le curé] me dit qu’il m’apporterait la lettre pastorale de M. de P[aris] et que M. de P[aris] le voulait, que c’était la plus admirable et la plus savante pièce qui eût jamais paru. On prétend que ce que M. de C[ambrai] écrit n’est que de l’eau. Je me doute bien qu’on me proposera de signer cette lettre qu’il est bien sûr que je ne signerai pas, afin d’avoir occasion de me tourmenter de nouveau. Mais tous tourments seront les bienvenus, ma vie n’est bonne que pour souffrir.

Je vous prie de me mander en quel hôpital on avait mis la s. mal.2 Je ne doute pas qu’on ne lui ait fait faire quelque chose contre moi. La s. mal., qui est fort adroite, aura fait parler à la demoiselle de la Croix 3, qui se sera fait honneur de discerner que cette s[œur] est bonne et moi mauvaise. Je vous prie aussi de me mander si l’ab[bé] de Ch[arost] a parlé de moi à M. Tronson et en quels termes, et ce que M. Tronson lui a répondu. Ces filles-ci ont élu pour supérieur le supérieur du Collège des Quatre Nations ; mandez-moi son nom. N. dit à Fam[ille] qu’il voulait lui envoyer sa sœur ; il le fera ; il ne sait pas qu’elle demeure chez vous. Si elle vient, envoyez-moi par elle du vin d’Espagne blanc. Je ne puis faire Carême sans cela ; elle vous le dira sans doute, [f°224v°] mais n’écrivez pas par elle. L’ecclés[iastique] dit que le livre de M. de

1Jeanne-Marie Guyon, prévenue en faveur du curé ! et probablement de celui de Versailles, Hébert.

2La sœur qui a été changée et avait mauvaise conscience d’avoir probablement chargé sa prisonnière.

3La « dévote de M. Boileau » ou sœur Rose, v. Index, Rose.

C[ambrai] ne sera pas condamné, qu’on laissera les choses comme elles sont. Il s’émut comme il faisait au commencement. D’où vient cela ? Je suis en peine de la santé du compagnon du tut[eur][Chevreuse] . Si N. est fidèle, il pourra vivre malgré ses infirmités. Je vous embrasse de tout mon cœur. Mandez-moi des nouvelles du p. Ave.4, s’il parle toujours contre moi. Je voudrais bien savoir aussi comme p[ut][Dupuy] s’est trouvé du p. Lam. [La Motte ?]. Voilà une petite montre, etc.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°224].

4Non identifié.

444. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

N. est venu, qui m’a apporté la lettre pastorale de M. de P[aris]. J’ai vu qu’il voulait me proposer d’y souscrire, mais enfin on s’est contenté que j’écrivisse à M. Lare.1 une lettre de mon style. Voyez avec mon b[on][Beauvillier] si celle-là est comme il faut : je la renverrai quérir lundi sans faute, la devant envoyer ce jour-là même. Que le tu[teur][Chevreuse] ait la bonté d’y corriger ce qui n’y est pas bien. Il est de conséquence qu’on voie et examine cette lettre ; ne perdez pas un moment à la faire voir au B[on]. Ne faudrait-il pas entrer en quelque détail, comme de dire que je n’entre en aucun détail, l’ayant fait tant de fois ; ou ne lui mettrait-on pas : « Je vous l’ai dit tant de fois, monsieur, telle et telle chose » sur les endroits plus forts de sa lettre ? Enfin, je vous conjure de me mander sans manquer, jeudi, ce que je dois faire. Envoyez-moi la lettre corrigée, ou une autre, telle qu’on la jugera à propos. Ne perdez pas un moment à cela, s’il vous plaît.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°224v°].

1Non identifié.

445. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

Je crois que le bon ecclési[astique] se soutiendra, car il a pour moi une affection et une créance qui l’étonne lui-même. Il me rend tous les services qu’il peut. Lorsqu’il ne reste à la maison que la s[oeur] servante, il me vient C.1, et il craint même pour lui ; il a de l’honneur, un bon cœur, et envie de devenir intérieur. Il ne laisse pas d’estimer les jansénistes. Ce que vous me dites du b[on][Beauvillier] m’afflige, et s’il reprenait ses premières brisées, cela serait fâcheux. J’espère que Dieu, à cause de sa droiture, [f°225 ] ne permettra pas qu’il s’égare. Il ne faut pas aigrir son esprit par la dispute, cela ne sert de rien. Pour N.2, je souhaiterais fort qu’elle fût mariée ; il faut avoir compassion de son naturel et de son tempérament. J’aime fort N. et je lui compatis, mais c’est peut-être un bien pour lui qu’il ne soit plus en ce pays-là ; Dieu le dédommagera, avec surcroît, de ses pertes. Il y a longtemps que j’ai cru que N. le trahissait, et j’ai cru le lui avoir dit. Je crois qu’il devrait tout mettre, etc., puisque Dieu l’a choisi pour conserver Son oeuvre. Vous ne devez plus faire de démarche pour N. Je crains bien qu’elle ne fasse comme la dd.3 J’ai toujours cru qu’elle me serait arrachée ; je le lui ai dit à elle-même. Dieu sur tout. J[ésus]-C[hrist] a perdu dans Sa Passion de ses plus chers ; pourquoi ne perdrions-nous pas ? Il faut tout abandonner à Dieu, c’est Son œuvre ; pour moi, c’est le parti que j’ai pris. S’Il ne garde pas la ville, qui la peut garder3b ? Ils lui auront fait voir milles faussetés comme vraies. L’ecclés[iastique] m’a mandé que les j[ésuites] soutenaient hautement M. de C[ambrai]4, cependant qu’ils se cachaient, sachant bien que la Cour ne revient de rien. Faites toujours des amitiés de ma part au b[on] : vous verrez comme il les recevra. Tant qu’il sera pour moi, il n’est pas à craindre qu’il quitte. Je vous embrasse mille fois. N. [le curé] ne vient plus ; je crois qu’il trame quelque chose.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°224v°].

1Confesser ?

2Non identifiée.

3Non identifiée.

3bPs. 126, 1.

4Fénelon s’opposait aux jansénistes ennemis des jésuites. Cf. H. Hillenaar, « Fénelon et le Jansénisme », Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, p. 25-44.

446. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

Il peut arriver que sans y penser on ait pris trois fois pour deux. Cela est fort bien 18 sols chaque fois. Si, aux étrennes, vous voulez leur faire quelque petite aumône, vous ferez comme vous l’entendrez. Pour N. [Fénelon], sans me regarder le moins du monde, je crois qu’il se perdrait de réputation s’il condamnait absolument mes livres : il ne le peut faire sans déclarer que les termes, étant d’une personne ignorante, sont condamnables, mais que, sachant que la personne pense autrement, il ne croit pas pouvoir condamner1. Qu’on me fasse aller à R[ome], je m’y défendrai bien, car j’ai de quoi. N. sortira toujours de l’ordre de Dieu lorsqu’il négligera [225v°] R[ome] pour se lier à ces messieurs-ci, et il trouverait sa perte où il croirait trouver son salut. S’il rentre en négociation avec ces gens ici, il est perdu, et la Cour sera son écueil. Pourquoi parler de l’abandon, lorsqu’on n’est point du tout abandonné ? Et de l’amour pur, lorsqu’on se cherche si fort ? S’il fait ces démarches, il déplaira beaucoup à Dieu et s’attirera tout le monde. Altérer la vérité pour la conserver, c’est la détruire. Dieu ferait un coup de Sa main si on lui était fidèle. Pourquoi négliger R[ome] et le nonce ? Cela me fait de la peine, mais N. [Fénelon] suit trop ses goûts.

Pour le gouverneur de N.2, il ne faut pas perdre cette occasion de vous en défaire. Faites-le donc sans retardement, et prenez celui dont vous me parlez, sans autre examen. Je ne sais pourquoi vous me dites que je ne vous donne point de commissions : j’ai des habits, et les choses à boire ou à manger ne me peuvent venir par N.3 sans risque. Ne doutez point de mon affection, je vous en prie, car elle est bien entière et bien sincère.

Comment N. a-t-il pris ce que je vous ai mandé pour lui ? Je voudrais que N.[Fénelon], disant au pape que la raison qui l’a empêché de censurer mes livres, est parce que je lui ai expliqué simplement mes sentiments, que je l’ai fait aussi à M. de M[eaux], et envoyer4 une copie de ma décharge, ou la décharge même que M. de M [eaux] m’a donnée après deux ans d’examens, et qu’il agit ensuite contre moi par des motifs, etc.5 Mais pour négocier avec eux, je ne le ferais jamais : on dirait que N. [Fénelon] aurait été condamné à R[ome], que c’est pour empêcher la condamnation qu’il s’est accommodé de cette sorte ; il se montrerait qu’il s’est rétracté, etc. Pensez-y et voyez les conséquences, car leur cœur est ulcéré et plein de malices et fourberies.

Si vous pouviez m’envoyer l’Evangile de saint Matthieu, la mienne [sic !], vous me feriez plaisir ; n’en dites rien à personne. Vous l’avez en petits tomes, vous en envoyez deux ou un à la fois et, à mesure que je vous les enverrai, vous m’en enverrez d’autres. Obligez-moi de cela, [226 r°] mais entre nous seulement. Il n’y a rien à craindre, car s’il m’arrivait quelque chose, on l’aurait bientôt passé à la jard[inière]. Si vous n’avez pas l’Evangile de saint Matthieu, envoyez-moi celui de saint

1C’est, bien résumée, la position qui fut adoptée par Fénelon.

2, 3 Non identifiés.

4et [je voudrais aussi que l’on fasse] envoyer

5En résumé mettre sur table l’infamie de M. de Meaux !

Jean . On a supprimé tous les livres du frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers. L’ecclési[astique] en a un en papier marbré, qui lui coûte un écu neuf ; on lui en a voulu donner un louis d’or, mais ils en ont fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce qu’avait l’autre. En voici l’intitulé : Maximes spirituelles et utiles aux âmes pieuses pour acquérir la présence de Dieu, recueillis de quelques manuscrits de frère Laurent, etc., au Bon Pasteur6.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°225].

a Sigle incompréhensible : « /$/ »

6Faut-il comprendre, par cette information importante que nous avons perdu une partie de l’œuvre mystique du frère ? Voir Notices, L’œuvre du Frère Laurent.

447. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

J’ai reçu votre lettre avec joie, et j’attends les réponses à la lettre que je vous écrivis hier avec une grande impatience, parce que N.1 ne me donnera aucun repos que je n’aie écrit. Je plains N., mais s’il ne passe cet état avec courage, il ne sortira jamais de lui-même. Loin de rabaisser son courage avec timidité, il doit au contraire éviter toute crainte et aller contre son naturel : il ne trouvera le large qu’en le surmontant. J’aimerais mieux qu’il fît des fautes, en se hasardant et se tenant au large, que d’aller d’une manière rétrécie et à tâtons, quoique accompagnée d’une fausse sagesse.

Vous avez bien fait de laisser aller messieurs vos n[euveux] aux divertissements de la noce. Je leur permettrais quelquefois les mêmes divertissements2, mais je ne voudrais pas que cela fût continuel. Pour cela, suivez l’avis de votre famille et faites les choses de concert avec elles. Je suis bien aise que vous ayez donné le gouvernement sous la couverture de M. de Cr.3 Comment est-il sur toutes ces affaires-ci ? C’est un honnête homme. Vous ne me mandez rien des affaires de M. de C[ambrai] et de R[ome] : mandez-moi ce que vous savez. Je me trouve si mal que je ne puis vous en dire davantage. Je vous embrasse, etc.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°226].

1Fénelon ?

2Divertissements du mariage du duc de Bourgogne, célébré le 9 décembre ?

3Colbert de Croissy ?

448. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

Il serait assurément nécessaire que M. de C[ambrai] répondît à la lettre de M. de P[aris]1. Mais M. de P[aris] a des millions d’hommes doctes et pleins d’esprit, qui répondent pour lui. M. de C[ambrai] est seul et abandonné de toute aide. Je vous avoue que cela m’afflige quelquefois. Si M. de V. n’était pas un faux frère, il pourrait bien aider : il est savant, entend la matière. Il faut tout abandonner. Si M. de C[ambrai] ne répond pas, c’est peut-être qu’il ne se sent pas la force de le faire. Lui a-t-on représenté ce que vous dites ? Je le lui ferais représenter. Est-il possible que personne du monde ne prenne la cause en main ? C’est que Dieu apparemment n’a que des amis ou faibles ou lâches.

Je crois que vous ferez bien d’envoyer rarement messieurs vos fils aux spectacles, et le faire néanmoins quelquefois. Il est dangereux de les affamer de ces choses et de les réduire par là à haïr ceux qu’ils doivent aimer : c’est ma pensée. C’est se chercher soi-même, et non le bien des enfants, que d’en user autrement. Je n’ai eu nulle nouvelle de ma lettre. Je ne m’en mets pas en peine, car je suis bien résolue à tout souffrir plutôt que d’écrire sur un autre ton. Si l’on me veut tourmenter, qu’on le fasse. Ce sont des gens qui veulent des prétextes. Lorsque les uns leur manqueront, les autres ne leur manqueront pas. L’abandon est le remède à tous maux. J’attends sans inquiétude la fin de tout cela, ou son progrès, comme il plaira à Dieu. Je vous embrasse mille fois. Les demoiselles d’ici ne savent que par madame de Lui[nes ?]. On dit que c’est M. Boileau qui est leur supérieur.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°226v°].

1Lettre pastorale de Noailles dont il est question lettre n°450 : « Monseigneur, j’ai lu… ». Elle suit la Déclaration des trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais (le « faux frère »), publiée en septembre contre l’Explication…, Fénelon répondra en décembre par sa Réponse… Suivront de nombreuses défenses (Véritables oppositions…, plusieurs Lettres à…) de janvier à mai 1698.

449. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

Je vous assure que le compagnon1 me fait grande pitié. Je prie Dieu de lui donner selon son besoin. Mais ne sait-il pas que c’est un trajet qu’il faut passer, et qu’on ne peut avancer ni mourir véritablement à soi sans passer par là ? C’est à présent le temps d’exercer son abandon. Qu’il ne donne point de prise à son ennemi, mais qu’il s’abandonne totalement à Dieu, qu’il lui remette entre les mains son éternité : Il en aura soin, et elle sera mieux [227 r°] entre les mains de Dieu qu’entre les siennes. Toutes les grâces, que Dieu lui a faites jusqu’à présent, n’ont été que pour le fortifier et disposer à porter cet état ; s’il le passe avec courage et abandon à Dieu, ce sera la source de tous biens ; s’il n’a pas le courage de le passer, il restera en chemin. Comme il a été fidèle à Dieu connu, senti, goûté, aperçu, il le doit être beaucoup plus au Dieu caché, qui ne Se cache de la sorte que pour éprouver s’il L’aime véritablement. Si c’est Lui seul qu’il a suivi, et non les dons, il faut suivre, nu, J[ésus]-C[hrist] nu sur le calvaire1a.

Rien n’est plus dangereux, dans ces temps, que de s’abandonner aux réflexions. Les réflexions seront sa perte : lorsqu’elles lui viennent en foule dans l’esprit, qu’il les souffre et les laisse tomber pour l’amour de Dieu. Quoiqu’il se croit sans force et sans vigueur pour les emplois, il aura ce qu’il lui faut pour la nécessité, s’il veut bien ne se point laisser aller à sa timidité et à ses craintes. Qu’il agisse avec courage hors de lui-même, sans attendre rien ni de sa sagesse ni de son industrie. Manquerait-il à Dieu dans le temps le plus important de sa vie ? Dieu ne lui a jamais manqué. Qu’il ne Lui manque pas ; il s’en trouvera bien, et cet état bien porté lui causera des biens infinis. Il faut un courage sans courage, et se renoncer soi-même véritablement. S’il croit, en quittant tout, trouver son repos, il n’en trouvera aucun. Les défauts sont en nous, et non dans les emplois ou les choses. C’est nous-mêmes qu’il faut quitter, et c’est par cet état qu’on se quitte soi-même. Qu’il entre tout de bon dans la carrière comme soldat du Seigneur tout-puissant, que l’aridité des déserts ne le décourage point ; il trouvera ensuite les eaux vives qui jailliront jusqu’à la vie éternelle.

Voilà la copie de la lettre que j’ai envoyée. Je ne sais comme elle sera reçue, mais je vous assure que s’il me demande autre chose, qu’il n’y a point de martyre que je ne sois prête à souffrir plutôt, avec la grâce de Dieu, surtout sur l’article de N. [Fénelon]. Je ne m’embarrasse pas [f°227 v°] de leurs vues. Ma fille sera sans doute l’instrument dont ils se serviront pour tâcher de me persuader, mais Dieu est toute ma force, et j’espère qu’il triomphera, grâce à Lui. Je ne m’ennuie pas de souffrir, et je suis disposée à tout. Les cachots et la mort même me seront douces. On a cherché de faux témoins, on a voulu me perdre par mille endroits ; ils n’ont pu y réussir. Ils cherchent un refus qui ne peut manquer, pour avoir un prétexte d’agir ; mais ma vie est à Dieu et j’espère qu’Il me fera la grâce de ne la racheter pas par aucune indignité. Mon cœur est préparé à tout, et je regarde comme un bien ce que les autres voient comme un tourment. La d de g [duchesse de Gramont ?] me fait pitié. Dieu la prendra peut-être pour empêcher qu’elle ne s’égare davantage. Il est le maître. J’ai été très mal ; ces jours-ci, je suis mieux. Je vous embrasse de tout mon cœur. Je souhaite que vous soyez contente du neveu du N.3

Je vous dirai pour nouvelles que, depuis dix jours, j’ai pensé mourir, que je souffre des maux dans le corps que je ne puis exprimer, et cela pour avoir pris du vin d’Alicante qui a passé par les mains de N. [le curé]. Il m’a aussi envoyé du tabac, qu’on ne lui demandait pas. J’en voulus essayer ; il m’a pensé faire tourner la tête pour un peu. Mes filles en ont essayé, elles ont pensé mourir. Tout passe par là, et on est réduit à recevoir sans cesse sa mort. Dieu soit béni de tout : je Lui suis sacrifiée. On a déjà déclaré que si je mourais, on ne me laissera pas ouvrir4. Il m’assure qu’il travaille à me faire aller chez mon fils ; il assure d’un autre côté ces filles que je mourrai chez elles ; on m’en a fait confidence. Dieu est le maître de tout.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°226v°]. Lettre importante pour la direction spirituelle : elle pourrait être écrite aujourd’hui sans en changer un mot…

1Fénelon ? Voir aussi la lettre n° 454 de janvier 1698.

2Thème célèbre, v. « Nudité dans la littérature mystique », DS, 11, 513sv.

3Depuis l’affaire des poisons (la marquise de Brinvilliers est exécutée en 1676), des mesures avaient été prises, en particulier à Paris, pour vérifier les cas de décès douteux : il s’ensuivit une diminution considérable du nombre des empoisonnements...

452. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1698.

M de Cha[rtres] a été à Paris à la maison des filles qui me gardent. Je crois bien qu’il n’aura pas manqué de me bien recommander à elles : on a donné de nouveaux ordres pour me garder encore plus étroitement, et l’on veut qu’on dise que je ne suis plus ici. C’est l’ecclés[iastique] qui me l’a fait savoir. Je ne sais rien du tout. Avez-vous été voir la ddg [duchesse de Gramont] pendant ses couches ? N. [le curé] ne vient ni n’écrit. Ainsi je n’ai rien appris depuis ma lettre à M. de P[aris], et je ne m’en mets pas en peine : il n’arrivera que ce que Dieu voudra. Je vous embrasse de tout mon cœur, et j’ai bien de la joie que mademoiselle votre fille soit à Dieu : cela vaut bien mieux que la beauté et que toutes les qualités extérieures. Le p. L’em [Lempereur] n’est donc pas exilé, puisque vous vous en trouvez bien. Janvier 1698a.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°228v°].

a (décembre 1697 biffé) Janvier 1698.

453. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1698.

J’ai reçu le pot de noix que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; je vous en remercie. N. [le curé ?] ne m’a point envoyé des gouttes, ni ne m’a fait savoir aucune chose de ma lettre à M. de P[aris]. Il fait paraître [f°229] de loin un grand courroux, sans que j’en sache la cause. Je ne m’en mets pas en peine. Dieu sur tout. J’ai été mal ces jours-ci, et la nuit encore. Le prêtre dont N. [le curé] s’était servi pour le vin, est mort en langueur. Pour moi, je me trouve bien attaquée : j’ai eu dedans de violentes douleurs, et presque continuelles. Je ne sais rien du tout, car l’ecclési[astique] ne me mande plus rien, sinon qu’une personne d’un mérite très distingué a écrit une lettre contre le pur amour qui sera imprimée mardi : ce sont ses termes. Je suis témoin que vingt et trente verres de vin ne font pas peur à l’homme dont vous me parlez. Il ne faut pas vous étonner si le gouverneur de N. est un peu neuf dans le commencement ; il deviendra assez tôt comme il faut, s’il a de l’esprit et de la prudence. Son oncle ne paraît pas d’abord ce qu’il est. C’est beaucoup d’avoir une personne à vous, et c’est tout. Je vous embrasse de tout mon cœur. Comment vont les ch. et Rem. ? Je vous prie de me faire acheter un petit couteau de poche et une lancette.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°228v°].

454. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1698.

Je suis fort en peine de votre santé : faites-m’en savoir des nouvelles, je vous en prie, car vous m’êtes plus chère que je ne vous puis dire. Je suis bien aise des bonnes dispositions de R.1 Je prie Dieu de tout mon cœur qu’Il achève Son ouvrage. Mais je ne puis comprendre comment M. de C[ambrai] a fait réimprimer son livre dans la conjoncture. En quelque état que nous le voyons à présent, j’espère que Dieu sera glorifié en lui.

Pour le compagnon, je veux bien le recevoir tout de nouveau dans mon cœur. Je le prie de ne se point inquiéter de son état de sécheresse. Jusqu’à présent, Dieu lui a donné des marques de Son amour. Il faut qu’il témoigne maintenant le sien à Dieu, en Le servant purement parce qu’Il le mérite, sans soutien ni consolation. Cet état lui sera très utile, et il avancera plus en un mois par là, qu’il n’a fait en plusieurs années par le goût, la facilité et la lumière. C’est le désert de la foi qu’il faut passer. Qu’il porte donc cet état en paix, et même sans paix, sans vouloir rien faire par son activité [229 v°] naturelle pour se mettre mieux et d’une manière plus aperçue. Plus il portera l’état en ferme foi, sans agir, sans assurance, sans sentiment, plus tout ira bien. Qu’il ne s’étonne pas non plus de ses faiblesses, et de ce que ses défauts paraîtront davantage au- dehors. L’hiver fait tomber les feuilles des arbres et prive la terre de fleurs, mais les arbres prennent alors de profondes racines ; il en est de

1Rome (probable).

même de l’âme qui s’enfonce, par cette voie, dans l’expérience réelle de son impuissance, et par conséquent dans la vraie humilité, et c’est, lentement, en cet état où réside le véritable abandon, puisque cet état seul est capable de la faire exercer. Courage donc ! Servons Dieu pour Dieu, et nous dépouillons de notre propre intérêt qui s’est conservé jusqu’à présent, voulant toujours pour soi le meilleur et le plus excellent, au lieu qu’il ne faut vouloir que Dieu pour Lui-même. C’est ma petite pensée. Qu’il prenne donc un nouveau cœur sans cœur pour servir Dieu, non selon les idées qu’il s’en est formées jusqu’à présent, mais en se laissant traîner par tous les endroits où le Maître voudra le conduire. Embrassez-le pour moi, lorsque vous le verrez, et le tut[eur] [Chevreuse].

Je vous aime chèrement, en N[otre]-S[eigneur] J[ésus]-C[hrist], tous. Que Dieu soit à tous notre force, et qu’Il ne permette pas que la tribulation nous fasse douter de Ses mérites et de les noyer. Qu’Il affermisse plutôt en nous, par cette même tribulation, Son pur amour. Qu’Il nous taille, afin de nous rendre des pierres propres et l’édifice de Sa gloire. Lorsque nous ne voudrons plus rien pour nous, quelque saint qu’il paraisse, mais tout pour Dieu, c’est alors que cette même gloire paraîtra en nous. Janvier 1698.

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°229]. Lettre importante sur le véritable abandon.

455. A LA PETITE DUCHESSE.

Je crois que M. de C[ambrai] doit faire imprimer ses réponses, car les gens d’à présent se laissent frapper, et [ceci] dès qu’il est à couvert du mauvais effet que cela fait à R[ome]. Je n’y perdrais point de temps ; mandez-le lui donc, je vous en prie, et saluez-le de ma part. L’ecclési[astique] me paraît très entêté du jansénisme, et je ne puis m’empêcher de m’en défier lors même qu’il me fait plus d’amitié. Mon cœur n’est point net sur lui du tout. J’espère que le…..a

- A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f°229].

a Fin de la page et du ms. Dupuy, dont manquent les derniers feuillets. Nous ne retrouvons pas cette lettre dans la copie de La Pialière. A partir d’ici la copie par La Pialière assure le relais – avec cependant une interruption : on passe de janvier à mars..

456. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1698.

Je suis charmée des lettres de N. [Fénelon]. Rien n’est plus fort, plus net, plus décisif. Il y a une certaine honnêteté qui ne diminue rien de la force, et une manière délicate de démêler les choses. J’admire comme Dieu, voulant éclaircir et approfondir l’intérieur, a permis qu’on ait combattu le livre. S’il ne l’avait pas été, aurait-on été obligé d’écrire et de développer tant de belles choses ? Lorsque N[otre]-S[eigneur] me fit connaître qu’il serait ma bouche1, il ne m’a pas trompée. J’espère et me confie en Sa bonté qu’Il achèvera Son ouvrage. Aimons et prions, et ne nous rendons pas indignes par notre infidélité et notre défiance de voir achever ce qu’Il a commençé. Tout s’opère par la Croix. Pourquoi craindre les puissances ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous2 ? Ayons donc une foi inébranlable jusqu’à la fin. C’est le plus souvent lorsque les choses sont plus [195] désespérées qu’elles réussissent. Dieu fait longtemps attendre les plus grandes grâces : Il les fait acheter cher, afin d’exercer notre foi. Il faut, comme Abraham, espérer contre l’espérance même2.

M. d[e] P[aris] a déjà répondu à M. d[e] C[ambrai] dans une nouvelle édition de sa lettre pastorale, et M. d[e] M[eaux] à la fin de son dernier livre, que l’ecclésiatique m’a prêté mais que je n’ai pu me résoudre de lire.

J’ai bien de la joie de la meilleure santé du d[uc] de Ch[evreuse]. C’est parce qu’il avait été trop saigné que le sudorifique n’a pas eu un effet si prompt ; c’est le remède le plus sûr pour les pleurésies, surtout celui qu’on procure par le suc de bourrache. Je suis bien aise de ses bonnes dispositions.

J’ai eu beaucoup de peine de quatre fois de suite que la jardinière a été chez nous. Grosse comme elle est, elle est très reconnaissable : tous nos gens la connaissent, Des G. 3 même, qui lui a parlé plusieurs fois de sa sœur. Il vaudrait mieux écrire moins souvent à cause que ma. de ma.4, qui est fort délicate et infirme, ne peut aller si souvent aux Th[éatins]. Si vous voulez, je n’y enverrai que tous les mois ou les quinze jours ; et si vous avez quelquefois des choses pressées, vous le feriez dire à la

1En rêve.

2Rom., 8, 31.

2Rom., 4, 18. Le vécu mystique dans le « language de la croix », cher au XVIIe siècle, preuve de (petites) nuits intérieures dont on se demande, lorsqu’elles se produisent, pourquoi elles sont inévitables.

3Des G : la sœur de Famille (fille au service de Madame Guyon), selon la lettre suivante.

4Inconnue.

femme, mais il faudrait lui donner un jour et une heure à laquelle on ne manquât pas. Je crains encore plus pour vous que pour moi. Si vous vouliez vous fier à Des G., puisqu’elle le sait, je crois qu’elle garderait le secret, et on irait au loin tantôt à une église tantôt à l’autre. Enfin je vous laisse libre, pourvu qu’on n’aille plus ni chez nous ni aux Jac[obins]. Je suis bien aise que vous ayez rompu carême. Je vous embrasse de tout mon cœur et vous aime tendrement en J[ésus]-C[hrist].

J’avais écrit cette lettre, prête à vous l’envoyer, lorsque Des G. est venue, qui m’a bien surprise ; elle vous dira toutes choses. Elle a eu une grande joie de me voir. Elle m’a fait pitié, la voyant presque toute nue ; si vous aviez la charité de lui faire donner quelque vieil habit de votre garde-robe, je vous en serais obligée et je le tiendrais fait comme à moi-même.

$5

On ne peut avoir plus de chagrin que j’en ai de vous en avoir causé ...a Je suis très fâchée de tout ce qui se fait contre N. [Fénelon]. Pour l[e] P[ère] L[a] C[ombe] je ne crains pas la confrontation et j’abandonne tout à Dieu : Il sait bien ce qu’Il veut faire de moi. Je ne comprends pas quels papiers un homme peut avoir sur lesquels on lui puisse faire son procès6. J’ai peine à croire tant de choses, mais j’abandonne tout à Dieu. Ne craignez pas de me faire peine en laissant le commerce7 ; je n’en aurai point du tout. Faites, selon votre prudence, ce que vous jugerez le plus propre. Nous nous verrons en Dieu : c’est où je ne vous oublierai jamais, quoi qu’il arrive. Je vous ai beaucoup d’obligation d’avoir gardé Des G., mais pour peu qu’elle vous soit à charge ou que [vous][f°196] jugiez à propos de vous en défaire, faites-le sans scrupule. Je ne crains rien pour moi d’elle ; je ne crains seulement qu’elle ne dise les personnes que j’ai vues, je ne le crois pas pourtant. Croyez que je périrais mille fois avant que de mettre personne en jeu. Je n’ai jamais parlé de rien à Des G. ; je ne parle jamais à mes filles de ce qui regarde mes amis. Vous vous souviendrez, s’il vous plaît, que vous m’aviez mandé que vous enverreriez [sic] Des G. la première fois aux Th[éatins]. Sans cela, je n’aurais pas pris la liberté de m’adresser à elle.

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [194].

a Points de suspension dans le ms.

5Ici débute la lettre suivante : les deux lettres furent probablement envoyées en même temps, d’où le signe « $ » utilisé par Dupuy pour indiquer leur séparation, sans pour cela attribuer une date à chacune, comme c’est son habitude à la fin de la lettre.

6Aussi faudra t-il forger une lettre d’auto-accusation au niveau des mœurs.

7En arrêtant l’échange de lettres.

457. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1698.

Votre lettre m’a donné de la joie, car j’avais déjà sacrifié à Dieu bien des choses1. Je vous prie qu’on ne laisse pas manquer l’affaire de N. C’est un seigneur très puissant et dont j’ai ouï dire autrefois beaucoup de bien. Sa naissance est très bonne, et ses biens très considérables. Vous savez mieux ses mœurs que moi. Il est impossible que la petite veuve2 reste dans un état si violent.

Mandez-moi s’il est vrai que le livre ait été approuvé à Rome. J’ai toujours bien cru que lorsque les affaires iraient bien à Rome, on me tourmenterait par un autre endroit. Mon cœur est préparé à tout, et j’espère que Dieu me fera la grâce de ne point sortir de Sa dépendance et de l’abandon à Sa sainte volonté.

N. [le curé] n’est pas venu depuis la surveille de Noël, et l’on fait comme craindre qu’il ne viendra pas pour Pâques, voulant m’ôter même la communion pascale. L’ecclésiastique est plus affectionné que jamais, tout plein de cœur et désireux de me servir au péril de sa vie, s’il le pouvait. Il laisse des bénéfices assez considérables avec un grand désintéressement dans le désir de m’être utile, mais je le porte à les accepter, car je ne veux que Dieu. Je vous mande cela pour vous dire qu’il est comme il faut. Je ne doute point qu’on nourrisse sous main des trames nouvelles. Madame de Lui[nes] dit que les affaires sont plus brouillées que jamais, qu’on découvre chaque jour de nouvelles choses que j’ai faites. Vous ne me mandez pas l’état de votre santé. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [196].

1Dont l’arrêt de la correspondance.

2La « petite veuve » : Mme de Morstein, Marie-Thérèse d'Albert, fille du duc de Chevreuse. Son époux, Michel Adalbert, comte de Morstein, ayant été tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695, elle se remaria, en 1698, avec le comte de Sassenage.

458. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1698.

Je vous conjure de vous ménager ce carême : pourquoi jeûner et ne prendre pas les soulagements dont vous avez besoin dans votre incommodité ? Il n’y a qu’à laisser distribuer les réponses de N. [Fénelon]. Ne m’en enverrez-vous point ? N. [le curé] vint hier, il n’était pas venu depuis la surveille de Noël. Il nous confessa, fit le doucereux, ne parla de rien ; c’est lors qu’il est le plus à craindre. Il dit à Fam[ille] de lui-même que dans dix ou douze jours, il lui enverrait sa sœur des G. Il faut que des G. écrive à sa sœur et porte la lettre à N. [le curé] pour voir ce qu’il lui dira. Il faut qu’il soit persuadé qu’on n’a point de nouvelles pour parler si diversement. Il me dit : « Je vous avais promis de vous [f°197] amener Mlle votre fille, mais il faut attendre que les affaires de Rome soient finies ». Ensuite, il me dit que la lettre que j’avais écrite à M. l’arch[evêque]1 avait été très bien reçue et que M. l’arch[evêque] m’assurait de sa considération et ce que je voulais de lui. Je lui répondis que je ne demandais rien à M. l’arch[evêque], sinon que, comme N[otre]-S[eigneur] n’avait pas même ôté le pain à la Cananéenne, qu’il ne me l’ôtât pas non plus. Il me dit qu’il allait marier une sœur de M. de Ch[evreuse] et qu’il avait marié Mlle de Ch[evreuse] au m[arquis] de Loui[sbourg?]. Je ne savais pas qu’elle fût mariée, mais je vous assure que, lorsque N. file doux, c’est alors qu’il trame plus de choses. Conservez-vous, je vous prie. Mandez-moi des nouvelles du d[uc] de Ch[evreuse]. Je vous embrasse mille fois.

Il me semble qu’ils ne sont point comme il faut. Ils ressemblent, comme dit J[ésus]-C[hrist], à la semence jetée dans un champ pierreux : ils reçoivent la parole avec plus de démonstrations de joie que nul autre, mais à la première persécution, ils renoncent la parole, semblables à cette semence que la moindre ardeur du soleil dessèche2. Si vous apprenez quelque chose du P[ère] l[a] C[ombe], faites-le moi savoir. Vous êtes oublieuse, ma très chère. La paix soit avec vous ! J’avais oublié à vous dire que je demandai des nouvelles de M. Tronson : il me dit que c’est un bon homme qui en a bien enterré, il en enterrera peut-être bien d’autres, mais avec un air de mépris.

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [196].

1L’archevêque de Paris.

2Voir la parabole du semeur : Matthieu, 13, 3-23 ; Marc, 4, 3-20 ; Luc, 8, 5-15.

459. A M. TRONSON. Mars 1698.

Mars 1698

J’ai demandé, monsieur, permission à M. de Saint-Sulpice de me donner l’honneur de vous écrire pour vous témoigner de nouveau, monsieur, et mon profond respect et ma confiance. Je vous assure qu’elle est tout entière, et que l’état où je suis ne me permettant pas de vous la témoigner, je conserve dans le secret de mon cœur tous mes sentiments sur cela, vous priant instamment de prier Notre Seigneur qu’Il me fasse la grâce de faire usage, selon Ses desseins sur moi, de toutes les croix que Sa Providence m’envoie. J’espère que vous m’accorderez cette grâce, et celle d’être persuadé, monsieur, qu’on ne peut être avec plus de respect que je suis, etc.

- Fénelon 1828, t. 8, l. 374, p. 534.

460. A LA PETITE DUCHESSE (?) Avril 1698.

Les choses que vous me mandez m’ont mise dans un étonnement que je ne puis exprimer. Serait-il possible que l[e] P[ère] L[a] C[ombe] fût devenu assez méchant pour faire des choses comme celle-là, et, quand il serait assez mauvais, serait-il assez fou pour les faire sans précautions, en sorte qu’il pût être surpris1 ? Et qu’est-ce que cela a de particulier avec moi ? Il est certain que N. [le curé] a été trois mois à faire le mauvais, mais d’où vient qu’il est radouci tout d’un coup, et qu’après m’avoir ôté la communion si longtemps, il a ordonné que je communiasse toutes les fêtes et dimanches ?

Tout le mal qu’on me veut faire m’afflige moins que la démarche que N. [Fénelon] a faite pour un accommodement et le désir de revenir à la Cour. A-t-il oublié ce passage : « Si vous aimez et soutenez la vérité, la Vérité vous rendra libre2 » ? Point d’autre liberté, point d’autre fortune que celle qui vient par la vérité. Cette démarche affaiblit beaucoup la vérité. Prions Dieu qu’Il lui donne plus de fermeté et plus d’indifférence pour la faveur : cette disposition changeante peut lui nuire infiniment à Rome, et même ici ; on est touché de la force de ses raisons, et la vérité se ferait jour s’il la soutenait jusques au bout. Cela fera croire qu’il craint quelque chose, cela fera douter de son innocence, s’il est susceptible de ces faiblesses. Enfin, il me paraît que c’est le plus [f°198] mauvais de tous les contretemps. Ses ennemis se peuvent surmonter par la force, mais ils ne s’apprivoiseront jamais par la douceur : ils tireront des armes de sa faiblesse, sa crainte leur donnera de la hardiesse, enfin il me paraît que c’est le plus mauvais parti. S’il préfère la Cour à la Vérité, la Cour sera son écueil. Est-il possible qu’il ait fait cette démarche de lui-même sans consulter personne ? Et quel est l’ennemi couvert du

1Il s’agit peut-être de récit sur la fondation d’une « petite Église », expression utilisée par Lacombe pour parler de son cercle spirituel, prise au sens littéral.

2Jean 8, 32.

manteau de la pitié qui lui ait pu donner un pareil conseil ? Cela m’afflige tout à fait.

Depuis ceci écrit, le notaire est venu, qui a fait donner une procuration pour faire recevoir le remboursement, etc. Ayez la bonté de faire que cette petite fille ne perde pas cela pour être enfermée avec moi. J’ai été bien étonnée d’apprendre que madame de la Marv[alière] était encore avec madame de Mo[rstein] : on demande certains avis, mais on ne les exécute qu’autant qu’ils accommodent. Je ne suis pas surprise du changement de M. de Ch[evreuse]. Vous souvenez-vous que je ne pus jamais obtenir de le faire rester un quart d’heure en silence avec moi chez ma[dame] de Mo[rstein]2 ? Je suis charmée de ce dernier ouvrage, aussi bien que du premier. Je voudrais savoir combien il y a de temps que le l[e] P[ère] d[e] L[a] C[ombe] est à Tarbes3.

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [197] - Fénelon 1828, tome 9, en note 3 à la lettre 403, p. 81-82, reproduit deux brefs passages de cette lettre, comme « lettres à la duchesse de Beauvillier. » 

2Indice de l’absence de recueillement et de communication par l’intérieur.

3Lacombe séjourna longtemps dans la forteresse de Lourdes.

461. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1698.

Le P[ère] d[e] L[a] C[ombe] n’a point demeuré avec moi à Grenoble. Il y vint deux fois vingt-quatre heures de la part de M. de Verceil1 qui me demandait. J’ai été peu de temps à Lyon : environ douze [f°201] jours chez madame Blef2, chez M. Thomé3. Je ne voyais presque personne et ne me suis jamais habillée en public. L’homme que j’y vis le plus était M. Guygou 4, qui est à Paris, et un saint ; il sait si j’ai jamais rien fait d’approchant. Tout le reste de l’histoire du P[ère] général des ch[artreux] 5 n’est pas plus vrai, puisqu’on ne m’a jamais fait sortir de nul diocèse, que M. de Grenoble 6 lui-même me pria de m’établir à

2, 3 Mme Belof, sœur de M. Thomé. V. lettres du 22 septembre 1693 à Chevreuse et du 9 novembre 1694 de l’archevêque de Vienne.

4 Ou Guyfon ? mais « M. Guifon » est cité dans le brouillon du texte définitif de la déclaration remis aux trois examinateurs, aux côtés des filles du P. Vautier, de la Gentil, etc., en tant qu’opposant.

5Dom Le Masson.

6Le Camus.

Grenoble. Je n’ai jamais vu à Lyon de fille de cinquante ans, ni d’un autre âge, et n’en connais aucune. M. de Genève7 me conta lui-même ce que l[e] P[ère] d[e] L[a] C[ombe] lui avait dit de la part de Dieu, deux ou trois ans avant que je fusse dans son diocèse et, en me le contant, il me dit : « Je sentais qu’il me disait vrai et qu’il me disait des choses que Dieu seul et moi savions. » C’est lui qui me le donna pour directeur, etc.

J’ai toujours bien cru qu’il y avait du plus ou du moins dans l’affaire du P[ère] d[e] L[a] C[ombe] : on l’enferme en lui prenant ses papiers pour lui imposer au loin tout ce qu’on veut, afin qu’il ne puisse se défendre, et mon cœur me disait toujours que cela était faux. J’ai eu des songes si positifs qui m’ont confirmé les sentiments que Dieu me mettait au cœur, que je ne puis douter de son innocence. Vous savez si c’est ma manière de montrer ma gorge ! Lorsqu’on me mit à Sainte-Marie, l’on dit à M. l’Official que j’étais toujours débraillée, et qu’on me voyait jusqu’au creux de l’estomac. Lorsqu’il me vit vêtue comme je suis toujours, et comme je l’ai toujours été dès ma jeunesse, il demeura si surpris qu’il ne pût s’empêcher de me dire cela, et il le dit aussi à la mère Eugénie8. Vous savez ce qui m’a fait sortir de Verceil9, et l’amitié de M. de Verceil pour moi10. La religieuse avec laquelle il dit que j’avais commerce, et qui passe pour sainte dans l’ordre de sainte Ursule, qui s’appelait la Mère Bon 11, était morte un an avant que je fusse en ce pays-là, elle a fait des écrits à la vérité, mais ils sont tous en lumière.

Je ne comprends pas comment on peut débiter tant de faussetés, pour ne dire que des pauvretés. Il faut envoyer à Rome nécessairement tout ce que N. [Fénelon] répond, et c’est où l’on devrait envoyer d’abord. On a pris, pour examiner le P[ère] d[e] L[a] C[ombe], le plus grand ennemi qu’il ait, car M. Py[rot] 12 ne lui a jamais pardonné : « Vous êtes docteur en Israël, et vous ne savez pas ces choses ! » Le venin qu’il a conservé depuis est horrible, mais il fallait cet homme pour jouer leur rôle. Comment l[e] P[ère] d[e] L[a] C[ombe] se défendra-t-il et s’expliquera-t-il,

7Aranthon d’Alex.

8La mère Eugénie de Fontaine (1608-1694) fit profession à la Visitation et « acquit bientôt la plus haute considération », v. Notices, Eugénie.

9 Ripa fut l’ami de Madame Guyon et du P. Lacombe lors de leur séjour en Piémont, v. Notices, Ripa.

10Retour provoqué par le P. La Mothe, v. Vie, 2.25.1.

11La mère Bon, (1636 - 1680), religieuse attachante, qui exerca son influence sur le père La Combe, auteur d’un Catéchisme spirituel. V. Notices, Bon (Marie).

12Le docteur Pirot, v. sa lettre à Madame Guyon du 9 juin 1696 : « Vous ne devez pas être surprise, madame, si jusqu’à cette heure je n’ai pas voulu entrer en matière avec vous pour vous entendre en confession… » ; v. Notices, Pirot.

s’il est enfermé ? Mais Dieu sait bien ce qu’Il veut faire. L’on voit bien que la cabale a plus de part à tout ce qui se fait contre M. d[e] C[ambrai] que la vérité. Il ne faut rien négliger du côté de Rome ; il est bien extraordinaire d’avoir ôté tout cela aux docteurs de Sorbonne 13. Je sais que ses ennemis [f°202] crient déjà victoire. On dit que le P[ère] Quesnel 14 n’est pas contre M. d[e] C[ambrai], qu’il goûte ses ouvrages. Je ne sais si cela est bien vrai.

Je sais de bonne part qu’on a assuré les filles avec lesquelles je demeure, que, lorsque je mourrai, l’on confisquera ce que j’ai en leur faveur. Le projet est tel qu’on n’appellera ni prêtre ni personne, si l’on n’avait pas le temps de faire venir N. [le curé] ; s’il vient, il prétend déclarer que j’aurais avoué quantité de choses. On fera tout fermer de la part de M. d[e] P[aris], sous prétexte d’examiner si je n’aurais point fait quelques nouveaux écrits : s’il y en a ou si l’on y en trouve, je passerai pour relapse, et sur ce pied tout sera confisqué. Elles ont dit : « Mais si elle a fait quelque testament ? – S’il est ici, a-t-on répondu, il sera supprimé. S’il est fait avant ces affaires-ci, il ne peut être valable, parce qu’il faut le renouveler tous les ans. »

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [200], « avril ».

1L’évêque Ripa, du diocèse de Verceil (aujourd’hui Vercelli) près de Turin, chez qui résida Madame Guyon.

13Qui ne désapprouvaient pas tous Fénelon : « Mai. Un licencié a soutenu en Sorbonne sa vespérie dans laquelle il y avait les principes de M. L'archevêque de Cambrai sur l'amour pur et désintéressé... » (CF, chronologie, mai 1698, t. VII, p. 285.).

14Quesnel (1634-1719), oratorien, favorable aux jansénistes, auteur du Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset, 1671 (première version), approuvé par Noailles en 1695.

462. A LA PETITE DUCHESSE. 3 mai 1698.

Ce que vous me mandez du P[ère] d[e] L[a] C[ombe] m’étonne beaucoup. Il faut que la prison lui ait tourné la cervelle, car comment commettre de pareilles choses ? Et comment les avouer par écrit, quand la chose serait vraie ? Je crois la lettre supposée, mais un mari est-il cru sur ces choses ? Il faut tout laisser à Dieu. Je n’ai jamais fait de voyage seule avec ce père1 : j’en ai fait trois avec lui, où j’avais plusieurs témoins de probité, outre mes filles. Ce que vous me mandez de

1Premier écho de la fausse lettre de Lacombe du 27 avril 1698 qui va bientôt être présentée à Madame Guyon : « C’est devant Dieu Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous… », ou de la lettre à l’évêque M. de Tarbes ?

Rome m’afflige extrêmement2, mais il faut s’abandonner sur tout et attendre tout de Dieu. Les choses étant de cette sorte, ne peut-il pas y avoir un milieu entre condamner et approuver ? Ne pourrait-on pas faire voir que la Sorbonne n’est pas contre M. de C[ambrai] ? Enfin je laisse tout à Dieu.

La femme est revenue bien tremblante. N. [le curé] lui a demandé si elle avait vu Des G.4, si elle la connaissait. Comme on lui avait défendu d’en parler et que cela n’a pas de discernement, elle l’a nié à N. : ce n’est qu’un effet de sa fidélité.

Je suis bien fâchée du mal de N. : elle pourrait guérir. Le p[etit] M[aître] ne veut pas laisser la fête qui est aujourd’hui sans croix. Mon [f°199] cœur est préparé à tout ; s’Il a été mis au rang des malfaiteurs, pourquoi ne passerions-nous pas pour coupables ? Dieu sur tout ! Je Le bénis du courage qu’Il vous donne, et je Le prie de fortifier les genoux tremblants et de soutenir les mains lassées. Je vous embrasse de tout mon cœur. Vous m’êtes bien chère.

Je ne puis croire que la lettre soit du P[ère] d[e] L[a] C[ombe], ni que les choses soient comme on les dit. Il se peut faire qu’il ait embrassé cette femme, et que le mari l’ait trouvé5 ; et à cela, qui n’est rien devant Dieu, on aura ajouté les derniers crimes, car si cet homme l’avait surpris, il aurait été se plaindre comme vous dites ; mais le P[ère] L[a] C[ombe] qui se serait vu surpris, n’aurait pas manqué, dans le temps qu’il aurait été faire ses plaintes, de brûler tous ses papiers. Il est aisé sur de faibles apparences, d’imposer des crimes à un homme enfermé, auquel on ne donne nul moyen de se défendre. Soyez sûre que cette lettre n’est pas de lui ; n’étant pas de lui, c’est un argument de son innocence. On ne fait pas courir de telles lettres lorsque les crimes sont assurés : on se contente de leur vérification, qui les rend incontestables. De plus, vous vous souviendrez qu’on a su qu’il y avait un papier de Saint

2 Il semble qu’un juste équilibre se soit établi entre les partis, car selon Orcibal, CF, chronologie : « A Rome, on ajoute que les savants et la plupart des cardinaux sont pour M. de Meaux, mais qu'il y a une grosse cabale pour Mgr de Cambrai qui est fort aidé des R.P. Jésuites... » (lettre d'Orléans) ; « De Rome. On assure que cinq des plus forts examinateurs sont pour ce prélat [Fénelon], et que les cinq autres qui lui sont contraires, ne s'accordent pas sur la manière dont ils veulent que son livre soit condamné » (Gazette d'Amsterdam, 26 mai).

4Sœur de Famille.

5Nouvel écho déformé ? La femme ne serait autre qu’elle-même, dans le faux qui lui sera bientôt présenté, ou bien il s’agit d’un épisode inconnu (car la lettre à M. de Tarbes ne contient rien sur un tiers mari).

Clément 6 : si on sait celui-là, on n’ignore pas les autres, on y aura ajouté ce qu’on aura voulu. On ne les fait venir, tout cachetés pour les faire ouvrir au père de la Chaise7, qu’afin de le surprendre, de le détacher de M. de C[ambrai]. Puis on dira qu’on supprime les choses par charité.

C’est un tour qu’on me fit comme j’étais à Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine : l’Official porta des papiers au Père de la Chaise, entre autres un aveu de moi de choses très fausses dont le père de la Chaise n’est jamais revenu ; monsieur Py[rot] n’aura pas oublié comme cela se fait et aura pu l’inspirer aux autres8. La voie qu’ils prennent de faire ouvrir cela devant le Père de la Chaise, plutôt que devant M. d[e] P[aris], m’est un juste sujet de les soupçonner, après ce qui a été fait à moi-même. On lui fit voir une lettre qu’on disait être de moi, où j’avouais avec douleur des crimes. Le bon Père l’a toujours cru et, lorsqu’on lui parlait de moi, il disait : « Ces crimes ont été avoués et vérifiés ». De plus, faites réflexion qu’un homme, assez mal pour avoir besoin de garde, n’est guère en effet de faire des crimes. Il y a plus d’apparence qu’on ne lui a donné cette garde qu’après avoir suborné le mari : cela est aisé, on aura fait dire ce qu’on aura voulu. De plus, faites réflexion qui est-ce, et comment on a tiré cette lettre des mains du Père qui s’avoue coupable. Les criminels écrivent-ils de pareilles lettres ? On n’aurait pas transporté le Père à Tarbes9, si l’on n’était pas sûr de N. Pensez à tous les tours qu’on m’a faits, à ceux qui ont été faits à M. de C[ambrai]. Pour moi, il me paraît là mille choses qui ont l’air d’une pièce jouée. Je vous assure que si cela était vrai, on lui ferait son procès en forme. C’est un ressort joué dans cette saison. Je sais que la femme du gouverneur10 est d’un intérêt [200] sordide, qui va au-delà de tout ce qu’on peut dire : elle n’est fille que d’un paysan. De plus, c’est justement en ce temps-ci que cela arrive ; c’est au père de la Chaise qu’on s’adresse pour le gagner. Il y a du plus et du moins à cela, assurément.

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [198], « 3 mai 1698 » (la lettre du mois d’« avril » est en p. [200], mais nous privilégions les dates indiquées) - Fénelon 1828, tome 9, en note 3 à la lettre 403, p. 81, reproduit quelques passages de cette lettre, comme « lettres à la duchesse de Beauvillier ». Nous maintenons notre attribution à la « petite duchesse ».

6L’écrit de Fénelon sur Clément d’Alexandrie.

7Le puissant confesseur jésuite de Louis XIV.

8L’Official et M. Pirot formaient équipe lors de la première période de prison.

9Il s’agit donc bien de la lettre à M. de Tarbes, obtenue après transport du Père, donc très probablement sous forte contrainte. Par ailleurs on n’est pas sûr du contenu (la lettre n’est pas autographe).

10De la forteresse de Lourdes.

463. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1698.

Je suis bien éloignée d’avoir de la défiance de vous, mais N[otre] S[eigneur] me tient dans un entier esprit de sacrifice. Tout ce qui se présente est d’abord sacrifié. Il y a bien de la différence d’une pensée à une impression vive d’une chose. J’espère que Dieu vous soutiendra. J’ai toujours connu beaucoup de bien dans le P[ère] L[a] C[ombe], mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l’ai vu. Je ne puis croire ce qu’on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n’en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu’où va la malice. Ne m’accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? A ceux qui me voient ici, on dit que c’est des crimes du temps passé ; à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d’à présent. Dieu sur tout.

Pour vous, ma très chère, Dieu ne permet l’état que vous éprouvez que pour accroître votre abandon par la défiance de vous-même. L’on est souvent moins en sûreté lorsqu’on se croit sûr que lorsqu’on se croit sur le bord du précipice. N’écrivez point à L b c1, mais si vous pouvez la joindre en quelque lieu, tâchez de lui parler, sinon il faut tout abandonner à Dieu. Ces gens-ci n’auront pas de repos qu’ils ne m’aient fait mourir ou enfermer par jugement dans un cachot. Mais je suis très disposée à tout, parce que Dieu seul m’est tout en toutes choses et que tout ne m’est rien. On sait ici le fracas que l’abbé Bossuet fait à Rome. Vous ne me répondez rien sur madame de Lui[nes], et d’où vient son attachement à me décrier. Je suis bien aise que N. se défasse de sa charge, car cela est dangereux. J’ai de la peine que la jard[inière], si reconnaissable par sa grossesse, aille chez vous ; il vaudrait mieux aller aux Jac[obins] lorsqu’elle ne peut aller aux Th[éatins]. Mais les maux viennent sans les prévoir. Bon courage, soyez en paix et soyez persuadée que les routes par lesquelles Dieu conduit les âmes qui lui sont dévouées sont des voies bien terribles. Mais quelles ont été les routes par lesquelles Il a conduit Son fils ! Je vous embrasse derechef.

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [200].

1La bonne comtesse : Mme de Morstein (fille du duc de Chevreuse) ?

464. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1698.

J’ai bien de la peine à croire que la nouvelle de M. de V. soit bien vraie ; il en a dit de si fausses, etc.1 Il est vrai qu’il est aisé de suborner des témoins et de jeter des papiers dans la chambre d’un prisonnier. On me peut faire la même chose dans la fureur dont on est agité. Car à moins que la longue prison, jointe à la nécessité, ne lui aie tourné la cervelle, je ne le crois pas capable de rien faire mal à propos2. Je ne suis nullement en peine de l’écrit de Saint Clément 3, parce que c’est moi qui le lui ai envoyé4. Je ne l’ai point eu de l’auteur, mais d’un copiste, lequel l’avait eu d’un autre à l’insu de l’auteur. Ne pourriez-vous rien apprendre par quelque autre endroit ? Je vous prie, ne vous alarmez pas si Dieu veut qu’il paye pour tous et succombe à la calomnie5. Lorsque je fus à Vinc[ennes], c’était des choses horribles, cependant rien du tout. Je suis contente que vous ne vous fiiez pas à Des G.6 Laissons les choses comme elles sont, mais ayez bon courage, et ne vous laissez pas abattre par l’adversité ni la crainte. J’espère que Dieu vous soutiendra. C’est dans notre faiblesse que nous devons trouver notre force. Allez trois samedis à Notre-Dame faire vos dévotions.

Le prêtre fait fort bien : je ne lui confie quoi que ce soit au monde, tant j’ai peur de surprise. La nécessité de me servir de la jard[inière]7, qui a toute confiance en lui, a engagé un petit commerce d’amitié, mais sans rien de particulier. Il a été aux jés[uites], comme il m’en avait assuré. Les nouvelles bourrasques abattent, mais si nous étions vraiment abandonnés, nous ne serions pas abattus. Je vous remercie de tout ce que vous m’avez envoyé. J’ai si mal aux yeux que je ne puis presque écrire. Puisque les choses s’avancent si fort à Rome, je ne voudrais rien

1 « etc. » : pour éviter d’avoir à dire plus.

2Il s’agit du père La Combe ; noter le doute sur sa capacité de résistance.

3Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie est resté inédit jusqu’en 1930.

4La copie des A.S.-S., ms. 2043, qui servit de source à Dudon lorsque ce dernier la publia en 1930, suit des lettres et la « Doctrine enseignée par le père François de la Combe ». Elle a pour page de titre, d’une écriture ancienne : « 6e carton / Le Gnostique de Clément d'Alexandrie / Mss. original du P. Lacombe [faux] ». Il s’agit bien de la copie par Famille, envoyée par Mme Guyon ; l’écriture de la « fille » de Mme Guyon ressemble un peu à celle de Lacombe.

5Il s’agit de Lacombe.

6« Des G. » (déjà rencontrée dans les lettres de mars 1698) : la sœur de « Famille ».

7Pour assurer le transport des lettres, ce qui est dangereux car « la jardinière » est connue des sœurs.

faire imprimer des réponses, et surtout dans ces nouvelles brouilleries, que tout ne fût fini. Je [f°203] vous conjure de prendre courage et de vous abandonner tout de nouveau à Notre-Seigneur, qui ne vous délaissera pas, quoiqu’Il paraisse le faire. Le démon joue de son reste bon cœur.8

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [202].

8Obscure conclusion.

465. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1698.

Plus je pense à ce que vous me mandez du P[ère] d[e] L[a] C[ombe], plus je suis persuadée qu’il y a à tout cela quantité de faussetés ; on fera courir mille bruits, mais parce qu’il n’y aura rien, on se croira en sûreté de conscience de dire qu’on lui a pardonné en faveur de son repentir et parce qu’il a abjuré ses erreurs. Enfin j’ai le cœur plein que les choses ne sont pas comme on les dit.

Je vois bien que le petit chien2 est bien malade, et d’autant plus malade que ceux à qui je l’ai confié entretiennent son mal ; mais peut-être Re. le croit-elle ainsi par la grande amitié qu’elle a toujours eue pour le Grand ch.3, qui croit triompher du mauvais état du petit. Oh ! il faut tout laisser à Dieu. J’ai bien de la joie que le grand4 fasse mieux ; si cela est bien sincère, c’est pour moi une grande consolation. Pour le tut[eur][Chevreuse], je vous avoue que son changement m’étonne, et que je suis très affligée qu’il ne marie pas madame de Mo[rstein]5. Ne pourriez-vous point lui en faire voir les conséquences ? Et pourquoi cette effroyable distinction qu’ils ont toujours faite de cette pauvre femme à leurs autres enfants ? Quand il n’y aurait que le défaut de justice, cela serait fort mal.

1La Pialière utilise le « $ » comme séparateur entre ses lettres et parfois indique le mois ou l’année.

2Non identifié. Ici pour la première fois nous avons le surnom complet « petit chien », mais cela ne résoud rien…

3La majuscule à grand indique qu’il ne s’agit pas de la race canine. Nous avons souvent rencontré les petit et grand « ch[iens] » : mère et fille, mais lesquelles ?

4Indéterminé.

5Son époux ayant été tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695, elle se remaria, en 1698, avec le comte de Sassenage.

Il m’est venu plusieurs fois dans l’esprit que N.6 promît, pour toute cette affaire, à Dieu de fonder, lorsque ses affaires lui permettraient, deux missionnaires7 jés[uites] dans la Chine ou ailleurs : Dieu y donnerait bénédiction. Il ne faut que six à sept mille livres pour chacun, et ce ne serait que lorsque les affaires le lui permettraient.

Les affaires n’ont changé à Rome que depuis la demande qu’il a faite. Dieu est délicat et jaloux. Je vous embrasse de tout mon cœur.

- A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [203].

6Fénelon ?

7Il s’agit d’aider financièrement des missionnaires.


Voici une lettre1367 qui touche indirectement la petite duchesse. Noter l’avis sur Ramsay, personnage un peu encombrant.

352.  [DE Mme Guyon] Au marquis de Fénelon. Septembre 1716 ?

Je ne comprends pas, mon cher enfant, la bizarrerie de la sœur de Pan[ta]1 car, ne pouvant vous avoir, elle doit être ravie que vous soyez ailleurs. Cela s’appelle le chien du jardinier2. J’écrirai à Panta et je lui mandrai les raisons que vous avez de vous mettre chez la p[etite] d[uchesse]3. Pour ce qui regarde M. votre frère, il en doit être lui-même fort content puisque cela vous donne le moyen de faire vos affaires. Je crois que ce que vous a dit la s[œu]r de Pan[ta] sur le fils de la p[etite] d[uchesse] peut n’être pas tout à fait comme cela, mais quand ce serait, comment pourrait-elle se charger de cet enfant malade puisqu’elle allait elle-même à la campagne ? Quand elle serait restée, je doute qu’elle s’en fût chargée : ne doit-elle pas être libre ? Vous avez le sage Isaac4 qui peut vous dire sa pensée, je ne trouve à cela aucune difficulté. Après avoir été ami des gens pendant leur vie, il faut leur marquer en ceux qui leur sont plus proches qu’on l’est encore après leur mort. [f°.2 r°]

Lorsque je vous ai dit de ne point dire votre sentiment des événements présents, je n’entends pas que vous n’en parliez pas avec vos amis mais bien avec ceux qui, ne l’étant pas, pourraient se servir de cela pour vous nuire. Je sais par mon expérience combien cela est difficile à pratiquer en certaines occasions, mais il faut avoir bon courage, agir simplement sans s’entortiller au bout de soi. Si vous êtes fidèle à rentrer au-dedans de vous, j’espère que Dieu vous donnera la lumière et la force nécessairea.

Ne pourrait-on point se servir du lieu où est La Voisine pour faire tenir ce que nous avons de notre père ? Je lui ai écrit en droiture, mais je n’ai point mis saint Ghienb car elle ne me l’avait pas mandé. Je prie le petit Maître de vous être toute chose.

Je vous prie de dire à R[amsay] qu’on nous envoie tous les écrits français de notre père à la réserve de la métaphysique, je veux aussi le thé…c nous en rendrons bon compte, personne n’y prenant plus d’intérêt que moi5.

Ce bon R[amsay] a radoté quand il demande un catalogue. Qu’on nous envoie ce que nous demandons et tout sera en bon ordre. Que son latin soit aussi bien et sa métaphysique, tout ne sera pas mal.

- A.A.-S., pièce 7502, autographe - §2 « Lorsque […] force nécessaire » : Dutoit, t. IV, [courte] Lettre 25, p. 60-61.

anécessaire. Je le prie de vous être toutes choses. D ajout d’une formule finale.

bLecture confirmée, sens obscur.

cthéol : ou thél : voir la note 3.

1L’abbé de Beaumont.

2proverbe espagnol repris dans la comédie de Lope de Vega.

3La duchesse de Mortemart.

4Isaac Dupuy.

5On pense non pas au Télémaque, publié dès avril 1699, mais à des textes tels que ceux rassemblés sous le titre (moderne) d’ Opuscules théologiques, parallèles aux développements métaphysiques de la Démonstration de l’existence de Dieu, ou bien à ceux des Lettres sur divers sujets concernant la religion et la métaphysique. V. Fénelon, Œuvres II, Bibl. de la Pléiade. Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie (demeuré inédit jusqu’en 1930) faisait déjà l’objet de l’intérêt de Madame Guyon de par sa richesse spirituelle et de par l’autorité attribuée à l’époque à Clément.







DE FENELON

Choix de citations extrait de la série complète des lettres

Fénelon est directeur de la « petite duchesse ». Née en 1665, elle est de quatorze ans plus jeune :

En 1693 : 

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. … Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? … Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. … Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée. (LSP 126*, juin 1693 ?)

Nul couvent ne vous convient; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. (LSP 135.*)

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce … Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? … Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. … (LSP 136*)

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu … Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. (LSP 130*, 1693?)

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. (LSP 131*,1693 ?)

Lettres postérieures :

Vous ne garderez jamais si bien M... que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout: c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. (LSP 129*, 1695 ?)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. (LSP 137*)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu (LSP 150*, attribution incertaine)

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. … Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide. (LSP 164*)

Ma vie est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. (LSP 165*)

Lettres tardives :

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir: on va contre le vent à force de rames. … Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. … Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif1368: … Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. (LSP 166*, après juin 1708)

Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. (LSP 167*)

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix (LSP 189*)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. … Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. … Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. (LSP 190*)

Tout contribue à vous éprouver; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. … Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous (LSP 192*, attribution incertaine)

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? … Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon? … J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. … Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? … Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. (LSP 193*) Pb : née en 1665 !

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. (LSP 198*, attribution incertaine)

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous. / Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. (LSP 203, 1711 ?)

Comment pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. (LSP 490*, attribution incertaine)

Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autres les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. … excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. (L.1121, 9 janvier 1707)

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. … Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu]; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres1369. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus. (L.1231, 22 août 1708)

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. … Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. … En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. (L.1215, 8 juin 1708)

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. … Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y préparer. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. … D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. … Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. … Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N…[Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. (L.1408)

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. … Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. (L.1442, 1er février 1711)

Il y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. … Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. … Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver: je me vois comme une image dans un songe. … Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. (L.1479, 27 juillet 1711)



Série complète des lettres

Nous ne connaissions que quelques rares lettres (données ici en fin de séquence) lorsque I. Noye a établi l’identité de la correspondante de Fénelon dans les LSP* choisies par les disciples pour l’édition de 1718 : du coup la petite duchesse prend sa véritable importance au niveau de l’écrit comme par un rôle directeur attesté par ailleurs.

LSP 126.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART juin 1693 ?

Vous êtes bonne1370. Vous voudriez l’être encore davantage, et vous prenez beaucoup sur vous dans le détail de la vie : mais je crains que vous ne preniez un peu trop sur le dedans, pour accommoder le dehors aux bienséances, et que vous ne fassiez pas assez mourir le fond le plus intime. Quand on n’attaque point efficacement un certain fonds secret de sens et de volonté propre sur les choses qu’on aime le plus, et qu’on se réserve avec le plus de jalousie, voici ce qui arrive. D’un côté, la vivacité, l’âpreté et la roideur de la volonté propre sont grandes; de l’autre côté, on a une idée scrupuleuse d’une certaine symétrie des vertus extérieures, qui se tourne en pure régularité de bienséance. L’extérieur se trouve ainsi très gênant, et l’intérieur très vif pour y répugner. C’est un combat insupportable.

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. Je serais moins fâchée de vous voir grondeuse, dépitée, brusque, ne vous possédant pas, et ensuite bien désabusée de vous-même par cette expérience, que de vous voir régulière de tout point et irrépréhensible de tous les côtés, mais délicate, haute, austère, roide, facile à scandaliser, et grande en vous-même.

Mettez votre véritable ressource dans l’oraison. Un certain travail de courage humain et de goût pour une régularité empesée ne vous corrigera jamais. Mais accoutumez-vous devant Dieu, par l’expérience de vos faiblesses incurables, à la condescendance, à la compassion et au support des imperfections d’autrui. L’oraison bien prise vous adoucira le cœur, et vous le rendra simple, souple, maniable, accessible, accommodant. Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? On est sévère pour les actions extérieures, et on est très relâché pour l’intérieur. Pendant qu’on est si jaloux de cet arrangement superficiel de vertus extérieures, on n’a aucun scrupule de se laisser languir au-dedans, et de résister secrètement à Dieu. On craint Dieu plus qu’on ne l’aime. On veut le payer d’actions, que l’on compte pour en avoir quittance, au lieu de lui donner tout par amour, sans compter avec lui. Qui donne tout sans réserve, n’a plus besoin de compter. On se permet certains attachements déguisés à sa grandeur, à sa réputation, à ses commodités. Si on cherchait bien entre Dieu et soi, on trouverait un certain retranchement où l’on met ce qu’on suppose qu’il ne faut pas lui sacrifier. On tourne tout autour de ces choses, et on ne veut pas même les voir, de peur de se reprocher qu’on y tient. On les épargne comme la prunelle de l’œil sous les plus beaux prétextes. Si quelqu’un forçait ce retranchement, il toucherait au vif, et la personne serait inépuisable en belles raisons pour justifier ses attachements : preuve convaincante qu’elle nourrit une vie secrète dans ces sortes d’affections. Plus on craint d’y renoncer, plus il faut conclure qu’on en a besoin. Si on n’y tenait pas, on ne ferait pas tant d’efforts pour se persuader qu’on n’y tient point.

Il faut bien qu’il y ait en nous de telles misères qui arrêtent l’ouvrage de Dieu. Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. La faute ne vient point de Dieu, elle vient donc de nous. Nous n’avons qu’à bien chercher, et nous trouverons les liens secrets qui nous arrêtent. L’endroit dont nous nous méfions le moins est précisément celui dont il faut se défier le plus.

Ne faisons point avec Dieu un marché afin que notre commerce ne nous coûte pas trop, et qu’il nous en revienne beaucoup de consolation1371. N’y cherchons que la croix, la mort et la destruction. Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée ; et, comme on digère ses repas pendant tout le jour, digérons pendant toute la journée, dans le détail de nos occupations, le pain de vérité et d’amour que nous avons mangé à l’oraison. Que cette oraison ou vie d’amour, qui est la mort à nous-mêmes, s’étende de l’oraison, comme du centre, sur tout ce que nous avons à faire. Tout doit devenir oraison ou présence amoureuse de Dieu dans les affaires et dans les conversations. C’est là, Madame, ce qui vous donnera une paix profonde.

LSP 135.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Je ne manquerai à aucune des personnes que la Providence m’envoie, que quand je manquerai à Dieu même1372 ; ainsi ne craignez pas que je vous abandonne. D’ailleurs Dieu saurait bien faire immédiatement par lui-même ce qu’il cesserait de faire par un vil instrument. Ne craignez rien, homme de peu de foi. Demeurez exactement dans vos bornes ordinaires ; réservez votre entière confiance pour N… qui vous connaît à fond, et qui peut seul1373 vous soulager dans vos peines ; il lui sera donné de vous aider dans tous vos besoins. Nul couvent ne vous convient; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. Tous les jours sont des fêtes pour les personnes qui tâchent de vivre dans la cessation de toute autre volonté que de celle de Dieu. Ne lui marquez jamais aucune borne. Ne retardez jamais ses opérations. Pourquoi délibérer pour ouvrir, quand c’est l’Époux qui est à la porte du cœur? Écoutez et croyez N… Je veux au nom de Notre-Seigneur que vous soyez en paix. Ne vous écoutez point. Ne cherchez jamais la personne qui s’écarte : mais tenez-vous à portée de redresser et de consoler son cœur, s’il se rapproche...1374.

Il y a une extrême différence entre la peine et le trouble. La simple peine fait le purgatoire ; le trouble fait l’enfer. …

LSP 136*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce1375 ; mais vous pourriez facilement vous mécompter sur votre goût de retraite. Contentez-vous de ne voir que les personnes avec lesquelles vous avez des liaisons intérieures de grâce, ou des liaisons extérieures de providence : encore même ne faut-il point vous faire une pratique de ne voir que les personnes de ces deux sortes ; et, sans tant raisonner, il faut, en chaque occasion, suivre votre cœur, pour voir ou ne pas voir les personnes qu’il est permis communément de voir; surtout ne vous éloignez point de celles qui peuvent vous soutenir dans votre vocation.

Je voudrais que vous évitassiez toute activité par rapport à la personne sur laquelle vous me demandez mon avis1376. Ne vous faites point une règle ni de vous éloigner, ni de vous rapprocher d’elle. Tenez-vous seulement à portée de lui être utile, et de lui dire la vérité toutes les fois qu’elle reviendra à vous. Ne la rebutez jamais : montrez-lui un cœur toujours ouvert et toujours uni. Quand elle paraîtra s’éloigner, écrivez-lui, selon les occasions, avec simplicité, pour la rappeler à la véritable vocation de Dieu. Avertissez-la des pièges à craindre ; mais ne vous inquiétez point, et n’espérez pas de corriger l’humain par une activité humaine.

Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? Voulez-vous faire naufrage au port, vous reprendre, et demander à Dieu qu’il s’assujettisse à vos règles, au lieu qu’il veut et que vous lui avez promis de marcher comme Abraham dans la profonde nuit de la foi’? Et quel mérite auriez-vous à faire ce que vous faites, si vous aviez des miracles et des révélations pour vous assurer de votre voie ? Les miracles mêmes et les révélations s’useraient bientôt, et vous retomberiez encore dans vos doutes. Vous vous livrez à la tentation. Ne vous écoutez plus vous-même. Votre fond, si vous le suivez simplement, dissipera tous ces vains fantômes.

Il y a une extrême différence entre ce que votre esprit rassemble dans sa peine, et ce que votre fond conserve dans la paix. Le dernier est de Dieu ; l’autre n’est que votre amour-propre. Pour qui êtes-vous en peine ? Pour Dieu, ou pour vous ? Si ce n’était que pour Dieu seul, ce serait une vue simple, paisible, forte, et qui nourrirait votre cœur, et vous dépouillerait de tout appui créé. Tout au contraire, c’est de vous que vous êtes en peine. C’est une inquiétude, un trouble, une dissipation, un dessèchement de cœur, une avidité naturelle de reprendre des appuis humains, et de ne vous laisser jamais mourir.

Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. Vous cherchez à vivre, et il ne s’agit plus que d’achever de mourir et d’expirer dans le délaissement sensible. Vous me demandez des moyens ; il n’y a plus de moyens : c’est en les laissant tomber tous, que l’œuvre de mort se consomme. Que reste-t-il à faire à celui qui est sur la roue ? Faut-il lui donner des remèdes ou des aliments? lui faut-il donner les cordiaux qu’il demande ? Non ; ce serait prolonger son supplice par une cruelle complaisance, et éluder l’exécution de la sentence du juge. Que faut-il donc? Rien que ne rien faire, et le laisser au plus tôt mourir.

LSP 130.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693?]

Il m’a paru que vous aviez besoin de vous élargir le cœur sur les défauts d’autrui. Je conviens que vous ne pouvez ni vous empêcher de les voir quand ils sautent aux yeux, ni éviter les pensées qui vous viennent sur les principes qui vous paraissent faire agir certaines gens. Vous ne pouvez pas même vous ôter une certaine peine que ces choses vous donnent. Il suffit que vous vouliez supporter les défauts certains, ne juger point de ceux qui peuvent être douteux, et n’adhérer point à la peine qui vous éloignerait des personnes.

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu ; autrement on arracherait le bon grain avec le mauvais. Dieu laisse dans les âmes les plus avancées certaines faiblesses entièrement disproportionnées à leur état éminent, comme on laisse des morceaux de terre qu’on nomme des témoins, dans un terrain qu’on a rasé, pour faire voir, par ces restes, de quelle profondeur a été l’ouvrage de la main des hommes. Dieu laisse aussi dans les plus grandes âmes des témoins ou restes de ce qu’il en a ôté de misère.

Il faut que ces personnes travaillent, chacune selon leur degré, à leur correction, et que vous travailliez au support de leurs faiblesses. Vous devez comprendre, par votre propre expérience en cette occasion, que la correction est fort amère : puisque vous en sentez l’amertume, souvenez-vous combien il faut l’adoucir aux autres1377. Vous n’avez point un zèle empressé pour corriger, mais une délicatesse qui vous serre aisément le cœur.

Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. Si vos avis me blessent, cette sensibilité me montrera que vous aurez trouvé le vif: ainsi vous m’aurez toujours fait un grand bien en m’exerçant à la petitesse, et en m’accoutumant à être repris. Je dois être plus rabaissé qu’un autre à proportion de ce que je suis plus élevé par mon caractère, et que Dieu demande de moi une plus grande mort à tout. J’ai besoin de cette simplicité, et j’espère qu’elle augmentera notre union, loin de l’altérer.

LSP 131*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693 ?]

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. […] Souvent une certaine vivacité de correction, même pour soi, n’est qu’une activité qui n’est plus de saison pour ceux que Dieu mène d’une autre façon, et qu’il veut quelquefois laisser dans une impuissance de vaincre ces imperfections, pour leur ôter tout appui intérieur. La correction de quelques défauts involontaires serait pour eux une mort beaucoup moins profonde et moins avancée, que celle qui leur vient de se sentir surmontés par leurs misères, pourvu qu’ils soient véritablement et sans illusion désabusés et dépossédés d’eux-mêmes par cette expérience et par cet acquiescement. Chaque chose a son temps. La force intérieure sur ses propres défauts nourrit une vie secrète de propriété. Souffrez donc le prochain…1378.

LSP 129.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [?] [1695 ?]

Vous ne garderez jamais si bien M...1379 que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout: c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. Les traverses de la vie nous surmontent, les croix nous abattent; nous manquons de patience et de douceur, ou d’une fermeté douce et égale; nous ne parvenons point à persuader autrui. Il n’y a que Dieu qui tient les cœurs dans ses mains : il soutient le nôtre, et ouvre celui du prochain. Priez donc, mais souvent et de tout votre cœur, si vous voulez bien conduire votre troupeau. Si le Seigneur ne garde pas la ville, celui qui veille la garde en vain. Nous ne pouvons attirer en nous le bon esprit que par l’oraison. Le temps qui y paraît perdu est le mieux employé. En vous rendant dépendante de l’esprit de grâce, vous travaillerez plus pour vos devoirs extérieurs, que par tous les travaux inquiets et empressés. Si votre nourriture est de faire la volonté de votre Père céleste, vous vous nourrirez souvent en puisant cette volonté dans sa source…1380

LSP 137.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. O qu’il est vilain d’être deux, trois, quatre, etc.! Il ne faut être qu’un. Je ne veux connaître que l’unité. Tout ce que l’on compte au-delà vient de la division et de la propriété d’un chacun. Fi des amis ! Ils sont plusieurs, et par conséquent ils ne s’aiment guère, ou s’aiment fort mal. Le moi s’aime trop pour pouvoir aimer ce qu’on appelle lui ou elle. Comme ceux qui n’ont qu’un seul amour sans propriété ont dépouillé le moi, ils n’aiment rien qu’en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire, chaque homme possédé de l’amour-propre n’aime son prochain qu’en soi et pour soi-même. Soyons donc unis, par n’être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu sans ombre de distinction. C’est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C’est dans ce point indivisible, que la Chine et le Canada se viennent joindre; c’est ce qui anéantit toutes les distances1381.

Au nom de Dieu, que N…1382 soit simple, petit, ouvert, sans réserve, défiant de soi et dépendant de vous. Il trouvera en vous non seulement tout ce qui lui manque, mais encore tout ce que vous n’avez point; car Dieu le fera passer par vous pour lui, sans vous le donner pour vous-même. Qu’il croie petitement, qu’il vive de pure foi, et il lui sera donné à proportion de ce qu’il aura cru.

LSP 150.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu, c’est le moyen de n’être jamais mécompté. Il faut prendre des hommes ce qu’ils donnent, comme des arbres les fruits qu’ils portent: il y a souvent des arbres où l’on ne trouve que des feuilles et des chenilles. Dieu supporte et attend les hommes imparfaits, et il ne se rebute pas même de leurs résistances. Nous devons imiter cette patience si aimable, et ce support si miséricordieux. Il n'y a que l'imperfection qui s'impatiente de ce qui est imparfait; plus on a de perfection, plus on supporte patiemment et paisiblement l'imperfection d'autrui sans la flatter. Laissez ceux qui s'érigent un tribunal dans leur prévention : si quelque chose les peut guérir, c'est de les laisser aller à leur mode, et de continuer à marcher de notre côté devant eux avec une simplicité et une petitesse d'enfant.

Ne pressez point N....1383 Il ne faut demander qu’à mesure que Dieu donne. Quand il est serré, attendez-le, et ne lui parlez que pour l’élargir: quand il est élargi, une parole fera plus que trente à contretemps. Il ne faut ni semer ni labourer quand il gèle et que la terre est dure. En le pressant, vous le décourageriez. Il ne lui en resterait qu’une crainte de vous voir, et une persuasion que vous agissez par vivacité naturelle pour gouverner. Quand Dieu voudra donner une plus grande ouverture, vous vous tiendrez toujours toute prête pour suivre le signal, sans le prévenir jamais. C’est l’œuvre de la foi, c’est la patience des saints. Cette œuvre se fait au dedans de l’ouvrier, en même temps qu’au-dehors sur autrui ; car celui qui travaille meurt sans cesse à soi en travaillant à faire la volonté de Dieu dans les autres.

LSP 164.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. Encore un coup ; ne craignez rien, âme de peu de foi. Vous voyez, par l’expérience de votre faiblesse, combien vous devez être désabusée de vous-même et de vos meilleures résolutions. À voir les sentiments de zèle où l’on est quelquefois, on croirait que rien ne serait capable de nous arrêter; cependant, après avoir dit comme saint Pierre : Quand même il faudrait mourir avec vous cette nuit, je ne vous abandonnerai point, on finit comme lui par avoir peur d’une servante, et par renier lâchement le Sauveur. O qu’on est faible ! Mais autant que notre faiblesse est déplorable, autant l’expérience nous en est-elle utile pour nous ôter tout appui et toute ressource au-dedans de nous. Une misère que nous sentons, et qui nous humilie, nous vaut mieux qu’une vertu angélique que nous nous approprierions avec complaisance. Soyez donc faible et découragée si Dieu le permet, mais humble, ingénue et docile dans ce découragement. Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide.

LSP 165* A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ma vie1384 est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. Le fond est malade, et il ne peut se remuer sans une douleur sourde. Nulle sensibilité ne vient que d’amour-propre ; on ne souffre qu’à cause qu’on veut encore. Si on ne voulait plus rien, que la seule volonté de Dieu, on en serait sans cesse rassasié, et tout le reste serait comme du pain noir qu’on présente à un homme qui vient de faire un grand repas. Si la volonté présente de Dieu nous suffisait, nous n’étendrions point nos désirs et nos curiosités sur l’avenir. Dieu fera sa volonté, et il ne fera point la nôtre : il fera fort bien. Abandonnons-lui non seulement toutes nos vues humaines, mais encore tous nos souhaits pour sa gloire, attendue selon nos idées. Il faut le suivre en pure foi et à tâtons. Quiconque veut voir, désire, raisonne, craint et espère pour soi et pour les siens. Il faut avoir des yeux comme n’en ayant pas : aussi bien ne servent-ils qu’à nous tromper et qu’à nous troubler. Heureux le jour où nous ne voulons pas prévoir le lendemain !

LSP 166.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. Après juin 1708.

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir: on va contre le vent à force de rames. Pour l’état qui paraît tout naturel, je ne m’en étonne nullement. Dieu ne peut nous cacher sa grâce que sous la nature. Tout ce qui est sensible se trouve conforme aux saillies du tempérament, et le don de Dieu n’est que dans le fond le plus intime et le plus secret d’une volonté toute sèche et toute languissante. Souffrir, passer outre, et demeurer en paix dans cette douloureuse obscurité, est tout ce qu’il faut. Les défauts mêmes les plus réels se tourneront en mort et en désappropriation, pourvu que vous les regardiez avec simplicité, petitesse, détachement de votre lumière propre, et docilité pour la personne à qui vous vous ouvrez. Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. Vos peines serviront à rabaisser votre courage, et à vous déposséder de votre propre cœur; la vue de vos misères démontera votre sagesse. Il faut seulement vous soulager et vous épargner dans les tentations de découragement, comme une personne faible qu’on a besoin de consoler et de faire respirer.

Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif1385: il faut y avoir égard, et ne laisser jamais trop attrister votre imagination; mais il lui faut des soulagements de simplicité et de petitesse, non de hauteur et de sagesse qui flattent l’amour-propre.

Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. Pour les choses choquantes, regardez-les comme venant de leurs défauts, et supportez les leurs comme vous supportez les vôtres. Vous n’aurez jamais aucun mécompte, si vous ne voulez jamais compter avec aucun de vos amis. L’amour de Dieu ne s’y méprend jamais; il n’y a que l’amour-propre qui puisse se mécompter. La grande marque d’un cœur désapproprié est de voir un cœur sans délicatesse pour soi, et indulgent pour autrui.

Je conviens que la simplicité serait d’un excellent usage avec nos bonnes gens1386; mais la simplicité demande dans la pratique une profonde mort de la part de toutes les personnes qui composent une société. Les imparfaits sont imparfaitement simples ; ils se blessent mal à propos, ils critiquent, ils veulent deviner, ils censurent avec un zèle indiscret, ils gênent les autres : insensiblement les défauts naturels se glissent sous l’apparence de simplicité.

LSP 167.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Vous avez bien des croix à porter; mais vous en avez besoin, puisque Dieu vous les donne. Il les sait bien choisir: c’est ce choix qui déconcerte l’amour-propre et qui le fait mourir. Des croix choisies et portées avec propriété, loin d’être des croix et des moyens de mort, seraient des aliments et des ragoûts pour une vie d’amour-propre. Vous vous plaignez d’un état de pauvreté intérieure et d’obscurité; Bienheureux les pauvres d’esprits! Bienheureux ceux qui croient sans voir! Ne voyons-nous pas assez, pourvu que nous voyions notre misère sans l’excuser? Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. En cet état, on n’a aucune lumière qui flatte notre curiosité, mais on a toute celle qu’il faut pour se défier de soi, pour ne s’écouter plus, et pour être docile à autrui. Que serait-ce qu’une vertu qu’on verrait au dedans de soi, et dont on serait content? Que serait-ce qu’une lumière aperçue, et dont on jouirait pour se conduire? Je remercie Notre-Seigneur de ce qu’il vous ôte un si dangereux appui. Allez, comme Abraham, sans savoir où1387; ne suivez que l’esprit de petitesse, de simplicité et de renon-cernent: il ne vous inspirera que paix, recueillement, douceur, détachement, support du prochain, et contentement dans vos peines.

LSP 189.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix ; elles ne seraient que des victoires continuelles, avec une flatteuse expérience de notre force invincible. De telles croix empoisonneraient le cœur, et charmeraient notre amour-propre. Pour bien souffrir, il faut souffrir faiblement et sentant sa faiblesse ; il faut se voir sans ressource au dedans de soi ; il faut être sur la croix avec Jésus-Christ, et dire comme lui, Mon Dieu, mon Dieu, combien m'avez-vous abandonné! O que la paix de la volonté, dans ce désespoir de l'amour-propre, est précieuse aux yeux de celui qui la fait en nous sans nous la montrer ! Nourrissez-vous de cette parole de saint Augustin, qui est d'autant plus vivifiante, qu'elle porte au coeur une mort totale de l'amour-propre: «Qu'il ne soit laissé en moi rien de moi-même, ni de quoi jeter encore un regard sur moi ; » nihil in me relinquatur mihi, nec quo respiciam ad me ipsum. N’écoutez point votre imagination ni les réflexions d’une sagesse humaine : laissez tomber tout, et soyez dans les mains du bien-aimé. C’est sa volonté et sa gloire qui doivent nous occuper.

LSP 190.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l’être. Souffrez en paix ; abandonnez-vous; allez, comme Abraham, sans savoir où. Recevez des hommes le soulagement que Dieu vous donnera par eux. Ce n’est pas d’eux, mais de lui par eux, qu’il faut le recevoir. Ne mêlez rien à l’abandon, non plus qu’au rien. Un tel vin doit être bu tout pur et sans mélange ; une goutte d’eau lui ôte toute sa vertu. On perd infiniment à vouloir retenir la moindre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure. […]1388.

Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. Quand on est attaché sur la croix avec Jésus-Christ, on dit comme lui, O Dieu, ô mon Dieu, combien vous m’avez délaissé ! Mais ce délaissement sensible, qui est une espèce de désespoir dans la nature grossière, est la plus pure union de l’esprit, et la perfection de l’amour.

Qu’importe que Dieu nous dénue de goûts et de soutiens sensibles ou aperçus, pourvu qu’il ne nous laisse pas tomber? Le prophète Habacuc n'était-il pas bien soutenu quand l'ange le transportait avec tant d'impétuosité de la Judée à Babylone, en le tenant par un de ses cheveux1389. Il allait sans savoir où, et sans savoir par quel soutien ; il allait nourrir Daniel au milieu des lions ; il était enlevé par l'esprit invisible et par la vertu de la foi. Heureux qui va ainsi par une route inconnue à la sagesse humaine, et sans toucher du pied à terre !

Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. Qu’y a-t-il à faire? Rien qu’à ne repousser jamais la main invisible qui détruit et qui refond tout. Plus on avance, plus il faut se délaisser à l’entière destruction. Il faut qu’un cœur vivant soit réduit en cendre. Il faut mourir et ne voir point sa mort; car une mort qu’on apercevrait serait la plus dangereuse de toutes les vies. Vous êtes morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Il faut que la mort soit cachée, pour cacher la vie nouvelle que cette mort opère. On ne vit plus que de mort, comme parle saint Augustin1390. Mais qu’il faut être simple et sans retour pour laisser achever cette destruction du vieil homme ! Je prie Dieu qu’il fasse de vous un holocauste que le feu de l’autel consume sans réserve.

LSP 191.* A LA DUCHESSE DE MORTEMART ( ?)

La peine que je ressens sur le malheur public ne m’empêche point d’être occupé de votre infirmité1391. Vous savez qu’il faut porter la croix, et la porter en pleines ténèbres. Le parfait amour ne cherche ni à voir ni à sentir. Il est content de souffrir sans savoir s’il souffre bien, et d’aimer sans savoir s’il aime. O que l’abandon, sans aucun retour ni repli caché, est pur et digne de Dieu ! Il est lui seul plus détruisant que mille et mille vertus austères et soutenues d’une régularité aperçue. On jeûnerait comme saint Siméon Stylite, on demeurerait des siècles sur une colonne ; on passerait cent ans au désert, comme saint Paul ermite; que ne ferait-on point de merveilleux et digne d’être écrit, plutôt que de mener une vie unie, qui est une mort totale et continuelle dans ce simple délaissement au bon plaisir de Dieu ! Vivez donc de cette mort ; qu’elle soit votre unique pain quotidien. Je vous présente celui que je veux manger avec vous. […]1392.

LSP 192.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Tout contribue à vous éprouver; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. Jésus-Christ ne dit pas: Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se possède, qu’il se revête d’ornements, qu’il s’enivre de consolations, comme Pierre sur le Thabor; qu’il jouisse de moi et de soi-même dans sa perfection, qu’il se voie : et que tout le rassure en se voyant parfait : mais au contraire il dit : Si quelqu’un veut venir après moi, voici le chemin par où il faut qu’il passe ; qu’il se renonce, qu’il porte sa croix et qu’il me suive dans le sentier bordé de précipices où il ne verra que sa mort. Saint Paul dit que nous voudrions être survêtus, et qu’il faut au contraire être dépouillés jusqu’à la plus extrême nudité pour être ensuite revêtus de Jésus-Christ. […]1393

Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous : je porte avec vous votre croix et toutes vos langueurs. Mais si vous voulez que l’enfant Jésus les porte avec vous, laissez-le se cacher à vos yeux ; laissez-le aller et venir en toute liberté. Il sera tout-puissant en vous, si vous êtes bien petite en lui. On demande du secours pour vivre et pour se posséder : il n’en faut plus que pour expirer et pour être dépossédé de soi sans ressource. Le vrai secours est le coup mortel ; c’est le coup de grâce. Il est temps de mourir à soi, afin que la mort de Jésus-Christ opère une nouvelle vie. Je donnerais la mienne pour vous ôter la vôtre, et pour vous faire vivre de celle de Dieu.

LSP 193.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? Un tel abandon serait la plus grande propriété, et n’aurait que le nom trompeur d’abandon ; ce serait l’illusion la plus manifeste. Il faut manquer de tout aliment pour achever de mourir. C’est une cruauté et une trahison, que de vous laisser respirer et nourrir pour prolonger votre agonie dans le supplice. Mourez ; c’est la seule parole qui me reste pour vous.

Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon? Était-ce à condition de le faire en apparence, et de trouver une plus grande sûreté dans l’abandon même? Si cela était, vous auriez été bien fine avec Dieu : ce serait le comble de l’illusion. Si, au contraire, vous n’avez cherché (comme je n’en doute pas) que le sacrifice total de votre esprit et de votre volonté, pourquoi reculez-vous quand Dieu vous fait enfin trouver l’unique chose que vous avez cherchée ? Voulez-vous vous reprendre dès que Dieu veut vous posséder, et vous déposséder de vous-même ? Voulez-vous, par la crainte de la mer et de la tempête, vous jeter contre les rochers, et faire naufrage au port? Renoncez aux sûretés ; vous n’en sauriez jamais avoir que de fausses. C’est la recherche infidèle de la sûreté qui fait votre peine. Loin de vous conduire au repos, vous résistez à votre grâce ; comment trouveriez-vous la paix ?

J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. Cette certitude réfléchie, dont on se rendrait compte à soi-même, et sur laquelle on se reposerait, détruirait l’état de foi, rendrait toute mort impossible et imaginaire, changeant l’abandon et la nudité en possession et en propriété sans bornes ; enfin ce serait un fanatisme perpétuel, car on se croirait sans cesse certainement et immédiatement inspiré de Dieu pour tout ce qu’on ferait en chaque moment. Il n’y aurait plus ni direction ni docilité, qu’autant que le mouvement intérieur, indépendant de toute autorité extérieure, y porterait chacun. Ce serait renverser la voie de foi et de mort. Tout serait lumière, possession, vie et certitude dans toutes ces choses. Il faut donc observer qu’on doit suivre le mouvement, mais non pas vouloir s’en assurer par réflexion, et se dire à soi-même, pour jouir de sa certitude : oui, c’est par mouvement que j’agis.

Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? Les saints patriarches, prophètes, apôtres, etc. avaient, hors des choses miraculeuses, un attrait continuel qui les poussait à une mort continuelle ; mais ils ne se rendaient point juges de leur grâce, et ils la suivaient simplement : elle leur eût échappé pendant qu’ils auraient raisonné pour s’en faire les juges. Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. Marchez donc, comme Abraham, sans savoir où. Sortez de votre terre, qui est votre cœur ; suivez les mouvements de la grâce, mais n’en cherchez point la certitude par raisonnement. Si vous la cherchez avant que d’agir, vous vous rendez juge de votre grâce, au lieu de lui être docile, et de vous livrer à elle comme les apôtres le faisaient. Ils étaient livrés à la grâce de Dieu, dit saint Luc dans les Actes. Si, au contraire, vous cherchez cette certitude après avoir agi, c’est une vaine consolation que vous cherchez par un retour d’amour-propre, au lieu d’aller toujours en avant avec simplicité selon l’attrait, et sans regarder derrière vous. Ce regard en arrière interrompt la course, retarde les progrès, brouille et affaiblit l’opération intérieure : c’est un contretemps dans les mains de Dieu ; c’est une reprise fréquente de soi-même ; c’est défaire d’une main ce qu’on fait de l’autre. De là vient qu’on passe tant d’années languissant, hésitant, tournant tout autour de soi.

Je ne perds de vue ni vos longues peines, ni vos épreuves, ni le mécompte de ceux qui me parlent de votre état sans le bien connaître. Je conviens même qu’il m’est plus facile de parler, qu’à vous de faire, et que je tombe dans toutes les fautes où je vous propose de ne tomber pas. Mais enfin nous devons plus que les autres à Dieu, puisqu’il nous demande des choses plus avancées ; et peut-être sommes-nous à proportion les plus reculés. Ne nous décourageons point: Dieu ne veut que nous voir fidèles. Recommençons, et en recommençant nous finirons bientôt. Laissons tout tomber, ne ramassons rien ; nous irons bien vite et en grande paix.

LSP 198.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Je vois que la lumière de Dieu est en vous pour vous montrer vos défauts et ceux de N...1394. C'est peu de voir; il faut faire, ou pour mieux dire il n'y aurait qu'à laisser faire Dieu, et qu'à ne lui point résister. Pour N..., il ne faut jamais lui faire quartier; nulle excuse; coupez court; il faut qu'il se taise, qu'il croie, et qu'il obéisse sans s'écouter.

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. La bonne foi avec Dieu consiste à n’avoir point un faux abandon, ni un demi-abandon, quand on le promet tout entier. Ananias et Saphira furent terriblement punis pour n’avoir pas donné sans réserve un bien qu’ils étaient libres de garder tout entier1395. Allons à l’aventure. Abraham allait sans savoir où, hors de son pays. Je voudrais bien vous chasser du vôtre, et vous mettre, comme lui, loin des moindres vestiges de route. […]1396.

LSP 203.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. [1711 ?]

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous.

Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. Quand je suis à l’office de notre chœur, je vois la main d’un de nos chapelains qui promène un grand éteignoir qui éteint tous les cierges par derrière l’un après l’autre ; s’il ne les éteint pas entièrement, il reste un lumignon fumant qui dure longtemps et qui consume le cierge1397. La grâce vient de même éteindre la vie de la nature; mais cette vie opiniâtre fume encore longtemps, et nous consume par un feu secret, à moins que l’éteignoir ne soit bien appuyé et qu’il n’étouffe absolument jusqu’aux moindres restes de ce feu caché.

Je veux que vous ayez le goût de ma destruction connue j’ai celui de la vôtre. Finissons, il est bien temps, une vieille vie languissante qui chicane toujours pour échapper à la main de Dieu. Nous vivons encore ayant reçu cent coups mortels1398.

Assurez-vous que je ne flatterai en rien M[...]..5 et que je chercherai même à aller jusqu’au fond. Dieu fera le reste par vous. Votre patience, votre égalité, votre fidélité à n’agir avec lui que par grâce, sans prévenir, par activité ni par industrie, les moments de Dieu ; en un mot, la mort continuelle à vous-même vous mettra en état de faire peu à peu mourir ce cher fils à tout ce qui vous paraît l’arrêter dans la voie de la perfection. Si vous êtes bien petite et bien dénuée de toute sagesse propre, Dieu vous donnera la sienne pour vaincre tous les obstacles.

N’agissez point avec lui par sagesse précautionnée, mais par pure foi et par simple abandon. Gardez le silence, pour le ramener au recueillement et à la fidélité, quand vous verrez que les paroles ne seront pas de saison. Souffrez ce que vous ne pourrez pas empêcher. Espérez, comme Abraham, contre l’espérance, c’est-à-dire attendez en paix que Dieu fasse ce qu’il lui plaira, lors même que vous ne pourrez plus espérer. Une telle espérance est un abandon; un tel état sera votre épreuve très douloureuse et l’œuvre de Dieu en lui. Ne lui parlez que quand vous aurez au cœur de le faire, sans écouter la prudence humaine. Ne lui dites que deux mots de grâce, sans y mêler rien de la nature.

LSP 205 Au DUC DE MORTEMART (?)

Vos dispositions sont bonnes ; mais il faut réduire à une pratique constante et uniforme tout ce qu’on a en spéculation et en désir. Il est vrai qu’il faut avoir patience avec soi-même comme avec autrui, et qu’on ne doit ni se décourager ni s’impatienter à la vue de ses fautes: mais enfin il faut se corriger ; et nous en viendrons à bout, pourvu que nous soyons simples et petits dans la main toute-puissante qui veut nous façonner à sa mode, qui n’est pas la nôtre. Le vrai moyen de couper jusques à la racine du mal en vous, est d’amortir sans cesse votre excessive activité par le recueillement, et de laisser tout tomber pour n’agir qu’en paix et par pure dépendance de la grâce.

Soyez toujours petit à l’égard de N… , et ne laissez jamais fermer votre cœur. C’est quand on sent qu’il se resserre qu’il faut l’ouvrir. La tentation de rejeter le remède en augmente la nécessité. N… a de l’expérience : elle vous aime; elle vous soutiendra dans vos peines. Chacun a son ange gardien ; elle sera le vôtre au besoin : mais il faut une simplicité entière. La simplicité ne rend pas seulement droit et sincère, elle rend encore ouvert et ingénu jusqu’à la naïveté ; elle ne rend pas seulement naïf et ingénu, elle rend encore confiant et docile.

LSP 218.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Un cavalier qui gourmande la bouche de son cheval en fait bientôt une rosse. Au contraire, on élève l’esprit et le cœur de ses gens, en ne leur montrant jamais que de la politesse et de la dignité, avec des inclinations bienfaisantes. Si on n’est pas en état de donner, il faut au moins faire sentir qu’on en a du regret. De plus, il faut donner à chacun dans sa fonction l’autorité qui lui est nécessaire sur ses inférieurs; car rien ne va d’un train réglé, que par la subordination à laquelle il faut sacrifier bien des choses. Quoique vous aperceviez les défauts d’un domestique, gardez-vous bien de vous en rebuter d’abord. Faites compensation du bien et du mal : croyez qu’on est fort heureux, si on trouve les qualités essentielles. Jugez de ce domestique par comparaison à tant d’autres plus imparfaits ; songez aux moyens de le corriger de certains défauts, qui ne viennent peut-être que de mauvaise éducation. Pour les défauts du fond du naturel, n’espérez pas de les guérir; bornez-vous à les adoucir, et à les supporter patiemment. Quand vous voudrez, malgré l’expérience, corriger un domestique de certains défauts qui sont jusque dans la moelle de ses os, ce ne sera pas lui qui aura tort de ne s’être point corrigé, ce sera vous qui aurez tort d’entreprendre encore sa correction. Ne leur dites jamais plusieurs de leurs défauts à la fois ; vous les instruiriez peu, et les décourageriez beaucoup: il ne faut les leur montrer que peu à peu, et à mesure qu’ils vous montrent assez de courage pour en supporter utilement la vue.

Parlez-leur, non seulement pour leur donner vos ordres, mais encore pour trois autres choses, 1° pour entrer avec affection dans leurs affaires ; 2° pour les avertir de leurs défauts tranquillement; 3° pour leur dire ce qu’ils ont bien fait; car il ne faut pas qu’ils puissent s’imaginer qu’on n’est sensible qu’à ce qu’ils font mal, et qu’on ne leur tient aucun compte de ce qu’ils ont bien fait. Il faut les encourager par une modeste, mais cordiale louange. Quelques défauts qu’ait un domestique, tant que vous le gardez à votre service, il faut le bien traiter. S’il est même d’un certain rang entre les autres, il faut que les autres voient que vous lui parlez avec considération ; autrement vous le dégraderiez parmi les autres ; vous le rendriez inutile dans sa fonction ; vous lui donneriez des chagrins horribles, et il sortirait peut-être enfin de chez vous, semant partout ses plaintes. Pour les domestiques en qui vous connaissez du sens, de la discrétion, de la probité, et de l’affection pour vous, écoutez-les; montrez-leur toute la confiance dont vous pouvez les croire dignes, car c’est ce qui gagne le cœur des gens désintéressés. Les manières honnêtes et généreuses font beaucoup plus sur eux, que les bienfaits mêmes. L’art d’assaisonner ce qu’on donne est au-dessus de tout.

Ne devez jamais rien à vos domestiques : autrement vous êtes en captivité. Il vaudrait mieux devoir à d’autres gros créanciers mieux en état d’attendre, et moins en occasion de vous décrier, ou de se prévaloir de votre retardement à les payer. Il faut que les gages ou récompenses des domestiques soient sur un pied raisonnable, car si vous donnez moins que les autres gens modérés de votre condition, ils sont mécontents, vous croient avare, cherchent à vous quitter, et vous servent sans affection.

Pour pratiquer toutes ces règles, il faut commencer par une entière conviction de la nécessité de les suivre et y faire une sérieuse attention devant Dieu ; ensuite prévoir les occasions où l’on est en danger d’y manquer; s’humilier en présence de Dieu, mais tranquillement et sans chagrin, toutes les fois qu’on s’aperçoit qu’on y a manqué; et enfin laisser faire à Dieu dans le recueillement ce que nous ne saurions faire par nos propres forces.

LSP 219.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

[…passagères1399.

Je ne veux jamais flatter qui que ce soit, et même dès le moment que j’aperçois, dans ce que je dis ou dans ce que je fais, quelque recherche de moi-même, je cesse d’agir ou de parler ainsi. Mais je suis tout pétri de boue, et j’éprouve que je fais à tout moment des fautes, pour n’agir point par grâce. Je me retranche à m’apetisser à la vue de ma hauteur. Je tiens à tout d’une certaine façon, et cela est incroyable, mais d’une autre façon, j’y tiens peu, car je me laisse assez facilement détacher de la plupart des choses qui peuvent me flatter. Je n’en sens pas moins l’attachement foncier à moi-même. Au reste, je ne puis expliquer mon fond. Il m’échappe, il me paraît changer à toute heure. Je ne saurais guère rien dire qui ne me paraisse faux un moment après. Le défaut subsistant et facile à dire, c’est que je tiens à moi, et que l’amour-propre me décide souvent. J’agis même beaucoup par prudence naturelle, et par un arrangement humain. Mon naturel est précisément opposé au vôtre. Vous n’avez point l’esprit complaisant et flatteur, comme je l’ai, quand rien ne me fatigue ni ne m’impatiente dans le commerce. Alors vous êtes bien plus sèche que moi; vous trouvez que je vais alors jusqu’à gâter les gens, et cela est vrai. Mais quand on veut de moi certaines attentions suivies qui me dérangent, je suis sec et tranchant, non par indifférence ou dureté, mais par impatience et par vivacité de tempérament. Au surplus, je crois presque tout ce que vous me dites; et pour le peu que je ne trouve pas en moi conforme à vos remarques, outre que j’y acquiesce de tout mon cœur, sans le connaître, en attendant que Dieu me le montre ; d’ailleurs je crois voir en moi infiniment pis, par une conduite de naturel, et de naturel très mauvais. Ce que je serais tenté de ne croire pas sur vos remarques, c’est que j’aie eu autrefois une petitesse que je n’ai plus. Je manque beaucoup de petitesse, il est vrai ; mais je doute que j’en aie moins manqué autrefois. Cependant je puis facilement m’y tromper. Vous ne me mandez point si vous avez reçu des nouvelles de N… Si vous en avez, pourquoi ne m’en faites-vous point quelque petite part ? Je suis dans…1400.

LSP 490.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Comment1401 pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. Je prie souvent le vrai consolateur de vous consoler. On n’est en paix que quand on est bien loin de soi; c’est l’amour-propre qui trouble, c’est l’amour de Dieu qui calme. L’amour-propre est un amour jaloux, délicat, ombrageux, plein d’épines, douloureux, dépité. Il veut tout sans mesure, et sent que tout lui échappe, parce qu’il n’ignore pas sa faiblesse. Au contraire, l’amour de Dieu est simple, paisible, pauvre et content de sa pauvreté, aimant l’oubli, abandonné à tout, endurci à la fatigue des croix, et ne s’écoutant jamais dans ses peines. Heureux qui trouve tout dans ce trésor du dépouillement ! Jésus-Christ, dit l’apôtre, nous a enrichis de sa pauvreté’, et nous nous appauvrissons par nos propres richesses. N’ayez rien, et vous aurez tout. Ne craignez point de perdre les appuis et les consolations ; vous trouverez un gain infini dans la perte.

Vous êtes en société de croix avec M… il faut le soutenir dans ses infirmités.

Dieu vous rendra, selon le besoin, tout ce que vous lui aurez donné. C’est à vous à être sa ressource, vous qui avez reçu une nourriture plus forte pour la piété, et qui avez été moins accoutumée à la dissipation flatteuse du monde. Ne prenez pourtant pas trop sur vous. Donnez-vous simplement et avec petitesse pour faible. Demandez au besoin qu’on vous soulage et qu’on vous épargne.

Je ne suis point surpris de ce que le torrent du monde entraîne un peu N... Il est facile, vif, et dans l’occasion ; mais il est bon. Il sent la vivacité de ses goûts, et j’espère qu’il s’en défiera: se défier de soi et se confier à Dieu seul, c’est tout. G… a le cœur excellent ; mais il ne commencera à se tourner solidement vers le bien, que quand le recueillement fera tomber peu à peu ses saillies et ses amusements. Il faut prier beaucoup pour lui, et lui parler peu ; l’attendre, et le gagner en lui ouvrant le cœur.

1121. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A Cambray, 9 janvier 1707.

[…]1402 Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle1403 entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé1404, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autres les écrits de N.1405, que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. N’y en a-t-il point trop de copies? ne les communique-t-on point trop facilement? chacun ne se mêle-t-il point de décider pour les communiquer comme il le juge à propos, quoiqu’il ne soit peut-être pas assez avancé pour faire cette décision? Je ne sais point ce qui se passe; ainsi je ne blâme aucun de nos amis1406. Mais en général je voudrais qu’ils eussent là-dessus une règle de l’auteur lui-même qui les retînt.

Il y a dans ces écrits un grand nombre de choses excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. Je n’avais point encore reçu l’avis qui regarde Leschelle, quand il est parti d’ici. Vous saurez qu’il est capable d’agir par enthousiasme, et que naturellement il est indocile. Vous pouvez facilement découvrir le fond de tout cela, et le redresser s’il en a besoin. Il importe aussi de bien prendre garde à son frère, qui a été trompé plusieurs fois. Il veut trop trouver de l’extraordinaire. Il a mis ses lectures en la place de l’expérience; son imagination n’est ni moins vive, ni moins raide que celle de Leschelle. […]1407.

1231. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C[ambrai] 22 août 1708.

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d’autrui et au-dedans notre propre faiblesse. Nous sommes véritablement petits, quand nous ne sommes plus surpris de nous voir corrigés au-dehors, et incorrigibles au-dedans. Alors tout nous surmonte comme de petits enfants, et nous voulons être surmontés. Nous sentons que les autres ont raison, mais que nous sommes dans l’impuissance de nous vaincre pour nous redresser. Alors nous désespérons de nous-mêmes, et nous n’attendons plus rien que de D[ieu]. Alors la correction d’autrui, quelque sèche et dure qu’elle soit, nous paraît moindre que celle qui nous est due. Si nous ne pouvons pas la supporter, nous condamnons notre délicatesse encore plus que nos autres imperfections. La correction ne peut plus alors nous rapetisser, tant elle nous trouve petits. La révolte intérieure, loin d’empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet la correction ne peut se faire sentir, qu’autant qu’elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu’elle nous est nécessaire.

Pardonnez-moi donc, ma bonne Duchesse, toutes mes indiscrétions. Dieu sait combien je vous aime, et à quel point je suis sensible à toutes vos peines. Je vous demande pardon de tout ce que j’ai pu vous écrire de trop dur. Mais ne doutez pas de mon cœur, et comptez pour rien ce qui vient de moi. Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu]; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres1408. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus.

1215. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C[ambrai] 8 juin 1708.

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. Il est vrai que vous avez un naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie, qui est trop sensible à tous les défauts d’autrui, et qui rend les impressions difficiles à effacer. Mais ce ne sera jamais votre tempérament que D[ieu] vous reprochera, puisque vous ne l’avez pas choisi, et que vous n’êtes pas libre de vous l’ôter. Il vous servira même pour votre sanctification, si vous le portez comme une croix. Mais ce que D[ieu] demande de vous, c’est que vous fassiez réellement dans la pratique ce que sa grâce met dans vos mains. Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. Il s’agit de réparer par petitesse ce que vous aurez gâté par une saillie de hauteur. Il s’agit d’une petitesse pratiquée réellement et de suite dans les occasions. Il s’agit d’une sincère désappropriation de vos jugements. Il n’est pas étonnant que la haute opinion que tous nos bonnes gens ont eue de toutes vos pensées depuis douze ans1409, vous ait insensiblement accoutumée à une confiance secrète en vous-même, et à une hauteur que vous n’aperceviez pas. Voilà ce que je crains pour vous cent fois plus que les saillies de votre humeur. Votre humeur ne vous fera faire que des sorties brusques. Elle servira à vous montrer votre hauteur que vous ne verriez peut-être jamais sans ces vivacités qui vous échappent : mais la source du mal n’est que dans la hauteur secrète qui a été nourrie si longtemps par les plus beaux prétextes. Laissez-vous donc apetisser [diminuer] par vos propres défauts, autant que l’occupation des défauts d’autrui vous avait agrandie. Accoutumez-vous à voir les autres se passer de vos avis, et passez-vous vous-même de les juger. Du moins si vous leur dites quelque mot, que ce soit par pure simplicité, non pour décider et pour corriger, mais seulement pour proposer par simple doute, et désirant qu’on vous avertisse, comme vous aurez averti. En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. Si vous avez reçu quelque chose pour eux, il faut le leur donner moins par correction que par consolation et nourriture.

À l’égard de M. de Ch[amillart]1410, vous ne ferez jamais si bien ce que D[ieu] demandera de vous, que quand vous n’y aurez ni empressement ni activité. Ne vous mêlez de rien, quand on ne vous cherchera pas. Vous n’aurez la confiance des gens pour leur bien, et vous ne serez à portée de leur être utile, qu’autant que vous les laisserez venir. Rien n’acquiert la confiance que de ne l’avoir jamais cherchée. Je dis tout ceci parce qu’il est naturel qu’on soit tenté de vouloir redresser ce qui paraît en avoir un pressant besoin, et à quoi on s’intéresse. Pour garder un juste tempérament là-dessus, vous pouvez consulter un quelqu’un qui en sait plus que moi1411. D[ieu] sait, ma bonne D[uchesse], à quel point je suis uni à vous, et combien je souhaite que les autres le soient.

1408. À LA DUCHESSE DE MORTEMART

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. Le même amour-propre qui fait nos défauts, nous les cache très subtilement et aux yeux d’autrui et aux nôtres. L’amour-propre ne peut supporter la vue de lui-même. Il en mourrait de honte et de dépit. S’il se voit par quelque coin, il se met dans quelque faux jour pour adoucir sa laideur, et pour avoir de quoi s’en consoler.

Ainsi il y a toujours quelque reste d’illusion en nous, pendant qu’Il y reste quelque imperfection et quelque fonds d’amour-propre. Il faudrait que l’amour-propre fût déraciné, et que l’amour de D[ieu] agit seul en nous pour nous montrer parfaitement à nous-mêmes. Alors le même principe qui nous ferait voir nos imperfections nous les ôterait. Jusque-là on ne connaît qu’à demi, parce qu’on n’est qu’à demi à Dieu, étant encore à soi beaucoup plus qu’on ne croit, et qu’on n’ose se le laisser voir. Quand la vérité sera pleinement en nous, nous l’y verrons toute pleine. Ne nous aimant plus que par pure charité, nous nous verrons sans intérêt, et sans flatterie, comme nous verrons le prochain. En attendant, D[ieu] épargne notre faiblesse en ne nous découvrant notre laideur qu’à proportion du courage qu’il nous donne pour en supporter la vue. Il ne nous montre à nous-mêmes que par morceaux, tantôt l’un, tantôt l’autre, à mesure qu’il veut entreprendre en nous quelque correction. Sans cette préparation miséricordieuse qui proportionne la force à la lumière, l’étude de nos misères ne produirait que le désespoir. Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y prépare. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. Toute autre conduite où l’on reprend avec impatience, parce qu’on est choqué de ce qui est défectueux, est une critique humaine, et non une correction de grâce. C’est par imperfection qu’on reprend les imparfaits. C’est un amour-propre subtil et pénétrant, qui ne pardonne rien à l’amour-propre d’autrui. Plus il est amour-propre, plus il est sévère censeur. Il n’y a rien de si choquant que les travers d’un amour-propre, à un autre amour-propre délicat et hautain. Les passions d’autrui paraissent infiniment ridicules et insupportables à quiconque est livré aux siennes. Au contraire l’amour de Dieu est plein d’égards, de supports1412, de ménagements, et de condescendances. Il se proportionne, il attend. Il ne fait jamais deux pas à la fois. Moins on s’aime plus on s’accommode aux imperfections de l’amour-propre d’autrui, pour les guérir patiemment. On ne fait jamais aucune incision, sans mettre beaucoup d’onction sur la plaie. On ne purge le malade, qu’eu le nourrissant. On ne hasarde aucune opération, que quand la nature indique elle-même qu’elle y prépare. On attendra des années pour placer un avis salutaire. On attend que la Providence en donne l’occasion au-dehors, et que la grâce en donne l’ouverture au dedans du cœur. Si vous voulez cueillir le fruit avant qu’il soit mûr, vous l’arrachez à pure pertes.

De plus vous avez raison de dire que vos dispositions changeantes vous échappent, et que vous ne savez que dire de vous. Comme la plupart des dispositions sont passagères et mélangées celles qu’on tâche d’expliquer deviennent fausses, avant que l’explication en soit achevée. Il en survient une autre toute différente, qui tombe aussi à son tour dans une apparence de fausseté. Mais il faut se borner à dire de soi ce qui en paraît vrai dans le moment où l’on ouvre son cœur. Il n’est pas nécessaire de dire tout en s’attachant à un examen méthodique. Il suffit de ne rien retenir par défaut de simplicité, et de ne rien adoucir par les couleurs flatteuses de l’amour-propre. Dieu supplée le reste selon le besoin en faveur d’un cœur droit, et les amis édairés par la grège remarquent sans peine ce qu’on ne sait pas leur dire, quand on est devant eux naïf, ingénu, et sans réserve.

Pour nos amis imparfaits ils ne peuvent nous connaître qu’imparfaitement. Souvent ils ne jugent de nous que par les défauts extérieurs qui se font dans la société, et qui incommodent leur amour-propre. L’amour‑propre est censeur âpre, rigoureux, soupçonneux, et implacable. Le même amour qui leur adoucit leurs propres défauts leur grossit les nôtres. Comme ils sont dans un point de vue très différent du nôtre, ils voient en nous ce que nous n’y voyons pas, et ils n’y voient pas ce que nous y voyons. Ils y voient avec subtilité et pénétration beaucoup de choses qui blessent la délicatesse et la jalousie de leur amour-propre, et que le nôtre nous déguise. Mais ils ne voient point dans notre fond intime ce qui salit nos vertus, et qui ne déplaît qu’à Dieu seul. Ainsi leur jugement le plus approfondi est bien superficiel.

Ma conclusion est qu’il suffit d’écouter Dieu dans un profond silence intérieur, et de dire en simplicité pour et contre soi tout ce qu’on croit voir à la pure lumière de Dieu dans le moment où l’on tâche de se faire connaître.

Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D[ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir.

Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. C’est se recueillir passivement, que de ne se dissiper pas, et que de laisser tomber l’activité naturelle qui dissipe. Il faut encore plus éviter l’activité pour la dissipation que pour le recueillement. II suffit de laisser faire D[ieu], et de ne l’interrompre pas par des occupations superflues qui flattent le goût, ou la vanité. Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce1413. 11 faut s’occuper peu du prochain, lui demander peu, en attendre peu, et ne croire pas qu’il nous manque quand notre amour est tenté de croire qu’il y trouve quelque mécompte. Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s’efface pas. Ce recueillement passif est très différent de l’actif qu’on se procure par travail et par industrie, en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci n’est qu’un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l’objet distinct de nos pensées au-dehors, qu’il n’est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état on fait en paix et sans empressement ni inquiétude tout ce qu’on a à faire. L’esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action, dès que l’activité de l’amour-propre commence à s’y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel et remet l’âme avec D[ieu] pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état l’âme est libre dans toutes les sujétions extérieures, parce qu’elle ne prend rien pour elle de tout ce qu’elle fait. Elle ne le fait que pour le besoin. Elle ne prévoit rien par curiosité, elle se borne au moment présent, elle abandonne le passé à D[ieu]. Elle n’agit jamais que par dépendance. Elle s’amuse pour le besoin de se délasser, et par petitesse. Mais elle est sobre en tout, parce que l’esprit de mort est sa vie. Elle est contente ne voulant rien.

Pour demeurer dans ce repos, il faut laisser sans cesse tomber tout ce qui en fait sortir. Il faut se faire taire très souvent, pour être en état d’écouter le maître intérieur qui enseigne toute vérité, et si nous sommes fidèles à l’écouter, il ne manquera pas de nous faire taire souvent. Quand nous n’entendons pas cette voix intime et délicate de l’esprit qui est l’âme de notre âme, c’est une marque que nous ne nous taisons point pour l’écouter. Sa voix n’est point quelque chose d’étranger. D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. Il ne faut qu’une volonté souple, docile, dégagée de tout pour s’accommoder à cette impression. L’esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion.Ce n’est point une inspiration miraculeuse qui expose à l’illusion et au fanatisme. Ce n’est qu’une paix du fond pour se prêter sans cesse à l’esprit de D[ieu] dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien pratiquer que les commandements évangéliques.

Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. Cela peut être et il est même naturel qu’ils aient un peu excédé en réserve dans les premiers temps, où ils ont voulu changer ce qui leur paraissait trop fort, et où ils étaient embarrassés de ce changement qui vous choquait. Mais je ne crois pas que leur intention ait été de vous manquer en rien. Ainsi je croirais qu’ils n’ont pu manquer que par embarras pour les manières. Votre peine, que vous avouez avoir été grande et que je m’imagine qu’ils apercevaient, ne pouvait pas manquer d’augmenter, malgré eux, leur embarras, leur gêne, et leur réserve. Je ne sais rien de ce qu’ils ont fait, et ils ne me l’ont jamais expliqué. Je ne veux les excuser en rien. Mais en gros je comprends que vous devez vous défier de l’état de peine extrême dans lequel vous avez senti leur changement. Un changement soudain et imprévu choque. On ne peut s’y accoutumer; on ne croit point en avoir besoin. On croit voir dans ceux qui se retirent ainsi un manquement aux règles de la bienséance et de l’amitié. On prétend y trouver de l’inconstance, du défaut de simplicité, et même de la fausseté. Il est naturel qu’un amour-propre vivement blessé exagère ce qui le blesse, et il me semble que vous devez vous défier des jugements qu’il vous a fait faire dans ces temps-là. Je crois même que vous devez aller encore plus loin, et juger que la grandeur du mal demandait un tel remède, ce renversement de tout vous-même, et cet accablement dont vous me parlez avec tant de franchise montre que votre cœur était bien malade. L’incision a été très douloureuse, mais elle devait être prompte et profonde. Jugez-en par la douleur qu’elle a causée à votre amour-propre, et ne décidez point sur des choses, où vous avez tant de raisons de vous récuser vous-même. Il est difficile que les meilleurs hommes qui ne sont pourtant pas parfaits, n’aient fait aucune faute dans un changement si embarrassant. Mais supposé qu’ils en aient fait beaucoup, vous n’en devez point être surprise. Il faut d’ailleurs faire moins d’attention à leur irrégularité, qu’à votre pressant besoin. Vous êtes trop heureuse de ce que D[ieu] a fait servir leur tort à redresser le vôtre. Ce qui est peut-être une faute en eux, est une grande miséricorde en D[ieu] pour votre correction. Aimez l’amertume du remède, si vous voulez être bien guérie du mal.

Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N…[Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. Pour moi je veux être repris par tous ceux qui voudront me dire ce qu’ils ont remarqué en moi, et je ne veux m’élever au-dessus d’aucun des plus petits frères1414. Il n’y en a aucun que je ne blâmasse, s’il n’était pas intimement uni à vous. Je le suis en vérité, ma bonne D., au-delà de toute expression.

Madame de Chevry me paraît vivement touchée de l’excès de vos bontés, et j’ai de la joie d’apprendre à quel point elle les ressent. J’espère que cette reconnaissance la mènera jusqu’à rentrer dans une pleine confiance1415, dont elle a grand besoin. Personne ne peut être plus sensible que je le suis à toutes vos différentes peines.

1442. À LA DUCHESSE DE MORTEMART.  À C[ambrai] 1 février 1711.

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. Je puis vous protester que je n’ai nullement douté de tout ce que vous m’aviez mandé auparavant. Je n’avais songé qu’à vous dire des choses générales, sans savoir ce que vous auriez à en prendre pour vous, et comptant seulement que chacun de nous ne voit jamais tout son fond de propriété, parce que ce qui nous reste de propriété est précisément ce qui obscurcit nos yeux, pour nous dérober la vue de ces restes subtils et déguisés de la propriété même. Mais c’était plutôt un discours général pour nous tous, et surtout pour moi, qu’un avis particulier qui tombât sur vous. Il est vrai seulement que je souhaitais que vous fissiez attention à ce qu’il ne faut presser le prochain de corriger en lui certains défauts, même choquants, que quand nous voyons que

D[ieu] commence à éclairer l’âme de ce prochain, et à l’inviter à cette correction. Jusque-là il faut attendre comme D[ieuj attend avec bonté et support. Il ne faut point prévenir le signal de la grâce. Il faut se borner à la suivre pas à pas. On meurt beaucoup à soi par ce travail de pure foi et de continuelle dépendance, pour apprendre aux autres à mourir à eux. Un zèle critique et impatient se soulage davantage, et corrige moins soi et autrui. Le médecin de l’âme fait comme ceux des corps qui n’osent purger qu’après que les humeurs qui causent la maladie, sont parvenues à ce qu’ils nomment une coction 3. J’avoue, ma bonne Duchesse, que j’avais en vue que vous eussiez attention à supporter les défauts les plus choquants des frères, jusqu’à ce que l’esprit de grâce leur donnât la lumière et l’attrait pour commencer à s’en corriger. Je ne cherchais en tout cela que les moyens de vous attirer leurconfiance. Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. Abandonnez-vous dans vos obscurités intérieures et dans toutes vos peines. O que la nuit la plus profonde est bonne, pourvu qu’on croie réellement ne rien voir, et qu’on ne se flatte en rien!

1479. À LA DUCHESSE DE MORTEMART. À Cambray, 27 juillet 1711.

II y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. Vous faites bien de laisser aller et venir la confiance de nos amis. En laissant tomber toutes les réflexions de l’amour-propre, on se fait à la fatigue, et la délicatesse s’émousse. Moins nous attendons du prochain, plus ce délaissement nous rend aimables et propres à édifier tout le monde. Cherchez la confiance, elle vous fuit. Abandonnez-là, elle revient à vous1416. Mais ce n’est pas pour la faire revenir qu’il faut l’abandonner.

Plus vos croix sont douloureuses, plus il faut être fidèle à ne les augmenter en rien. On les augmente ou en les voulant repousser par de vains efforts contre la Providence au-dehors, ou par d’autres efforts, qui ne sont pas moins vains, au-dedans contre sa propre sensibilité. Il faut être immobile sous la croix, la garder autant de temps que Dieu la donne sans impatience pour la secouer, et la porter avec petitesse, joignant à la pesanteur de la croix la honte de la porter mal. La croix ne serait plus croix, si l’amour-propre avait le soutien flatteur de la porter avec courage.

Rien n’est meilleur que de demeurer sans mouvement propre, pour se délaisser avec une entière souplesse au mouvement imprimé par la seule main de D[ieu]. Alors, comme vous le dites, on laisse tomber tout ; mais rien ne se perd dans cette chute universelle. Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. Le silence de l’âme lui fait écouter D[ieu]. Son vide est une plénitude, et son rien est le vrai tout. Mais il faut que ce rien soit bien vrai. Quand il est vrai, on est prêt à croire qu’il ne l’est pas; celui qui ne veut rien avoir, ne crains point qu’on le dépouille.

Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver: je me vois comme une image dans un songe. Mais je ne veux point croire que cet état a son mérite. Je n’en veux juger ni en bien ni en mal. Je l’abandonne à celui qui ne se trompe point, et je suppose que je puis être dans l’illusion. Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. Mais il faut se contenter de ce que D[ieu] fait. Il me semble que je n’ai nulle envie de tâter du monde. Je sens comme une barrière entre lui et moi qui m’éloigne de le désirer, et qui ferait, ce me semble, que j’en serais embarrassé, s’il fallait un jour le revoir. Le souvenir triste et amer de notre cher petit abbé [de Langeron] me revient assez souvent, quoique je n’aie plus de sentiment vif sur sa perte. Je trouve souvent qu’il me manque, et je le suppose néanmoins assez près de moi.

Je vous envoie ma réponse pour Mad. votre fille, dont la confiance est touchante. Je vous envoie aussi une réponse pour Mad. de la Maisonfort1417. Bonsoir, ma bonne D[uchesse] ; je suis à vous sans mesure plus que je n’y ai jamais été en ma vie1418.

§







LETTRES DE MORTEMART AU MARQUIS DE FENELON


Le fonds des lettres Guyon assemblé et relié comporte des écrits « transversaux » entre disciples, dont une série de la « petite duchesse »  au marquis de Fénelon que nous transcrivons. Elle exprime les sentiments d’entre-aide qui régnait le plus souvent entre membres des cercles « quiétistes ».

Cette série prend place entre la blessure du jeune marquis reçue en 1711 et le décès de Fénelon survenu en janvier 1715.



Lettres de la duchesse de Mortemart et de la duchesse de Guiche, depuis maréchale de Grammont, au marquis de Fénelon 1419. Originaux. Septième carton pièces 15.

Lettre 1, pièce 7472. Comme j'étais encore à Saint-Denis quand le carrosse de notre archevêque est reparti …

Comme j'étais encore à Saint-Denis quand le carrosse de notre archevêque est reparti mon cher marquis je ne fus pas avertie assez tôt pour pouvoir écrire par cette voie et celle de la poste est trop gênante pour y écrire, j'aurais pourtant été bien aise de vous faire savoir que j'avais reçu votre lettre, où les compliments que vous me faites elle m'a fait grand plaisir en apprenant que votre plaie était tout à fait cicatrisée et que votre voyage s'était passé très heureusement je vous demande de me mander de temps en temps des nouvelles de votre santé vous connaissez l'intérêt que j'y prends il n'est pas moins grand de loin que de près j'espère que vous voudrez bien me donner cette marque de votre amitié, vous êtes à une si bonne école pour le reste qu'il y aurait de la témérité à moi de vous parler sur cette matière. Je ne puis faire autre chose mon cher marquis que des vous souhaitez une docilité entière pour celui que Dieu vous a donné pour vous conduire c'est une grande grâce qu'il vous fait qui demande une correspondance souple et docile pour tout sans exception profitez-en et comptez qu'il y a beaucoup de personnes qui se trouveraient bien heureuses d'en avoir un pareil,

je reçois dans le moment votre lettre du 21 de ce mois par laquelle vous me paraissez inquiet de la première lettre vous m'avez écrit ne le soyez point je l'ai reçu très régulièrement, ne laissez pas mon cher marquis de me donner de vos nouvelles de temps en temps quoique ce ne puisse pas être par la poste dans un grand détail tel que celui que vous me faites aujourd'hui mais au moins de votre santé le bon Put [Dupuy] avec qui vous écrivez m'en dira aussi des nouvelles, je crois que vous ne devriez pas vous contenter seulement de vous rappeler la présence de Dieu dans la journée mais outre cela il faudrait vous régler à vous-même un temps marqué pour la lecture et l'oraison le matin et le soir. Cela me paraît si nécessaire pour là faciliter dans le reste de la journée que je ne puis m'empêcher de répondre à votre confiance en vous disant simplement ce que je pense, la manière et le temps vous seront réglés par notre av [sic], si vous voulez lui dire ce que nous avions réglé à Paris pour la manière il décidera ce qu'il jugera à propos mais un temps réglé me paraît d'une importance très grande, il vous en dira les avantages mieux que personne, soyez bien persuadé mon cher marquis de l'intérêt vif et sincère que je prends à vous. De Vaucresson ce 26e octobre. À Monsieur le marquis de Fénelon.

L. 2, p. 7473 de Paris ce 13e janvier. Je suis en pleine de vous n'ayant point reçu de vos nouvelles…

De Paris ce 13e janvier

Je suis en pleine de vous n'ayant point reçu de vos nouvelles depuis les lettres que je vous ai écrite m ch m, je vous prie instruisez-moi de tout ce qui vous regarde et du parti que la deb [sic] et vous prenez, j'y prends plus d'intérêt que jamais, je porte votre douleur dans mon cœur comme la mienne ; qui est bien profonde, unissons-nous de plus en plus, et que la perte que nous venons de faire nous soit un lien auprès du p m qui nous y attache sans partage, il nous y aidera et nous attirera des grâces de force et de fidélité dont nous avons besoin, il m'est plus présent qu'il ne me l'a jamais été, d'une manière bien douloureuse mais bien intime,

Md de cheuvi [sic] n'est pas bien mais elle n'est pas aussi mal que je l'ai craint. Le premier jour, elle nous alarma par un commencement de ses grandes attaques mais cela n'a pas eu de suite elle a de la fièvre comme vous lui en avez vu dans les commencements que vous avez été ici et sa même douleur différente, elle est toujours bien pénétrée de douleur, efforts occupaient de vous mon cher m et d'une manière pleine de la tendresse d'une mère on ne peut être plus contente que je le suis le sentiment qu'elle a. Je vous prie fait en sorte que Monsieur votre frère aîné reçoive mes compliments par vous en vérité il m'est impossible d'écrire [h]or[s] à vous, quoique je ne connaisse pas les trois cadets je vous prierai de les leur faire aussi, dès qu'il vous appartienne cela me suffit,

j'aurais une grande envie d'avoir quelque chose qui eut servi à notre cher p mon cher m je vous prie de me garder ce peu que vous voudrez, mais ce sera une consolation pour moi

je rouvre mon paquet pour vous envoyer une lettre de n m que je viens de recevoir pour vous, elle approuve fort la proposition que je vous ai faite de loger dans ma maison quand vous viendrez ici c'est pourquoi il n'y a plus qu'a ménager d'y faire consentir md de ch si elle a pensé à vous loger c'est ce que je ferai quand vous m'aurez mandé vos projets

je vous prie de donner ou de faire tenir cette lettre à talane [sic]

L. 3 p. 7474 de Paris ce 31e janvier. J'entrerais de tout cœur dans vos raisons mon cher m pour rester auprès de Panta sans la nécessité que nous voyons ici…

De Paris ce 31e janvier.

J'entrerais de tout cœur dans vos raisons mon cher m pour rester auprès de Panta sans la nécessité que nous voyons ici que vous veniez y faire un tour, je n'ai osé encore vous en presser aussi fortement que je le fais présentement parce que je voulais avoir la réponse de n m ne voulant pas me fier à ce qui me paraissait nécessaire mais comme je l'ai reçu hier au soir, je ne veux pas retarder à vous sur la lettre que je vous ai demandée que je lui avais écrit sur cela voici donc ce qu'elle y répond

[ce qui suit est souligné:]

je crois qu'il faut que le boiteux vienne sans délai; pour ne point commettre ses amis il pourrait retourner ensuite, je n'ai pas point reçu de lettre de lui depuis celle qu'il m'écrivit dans le moment de la mort de n p ainsi vous aurait la bonté de lui mander qu'il doit venir, puisque ses amis se sont employés pour lui de cette manière, je sais qu'à la cour il faut prendre les choses chaudement sans quoi tout tombe et ne revienne plus, je vous suis obligé de l'intérêt que vous prenez pour lui et je vous en fais un gré que je ne peux vous exprimer.

[Fin du soulignement]

vous voyez bien par là que vous ne devez pas retarder un petit voyage ici ne le différez pas je vous en prie cela est important. Je suis sûr que Panta se joindra à moi pour vous en presser parce que cela est important pour vous, il faut que la nécessité soit aussi grande pour la pouvoir préférer au secours dont vous lui êtes dans l'état où il est, moi je suis trop pénétré des mêmes sentiments que lui et vous pour n'avoir pas une vraie peine empressée de le quitter mais je vois dans l'ordre du p m si clairement depuis la réponse de n m que je ne puis que suivre ce qu'elle désire. J'espère qu'il ne m'en n'aura pas mauvais gré d'autant plus que nous ne vous garderons que le temps nécessaire, je suis inquiète de sa santé à laquelle je prends un très sincère intérêt, la perte que nous avons faite ne lie plus intimement que jamais à vous deux, tout ce qui vous regarde m'est plus cher que ce qui me regarderait l'union que j'avais avec n p est plus intime et plus forte depuis que je l'ai perdue que ce ne l'était durant il me semble qu'il ne me quitte point Dieu veuille que je ne m'en n'éloigne point par mes infidélités. Soyons toujours bien unis par lui dans le p m mon cher marquis c'est la seule chose qui nous soit nécessaire suivons chacun dans notre état ce que ce cher p nous aurait demandé et le p m se racontant de nous heureux si notre union nous devienne plus grande par la fidélité de chacun ce qui ne manquera pas puisque le p m en sera le principe, je souhaiterais que vous puissiez venir incessamment parce que je compte d'aller dimanche à Versailles et d'y être six ou sept jours, je serai fort aise d'y être encore quand vous y viendrez. Je crois que pour ce voyage nous ne pouvons rien faire pour votre logement ici md de cheuvy veut que ce soit chez elle. Nous verrons ensemble ce qui se pourra faire dans la suite quand vous serez ici elle a eu une augmentation de fièvre depuis deux jours qui m'a donné de l'inquiétude mais elle est mieux depuis hier. Elle a assez bien passé la nuit je l'ai laissé hier sans presque de fièvre.

L.4 p. 7475 de Paris ce 28e janvier, N'ayez donc plus d'inquiétude ni de peine mon cher marquis de l'effet que m'a fait votre première lettre…

De Paris ce 28e janvier,

N'ayez donc plus d'inquiétude ni de peine mon cher marquis de l'effet que m'a fait votre première lettre et soyez persuadé que je ne suis pas si épineuse ni si aisée à blesser j'ai une trop sincère et véritable amitié pour vous pour que cela et je serais bien extraordinaire d'ailleurs pour être si délicate n'en parlons donc plus et soyez bien persuadés de mes sentiments. Vous m'ête cher par vous-même et par celui que nous avons perdu j'espère que cela sera ineffaçable dans mon cœur, ce ne pourrait être que par mes infidélités que je changeasse

Les chevaux sont arrivés ici en très bon état très beaux et bons, mais il y a une chose que je ne puis passer mon cher m qui est que je les prenne sans les faire estimer ils seraient vendus considérablement plus qui m'ont coûté si on les vendait à d'autres que nous cela est clair, j'en parlais hier à md de Cheuvi qui m'a renvoyé bien loin et n'a voulu entendre sur cela aucune raison, mais je ne puis me contenter de sa réponse je vous prie donc de dire à notre cher Panta que je ne prie de vouloir bien on n'en fasse une estimation sur le pied qu'ils sont à Paris, je vous demande cette marque d'amitié je ne puis souffrir que de faire perdre un avantage considérable ; pour moi, ils sont toujours dans mon écurie on les ménagera jusqu'à votre réponse avec grande attention ne les comptant point à moi jusqu'à ce que Panta n'est accordé ce que je lui demande par vous mon cher marquis vous me ferez un grand plaisir si vous avez l'occasion de m'envoyer des cheveux de n p et de la chemise dans laquelle il est mort, plusieurs personnes me demandent quelque chose qui ait été sur lui

Monsieur le marquis de Fénelon colonel du régiment de bigore [Bigorre] infanterie à Cambray

L.5 p.7476 le 8 juillet. J'ai reçu votre lettre m c f du bas des montagnes…

Le 8 juillet.

J'ai reçu votre lettre m c f du bas des montagnes si vous y avez pu avoir aussi chaud que nous ici la neige vous en fait grand plaisir mais je crois que cela ne se trouve point ensemble, c'est tout vous dire que je n'ai quelquefois pas la force de travailler ici illis. n p encore une fois dans ma solitude mais ce n'est pas moi qui le tire si souvent de son cabinet c'est mr destouches qui l'a bien fait voyager pendant qu'il a été ici il a été à Lille et puis voir les trois dames de campagne. Cette dernière visite ne m'a point fait autant de plaisir que les autres à cause de l'extrême chaleur qui devait beaucoup l'incommoder aussi bien que la illis. nous vous aviez partagé tout cela avec lui il m'en serait pourtant illis. je compte bien que j'ai un peu de part aux souhaits que vous faites de revoir ce pays-ci et au regret d'en être éloigné et je ne serai point jalouse que n p en ait plus que moi cela est fort à sa place aussi bien sa joie augmentera aussi la mienne quand nous vous reverrons enfin il ne peut point me séparer de lui c'est mon bien et ma joie d'être unie à lui en tout, jugez s'il serait content de l'être dans votre cœur, mes trois filles vous disent bien des choses j'ai toujours ma brune que j'aime fort et que je voudrais bien être établie à portée de la voir il n'est point encore question de son retour chez elle j'espère que vous la retrouverez pour illis. elle est partie avant que je puisse illis. Je suis charmée de ce que l'on me parait content du chevalier de Fénelon je ne suis point étonné qu'il ait voulu vous accompagner aux eaux il a un très bon cœur je l'ai vu en mille occasions et quand il pourra laisser sa timidité on sera content aussi de son esprit il pense avec beaucoup de délicatesse et de sentiment et je suis sûr que le voyage qu'il fait avec lui sera un bien infini, j'ai bien envie de voir celui de Paris on nous le fais espérer de temps en temps et puis il n'arrive point, à ce qu'il y a de sûr c'est que tout ce qu'il vous appartient m'est très cher

A Monsieur le marquis de Fénelon [ajouts :] par Toulouse colonel du Rgt de Bigorre [bien écrit] A Barège Pour Bagnières

L.6 p.7477. Comment vous trouvez-vous de vos bains mon cher marquis

Comment vous trouvez-vous de vos bains mon cher marquis je souhaite fort que vous en reveniez avec une entière liberté de votre jambe je me flatte que vous en êtes persuadé, j'ai été bien aise de voir dans vos deux lettres la satisfaction que vous avez eue dans la visite que vous avez faite en chemin; il me semble que vous en avez bien profité et que vous y avez acquis une lumière avec ses accompagnements qui vous feront remplir là-dessus de d sur vous plus pleinement, c'est le seul bonheur que d'être à lui sans partage et dégagé de nous-mêmes et c'est ce dégagement qui est le plus difficile mais c'est toujours où la grâce nous fait tendre parce que c'est ce qui s'oppose le plus à son ouvrage en nous, il faut pourtant avoir de la patience avec soi-même et vouloir bien se voir tel que l'on est dans la vérité sans se flatter c'est ce qui produit en nous l'humilité réelle qui va à nous mépriser nous-mêmes, la lumière de Dieu nous conduira toujours là tant que nous lui laisserons la liberté de nous éclairer, la fidélité à la prière est un moyen sûr et plus nécessaire que la nourriture ne l'est au corps sans comparaison, elle nous donne connaissance de la pureté de Dieu et de l'éloignement où nous en sommes, mais en même temps une force et un courage qui ne se rebute point du grand travail que nous avons à faire parce que nous n'attendons rien de nos propres forces qui ne sont que faiblesse mais que tout notre cont... et notre courage est en Dieu nous contentant d'être fidèle à chaque moment, sans se laisser aller au découragement quand nous y avons manqué, étant toujours prêt à recommencer à travailler et à mettre notre confiance en Dieu.

Nous sommes toujours dans une affligeante situation ici mon cher marquis, beaucoup plus mauvaise que quand vous êtes partis, donnant de la fièvre, toujours une pente au dévoiement, une maigreur qui augmente toujours et un affaiblissement si grand qu'il ne peut presque plus demeurer debout, de très mauvaise nuit mais assez fréquemment, malgré cet état, on parle d'un voyage de Bourbon pour la seconde saison, je vous avoue que je ne vois pas grande apparence qu'il puisse soutenir ce voyage à moins que d'ici à un mois qu'il faudra partir il ne se remette considérablement ce que nous n'avons pas trop lieu d'espérer jusqu'à présent, il faut adorer les desseins de Dieu et s'y soumettre en paix dans les choses les plus dures et les plus intéressantes de la vie et attendre qu'il nous manifeste ses desseins, vous connaissez trop mes sentiments pour vous mon cher marquis pour que je doute ne devoir pas vous faire de nouvelle manifestation je vous assure seulement que je prends un intérêt bien vif et bien sincère à tout ce qui vous regarde

L.7 p.7478 de Paris ce 22e février. Si les occasions ne m'avaient pas manqué mon cher marquis…

de Paris ce 22e février

Si les occasions ne m'avaient pas manqué mon cher marquis je n'aurais pas été si longtemps sans vous assurer que je suis tout touchée de votre attention pour moi depuis que je suis incommodée, elle me fait un grand plaisir par le cas que je fais de votre amitié et par les sentiments que j'ai pour vous, ma santé est très languissante, point de vrai mal mais des incommodités continuelles qui sont pénibles, je suis inquiète de votre jambe que l'on m'a dit qui ne s'allongeait pas autant qu'on l'avait espéré Chirac [le chirurgien] est persuadé qu'il faut absolument que vous alliez à Barège sans aucun retardement et est sûr que ses eaux feront tout l'effet que l'on peut souhaiter.

Vous avez raison mon cher marquis de croire que je suis bien aise d'apprendre par vous que sentez bien des misères, nous avons besoin d'en sentir de grandes et fréquentes pour nous détromper de nous-mêmes et de l'estime que nous en avons, le mal qui paraît au-dehors est bien plus aisé à guérir que celui qui est au-dedans sans paraître, le mal de l'estime et de l'amour-propre est si grand et si opposé à la vérité qu'il faut que la miséricorde de Dieu nous fasse savoir avec ménagement notre erreur en nous fortifiant pour en supporter la vue, qui accablerait sans son secours, il faut nous accoutumer à nous voir tel que nous sommes et que l'amour de la vérité soit au-dessus et détruise notre amour-propre, c'est un grand ouvrage mon cher marquis que Dieu fera en vous à ce que j'espère avec les secours qu'il vous donne dont je ne doute pas que vous ne profitiez, je vous assure que personne n'y prend plus d'intérêt que moi, je crois que vous me rendez justice sur cela je le souhaite de tout mon cœur mon cher marquis que j'ai commencé une lettre pour notre av [sic] que je n'ai pu achever ayant je suis bien fâchée de ne pouvoir profiter de cette occasion sûre pour lui écrire je vous prie mon cher marquis de l'assuré de ma reconnaissance et marques de mon amitié et de la continuation de mes sentiments

L.8 p.7479 de Vaucresson ce 22e avril. Je vous assure mon cher marquis que je ressens fort et avec peine la circonstance où je me trouve d'être éloigné de Paris pendant le petit séjour que vous y faites…

De Vaucresson ce 22e avril

Je vous assure mon cher marquis que je ressens fort et avec peine la circonstance où je me trouve d'être éloigné de Paris pendant le petit séjour que vous y faites mais il faut s'accoutumer à ces petits contretemps de providence qui nous mortifie et qui nous font faire la volonté de Dieu préférablement à la nôtre, son ordre m'est marqué ici par l'état où est Monsieur de Beauvilliers qui a besoin de quelqu'un qui lui tienne compagnie et son état lui éloignant tout autre je crois que je peux le laisser j'en souffre par rapport à vous je vous assure, j'aurais été fort aise que votre voyage eut été dans un autre temps ou plus tôt ou plus tard, mais enfin Dieu qui l'a permis sait toujours le meilleur temps pour nous et nous voulons autre chose, nos petites infidélités doivent nous humilier profondément mon cher marquis et nous porter à nous approcher de Dieu pour y prendre des forces à préférence d'un amusement ; et l'oraison est un sujet d'humiliation grande mais qu'il est bon de connaître de quoi nous sommes capables par nous-mêmes nous pouvons tirer un grand profit de nos fautes en nous faisant connaître le peu que nous pouvons et la préférence que nous donnons à la plus légère satisfaction, à être avec notre Dieu qui nous attend sans nous violenter pour nous communiquer des grâces infinies, nous ne nous servons souvent de cette liberté que pour nous satisfaire en nous éloignant de lui, lui seul peut affermir notre bonne volonté et l'augmenter ayant donc recours à lui sans confiance en nous-mêmes ce qui l'offense plus que l'infidélité, même acquiesçons à la lumière qu'il nous donne de notre impuissance à tout bien sans lui et soyons contents de devoir à lui seul le bien que lui seul fait en nous, j'espère mon cher marquis que si je ne puis vous voir à ce voyage ici à votre retour que je compte que vous repasserez de même par Paris nous pourrons nous voir je le souhaite fort je vous assure

L.9 p.7480 de Saint-Denis ce 16e avril. Continuez mon cher marquis à me donner de vos nouvelles…

De Saint-Denis ce 16e avril

Continuez mon cher marquis à me donner de vos nouvelles par votre laquais sans vous en donner la peine, le petit mot que vous y avez mis m'a fait plaisir vous êtes uni de loin comme de près, Dieu fait son ouvrage par là, je suis très persuadé qu'il vous pourvoira sur cela c'est un point bien essentiel pour vous, rendez-vous à lui mon cher marquis et selon l'étendue qu'il vous montre vous y trouverez une paix qui ne s'éprouve dans toute son étendue que quand on est souple à cette voie qui nous parle au fond du cœur, c'est là où nous devons rentrer souvent pour l'entendre. La fidélité à la suivre diminue à mesure la peine que le naturel nous fait sentir, plus on la suit plus elle devient aisée, je souhaite fort que vous éprouviez bientôt le bonheur de changer l'esclavage de la nature contre le joug doux et léger du seigneur, c'est à ce que je crois où il vous appelle, la petitesse simplicité recueillement pouvant y faire arriver, Dieu sait à quel point je suis intéressée

L.10 p.7481 De Saint-Denis ce 29e avril, Je suis inquiète mon cher marquis des suites de la brûlure…

De Saint-Denis ce 29e avril

Je suis inquiète mon cher marquis des suites de la brûlure que l'on vous a faite qui selon ce que vous me mandez a été aussi forte que les autres mandez-moi je vous prie ce que disent les chirurgiens sur l'état de la plaie et des esquilles croient-ils avoir encore besoin de revenir à des opérations je vous assure que je suis intéressée aussi vivement que si vous étiez mon fils, vous m'êtes souvent présent ici devant Dieu la même pente que j'ai étant avec vous d'être en silence vous fais être présent ici quand j'y suis, je suis bien contente de savoir que l'éloignement ne nous empêche pas d'être ensemble auprès de Dieu, c'est un commerce que lui seul fait connaître et qui le doit faire, l'expérience qu'il vous donne mon cher marquis de vos faiblesses est un trésor intime ouvrez-y votre cœur afin que sa lumière qui est vérité approfondisse en vous la réelle connaissance du rien de la créature et du tout de Dieu, ce n'est que dans cette connaissance que l'on se peut dire dans la vérité, soyons contents de ne rien voir en nous de satisfaisant et de bon puisse que nous trouverons tout en Dieu en nous et approchant de plus en plus et lui ouvrant notre cœur sans réserve, petitesse et humilité réelle, est ce qui l'engage à le vider de nous-mêmes et à le remplir de lui-même.

Vous savez ce que je vous ai dit je ne m'en dédit point pour peu que je puisse vous être bonne à quelque chose vous n'avez qu'à parler, je sortirai contente de ma solitude sans même la regretter tout m'est égal dans l'ordre de Dieu que je suivrai très aisément et avec plaisir pour vous, il n'y en a pas beaucoup pour qui je le fisse de cette manière, je vous demande donc d'agir simplement et de suivre ce que Dieu vous mettra au cœur sans raisonner. Faites je vous prie milles amitiés à notre cher Pantapoline elle m'inquiète fort je suis affligée de son entêtement,

elle doit être un exemple combien il est fâcheux de ce trop laisser aller à ses entêtements ce qui est encore pis par rapport à Dieu quant... [fin de page]

Monsieur le marquis de Fénelon

L.11 p.7482 De Paris ce 26e janvier, En quel état sont les affaires de notre cher Panta…

De Paris ce 26e janvier

En quel état sont les affaires de notre cher Panta mon cher marquis l'intérêt que je prends de toute façon dois me faire pardonner ma curiosité au moins je l'espère, ce qui me la donne présentement c'est que je crois qu'il serait bien nécessaire que vous vinssiez présentement paraître devant le r ceux qui ont fait toutes sortes de démarches pour vous le croit nécessaire et moi aussi il y a eu que le secours dont vous y étiez à Panta qui m'a empêché de vous empresser votre séjour ici pourrait n'être pas long mais je le crois nécessaire et le plus tôt sera le mieux voyais ensemble ce qu'il est possible que vous fassiez sur cela et ne retardez pas à vous déterminer

Monsieur le marquis de Fénelon colonel du régiment de Bigorre à Cambray

L.12 p.7483 De Paris ce 24e janvier, Je suis bien peinée mon cher m d'avoir si mal entendue votre première lettre…

De Paris ce 24e janvier

Je suis bien peinée mon cher m d'avoir si mal entendue votre première lettre je vous assure comme je vous l'ai marqué dans ma réponse qu'elle me illis. Je l'ai montré même au b p qui la comprit comme moi mais votre dernière me fait voir que je me suis trompée je vous en demande pardon, n'en parlons plus, je ne crois pas que vous puissiez faire aucun projet d'assuré présentement selon toutes les apparences Panta ne restera pas longtemps où il est et vous par l'état et les circonstances où Dieu vous met je ne crois pas que ce soit à cette vie qu'il vous appelle n m à qui j'en ai écrit tout au long en décidera. Il me paraît que présentement vous remplissez ce qu'il demande en restant auprès de Panta tout le temps qu'il le souhaitera, vous lui devez cela de toute manière votre bon cœur ne vous permettrait pas de faire autrement, mais je ne doute pas qu'il ne vous presse lui-même dans quelque temps de venir ici vous montrer à Versailles, les dispositions y paraissent favorables mais comme les occasions ne sont pas présentes il me paraîtrait nécessaire que vous fissiez ressouvenir de vous en vous montrant vous avez d'ailleurs de l'obligation à plusieurs personnes qui ont fait des merveilles à qui vous devez quelque marque de reconnaissance, je ne parle pas de mes proches et de nos amis car ceux-là se contenteront de tout ce qui vous conviendra, mais vos parents seront plus délicats et vous leur devez plus d'extérieur qu'aux autres, d'ailleurs les premiers entreront dans vos sentiments par rapport à Panta autant que moi, c'est pourquoi il ne s'agit que d'être avec lui autant que les tristes occupations qu'il a présentement l'occuperont et de le soulager comme je suis sûre que vous faites, mais après cela venir faire un petit tour ici, je ne crois pas que vous puissiez vous en dispenser j'espère que nous aurons dans peu de temps la réponse de n m qui décidera sur tout, je vous en enverrai la réponse dès que je l'aurai, voulez-vous que je lui envoie la lettre que vous devez m'adresser par la porte ou bien si j'attendrai une voie sûre qui pourra venir dans peu, md de Cheuvy est toujours de même souffrant avec une fièvre qui n'a nulle règle elle n'est pas plus mal que quand vous l'avez vu mais d'aussi grands maux et aussi longs sont toujours à craindre pour les suites, son tempérament l'a tiréed'états aussi fâcheux, sa douleur me fait plus craindre que ces maux elle est grande et bien juste, ne m'oubliez pas à Panta j'espère que notre commune douleur vous unira plus que jamais ce qui sera assurément selon le cœur de n p, qui m'est plus présent que jamais

L.13 p.7484 De Saint-Denis ce 27e avril, Ce n'est point pour vous faire des reproches mon cher marquis, mais je vous dirai qu'il y a longtemps que je n'ai su quelques détails de votre plaie…

De Saint-Denis ce 27e avril,

Ce n'est point pour vous faire des reproches mon cher marquis, mais je vous dirai qu'il y a longtemps que je n'ai su quelques détails de votre plaie, je crois vous vous en êtes rapporté aux assurances que le g abbé vous a données qu'il m'écrirait, mais il ne m'a parlé de vous qu'en général le grand détail n'a été que sur ce qui regarde md de Cheuvy je suis fort aise de le savoir y prenant beaucoup de part assurément mais ce qui vous regarde ne me tient pas moins au cœur, je sais en général que l'on vous a brûlé trois fois depuis que je suis ici ce qui me paraît plus pressant que devant je n'en sais ni la raison ni quel succès ces opérations ni ce que juge Chirac et les chirurgiens de la longueur que cela aura, enfin je vous demande sur cela un détail par votre laquais comme vous me l'avez promis, et ne vous croyez point obligé d'y mettre un mot de votre main je vous en prie ; à moins que Dieu ne vous presse de le faire, mais je crains qu'un peu de cérémonie ne vous l'ai fait faire ce qui coûte beaucoup et qui je crois vous en aura rebuté, ce que l'on fait quand Dieu le demande ne coûte point mais ce qui n'est que naturel est tout différent, je vous souhaite mon cher marquis la bonne habitude d'écouter au fond de votre cœur ce que Dieu vous demande et la fidélité de le suivre je pense qu'il vous fera connaître que ce n'est que par lui que vous devez agir avec moi sur tout, avec simplicité en bannissant tout ce qui peut sentir la cérémonie que ce soit par lui et en lui que soit notre liaison

pour Monsieur le marquis de Fénelon

L.14 p.7485 De Paris ce 21e janvier, Je suis bien fâché mon cher m de vous avoir privé pendant quelques jours de la consolation de la lettre de n m

De Paris ce 21e janvier

Je suis bien fâché mon cher m de vous avoir privé pendant quelques jours de la consolation de la lettre de n m mais je vous en ai mandé la raison, comme vous l'avez reçu présentement je crois que vous m'aurez pardonné, il faut qu'avec simplicité je vous dise ce qui m'a passé par la tête sur ce que vous me mandez, je vous avoue que j'ai trouvé que vous vous étiez décidé sur le parti que vous prenez d'une manière qui m'a surprise, j'avais cru que vous ne le feriez jamais sans le conseil de n m, et que la situation vous vous vous trouvez par la douleur et par tout le reste vous mettait moins en état de vous décider vous-même qu'en nulle occasion de votre vie, je ne doute pas que vous ne le pensiez comme moi mais je ne sais si vous l'avez fait, il n'est pas toujours question des goûts pour nous conduire, et ce goût même change et n'est pas toujours le même, il ne serait pas prudent même selon le monde de se livrer et décider par le goût pressant cela ferait dans la vie bien des hauts et bas, l'expérience de tout ce que l'on voit dans le monde et de ce que chacun expérimente donne de la défiance pour le suivre, à plus forte raison vous qui êtes au p m, et qui je suis sûre de volonté aperçue ne voulez rien déterminer que selon ses desseins sur vous, profitons donc de la seule lumière qui nous reste tant qu'il voudra bien nous la laisser, en ne tenant rien que par dépendance quelque bon que nous paraissent les partis que nous voulons prendre ne les prenons jamais par nous-mêmes mais par son conseil je vous dis mon cher m ce que je fais moi-même et je ne trouve de repos et de sûreté qu'en le faisant,

md de Cheury est toujours à l'ordinaire souffrante, une fièvre irrégulière et les douleurs différentes que vous lui avez vues, sa douleur ne diminue point et nous a fait craindre quelques jours une plus mauvaise nuit pour sa santé, qui était déjà bien attaquée mais j'espère qu'elle pourra se remettre peu à peu elle m'a dit qu'elle vous en ferait savoir des nouvelles tous les jours sans cela je vous en manderai plus souvent, je ne manquerai jamais d'attention pour vous marquer mon cher m mes sentiments pour vous qui sont très sincères vous n'en doutez pas au moins je m'en flatte

L.15 p.7486 De Paris ce 18e janvier, J'oubliais de mettre dans ma dernière lettre celle que je devais vous envoyer de n m

De Paris ce 18e janvier

J'oubliais de mettre dans ma dernière lettre celle que je devais vous envoyer de n m mon cher marquis comme j'ai su depuis que vous étiez allés à Lille pour quelques jours et que je n'avais reçu aucune réponse de vous j'ai voulu attendre à être assuré de votre retour pour vous renvoyer la lettre que je viens de recevoir me l'apprenant je ne perds pas un moment à vous l'envoyer, je ne puis m'empêcher de vous marquer l'étonnement où je suis des sujets que vous me marquez obstacle à la proposition que je vous ai faite de loger dans ma maison, je n'ai point prétendu vous contraindre en vous la faisant, l'extrême prudence et la politique m'en a étonné, pour ce qui est de ma famille je vois en âge et en liberté de faire dans ma maison ce qui me convient, je n'ai pas tenu d'en parler à mon fils et à ma belle-fille, je croyais vous avoir mandé qui y ont entrée par rapport à nous-mêmes avec plaisir, pour le monde j'assure que ma prudence ne m'a rien fait envisager de ce côté-là, pour le dernier que vous citez m'est encore moins entré dans l'esprit, je suis accoutumé à aller simplement sans tant de raffinement la décision de n m est la seule chose que j'ai cru nécessaire, ce qui est dans l'ordre du p m voilà à vous dire mon unique raffinement, cela fait les hommes ne me sont pas grand-chose, je comptais que sa décision vous suffirait aussi bien qu'a moi, il est toujours bon que vous sachiez ce qu'elle m'a mandé sur cela en réponse de la proposition que je lui en ai faite tout simplement, voilà ses propres paroles que j'ai copiées,

[souligné:]

je suis très contente de la pensée que vous avez eue de donner un appartement chez vous au pauvre boiteux. Il y sera plus librement et plus avantageusement pour son âme que partout ailleurs prenez donc vos mesures là-dessus

[fin de soulignement]

pour ce qui est de md de Chauvy il lui sera assez difficile de vous loger et Panta que l'on ne laissera pas je crois longtemps libre de suivre le parti que vous me paraissez prendre si brusquement, son fils qui sortira dans peu du collège sera encore un obstacle, les meubles et la dépense qu'elle n'est point en état de faire ou qui se prendrait sur le bien de son fils me paraissent de grands obstacles à faire sur cela ce que son bon cœur souhaiterait et vous-même ne le voudriez pas, quand dans ses commencements elle ne le pourrait continuer, ce qu'il y a de certain et sur quoi vous devez compter c'est que je serais toujours avec plaisir votre pis aller et qu'en quelque temps que vous vouliez recevoir mon offre vous serez le très bienvenu. Vous me faites un grand plaisir sur ce que vous me mandez de Panta je ne suis pas étonné qu'un aussi grand coup et aussi douloureux fasse sur elle impression et un changement avantageux en lui, il a un trop bon cœur pour les hommes pour ne le pas donner tout entier à Dieu qui le mérite uniquement, nous aurons tous un bon intercesseur auprès du p m tâchons d'être fidèles et il ne nous manquera pas, mais ne cherchons point la sagesse et la prudence humaine si contraire au p m enfant

L.16 p.7487 De Paris ce septième janvier, Continuez à m'entretenir en droiture…

De Paris ce septième janvier

Continuez à m'entretenir en droiture par les courriers ou par la porte mon cher f j'en ferai l'usage que vous pouvez souhaiter régulièrement et sans y manquer, que ne puis-je y aller avec le bon p sa douleur est bien augmentée par l'éloignement ce serait une grande consolation d'être présent en vérité j'ai le cœur déchiré et accablé

Monsieur le marquis de Fénelon au palais archiépiscopal à Cambray

L.17 p.7488 Le cinq de mai, Je ne saurais laisser partir le chevalier m d f sans vous faire souvenir de moi…

Le cinq de mai

Je ne saurais laisser partir le chevalier m d f sans vous faire souvenir de moi et vous dire que personne ne s'intéresse plus tendrement que moi à tout ce qui vous regarde je regrette tous les jours le temps de trop que vous êtes à Paris que vous auriez pu passer à Cambrai, au moins ne perdez pas le temps de la première saison et revenez promptement au rendez-vous de illis. Il me fait d'avance un grand plaisir à propos de plaisir il faut que je vous dise celui que m'a fait votre petit chevalier mais à condition que vous ne lui en fassiez pas le second tome de l'algèbre

Il m'a montré une de vos lettres dont il était charmé illis. aussi et il veut absolument que vous m'écriviez comme à lui il y a mille ans que je sens un entre deux entre vous et moi qui me fais de la peine, et c'est que nous n'avons point assez de la confiance que nous doit donner notre amitié vous ne vous en apercevez peut-être point mais moi qui passe ma vie fort seulement je sens bien qu'un ami qui pense comme vous ne serez souvent fort utile et fort constant, j'ai toujours ma grande compagnie qui est comme la plupart des choses du monde qui donne aux moins autant de peine que de plaisir, on m'a promis d'écrire pour l'affaire dont je vous ai parlé dans une lettre que j'ai donnée pour vous il y a plusieurs jours au petit chevalier je vous en fait part comme d'une chose que j'ai fort à cœur et que je compte qui dois vous faire plaisir aussi je voudrais que maman fut un aussi bon parti bien et d'ailleurs plus je vis avec elle et moins il la troquerait pour une autre le cher oncle pense de même, j'espère que vous en faites autant il ne la gronderait point pendant votre absence car personne ne prendrait un parti elle ne plaît pas à tout le monde mais je crois qu'elle n'en vaut pas moins illis. m c f vous ne sauriez aller trop loin en pensant à l'estime pleine de tendresse que j'aurais toute ma vie pour vous je vous demande très sérieusement à le suivre à l'égard du chevalier

Monsieur le Marquis de Fénelon à Paris

Lettre p.7489 (autre rédactrice) Si la part que j'ai prise Monsieur à ce que vous avez souffert avait pu adoucir vos peines…

[d'une écriture distincte]

Si la part que j'ai prise Monsieur à ce que vous avez souffert avait pu adoucir vos peines elles eussent été plus légères, après avoir demandé pour vous la patience dans vos vives douleurs je lui demanderai de tout mon cœur qu'il vous fasse faire bon usage de la santé et même de la vie qu'il vous a rendue la défiance que vous avez de vous-même vous garantira des chutes ordinaires aux personnes de votre âge si vous y joignez une grande confiance en Dieu un soin exact de retourner souvent en vous-même pour y chercher Dieu avec amour et fidélité si vous prenez quelque temps le matin avant tout autre emploi pour vous consacrer à lui le priant de vous garder lui-même afin que que vous ne lui soyez pas infidèle qui vous empêche de vous égarer et si vous étiez assez malheureux pour le faire qu'il vous rappelle à lui ensuite recueillez vous profondément et demeurez quelque temps dans un silence humble et respectueux que vous entremêlerez d'affections et d'actes selon votre besoin ; durant le jour lorsque vous vous trouverez trop dissipé et que vos passions se réveilleront rentrez en vous-même quand ce ne serait que le temps d'un clin d'œil pour implorer sans rien dire le secours de Dieu et je m'assure que ces petites pratiques qui paraissent peu de choses vous seront très utiles si je puis vous être bonne à quelque chose je me ferai un plaisir de vous marquer par mon exactitude combien je vous honore en Jésus-Christ mais étant proche de la source de quelle utilité vous peut être un petit ruisseau qui tout petit qu'il est ne vous refusera jamais les eaux que le seigneur lui a données si j'osai j'assurerai de mon respect une personne que j'honore extrêmement.












Annexes

Annexe. Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie : une équipe ?

Les figures très importantes sont en gras et importantes figurent en italiques.

1712 Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712

1714 Paul de Beauvillier 1648-1714

1715 François Lacombe 1640-1715

1715 François de Fénelon 1652-1715

1716 Duch.de Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

1717 Madame Guyon (1648-1717)

1719 Pierre Poiret (1646-1719)

1726 Le Dr. James Keith (-1726)

1726 James Garden (1645-1726)

1731 Wolf von Metternich (-1731).

1732 Duch.de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

1733 Georges Garden (1649-1733).

1733 Duch.de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

1737+Isaac Dupuy >1737

1740 Pétronille d’Echweiler (1682-1740)

1743 Le « chevalier » Ramsay (1686-1743)

1746 Marquis de Fénelon 1688-1746

1748 Marie-Christine de Noailles, duch.de Gramont ‘la colombe’ 1672-1748

1750 Marie-Anne de Mortemart -1750 [née Colbert]

1752 Jean-François Monod (1674-1752)

1761 James 16th Lord Forbes 1689-1761

1764 Lord Deskford 1690-1764

1764 James Ogilvie, Lord Deskford (1690-1764).

1769 Gerhard Tersteegen (1697-1769)

1774 Frédéric de Fleischbein (1700-1774)

1774 Klinckowström (apr.1700?-1774), gentilhomme danois.

1793 Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793)



1710+ 7

1720+ 2

1730+ 5

1740+ 4

1750+ 2

1760+ 4

1770+ 2

1780+

1790+ 1

1800+

27 figures au total dont nous considérons 26 de 1710 à 1780 soit une densité 3.7 proche de 4 figure / décennie

Discussion

Selon Ssaint-Simon, « la duchesse de Mortemart [‘la petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. »

D’où une hésitation entre Mortemart et « la Colombe » car le nom de la seconde figure circule aussi auprès de disciples écossais : nous relevons in Henderson, Mystics of the Nort-East, lettre XLVIII from Dr. James Keith to lord Deskford, London, nov?. 15th, 1758, la note 11 de son éditeur : « Cf. Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163, quoting a letter which says " priez pour moi, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche." It is pointed out that the Maréchale de Grammont " avait succedé à Mme Guion dans l'état apostolique," her letters to pious correspondents are mentioned, and a letter from her is transcribed. This is the same person : le duc de Guiche took the title duc de Gramont in 1720 on the death of his father. He was maréchal de France. V. Biographie universelle, xxi, pp. 626 f. » (fin de la note d’Henderson).

Il faut aussi tenir compte d’apports « parallèles » des deux duchesses veuves de Chevreuse et de Beauvillier, sans oublier le fidèle Dupuy ni le marquis de Fénelon

On a affaire à une « équipe » : Mortemart, « la Colombe », les deux veuves des Ducs, Dupuy et le marquis de Fénelon… Sans qu’une de ces cinq figures ne s’impose exclusivement.




Annexe. Les enfants Colbert

Le 13 décembre 1648, Jean-Baptiste COLBERT épouse Marie Charron, fille d’un membre du conseil royal. Ensemble, ils auront neuf enfants. En étroite correspondance avec Fénelon et avec madame Guyon certains d’entre eux sont directement ou en relation par mariage avec les principaux destinataires de Lettres spirituelles .

Il s’agit de BLAINVILLE, des duchesses de CHEVREUSE et de BEAUVILLIER, de « la petite duchesse » de MORTEMART. Le marquis de Seignelay et l’archevêque de Rouen furent également en relation avec Fénelon.

On peut dire que presque toute la famille fut en correspondances.

Voici la liste des neuf enfants  :

1.Jeanne-Marie (1650-1732)

mariée à Charles-Honoré d’Albert de Luynes duc de CHEVREUSE (1656-1712) ;

2.Jean-Baptiste (1651-1690), marquis de Seignelay ;

3.Jacques-Nicolas (1654-1707), archevêque de Rouen ;

4.Henriette-Louise (1657-1733) 

mariée à Paul de BEAUVILLIER (1648-1714), marquis de Saint-Aignan puis duc.

5.Antoine-Martin (1659-1689) ;

6.Jean-Jules-Armand (1664-1704), marquis de BLAINVILLE ;

7.Marie-Anne (1665-1750) « la petite duchesse » pour Mme Guyon

Cette cadette (l’adjectif « petite ») ‘reprend le flambeau’ au sein du cercle des disciples après à la mort de Mme Guyon.

mariée à Louis de Rochechouart, duc de MORTEMART (neveu de Madame de Montespan) ; postérité dont notamment Talleyrand ;

8.Louis (1667-1745), comte de Linières, garde de la Bibliothèque du roi et militaire ;

9.Charles-Édouard (1670-1690), comte de Sceaux.



Annexe. Les enfants Mortemart

Relevé Wikipedia :

Marie-Anne Colbert, née en 1665 et morte en 1750, est la troisième fille de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des finances de France, secrétaire d'État de la Maison du Roi et Secrétaire d'État de la Marine, ainsi que de Marie Colbert, cousine par alliance avec Alexandre Bontemps (né en 1666).

Elle s'est mariée le 14 février 1679 à Louis de Rochechouart, duc de Mortemart d'où 5 enfants :

- Louis II de Rochechouart (1681-1746), duc de Mortemart marié en 1703 avec Marie Henriette de Beauvilliers puis en 1732 avec Marie Élisabeth de Nicolay. 

- Jean-Baptiste I de Rochechouart (1682-1757), duc de Mortemart marié en 1706 avec Marie Madeleine Colbert, sa cousine.

- Marie-Anne de Rochechouart de Mortemart (1683-avant 1750), religieuse.

- Louise-Gabrielle de Rochechouart de Mortemart (1684-1750), religieuse.

- Marie-Françoise de Rochechouart de Mortemart (1686-1771) mariée en 1708 avec Michel Chamillart, marquis de Cany puis en 1722 avec Jean-Charles de Talleyrand, prince de Chalais .















Je souligne :


1. entre crochets : mes ajouts, soit des incipit de lettres non titrées, des références à mon éditions Madame Guyon Correspondance I Directions spirituelles [CG I],…


2.quelques passages de Keith et autres qui me paraissent notables du point de vue de l’école Bernières-Bertot-Guyon-Fénelon… ou qui portent sur la vie intérieure (choix réduit).



µ Dernière lettre/traité à étudier; notes corrigées approximativement.




MYSTICS OF THE NORTH-EAST



INCLUDING

I. LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS TO LORD DESKFORD

II. CORRESPONDENCE BETWEEN DR. GEORGE GARDEN AND JAMES CUNNINGHAM




EDITED, WITH INTRODUCTION AND NOTES, BY G. D. HENDERSON, B.D., D.LITT.

REGIUS PROFESSOR OF CHURCH HISTORY IN THE UNIVERSITY OF ABERDEEN

ABERDEEN PRINTED FOR THE THIRD SPALDING CLUB MCMXXXIV



PREFACE

THE Charter Room of Cullen House, Banffshire, is rich in letters of historical interest. Many of these have already been published. /1/ The present volume contains another selection of the Cullen House Letters, consisting chiefly of those which reached Lord Deskford from his friend James Keith, M.D., in the period 1713-23.

The interest of these documents is varied. They shed some new light upon the biography and character of a number of prominent men in the North-East of Scotland who were involved in the ‘Fifteen, and elucidate the extent and nature of their concern with a curious religious movement. They were good Scots and good Episcopalians, but they engaged in a correspondence with certain French Roman Catholic mystics, especially the celebrated Madame Guyon, and eagerly studied mystical literature, in particular the books edited by Pierre Poiret, a French Protestant mystic residing in Holland. The letters to and from Madame Guyon and the books issued by Poiret passed through the hands of an Aberdeen medical man in London, Dr. James Keith, and his Letters provide us with entirely new information regarding these remarkable foreign influences, revealing some of the Jacobite sympathisers in a new light, and showing a side of the Scottish political situation to which little attention has been directed. In addition the letters offer incidental information on many events of the day, and reflect the social conditions of the period.

An attempt has been made to bring out in the footnotes the significance of any references in the text which might not be obvious, and also to identify the many personages mentioned. The process of identification was not always easy, and was not made easier by the practice of using mere initials. In a few cases no certainty was reached, and in some the attempt at identification has meantime

/1/ Hist. MSS. Corn., Rep. XIV, App. III (1894) ; Scot. Hist. Soc., Seafield Correspondence (1912) ; Scot. Hist. Soc., Lord Seafield's Letters (1915).

been definitely unsuccessful/1420. The Editor would welcome evidence which readers may be able to provide towards clarifying any points or correcting any misunderstandings.

The Correspondence between Dr. George Garden and James Cunningham of Barns is published from a manuscript copy in the Scottish Episcopal College, Edinburgh. The opportunity is taken to publish the correspondence in this volume, because it shows the profound interest which certain of the Episcopalian landed gentry of Scotland were taking in religious matters, and how earnestly they were seeking escape from the unsatisfactory outward Church conditions of their time, and because it makes plain the extraordinary length to which such honest interest may drive pious souls unless very wisely directed, and because it reveals the sanity of judgment of Dr. George Garden in the matter of religious enthusiasm, offering a full refutation of the popular opinion of him in the Church of his day as a dangerous heretic and a "raving enthusiast." The phenomenon of the French prophets has recently been studied with reference to their English adventures. These Letters give us new knowledge of their influence and are an important addition to our information regarding their invasion of Scotland.

Acknowledgment is most gratefully made of the kindness of the Seafield Trustees in allowing the Letters from James Keith, M.D., to be published, and of David T. Samson, Esq., Seafield Estates Office, Cullen, in granting every facility to the Editor. Similar thanks are offered to the Principal of the Scottish Episcopal College, Edinburgh, for permission to publish the Correspondence between Dr. George Garden and James Cunningham of Barns ; and to Miss Isabel Grieve, Edinburgh, the Librarian of the College, for her help in the matter. The Editor wishes also to express his indebtedness to all who have rendered assistance in the progress of this work, and especially to Dr. W. Douglas Simpson, Editorial Secretary of the Third Spalding Club ; to M. l'Abbé E. Levesque, Seminaire de S. Sulpice, Paris ; the Librarian, Faculté de Theol. libre de Lausanne ; the authorities of the University Library, Amsterdam ; and those of other Libraries and similar institutions in this country ; to Alistair N. Tayler, Esq. ; the Rt. Hon. Lord Forbes ; the late Professor A. Eekhof, University of Leyden ; and many others who kindly answered enquiries or aided research.


      1. CONTENTS

[table avec la pagination d’origine]


PREFACE

INTRODUCTION

I. Forerunners

2. Madame Guyon, Pierre Poiret, etc. 14 1421

3. Religious Conditions in the North-East 21

4. Jacobite Sympathies 28

5. Dr. George Garden 32

6. Lord Deskford 39

7. Lord Forbes of Pitsligo . 44

8. William, 14th Lord Forbes, and James, 16th Lord Forbes 46

9. Chevalier Ramsay 51

10. James Keith, M.D. 56

11. The Garden Case 61

12. Some Minor Characters 65

13. The Letters 70

LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS TO LORD DESKFORD.

1. Dr. Keith to Lord Deskford, Oct. 10, 1713

2. “ “ Dec. 29, 1713

3. Mar. 20, 1714

4. Apr. 6, 1714

5. May 15, 1714

6. June 26, 1714

7. „ „ July I0, 1714

8. Lord Deskford to Madame Guyon (copy). Oct. 24, 1714

9. A. M. Ramsay to Lord Deskford (copy), Nov. 24, [1714].

10. Lord Deskford to Madame Guyon, with postscript to A. M. Ramsay (copy) Nov. 17, 1714

11. Dr. Keith to Lord Deskford, Jan. 25, 1715 .

12. Part of Letter from Madame Guyon to Lord Deskford, with postscript from A. M. Ramsay, Jan. 12, 1715

13. A. M. Ramsay and Madame Guyon to Lord Deskford.

14. Dr. Keith to Lord Deskford

15. Madame Guyon to (?) Lord Deskford (copy) .

16. Dr. Keith to Lord Deskford Aug. 4, 1715

17. “ “ Aug. 6, 1715 .

18. Aug. 30, 1715

19. Sept. 17, 1715

20. Madame Guyon to Dr. Keith (copy) Aug. 22, 1715.

21. Dr. Keith to Lord Deskford Nov. 5, 1715

22. ” “ Dec. 13, 1715

23. Mar. 1, [1716]

24. “ “ Mar. 6, [1716]

25. Madame Guyon to Lord Deskford Mar. 17, [1716]

26. Dr. Keith to Lord Deskford May 29, 1716

27. “ “ June 13, 1716 .

28. Marquis de Fénelon to Lord Deskford June, [1716]

29. Dr. Keith to Lord Deskford, with postscript by Patrick Campbell of Monzie. July I5, 1716

30. Dr. Keith to Lord Deskford Oct. I, 1716 .

31. “ “ Dec. 13, 1716

32. A. M. Ramsay to Lord Deskford Jan. 1, 1717

33. Dr. Keith to Lord Deskford Jan 3, 1 717

34. „ „ Feb. 5, [1717] .

35. Dr. Keith to Lord Deskford, with copy of letter from Madame Guyon to Mrs. Keith . Apr. 13, 1717 .

36. Dr. Keith to Lord Deskford June I I, 1717 .

37. Dr. Keith to Lord Deskford, with extract from letter of A. M. Ramsay to Dr. Keith July 2, 1717 .

38. Marquis de Fénelon to Lord Deskford, with postscript by A. M. Ramsay June 29, [1717]

39. A. M. Ramsay to Lord Deskford [June, 1717] .

40. Dr. Keith to Lord Deskford . Sept. 10, 1717 .

41. Dr. Keith to Lord Deskford, with extract from letter of A. M. Ramsay to Dr. Keith Sept. 10, [1 717]

42. Dr. Keith to Lord Deskford Oct. 29, 1717 .

43. A. M. Ramsay and Marquis de Fénelon to Lord

Deskford Dec. 22, [1717]

44. Dr. Keith to Lord Deskfo rd, with extract from letter of Otto Homfeld to Dr. Keith Jan. 7, 1718 154

45. Dr. Keith to Lord Deskford Mar. 8, 1718 157

46. “ “ July 5, 1718 . 159

47 “ “ Sept. 3o, 1718 . 161

48. “ “ Nov. 15, 1718 . 163

49. A. M. Ramsay and Marquis de Fénelon to Lord Deskford Feb. 26, [1720] . 165

5o. Dr. Keith to Lord Deskford July 2, 1720 . 166

51 Sept. 20, 1720 . 163

52 Oct. 22, 1720 . 171

53. Dr. George Garden to Lord Deskford [1721] 173

J4. Dr. Keith to Lord Deskford Dec. 16, 1721 . 174

55. „ „ May 1, 1722 . 176

56. Patrick Campbell of Monzie to Lord Deskford May 15, 1722 . 177

57. Dr. Keith to Lord Deskford June 16, 1722 . 178

58. „ „ „ Aug. 14, 1722 . 180

59. A. M. Ramsay to Lord Deskford Dec. 23, [1722] 183

6o. Dr. Keith to Lord Deskford Mar. 2, 1723 185

61. „ „ Mar. 7, 1723 . 186

62. “ “ Mar. 12, 1723 . 188

63. “ “ May, [1723] . 189

CORRESPONDENCE BETWEEN DR. GEORGE GARDEN AND JAMES CUNNINGHAM OF BARNS :

INTRODUCTION : THE FRENCH PROPHETS IN SCOTLAND . 191

LETTERS :

I. Cunningham to Garden, [Nov, 17, 1709] 199

2. Garden to Cunningham, [Dec. 2, 1709] 208

3. Cunningham to Garden, Jan. 12, 1710 221

4. “ “ Jan. 25, 1710 235

5. Garden to Cunningham, March, 1710 237

INDEX 236

LIST OF ILLUSTRATIONS [omitted here !]

LORD DESKFORD, AFTERWARDS 5TH EARL OF FINDLATER Frontispiece

From Painting at Cullen House.

MADAME GUYON Facing 16

JAMES, 16TH LORD FORBES 50

From Painting at Castle Forbes.

HANDWRITING OF JAMES KEITH, M.D. 79

From Letter preserved at Cullen House, printed at p. 79.

HANDWRITING OF MADAME GUYON 121

From Letter preserved at Cullen House, printed at p.121

HANDWRITING OF LORD DESKFORD 129

PIERRE POIRET 150

HANDWRITING OF ANDREW MICHAEL RAMSAY 187

DR. GEORGE CIFEYNE 203

ALEXANDER, 4TH LORD FORBES OF PITSLIGO 235



page 11 d’origine

INTRODUCTION.

      1. I. FORERUNNERS.

THE North-East of Scotland has made a number of contributions to the literature of Mystical Religion. Three of these may be specially mentioned here—The Spiritual Exercises of John Forbes of Corse, Henry Scougall's Life of God in the Soul of Man, and James Garden's Comparative Theology.

It happens that the authors all occupied the position of Professor of Divinity at King's College, Aberdeen. This is not the only link that unites them. George Garden, who will figure largely in this volume as the soul of the Mystical Movement in the North-East, translated into Latin the Spiritual Exercises of John Forbes of Corse and published them in the collected edition of Forbes's works /1/ which he issued in 1702-3 through the Wetstein 1422 Press in Amsterdam. He was an ardent admirer of Forbes and remains the chief authority on his life and character. The same George Garden was the intimate personal friend of Henry Scougall, and when that young divine died in 1678 it was Garden who preached his funeral sermon. /2/Again, George Garden was most closely associated with the third work on our list, for its author was his elder brother, and the two men were one in outlook.

The Spiritual Exercises of John Forbes of Corse, which he noted down at irregular intervals between February, 1624, and July, 1647, a few months before his death, is a somewhat formless document, part diary, part exegetical study, part collection of private meditations. It has never been published /3/ as a whole save in Garden's Latin version ; but it is a living document of religion and the work of one whose faith and humility and earnestness made a deep impression upon all who knew him, and whose childlikeness and simplicity, whose charity and gentleness, whose joy and peace, whose devotion to truth and concern for the things of eternity reveal


/1/ Opera Johannis Forbesii, 2 vols., 1702-3.

/2/ Printed in Scougall, Works, 1726, and other editions.

/3/ See article by present writer on A Scottish Diary of the Seventeenth Century, " London Quarterly Review," Jan. 1929. Extracts from the Exercises will be found in Macmillan, Aberdeen Doctors, and in the Spalding Club edition of Spalding's Troubles. The original seems to be lost. There are two transcripts in the University Library, Aberdeen, and one in the library of the Scottish Episcopal College, Edinburgh.

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themselves from page to page of this manuscript. Forbes was troubled on every side yet not distressed, perplexed but not in despair, persecuted but not forsaken, cast down but not destroyed, always sustained by his trust in a very present God. He was amongst the most learned men of his time and wrote one of the few imposing works of historical theology produced in Scotland. His own generation knew him as a determined though peace-loving opponent of the Covenanters, and as a renowned champion of Episcopacy. But the doctrinal and ecclesiastical controversy in which he played his part so ably took with him no more than a secondary place. There came first, personal communion with a faithful and loving God. It is perhaps only by using the word mysticism in a loose sense that he can be termed a mystic at all. He was devoted to Theology and to the external practices of the Church. The document contains no technical terms of mystical language. Forbes had no acquaintance with expressions such as " introversion," " recollection," " purgation," " quiescence," " non-desire," nor the more difficult phrases used by mystics to attempt the expression of the inexpressible — " the dark night," " the great desolation," " the approach to Jerusalem,"—nor again was he learned in medieval mystical literature. There is, however, the language of the Bible and the thought of S. Augustine, and above all evidence of genuine mystical intercommunion with God, direct personal converse with the Almighty, and a life which consisted in seeking His presence. And there is that particular sense of proportion in the religious life which has been the source of so much true mysticism in the Church in days of formalism and externalism and institutionalism and controversy, a sense of proportion which John Forbes was a means of passing on to some who came after him in Aberdeen, bringing them to a more thorough study of the mystics than had been possible for him, and to a more self-c6nscious mystical outlook.

One extract from the Exercises of John Forbes of Corse may be quoted as showing the spirit of the man, and as indicating how his influence worked long after his own day upon such pious souls as Henry Scougall and the Gardens.

" He led me to his holy table where He fed me and refreshed and strengthened my soul with his own precious body which was broken for me and with his own precious blood which was shed for me to the remission of all my sins. . . . When the minister delivered unto me the bread, repeating the words of the Institution, as he came to speak those words of our Saviour, Do this in remembrance of Me, I yet holding that Holy Sacrament in my hand found my heart lifted up to Christ unto Heaven, and saying to Him with all my heart, Lord, I remember Thee, remember Thou me in mercy ; and so I eat the bread and drink of that blessed cup with so heavenly and abundant consolation through the mercy of my God upon me as neither can my mouth utter nor my pen express ; yea, neither could my heart comprehend it, but it comprehended and filled my heart with peace." /1/

Henry Scougall, /2/ whose promising career as writer and teacher was cut short at the age of 28, was the author of perhaps the best known Scottish contribution to devotional literature, The Life of God in the Soul of Man, first published in 1677 /3/ with a preface by Bishop Gilbert Burnet. The little book is the work of a lover of Thomas à Kempis and S. Teresa, a great admirer of M. de Renty, a friend of Bishop Leighton, a disciple of the Cambridge Platonists. Amongst those avowedly influenced by Scougall have been the Wesleys and George Whitefield. He writes in a simple straightforward style, sympathetically, persuasively, and as one who has himself found in communion with God the peace that passeth understanding. There is a quiet confidence about the book that is reassuring and uplifting. One finds no trace of morbidity or fanaticism. The teaching is sane and healthy practical idealism. Union of the soul with God he contrasts with the sectarianism which produced so much bitterness in his day and with externalism on the one hand and enthusiasm on the other, which, in all ages, have been the " shadows and false imitations " of religion.

James Garden, /4/ as his son is reported to have said, was " vastly fond " of mystical Divinity, and with his younger brother George, became a follower of Madame Bourignon and later of Madame Guyon.

His Comparative Theology (1699) /5/ was in its earliest form a lecture delivered to his students at King's College at the beginning of a session. Judging from the number of editions produced, and also from the ardour of the attacks made upon it this little volume had notable influence. Garden belonged to the circle with which we are specially concerned in our


/1/ Folios 31, 32.

/2/ V. D. Butler, Henry Scougal (1899) ; D.N.B. ; Preface to Cooper's edition of Life of God in Soul of Man.

/3/ Other editions (e.g. 1770, 1818). The best is that of Dr. Cooper in 1892. Sermons and other works have also been published at different dates. See further short article by present writer on The Life of God in Me Soul of Man in " Student Movement," Jan. 1932 ; also lecture by present writer on Leighton and his Friends in Friends of Dunblane, 1932.

/4/ D.N.B. ; Remains of John Byrom (Chetham Society) ; Preface to Bristol Edition (1756) of Garden's Comparative Theology ; note by present writer on James Garden's Ministerial Career in " Scottish Notes and Queries," Feb. 1933 ; etc.

/5/ The original was in Latin, Discursum academicum de Theologia Comparativa, 1699 (Maidment, Catalogues of Scottish Writers, p. 66). The first English edition was published in London in 1700, another at Glasgow in 1152, and an important one at Bristol in 1756. In a Latin form it appeared at Amsterdam under Poiret's editorship in 1702 as Theologiae Aurae ac pacificae vera ac souda fundamenta, sive theologia comparativa, and likewise in 1708 as the first part of Poiret's Bibliotheca Mysticorum. Poiret in his Posthuma (1721), p. 648, mentions a German edition, Gemma Theologica. See also J. G. Walchius, Bibliotheca Theologica Selecta (1757), I, p. 231 ; II, pp. 65 f.

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present study, and his name occurs at intervals in the letters here published. He is always mentioned with affection and respect. Pierre Poiret, in a learned defence /1/ of Garden's Comparative Theology, describes him as " vir doctrina solida, ejusque distincte ac Clare exponendae peritia singulari conspicuus, vir integer, pius, pacificus," etc., and again calls him " auctorem innocentissimum, admirabilemque et amabilem." He seems to have been a retiring man, but at the same time intrepid and determined, enduring sacrifice for his religious, ecclesiastical and political convictions.

The Comparative Theology attempts to introduce some sense of proportion into the religious outlook, distinguishing carefully the essence of Christianity, which is to be found in the love of God, from all means and ministers of greater or less importance, in doctrine, government, worship or discipline, wherein men may differ, the highest attainment being the enjoyment of the immediate presence of God. through penitence, self-denial, renunciation of the world, crucifixion of the flesh, cross-bearing, and the putting off of the old man. The influence of Madame Bourignon is clearly reflected, but the Comparative Theology is free from the eccentricities which were largely responsible for the condemnation of her teaching.

The mystical religion in the North-East which showed itself increasingly in these three documents developed to considerable importance early in the 18th century ; and the Letters of James Keith, M.D., are published as offering for the first time authentic evidence regarding the extent and the nature of the movement.

It flourished under foreign influences, and most of the authors whose works became popular belonged either to pre-Reformation or to Roman Catholic Christianity. A surprising interest in mystical books manifested itself. Enthusiasm for the writings of Madame Bourignon first attracted attention to the movement, but, by the date of our Letters, this phase had practically passed, and the group in the North-East had become devout disciples of a Ieader of higher type, Madame Guyon.

      1. II. MADAME GUYON, PIERRE POIRET, ETC.

MADAME GUYON, the fascinating Quietist, is much too famous to require detailed introduction here ; /2/ but as hers is the ruling influence in the whole movement with which we are concerned and in the correspondence here published, a brief reminder of the main features of her extraordinary career


/1/ Poiret, Posthuma.

/2/ Vie de madame Guyon, écrite par elle-même ; E. K. Sanders, Fénelon, his Friends and his Enemies ; R. A. Vaughan, Hours With the Mystics, Book X ; Paul Janet, Fénelon ; M. Masson, Fénelon et Mme. Guyon ; St. Cyres, Francois de Fénelon ; Jules Lemaitre, Fénelon ; Bossuet, Relation sur le Quiétisme ; Ramsay, Vie de Fénelon.

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may be permitted. Mysticism was very prominent in 17th century France, /1/ inspired largely by the Spanish S. Teresa and S. John of the Cross, and guided (to mention only names which occur in the Letters) by the life or writings of such religious geniuses as S. Francis de Sales (1567-1622), Brother Lawrence (1610-91), J. J. Olier (1608-57), J. J. Surin (1600-45), Baron de Renty (1612-49). The Quietism of Molinos /2/ was more extreme, and roused general opposition in a Church which called S. Teresa blessed. It was Madame Guyon's inclination to Quietism which made her public career so troubled and her influence so much the object of suspicion.

Born in France in 1648 of a good family she was already as a child nervous and imaginative, religiously inclined, and greatly affected by religious reading. She grew to be a very attractive girl, and was early married, but the union proved a most unhappy one for her. Home conditions were particularly cruel. Then smallpox destroyed her beauty. Life as a whole was suffering. She was driven in upon herself and to morbidity and mortification. It was an unnatural existence, and it is not surprising that the views it induced were unusual and extreme. Her attitude became one of passivity. Her husband died, and thereafter the influence of La Combe and later, the encouragement of Fénelon, Archbishop of Cambrai, led her to theorise upon her religious experiences. She wrote her Short Method of Prayer and Torrents, and gradually became the centre of a fashionable group of those who were bored by the meaningless life of the times, and uninspired by the outward religion of the day. Her most distinguished disciple was Madame Maintenon, who was then all powerful at the court of Louis XIV. Persecution set in, and there followed the investigation by Bossuet, the famous defence by Fénelon, the quarrel between those great ecclesiastics, the imprisonment of Madame Guyon in the Bastille, and the disgrace of her celebrated champion first by the court of enquiry and finally by the Pope himself. It was one of the great scandals of an age of scandal.

Madame Guyon was a strange and abnormal woman, and in those days before psychology her very strangeness and abnormality gave her power over persons of much sounder mind than herself. Her teaching was in some points dangerous and eccentric. She was far from being a systematic thinker, and much that she says might have been said by any of the mystics. Many of her utterances and expressions were indeed echoes of earlier writers venerated by the Church. There was, however, an over-emphasis of passivity which was apt to mean a fading of the sense of moral responsibility, an independence of institutional and sacramental observances, and a failure to leave room for doctrines of the incarnation and atonement. On


/1/ Bremond, Histoire littéraire du Sentiment religieux ; E. Underhill, Mystics of the Church, ch. x.

/2/ V. his Spiritual Guide (Eng. trans., 1928).

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the negative side her teachings attracted because of the protest they offered to mere theological arguing and ecclesiastical bickering, and magical or formal religion. But " naked faith," " pure and disinterested love," " nothingness," the silent prayer of mere surrender, perfection by union with God, were ideas which, while they might induce in the troubled mind and conscience calm, and peace and inward joy, and might lead almost to an ecstatic condition, were inclined to produce rather an abnormal, self-centred, individualistic, morbid state and involved much vague and confused philosophy and theology, and little sound practical and moral inspiration. It cannot be said that her Scottish adherents were carried away by any exact form of Quietism, but it is clear that they caught something of her spirit, took phrases and suggestions from her, and were directed by her in their religious attitude, and through her escaped from outward dispeace to peace within. It must be admitted that Madame Guyon was herself a person of charm, with a gift of sympathy, and a great deal of common sense. In her last years, after her release from the Bastille, the years in which we are concerned with her in these Letters, she seems to have been perfectly discreet and unsensational, a pious observer of Catholic practice, living quietly and exerting by her personality, correspondence and many writings a deep spiritual influence in France, Germany, England, Scotland and elsewhere.

She died in 1717 ; and the Letters contain interesting information regarding her last illness and death, and occasional allusions which add to our knowledge of her habits and teaching, and are evidence of the great veneration in which she was held by persons who knew her well and were capable of appreciating spiritual qualities. Some of her own letters appear for the first time in print in the present volume. /1/

The mediator of Madame Guyon's remarkable foreign influence was Pierre Poiret, /2/ a most interesting character who appears from time to time in the Letters of James Keith, and who was very obviously regarded by all the Scottish circle with the utmost respect.

He was a Frenchman1423, born in 1646 of humble parents. His grandfather had suffered for his pioneer Protestantism, and with such a religious family background it'is not surprising that Pierre turned from the sculpture and painting to which he was apprenticed to study for the ministry of the French Protestant Church. When a student at Basel he tutored Heinrich Wetstein, later his sympathetic publisher. Presently we find him at Heidelberg, and in the good graces of Prince Karl Ludwig, through whom he entered into the active ministry amongst French-speaking people who were then numerous in the Rhine valley.

His mind was receptive rather than original, and it was with character-


/1/E.g. (M.N.E.), pp. 100, 111, 121, 142.

/2/Max Wieser, Peter Poiret (1932).

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-istic enthusiasm that he early absorbed the new Cartesian philosophy. Under religious influences he later developed into an ardent critic of Descartes, and as such made more than one serious contribution to the philosophical literature of his time, these works of his going through several editions and finding their way into many libraries even in this country.

There came a growing interest in mystical literature, notably the Theologia Germanica, and the writings of Tauler, and he developed into the Apostle of Mysticism. In later life he was said to read part of the Imitation of Christ every day. Presently he came across Antoinette Bourignon's La lumière née ténèbres, and soon afterwards her Le tombeau de la fausse théologie. He became her most enthusiastic disciple, sought her out personally, and became ultimately her general agent. He wrote her life and edited her voluminous outpourings, and has been largely responsible for her reputation.

Through him her works were introduced to persons who were interested in mystical literature. Thus Dr. George Garden and Dr. James Keith came to make their English translations, and Quietism made its entry into the North-East of Scotland.

Madame Bourignon died in 1680 ; and then after a few years at Amsterdam, Poiret betook himself to Rhijnsburg, a little village a few miles from Leyden, where he remained in comparative solitude till his death in 1719.

He had acquired an unrivalled knowledge of mystical literature and devoutly set himself to propagate mystical divinity by publishing new editions of mystical works, mediaeval and modern. The service he thus rendered to religion has been of permanent importance. The various works mentioned in the letters as produced by him and distributed to the group in the North-East were almost all reissues of more or less forgotten works which his devotion had unearthed. One of the most interesting points about these letters of James Keith is the new light they shed upon the influence of Poiret's activities in England and Scotland, and the extent to which his publications immediately found their way into so many libraries in the North-East. One little work which Poiret twice reprinted (1702 and 1708) was the Comparative Theology of Professor James Garden.

Most important of all was Poiret's service in arranging for the publication of the works of Madame Guyon. But for him many of these would certainly never have appeared in print. He furthered their effectiveness also by the occasional prefaces and explanations which he wrote. Practically all the works he thus issued passed through the hands of Dr. James Keith and are mentioned in the Letters.

We know that Poiret was consulted on religious matters by persons who wrote to him from various lands, or paid him visits at Rhijnsburg. More than one of these acquaintances has left an account of Poiret himself.

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He appears before us as a small man, full of life and energy, with a prominent nose, and dark eyes peering out from under heavy brows, polite and pleasant to meet, rather hard of hearing, but himself gentle spoken. To his tastefully furnished home he welcomed visitors, talked to them in Latin or French, knowing, but not readily speaking, German. We hear of his knowledge of Scripture, his excellent memory and vivid imagination, his clear-headedness and understanding. At one stage he seems to have had a kind of community-house, where all shared the housework and the dish-washing, but where all observed what religious habits they pleased, theological differences being put aside while all applied themselves to love God and practice self-denial. He disliked extreme enthusiasms, but most of all the strife of the sects. For many years he was so much of a recluse that Bayle could describe him as "un homme d'une probité reconnue et qui de grand Cartésien est devenu si dévot, que pour songer mieux aux choses du ciel, il a presque rompu tout commerce avec la terre." /1/ Haag's account of him seems to be entirely justified : " Tous ceux qui le connurent s'accordent it louer son humilité et sa modestie, la pureté de ses moeurs, l'excellence de son coeur, sa bienveillance envers tous les hommes, sa modération, dont il ne s'écarta que dans sa polémique."/2/

Very closely associated with Madame Guyon in all her influences was, of course, Fénelon,/3/ Archbishop of Cambrai. His name finds place occasionally in the Letters, and we see that he too was a force in Scottish religious life. His death occurred early in 1715 and the references to it in the Letters /4/ show how deeply his loss was felt by the group in whom we are interested. Andrew Michael Ramsay,/5/a Scot whose name will frequently occur in this volume, was for some years his secretary and became the editor of his works, and wrote his life. Lord Forbes,of Pitsligo,/6/ the well-known Jacobite, had early in life come under the influence of Fénelon. In the Letters we hear of the publication of a new edition of his works /7/ and the despatch of the volumes to the members of the group. Several /8/ of his books are specially referred to and commended, and copies of letters by him seem also to have circulated in Scotland./9/ It is easy to realise the reverence with which he and his utterances were regarded. The Life written by Ramsay is an idealised picture, a stained glass representation, but it shows the attitude of the disciples both in France and in this country.

The very high place occupied by Fénelon amongst religious writers and ecclesiastical dignitaries makes it unnecessary to do more than call attention


/1/ Contemporary accounts quoted in Wieser, Peter Poiret ; Bayle, OEuvres diverses (1725), I, p. 269.

/2/ France protestante, quoted P. Janet, Fénelon (Eng. trans.), p. 281.

/3/ V. works mentioned, M.N.E., p. 14 n

/4/ Ibid., pp. 94 ff.

/5/Ibid., p. 51.

/6/ Ibid., p. 44. '

/7/Ibid., pp. 148, 153, 162, 165.

/8/Ibid. pp. 151, 162. 9

/9/ Several at Cullen House.

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to the numerous accounts of him which have appeared, and very briefly to remind ourselves of the outstanding features of his notable career. Belonging to an old French noble family, he was born in 1651, was a student of the Seminary of S. Sulpice in Paris which had been founded by the mystic Olier, and upon entering the Church soon made a reputation as a preacher. He came to know everybody and was much about Court. A treatise on the Education of Girls showed his interest in education, and his independence of judgment. He became tutor to the heir to the throne ; and some of his most famous writings were connected with this employment, in particular his Télémaque which eventually proved one of the most popular books ever printed. It was only natural that such a position as that of Archbishop of Cambrai should soon be reached. Fénelon was now one of the greatest of spiritual directors, as well as one of the most versatile and intellectual men of that brilliant period. His deep interest in religion, his training at S. Sulpice, his acquaintance with early mystical writings, made him interested in Madame Guyon and he became her ally, according to some, her devoted disciple, according to others, a healthy moderating influence upon her. When Madame Guyon was attacked by Bossuet, Fénelon was her greatest supporter, and in order to defend her doctrine of disinterested love, issued his Maxims of the Saints. Bitter controversy ensued, and the book was ultimately condemned by the Pope. Fénelon submitted and devoted himself for the last fifteen years of his life to the work of his vast and important diocese. For his day he was a remarkably broad-minded man, and he remains one of the most attractive personalities of the distinguished reign of Louis XIV. It is interesting to find Protestants in Aberdeenshire studying his writings so soon after their publication and acknowledging a spiritual debt to this French prelate.

No one was more zealous to maintain and extend the influence of Fénelon after his death than his grand-nephew, the Marquis de Fénelon,/1/ who is another of the characters who appear in our collection of Letters. As a youth he lived much with the archbishop. Fighting against Marlborough he was badly lamed, but he continued his Military career and died on the field of battle in 1746. He was of a religious disposition, a devoted disciple of his uncle, and a warm admirer of Madame Guyon, with whom he was in constant correspondence for some years before her death. With Andrew Ramsay, the Marquis de Fénelon shares the credit for much that was done to render enduring the reputation of the Archbishop. His interest for us is chiefly that he had come personally into touch with several of the Scottish friends of Madame Guyon. A few of his letters /2/ to Lord Deskford have been preserved and are published for the first time in this collection, and other letters /3/ and greetings /4/ passed between the two noblemen.


/1/Cherel, Fénelon au xviiie siècle, chs. viii and ix, etc.

/2/M.N.E., pp. 125, 147, 153, 165.

/3/Ibid., pp. 136, 564.

/4/Ibid., pp. 95, 137.

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Ramsay draws an interesting comparison between the Marquis and Lord Deskford./1/He was closely connected with Ramsay in the opposition he made to Poiret's publication of Madame Guyon's Autobiography ; and the letters have something to say about this. /2/

Our group was thus indebted to two contemporary French mystics, Fénelon and his grand-nephew, but our interest is mainly in the part played by Madame Guyon and M. Poiret. Madame Guyon, by her correspondence, direct and indirect, and Pierre Poiret by his systematic distribution of mystical literature, obtained the spiritual direction of a group of interesting men in Scotland and especially in the North-East of Scotland and it is with these influences and the group influenced that we are concerned in the Letters.

The Scot who seems to have been more than any other the originator of this tendency in the North-East was Dr. George Garden, an Aberdeen clergyman. He had the support of his elder brother, Professor James Garden, also of Aberdeen. The most popular figure in the group was Lord Forbes of Pitsligo. There was also Lord Deskford, to whom the letters of Dr. James Keith here published were originally directed. There was James Keith himself, an Aberdeen medical man practising in London, the agent through whom Madame Guyon sent her letters and Pierre Poiret his mystical publications. Along with him was his medical friend George Cheyne, likewise of Aberdeen, the friend of Pope and Richardson. We have also William Forbes, afterwards 14th Lord Forbes, and his brother James, afterwards 16th Lord Forbes. There was, further, that enigmatic figure the Chevalier Andrew Michael Ramsay, secretary to Fénelon and M. Guyon, who had intimate associations with the men of the North-East of Scotland, though he lived mostly in France. Other names which appear in the correspondence as those of persons interested in the movement in one degree or another include Sir James Dunbar of Durn (a near relative of Lord Deskford), Sir Patrick Murray of Auchtertyre (one of the most earnest men of his time), Lord Dupplin (rather on the fringe of the movement), James Cunningham, laird of Barns at Crail in Fife, and others.

The men involved are obviously not negligible characters from any point of view. None of them was a S. Francis de Sales or a John of the Cross. None of them was in any interesting way abnormal or eccentric. They were simply intelligent men of good social position, who had seen something of life at home and abroad, had had some experience of the political and ecclesiastical conflicts of a difficult period of history, and had been led from dissatisfaction with the outward state of things to seek and to find peace within.

/1/ M.N.E., p. 95. /2/ Ibid., pp. 151, etc.

      1. III. RELIGIOUS CONDITIONS IN THE NORTH-EAST AFTER THE REVOLUTION.

IT is very remarkable to find such influences as those of Madame Guyon and Pierre Poiret at work in the North-East of Scotland. Those who were involved in the movement were all, it should be noted, Episcopalians. Further, from the date of the Revolution they had been more or less persecuted Episcopalians. At the same time they formed locally a strong party, and they developed marked independence in more than one direction. The growth of the interest in mysticism which remained from the Scougall tradition was at least to some extent due to these special local circumstances in the matter of religion ; and before going further it will be useful to explore the religious conditions prevailing in the North-East at this period, and to discover what relation to the general situation those individuals occupied who were concerned in the mystical movement.

For some time after the Revolution Presbyterianism had only the slenderest hold upon the North-East of Scotland. South of the Tay closer acquaintance with the representatives of England and with the horrors of their administration, experience of the " Killing Time," intenser dread of Romanism, the weight of official opinion, and the sagacity of William Carstares combined to establish very firmly the Presbyterian rule. But Aberdeen and the North-East stood out,/1/ as it has so often done, in considerable contrast to the rest of the country. The clergy and the people in this whole district were so unanimous that the Church went on very much as before, and paid little attention to Parliament or General Assembly. The Bishop of Aberdeen continued formally to act./2/ Episcopalian clergy met as Synod and as Presbytery./3/ Episcopal ministers preached in the city churches./4/ The incumbent of S. Clement's escaped notice till after the ‘Fifteen./5/ The church of Old Machar was in Episcopal hands till April, 1694, after which there were no services of any kind in the church for some months, " the doores being shut and consequently no collections for the poor." /6/ In the district round about similar conditions prevailed. Even in 1701 the minutes of the Presbytery of Turriff refer to " all the Episcopall


/1/ Lawson, History of the Scot. Episc. Church from the Rev's., p. 139 ; Skinner, Ecclesiastical History of Scotland, II, p. 592 ; Kennedy, Annals of Aberdeen, II, pp. 49 f.

/2/Dowden, Bishops of Scotland, p. 403 ; but v. Lawson, op. cit., p. 125.

/3/Miscellany of Spalding Club, II, pp. 163 ff. In Old Machar Kirk Session Records, July 23, 1693, we read : " The minister reported that he spake to the Presbiterie anent…”

/4/Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit., VI, pp. 2, 15, 38.

/5/Ibid., p. 27.

/6/ Old Machar Kirk Session Records, July, 1694 ; Old Machar Collection Book, 1694.

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incumbents within the bounds," /1/ and no fewer than ten of these are mentioned. Indeed as far as Presbyterians were concerned, for years neither Synod nor Presbytery existed. After the Revolution the Synod did not meet till May 18, 1697./2/ No Presbytery was in being until in 1694 five ministers from Aberdeenshire and one from Banff constituted themselves such./3 In 1697 there were at last three Presbyteries in the North-East where formerly there had been eight./4 The united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce began with only five ministers (including two from without the bounds), and two elders./5 Only three were present at the first meeting of the combined Presbyteries of Garioch, Ellon and Deer./6 The Presbyteries of Aberdeen and Kincardine O'Neil were once more separated in 1700. /7 In the following year the Presbytery of Ellon was set up again with four ministers,/8 and that of Deer with six./9 Garioch and Alford were combined for a time, but separated in 1708,/10 while Turriff and Fordyce were finally disjoined in 1707./11

The General Assembly of 1690 saw only two representatives of the whole Synod of Aberdeen, and that of 1692 only one./12 An interesting letter dated just after the close of the March April Assembly of 1694 shows the general position : " Our Assembly went off easily eneugh ; for the brethren willingly agried to take no advantage of the late Act of Parliat for setling the Church, and the Commissions they have given are mostly for planting and assuming, and restricted eneugh in the mater of censure. Yet I see the northern ministers take the alarme at the Commission for the North, and Aberdein mindes to be the metropolis of the Episcopal partie ; but I belive the Commission shall be eerie moderat, and therefore I would have your countrie folks wise ; for if they make any bussell agt such just and moderat things, it will wily serve for a discoverie of their to much suspected disaffection." /13 When this Commission did visit Aberdeen they were met with a protestation from a meeting of the Episcopalian clergy assembled in King's College Kirk.14 The Commission accepted


1 Minutes of united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce, Nov. 12, 17or.

2 Minutes of Synod of Aberdeen.

3 Miscellany of Spalding Club, II, p. 170 ; Minutes of united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce, May 6, 1697.

4 Miscellany of Spalding Club, II, p. 172.

5 Minutes of united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce, May 6, 1697.

6 Minutes of united Presbyteries of Garioch, Ellon and Deer, April 28, 1697.

7 Minutes of Presbytery of Kincardine, April 17, 1700.

8 Minutes of Presbytery of Ellon, Nov. 12. 17or.

9 Minutes of Presbytery of Deer, April 16, 17or.

10 Minutes of Presbytery of Garioch, Dec. r, 1708.

11 Minutes of Presbytery of Turriff.

12 Misc. of Sp. Cl., II, pp. lxiii f. : cf. Historical Relation of the late Presbyterian General Assembly held in Edinburgh in 1690 (1691), p. 22.

13 Seafield Correspondence (S.H.S.), p. 142. 14 Misc. of Sp. Cl., II, p. 163.

applications from ministers to be received into ministerial communion. A typical case is that of George Anderson, minister at Tarves, regarding whom the Commission recorded that " having heard a savourie report of him from several of the brethren who now in this place have conversed with him and they having also heard a good report of him from godlie and judicious persons in this countrie who know him, and he having declared himself willing to comply with the terms of communion aggreed upon by the last Assemblie, and subscribye the Confession of Faith and acknowledgement enjoyned, do therfor resolve to receive him and hereby receive him."/1

At this period throughout the district everything went on as before under Episcopalian clergymen, services being regularly conducted and communion celebrated, kirk sessions exercising discipline, electing elders, appointing precentors, attending to the poor, observing national thanksgivings./2 On the other hand there was no Presbyterian Communion in Aberdeen from 1690 till 1704,/3 and a similar situation occurred elsewhere./4 Few congregations had a Presbyterian Kirk Session./5 Churches fell into disrepair./6 In some places there were long vacancies./7 " Supply ministers " had to be brought from the south to fill the pulpits./8 The available probationers were on constant duty,/9 and were speedily ordained to parishes./10

One schoolmaster was licensed though " he did profess that he had not any skill in the Hebrew." /11 Occasionally the attempt to induct a Presbyterian minister caused serious rioting. Thus in 1707 members of the Presbytery of Deer on such an errand at Fraserburgh " were assaulted on the high streete with a rable of people who threw stones and dub or mire upon them, pursueing them into the church with the same weapons so that they wer forced to retire to a corner under a loft that they might think on an answer." /12 As late as 1717 we hear of a minister and the clerk of the


1 Extract of Proceedings, July 2, 1694, in Minutes of Presbytery of Aberdeen.

2 Old Machar Session Records, 1690-94, Massing.

3 Kirk Session Register of St. Nicholas, Aberdeen (2nd series), III ; Case of Episcopal Clergy (1703), P. 34.

4 Mair, Records of Presbytery of Ellon, p. 303.

5 Minutes of Presbytery of Turriff, Aug. 18, 1702 ; Dec. 3, 1718 ; Minutes of Presbytery of Deer, June 24, 1707.

6 Minutes of Synod of Aberdeen, June 3, 1699 ; Cooper, Cartul. Eccles. S. Nich., II, p. xlv.

7 Minutes of Presbytery of Turriff, May G, 1697 ; Wodrow, Correspondence, II, p. 210, etc.

8 Minutes of Synod of Aberdeen, April 7, 1698.

9 Minutes of Presbytery of Turriff, April 20, 1698 ; Minutes of Presbyter- of Deer. July 16, Aug. 20, 1706, etc.

10 Ibid., Feb. 8, 1703 (two Presbyteries seeking to place the same man) ; Minutes of Presbytery of Turriff, April 20, 1698, etc.

11 Minutes of Presbytery of Deer, Jan. 4, 1704 ; cf. May 4, 1703, June 6 and Sept. 3, 1704

12 Ibid., Feb. 4, 1707.

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Presbytery of Garioch being chased by a rabble "upwards of a mile." Sometimes visiting Presbyterian ministers found themselves without an audience—" not so much as one to ring the bell." /2 Where the church was claimed for the Presbyterians, heritors would refuse access to the building, keeping possession of communion vessels and session records, and the people would assemble at the Episcopalian intruder's house or arrange for a meeting-house of their own./3 There was no Presbyterian minister at Gamrie or Forglen till 1717, at Fyvie and Alvah till 1718, or at Monquhitter till the end of 1727./4

Most of the Episcopalian clergy in the North-East had qualified themselves according to law./5 This excluded, however, those who were conducting worship in meeting-houses./6 In some cases men who were not qualified continued for years to act as minister. In this connection George Garden, of whom we shall hear so much in this volume, must be mentioned. He continued to preach regularly in S. Nicholas Church, Aberdeen, after the Revolution just as if nothing whatever had happened ; but he declined to pray for William and Mary as King and Queen of the Realm, and he would read no proclamations which referred to them. This the Government declared was stirring up and fermenting political disaffection. It was even stated to the Privy Council that he prayed for King James "aither expressly or in ambiguous and circumstantial terms." He was summoned to Edinburgh, and on refusing to submit to the conditions required of him by the Privy Council, was deprived of his benefice and discharged from exercising any ministerial function in Scotland./7 He was not, however, prevented by this from preaching and conducting services for his followers and friends in Aberdeen, and later had a meeting-house of his own and even a curate to assist him./8

We may notice also the case of another minister whose name occurs in the Letters of James Keith, M.D., and who was in fact himself a nephew of Dr. Keith.

Francis Ross had been minister at Renfrew, but immediately after the Revolution a previous incumbent of the parish returned and established


1 Minutes of Presbytery of Garioch, Nov. 20, 1717.

2 Minutes of Presbytery of Turriff, March 16, 1698 ; cf. Minutes of Presbytery of Deer, May 4 and 11, 1707 ; June 3, 1707.

3 Ibid., May 12 and Nov. 2, 1708 ; Minutes of Presbytery of Turriff, March 16, 1698 ; Representations by the Commission of the General Assembly for the North in Miscellany of Spalding Club, II, pp. lxvi f.

4 New Statistical Account, XII, p. 607 note.

5 J. Anderson, A Defence of Presbyterians (1714), p. 7 ; A Representation of the State of the Church in North Britain (1718), p. 17.

6 Ibid., p. 22.

7 MSS. Proceedings of the Privy Council, Register House, Edin., Feb. 28, 1693 ; Aberdeen Town Council Minutes, March 8, 1693. M.N.E., p. 33.

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Presbyterian services. A rabbling assault /1 was made upon the manse, although the minister's wife was not yet recovered after the birth of a child, and the furniture was actually removed, though the persuasive efforts of some in the place presently secured its return, and the family continued to be tolerated until the Act of 1690 definitely reponed the old minister and deprived the Episcopalian " intruder." Ross went /2 to Aberdeen and for " two or three years " lived with his father-in-law, Dr. John Keith of Old Machar. Dr. Keith had been staunchly Episcopalian, but had offered no public opposition to the new government, having its proclamations duly read from the lectern. He died in March, 1694, and, patronage having been abolished by the Revolution Settlement, the heritors and elders met, qualified themselves by a loyal oath, and unanimously elected Francis Ross to be their minister. The magistrates lodged a protest stating that he was " disaffected to the government " ; but the call was duly subscribed and the members of the congregation signified their hearty approval, declaring that " the whole people of the parisch to the number of upwards of two thousand communicants " were willing and ready to accept him. Ross preached in Old Machar Church on April 8 and April 15, but being called before the Commission of the General Assembly at Aberdeen he declined to apply to them to be received into ministerial communion or to conform to Presbyterianism as now established, and his call was declared null and void. The doors of the church were locked by his friends, and only a repeated injunction from the Privy Council compelled them to hand over the keys so that at last a Presbyterian preacher occupied the pulpit on July 1./3

Enough has been said to show that Episcopacy, though, as it were, driven underground, remained strong in the North-East of Scotland, and at the time to which the Letters of James Keith belong this was still the case. The interests of the Episcopalians were partly, as has already been noted, political, and this will have to be considered more fully in discussing presently their relation to the Jacobite rebellion of 1715 ; but antipathy to the ecclesiastical conditions in which they found themselves turned their attention to two lines of development by which they might be markedly distinguished from the despised Presbyterians who had law on their side and who, in practically every other part of the country, were also almost completely victorious. These two directions of development were Liturgy and Mysticism.

It must be remembered that 17th century Episcopacy in Scotland had


1 Descriptions which differ somewhat as to details are given in Account of the Present Persecution of the Church of Scotland (169o) ; Rule, Second Vindication, and other contemporary pamphlets.

2 The remainder of this account is from the Kirk Session Records of Old Machar Church.

3 V. also Misc. of Sp. Cl., II, p. 170.

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little association with Liturgy. After Laud's unsuccessful effort in 1637 we find practically none of it. Bishop Mitchell of Aberdeen in 1662 recommended the use of Knox's Book of Common Order for morning and evening prayers ; /1 but in the regular services the prayers were extemporaneous. Perhaps the clearest account is that by Bishop Rattray,/2 which shows that even after the Revolution Settlement the Episcopalian order of worship could only be distinguished from the Presbyterian by the inclusion /3 in the former of the Lord's Prayer, the Ten Commandments and the Doxology, with use of the Creed in the Baptismal service. Gilbert Burnet /4 says he employed the English Prayer Book at Saltoun, but in this he was practically unique, although it was used at times in private families /5 and later Principal Munro of Edinburgh University read it in the College./6 This was likewise done in King's College,/7 Aberdeen, by Principal George Middleton until the Lord Advocate closed the College Chapel to prevent the practice.

The union of the Parliaments in 1707 seems to have brought the Scottish Episcopalians to look more towards English sympathy ; /8 and after the Toleration Act of 1712, which authorised their separate meetings, we find the English Prayer Book coming into fairly general use. This happened at Banchory -Devenick in 1712, copies of the "excellent liturgy of the Church of England " being provided for the people and the " dasks " in the church made " fitt for kneeling." /9 Amongst those who seem to have been energetic in encouraging the introduction of the Prayer Book in the North-East were the brothers James and George Garden already mentioned. Dr. George Garden is particularly scathing in the criticism of Presbyterian forms of worship in his Dedication of the Works of John Forbes of Corse, and the brothers were leaders in the movement in 1713 which, according to Wodrow, set up the English service ini all the corners of the Church./10

But a further step in the development of liturgical practice followed. The Gardens with their cousin Principal George Middleton became the leading supporters of the Usages in the North-East, preferring Laud's Prayer Book to that of the Church of England, adding water to the wine in the

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celebration of the Eucharist, and introducing other High Church practices regarded as apostolic. At the same time it is clear from their correspondence that something interested them much more than the Usages and that was the peace and unity of the Church which these threatened completely to destroy. " Schism," wrote George Garden, " is a matter of far more dangerous consequence to the good of the Church than is the difference of usages." 1

Here we have an indication of what drove those men to their particular interest in Mysticism. It was disgust at the controversy which turned men's attention from essentials in religion to unessentials. It is this point which is to be our main concern in the present volume.

The situation in the North-East, then, so far as described is this : The gentry of the area were on the whole definitely opposed to abandoning the Episcopacy in which they had been brought up, and disliked Presbyterianism, a system which they associated with scholastic dogmatism and ecclesiastical tyranny and social puritanism. They were encouraged by their family chaplains and tutors, and the clergy whom they had themselves presented, usually men of good family, men who had travelled, men who in many cases had none of the old taste for theological controversy, and did not care for the authority of rigid system, but felt strongly the fundamental importance of that personal religion which the struggles of the 17th century had tended to obscure. This emphasis upon religion as contrasted with dogmatic theology, this stress upon worship as distinct from preaching and lecturing drew them more and more away from the Church as now established, and into closer relations with the Church of England. The deepest need, however, was that of a personal faith such as they found in Mysticism. The common people were perhaps not much drawn to this. Its appeal was rather to the educated and the leisured. But in the North-East many were inclined to follow the minister and the laird in opposition to distant Assemblies and Parliaments, and to continue the system of Church government to which they had grown accustomed, which differed marvellously little in practice from the rival system, at least until the introduction of the English Prayer Book, and which in no other part of the country had been seen to greater or so great advantage throughout almost the whole of the past century.

1 This whole matter may be studied in the MSS. Letters of G. and J. Garden, Archibald Campbell, Dumbreck, Gadderer, etc., in the Scottish Episcopal College, Edinburgh. V. also the narratives of Lawson, Stephen, Skinner, Struthers, Grub, etc.

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IV. JACOBITE SYMPATHIES.

AT the Revolution religion and politics were inseparably associated. Episcopacy lost its opportunity because of the Jacobite sympathies of its supporters, and the Revolution involved a restoration of Presbyterianism. In the North-East Episcopacy remained in favour. It is therefore natural to look there for a considerable amount of political discontent, and one is not surprised to find that the members of our group were not only Episcopalians but Jacobites. When Dr. George Garden was ejected from his charge in S. Nicholas Church it was quite as much on political as on ecclesiastical grounds. The obligations which were imposed by oath upon ministers were equally civil and religious.

When new favour began to be shown to the Scottish Episcopalians in 1711 and the succeeding years, Scottish Presbyterians were quick to draw attention to the real political sympathies of their rivals. And when at last rebellion did break out it is perfectly clear that Presbyterians and Episcopalians were ranged upon opposite sides.

The Presbyterian stoutly supported the Hannovarian interest. Typical illustration of the attitude may be taken from the Minutes of the Presbytery of Deer in Aberdeenshire. Already in August, 1715, this Presbytery had warned its faithful people of the dreadful consequences of a popish pretender attempting to mount the throne./1 At the end of November we find that the Presbytery " did exhort the bretheren present to use all proper methods for discountenancing the present rebellion, particularly that they should adhere to the Protestant religion and to the interest of His Majestie King George whom they should pray for nc inatim so long as they should have access to preach in publick." /2 The Minutes in January of the next year record that most of the members of the Presbytery had been driven from their churches by the rebels, and Episcopalian preachers intruded in their stead./3 Things looked serious, but by the middle of February we have the Presbytery offering thanks to God " for the comfortable news of the rebels running from Perth," and further exhorting one another " that they should carry very humbly under such smiling Providence, for if the Lord should sent a deliverance att this time it would be ane act of wonderful soveraignity." /4 In the following month /5 it is reported that the rebels are scattered, and that the Presbyterian ministers " returned all to their charges on the twelfth day of February last without any lett or molestation," and it is specially noted that all the brethren " had behaved themselves faithfully during the whole time of their tryalls, severales of them being abused and plundered of their goods by the rebels."


1 Minutes of Presbytery of Deer, Aug. 23, 1715.

2November 29, 1715.

3 January 24, 1716.

4 February 14, 1716.

5 March 6, 1716.

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A similar story might be told of other Presbyteries in the county./1 Throughout the district no time was lost before turning upon the humiliated Episcopalians, when the Rebellion had collapsed. The extent to which these were definitely involved in the Rebellion is clear from the minute studies of Stephen and Lawson./2 Clergymen had already been deposed for not observing the thanksgiving for the Hanovarian accession in 1714./3 When the rising took place men such as George Garden returned to the pulpits from which they had been expelled, and made it plain that amongst the chief benefits of Stuart victory would be the re-establishment of Episcopacy. The Earl of Mar sought by such a promise to encourage Episcopalians to join him, and amongst his troops only the English Liturgy was in use./4 Mar's proclamations were publicly read in church, and assistance thus given in raising men and money and providing arms and plaids.

The Pretender arrived at Peterhead in December, 1715, and after a night in a house of the Earl Marischal at Newburgh passed on to Fetteresso, where, on the 29th, a deputation of clergy, headed by James and George Garden, presented an address of undoubted loyalty and definite adhesion./5 A day of public thanksgiving was observed /6 by the Episcopalians for the Pretender's safe arrival in Scotland.

In Fraserburgh Alexander Moore, an ardent Episcopalian, whom Bishop Robert Keith describes as " the best of men I ever saw," had intruded into the parish./7 He was a friend of the Gardens, and to him the Chevalier Andrew Michael Ramsay, whom we shall often meet in these pages, affectionately avowed his particular spiritual indebtedness./8 Moore observed the thanksgiving on February 2 for the safe arrival of the Pretender, and told the congregation " it was a great mercy the King was landed, considering the season of the year, and there being a price sett on his head by his enemies, that he ova's endued with excellent qualities, and told them likewise that he who now possesses the throne was called to it by a law contrary to all equity and justice." After the sermon he prayed explicitly for James the Eighth./9

This is typical of what went on amongst the Episcopalians of the North-East. Wodrow declared that " the whole liturgy men in Scotland,


1 V. e.g. Records of the Presbytery of Ellon (hair), pp. 314 f.

2 T. Stephen, History of the Church of Scotland (1844), IV, pp. III ff. ; Lawson, History of the Scottish Episcopal Church from the Revolution.

3 Rae, History of the Rebellion, 2nd edit., pp. 352, 476.

4 Representation of the State of the Church in North Britain, p. 22.

5 Rae, loc. cit.

6 Minutes of Presbytery of Deer, April 6, 1716.

7 Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit., VI, p. 222.

8 J. P. Lawson, Preface to R. Keith, Affairs of Church and State in Scotland, p. vii. 9 Minutes of Presbytery of Deer, August 6, 1716 ; v. also May 3o, 1716, and following entries.

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I think almost without exception, are joined with Mar. /1 Rae in his History of the Rebellion says exactly the same./2 Even at the time of the Forty-Five nearly all the Episcopalians of the district were " confessed Jacobites or active sympathisers." /3 Lawson /4 is quite emphatic about the general attachment of the clergy to the Pretender, and the Presbytery Records do not leave us in any doubts in the matter. Episcopacy was for the Pretender.

Moore and many others in the North-East were deposed when the Rebellion had been suppressed. Full advantage was taken by the Presbyterian Church courts of this opportunity of ridding their territories of men who had ever since the Revolution been a perpetual obstacle to their ecclesiastical supremacy. Each Presbytery in the North-East had its share in the work of persecution. Wodrow records that he was told of a full three dozen Episcopalians driven out for Jacobitism./5 " There is now," he says, " an open door for planting the North more wide than we have had since the Revolution. The bulk of the intruders and incumbents there joined openly with the Pretender, and kept his fasts and thanksgivings, and are skulking up and down, and a good many of the gentlemen who stood in the way of planting churches are now retired or feigning subjection." The Fasti Ecclesiae Scoticanae and Stephen and Lawson record the particular cases.

Amongst these we have that of George Garden, who declined to go into hiding and suffered imprisonment for a time. We hear of him being Marched south with other captives./6 Stephen records that at Cupar he and his companions were " thrust into the filthy dungeon where the greatest criminals were kept." /7 After some months in prison in Edinburgh he escaped to Holland./8 Some interest in his well-being was expressed by the Pretender himself ./9 He enrolled as &. medical student at the University of Leyden,/10 and it was not apparently until 1720 that he ventured back to the North-East. Particulars of his movements in those years may be gathered from incidental references in the Letters.

Like Garden, most of the group with whom we are concerned in this volume were Episcopalians and Jacobites. Prominent amongst the noblemen who were " out " and whose names figure in the Letters was Lord Forbes of Pitsligo, who after the Rebellion spent some years on the Continent, but later returned to Scotland and lived to join gallantly in the 'Forty-Five. Another ardent Jacobite whom we find among the mystics


1 Correspondence, II, p. 92. ,

2 2nd edit., p. 205.

3 A. and H. Tayler, Jacobites of Aberdeenshire and Banffshire in the 'Forty-Five.

4 Op. cit., p. 216.

5 Correspondence, II, p. 210 and footnote.

6 Ibid., II, p. 144. ,

7 op. cit., IV, p. 121.

8 Stuart Papers, III, p. 23.

9 Ibid., p. 229.

10. V. Article by present writer, " S.N. and Q.," Sept. 1932.

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was James Forbes, afterwards 16th Lord Forbes, a brother-in-law of Lord Forbes of Pitsligo. James Forbes's brother William, then Master of Forbes, afterwards 14.th Lord Forbes, was, as our Letters show, abroad all the time of the Rebellion. Evidence is wanting to show how his sympathies stood. On the one hand, it is to be remembered that his father remained staunchly and actively Hanovarian./1 On the other hand, he was on friendly terms with the Earl of Mar /2 and in religious matters was entirely at one with his brother. Lord Deskford, to whom the Letters are directed, is usually regarded as having been Hanovarian like his father and as thus mistakenly arrested at the beginning of the Rebellion ; /3 but a letter of his own to Madame Guyon, which is printed for the first time in this volume, shows him to have been at heart a Jacobite./4 Lady Deskford's father, Lord Kinnoull, and her brother, Lord Dupplin, whose names appear in the Letters, both suffered imprisonment for their Jacobite sympathies./5 Another brother was one of the leading rebels, John Hay, made Earl of Inverness by the Pretender./6 James Cunningham, Laird of Barns, whom we shall find to have been keenly interested in mysticism and allied religious enthusiasms, died as a prisoner after the Battle of Preston./7 Sir Patrick Murray of Auchtertyre was only just restrained from active rebellion. He was one of those who surrendered to the Government when commanded to do so in September, 1715./8 His son was " out " and suffered considerably. Other Jacobites whose names appear less prominently in the Letters include Sir James Dunbar of Durn, Alexander Davidson of Newtoun, and Principal George Middleton of King's College, Aberdeen. Andrew Michael Ramsay was not indeed personally involved in the Rebellion, but his sympathies are not in doubt, and in later years we find him occupying the post of tutor in the Pretender's family,/9 Charles Edward, the Young Pretender, and Henry, afterwards Cardinal of York, being both under his care as little children.

The outstanding exception in our group is Dr. James Keith himself. He wrote very cautiously where politics were concerned, and succeeded in keeping clear of the conflict.

The Letters of James Keith add something in the way of small details to the information already available regarding the First Jacobite Rebellion, but more important is the witness they offer as to how completely the group whose mystical tastes these letters display were involved in that exciting political episode.

There were many Episcopalians in the Jacobite forces who would have had no sympathy with such religious ideas as those to which this particular group were devoted. But here we do have a not entirely negligible number


1 G.E.C., Complete Peerage.

2 Stuart Papers, III, pp. 229 f.

3 M.N.E., p. 107.

4 Ibid., p. go.

5 Ibid., pp. 119, 123.

6 D.N.B.

7 M.N.E., p. 139.

8 Rae, History of the Rebellion, 2nd edit., p. 211.

9 V. M.N.E., p. 54.

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of intelligent men of good position hoping for better days for true inward personal religion associated with Episcopal forms of government and worship, under Stuart rule. It may be suggested that in the case of some at least the religious interest was of decisive importance in determining their political preference. Perhaps this is a point to which insufficient attention has generally been drawn in connection with the study of this most interesting chapter in Scottish history.

      1. V. DR. GEORGE GARDEN.

THE name of Dr. George Garden does not bulk largely in the Letters of James Keith, but it seems nevertheless desirable to speak of him at some length and with some emphasis at this stage, for his was the personality which inspired the mystical movement in the North-East. He learned mysticism in company with his friend Henry Scougall and from contact with the spirit of his master, John Forbes of Corse. He came to know Poiret and so developed into a missionary of mysticism, most notoriously a disciple of Antoinette Bourignon, but latterly with equal ardour a devotee of Madame Guyon and always an eager pupil of anyone, learned or unlearned, who could speak to the soul. This was not the only cause to which he was devoted. He was a student. He was, as we have already seen, a keen Jacobite. He was a very ready and successful controversialist on the side of suffering Episcopacy. As a man he is also of outstanding interest, a leader, dignified, cultured, of strong will and great determination, and at the same time lovable, deeply religious, entirely humble, and with the heart of a little child.

His career may be briefly described. His father,/1 the scholarly parish minister of Forgue, belonged to the distinguished family of Leys./2 His mother /3 was a near relative of the Earls of Middleton, so prominent in their connection with the House of Stuart. Born in 1649,/4 George Garden entered King's College,/5 Aberdeen, when about 13 years of age, four years after his brother James, and two years before his future soul-friend, Henry Scougall, Aberdeen's immortal mystic. After his graduation in 1666 /6 he disappears fromview. He must have studied Divinity somewhere—perhaps in Aberdeen, as we know his brother did. /7 Then it seems almost necessary to suppose


1 F.E.S., new edit., VI, p. 254 (not altogether accurate).

2 Nisbet, Heraldry (1804), II, p. 13 ; Stoe.srt, Scottish Arms, II, p. 343 (Jas. Garden wrongly described as of St. Andrews).

3 Old Machar Marriage Register ; Register of Deeds, Durie, July 21, 1664 ; A. C. Biscoe, Earls of Middleton (1876).

4 Tombstone in Old Machar church yard.

5 Fasti Aberdonenses, p. 473.

6 Ibid., p. 521.

7 Records of Exercise of Alford, p. 68.

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he went abroad and in particular to Holland, as was the fashion with scholarly young men. Certainly he formed a strong connection with the Continent, and became familiar with foreign books and foreign speech. One may also presume that he acted for a time as chaplain, tutor and secretary in one of the great houses in the North-East, and began his intimacy with the Ogilvies and Forbeses and Dunbars and Bairds and Hays and the influence which made him ultimately to such an extent their spiritual director. He maintained his interest in learning, and in 1673, when Henry Scougall became Professor of Divinity, George Garden was recalled /1 to his old college to succeed him in the work of Regent. This meant he was responsible for giving dictates and guiding disputations on all the subjects of the Arts curriculum. He only remained in office long enough, however, to take his students through the first year of their course ; and in September, 1674,/2 we find him ordained minister at Forgue in succession to his father. In June, 1679,/3 he was translated to the Cathedral Church of Old Machar, and in November, 1683,/4 to the city charge of S. Nicholas in Aberdeen. Allusion has already been made to his interests in the introduction of the English Liturgy and later in the Usages and the problems they aroused,/5 his deprivation from his ministerial charge in 1693 for political reasons and his ardent adherence to the Jacobite cause in 1715. His later years saw him occasionally in London,/6 and on the Continent,/7 for a time in semi-monastic retirement at Rosehearty,/8 but chiefly living quietly in Aberdeen ministering, with the help of a deacon, in his " small oratory." /9 He was a bachelor and his sister Margaret /10 kept house for him.

A letter /11 from Bishop Gadderer to Bishop Campbell on May 24, 1732, states that Dr. Garden is yet alive but his memory is quite gone, and on


1 Orem, Description, p. 16o.

2 Minutes of Presbytery of Turriff. Not 1677 as stated in F.E.S., new edit.. VI, p. 254 ; Anderson, Officers and Graduates of King's College, p. 58 ; D. Macmillan, Aberdeen Doctors, p. 265 ; etc. According to the Presbytery records his presentation to Forgue was reported to that court on September 3, 1674, his trials for special reasons were taken all in one day, on the following Wednesday, and the induction followed immediately. Garden is mentioned in the Minutes of January 6, 1675, and frequently thereafter.

3 His presentation and collation are preserved in the Muniment Room at King's College. See also Old Machar Kirk Session Records.

4 Aberdeen Town Council Records, LVI, p. 659.

5 See his letters preserved in Scottish Episcopal College, Edinburgh.

6 YI.N.E., pp. 8o ff.

7 Ibid., pp. 131, 151. 155, 16o.

8 Remains of John Byrom, Vol. II, part ii, p. 472 ; Minutes of Presbytery of Deer, October 19, 171o.

9 Manuscript Letters in Scottish Episcopal College, Edinburgh, 760 and 763.

10 Ibid., 76o ; Munro, Records of Old Aberdeen, II, p. 176.

11 Scottish Episc. Coll., Edinburgh.

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January 31, 1733, he died,/1 being buried next his brother in the churchyard of Old Machar Cathedral.

An interesting glimpse of Garden's appearance is afforded by one of the books directed against him, which in more than one place seems to hint at his size and physique : " The Dr. has undertaken a Gigantick attempt worthy of himself, for as the proverb is, Aquila non captat muscas, so this mighty champion . . ." ; " there is a vast disproportion of human strength and furniture between the Dr. and the author of this essay who is but Nanus ad gigantem, like a Pismire in comparison of an Elephant."/2 Evidently an impressive figure. As to Garden's high character there is universal agreement. Bishop Falconer speaks in a private letter of his " unquestionable abilities and probitie " ; /3 and Wetstein, the Amsterdam publisher, himself a man of piety, declares he has never known one gentler, more modest and with more brotherly kindness./4 A hostile pamphlet in 1690 admits him to be " both a knowing man and an able preacher, one who teacheth the truth in sincerity, without respect of persons." /5 Honyman, his opponent in the Bourignonist controversy, says he is " a known pattern of piety and temperance, and deserves so well of the learn'd world," " admired as an oracle of learning and piety by all the neighbourhood," " a knowing and judicious person," " a learned and religious person," and refers to " all that reading and knowledge he is master of," and " his own smooth style," showing how in regard to certain teaching he " with his smooth tongue licked it into a taking English dress, set off with all the advantages of his learning, eloquence and citation of authors." /6 This is all very illuminating. That Garden was indeed learned is clear from the record of his early life of study, his call to be regent at King's College, the range of references in his many pamphlets and prefaces, his laborious editing of the works of John Forbes of Corse with the translation of the Diary into effective Latin, and also the evidence of his scientific interests afforded by his letters /7 published in the transactions of the Royal Society of London.

Bower in his History of the University of Edinburgh /8 gives a totally misleading idea of him when he calls him " a raving enthusiast who was a fitter subject for an hospital than an ecclesiastical court," but he was an en-


1 Old Machar Kirk Session Accounts, Nov. 24, 1733.

2 A. Honyman, Borignonism Displayed (1710), xii, xx.

3 Letter to Bp. Campbell, Scottish Episc. Coll., Edin.

4 Opera Johannis Forbesii (1703), Vol. I, pref.

5 An Historical Relation of the late Presbyterian General Assembly held at Edinburgh, r6go (1691), p. 35.

6 Honyman, op. cit.

7 Philosophical Transactions, 1677, 1685, 1693 ; v. also correspondence in A. van Leeuwenhoek, Vierde Verfolg der Brieven ([694). e Vol. II, p. 283.

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thusiast, and a masterful enthusiast who infected others with his enthusiasm. At the same time we admire the moderation of his statements and his sympathy and charity to all men—except perhaps those dreadful Calvinists and Presbyterians of the Covenanter type ! He was a gentleman, restrained, cultured, a keen missionary, who was himself the best argument for his views.

It is as a Bourignonist that George Garden is known in Scottish Church history, but simply so to classify him is to misunderstand. The mystics did not devise rival systems, and Garden is as much a follower of S. Augustine and S. Bernard, Tauler and S. Teresa, de Renty and Pascal, Molinos and John of the Cross, Francis de Sales and Thomas à Kempis as he ever was of Madame Bourignon and latterly he was a devoted admirer of Madame Guyon. It vas, however, for Bourignonism that he was deposed from the ministry of the Church of Scotland, and he did more than anyone else to disseminate knowledge of Bourignonist ideas both by his famous A pology 1 and by translating and arranging to have translated a number of Mme. Bourignon's works, and that at considerable financial risk./2 The Synod of Aberdeen complained in 1710 of " the great increase of Bourignonism in this province, especially by means of Dr. Garden " who " keeps up a settled society of unmarried men and women living together into the house of Rosehearty for propagating the principles of A.B." /3 He was responsible for the interest taken in such views by " some of the better sort, who have been reputed men of sense, learning and probity " as his brother-in-law declares./4 The influence he exerted was not limited to the North-East, but showed itself in Fife, where Halyburton found he had to preach against the movement in Ceres in 1707,/5 and where St. Andrews was said to be much affected,/6 and the ideas he advocated proved so attractive to earnest souls with whom he came into contact that the courts of the Church were obliged at an early stage to take notice. Garden was cited before the Presbytery of Aberdeen in 17oo,/7 but did not compear, and the matter went to the General Assembly, which declared his Apology for Mine. A. Bourignon to contain " a mass of dangerous, impious, blasphemous and damnable errors," confirmed an order of suspension against him by a visiting Commission

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of Assembly, and ultimately deposed him from the Ministry./1 Intimation of his deposition was ordered to be read in all churches, and there was a certain amount of trouble with sympathisers who refused to obey this instruction./2 The Assembly of 1709 /3 enjoined the suppression of the " dangerous errors " ; and an Act of 1710 /4 refers to " Societies of Bourignonists, avowedly professing these principles and dispensing the books containing the same," and urges the Professors of Divinity to confute the new teachings. In 1711 /5 the new set of questions to be put to ministers at Ordination required the explicit disowning of Bourignonism along with Popish, Arian, Socinian and Arminian heresies and this formula remained in use in the Church of Scotland until 1889. Various works /6 were published against Bourignonism or included attacks upon it and upon George Garden.

The official and literary attacks display much misunderstanding /7 of Garden and his views, and the general attitude was one of ignorance and the suspicion and fear which ignorance begets. Professor Anderson of Glasgow University declared that the movement was a " deep laid plot by the Jesuits," /8 although we know that the Romanists themselves were made anxious by the spread of Bourignonism in Scotland./9

George Garden was undoubtedly the chief propagator of this movement in Scotland, and even in 1720 we find him prevented by the taint of Bourignonism from being seriously considered by the Scottish Episcopalians for a bishopric."


1 Acts of Gen. Assembly, pp. 306 f. ; v. also Minutes of Presbytery of Turriff, Aug. 20, Sept. 24, 1700, and Minutes of Synod of Aberdeen, April, 17o 1.

2 Minutes of Presbytery of Aberdeen, April 3o, 170I ; Minutes of Presbytery of Deer, Aug. 20, Nov. u, Dec. 2, Dec. 23, I701, and Jan. 27, 1702 ; Minutes of Presbytery of Garioch, Nov. 5, 1701, and Jan. 21, 1702 ; {Minutes of Presbytery of Turriff, Nov. 12, Dec. 1o, 1701, and Jan. 13, Feb. 24, 1702.

3 Acts of Gen. Assembly, p. 436.

4 Ibid., pp. 443 f. ; cf. Minutes of Presbytery of Deer, Oct. 19, 1710, and T. Boston, Jlernoirs (edit., Morrison, p. 249).

5 Acts of Gen. Assembly, p. 455 ; cf. Struthers, History of Relief Church, p. 175.

6 The most important of these are George White, Advertisement (1700) ; Leslie, preface to Snake in the Grass (1696) ; J. Cockburn, Bourignonism Detected (1698) ; A. Honyman, Bourignonism Displayed (1710) ; J. Hog, Notes about the Spirits' Operations (1709) ; R. Barclay, Modest and Serious Address (1708) ; A. Jaffray, Letter to Dr. G. G. (1708).

7 The history of the movement is given, and the life and opinions of M. Bourignon fully discussed in A. R. MacEwen, Antoinette Bourignon, Quietist (1910). An interesting friendly account of Mme. Bourignon occurs in Epistola de Principiis et Characteribus Mysticorum (1702), pp. 230-56, with a criticism of Bayle's attack.

8 Wodrow, Analecta, II, p. 35o ; cf. III, pp. 472 f.

9 Bellesheim, History of the Catholic Church of Scotland, Eng. Trans., IV, pp. 169, 200.

10 Lockhart Papers, Vol. II, p. Ioi ; also letter from Bishop Falconer to Bishop Campbell, Jan. 1o, 1721 (quoted Epochs of Scottish Church History, p. 87).

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Yet when all is said Garden was not a mere Bourignonist. There is a letter of Norman Macleod of the Barony, written in 1848, which sheds light on the position. " Unless," he says,/1 " the Church gets wholesome spiritual food given to it, its next development will be mysticism. Nothing outward in government, creed or mode of worship can satisfy the increasing hunger in the Church ; all are seeking something which they find not, yet know not hardly what they seek." This situation has often appeared in the history of the Church, and has given rise to movements of revolt, some of which the Church has crushed out as it did Montanism, some of which it has absorbed, as it did medival mysticism, some of which it has driven to separatism, as it did the Quakers and the Methodists. It is in the light of this explanation that we must view Garden and the whole group with which we are concerned in this volume. Garden and his friends were dissatisfied with organised Christianity in Scotland as they found it under established Presbyterianism. They intensely disliked the splitting and resplitting of hairs which characterised the theology of the Covenanters. Garden was always ready to pour out indignation upon the Westminster Confession of Faith,/2 not for the views it suggests, but for its dogmatism, and for the insistence that 171 articles of faith must all be accepted in the same sense by everybody. Children, he complains, were baptised into a narrow sect instead of into the Church of Christ. The catholicity of the Sacraments and the Creeds was forgotten, and the sense of proportion was thus lost. He wished to distinguish essentials and accidentals and to insist that everything must illustrate and inculcate Faith, Charity and Hope./3 Religion was the principal thing, and religion he found in Augustine and Thomas à Kempis, and Pascal and Henry Scougall. Then Poiret introduced him to the works of Madame Bourignon, and here he found the same thing. He was convinced that they would " revive the life and spirit of Christianity." /4 He was charmed to see here again the emphasis he knew so well from the older mystics upon the love of God as the essence of virtue. He declared that "upon the reading of her writings they have felt a deeper sense of divine things, and their hearts and consciences have been more touched than by most of other writings which they have seen. . . . There's a certain driness and deadness in most of writings and sermons nowadays about divine things, that they do not at all touch the heart ; and even the best of them savour more of the head than of the heart, ... There was never more preaching than in this age, yet never a greater spiritual famine."/5 At the same time he was careful to explain that : " They esteem her writings


1 D. Macleod, Memoir of N. Macleod, Vol. I, pp. 289 f.

2 Case of Episcopal Clergy (1703), p. 14, etc. ; Opera Joh. Forbesii, Vol. I, pref.

3 Primitive Church Government in the Practice of the Reformed in Bohemia (1703), p. 3 ; v. also Acts of General Assembly, p. 307.

4 Apology for Mme. Bourignon, pref.

5 Ibid., pp. 31 f.

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in so far as they are agreeable to the doctrine of Jesus Christ ; and as to her particular opinions, they suspend their judgment about them, since neither the belief nor disbelief of them is necessary to salvation ; for it is their earnest desire to become true followers of Jesus Xt and not of any particular person." " 'Tis true in her writings there are some singular sentiments, but such as she owns are not necessary to Salvation, and which people if they please may look upon as dreams, provided they take care to have their hearts and minds formed according to the spirit and doctrine of Jesus Xt." /1 Madame Bourignon was thus to George Garden what Tauler had been to Luther. Tauler appealed to the mystic in Luther who thereupon found in him " more solid and true theology than is to be or can be found in all the scholastic doctors." /2 Luther no doubt exaggerated and discovered much in Tauler which was due rather to the mind which read than to anything in the text, but the fact of the inspiration was undoubted. So Garden found his own thoughts so admirably echoed by Madame Bourignon that he became instantly blind to the crudities and absurdities /3 of her teaching and found in her the sum and substance of true Christianity. At the same time it was the spirit of her teaching and not the letter which he so powerfully and enthusiastically recommended.

As late as September, 1714, Wodrow records 3 that in the North there had been a considerable increase in " the enthusiastical foppery of Bourignianism " ; but in fact a new phase had by that time developed. In 1711 the Bourignonist movement was noted by the Aberdeen Synod 4 to be somewhat diminished, so much so that they felt there was now no call for special action. The translations of Madame Bourignon's Works ceased for no apparent reason in 1708. Then in 1710 George Garden went abroad,' and this may 'mark the beginning of 3 new and very powerful influence in his life and in that of his friends. It is true that we have no writings from his pen after this date, no translations, no prefaces. But he was by no means inactive. His methods were now much more secret and have remained entirely unnoticed. He retained his love of all the mystics, and his enthusiasm for A.B. was not dead, but he found a new and living anc. present source of revelation and inspiration in Madame Guyon. Poiret had by this time become intensely interested in the writings of .Madame Guyon, and was giving to her that same Boswellian encouragement and worship which he had formerly offered to Madame Bourignon. Garden


1 A. Bourignon, Renovation of the Gospel Spirit, Eng. trans., 1707, preface. The copy in New College Library, Edinburgh, attributes this preface to Dr. G. G. and that in a contemporary hand. Some of the other volumes in the same collection have also notes regarding the authorship of the pa -faces, and these show discrimination and seem accurate.

2 Mackinnon, Luther, I, p. 232 ; cf. p. 219.

3 Correspondence, I, p. S72 : other references in II, pp. 253, 307.

4 Minutes of Synod of Aberdeen, April 3, 1711.

5 Ibid., Oct. 3, 1710.

became also a close follower of Madame Guyon, and we discover from the Letters /1 that he was actually one of those present at Blois when she died in 1717. We learn also that he had been in correspondence /2 with her, and had received some of her poetical effusions,/3 and later we find him busily engaged /4 a in distributing copies of her different works to those who would buy them. He kept in close touch with the group, being in correspondence with Dr. Keith /5 and A. M. Ramsay,/6 and sharing exile with Lord Forbes of Pitsligo /7 and James Forbes./8 Altogether it was largely the work he had done in rousing interest in foreign mystical writings and leaders that created this Scottish following for Madame Guyon, and that brought it about that her books and letters found their way to Cullen and to other Scottish castles where the mystics made their appeal and where spiritual direction was welcome.

      1. VI. LORD DESKFORD.

ANOTHER very interesting member of the group who visited Madame Guyon at Blois and was in regular correspondence with her was the recipient of the letters of Dr. James Keith published in this volume. James Ogilvie, Lord Deskford, afterwards 5th Earl of Findlater and 2nd Earl of Seafield.

Lord Deskford was born in 169o,/9 son of the Chancellor Earl who had so much of the responsibility of negotiating the Union with England in 17o7. Affectionate relations with his father are indicated by the terms of some letters which have been preserved, though these deal chiefly with the price of grain and the health of the family. In writing to Madame Guyon in 1714 Lord Deskford stated/10 that his inclination was to follow his father in ordinary matters, and he may therefore to some extent have resembled his father, who was not supposed to be a man of very strong personal convictions./11 His mother /12 was Anna, eldest daughter of Sir Wm. Dunbar of Durn and his wife, Janet Brodie, grandchild of the most celebrated Laird of Brodie./13 Lady Seafield died in 1708, aged only 36, but already she had given direction to the spiritual life of her son, and to her influence in this respect he remained true. She had been very religiously brought up, and had had a good education, so that she was able to compose religious meditations, of which


1 M.N.E., p. 543.

2 Ibid., p. 124.

3 Ibid., p. 97.

4 Ibid., p. 165 n.

5 Ibid., pp. 134, etc.

6 Ibid., p. 151.

7 Ibid., p. 155.

8 Ibid., p. 139.

9 Paul, Scots Peerage, IV, p. 39 ; died July 1764, in the 75th year of his age.

10 M.N,E,, p. 9o.

11 D.N.B.

12 Paul, Scots Peerage, IV, p. 38.

13 The details are from the manuscript Life of Lady Seafield by Mary Baird of Auchmedden, wife of Sir James Dunbar of Durn, brother of Lady Seafield ; and other papers in Scottish Episcopal College, Edinburgh (Q. 12).

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some are still extant. On her dying bed she declared that her one ambition was " to have her heart wholly moulded into the Love of God," and that she thought " that the Love of God was the essence of religion." This is of course entirely on the lines of George Garden. He was intimate with the family and after her death wrote for private circulation a Life of Lady Seafield. When she was dying her son read her a letter concerning the Love of God, and we can see that he was already much interested in the mystical religion of the time.

Lord Deskford is said to have been a sickly child because of a bad nurse, and thus to have been a source of anxiety to his mother. As a young man he was also in poor health in London, and his life seems to have been in danger. His state of health gave him occasion for meditation and he said later that he had found much support in I Thess. v, 8-io. An anecdote of his childhood tells of severe chastisement from his mother when he was five or six years old for swearing, which he had learned from the servants, and of which he always afterwards had a particular dislike. When he was a few years older he was entrusted with alms for a beggar, but was induced by a companion to spend the money on figs. The incident was, of course, used to inculcate the proper moral. Childish thoughtlessness also caused him to utter what seemed a heartless remark when his brother William died. The Earl had promised William a large sum of money " for his portion." When James heard of the death he said, " Well, his father would not give him that money now."

Lord Deskford was educated by a tutor named Wm. Blake, of whom some particulars will be found in the letters of Dr. James Keith./1 Blake took him to Aberdeen, where he attended Marischal College from 1701,/2 and in 1705 they went to Utrecht, where the pupil is reported a to have been /3 in good friendship and correspondence with the English and Germans here. He walks in the fields with them, converses in coffee-housses, receives and returns their visits, but never goes along to the tavern, nor ever makes a pairt in their night caballs." He studied History and French and was preparing to follow the Law as his father had so successfully done, but his name does not appear in the university records./4 He was back in Scotland in the spring of I707,/5 and it was during the following winter that he was so ill in London./6 Within the next year or two he must have been abroad again and met Madame Guyon, under whose influence he was long to remain. He kept up his studies. He was acquainted with foreign languages./7 We


1 M.N.E., pp. 93. 127, etc.

2 Records of Mar. Coll., II, p. 281 ; v. also Seafield Correspondence (S.H.S.), pp. 323 f., 338.

3 Ibid., pp. 417 f. ; v. also pp. 416 ff., 424.

4 Album Sludiosorum.

5 Seafield Correspondence, p. 431.

6 Ibid., pp. 444, 451.

7 N.N.E., pp. 90, 104.

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hear of boxes of books arriving for him at Cullen House./1 History seems to have interested him particularly./2

At an early date, however, his interests had become strongly religious. One of the family retainers, writing in 1710, urges that Lord Deskford should be encouraged to marry not only for the sake of personal and family advancement but also because " if he gott a vertuous good woman she would keep him from his melancholy thoughts and the enthusiastick principles of religion."/3

It is not surprising then to find that his main reading was in Mystical Theology, and there are still in Cullen House Library many volumes of this type which were added in his day, and other books which are of interest as connected in some way with people mentioned in the Letters. Fénelon has a good place. There is a complete set of his works, with French and English versions of Ramsay's Life of Fénelon, copies of Téléinaque in English, French and Italian, and separate editions of several of his other writings. Madame Guyon's Works are also very fully represented—her Autobiography, the Commentaries on the Old and New Testament, her Poems, Letters, and Discourses, the Opuscules spirituels, the Justifications (2 copies), etc. There are also a number of Poiret's works in English, Latin and French. To these must be added many of the best known mystical books—several editions of the Imitation of Christ, Theologia Ger;nanica, Macarius, S. Teresa, Annelle Nicholas, Gregory Lopez, Olier, Surin, Angela de Foligni, S. Catherine of Genoa, Francis de Sales, Les vies des saintes pères des deserts, Hugo's Emblems, Henry Scougall. We find also the Cambridge Platonists, More and Cudworth, two copies of Ramsay's Philosophical Principles of Natural Religion, George Cheyne's Philosophical Principles, Campbell's Middle State (2 copies), and works by Cumberland, James Knight, J. Heylin, S. Ockley, the last three of whom were personally known to Deskford.

This list witnesses to a real interest in spiritual literature and in inward religion of the type preached by Madame Guyon.

Of Lord Deskford's personal religion the Letters now published in this volume afford ample evidence. Also there are preserved at Cullen House a number of prayers in Lord Deskford's handwriting and apparently of his own composition, along with transcripts of spiritual letters, poems, etc. There are also larger works, including Olier's Catechism, and part of Baron de Metternich's " Treatise concerning the perfection of happiness that is to be attained in this life," which he seems to have had copied by his chaplain. He was personally known to Madame Guyon, and she appears


1 M.N.E., p. 109.

2 Letter from W. Monro, bookseller, Edin., Nov. 23, 1720 (Cullen House).

3 At Cullen House. Letter of March 14, 1710, to Wm. Lorimer, chamberlain to E. of Findlater, from a cousin in London.

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to have had an affectionate motherly interest in him. Some of her letters in the collection published in her lifetime were originally addressed to him. For example in Vol. IV, letter 90 is the reply Madame Guyon sent to Lord Deskford on receipt of his letter of October 24, 1714, which is printed in this present collection./1 In Madame Guyon's published Letters dates and names are omitted, and in this case there is also omitted a little note which Ramsay, her amanuensis, had appended, wherein he calls Deskford one of Madame Guyon's dearest children and says she delights in his uprightness, candour and simplicity. There is a copy of the full letter at Cullen House, and there are two copies in the Seminaire de S. Sulpice in Paris.

Again, the letter numbered 53 in Vol. III was one of those sent to Lord Deskford. There is a copy at Cullen House. which, however, does not contain the part of the letter which begins at line 6 on page 234. But the Cullen House copy has a few interesting lines added apparently by Madame Guyon herself as a postscript, and then a short letter from Ramsay which speaks of Deskford's letters to Madame Guyon. and gives the illuminating information that Ramsay thought Deskford a Scottish Marquis de Fénelon (the Archbishop's nephew) and the Marquis a French Lord Deskford. A still further example is letter 1o8 in Vol. I which has in the Cullen House copy an addition apparently in the hand of the Marquis de Fénelon, where a reference to the birth of another son to Lord Deskford fixes the date as 1716./2 A few other letters from Madame Guyon to Lord Deskford will be found in this present collection./3 These do not seem to have been hitherto published. Manuscript copies of some of her works seem also to have been transmitted. Thus at Cullen House there is a copy (in Dr. Keith's writing and addressed to Lord Deskford) of the discourse which appears as number XI in the first 'volume of the published Discours chrétiens et spirituels (1790 edition), and along with it is a song, Dans ce vaste océan d'amour.

An exciting episode in the life of Lord Deskford was his arrest in August, 1715, on suspicion of Jacobite conspiracy. He was confined for a short time in Edinburgh Castle, but released on making a declaration regarded by the Hanovarian Government as satisfactory. The charge was based upon a story of a French letter which he had received in London in January of that year and had transmitted to the Earl of Kinnoull at Dupplin. It was from the Earl's sister in France and concerned only family affairs. Reference to this incident is made in the Letters,/4 and a number of other letters which treat of it and are preserved at Cullen House have been printed in James Grant's Records of the County of Banff./5 Grant and others who mention the matter seem to take it as established that there was no


1 V. M.N.E. pp. 35 ff.

2 Ibid., p. 126.

3 Ibid., pp. 94, 12r.

4 Ibid., pp. 107, 109.

5 New Spalding Club publication, pp. 302-7. V. also letter from Bp. Rose, MS. No. 1835 in Scottish Episcopal College, Edinburgh.

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ground for suspecting Jacobite sympathies in Lord Deskford, and certainly there seems to have been nothing in the charge actually made. A rather different light, however, is shed upon Lord Deskford's whole attitude by a letter which he wrote to Madame Guyon in November, 1714, which is printed for the first time in the present collection./1 Here he explains that his wife's family are Jacobites—and we remember that her brother, the Earl of Inverness,/2 was a very outstanding follower of the Stuarts. He goes on to say that his father is inclined to the Hannovarians, but not very enthusiastically, with the result that he has lost his place in the Government. He himself inclines to obey his father " dans toutes les choses indifferentes," and he has actually spoken to the King in loyal terms. On the other hand, he acknowledges to Madame Guyon a secret attraction to the Stuart cause, and says explicitly that if Providence should give it the victory he would be far from grieved. Had this letter of his come into the hands of the Government instead of that which actually caused his arrest. the result might have been very different. In any case we now know that he was a secret if somewhat timid Jacobite, and possibly his arrest saved him from a rebel's death.

If the arrest was intended to frighten him, it served its purpose. He did not go out in the 'Fifteen with so many of his circle ; and in the days of the 'Forty-Five he showed himself a thorough Hannovarian. His house at Cullen was plundered by the passing Jacobites,/3 and he himself distributed money to the troops of the pursuing Duke of Cumberland. He w- s reported to have " behaved with the greatest zeal and activity for the King's service." /4

Outside of the period of Madame Guyon's life and the correspondence with Dr. Keith, we know of Lord Deskford's long and useful and honourable career. He succeeded to the titles and estates in 173o, took a very active part in the local government of Cullen, introduced linen and damask manufacture into the neighbourhood, extended his authority under the new enclosure laws, became Vice-Admiral of Scotland, and died prosperous and respected in 1764./5 He was twice married. His first wife, Lady Elizabeth Hay, daughter of the Earl of Kinnoull, is repeatedly mentioned in the documents of this collection. She was a most affectionate wife, as is evident from those tender letters to her husband which are preserved in Cullen House. They are most natural and unaffected letters and followed one another to London in quick succession. Lord Deskford's second wedding took place just outside the period of Keith's letters. Lady Sophia Hope, whom he married at the close of 1723, was of the Hopetoun


1 Pp. 88 ff.

2 D.N.B. (John Hay).

3 Cramond, The Plundering of Cullen House.

4 Quoted A. and H. Tayler, Jacobites of Aberdeenshire and Banffshire, p. 71.

5 For particulars v. Cramond, Annals of Cullen. 2nd edit., 1888.

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family and was a great strength to him in all his domestic and social and financial concerns./1 It is quite conceivable that she had also some influence upon his political views. The story that she was actually a spectator of the Battle of Culloden /2 would seem to strengthen such an impression. There may also be grounds for suggesting that to some extent she cured him of " his melancholy thoughts and the enthusiastick principles of religion " as his friends had hoped his first marriage might do./3

      1. VII. ALEXANDER, 4TH LORD FORBES OF PITSLIGO.

NONE of the group is so well known as Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo, one of the most interesting of Jacobites and one of the most worthy characters in Scottish annals. He seems early to have become concerned about religion, and, while such movements were still popular in fashionable France, to have come into sympathetic relations with French mystical thought, and that apparently under the guidance of Fénelon. Sir Walter Scott says " he attracted the notice and obtained the friendship of the celebrated Fénelon, the rather that he coincided with that virtuous and benevolent prelate in certain warm and enthusiastic religious doctrines, approaching to that Quietism, as it was called, encouraged by the enthusiastic conceptions of Madame Guion." Lord Forbes of Pitsligo may well have had his mystical tendencies developed even before he went to France. His father, Alexander, the 3rd Baron, was a student in residence at Marischal College, Aberdeen, for several sessions from 1671,/5 and there is evidence to indicate that one of his fellow students may have been the future Dr. James Keith./6 Keith's father/7 was then minister of Birse, and as such was chancellor of the diocese arid so in close touch with the Bishop, Patrick Scougall. Scougall's son, Henry, had graduated in Arts at King's College in 1668 /8 and became a regent there in the following year, but he must for the next few sessions have also been studying Divinity, which he would do under Professor Menzeis at Marischal College, as no Divinity Professor had been appointed at King's since the death of Professor Douglas in 1666. Scougall's bosom friend was George Garden, a graduate in Arts of 1666, and probably not far away for some years from the College where he also became a regent in 1673. There is perhaps room to suppose that


1 Cramond, Annals of Cullen (2nd edit., 1888) ; also Cramond, Church and Churchyard of Cullen, p. 117.

2 R. Forbes, Lyon in Mourning, II, p. 25a.

3 M.N.E., p. 41.

4 Sir W. Scott, review of Lord Medwyn's edition of Pitsligo's Thoughts Concerning Man's Condition and Duties in this Life, etc.

5 P. J. Anderson, Records of Marischal College, II, pp. 239 f.

6 Ibid., II, p. 239.

7 Fasti Ecclesiae Scoticanae (new edit.), VI, p. 83.

8 Fasti Aberdonenses, p. 523 ; P. J. Anderson, Officers and Graduates, p. 316.

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the mystical spirit which showed itself then already strongly in the Scougalls and in Garden may at this period have influenced Dr. James Keith and Lord Forbes of Pitsligo, and borne fruit later when the son of this Lord Forbes of Pitsligo certainly showed himself a devoted friend both of Dr. Keith and of Dr. George Garden. Indeed Garden was able to make Rosehearty, which was the home of the Pitsligo family, the headquarters of his propaganda efforts in the days when he was spreading the tenets-of Mme Bourignon, and later they remained in close intimacy. No one could have reflected more clearly than did Lord Forbes of Pitsligo the highest tone of the movement with which we are concerned. A contemporary records that he was a man to whom " God was All, and the whole creation in itself and of itself considered, was nothing." Dr. King's account of him is famous : " Whoever is so happy either from his natural disposition, or his good judgment, substantially to observe St. Paul's precept, To speak evil of no one, will certainly acquire the love and esteem of the whole community of which he is a member. But such a man is a rara avis in terris ; and among all my acquaintaince, I have known only one person to whom I can with truth assign this character. The person I mean is the present Lord Pitsligo of Scotland."/1

The Letters of Dr. James Keith while not discussing him anywhere or offering any revelations regarding his religious outlook, bring him before us as clearly one of the group. To Ramsay, Mme Guyon's secretary, he is " notre très cher et très honoré amy." /2 He received both letters and verses from Mme Guyon, and would send them round the little circle of his fellow mystics./3 He was an exile abroad during most of the years covered by these letters,/4 but news comes of him /5 travelling in the company of his German friend, the Baron de Metternich, a profound student and ardent devotee of mysticism and himself a writer and propagator of mystical literature./6 When he returned to Scotland in 1720 after his European wanderings he brought /7 Lord Deskford a present from Ramsay of the edition of Fénelon which Ramsay was busy bringing out, and no doubt it was his own interest in the thought of Fénelon that made him read Ramond de Sabunde./8

A considerable number of letters from Lord Forbes of Pitsligo have been preserved, mostly in private collections./9 There we find mention of Poiret,


1 King, Anecdotes of his own Times, p. 143.

2 M.N.E., p. 97.

3 Ibid., p. 84.

4 For Cherel's confusion of Lord Forbes of Pitsligo with Wm., 14th Lord Forbes, v. p. 48.

5 M.N.E., p. 16o.

6 Ibid., p. 102, note.

7 Ibid., p. 165.

8 Ibid., p. 183.

9 At Cullen House, Crathes Castle, Fettercairn House, etc. Some have been published in the Stuart Papers ; in A. and H. Tayler's Letters from Lord Pitsligo ; etc. Hitherto unpublished letters appear in footnotes in present volume ; v. pp. 155, 165, 173.

45

Madame Guyon, Fénelon and others, as well as of mystical books such as those of Macarius and of Pascal. Further, a collection of books and manuscripts which came from his family and are now in the Scottish Episcopal College in Edinburgh includes interesting mystical literature which had belonged to him personally or to his friends, George Cummin of Pitullie and James Ogilvie of Auchiries, and includes also careful transcripts of mystical works such as the Cantiques of Surin, various works of Poiret, the Life of Armelle Nicholas, Mme Guyon's Short and Easy Method of Prayer, the Life of .iIme. Guyon, the Life of Mme. Bourignon, etc., which had been made at his instructions.

The details of his career are too well known from published accounts to require recapitulation here. Suffice it to say that he was an active participant in both the 'Fifteen and the 'Forty-Five, and suffered accordingly. He lost his estates, had to spend years in exile on the Continent, and his marvellous adventures and escapes after the 'Forty-Five were stranger than fiction. A man of culture and breadth of education, he took life very philosophically and remained in all circumstances serenely calm. Religion was his support. He had a long life, for he was born in 1678 and survived till 1762, and to the end he maintained his piety and his nobility of character. Some writings which he left show him serious and meditative, without perhaps much originality or any great depth of thought or feeling. There is nothing to suggest the dangerous quietist ; but his self-control, his disinterestedness, his loving kindness, his trustful acceptance of ill fortune and good fortune, and his possession of a peace past understanding remained to prove him the follower of Mme Guyon and of greater mystics. His spiritual position may be summed up in his own words : " An absolute submission to the Divine Will both in ourselves and others is the only thing to be prayed for, as it is the only true essential religion./2

      1. VIII. WILLIAM, 14TH LORD FORBES, AND JAMES, 16TH LORD FORBES.

WE find in the Letters frequent mention of William Forbes who succeeded his father as 14th Lord Forbes in 1716./3 He married in the autumn of 172o the daughter of a wealthy London merchant, but it is said that her family were at this very time ruined in the collapse of the South Sea scheme. A son was born in December, 1721, and succeeded, on the death of his father


1 Biographical Sketch by Lord Medwyn (1829 and 1854) ; D.N.B. ; Jas. Stark, Lord Pitsli'o ; etc.

2 In his Apology (MSS. in possession of Dr. Leslie of Memsie) brought to the writer's notice by Alastair N. Tayler, Esq.

3 Particulars from G. E. C. Complete Peerage ; Paul, Scots Peerage.

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in 173o, but himself died in 1734, to be followed in the title by his uncle, James Forbes, of whom we shall presently speak.

William Forbes, Master of Forbes as he was when we first meet him in the Letters, was evidently very highly regarded /1 by his friends. Dr. James Keith speaks of him with particular affection./2 He seems to have spent a great part of his life abroad. Thus he came to have a somewhat different attitude from that which had characterised his family, who had been on the Covenanting side in Scotland, and who had a typical representative in his father, the 13th Lord Forbes, a Whig and a Hannovarian./3

William Forbes was abroad during the whole time /4 of the Jacobite intrigues and rebellion, and was quite definitely not implicated, but it would be surprising if his interests were not on the Jacobite side, as were those of his friends both Scottish and French. He was in friendly relations with the Earl of Mar, as we gather from a letter in the Stuart Papers ;/5 and his brother James was an avowed Jacobite.

His interest in mystical religion was outstanding. He is one of the leaders of our group. He enjoyed the hospitality of Mme Guyon at Blois, is mentioned in her letters, was in correspondence with her, was in close touch with Poiret, and Ramsay, and Dr. James Keith. was familiar with the literature, and by no means abandoned his interest and enthusiasm at the death of Mme. Guyon./6

It was clearly interest in this type of religion as encouraged by George Garden and the Bourignonists that first took William Forbes to Blois. The romantic and exciting stages of Mme Guyon's career were now over. She no longer troubled the French King's court, and directed the spiritual life of the greatest in the land, and brought the highest ecclesiastics into immortal controversy and upset the peace of the Vatican. It had not been altogether surprising that she found herself in the Bastile, but at last in 1705 she had been released and presently took up residence at Blois. She was in declining health, but she was able to continue and to extend her influence, chiefly by correspondence ; and from various lands admirers who had been in communication with ker used to make pilgrimage to her home.

Extremely interesting information of these last years of Mme Guyon's life comes to us through William Forbes. The Life of M. Guyon as published unfortunately stops short at December, 1709 ; but there are various manuscripts in the library of the Faculty of Free Theology at Lausanne which preserve many details regarding the later period, and amongst these


1 M.N.E., pp. 115, etc.

2 Ibid., pp. 132, 134, etc.

3 William, 13th Lord Forbes, had nevertheless been under the influence of George Garden, for he studied under him at King's College, Aberdeen, 1673-4 : Fasti A be, donenses, p. 493.

4 M.N.E., pp. 102, 118, 121.

5 III, pp. 229 f. : Nov. 17, 1716.

6 M.N.E., pp. 91, 121, 141, etc.

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is a Notice sur Mme. Guyon/1 recording what William Forbes (now Lord Forbes), when living at Aix la Chapelle between 172o and 173o, recounted to Petronelle d' Eschweiler, afterwards the wife of Fleischbein, a well-known German quietist.

Cherel in his valuable Fénelon au xviiie siècle en France (1917) /2 and in his André-Michel Ramsay (1926) /3 refers to this evidence, but he has mistakenly supposed that not Lord Forbes, but Lord Forbes of Pitsligo, is the subject of the narrative. This serious confusion was perhaps one into which a foreign writer might easily fall, but no one acquainted with the careers of the two men can be in any doubt.

The Lausanne documents show that a number of English and Scottish visitors came to see Mme Guyon at Blois, mostly persons acquainted with Fénelon and Poiret and well read in French mysticism. In particular about half-a-dozen, including Lord Forbes, lived a good deal in her house at intervals between 1710 and her death in 1717, being treated by the semi-invalid lady as her spiritual children and hospitably entertained. Lord Forbes told how every morning when Mme Guyon communicated in her room, the Protestants retired behind a certain curtain, and there experienced " un délectable et profond recueillement de présence de Dieu," each according to the degree of his spiritual progress. When the priest entered Madame used to say, in words very characteristic, that he was bringing to her " mon divin petit maître."

Some of Mme. Guyon's Cantiques were composed in the presence of these English and Scottish protestants. Lord Forbes declared that she would ask them to sing an air to her, and promptly write a song /4 for which it would be suitable, with a message for their spiritual condition. Her " Cher et divin amour, dont mon âme est atteinte " /5 is said to be a prophecy regarding Scotland, to which country the majority of her English-speaking friends belonged. Certain words in one of her printed Discourses/6 are also said to refer to the Scots : " Je transporterai, dit le Seigneur, mon Sanctuaire. Ceux qui ne me connoissoient pas, recevront ma vérité." Likewise the Discourse " L'Intérieur rebuté et recherché," /7 which has special reference to the Samaritans, was intended for the Scots, and dictated in the presence of Lord Forbes./8 It was also to Lord Forbes that the incident occurred which is recorded in one of Mme. Guyon's printed letters


1 MSS. T.P. 1154 (Bib1., Fac. de Théol. libre de Lausanne) ; cf. also T.P. 1155, T.S. 5013, T.S. 1015, T.S. 1016, T.H., 244C.

2 P. 48.

3 P. 25.

4 Mme. Guyon, Lettres (1768 edit.), III, p. 170 ; also M.N.E., p. 97.

5 Poésies spirituels, Vol. IV, Sect. iv., pp 176 ff.

6 Lettres, V, p. 56.

7 Lettres, V, pp. 56-9.

8 That it was spoken in Lord Forbes's presence is stated in MSS. T.P. 1155, Recueil de divers traits sur les dernières années de Madame Guyon, p. 9. The heroic poem, No. 9, in Vol. IV, of the Cantiques was similarly composed.

(Vol. III, p. 182) : " une bonne ame a dit à une personne qui lui demandoit comme elle vivoit avec d'autres personnes qui étoient dans la même maison avec elle en une espèce de communauté : nons servons le bon Dieu, disoit elle, et nous nous crucifions les unes les autres." /1

The lady to whom Lord Forbes made his narration declares that he held Mme. Guyon in such veneration that even so many years after her death he was " comme hors de lui même " when he spoke of her. He had gone far himself in the interior life. It happened that he was not present at Mme. Guyon's deathbed. He is said to have been absent on a visit to one of the communities of the followers of Mme. Guyon in the neighbourhood, and to have much regretted that he had not been able " baiser les pieds de cette grande sainte " before she died.

We are further informed that Lord Forbes, under the influence of Fénelon, had thoughts of becoming a Roman Catholic. Ramsay and an Englishman named Hughes had done this. Lord Forbes even planned entering a monastery so as to be able to give himself completely to the service of God. Mme. Guyon was of a different mind and dissuaded him, predicting that he would soon marry. The narrative goes on to say that Lord Forbes did in fact some time later marry, his wife being a rich lady from London, who was also interested in religion, and their first child born at Aix la Chapelle was held up at baptism by Mlle. d'Eschweiler and was named Jean Marie after Madame Guyon./2 It is strange to think of this little daughter of an Aberdeenshire nobleman bearing the name of this French quietist.

Mme. Guyon's views as to conversion of Protestants in circumstances such as those of Lord Forbes are not in doubt ; /3 but they are confirmed in an interesting way by a document/4 which has come to the Scottish Episcopal College in Edinburgh through the Pitsligo family. It gives a copy of a letter which seems to be from Fénelon himself, urging the Scottish group to join the Roman Church, and also a copy of the Scottish reply, which lays particular stress on Mme. Guyon's definitely expressed teaching that this was not wise. " When any of her Protestant friends consulted he; about changing and going over to the Roman Church she dissuaded them, and advised them to remain where they were, and labour there to


1 For the connection with Forbes, v. MSS. at Lausanne, T.S. 1016 (March 26, 1773) ; T.S. io15 (Nov. 3, 1761), and T.P. 1155.

2 These details from T.P. 1154 and T.P. 1155 correspond closely to the facts. V. information in Burke, Landed Gentry, where Jean Maria, eldest daughter of William, Lord Forbes is mentioned as married to James Dundas of Dundas. In Paul, Scots Peerage, Jean is placed 4th among the children of Lord Forbes. The eldest child was in fact Francis, born at Chelsea, Dec. ig, 1721.

3 MSS. T.S. 1015, refers to her treatise on Cplossians, p. 74 ; v. also Mme. Guyon, Lettres, V. p. 57. Cf. Mme. Bourignon's similar attitude, Apology, p. 23. Ramsay in his Life of Fénelon gives a curious and not very convincing account of his own conversion.

4 Quarto MSS. No. 45 : Jan. 9, 1711.

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become true Christians, that it was no more ye will of God that such distinctions should subsist, which he was to remove, and unit all and govern them in the unity of his spirit. We look upon this counsell as from God, and therefor non but God can grant us a dispensation from it, by letting us know the time and circumstance of an exception as plainly as he has done the general rule, which has not yet happened to us."

Lord Forbes continued his interest in mysticism and this interest was strengthened by the fact that it was so fully shared by his brother James, afterwards 16th Lord Forbes. This younger brother, born about 1689,/1 succeeded to the title on the death of his nephew in 1734 and died in 1761. He was twice married, first in 1715 to a sister of Lord Forbes of Pitsligo, widow of John Forbes of Monymusk, and then in 1741 to Elizabeth Gordon of Park. The universal respect in which he was held appears in the notice published in the " Aberdeen Journal " /2 announcing his decease.

His direct concern in the Jacobite Rebellion is clear from references in the Stuart Papers, in A. and H. Tayler's Cess Roll of Aberdeenshire, 1715, and in the Letters now published. When the Rebellion was decided upon he slipped north by sea from London,/3 and we find him active as captain of an independent company of the rebels with headquarters at Aberdeen./4 When the rising collapsed it was necessary for him to disappear quietly to the Continent, and at last in October, 1716, he was able to do this./5 He crossed with his friend Dr. George Garden, and like him enrolled as a student in the University of Leyden. While Garden turned to Science, Forbes devoted himself to the study of Laws/6 The Earl of Mar soon afterwards wrote him from the Court at Avignon, sending the Pretender's felicitations upon his escape and safety./7 After the Indemnity was passed he procured a licence which allowed him to return quietly to Scotland./8

James Forbes took an active interest in the mystical movement./9 He was in steady correspondence with Dr. Keith, and is frequently mentioned in his Letters./10 He was personally acquainted with Mme. Guyon, possessed manuscript poems of her composition,/11 and was one of those present when she died at Blois in 1717./12 He and his brother were certainly of the innermost circle of those who found inspiration in the company, correspondence and published works of Mme. Guyon, and in the whole of that class of mystical literature in the spread of which Dr. Keith was engaged.


1 Paul, Scots Peerage, IV, p. 64.

2 A.J., Feb. 23, 1761.

3 M.N.E., p. 113.

4 Stuart Papers, I, p. 474 ; Cess Roll of Aberdeenshire, z715 (Third Spalding Club), pp. 27, 28.

5 Stuart Papers, III, p. 23.

6 Album studiosorum Academiae Lugduno Batavae, p. 85o. V. also article by present writer on An Aberdeen Student at Leyden in " S.N. & Q.," Sept. 1932.

7 Stuart Papers, III, pp. 229 f.

8 Ibid., V, p. ro8 (Oct. 7, 1717).

9 1 I. N.E., pp. 151, 154, 162.

10 Ibid., pp. 102, etc.

11 Ibid., p. 97.

12 Ibid., p. 15o.

[ PORTRAIT:] James, 16th Lord Forbes.

(From a painting at Castle Forbes.)

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In Castle Forbes there is still preserved the following curious receipt from the parish minister of Alford which shows the concern of James Forbes to spread piety among the people on the estates :

" Received from Mr. Jeames Forbes sone to my Lord Forbes,

(1) A Short Catechisme and other tracts by Josiah Wodward,

(2) Two Letters concerning self-love and other tracts by D. Henrie More,

(3) The Spirituell Combat,

(4) A Present for servants,

(5) The whole duty of a Christian, and other tracts,

(6) Comparative Theologie,

(7) The husbandman's Manual', and other tracts,

all these being dedicat for the use of ye poor in the parish of Alford, all which books I, Mr Andrew Jaffrey, minr at Alford, oblidges me to distribute amongst the people of the sd parish, and give them to others as occasione offers, as witness my hand at Asloune the 25 day of Junii JMVII and twelve years. And. Jaffrey."

This minister was one of those deposed after the Rebellion.

In the Library at Castle Forbes there also remain a number of volumes of mystical literature and other books associated with the movement in which we are concerned, and added by James Forbes or his elder brother William, of whom we have already spoken. These include two copies of James Garden's Comparative Theology, Life of M. de Renty, Pascal's Thoughts, Hermann Hugo's Pia Desideria, several copies in French and English of the Life of Armelle Nicholas, Poiret's edition of the Imitation of Christ, A. M. Ramsay's Travels of Cyrus, Ramsay's Life of Fénelon, George Garden's edition of the Works of John Forbes of Corse, Leighton's Sermons, and a goodly number of pious tracts.

      1. IX. CHEVALIER RAMSAY.

THE letters from Madame Guyon to her Scottish followers were dictated to Andrew Michael Ramsay, and letters for her were sent to him and translated into French to be read to the Directress.

Ramsay thus appears often, both directly and indirectly, in the present Collection, and therefore, although published particulars regarding his strange character and romantic career are easily accessible,/1 something must be said about him here. In particular it is necessary to stress his intimacy


1 A. Cherel, Un Aventurier religieux au xviiie siècle, André-Michel Ramsay (cf. Cheres Fénelon au xviiie siècle en France, chs. ii ff.) ; A. M. Ramsay, Life of Fénelon ; Schiffmann, A. M. Ramsay ; Gould, History of Freemasonry ; D.N.B. ; P. Janet, Fénelon ; A. Shield and Andrew Lang, The King over the Water ; etc.

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with the whole of the group in the North-East with whom we are concerned, a matter not within the cognisance of his biographers.

He is said to have been a baker's son from the town of Ayr,/1 born about 1686,/2 and educated at Edinburgh University /3 with a view to the Presbyterian ministry of the Church of Scotland, to which his father belonged. His mother would appear to have preferred the Episcopacy of the Scotland she had known in her youth, and from this developed Ramsay's dislike of Calvinistic dogma. He found no attraction in the Rationalism which was becoming popular in the Universities, but at an early date was drawn towards Mysticism. There seems no room in his career for a supposed military adventure abroad in 1706 /4 and he did not require to go abroad for mystical influence. In 1708 we know he made the acquaintance /5 of Robert Keith, afterwards Bishop of Edinburgh in the Scottish Episcopal Church. About that time he became tutors to the small sons of the Earl of Wemyss and in February, 1709, he was with them in the south of England and wrote to Keith in words that already echoed Madame Guyon—" I have nothing to write to thee, but only this, that if we continue to aspire unto our Almighty Original, we shall still be united however far separated in the world."

He goes on to add that " after twenty years absence our souls shall be as much united as ever, and I shall embrace you at meeting with all the freedom of a Philadelphian." The Philadelphians were well known to our Scottish group, and it was through them that Baron Metternich was led to interest himself in mysticism. Ramsay elsewhere records that before he went abroad to France he had come under the influence of a Scottish clergyman who was much attached to the writings of Fénelon, Francis de Sales, and other mystics of the day./8

Who this Scottish clergyman may have been we cannot ascertain, but it was clearly one of our North-Eastern group. Cuthbertson s says " there


1 The MSS. Anecdotes, quoted by Cherel, say " la ville de Daire en Ecosse," which is not very conclusive.

2 Cherel, Fénelon, p. 35 note.

3 A student of the name of Andrew Ramsay matriculated in 1704 and graduated in 1707 v. Scholarium Matricula ab anno MDCCIV and Laureations and Degrees, 1585-1809 (Edin. Univ.)

4 Cherel, André-Michel Ramsay, pp. II f.

5 Preface to Lawson's edition of Robert Keith's Affairs of Church and State.

6 Cherel, op. cit., p. 9 ; v. also letter in above-mentioned preface to Lawson's edition.

7 V. above-mentioned preface. The letter appears also in Hist. MSS. Corn., Report on Laing MSS., Vol. II, p. 156. Another interesting letter from Ramsay at a much later date is given in Vol. II, p. 33o.

8 Cherel, op. cit., p. 15.

9 D. Cuthbertson, biographical memoir in translation of Ramsav's Life of Fénelon (1897), p. 2.

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is a strong probability for believing that he imbibed mystical views ere leaving Edinburgh, heightened, doubtless, through the trial there of a northern clergyman for entertaining and upholding what were called the pernicious views and doctrine of Antoinette Bourignon."

From the letter already quoted and written to Robert Keith in February, 1709, we gather that Ramsay was acquainted with Alexander Moore, minister of Fraserburgh, whom Keith himself so enthusiastically admired. Moore was a mystic, an Episcopalian, and a Jacobite, one of George Garden's circle, specially mentioned along with him as a leading Bourignonist in an Aberdeen Synod 'Minute in April, 171o. Ramsay's letter should be more fully quoted at this point : " If after this you chance to see Sandy Strachan, Johnny Anderson, Davidson, and the lads about Rose-hearty, mind me to them ; but to Mr. Moor, your dear friend, in a particular manner." This familiar reference to people at Rosehearty, the Bourignonist headquarters, where George Garden at this very time was living, is most interesting. Clearly he was in touch with the movement before he went abroad and attached himself, first to Poiret, the well-known adviser of the group, and then to Fénelon himself. Ramsay says he spent some time with Poiret in the summer of 1709 and was with Fénelon by the month of August./1 George Garden was reported by the Aberdeen Synod which met at the beginning of October, 171o, to have gone abroad, and no doubt he and Ramsay would meet and strengthen the latter's connection with the group in the North-East. Later they were certainly in correspondence./2

Under Fénelon's influence Ramsay became a Romanist. In his Life of Fénelon he gives a long account /3 of the arguments by which the Archbishop was supposed td have converted him. Ramsay was not distinguished for the accuracy of his narratives, and here perhaps is one of the places where his imagination was called in to assist his memory. He seems to have ingratiated himself with Fénelon in whose entourage he remained for some years, being entrusted at the end with his master's papers, and becoming his editor and biographer. Fénelon died in 1715, but before that Ramsay's close association with Madame Guyon had begun./4 A letter of March 20, 1714, included in our Letters /5 shows him already with her at Blois, and he was certainly there until early in 1717, when he went to Paris to be tutor to the young son of the Comte de Sassenage. He did not lose touch, however, and our Letters seem to indicate that he was present at Madame Guyon's deathbed in June, 1717. He continued for some years his work as tutor,


1 Cherel, op. cit., p. 12.

2 There is further evidence in the Correspondence of Garden and Cunningham where Andrew Ramsay is occasionally mentioned with reference to his pursuit of mystical religion, and even interest in the French Prophets, and is named in association with the Master of Forbes and Dr. Keith as early as November, 1709: M.N.E., pp. 2o1, 207, 231.

3 Pp. 192 ff.

4 Cherel, op. cit., p. 23.

5 M. N.E., p. 78.

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travelling with his pupil and being much engaged in literary work. Frequent reference to his movements and his writings will be found in the Letters of James Keith. Important are the allusions to the strife raised by Poiret's pious endeavour to produce a worthy Life of Madame Guyon,/1 on the basis of her own account of her career. Ramsay's Life of Fénelon, first published in 1723, is really an attack upon this work of Poiret which had appeared in 1720./2

In 1723 Ramsay received the rank of Chevalier, and next year was in Rome as tutor in the Pretender's family. His celebrated Voyages de Cyrus appeared in 1727. He returned to England, and was honoured by the Royal Society and by the University of Oxford. The tutoring of young French nobles was resumed, and this and his literary work, and the masonic activities to which he had turned, kept him occupied until, after a period of ill-health, he died in 1743.

His services to Fénelon and to Madame Guyon call for praise, and his French style is said to have great merit, but he was a strange character and seems to have been particularly lacking in true sincerity, much given to display regarding his knowledge and adventures, and troubled with a somewhat perverted sense of humour. He was not a great man, nor a man of any originality, but he made an ardent disciple, and a useful servant, and an eager friend to men of distinction. He uses the religious vocabulary of the group during the years covered by the present collection, but later he wandered into more speculative paths and aimed apparently at being regarded as a philosopher. Few careers, however, have been more romantic or have brought a man of apparently humble origin and mediocre gifts into intimate contact with so many outstanding personalities 'both in politics and in religion. A friendly account of him appears by way of introduction in the 1751 edition of his Philosophical Principles. We are told of his " unaffected simplicity of heart," and " warmth of devotion," and informed that " being at last satisfyed of the goodness and warmed with the love of the Deity, his benevolence to mankind prompted him to make it the chief aim of his life to lead others to the same knowledge and from them to the same temper ; to render God more adored and beloved and mankind more in friendship and charity with one another."

Both the references to Ramsay in the Letters of James Keith, and those of Ramsay's own letters here printed, add to our knowledge of the man and his career, but perhaps this introduction to him could not conclude better than with a letter originally addressed by him to Lord Forbes of Pitsligo and now preserved at Cullen House.

1 M. N.E., pp. 151 • 152, 159, 162, 164, 189.

2 V. discussion in Cherel, op. cit., pp. io6 ff. ; y. also 11I.N.E., p. 189.

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To M. L. P.

M. D. L.

Yours was very welcom especially by such a bearer. I'le take as good care of him as I can as long as he stays in this country, and if my mistress dy while he is there, and my male director doe not hinder me, I'le een come back with him for indeed I like you all unto well, and I have grutten very heartely sometimes when I thought on you ioo miles on t'other side the Bast : Tho the Fourmillante tête is still restless: yet I think it has gotten a gay keyvel cast so that I can not writ much of my own talk to you, but I thought you \you'd be content and perhaps edify'd with some rules that my mistress wrot a long time ago, and gave lately to me.

***

Adieu M. D. L. and believe that I can never forget you so long as I have any sincere desire to seek God in simplicity of heart. I hope he will still keep you very humble and very fear'd to doe anything that may call you from home, and imprint deeply in your heart that solid truth that since in the last times the elect are to be deceiv'd if possible, God will never send but regenerate persons to be the Guids of these little children to whom the Kingdom of God belongs. A: B: was of this mind and some others yet living have the same thought. However let us be very cautious in suffering charity to cool to those whom we may imagine deluded, or really are so. Ther is but one essential delusion, the separating the heart from the love of the truth ; now some say that wandring sometimes is the right way to the high road. God strengthen the honest upright hearts among these folks, and prepare 'em for the dreadfull shock they will one day get, when their eyes are open'd, and their souls are truely enlightened non par les faux brillans et les vifs sentimens d'une sensibilité spirituelle, cachée et propriétaire, mnais par cette vérité qui ne luit que dans un fond calme et paisible. Some must pass through great tribulations and tryals ; 'tis good for us to think that the reason why we are not in the same case is becaus we ca'n't bear such temtations ; but it is contrary to my rule to prattle so much. I end with a thousand offers of my humble duty to your Lady and to the Lady Monimusk and to Mrs Jean if you see it proper. Tho it's not fit to speak much of me seeing if the Jews know of all our story, I may find a Galley, that's nothing, but a new persecution may be rais'd agst the honest woman I go to see. Adieu and pray for yours

A. R. Pax vobis

Ora pro nobis.

55


      1. X. JAMES KEITH, M.D.

No one seems to have been more zealously and successfully occupied in propagating the cause of mystical religion than James Keith, M.D. He belonged to Aberdeenshire, being the son of Dr. John Keith,/1 the successor of Dr. George Garden in the ministry at Old Machar, the cathedral church of Aberdeen. The father died in 1694, having quietly carried on worship till the end in the manner customary under the Episcopalian regime, and, beyond reading any proclamations sent down by Government, paid no attention to the Revolution. After he died the ecclesiastical situation in the parish was taken in hand, and the church was closed until a Presbyterian minister could eventually be inducted./2 His widow only survived him a few months. She is mentioned several times along with her son in the Procuration accounts of King's College for 1693-4, but in the following years he alone is spoken of as executor. Dr. Keith had a daughter who married Francis Ross, minister of Renfrew, whose adventures at the Revolution have already been described./3 Francis Ross and his son are mentioned in the Letters of James Keith./4

James Keith had graduated in Arts. He is several times designated " ' jr " in records of King's College. Details of his early career are unfortunately lacking. Twice, however, his name appears in documents connected with the Parish of Birse where his father ministered before his call to Old Machar. Among the Deeds preserved in the Sheriff Clerk's office, Aberdeen, is a Minute of agreement of June 21, 1678, between Violet Strachan and Alexander Ross, witnessed by (amongst others) John Keith, parson of Birse, and " James Keith his sone." There is also a receipt from Wm. Turner dated January 27, 1682, in favour of Mr. Jn. Keith, parson of Birse in name of the Kirk Session witnessed by " Js Keith son lawful to sd Mr. Jn Keith." We have therefore evidence that as early as 1678 he was of age to act as witness to a legal document, but even in 1682 he is not called " Mr " although his father is so designated, and he may therefore not have been a graduate until after that date. On the other hand, the only trace of a person of this name graduating at Aberdeen in the period is in the Records of Marischal College where we have James Keith paying chamber-mail for the year 1671-2./5 In the circumstances this date seems a little early, but it is interesting to note that another name on the list at this same


1 F.E.S., VI, pp. 20, 83, 95 ; Munro, Records of O. Aberdeen, II ; Orem, Description of O. Aberdeen, etc.

2 M.N.E., p. 25.

3 Ibid., pp. 24 f.

4 Ibid., pp. 135, 175. 179.

5 P. J. Anderson, Records of Marischal College, II, p. 239.

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period is that of Francis Ross, the laird's son from Birse parish, who afterwards married James Keith's sister. Still another inmate of Marischal College in those years was Alexander, 3rd Lord Forbes of Pitsligo, father of the Jacobite hero, who was later a close friend of Dr. James Keith.

J. T. Findlay in his History of Peterhead quotes town records which show that a graduate named James Keith, who had been chaplain to the Laird of Skene, became schoolmaster at Peterhead in May, 1679, and left in February, 1685, on being appointed chaplain to the Earl Marischal.

It was certainly at a much later date that James Keith turned to Medicine. No doubt the events of the Revolution finally closed for him any idea of the ministry as a profession. He may at this stage have studied abroad as was the general practice of medical students. In the Matriculation Album of Leyden University under date October 26, 1686, there is an entry " Jacobus Kiets, Scotus, 24, m," which may represent James Keith./1 The ages in this record, especially in the case of foreigners, are notoriously inaccurate, and a Dutch attempt to pronounce Keith generally results in a sound very like Kiets. He was certainly later well acquainted with Holland. His knowledge of French also was such as to enable him to engage in translation work, and it may be taken that he spent some time abroad before he finally settled in London where so many Scottish medical men were making a name and a fortune.

In 1704 he received the degree of M.D. from King's College, Aberdeen,/2 and in 1706 he was admitted a licentiate of the London College of Physicians./3 By this time he was married, for when he died in 1726 he had a daughter old enough to be his executor. In 1707-8 he evidently had Lord Deskford as a patient. Lady Seafield, writing in May, 17o8, mentions " Doctor Kieths adwice." /4 We come across him again in 1712 when he made an attempt to be appointed physician to the Chelsea Hospital. There is a letter from Viscount Dupplin to his father-in-law, the Earl of Oxford,/5 regarding the situation. It appeared that the celebrated Dr. John Arbuthnot, the Queen's physician, himself a graduate of Aberdeen./6 was anxious for the post. Dr. Keith had already secured the support of "a great many of the Commissioners," but would not have thought of it had he known of this rival. Dupplin says " Dr. Keith is a sincere honest man. Your daughter and I have been infinitely obliged to him, and this


1 Review by present writer of Dr. Innes Smith's Students of Medicine at Leyden in " Aberdeen University Review," July, 1932. Dr. Innes Smith identifies Kiets with Keill, a suggestion which can scarcely be taken seriously.

2 King's College Albums C. and E.

3 Munk, Roll of R. C. of P. of London, II, p. 18.

4 Seafield Correspondence, p. 478.

5 Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, pp. 245

6 Records of Marischal College, II, pp. 252 f. ; D.V.B.

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place is the top of his ambition." We know that the position was finally given to Arbuthnot./1

Something of Keith's family life appears in the Letters and elsewhere. His two eldest boys, James and John, died of small-pox in the spring of 1717/2 He lost his wife in 1721,/3 and he himself after some months of illness died on November 1, 1726./4 Besides his grown-up daughter Elizabeth (named after her mother), he left two young children—Peter (perhaps called after his friend and correspondent and religious guide, Pierre Poiret), and Anne. The birth of Peter is recorded in a letter of June, 1717./5 There are various allusions in Keith's correspondence to illness of one kind and another which seem to indicate that he was not too robust.

Riding exercise, a remedy very strongly recommended by Keith's friend, Dr. Cheyne,/6 is mentioned, as well as visits to Tunbridge Wells./7

Keith's circle of friends was a very amazing one. Bishop Gadderer, writing to Bishop Campbell in 1724,/8 refers to the influence of " Dr. Keith, who has good acquaintances." These we know included the highest in the land, for we often find him in touch with Robert Harley, Earl of Oxford, " good Lord Harley " as he calls him./9 Besides Harley he mentions in the Letters quite a number of Scottish noblemen whom he was evidently in a position to approach, such as the Earls of liar and Kinnoull, Lord Forbes, Lord Forbes of Pitsligo, Lord Haddo, Lord Dupplin. With Lord Deskford he was of course on terms of respectful intimacy.

He knew the Gardens well, and indeed belonged to their special circle, and no doubt owed to them his interest in mystical literature. He was also acquainted with their cousin, Principal George Middleton. Campbell of Monzie (afterwards Lord Monzie of the Court of Session), Sir Thomas Hope-Bruce, Bart. of Craighall, the Cunninghams of Caprington, James Cunningham (the Jacobite Laird of Barns in Fife), Sir Patrick Murray of Auchtertyre, are amongst those to whom frequent reference is made in his correspondence.

A number of letters by Dr. Keith and some other letters which mention him are preserved in the British Museum./10 They are not important, but


1 Munk, op. cit., II, p. 29.

2 M.N.E., p. 141 ; Registrum Sepultorum in Coematerio March 2 and 15, 1717.

3 Ibid. : buried June r, 1721.

4 Ibid. : buried November 4, 1726, from S. Margarets',

yard of S. George the Martyr, now S. George's Gardens ; p. 18 ; Hist. Reg. (Chron. Reg.), 1726.

5 M.N.E., P. 144.

6 V. Aphorisms at end of Practical Essay on Regimen of

7 M.N.E., p. 126.

8 Scottish Episcopal College, Edinburgh, MS. 736.

9 Keith to Ockley, April 15 [1718].

10 MSS. 15911, ff. 1, 3o, 33 ; MSS. 23204, ff. 20, 26, 39

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they are interesting in that they reveal another circle of his acquaintances. The names include those of Ockley /1 (Professor of Arabic at Cambridge), the pious Robert Nelson,/2 Dr. Francis Lee /3 (head of the theosophical Philadelphians), Dr. James Knight /4 (vicar of St. Sepulchre's, London, who became one of his trustees), Dr. Mlead,/5 Mr. Freke,/6 of whom Keith writes, " There are but few of Mr. Freke's disengaged spirit left in the world." /7

Another set of Keith's friends were medical men, and included the celebrated Dr. Keill,/8 Dr. George Cheyne, mentioned hereafter, and Mr. Charles Maitland,/9 another Aberdonian, the surgeon who introduced innoculation into England, and who was one of the trustees nominated by Keith in his will./10

Dr. Keith lived first in Devonshire St. and then in Gloucester St. in the prosperous Holburn district of Theobald's Road, Gray's Inn Road, Red Lion Square, and Queen Square. Close by was the chapel of S. George the Martyr /11 which was one of the chief centres of the non-jurors and Jacobites of the Church of England, and of which Robert Nelson was a conspicuous member. Nelson lived at one time in Ormond St. but latterly in Gloucester St. Here also at No. /12 lived Nathaniel Hooke," the younger, the translator of Ramsay's Life of Fénelon and a member of the group interested in Mysticism.

London at the end of Queen Anne's reign and the beginning of that of George I was expanding in this area, and it was becoming the home of people who had made money in trade, and who had their negro servants and their Sedan chairs. Close by in the Lincoln's Inn Fields the gallants would fight their duels, and everywhere there was the gay coffee-house life. It was the London of Swift and Defoe, Addison and Steele, Pope and Gay, and Arbuthnot and Sir Isaac Newton. The glory of Marlborough's campaigns, the intimate contacts with the Continent, the expansion of trade with the Indies and Africa and the East were making England prosperous and haughty. There was always the undercurrent of Jacobite intrigue, and political factions were at constant war. In the matter of religion


1 D.N.B. One of his works is in the Cullen House Library.

2 Secretan, Memoirs of the Life and Times of the pious Robert Nelson.

3 D.N.B.

4 M.N.E., p. 149, note.

5 D.N.B.

6 Ibid.

7 Keith to Ockley, August 19, 1716.

8 D.N.B. ; brother of John Keill, mathematician, also mentioned in the Letters ; v. pp. 149, 155 n.

9 J. M. Bulloch, " Aberdeen University Re view," XVII ; v. also " Scots Magazine." 1748, p. 102.

10. Will in Somerset House.

11 E. C. Bedford, A Short History of the Church and Parish of St. George the Martyr (revised by A. M. Ferguson) .

12 D.N.B. v. also M.N.E., p184

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and theology there was a drift to Rationalism, which was being countered by the Boyle lectures, by a desperate clinging to orthodoxy and respectability and even to strict Sabbatarianism, and alongside of this again there was that interest in mystical religion with which we are specially concerned, and such movements as those of Pordage and other more eccentric spiritual leaders.

Keith was a convinced follower of Madame Guyon, familiar with her ideas and writings, but also well read in the older mystics, and by the time of his death the owner of a valuable collection of spiritual literature in Dutch, German, Spanish, Polish, etc./1 He was clearly a versatile as well as a cultured man. His philosophic calm is evident in his letters. His character may be judged from the respect with which he is always mentioned by others, and the trust his many friends reposed in him. Lady Deskford, writing to her husband and mentioning Dr. Keith, says, " I am very fond of his good opinion, for I believe him a very good man, and much your friend " ; /2 and Lord Deskford tells Madame Guyon how useful Keith's advice and kindness have been to him and how he can discuss serious matters so freely with him, man to man./3

Keith's religion, as we can gather from the Letters, was little concerned with dogma, and was, indeed, simply an attitude of complete passivity, abandonment, resignation, in meek submission and acquiescence in God's will and in the special guidance of Providence in whatever crosses and temptations might come, living in the presence of God, God being all while he is nothing, with the littleness of an infant, living by naked faith, in entire dependence, cultivating patience, in utter disappropriation and disengagement, free from the multiplicity of affairs, from concern about his faults and troubles, letting these drop and moving on as if they had not been, never discouraged, never reflecting, but turning inward to God his centre, and so reaching in complete union with Him, liberty, silence, joy, peace, pure love.

The work which Dr. Keith was able to accomplish in the cause of mystical religion was very considerable. In the first place, he collaborated with Dr. George Garden in the publication of an English translation of a number of the works of Madame Bourignon. Between 1696 and 1708 the Apology and seven volumes of translations were issued. James Garden, the professor's son, told John Byrom " that his uncle wrote the Apology, and that Dr. Keith and he translated." /4

But decidedly his most important work was that of a distributing agent, especially of the works issued under the direction of Poiret. The chief importance of his Letters lies in the entirely new light they shed upon this


1 Will in Somerset House. He desired his collection to be kept together even if sold.

2 Letter in Cullen House (September 19, 171.}).

3 M.N.E., p. 89.

4 Remains of John Byron, II, p. 13o.

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traffic in mystical literature, and upon the individuals interested. Keith arranged with the Wetsteins of Amsterdam as to the number of copies of the different books for which a market might be expected in England and Scotland. Most, though not all, of the books handled were new publications. The bales were directed to him, and he sent them out by carrier or by ship to their destinations. If the example he gives is typical, he could dispose of about a hundred, of which some forty-two came to readers in Scotland./1


      1. XI. THE GARDEN CASE.

JAMES GARDEN,/2 elder brother of the more prominent Dr. George Garden, had, after short ministries in several parishes, been elected in 1681 to be Professor of Divinity at King's College, Aberdeen. He was a Mystic, an Episcopalian, and a Jacobite.

After the Revolution the Universities were " visited," and few teachers were found amenable to the new ways. Numbers of the disaffected were turned out, but in the case of Aberdeen a certain leniency was evidently exercised. The district was notoriously Episcopalian and Jacobite, and the practical difficulties of establishing the Revolution order of things were obvious. A contemporary pamphlet /3 refers in this connection to the remoteness of Aberdeen, and to the lack of Presbyterians suitable for University posts and "willing at that time to undergo the toil and pedantry of speaking Latin." It also hints that the masters were more ready to compromise than their predecessors, the Aberdeen doctors, had been in face of the somewhat similar Covenanting visitation. The Commissioners, however, found one teacher in King's College who was not prepared to yield, and this was James Garden. When they met on October 15, 169o, at the college, he did not compear, but next day he put in an appearance before them at Marischal College, and was requested to come again the following morning at 9 o'clock, which he did, giving in a paper wherein he claimed to be exempt from the Visitation altogether, in respect of the peculiar constitution of his Chair according to which he could only be " visited "


1 M.N.E., p. 13.

2 Born May 3, 1645, in the Castle of Frendraucht, where his mother had taken refuge, her home, the Manse of Forgue, having been burnt early in March by the troops of Montrose, who continued to maraud in the district : v. Preface to James Garden's Comparative Theology (Bristol edition, 1756). D.N.B. and F.E.S., new edit., VII, p. 371, are both mistaken as to the date of the birth.

3 Account of the late establishment of Pres. Govt. by the Parl. of Scotland, 1693.

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or dismissed by the Synod that had appointed him, he being under ecclesiastical and not University discipline, and not " incorporated into any colledge." /1 This turned out in after years to be a serious point of controversy and of some importance in the history of the Chair of Divinity.

The Commissioners demanded that Garden should subscribe the Confession of Faith, take the oath of allegiance to King William and Oueen Mary, " subscribe the certificate and assurance," and declare his submission to Presbyterian Church Government. This combination of theological, political and ecclesiastical requirements was impossible for him in every detail, but meantime he appealed to the general Visitation Committee at Edinburgh on the question of jurisdiction. Decision was delayed, and the whole matter lay in abeyance till a further Visitation of Aberdeen took place in 1696 when he was summoned and appeared. He admitted " that he owes it only to the clemency and myldnes of the Government that he was continued so long in his place," and frankly stated his unwillingness to satisfy the demands of the Commissioners. He was ordered to make his appearance at Edinburgh on the third Monday of November, but on that day and at subsequent diets of the Commission he failed to compear, and as a result he was finally, on January 25, 1697, deprived of his Chair./2

He made no attempt to resist /3 this decision, but retired to the country and is said to have devoted himself to agriculture, managing somehow to provide for his large family, some of whom were at this stage still young children. Apparently he did not go very far away, for children who died in November and December, 1699, were buried in Old Machar churchyard./4

The Synod and University authorities experienced extraordinary difficulty in filling the Chair which Garden's deprivation rendered vacant, and it was not until December 14, 1704, that his successor was inducted./5 In 1703, however, while the Chair was still vacant, an Act of Indemnity was passed ; and Garden thereupon made a dramatic attempt to resume his position at King's College, declaring that in view of this Act of Indemnity he was now qualified according to law and was therefore ipso facto restored to his Professorship./6 His claim had apparently the support of the College, for when the electors attempted to meet in King's College Church (as according to the Foundation they were obliged to do) they found it closed, and they further failed to obtain access to the Principal, who was Garden's cousin and friend, and shared his views.

The Committee were threatened by students and others, and clods and


1 Fasti Aberdonenses, pp. 362 ff.

2 Ibid., pp. 379 f.

3 V. Minutes of Synod of Aberdeen, April, 1698.

4 Burial Register of Old Machar.

5 Details are given in article by present writer, A Professorship goes A-begging in " Aberdeen University Review," November, 1932.

6 Minutes of Synod of Aberdeen, April 26, 1703.

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mud as well as opprobrious language finally forced them to adjourn to the New Town. Later in the day they met in Old Machar Church, and here the proceedings were interrupted by an agent of James Garden who formally submitted his claim. The Committee, however, took the view that the Professor of Divinity was obliged by the Foundation to refute such views as " the vile and abominable tenets " of Bourignonism which Garden had taught, and that he was subject to their censure and always deprivable by them, and on doctrinal grounds unacceptable for the Chair. They therefore without hesitation proceeded to their business of finding a suitable candidate./1 When in the following year the vacant position was at last filled it was by the election of George Anderson, minister at Tarves. He appears to have been a brother-in-law of James Garden,/2 and it may have been on account of this relationship that Garden made no further move until after George Anderson's death. The next incumbent of the Chair was David Anderson, who was no relative, and now again James Garden put forward his claims. Better days had in any case apparently come for those of his Episcopalian and Jacobite persuasion, and he and his friends felt there was some chance of a successful case.

He raised an action of reduction in the Court of Session /3 on the score " that her Majesty's Act of Indemnity in the year 1703 took off his incapacity to exerce the office, and virtually reponed him ; especially considering that there was no professor established before that time, when he qualified himself by taking the oaths." It was argued against him that the Indemnity could only free him from prosecution for not qualifying before, and recapacitate him for a new position, but could not repone him to an office of which he had been deprived for disobedience to law. It was also pointed out that he had not yet subscribed the Confession of Faith, nor had he yet submitted to Presbyterian Church Government, both of which were necessary in order that he might be qualified to hold a professorship of Divinity. The Court decided against him.

James Garden appealed to the House of Lords, a course which the recent Union of the Parliaments had rendered possible. The Synod of Aberdeen, and even the General Assembly, showed interest./4 Substantial grants were


1 Minutes of Synod of Aberdeen, October 5, 1703.

2 Article by present writer, A Family Affair, in " S.T. & Q.," May, 1932.

3 Forbes's Decisions, 1705-1713 (June 19, 1712 ; July 21, 5753), pp. 600, 705 f. v.Index Materiarium, p. 54, and cf. W. M. Morison, Dictionary of Decisions, 683o. :

4 Miscellany of Spalding Club, I, p. 203 ; Minutes of Synod of Aberdeen, April 8 and Oct. 7, 1713 ; April 6 and Oct. 5, 1714 ; Records of General Assembly (`ISS.), 1712-15, p. 223. Rather curiously the Assembly minute mistakenly speaks of the appeal as by " Dr. George Garden, sometime Professor." Doubtless the Bourignonist trouble had made George's name more familiar in Edinburgh. P. J. Anderson, in Officers and Graduates of King's College, p. 68, makes the opposite mistake in stating that the Works of John Forbes of Corse were edited " by his successor James Garden," when George was in fact the editor.

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voted to David Anderson for his expenses. William Carstares wrote on March 25, 1714, to the Earl of Oxford, craving that Anderson might have an opportunity of putting his case before him in view of the forthcoming trial in the House of Peers. He referred to the great trouble and expense occasioned to Professor Anderson by this appeal, praised his work and candour and learning, pointing out that he had been a successful pastor and was now living peaceably with his colleagues and had been legally settled in his present position, and emphasising the fact that he was no meddler in politics.

On April 10 James Garden and his brother were, along with other Aberdeen Episcopalians, presented to Queen Anne by the Earl of Mar, and graciously received./2 But the Church of Scotland was very restive under the favours which the Queen had been gradually extending to such men and the proposal to apply to the support of the Episcopalian clergy in Scotland the revenues of the Scots Bishoprics abolished in 1690 ; and steps were taken to throw out a polite warning. On May 17, 1714, the General Assembly passed a humble address to the Queen protesting against certain Episcopalian movements which they declared contrary to the Act of Union of 1707, pointing out that some Episcopalians might well be suspected of disloyalty towards her Majesty in the interests of the Pretender and expressing regret at " the disturbance Mr. David Anderson, Professor of Divinity in your College of Old Aberdeen, has met with in the peaceable possession of his office." /3

The friends of Garden were well informed as to the situation in Scotland, and they had already come to the conclusion that the Garden case would have to be abandoned, and the proposed bill in favour of the Episcopalian clergy dropped. The bill was in fact, abandoned on May 22. Garden's case was due to be heard in the House of Lords on May 13, 1714, but when the day came the appellant made no appearance and the case dropped./4 The Letters of James Keith shed some additional light upon the whole situation,/5 for there we find clear evidence of the troubles of the Government and their anxiety to avoid delicate issues. Dr. Keith, who in March had been quite hopeful, soon realised that the political situation had become unfavourable. He reports that he can persuade practically nobody to stand up for Garden in the special circumstances.

If L.M. and L.F. in the Letters represent (as would appear to be the case) Lord Mar and Lord Findlater, Garden had been deserted by some


1 Letter printed in Hist. MSS. Corn., Rep_ Portland MSS., X, p. 315.

2 Rae, History of the Rebellion (2nd edit.), p. 49.

3 Acts of General Assembly (Pitcairn), pp. 491 f. ; cf. Wodrow, Correspondence, I, PP. 549 $.

4 Journals of House of Lords, XIX, pp. 630, 647, 672, 688.

5 M.N.E., pp. 78 ff.

of his most likely supporters. Keith indicates that they were moved by the charge of Bourignonism, but put forward fear of Scottish trouble as responsible for their opposition. Keith explains that the very day before the trial James Garden was " most earnestly sollicited and importun'd by some Bishops and others his good friends to desist, assuring him that if he did not, he would disoblige the Queen and the Ministry." It was on this account that Garden, on the advice of his brother and others, finally agreed to abandon his appeal. He stated that he gave up his claims, purely out of regard to the Queen's inclinations and at the desire of his superiors," and that " it griev'd him to give up what he took to be the common concern of the Church and of his friends."

The Synod of Aberdeen in October, 1714, noted that the process had " come to a desirable issue." /1 James Garden lived till 1726,/2 taking his share in the Jacobite Rebellion of 1715, and in the Usages dispute which later divided the Scottish Episcopalians, but he made no further attempt to interfere at King's College.

The case is an interesting example of the extent to which religion and politics have affected and confused one another in Scottish History.


      1. XII. SOME MINOR CHARACTERS.

A CLOSE friend of Dr. James Keith to whom he often refers in the Letters was Dr. George Cheyne, a celebrated physician, and one of the most remarkable figures of the time. Much has been written about Cheyne./3 It will here suffice, therefore, to summarise the facts about him, and to show his connection with the mystical movement.

He belonged to an Aberdeenshire family, his arms showing relationship with the ancient but decayed house of the Cheynes of Esslemont. After a general education, he was induced by the celebrated Pitcairn to turn to medicine and may have been with him in Holland. King's College, Aberdeen, made him Doctor of Medicine in 1701, and a minute /4 is preserved


1 Minutes of Synod of Aberdeen, Oct. 5, 174.

2 He died on April 8, 1726, and was buried in Old Machar churchyard, where his flat tombstone has its lettering still well preserved. The year of death is wrongly given on the tombstone as 1725. The most interesting account of James Garden is in the Pref. to the Bristol edition (1756) of his Comparative Theology. - V. also D.N.B. and Orem, Description of Old Aberdeen, p. 191.

3 He is described in the D.N.B. A Life was issued by Dr. Greenhill in 1846, an interesting pamphlet of 19o4 by T. McCrae gives a good account of him, and there is a careful study by J. M. Bulloch (An Aberdeen Falstaff) in " Aberdeen University Library Bulletin," June, 193o.

4 I.C. Mins., Sept. 8, 1701.

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which states that the degree was bestowed gratis, "because he's not onely our owne countreyman and at present not rich, but is recommended by the ablest and most learned physitians in Edinburgh as one of the best mathematicians in Europe, and for his skill in medecine he hath given a sufficient indication of that by his learned tractet de Febribus which hath made him famous abroad as well as at home, and he being just now goeing to England upon invitation from some of the members of the Royal Society, in all probability he may prove ane ornament to our nation as well as to our Society." Marischal College, Aberdeen, later also gave him a degree./1

He settled in London, became an F.R.S., and indulged in medical and mathematical controversy. At the same time he plunged into a gay life which by and by compelled a change to rigid temperance and led him to become the great authority of his time on diet. He had grown enormously fat and is said to have weighed at one time 32 stones.

His work for a time was divided between London and Bath, but latterly he confined himself to Bath. He published some popular medical treatises and philosophical disquisitions, and his striking appearance and outstanding personality as well as his intellectual accomplishments and success in his profession made him one of the best known characters of the period.

Perhaps the most interesting account of him is from the Gold Headed Cane,/2 " . . . Dr. Cheyne, a Scotchman, with an immense broad back, taking snuff incessantly out of a ponderous gold box, and thus ever and anon displaying to view his fat knuckles of a perfect Falstaff, for he was not only a good portly man and a corpulent, but was almost as witty as the knight himself, and his humour being heightened by his northern tongue, he was exceedingly mirthful. Indeed he was the most excellent wit of his time, a faculty he was often called upon to exercise, to repel the lampoons which were made by others upon his extraordinary personal appearance."

Dr. Cheyne was a friend of the poet Pope, who in one of his letters /3 says " there lives not an honester man nor a truer philosopher," and in another/4 declares he is " so very a child in true simplicity of heart that I love him as he loves Don Quixote for the most moral and reasoning madman in the world." Cheyne was also well acquainted with Samuel Richardson. His writings had the approval of Samuel Johnson, and exercised some influence upon the thought of A. M. Ramsay. Amongst religious leaders, William Law called him friend and Lady Huntingdon valued his opinions.

On his death in 1743 at the age of 7o a newspaper described him as "that learned physician, sound Christian, deep scholar and warm friend "


1 Rec. of Mar. Coll., II, p. 114.

2 1827

3 Pope, Works, VII, p. 382 (Croker and Elwin edition). Quoted, Rebecca Warner, Original Letters (1817).

4 ibid IX p172

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…" those who best knew him, most loved him." He is mentioned in Thackeray's Esmond.

His interest in mysticism was deep. Reference to his published works makes this clear ; and Wm. Law states /1 that " the Dr was always talking in coffee-houses about naked faith, pure love,"—typical phrases of Madame Guyon, and he credits Cheyne with having introduced him to Jacob Behmen's writings and to Brother Lawrence. In a letter /2 to Byrom Dr. Cheyne mentions Tauler, John of the Cross, Bernier, Bertot, Marsay, and Madame Guyon, and in another letter /3 we find him bestowing high praise upon Poiret's catalogue /4 of the mystic writers. Nathaniel Hooke, who has been described as a " mystic and a quietist and a warm disciple of Fénelon," is said by Nichols /5 to have translated A. M. Ramsay's Travels of Cyrus at Dr. Cheyne's house at Bath. Various references to Cheyne in Keith's letters likewise prove his close connection with the group.

Patrick Campbell of Monzie whose name occurs in a great many of the Letters of James Keith seems to have been one of his most obliging friends. He was not a Jacobite, but it is partly on that account that he was so often used as a safe medium of correspondence. An intimate friend of Lord Deskford, and a near neighbour of Sir Patrick Murray of Auchtertyre and of the Kinnoull family, he sprang from an old branch of the Campbells,/6 and on the death of his brother in 1697 became heir to the estate of Monzie in Perthshire,/7 " a warm low seat near the great High Road." /8 With a view to the study of the Law he entered at Leyden University /9 in 1702, being a fellow student of Sir John Clerk of Penicuik, who remained his friend. Their outstanding teacher was Vitrarius whom Clerk calls a " corpus juris." /10 In 1709 Patrick Campbell was admitted to the Faculty of Advocates in Edinburgh /11 and in 1715 we find him one of the cashiers of the " Equivalent," and in 1717 a Commissioner /12 of the " Equivalent." /13


1 Remains of John Byrom, II, pt. ii, p. 363.

2 Ibid., II, pt. ii p. 33o.

3 Warner, toc. cit.

4 V. Wieser, Peter Poiret, pp. 226 ff.

5 Nichols, Anecdotes of William Bowyer, p. 594.

6 Paton, The Clan Campbell, p. 104 ; Anderson, Scottish Nation, I, p. 570.

7 Retours, 1706.

8 Sir John Clerk, 2rlemoirs, p. 256 ; v. also Macfarlane, Geographical Collections, I, p. 137.

9 Album Studiosorum Acad. Lugd. Bat.

10 Memoirs, p. 15.

11 Brunton and Haig, Historical Account of Senators of College of Justice, p. 502 ; Chamberlayne, Present State of Great Britain, 1716, pp. 701 f.

12 Chamberlayne, op. cit., p. 738 ; Historical Register (Chron. Reg.), 1717, pp. 36, 46.

13 The sum of nearly L 400,000 granted to Scotland under the terms of the Act of Union, 1707. Mathieson, Scotland and the Union, p. 115, says : " The total ' Equivalent,' direct and indirect, was to be spent in paying off the public debt, in refunding to the African and Indian Company, which was to be dissolved, its capital and interest,

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Wodrow /1 mentions him in 1726 as a possible successor to Lord Cullen on the Scottish bench. Writing to his father, on March 16, 1727, from Edinburgh, Lord Deskford refers to the increasing weakness of Lord Forglen, another of the Judges, and says : /2 " The talk of this town is that Monzie will succeed him, which I shou'd be very glad of, because he is a man of great justice and every way fit for that office. As he has been long my particular friend, I hope he will allways have true good will to you and your family. It wou'd give me great pleasure if you cou'd be of use to him and coud make James Campbell at London sensible of your doeing him service." Monzie was in fact raised to the bench in 1727,/3 and he also became one of the original Commissioners of the Board of Trustees for improving Fisheries and Manufactures in Scotland./4 Lord Monzie was much interested in improvements, and Sir John Clerk, writing in 1749,/5 calls him " a great encourager of the Linnen manufactories," and says that by his example the country people in his district " made a very great progress." He set up a lint-mill just about the same time as did his friend Lord Deskford (then Earl of Findlater and Seafield). Clerk also mentions his plan for a public library. His enterprise is further indicated by the fact that he became one of the early directors of the Royal Bank./6 He was a man of broad interests, sound ability, and kindly nature and one of the best type of landed proprietors. The " Scots Magazine " /7 reports his death on August 1, 1751, at Duns, where he was taking the waters for his health.

Sir John Clerk refers to Monzie's private library " where are many good books." In the Letters of James Keith we read of certain mystical works interesting him,/8 and Wodrow in 1730 reported /9 that " my Lord Monie was pretty far gone into the notions of the Pietists, and that he and Walter Pringle, my Lord--, read the books of the Count Metenish,1/0 particularly the Baron's book de Ratione Fidel." /11 We have thus the knowledge that Patrick Campbell of Monzie was one of those whose interest had been roused in this type of literature, and that he was in sympathy with the work of Dr. James Keith.

Sir Patrick Murray of Auchtertyre, 2nd Baronet (d. 1735), belonged to


in making good to individuals whatever loss they might incur through the reduction of the coin to the English standard, and in encouraging fisheries and manufactures." V. also Defoe, History of the Union (1786 edit.), Index.


1 Wodrow, Analecta, III, p. 29o.

2 Letter in Cullen House.

3 Brunton and Haig, op. cit., p. 502.

4 Sir John Clerk, Memoirs, p. 256, note.

5 Ibid., p. 256 ; v. also A. Porteous, History of Crieff, pp. 85, 89.

6 Chamberlayne, Present State of Great Britain, 1745: " List of Offices in North Britain," p. 42.

7 " Scots Magazine," XIII, p. 358.

8 V. p. 99.

9 Analecta, IV, p. 148.

10 Metternich . v. M.N.E., p. io2.

11 An interesting indication of the authorship of this work ; v. further, 102 n.

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an old family to which royal descent has been attributed./1 As a member of the Scottish Parliament he steadily opposed the Union with England./2 He was a Jacobite, but surrendered to the crown on demand in 1715 and was secured for a time in Edinburgh Castle and took no part in the Rising./3 His son was an active rebel and taken prisoner at Sheriffmuir./4 Murray was a close neighbour of the Earl of Kinnoull, and was related by marriage/5 to the Campbells of Monzie, who also lived near him. He had made a fortune by provident economies, and had greatly extended his property. An interesting account of him is given by the son of the Earl of Oxford, who paid him a visit in 1725./6 Murray appears as a very worthy gentleman and a kindly host. Playfair describes him as of " great prudence and discretion," " great judgment and integrity." /7 The Ochtertyrc House Book, published by the Scottish History Society, refers to the life-time of his successor in the title, but gives a clear indication of the standard of living in his home.

Sir Patrick Murray was interested in the mystical movement, as may be seen from the references to him in the Letters of James Keith./8 He was one of those to whom Dr. Keith sent copies of mystical books as they reached him from Holland. Perhaps the most illuminating statement regarding him is that in a letter of Lord Deskford to Madame Guyon,/9 where we learn what a strong spiritual influence he had exerted upon Lord Dupplin, and how earnestly he used to speak of religious matters. Lord Deskford mentions his interest in the works of Madame Guyon so far as he had been able to obtain these in English, and also refers to the deeply religious life of Murray's late brother David. He emphasises the respect which members of his circle entertained for Sir Patrick Murray.

George Henry, Lord Dupplin, was the son and heir of the 6th Earl of Kinnoull./10 As a young man he was a member of the House of Commons, and in 1711 was one of Oxford's twelve specially created peers and became Baron Hay of Pedwardine and a member of the House of Lords. In 1718 he succeeded his father in tie Scottish Earldom. He married a daughter


1 Marquis of Ruvigny, Blood Royal of Britain ; v. also Playfair, British Antiquity, VIII, App., pp. 1 ff.

2 Defoe, History of Union (2786 edit.), App., pp. 664, 668, etc.

3 Rae, History of the Rebellion (2nd edit.), p. 211.

4 Ibid., p. 309 Playfair, op. cit., p. xii.

5 Douglas, Baronage of Scotland, p. 146.

6 Hist. MSS. Corn., Portland MSS., Vol. VI, p. 119.

7 British Antiquity, VIII, App., p. ix.

8 M.N.E., pp. 178, etc.

9 Ibid., p. 91.

10 For particulars v. Paul, Scots Peerage ; G.E.C., Complete Peerage ; D.N.B. ; Stuart Papers ; Portland MSS., V ; Correspondence of Jonathan Swift, II, V, and VI ; Pope, Works (v. Dupplin, Kinnoull, etc., in index).

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of the Earl of Oxford. They had a large family, but the marriage, especially in later years, was unhappy. Dupplin, like his father and brother, was on the Jacobite side and suffered imprisonment on suspicion from October, 1715, to May, 1716. He was not well off and this may (as was thought by some of his friends) have led him to accept a pension from the Hannovarian Government in 1724. His desertion of the Jacobite cause gave some anxiety, in case it should affect the fortunes of his brother, the Earl of Inverness, who was with the Pretender. From 1729 until 1734 he was Ambassador to Constantinople. Apparently he had some intellectual tastes, as notes in Nichols's Literary History suggest. He was also interested in music, and a patron of Handel. In earlier years he had been pious and read mystical literature, but a letter of Lord Deskford to Mme Guyon, published in this collection (p. 91), indicates that after he went to England to live he lost this serious religious interest./1 Swift knew him intimately, having first met him and William Penn the Quaker at Lord Oxford's house in 171o. Dupplin and his wife are frequently mentioned in the Journal to Stella, and in the Correspondence. In early years Swift had a high regard for him, but after the Constantinople period he changed his mind about him, and we find a correspondent writing him that young Lord Oxford would have to support his sister's family, " which has been brought to ruin by that unworthy man Lord Kinnoull." The poet Pope had evidently an equally poor opinion of him : there is more than one scornful reference to him in the poems. He is frequently mentioned in the Letters of James Keith, which is natural, as he was a brother of the first Lady Deskford.

      1. XIII. THE LETTERS.

LETTERS are of special value as historical documents. The references may sometimes be obscure, and there is always a certain amount of the material that is of no possible interest to any beyond the parties corresponding. But there is gold among the dross, and the search for it is usually well worth while. Letters generally tell us more than they were ever intended to convey to anyone. The historian often learns more from what the writer incidentally remarks or accidentally hints than from what he deliberately sets out to narrate, and certainly more than he gathers from formal utterances and official accounts. A great deal depends upon having the eyes


1 It is possible that a letter from Madame Guyon of which there are two copies in the Seminaire de S. Sulpice, Paris, along with copies of letters to and from Lord Desk-ford, was sent to Lord Dupplin. The copies are marked respectively, " pour milor du. p." and " milor Dup." The letter is undated and offers consolation for " le changement arrivé dans vostre maison."

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that can see the significant in what may appear to be entirely uninteresting statements. One must know the kind of thing to expect, and it is therefore important to take a good deal of trouble with the examination of such documents and with preparing oneself to examine them, so that their full meaning may be brought out for the ordinary reader.

The main reason for the publication of the Letters of James Keith is the biographical information which they supply regarding a number of prominent persons in the North-East, and the revelation they make of little suspected relations between these and certain famous exponents of French Mysticism. But they are of definite interest apart from this, and every here and there one comes across statements or allusions which cast additional light upon political and social conditions in the reigns of Queen Anne and King George I.

Thus we hear of Queen Anne's illnesses and the rumours and intrigues to which they gave rise, and the nervous tension in political circles in 1714. The Garden case is an example of how the political situation governed all interests. " God prepare us for the worst," says Dr. Keith. He prays for the Queen's preservation, feeling that the days of peace will pass with her. We hear the echoes of the disputes between Oxford and Bolingbroke which upset Tory unity when the succession problem was so urgent. Early in George I's reign came the triumph of the Whigs. We hear of Bolingbroke's flight to France. The impeachment of Lord Oxford by the Whigs is recorded, and we read of him weak and ill but patient and cheerful in the Tower and at last after nearly two years of captivity acquitted rather surprisingly before the House of Lords.

Rumours of a possible Jacobite invasion began early in the new reign. Small Government changes in Scotland are recorded which show the state of affairs. Then follow numerous guarded allusions to the Rebellion. We hear that James Forbes has slipped away north, that Lord Deskford and Dr. George Garden are in prison, that Lord Kinnoull and his son Lord Dupplin have likewise been arrested. There is anxiety expressed regarding the fate of Lord Pitsligo and James Forbes. The prisoners march through from Preston. Bad news comes of Cunningham of Barns, suffering and finally dying in captivity after the battle. Certain friends are released from the Tower and Newgate. Lord Pitsligo turns up quietly in London and at some risk stays there till there is an opportunity of going abroad. Dr. Garden is said to be in Holland, and then heard of definitely from there, with his companion in exile, James Forbes. Not much is said, but one realises that not much dared be said. Letters were known to be opened. Every one was suspected. We hear of various attempts to aid friends in difficulty, and there is much underlying anxiety to be felt in the Letters, but at last the Indemnity passes and the danger is more or less over, and the exiles one by one return.

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At the close of 1716 a change of Government is reported. The King is in Hannover and has finally turned out Lord Townsend, and with him goes his great subordinate, Walpole. Stanhope and Sunderland now lead the Government. The Whigs are divided. Changes follow in Scotland, where Argyll is in complete disgrace—an echo of the quarrel between the King and the Prince of Wales, to which there is more than one allusion. Early in 1717 we have word of the arrest of the Swedish ambassador in London and we are reminded of the threatened invasion from Sweden.

By and by comes the spirit of speculation. We are told of its development, and then of the inevitable bursting of the bubble in the autumn of 1720, a collapse which involved some of those whose names have been appearing in the Letters. Walpole becomes supreme and we have echoes of the General Election in the spring of 1722 which was to settle Whig power in Walpole's hands for long to come. There is mention of the public suspicions roused by the suddenness of Lord Sunderland's death, and then we hear of the death of Marlborough, and Cadogan's promotion in the army. There is an undercurrent of intrigue continuing in the interests of the Jacobite succession, and the Atterbury Plot receives passing mention.

Very often in the Letters we find references to travel. Lord Deskford and his lady move to Cullen, to Edinburgh, to Dupplin. A trip to London is no infrequent occurrence. Indeed one is struck by the obviously constant movements between Scotland and the Capital. We hear of the Edinburgh stage-coach, and the Newcastle carrier. A journey without bad accidents is matter for congratulation. More often we read of journeys by sea. The Garden brothers sail part of the way down to Scotland to avoid the discomforts of the road in the dry summer of 1714. James Forbes sets out from London to Aberdeen. The voyage will be far from comfortable. Dr. Keith prays he may be preserved. Families go off to visit their country homes in Yorkshire or Hereford, or to make holiday or recruit health at Bath or Tunbridge Wells. The roads are obviously dangerous from their unmade condition, unless perhaps to those on horseback, but these are the days of Beau Nash who has been doing something to make travelling easier for those who take the waters. In addition one comes across much evidence of foreign travel and of relations with people abroad. Some of the Jacobites are in exile in Holland or travelling further afield. Ramsay has his secretarial and tutorial posts in French families. Lord Forbes of his own choice lives abroad for years.

There is apparently some difficulty, however, in keeping in touch with friends. A good deal appears in the Letters about the traffic in books, and we gather that there is often great trouble in having them safely transmitted. There are anxious enquiries about boxes and bales under way. Volumes are sent off under care of coach passengers or by ship from the Thames to the Forth, or to Cullen via the Advocates' Library or a bookseller

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in Edinburgh. We hear of parcels that are amissing, or lying unclaimed at the Hague. There is a lot of trouble about the delivery and payment of a watch.

Even letters are not so easy to send. The charge to the receiver is considerable, so that it is well to have some Member of Parliament or such friend to frank them. Several may be sent under one cover. Apparently letters occasionally go astray. One notices the hope expressed that the last arrived safely and a hint given as to its contents, to make sure. There is sometimes complaint about delay in delivery. The addresses of letters are interesting and strike us as very vague,—near a certain Coffee House, or care of some merchant. Correspondence with foreign countries is sometimes by the regular posts, but sometimes also through friends who are travelling, or by the hands of merchants.

The whole story which these Letters reveal regarding the publication of certain types of books in Holland, their despatch to London, and their distribution through the country is of interest. We come into touch with the celebrated Wetstein firm of Amsterdam, the successors of the Elzevirs. We learn something of the price of books in those days, and the conditions of publication.

As the Letters are those of a doctor, one is not surprised to find sundry references to medicine, though one realises that medicine is far from being the correspondent's main interest. One is introduced to medical circles in London and discovers that Scotland is well represented. One also picks up incidental information as to the Scottish student at Oxford. There is interesting evidence of the craze for opera which suddenly seized London in 172o and apparently infected Scotland. And we come across the pathetic figure of Lord Deskford's old tutor and realise the conditions of those days with regard to the dispensing of patronage and the grovelling obsequiousness demanded of candidates for civil service positions. The very handwriting of the letters themselves, their style, the forms of address should not pass unnoticed. Indeed to those who have eyes to see the whole period lives again in such documents.

Nor must we entirely forget the timeless element in letters. They reveal character and bring us into very intimate relations with human minds and hearts. This is the case with the Letters here presented. Beneath the formal phrasing one is conscious of warm regards and prayerful remembrances and much sincere, unselfish consideration and kindly feeling. The religious utterances, too, although they may seem to us occasionally self-conscious and overwrought and even mistaken, are expressions of something fundamental in human nature and show a striking family resemblance to what falls from earnest religious lips in all the centuries from the Montanists to the Oxford Group.

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[Fin de l’introduction]


      1. LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS, TO LORD DESKFORD

      2. I. FROM DR. JAMES KEITH To LORD DESKFORD.

[Except where otherwise stated the letters are preserved at Cullen House. Lord Deskford had been much in London since he first went there in 1707-8 and this correspondence begins at a date when he had but recently left the capital. Letters at Cullen House reveal his presence in London at various dates in this year, the last being one from himself dated September 19, 1713.]

LONDON, Oct. IOth, 1713.

My LORD,

I take this opportunity most affectionately to salute your Lo: and to repeat my most hearty wishes for your real happiness and prosperity. I am often sensible of your condition, and present as it were in converse with you. Your own experience convinces you that our Life is in all respects a continual warfare, that everywhere and in all estates we must be prov'd and tried both from without and within. This is the lot of a true disciple, and I'm sure 'tis a happy one when improv'd according to our Lord's intention. Nothing then that happens must disturb or disquiet us. He will do his own work, could we but simply attend and meekly submit to him. May it please him to encrease our Faith and strengthen our Dependence on him, that we may be introduc'd within the veil and made to tast and possess substance ! May he take you into his special protection and conduct, lead you in all your ways soberly,/1 and preserve you in his powerfull and holy Presence.


1 This passage gives a general indication of the type of religious thought to be found throughout Dr. Keith's Letters. A number of the phrases are common to many of the mystics and one fancies one hears occasional echoes of Thomas à Kempis, Olier, de Renty, Fénelon and others. Many of Keith's expressions are precisely in line with what we find everywhere in the writings of Madame Guyon, and the footnotes will frequently call attention to marked similarities to what is found in her Lettres and Discours chrétiens. The following selection of short passages will illustrate the general resemblance between the thought of Keith in such a letter as this, and the thought of his directress : " Je vous conjure de vous abandonner à Dieu sans resérve pour tout ce qu'il pourroit permettre vous arriver " (Lettres, I, p. 500) ; " pour votre trouble c'est une épreuve

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I have not heard from A.R./1 since your Lo: went from this,/2 neither have I yet written being enclin'd to send some Letters and other things by one who hopes to carry them next week, and then I shall remember your Lo: and yours. I shall be glad to hear of your health and success, and whether you have seen Ld. Had./3 and when we may hope to enjoy your good Cornpany here : And also whether anything be done below for Ld. Pit./4 If your Lo: go further Northward I presume to give my humble service to him and our other friends. Things and persons continue here as formerly. Dr. Ch./5 is expected about io or 12 days hence. And I am with the greatest esteem

My Lord

Your Lo:'s most humble

& most obedient servt. J.K./6

P.S.—I should be glad to know that the Div. Oeconomys /7 wch. were sent down and consign'd to John Strachan mert. at Leith are come safe, as also whether I may expect any subscriptions for the Corn. on the Old Test./8 from the North. It may be some of D.G.'s /9 correspondents can inform your Lo: of both.

To The Right Honble.

The Lord Deskford.


de Dieu " (I, p. 83) ; " abandonnez-vous à lui pour le dedans comme pour le dehors " (III, p. 371) ; " celui qui ne veut que la volonté de Dieu et ce qu'il nous donne à chaque instant tel qu'il soit, est heureux, content et paisible " (I, p. 274) ; " la paix du coeur et la résignation changent les tourmens en delices " (IV, p. 391) ; " il faut nous laisser en la main de Dieu afin qu'il nous mène à sa mode " (I, p. 190) ; " la dépendance où vous devez être de Dieu " (I, p. 407) ; " cette nourriture substantielle " (Disc., I, p. 465, cf. Lettres, II, p. 462) ; " laissez-vous conduire " (Lettres, I, p. 488) ; " il faut tâcher de conserver le plus que vous pourrez la présence de Dieu " (I, p. 235).


1 Andrew Michael Ramsay : v. Introduction.

2 Lord Deskford had recently returned to Scotland.

3 William, Lord Haddo, b. 1679, became 2nd Earl of Aberdeen on death of his aged father, 172o : v. p. 175 (Paul, Scots Peerage.)

4 Alexander Forbes, 4th Baron Forbes of Pitsligo : v. Introduction.

5 Dr. Cheyne : v. Introduction.

6 James Keith.

7 English translation (1 713) of P. Poiret's L'Oeconomie Divine (Amsterdam, 1687) . For Poiret v. Introduction. Also Max Wieser, Peter Poiret (1932).

8 Madame Guyon, Commentaires sur le Vieux Testament, 12 vols, pub. 1714-15. In 1713 her Commentaires sur le Nouveau Testament, 8 vols., had appeared. Like Madame Guyon's other works of this period these were edited by P. Poiret. For other refs. to the Com. sur le V. T., v. pp. 79, 82, 13o. Both sets of volumes were procured by Lord Deskford, and are still in the Library of Cullen House.

      1. II. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

MY LORD,

This comes to acknowledge the honour of your Lo:'s two letters of the 1st and 9th inst. ; both of 'em gave me fresh occasions of thanksgiving to our blessed Lord and Savr. on your account. May it please him to en-crease our Faith, and to purifie and prepare our hearts for receiving and entertaining him /1 and walking continually in his holy Presence ! /2

Dr. C./3 tells me he writ a full Answer to your Lo:'s letter and has nothing to add to it. S.W./4 I understand is still in Town and will stay sometime longer in hope of concluding his son's marriage. 'Tis believ'd he will stiffly adhere to his first proposal without either abateing or recedeing from any part of it. Your F./5 will find it so, therefor it were to be wish'd he would come to a resolution either to comply entirely or to fix on somewhat else.


1 Lettres, IV, p. 229. Cf. Julian of Norwich, Revelations of Divine Love (Warrack), chap. lxvii ; Molinos, Spiritual Guide, chap. i ; and M.N.E., pp. 166, 133.

2 Life of Lady Guion (Eng. Trans., 1772, part ii, p. 270) : " The great means of becoming perfect is to walk in the presence of God " ; Lettres, IV, p. 316, quotes Gen. xvii, 1 : " Marchez en ma présence, et soyez parfait." Auth. Vers. reads : " Walk before me." Cf. Lettres, I, p. 25. Fénelon, Pious Thoughts (172o), p. 114, begins the chapter on " The Presence of God " by quoting : " Walk in my presence and be thou perfect." V. also Molinos, Spiritual Guide, ch. xv ; Brother Lawrence, Presence of God. The practice of the presence of God is characteristic of all mysticism : o. E. Underhill, Mysticism.

3 Dr. Cheyne ; v. next note.

4 S.W. is Sir William Ellys of Wyham and Nocton, whose wife was a grand-daughter of the celebrated John Hampden. At Nocton in Lincolnshire he used to keep open house and a dozen dishes were in readiness each day in case guests might arrive. He is mentioned occasionally in letters preserved in Cullen House. These all refer to him as " Sir William," and his surname does not appear. One of a number of marriage proposals for Lord Deskford was that he should wed a daughter of this family, and Lord Deskford visited the Lincolnshire estate in the Spring of 1713. Later Dr. Cheyne was involved in the negotiations and his letters (Cullen House) give interesting glimpses of Sir William. One describes him as " a rigid Calvinist, tho' indifferent as to Whigry or Presbitry." Another says, " the knight is a formal, punctual, exact man, that uses few words and weighs every reply, that will lose his interest rather than risque his honour, but of great probity and candour." He died in 1727. V. further Lincolnshire Pedigrees (Harleian Socy.), and Musgrave, Obituary. The son mentioned by Dr. Keith is Richard, who succeeded his father and who distinguished himself as a scholar and a patron of learning (v. Chalmers, Biographical Dict. and D.N.B.). He has an interesting association with Scotland in that it was through his generosity that Thomas Boston's extraordinary piece of misguided research Tractatus Stigmologicus (on the Hebrew accents) was finally published in Holland. V. many references in Boston's Memoirs. Sir Richard Ellys had been attracted by reading the Four-Fold State.

5 " Father " : 4th Earl of Findlater, the Chancellor Earl. V. p. go, note.

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But the Div. Providence I hope will conduct and overrule all for your good./1

We were strangely alarm'd /2 last Saturday and Sunday with reports from Windsor of the Q's being extremely ill, and so industrious were some to spread them that many were enclin'd to believe the worst. But God be thanked there was very little ground for all the noise, the case being only an aguish fit, wch return'd once and again but each time considerably lessen'd and without any bad symptom. Let us earnestly pray for her Maj'tie's health and preservation : for I cannot but fear that the period of our outward peace and tranquility will terminate with her. The Spirit of faction and violence seems rather to grow than decrease almost everywhere.

I han't heard from A.R./3 etc. since my last tho I have writ I think twice. I give my humble service to those worthy Gentlemen you are lately become acquainted with, as also to S. Th. H./4 and Mr. Bayne./5 I wish them all real happiness in their late nearer Relation,6 and at the same time pray God to preserve your Lo: from the evil of this wicked world, being always most dutifully and faithfully,

Yours.

To The Right Honble.

The Lord Deskford at Edinbr.


1 V. M.N.E., pp. 167, 168, etc. Cf. Madame Guyon, Discours chrétiens et spirituels (1790 edit.) , I, p. 429 : " Lorsque les choses sont passées, elle est ravie de voir . . . comment la sage Providence a conduit toutes choses ; elle s'écrie alors : Bene omnia fecit."

2 V. Dr. Shadwell's letter quoted in Tindal, Continuation of Rapin's History of England (4th edit., 1758), Vol. KVIII, pp. 134 f. ; Mahon, History of England, (1836), Vol. I, pp. 84 f.

3 A. M. Ramsay.

4 Sir Thomas Hope, Bart. of Craighall (1685-1729) . His mother was Anne Bruce, d. of Sir Wm. B. of Kinross, the distinguished architect, a keen Episcopalian (v. D.N.B. ; Life of Sage ; Eminent Men of Fife) . She inherited his estate on the death of her brother John in 1711, and after her husband's death (1686) she married Sir John Carstairs of Kilconquhar. On her death (1715) her son succeeded to the Kinross estates and is sometimes called Sir Thomas Hope-Bruce. He had succeeded his brother Sir Wm. in 1706 (v. Inq. Spec. Fife ; Services of Heirs ; Commissariot of St. Andrews). V. pp. 116, 121, 123, 167, 202. The celebrated Lord Advocate was an ancestor (r. Diary of Sir T. H. ; Omond, Lord Advocates of Scotland).

5 Alexander Bayne of Rires, son of John Bayne of Logie, Fife (v. D..V.B.) . Of an old Fife family ; 1722, Curator of Advocates Library, Edinburgh, and first Professor of Scots Law in University of Edinburgh ; d. 1737.

6 Bayne married Mary Carstairs, half-sister of Sir Thomas Hope of Craighall, and granddaughter of Sir Wm. Bruce of Kinross. Allan Ramsay, the poet, married one of their daughters. V. D.N.B.

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Decr. 29th, 1713.

      1. III. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

My LORD,

I have these several weeks past been impatiently expecting an account of your Lo:'s safe arrival at Cullen,/1 that I might do my self the honour to salute you and your dear Lady upon the late happy occasion./2 Now having had that agreeable account I most chearfully take this opportunity to congratulate with your Lo: and my Lady upon the felicities of your present condition, and with all to renew my Supplications to Almighty God to take You both into his holy protection and to multiply his blessings upon you. May it please him to send forth his H. Spirit of Love, Joy and Peace into tour hearts to direct and guide you in all your ways, and firmly to unite you to each other in him and in the obedience of his holy Will./3

I have been to wait on the EE. of Finlater and Kinnowl since they came to Town, and find them both exceedingly pleas'd with their late alliance./4 I took occasion to recommend to them Dr. J. G.'s Case,/5 which we suppose may be heard at the bar of the House about a moneth hence. I am pretty well assur'd the last will appear a Friend, and the first no enemy. However, if your Lo: think it proper, you may likewise recommend it to both or either of 'em in your first Letters, as also to Mar /6 and Dup./7 but I leave it wholly to your self. The Drs./8 are well and give their most humble and affectionat duty to your Lo: and my Lady ; as does Dr. Ch./9 who bids me also tell your Lo: that he fully obeyed your last letter, and in the manner that was most consistent with your Lo's honour.

Our last from A.R./10 wch. was of thefist N.S./11 gave us a most melancholy account of the vener. M.S.M. /12 state of health, wch. indeed is so very bad


1 Lord Deskford lived at Cullen House, Banffshire, with his father. Defoe described Cullen in those days as " chiefly noted for its fruitful soil and salmon fishing, for having no port it has little trade, except for its corn and salmon."

2 Lord Deskford had married early in 1714 Elizabeth Hay, second daughter of Thomas, 6th Earl of Kinnoull, and sister of the Lord Dupplin mentioned in the Letters.

3 A favourite text of Madame Guyon was Ps. ciii, v. 3o : " Emitte spiritum tuum," etc., v. p. 158 note. " Soyons toujours unis en celui qui a lié nos coeurs pour son amour et pour sa gloire," Lettres, I, p. 230 ; " O Esprit Saint, Esprit d'Amour," Discours, II, P. 349. Cf. p. 133.

4 The marriage of Lord Deskford : v. above.

5 Dr. James Garden's Case against Professor David Anderson : v. Introduction.

6 Earl of Mar, afterwards leader of the 'Fifteen Rebellion.

7 Lord Dupplin, brother-in-Iaw of Lord Deskford : v. Introduction.

8 Drs. James and George Garden.

9 Dr. Cheyne.

10 A. M. Ramsay.

11 New style.

12 " Venerable M.S.M." : Madame Guyon : v. Introduction. It was one of the harmless eccentricities of Madame Guyon and her followers to make much use of initials.

78

Handwriting of Dr. Keith. [To face page 79].


that without the extraordinary interposal of the divine power, it is hardly possible for her to hold out many days. But may we all and in all things say, thy will be done. I believe the Comment : sur le v. Test,/1 is by this time very near printed off, tho the subscription Money is not yet remitted from Scotld. : but Dr. G./2 expects it in a few days. Please to let me know to whom I shall give the bundle of books your Lo: left with me ; as also how I shall dispose of the Comment's /3 subscrib'd for, when they come. I recd. of your Lo: 6 lb, wch. at the rate of 12sh. each (prime cost) pays for ten setts. But the additional charge of 2sh. 3d. each comes to 22sh. 6d. more. Nov if your Lo: approve of it, I think it will do as well to bring the additional charge into the 6 lb already paid, and then (at 14sh. 3d. each) I have in full for 8 setts, which comes to 5 lb 14 sh, and 6sh over due to your Lo:

I take it for granted your Lo: has accounts of our publick affairs regularly sent you from hence, and therefore need not trouble you to repeat them. The party heats still continue, and wch. is most of all to be lamented, there's alas almost nothing of the Spirit of Truth, Love, Faith or Peace to be found among men.

Your Lo: I hope will have great comfort in your country retirement. I most heartily wish you and your dear Lady all the divine gifts and graces that are necessary or convenient for you, and remain with all possible respect, My Lord,

Your Lo:'s most humble and

most oblig'd faithfull servt.

Ja: Keith.

London, March 2oth,


      1. IV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Apr. 6th, 1714.

MY LORD,

This comes to acknowledge the honour of your Lo:'s most wellcome and agreeable letter of March 7 wch came to me last post but one. I can't imagine how it came to lie so long by the way except the sure hand your


[suite de la note 12 précédente:] M.S.M. is ma sainte mère. She is often referred to as N.M. (notre mère) or N.C.M. (notre chère mère). Fénelon is N.P. (notre père). Jesus is P.M. (petit maître) or L.M. (little master). In Madame Guyon's writings there are frequent contractions such as V.C.F. (votre cher frère), M.C.S. (ma chère sœur), etc.


1 V. p 75.

2 Dr. George Garden : he had evidently accepted responsibility in the matter. V. also p. 13o.

3 V. above.

79

Lo: mentions has kept it till he came to Edr./1 The little paper of the Gentleman's Case /2 gave me some uneasiness, and would have answer'd it the moment it came had not I thought it much too late, and that the thing must be over and gone long before. Therefor I shall only refer your Lo: to the inclos'd note /3 to be communicated in case any such accident shou'd happen to him for the future.

It was with unspeakable joy that I read your Lo:'s account both of My Lady's good dispositions and your own, and may venture with confidence to bid you, in holy David's words, to wait continually on the Lord and to be of good courage, and He will strengthen and establish your hearts./4 He will strengthen and confirm what he hath wrought for you, and he will bless you with his Peace. Be not discourag'd /5 or cast down at any infirmity or failure, natural or casual that may befal you, for these will neither hurt you nor offend our L.M./6 but arise and go on in an humble and faithfull dependence upon him, and he will direct and guide your steps. New occurrences and circumstances bring always new temptations and tryals along with them. But then he giveth more Grace, and they that wait patiently for him shall renew their strength, and be fully taught what is the good and holy and perfect Will of God. I most fervently commit you, My Dear Lord, in all your difficulties to the unerring conduct of the Holy Spirit of Light and Truth, beseeching him to abide in you and to labour with you in the paths of Peace and Righteousness and to preserve you in his power.

I shall take care of your letter to A.R./7 and forward it next opportunity.

I wrote to him but last week in answer to one I recd. two days before with the joyful account of M.S.M.'s /8 being much recovered. May it please God according to his holy will to perfect what he hath so wonderfully wrought for her and for us and others in her. Amen !

The two D. G G.'s /9 are well and give their humble service to your lo: as do's D. Ch. who intends next week for the Bath./10 The Doctr's Cause /11


1 Edinburgh.

2 The reference is not clear.

3 The note is wanting.

4 Dr. Keith's letters show his close intimacy with the Bible. In this fairly typical passage, for example, there are echoes of Ps. xxvii, 14 ; Ps. xxix, I I ; Ps. xxiii, 3 ; Ps. xliii, 3 ; Prov. iii, 17 ; Prov. xvi, 9 (Jer. x, 23) ; Isaiah xl, 31 ; John xv, 4 ; Rom. xii, 2 ; Phil. iv, 3.

5 Lettres, IV, p. 71 : " Ne vous découragez pas néanmoins. Le plus grand des maux est le découragement. Il faut être humilié de nos défauts, et jamais découragé. Le vrai humble ne s'étonne point de ses fautes ; il en est rabaissé devant Dieu, et prend des forces toujours nouvelles pour recommencer à mieux faire."

6 " Little Master." For the cult of the Infant Jesus in French mysticism of the I7th century v. Bremond, Histoire littéraire du Sentiment Religieux en France, III, pp. 51I-82.

7 Lord Deskford in correspondence with A. M. Ramsay.

8 " Ma sainte mère."

9 Drs. James and George Garden.

10 Dr. Cheyne spent much of his time at Bath : v. Introduction.

11 Dr. Jas. Garden's Case : v. Introduction.

8o

is not yet come on, neither is there any day yet fix'd for it. They will meet with opposition and the event is doubtfull. Ld. Kin.'/1whom I saw yesterday was well baiting somewhat of the gout. The great people are in much confusion, and the issue is like to be the fall of some of 'em : /2 but the ferment is in a manner universal. God prepare us for the worst !

My humble duty and my wife's attends my Lady and your Lo: being always with the greatest respect

My Lord,

Your Lo:'s most obedient

humble servt.

To The Right Honble.

The Lord Deskford

at Cullen House

To the care of the Postmasters /3

of Aberdeen and Bamf p. Edinburgh.


      1. V. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

May 15th, 1714.

MY LORD,

The last with wch. your Lo: was pleasd to honour me was of Aprile 3d ; I also wrote to your Lo: much about that time, and since then having nothing material to communicate, and having often heard of your Lo:'s health by several, I designedly put off writing till now that I can give your Lo: an account of the issue of Dr. J. G.'s affair./4 His cause should have been heard before the H. of Lds./5 on Thursday the 13th, but the very day before when all was ready, and no unfavourable prospect of the event, he is most earnestly sollicited and importun'd by some Bps and others his good friends to desist, assuring him that if he did not, he would disoblige the Q./6 and the M-y,/7 and would certainly be cast if he suffer'd the Tryal to come on ; because there was a strong combination agt. him, but few friends to appear for him. Upon wch. the good Dr. by the advice of his br./8 and other friends very meekly gave up his pretensions, declaring he did it purely out of regard to the Q's Inclinations, and at the desire of his superiors, and tho' he did


1 Lord Kinnoull, 6th Earl, father of Lady Deskford. Cf. Hist. MSS. Com., Portland MSS., VII, p. 71 : " It will cure ray Lord Kinnoull of the gout, if he should be in a fit, to hear of another boy."

2 Parliament had resumed on March 31. The confusions of these days as to the succession to the throne may be studied in Tindal, op. cit., pp. 168 ff.

3 The postal system of Scotland was still very undeveloped. Some particulars will be found in H. G. Graham, Social Life of Scotland in the 18th Century, pp. 46 f.

4 Dr. James Garden's Case : v. Introduction.

5 House of Lords.

6 Queen Anne.

7 The Ministry.

8 His brother, Dr. George Garden.

81

not consider his own Interest in the matter, yet that it griev'd him to give up what he took to be the common concern of the Church and of his friends particularly in ye North, who had enabled him to undertake both the journey and ye prosecution. To wch. they replied that if his friends knew the present scituation of affairs here, they would certainly advise him to do what he did. L.M./1 and L.F./1 were the most active and vigorous against him, who were so free as to own to some, that they oppos'd him for being a B—st ; /2 tho' the specious pretext was, to prevent tumults and disturbance in the North. But in short this is no more than what I expected. Christ must always be revil'd and persecuted in his servants. The men of this world will still conspire and unite against the Truth, wch is so very grievous and intolerable to them : a certain mark it is not of the world, otherwise the world would love it. But as it was with Christianity at first so is it now. This sect (as they're pleas'd to call it) is everywhere spoken against. But wisdom will be justified in her children./3

I han't had any account of M.S.M. or A.R./4 since my last to your Lo: wch. I much wonder at. Two posts ago I had a letter from Holld. in wch. they said they had not heard either since Apr. 7 n.s. I have remitted all the money for the Comments sur le vieux Test./5 but they write it will not be quite finished till towards the end of August.

I shall take care to observe your Lo:'s directions about your copies of the Com., /6 as also to transmit the bundle of books in my custody to Abd./7 I do not hear of any safe occasion yet. Drs. GG.8 talk of going about 2 or 3 weeks, and I think of sending them with their things, if none offer sooner, as I shall also the other little pamphlets wch your Lo: desires.

When your Lo: writes next I shall be rejoyced to have an acct of your Lo: health and my Lady's. I give my humble duty to her, and wish all real happiness to you both. I think your Lo: had best write immediately to my self. I shall never grudge the charge of your dear letters. I beg leave to salute M.F./9 and our other friends as your Lo: shall see 'em, and remain with all possible sincerity and respect

My Lord

Your Lo:'s etc.

1 Probably the Earl of Mar and the Earl of Findlater. The initials do not seem capable of any other interpretation. It seems clear that Lord Findlater did not share his son's religious interests. There is no reference to such matters in any of their correspondence at Cullen House.

2 Bourignonist : v. Introduction.

3 Notice again the extent to which Keith employs Biblical language.

4 Madame Guyon and A. M. Ramsay.

5 V. p. 75.

6 Ibid.

7 Aberdeen. V. pp. 79, 83.

8 Drs. James and George Garden.

9 William, Master of Forbes, who succeeded his father as Ld. Forbes in July, 1716, and is thereafter frequently mentioned in these letters as Ld. F. His younger brother James, appears as J.F. : v. Introduction.

82


      1. VI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

MY DEAR LORD,

This comes to own the honour of your Lordship's most acceptable letter of May 3oth. It brought me the very comfortable acct. I long'd for both of your Lo: and my Lady. I pray God to continue you both in health and to encrease and confirm the Love of God in each of you and a mutual Love towards each other in him. Be not troubled at any of those motions of Fear, Anxiety, Melancholy, etc. wch may at any time arise in you ; nor give way to any grievous reflections upon 'em./1 Turn inward,/2 and enter meekly into the Heart of L.M./3 and they will quickly disappear. These and greater tryals too sometimes must happen, but always for your benefit. Qui enirn non est tentatus, quid scit ? /4 In everything depend on God for Strength, Counsel and Direction, walk in his presence/5 and he will conduct and establish your ways.

I forwarded your Letter with several others to A.R./6 but have not yet had any return to them. My last from thence made mention of M.S.M.'s /7 health as better tho not quite well. The two Drs. G./8 are well and give their most humble duty and best wishes to your Lo:. They intend to leave this place in a few days, and to go down part of the way at least by sea, because of the extreme heat and drought wch would render a journey by land very difficult. I have given to them the parcel of books wch your Lo: left with me, and also a few more little Treatises wch I bought for you, a list of wch I shall here enclose.


1 Cf. Lettres, II, p. 186 : " Votre entortillement ne vient que de vos réflexions : il faut les laisser tomber." Cf. Vie de Renty (1664), P. 384, " sans réflexion " ; Olier (quoted Bremond, Histoire littéraire du Sentiment Religieux en France, III, p. 481), " de ne point faire tant de réflexions sur vous." V. pp. 99, 163.

2 Cf. Short Method of Prayer and Spiritual Torrents (Eng. Trans. 1875), pp. 44, 12o. Lettres, I, p. 2 ; etc. Introversion is one of the most important practices of the mystic : v. E. Underhill, Mysticism, Part II, chs. vi and vii. A very interesting account of Introversion appears in Father Baker, Holy Wisdom, pp. 151 f. V. M.N.E., pp. 107, 16o.

3 " Little Master."

4 Cf. Lettres, III, p. 134 ; IV, p. 226 : " Celui qui n'est pas tenté, que fait-il ? " Ecclesiasticus xxxiv, 9. Cf. p. 13o. Also quoted by Fénelon.

5 V. pp. 76, 93, 507, 116, 167, 174.

6 A. M. Ramsay.

7 Madame Guyon.

8 Drs. James and George Garden.

83

I am glad that L.P./1 has sent your Lo: some papers. M.F./2 and he have several that I han't yet seen. I give my most affectionat and cordial respects to 'em both. Please to tell L.P./1 when occasion offers that I shall expect a copy of the verses on Herm. Hug., Pia desideria /3 with his Lo:'s conveniency. A.R./4 has long since advis'd me of 'em.

Your Lo:'s Relations here for ought I know are all well. There was hardly any friend that would open a mouth in the good Dr.'s /5 behalf. I was once and again with L.D./6 etc. but to no purpose ; and could behold the Truth almost deserted and forsaken by all. Pater, ignosce illis./7

I shall conclude with my best and most cordial wishes for your Lo:'s real happiness and my good Lady's and remain

My Lord

Your Lo:'s most humble and obedient servt.

June 26th,

1714

      1. VII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

July l0th, 1714.

MY DEAR LORD,

My last of June 26th, I hope by this time is come safe. Now the inclos'd/8 wch I receiv'd but some few hours ago is what gives occasion to this. I am sure it will be wellcome and refreshing to your Lop and do not doubt but God who has been so peculiarly gracious and mercifull to you in many instances of your Life, will signally bless it to your comfort, and all the other means wch in his wise Providence he affords you. If your Lo: has at any


1 Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo, famous Jacobite and devoted follower of Madame Guyon : v. Introduction. His usual signature was Pitsligo, and in these letters he appears as L.P., but after the '45 he attempted (successfully in the Court of Session, unsuccessfully in the House of Lords) to escape on the technicality that he was charged as Lord Pitsligo instead of Lord Forbes of Pitsligo. The papers alluded to would be religious documents : v. below.

2 Master of Forbes.

3 Hermannus Hugo, Pia Desideria (Antwerp, 1624) . See further pp. 117, 13o. There were many editions published, including some in English. Madame Guyon writes (Lettres, IV, p. 235) : " Je crois que vous trouverez les vers sur les pia desideria à votre goût."

4 A. M. Ramsay.

5 Dr. James Garden : v. Introduction.

6 Lord Dupplin, who as Baron Hay had a seat of his own in the House of Lords, while his father was a member of the House as a representative Scottish peer.

7 Luke xxiii, v. 34.

8 Evidently a letter from Madame Guyon to Lord Deskford, which has not been preserved.

84

time any reply or letter for the ven. M.S.M./1 I shall take all possible care to forward it./2

I give my most respectfull duty to My Lady, with my best wishes for her real felicity and yours.

The two Drs./3 are still here but talk of going down by sea next week. Yesterday the Q./4 came to the House and after a gracious speech prorogu'd the Parlt. till Aug. loth.

I am in hast

My Lord

Your Lo:'s most obedient humble servt.


      1. VIII. [Ma chere et respectable M[ère] je vous rends graces cordiale… ]

[Publié en [CG I], pièce 439.]


[Lord Deskford was in London during the months of September, October, November and December, 1714, as is evident from letters written to him by his wife during that period and preserved at Cullen House. The following is a French translation (preserved in the Library of the Seminaire de S. Sulpice, Paris) of a letter from Lord Deskford to Madame Guyon. Such letters from foreign correspondents had naturally to be put into French (by Ramsay) for the benefit of Madame Guyon. There are two copies of this letter. One is in the collection of " Lettres diverses de Madame Guyon copiées. Copies de lettres de quelques Trans a la mere des enfants du p.m. avec des responses de cette bonne mere." The letter here printed is headed " Lettre de milor Exford a n.m. traduitte de l'anglois." The corruption " milor Exford "—in another letter " M. d'Ex."—has hitherto successfully concealed the identity of Lord Deskford (v. for example Cherel, Fénelon au xviiie siècle en France, p. 53 and note). The contents of the correspondence, however, leave no doubt whatever in the matter. An interesting example of a similar confusion is noted by Bp. Gilbert Burnet in his Reflections on Mr. Varilla's History (1686), p. 21 : " He gives his name Henry d'Arley ; this is a new proof how little he knows the books of the last age. This Henry whom he calls d'Arley was Henry Lord Darly, eldest son of the Earl of Lennox." The second copy of Lord Deskford's letter at the Seminaire de S. Sulpice is in the collection " Quelques copies de lettres détachées." The French, defective in accents and spelling, is left as in the copies which survive, and generally, as in the first-Mentioned copy.]

Ma chere et respectable M./5 je vous rends graces cordiales pour la lettre que vous m'avez envoyee la derniere. J'ai grande raison d'adorer


1 The venerable " ma sainte mère " : Madame Guyon.

2 Dr. Keith was intermediary in the correspondence of Scottish disciples with Madame Guyon at Blois.

3 Drs. James and George Garden.

4 V. Tindal, op. cit., pp. 219 f. The Queen died rather unexpectedly on Aug. r. Caermarthen wrote to Oxford next day : " The confusion we are in here on the dismal news of her Majesty's death is not to be expressed " (Hist. MSS. Com., Portland MSS., V, p. 481).

5 Mère.

85

la bonté et la fidelité de mon cher p.m./1 qui attire et qui sollicite mon ame indigne et pauvre, par tants de moiens d'amour quoy que j'aie ésté tous jours crasseux et infidelle, qu'il soit beni a jamais ; car c'est lui qui arrache les pecheurs de l'abisme, et qui nous donne a manger le pain de vie, afin que nous puissions retourner a lui qui est nostre seule paix et nostre seule force. Quoy qu'avant la reception de vostre lettre, il me parut que j'avois une grande tendence a cette methode que vous m'avez prescript, je sens cependant depuis vos derniers avis une plus grande serenité dans mon ame, et une plus grande facilité de pratiquer l'oraison de la maniere que vous m'ordonnez, et je sens que la presence divine pendant le jour loin de m'empescher de remplir les devoirs de monéstat qui sont de l'ordre de la providence, nous aide a les éxecuter avec plus d'exactitude et de diligence. Je trouve aussi que la voye d'oraison dont vous parlez, j'entends celle d'une simple exposition de nos ames devant dieu, vide de touts desirs et de touts efforts, nous laissant a lui afin qu'il fasse en nous, et de nous, tout ce qu'il lui plait, communique cet ésprit a nos emploits et même aux diversions auxquelles nous sommes assujettis a la cour, plus que la meditation, la lecture, ou toutte autre voie. J'ai par la grace de dieu un desir foncier et sincere d'estre fidelle /2 au p.m., et de lui sacrifier entierement mon coeur mon ame et mon moy même, en lui rendant le tribut du pur amour, et de l'humble adoration qui appartient a son excelence, et a sa perfection immense ; mais je sens un poids extreme de proprieté et de vanité en moy dont le diable se sert pour me faire abuser des meilleures lumieres et des apels si engageants de la grace ; c'est la raison pour quoy je m'ennuie si aisement de l'oraison quand elle n'est pas accompagnée des douceurs et que la moindre petite chose me touche, et m'oste la tranquilité et serenité de mon ame. Je me trouve foible et rempant devant dieu, et l'experance que j'ai de ma vanité, de ma molesse, -de mon inconstance, et de ce fonds de corruption qui est en moy me fait desesperer de mes propres forces, et me montre la necessité de dependre de dieu seul, et de lui donner toutte la gloire. Nourissez moi par vostre charité, soutenez moy par vos prieres. Je m'immagine que j'en sens les effects comme aussi des prieres des austres saints. Le souvenir de vous m'attire doucement dans vostre coeur, et dans celui de vostre p.m. pour y reposer, et adorer avec vous paisiblement l'enfant Jesus./3 J'ai souvent des lettres très tendres et très affectionnées de ma femme./4 Elle


1 " Petit maitre " : cf. p. 78 note. " Petit maître " or its equivalent is regularly used by Madame Guyon and her friends. One finds the expression frequently in Fénelon (e.g. Oeuvres (i86î edit.), I, pp. 634, 635, etc.).

2 This word is omitted in the copy in " Lettres diverses." There are occasional slight verbal differences in the copies, but none of consequence. The " Lettres diverses " copy has been followed except where it is obviously wrong and the other obviously right.

3 V. p. 8o note.

4 See further regarding these letters, p. 43.

86

m'a éscrit qu'elle est grosse. Puisse le p.m./1 former ce pauvre enfant a sa propre image, puisse-t-il estre son enfant, et son tabernacle. Tout l'interest que j'y ai je le donne au p.m/1 Priez le qu'il lui soit pliable, et souple, et qu'il detruise pendant qu'il est encore fleur en bouton tout ce qui est desagreable a lui. Depuis qu'elle m'a donné ces nouvelles, j'ai de tems en tems escrivé des petites sentences pieuses dans mes lettres, croiant qu'environ ce tems çy de ses douleurs son ame sera plus capable de recevoir ces impressions ; mais je tacherai de menager cecy avec. discretion, crainte par ma precipitation de gaster l'oeuvre de dieu qui connoit les tems et les moments pour toucher eficacement le coeur.

Tres venerable et bien aimée M./2 comme nostre ami D.K./3 n'a pas encore envoyé la lettre que je vous escrivis il y a quelques jours, je prends occasion d'y adjouster ce petit mot pour vous prier d'offrir mon coeur et mon ame a nostre aimable p.m. et d'obtenir pour moy la grace de la fidelité a lui. Mon inconstance et ma corruption sont effroyables que je n'oze rien promettre de moy. Toutte mon esperance est en lui a qui je m'abbandonne a jamais sans reserve afin qu'il dispose de mon interieur et de mon extérieur entierement selon son bon plaisir. L'amour propre voudroit bien se reserver quelque chose icy, mais la justice et la venté n'en veulent rien permettre. Je vous prie aussi pour l'amour de nostre cher p.m./1 de m'escrire de tems en tems ce que vous croiez pour le service de dieu en mon ame car chaqu'une de vos lettres fait une impression très grande en mon coeur, et la grace dont nostre Roy les accompagne me montrent evidament qu'elles viennent de lui. Quand je vous éscris, je tache de vous exposer sans aucun deguisement le veritable estat de mon ame, et de le faire tout simplement, et sans reflechir fort particulierement. Mais comme je ne connois point mon coeur, je suis persuadé que je ne dis point les choses avec autant d'exactitude, et de fidelité que je le souhaitterois, mais le p.m./1 supleera bien a cela. Mon pere aiant depuis peu perdu sa charge,/4 nous irons bientot en Ecosse, et je crois que nous demeurerons ensemble pendant quelque tems. Je tacherai avec l'aide du p.m. d'estre soumis comme il a ésté. Lorsque je me receuille pour prier, ou pour me souvenir de dieu je sens souvent un certain doux sentiment de la presence de l'etre incomprehensible. Cela se perd quelques fois par l'egarement de l'immagination ou par divers souhaits irreguliers qui s'attachent au fonds de mon coeur et se montrent aux occasions. Il se renouvelle par de petits souvenirs et par de courtes aspirations de louange. Quelques fois je me souviens que je dois outrepasser le sentiment pour jetter mon ame dans la supreme essence, et la parfaitte et pure volonté du souverain bien. Souvent je ne puis demeurer ma demie heure entière


1 " Petit maître."

2 Mère." This postscript is only in " Lettres diverses."

3 Dr. James Keith.

4 Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, p. 496. \Writing on Sept. 13, 1714, the E. of Oxford says, " Annandale will succeed Findlater."

87

a genouil sans trouver grande difficulté, mais je tache de me faire une violence pour l'amour, et l'obeissance du p.m./1 Ordinairement dieu me fait souvenir de lui souvent pendant le jour, mais peu de chose me distrait, et j'ai peu de courage. Que le royaume de nostre maitre s'etablisse dans touts les coeurs. Amen.

du 24 Octre, 1714.


      1. IX. [Voila, mon cher Milor, ce que NM m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir…]

[Madame Guyon's reply to the foregoing letter appears in her published Lettres (1767 edit.) Vol. IV, no. 9o, but there is nothing in the letter as printed to indicate to whom it was written. Two manuscript copies of this reply are preserved in the Seminaire de S. Sulpice, Paris (in the above-mentioned collections), and one at Cullen House. All three have appended to them the following note by A. M. Ramsay, which is not in the printed copy, and is therefore here reproduced.]

Voila, mon cher Milor, ce que NM /2 m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir et vous êtes un de ses plus chers enfans. Je vous prie de garder toujours une copie des lettres s que je vous écris de la part de N.M. Il faut en faire faire quelque jour un receuil et les envoyer à Dr. K./4 afin qu'il les envoye avec les autres écrites aux amis à Mr. P—t./5 Unissez vous à N.M. et à tous ses enfants répandus par le monde le jour et si vous pouvez la veille de Noël /6 qui est le 25 de décembre icy et à ce que je crois le 14 de décembre chez vous. On demande alors que le p.m./1 étend son régne par toute la terre et dépêche l'heureux temps quand tous les hommes l'adoreront en esprit et en vérité. J'espère que votre chère miladie accouchera d'un petit milor. J'auray l'honneur un jour peut-être d'être son gouverneur. Adieu, mon cher Milor. Personne ne vous aime et ne vous honore plus parfaitement que moy./7

ce 24 de Novre.

      1. X. [Tres venerable et bien aimée mere. Je sens un penchant de vous appeller ainsi…]

[CG I p. 442]

[French translation (Seminaire de S. Sulpice, Paris) of letter from Lord Deskford to Madame Guyon. Headed " autre lettre de M. d'Ex." There are copies in different handwriting in both the formerly mentioned collections. The copy of the English note to Ramsay which is added appears only in the " Quelques copies de lettres detachées." Accents, etc., as in text.]

Tres venerable et bien aimée mere. Je sens un penchant de vous appeller ainsi à cause de la grande affection que vous montrez pour moi en Jesus

1 " Petit maitre."

2 " Notre mère."

3 This is most interesting information, which shows how the large collection of Madame Guyon's letters was formed.

4 Dr. James Keith.

5 Pierre Poiret.

6 V.p.II5.

7 A. M. Ramsay.

Christ, et de l'autorité que vos paroles ont sur mon esprit. Je bénis Dieu de ce qu'il se sert de vous pour me donner le lait spirituel, qui est nécessaire pour entretenir mon ame. Quoique dans le général je ne trouve point de difficulté de m'abandonner à Dieu, cependant lorsque mon esprit envisage les croix, les traverses, les bouleversemens, les obscurités et les sécheresses par où il faut passer, pour étre entierement à l'amour, ma nature frémit, et voudroit bien retourner sur ses pas, mais mon père céleste m'encourage, me soutient, me dit secrettement au ceur, qu'il est juste que je sois a lui, et que je ne dois point craindre puis qu'il sera avec moi. Depuis que j'ai recu votre derniere lettre, j'ai trouvé une grande facilité de me receuillir pour écouter Dieu qui est partout, et qui veut regner en mon ame, mais mon oraison me semble quelquefois un peu bouillante, car comme Dieu me favorise d'un sentiment doux et simple, de sa sainte presence, souvent je fais trop grande attention à cette douceur, et je tache de le retenir par des efforts de tête, au lieu de cesser pour laisser agir Dieu dans mon ceur. Je fais ceci souvent naturellement et non de dessein prémedité, mais aussitôt que je l'appercois je tache de rentrer dans le calme. Je ne sais si je m'exprime assez bien pour me faire entendre, mais je ne doute pas que Dieu ne vous donne une connaissance suffisante pour me donner les directions necessaires. Je ne me connois pas moi même et je ne saurois faire nul fondement sur mes propres idees. Quelques fois lorsque ma tête est affectée par ces douceurs sensibles je sens une crainte des esprits qui agitent les prophetes /1 de nos jours mais mon remede est de retourner à Dieu, et de tacher de me contenter de lui et de me rejouir en sa presence. Une autre question que je voudrois vous faire, c'est, comment ferai je pour m'oublier moi même en l'oraison, car les reflexions sur moi, et sur mon état, m'importunent souvent. Mon remede est de tacher de retourner à Dieu. Il y a en mon ame des monceaux de méchanceté qui ne se montrent pas a present mais ils s'exerceraient bien s'ils avoient des occasions. Je ne puis pas vous représenter mes défauts et mes imperfections. Dieu le fera s'il le trouve à propos. Les conseils et la charité de notre cher ami D. K./2 m'ont été de grande utilité. Je prie que le bon Dieu l'en recompense. Souvent je me sens attaqué par mille imaginations et soucis frivoles qui ne conviennent point aux associez à l'enfance. Aujourdhui que je vous écris mon imagination a été remplie de beaucoup de petites craintes et fantaisies qui ne valent pas la peine d'étre couchées par écrit, quoique je ne les cacherois pas, si j'étois aupres de vous. Je les racconte tout librement


1 A reference to the French prophets and their kind as discussed later in this volume : v. pp. 191 ff. In Madame Guyon's reply as printed (Lettres, Vol. III, p. 231) we find : " Ne craignez point de tomber dans l'état des (nouveaux prétendus) Prophètes." The Cullen House copy does not have the words " nouveaux prétendus." V. also Lettres, IV, PP. 479-96, and V, pp. 499 ff.

2 Dr. James Keith.

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à D.K./1 lorsque nous sommes seuls. Une partie de ces choses c'est, que ma femme, et ce coté la de mes amis sont du parti qui ne s'avoue pas a présent. Mon pere /2 est d'une inclination contraire quoique non pas fort violent ni outré. La plus grande partie de ses dépendans et amis sont violens pour le parti présent. Pour moi, j'obéis à mon père dans toutes les choses indifferentes, ou pour le moins mon inclination est de le faire. Comme il ne sait pas parler françois, j'ai dit au Roi et a ses ministres allemans avec fidelité, ce que mon père m'a ordonné./3 Non obstant cela, il a perdu sa charge /4 à cause qu'il a suivi les mesures de la feûe bonne Reine pendant les deux dernieres années. Je me soumets avec joye à la providence. La politique ne trouble gueres mon esprit. Cependant il faut que j'avoue que j'ai une pente secrete pour le parti qui est dessous à present, tellement que si la providence favorisoit ce coté la, je serois bien éloigné d'en ètre faché. Non obstant cela j'ai une certaine imagination que si il y avoit des gueres civiles, ce seroit une source de soufrance pour moi et pour notre famille, à cause de la part que mon pere a eû dans les mesures publiques. J'ai un sentiment que c'est mon devoir d'oublier tous ces soucis, de ne point entrer dans les intrigues, ni d'ètre aucunement actif pour les bouleversemens, de laisser agir la Providence, et dans les occasions de faire avec bonne foi ce que la Providence demande de moi selon mes devoirs particuliers en tâchant d'agir pour l'amour de Dieu dans l'état ou il m'a mis, me contentant et me rejouissant perpétuellement devant lui, puisque sa volonté est bonne, parfaite, et adorable et mes idées sont frivoles, et méritent d'étre négligées. Je n'aurois pas écrit tout ceci par la poste. Apres la mort de la bonne Reine /5 nous étions en crainte à tous momens d'ètre pillés, et encore plus maltraités par les montagnars /6 en cas de soulèvement, et


1 Dr. James Keith.

2 Chancellor Earl of Seafield, v. Macky (Characters, p. 182), " a gentleman of great knowledge in the civil law . . . understands perfectly how to manage the Scottish Parliament to the advantage of the Court " (this in the reign of William III) : " He affects plainness and familiarity in his conversation, but is not sincere ; is very beautiful in his person, with a graceful behaviour, a smiling countenance and a soft f'ongue." V. also Wodrow, Analecta, III, p. 147 ; Iv, 175.

3 There is preserved at Cullen House an undated fragment of a note to Dr. Keith (addressed to him " att Mr. Dunlaps Spring Garden " : v. p. 108) apparently in the handwriting of Alex. Abercromby (v. p. 532), stating that " Findlater is most desyrous to have his son here for goeing to the King," and hinting at risk of ruin to the family " in some events," and suggesting that Dr. Keith as of himself should press for his return to town, and advising this " if he has not hopes of succeeding on the terms offered, whereof he will be at a certainty by this tyme." It is all a little obscure (intentionally so), but reveals the doubts and difficulties of political intrigue at this period.

4 V. p. 87.

5 Queen Anne.

6 Highlanders. V. Grant, Records of County of Banff (1922), pp. 291, 293 f., where (Aug. 13, 1714) we have evidence of anxiety in the Cullen neighbourhood and the people are recommended to arm for defence against depredations from the Highlands.

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il y avoient des intelligences qui nous faisoient croire que ces craintes n'étoient pas mal fondées. Les compagnies du monde ne m'atirent pas beaucoup, à cause que pendant quelque tems je n'avois pas cette gayeté et enjouement dans les conversations que j'aurois à présent, selon ce qu'il me semble, si je me laissois conduire entierement par l'enfance. Mais j'ai un naturel fort aise qui se laisse facilement entrainer dans des fautes, par la complaisance. Par exemple, le jour que M.F./1 est venu en ville, je me suis laissé persuader par le frere /2 de ma femme à demeurer avec lui plusieurs heures à boire. Lorsque je fis connoissance avec lui il avoit de l'inclination pour la piété. Pendant qu'il demeuroit en Ecosse, ce penchant a été nourri par la grace de Dieu et par les bons conseils de mon cher ami le Chevalier P. Murray,/3 mais depuis ce tems la, les flatteurs, la prosperité et les attraits du monde l'ont beaucoup gaté, et lui ont fait perdre le gout de l'intérieur. Je prie que le bon Dieu aye pitié de lui, et se fasse justice en son ame. Lorsque je suis en Ecosse il n'y a personne à qui je parle tant d'affaires intérieures qu'au Chevalier Murray./4 M.F./5 vous dira son caractere. C'est un homme qui n'affecte rien d'extraordinaire mais qui est grande ;ent touché de Dieu, et qui temoigne grand respect pour vous. Il n'entend pas le Francois mais il souhaite beaucoup de voir quelques uns de vos livres en anglois. Son frère D.M./6 qui est mort a été un homme fort, craignant Dieu et addonné à l'intérieur. Quelques uns de mes amis ont grande vénération pour lui. J'écris tout ceci afin de m'exposer entierement devant vous. Je ne m'atens point a des reponses pas à propos. Pour ce qui regarde les réflexions pendant l'oraison dont j'ai parlé au commencement de la letre, elles sont quelquefois des retours pour voir si je suis dans l'état où je voudrois ètre, quelquefois ce sont des reflexions de vanité, suscitées sans doute par la nature et le démon. Je tache de n'y faire point d'attention, mais de m'occuper de Dieu, et de ces choses auxquelles il m'applique. Le souvenir de vous et de votre ceur me receuille souvent. Je m'abandonne à Dieu, et je m'en vais me taire pour l'adorer et l'écouter. Je suis entierement à vous dans le fond de mon ceur en Jesus Christ, qui est votre Maitre, votre Roi et votre Epoux. Que son regne s'établisse en tous les ceurs. Priez Dieu pour moi. Envoiez moi les directions que vous me croyez propres. Je me soumets à Dieu pour recevoir les influences de sa grace par votre moyen, et par aucun autre qu'il trouvera à propos. Que sa volonté soit faite. J'ai leû dans un livre depuis peu que Jesus Christ nous aime tant qu'il nous


1 William, Master of Forbes.

2 Lord Dupplin, an interesting and illuminating account of whom follows : v. also Introduction.

3 Sir Patrick Murray of Auchtertyre : v. Introduction.

4 Sir Patrick Murray.

5 Master of Forbes.

6 David Murray ; a younger brother of Sir Patrick : v. R. Douglas, Baronage of Scotland, p. 146.

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porte en ses entrailles. Je crois et j'admire son amour. Comment ferai je pour reconnaitre un amour si grand, et que rendrai je à mon Seigneur pour tous ses bienfaits dont il me comble, à chaque moment.

MY DEAR FRIEND A.R./1

After the long letter I have writen above I have nothing to say to you, but only to give you thanks for your constant and affectionate friendship and to assure of my most sincere good wishes. If the worthy person who is with you, or you yourself has anything to write to me, let it be directed to the care of our dear friend D.K./2 What comes from that hand comes as I am convinced from a higher source, and has great influence on my spirit. Continue your love, remembrance and goodwill, for I can assure you, I am most cordially yours. Whether my desire of seeing such papers as you send may not have a great mixture of curiosity I can't tell, or rather I am sure that it has, but yet I am likewis convinced God makes very good use of 'em in my heart. May it and yours and all hearts be entirely his.

Novent. 17th.

      1. XI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

MY DEAR LORD,

I hope this shall find your Lop. safely arriv'd at Edbr, and that it will come in good time to meet you there. The enclosed /3 I receiv'd two days after your Lof left this place, but in obedience to your commands delay'd transmitting it till now. I am sure it will be no less comfortable and edifying than the former have been ; and I most heartily pray our d. L.M./4 to second it with his gracious benediction. Your Lo/ will soon observe that it is in answer to that by M.F.S and not to the last wch was not then come to hand. When any other comes to me I shall not fail to forward it in due time.

I most humbly salute My Lady and wish your Lo: a joyfull meeting with her. Never doubt of the Divine Care and Conduct towards you and yours. Rejoyce always in the will of God manifested in all his providences about

1 Andrew Michael Ramsay. Deskford seems to be in most cordial relations with Ramsay.

2 Dr. James Keith.

3 V. p. 94.

4" Dear Little Master."

5 A letter from Lord Deskford to Madame Guyon had evidently been taken abroad by M. F., the Master of Forbes. V. p. 95. This would seem to refer to X of this collection.

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you. Meekly attend to L.M./1 and render his Presence familiar /2 to you ; and he will be your Joy, your Centre,/3 your Counsellr., your Guide and your All./4 Laisser tomber /5 and outre passer are most useful advice and never to be forgotten, especially in the troublesome occasions of life. I remain with the most tender respect.

My Lord

Your Lop's most obedient humble servant.

London, Janry. 25, 1714/15

(Address torn through.)

L.O./7 with his family and L.D. went last Wednesday into Herefdshire, and talk'd of returning within a month. His enemies boast loudly of their designs agt. him./8 I have recommended Mr. Blake's /9 affair more than once


1 " Little Master."

2 Lettres, IV, p. Io8 : " Dieu nous rende sa présence familiere."

3 Discours, II, p. 389 " O centre divin " ; Discours, I, p. 158: " Dieu, centre de tout repos " ; ibid., p. 26o : " Comme les choses tendent naturellement à leur centre . . . ce centre est Dieu " ; Discours, II, p. 393: " Dieu est tout en tout dans le centre de son amour " ; ibid., p. 386 : " O centre de toute félicité " ; etc. Cf. expressions of Juan de los Angeles and Diego de Estella quoted E. A. Peers, Spanish Mysticism, pp. 133 ff., 138 if., 241 ff., 245 ff. : y. also M.N.E., p. 113.

4 Discours, I, p. 162 : " Je dirai la vérité du Tout de Dieu . . . quittez-vous vous-même par hommage à ce grand Tout . . . O Tout, O Tout, demeurez Tout " ; cf. ibid., pp. 261, 286, 378 ; Lettres, I, p. 598 : " Je vous suis plus unie que jamais en notre divin Tout " ; I, p. 45o : " nous serons unies à notre Tout " ; IV, p. 525 : " O mon Dieu, soyez moi Tout " ; cf. Olier, quoted Bremond, op. cit., III, p. 481. " Deus meus et omnia " was a favourite expression with S. Francis of Assisi, S. Ignatius Loyola, M. de Renty, Henry Scougall.

5 A phrase which occurs countless times in Madame Guyon's writings : u. e.g. Lettres, I, pp. 41, 49, 52, 98, 103, 128, 149, 175, 199, etc. Dr. Keith used it in other letters, along with the following phrase : u. pp. 100, 133, 574.

6 Another favourite expression of Madame Guyon : u. e.g. Lettres, I, p. 301 ; II, p. 278 ; III, pp. 408, 598, 599 ; IV, p. 361 ; V, p. 521. Discours, II, p. 97 ; I, pp. 2, 3, 435.

7 Robert Harley, first Earl of Oxford, and his son-in-law, Lord Dupplin. The Harley home was Brampton Castle, Herefordshire.

8 Oxford was impeached in June, 1715, and sent to the Tower on July 16 : v. p. 104.

9 This is William Blake who was tutor to Lord Deskford, accompanying him to Aberdeen (1701) and then to Utrecht (17o5) : v. some of his letters in Seafield Correspondence (S.H.S.), pp. 345, 346, 355, 416. Through the interest of Lord Deskford he became a land-waiter in connection with the Customs at Bristol, but in a letter at Cullen House addressed to the Earl of Findlater, Apr. 25, 1713, he complains that his employment is " but meane, precarious and slavish," and asks further assistance. Dr. Arbuthnot presented Blake's petition to the E. of Oxford in 1713 and Deskford strongly supported it, referring to the great care Blake had taken of him when a child (Hist. MSS. Corn., Portland MSS., X, pp. 211 f.). In March, 1714, Blake tried to forward his interests by a piece of espionage and flattery, enclosing to Lord Oxford a letter which he says

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to Dr. Ch./1 who promis'd to keep Mr. B—ly /2 in mind of him. I spoke also to Mr. Smith /3 of him. He said he had not yet deliver'd the letters but would do it.

      1. XII. [the first few lines being from Madame Guyon and referring to the death of Fénelon, while the rest is a private note from A. M. Ramsay to Lord Deskford]

[CF I, fin de la pièce 443. À Lord Deskford. 12 janvier 1715.]

[The letter from Madame Guyon to Lord Deskford mentioned as enclosed in the foregoing letter of Dr. James Keith appears in Madame Guyon's Lettres, Vol. III, no. 53. Towards the close this differs slightly in arrangement from the copy preserved at Cullen House, and it has an additional paragraph (10) not in the Cullen House copy. On the other hand, the Cullen House copy concludes with a greeting which is lacking in the printed version, and has the following additions, the first few lines being from Madame Guyon and referring to the death of Fénelon, while the rest is a private note from A. M. Ramsay to Lord Deskford.]

Depuis /4 celle-cy écrite j'ay perdu mon vray père,/5 et mon plus cher enfant dans la personne de Mr. de St. François./6 Mais nous ne l'avons pas perdu. Il est dans le sein du p.m./7 Il est notre intercesseur dans le ciel.

Jusques /8 icy c'est NM qui m'a dicté mon cher milor. Permettez moy d'ajouter un petit mot. L'action de la pure flame quoi qu'elle paroisse


" contains malicious reflections on the greatest statesman and best patriot ... that ever England produced. With indignation I observed them suck in the poison and snatched the letter out of their hands as soon as possible " (Port. MSS., X, p. 313). In the Letters of James Keith there are further references to Blake, his troubles, illness and death, and to Lord Deskford's continued interest in this strange sycophant, a characteristic product of the times : v. pp. 127, etc.


1 Dr. Cheyne : v. Introduction. Dr. Ch. took an interest in Blake's troubles.

2 George Baillie of Jerviswood, son of the Baillie of Jerviswood martyred at the Restoration. He was educated in Holland, partly at Franeker (v. Franeker records at Leeuwarden), and returned at the Revolution, becoming M.P. for Berwickshire and obtaining a Government post as Commissioner to the Admiralty (Chamberlayne, Present State of Great Britain, 1716, p. 584). When he died in 1738 Dr. George Cheyne wrote a short Historical Character of high, where he states " I never knew his superior in solid virtue and just thinking," and further " Having been bred in the school of affliction, his compassion was never denied to those who were in distress even by their own indiscretion. He spent the last twelve years of his life in constant meditation, contemplation, and prayer. It was truly a life hid with Christ in God."

3 Not identified. The name is not uncommon

4 Madame Guyon to Lord Deskford ; Ramsay's handwriting.

5 The Archbishop of Cambray died Jan. 7, 1715 v. P. Janet, Fénelon (Eng. Trans.), pp. 246 fi.

6 Fénelon both master and disciple.

7 Cf. Lettres, IV, p. 511: " Vous avez sans doute apris la perte que nous venons de faire par la mort de xxx. Mais il est présentement dans le sein de Dieu. Il est plus que jamais avec nous."

8 A. M. Ramsay to Lord Deskford.

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fort tranquille est néanmoins infiniment plus vite que celle des eaux les plus rapides. C'est que nous mesurons la vitesse du mouvement selon que le changement successif des lieux est plus promt et plus remarquable à nos sens, mais quand cette succession à cause de sa vitesse échappe le discernement de notre vue nous la croyons ou immobile ou lente. De même dans le monde intellectuel nous mesurons l'action de nos puissances selon la multiplicité et l'ardeur de nos actes successifs & distingués quoiqu'il y ait une action bien plus vitale, efficace, noble & intime qui paroit moins parce qu'elle est moins distincte & moins superficielle. De plus les idées vives de l'esprit & lei emotions ardentes de la volonté ont une connexion naturelle avec le mouvement du sang & des esprits animaux & le branlement des fibres & des nerfs, mais quand l'opération de l'âme est plus concentrée elle n'influe pas tant sur la machine animale & par conséquent n'est pas si sensible quoiqu'elle soit beaucoup plus réelle & efficace.... Pardonnez moy si je mêle mes idées & explications imparfaites avec des verités si pures. Je tâche de vous bégayer comme un simple enfant & de vous dire ce que je conçois de l'opération de notre père céleste. J'espère qu'il agréera ma simplicité. Nous sommes à présent doublement unis, la filiation spirituelle, & la fraternité divine qui nous rend les enfans de la même mère est encore plus forte que tous les liens d'une respectueuse amitié qui m'unissoit à vous auparavant. Puissions nous par le coeur de NM /1 nous perdre un jour entièrement dans le sein de notre père céleste. Amen & amen. M.F./2 qui est arrivé icy en bonne santé vous fait ses complimens & vous embrasse du meilleur de son coeur. Le neveu /3 de Mr St François vous fait bien des complimens. Il a vû quelquunes de vos lettres à NM & il y a un grand rapport entre son naturel & le vôtre, car il a une grande candeur & simplicité. N'oubliez pas de le ressaluer dans vos lettres, car il vous aime fort quoiqu'il ne vous ait jamais vû. Et je vous appelle souvent le Marquis de F. écossois, & luy Milor Desk. françois. Je vous prie de me faire savoir votre addresse en Ecosse afin que je vous écrive tout droit sans donner la peine à Notre Cher Dr K—/4 My dear father the A. of C./5 is dead. He left his blessing to all ye transmarin friends & loyers of ye L.M. You are of the number. Unite yourself to him in the presence of God & youl find the blessd effects of such an union. Our dear mo-/6 is equally afflicted & abandonnd to the divine will.

Janry. I2. N.S. 1715.


1 " Nôtre mère."

2 Master of Forbes.

3 Marquis de Fénelon, grand-nephew of the Archbishop.

4 Dr. James Keith.

5 Archbishop of Cambray : v. p. 94.

6 Mother—Madame Guyon.

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      1. XIII. The first part of this letter is from A. M. Ramsay to Lord Deskford, and the second is a short note dictated by Madame Guyon.

[CF I pièce 444]

ce 13 de Mars.

1715.

Voicy Mon Cher Milord une lettre de la part de NM /1 avec plusieurs jolis chansons /2 pour vous réjouir. J'y ay joint aussy la copie d'une letter de mon cher père a qui est à présent dans le sein de Dieu. Unissez vous à luy, il vous procurera de puissans secours. C'étoit le plus grand & le plus petit des hommes. Tout ce que le monde admiroit en luy n'étoit qu'un voile pour le cacher des yeux des hommes. Tout ce que les âmes pieuses condamnoit en luy étoit l'effet de la plus pure abnégation. De manière qu'il étoit également caché & des profanes & des dévots ; & encore plus de luy-même. Je sens à présent que pour un père que j'ay perdu sur terre j'ay gagné un protecteur dans le ciel. Les sens & l'imagination ont perdu leur objet, mais mon coeur le trouve dans notre centre commun. Il répand sur moy un rayon de cette paix céleste dont il jouit, quand je m'y unis en simplicité & sans détour. Il m'est un canal de grâce. Il vous le sera aussy si vous vous y unissez avec foy. Il a donné en mourant sa bénédiction à tous les enfans du p.m./4 Si vous en connoissez quelques uns près de vous dites le leur.

Je vous aurois écrit plutôt mais nous pensâmes être orfelins depuis peu & perdre NM /1 qui a été trois fois aux portes de la mort par un catarrhe qui luy tomba sur la poitrine & pensa l'étouffer. Mais le p.m./4 a eu pitié de nous & a fait ainsy que trois saignées l'ont beaucoup soulagée quoiqu'elle soit encore fort foible & allittée. C'est de son sang que j'ay écrit ces paroles qu'elle me dit de mander à tous les enfans du p.m./4 Dans le fort de sa maladie on me les dicta. Voicy la chose la plus précieuse que je saurois vous envoyer. Gardez la chèrement & accusez m'en la réception, comme aussy de cette lettre.

Comme NM /1 ne connoit pas l'air /5 dont vous parlez elle n'a pas pû

1 Madame Guyon.

2 These songs appear to be wanting.

3 Fénelon, Archbishop of Cambray : the short description of him which follows is interesting.

4 " Petit maitre."

5 Madame Guyon was in the habit of writing verses to suit airs which her followers brought to her notice : v. Introduction. V. also Lettres, III, p. 17o : " il est bien difficile de faire des chansons spirituelles sur l'air que vous m'envoyez. Il est trop court pour souffrir une certain majesté qu'il faut dans les choses spirituelles. Je vous envoye pourtant cinq on six couplets qui ne valent pas grande chose. Je vous envoye aussi quelques autres chansons avec les notes."

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vous envoyer des chansons là-dessus, mais en voycy quatre admirables, le premier a été fait dans sa prison. Les autres depuis. Si vous souhaittez d'en voir d'autres M. F./1 qui vous salue cordialement me dit de vous dire que vous en trouverez entre les mains de Mr son frère,/2 de Mr le dr. G. G./3 & de Mr Alexr. Strachan./4 Je suis sûr que tous ces trois seront prêts à vous communiquer tout ce qu'ils ont.

Je vous prie Mon Cher Milord d'envoyer ce que je vous écris a Milor Pitsligo notre très cher & très honoré amy. NM /5 vous embrasse des bras du p.m./6 qui sont longs. Pour moy je vous trouve souvent auprès de nous & au milieu de nous, quand nous sommes devant ce cher p.m./6 Comtez sur ma tendresse, sur mon respect, sur mon attachement inviolable, & quand je peux vous servir je me sens toute âme & tout coeur. Enfin notre filiation demande que nous ne soyons que Cor unum & Anima una. Adieu.

Je /7 n'ay pas pû vous faire une chanson anglaise sur l'air que vous marquez car je ne la connois point, ni aucune air. N'ayant aucune connoissance de la musique je ne pourrois peut-être pas y ajouster ma poésie quoique je sçusse les paroles de l'air. D'ailleurs ma veine poétique se dessèche, je ne say si je pourrois présentement faire 4 vers de bon rhime. Mais je tacheray de servir Mon Cher Milor par des services plus essentiels que par mes activitiés stériles & infructueuses. Je tacheray de luy envoyer de temps en temps les paroles de vie. Adieu. Osculo sancto vos amplector. Ora & ama.



1 Master of Forbes.

2 James Forbes, second son of 13th Lord Forbes, succeeded to title as 16th Baron in 1734. There are numerous references to him in the Letters : v. Introduction. Also Stuart Papers, III, pp. 23, 229, 428, 464. In the last two passages cited Lord Forbes of Pitsligo refers to James Forbes as " my brother." This is a little misleading, and has misled the Editor of the Stuart Papers, but is due to the fact that James Forbes had married a sister of Lord Forbes of Pitsligo : v. Paul, Scots Peerage.

3 Dr. George Garden.

4 V. also p. 53. There is nothing in the references on which to base an identification, but it may be noted that in a letter written in 1709 to Robert Keith, afterwards the well-known Scottish bishop, A. M. Ramsay mentions as an intimate " Sandy Strachan apparently belonging to somewhere in Aberdeenshire near Rosehearty, Dr. George Garden's Bourignonist headquarters (J. P. Lawson, Pref. to R. Keith, Affairs of Ch. and State in Scotland) . At Cullen House there is a letter from Alexander Strachan, Banff (May 23, 1723), in favour of leaving an Episcopalian minister unimpeded in his work. Ogilvie of Auchiries, a younger member of the group, married a daughter of an Alexander Strachan, merchant, Leith. Whoever is the Strachan referred to, he is not one of the Glenkindie family whose sympathies in religion and politics were on the other side (v. Allardyce, Strachans of Glenkindie (1899)).

5 Madame Guyon.

6 " Petit maitre."

7 At this point Madame Guyon's note begin.

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      1. XIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD

[FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. This letter is undated, but the reference to Lord Bolingbroke's flight to France fixes the date at about April of 1715.]

MY DEAR LORD,

When I receiv'd your Lop's most acceptable letter I was preparing to write to your Lop, having heard but two days before of your arrival with your dear Lady at Dupplin./1 I rejoyced to hear that your journey and hers was safe and without any bad accidents. I am very hopefull the Divine Providence will continually watch over you both for good, and make you a mutual comfort and aid to each other.

My last from A.R./2 wch brought kind remembrance and salutations, to your Lop and those you know, made mention of M.S.M.'s /3 late illness wch in the opinion of all about her was like to have prov'd fatal, but was abated by frequent bleeding. It was an asthma attended with a sort of suffocation. Let us continually beseech our dear L.M./4 to prolong that precious life if it be his holy will for the glory of his Name and the advancement of his Kdom. I am expecting to hear again in a few posts, and if there be any thing material shall not fail to communicate it ; in the mean time I shall take care to forward your Lop's. The 7th of March we lost good Mr. Lister/5 who was taken ill but 5 or 6 days before, and to my great grief


1 Dupplin House near Perth, the home of Lady Deskford's family. Lady Deskford died and was buried here in 1722.

2 A. M. Ramsay.

3 " Ma sainte mère."

4 " Little Master."

5 One would like to know more of a man who seems to have taken such an interest in propagating the study of mystical literature. One can only guess his identity with John Lister, who was buried in the south aisle of Westminster Abbey on March 8, 1715 (v. Westminster Abbey Registers, p. 282). In the printed Register there is a footnote which says he was " only son of John Lister of Linton, co. York, Esq., by Jane, dau. and heir of Christopher Constable, of Great-Hatfield, in the same county. His age, according to the Funeral Book, was seventy-nine. His will, dated June 29, 1714, was proved 26 Apl., 1715, by his nephew Thomas Southby, of Birdsall, co. York, Esq., to whom he left his entire estate, and who was his sister's son." His will is in Somerset House and expresses his desire to be buried in the Abbey. A curious clause states that his nephew is to receive the rents of Linton, etc., " during my life to save and prevent all designing persons from taking or causing to take away my life." There are many small bequests, including a guinea to the clergyman of Wintringham (the parish church of Linton) to preach his funeral sermon. There is no allusion to a brother, and the above quoted footnote calls him " only son," which seems to cast some shadow of doubt upon our identification. It might also be doubted whether a burial would be likely to take place the day after death, but it is possible that Dr. Keith was a day or so out in his dating of the death. A " Mr. Lister " well known in London at the time, who survived this date, was Thomas Lister, M.P. for Clitheroe, who was chosen a Commissioner of the Public Accounts in 1714 with the highest number of votes (v. Commons Journals, June 18, 1714, p. 689).

98

died without my having had an opportunity to see him. They say he gave strict orders to let nobody come to him, for I call'd three times but was not admitted. He was a truly sincere man and the greatest collector and spreader of spir. books in the whole Island. Tho he sold off many not long before his death, yet he has left behind him some hundreds still. At his brother's /1 desire I have shewn the catalogue of 'em to some friends, and to Munzie /2 among the rest who is much enclin'd to purchase many of 'em. There's one that offers to buy 'em all, if he does we must be content to let them go ; but otherwise I will endeavour to secure some of the most proper for your Lop. Munzie /2 gives his humble service to your Lop and laments his not having seen you at Edbr./3 L.F./4 and Mrs. K./5 salute also your Lop as do R.C./6 and Dr. Ch./7 the last sets out for the Bath next Thursday.

Ld. D./8 and his family are well. L.O./9 has been long expected in Town, but I do not yet hear that he is come. The reports about him are various. Some will have him to be in extreme danger, and serve not. A little more time will shew it. My prayers and best wishes are for him, for he has few fd's /10 and powerful enemies. Ld B.ke is retir'd /11 into France, so some say not only by the connivance but advice of some of the greatest ; his flight has injur'd his cause and encourag'd his accusers, who will certainly proceed to an attainder agt him. Violence and party rage are come to a strange height : and great calamities seem to be threatened. May it please God to prepare and fit us for suffering with patience and chearfulness whatsoever may thro his providence befall us and ours. I give my most affectionat service to Sr P.M./12 and shall do my best to obey his commands, when any thing comes forth that may be acceptable to him : but at present there's nothing doing of that kind. We may humbly say with St. Paul, we would have come (forth) once and again, but Satan hath hindred us. Let us pray that God would rebuke that evil spirit, and bruise him under our feet suddenly.

My D. Lord my spirit is often present with you before our bl. L.M. in union with our d. Mr./13 etc. and in a manner so intimate as cannot be suppress'd. Let us then continually rejoyce together in his holy presence, for his joy must be ours. Let us never stop at the many rubs that are thrown in our way or so much as bestow a reflexion upon them, but taking as little


1 Perhaps the " Mr. Lister " mentioned p. 118 ; and see above note.

2 Patrick Campbell of Monzie.

3 Edinburgh.

4 Perhaps 13th Lord Forbes.

5 Mrs. Keith.

6 Apparently Robert Cunningham : v. pp. Io5, 111, 13r.

7 Dr. George Cheyne.

8 Lord Dupplin.

9 Earl of Oxford.

10 " Friends."

11 Lord Bolingbroke fled to France March 26, 1715 v. Calamy, Hist. Account of my own Life, II, p. 311.

12 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

13 " Our blessed Little Master in union with our dear Mother " (Madame Guyon).

99

notice of 'em as possible sink down into the Nothing,/1 where only our security lies, and there we shall be what He would have us. And as to melan./2 thoughts and pressures and multiplicities /3 of all sorts, Laisser tomber et outre passer /4 are Rules never to be forgotten. May our Lord be your strength and your all. I am for ever

Yours in him.

My humble duty to my Lady as

also to L.k./5 and the Cols

This is in hast. Adieu soyez.

To the Right Honble. The Lord Deskford at Dupplin House near Perth p. Edinburgh.



      1. XV. Ce que j'ay prétendu, Mr. a été de vous inspirer une Oraison Libres…

[CG I pièce 445]

[Copy of letter from Madame Guyon in the handwriting of Dr. James Keith, sent to Lord Deskford and preserved at Cullen House. There is nothing to indicate for whom the letter was originally intended. Some expressions very closely resemble what we find in Madame Guyon's printed letters.]

Apr. 15. 1715.

Mr. R./1 m'a lû la lettre que vous avez pris la peine d'écrire. Ce que j'ay prétendu, Mr. a été de vous inspirer une Oraison Libres dont l'amour


1 This whole passage reflects Madame Guyon's constant teaching not to think about troubles, but to ignore them, and abandon self in God. Lettres, I, p. 450 " Soyons unies dans la petitesse et dans le rien, et par là nous serons unies à nôtre Tout " ; cf. Lettres, I, p. 463 ; Disc. I, p. 231. Cf. Fénelon, Letters to Women (Eng. trans. 1887), p. 219: " I entreat you to make yourself so small that you may nowhere be found " ; G. Garden, Apol. for M. A. Bourignon, p. 124 : " How can a Nothing do anything that's good ? Man in his Nothing was Nothing " ; A. Baker, Holy Wisdom, 2nd Treatise, sect. II, ch. xiii.

2 " Melancholy."

3 A common expression with Keith, and often used by Madame Guyon : v. p. 15a. It occurs frequently in Baker's already mentioned Holy Wisdom, e.g. pp. 31, 77, 93, 225, 239, 253, 281, 323, etc. V. also John Smith, Select Discourses (1660), pp. 413, 421 ; Vie de M. Renty, p. 295. Still earlier it may frequently be found in the works of Tauler.

4 For this favourite expression of Madame Guyon and of Dr. James Keith v. p. 93 and note. The expression " laissez tomber " is common in Fénelon also, e.g. Spir. Lettres (Oeuvres, Paris, 1861), I, pp. 535, 540 543, 544, 547. 552, etc.

5 Lord Kinnoull, to whose house the letter is directed.

6 No doubt Colonel Hay, son of Lord Kinnoull and afterwards the Jacobite Earl of Inverness. He sailed for France in October, 1715. V. D.N.B., etc.

7 A. M. Ramsay.

8 Cf. Lettres, IV, p. Ioo : " Que votre Oraison soit libre, plutôt du coeur que de la tête, plus d'afection que de raisonnement. Acoutumez-vous à entremêler vos afections d'un peu de silence."

100

soit le principe, et qui parte plus du coeur que de la tête ; quelques douces affections mêlées de silence./1 Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher & à raisonner, j'ay voulu faire tomber l'activité de l'esprit par une foy simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur & simple, conforme à la simplicité de votre foy. Cela ne se fait pas par une tension de l'esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul excitant la volonté, par une tendance de cette volonté vers son Divin Objet. On est bien loin de vouloir vous donner des méthodes. Il n'en est point question pour vous. Ce seroit la même chose que de vouloir qu'un enfant déjà né rentre dans le sein de sa mère. Tous les livres sont pleins de méthodes, et ces méthodes sont très peu fructueuses. Elles servent à nourrir l'activité de l'esprit que la foy doit surpasser. L'esprit de l'homme naturellement curieux voudroit voir un système clair & net de tout ce qu'il tâche de concevoir. Il n'en est pas de même de l'oraison que des sciences. Il faut icy que le St. Esprit soit le maître, & s'abandonner à luy. Moins nous agissons, plus il agit, mais comme il ne demande que notre coeur, c'est à dire notre volonté, c'est donc par là qu'il faut aller à luy. C'est le plus court chemin. Le traité de la Réunion /2 en dit quelque chose. Le commencement des Torrens /3 en parle aussi. Mais pour ce qui vous regarde il ne faut que vous abandonner à l'esprit de Dieu, vous mettre en sa présence & rappeller cette présence par une petite affection lorsqu'elle vous échappe ; des retours fréquens en vous-même durant le jour, & prendre quelque tems plus long & plus marqué pour vous tenir auprès de Dieu, comme un enfant auprès de son père qu'il aime. Plus nous agissons simplement avec Dieu plus il est content de nous, et plus nous sommes contens de luy. Quand on a un si bon Guide on n'a pas besoin de demander une route particulière. Il a tant été écrit sur ces matières qu'il est inutile d'en dire d'avantage. Je ne le fais que pour vous marquer combien je vous suis devouée en J-Ch.

Plus nous agissons simplement avec Dieu plus il est content, et nous devons travailler à le contenter & non à nous satisfaire nous-mêmes. C'est pour celà que J-Ch. a dit, Si vous ne recevez le Royaume de Dieu /4 comme des enfans, vous n'y entrerez point. Ce royaume est l'Intérieur. L'expérience en apprend plus que toutes les théories du monde. Et j'ose même dire que sans expérience non seulement on ne peut écrire solidement de choses intérieures, mais même les bien goûter & les bien comprendre en les lisant.


1 Cf. Lettres, IV, p. Ioo.

2 Madame Guyon's La voie et la réunion de lame it Dieu, issued by P. Poiret in the second volume of Les Opuscules spirituels, 1712. Cf. Lettres, IV, p. 509.

3 Madame Guyon's Les Torrens spirituels reissued by P. Poiret in the first volume of Les Opuscules spirituels, 1704. The Torrents and the Short Method of Prayer are Madame Guyon's best known works.

4 Cf. Lettres, V, pp. 2, 49.

101

Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous, dit J-Ch. Il dit ensuite, Cherchez le Royaume de Dieu & sa justice./1 C'est donc en nous qu'il le faut chercher. Lorsqu'on l'a trouvé on trouve sa Justice. C'est qu'on voit les oeuvres de cette divine Justice comme elle fait tout en l'âme pour détruire l'amour-propre & restituer à Dieu nos usurpations, alors tout nous est donné par surcroît. Il faut renoncer à nous-mêmes, et c'est par là qu'on parvient à la bienheureuse pauvreté d'esprit.

      1. XVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Aug. 41h, 1715.

MY LORD,

I had the honour of your Lop's of the 23d past and am this night to forward the annex'd. I could not do it last post because J.F./2 and Mr. R./3 who were to write to their Br./4 could not then and the delay was well enough for last night we had letters from M.F./5 with kind salutations to all friends. M.S.M./6 has been again tender of late, but is better at present. R./7 goes from thence next Octobr. to be tutor to a young Gentleman a friend of the B. of Metter's./8


1 Cf. Lettres, V, p. 20 : " . . . parce que c'est par elle qu'on aprend la véritable justice, qui arache tout à la créature pour restituer tout à Dieu. . . . C'est par elle qu'on obtient la pauvreté d'esprit, et qu'on parvient à cette sainte haine de nous-mêmes. . . ." (Discours II, " de la voie intérieure ") : v. also Discours Chrétiens, I, p. 7o.

2 James Forbes.

3 Not identified. Had A. M. Ramsay perhaps a brother in London ? In connection with his Will some one of the name of Michael Ramsay is mentioned : v. Cherel, Fénelon, p. 75. A. M. Ramsay was not in the habit of using any middle name in his letters, and it seems unlikely that he had any right to it. Perhaps, however, Michael was one of the family names, and possibly that of a brother. David Hume, the philosopher, was acquainted with a Michael Ramsay, who was known to the Chevalier. Hume's correspondence includes several letters which show him to have been in Edinburgh in 1732, and in Paris in 1739 : v. Letters of David Hume (edit. Greig, 1933), I, pp. 12, 29.

4 " Brothers."

5 Master of Forbes : v. pp. 95, 97-

6 Madame Guyon.

7 A. M. Ramsay, who became tutor to the young lord de Sassenage, v. Cherel, Fénelon, p. 56.

8 Baron de Metternich, the leading German adherent of Madame Guyon. Died i731. Mentioned pp. 141, 16o, 222, etc. Many letters written to him by Madame Guyon are amongst those in the published collection : Lettres, V, Index, p. 629. A hand-written copy of part of B. de Metternich's own " treatise concerning the perfection of happiness that is to be attain'd in this life " is among the documents preserved at Cullen House from Lord Deskford's time. The German original, Die stete Freude des Geistes (1706) is characterised by Poiret in Bibliotheca Mysticorunz (1708), pp. 295 f., 307, the author being named Hilarius Theomilus. The Baron had previously been a Philadelphian, and had translated into German the Theologia Mystica of Dr. Pordage. On Pordage and his associate Jane Leade, v. Poiret, op. cit., pp. 174 f., 186 ; also D.N.B. and Walton,

102

I rejoice to hear of your Lo: and my Lady's wellfare. I hope the child/1 is well also. I commit you all to the all-wise and all-powerfull influence and conduct of our dear L.M. Our lot is fain in very dangerous and trying times. But let us lift up our heads and rejoyce, knowing that He in whom we have believed is faithfull and true, and will not suffer us to be tempted above what he gives us strength to bear. Let us labour to keep our Hearts clean and our hands and spirits pure and disengaged./2 Let us ever be found Watching in the way of our duty ; then let what will come and wellcome ; it can neither surprize nor hurt us. He that believeth sees within the vail and therefor shall not make haste. He lives and walks by Faith, and cheerfully submits to everything that happens. He will not enquire into the times and the seasons of executing Justice or bringing deliverance, but he sees that the cup is almost full, that men's hearts are hardned to a mighty degree, that they are bringing the scourge upon their own backs, and will be the instruments of their mutual destruction. When one considers those things his heart mourns and is ready to break. But what we have to do is to look unto the Lord and wait from the God of our Salvation. He will hear and save us.

In a time of general perplexity and distress the sober, the pious and the good one way or the other must suffer also. Their principle is to submit to all Powers and Governments, as Chrt. and his dples./3 did, and to disturb none ; and yet they must be suspected and accounted enemies, persecuted and imprison'd it may be for not doing and saying as others do ; but let them rejoyce in this also, knowing that thus too they must fill up their share of the sufferings of Xt. in the flesh./4 May his H. Sp. of Faith, Love, Power and

Memorials of Wm. Law. Wodrow (Analecta, IV, p. 148) attributes to Metternich a book de Ratione Fidei, by which he means the Fides et Ratio collatae issued by Poiret in 1707. His view of the authorship is confirmed by the letter of Jas. Cunningham to Dr. George Garden (M.N.E., p. 222). This is interesting, as Poiret himself says nothing of it, and it is evidently unknown to Wieser (Peter Poiret, p. 1o5). Wodrow (Analecta, III, p. 473) says : " The Barron Metenish, or some such name, a counselour to the King of Prussia, who, by our publick prints, about a moneth ago was converted to Popery, was a notted disciple of Poiret's, and the step is certainly very easy from his opinions to Popery. The Papists designed by Burignion and Poieret secretly to insinuat the refined mysticall Divinity into Protestant countrys, where their emissarys had litle or [no] acces." Metternich was a friend of Lord Forbes of Pitsligo. V. also Allgemeine Deutsche Biographie, XXI.


1 A letter from Lord Deskford to Wm. Lorimer, May 2, 1715 (Cullen House), says : " On Saturday my wife was safely brought to bed of a daughter."

2 Lettres, IV, p. 139 : " la foi qui est toujours jointe à l'amour rend l'esprit simple, pur, net, dégagé d'espèces " ; Discours, II, p. 289 : " le pur amour est nud, dégagé de tout " ; cf. II, p. 363 ; Lettres, I, p. 471.

3 " Christ and his disciples."

4 Life of Lady Guion (by herself), 1772 edit., p. 32 : " Such are the souls destined to be victims hereof and to fill up what is behind of the sufferings of Christ." Cf. Lettres,

IV, p. 385.

103

a sound mind dwell in us and labour with us, that in all things and states we may be enabled to do and suffer according to his holy will !

My last to your Lop of July 26 was directed to the E. of Findl.'s /1 Lodgings, Edbr. I hope it came safe. In it I desir'd to know about what value the books I am to send should be; for I have the disposing of 'em all. Munzie /2 who returns his most humble service to your Lop has not yet sent off his books, but designs to do it as soon as he gets time, and has promis'd to give me timely notice. What I shall send to your Lop shall be Latin or French ; and with all an Italian Gram. and Dictionary with one or two little ones for exercise wch you have in other languages. L.D./3 with My Lady and family are going in a few days to their House near Doncaster. I can never find an opportunity of talking with him. L.O./4 continues still very ill and weak, and much emaciated by reason of the disorder of his stomach and frequent vomitings; but I'm told he has been easier these three or four last days. One you know was an hour with him last week and was rejoyced to hear him express himself with all possible Submission and Resignation /5 to the Divine Will, and declare that he would not change his present condition under all his sufferings with that of his greatest enemies, whom he heartily forgives. People's minds are still disturb'd and uneasy, hating and reviling one another. But no news of any real preparations for an Invasion, wch by some is counted absolutely impracticable as things stand, and that the danger is over. I say nothing.

My most humble service pray to my good Lady, as also to L.H./6 if still in Town. I shall be glad to have copies of the 2 good Letters./7 Mrs. T./8 who is this day gone with their family into the Country gives her most affectionat respects and good wishes to your Lop as J.F./9 also does. D.C.'/10


1 Earl of Findlater, Lord Deskford's father, the Chancellor Earl.

2 Campbell of Monzie.

3 Lord Dupplin. His country house was at Brodesworth, co. York.

4 Oxford had been sent to the Tower July 16, 1715, and remained there till July 1, 1717 : v. p. 145. His son-in-law Dupplin followed on Oct. 13, and was a prisoner till May 25, 1716: v. p. 123.

5 Cf. Hist. MSS. Corn., Port. MSS., V, pp. 529 if. : a note of the letters written by E. of Oxford in the Tower, " filled chiefly with expressions of pious resignation to his state."

6 E Lord Haddo : v. pp. 75, 104, 119, 14o, 175, 185.

7 We find many cases of religious letters copied and circulated amongst the group.

8 Not identified : cf. pp. III, 127.

9 James Forbes.

10 Dr. Cheyne : v. Introduction. Before finally settling at Bath Dr. Cheyne used to spend the summers there. In the present writer's cop)? of Theologiae Pacificae (1702) (including Poiret's Latin edition of Garden's Comparative Theology) there is written on the fly leaf in Cheyne's handwriting : " Direct for Dr. Cheyne at Bath till the end of Octr at Mr. Skine's apothecary, after that for him at London to be left at Old Man's Coffee House near Charing Cross. Westminster," the reference being to certain of Poiret's books and G. Garden's Apology for M. A. Bourignon.

104

is still at Bath. His spouse came last week to Town. R.C./1 and Pell /2 also salute your Lo. and I am ever,

Your Lop's, etc.

I here send the little gold-beater's skin I have by me but shall get more by next time I write.

To The Right Honble. The Lord Deskford at Mr. Fraser's in Carubber's Close,

Edinburgh.


      1. XVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Aug. 6th, 1715.

MY LORD,

Last night I had the honour of your Lop's of July 30th, and take this first opportunity to acknowledge it. My last to your Lop was of the 4th inst. two days ago, directed to Mr. Fraser's ; as a former therein mention'd was to the Earle's Lodgings. I hope both have come safe. I rejoyce to hear of your Lop's health, and that you are cheerful and easy. A total Resignation to the Divine Will /3 in all estates and circumstances outward and inward will certainly bring and preserve that solid Joy and Peace /4 wch the world neither knows nor can deprive us off. The Spirit of Faith in God and a continual attention of Love to him ministers also the truest prudence even in the most perillous times. Our Bl. Savr. who is our Life, our Wisdom and pattern did not commit himself to Man, because he knew


1 Perhaps Robert Cunningham whose name sometimes appears in association with that of the E. of Oxford. V. for example Hist. MSS. Com., Portland MSS., IV, pp. 64, 566, etc. ; X, p. 307 ; also ibid., VIII, p. 299, where a letter from Professor Stirling of Glasgow to " Robert Cunningham in Wyan Court in Great Russell Street near S. Giles' Pound," entreats him to do the favour of waiting on Mr. Secretary Harley and making certain representations to him. " Robert Cunnyngham, esq. Secretary to the Governor of Jamaica," is mentioned in Bowyer, Lit. Anec., VI, p. 81,as a member of the Gentlemen's Society at Spalding in 1726. V. pp. 99, 1o6, etc.

2 Not identified. There were several of this name in the period.

3 V. p. 161 n., pp. 107, 127, 142, etc. Cf. Lettres, IV, p. 84 : " Un abandon entier 5, la volonté de Dieu " ; Discours, II, p. 41 : " se résigner à. la volonté de Dieu pour tout ce qu'il fait et qu'il permet " ; Lettres I, pp. 304 f. " ne vouloir agir que par la volonté de Dieu . . . pour le dedans . . . recevoir extérieurement touts les petits dégoûts . . . qui arrivent dans l'état oû Dieu vous a mise."

4 Cf. Lettres, IV, p. 26o : " cette paix sera solide."

105

what was in Man. A lesson never more necessary than now. He knew the world well who recommended these three words to his friends' practice, fuge, tace, quiesce./l

As to what passes here, the publick accounts will acquaint you. One cannot avoid hearing many private reports and publick clamours if he converses at all with them. But I never counted them either worth hearing or relating. I rarely write News wherein the publick is concerned and never desire to receive any. Non loquahtur os meum opera hominum./2 I have spoken to R.C./3 to get Pell /4 to write to your Lop for 'tis probable business will call me out of Town in a little time and for this reason J. F—s/5 who gives his humble service to your Lop desires that for 3 or 4 posts after this comes to hand any Letter for J.K./6 may be directed to him at Mr. Moon's in Monmouth Court, Hedge Lane, near Charing Cross. Most Letters they say are opened,/7 as your last seem'd to have been.

I saw L.D./8 yesterday. He goes into the Country he told me next Tuesday with the Children, but my Lady who is within 6 weeks of her time does not go. My humble service to L.K./9 tell him what I long appre hended is come to pass, but people were too wise. L.O./10 is still weak but easier. I'm told the D. of Montr— laid down yesterday, and that Ila is to succeed him./11 Lord give us help from trouble, for vain is the help of Man.

I commit you and yours My Dear Lo: to the guidance and protection of L.M. May He be our strength and our all ! /12 We are in perils of all kinds.


1 Arsenius, an anchorite in the desert of Scetis c. A.D. 440 (Cath. Ency., I, p. 754 Baring Gould, Lives of the Saints, July, part II, pp. 446 ff.). The expression here given is from the account in de Vitis Patrum (pub. 1628) ; v. Migne, L.P., LXXIII, p. Sot, Madame Guyon quotes the Latin form in Discours, Vol. I, p. 264, and the whole discourse (no. 37) has this for text : v. also Disc., I, p. 157.

2 Psalm xvi, v. 4 (Vulgate) : " ut non loquatur os meum opera hominum." The A.V. (Ps. xvii, vv. 3, 4) reads differently.

3 V. p. 105. '

4 Ibid.

5 James Forbes. 8

6 Dr. James Keith.

7 A hint of the political suspicions of the times.

8 Lord Dupplin : the Hist. Reg., 1715, notes the birth of a son on Sept. 14.

9 Lord Kinnoull. V. Tindal, op. cit., p. 408 ; Rae, Hist. of the Rebellion (2nd edit.), p. 208. The allusion may be to the coming Rebellion. The Earl of Mar Ieft London secretly on August 2. The Jacobite standard was raised on Sept. 6. Lord Kinnoull had Jacobite sympathies and was arrested.

10 The Earl of Oxford, now in the Tower.

11 The Duke of Montrose had become Secretary of State in place of the E. of Mar and he and the E. of Islay (afterwards 3rd Duke of Argyll), the Lord Justice General, had much responsibility as the Government's chief representatives during the Jacobite Rebellion. V. Campbell, Life of Argyle.

12 " Que Dieu vous soit toutes choses " : a common expression of Madame Guyon, v. Lettres, IV, pp. S4, 78, 182, 184, 191, 225, 35o, 501, 506, etc

Let us remember one another in union with our Dear M.S.M. before him.' Come what will let us think, speak and walk in his spirit and in his presence.' Adieu.

To The Right Honble. The Lord Deskford at Mrs. Romes in the

Parliament Close, Edinburgh.


      1. XVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

AUG. 30, 1715.

'Twas with uncommon concern My D./3 Lord that I heard last night the news of your confinement,/4 and therefor can't forbear taking this first opportunity to enquire after your health and circumstances, and withal to pray your Lop to be easy and chearfull under them. Nothing of this kind happens by chance. The Reason of the thing may I suppose be a mystery to yourself as well as to me, but I am confident our L.M./5 will support and comfort you at present, and work in you those salutary effects wch you will feel afterwards. Unite your self to him in the strongest ties of Faith, Love and Resignation, and he will be your Strength and your All./6 My Sp./7 is continually with you in union with our dear M./8 and I firmly believe that God will save his servant and strengthen the son of his handmaid. My last to your Lop was of the 18th with one enclosed from her./9 I hope it came safe tho directed to Mrs. Romes. I write to her next post and acqnt them with what has happen'd. The noise of company will be most of all disturbing, but be not troubled, a little Introversion /10 sets all right.


1 Cf. Lettres, IV, p. 41 : " Croyez moi toute à vous dans notre cher et divin petit maitre " ; IV, p. 129 " Je ne vous oublierai pas auprès de lui " ; II, p. 290 ; IV, p. 306, 310, etc. M.S.M. is " ma sainte mère."

2 V. p. 76.

3 " Dear."

4 Lord Deskford was arrested on suspicion of complicity in the Jacobite plot : v. Introduction ; also pp. 90, 109. Interesting letters and documents referring to the matter and preserved at Cullen House are published in Grant, Records of County of Banff, pp. 302-7. Also Tindal, op. cit., p. 408 ; Rae, Hist. of the Rebellion (2nd edit.), p. 208 ; Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, p. 518.

5 " Little Master."

6 A common expression of Dr. Keith : cf. pp. ioo, Loti, 129, etc.

7 " Spirit."

8 " Mother " (Madame Guyon) : cf. p. 28.

9 This letter and the enclosure appear to be missing. lo V. pp. 83, 16o.

107

Sr. Ja. Campbell of Arkindlass /1 about a fortnight ago recd. of Mr. Dunlop /2 gold watch for Dr. Geo. Garden, wch he promis'd to deliver to Mr. Will Mongomery /3 Marshall to the Exchequer to be put into your Lop's hands in order to fonvard it by a safe bearer to the Dr. If your Lop has heard nothing of it, pray please to send one to Mr. Mongomery /3 about it. In hast I commit you my D. Lord to the protection and commerce /4 of L.M. My heart is with you. Let me have the comfort of hearing from your Lop thro' the same channel that this comes to you. Adieu. Adieu.

I am at present with Munzie /5 who salutes your Lop most affectionately as does J.F./6 etc.

To The Right Honble. The Lord Deskford.


1 Head of an important family of the Clan Campbell. He died in 1752 aged 86. V. F. J. Grant, Index to Genealogies, etc., p. 8.

2 Andrew Dunlop, watchmaker, London. V. further references to this gold watch and others, pp. 109, 131, 141, 144, 165. Dunlop became a member of the Clockmakers Company of London in 1701 and his work is mentioned in Britten, Old Clocks and Watches and their makers (2nd edit.), p. 598. A fine grandfather clock made by him with brass dial is still in the possession of the Tailor Incorporation, Trinity Hall, Aberdeen. Dunlop was a Guild Burgess of Aberdeen (Misc. of New Spalding Club, II, p. 481), having been admitted July 12, 1700, along with Mr. Alex. Dunlop, minister at N unnington, York (y. article by present writer in " S.N. & Q.," Jan., 1933), and Mr. John Dunlop, formerly minister at Skene, Aberdeenshire (Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit, VI, p. 74) . The three were sons of Mr. Ludovic Dunlop, minister at Skene, who died 1691 (F.E.S., VI, p. 74). Their mother was a daughter of William Douglas, Professor of Divinity at King's College, Aberdeen, 1643-66 (v. F.E.S., VII, p. 370, with many errors : v. also article by present writer in " S.N . & Q.," Apr. 1929). The Douglas pedigree is interesting and distinguished. The Dunlops were keen Episcopalians. Andrew Dunlop, the watchmaker, was College bred, being a fellow student and intimate friend of Thomas Ruddiman, the celebrated grammarian and librarian, Jacobite and Episcopalian, who is himself mentioned in these letters ; v. pp. 128, etc. (Chalmers, Life of Ruddiman, p. 15). In Chalmers's manuscript collections for this work (National Library of Scotland, Edinburgh) a somewhat fuller reference appears (several versions) in an account by G. Reid, Ruddiman's nephew : " He often mentioned several of his fellow students, but none is remembered by name but Simon Fraser of Beaufort, afterwards Lord Lovat, who was then a full-grown man acid at the head of every mischief then going on, while he was but a boy ; and Mr. Dunlop, the famous watchmaker, who after a great many years' absence came to visit his native country, and made him a present of a silver watch, which after his death I got as a remembrance of my uncle from his worthy relict." An interesting manuscript in the hands of A. T. McRobert, Esq., describing a journey to London in 1729, mentions Dunlop the watchmaker, then living in Spring Garden, as the son of L. Dunlop and the brother of John Dunlop, ministers at Skene.

3 V. Chamberlayne, Present State of Gt. Britain, 1716, p. 698. 'William Montgomery was a member of the Faculty of Advocates, having been admitted 1706. Omond, Lord Advocates of Scotland, II, pp. 73 ff., speaks of him and says that he, " coming to the bar with no fortune but his brains, had risen to a respectable rank in the profession. He claimed to be a cadet of the Ayrshire family of Macbie Hill." He was laird of Coldcoat, in the county of Peebles. His son William became a Baronet and an Irish M.P. A younger son, James, became Lord Advocate and later Lord Chief Baron of Exchequer.

4 Lettres, II, pp. 468 f.

5 Campbell of Monzie.

6 James Forbes.


      1. XIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Septr. 17th, 1715.

Two nights ago My Dear Lord, I had the honour of your most agreable letter of the 8th. It was most refreshing and wellcome to me, and the more that it was so long and so earnestly expected. The news of your liberation /1 gave me fresh occasions of praise and thanksgiving ; as indeed in some respects that of your confinement did./2 He has promis'd to be with us in trouble, and to deliver us, that we may glorifie him. The Liberty He calls us to and that we groan after is that of the Sons of God ; a deliverance from all our bands and chains, and from every affection and defilement that is unworthy of his holy Presence, and that hinders him from living /3 and resting and enjoying himself in us./4 This also is his work, and we know he is faithfull and true and will do it. He will bring our souls out of prison that we may praise his Name, and will preserve our Life from death, our eyes from tears, and our feet from falling. I acquainted M.S.M./5 with what happen'd to your Lop and when the answer comes shall communicate it. In the meantime I here send you /6 a copy of the last to me, not doubting but it will be acceptable.

Munzie /7 has recd. the box of books for your Lop and will carefully transmitt it with his own. The Catalogue shall be sent by J. F. /8 who is going down in a few days. I had the letter wch was directed for him, and shall remember the 12 Copys of each vol. of the Discourses and Letters /9 (as they come out) for your Lop, but nothing is yet determin'd about sending them hither.

I am glad your Lop has recd. the watch : /10 both Dr. G./11 and I were in some concern about it. Please to let me know p. next how to direct, for Munz./12 by whose care this and the last went, talks of leaving this place


1 Lord Deskford was liberated from Edinburgh Castle early in September. A letter of Sept. I, 1715, from the Bishop of Edinburgh to a friend in London (Lib. of Scot. Epis. Coll., Edin., 1835) mentions the order to set Lord Deskford free on bail and says " there are only now in prison the Earles of Wigton, Hume and Kinnowl."

2 Cf. Lettres, IV, p. 391.

3 Lettres, IV, p. 229 : " afin que Dieu puisse faire sa demeure en votre âme."

4 Ibid., p. 391 : " pour prendre en vous ses délices."

5 Madame Guyon.

6 V. no. xx.

7 Campbell of Monzie.

8 James Forbes, leaving London for Aberdeen to join the rebels : v. p. I13.

9 Madame Guyon, Discours chrétiens et spirituels, 2 vols., 1716, and Lettres chrétiennes et spirituelles, 4 vols., 1717-18. Note the considerable number of copies which Lord Deskford proposes to distribute. Two copies of this edition of the Discourses and one of the Letters still remain in the Library at Cullen House.

10 V. p. io8.

11 Dr. George Garden.

12 Campbell of Monzie.

109

next week. I give my most humble service to L. K./1 and S. P. M./2 My best wishes attend them. O/3 is pretty well as to his health but must keep his Lodgings all the winter. I saw D./4 yesterday and my Lady who expects her labour every hour. I give also my humble duty to my Lady and hope she bears every thing well. God help us all !

There was nothing of Surin /5 among those books but only the Catechism, nor a Rusbrochius ; /6 but there's Louis de Grenada's /7 works and Richd. de Ste Victore,/8 wch are sent. Most of the others are small and scarce. A few of the more common are added to be given away /9 as there shall be occasion, and of these some doubles. You have some of de Sales /10 Letters


1 Lord Kinnoull.

2 Sir Patrick Murray of Auchtertyre. V. Introduction.

3 Earl of Oxford.

4 Lord Dupplin : v. p. 106. Lord Dupplin was arrested and sent to the Tower on October 13.

5 J. J. Surin (1600-65), French mystical writer, a Jesuit whose strange career involved him in the exorcism of demons in the course of which he imagined himself to have become possessed. Bossuet calls him " un homme consommé dans la spiritualité " (Oeuvres, 1817, Vol. 28, p. 70z). The Catéchisme spirituel here mentioned was first published at Paris in 1661. His Cantiques spirituels de l'amour divin (1660) are mentioned p. 148 and were admired and quoted by Madame Guyon, v. Lettres, II, pp. 143, 332. Madame Guyon declares this book " m'a plus servi que tous les livres spirituels que j'aie jamais lûs." The library at Cullen House has the Dialogues spirituels (3 vols.), Paris, 1719. A MS. copy of the Cantiques deriving from the N.E. of Scotland is in the Scottish Episc. Coll., Edinburgh. For Surin, v. further Bremond, op. cit., V, chs. iv-vi.

6 Jan van Ruysbroeck (1294-1381), Dutch mystic. His complete works were published at Cologne in 1552. A modern edition contains twelve treatises. He has been the subject of numerous studies. V. Bibliography in New Schaff-Herzog Encyclopeedia of Religious Knowledge, Vol. X ; E. Underhill, Ruysbroeck (1914) and many refs. in E. Underhill, Mysticism (1911 and later editions) ; Vaughan, Hours with the Mystics (1856 and later editions) .

7 Louis of Granada (1505-88), Spanish mystic. A Dominican whose wide range of writings have been frequently republished. Catholic Encyclopedia, Vol. IX, says " Among the hundreds of eminent ascetical writers of Spain, L. of G. remains unsurpassed in the beauty and purity of his style, the solidity of his doctrine and the popularity and 'influence of his writings." V. Bibliography under L. of G. in C.E., Vol. IX. Peers in Spanish Mysticism, p. 4 note, mentions the large numbers of English translations of Louis of Granada about this period.

8 Richard of S. Victor (d. 1173), said to have been of Scottish birth. There are numerous editions of his mystical and other works. He was distinguished for an exaggerated allegoristic treatment of Scripture. V. Cath. Ency., Vol. XIII ; E. Underhill, Mysticism ; and Mystics of the Church (N.D.) ; Vaughan, op. cit. He is frequently quoted in A. Baker's Holy Wisdom (v. M.N.E., p. zoo).

9 Evidence of the propaganda work in which these mystics were engaged.

10 S. Francis of Sales (1567-1622), Savoyan noble, Bishop of Geneva, very popular devotional writer, his works including much essential Quietism. His Letters, says Fénelon, " are full of teaching and experience " (Fénelon, Letters to Women, Eng. trans. 1887, p. 79). Well known are also his Introduction à la vie dévote, and his Traité de l'amour de Dieu. A complete edition of his works appeared (23 vols.) 1892-1928. V. Bibliography in New Schaff-Herzog Ency. of Rel. Kn., Vol. IV. V. also E. K. Sanders, S. Francois de Sales (1928).

in Italian, and a few more wth 2 Dictionaries and Gram. in that Language. The greater part is in Fr. and Lat. and 5 or 6 in English. Some indeed are but indifferently bound, but as they are they may be us'd. There are several among them of various characters, wch we sometimes find usefull according to the different circumstances for our selves and/or others. The whole comes to about L10 3sh. I wish they may come safe and that your Lop may be preserv'd in health and tranquillity to use them. Munz., J.F., L.T., M/8.K., and R.C./1 send their humble service to your Lop.

I continue ever Yours in L.M.

To the Right Honble. The Lord Deskford at Edinburgh.


      1. XX. COPY OF LETTER FROM MADAME GUYON TO DR. JAMES KEITH

[CG I pièce 448]

Ienclosed in his letter of Sept. 17 to Lord Deskford. Text according to Keith.]

Aug. 22, N.S. 1715.

A—D. K./2

J'ay toujours bien de la Joye, Mon Cher F./3 d'apprendre de vos nouvelles, et de celles de la bonne Mdlle. Fis . . ./4 Elle est bienheureuse que Dieu l'ait rendue digne de participer à la Croix de Son Fils. Je ne suis gueres sans incommodité: Le Maitre nous sçait tailler des Croix de toute arbre. O ! qu'il sçait bien les choisir et n'en point laisser manquer. Cette Croix est scandale aux Juifs, & folie aux Gentiles, mais pour ceux qui croyent, elle est le Vertu de Dieu. J. Ch. n'étoit il pas une pierre d'achoppement pour ceux qui ne croyaient pas ? Luy qui étoit une source de Vie et un fleuve jaillisant pr. ceux qui croyoient en luy. S. Paul ne dit il pas, Nous soies tous les jours pour l'Amour de vous comme des Agneaux qu'on mène à la boucherie ? Heureux ceux qui souffrent comme innocents & non pas comme coupables. Ceux qui savent se resigner avec joye à la Volonté de Dieu dans leurs peines sont heureux, quoique les hommes n'en jugent pas de la sorte, et lorsque la Conscience ne reproche rien, on a le Repos d'esprit dans les plus fortes attaques. Les hommes sont bien plus difficiles à contenter que Dieu, c'est que les hommes jugent sur des apparences souvent fausses, mais Dieu voit le fond du coeur.


1 Campbell of Monzie, James Forbes, Lady T. (cf. p. 127), Mrs. Keith, Robert Cunningham (cf. p. 105).

2 To Dr. Keith.

3 " Frère."

4 Madamoiselle Fissec, a correspondent, copies of some of whose letters are in the Library of the Seminaire de S. Sulpice, Paris : v. also Cherel, Fénelon au xviiie siècle, pp. 53, 162. Cherel quotes her description of herself as " anglaise, religieuse du p.m. dans le convent de son coeur."

Il y a ici de deux sortes de Jans. . . ./1 Les uns jurent tout ce qu'on veut, contre leur propre conscience, afin de se maintenir dans leurs benefices. Les autres au contraire ne veulent point jurer, crainte de se parjurer ; et je les estime d'avantage. Les uns & les autres ne font que caballer, s'agiter, soulever tout le monde ; ennemis jurés de la paix & de la verité. Il faut comme dit S. Paul, se soumettre à toute puissance. Les bruits, les soulevemens ne font que tout gâter. Je me souviens d'un Saint Evêque en Perse qui par un faux zele abattit un temple d'idoles & causa une terrible persecution aux Chrétiens./2

Il semble que nous soyons dans le temps descrit par le Prophete (Ezec. viii, 14, 16), où les femmes pleuroient Adonis ; & les vieillards tournoient le dos à l'autel pour adorer le soleil levant. Quand on envisage d'un coup d'oeil le monde entier, on ne voit que discordes & divisions, les hommes qui se déchirent les uns les autres ; les Torrens de l'Iniquité sout debordés par tout. Il est certain que les vrais serviteurs de Dieu, qui n'aiment que la Paix, sont à plaindre. Mais disons avec Maccabée (1 Maccab. ii, 20, 37). Mourrons dans notre simplicité,' et ne violons pas la Loy du Seigneur.

Helas ! que la simplicité est loin, et que cette loy eternelle de la Charité et de la Volonté de Dieu est loin de nos coeurs ! On ne s'attache qu'à l'apparence, et Dieu permet que nous soyons seduits & trompés par cette même apparence. La simplicité meprisée nous enfonce de plus en plus en Dieu. L'ame se trouve en sa place, lorsqu'on se voit regardé avec des yeux qui jugent & veulent penetrer, & qui s'aveuglent eux mêmes. Soyons les heureuses victimes de l'Amour & de la Foy, et Dieu nous donnera ces yeux d'aigle qui découvrent la mouelle du cedre /4 au travers de son écorce grossiere & impenetrable aux yeux de la Raison. Je suis très unie à vous en J. Ch.


1 Jansenists : v. Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste (1923), I, p. 24o, etc. The Papal Bull Unigenitus was promulgated against later Jansenism in Sept. 1713 and after hesitation Louis XIV seemed at the date when this letter was written to be on the point of accepting it officially. The king died on August 3o. Fénelon was a most determined opponent of Jansenism : v. St. Cyres, Francois de Fénelon, ch. xi.

2 Bishop Abdas, A.D. 420, whose story is narrated in Theodoret., V, ch. 39 ; v. also J. Labourt, Le Christianisme dans L'Empire Perse, pp. 105 if.

3 Simplicity (like littleness), one of the qualities most necessary in the mystic. V. pp. 88, 96 ; Lettres, I, pp. 145. 175, 291, 388, 438, etc. ; Vie de M. Renty, pp. 326, 384. 425, etc. ; Fénelon, Oeuvres, I, pp. 368 ff., etc. ; Mirror of Simple Souls ; etc.

4 From the Vulgate version of Ezekiel xvii, 3 : " tulit medullam cedri." The A.V. has " the highest branch of the cedar." Tremellius and Junius read " Calamum summum cedri." The modern French Bible has " la cime d'un cedre." With the whole passage cf. Mirror of Simple Souls (13th century), 1927 translation, pp. 65 f., where not only the point about the cedar occurs, but the more important comparison of love and reason. The eagle-eye is a favourite figure and is to be found in Dionysius the Areopagite (de Coelesti Hierarchia, XV, § 8 (ligne)) and in Ruysbroeck (v. E. Underhill, Ruysbroeck, p. 153). It derives from Aristotle and Pliny.

112

La distance des Lieux ne fait rien aux Esprits./1 Je salue Md votre ep./2 et Mlle. Fiss . . ./3 ainsi que ceux qui appartiennent à J. Ch. Mais qu'ils sont rares. Tous veulent se posseder eux mêmes, c'est pourquoi il ne les possede pas.


      1. XXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Nov. 5th, 1715.

MY DEAR LORD,

Your Last of the 27th past came safe to me and gave me a great deal of Joy. Thanks be to God for his great Mercies to you and to all his children. As troubles and confusions encrease so doth our Peace and Joy and Acquiescence in his holy will. Notwithstanding the interruption of our outward correspondence (wch thro various accidents may happen again) I have been favour'd with more of your Lop's agreable company than before : so true is it that the distance /4 of places signifies little to Spirits united in the common Centre./5 Our ven. M./6 remembers you continually. I had a letter from R./7 of the 5th wch speaks of her health and M.F.'s,/8 but none from either of them since that I sent by J. Forbes,/9 who went from this Sept. 28th by sea for Abd./10 I hope God has preserv'd him and brought him safe to his own house. I shall rejoyce to hear of his safe arrival. I sent also the Catalogue of the books by him, and am glad to hear they are come to your Lops hands. The money may be remitted only with your conveniency. As for the postage of letters 'tis not worth mentioning. I remember but two that came


1 Lettres, IV, p. 499 : " Vous m'êtes très présent en lui. La distance des lieux n'interrompt ni cette union ni cette présence lorsque'elle est en celui en qui tout est présent " ; IV, p. 577 : " J'espère que ni distance de lieux ni nulle autre diférence ne nous empêcheront pas d'être réunis dans ce divin objet, qui rend tous un en lui " ; cf. II, p. 52, etc. Cf. Letters of James Keith, letter of Nov. 5, 1715, immediately following. V. also Fénelon, Lettres spir. (OEuvres), I, p. 519: " Soyons donc unis par n'être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu sans ombre de distinction. C'est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C'est dans ce point indivisible que la Chine et la Canada se viennent joindre ; c'est ce qui aneantit toutes les distances." The same idea occurs elsewhere in Fénelon.

2 Mrs. Keith.

3 Mademoiselle Fissec : v. p. m.

4 V. letter of Madame Guyon printed above, and note I.

5 V. p. 93 ; cf. Fénelon, Letters to Women, p. 162 : " You will find her again in our common centre, the bosom of God." V. also M.N.E., p. 158 n.

6 Madame Guyon, our venerable mother.

7 A. M. Ramsay.

8 Master of Forbes, : v. pp. 95, etc.

9 James Forbes.

10 Aberdeen. Letters in the Stuart Papers, I, pp. 474, 475, show him in Aberdeen in December, 1715, active in the Jacobite interest.

113

to me, and as to the 1st vol. of Discourses,/1 I have not yet receiv'd any of 'em. I have had no letter from Holland these 2 months. They think I suppose 'tis an improper time to send them ; /2 but when I have talk'd with our friends here about the Number I will write again. I wrote to Dr. G./3 by Mr. Ja. F./4 and long to hear from him. Some good occasions have been neglected of sending me up the Life./5 I wish if there be any commerce with these parts, he could find a safe hand to convey it to your Lop, for then I might hope your Lop would light of one to transmit it safely to me.

I mightily approve of your Lop's retir'd way of living, wch. I'm sure is in all respects the safest and best. 'Tis what I also chuse and practise,/6 knowing it to be my duty and the will of God concerning me. Let us leave others to think and act as they please. I lament and pity them with all my heart. The children of L.I./7 whose kingdom is not of this world, must continually attend to his still voice, and faithfully abide in his presence. Here they sink down, and rest and lose sight of themselves and the world. Here they are sometimes taken into the enlargements /8 of God and into the Liberty /9 of his Chosen ; then if they cast an Eye upon the world and what is doing in it, they cannot help despising it as a very poor worthless thing. Ah poor mortals ! what are they doing and whither are they hurried ? What are they disturbing and destroying one another for ? /10 They do not consider, nor will they understand what the end of those things shall be. Let the dead in the meantime bury their dead, and let us think as little of 'em as we can, and above all let us carefully avoid entering into their Spirit, least we be entangled and hurt by it.

I shall faithfully communicate to our Ven. M./11 that part of your last and whatever else your Lop shall signifie in any other letter. If any one expects to find News or Politicks /12 in any of ours, he is mistaken : we leave all that to others whose business it is. Dr. Ch./13 and our friends are well and salute


1 V. p. log.

2 On account of the Jacobite disturbances, and no doubt the knowledge that some of the circle were involved.

3 Dr. George Garden.

4 James Forbes.

5 Possibly the manuscript of the Life of Madame Guyon by herself. In the Preface to the original French edition we are told that Madame Guyon " gave her manuscript to a nobleman amongst them who was returning to England." V. the later discussions regarding its publication, pp. 151, etc.

6 Dr. Keith goes out of his way to make it clear to any who may read his letter that this correspondence is not between Jacobites.

7 " Little Master."

8 Lettres, II, p. 518, 522, etc.

9 Lettres, IV, pp. 194 f., etc.

10 The 'Fifteen was now at its height, the rebels being in Kendal on the day when this letter was written. The surrender at Preston took place on the morning of the 14th. The disaster at Sheriffmuir took place practically at the same time, 13th November.

11 Madame Guyon.

12 Does he not protest overmuch ?

13 Dr. Cheyne.

114

your Lop with all possible affection ; as I do S.P./1 and all others with you, especially my dear Lady. My poor prayers are always for you and yours. I lately saw the person who recd. the good advice, but had no opportunity of saying a word to him./2 May it please God to open his ears to the voice of the present rod, and to speak to his heart the words of Life ! I wish the same blessing to them all with all my heart.

This comes by Munzie's /3 care, who gives his most humble service to your Lop. I am ever with all possible esteem and sincere affection.

My Lord,

Your Lop's most humble & most obedient servt.

To The Right Honble. The Lord Deskford.


      1. XXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter of Pierre Poiret.]

Deer. 13th, 1715.

MY DEAR LORD,

Since my last /4 of the 4th wch I sent by Munzie /3 I have had the honour of your Lop's of the 1st with a ad. Bill. But the first having come safe and being now paid there was no occasion for the other. In the mean time it shew'd your Lop's great care in case the 1st had miscarried. I have lately written to A.R./5 and M.F./6 and with your Lop's kind love to them faithfully communicated what you desir'd. I saluted also our ven. M./7 in your Lop's name and recommended you and yours with those you mention to her powerfull prayers. Do not question but she and others remember you and them in the best manner they are Able. As soon as any answer comes, wch if mine goes safe may be reasonably expected in 2 or 3 weeks hence, I shall carefully forward it to your Lop. This evening /8 they will certainly unite with the angelick choir in wellcoming our Blessed L.M./9 with Gloria in Excelsis


1 Sir Patrick Murray.

2 The reference is obscure.

3 Campbell of Monzie.

4 Awanting.

5 A. M. Ramsay.

6 Master of Forbes.

7 Madame Guyon.

8 Christmas Eve abroad : cf. pp. 88, 133. V. Lettres, IV, p. 577: " Je vous prie de vous souvenir tous les vingt-cinq des mois que c'est la fête du divin petit maitre, et je fais dire la messe ce jour-là pour tous ses enfans, dont vous êtes un des principaux " : cf. I. 455 f., II, p. 448 f., IV, p. 29. The special stress on Christmas was connected with the cult of the Infant Jesus : v. p. 80.

9 " Little Master."

115

Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis ! May our Hearts be truly prepar'd for receiving and entertaining/1 him for ever ! In pace factus est locus ejus./2 May He alone be our Love, our Joy and our All ! May his holy Presence be our continual entertainment and delight. In the world, saith he, ye shall have trouble, but in me ye shall have Peace ; be of good Comfort, for I have overcome the World. He knows and thro' his Grace we know that we are nothing and can do nothing ; but we trust that He will be our King, our Strength, our Wisdom and Righteousness ; and that he will give us not only to believe in his name but to suffer for his Truth and thro' the power of his Holy spirit to rejoyce continually under all his providences concerning us. I have still a dreadf ull prospect of judgments and sore plagues that are likely to fall on this sinfull people and nation, and blindness and hardness of heart is none of the least. When any people is rais'd up to scourge, to break down and to destroy, their work is not to shew Mercy, neither is there any such thing to be expected from them. There are Commissions given forth empowering certain persons to tender the publick oaths to all housekeepers and others in this city, and they say in the country too.

I was glad to hear of S.T.H.'s /3 health and tranquillity, pray please to give my humble service and best wishes to him and also to Ochtertyre./4 My hearty prayers are for them and all in distress. The prisoners about 200 came last Friday to Town,/5 but I do not hear that Mr. C. of B./6 is among them

I have just now recd. letters from Holld. with most affectionat salutations to all our dear friends both here and with you. Mr. P. prays—Puissions nous tous être un jour du nombre des Anges et Esprits bienheureux qui beniront & loueront eternellement le Seigneur. Sa sainte grace, protection

benediction soient sur vous, sur tous les chers amis de vos quartiers, et particulierement sur nos chers frères d'Ecosse, entre lesquels je mentionne


1 Cf. pp. 76, 133 : v. also T. à Kempis, Imitation of Christ, Part IV, chs. 1 and 3.

2 Psalm lxxv, verse 2 (Vulgate) : " Et factus est in pace locus ejus." Quoted also A. Baker, Holy Wisdom, 3rd Treatise, sect. iii, ch. vii, § II ; also Tauler, Opera O,nnia (1615), pp. 228, 31S, 62o, etc. ; and v. Bremond, op. cit., VI, p. 221.

3 Sir Thomas Hope of Craighall : v. p. 77.

4 Sir Patrick Murray.

5 Cf. Calamy, Hist. Acc. II, pp. 331 f. ; Diary of Countess Cowper, pp. 61 f : Patten, History of the late Rebellion (1717), pp. 132 ff. These were some of the Jacobites captured at Preston (Nov. 14).

6 James Cunningham of Barns, Fife. His name occurs occasionally in these letters, but discussion is reserved till the French Prophets with whom he was deeply involved are treated at length with special reference to Cunningham's correspondence with Dr. George Garden ; v. pp. 191 ff. He was a Jacobite and actively involved in the 'Fifteen Rising. Certainly he was taken prisoner at Preston (Lancashire Memorials of 1715, p. 16o). His name does not occur in the list of those sent to London (ibid., p. 186), and it would appear that he was sent to Chester and died there (v. M.N.E., pp. 134, 139).

7 P. Poiret : Introduction.

116

notamment notre bien aimé M.G.G. and M. son frère./1 Le bon Ange du Seignr. soit à l'entour d'eux & les guarantisse de tout mal en ces tems perilleux. Amen !

Mr. Homfeld /2 writes that the 2nd vol. of the Discours Spirituels /3 is also finished, and that the two vol. wch contain about 66 sheets will be sold to the subscribers for 33 dutch stuyvers or 1 guld. 13 styv.

The Instruction d'une Mère à sa fille /4 is printed by way of Preface to the 2d vol. and so order'd that it may also be sold apart at 2 styv. being about 4 sheets. He says the Letters 5 which are now revising will follow next, and will make several voll. but withall that Mr. `Vetst. s proposes to print the most excellent verses sur les Emblemes de l'Amour divin de Voenius, wch your Lop has, and also those sur les Emblemes de Herman Hugo ;/7 and in order to this, to have all the figures of both engraven anew. He guesses that these last wch contain 47 figg. will come at least to 2 Guld. and that the first wch has about 6o will come to more, and in fine desires to know whether this


1 Dr. George Garden and his brother the Professor : v. pp. 14, 17. An indication of the important position the Gardens held as leaders of the Quietist movement in Scotland.

2 Frequently mentioned in the Letters in connection with the dispatch of books from Holland. He was associated with the Wetsteins and shared their mystical religious outlook : v. pp. 124, 138, etc. V. T. L. Wetstein's letter quoted Remains of John Byrom, Vol. II, pt. ii, p. 473. He was a correspondent of Madame Guyon and a number of her letters to him are in the published volumes : v. Lettres, Vol. V, p. 63o.

3 V. pp. 109, etc.

4 By Madame Guyon. A transcript of this work is among the manuscripts at Cullen House, and dates from Lord Deskford's time. An English translation was published in 1720: v. p. 167 n.

5-V. p. 109.

6 This most interesting man is Johan Heinrich Wetstein (1649-1726), scholar, publisher and printer at Amsterdam. For a full account of the firm and family v. Kleerkooper en van Stockum, De Boekhandel te Amsterdam. V. also Biographie Universelle, Vol. 46, p. 694 ; Bayle, Oeuvres diverses, IV, p. 765 ; De Navorscher, 1866, pp. 97 f. ; Ledeboer, Alfabetische Lijst der Boekdrtckkers ; M. Wieser, Peter Poiret, pp. 136, 325 ; etc. He belonged to an old Swiss family and was grandson, son and brother of distinguished theologians. Bayle says " un peu prévenu des opinions des mystiques." Poiret had been his French tutor and later wrote of him as " a friend of truth and at the sanie time my friend." He published a number of Poiret's works and the works of Mme. Bourignon as well as those mentioned in the Letters. He was well acquainted with Dr. George Garden and Dr. James Keith. He had been trained in the business of the Elzevirs and his firm really took the place of that famous house when it declined. The publishing establishment was in the Kalverstraat. V. also p. 124, etc.

7 Published Cologne 1717 : L'Amante de son Dieu, representee dans les Emblèmes de Hermannus Hugo sur ses Pieux Désirs, et dans ceux d'Othon Vaenius sur l'Amour divin. A vec des figures nouvelles, accompagnées de Vers, qui en font l'application aux dispositions les plus essentielles de la Vie intérieure. V. pp. 134, etc. V. for Vaenius, p. 525 n. A curious English version by Arwaker, of which several editions appeared from 1702 onwards, has the 47 plates, but makes alterations in the text of the Pia Desider:a, substituting, for example, King Charles I in place of Menelaus.

117

undertaking will be acceptable to our friends here ; and particularly what number of the above mentioned 2 voll. shall be sent into Scotld, and to whom they shall be directed. I am to write next post but cannot advise anything as to this. But tho' we are at present in a very broken Condition, and may probably ere long be more so, I design to send at first for 50 setts of these ; and withal to encourage their going on with all the rest. Your Lop I remember mention'd a letter or two you have read wch I have not seen./1 Please to take Munzie's /2 advice about the way of sending them to me. My kind love to that worthy Gentleman and his Lady, to Mr. Falcr./3 etc. All your friends here salute your Lop with great affection and I am ever in the sincerest manner Your Lop's most obed. humble servt. My humble duty and best wishes attend my dr. lady.

To the Right Honble.

The Lord Deskford

Edinburgh.


      1. XXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

March 1./4

MY DEAR LORD,

I have just time to let your Lop know that I had the honr of your dear letter of the 17th past with the Bill of L 4 18sh. 6d. wch Mr. Lister /5 paid at sight. I hope by this time the box with the things is come safe to hand, and that they are such as My Lady desir'd. Last week I had a few lines from the M. of F./6 in wch he signifies his intention to return to Britain in the summer on acct. of his brother's /7 circumstances and yesterday his father /8 told me he had written to him two posts ago to come over presently.


1 Interesting letters from Madame Guyon, etc., were circulated. Of some several copies exist.

2 Campbell of Monzie.

3 Mr. Falconer. This seems most likely to refer to Alexander Falconer, advocate, second son of Sir David Falconer of Newton, Lord President of the Court of Session. He married the Countess of Erroll and took her name of Hay, under which he may be mentioned pp. 175, 181. She was an extremely keen Jacobite. Of Falconer a friend wrote to the Earl of Mar in 1718 (Stuart Papers, VI, p. 356), " I know him well and am fulls' persuaded of his good intentions, capacity and great integrity." In the Letters both here and on p. 131 his name occurs in connection with that other advocate, Patrick Campbell of Monzie, who was apparently a friend.

4 No year is given, but the reference to George Garden's imprisonment shows that the letter belongs to 1716.

5 V. p. 99.

6 Master of Forbes.

7 James Forbes. The Rebellion having collapsed the situation of such as James Forbes was serious. In the autumn he escaped to Holland.

8 William, 13th Lord Forbes, then in London, where he seems to have remained till his death in July : v. p. 123. He had taken the side of the Hannovarians. V. G.E.C., Complete Peerage.

118

The melancholy acct. of G.G.'s being imprison'd /1 was very afflicting to me, but I am hopefull that our good God whose he is will be with him in trouble and will graciously support and deliver him. I have a mind in a post or two to write to Ld. Haddo,/2 who I know will do his utmost. There's hardly any one here one can speak to or trust. The great matter at first is to get any prosecution put off till a general course is taken with all in the like circumstances. No disposition to mercy appears yet, and all that seem enclin'd that way either are or will be disgraced. They will go on till their work is done, and all attempts to disturb or break them will come to nought. God governs the world : let us always rejoyce before him. Your Lop hinted to me that your head and stomach were out of order. A gentle vomit now in the spring may be proper. I pray God to preserve and support you outwardly and inwardly. My humble duty and wife's attends My Dear Lady and all yours. I salute Ld. K. who is now I hope at liberty /3 as also Sr P.M./4 not forgetting Mr. Ro. K./5

I remain always

Your Lop's most obedient humble servt.

To The Right Honble. The Lord Deskford.


1 Dr. Garden imprisoned as a Jacobite : r. Introduction. A letter from Benholm near Montrose on April 11, 1716, reported that " on Friday last, passed by this place, under the guard of a party of horse and some Swiss foot about the number of twenty-eight prisoners, among whom was Doctor George Garden " (Wodrow, Correspondence, II, p• 144). V. pp. 120, 131.

2 F. P. 75.

3 Earl of Kinnoull was soon released.

4 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

5 Probably the future Bp. Robert Keith, one of the best known of the Scottish Episcopal leaders (1681-1756). He was connected with the family of the Earls Marischal. In 1712, when abroad as tutor to the Earl of Erroll, he met Pierre Poiret. From 1713 he was settled as an Episcopalian clergyman in Edinburgh. He had assisted George Garden with the translation of part of the Diary of John Forbes of Corse into Latin, and was well known to the whole group, including A. M. Ramsay who wrote familiar letters to him. Among his intimate friends was Thomas Ruddiman (y p. 128). His interest in mysticism is evidenced by the translations of Thomas à Kempis which he issued in Edinburgh : cf. p. 186. V. Biographical sketch by Lawson in R. Keith's Affairs of Church and State in Scotland (Sp. Socy), 1844 : also sketch of Keith's career by Bp. Russell in R. Keith's Hist. Catalogue of Scottish Bishops ; D.N.B. ; Scots Magazine. XIK, etc. V. article by present writer on Bishop Robert Keith and Thomas à Kempis in S.N. & Q.," May, 1933.

119

      1. XXIV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

March 6th./1

MY DEAR LORD,

Since the few lines of the 1st wch I writ your Lop under Munzie's /2 cover, I have recd the inclosed wch I'm sure will be very wellcome and acceptable to you. The Ven. M.S.M./3 tells me her health is now better than it has been for some years past. May it please L.M./4 to continue it to us for the Glory of his name, and the good of his poor Children.

I beseech your Lop to take care of yours. To remove the heaviness and aching of your head a gentle vomit may be of use to you ; but if it is attended with thirst and feaverish heats, be sure to take away first some 8 or 9 ounces of blood, and then if there be any disposition to costiveness purge once and again moderately : one ounce of Glauber's salt will do. Gentle exercise, especially rideing on horseback now in the Spring will do well. You know how to do all this by way of divertion before our bl. L.M./5 I most heartily recommend your Lop to His holy society and protection.

'Twas afflicting to me beyond expression to hear of our dear D.G's./6 confinement. He stay'd it seems in his sister's house, as if he had been determin'd to suffer. He was persuaded no doubt he did what he ought to do both first and last, and had his own reason for so doing, but I wish he had acted otherwise. In the meantime my poor prayers are continually for him, and I am hopefull God will graciously support and comfort him. He has a great deal to suffer. Mirabilis Dens in sanctis eius ; /7 various and manifold are his providences towards them and strange ways he takes to refine and purify them ; and all this to make us conformable to J. Ch. who was made perfect thro' sufferings. As soon as we hear of any orders for tryals and prosecutions we must do our utmost for him./8 Is there no way of getting a few lines to him, or of receiving a few from him ?



1 No year mentioned, but quite obviously the same as that of the previous letter (1716)

2 Campbell of Monzie.

3 Madame Guyon.

4 " Little Master."

5 " Blessed Little Master."

6 V. p. 119. Dr. George Garden in a letter to Bishop Archibald Campbell in 1724 (MS. 760, Scottish Episcopal College, Edinburgh) mentions " my sister with whom I live." He lived in New Aberdeen, for in another letter (763) he speaks of going " over to the other town " to see his brother James and Principal George Middleton, who lived in Old Aberdeen.

7 Psalm lxvii, v. 33 (Vulgate) : a verse more than once quoted by Madame Guyon, e.g. Lettres, II, p. 339 ; Discours, I, p. 398 : cf. Vie de M. Relay, p. 422.

8 The characteristic attitude of Dr. Keith.


120 [page of “Handwriting of Mme Guyon” : “Mon cher enfant je ne say…”]

      1. XXV [Mon Cher Enfant ie ne scay si m f s qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir…]


[This short letter without year or address or signature is in the handwriting of Madame Guyon and is preserved at Cullen House, being no doubt intended for Lord Deskford. The reference to the departure of M.F. (Master of Forbes) from France in the spring of 1716 (he was in London in May—v. next letter) suggests this placing of the letter. It is chiefly interesting as showing the difference between autograph letters of Madame Guyon and those dictated to Ramsay. A photograph of the original appears opposite p.]

ce 17 mars,

Mon Cher Enfant ie ne scay si m f s qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir sy le p m permet quil vs voye il vous dira mieux que moy combien ie vous ayme dans le petit m /4 et combien ie minteresse a vostre bien spirituel Euittez toutes les pensée qui peuuent vous chagriner tenez vostre coeur dans la ioye mais ne manquez point a vôtre oraison /5 cest la nouriture de lame /6 aussy bien que la presance de Dieu durant le four sans quoy lame se deseche david disoit mon ame sest deséchée conne laregnée parce que j'ay oublié de manger mon pain quel est se pain dont la privation fait perir lame Cest le verbe ainsy quil est dit ailleurs lhome ne vit pas seullement de pain mais de toute parolle qui sort de la bouche de Dieu cest ce diuin verbe qui est sans fin engendré de son pere qui est la seulle nouriture propre a lame et nous ne profittons de cette nouriture que par le moyen de l'oraison cest parla que cette nouriture substacielle sintroduit dans lame donnez donc lieu a se diuin verbe de vous remplir de luy meure il faut pour cela quil detruisse en nous toutes les contrarietes et les obstacles qui soppose a son empire cest 'article le plus penible car il faut mourir auant destre reuivifies il faut estre purifies de nos tenebres auant destre penetres de la vrais lumiere ie vous envoye un petit ymage /7 et vous embrasse dans le p m./8


1 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

2 Sir Thomas Hope of Craighall.

3Monsieur Forbes (or Master of Forbes). '

4 " Petit maitre."

5 Cf. Lettres, IV, p. 52 : " ne manquez jamais à l'oraison."

6 Ibid., p. 35! : " L'oraison est la nourriture de laame."

7 Ibid., II, p. 327 : " Pourquoi me renvoiez-vous le divin petit maitre." The footnote states " c'etoit l'image de l'enfant Jesus."

8 Ibid., IV, p. 378 : " Je vous embrasse des bras du divin petit maitre."

121


      1. XXVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

A letter of April 24 is apparently missing.]

LONDON,

May 29th, 1716.

MY DEAR LORD,

I had the honour of your Lop's last letter of Apr. 26 in due time ; but delav'd giving an answer to it till now, in hopes that this shall find you safely return'd to Edr. The included wch came to me above a fortnight ago, and wch I'm sure will be very acceptable to you, I have also detain'd in obedience to your Lop's commands, for the same reason. I believe I told your Lop in my last of the 24th past that I had forwarded yours to M.S.M/1 and likewise that I had receiv'd the Bill of L4.

I most heartily wish your Lop all possible Joy and felicity in the young son /2 with whom God has bless'd you, and most fervently unite with your Lop, our yen M./3 and all our other friends in offering him up to our dear L.M./4 humbly beseeching him for the Love he always bears to little ones, to take the child into his holy protection and guidance, to purifie, sanctifie, and renew the Whole Being he has given him, that in due time it may become a Temple of his presence and an habitation of his Peace ! I also wish my good Lady the same Joy in this and all the other children it shall please God to give her, with the encrease of all real Goodness. I rejoyce to hear of her speedy recovery and salute her Lap in the best manner I can, as my wife also does.

As to the difficulty she has about living at C—n,/5 I think it best for your Lop to comply with her at present ; for in a little time it may please the Div. Providence wch disposeth of all things wisely and sweetly either to make the circumstances easier or to reconcile her spirit to them.

Mr. Cun. of Caprington /6 to whom I long since gave the 6 Discours Spirituels /7 for your Lop has stay'd unaccountably beyond my expectation. I call'd several times to see him and still he told me he was going as next week. However, now, I'm assur'd he went the beginning of last week, and I hope will take care to deliver the books safe.


1 Madame Guyon.

2 James, born April 16, 1716 succeeded as 6th E. of Findlater and 3rd of Seafield in 1764.

3 Madame Guyon.

4 " Little Master."

5 " Cullen."

6 One of the three sons of Sir Wm. Cunningham, Bart., of Caprington, an old Scottish house. All three became themselves Baronets : r. Burke, Landed Gentry ; Playfair, British Family Antiquity, VIII, App. pp. ix o ff.

7 V. pp. 109, 114, etc.

122

About 3 weeks ago I was taken with a violent pain in my left side, wch after bleeding ended in an aguish Indisposition, wch oblig'd me to go out of Town for a week or ten days ; there I us'd rideing on horseback pretty much wch did me a great deal of good, and tho I am now much better yet believe I must use it still.

I most affectionately salute all our dear Friends with you, particularly Sr. P.M./1 Sr. T.H./2 D.G./3 Will. M./4 and R.K./5 L.D./6 with my Lady came out of the T./7 Friday last the 25th being the first day the Habeas Corpus act took place. Mr. Baillie /8 was My Ld's bail. I was then out of Town and have not seen them since I came. They have lodg'd at Mr. Andr. Haley's /9 where I call'd yesterday morn, but they were gone some hour before to spend three or four days at Ld Bathurst's /10 house near Windsor. The same day Lds Scaresdale /11 and Powis /12 also came out of the Tower, as did Mr. Ja. Murray /13 out of Newgate.

My humble service to L. K-1./14 If you have heard anything certain of L.P./15 and J.F./16 please to let me know it. Mr. F./17 is still here and very well, but his poor father is still much indispos'd.

I commit you my D. Ld /18 and all yours to the all powerfull grace and holy presence of our dear L.M. and ever remain

Yours in all faithfulness, J.K.



1 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

2 Sir Thomas Hope of Craighall.

3 Dr. George Garden.

4 William Montgomery : v. p. 1 o8.

5 Probably Robert Keith : v. p. 119.

6 Lord Dupplin : v. Historical Register, 1716, under date May 19 (p. 224). On June 4 (p. 225) it is stated Lord D. and his bail were discharged from their recognisances.

7 The Tower.

8 H.R., loc. cit. : George Baillie, Esq., is mentioned amongst those who stood bail for the prisoners released on this occasion : cf. Stuart Papers, I, pp. 129, 260. V. p. 94.

9 Not identified.

10 Lord Bathurst is mentioned (H.R., loc. cit.) as standing bail on this occasion. He had been raised to the Peerage in 1711 along with Lord Dupplin (Baron Hay) and some others. The family seat was at Battlesden in Bedfordshire.

11 H.R., loc. cit., May 19 and June 4 : he had been in the Tower since Oct. 12, 1715

(H.R., 1715).

12 Hist. Reg., May 28, 1716 (p. 224).

13 H.R., loc. cit.,' the honourable Mr. Murray."

14 Lord Kinnoull, father of Lady Deskford and of Lord Dupplin.

15 Lord Forbes of Pitsligo, who had been engaged in the Rebellion.

16 James Forbes, also engaged in the Rebellion.

17 William, Master of Forbes, who had returned home to help to smooth over matters for his younger brother James, and who was now in London with his father Lord Forbes, who died there later in the year.

18 " my dear Lord."

123

Please to tell Will. M./1 that I writ fully to Mr. Davidson /2 about him. Let D.G./3 see what concerns him in the inclos'd./4

To D.G.


      1. XXVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

June 131h, 1716.

MY DEAR LORD,

My last to your Lop with one from M.S.M./5 was of the 29th past. Now this comes to convey another from the same hand./6 I send it as I did the former in hopes that both shall meet you safely return'd from the North and that still tho you should not yet be come they will be kept safe.

I shall rejovce to hear of your Lop's safe return and good health, as also that My Lady whom my spouse and I most humbly salute, and with your two little ones are well. My last had a few lines to our dear D.G./7 whom I always remember with the greatest esteem and affection. The ven. M.S.M. has written one to him /8 of the same date with yours. Munzie /9 will forward it with this under his own cover. I have taken a copy of both and wish you may be able to read them./10

I foresee that in about 10 days hence I shall be oblig'd to go into the Country with my family for their health sake and mine. Tunbridge Wells /11 is the place we have pitch'd upon. Any letter directed to my house will still come to me. But your Letters for M.S.M. or R. may be directed to Munzie (or M.F. whilst here) who has R's direction and will take care to transmit them./12 I shall mention it to him before I go. The letters for them may be seal'd with a wafer.

I hope I shall hear that the 6 Discours Spirituels sent by Mr. Cun. of Caprington are come safe./13 Mr. Homfeld /14 writes that Mr. Wetstein Junr./15


1 William Montgomery : v. p. 108.

2 Probably Alexander Davidson of Newtoun in Culsalmond Parish : v. p. 141.

3Dr. George Garden.

4 V. p. 122 (beginning of this letter) : also v. next letter which shows that the enclosed (apparently missing) was a letter from Madame Guyon.

5 Madame Guyon : v. above.

6 This indicates the steady correspondence : v. letter following.

7 Dr. George Garden.

8 Garden in correspondence with Madame Guyon.

9 Campbell of Monzie.

10 Letters were frequently thus passed round several members of the group.

11 Next to Bath the most popular of health resorts. V. Thackeray, Virginians, ch. xxvi.

12 Madame Guyon, Ramsay, Campbell of Monzie, Master of Forbes.

13 V. p. I22.

14 V. p. I17.

15 Biographie Universelle, Vol. 46, p. 694, dealing with J. H. Wetstein (v. p. 117), quotes Chaufepié, Dict. Hist. : " ses deux fils Rodolphe et Gérard continuèrent." Poiret's

124

has sent some of 'em to Mr. Stuart /1 his Correspondent at Edbr ; and further that the 2d vol. of Letters /2 was ready to be put to the press, after wch will follow the Hymns with the Emblemes of Voenius and Herm. Hugo./3

My D. Lord I must conclude, and have only time to add that my poor prayers are continually for you. My heart is most intimately united to yours in our dear L.M./4 to whose grace and holy presence I recommend you and remain, always

Your Lop's most obedient servt.

To The Right Honble.

The Lord Deskford.


      1. XXVIII. short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford.


[The letter from Madame Guyon which is referred to in the foregoing is apparently that which appears in the printed Lettres, Vol. I, no. 1o8. What seems to be the original of this is preserved at Cullen House. It is in the handwriting (and indifferent spelling) of Madame Guyon. To it is appended the following short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford.

The original letter from Madame Guyon does not give the year but is merely headed " M.L.D., ce 3 Juin." It is thus clearly to Lord Deskford, and from its contents, and from the reference in the Marquis's letter to the new 1717 edition of Télémaque, we seem to be tied down to the year 1716, especially when we remember that by June 3 of the next year Madame Guyon was already dead.]

R./5 mon cher milor passez ce terme à ce que sent mon coeur pour vous m'exhorte à prendre la liberté d'adjouter un mot de moy à la lettre de N.M./6 Je le fais pour vous dire que je veux estre bien uni à vous. Je serai heureux si vous le voulez aussi. Ce que vous escrit N.M. /6 est tellement


Theologiae Pac. itenaquc Myst. (1702) bears that it was published at Amsterdam " apud Henricum Wetsteinum ut & Rod. & Gerh. Wetsteinos HFF." In 1735 T. L. Wetstein is found representing the firm (v. his letter in Remains of John Byrom, Vol. II, pt. ii, pp. 472-3) . His religious language is very similar to that of Dr. Keith, whom he mentions as friend and correspondent : e.g. " The duty of all Christians . . . is to walk in His presence . . . the surest way and means will be to cast ourselves entirely on the Lord's holy and all-wise Providence . . . when the Son makes us free we be free indeed. Thus let us be patient, waiting its own time. He will do it. He will certainly do it. In this expectation we greet you heartily in the love-embraces of our Lord and master . . . I remain yours in our Lord J. C." He mentions that his family are followers of Madame Bourignon.


1 Stuart evidently preceded William Monro in this capacity : v. p. 169, etc. Probably George Stewart, bookseller in Edinburgh, who sold books printed by Ruddiman, and also R. Keith's first edition of Thomas à Kempis. There was also a James Stewart a bookseller in Edinburgh at this time. V. Plomer, Bushnell and Dix, Dictionary of Printers and Booksellers, (5922 and 1932).

2 V. p. 109, etc.

3 V. p. 117, etc. Otto Vaenius (1558-1629), Dutch painter, older contemporary of Rubens. His Emblemata Horatiana were published in 1607.

4 Little Master."

5 Ramsay.

6 Notre mère."

tout pour moy que je serois tanté de croire quelque chose de la ressemblence dont on me flatte. Ce que vous mande N./1 sur la promptitude /2 je vous le montrerois dans les lettres que j'ai d'elle je crois en mêmes termes parce que j'auois, et bien dauantage encore, le même besoin. Je vous fais mon compliment Milor sur la naissance du nouveau fils /3 que le p.m./4 vous a donné. Puisqu'il vient de lui j'espère qu'il sera à lui. Je souhaitte que vous ne soïez plus comme St Josef que son père présumé, et que ce soit le p.m./4 qui soit le véritable et que vous aïez la consolation de voir Mme vostre respectable épouse respondre à vos espérances en changeant aussi d'époux./5 Oue direz-vous de ma folie ; mais je vous assure que si je ne sais ce que je dis ce n'est pas merveilles car j'ai pris la plume sans dessein que de vous communiquer l'épanchement de mon coeur auquel je n'ai point de bornes. Ainsi excusez tout en faueur de la simplicité qui j'espère sera nostre union en cette vie, et en l'éternité. J'ai été obligé de quitter N.M./6 par des raisons de nécessité ! Un heureux hazard m'y remmènera dans peu pour quelques jours. Ce ne sera pas sans me perdre avec vous entre ses bras. On va imprimer un nouveau Thelemaque /7 où il se trouuera plusieurs choses qui ne sont dans aucune autre édition. R./8 y a fait une préface /9 qui est un chef d'oeuvre de l'esprit, et du coeur, et qui sera un grand ornement pour Thelemaque. Dès qu'il sera imprimé j'aurai l'honneur de vous en enuoïer. Permettez moy de manquer à tout, je me sens point de compliment pour vous quoyque je sache tout ce que je vous dois.


      1. XXIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with a postscript by Patrick Campbell of Monzie.]


TUNBRIDGE WELLS,

July 15.

My D

By our friend Munzie's /10 care I had the honour of your Lop's most acceptable letter of June 22d about a week after my arrival here and immediately return'd the inclosed for M.S.M. etc./11 to him begging the favour of him to put it into the hands of Mr. F./12 to be forwarded p next post. When


1 Notre mère."

2 Lettres, III, p. 155 ; IV, pp. 102, 107.

3 V. p.122

4 “petit maître”

5 A strange but characteristic utterance.

6 " Notre mère."

7 The reference is to the 1717 edition.

_ Ramsay.

9 Ramsay's Preface was an interesting Discourse on Epic Poetry.

10 Campbell of Monzie.

11 Madame Guyon.

12 Master of Forbes.

126

I left London My Ld his father /1 was but in a bad way as to his health, and I han't heard from him since. I left also poor L.T./2 very weak and low, but did not apprehend that her deliverance was so near, for it pleased God to take her to himself and I humbly believe into his eternal Rest, the 6th of this instant about 12 at night. She was certainly a great example of patience under a long train of uncommon sufferings, and of perseverance in Faith and Resignation to the end. Had I knowen any thing of her approaching change I would have return'd to Town to be present at her last minutes, wch I have had no further account off than this that she continued speechless two days.

I return your Lop my most humble thanks for the kind concern you are pleas'd to express for my health. It is now much better than it has been of late. My wife and children are also here and all pretty well, but when we shall leave this place I can't yet tell.

I was very glad to hear of your Lop's safe return from the North, and of your success whilst in it. 'Tis very unaccountable to me that the 6 Discours Spirills /3 sent by Mr. Cunningham of Caprington /4 were not come to hand. I wish any one would enquire whether he is return'd to Scotia. or what is become of him. But if they are not deliver'd when this comes, I beg your Lop will let me know it, and I shall order six more to be forthwith sent by the carrier. This is what I ought to have done at first, but at a friend's desire I gave the books to that gentleman, and he has exceedingly disappointed me

I give my sincerest Love to dear D.G./5 I never cease to remember him, and do both rejoyce and suffer with him. I shall not fail in a very few days and recommend to Dr. Cheyne /6 what your Lop writes concerning Mr. Blake./7

I most dutifully salute My Lady and pray for all that's good in conformity to the Divine Will to your Lop, to her & the two babes. May the H. Sp. of our L.M./8 dwell in you and abide with you for ever !

I remain as formerly

Your Lop's most obedient humble servt.

MY D. LORD,

I take liberty to add this postscript to the Dr's and tell your Lop,' that I took care of yours which returnd from Tunbridge Wells and sent


1 Lord Forbes died in July, 1716 (v. Services of Heirs). He is described by J. Macky as " zealous for the Revolution . . . a good natured gentleman, very tall and black " (Characters, p. 253).

2 V. p. III.

3 Pp. Io9, 122, etc.

4 p.122

5 Dr. George Garden.

6 V. Introduction.

7 V. pp. 93, 131, etc.

8 " Holy Spirit of our Little Master."

127

it under my cover to A R—y /1 whom I have occasion now and then to write and can take the liberty to make an occasion that is to wryte to him always when your Lop,' has a mind to write to that corner of the world. I'm exceedingly discourag'd and knows not what hand to apply to in behalf of Barnes./2

I'm my Ld.

Your Lops most humble serve. P.C./3

LOND. 17th July, 1716.

To the Right Honble.

My Lord Deskford to the care of

Mr. Thomas Rudiman a underkeeper of the

Advocats Liberary,

Edinburgh


      1. XXX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

OctY. Is!, 1716.

MY DEAR LORD,

I was still at Tunbridge when I had the honour of your Lop's most acceptable letter of Aug. 20th. It was old ere it came to me, and not requiring a speedy answer, I've delayed acknowledging it till now. I rejoyced to hear

1 A. M. Ramsay. Notice that Campbell of Monzie, the writer of this postscript, is in correspondence with Ramsay.

2 James Cunningham of Barns. Campbell has been endeavouring to do something for the rebel laird : v. pp. 116, 134, 139.

3 Patrick Campbell of Monzie.

4 The famous grammarian : v. D.N.B. ; Chambers, Biog. Dice. of Eminent Scotsmen ; G. Chalmers, Life of T. Ruddiman (1794). Born in Banffshire 1674, educated at King's College, Aberdeen, where one of his intimates was Andrew Dunlop, the watchmaker, mentioned in these letters (v. p. Io8), after tutoring and schoolmastering, R. began his long connection with Advocates' Library, Edinburgh (now the National Library of Scotland), where he was Assistant Librarian 1702-30 and thereafter Keeper till 1752, when he was succeeded by David Hume, the philosopher. James Ogilvy of Achiries, one of those interested in mystical writings, was tutored by him from 2709. A letter from Lord Deskford to his father, the E. of Findlater, in 1726 says " Mr. Rudiman's new grammar which they use is acknowledg'd to be the best that has been published " (Letter preserved at Cullen House) . This refers to the Rudiments of the Latin Tongue, published 1714. Of it Chalmers says : " ` This work will transmit our grammarian's name with celebrity to every age as long as the language of Rome shall continue to be taught in the schools of Scotland." R. engaged extensively in literary work and also took up printing and newspaper publishing. He was a convinced and ardent Jacobite. Dr. Johnson praised him as an " excellent man and eminent scholar." His prudence and industry have also been deservedly commended. He died in 1757. V. pp. 139, 15o.

128

[“Handwriting of Lord Deskford”, une page]

that Providence has provided a house /1 for your Lop and family, but much more that his Divine Grace has inspir'd you with the holy resolution of employing it and your retirement in it to the best advantage. May it please our dear L.M./2 to fortify and confirm your pious intentions, and to be Himself your Guide and your Counsellour, your Strength, your Life and your All. May that Holy One whose you are bless you and Yours with the Spirit of Faith and of Pure Love, and guide you in all your ways soberly and preserve you in his power ! He is faithfull and true and will certainly hear our prayer and grant our request. Temptations and tryals of various kinds, as your Lop well knows, must often be expected, and sometimes from occasions and things unforeseen and unprovided for : but nothing of all that must disquiet or disturb us. These are more or less unavoidable in every estate, and indeed


1 Lady Deskford's desire to be out of Cullen House (v. p. 122) was apparently met by establishment at the Castle of Boyne (v. p. 532) or Craig of Boyne as it is also called (pp. 152, 161). For a full account of this interesting old castle V. Dr. W. Douglas Simpson, Three Banffshire Castles (reprinted from the Transactions of the Banffshire Field Club, Oct. 1931). In connection with the settlement at Boyne may be noted the following letter from Lord Deskford preserved at Cullen House (recipient's name awanting). It contains some interesting details as to social conditions :

August 2d

I receiv'd your letter with one enclos'd to the taylour concerning my cloaths. In a very short time I now hope to be in the north. By this time I hope Lady Boyne: is out of the hous, and W.L. [William Lorimer, chamberlain to the E. of Findlater; has sent me the measure of the rooms, which is now the only thing I wait for. All our furniture save only stuf for hangings, which will soon be got, will be ready in the midle of next week, and is to go north in George Hay's ship, so that I expect to leave this place on the 1 ;th or 16th, you'll therfor remember to caul G.M. [George Mackie. v. p. 168) dispatch the two horses W.L. was to buy for me, so as to be at Edr against the 54th. He must send some carefull man along with them, who will walk at the side of a Sedan in returning north, for people generally think that a better way of carrying the children than in a Coach, and in that case my wife will ride. It seems ther are horse chairs in Edr, that can hold both the children's woemen, which makes this the easiest as well as the best way of transportation. Let GM. likeways send the work horse for the bagage, if he has found one fit for the purpos. Findlay carrys north a loading coal., which may eitheir be cellar'd in Portsoi, or immediatly carry'd to the Boin. W.L. thinks it most convenient for the tennants to spare their horses now or afterward-. Tell GM. to take all care to prevent any of them being stolen in the livering at fortso: or transportation from it. It is now allmost a fortnight since I syrot to my fatli.r. I thought to have done it this night, but think it better to delay till Monday when I hop, to hear or my sister's being safely brought to bed. Tell G.M. I have feed his so::. \-4»'--brother Willy improves very well. I continue

Your affectionate friend

Deskfoord."

The reference to Lady Boynd, wife of James Ogilvie of Boyne, points to the Decreet of Removing and Letters of Ejection obtained by Lord Findlater in June-July. 1,-16. For these and other particulars about the family r. A. and H. Tayler, Ogilviesof Boyne.

2 " Little Master."

129

as to us necessary for the greatest ends. Qui non est tentatus quid scit ? /1 Our Lord most wisely dispenses and overrules our crosses and afflictions as he sees them profitable and convenient for us ; and they who thro patience /2 and resignation come to be bless'd with the Spirit of his Cross are enabled not only to bear, but to rejoyce in them./3

I have had no letter from M.S.M. or A.R./4 these two moneths and more, but I hope they are all well. My last from Holld. dated Aug. 22 wch being sent by a merchant did not come to me till last Friday gives the following acct. of the books we are next to expect—Pour nos impressions on espere que les Emblèmes de Hugo & de Voenius /5 pourront être achevés en Octobre : Il y aura outre l'explication en vers franç. de ces Emblemes, que peut être vous avez deja vû, encore un autre sur Voenius (ce sont les Embl. de l'Amour Divin) faite à la Bas /6—et retrouvée depuis peu par hazard chez Md la fille de N.M./7 Les figures sont belles et iront jusqu'à 110. L'esperance que vous nous avez donnée de trouver autant de souscrivains entre les amis d'Angl./8 etc. pour cet ouvrage qu'il y en a eu pour le vieux Test./9 n'a pas peu contribué à en faire entreprendre l'impression : et puisqu. vous avez souhaitté d'en savoir le prix pour cet effet, quand il pourroit être determiné, je n'ai pas voulu differer de vous dire qu'il ira jusqu'a 4 fLor. 15 sts. d'Hollande comme on croit. On a aussi commencé l'impression du 2d volume des Lettres,/10 qui pourra aussi être achevé dans quelques mois, et alors ces 2 Tomes paroitront en même tems ; et plut être on V joindra encore un troisième.

Now my Lord the number of the Com. sur le v. Test. /11 subscrib'd for was one hundred, 42 of wch were sent to Scotland./12 I do not know how many considering the scattered condition of persons and things at present I might reckon upon for that Country, I mean of the Emblemes /13 above mention'd, wch he says will come to about 4 gld 15 st., in Engl. money about 9 sh. Prime cost. Did I know what number could be taken off in Scotld, I would order


1 V. p. 83. Pure Love was one of the chief matters of controversy in connection with the Quietist Movement. It involves disinterestedness in religion. V. Lettres, I, pp. 548, 471, etc. Cf. von Hugel, Mystical Element of Religion, II, pp. 152-181. M.N.E., pp. 133, 162.

2 V. p. 161 n.

3 Madame Guvon, Short ,Method (Eng. Trans.), p. 22 : " A heart which has learnt to love the Cross, finds sweetness, joy and pleasure even in the bitterest things " ; Lettres, IV, p. 88 : " l'esprit du Christianisme est un esprit d'abnégation, de croix, et de mort."

4 Madame Guyon or Andrew Ramsay.

5 V. pp. 117, 225, etc.

6 Bastille, where Madame Guvon was imprisoned.

7 Duchesse de Sully ; Cherel, André Michel Ramsay, p. 42 and note, p. 106 and note.

8 " Friends in England."

9Madame Guyon's Commentaires : v. pp. 75, etc.

10 V. p. 109.

11 V. p. 79.

12 " These numbers are interesting as indicating roughly the size of the group interested in this kind of literature. V. pp. 134, 178, 188, etc.

13 V. pp. 117, 125, etc.

130

them to be sent straight from Holland to Leith wch would save both trouble and charge. I think to get Mr. Camp. of Munz./1 to write to Mr. Falconer /2 about it.

I communicated to Dr. Cheyne /3 what your Lop wrote concerning Mr. Blake,/4 and have receiv'd this answer from him. " Mr. Blake is a dying much in debt, having for sometime been impair'd in his faculties by a palsy. I told him some part of what you wrote ; he seem'd thankful, but suggested as if it had been promised him before. His funeral (if it happen) cannot be taken care of but in expectation of my Ld. D.'s /5 charity. I confess I have promis'd to assist Mr. — the Scotch mercht (to whom he ows the most, if he take care of him in a sober manner and see him decently buried) with my Lord, as far as he intended otherwise." This is all the Dr. says of it and gives his best wishes to your Lop. I have not yet mention'd the L 9 to him for the watch,/6 but shall do it in a few days. However, I think your Lop may take your own time and way of remitting it, since he writes it will be late in ye year before he comes to Town./7

I should be glad to hear that the 6 Disc. Spirituels /8 are come to hand. Greater care must be taken for the future.

Our friends here are all well and salute your Lop most affectionatly, L.P./9 in particular who was with me last night, also Munzie/10 Mr.Hayes /11 and R. Cun./12 D.G./13 is said to be in Holld. but I have no certain acct. of it yet. How does Dr. Ja./14 do and Dr. Midl. who they say is turn'd out./15 I pray God to comfort and support them and all others in distress.


1 Campbell of Monzie.

2 V. p. 118.

3 V. Introduction.

4 V. pp. 93, 127.

5 Lord Deskford.

6 V. p. 1o8.

7 From Bath.

8 V. pp. 122, 124, etc.

9 Lord Forbes of Pitsligo, still in London at considerable risk. James Forbes, writing from Rotterdam to the Earl of Mar Oct. 5, 1716, says : " I left Lady P. in health, but my Lord is in London and is I hear not very safe " (Stuart Papers, III, p. 23).

10 Campbell of Monzie.

11 Not identified. May be for " Hay " as in Aberdeen Sasines, Oct. 1693, and elsewhere.

12 R. Cunningham, V. pp. 99, 105.

13 Dr. George Garden was in fact in Holland by this time. James Forbes in the letter quoted above says, " I have been obliged to come over here and Dr. Garden who was in prison is come over with me." V. pp. 139, etc. The pair seem to have enrolled as students at the Univ. of Leyden : v. article by present writer in " S. N. and Q.," Sept., 1932.

14 Professor James Garden : v. Introduction : also pp. 78 ff.

15 Principal George Middleton, King's College, Aberdeen, cousin of the Gardens, contrived to retain his position at the Revolution in spite of his Episcopacy and later in spite of charges of Bourignonism, and now despite his Jacobitism. He was not deprived until June, 1717 (Orem, Description of O. Aberdeen (1791 ed.), p. 18o). Orem calls him (p. 156) " a great humanist and philosopher, a sound divine, and of a circumspect life and conversation." V. also Introduction.

131

I shall direct this for Mr. Abercromby /1 as you order'd me ; if your Lop shall think on any other way let me know it.

I give my most humble service to my Lady. My best wishes continually

attend her with your Lop and dear little ones, and am ever,

My Lord,

Your Lops most obedient

& humble servt.

Your Lop will no doubt see Ld. F./2 who I'm told arriv'd safely some weeks ago at Edr. I salute him in the tenderest and best manner. Mr. Pt./3 also salutes him and has sent him his new Edition of La vie de Greg. Lopez./4

When he calls any time at Abd./5 Mrs. Ped./6 may perhaps help him to the Life of M.S.M./7

To the Right Honble. The Lady Deskford at Boin.W.


1 Mentioned frequently hereafter, chiefly as franking letters, as Campbell of Monzie had hitherto done. Capt. Alexander Abercromby of Glassaugh, M.P. for Banffshire, had been a member of the Scottish Parliament before the Union. In the Portland MSS. (Hist. MSS. Com.) there are several letters regarding A.A. which shed light upon the political methods of the day. One from the E. of Seafield to the E. of Oxford recommends A.A. who " is very willing to attend the Queen's service in Parliament and observe your lordships directions in everything," and begs something to be given him for all his services in the past, for " he must return home unless your lordship do something for him " (Vol. X. pp. 192 f., y. also pp. 211, 309). Another letter of Oct. 1713 puts him at the service of the E. of Oxford (Vol. X, p. 305) and one in April, 1714, says " my straits at home and here being far greater than I am willing to express and almost irrecoverable." A few months later he is still begging and declares he will have to sail next week for Scotland if something does not turn up. An attempt had been made to have him presented with a property which had fallen into the hands of the Crown : v. Port. MSS., V, P. 351 ; X, pp. 461 f., 484 f. Writing in August, 1716, the E. of Mar calls A.A. " a creature of Seafield's." For the family v. C. D. Abercromby, Family of Abercromby

(1927).

2 Lord Forbes, hitherto in these letters M.F. (Master of Forbes) , succeeded to the title in July, 1716.

3 Pierre Poiret : V. Introduction.

4 Poiret's edition appeared in 1717. A copy of it is in the Library of Cullen House, where there is also another French .edition of 1644. Madame Guyon expresses her admiration for this Life : v. Lettres, IV, p. 477 : Cf. Lettres, II, p. 247 note ; Disc., II, P. 396 note. V. further note, M.N.E. p. 134. We hear of the Earl of Perth recommending the Life to Sir R. Sibbald in 1685 (Nett, memoirs of Sir R. Sibbald, p. 88) . The Quietist Molinos (Spiritual Guide, p. 154) refers to " that profound and great mystick, the venerable Gregory Lopez, whose whole life was a continual prayer and a continued act of contemplation and of so pure and spiritual love of God that it never gave way to affections and sensible sentiments."

5 Aberdeen.

6 Mrs. Pedder was Dr. George Garden's sister, Susanna, who married John Pedder, writer, Old Aberdeen, in 1697 (Old Machar Marriage Register) and died in 1728 (Munro,

[See next page for notes 7 and 8.

132


      1. XXXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Decr. 13th, 1716.

MY DEAR LORD,

I had the honour of your Lop's most agreeable letter of Novr. the 4th but not till full 3 weeks after the date, and forwarded the inclosed by the first opportunity. I delay'd writting till now in expectation of another from A.R./1 wch accordingly I recd. last night. He salutes your Lop most affectionatly, and tells me that our ven. M.S.M./2 God be thanked is recoverd of her last illness,/3 wch by his account was very grievous. He was to set out next morning to see her and would carry the letters with him.

They certainly remember us all this evening, being the Eve of our blessed L.M.'s /4 Nativity, as I do them and you with all our dear friends whersoever dispersed, desiring in Union with them and with all the children of our dear Lord to adore and laud and magnify his infinite Love to mankind, and humbly praying him to empty /5 and prepare our hearts for receiving and entertaining /6 him for ever. May it please him powerfully to shed forth the Spirit of Faith and pure Love into our hearts wch may render him continually present with us, and according to his holy will unite us essentially /7 with him for ever. I am very sensible of the many entanglements wch your present situation will, especially at first, unavoidably engage you in ; but while you are in the way of your duty nothing of all that must trouble you. A quiet and recollected S mind will in a little time overcome all. Laisser tomber &



[Continuation of notes.

Records of Old Aberdeen, II, p. I74). She is mentioned in her brother's will (Commissari.ot of Aberdeen, Feb. 16, 1733). V. also Reg. of Partic. Sasines, Aber., Aug. 7, 1713.

7 Madame Guyon. This must refer to the manuscript of the Life by Herself.2 Note that many of the letters are thus addressed to Lord Deskford through Lady Deskford.

8 Note also the first mention that the Castle of Boyne is now their home : v. pp. 122, 129. A. and H. Tayler (Ogilvies of Boyne, p. 72) were in doubt as to whether Lord Deskford and his family ever occupied the house, but these letters make it clear that they did.


1 A. M. Ramsay.

2 Madame Guyon.

3 V. p. 136.

4 " Little Master " : v. p. "5.

5 Cf. Short Method of Prayer (Eng. Trans. 1875), Ch. xv : " How can we be filled with God ? Only by being emptied of self " ; cf. Lettres, III, p. 137. V. also Olier in Bremond, op. cit., III, p. 479 : Meister Eckhart, Sermons (C. Field), p. 48 : A. Baker, Holy Wisdom, 496

6 V.. pp. 76, I 16.

7 " l'union essentielle " : Lettres, IV, p. 304.

8 Cf. Short Method of Prayer, p. 29. E. Underhill says Recollection is " the first drawing inwards of attention from the world of sense " (Ruvsbroeck, p. 147). Again " Recollection begins in meditation and develops into the Orison of Inward Silence, which again melts into the true Quiet " (E. Underhill, Mysticism, 3rd edit., p. 370).

133

outre passer /1 are usefull Rules in all inward and outward disturbances, and he that believes will not make hast.

Last night I had also a bill of lading from Holland with advice of the bail of books being shipt off at Amsterdam for us. It contains 6o of the Emblemes Spir./2 and 5o of the Lettres Spir./3 en 2 voll. with Gr. Lopez's Life a new Edit./4 20. This last is on Mr. Hen. Wetstein's /5 account. When they are all come and the charge of fraught and customs knowen, then we shall be able to fix the price and not before : but as for your Lop's share at present I believe the money you design to remit will be enough for all. There will be also a 3d and 4th vol. of Letters /6 publish'd more, besides several other things, as providence shall be pleas'd to favour them. They hope that in time our friends here and in Scotld. will take off the remaining 40 of the Enablemes to make up the ioo proposed./7

D.G./8 and J.F./9 are very well. The first has writ me two or three times an account of his business with Tr—p,/10 to whom I have also written expostulating with him about it. But I am hopefull (by Mr. Falc-r's /11 Letter to Munzie /12) the matter is or quickly will be accommodated. I long much to hear from Ld. F./13 how he does, and when he thinks of coming hither.

I embrace him in the most affectionat manner. Munzie /12 (who salutes him with your Lop most kindly) thinks his Lop has the ABp of C's /14 papers sur L'Hierarchie /15 wch I had lent to him ; if My Ld has them not I doubt they are lost.

Dr. Ch./16 who also gives his most humble service to your Lop tells me that poor Mr. Blake /17 died last October very much in debt. The principal creditor is a Scotch merchant at Bristol (whose name he could not remember) to whom he owed 3o lb, who also at the Dr's desire was at the charge of burying him. He owed likewise in small sums about 12 or 15 lb more. The Dr. will if your Lop desire it get a particular and exact account of the whole. B—ns /18


1 V. pp. 93, 100.

2 V. pp. 117, etc.

3 V. pp. 109, 13o, etc.

4 Gregorio Lopez ; v. p. 132 ; Spanish hermit in West Indies and Mexico (d. 1596) : V. Hauck-Herzog, Real Encyclopaedia, XIII, p. 263 : E. A. Peers, Studies of the Spanish Mystics, Vol. II (193o), p. 36o : Baker, Holy Wisdom, p. 36r.

5 V. p. 117.

6 V. above.

7 V. p. 13o.

8 Dr. Garden.

9 James Forbes.

10 Garden of Troup in Banffshire. Alexander Garden, Elder, of Troup, a staunch Hannovarian, a Deputy Lieutenant of the County, founder of Gardenstown, 172o, father of Alexander, Younger, of Troup (Civilist at King's College 1717-24), and of Francis, afterwards the celebrated judge, Lord Gardenstown.

11 V. p. 118.

12 Campbell of Monzie.

13 Lord Forbes.

14 Fénelon, Archbishop of Cambrai.

15 Fénelon has no published work with this title, but it may refer to his Lettres sur l'Eglise (Oeuvres, IS61, I), where there is an explicit use of the word " l'hierarchie."

16 Dr. Cheyne

17 V. pp. 93, 127, 131.

18 V. pp. 116, 128, 139 : the Jacobite prisoners at Chester seem to have suffered very severely : v. Capt. Stratton's letter (Stuart Papers, II, p. 9, Feb. 28 (Mar. ro), 1716)

134

was extremely ill of a fever about 6 weeks ago, and when he was but beginning to recover fell back again by catching a great cold wch brought him so low that as his sister writ two posts ago, they look'd for his death every day. Their sufferings of all kinds have been very great. God grant them all Grace to make the right use of 'em. L.O./1 is still where he was, very patient and chearfull. 'Tis not knowen what they intend to do, nor do they know themselves. L.P./2 intends to go for Holl. in a few days, and is most heartily yours. I thank your Lop for the acct you're pleas'd to give me of Mr. Fr. Ross's /3 welfare. I'm sorry that I nor any of our friends know of nothing at present for Mr. P. Cook's /4 purpose here, and therefor I would not advise him to come at an uncertainty. But I will be sure to think of him. My wife joyns with me in most humble services to My Lady. Our best wishes ever attend you and your dear children and I am always

Your Lop's etc.

I suppose your Lop has recd. mine of Oct. 3o with the enclosd from M.S.M./1 Everyone was surpriz'd yesterday to hear that by an express from Han-ver (wch came in the night before) Ld. Townsend is turn'd out /6 and to be succeeded by Mr. Stanhop who is to be made a Peer,/7 Mr. Methuen /8 continuing the other Secretary. Duke of Roxburgh is made Secretary for Scotld,

and the letter of the " Duke " of Mar (ibid., p. 57). The former says the prisoners " are in a most miserable condition, being crowded like beasts in a fold, having a raging fever amongst them, and daily dying with ill usage and want of necessaries, and little or no distinction made betwixt the best gentlemen and the meanest sort." V. also Stuart Papers, II, pp. 232-3 ; Tindal, op. cit., p. J42.

1 Oxford still in the Tower.

2 Lord Forbes of Pitsligo not yet fled the country : v. p. 139.

3 Francis Ross was brother-in-law to Dr. James Keith : v. Introduction : also F.E.S. (new edit.), III, p. 186. He was a younger brother of Hugh, laird of Tulliesnacht in the parish of Birse. He studied at Marischal College, Aberdeen (Records, II, p. 238), and became minister at Renfrew, whence he was ejected at the Revolution. Latterly he acted as an episcopal " intruder " at Dunnottar and his name occurs in the Presbytery Records of Fordoun as late as Oct. 8, 1716. His son is mentioned PP. 175, 179.

4 Not identified : v. next letter. Lord Forbes of Pitsligo had as chaplain Mr. J. Cook, in whose handwriting are several of the transcriptions of mystical works in Scottish Episcopal College Library, Edinburgh : e.g. Q. 46.

5 " Ma sainte mère " : the letters mentioned do not seem to be extant.

6 For these changes v. Mahon, History of England, I, pp. 368 ff. On p. 377 Mahon says " The news of Lord Townshend's removal was received in London with almost universal disapprobation. No clear and definite cause being then assigned for that measure, and its advisers being absent from England, a large field was left open to conjecture, exaggeration and mistrust : cf. Brereton's letter, quoted pp. 377-8.

7 James Stanhope was raised to the peerage in July, 1717 Hist. Reg., Chron. Reg.. p. 29.

8 Paul Methuen had become a Secretary of State in June, 1716, but did not continue in office as here suggested : Hist. Reg. 1716, p. 35o ; 1717, Chr. Reg., p. 17.

135

D. of Montrose /1 to have the Seal, and Polwart /2 to succeed him. 'Tis beleiv'd that Mr. Walp./3 will also be out, and that this is a prelude to more alterations of that sort, but especially that the D. of Arg./4 is in greater disgrace and will be obliged to retire. This is but changeing a coat or a pair of gloves./5 The body is the same still.

To The Right Honble. The Lady Deskford at Boyn.


      1. XXXII. [FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.]

A Mylord

MON CHER MYLORD

J'ay reçu avec un plaisir indicible votre très aimable lettre du 3me Novre avec celle qui étoit pour NM./8 Je vous rend mille & mille grâces de la bonté que vous avez eu pour moy. Je ne saurois comment la reconnoitre suffisamment. J'en ay tous les sentimens qu'elle mérite, & je ne souhaitte qu'une occasion de m'acquitter envers vous.

J'ay envoyé votre lettre à NM /8 qui est si malade qu'elle n'a pas pû y répondre quoiqu'elle ait fait son possible de le faire. Mr le Marquis de F./9 qui est auprès d'elle présentement me mande qu'elle avoit commencé à luy dicter une lettre pour vous mais qu'elle n'a pas eu la force de l'achever après une longue suite de maladies, de fièvres, des insomnies, de dégoûts, de douleurs extrêmes, de maux d'estomac. Elle est enfin si épuisée que


1 V. Hist. Reg. 1716, p. 552. The Duke of Montrose had been Secretary for Scotland since the dismissal of the Earl of Mar after the accession of George I. He now became Keeper of the Great Seal and Roxburgh took his place. V. Mathieson, Scotland and the Union, p. 321.

2 V. Hist. Reg. 1716, p. 552.

3 Walpole did in fact resign with his chief in spite of the King's endeavour to retain him in office at the Treasury. He returned to the Government in 172o and to his former posts in April, 1721, remaining thereafter in power till 5742. V. J. Morley, Walpole, pp. 52ff.

4 V. Mahon, op. cit., pp. 364 fI. Argyll after his part in the suppression of the Rebellion lost favour at Court. Already in the summer of 1716 he and his brother had been removed from some of their offices (Hist. Reg. 1716, p. 354). Now the breach became more definite and until 1719 Argyll is found in the Opposition party which centred round the Prince of \Vales. Thereafter he and his brother returned to power in Scotland. V. J. H. Burton, History of Scotland, VIII, pp. 345 ff.

5 Cf. Hist. MSS. Com., Portland MISS., VII (Stratford Letters), p. 295 : " I hear of a saying fathered on Lord Oxford that the removing S(underland) to take in W(alpole) would be like a man's putting off one dirty shirt to put on another dirty shirt."

6 V. p. 133 n.

7 Deskford.

8 " Notre mère."

9 Marquis de Fénelon : v. Introduction.

ce cher Marquis craint pour sa vie. J'en ay quelque appréhension moymême. Si Dieu la retire je vous le manderay sur-le-champs, si elle se rétablit mon silence sera une marque de sa convalescence. Comptez là-dessus. Vous voyez qu'il n'est pas possible que Mr Cook /1 songe à venir icy. Cela est impratticable en tout sens car outre que nous craignons chaque jour sa mort elle n'a que le simple nécessaire & ne pourroit pas avoir ouvertement dans sa maison une personne qui n'est pas de la Religion Romaine. Je vous prie de sa part que ce bon Monsieur n'y songe pas.

Le cher Marquis /2 me charge de vous assurer de son tendre attachement. Soyons unis dans la présence divine. Les esprits ne sont pas assujettis aux lieux /3 & aux temps comme les corps. Voilà ce qui fait la communion des saints. Participons-y selon notre état. Permettez moy de vous embrasser avec un tendre respect, & de vous renouveller au commencement de l'année les assurances de mon fidelle attachement & parfait dévouement. Tendrement Tout à vous. R—y.4

ce premier de l'an 1717.


      1. XXXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Janry 3d, 1714.

MY DEAR LORD,

I rejoyced to hear by your last of Decr. the gth that your Lop. and My Lady are well, and take this opportunity to wish you both with your dear Children a joyfull and happy New Year ; and in order to it, the Blessed Sp. of L.M./5 to live and reign in you. May this Divine Spirit the only earnest and gift of the New Year of his eternal Kingdom wch we groan after, be plentifully shed forth upon all sincere hearts ; and may everyone be faithfull in attending to it and co-operating with it according to his measure !

The bail of books is now come from Holland and was but yesterday brought from the custom-house. I have not yet seen it open'd but by my letter of advice it contains 6o of the book of Emblemes,/6 50 of the two voll. of Letters 7 and 20 of the Life of Gr. Lopez, d'Andilly's /8 translation. The price of each shall be here subjoyn'd. It is hop'd that our friends in Scotland will agree to take a certain number of each, some for the South and some for


1 V. p. 135.

2 Marquis de Fénelon : t'. Introduction.

3 V. p. 113.

4 A. M. Ramsay.

5 " Spirit of Little Master."

6 V. pp. 117, 134.

7 V. pp. 109, 130, 134, etc.

8 V. pp. 132, 134 : Arnauld d'Andilly made one of the translations of the Spanish life of G. Lopez by Francisco de Losa in 1674: La Vie de bien heureux G. Lopez. Another edition appeared 1675. Poiret now issued still another, 1717.

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the North. I will get Munzie /1 to write to one at Edr. about it, and when I know what number will do I will get Mr. Homfeld /2 to order them to be sent directly to Leith. In the mean time your Lop. shall have what number you please of those that are here sent streight to you, but how to transmit /3 them is the difficulty. I should think the Newcastle carrier the safest to Edbr. but to whom to direct them there and how to forward them from thence ; or whether any other way be better I must wait to be determin'd by your Lop. 'Tis strange I can never hear whether Mr. Cun. of Caprington did ever deliver those 6 Discours Spir./4 He has been long at Edbr. or at his father's house and might be ask'd about them. Mr. Homfeld /5 also recommended to me to enquire whether our friends do not want some of those Discours Spirituels. If they do, they may be sent with the others above-mentioned. As for remitting the money yr Lop may take your own time. I do not think I shall be able to return to Holld what is due for this bail before Candlemas or it may be the middle of Febry. and if your share does not come by then I shall advance it.

My Last of the 13th of Decr. gave your Lop an acct of Mr. Blake's /6 death and of the state of his affairs as I had it from Dr. Ch./7 It mention'd also the late sudden change at Court. Several Letters were written both then and since by others of the DI—ry/8 to K.G./9 representing the danger of such proceedings, but no notice at all had been taken of 'em.

I took an opportunity fully to represent the Case of those two or three Gentlemen to M—ie /10 as you put it and to ask his advice. He gives his most humble service to your Lop and prays you to believe that he would with all his heart do them or any of your friends all the service that lies in his power ; but that there's nothing to be done in the way they propose. They may possibly hear of some who will be very forward to undertake their business, but depend upon it 'tis only to trick them out of their money and do nothing for it. There have been many instances of this kind here. It had been much to be wish'd that they had kept themselves private and hid as they were. But now the only thing they have to do is to be quiet and say nothing. 'Tis the universal opinion of all here that upon the meeting of the Parlt. a general method will be taken with all, and an Act of Indemnity /11 agreed to, not excepting even them beyond the Seas, they coming in by a certain time to be therein limited. The thing 'tis believed will be done, but the particular clauses must be left to time.


1 Campbell of Monzie

2 V. below.

3 v.introduction

4 V. pp. 122, 124 etc.

5 V. pp. 117, 124, etc.

6 V. p.134

7 Dr. Cheyne.

8 Ministry

9 King George I.

10 Campbell of Monzie. Much effort was put forth for individual Jacobites, and here we have an example. Cf. Stuart Papers, VII.

11 V. p. 144.

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L. P./1 went from here Decr. 23d. for Holld. I pray God to preserve him and long to hear of his safe arrival. D.G./2 and J.F./3 are well. Poor Mr Cun./4 of Barnes died lately at Chester.

D. Ch./5 and all our other friends kindly salute your Lop. and I am ever with all possible respect

Your Lop's etc.

The inclos'd came but just now to my hands.

6 Emblemes No. hio at 9 sh. 2 lb. 14 sh.

6 Lettres Spirlles en 2 voll at 3 6d i—i

1 Vie de Greg Lopez gratis.

To the Right Honble. The Lady Deskford 6 at Boyne.


      1. XXXIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

No year is given, but the Gillenberg incident mentioned fixes it as 1717.]

Febry 5th.

I had the honour of My Dear Lord's letter of Janry 3rd, and heartily rejoyced to find that amidst your various entanglements and avocations the tendency of your heart is always directed to our blessed L.M. He is indeed infinite Love and Goodness. Let us for ever trust in him, and He will be our strength and our all./7

My last to your Lop /8 was dated the same day with yours. There was one in it from R./9 Since then I have not heard anything of M.S.M.'s /10 health, wch by his account was in a very low condition.

I have sent a bundle of books to your Lop directed to Mr. Ruddiman /11 at Edr. It contains 6 of the Emblemes de l'amour divin., 6 of the Lettres Spirituelles en 2 voll. and 1 of La Vie de Greg. Lopez./12 The price I sent in my last, viz. each of the Emblemes at 9 sh. and of the Letters at 3 sh. 6d. Munzie /13 who gives his humble service to your Lop has been so kind as to recommend them to the care of a friend of his, who has put them on board a ship with his own things bound for Leith. Your Lop may write to Mr. Ruddiman to transmit them to you as you shall be pleas'd to direct.

I communicated to Dr. Ch.5 your Lop's intention to remit some money for paying Mr. Blake's creditors./14 The Dr. gives his most humble service to your Lop, highly commends your design and bids me tell you that what


1 Lord Forbes of Pitsligo.

2 Dr. George Garden, in exile at Leyden.

3 James Forbes, likewise in exile.

4 V. pp. 116, 128, 134.

5 Dr. Cheyne.

6 V. p. 133 R.

7 Cf. p. 107.

8 V. letter no. xxxii.

9 A. M. Ramsay.

10 Madame Guyon.

11 V. p. 128.

12 For these books v. p. 534.

13 Campbell of Monzie.

14 V. p. 133.

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1 Campbell of Monzie. ' V. pp. 122, 124, etc. ~ V. p. 134.

your Lop mentions will be sufficient. He and I joyn in humble services and respects to dear L.F./1 and shall be very glad to see him here. L.P./2 and our other friends with him are we hear in very good health. I don't yet hear that your neighbour T—p /3 has done what we expected of him. I believe him to be a friendly honest man. Your Lop may take an opportunity to talk with him. Please to tell him that I rec'd his letter in due time, but did not think it fit to urge the matter any further in answer to it. I was glad to hear that Ld. Had./4 is well and am very much his humble servt.

We are here mightily alarm'd with the noise of a new plot lately discover'd agt the Government. The Swedish Envoy Mr. Gillenberg /5 was put under an arrest last week and all his papers seiz'd, and a strong guard kept upon him ever since. We are told that he is charg'd with carrying on a treasonable correspondence in order to favour an invasion from Sweden. Some few others are also taken into custody. What is in it a little time will shew. But 'tis lamentable that Mankind will not be quiet, but rush forward to their mutual destruction. Nothing of all this happens by chance. The Divine providence will overrule all to the advancement of his great and good ends. Let us chearfully- submit to it in everything. Christendom seems to be universally convulsed at this time, and hastening to some great crisis. Men's minds are disturb'd and at war even amidst an outward peace, and this certainly cannot last long whilst there is no real peace within. But our God is long suffering and patient towards his poor creatures ; tho' his arm is stretched forth to smite yet he mercifully suspends the blow till the measure of their iniquities is quite full. Lord have mercy upon us.

This moment I have rec'd the inclosed /6 wch I'm sure will be very acceptable. There's one also to L.F./7 wch I am to keep till he comes. My sincere respects and humble services with my wife's attend My Dear Lady and the little ones. Ours have all been ill and are recovered thanks be to God.

I hear that L.D./8 and his are all well, but don't hear whether he is to come to Town or not. They talk loudly of bringing on L.O's /9 tryal next sess. In hast I remain always Your Lop's in L.M./10

To The Right Honble. The Lady Deskford /11

at Boyne near Bamf.


1 Lord Forbes, formerly Master of Forbes (M.F.).

2 Lord Forbes of Pitsligo (in Holland).

3 Garden of Troup : u. pp. 134. 179 n.

4 Lord Haddo : v. pp. 75, 104.

5 For the Swedish incident v. J. F. Chance, George I and the Northern War (1909), pp. 18o ff. ; Hist. Register, 1717, pp. 66 ff. ; Calame, His!. -lcc. of nay own Life, II, p. 365. The Cullen Session Records show that a Fast was observed there in April, 1717, on account of the Swedish danger.

6 Awanting.

7 Lord Forbes. S

8 Lord Dupplin.

9 Earl of Oxford : y. p. 145.

10 " Little Master."

11 V. p. 133 n.


      1. XXXV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with copy of letter from Madame Guyon to Dr. James Keith.]

LONDON,

Apr. 13, 1717.

I had the honour of My Dear Lord's Letter of March 24th with the Bill on Mr. Abercromby,/1 who accepted it the Loth instant. Mr. C. of Munzie /2 did me the favour to carry it to him, for I was not able to go myself, having been confin'd to the house about a fortnight by a sharp intermitting feaver ; but it is now over for this time and I am pretty well. It has pleas'd our dear Lord and L.M./3 to visit my Family with much sickness almost ever since Xtmass and especially with the small pox of the worst kind, by means of wch he took to himself my two eldest sons John and James, the one 8, and the other 3 1/2 years old./4 They were his, having been solemnly dedicated to him ; He therefor had the sole right to dispose of 'em as it seemed good to him. I most humble adore and acquiesce in his holy will in all things. If I have so much time I shall add what our dear M.S.M./5 upon the occasion of the first's death. After that I wrote again but have had no answer yet.

Dr. Ch./6 went for the Bath the 4th. When I have seen 11Ir. Abercromby /7 and heard what he says as to the other summ then I will write to the Dr. But in his absence I shall pay for the watch,/8 as soon as the first money comes to my hands.

I am in great concern to hear from dear Ld. Forbes, for I have recd. several letters from the Bar. of Metternick,/9 A.R./10 etc. for him, all wch suppose him to be here ; and therefor I would not forward them, having been in daily expectation of his arrival. Pray if he is yet in your neighbourhood please to let him know this with my most humble service and tender respects.

The two little Histories /11 wch your Lop mentions were sent by Mr. Al. Davidson's /12 order to Geo. Keith,/13 writer at Abd. 'Tis I believe three years




1 V. p. 132.

2 Campbell of Monzie who at this point almost disappears from the correspondence. In Sept. 1717 he was appointed Commissioner of the Equivalent and seems to have settled in Scotland. Thus he was not available as a safe means of communication.

3 " Little Master."

4 V. Introduction.

5 Madame Guyon : letter follows.

6 Dr. Cheyne.

7 V. p. 132.

8 V. p. 144, also p. 108. Keith medium.

9 V. p. 102.

10 A. M. Ramsay.

11 The reference is obscure.

12 V. p. 124 : Alexander Davidson of Newtoun in the parish of Culsalmond, a Jacobite, and one of the leaders of the Jacobite cause in the cite of Aberdeen in 1715. He was the great-great-grandfather of the poet Byron. V. A. and H. Tayler, Cess Roll of Aberdeenshire, 1715 (Third Spalding Club), pp. 77, 184, 183 : J. M. Bulloch, House of Gordon, I, pp. 272 ff. ; J. A. Henderson, Society of Advocates of Aberdeen, p. 144.

13 George Keith, Junior, proprietor of Tillyfour, treasurer of Socy. of Advocates in Aberdeen ; v. J. A. Henderson, op. cit., p. 236.

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since they were left for him. I'm sorry your Lop should have ye trouble of 'em.

My humble duty and wife's attends my Dear Lady and all yours. I never cease to remember your Lop before our divine L.M./1 who I'm confident will be your strength and your all,/2 and will bless you with the Sp. of Faith and Resignation wch will guide you thro all your tryals and difficulties and bring you into his essential and eternal Rest. Whilst we are in the world we must expect to partake in the common calamities of countries and kingdoms, some one way and some another ; but all under the all-wise conduct and providence of our Divine L.M./1 who if we faithfully adhere to him, will preserve us from the evil of the world and from being hurt by the Spirit that reigns in it. He will hide us in the Secret of his presence from the pride of man.

Our Lot is fain indeed in perillous times, in wch nothing is to be seen or heard from every quarter but trouble, confusion, distress. But the Lord reigneth and will make all turn to good in the end. Your Lop I suppose has the publick Newspapers /3 once a week, and they will inform you of the late changes here, as also of some of the footsteps of providence in other parts.

I most heartily commit your Lop and all yours to the Grace and holy protection of the Almighty and remain in the most tender and affectionat manner

Your Lop's in L.M./1

The freiends here most humbly salute your Lop. and I shall not fail to recommend to M.S.M./4

ce 19 Mars./5

M.K./6 Je m'interesse beaucoup à votre affliction sur la Mort de votre fils ainé ; mais je vous diray ma pensée ; c'est que Dieu l'a enlevé du monde de peur qu'il ne se corrompit, parce qu'il l'a aimé & qu'il vous aime. Il y a peu de fond à faire sur la pieté des enfans. J'avois mon cadet qui a marqué des sentimens pour Dieu bien au dessus de son age jusqu'à faire par sa foy des choses qui ne paroissoient pas naturelles, cependant come il étoit très beau il n'a pas été plutot dans le Monde que les ferres l'ont corrompu. J'avois une petite fille dont la pieté étoit très edifiante & sa beauté charmante. J'ay remercié Dieu qui l'avoit enlevé du monde avant qu'elle pût aimer le monde. Ainsi croyez moy le maitre qui connoit l'avenir


1 " Little Master."

2 V. pp. 107, etc.: a favourite phrase.

3 V. Chalmers, Life of T. Ruddiman (1794), Appendix 6, especially, pp. 432-4.

4 Madame Guyon.

5 Here follows a copy of Madame Guyon's letter of sympathy and consolation. Text according to Keith.

6 Dr. James Keith.

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fait tout pour le mieux ; et ce que nous croyons des pertes sont des grands gains.

J'assure Md. votre epouse que je l'estime et luy souhaitte en J. Ch./1 le veritable bien. Je ne puis neanmoins avoit peine de la mort de Mr. son fils connoissant le P.M./2 comme je le connois. Je vous assure que lorsqu'a trouvé le secret d'être un en Dieu on est aussi present de loin que de près./3 Ma santé est mauvaise : c'est une fievre et un degout depuis un an. Je sens que la Nature s'use et defaille. Je prie Dieu qu'il soit votre consolation et à Md. v. Ep./4 Vouz serez ravis de retrouver ce cher fils un jour dans le sein de Dieu./5

To The Right Honble. The Lord Deskford at his House at Boin near Bamff.


      1. XXXVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

June 11th, 1717.

MY DEAR LORD,

I had the honour of yours of May 9th and in a few days after forwarded the inclos'd to the Ven. M.S.M. /6 who by all our accounts at that time was again become extreamly ill. Her sickness, wch was a feaver—attended with a swelling and inflammation in her stomach with constant vomitings and difficulty of swallowing, encreas'd till the 9th of June N.S. our May 29th about 12 at night, when it pleas'd God to deliver her out of prison and to take her into his Eternal Rest./7 Blessed and adored be his holy will in all things. Let us be continually united with her in the heart of our divine L.M./8 who will not leave us orphans. A.R. and D.G./9 with the other two friends were then there, and were to set out immediatly for P./10 and the three last from thence for Holl. I have lately read over her Life,/11 wch is indeed in all respects most singular, and extraordinary, nor do I believe that since the days /12 of the Apostles there was ever any thing written like


1 Jesus Christ.

2 " Petit maître."

3 Cf. p. 113.

4 " Madame votre épouse."

5 Lettres, I, p. 400: " dans le sein de Dieu."

6 Madame Guyon.

7 V. following letters.

8 " Little Master."

9 Ramsay and Dr. George Garden. It is very interesting to have this statement that these Scots were at the deathbed of Madame Guyon. The other two friends mentioned were Lord Forbes and his brother James Forbes. V. Introduction.

10 Paris.

11 Vie de Madame Guyon, pub. in 3 vols. in 1719 : v. pp. 146, 151, etc.

12 V. p. 151.

it. Mr. P./1 will now set about printing it with all possible speed. There is a 3d vol of Letters /2 already out and the 4th in the press. When this is done both will be sent us.

Mr. Abercrom./3 after his return from Bath pay'd the Bill of L 9 of wch I immediately deliver'd to Mr. Dunlop for the watch./4 I have call'd frequently at Mr. Aber's /3 lodgings to talk with him about Mr. Bl's /5 affair, but never could find him. In the mean time whilst he was at Bath I wrote your Lop's mind fully to Dr. Ch./6 and pray'd him to take that opportunity of taking in the Accompts and adjusting them ; but he answer'd my letter in these words. " Mr. Aber./3 when here design'd to enquire about Mr. Bi's /5 debts, but he staid so short a time that I believe he did nothing in it. I have not been at Bristol since I came down, but if an occasion offers I will acquaint you from the proper persons what his debts may be, and I hope My Ld D fd /7 need not be sollicitous about it till the creditors find some way of acquainting him."

I hope to hear that My Lady is long before this time safely deliver'd of a living and healthful child,/8 and is in a fine way of recovery. I most heartily commit your Lop with my Lady and all yours, this infant in particular to the peculiar Grace and protection of the Blessed Jesus. May He be our Life, our Strength and our All ! /9 My wife was deliver'd of a son /10 the 1st of this instant, and most humbly salutes My Lady with your Lop. Our dear L.F./11 does also the same. His design of going further is now at an end.

LdDup./12 is here and in good health, as L.O./13 also is. It seems now certain that his tryal wch should have been the 13th will be put off. 'Tis thought the Lords will grant a longer day, but whether after that he will be discharged, or kept where he is till next session, is yet uncertain. He bears all with great patience and cheerfulness. The Indemnity /14 is not yet sent down to the two Houses, but is expected now in a very few days. There are several reports about the various exceptions and limitations of it but nothing to be depended on till we see it. God governs the world and will certainly over rule all for the best. The wrath of man shall ever praise him and the remainder of wrath will be restrain.


1 Pierre Poiret : v. later discussion of differences over this proposed publication.

2 V. pp. 109, etc.

3 V. p. 132.

4 For Mr. Dunlop u. p. io8. References to the watch pp. 141, 165.

5 Mr. Blake : v. pp. 139, 155.

6 Dr. Cheyne.

7 Lord Deskford.

8 Foreshadows the birth of a daughter, who became the mother-in-law of Henry Mackenzie, the Man of Feeling.

9 Again this favourite phrase : cf. pp. 507, etc.

10 Peter : v. Introduction.

11 Lord Forbes.

12 Lord Dupplin.

13 Earl of Oxford : v. p. 145.

14 It was promised by the King in his speech of Mar. 6 and reached the House of Lords on July 15 : v. Tindal, op. cit., XIX, pp. 158 ff. V. M N.E., p. 138.

Adieu My Dear Lord. My heart is united to yours in our dear M. and L.M./1 and ever remain in the tenderest and most affectionat manner.

Your Lop's etc.

To the Right Honble. The Lady Deskford /2 at Boyne near Bamf, p. Aberdeen.


      1. XXXVII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, including extract from letter of A. NI. Ramsay describing the death of Madame Guyon.


July 2d, 1717.

MY DEAR LORD,

My last of the 11th past gave your Lop an account of the decease of M.S.M./3 wch hapned the 29th of May O.S. Now this comes to tell your Lop that Ld O's tryal /4 wch began Monday June 24th was, after a great many disputes between the contending parties in each House, and one House against the other, entirely determin'd last night to the great joy and satisfaction of all his friends ; the whole issueing in his full discharge from all the Articles not only of High Treason but of high crimes and misdeamrs brought agt him by the Coms /5 of Gt. Britain.

After the first day when the charge was opened the Commons never appeared in Westminr Hall, because they never would agree to the method of proceeding prescribd by the Lords, wch was to go upon the Articles of high Treason first. The whole last week was spent in sending and receiving messages, and in debating and conferring upon them ; the differences at last became wide insomuch that neither of the Houses being willing to recede or yeild it to the other, and the Coms /5 not appearing in the Hall after Proclamation was made, the Lords proceeded to acquit and discharge Ld O./6 and the Ld H. Steward (Couper /7) did declare him acquitted. Through the whole course of the debate his friends in the House of Peers being powerfully assisted by the Malecontents (amongst whom none were more zealous than Arg. and Ila,/8) carried every question by a great majority, and indeed most questions without a division. His confinement has been

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in-deed long and close ; for he was impeach'd June loth 1715, and was comitted to the Tower July the 9th, having never been down stairs till he was brought to his tryal. God grant him Grace and improve both his sufferings and deliverance to the best advantage.

A.R./1 has sent the inclos'd by J.F./2 who is safely arrived here and with My Ld his Br./3 salutes you most affectionatly. Say nothing of it yet.

R./4 speaking of M.S.M. adds : " Sa mort a été semblable à sa vie. Elle a porté jusqu'à sa fin les états de Jesus crucifié, et est expiré enfin sur la croix avec une paix et une douceur où il paroissoit une insensibilité à tout ce qui est au dehors, mais ou je crois que l'Interieur étoit bien occupé, et d'une manière peu intelligible à ceux qui n'ont pas les yeux de la Foy. Elle est morte le 9 de ce mois (Juin N.S.) à onze heures et demi du soir. Elle me dit le matin avant et apres avoir reçu le saint viatique qu'elle étoit dans un état de delaissement extreme. Je compris que le P.M./5 la rendoit conforme à son état sur la Croix quand il dit, Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'avez vouS abandonné. Je le lui dis même et elle ne repliqua que ces paroles avec une douceur et un abandon parfait, Mon Dieu vous m'avez abandonné. Le reste du jour jusqu'à six heures du soir se passa en grands douleurs et souffrances. Alors elle reçut l'extreme onction et sembla perdre connoissance de tout ce qui est au dehors, et expira sans douleur, sans peine, dans un silence et paix profonde."

We are in hopes that her most admirable Life will be quickly put to the press./6 The 3d vol. of Letters is printed off but I have forbid sending it till the 4th wch is now printing be also done./7 The 20 copies of Télémaque /8 are not yet come. I shall send your Lop two of 'em. In the mean time my most sincere and intimate love always attends your Lop. in union with our dear 111.9 I most humbly salute my Lady and am

Your Lop's etc.

To the Right Honble. The Lady Deskford l0

at Boyne, near Bamf, p. Edinburgh.





1 A. M. Ramsay : v. no. xxxix.

2 James Forbes, returned from Madame Guyon's deathbed. His first appearance in England since the Rebellion. His licence to return is mentioned Oct. 7, 1717. v. Stuart Papers, V, p. 1o8.

3 Lord Forbes.

4 Ramsay on death of Madame Guyon. He was evidently present. Cherel (Fénelon, p. 56 note) seems inclined to doubt whether Ramsay was at Blois on this occasion.

5 " Petit maitre."

6 V. pp. 151, etc.

7 V. pp. 109, 130, 134, 154, etc.

8 The new edition of Télémaque mentioned p. 126 : v. also pp. 148, etc.

9 "Mother."

10 V. P. 133 n.

146


      1. XXXVIII. [FROM MARQUIS DE FÉNELON TO LORD DESKFORD, with postscript by A. M. Ramsay


The references to the death of Madame Guyon decide its date as 1717.)

A Paris ce 29 juin.

Mon cher milord. Apres la perte que nous auons faiste il ne nous reste plus que d'estre unis en celui qui ne nous manquera jamais et que nous deuons croire ne nous auoir priué de la presence sensible de N.M./1 que pour nous faire trouuer par son intercession un secours plus puissant, et plus conforme à nos besoins. Ceste bonne M./2 auroit estée, je crois, bien touchée si on lui auoit pû lire vostre derniere lettre qui arriva comme elle commencoit a agoniser. L'abbandon en Dieu, la perte de tout appui, et le detachement de toutte creature, et de tout hors Dieu est ce qu'il m'a semblé que le tems que j'ai passé aupres delle dans ces derniers moments de sa vie m'a montré dune maniere sensible estre la voye que je deuois suiure. Dieu veuille m'y rendre fidelle. J'ai esté consolé en volant dans ceste lettre que N.M./1 n'a pû voir que vous estiez dans des dispositions conformes à ce que Dieu me faisoit sentir. Soions unis mon cher milord malgré la distence des lieux. Je n'aurai jamais rien qui me soit si pretieux que de pouuoir esperer que j'aurai tousjours en vous un ami, et un frere dans le p.m./3 Dieu le veuille, et que je ne cesse pas de l'estre par mes infidelités. Je suis bien touché de la separation des amis avec lesquels j'ai passé un tems qui sera le plus doux de ma vie. Celui qui veut bien se charger de ce billet vous instruira de tout ce qu'il a vû avec nous. Il vous presentera aussi un petit present que vous m'auez permis de vous offrir. Je souhaitte qu'il vous fasse ressouuenir quelquefois de celui de qui il vient à qui l'honneur de vostre souuenir sera tousjours egalement cher et pretieux.

Je /4 ne saurois laisser partir cette lettre Mon Tres Cher Mylord sans vous marquer ma tendresse & mon respect. Je souhaitte infiniment que notre union fraternelle subsiste à jamais. Celle qui est dans le sein de Dieu sera notre lien. Les paroles me manquent mais mon coeur vous parle. Cor meum est apud te sine voce & silentium meum loquitur tibi./5

A Milord D-f--d.


1 " Notre mère."

2 " Mère."

3 " Petit maitre."

4 What follows is in different hand and spelling.

5 I have failed to trace this quotation. A. Baker in Holy Wisdom, 3rd Treatise, sect. III, ch. vii, § 6, and G. Garden in letter V of Cunningham Correspondence in this volume (p. 256) use Jerome's version of Ps. lxv, v. 1, " Tibi silentium laus est." Jerome in Ps. lxii, v. i reads " Apud Deum silebit anima mea."

147


      1. XXXIX. LETTER FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.


[There is no date, but the reference to the zo copies of the new edition of the Télémaque fixes it as 1717 and the reference to the departure of James Forbes who left for Scotland on September 2 settles the time of year : v. pp. 146, 151.]

A MYL. D./1

Nous avons perdu MTC Myl./2 la meilleure des mères, que dis-je perdu, elle nous est plus présente que jamais, & sera toujours le lien de notre union. Je vous envoye par Mr. J. F./3 trois livres que vous m'avez demandez autrefois : Les Cantiques du P. Surin, les Fondemens de la vie spirituelle, & le Catéchisme./4 J'ay crû que ces livres vous seroient d'autant plus agréables que je les ay reçu de NM /5 même, & que je me suis défait de ces dons précieux pour vous en rendre participant. Je vous prie de les recevoir de ma part comme un témoignage de mon respect & de ma tendresse. J'ay envoyé à Mr le Dr Keith vingt exemplaires de Télémaque /6 dont il y en a un pour vous. Je vous enverray de même tous les autres ouvrages du même auteur quand ils seront imprimés./7 Je vous prie de ne me point oublier, je ne vous oublieray jamais. Notre filiation & par conséquent notre union doivent être éternelles. Il me sera d'une grande consolation de recevoir de temps en temps de vos chères nouvelles. Personne ne vous est plus parfaitement devoué que moy.


      1. XL. [A very formal business letter from Dr. James Keith to Lord Deskford.]


LONDON,

Sept,. 10th, 1717.

MY LORD,

I had the honour of your Lop's letter of Aug. 25th upon the subject of your brother's s intended journey to Oxford, and deliver'd the enclosed

1 To Lord Deskford.

2 " Mon très cher mylord."

3 James Forbes.

4 V. pp. Ito, 151. The Cantiques (166o), Fondements (1667) and Catéchisme (1659) are the principal works of Surin. His Lettres (1695) and Dialogues (1704) are also to be noted.

5 " Notre mère " : Madame Guyon.

6 V. pp. 126, 146, etc.

7 Complete works of Fénelon : v. p. 165.

8 George Ogilvie. He had been to school at Dalkeith (Grant, op. cit. p. 307). After his Oxford studies he was admitted advocate at Edinburgh in 1723. He died unmarried in 1732 : v. Paul, Scots Peerage. There is a curious passage in Wodrow, Analecta, IV, p. 534, where he speaks of George Ogilvy as " a foolish young elder, they say of very loose

148

to Mr. Knight /1 who has maturely consider'd of the matter, and here has return'd an answer. 'Tis now about two years since he left the University, being settled vicar of St. Sepulchre's here in Town, but yet if it be desired he will certainly recommend the fittest persons and use his best Interest for your brother's service. He is clearly of ye opinion that it will be much cheaper and every way more convenient for the young gentleman to lodge in a private house, where he may also board, and have any one that's qualified come to him out of any College ; to read to him the Classics with the Roman History, Antiquities, and likewise what he has a mind to learn of the Mathematicks. For the last it may not be amiss to recommend him to Dr. Keil /2 who will find one to give him a course of the Mechanick and Experimental Philosophy. My Lord will no doubt take care to send a prudent man with him who is able to direct and improve him in all his studies, and also to watch over his health and morals. What the charge of his lodging, board and education with other necessaries will come to, cannot be particularly knowen till he is on the place ; and in settling all that I do not question but wch Hunter /3 who is there will be very assisting to him. I wish him success with all my heart and in the meantime giving my most humble service to the Earle of Findlater /4 and your dear Lady and with all possible respect

My Lord

Your Lop's most obedient servt. Ja: Keith./5

To the Right Honble. The Lord Deskford

at his House at Boyne, to the care of the Postmaster of Bamf

p. Edinburgh.


principles," but the point seems to be that he had expressed approval of a sermon which was generally condemned because of its broad spirit of toleration. A number of letters at Cullen House, including some from Lord Deskford to his father, deal with the character and career of this young man.


1 James Knight, b. 1672, educ. Merchant Taylor's School, London, and St. John's College, Oxford, where he became Fellow, Tutor and Greek Reader. In 1716 he became vicar of S. Sepulchre's, London, one of the most interesting of the old London churches. He died 1735. V. Foster, Alumni Oxonienses (1891). V. further pp. 152, 155, 160, 170 f., 179.

2 Dr. John Keill, Mathematician and Astronomer, elder brother of Dr. James Keill, Physician. Both were Aberdonians and copies of some of their writings are in Cullen House Library. V. D.N.B.

3 Not identified.

4 Father of Lord Deskford and George Ogilvie.

5 Few of Dr. Keith's letters have his complete signature as here. It is altogether a much more formal document than usual, and may have been intended for Lord Findlater's eyes as well.

149


      1. XLI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

[No year is stated but references to the death of Madame Guyon, to the Télémaque and to the arrival of James Forbes fix it as belonging to 1717. It would seem therefore to have been 'written on the same day as the previous letter, though different in style as well as in matter.]

Sept. l0th.

I would have answer'd my Dear Lord's letter wch I recd by Mr. Rud's /1 care in due time had it not been that I was not furnished with what I took to be principally wanted in it, namely some account of the last years and hours of M.S.M.'s /2 Life. The account of the most valuable part during the last years of her Life, I have not yet had, nor do I ever expect to have, her state being wholly inexplicable, but by a few general words, and indeed the fewer the better. As for her last moments, besides what I had from J.F. who will also tell your Lop what he saw and heard,/3 I shalt here transcribe what A.R./4 wrote me upon that occasion. His letter is of Aug. 7th.

" —Elle sentit depuis longtemps que Dieu l'alloit retirer, que sa mission étoit finie, et marquoit par l'oubly profond où elle étoit desappropriée. Ses souffrances ont eté extremes, et sa patience tout à fait chrétienne. Il n'y a pas grande chose à dire d'une ame que Dieu avoit toujours caché dans le secret de sa face, et qu'on ne pouvoit connoitre que par le silence du coeur. Il y a des saints qui parlent beaucoup en mourant. Il y en a d'autres qui n'ouvrent la bouche que pour dire avec J. Ch. sur la Croix, Mon Dieu, Mon Dieu, combien vous m'avez abandonné./5 Elle a porté ce dernier état de Jesus sur la croix, et m'a dit souvent le jour de sa mort. Je suis dans un delaissement extreme. Mais tout se passa presque dans le silence, jusqu'à ce qu'enfin elle perdit connoissance de tout ce qui se passoit au dehors." He adds, " J'ay eu ses ordres d'écrire ce que je say de sa vie ; mais en verité ses ecrits et ses souffrances sont si parlantes que je ne trouve presque rien à dire : et je croira- manquer à toutes ses instructions, si je m'etendois en eloges vagues et hyperboliques. Je prie Dieu que le V.P./6 ne tombe point dans ces entousiasmes outrés /7 où il est tombé en ecrivant la vie de Mlle B./8 où il la compare avec les autres saints, et l'eleve au dessus de tous


1 Mr. Ruddiman. V. p. 12S.

2 Madame Guyon.

3 James Forbes was apparently one of those present at Madame Guyon's death : v. p. 143.

4 A. M. Ramsay : accents, etc., as given by Keith.

5 M.N.E., p. 146. Madame Guyon several times in her writings turns specially to this incident : e.g. Lettres, IV, pp. 258 f. ; V, p. 156. So also with Tauler : v. Opera Omnia (1615), pp. 44, 436, 704, etc. Cf. also use by Francis de Sales and Fénelon.

6 Venerable Poiret.

7 V. pp. 154, 189 f.

8 Madame Bourignon. Her Life by Poiret appears in Vol. II of the edition of her works issued under his editorship at Amsterdam in 19 vols., between 1679 and 1686.

150

[Page 151:The Leyden portrait of Poiret. ]

depuis le temps des Apôtres./1 NM /2 en communiquant l'esprit de l'onction à ses enfans les detachoit du Canal,/3 et ne souffriroit point qu'on s'attachât à l'Instrument."

This last period brings to my mind what perhaps your Lop has not yet heard of, namely the very strong opposition /4 that is made by A.R./5 with all the other friends in Fr./6 against Mr. P's /7 printing and publishing that most valuable Life at this time, and in order to hinder him from doing it, they have represented the copy wch he has as defective and imperfect, and therefor have desir'd him to return it to them to be corrected by one wch they call more perfect. R./5 has written several letters (by their order as he says) to Mr. P./7 himself, to D.G./8 and to us here, to this purpose, wch is highly surprising to us all, and the more that he himself transcrib'd that very copy wch Mr. P. has, and sent it to him by N.M.'s /9 express order (having first carefully revis'd and corrected it herself) to be published after her death. But the good old man refuses to give it up and resolves to be faithful to the trust reposed in him. They on the other hand have they say strong reasons for delaying it, but do not say what they are. Ld. F./10 when you see him will acquaint your Lop with all this. He and his br./11 took journey for Scotid the 2d instant and I hope may be at Edbr by this time. L.P./12 and D.G./8 are well but when they will come over I cannot tell. When the 3d and 4th voll. of Lett./13 are sent me I shall obey your Lop's orders, but the 4th is not yet finished, nor are the Télémaques /14 come. One of the next they go upon will be les Opuscules Spirituelles /15 de Mr. L'Arch. de C. wch are said to be very fine. J.F./11 has his Sentinens de Pieté,/16 wch I have read. He has also P. Surin's Cantiques Spirituelles /17 for your Lop. It was M.S.M.'s /9 own book.

Mr. Abercromby /18 desir'd me to enclose your Lop's letters to him, but I forbear to do it till I have your orders. He went down by sea with his Lade about 3 weeks ago. I hope they are safely arrived. With my best and sincerestwishes for your Lop. and your dear Lady and children in the tenderest manner, I am, ever,

Your Lop's etc. (address page torn off.)


1 Cf. p. 143.

2 " Notre mère."

3 Lettres, V, Anecdotes et reflexions, p. iv : " Madame Guyon n'a été que le canal, et l'Esprit de Dieu s'est servi de cet organe."

4 Cf. next letter. This confirms the date of the letter as 1717. Regarding this controversy v. also Introduction, and the discussion in Cherel, André Michel Ramsay, pp. lo6 ff.

5 A. M. Ramsay.

6 France.

7 Pierre Poiret.

8 Dr. George Garden.

9 Madame Guyon.

10 Lord Forbes returned from the Continent.

11 James Forbes.

12 Lord Forbes of Pitsligo.

13 V. pp. 109, etc.

14 V. pp. 148, etc.

15 Fénelon's Oeuvres spirituelles were published at Antwerp in 1715 in 2 vols.

16 Pub. Paris, 1713, and later editions.

17 V. P. 148.

18 V. p. 132.

151

      1. XLII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Octr. 29th, 1717.

MY DEAR LORD,

'Tis above a fortnight since I had the honour of your Lop's Letter of Septr. the 3oth wch gave me ground to expect your brother /1 here about that time. I accordingly was enquiring of our countrymen as I met them whether they had heard any thing of him but did not see any that had, till three days ago Mr. Cun./2 told me to my great surprize that that day he met one who said the young gentleman had been here but was gone a few days before for Oxford. I had communicated your Lop's Letter to Mr. Knight,/3 who in order to do your brother the best service he could has writ to a friend at Oxford about proper tutors or persons to instruct him in experim. philosophy, the Roman History and Antiquities etc. and had recd a full answer from him. However I hope he will meet with others there who will put him in a good way and indeed I cannot give any reason for his not coming or sending to us, but one namely that perhaps he never recd your Lop's letter desiring him to do it.

I hope by this time your Lop may have seen L.F. or his br./4 I have not heard from them since they went into the North, but writ to them about two weeks ago, and enclosed to L.F. A.R.'s /5 answer to his last letter and mine.

The Controversy /6 about printing M.S.M.'s Life is now I hope at an end. Mr. P./7 intends to put it into the press by Xtmas next, and I hope will be very carefull to avoid every thing that may give just ground of offence. I most heartily commit your Lop with my dear Lady and all yours to the Divine grace and protection of L.M./8 and remain in hast

Your Lop's most obedient humble servt.

I have recd the Telemaques /9 from Holld and expect the 3d and 4th voll. of Letters very soon.

To the Right Honble. The Lord Deskford at Craig of Bovn /10 near Bamf.

1 V. pp. 145, etc.

2 Perhaps Robt. Cunningham : v. pp. 99, etc.

3 V. pp. 149, etc.

4 Lord Forbes and his brother James.

5 Ramsay in correspondence with Lord Forbes.

6 V. pp. r14, 143, 146, 151, 159, 162, etc.

7 Pierre Poiret. The Life was not published till 172o, after the death of Poiret.

8 " Little Master."

9 V. pp. 126, 148.

10 V. p. 129.

152


      1. XLIII. [to Lord Deskford, the first part from A. M. Ramsay, the second from the Marquis de Fénelon]


[This Letter to Lord Deskford, the first part from A. M. Ramsay, the second from the Marquis de Fénelon, is dated only 22nd December ; but the references to Télémaque and to the Duke of Gordon show that the year must have been 1717.]

Je prens l'occasion du depart de Mylord Duc de Gordon /1 pour vous envoyer, Mon cher Mylord, un livre de Mr. l'Archeveque de Cambray/2 de la part de Mr. son Neveu./3 J'avois prié mes amis en Hollande de vous envoyer un exemplaire du Telemaque./4 Je seray bien aise de savoir si vous l'avez recû. Je ne manqueray point, mon tres cher Mylord, de vous envoyer tous les autres livres qui s'imprimeront de Mr. de C--y./2

J'ay un gout extreme pour mylord Duc de Gordon. Je le trouve doux, humble, sensé d'un naturel aimable, c'est dommage qu'il ne soit pas au p.m./5 d'une maniere parfaite. Il me vient au coeur que vous devez cultiver son amitié pour cet effet, et ne point negliger les occasions de gagner un coeur si digne du p.m./5 Je laisse place au cher Marquis /3 de vous dire un mot et je conclus avec les assurances d'un respect et d'une tendresse inviolable

Ramsay.

ce 22 Xbre.6

The Right Honorable My lord Deshford.

Je profite avec joye de la place que R./7me laisse icy mon cher mi : /8 pour vous renouveller des assurances d'un attachement qui ne finira jamais. Les liens qui l'ont formé seront j'espere indissolubles entre nous. Recevez le petit present dout R./1 vous parle. Je souhaitte que vous y trouviez nouriture pour le coeur, car tout ouvrage qui ne porte pas ce caractere me paroist frivole et vain. N'oubliez pas un homme qui vous est acquis par des titres au dessus des liaisons communes. Souvenez vous de moy où vous savez qu'il est bon de souvenir les uns des austres.

Que ne vous diroi je point si je me laissois aller à tout ce que mon coeur m'inspire. La connoissance que j'ai eu l'honneur de faire icy avec monsieur


1 Alexander, 2nd Duke of Gordon, had as Marquess of Huntly been at Mar's hunting in August, 1715, and was one of the Jacobite leaders until after Sheriffmuir, when he surrendered. After a period of imprisonment in Edinburgh Castle he was released and went abroad. He took no further share in the Rising. It is interesting to find such a friendly description of him as is given by Ramsay and by the Marquis de Fénelon. V. Rae, History of late Rebellion (1718), A. and H. Tayler, Cess Roll of Aberdeenshire. pp. 31 f. ; Stuart Papers, IV, V, and VI ; Paul, Scots Peerage, IV ; D.N.B..

2 Fénelon.

3 Marquis de Fénelon.

4 V. pp. 526, etc.

5 " Petit maitre."

6 December.

7 A. M. Ramsay.

8 " Milord."

153

le duc de Gourdon /1 me confirme de plus en plus dans le goust et l'inclination que je me sens pour l'Ecosse. On m'en fait quelques fois la guerre en ce pais cy, et je ne m'en deffends point. La vertu et la simplicité écossoise m'ont seduit. Je le serai tout a fait si je puis comter sur des bontez et sur une amitié du prix de la vostre.


      1. XLIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter from Otto Homfeld./1

Janry. 7th, 1717/18.

MY DEAR LORD,

I had the honour of your Lop's Letter of Novr 24th above three weeks ago, and not finding anything in it that requir'd a speedy answer I was willing to put off writing till I should have something more particular from our friends in Holland concerning the Life and other writings de N.S.M./2 I have accordingly had a letter from Mr. Homfeld,/3 and also since that have receiv'd the Third and Fourth voll. of Letters./4 These are but just sent in, so that I have not yet had time to look into them. By the letter of advice I have they are larger than the two former and will be sold 6d dearer so that the 2 voll will come to 4 shill. I shall enquire for a convenient occasion of transmitting six of them to Mr. Rudiman /5 for your Lop, and one more for J.F./6 to compleet his sett. I shall likewise send the 2 Télémaques ' I promis'd before, to be dispos'd off as your Lop thinks fit. Your Lop will be glad to see what Mr. Homf. . /8 writes of Mr. R. . . ./9 " I1 semble non seulement revenir de son opposition à la publication de la vie de M.S.M. surtout, après avoir entendu qu'on ne la fera pas avec tant de precipitation que les amis de dela s'étoient imaginés ; mais aussi il promet de nouveau de travailler tout de bon à un supplemt ou à une continuation selon que N.M./10 nous a écrit plusieurs fois qu'il le devoit faire. Nous esperons ainsi que l'allarme qu'on avoit pris là dessus se sera appaisée, et que le P.M./11 continuera à assister le v. P./12 à preparer cet ouvrage pour la presse. Il ne vient que


1 V. p. 156. He seems to have made an excellent impression wherever he went abroad. He had a handsome appearance, and kindly manner. The fact that he was a Roman Catholic also made him more acceptable in certain quarters.

2 " Notre sainte mère " : Madame Guyon.

3 V p. 117, etc.

4 Pp. 109, 117, 137, 139, 144, 146, etc., Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui régardent la vie intérieure ou l'esprit du vrai christianisme : pub. 1717-18.

5 V. p. 139.

6 James Forbes.

7 V. p. 146.

8 Mr. Homfeld.

9 A. M. Ramsay : v. p. 151.

10 " Notre mère."

11 " Petit maitre."

12 " Venerable Poiret."

154

d'achever la revision des Oeuvres Spirituelles de feu Mr. de C./1 qui s'impriment à present actuellemt, mais aux seuls depens de Mr. Wetstein./2 Ces ouvrages feront 3 ou 4 volumes tels à peu près que ceux de N.M./3 Sans doute que les amis d'outre mer seront bien aisés d'en avoir quelques exemplaires, et Mr. Wetst./2 se fera un plaisir de vous en envoier autant que vous en souhaiterez." L.P. and D.G./4 are well and give their kind service to all friends. Dr. Ch./5 who is now here gives his most dutifull respects to your Lop but has heard nothing yet from Mr. Bl's /6 Creditors.

Mr. Knight,/7who salutes your Lop with great respect, had a letter from your brother /8 with yours enclosed, and one also from Mr. Parker /9 in whose


1 Œuvres spirituelles of Fénelon, 1718. V. pp. 151, 159, 162, 164 f.

2 V. p. 117.

3 " Notre mère."

4 Lord Forbes of Pitsligo and Dr. George Garden still in Holland. A letter of about this date from the former (preserved at rathes Castle, Kincardineshire) says : " I have sent so many of your books in this ship according to the note at the foot. I shall buy some more and send them with another that all your stock may not be in one bottom. . . . You'll see also what pains and time men bestow upon things that are not of great consequence and how the most valuable things are of the lowest price when you compare Macarius works with Petronius and Burman's. I coud say with Dr. Swift, Surely every man is a broomstick."

5 Dr. Cheyne.

6 Mr. Blake. V. pp. 139, 144, etc.

7 V. pp. 149, etc.

8 George, Lord Deskford's brother, now a student at Oxford. V. pp. 148, etc. On February 4, 1718, George Ogilvie's attendant, Wm. Ogilvie, wrote to Lord Deskford from Oxford giving an interesting account of the young student's doings : " We continue still to lodge at Mr. Parkers and upon the tryal we have now had are abundantly persuaded there is no place besides in Oxford we could propose to ourselves as equally convenient. Its true there are now several who eat at his house, but since they do not lodge, we have by them no inconvenience, and may, whenever we encline, retire to read or otherways employ our time without disturbance. Mr. George has of late been employ'd upon Grotius his book de veritate religionis Christianae, and, after having trac'd him so far as he could find opportunity in his citations, appears to be pretty well satisfied in the strength of the arguments he brings. He has since begun Bp. Parker, father to Mr. Parker, his books de Deo and Demonstration of the truth of the Christian religion against Atheists and Deists, but they being somewhat large, he is scarcer- likely to have patience to go through. He is entered too upon Lock's Essay on Human Understanding and several other books in the Library, but is diverted from reading any one throughout by-the still fresh opportunity he there finds for change. As to his masters he goes on with them in the manner he wrote your Lop, and is at present perusing with Dr. Kyle his Arithmetic, vulgar and decimal, in order to Algebra ; with Mr. Collins he reads Isocrates and Sueton alternately and has the composing ane oration or writing a version now and then prescribed him as extraordinary task. He still keeps his flute master, but upon the end of the 3d moneth dispensed with his writing master, believing he could equally profit by a good copy-book." This letter is at Cullen House and there is also a short letter from George Ogilvie himself to his father dated Feb. 9, 1717 (1718) which confirms the details.

9 Apparently Samuel Parker, nonjuror and author, son of Samuel Parker, Bishop of Oxford. For both v. D.N.B.

155

house he lodges. These came soon after my last to your Lop. Mr. Knight return'd an answer to both. He speaks very well of Mr. Parker as a sober and learned man, but does not know Mr. Collins./1 He has quitted his Fellowship at Oxford and has no thoughts of returning thither in hast. In the meantime I'm sure none would be more ready than he to serve Mr. Ogilvy /2 were it in his power.

I long mightily to hear from our Dear Ld. F. and his Br./3 One told me that the first was expected here quickly but I know nothing of it, not having heard any thing of either since they went from Edbr. D. G.—don /4 is return'd from his travel's and is pressing hard to get a pr. seal for some 10 or 12 of his friends. The Parlt. meets again the 13th when 'tis apprehended there will be some hot debates. The differences between the Father and Son /5 continue and are come to that height that whoever visits the last is not admitted to see the first. The affairs of Christendom are still in a strange situation. No sign of peace but on the contrary of war, disorder an 1 confusion. But in pace et silentio erit fortitudo nostra./6

I rejoyce My D. Lord to hear of your health and Dear Lady's. Never a day passes without my thinking more than once of you, and indeed I may say without my being present with you. I unite my prayers with all the children of our Blessed L.M. in the heart of N.S.M./7 May the Holy Spirit of our Jesus wch was so plentifully shed forth into that blessed soul, powerfully live and reign in us, and be our Life, our Strength and our All ! /8 May every thing of self and nature and whatsoever is unworthy of his Holy Presence be wholly consum'd in us, that his Name alone may be exalted, and his will be done in us and by us in time and eternity. Amen. I commit you and yours My Dear Lord to his holy conduct and protection and remain always.

Yours etc.

To the Right Honble. The Lady Deskford at Craig of Boyne near Bamf.


1 V. P. 155 n.

2 Ibid.

3 Lord Forbes and James Forbes.

4 V. p. 553 : cf. Stuart Papers, VI, p. 18o, where there is a letter dated a few weeks later than Dr. Keith's (March 23, 1718) and stating that the Duke of Gordon " was to get a privy seal for so or 12 persons." The letter is from Lord Forbes of Pitsligo.

5 King George and the Prince of Wales : v. Tindal, op. cit., xix, p. 169.

6 Isaiah, xxx, 55. The Vulgate has : In silentio et in spe erit fortitudo vestra.

7 " Little master " and " notre sainte mère " : cf. p. 159, " united in heart of ..."

8 V. p. 107.

9 V. P. 133 n.


      1. XLV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

March 8, 1718.

MY DEAR LORD,

Before I had the honour of your Lop's last Letter of Feb. 9th I had sent in six of ye 3 and 4th voll. of Letters/1 for your Lop (with one more for J.F./2) and 2 Télémaques,/3 in a bundle and directed to Mr. Rud./4 at Edr, to be carried down by an Edr. stage coach./5 But the coachman having got his number of passengers sent them back to me the night before he went out of Town. I could not since hear of any other occasion by land, and therefor gave them in some five or six days ago to Mr. Abercromby /6 to be put up with other things wch his Lady has got ready to send down by sea. I also delivered to him four ounce bottles of Hall's Elix. propriet. and one ounce of the best Confect. Raleighana. The 4 ounces Elix. cost ten shill, and the i ounce of Rawl's Cordial 12. Mr. Aber./6 has payed me for all. The last is a dear medicine yet I have ventur'd to send it, tho' without orders, that My Lady might not be without it in case of need, for I have often prescribed it and found it good. It is chiefly proper in pains of the stomach occasion'd by sharp acrid humors, either lodg'd there or return'd by a translation of a rheumatick or goutish juice upon it : and likewise in what is commonly call'd a sinking or lowness of spirits. The dose is from a scruple to half a dram i.e. 20 to 3o grains, in any warm vehicle, as barley —Cinnamon water, compound poeony water. 2 or 3 spoonfuls, or the like quant. of warm sack or white wine. The properest time of taking it is with an empty stomach, or at night going to bed. In cases of violent pains we give of it to 2 scruples or even a dram. As for the Elixir,/7 'tis certainly the best in Town. The usual dose of it is from 4o drops to a teaspoonful in a little fair water, or wine and water in the morning fasting or half an hour before dinner. It will keep good many years.

I had a letter from R—y /8 about 3 weeks ago—in wch he acknowledg'd the receipt of your Lop's, express'd his earnest desire to hear from Ld. F./9 and added that in a little time he was to go towards Italy with his pupil./10


1v. p 154.

2James Forbes.

4Pp. 139, 554. " Mr. Ruddiman at Edinburg”

5V. Introduction.

6v. p.132

7In a letter to Lord Deskford, Sept. 15, 1714, his wife urges him to be careful of his health and says " particularly the elixir you use to gett from Dr. K-, bring some of it down " : (Cullen House) .

9Lord Forbes, who, as well as Lord Deskford, is in correspondence with Ramsay cf. P. 141.

10 V. p. 16o.

157

He said nothing of N.M 's Life,/1 nor did I mention anything of it to him. Dr. Ch./2 who setts out again for Bath next Monday, salutes your Lop with great respect, as do all our other friends here. I'm told Ld. Dup./3 with my Lady etc. are expected in Town in a few weeks. I don't question but Mr. Aber./4 acquaints your Lop with the current News of this place from time to time. Things are still in a very strange situation both here and all over Xtendom : but God governs the world and will at the appointed time bring his great and good ends to pass. Emittet Spiritum et renovabitur facies terrae./5 May He be our only Centre /6 and our all ! When we descend into that Centre and feel the Holy Presence of our L.M./7 we find an absence of and a security too from the mighty disorders of this world ; and how true it is, abscondes eos in abscondito faciei tuae a conturbatione hominum./8 I commit you My Dear Ld to the powerful protection of his Holy presence. I never cease to remember you in the best manner I can with My Lady and all yours whom I salute with all possible respect and remain always

Your Lop's most obed. humble servt.

I have never had a letter from Ld. F./9 since he went from Edr. I long to hear how he and his br./10 do and whether they are likely in any tolerable manner to settle their affairs with their creditors. I hope the divine providence will watch ever and assist them.

To the Right Honble. The Lady Deskford /11 at Boyne near

Bamf.


1 V. p. 151.

2 Dr. Cheyne.

3 Lord Dupplin.

4 Mr. Abercromby.

5 Ps. civ, V. 3o, " Thou sendest forth," etc. Quoted in variousLatin forms frequently by Madame Guyon. V. e.g. Discours, I, pp. 72 f., 77, 222, 342 ; II, pp. 35o, 3S3 ; Lettres, I, p. 684 ; III, p. 21 ; V, p. 140 ; and in French, Disc., I, p. 113 ; Lettres, I, p. 216.

6 V. pp. 93, 113 cf. use of this word by Benjamin Whichcote, the Cambridge Platonist (1609-83) : u. Sermons (Aberdeen edition, 1751), Vol. I, p. 298 ; II, p. 187 ; III, 19o, 245, 358, 374 ; IV, 69, 110 ; etc.

7 " Little Master."

8 Ps. xxx, v. 21 : quoted in French by Madame Guyon, Disc., I, p. J7 : Lettres, I, p. 351 ; IV, p. 59 ; V, p. 32. V. also Tauler, Opera amnia (1615), p. 609.

9 Lord Forbes.

10 James Forbes.

11 V. P. 133 n.

158


      1. XLVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

July 5, 1718.

MY DEAR LORD,

This comes to acknowledge the honour of your Lop's most acceptable letter of June 1 and most humbly to beg pardon for my long silence. I may justly complain with your Lop, if it be lawful for me to complain of anything that happens to me in the order of Providence,/1 that a hurry and multiplicity /2 of little business has been the great occasion of it. But amidst all that I can assure your Lop that never a day passeth without my being present and united with you au coeur de N.S.M./3

I was very glad to hear that My Lady and the children are well, and that the medicines and books are come safe./4 Les Oeuvres de Mr. de C./5 are not yet sent but we dayly expect them : when they come I shall not fail to send your Lop one. As for the Life,/6 'tis not yet put to the press, tho' it is above half a year since it was finally revis'd and prepared for it. The trouble and opposition wch Ven. P./7 has met with on that account is to me very strange and surprizing. 'Tis now past all doubt that the Daughter /8 who is a very artfull politick Lady is at the bottom of all, and that the M. of Fen./9 and A.R./10 have been in a special manner impos'd upon by her. I have recd an abstract of their letters to V.P./7 and Otto H./11 on that subject, and am both grieved and astonished at some hard expressions in them. What I foretold A.R./10 at the beginning of this unhappy controversy is too truly come to pass. May L.M./12 quickly put an end to it and prevent the evil consequence of it ! Next post I intend to write to L.F./13 fully of the matter in answer to his last on the subject.

I am glad to hear that he is in a fair way to settle with his creditors and heartily wish it were done.


1 V. p. 163 : cf. Fénelon (Letters to Women, Eng. trans., p. 32) : " to bear a cross laid on you by God's own hands in the order of his Providence."

2 V. pp. zoo, 163. Dr. Keith takes the special use of this word from the French version of Isaiah lvii, Io. The A.V. offers no similarity. Madame Guyon frequently quotes the verse—" Ils se sont égarés dans la multiplicité de leurs voies," and similar forms, as in Disc., I, p. 67 ; II, p. 117 ; Lettres, IV, p. 587 ; and she uses the word elsewhere as Keith uses it : Disc., I, pp. 67, 121, 221, etc. ; Lettres, II, p. 237 ; III, p. 286.

3 Madame Guyon : cf. Lettres, I, p. 240 : IV, p. 18o, etc.

4 V. p. 157.

5 V. pp. 155, etc.

6 Life of Madame Guyon : r. pp. 146, 151, etc.

7 " Venerable Poiret."

8 Daughter of Madame Guyon : v. p. 130 note.

9 Marquis de Fénelon.

10 A. M. Ramsay.

11 Otto Homfeld : v. p. 117.

12 " Little Master.

13 Lord Forbes : Keith in correspondence with him.

159

A.R./1 is now at Grenoble in Dauphiné with his pupil who is lately married there. He had thoughts of going on to Italy- but one who came not long since from P./2 told me 'twas believed he would rather return thither. D.G./3 who is in very good health writ in his last that L.P./4 had been some time at Ratisb./5 with the C. and B. of Metter./6 and was come to Vienna. Dr. Ch./7 is indeed extreamly fat but yet has pretty good health. He writes that he has for ever bid an adieu to London. But I believe he must alter his mind. Mr. Knight /8 salutes your Lop with great respect. The continual care of his great parish keeps at present from publishing any thing. His frd /9 Dr. Haywood /10 who is very well acquainted with your brother Mr. Ogilvie /11 is now in Town. He has given me a particular character of him and assures me that he applies himself very closely to his studies, and is in the way of making a great progress in them.

In fine, I most heartily commit your Lop and all yours to the all powerful Grace and protection of our Divine L.M./2 May He be our strength'and our all ! /13 Be not discouraged /14 at any difficulties that may happen thro hurry of business, awakening of passion or the like. These will often happen in the commerce of the world, but by meekly turning inward /15 and sinking down in the Divine Presence /16 they will quickly be dropt /17


1 A. M. Ramsay : v p. 157. He does not seem to have visited England till 1728 : v. Cherel, op. cit., p. 63.

2 Paris.

3 Dr. George Garden still abroad, apparently at Leyden. A letter from Lord Forbes of Pitsligo dated Munich, May 13 (N.S.),1718, and preserved at Crathes Castle, Kincardineshire, speaks of the journey here mentioned and shows him on his way from Leyden to Vienna, via Ratisbon.

4 Lord Forbes of Pitsligo : the Stuart Papers, Vols. VI and VII, include a number of references to Lord Pitsligo at Vienna in July to September, 1718. He seems to have moved on to Venice and to have been in Rome at the end of the year.

5 Ratisbon.

6 Metternich ; v. p. 102.

7 Dr. Cheyne : at one time he is said to have weighed 32 stones : v. Introduction.

8 V. pp. 149, 155, etc. Knight had published On Whiston's Historical Preface (1711), Primitive Christianity Vindicated against Arian misrepresentations and Whiston (1712), and other works mentioned pp. 17o f.

9 " Friend."

10 Thomas Haywood, D.D., fellow of S. John's College, Oxford. A manuscript letter in Brit. Mus. (15911, folio 33) mentions Mr. Knight and Dr. Haywood (Oxford) as well acquainted. A letter from Haywood (fol. 38) mentions proposals from Dr. Keith in regard to certain publications.

11 George Ogilvie : v. pp. 248, 155.

12" Little Master."

13 Again this phrase : v. p. 707.

14 V. pp. 8o, 163.

15 Introversion; v. pp. 83, 507 ; cf. Madame Guyon, Discours, II, p. II; S. Augustine, Confessions, Bk. X, ch. 27 ; Molinos, Spiritual Guide, ch. i ; Fénelon, Pious Thoughts, p. 26, etc. ; Walter Hilton, Scale of Perfection, ch. xlix.

16 V. pp. 76, 107, etc.

17 Pp. 93, ioo, etc.

16o

and forgotten. Patience, patience, Resignation and Silence./1 God is all and we nothing./2

I embrace your Lop in the tenderest manner possible, and remain most faithfully.

Your Lop's.

I kindly salute Mr. Aberc./3 and his good Lady with all other friends.

To the Right Honble. The Lady Deskford at Craig of Boyne near Bamf, p. Aberdeen.


      1. XLVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Septr. 30th, 1718.

MY DEAR LORD,

I have been long intending to write to your Lop, and have long'd as much to hear from you and to know how you and your Dear Lady do. Avocations and distractions of several kinds are never wanting to all of us and to me particularly, which again and again hinder me from saluting your Lop when I would, and conversing with you coeur à coeur oftentimes when I have a mind to do it. An opportunity is soon lost and not so easily recover'd. In the mean time I can't say that I ever forget you nor our Dear L.F./5 and J.F./6 but always desire to see and be united with you in the simplest and best manner au coeur de N.M./7


1 Patience, resignation and silence are words very characteristic of the Quietist and mystical vocabulary and very frequently to be found in the writings of Madame Guyon. V. e.g. patience in Lettres, I, pp. 235, 410 ; II, pp. 226, 309 ; Disc., II, p. 122 : resignation (abandon and renounce are more common), Disc., I, p. 179 ; II, p. 20 ; Lettres, IV, p. 391 : Silence, Disc., I, pp. 157, 168, 268 f. ; Lettres, I, pp. III, 114, 26o ; II, PP. 145, 237, 376, 464 IV, pp. 493, etc. Cf. A Short Method of Prayer (Eng. Trans. 1875), ch. 4 : " Wait in patience, with a heart humbled, abandoned, resigned and contented." The above passage is close to the language of Molinos who speaks (Spiritual Guide) of " silent and humble resignation " ; " internal recollection is faith and silence in the presence of God " ; " enduring with patience, persevering in faith and silence, believing that thou art in the Lord's presence " ; etc. Similar expressions are easily found in Francis de Sales, Tauler, Augustine Baker, etc.

2 A phrase most characteristic of Madame Guyon : v. Disc., I, pp. 162, 231, 378 ; II, PP. 4, 170, 245, 333 ; Lettres, I, pp. 351, 463, 542, 678 ; II, p. 226 ; IV, p. 558, etc. Cf. Baker, Holy Wisdom, pp. 196, 32o. An important principle also with John of the Cross : v. E. A. Peers, St. John of the Cross (1932), pp. 44 ff.

3 V. p. 532.

4 V. p. 129. B

5 Lord Forbes.

6 James Forbes.

7 " Notre mère " : cf. pp. 156, 159.

161


      1. XLVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

NOV?. 15th, 1758.

I had the honour of My Dear Lord's letter of Oct' 27th as also of a former dated Sept' 11th with L.F.'s /1 postscript of Oct. i2th. Both of 'em were most agreeable and welicome to me, as was likewise the joyfull account I had yesterday from Mr. Abercr./2 of your Lop's and My Lady's health with that of your dear children. May it please our divine L.M./3 to continue his peculiar care and protection over you all, and to preserve you and all of us in an humble and faithfull dependance /4 upon him from day to day and moment to moment. When one sees and observes his Hand in everything that happens, and constantly stands in the order of his Providence,/5 he will not be disturb'd at the strange disorders of the world, nor discourag'd under the variety of Crosses and the Multiplicity /6 of affairs wch almost unavoidably attend him. All those things must be suffer'd to go as they came, without any forecast /7 on our part or after-reflexion./8 Let not your hearts be troubled, said our Bl. Saviour, and again take no thought for tomorrow, for sufficient to the day is the evil thereof. Words of infinite Wisdom and Love ! Our daily experience will confirm to us the Truth of them. Besides, we must have great patience with our selves /9 as well as others, and be willing to bear our frailties, defects and Infirmities, as we see little children are, without even desiring to get rid of 'em before the time./10 And as the natural growth is utterly unobserv'd and insensible as to the moments of it, so likewise is the Spiritual. But in Him is Life and Strength and Perfection. He is all, we are nothing./11 The work is his


1 Lord Forbes.

2 Mr. Abercromby V. p. 132.

3 " Little Master." '

4 V. p. 162.

5 V. p.159.

6 Pp. 1oo, I59.

7 Lettres, I, p. 687: " écarter tout raisonnement anticipé ; la grace n'anticipe rien, ne prévoit rien."

8 Lettres, I, pp. 549, 155, 369 III, p. 98 ; IV, pp. 227, 470 ; Disc., II, p. 239 ; etc. Cf. pp. 83, 99.

9 Lettres, I, p. 235 : " Ayez une grande patience avec vous-même " ; p. 410 : " d'avoir beaucoup de patience avec vous-même." Cf. Fénelon, Spiritual Letters to Women (Eng. trans. 1887), pp. 96 ff.

10 Lettres, I, p. 44o : " Aimons notre foiblesse, puisque Dieu nous la laisse, et soyons comme les petits enfans. Lorsqu'un petit enfant est sale, il ne sauroit se nettoyer si on ne le nettoye." Cf. Mirror of Simple Souls (1927 trans.), p. 52.

11 V. p. 161 : cf. A. Bourignon, L'Académie (1681), ch. I.

163

Last week I sent your Lop one of Mr. de Cambr's Oeuvres Spiritlles /1 in 2 voll stitch'd, and another for Ld. F./2

They were deliver'd by Mr. Alexr. Garden /3 to one Mr. Shand /4 Mar of an Aberdeen ship and by him directed to Mr. Ja. Gelly /5 mert at Abd son to the late Afinr of Fordyce, who I'm told is knowen to your Lop and will take care of 'em.

I thought it better to take this occasion than to send them to Mr. Ruddiman./6

I am to write to Ld. F./2 in a few days and would have done it sooner had I not been expecting another Letter from Holld wch is not yet come. I hope by this time the Life/7 may be put into the press, but cannot yet be positive. I have had no Letter from A. Ry /8 since the beginning of July, but suppose he may be now return'd to P./9 with his pupil. There is one there whom I believe L.F. and his br./10 have seen, Md La D. de G—che /11 who is much esteem'd by all the friends of that side as inheriting most of N.M.'s spirit. I have seen two or three very sweet good Letters of hers.

These Oeuvres Spirituelles are mighty beautifull and fine, but to me they have not the pure Life and Unction of N.S.M.'s./12 I most heartily commit you My Dear Ld with all yours to the guidance and conduct of that blessed Spirit wch is the very Spirit of pure Faith and Love, Disappropriation /13 and Holy Dependance /14 and ever am in the tenderest manner.

Yours

(no address). J.K.

1 V. P. 155.

2 Lord Forbes.

3 Not identified. There are several possibilities.

4 Patrick Shand is frequently mentioned in the books of the Aberdeen Shipmaster Society (then Aberdeen Seamen's Society). In 1716 he was master of the Thomas, sailing from London.

5 Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit., VI, p. 288.

6 V. pp. 128, etc.

7 V. P. 159.

8 A. M. Ramsay.

9 Paris : v. p. 16o.

10 Lord Forbes and his brother (James).

11 Cf. Cherel, Fénelon au xviiie siècle en France, p. 163, quoting a letter which says " priez pour moi-, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche." It is pointed out, p. 163, that the Maréchale de Grammont " avait succedé à Mme. Guion dans l'état apostolique," her letters to pious correspondents are mentioned, and a letter from her is transcribed. This is the same person : le duc de Guiche took the title duc de Gramont in 172o on the death of his father. He was maréchal de France. V. Biographie universelle, xxi, pp. 626 f.

12 " Madame Guyon " : an interesting comparison. Writing to Val. Nalson (undated, printed in Nichols, Literary History, IV, p. 411) Dr. James Keith says, " You will be exceedingly pleased with the Oeuvres Spirituelles. They are indeed beautiful and fine beyond expression, and some of them, were they published in English, might be very useful to many, and especially to pave the way for receiving and tasting those of N.M. which to me are far more excellent, as coming more immediately from the fountain and having and deriving more life in them."

13 A favourite expression of Madame Guyon : v. Disc., I, pp. I I ff., 21, 64, 74, 203 ff. ; Il, pp. 231, 383 ; Lettres, III, pp. 351, 515, 524 ; IV, pp. 464, 484, etc. 11 Cf. pp. 8o, x63 ; v. Lettres, I, pp. 19o, 218, 407 ; III, p. 624, etc.

163

and He will do it./1 Let us only be little /2 and passive /3 and silent /4 before him.

I shall take care to foreward the inclosed to the Marq./5 I have no account of R's /6 arrival ; but I know he was expected about this time or sooner. Nor have I heard lately from our friends in Holld, but conclude from their last that the Life /7 is put to the press. I have sent the 2d part of it by L.F.'s /8 order to the Marq. and R./9 to be collated with what they have, and when they had done it prayed them to return it safe.

L.F./8 gives me some hopes of seeing him here this winter. I writ to him the 25th past and intend to write again speedily.

I shall be glad to hear that Mr. de C's Oeuvres Spirituelles are come to hand./10 If your Lop desires any more of them I will find another occasion to send them. In the meantime I remain always in the tenderest and sincerest manner possible

My Lord

Your Lop's most obedient and most humble servt.

To the Rt. Honoble

The Lady Deskford /11 by

Edinburgh to Bamf Scotland

free

Al. Abercromby./12


1 This suggests Isaiah xxvi, 10, a favourite text with Madame Guyon, who quotes it, e.g. Lettres, I, p. 659 ; IV, pp. 84, 157, 310 ; V, p. 511 ; Disc., I, 283. " C'est vous qui faites en nous toutes nos oeuvres."

2 A word constantly on the pen of Madame Guyon, e.g. in Lettres, I, pp. 77, 8o, 142 f., 175, 212 (" soyez bien petite et bien rien "), 215, 243, 370, 441, etc. Cf. Fénelon, Lettres spir. (Oeuvres, Paris, 1861), pp. 604, 6o6, 657, 664, etc. ; Vie de M. Renty, p. 328.

3 The word appears frequently in the writings of Madame Guyon, e.g. Disc., I, p. 182, " passif et petit," pp. 121, 143, 173 f., 177, 208, 269, 421.

4 V. pp. 1o6, 161. Great passages on Silence occur Molinos, Spiritual Guide, ch. xvii ; Baker, Holy Wisdom, pp. 23o ff., 489 ff. ; Fénelon, Spir. Letters to Women (Eng. Trans. 1887), pp. 3o ff. ; Imitation of Christ, I, ch. 20 ; Augustine, Confessions, IX, ch. 1o.

5 Lord Deskford in communication with the Marquis de Fénelon.

6 A. M. Ramsay expected in Paris.

7 The Life of Madame Guyon, v. p. 162. Writing to Val Nalson (undated, but apparently about this time) Dr. Keith says, " The Life I hope will be speedily put to the press, without consulting the French friends any further about it " (Nichols, Literary History, IV, p. 410).

8 Lord Forbes.

9 The Marquis de Fénelon and A. M. Ramsay.

10 V. pp. 151, etc.

11 V. p. 133 n.

12 Franked by Abercromby as a member of Parliament.

164

      1. XLIX. [The first part of this letter to Lord Deskford is from A. M. Ramsay, and the second from the Marquis de Fénelon.]

MY DEAR LORD,

Please accept of the small present I send your Lop by my Lord Pitsligo. 'Tis a compleat coppy of the good Archbps. works./1 J'ay prié aussy my lord Pitsligo de vous payer le prise de ma montre /2 que vous avez eû la bonté de payer pour moy a W. le Dr. Cheyne. J'ay oublié la somme mais vous vous en souvenir sans doute.

J'espère, mon cher mylord, que la fraternité qu'il y a entre nous ne sera jamais oublié et que nous vivrons toujours dans le même lieu à la plus grande distance./3 Ce lieu est notre centre/4 commun dans lequel je vous embrasse avec un tendre respect.

Ramsay,

à Paris ce 26 Fevr.

To The Right Honorable My Lord Desford.

a Paris le 26e Fevrier.

Je ne puis voir partir le my./5 qui vent bien se charger de cette lettre sans enprofiter mon cher et R./6 my./5 pour vous faire souvenir d'un homme qui


1 A letter from Lord Forbes of Pitsligo to Lord Deskford dated at Pitsligo, July 7, 172o, is preserved in Cullen House. The following is an extract : " You'll find the letters within of an old date, but Mr. Ramsay told me there was nothing in his that requir'd to be deliver'd in haste. There are some books from him, viz. the posthumous works of the Arch. Bp. of Cambray in a box with a few books of mine. . . , I suppose you know the Marquis de Fénelon's hand already. . . . Dr. Garden heartily salutes you. He came here just now in very good health." A further letter of Nov. 13, 172o, says : " I hope you shall find those books that were sent you by Mr. Ramsay at Edr. They have been for some time stopt with a parcell of mine in the Custom house of Enstruther, but I believe they may be out before now, and Mr. Munro will have them for your Lop. Dr. Garden wrote me yesterday he had got five or six coppys of the Life of Madame Guyon and as many of the Justifications and the Opuscules, all to be sold, the price of the Life is a florin and 13s., the Opuscules 1fl. is., the Justifications 2fl. 2s. These writeings are certainly a treasure. . . . I need not desire you to burn this."

These letters not only confirm Ramsay's letter given in the text, but date it as of 172o, and we gather also that Lord Forbes of Pitsligo returned to Scotland early in this year, apparently leaving for home about the end of February. We have also confirmation of the close relations between Lord Forbes of Pitsligo and Dr. George Garden, of Garden's movements at this date after his period of exile, and of Garden's share in the work of distributing the books of Madame Guyon.

2. V. pp. 131, 244.

3 A favourite thought with Ramsay (v. p. 137), and with Madame Guyon and Fénelon.

4 Another characteristic expression of the mystic : v. pp. 93, 113, 158.

5 " My lord."

6 " Respecté."

165

vous est tousjours également uni, et qui ne peut changer sur les sentiments qu'il a pour vous. Nostre ami vous en dira plus que je n'en pourroit mettre icy. Lorsque vous serez ensemble souvenez vous quelques fois de moy et honorez tousjours d'un peu d'amitié celui à qui elle sera toujours suprement pretieuse, et qui ne vous oublira jamais. Souvenez vous de lui auprez du p.m. Et soions tousjours de veritables enfants de N.M/1 Adieu cher milor pour qui mon respect égale mes austres sentiments.

pour my. d'Ex./2


      1. L. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

July 2nd, 1720./3

I rejoyced to receive My Dear Lord's letter of June 14th, and that yor Lop has at last come to a resolution of settling yor children with Lady Ann Allardes,/4 who has a very good character and will certainly take all possible care of their health and education. I pray God to bless and preserve them and to season their tender hearts with his Holy Fear and Love ; that they may become real comforts to yor Lop, and true children of L.M./5

I firmly believe and hope that He will ever be yor guide, yor counsellor and yor strength, to conduct you in all yor ways and support you under all yor difficulties. We are ever now and then apt to stumble and to


1 Notre mère."

2 " Mvlord d'Exford," i.e. " Deskford." V. p. 85.

3 There occurs here a considerable blank in the correspondence between Dr. James Keith and Lord Deskford. Letters in Cullen House seem to show that Lord Deskford was in Scotland throughout the year 1719--chiefly at Boyne and at Dupplin—so that there were probably some letters exchanged with Dr. Keith though these are not preserved. It so happens that 1719 was a year when it was impossible to do much in the way of the propaganda in which the group was interested. At the beginning of May Poiret took ill at his home in Rhijnsburg and on the 21st he died. The traffic in mystical literature depended almost entirely upon him. He had been preparing for the press more than one of Madame Guyon's literary productions, but none of these was brought out in 1719, and the Letters of Dr. James Keith begin again before the issue in 1720 of the Life of Madame Guyon, about which there had been so much unpleasant controversy. On Dec. 7, 1719, Lord Deskford was in London, but hoping soon to be in Scotland again.

2 Anna, youngest sister of the Chancellor Earl and aunt of Lord Deskford, married 1692 George Allardice of that Ilk who died 1709. She died 1735 : r. Paul, Scots Peerage, IV, p. 37 ; D. M. Rose, Allardices of that Ilk (pamphlet) ; Register of Burials in Holyrood House, p. I I ; Seafield Correspondence (S.H.S.), pp. 89 f. Various letters at Cullen House (e.g. a letter from Lord Forbes of Pitsligo to Lord Deskford, Sept. 15, 1722) are addressed " to be left at my Lady Ann Allardice's Lodgings, Edr."

3 " Little Master."

166

commit mistakes, but we must not be griev'd or troubled at them ; but rather own, and rejoyce in our infirmities, that the power of Xt may be made manifest in us. His providence overruleth even those and makes them best and most salutary for us. May his Holy Presence be ever in us and wth us !

I am glad the Books wch I sent by S. Th. Bruce /1 came safe. There were 5 of the Pious thoughts,/2 and 2 of Dr. Waterland's 3 Sermons. One of each I design'd for S. Pat. Murray./4 The price I shall set down on the other side, wth what I gave to Dr. Mead./5

I believe le Traité des Justifications /6 is by this time near finished, as is Mr. P.'s posthumous work./7 My next from Holld will give an acct. of them.

I have had no letter of late from R./8 but am assured he has absolutely quit the commission wch was given him in the Army, and obtain'd it for a friend of ours whom Ld. F./9 knows.

There is a strange Spirit gone forth both there and here of encreasing and multiplying money of a sudden./10 It has fill'd most people's heads and hearts, and turri'd them from the thoughts of every thing else. It has already had very uncommon effects, but what the issue will be God only knows. Even in this respect we live in a very trying time. God grant us Grace and strength to be faithful. I must now conclude with my best wishes for our Lop's wellf are and felicity, being always

My Lord,

Your Lop's most obedient humble servt.

J. K.


1 Formerly Sir Thomas Hope, Bt. of Craighall : v. p. 77 note.

2 Pious Thoughts concerning the Knowledge and Love of God (extracted from Oeuvres spirituelles of Fénelon), translated from French and published at London in 2720, along with a translation of Madame Guyon's Instruction from a Mother to a Daughter.

3 Daniel Waterland. D.D., Master of Magdalen College, Cambridge, Eight Sermons in Defence of the Divinity of Christ, 1720. He was one of the principal antagonists of Arianism in England. A copy of the Sermons is still in the Library at Cullen House.

4 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

5 Richard Mead (1673-1754), celebrated London physician : v. D.N.B. Robert Nelson (Secretan, Life, p. 177) refers to " the learned, judicious, and pious Mr. Mede."

6 Madame Guyon's Justifications, new edit. 2720 : 3 vols. V. M. Wieser, Peter Poiret, p. III : omitted by Wieser under this date, p. 341, though an earlier edition is mentioned. I'. also 11. `'.E., p. 163 n.

7 Petri Poireti Posthuma : pub. by Wetstein 1721 : v. M. Wieser, Peter Poiret, p. 331. The Posthuma includes a defence of James Garden's Comparative Theology : v. Introduction. It also includes an important account of Poiret himself.

8 A. M. Ramsay. There is no mention of this military project for Ramsay in any of the accounts of his Life.

9 Lord Forbes.

10 V. W. R. Scott, Joint Stock Companies to 1720, Vol. III, div. xiii : List showing new schemes, etc., 2729-20 ; Calamy, Hist..Acc. of my own Life, II, p. 430.

167

March 31, 172o to Dr. Mead L 2 2

Apr. 28 to Dr. Mead . 1 1

May 19 by Sr. Th. Bruce

I of Dr. Waterland's sermons 0 4

2 Pious Thoughts bound . 0 5

2 Pious Thoughts stich'd . 0 3

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L 3 15

To The Right Honble. The Lord Deskford

To the care of Mr. George Macky,/1 near Bamf, p. Aberdeen. North Britain.


      1. LI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

LONDON,

Sept. 20, 1720.

MY DEAR LORD,

I had the honr of yor Lop's letter of the 5th and rejoyced to hear of yor health and that of yor dear children, but especially of that meek and entire submission /2 of spirit to the Divine Providence towards you, wch I clearly perceive in it. May the H. Sp. of L.M./3 continually support and direct you, and perfect the good work wch he hath begun and carried on in you ! /4 That watchfulness over our selves and constant attention of Love to the divine presence, with naked Faith /5 and humble Resignation,/6 are what we must continually aim at, and indeed the certain means of bringing us to that frame and disposition wch or Lord requires.

I was some six weeks ago in hopes of seeing yor Lop here, and for that reason put off writing longer than I ought to have done, but having heard that yor resolution was alter'd I sent yor Lop a few lines the first inst. and


1 George Mackie was factor to Lord Deskford : v. document quoted Grant, Records of County of Banff, p. 353. His name frequently occurs in letters preserved at Cullen House. V. also p. 129 n.

2 Cf. Disc., I, p. 179 ; Lettres, I, p. 68 ; also Lettres, IV, p. 466 : " Dieu prend soin invariablement de lame qui se confie entierement à lui."

3 " Holy Spirit of Little Master."

4 Cf. Lettres, IV, p. 180 : " Jesus, que je prie d'achever en vous ce qu'il y a mencé " ; also IV, pp. 3, 103, 126.

5 One of the most characteristic expressions of Madame Guyon : v. e.g., Disc., I, pp. 6, 37, 48, 150 ; Lettres, III, pp. 4, 147, 242, 258, 286, 375, 432, 435, etc. 6 V. p. 161 n., 105, etc.

168

directed it for Bamf p. Edbr. I suppose it may not be come to hand. I recd. the Note of £6 i8sh. on Mr. Ab./1—and saw him some days after, but did not mention it to him. He was poor gentleman exceedingly dejected, being a great loser by the sudden fall of the Stocks./2 I am heartily grieved for him and his good Lady. He went for France /3 last Friday with Mr. Ogilvy of Rothemay./4 How long he intends to tarry there I know not.

Many here of all ranks are ruin'd by that Fall and many more hurt in their temporal estate. I wish all of 'em may humble themselves, and take it as a kind chastisement of providence for the pride, vanity and luxury, wch were growing exorbitant beyond measure. They talk much of retrieving their credit, but I believe it hardly possible to bring it to what it was. It has been a very strange scene both here and elsewhere, and will certainly produce very uncommon effects, all under the special conduct of providence.

Les Justifications /5 are now come over. I suppose some of 'em will be sent to Mr. Monro /6 from Holl'. Macariûs' will also be publish'd in English


1 Mr. Abercromby.

2 The slump in the stock of the South Sea Company took place August-September, 172o : v. Lewis Melville, The South Sea Bubble (1921) : y. M.N.E., pp. 171 ff.

3 A letter at Cullen House from Lord Deskford's sister, the Countess of Lauderdale, dated October, 172o, no doubt refers to this when it says : " My Lord is very angrie that Abercromey shoud a gone offe but he says it was becauess he had sume dealings with Messisippi that caned him over for ther is hundereds att London that are not able to perfrom there bargains and yet do not go out of the way."

4 Archibald Ogilvie of Rothiemav, one of the Jacobite leaders in the north. For some interesting details v. A. and H. Tayler, Ogilvies of Boyne, pp. 62 ff.

5 V. p. 167. The letter from Dr. James Keith to Val. Nalson printed in Nichols, Literary History, IV, p. 410, under date Oct. 15, 1718, is obviously not of that year but of 1720. It includes this reference to the book here mentioned : " I must also let you know that Mr. Vaillant has now received Les Justifications de N.M. en 3 vols. The price bound is 7s. 6d. ; and, indeed, reasonable enough, for they are much larger than the Life. I am sure you will like them, for they are wonderfully well done ; and not without a very extraordinary assistance. In a word, it is the best commonplace-book of that kind I ever saw."

6 William Monro here appears for the first time as the Edinburgh agent in the distribution of mystical literature. V. p. 125. Monro seems to have escaped the notice of all the authorities on the history of bookselling. He is probably the William Monro recorded in the Edinburgh Marriage Register under date February 4, 1720, as " S. of late Mr. Andrew M., minister of Thurso in Caithness," and married to " Isabel Gerrard d. of late William Gerrard, merchant in Aberdeen." Fasti Ecclesiae Scoticanae (new edit.), Vol. VII, p. 136, under heading Andrew Munro of Thurso, mentions a son William, a bookseller, but offers no authority. Mackenzie, in the History of the Munros, p. 387, has a similar entry, but says (without stating any authority) that this William the bookseller died unmarried. A letter from Monro to Lord Deskford, dated 23rd Nov.. 172o, is in Cullen House, and begins : " I had your Lop of the 15th yesterday and enclosed that for Dr. Keith to Mr. Abercromby, the Dr. having desired me to direct that way." He mentions professionally a number of recent publications, especially in History and [For note 7 ste following page.

169

next week. The Contraversies concerning the H. Trinity 1 are pretty


Travel. He also refers to an order from Lord Deskford for a Bible. There is an interesting reference to Monro in the letter written by T. L. Wetstein (e. p. 125 note) from Holland and quoted in a note in Remains of John Byrom, Vol. II, pp. 472 f. The letter dated 26th Feb. 1735, begins : " Dear Sir, Worthy friend and brother in Him who is our eldest brother and our head. To answer your queries, I must tell you that we are not acquainted with anybody in Scotland but My Lord P. (Pitsligo) and one Mr. William Monro, bookseller at Edinburgh, who have been here." The letter further mentions James Forbes, and his brother William, late Lord Forbes, George and James Garden, Dr. Keith, the Philadelphian Society, Madame Bourignon, and Mr. Homfeld. It is interesting to find Monro spoken of in such company, and personally visiting at the Wetstein place of business in Holland.

7 The letter from Dr. Keith to Rev. Val. Nalson quoted above refers also to the Macarius : " I have long since been intending to give you the 'trouble of a few lines ; but, having nothing that was urgent in point of time, I was always inclined to put it off till I should be able to give you some good account of Macarius. Now then I can tell you that it is entirely finished, and that the translation, I hope, as well as the paper and letter, will not be unacceptable. It makes a pretty large book of near 500 pages, and therefore the charge of printing it is considerable ; however, the bookseller is willing to dispose of it to subscribers and other booksellers at the very lowest price he can, which he says is 3s. 6d. in quires, and 5s. bound in the shop. You may remember I undertook for 5o of them, 20 of which you had hopes of disposing of amongst your friends and acquaintances. Please then to let me know whether you can still put off that number, and when and how they must be sent to you." Another (undated) letter given by Nichols (ITT, p. 410) mentions a copy of the 1526 Paris edition of the Homilies of Macarius (in Greek) as ordered from Vaillant for Nalson. The English translation to which Keith refers is Primitive Morality or the Spiritual Homilies of St. Macarius, London, 1721 (B.M. Catalogue). A copy of this is still in the Library at Cullen House. The Homilies are supposed to have been the work of Macarius, a 4th century monastic mystic in the deserts of Upper Egypt : v. Moeller, Hist. of Christian Church (1892), I, pp. 358, 409 ; 'Wieser, Peter Poirer, p. 221 ; but cf. G. Raüschen, Grundriss der Patrologie, pp. 234 f. Poiret praises the work of Macarius very highly, even declaring " spisitu sancto, dictante vindentur scriptae, earumque lectione saturari vix potent pia mens " (v. Epistola de przncipiis . . . mvsticorum, 1708, pp. 194 ff., 289 ff.) ; but cf. R. J. Vaughan, Hours with the Mystics, I, p.iii. John Byrom, speaking of Wm. Laws says, "I mentioned the old people, Hermes, Dionysius, Macarius, whom he commended, especially, I think, .Macarius," (Remains, II, part I, p. 113) : y. also J. H. Overton, Life and Opinions of Wm. Law (1881), p. 146. V. also Madame Guyon, Disc., I, p. 266 note ; M.N.E., P. 155 n.

8 Considerable controversy had been going on since the beginning of the century. Dr. Francis Gastrel published, 1702, Some Considerations concerning the Trinity which approved itself to the orthodox and went through several editions. The opposite side was taken by Dr. Samuel Clarke, notably in his Arian Scripture Doctrine of the Trinity (1712). To this James Knight replied, 1713, in an anonymous Scripture Doctrine of the most Holly and Undivided Trinity vindicated, which was published next year, with a prefatory letter by Robert Nelson ; and again in 1715, in further answer to Clarke, Knight issued (again anonymously and under the recommendation of Nelson) True Scripture Doctrine . . . continued and vindicated. Knight's first reply to Clarke is described by Robert Nelson as " a learned, acute and well digested performance, written with candour and good temper, and Dr. Clarke put forth his full strength in answering it " : (Secretan, Life of Robert Nelson, p. 269).

170

much at a stand. However Dr. Knight 1 is to begin his Lectures in a fortnight.

I am now forced to conclude wch I do wth my sincerest and best wishes to yor Lop and all yors, being ever

My Lord

Yor Lop's most obedient

humble servt.

J. K.

For the Right Honble.

The Lord Deskford

To Mr. William Monro

Bookseller at

Edinburgh.


      1. LII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Oct. 22, 1720.

MY DEAR LORD,

My last to yor Lop of Sept. loth, wch I hope came safe to hand, took notice of the great calamities and distresses of many here, occasion'd by the sudden fall of stocks ; /2 and particularly that several of our country-men had suffer'd considerably by them. And now I am to tell yor Lop how much I am griev'd to hear that these are beginning at home to prosecute and distress one another ; and without any bowels of compassion to do what in them lies to compleat the ruine of their friends and neighbours. I am enclin'd to hope that half of what I have been lately told is not true, but that most of those reports are groundless or malicious. To give your Lop an instance of one of 'em, wch I can't possibly believe, 'tis said that the E. of F--ter /3 has rais'd Letters of Inhibition agt. Capt. Aber.' to oblige him to pay to the E./3 one L 1000 subscription wch he had got for him. This seems very incredible to me, knowing the perfect friendship that has always been between the E. and the Capt: but especially considering that the E. had made no contract and ran no risque. It was the Capt's credit and money wch were engaged. For I well remember the Capt then told me, and indeed I thought it very generous in him, that unask'd he had procur'd by his interest 1000 subscription for the E. and another for yor Lop.


1 Refers to the Lectures founded by Lady Moyer. Knight's Lectures on the occasion mentioned were published in 1721 under the title Sermons on the Divinity of Christ and of the Holy Spirit. For Knight v. pp. 149, etc.

2 V. Lewis Melville, op. cit.

3 Earl of Findlater, father of Lord Deskford.

4 Abercromby of Glassaugh : v. p. 132.

171

Besides that subscription wch was the Third is sometime ago reduced to £400./1 And therefor in the opinion of some eminent lawyers here, all contracts made on the first subject are void in law. For wch reason many here who are able have discharg'd the contract and repaid the money.

I have always believ'd the Capt to be a very honest friendly man, most willing and ready to assist every one to utmost of his power. I am therefor the more concern'd for him, and pray that he may be supported under his difficulties and deliver'd out of 'em. He is much lamented by every one that knows him here, and none have offer'd to give him any the least trouble. I hope then the report above mention'd is false, and that yor Lop will be pleased to assure me of it./2


1 V. «. R. Scott, Joint Stock Companies to 172o (1911), Vol. III, p. 33o.

2 Dr. Keith as peacemaker. In this connection it is interesting to find at Cullen House a rough draft of a letter to be sent by the Earl of Findlater to Captain Abercromby about this very subscription :-

“ DEAR ABER :

" You'll be so good as to excuse my not vriteing in answer to your letter concerning the stocks, which I receiv'd about three weeks ago. My daughter Janet was so ill and I had such a tender affection for her that I cou'd think of nothing els, and on Christmas morning it pleas'd God to remove her by death, by which I have a very great loss and you are depriv'd of a faithful friend.

" You know I had no understanding nor trust in the stocks, and I doe with gratitude acknowledge that it v, as most friendly in you to make application to E. Sunderland on my son's behalf and mine, for some interest in the 3d subscription, and that without any commission from us or so much as acquainting us of it. However I assure you I wou'd never have approv'd of what you did in this, if you had not at the same time acquainted me by your letter of June the 18th that you had dispos'd of it even before Ld Sd's list was known, and secur'd for each of us a 1000 ster : premium from Mr. Paterson, without any advance, risk or uncertainty, and sent us Mr. Paterson's letter to you of June 17th wherby he secures the above premium of 500 L on each subscription and takes the venture of the subscriptions on himself. This being the state of this affair, and knowing nothing of the stocks but what you write, and it appearing that Mr. Paterson desires to be free of the premiums due to my son and me, in consideration of the unlucky turn stocks have taken, in case he make no other demand but this, I doe assure you, that I shal deal in it in as easy friendly and equitable a manner, with regard to the premium, as men of honour and justice doe in the like cases, and the premium is all that I have concern in, for as to the subscriptions, if Mr. Paterson had got 10,000 profit, which as they once sold, he might have had, we had nothing to demand, so if any loss does happen it must likewise be his, but ther is good reason to hope the parliament will so order it that these subscriptions will still be profitable to the proprietors of them, and I doe most sincerely wish it maybe so, for I wou'd have great pleasure in seeing both Mr. Paterson and you prosper, and all good men must be deeply concern'd, for the misfortunes of so many of our countrymen. I shal give you no further trouble at present, for I intend very soon to -write to you of my other concerns, and take your advice about my comeing up. I still depend on the continuance of your friendship, being ready as I ever was to doe you all the service in the power of . . ."

Lord Findlater's daughter mentioned in this letter was the wife of Wm. Duff of Braco. Her monument at Banff confirms the date of her death as Christmas, 172o, and not 1722 as in Paul's Scots Peerage, IV.

172

Ld. F./1 and our other friends are well and salute yor Lop with great respect as does in the tenderest manner,

My Lord,

IV Lop's most obedient humble servt.

J. K.

To The Right Honble. The Lord Deskford.


      1. LIII. [LETTER FROM DR. GEORGE GARDEN TO LORD DESKFORD.

Preserved at Cullen House. There is no date, but the contents point to 1721.

MY LORD,

I wish I had had the opportunity to have waited on your Lordship at this time. I am sorry that the copy of the Justification /2 which was designed for your Lordship never came to your hands. It was entrusted to my care. I called once at your lodging and the mistress said she knew not when your Lordship would be in Town and so I was advised to give it in to the Equivalent Office /3 which I did, and sent it thither from Mrs. Scots where I lodged. However, it seems it has miscarried. But I have another copy, which I would have given presently to the bearer, but he pretends he had no carriage for it ; but I shall take the first opportunity to send it. I wish your Lordship a prosperous journey, and am

My Lord,

Your Lordships

Most humble servant Geo: Garden.

For The Right Honourable The Lord Deskford.


1 Lord Forbes recently married and now residing for the winter in London : v. Introduction.

2 Madame Guyon's Justifications : v. pp. 167, 169. A letter from Lord Forbes of Pitsligo to Lord Deskford (Cullen House), dated Dec. 3o, 1721, says : " Dr. G. G. told me lately that his health is much broke. I had writt to him about the coppy of the Justifications, but he said your Lop had told him you wou'd be provided at London." There is a copy of this edition of the Justifications still in Cullen House Library.

3 The Equivalent Office in Edinburgh where Patrick Campbell of Monzie was a Commissioner : v. Introduction.

173


      1. LIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

Decr. 16, 1721.

Last week I had the hour of My dear Lord's letter of the 9th past and was not a little rejoyced to see it. Yor humble attention to our divine L.M./1 and yor watchfulness over yor self, cannot but be acceptable to him. Unto whom will I look saith the Lord ? but unto the poor, the humble and the contrite ; and to him who trembleth at my Word./2 This being the happy disposition wch he requires, it must not be disturb'd by reflex acts on what is past, nor with the perplexing thoughts of our selves, our follies and miseries./3 Our d. M's /4 advice always was, Laissez les tomber, et outre passez./5 O could we walk continually before him as little children, we shou'd always rejoyce in his holy presence, and take every thing that happens from moment to moment purely from his hand. Our natural infirmities and incidental follies may thus become instructive and salutary to us, and ought ever to be born with meekness and patience ; as parts of our daily Cross. May the Spirit of the Cross of Christ, wch is the Spirit of Love, of Wisdom, of Power, and of a sound Mind be given unto us and dwell in us, by wch we may be crucified to the world, and the world crucified to us!

Yor Lop's Reflections on the growing error of Fatalism /6 are very just and good, but I am the more unwilling now to enter further into the consideration of it, that I am made to hope for an opportunity of seeing your Lop here in a little time, and of discoursing that and other matters with you.

P. Posthuma /7 are come at last and Les Posies Spirituelles /8 en 4 tomes will be printed off in about 2 moneths hence.


1 " Little Master."

2 Isaiah lxvi. 2 : A.V. reads " To this man will I look, even to him that is poor and of a contrite spirit and trembleth at my word."

3 V. p. 163.

4 " Dear Mother."

5 V. pp. 93, etc.

6 No doubt referring to the tendencies encouraged by such influences as those of Hobbes. The Deistic controversy was beginning to assume first importance at this time and a number of important works on both sides had already appeared : v. J. Cairns, Unbelief in the 18th Century (1881). Lord Deskford seems to have been specially interested in the problem of Free Will : v. p. 184. The whole group disliked Calvinism.

7 A letter from Dr. Keith to Val. Nalson printed by Nichols (Lit. Hist., IV, p. 410) as dated from Devonshire St., Sept. 2, 1718, but quite obviously of a later year, refers to the Posthuma as not yet arrived, and explains that " the parcel has lain at the Hague ever since the middle of June, through the negligence and mistake of the booksellers. It was not directed, as I desired, to me but to Mr. Isaac Vaillant, who, being come hither about a week before, knew nothing of it ; and, though at my desire he writ again and

[For note 8 see opposite page.

174

L.F./1 and Mr. H./2 are well and salute yor Lop with great respect. I forwarded R.'s /3 letter in one of mine. L.K./4 is now I'm told in Scotld and my Lady on the road thither. Ld. Abd./5 is also well. I took occasion one day to mention yor Lop's kind and sincere remembrance of him. He express'd himself with great affection to yor Lop and charg'd me to assure you of his real respects. I return my humble thanks for yor goodness in mentioning my neph. Ross./6 I sent him something by Capt. Aberc./7


again for that parcel, was still answered that they had none of it, till at last, opening all they had received from Amsterdam, they found it. Now he is returned to the Hague I hope I may expect it in a few weeks."

8 Poésies et cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l'Esprit du vrai Christianisme, by Madame Guyon, 4 vols., 1722. Newton called the attention of the poet Cowper to these poems and he published translations of a considerable number : Poems translated from the French of M. de la Motte Guyon, 1782. Cowper mentions Madame Guyon's poetry in his Letters, and declares " her verse is the only French verse I ever read that I found agreeable ; there is a neatness in it equal to that which we applaud with so much reason in the compositions of Prior " : v. Correspondence of W. Cowper (T. Wright, 4 vols., 1904), Vol. II, p. 5. Also in another letter : " the strain of simple and unaffected piety in the original is sweet beyond expression. She sings like an angel, and for that very reason has found but few admirers " : ibid., II,p. 20. V. M.N.E., pp. 177, 178, 182.


1 Lord Forbes.

2 Perhaps Mr. Hay, formerly Alexander Falconer, husband of Countess of Erroll : v. pp. 118, 181. But the identification is of course the merest guess. There were also Hays of Montblearie, and the Kinnoull family bore the same name.

3 A. M. Ramsay.

4 George Henry Hay, 7th Earl of Kinnoull, previously referred to as Lord Dupplin, succeeded to the title on the death of his father in January, 1719 : y. Paul, Scots Peerage.

5 Lord Aberdeen, formerly referred to in the Letters as Lord Haddo, had succeeded to the title on the death of his father in 172o, and became a Scottish representative peer in June, 1721 : v. Paul, Scots Peerage ; Journals of H. of Lords, XXI, p. 541. 1'. also M.N.E., p. 185.

6 Apparently Alexander Ross, son of the Rev. Francis Ross (v. p. 133). V. F.E.S., new edit., III, p. 186. He became a well-known physician in Aberdeen. A Deed in Sheriff Court Records, Aberdeen, subscribed July 5, 1755, recorded July 14, 1772, is evidence of the family connection of Dr. Ross with the Tulliesnaught family to which Francis Ross belonged. Similarly with the record in the Commissariot of St. Andrews of the will of Lieutenant Alex. Rose (Feb. 9, 1776), where Dr. Alex Rose (the name is sometimes Ross and sometimes Rose) is cautioner for the executors. Dr. Rose reintroduced in Aberdeen the practice of innoculation for smallpox, which his uncle's Aberdeen friend, Charles Maitland, had introduced in London : v. Introduction, p. 59. V. further A. Munro, Account of the Innoculation of Smallpox in Scotland (1765), P. 4. Dr. Rose married in 1 755 a daughter of the deceased Capt. Alex. Middleton, controller of Customs and Postmaster at Aberdeen, niece of Brig.-Gen. John Middleton of Seaton, relative of the Earls of Middleton and granddaughter of Principal George Middleton, King's College, Aberdeen, who was a cousin of Dr. George Garden : v. Aberdeen Journal, Feb. 4, 1755. Dr. Rose died May 12, 1778 " at an advanced age," and the Ab. Journal of June 1, 1778, mentions that the furniture in his house in the Upperkirkgate is to be sold, " which can hardly be equalled in elegance, goodness and variety."

7 Capt. Abercromby of Glassaugh : v. p. 132.

175

and hope he recd it but above all wish he may behave himself so as to merit yor Lop's regard.

My best wishes ever attend yor Lop and yor dear children and am under many obligations, My Lord,

Your Lop's most obedient humble servt.

J. K.

To The Right Honble. The Lord Deskford.


      1. LV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.


DEVONSHIRE STREET, May 1, I722.

MY DEAR LORD,

Last night I rec'd yor Lop's letter of Apr. 22d with great satisfaction. I did not once suppose that yor Lop would be obliged to return to the Election of the 16 Peers,/1 however I am glad that yor Lop is now so near me. That body of men is exceedingly blamed and reproach'd for returning those very persons to represent them, who endeavour'd so unworthily to betray them last opportunity./2 All men will now believe that they approve of the design, and indeed if it should at any time take effect, they will neither pity nor assist them. I am sorry our dear Ld. F./3 was dropt. 'Tis no more than what I expected, for such always is the lot of L.M.'s /4 children. But patience ! 'tis certainly for his good. Better things are reserved for him. I suppose he is now on ye road hither. Yor Lop says nothing of the Boy Woodhouse /5 whether he be come ; or how he is lik'd. He went from hence above a moneth or 5 weeks ago, aboard Hamilton's ship, and no body here has heard from him since. His master who still gives him a very good


1 In connection with the General Election for the second Parliament of George I, the Scottish peers met at Holyrood Palace on April 21, 1722 : Hist Reg., 1722, Chronological Diary. pp. 16, 23.

2 The reference here is to the Peerage Bill which was to make 25 Scottish peers hereditary members of the House of Lords : v. Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, pp. 578 ff. A letter in Portland MSS., VII, p. 322, states : " Want of consent in the Scotch peers can never be pleaded again against the Peerage (Bill). They have fairly given their consent by choosing those again who were for it." Cf. Lockhart Papers.

3 Lord Forbes was a candidate, but was not elected. Lord Findlater who was not elected at this time was unanimously appointed to fill a vacancy in August, 1722 : v. p. 181. V. Journal of House of Lards, XXII, p. 4.

4 " Little Master."

5 One may suppose that this was a negro servant. Such boys were popular in London at this period when wealth had been coming (before the Bubble) from Colonial trade. V. p. 180. " Woodhouse " is heraldic term for savage.

176

character was lately with me. I then pay'd him 16 shill. for a blew rug coat and a hat for the Boy.

I have not yet been able to do anything towards publishing the first Treatise./1 The Town is empty at present. But I will try sometime hence. Our parcell of the Poesies Spirituelles/2 are at the Hague. They came a day too late for the last Bail, but Mr. Vaillant /3 expects another in a little time.

Ld. Sund's death was pretty sudden,/4 and not a little surprizing to many here. No alterations have yet happen'd upon it. But difficulties in time may arise and more hands will be wanted.

I shal be glad to hear often from yor Lop and do think we must write the common way, till we find out another. The new return'd Members here do all frank letters, but I have not seen one of 'em to-day. Indeed there are many in Town.

I have done when I have recommended yor Lop and all yours to the special protection of our Divine L.M./5 May he be yor Guide yor Strength and yor All.6 I ever am in the most tender and affectionat manner

Yor Lop's (Page with address torn off.)


      1. LVI. FROM PATRICK CAMPBELL /7 OF MONZIE TO LORD DESKFORD.

Only the first part of the letter is relevant to this collection and the rest is therefore omitted. Lord Deskford at this time was in London. The letter is at Cullen House.

Edinbr. 15 May, 1722.

I pleasd myself much in the hopes of seeing your Lop in Perthshire and was desappointed. I saw part of your Lops to Sr Patrick Murray /8

1 V. p. 173.

2 V. pp. 174, etc. : these were the last volumes issued according to the plans of Poiret.

3 Dr. Cheyne in a letter (Warner, Original Leiters (1817), p. 85) says he obtained Poiret's catalogue of mystics at " a Mr. Vailante's shop in the Strand " ; P. Vaillant was one of the publishers of N. Hooke's translation of A. M. Ramsay's Life of Fénelon (1723), and also of Fénelon's Pious Thoughts (172o) mentioned p. 167.

4 The E. of Sunderland, First Lord of the Treasury, died April 19, 1721. Lord Mahon (op. cit., II, p. 39) says " so suddenly that poison was rumoured, but his body being opened the surgeons discovered a disease in the heart." His wife was a daughter of the Duke of Marlborough. She had died in 1716. For his character and political intrigues and passionate temper v. John Morley, Walpole. pp. 47 f. ; Mahon, op. cit., I, PP- 355 ff ; II, pp. 39 f.

5 " Little Master."

6 Again this phrase : v. pp. 207, etc.

7 V. Introduction.

8 Ibid.

177

of Ochtertyre, and I reckon as you have occasion to talk with Dr. Keith you'l be able to setle what number of coppies of the litle books /1 proposd to be printed will come to our share, I mean to Mr. Monro /2 to be sold or if wee must alter the method of contribution proposd here and what will be more agreeable to the printers at London, Sr Patrick in all events is willing to come in to the measure that shall be setled by your Lop be what it will...


      1. LVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

June 16th, 1722.

Yesterday I had My Dear Lord's letter of ye 9th and now take this first opportunity to acknowledge it. Ld. F./3 has not yet said anything to me of the proposals wch have been made to yor Lop. Nor was it necessary. However, in the general I may venture to say the Rule you have set yor self is safe and good, and am from thence hopeful that the Divine Providence to wch you commit yor self and yor affairs, will certainly direct and guide you in the best manner. When the eye is single, the whole body is full of light./4

My Ld./3 has recd the Earle's /5 letter recommended to my care. This morning I saw Mrs. Popham./6 She shew'd me the picture /7 done by Gibson ready fram'd, and has promis'd me to get a case made for it. When that is done I will take care to pay for the case and send it down by sea as yor Lop directs. I will also at the same time send three setts of the Poësies Spirlies /8 bound and put up in a box. Mr. Zink /9 has not yet finished


1 V. p. 179.

2 Wm. Monro, bookseller, Edinburgh : v. p. 169.

3 Lord Forbes.

4 S. Matt. vi, 22 : a favourite text with Madame Guyon : v. Discours, I, pp. 23, 31, 295, 303 ; II, 167 ; Lettres, III, p. 533.

5 Presumably the E. of Findlater.

6 Brilliana, elder half-sister of E. of Oxford (Mrs. Popham, Tewkesbury), v. D.N.B. (Edward Harley) ; or Oxford's niece Anne (Mrs. Popham of Littlecote), v. Hist. MSS. Com., Portland .PISS., V, p. 521.

7 No doubt a picture of the first Lady Deskford, who died in this summer. Lord Kinnoull wrote to Lord Deskford on July 7, 1722 : “I believe Dr. Keith has sent you the copie of my poor sister's picture " (Letter at Cullen House) . Gibson may be Thomas Gibson, the painter : v. H. Walpole, Anecdotes of Painting in England, IV, P. 45.

8 V. p. 174.

9 Christian Frederic Zincke : v. H. Walpole, Anecdotes of Painting in England, IV, pp. 178 f. Young, the author of Night Thoughts, has the following lines in his Love of Fame, Satire VI (on Women) :—

I78

the little picture. He told me to-day he must have yet a fortnight or three weeks more to do it ; before wch time Will. Stuart I will certainly be gone. If no other safe occasion should offer, it must I think lie where it is, at least till yor Lop is better determin'd.

As to the design of publishing some little usefull books,/2 I hope the gentlemen yor Lop names will be assisting. The short Instruction /3 etc. is now in Dr. Knt's /4 hands. I have mention'd it once and Again to Mr. Innys,/5 who seems willing to undertake it, I engaging to take a good number of him.

Last week I had a letter from Dr. G. G./6 who I rejoyced to hear is in a much better state of health. He gives me a very good character of my nephew Ross,/7 and tells me withall that yor Lop was so kind as to remit him three Guineas, two at one time and one at another. I must beg the favour of yor Lop, when you return to the North, to let him (the young man) have two Guin. more, if it can be done with convenience and I will take care God willing to repay all the five. I cannot think of any other way of supplying him at present, and therefor hope yor Lop will forgive my freedom.

When I have shipt the things for Leith, I will advise Willm Garden /8


" You here in miniature your pictures see

Nor hope from Zincke more justice than from me.

My portraits grace your mind, as his your side.

His portraits will inflame, mine quench your pride :

He's dear, you frugal : choose my cheaper lay

And be your reformation all my pay."



1 In a letter of Jan. 2, 1727, to his Father (Cullen House) Lord Deskford sends greetings to his friend in London : " my friend Will Stuart whom I allways remember with a very sincere affection." At Cullen House there are several business letters from Will Stuart in London to Lord Deskford.

2 V. pp. 178, etc.

3 The Brieve Instruction of Père la Combe : v. p. 181.

4 Dr. James Knight : v. p. 149.

5 V. p. 188.

6 Dr. George Garden : v. p. 173 n.

7 V. p. 175.

8 Will Gairdne, Leith, has a letter recorded in Seafaeld Correspondence, p. 366, of date 1704. A letter from John Philip to his " Dear Cousine," June 6, 1710 (Cullen House) mentions " the meal qch is come safe to Leith and is in William Gardne's custody." A somewhat amusing letter from Will Gairdn, Leith, dated March 18, 1713, is also at Cullen House. Wm. Gairden, " incola de villa de Leith," appears in the Catalogue of Edinburgh Burgh Sasines, 4th Protocol of George Home, 17o9-15. Another Wm. Gairden, " writer in Edinburgh, son of Alexander Gairden of Troup," appears in Aberdeen Sasines, May 16, 1726. Wm. Gairden, writer in Edinburgh, who died in 1759, had a library of which the inventory is preserved in the Edin. Register House (Edin. Corn., Dec. 4, 1759), and this is of special note as containing the names of many of the books in which our group of mystics were interested, including the following : A. Campbell, Doctrine of a Middle State ; Poiret, de Eruditione ; Poiret, de Ideis (probably his de Natura Idearum) ; Poiret, Divine Economy ; Life of Poiret (perhaps his Posthuma which contains a short Life) ; Poiret, Bibliotheca Mysticorum selecta ; Ramsay, Life of Fénelon ; Fénelon, Télémaque ; Fénelon, Tables (v. Janet, Fénelon, p. 175) ; G. Garden, Apology for M. Bourignon ; Haywood, Man's Summum Bonum ; Meursius, Sermons ; etc. This is clearly the library of some one in close relation to our group.

179

by Mr. Monro /1 of it. I am sorry the Boy Jon Woodhouse /2 does not answer expectation. These Boys are used to a pretty strict discipline ; and therefor My Lady must give orders to have a watchful eye upon him, and to check him whenever there's occasion for it.

All I have now to add is my hearty and constant request to our divine L.M./3 that it may please him to conduct you in all yor ways to the perfect accomplishment of his holy will. May He be our Light, our Strength and our All !/4

All our friends here most affectionately salute yor Lop, and I am ever

Yor Lop's most obedient and most humble servt.

Ld. and Lady Kinnoull /5 and their family are well. She was about 3 weeks ago brought to bed of a son./6 This morning about 4 the Duke of Marlborough died /7 of an universal convulsion all over his body. He was at Windsor Lodge, and was taken ill in the beginning of the week. Several physicians were with him, but to no purpose. 'Tis not doubted but Cadogan/8s will succeed him in his command.

To The Right H(onble) The Lord De(skford) In the care of Mr. (Monro) Bookseller at Edinburgh.


      1. LVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

DEVONSHIRE STREET,

Aug. 14, 1722.

MY DEAR LORD,

I have been these two or three last posts unaccountably diverted from acknowledging the honour of yor Lop's last letter of the 28th past. In the mean time I took care to deliver that to Ld. Forbes, who said he would answer it next post, and who, I am confident, has inviolably preserved his friendship upon this occasion to the Earle and yor Lop. No body


1 V. pp. 169, etc.

2 V. p. 176.

3 Little Master."

4 Again this favourite expression : v. p. 107.

5 V. p. 175.

6 Edward : v. Paul, Scots Peerage. Hist. Reg. says a daughter was born June 13, 1722.

7 Died June 16, 1722 : v. Mahon, op. cit., II, p. 41 ; Stuart Reid, John and Sarah, Duke and Duchess of Marlborough (1914), P. 414.

8 Cadogan had been Marlborough's second in command, and did in fact succeed him as Commander-in-chief : v. Hist. Reg., 1722, Chr. Diary, p. 32.

180

here doubts but that the Earle will carry his election,1 and that in a few days we shall hear of his success.

As to the proposal for /2 printing some books in English, Munzie mention'd some-what of it in his last, and refer'd me to yor Lop's fuller account. I am now very glad to hear that it is like to meet with encouragement, from the worthy Gentlemen you name. There are materials enough as yor Lop well knows, but I'm afraid good hands will be wanted to translate. The only one I can depend upon at present is at York,/3 and it will (be) business enough for one here to revise and correct. Were everything ready we might I think undertake to publish to the value of about 6 shill. per ann. And that the number of books subscrib'd for of each impression, shall be distributed both here and there in proportion to the respective sums. If Mr. Hay /4 or Dr. G./5 should come hither I will not fail to talk with them. The Breve Instruction 6 is not yet in the press. Some accidents have


1 The Earl of Findlater had not been elected a representative peer at the last few general elections, including that in April, 1722, but the E. of Rothes died on May 3, and on August 15 the peers met at Holyrood and unanimously elected Findlater in his place : Hist. Reg., 1722, Chr. Diary, p. 39 ; G.E.C., Complete Peerage.

2 V. pp. 178, etc.

3 The Rev. Valentine Nalson, rector of S. Martin's, Colney St., York (not S. Michael's, Coney St., as in Nichols, Lit. Hist., IV, p. 408). Four letters from Dr. James Keith to Val. Nalson are printed by Nichols (op. cit., pp. 408-II), but indexed as from James Keith, D.D. The dates of the letters are, in at least two cases, obviously wrong : v. p. 169. A letter from Val. Nalson to Dr. Keith dated York, Sept. 22, 1722, shows he was doing translations of the Spiritual Poems, etc. His note asks what interest The South Sea pays, as a friend " would encourage them now they are brought to honesty by poverty." He adds, ' ` What news of ye Little Book ? " : for which v. p. 185. The letter is preserved at Cullen House. For further reference to Nalson, v. p. ISS. V. also Dr. Keith's letter to Val. Nalson (Nichols, Lit. Hist., IV, p. 409), wrongly dated Sept. 2, 1718 : " You may remember I once told you of a legacy left some years since by a charitable lady, for publishing religious and spiritual books. The will, because it had not been duly executed according to Law, was brought into Chancery, where it has ever since remained ; but at last, after one half at least of the sum left for pious uses was taken away, the matter is come to an issue, and we find that something considerable will be set apart for the above-mentioned purpose. Nov our friend Mr. Hoare, who is one of the trustees, has more than once talked of the subject with me, and withal prayed me to give his service to you, and request you to consider of what books or treatises you judge most proper to be published first, as most universally useful. He would have them such as are most adapted to vulgar capacities. I mentioned to him Blosius's Meditations for one, which I have of yours ; but it is too small to go about alone. There are several in English might be reprinted, being scarce and hardly known but to a few ; others translated out of Latin and French. But the difficulty here will be to find proper hands, who have leisure and inclination ; and, which is most of all, who are not unacquainted with the spirit of those illuminated authors. In the meantime your thoughts of the whole matter will be acceptable."

4 Perhaps the husband of the Countess of Erroll, formerly mentioned as A. Falconer,advocate : v. p. I18.

5 Dr. George Garden.

6 Brieve Instruction by Père la Combe (director of Madame Guyon, mentioned constantly in her Life). Poiret doubted whether this work was by la Combe (v. Wieser,

181

hindred us and besides other objections, there are 3 or 4 chapters intermix'd in ye transi. wch are taken out of Les Regles des Assoc. /1 which I think will be better left out, both that the first may go entire by itself, and in hopes too of getting the second printed in time. Blosius's Meditations on the passion /2 will come at the end.

I was glad to hear that the picture /3 with the Poesies Spirituelles /4 are come safe. Mr. Zink 5 has still the little piece in his hands, and when I call'd last it was not quite finished.

I thank yor Lop for supplying my nephew /6 with the 2 Guineas. I will God willing repay them thankfully. Dr. G./7 has writ twice to me about Mr. Campbell's Middle State.8 Last March I deliver'd two of them to

Peter Poiret, p. 309). He published it with the Opuscules Spirituels of Madame Guyon, vol. II, in 1712. Writing to Val. Nalson from London. May 29, 1718 (Nichols, Literary History, IV, p. 4o8), Dr. Keith says : " I agree with you that a translation of the Instruction chrétienne pour les jeunes gens would be very proper to accompany the Moien Court with its Apology, and that the Brieve Instruction de P. la C. might be made useful also to the welldisposed who are unacquainted with the internal way ; adding Blosius's Meditation on the Passions to it. When, therefore. it shall please Providence to give you time and facility, pray fail not to undertake them, leaving it to our Div. L. M. to find an opportunity of printing them for the benefit of his poor creatures." It is possible that the date given for this letter is mistaken : v. p. 181 n. For Madame Guyon's works here mentioned, v. Wieser, Peter Poiret, p. 341 (Instruction chrétienne pour les jeunes gens, preface to Vol. II, of Discours chrétiens) ; p. 34o, etc. (Moien Court, Madame Guyon's famous early work, and the Apologie pour le Moien Court).


1 Règle des associés à l'enfance de Jesus by Madame Guyon, pub. 1685 : v. Wieser, Peter Poiret, pp. 104, 340.

2 V. p. 181 n. Ludovicus Blosius (1506-66), a Flemish Benedictine, was author of a number of works mentioned by G. Arnold in his Historia Theologiae Mysticae (1702). Poiret issued the Exercitia in passionem Jesu Christi of Blosius in 1696—the work to which reference is here made. V. Poiret, Epistola de Princ. et Char. Mysticorum, p. 143 (also p. 134). There is a convenient volume of selected works of Blosius by Newsham (1859) entitled Manuale Vitae Spiritualis. Blosius is frequently referred to by Father Baker. V. also Fénelon, Oeuvres, II, p. I21, etc. ; Cuthbert Butler, Western Mysticism, pp. Io f., 305.

3 V. p. 173.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 V. P. 179.

7 Dr. George Garden.

8 In this connection we may note a copy of part of a letter written by Dr. George Garden from Aberdeen, Decr. 11, 1721, to Dr. James Keith. The copy is No. 757 among the manuscripts in Scottish Episcopal College, Edinburgh. It is of interest on account of the opinions expressed regarding Bishop Campbell's Middle State, of which a new edition had just appeared :-

" You may remember when we went to wait on Mr. Arch: Campbell at his lodgings the day before I parted from London he spake to us of his resolution to finish and publish his Treatise of a Midle State. I had never occasion to see the first edition, but now I have seen this second ; and indeed I do very much esteem it, and it has given me quite another idea of his sentiments and disposition with respect to true Christianity, so that I am very hopefull that it may be of good use to open the eyes of many, and to let them see what it is to be a true Christian, and to be indeed truly regenerated and

182

yor Lop to be put up with yor own books. No doubt they are safe, but yor Lop has not had time it may be to look for them. There was also a Raymund de Sabunde /1 for Ld. Pitsl./2

I should be willing to have another letter before your Lop leave Edbr. In the meantime my best wishes are always with you, and I do not question but the Divine Providence will conduct your Lop in all yor designs and affairrs, for yor real Good. I commit your Lop for this end to the protection of our Divine L. M./3 and remain

My Lord

Yor Lop's most obedient

humble servt. J.K.

To the Right Honble. The Lord Deskford

To the care of Mr. Monro Bookseller at Edinburgh.


      1. LIX. FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.


[No year is mentioned in the date, but the contents suggest 1722.]

J'ay reçu votre lettre Mon très cher Mvlord et je l'av donné à Mr. le Marquis de Fénelon. Voicy la réponse. Je feray attention à ce que vous


born again wch if begun here must certainly be advanced and perfected hereafter. Pray offer my service to him. I do indeed very much esteem him. . . ."

Hon. Archibald Campbell, D.D., was Scottish Episcopalian Bishop of Aberdeen, but resident in England, Jacobite, nonjuror. V. D.N.B. ; J. Dowden, Bishops of Scotland, pp. 404 ff. ; J. H. Overton, The Nonjurors, pp. 44o f. ; H. Broxap, The Later Nonjurors, pp. 12 f. ; and considerable correspondence in Scottish Episcopal College, Edinburgh. His well-known book here mentioned was first published anonymously in 1713 (copy in Edin. Univ. Library). Second enlarged edition, 1721 (not 1731 as D.N.B., nor 1719 as Broxap, op. cit.). A favourable judgment upon this curious but interesting work appears in Overton, op. cit., pp. 402 ff. V. also Broxap, op. cit., pp. 73, 322. There are two copies of the second edition still in Cullen House Library, no doubt the two here mentioned.


1 Raymund de Sabunde (d. 1432), Spanish theological and theosophical writer. V. M. de Wulf, History of .tIediaval Philosophy (3rd ed., Eng. trans. 1909), pp. 455 f. ; W. Fulton, Nature and God (1927), pp. 55 ff., etc. His Theologia naturalis was frequently republished but is best known through the treatment of it by Montaigne in his long essay, Apologie de Raimond Sebond. Sainte-Beuve says that the Theologia naturalis anticipates such works as Fénelon's l'Existence de Dieu (quoted Essais de Montaigne, edit. Louandre, II, p. 255, note) . This might account for Lord Pitsligo's interest.

2 Lord Forbes of Pitsligo. S

3 " Little Master."

183

me dites sur le libre arbitre. Je seray bien aise de voir les livres dont vous me parlez. Je voudrois bien que vous y ajoutassiez Cumberland de Legibus Naturae./1 Dans les intervalles de ma solitude qui ne sont pas mieux employés, j'écris un essay qui aura pour titre Ethicis Arincipia ordine mathematico enuccleata./2 On n'a pas encore ce me semble réduit les grandes vérités à des principes assez simples, assez féconds, assez clairs, assez suivis & arrangés. On trouve l'une ou l'autre de ces qualités dans les différents auteurs. Il seroit bon de les réunir. Je ne sais si j'en suis capable. Je travaille par obéissance, & dans l'esprit d'amour. Que tout périsse qui ne part & qui ne retourne à ce principe. Pour bien écrire il faut être prêt à ne rien écrire, avant que de commencer, écrire par obéissance enfantine, & être disposé à tout brûler quand on a finy. Voilà Noël qui approche. Entrons dans l'esprit de Jésus Enfant. Je vous suis dévoué au suprême degré. Je vous serois fort obligé de voir si notre frère et amy manque de quelque chose. J'entens Mr. Hooke./3 La vie de Mr. de C--y luy a beaucoup coûté de lettres & de peine. Je vous supplie de l'interroger sur les besoins qui me tiennent plus au coeur que les miens propres. Malheur à celuy qui a quelque chose à soy. Adieu Mon très cher Mylord. Je vous rendray fidellement tout ce que vous avancerez pour luy.

ce 23 decre.

To the Right Honorable

The Lord Desford at

Mr. Hooks No. 12 in Glocester Street by red Lyon Square 5 A Londres

ANGLETERRE.


1 Published 5672. V. Sidgwick, History of Ethics, pp. 173 ff.

2 In 1748 at Glasgow there appeared Ramsay's Philosophical Principles of Natural and Revealed Religion unfolded in a geometrical order. In the preface he says, " We have digested the great principles of'the first part into a geometrical order, which is certainly the most exact way of reasoning, the most proper to convince others, and undeceive ourselves." The above letter shows he had been working on such lines at an early date.

3 Nathaniel Hooke, junior, then engaged in translating Ramsay's Vie de Fénelon. Nichols, Bowyer's Biographical and Literary Anecdotes (1782), p. 393, quotes a letter from Hooke to the Earl of Oxford (Oct. 17, 1722) in which he says that on account of the South Sea troubles he was " just worth nothing," and asking permission to dedicate to his Lordship the translation of Ramsay's Fénelon upon which he was then engaged. This makes it fairly clear that the letter from Ramsay here published dates from 1722.

4 The English translation appeared in 1723, but there is no dedication.

5 A letter (Cullen House) was addressed to Lord Deskford on December 13, 1722, " at hes house att Mr. Louson's over against Pall Mall Court, London."

184

      1. LX. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

March 2, 1722/23.

I had the honour of my dear Lord's letter of Feb. 21st the day before yesterday, and would have own'd it by that night's post, had I met the Lady at home, who last time took the trouble to procure me the opera tunes./1 But yesterday I did bespeak them. She promis'd to chuse and pick out a dozen of the very best and newest, without words, or thorough bass, as desired, and withall to get some of 'em, three at least, ready by Tuesday's post. If so, I will not fail to forward them, and the rest too as they come to hand.

I rejoyced to hear of yor Lop's safe arrival, and that all yor friends are well. Ld. Abd./2 set out Thursday morning for Scotld., and yesterday a narrative of the horrid plot,/3 etc. was read to the H. of Commons.

I have had a long letter from Dr. Ch./4 concerning the proposal, wch he does by no means approve off, as being in every respect improper.

Our Little Book,/5 preface and all, are now printed off, but the sheets are not yet gather'd. My best wishes do ever attend yor Lop.

This is enough till next post.

To the Rt Honoble My Lord Deskford att Edinburgh free

Al. Abercromby.


1 A craze for Italian Opera appeared with other crazes in 172o. There had been no opera in London for several years, but the Royal Academy of Music was founded in 1719 and in 172o Handel produced Radamisto which began a period of unprecedented popularity for such works. In January, 1723, Cuzzoni first sang in London in Handel's Ottone which contained many particularly fine songs and brought the enthusiasm to its highest pitch : V. E. Walker, History of Music in England ; R. A. Streatfield, Handel ; Rockstro, Life of Handel ; Lady Cowper, Diary.

2 V. P. 75.

3 This refers to the supposed plot which led to the disgrace and banishment of the celebrated Bishop Atterbury. The King at the opening of this Parliament referred to the " dangerous conspiracy." A Committee of enquiry was appointed, and reported through Pulteney on March 1, 1722/23. The Commons considered the matter, decided there had been a " horrid and detestable conspiracy," and voted that the Lord Bishop of Rochester " was principally concerned " in it, its object being to place the Pretender on the throne. A full account is given in Tindal's Rapin, op. cit., XIX, pp. 457-86 : v. also Journals of House of Commons, March 1, 1722, etc. ; Reports of H. of C., Vol. I, pp. 99-350. Keith's reference seems a little sarcastic. There is no doubt as to his Toryism.

4 Dr. Cheyne. The reference here is obscure. Dr. Cheyne's advice is not now being sought for the first time by Lord Deskford. At Cullen House there are letters from him dated Nov. 14, and Dec. 17, 1713, advising in a delicate matter. The former mentions that he had been asked by Dr. Keith to write.

5 V. pp. 178, etc.

185


      1. LXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

March 7th, 1722/23.

MY DEAR LORD,

In my last of Sat. the 2d, wherein I acknowledged the honour of yor Lop's letter of Feb. 21 I told yor Lop I had bespoke some of the newest opera tunes, /1 and gave you ground to expect some of 'em three at least by the Tuesdays post. But because of the good Lady's illness who undertook to chuse and bespeak them, I have been disappointed, and am very sorry yor Lop should be so too. I have call'd two or three times since, and last of all to-day about noon, when the Lady told me she was going out to bespeak them, and that I might expect some by Saturday night. I can only now engage that if they come to me, I will forward them without fail.

When Aber./2 sent me the fr./3 covers he sent me the enclosed with them. I have given him no answer to it. I lament My Dear Ld's situation,/4 and always hope our Div. L.M./5 will enable him at present to bear it meekly and patiently and that in his good time he will grant an happy issue. In the mean time I wish the Lady and her Mother would be more flexible, and agree to make an end on the terms propos'd and approved.

I have had two letters from Dr. G. G./6 in answer to what was propos'd to him concerning the money rais'd for publishing A.B.'s /7 writings. He says it was in Sr. Ja. D. of Durn's /8 hand, but is now lying by him, not knowing where to place it with safety. He agrees to the proposal, but adds : I see little good that's done by most translations, but money to the printer and undertaker. They have begun lately at Edbr. a new transi. of all the Treatises that go under the name of Tho. à. Kempis, two little tomes of wch


1 V. p. 185. A few weeks before the date of this letter Gay wrote to Swift (Correspondence of Jonathan Swift, III, pp. 1S4 f.) : " Everybody is grown now as great a judge of music as they were in your time of poetry, and folks that could not distinguish one tune from another, now daily dispute about the different styles of Handel, Bononcini and Attilio."

2 Alex. Abercromby.

3 " Franked " : v. p. 164.

4 Perhaps a reference to Lord Deskford's thoughts of a second marriage. In December of this year he married Sophia Hope, who was not the lady hinted at in this letter, as correspondence at Cullen House shows.

5 " Divine Little Master."

6 Dr. George Garden.

7 Antoinette Bourignon : v. Introduction. Dr. Garden and Dr. James Keith translated a number of these works, but the scheme for a complete translation seems to have been abandoned.

8 Sir James Dunbar of Darn (Banffshire) : relative of Lord Deskford. An interesting reference to him occurs in J. F. S. Gordon, The Book of the Chronicles of Keith, pp. 342 ff. He was a Jacobite, but surrendered to the local authorities in November, 1716 : v. A. and H. Tayler, Ogilvies of Boyne, p. 65. The above reference shows he was also interested in the mystical movement.

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Handwriting of Ramsay [one page]

are publish'd,/1 wch seem to be done with great simplicity, not like the pompous stile of yor English translators. My humble duty to Ld. D./2 and Mr. C./3 I humbly thank the last for his German present. Please to advise with Mr. C. what is proper to be done.


1 The reference is to the edition begun in 1717 by Robert Keith (afterwards a Bishop of the Scottish Episcopal Church) . V. Article by present writer in " S. N. Sc Q.," May, 1933. The Imitation of Christ appeared in 1717 and the Soliloquies and the Valley of Lilies in 1721. The preface to the first volume says, " It was thought adviseable to send forth this impression in the plain simple style of the author who imitates the stile of the Holy Scriptures." . . . " Some late editions have been complained of, at least in this country, for the too great liberty which was used (no doubt with a good intention) in departing too far from the author's words and by giving to several passages a different turn by foreign additions or illustrations."

The reference here is probably to Lord Dun, David Erskine, Laird of Dun (167o-- 1758). He was, unlike his ancestors, an Episcopalian, and he was also (within safe limits) a Jacobite. The Scots Magazine (XX, 276) referred to him as " greatly distinguished for piety," and Ramsay of Ochtertyre, in a most interesting account (Scotland and Scotsmen, I, pp. 84 ff.), says : " his piety and zeal were conspicuous even in times when all men prided themselves upon being decent in these matters." Lord Dun was a unique and striking personality, with not a few singularities, one of which, Ramsay of Ochtertyre tells us, was " that he spake a language peculiar to himself, which he called English." For further particulars v. D.N.B. ; Brunton and Haig, Senators of College of Justice, p. 491 ; Violet Jacob, Lairds of Dun. He was in touch with several of our group, and interesting evidence of this is to be found in an incidental reference in the following letter at Cullen House from A. M. Ramsay to Lord Deskford, undated, but evidently (from the mention of the enlarged edition of Ramsay's famous book Cyrus) of the year 173o :-

" My LORD,

" Your Lo ! has no doubt heard of my being come to England, to print a new edition of Cyrus with many additions amounting to near a third part of the work. I have sent two hundred subscriptions to Scotland to my Lord Dun. Our common friend Mr. Monroe has some of them, and will furnish your Lo ! with all those you can dispose of among your friends. I hope I may expect on this occasion some marks of your Lo ! goodness that is so universal.

" I had the honor to wait sometimes upon my Ld Finlater who receiv'd me very kindly, and who told me your Lo ! would be glad to hear from me. No absence, distance, nor silence can make me forget your Lo ! ancient friendship, the nearer we approach our center the more we are united to each other. And tho my motions be sometimes excentricat and projectile, yet I hope the great principle of attraction prevails. I should be glad during my stay here to hear from your Lo ! If I had either money or time I would have certainly gone to Scotland to embrace your Lo ! feet, and these of some other friends whose tender regard for me I look upon as the principal happvness of this mortal state. Since that cannot be, I hope we shall forgather again aboon the lift. I am with great respect and the most tender esteem, My Lord,

" Your Lo ! most obedient and most oblidged humble servant, A. Ramsay.

" London, July )4th at Mr. Abercromby's in Germen Street over agst. Ld. Cobham's.

" The Right Honorable,

The Lord Deskford at Hopton, near Edinburgh, Scotland." 3 Perhaps Campbell of Monzie (?).

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It hath pleased God to take to himself one of our best translators, My dear friend, Mr. Nalson /1 at York, who departed Wedn. Feb. 27th with perfect Resignation to the Divine will. He was a true lover of our Lord J. Ch. and of his holy Truth ; and He I humbly hope has receiv'd him into his Eternal Rest.

The Letter of Instruction /2 is finished and gather'd, but not yet come to Mr. Innys s from the printers. I will take the first opportunity to send down So of 'em to Mr. Monro, and advise him of their being sent by a bill of lading.

I ever continue in the tenderest manner Yor Lop's most obed. servt.

(No address etc.)

      1. LXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Tuesday, March I2th, I7H.

DIY LORD,

By my last of the 7th a I signified my hopes of sending the enclosed by Saturday's post, but nothing coming to me till last night, I could not forward it till now.

I have received at once 32 leaves all wch pass but for three tunes. 4 of those leaves I here send your Lop., they being large enough for one letter, and shall continue to forward the rest till all are sent. In the mean time if these will suffize, please to let me know it, and I shall not bespeak any more. For these seem to be much larger than what your Lop. means by= naming a dozen, three of which may be sent every post by one frank. Expecting then yor further commands

I remain

Yor Lop's most obedient humble servt.

To The Right Honble. The Lord Deskford

Edinburgh.


1 V. p. 181 n. His epitaph is given by Nichols (Lit. Hist., IV, p. 865). It mentions that he was in his 4oth year, and that he was son of Dr. John Nalson, rector of Doddington. The date of his death is wrongly given by Nichols, op. cit., IV, p. 408.

2 V. p. 181. The 1772 Eng. trans. of the Life of Lady Guion (part iii, p. 295) refers to this Short Letter of Instruction skewing the surest way to Christian Perfection, states that it is translated from the French of de la Combe, and gives extracts.

3 Wm. Innys, bookseller, London, died Dec. 1, 1756 (Musgrave, Obituaries). W. and J. Innes, West End of St. Paul's, published Waterland's Sermons mentioned in the Letters, and Knight's. The firm is frequently referred to in Nichols, Lit. Hist.

4 V. p. 186. Dr. Keith apparently proved useful to Lord Deskford in many small matters. These letters about opera tunes show how wide was the range of the services he was called upon to render.

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      1. LXIII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

The year has been torn off, but the mention of the " little book," and also what seems like a reference to Lord Deskford's forthcoming second marriage, which took place towards the close of 1723, and other slight indications. point to 1723.

May [ ]

MY DEAR LORD,

I had the honour of yor (letter of) the 2d and was not a little refreshed by it. Yor silence requires no apology. I know the situation of your affairs,/1 and enter into it as far as I am able. I thank our Div. L.M./2 with all my heart for his goodness to you in supporting you under all Nor difficulties and delivering you from all anxiety as to future events. May he confirm and strengthen your heart, and establish it in his eternal peace !

I approve much of the dutiful resolution and wish it may prove successful. I rejoyce likewise that the Dear Lady concurs in it, and pray that she may be brought to taste what yor Lop knows and feels, and with you be united to the Divine will in all things. Happy Union ! but founded in ye Cross.

I am glad the 8o copies of the little book/3 came safe ; but can't tell yor Lop when that of Fr. Laurent /4 may be expected. Mr. Heylin/5 has been at Bristol these 2 moneths for his health and is not yet return'd. When he comes Ld. F./6 will hasten him. He Ld. F. (was with me this morn. and most tenderly (greets) yor Lop. He is still at great pains (to put) a stop to R.'s /7 impetuosity, and is (hoping) to publish a vindication of V.P./8 (in) time. Mr. H./9 also has kept that expression in the English translation


1 Apparently a reference to schemes for the second marriage of Lord Deskford.

2 " Divine Little Master."

3 This seems to date the letter in 5723 the 8o copies were mentioned March 7th, 1723 : v. p. 188.

4 Devotional tracts concerning the presence of God, translated from French and published by Downing in London, 5724 : v. Brit. Mus. Catalogue.

5 J. Heylin (d. 5759), D.D. (Cantab.), became a well-known preacher in London and as such is repeatedly mentioned in John Byrom's Remains. He apparently translated Brother Laurence's work at this time. D.N.B. mentions " his indulgence in mysticism." Some theological lectures he delivered at Westminster Abbey were published in 1749, and two copies are in the Library at Cullen House.

6 Lord Forbes apparently at this date still resident in London.

7 A. M. Ramsay. The reference is to the controversy over Poiret's Life of Madame Guyon : v. pp. 151, etc. Ramsay's Life of Fénelon was published both in French and in English in this year (1723) and was intended to be an answer to Poiret.

8 " Venerable Poiret."

9 Nathaniel Hooke, younger, who did the translation of Ramsay's Fénelon : v. p. 584. Hooke wrote to Lord Deskford at Edinburgh, March 12, 1722/3, (Cullen House), Dr. Keith having given him the address. He says, " Your Lordship will be surpris'd to

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wch is actually printing here, and inflexibly persists in it. He pretends obedience ; as his friend also does. But for my part I do not understand what they mean by it. My sense of holy Xtian obedience can never oblige me to break a knowen Law, as namely, to bear a false Testimony against my neighbour as that practise of theirs certainly does.

As to myself, I have not this moment any design of any kind, nor can I think of any. I leave my self wholly to providence, and humbly and solely depend upon it.

Je me trouve satisfait d'autant

Que je sçay bien

Oue bienheureux celuy

Qui ne possede rien.

P. Surin./1

Here I conclude with my most ardent prayers for yor Lop in all yor circumstances, being in the tenderest manner and with all possible esteem always.

Yor Lop's most obed. servt.

To The Right Honble.

The Lord Deskford, to the care of Mr. Monro, Bookseller at Edinburgh.


learn that the Bishop's Life is gone to Holland, without any alteration in the disputed passage. I have obey'd orders which I can never disobey, but at the same time have remonstrated in the strongest terms and have good hopes that before the Book be sent to the press there will be new instructions to leave out that clause." The clause which caused the trouble appears on p. 33 of the Translation : " to take away the false ideas which certain persons have fram'd of her by reading a History of her Life, lately printed in a foreign country, contrary to her last intentions." The reference is to Poiret's issue of Madame Guyon's Vie . . . écrite par elle-même.

1 V. p. 110.


CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN.

      1. INTRODUCTION : THE FRENCH PROPHETS IN SCOTLAND.

THE tragic drama of French Protestantism has no scene more tragic or dramatic than that of the Wars of the Camisards. The inhabitants of the mountainous forest region of the Cevennes were ardent Protestants, and at the time of the revocation of the Edict of Nantes in 1685 they had their share of the general persecution which almost destroyed and certainly ruined the cause of the Reformation in France. The nature of their country and the quality of their faith had power to contrive that, at the beginning of the 18th century, in spite of the cruelty of government policy, they still survived. The situation became then even more acute, and driven to desperation by their tormentors, the peasants rose in passionate revolt. From 1702 until 1705 they maintained with the utmost skill and devotion a marvellously successful guerilla defence. Gifted leaders appeared among them. The names of Rolland and the boy Cavalier are amongst those of the world's romantic heroes. Both sides acted ruthlessly and relentlessly, and the conflict was savage. The Camisards, as the rebels were nicknamed, endured terrible sufferings, but seemed invincible. At last when in 1704 a new Royalist leader attempted less callous and more diplomatic measures, Cavalier yielded to the King. Soon afterwards Rolland was killed in a skirmish and presently the struggle died down, though the Protestant faith survives in this region even to-day. Cavalier escaped from France and ultimately served in the British army and died in 174o Governor of Jersey. A popular account of him will be found in Arthur Grubb's Jean Cavalier (1931)./1 The whole story has been immortalised in English literature by Robert Louis Stevenson in his Travels with a Donkey in the Cevennes, and has been the subject of a number of academic studies in recent years.

A remarkable feature of the revolt was the appearance of abnormal phenomena similar to those which are described in the Book of Acts, and which characterised early Montanism, the 17th century Shakers and Quakers, the beginnings of the Wesleyan movement, the work of Edward Irving

1 V. also Cavalier's Memoirs (English Edition, 1726).

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and other occasions of unusual religious excitement. Extraordinary conditions of physical agitation were developed, and the victims in a state of trance gave utterance to words which were regarded by astonished witnesses as inspired and prophetic.

In 1707 three of these hysterical, but no doubt sincere and well-meaning, French Prophets—Durand Fage, Elias Marion, and Cavalier of Sauve (cousin of Jean Cavalier)—came to England. A marvellous amount of interest was excited and many pious persons were impressed by what they took to be manifestations of the Holy Spirit. The Camisards were said to be " drunk with Prophecy." Their whole bodies trembled and twitched, their faces were distorted, they foamed at the mouth, they swooned, they sobbed and groaned, they were lifted off their feet and moved across the room, they were thrown down violently without hurt. Even children and infants were supposed to prophesy. The messages which came from the lips of these unconscious instruments were of destruction because of God's wrath. They called for repentance and envisioned a Kingdom of Glory upon earth. They had little use for the clergy, the Church, the sacraments. Dogmatic theology did not interest them. Learning they tended to despise. They were credited with miracles of healing. The most sensational incident of their London campaign was an attempt to raise the dead. Dr. Thomas Emes died on December 22, 1707, and it was prophesied that he would rise again. The event was fixed for May 25, 1708, between noon and six o'clock. An expectant crowd waited in vain, and the magistrates had to interfere with the Prophets.

Their propaganda was supported by Sir Richard Bulkeley in his Impartial Account of the Prophets, and John Lacy published his Warnings, his Cry from the Desert, and other revelations. A whole literature appeared in opposition. French Protestants in London repudiated the Prophets, Spinckes issued his New Pretenders to Prophecy Examined (1709), Edmund Calamy and others not so well known studied the outbreak and endeavoured by their writings to prevent its spread. The movement had, however, affected other parts of England. Spinckes tells us that " detachments of these pretenders are sent abroad throughout the nation," and the following letter (which was printed in the " European Magazine " for March, 1798) gives interesting corroboration. It is written from Oxford by Mr. Thwaites to Dr. Charlett and wrongly dated Aug. 170o. " The Prophets are here at the Greyhound. They made themselves known by strange convulsions and abrupt talk yesterday. I was there at three. ioo Masters of Arts (I think) might be there and 15o more persons. We stayed an hour, but no motion. There were four prophetic women as the two men call them. One of the men was a Scholar of Cambridge. He is cunning and has temper. His name is Lardner, the other's Jackson. When Lacy's Warning was read by one of the men, some of us objected too much, and hindered the coming of what

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they call the Spirit. They have more names for it. In the meantime the Vice-Chancellor came and dispersed us. I cannot express the confusion ; but in three minutes he made the house easy. The prophets were to march by his order in an hour, but their linen being out they stay till to-morrow. They are become the Constable's ward."

As late as 1739 we find John Wesley /1 describing in his "Journal " the case of a young woman who was a follower of the French Prophets, but the movement had long before that passed from general notice and it had, of course, no permanence.

In 1709 the Prophets made a descent upon Edinburgh. They appeared on March 19, and their first visit extended to April 12. The prophecies of Anna Maria King, John Moult, Mary Turner, and Ann Topham were printed in the same year under the title Warnings of the Eternal Spirit pronounced at Edinburgh. This publication informs us that on March 24 the Prophets were obliged to appear before the magistrates of Edinburgh. On April 11 the Spirit ordered them to leave the city. There was some difficulty about money, but a country gentleman whom they met at Restalrig supplied their wants. Later in the year they had another Edinburgh campaign. On the command of the Spirit a new contingent sailed from London, arriving in the Scottish capital on June 10, 1709. The prophecies then uttered by Thomas Dutton, Guy Nutt, and John Glover were published in 1710, as likewise still later utterances of Ann Topham, Anna Maria King, and Guy Nutt. The instructions which led to this second campaign enjoined the Prophets to tell the Church of Scotland that God esteemed Episcopacy and Presbytery " much alike," and that it was not by such differerces that He would distinguish His people at the Day of Judgment. They repudiated any denominational title and called themselves only " Christians and followers of the Lord Jesus." In view of the letters before us it is interesting to find Wodrow both in his Analecta /2 and in his Correspondence /3 stating that the movement had only affected those who were Bourignonists and Jacobites.

It was this second group of the French Prophets which James Cunningham of Barns tells us he met on returning to Scotland after a summer spent at Bath for the benefit of his health. He had had time in those months for religious reflection, and had been in touch with Dr. George Cheyne who had decided mystical tendencies. On the way from England he employed the time in reading Baker's Sancta Sophia, the work of an English spiritual director, an admirable guide to inward religion, but with certain Quietist leanings against which the modern English edition of the work carefully warns the reader. Cunningham was much pleased with the kind of influence he found the Prophets were having upon some of his friends, but, remaining somewhat sceptical, he continued his journey to his home at Crail in Fife. There

1 Journal, January 28, 1739.

2 I, p. 309.

3 I, p. 169.

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he went on reading mystical books, but he was presently excited by news that some of his Edinburgh acquaintances had experienced the physical agitations which characterised the Prophets. His doubts and bad impressions were gradually removed. He mentions the interest that was being taken in the Prophets by Andrew Michael Ramsay, by Lord Forbes of Pitsligo, and by a nephew of Dr. George Garden, and reports several occasions when he himself was present at supposed revelations by Lady Abden in a state of trance. What affected him more than anything else was a number of utterances by Lady Abden exactly in the spirit of the Quietist parts of Baker's work, and further some references in her words which seemed too directly applicable to himself to be coincidences.

Lady Abden is mentioned in the Warnings published in 1710. Her introduction to us is very curious. On July 25, 1709, there was evidently a private gathering, and we are told : /1 " The Lady A—n arose under the operations of the Spirit and was carried to Guy Nutt, who danced with her about the room, holding her by both her hands and said, This is the appearance of your God among you, which ye shall see more and more. Behold the works of your Lord. You shall rejoice in the Dance. Thou (to l—y A—n) art beloved of thy God, thy soul shall rejoice in him who doth embrace thee in his bosom (embraces her). Behold the love of your God to his Spouse, who is coming to make her glorious. She shall be all glorious within. She is sick of love. Thy Lord kisseth thee with the kisses of his mouth. Rejoice you for ever." There are other similarly curious incidents, which gave Cunningham and others unfavourable impressions, but later what she had said and done had completely changed his mind. On July 31 /2 the Spirit by the mouth of Lady Abden ordered the Prophets to be ready to leave for London within the week, which they did. According to Dr. George Garden in the correspondence here published, Lady Abden afterwards came to think she had been deluded in imagining herself to have been under the influence of the Holy Spirit.

James Cunningham eventually joined the Prophets, and though according to Wodrow's Analecta /3 he did not " pretend to prophecy, but only to denounce judgments," he made many utterances which were published along with others of Margaret Mackenzie. These consist of Warnings delivered at Edinburgh in July, 1710, and Warnings at Glasgow at the end of November and beginning of December in the same year. He had apparently been busy between those missions, for there is a very interesting letter from the Rev. James Webster to the Rev. Robert Wodrow, written at Edinburgh, September 20, 171o. This letter is mentioned in an editorial footnote in Wodrow's Correspondence, but it has not been printed and is to

1 Warnings . . . by the mouths of Thomas Dutton, etc. (i7î0), pp. 153 f.: cf. p. 167.

2 Ibid., p. 176.

3 I, p. 309 ; v. also the reference in II, p. 304, evidently displaced as to date.

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be found among the Wodrow MSS. in the National Library, Edinburgh. The following is the relevant passage : " This day eight last Barns Cunninghame with three others, namely Dutton and his wife, & Kennet Gordon were prophesying on our streets, for which the mag: imprison'd them & they are still in firmance ; they have published ye prophesies under ye title of ye Warnings of ye Eternal Spirit to Edb'' and Barns positively asserts that judgemente will within fourty days fall on this toun."

There was also a small volume published at Edinburgh in 1710 entitled A Trite Copy of Letters past betwixt Mr. Robert Calder and Mr. James Cunninghame of Barns concerning the Trial of the Mission of these people that pass under the Name of Prophets. In a letter of September 22, 1710, Calder says, " I am heartily sorry for you & your fellow-sufferers imprisonment ; you have reason to rejoice if your persecution be for a good cause ; but this is the question." Cunningham's reply of 23rd and then a reply of 27th to a second letter by Calder are merely formal ; but Calder amidst his denunciations says of the Prophets in Scotland that they had prophesied " a judgment coming to pass on the city of Edinburgh within 40 natural days from the 12 of September 1710, which should be fufill'd on the 22 of October following ; & that written to Sir Patrick Johnston, late provost of Edinburgh."

Cunningham's published utterances are sometimes in the nature of simple orders, as when at Stirling on November 23, 1710, he said, " It is my will that ye enter not into that city till Monday," /2 the reference being to the beginning of their campaign in Glasgow. Also when he and his friends found themselves in the Glasgow Tolbooth on December 1 he was guided to intimate, " I will permit you to depart hence on Tuesday next," and before they left the city he announced, " I have at present fully answer'd my end in this your Mission." /3

Most of his utterances are laden with Biblical quotations, which certainly show him to have been a very earnest student of the Scriptures. Generally they consist of what we should call evangelical addresses summoning people under threat of immediate judgment to repent, be acquainted with the life of God in the Soul (which echoes Henry Scougall or John Smith, the Cambridge Platonist) and so to become living members of the Mystical Body of Christ. His reading of the mystics is very obviously reflected in some of his expressions.

More interesting still are certain passages where his own feelings about the movement stand out clearly. For example, he says to the Edinburgh crowd : " Search and see what motives have brought you hither ? Was it only to gaze at my servants ? If ye imagine them to be under the power of a disease or a satanical delusion, does it become Christians . . . to stare

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at and ridicule them. . . . If ye do suspect that there is any . . . trick or contrivance in the matter, then but think which of you would enter into such a design whereby ye must necessarily forsake every worldly thing. Dare any of you say that my servants can propose any profit, any pleasure, any reputation to themselves by being thus expos'd to the World ? . . . There is not so much as a shadow of reason for asserting thereof. . . . Do you wish His Glory may be spread over the face of the Earth ? . . . Then wou'd you wish well a set of people that both by their words and behaviour demonstrate that they have nothing else in their view. Do ye not all wish or pretend to do so that there might be a renovation upon the face of this Church ? . . . Does it not then become tour duty to wish that these things were really true ? My people, did I but discover in your hearts but this wish . . . I wou'd discover to that soul that it were true."/1

He was now perfectly convinced that a study of the Scriptures would convince people that the French Prophets were not the false prophets against which Scripture and so many of the mystics warn the faithful, and it is obvious that the correspondence with Dr. George Garden had done nothing to lessen his confidence.

The movement had created some excitement in Edinburgh, Stirling and Glasgow, and we have seen that in the first and last of these places the magistrates had to take action. Elsewhere rumours at least had arrived, for Calamy /2 tells us that when he visited Aberdeen in 1709, he and his friends had at first a strangely cold reception due to the fact that people had suspected that they were French Prophets. Rhind's Apology also mentions these "Modern Prophets in their agitations " and attempts to class with them all Presbyterian evangelical enthusiasts, while Anderson in his reply points out that the Prophets were associated only with Episcopalians and Bourignonists./3 James Hog of Carnock felt obliged to enter the lists against the visitors and in 1709 had already published his Notes about the Spirit's Operations, with special reference to the Cevenois, A.B., etc. He writes in the language of controversy, and consequently we are not surprised to hear of “the loathesome and dangerous gangrene of delusion among the pretendedly inspired Cevenois." His main grounds of criticism were that the sure word of ancient prophecy was overlooked, that the scope and tenor of the new Warnings was contrary to Scripture, that the name of Christ was very rare in their utterances, which ran out only in " the Channel of the Covenant of Works," that miracles might well be performed by false prophets, and that the new movement carries us away from the Foundations of the Christian revelation and leaves us " a prey to every pretending deluder."

1 Warnings . . . Edinburgh (1710), pp. 26 f. : v. also pp. 34 f.

2 Hist, Account of My Life, II, p. 197 ; v. also Wodrow, Analecta, II, p. 304.

3 J. Anderson, A Defence of the Presbyterians (1714), pp. 297, 299 f.

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This brings us to the correspondence now printed for the first time, consisting of three letters from James Cunningham of Barns to Dr. George Garden of Aberdeen, and two letters which were sent in reply. One or two earlier letters which Cunningham mentions have not been preserved. Those here published are taken from copies in a manuscript volume (Q. 39) in the Library of the Scottish Episcopal College in Edinburgh. The volume came there from the Hon. Mrs. Forbes of Pitsligo who has entered a note to the effect that the handwriting is that of James Ogilvie of Auchiries whom we know to have ben one of the group in the North-East interested in mystical religion. In the same collection in the Scottish Episcopal College there is another manuscript volume (Q. 12) which seems to be in the handwriting of Mary Baird of Auchmedan and contains (along with copies of Madame Guyon's Short and Easy Method of Prayer, part of the Life of Armelle Nicholas, the Morals of Epictetus, etc.), an account by Mary Baird (following Dr. George Garden) of the career and religious outIook of Lady Seafield, wife of the Chancellor Earl, notes of a sermon by Dr. Garden on the occasion of the death of Lady Jean Hay, 1721, and two other funeral sermons, and also Letters I, II, and part of III of the Cunningham-Garden Correspondence. The copy is weak in spelling, but it has an interesting introduction which must be quoted : " Here are some copies of Lettres which war wreat. This first is from the Laird of Barans, a gentlman of a good fortune and no less sens, who enttred among a sett of Camsaris, as we call them. Thy thPmselvs often assume the name of prophetts, and on many occasions in ther warnings, as thy call them, thy personte God. Thy war mightly taken up will ther propchies for a whel, but thos of good judgment among them did endevour to wey such nottions. Upon ane occson a famous man among them who mead no dout of his being guided by the imidtt Spret of God, did say that un Doctor Emes who had dyed I think in 179 : this nottion was that the Docttor should rise in the May of that year. . . . "

In addition to these copies of the Letters, there is, in the Charter Room of Cullen House, a copy of Letter No. II from George Garden to James Cunningham, in the handwriting of a chaplain.

Of the original Letters there is no trace, but it is clear that the correspondence had caused real interest at the time and that copies had been made and distributed in the small circle in the North-East which we have found centred upon Dr. George Garden. The movement had created not only interest but alarm in the circle, and we find from the correspondence that not only Dr. Garden, but also Lord Forbes of Pitsligo, the Master of Forbes (afterwards 14th Lord Forbes), Dr. James Keith of London, and Andrew Michael Ramsay had come, after investigation, to be hostile to it. The correspondence is of importance as showing two possible views of such a movement, and the general line both of the defence and of the

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attack is actually of value at the present day in connection with the modern equivalents of this strange religious outbreak.

Of George Garden enough has already been said in the earlier part of this volume./1 It only remains at this point to notice that he had been almost " hoist with his own petar." This correspondence shows us one of his own disciples out-Gardening him, and the master endeavouring to save the disciple from too logically obeying his teaching. We are reminded of Luther and Zwingli suddenly made aware of their too logical followers, the Anabaptists. What drove James Cunningham into the arms of the French Prophets was exactly what had guided the group to Madame Bourignon and Madame Guyon. Like Garden, Cunningham was an Episcopalian and a Jacobite, and had a hearty disrespect for Westminster dogmatism. He had eagerly followed Garden's lead and had been soaking himself in Mysticism and Quietism. The French Prophets simply offered him a further advance in the approved direction.

James Cunningham of Barns, the writer of the letters to Garden, is not a person known to fame, but the few available details regarding him must be recorded. He was born about 168o /2 and succeeded his father in the estate of Barns in the parish of Crail in Fife in the year 1706./3 He belonged to an ancient family said to have had a Charter from Robert II./4 Some of their property was granted by the King in 1672,/5 and the Isle of May came into their possession under Charles I, who permitted Alexander Cunningham to build the lighthouse there./6 A family tragedy was the sudden death of a daughter of the house who had been on the point of being married to the poet Drummond of Hawthornden./7 An important connection was that formed by the marriage 8 of John Cunningham in 1679 to Isabella, a daughter of the recently murdered Archbishop Sharp of St. Andrews, whom the family had known since the days when he was minister at Crail.

James Cunningham,/9 the correspondent of George Garden, was a well educated man, able to write Latin and French and with some knowledge of Greek, deeply read in religious works, and acquainted with the whole group whom we have learned to know from the Letters of James Keith, M.D. He knew personally Dr. Garden, Lord Forbes of Pitsligo, Dr. George Cheyne, Dr. James Keith, William, afterwards 14th Lord Forbes, Andrew


1 M.N.E., pp. 32 ff.

2 For particulars of the family, v. Wood, East Neuk of Fife, pp. 397 ff. ; also Erskine Beveridge, Churchyard Memorials of Crail.

3 Gen. Reg. Sasines, Nov. 22, 1706 : v. also Fife Sasines, May 5, 1704.

4 Sibbald, History of Fife and Kinross, p. 133.

5 Reg. Mag. Sig., April to, 1572.

6 Sibbald, loc. cit.

7 Masson, Drummond of Hawthornden, p. 44 ; v. also pp. 178 f., 478 ff.

8 Contract, Dec. 19, 1679 : v. also Reg. of Deeds (Mackenzie), Feb. 19, 1704.

9 The evidence is in the correspondence itself.

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Michael Ramsay, Lord Deskford, and at least by correspondence, Pierre Poiret. His studies had made him familiar with the writings of Madame Bourignon and Madame Guyon, but he also shows his acquaintance with St. Augustine, Cassian, John of the Cross, Baron Metternich, Jacob Boehme, Augustine Baker, Angela de Foligno. He is thus a typical example of the group of Scottish landed gentry whose interest in mystical religion we have been endeavouring in this volume to establish.

Information regarding the later career of James Cunningham seems to come almost entirely from the Letters of James Keith in this volume. He was " out " in the Fifteen, and took part in the Battle of Preston, was made prisoner and sent to Chester, where he suffered a good deal from the prison conditions. We know i.e had long been a man in poor health, and at Chester he finally caught cold and died in 1716./1 Two sisters survived him, Helen and Margaret ; after their brother's death they settled at Bothkennar in Stirlingshire, where the latter died in 1718./2 The Fife estates do not appear amongst those sequestrated after the Rebellion, but by 1722 we find at least part of them in the possession of the Scotts of Scotstarvet./3

The correspondence is printed in this volume without any attempt at more than the most necessary annotation./4 The letters speak for themselves, and are of interest chiefly as revealing the serious tendencies and mystical reading of these leisured cultivated men. They form an important supplement to the preceding study, and reveal the pitfalls that very naturally tended to appear in the way of those in the position of the Mystics of the North-East.


      1. I. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BASINS TO DR. GEORGE GARDEN.

VERY REVEREND SIR,

Yours of the 19th of October came to my hands on the 29th, and it was indeed no small satisfaction to receive it. Your long silence had rais'd some cares in me, which the event shows to have been all groundless, for your nephew, tho' he show'd me your long letter to him, forgot it seems to deliver the short one to me. Blessed be my God, who seeing my weakness yet unable to bear with the loss of my friends, has inspired the most valuable of 'em to express more concern for me than I could either expect or desire. As I must heartily joyn in the conclusion of your Letter wishing that


1 V. M.N.E., pp. 116, 134, 139.

2 Gen. Reg. of Sasines, Sep. 22, 1718 : y. also M.N.E., p. 135.

3 Fife Sasines, Jan. 9, 1722 : v. also Wood, East Neuk of Fife, p. 399.

4 No attempt has been made to amend syntax. spelling or punctuation.

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no event may ever disjoyn our hearts, but that they may ever be united in the strictest bonds of spiritual friendship, so 'tis with no small reluctancy I dare own my thoughts differing from your sentiments in any thing ; were my thoughts or judgment now in my power, I should with reason be obliged to submit 'em to yours, but all I can do in my present circumstances is to give you a small account of my conduct in this affair, with the consequences thereof in my own mind ; 'tis needless to resume things too far, I shall then begin to tell you that upon my recovery this summer at the Bath, and enjoying something more than ordinary solitude there, I began to feel a more than usual peace and composure in my mind ; my soul was I thought drawn more inward, and at the same time filled with desires of employing a life (so often and so miraculously restor'd to me) to the glory and service of the giver. In my journie down, I enjoy'd a perfect solitude of ten days, the sweetest time I ever past in my life. I employ'd my spare hours in reading Baker's Sancta Sophia, /1 and against I came home I found a strong attachment to practise the prayer of Affection or forced acts of the will which he so largely describes.' At Edinr. I saw the second sett of prophets,/3 I could not but be very well pleas'd with the good influence they had on several of my acquaintances, and the strictness of their lives. I found my self restrained from passing any judgment on 'em, but as their discourses produc'd no rational conviction, and that the time for any other was not come, I return'd home in the old suspense about them, and continued the exercise I just now spoke of and found it still more and more delightful, when I am surpris'd with account from Edinr. that some of my best friends were turn'd firm believers in this dispensation, and some actually agitated, I cannot express the concern that this occasion'd in me not as yet for my self, but for my friends about whose state I was very suspicious, I spent several weeks in perusing all the Mysticks, especially John of the Cross,/4 and made several extracts from them, which I sent to Edinr. pointing out the danger of esteeming too much, and much more of coveting those gifts,


1 Sancta Sophia . . . extracted out of more than forty treatises written by . . . F. .4 ugustin Baker . . . and methodically digested by R. F. Serenus Cressy, 16J7. Other editions 1857 and 1876. The latest, 1932, is entitled Holy Wisdom. V. also Life of Father Augustine Baker, edit. McCann (1933) ; Confessions of Ven. F. Augustine Baker (1922) ; Cloud of Unknowing (Commentary by A. Baker in 1924 edit.). V. also Dom. D. Knowles, English Mystics (1927). Baker lived from 1575 to 1641. His Sancta Sophia is one of the most valuable works of direction " for the prayer of contemplation," and well deserves study.

2 Holy Wisdom, p. 432, etc.

3 V. Introduction.

4 S. John of the Cross (1542-9i), almost as famous as the " seraphic mother," S. Teresa. Chief works in Bibl. de Autores Espaïtoles, tomo XXVII. Latin and French translations were available at the date of the Correspondence. A new English translation in 3 vols. is just being issued by Professor E. A. Peers of Liverpool (1934). V. further, Peers, Studies of the Spanish Mystics, vol. I.

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and pressing all to come to the Dark and Simple Faith, I likewise remarkt all I could of the signs for distinguishing spirits and the result was that I was well pleas'd with the results I had from Edinr. of the state of my friends, and whatever the spirit was they were acted by, I could not know how to blame their conduct, and hoped it would at last turn to their good, but as to my self I continued still in my old irresolution and darkness in this matter. I saw not yet how it particularly concern'd me, and was come the length of expecting no conviction in it from any outward means or arguments, yea was resolv'd not to yield my assent, till I should find conviction from God in the inward ground of my spirit, which at the same time, I did no way covet or desire, but labour'd to be resign'd to God, whether he should leave me still in darkness, or give me light, and free my mind from these prejudices and distractions which might be a hindrance to it. About this time, in my ordinary exercises, I began to feel some attraction to something that was more silent and wherein my imagination or affections had less share, but I made little reflection thereon. In this state I went to Edinr. about some affairs and as providence would have it, all the favourers of this Dispensation, who could deal with me in a rational way, were then out of town, and the first person I spoke to of that affair, gave me no very favourable impressions of the L. Abden./1 I went to a house where without my knowledge she was, and having a little before receiv'd a letter from A.R./2 telling me how by his attendance to what he saw at a meeting of the prophets, he was drawn out from his inward recollection, I was minded to try that experiment myself. I was then whispering to Mr. Spence /3 and telling him I could not positively assure this was not the Spirit of God, yet I still wanted evidence from himself, and without that I could not believe ; the Lady then came, and I left off the discourse to try the experiment. In a very little she fell in her agitations, and shortly after spoke, and indeed had all the direct contrary effect upon me, as on him, but it will be necessary to transcribe some of that warning which began thus : " My Children will listen to my voice, for I am resolv'd to give 'em such conviction as they 'shall not be able to resist, I cry unto the world in such a way and manner that they cannot say that this is not their God speaking to them, all they have to say then is, we only want conviction from God to assure us that this is his own voice. I give the world directions whereby they may come to have real conviction of the thing, but they all reject the precept given thinking it impossible obey it. The precept given is this, that ev'ryman and woman retire, and enter into their closets, humble themselves as in my sight, hold their peace, silence their thoughts, be careful that their imagination do

1 V. Introduction.

2 Andrew Michael Ramsay : v. 11.N.E., pp. 51 ff.

3 Not identified, but according to Services of Heirs, William Spence, merchant in Edinburgh, was succeeded in 1712 by his son of same name.

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not interpose, that they may be altogether still, when they are in such a disposition, then will I pour my Spirit into their souls," &c. Tho' I was then in the most recollected state I had ever felt before, yet my imagination was very active, partly when it was said, " Enter into your closets," my imagination represented to me the wound of my Saviour's side, as the closet into which I should enter, but when she spoke the words, " Be careful," that imagination was torn from me, and indeed all other thoughts, and I was as much in the state then describ'd as my corruption and weakness could admit of. This I confess struck me a little, I knowing well that it is only the word of God that can pierce to the dividing asunder betwixt soul and spirit. I saw besides my own sentiments which she could know by no human means represented unto me, and an exhortation to a method of prayer, which when I thought more upon, I was charm'd with it and was satisfied that if I practised it I could be expos'd to no delusion, whatever spirit advised it, tho' this was a strong presumption, it could not be a bad one. The second warning I heard, was an answer to some difficulties your nephew had been proposing to me anent Lithgow,/2 and which it was not possible she should have known, but by a supernatural way. The third etc. were those My Lord Pitsligo /3 also heard, and of which I believe he has a copy, in which there were things no less extraordinary, but 'tis needless now to insist on the whole. I left Edinr. with a much greater byass than before in their favours. I found my reason intirely baffi'd and struck down, all those prejudices I formerly entertain'd evanish'd, and above all a strong attraction to practise the prayer of internal silence there recommended to me, so that by degrees my daily recollections were all spent therein, yet after all I could not say I was absolutely convinc'd or had the Divine Light and evidence which I all along thought necessary. God's time was not yet come, but it did not long tarry. He no longer refus'd that vouchsafement unto me when it was necessary for my conduct. I was but a few days come home when I got that warning sent me from Lithgow 2 which it seems you have heard of, wherein I was told that it was this spirit that did help me to address my God in that acceptable way of silent prayer, wheras I am sure I never told any mortal I had ever felt anything of that kind, and that I know that by this method of praying, my enemy could have no ground to work upon me (words I spoke that very day to Mrs. Ireland /4 at Craighall)./5 After some other things I was commanded in obedience to my


1 Not identified. Dr. G. had many nephews.

2 Possibly William Lithgow, writer, Edinburgh, whose son of same name succeeded to his estate in 1717 ; v. Services of Heirs.

3 Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo : v. M.N.E., pp. 44 ff.

4 Not identified : v. again, p. 207. Wm. Ireland, sometime tenant in Newhall in the Parish of Crail is mentioned Oct. 3o, 1700, in Commissariot of St. Andrews.

5 Craighall, near Cupar, Fife, was the residence of Sir Thomas Hope, Bart. : v. .M.N.E., pp. 77, etc. Sir Thomas was an Episcopalian and perhaps he or at least

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[Portrait de George Cheyne]


Heavenly Father to go to Couper /1 the 14th of Octor. where he would speak by the mouth of that young vessel, that is, the Lady Abden's child,/2 and afterwards there was a promise in answer to a resolution and desire I have offer'd up to God now these two years, but never told any mortal of it but Dr. Cheyne./3 Well now, the thing was come home to me, and it was necessary I should be determin'd, and therefore offer'd up the whole affair to God, with all the purity and disengagement I was capable of, and sunk into my prayer of silence, where indeed I soon receiv'd such light and conviction as I could no longer resist. The more silent my prayer was, and the less mixture of any thing of my own, the stronger was my conviction ; and on the other hand I found my belief herein powerfully to promote my prayer, and render it more habitual and delightful. It was now no longer in my power to doubt that this was the voice of God unto my soul calling it powerfully inward, as from all outward distractions, so from my own judgment and opinions, thoughts, imaginations, and affections, that ev'ry thing of the creatures in me being annihilated, he might become All in All ; and in particular as to the command I saw clearly it was my duty to obey with that purity of intention was enjoyn'd me, and that morning before I went, having offer'd up myself to God to be put by him in the dispositions in which I ought to go, I found my mind fill'd, as with a strong resolution, so with a perfect indifferency, yea want of concern and thought as to the event, and when that fail'd, I enjoy'd an inexpressible calm and tranquillity in my mind with the testimony of my conscience, that having done my duty, I ought to leave all the rest to God, and as I know well these dispositions could never flow either from my nature or from an evil spirit, so this event which might have shaken my belief serv'd only to confirm it, and ever since entertaining no doubt, I have gone on in the practice of my silent prayer, I have had clearer views of my own nothing than I thought ever possible before, I found my mind disengag'd from the creatures, and ready to


some of his dependants had adopted the tenets of Madame Bourignon, for in 1707 the minister of the parish, Thomas Halyburton, of Ceres, found these doctrines spreading and felt it his duty to preach against them. An interesting note on the subject appears in his Memoirs (v. Works, 1833 edit., p. 763). Like other followers of A.B. these persons seem to have turned to the French Prophets. Sir Thomas later still belonged to the same group of those interested in mystical literature as Dr. Keith and Lord Deskford : v. M.N.E., p. 123. Craighall (not to be confused with that other well-known Episcopalian seat at Rattray in Perthshire) is described by Sibbald (Hist. of Fife and Kinross, pp. 138 f.). The house was burnt down towards the close of the i8th century and remains only a picturesque ruin.


1 Cupar, Fife.

2 Cf. R. Bulkeley, An Answer to Several Treatises (1708), p. 100 : " I have been also by a child in ecstasy instructed in my domestick affairs " ; also the same author's Impartial A ccount of the Prophets, p. 11 : " to see a little girl of four years old have these agitations very frequently."

3 V. M.N.E., pp. 65 ff. Cunningham would be in touch with Cheyne at Bath.

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forsake all, and to embrace any sufferings, I see more distinctly the necessity of self, all self-love, and self-will being destroy'd, and of practising those things I knew before but in story ; in fine, I enjoy that peace and serenity of mind which I never felt before, and were not my infidelity and wandrings excessive and unaccountable, I might speedily arrive to that state which I am so mercifully call'd to. Thus, Dear Sir, having given you a full account of my conduct in this affair, I shall next tell you some of the effects whereof I am very sensible that God has formerly made use of as very powerful and effectual means with my soul, but I have by the strength of my corruption and infidelity frustrated 'em all, and they were at last become more matter of speculation to me than practice. The theory was beautiful, and satisfy'd my reason, but my heart continued still as much wedded to self and creatures as ever, wherefore I cannot sufficiently bless my God, for making known to me at last, a means not expos'd to those inconveniences, in which there is little exercise for my reason, on the contrary baffi'd and defeated. There is no fine theory to please my understanding, but I am drawn to a state wherein the exercise of that, and all my other faculties are silenc'd, and e v'ry thing of the creatures, for the time, annihilated, by an awfull view of the presence of the Almighty, which powerfully weans my heart from all its former attachments, shows me the All of God, and the Nothing of the creature : /1 in fine, moves me to make an absolute sacrifice of my whole self unto his Fatherly hands that he may do with me what he pleases. As I cannot doubt that this proceeds from God, consequently that this is his voice to my soul, so when I discover the like, yea much more wonderful effects it has upon others also, this amounts to the highest probability that the same cause must also produce them, and as my conviction was never grounded on any outward thing but (as I think) on the Rock of Israel who is the same yesterday, today, and for ever, so 'tis not in the power of any thing but my own infidelity to destroy it. All the outward disappointments, the failing of predictions, what they speak of mixtures, yea of things more stumbling, does not'at all move me, I need but have my discourse to my Heavenly Father sinking all my doubts and fears into the -inexhausted abyss of his mercy, and I find my soul restor'd to its former Deace and tranquillity, and my conviction more bright than before. Often indeed, my corruption exposes me to much aridity and darkness, and sometimes perhaps my Lord doth hide his face to punish or try me, but even then

I endeavour to wait his return, with patience and humility, contentment and resignation, and ere long, he vouchsafes his presence again, and in his presence is fulness of joy. As to any particular commands, I believe the Merciful God sends no man a warfare upon his own charges, but with the command affords sufficient light and strength, for discerning and obeying

1 M.N.E., pp. 161, 163.

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it, if we do not wilfully stiffle 'em, and as I have had a comfortable experience of this so I cannot err in trusting to his mercy for the like in times to come. You'll easily believe after this that no outward arguments could much move me, even tho' they were such as to baffle and nonplus my reason, of which, in such a case, I could make a cheerful sacrifice, but I must also freely own, I do not see the strength of the arguments you use anent which those things occur'd to me.

It does not appear to me that the name of Jehovah is peculiar to the Eternal Father, in contradistinction to the Son and Holy Spirit. It seems rather the most awful and tremendous name of the Great God the ever-blessed and undivided Trinity, in contradistinction to, and incommunicable with any creatures whosoever. /2 : The observation that after our Lord's resurrection, Jehovah is not brought in speaking to his servants, does not seem exact. The word indeed not being Greek, does not occur in the New Testament, but I am told by those who understand Hebrew that it signifies the three times. Now the Revelations of St. John are thus usher'd in Chap. i. 8 (I am Alpha & Omega, the Beginning and the Ending saith the Lord, which is, which was, and which is to come), i.e. Jehovah, the Almighty. Again (II v.) I am Alpha, and Omega, the first and the last. What thou seest write in a Book. Thus (for it is needful to transcribe all) Chap. 5 1 v. 4. 8. ii. 17 (where the Kingdom is also ascrib'd to him) ; v. i6 (where also the Judgment) ; thus also Cap. 21 v. 5 : He that sat on the Throne (who appears by Rev. 21 and 22 to be contradistinct from the Lamb) said ` Behold I make all things new, and write,' &c. But Sly : In this Dispensation the bulk of the warnings are not in the name of Jehovah, but of God, or the Almighty. Some are spoke by that Jesus that was crucified at Jerusalem. You know all Mr. Lacy's /2 are call'd The warnings of the Eternal Spirit, but 4ly : Should one receiving a message which he knows to be from God, by the Concomitant Light, and other effects, reject the Message, because spoke by one person, whereas he expected it from another of the same Holy and undivided and contradistinct Trinity, One God, blessed for ever. 5ly. The sense of what Jacob Bohman /3 says, That none can have communication with the Eternal Father, but by and thro' the Son. seems to me to be, that the only medium of our union with God, is the Increated superessential Light (which he calls the Son) and that unless he follow that Sun-Light which enlightneth every man that cometh


1 Probably Chap. 6 is intended.

2 One of the leaders of the movement in London, author of several volumes : v. Spinckes, New Pretenders ; D.N.B., etc.

3 Jacob Boehme (1575-1624), one of the greatest of theosophists and mystics : v. Inge, Christian Mysticism (7th edit.), pp. 277 ff. ; also Vaughan, Hours with the Mystics. II, pp. 79 ff. ; E. Underhill; Mystics of the Church, pp. 214 ff. ; Notes and Materials for a biography of William Law (1854). Works translated into English, 5644-61.

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into the world, (by others call'd preventing Grace) he can never come to the Father which seems also the meaning of some of the passages you cite, but I see not how far this can make against a dispensation that so strongly presses all to follow that Inward Divine Light, even to the silencing all particular affections and desires sinking them all into the supereminent essential desire of the Father, as the most immediate means of union with, and transformation into God. 6ly. There only remains that passage anent the Son's judging and reigning, and I confess I understand little what that mysterious, and perhaps not useful speculation of the different periods of reigns of the Three Persons in the passages you cite, 1 Cor. 15. 24, 25. 'Tis plain from 15. 27 that it is the Father, who puts all things under the foot of the Son ; this appears also Heb. 2. 8. where 'tis also said, We see not all things put under him. From all which, and what I noted before out of the Revelation, it would seem that the Reign of the Son does not commence, till what is call'd the Millenium, but either way it makes little either for, or against the present Appearance. Your next argument to invalidate the proofs brought from the good efforts that flow from this Dispensation, is, That the same have been produc'd by all appearances, particularly that of the Quakers. But, Dear Sir, shall we for the sake of this argument deny that there was some good in the beginning of that sect, or shall we so far weaken the arguments adduc'd by our Blessed Saviour and his Apostles, for proving the Divinity of our Holy Religion as to suppose it probable that Satan can be divided against himself, or to destroy his own Kingdom in the soul of man, yea, to silence all thoughts and imaginations, by which alone he can have any ground to attack him, shall we think it possible that a corrupt tree can bring forth the good fruit of Inward Holiness and Amendment of Life. Must not we own that the strongest arguments the apostles always appeal to, is the Inward Testimony of the Conscience, the outward reformation in the lives of their disciples. Shall I so far deny the Author of ev'ry good gift as to ascribe his Graces, Attributes, and Names to Satan ? Can he be the searcher of hearts, can he advise, yea help to silent prayer, can he overcome all human regards in us, can he in fine, produce such a strong faith, as hopeth even against hope ? No, my Dear Friend, those things are utterly impossible, and I must give up all notions of good and bad, of right and wrong, before I believe them. The hazard you press of giving up one's self intirely to the conduct of this Spirit, is sufficiently obviated by some things said a little above ; I bless my God I have resign'd myself to none but him, being absolutely resolv'd to follow none but him, and only will whensoever he maketh it known to me, believing that this obedience is better than sacrifice. My nature is indeed so prodigiously corrupted that one may think there is to me in particular still a possibility of delusion, but I bless God who has enabled me to resign myself even to suffer that, if such be his will. But in the meantime, I cannot, yea dare not without

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either inexpressible ingratitude, or weakness, act otherwise than I do, when my convictions remain. I told you at the beginning, the pains I took to inform my self from the Mysticks of the danger of following or esteeming extraordinary Gifts, Visions, Voices. I bless my God, I find no greater attachment to those things than before, I hope never to be led by them but by the inward Light of Faith, and you'll conclude by what I have said above, that my conviction never proceeded from them. Thus, Dearest Sir, I have given you as distinct and sincere an account as was possible for me of all that has happened to me in this affair, and of my present disposition, and I have endeavour'd to write it all in the presence of God, and as a plenary confession to one whom I have this good time lookt upon as my Spiritual Father and Director, and I beg for the Love of God, and as you value the salvation of my soul, that you'll write to me with the like freedom I have now used. If you think either my former conduct, or present state, are to be blamed, and how they may be helped, as I see more clearly than ever my own ignorance and folly, so I am willing to take advice from any, much more from one I so highly esteem and love. Whatever other effects this Dispensation has produc'd in me, it has increas'd my affection to my friends, and I think made it more pure and more impartial. I love you, Mr. Monro,/1 and the Master of Forbes,/2 Mrs. St.,/3 Dr. K./4 and and in fine, all those that oppose this Dispensation, more than before, and upon purer motives, and ev'ry white as much as if ye were all in it. Yea (since I am sure you all act upon a good intention) I am perfectly easy and indifferent if ever ye shall favour it or not, knowing that as God has different designs upon his children, so his ways of dealing towards 'em are very various. I dare not ask anything in particular for you, no more than for my self, but make an illimited resignation of us all into the merciful hands of our Heavenly Father ; and as I am sensible, my state is dangerous, and that I incur a double guilt if I don't co-operate with this new and wonderful mercy, so I hope this will be a motive for all your most fervent prayers in my behalf, which I beg with all the earnestness I am capable of. It remains only that I return you my hearty thanks for the prayer you sent inclos'd, I have read it twice over with a dale of satisfaction, but cannot see what it makes against this Dispensation which so powerfully draws people inward, from all activities and sensibilities to the practice of the most silent prayer, and the most internal abnegation. I shall not fail to show it to Mrs. Ireland, /6 and all others concern'd in this matter, to whom I believe it will be acceptable and of use. I must add one word more about your nephew,/7 I was here when he went away, and even could not blame his conduct, he never gave himself up to any thing but God, and went on that Mission from very pure motives,


1 Not identified.

2 William, afterwards 1 4th Lord Forbes.

3 Mrs. Strachan (?).

4 Dr. James Keith.

5 Andrew Michael Rarr,ay.

6 V. p. 2o2.

7Not identified : p. 202.

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and after very serious and frequent recommending it to God, found his Mind fill'd with an unspeakable calm and serenity when resolving to go, but overwhelm'd with unsufferable anguish and horrour when thinking to stay. What also then could he have done in those circumstances. If ye knew all the consequences it has produc'd in him, ye would find reason to bless God for his wonderful mercies unto him. Now to conclude, as I have endeavour'd to write all this under an immediate sense of the Divine presence, so perhaps something I have said in it may give you too favourable ideas of my present state, but I hope my Dearest Friend will not judge of me by some feelings I may have, when recollected before God, for while distracted from that, I am plung'd into my former follies and backslidings. This indeed may serve to give me a fuller view of what I am in my self, and to make me discern betwixt what flows from God, and what from my own corruption to see that all fulness is in him and in the operation of his Holy Spirit all-purifying, enlightning and strengthening, wheras in me, is nothing but what hinders or destroys those operations. O may ev'rything of self be soon annihilated in us all, that he may become all in all to us.


      1. II. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS.

HONORED AND DEAR SIR,

Yours of the 17th of Novr. came to my hands the 28th, and that of the 26th yesternight the 2d instant. I acknowledge it as a great instance of your friendly affection that you embrace the occasions of writing to me even before I have pay'd the debt I owe of a return to the former, and that you so favourably interpret the slowness of the return I formerly made you (for Charity thinketh no evil) ; but much more that with such ingenuous freedom and sincerity you lay open the state of your mind with respect to the present Appearance ; by what steps you have been brought to an Inward Conviction about it, and what effects this hath had upon your soul ; which I most thankfully receive (not as a Director, for it were no small presumption in the to assume that office who have such need, in truly Divine things to be taught which be the first principles of the Oracles of God, but) for that I desire to be excited by the Experiences of others to the more effectuall practice of true and internall devotion.

I cannot cease, My Dear Friend, to adore the Divine Mercy and Goodness towards you in drawing you so effectually from the world and self unto his Divine Light and Love, and to an entire Resignation of your own will, opinions, reason, affections, and all unto him. This is the very essence of all religion and the true way to real divine experimentall knowledge,

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and the ideal notional knowledge we have of things doth as much differ from that as a blind man's notions about light and colours from the sensible perceptions of him who sees the light. And the divine effects upon your heart and soul of your silent prayer to God your Heavenly Father cannot proceed but from the Father of Lights, from whom every good and perfect gift doth come. Such a pure Love of God, and of your neighbours for his sake, such a profound humility and deep sense of your own nothingness, such as an abandoning of your will, and an entire resignation of all you are and all you have to his will ; such a contentedness and satisfaction to suffer reproach or any other evil for his sake, and in obedience to what you are perswaded to be his will ; such an absolute and unlimited faith in God so that he is become all in all to you, can be effected by nothing but the Spirit of God ; for the fruits of the Spirit are Love, Joy, Peace, Longsuffering, Gentleness, Goodness, Faith, Meekness, Temperance. And all this being the fruit of that silent prayer and pure faith in God which you are now led into, and which, as you know, so many spirituall souls have recommended from their own practice, it doth greatly recommend the use of the same. Tho' I cannot say there is any particular promise as to the prayer of silence that one shall be less in danger of any delusion if he shall use it than in praying otherwise, if he prayed to God in sincerity and with his whole heart. For the promises made are not to this way of prayer in particular, but to the seeking of God with the whole heart, in which case he graciously promises to be found of us ; and to the hungering and thirsting after righteousness, in which case he promises that we shall be satisfied ; and to the asking and seeking and knocking, in which case he promises we shall receive and find, and it shall be opened unto us. And we are bid not only to pray, but to watch that we enter not into temptation. So that tho' the prayer of silence may be of excellent use to some, yet I cannot see that it is a greater security to all who attempt to use it against the hazard of delusion, than any other kind of sincere and earnest prayer, particularly that continual prayer in the 8th Letter of IVth part of the Funeral of false Theology and from thence translated in the end of the Apol. for A.B./1 And tho' the philosophy of the Mystick Theology would perswade us that when persons sink themselves into the prayer of silence, they are out of all hazard of delusion because they silence the imagination and the sensitive facultys, in which only they suppose that delusion can have place, yet I am afraid it is not always so in reality ; for when corrupt nature is not subdued in us, when we are not regenerated in the Spirit of Jesus Christ, it is not an actuall sinking of our facultys into a present silence waiting for a divine impulse, that will secure us in such a state against delusion. It seems rather to make way

1 G. Garden, Apology for M. Antonia Bourignon (A.B.), pp. 417 ff. (actually 7th and not 8th letter).

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for it. For when a soul that is unregenerate will needs at certain times silence its facultys that it may be acted upon by a Divine impulse, it may perhaps give occasion to the Seducer who yet rules in its corrupt nature, which is his element, to agitate and inspire it with his delusions, and make 'em pass for Divine motions.

But, Dear Sir, I am far from entertaining the least apprehension of this concerning you. I know the sincerity of your heart, and the good efforts produced in your soul are the fruits of the Holy Spirit, and I am not afraid that any delusion shall hurt you even tho' you were attack'd by it, for God makes all things to work together for good to them that love him. And whatever may be designed by the enemy of your soul for your hurt, your Heavenly Father will make it turn to your Good ; and your stedfast Faith in him alone will not be disappointed.

But since you have so freely imparted your thoughts in this matter, and that you do so earnestly obtest me to write to you with the like freedom, as to this affair and of your state and conduct in it, I shall endeavour to do it under a sense of the Divine presence and sincere desire of your spiritual Good, being sensible in the meantime of my own blindness, and begging and hoping from the inexhaustible fountain of all Light and Goodness that something may be written here which may work together for your good.

First then, This prayer of silence both that of acquired and that of infused contemplation, has, you know, been treated of by most of all the spiritual writers, and is the present exercise of the Quietists throughout the Roman Communion, by which they seem to be distinguish'd from the rest of the Church.

2. It appears by yours that you have been insensibly led to this, first by the practice of the prayer of the Affections so largely treated of by Baker in his Sancta Sophia, /1 and then attracted insensibly thereby into a state of silence.

3. Perhaps it will not be found that this present dispensation of prophets doth generally lead thereunto. Tho' it may be some of your acquaintances are so disposed, yet this is not thought to be the general tendency of this Appearance, but the quite contrary. They who have conversed with some of the prophets seem to think that they are utter strangers to this both in their understanding and practice. And as little doth appear of it in the Warnings that I have seen as in any writings that pretend to be from the Spirit of God. Except in the warning mention'd in yours, I have not seen it in any.

4. There have been many who have been led into the prayer of silence that were never agitated and inspired after the manner of the prophets ; as on the other hand, many of the agitated and inspired prophets did never exercise the prayer of silence.

1 M.N.E., p. 200.

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5. As there are never wanting some who counterfeit the best things ; so there hath been in the world, and may still be a spurious quietism ; as Rusbrochius tells some strange instances of it in his time./1 And Petrucci makes mention of the Illuminati in Spain /2 from the Chronicle of the Minorites ; and he vindicates Molinos /4 and the present Quietists of the Church of Rome from being of that Spirit.

6. They who give themselves to the prayer of silence, 'tis supposed that their senses, appetites and passions are already in a great measure mortified and subdued, and that the soul has already acquired the habits of virtues, and has a will habitually prompt to be humble, obedient, poor in spirit and vertuous in all things, also they may be led into a false Quiet which doth not purify the heart but expose it to delusion.

7. The prayer of silence being the soul's turning away the understanding from all the creatures and all their images and the fixing it by pure Faith on God the Supreme Truth and Good, as he is in himself infinitely beyond the conceptions of any creature, and by ardently loving that supreme and boundless and incomprehensible lovelyness, the great End of this is to be rooted and grounded in Divine Hope and Love, and in all vertue, and while it is exercised only for this end, it cannot but be of excellent profit to the soul, and there is no occasion of deceit in this. He who prays in this manner does not wait for speeches, nor motions, nor extraordinary lights. nor other miracles ; nor desires any other thing but always most profoundly and firmly to believe in God, to hope in him and to love him in time and throughout Unchangeable Eternity.

8. But if such souls have at any time extraordinary Lights and Conditions about particular things, they are not wedded to them, because they know that what is known, possest and felt here below is not God ; who here on earth has given himself to be believed, not understood ; hoped for, not possest ; and lov'd, not felt. The only way which a soul which applys it self to acquire silent prayer can be out of hazard of delusion therein, is, by seeking therein to adore in pure faith as present to it and in it, the invisible, unconceivble, unfigurable, supreme, infinite Being and Good. and to love him as such ; and while it thus employs its Faith and Love it cannot be deceived. But if from thence it pass to rely on extraordinary Lights and Sensations that come to it thereby, these are not God, this is not pure faith, in these a soul may be deceived as in other ways.

9. The ordinary state of a soul that is in the way of acquired silent prayer, is a state of pure and dark faith. It doth not know God, it doth


1 Confirmed in E. Underhill, Ruysbroeck, p. 124 : v. also M. V.E., p. 243.

2 Cardinal Petrucci (1636-17o1) was interested in Quietism and was known in England from his Christian Perfection, a translation from the Italian in 1704.

3 V. Cath. Ency., XVI, p. 46.

4 The Quietist leader : v. Vaughan, Hours with the Mystics, II, pp. 242 ff.

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not feel him. Clouds and darkness are round about him. It is placed as in a dry and thirsty land where no water is : and yet it doth still more hunger and thirst after God and prayer, and its disgust of temporal things doth increase the more, while it seems to it self to have no vertue and not to love God. And this is its true purification, not merely from the images, and the Love of corporeal things, but from self, self-love, self-complacency, self-seeking, or the cleaving to anything but God. Such must in patience possess their souls. And of those Tauler says : /1 " Quicunque ad extremum usque desolatas has tenebras patienter ferunt, amabilissimi pariter ac praeclarissimi efficiuntur homines." They are in the exercise of the most pure graces and vertues. Such a soul believes without seeing any thing, hopes without possessing any thing and loves without tasting any thing of the consolations of its Beloved in this place of banishment. The soul that tastes God is bless'd, not in exile. He who believes in the Supreme Truth is sufficiently perswaded in his Divine word, without vision. He who hopes in the Supreme Charity gaits with a humble certainty for the future efforts of its favours, even when he does not yet possess the sweet earnests of them. He who loves purely the Supreme Goodness, loves it for itself, and not for the gusts of his own heart.

10. Since in spiritual matters, the true use of every thing, is, that we may be thereby brought to die to self, to self-will, and to the cleaving to any thing but God, and that we may live wholly to the will of God, it seems from hence to follow that inward spiritual consolations and joys and extraordinary divine gifts and lights are a much more dangerous state to souls that are not wholly mortified to self nor to an adhesion to any thing besides God. For those consolations and spiritual gifts are not God ; and the soul is ready to take a complacency in them, from which nothing but the being crucified with Christ to self and self-seeking can preserve us.

11. Since God is the Incomprehensible Truth and Wisdom as unsearchable in his ways as in his essence, so that we cannot penetrate them with our understanding, we ought humbly to accept of all the manifestations he has made by his spirit in all the fulness of the sense and meaning intended by the Divine Spirit without cleaving so to one meaning or one way as if it were the only meaning or only way of the Spirit, and all others now false. And God being Love, and all he doth and saith tending to Love, that sense and way that leads us effectually to the Love of God is good and saving to us, and instead of a solid truth, whether it be true in itself or not, it is enough that God who is the Living and Essential Truth and unites us thereunto by Love, has by the occasion of this sense and meaning, this doctrine, this way, made his Love to arise in our hearts : without which, tho' the doctrine

1 This characteristic utterance is from Tauler's first sermon for the fifteenth Sunday after Trinity (Opera Omnia, Cologne, 5615, p. 451).

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or way were never so true it would be of no profit to us. In the whole world there is but one only Good, and that is the Divine Will ; and one only Evil, and that is the will of the Creature, so that the center of all religion being to dy to self-will, that we may live only to the Divine will, whatever Doctrine (way, practice or experience) we find effectual for this, is to us a solid truth tho' it were false in itself. And whatever diverts us from that Death and this Life tho' never so true in it self, is more hurtfull to us than all those errors which do not withdraw us from so necessary a death. Therefore it is not fit to contend with any about opinions, nor to affirm any that we embrace (excepting the most common Fundamentals of Religion) to be the pure truth free from all mixture of error, while our Spirit is not translated into the pure element of Light. In the meantime I embrace these doctrines that seem best to me, and believe them to be true, while I know not better, but without adhesion or presumption, nor will I condemn those that differ from mine, but leave all to God, being ready to quite them when it shall please him to afford me more light.

Thus whatever there may be as to the nature of this Appearance it self ; yet since our Heavenly Father upon the occasion of it, is pleas'd to turn you, My Dear Friend, more inward, and in the exercise of pure Faith and Dependance upon God to wean your heart more effectually from self and all the creatures, it is for your good, while in the mean time you do not cleave to it but to God, not judging others who have not that savoury taste o this appearance to be out of the true way to God, and being ready to quite the same when it shall please him to afford you more light.

As I know no external argument will make any impression on your Spirit as to the present Appearance while you have an inward conviction about it, so neither will I offer any. I shall tell you that I continue in the same uncertainty as to the Divine authority of this Appearance. On the one hand I cannot but acknowledge that it is a strong presumption for it that upon this occasion there have been such singular effects upon the minds and spirits of so many different sorts of persons, that some who were said to have been Deists have been awakned to a serious sense of Religion and of Divine Revelation ; that others who were abandon'd to their lusts and passions have been struck with remorse and led to penitence ; that others who were desirous to live in the Fear and Love of God, and to be wholly resign'd unto him, have been brought to do it more effectually ; and so seem all to be living testimonys of a Divine power and force.

On the other hand, there are strong prejudices which withhold me from assenting to it as a Divine Dispensation of the Eternal Spirit of God.

First then our Lord hath so expressly forewarned us that in the Last Times there shall be false prophets that shall show great signs and wonders, that if possible they shall deceive the very elect. And he saith : " Behold I have told you before ; " implying thereby the great need we shall have

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to mind his warning. And there has not arisen any set of prophets in these last days which this forewarning seems more expressly to respect than these ; who are more like to deceive the best meaning ; who pretend such miraculous things, to go and abide into the hottest fire till it be spent, and not a hair of their head singed ; to speak in variety of unknown tongues, which they never learned and do not understand ; to know the secrets of men's hearts ; to raise the dead ; to call for fire from heaven and to predict the fate of kings, kingdoms and citys.

2. Most of the spiritual writers, as you know very well, and in particular A.B./1 give express cautions against the prophets of these last days : and I am perswaded, were she alive at this day she would as much declare against the prophets of this age as she did against those of her own time. They tell us that Antichrist doth now reign, and hath at this present great dominion over the spirits of men, ensnaring them by false appearances of goodness and virtue, transforming himself into an angel of light that he may seduce the best meaning persons, and that the Devil can still speak of Divine Mysterys as well as when he was an Angel. And if what he says is true, as to the number of his immediate pactionaires in the world, then the hazard is so much the greater, since by an apparent sanctity, and a pretence of immediate inspiration from God, and a gift of foretelling things to come, and of discovering the secrets of men's hearts, they are apt to impose on the best meaning persons. This last instance of discovering the thoughts of mens hearts brings to my mind a remarkable passage in the first Book of S. Augustine's treatise Contra Academicos,/2 Cap. VI. of a certain soothsayer residing for many years in that age at Carthage, called Albicerius, who was consulted by people of all sorts to whom he gave wonderful responses, even so far as to tell them their secret thoughts ; and that particularly one of S. Augustin's disciples resolving to puzzle him with a question which he was perswaded he could not answer, and bidding him peremptorily tell him upon what he was just then thinking, he immediately replyed, upon a verse of Virgil ; and when the other being astonish'd asked what terse it was ? Albicerius who had scarce ever been within a Grammar School repeated the verse as nimbly as a boy can do when bidden repeat a verse that he has learn'd perfectly by heart.

3. The manner of their uttering their warnings is to me a great prejudice against its being of divine authority. God is a Spirit, and communicates himself to the soul in a spiritual manner ; and if the notices he gives the soul be when it is still and free from all imaginations, and its own facultys do cease, one would be apt to think that this would be manifested in the still and small voice, and not by such agitations of the body,


1 Mme. A. Bourignon, Tombeau de la fausse Theologie, Pt. I, letter 8 : v. also G. G., Apology, pp. 196 ff.

2 Migne, P.L., XXXII, pp. 914 f.

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as appear in the prophets of the present age which one should think would rather pull the soul out of its silent state, than preserve it in it. This was not the way that our Lord spoke, who had the Spirit without measure. But they who pronounced the heathen Oracles are said to have utter'd them with such agitations and fury.

4. Their making so many predictions and the failing of them is no small prejudice against the divine authority of their commission to those who have no inward conviction of it. You see this is the rule given by God. Deut. Is. 22 : " When a prophet speaketh in the name of the Lord, if the thing follow not nor come to pass, that is the thing which the Lord hath not spoken, but the prophet hath spoken it presumptuously ; thou shalt not be afraid of him."

5. If this dispensation lead to inward silence, and the prophets are agitated and do speak in this inward silence, then it seems this cannot preserve them from the delusion of a foreign spirit, or of their own imagination ; neither are they able to discern, notwithstanding of this inward stillness between what proceeds from the Divine Spirit, and what from a forreign Spirit, or their own imagination, witness the case of the L. Abden of whom M. D—n /1 writes in a Letter to XXX./2 thus : " It is not altogether so as hath been represented to you, for none of the inspired ever thought or said she had not received the visit of the Good Spirit, and also spoke by it ; tho' they were also satisfied both from the nature of thy- things, and more fully from what the spirit has done and said, concerning the same, that she hath been under a great temptation, and that many things spoke and deliver'd by her, have not been the pure dictats of the Holy Spirit, but proceeded from the influence of a foreign spirit tempting and seducing her to utter her own thoughts, or his suggestions as from the Spirit of God. What the Spirit has done here in her case has been only this ; one of the orders, sent to F° /3 was by the Spirit in M. Marion /4 taken and torn : the like was done by the spirit in M. L--y /5 in another to him. And all that was publick was only at a meeting of the Inspired upon occasion of an order in the same Letter to M. L--y,/5 the Spirit by F.A./6 declared the Letter was not from the Holy Spirit. Indeed in private I had something to the same purpose on some other orders of her's. And the spirit likewise both by signs and otherwise declared that the book called the Last Revelation, etc. spoke by her of which I saw the beginning was not of Divine Authority." Thus far M. Dn.1


1 Dutton : v. Introduction.

2 Not identified.

3 Mr. Facio mentioned in connection with the London movement : Enthusiastick Impostors (1707), p. 17, etc. ; Bulkeley, Answer to Several Treatises (t 7o8), p. 92. One of the three French originators of the movement in England.

4 John Lacy.

5 F.A.: not identified.

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6. When the prophets are divided and contradict one another under inspiration it is a great prejudice against their being acted by a Divine Spirit. This is more remarkable in the affair of Mr. Whitro /1 who is now declared by many of the prophets to speak by a foreign spirit, and therefore curses are said to have been pronounced against him by persons under inspiration. And yet nevertheless his warnings seem to have as much of unction as any of the rest. And Sr. Richard Bulkly /2 declares he is the greatest penitent he ever saw in his life time, and that he never discerned more of sanctifying grace in any person than in him, and he is said to have made as many disciples and converts as any of 'em, and that there are as great changes in their life and manners, of which Sr. Richard himself is a remarkable instance who is now brought to such a generous contempt of the world and of all earthly things, and to such an effectual and practical sense of his being but a steward of that worldly abundance which God has been pleas'd to entrust him with for the good of his fellow creatures. He tells also of the wonderful effects of Mr. Whitro's blessings particularly that of Richard Cheynie attested by the man himself. Now here is one who has discovered the thoughts of men's hearts, by whose warnings men are brought to a change of their hearts and lives, and yet by the other prophets he is said to be led by a foreign spirit.

7. It seems still a prejudice to me and not a small one against this Appearance, that all the warnings are given out as spoken immediately by God himself ; not in the stile of the ancient prophets as messengers and embassadors from God to declare his will, with a Thus saith the Lord ; but as if it were God himself the great Jehovah speaking immediately by the organ of their tongues. Thus the present prophets have most literally fulfilled what our Lord hath forewarned us that the prophets of the last age would do, that they would not as his disciples did, call themselves embassadors for Christ, but would say, Lo here is Christ himself speaking to you ; Lo here is the Eternal Father, the great Jehovah, the Eternal Spirit speaking to you. Our Lord saith : Go not out to them, believe it not, Behold I have told you before. Now whither it is better for us to obey Jesus Christ or the prophets, judge ye. And where such come to vent their own imaginations or the delusions of a foreign spirit as spoken immediately by God, obliging their believers to receive it with veneration as God's word, as the prophets under inspiration do acknowledge it has been done among them, they are thereby guilty of taking the name of God in vain in


1 Abraham Whitrow : v. Nicholson, Falshood of the New Prophets Manifested (17o8), p. 18, etc. In Enthusiastick Impostors, p. 73, we read, " Mr. Whitrow, Mr. Dutton, and Mr. Cuff who were sometime Philadelphians."

2 Perhaps the most prominent of the upholders of the French Prophets in England author of Impartial Account of the Prophets, etc.

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a high degree. And in this case it must be acknowledg'd that amongst them sometimes the great Enemy of Mankind opposeth and exalteth himself above all that is called God, or that is worshipped ; and that he sitteth in the temple of God, the heart of the prophet and the believer, showing himself that he is God, and making his word to be heard and reverenced as the word of the Great Jehovah, the Everlasting God. Lord ! Lay not this sin to their charge.

8. As to what I wrote in my last to you of pronouncing the warnings as immediately uttered by Jehovah the Eternal Father in contradistinction to the Son of God there has been some mistake about it both by you and it seems by the writer of the letter to XXX./1 subscribed by the Lady Clara./2 as if I had thought that the name Jehovah was not communicable to the Son and to the Holy Spirit, which never entered into my mind ; and as if I had not known that all the manifestations of the Deity under the Old Testament, are generally (and in particular by A.B.) /3 attributed to the Son, and yet he is called Jehovah. This the writer of that letter may easily believe that I could not be ignorant of nor of the many instances he adduces to make that appear, if I have at any time perused the Apol. for A .B. /4; But the reason why I said that I thought it singular that the Great Jehovah the Eternal Father is brought in speaking ip contradistinction from his Son, is, that several of the L. Abden's warnings are so pronounced. As for instance (I have none of them at present by me) that wherein the Great Jehovah is brought in speaking and wondering how any can think this a delusion of Satan. " 'Tis true (saith that warning) he had the presumption to corrupt my Son, and that was too great a presumption ; but he durst never presume to take my sacred name Jehovah that I have reserved for my self." It may be considered whether Mr. Whitro s makes use of that sacred name, or of the import of it in his warnings. Now the reason why I thought this a singular thing, is, because as all the Divine Manifestations under the Old Testament are generally supposed to have been by the Son of God, so seem all those generally under the New after our Saviour's Ascension. It was Jesus that spoke to Paul from Heaven ; that gave John the warnings to the angels of the seven Churches where he is called the First and the Last. And John having such visions of the glory of God, and the things to come, and of the throne of God, and of the glory of his majesty. 'tis no wonder if once or twice he hears the voice of God. But the present case is a quite different thing, the Great Jehovah speaking daily out of the prophets. It were indeed very unjust for one to reject a message which he knows to be from God because spoken by one person of the Trinity when he expected it from another ; but that is the thing in question.


1 M.N.E., p. 215.

2 Not identified.

3 Madame Bourignon.

4 A curious way of referring to what was certainly his own work. M.N.E., p. 226.

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9. What I wrote concerning J.B./1 was only occasionally ; for I had not read those passages myself, and so can give you no account of them. But a friend happening to speak of it at that time (who withal knew not where to point to it) I gave you a hint of it, tho' I doubt if it is to be understood in this sense you speak of. For he lays no small stress upon the Incarnation and Humanity of the Son of God. And you know, there is one God and one Mediator between God and Man, the man Jesus Christ, who interposes with God for man, and again solicits man to return to God. And therefore the Apostle says, 2 Cor. 5. 20 : " Now then we are embassadors for Christ as if God did beseech you by us, we pray you in Christ's stead, be ye reconciled to God." As for the speculation of the different periods of the reign of the three persons of the Trinity, I had no thought about it. As for the Millennium, perhaps there's no such thing ; and Mr. J./2 can tell you that J.B. had no opening about it, and far less as to the sudden approach of it. And therefore that this dispensation is from God had need of more convincing evidence than the prophets advancing of this. You have heard the famous story of Mr. Mason /3 a Minr of the Church of England that happened in our days, who was a man of great piety and devotion, and firmly perswaded as he thought by Divine inspiration that Jesus Christ was to come upon the earth within a very short time, half a year or so and he gain'd some numbers of believers who left all and liv'd for some time in tents with him, to attend our Lord's Coming. But the period being short, the mistake was soon laid open.

10. Because there might have been some mixture of good amongst the Quakers at first, and some of them may be still well-meaning persons ; is it therefore advisable, or was it then fit to enter into that sect or party ? Was that a sufficient reason for any body to give themselves up to it ? They direct all men to turn to the Light within them, recommend the prayer of silence and even practise it sometimes in their meetings, where then none speaks. They pretend to be led by the Spirit of God, and to pray and warn by the spirit. Does this lay an obligation to be of their sect and party ? Are the prophets the only persons that recommend the prayer of silence ? Or that have practis'd it ? Do you think all the inspired in the Cevennes young and old were in the prayer of silence when they were agitated and inspired ? And that they were regenerated in the spirit of Christ ? Was not S. Saulieu /4 tho' one of Satan's emissarys as ready to recommend silent prayer and a contempt of the world ? How come the warnings of Mr. Whitro (whom the spirit in the other prophets declares to be led by a


1 Jacob Boehme : v. M.N.E., p. 205.

2 Or possibly Mr. I : not identified.

3 V. N. Spinckes, New Pretenders to Prophecy (1709), pp. 501 ff. Also R. Bulkeley, Answer to Several Treatises (1708), pp. 54 ff. ; Calamy, Caveat (1708), p. 47.

4 Apology, pp. 283 ff.

5 M.N.E., p. 216.

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foreign spirit) to produce such good effects, the good fruits of inward holyness and amendment of Life, the inward testimony of the conscience, and the outward reformation of the life of his disciples ? I still acknowledge that an evil tree cannot bring forth good fruit, but that all good is from God. and what the evil mean for evil, God is pleas'd to turn it into the good of others : as Joseph said to his brethren : " As for you, ye thought evil against me, but God meant it unto good." " Some indeed," saith S. Paul, Phil. I. 15, " preach Christ even of envy and strife, and some of goodwill "i8. " What then ? Notwithstanding every way, whether in pretence or in truth, Christ is preached, and I therein do rejoyce, yea and will rejoyce." The gospel of Jesus Christ even tho' preached thro' strife, if it be received in an honest heart, the Spirit of God may there bring forth good fruit ; and thus among the prophets there may be a mixture of good and evil as well as among other partys.

Now I have written all this, not that I think that anything I have said will make any impression upon you, but to show you plainly that since I have no immediate inward conviction that this dispensation is of Divine Authority, the outward appearances of it are such as do leave me in no small doubts about it, and oblige me to regard My Lord's warning, who bids me beware of the false prophets of the last days, and not to go after them.

And if this appearance be a delusion, then it gives this prospect of the strange artifices of Satan whereby to counteract J. Christ, he first stirr'd up all the powers of the world against Christianity to suppress and stiffle it in its birth. When it flourished the more by persecution then he set up to be a Christian, brought in all his followers and all the power of wealth of the world into the Church, and his adherents into the most eminent places in it, and appeared highly zealous for the outside of Christianity, undermining in the meantime its true inward life and spirit. When this corruption was come to its height, and many serious persons groaned for a reformation of life and manners, he then set up for a reformer, and divides the Christian world into a great many contending parties, fills them with strife and envy against one another, and so with confusion and every evil work, and makes them place their religion in a zeal against the errors and corruptions of the contrary partys, without taking care to deny themselves and to be followers of Jesus in humility and charity. And when the Spirit of God begins in the several partys of Christendom to open men's eyes, to let them see the folly and madness of their mutual strife and contention about the outward rights, forms and opinions among Christians, and to awaken them to the more inward life and spirit of Christianity by learning to take off their heart, love and desires from self and earthly things, and to turn them wholly unto God ; Satan then sets up to be a Mystick and an inward spiritual person, and this spirit of true devotion beginning first in the Church of Rome, he employs his emissarys to act the same part there,

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so that whole convents were discover'd (which had been famous for raptures and extatical devotion) to have been in the meantime agitated by the evil spirit. This in the meantime was so little regarded amongst the protestants, that they could hardly believe that any such thing could have been ; but when the like writing and truths came to be spread among them, then we are allarum'd with multitudes of prophets of the highest form in those spiritual things, they pretending that not they, but the great Jehovah speaks by their tongues. and what this at last may turn to, time will discover.

In the meantime I will not take upon me, Dear Sir, to blame you for your conduct in this matter, for I may be greatly mistaken in my apprehensions about this appearance. Happy are you who have chosen God only for your Director ; " The meek will he guide in judgment, the meek will he teach his way." Bless'd be he who hath taught you so effectually to resign yourself wholly and only to him. Continue to ask wisdom of God in all sincerity, and he will direct you. Let us labour to be the true followers of J. Christ, in the spirit of penitence, selfdenial, humility and charity without respect to any party, and live in the midst of partys without being of a party. We are call'd to be the followers of our Lord J. Christ, and not either of Luther or Calvin or A.B./1 or J.B./2 or the prophets. This is one true shepherd who calls us to one sheepfold. Let us hear his voice and follow him. In so far as any of our fellow creatures do excite us to this by word or deed, they are to be regarded by us : but in so far as they lead us to espouse their partys we have need to watch and pray that we enter not into temptation. We have one great enemy and that is self, and if that were subdued, nothing could hurt us. May we deny our selves and take up the cross and follow Jesus. Your friends here do remember you with an intire affection ; and as they doubt not of the sincerity of yours, so they are perswaded you will be equally just in your thoughts of them. By this let it be known that we are the Disciples of Jesus that we love one another. To his grace I do most affectionately commend you, and desire the continuance of the same remembrance by you, being

Dear Sir

Your most affect. servant

in Jesus Christ, G.G.

I have given you the trouble of this, not that I desire a particular return from you as to the things mention'd in this letter ; for I think that is out of your present road ; but only that I might plainly show you what witholds me from going hastily into the Society of the present prophets, for which I think you will not blame me, since you did not think your self obliged to receive them as such without a divine inward conviction.

1 A. Bourignon.

2 Jacob Boehme.

220

I have had no line from M.P./1 this twelve month, nor have I sent any return to his last. I encline to write to him shortly, and having lately seen a short line of his in answer to one sent him it seems from London about the prophets, in which perhaps they will not think they are fairly represented. I encline to translate yours to me into Latine and to send it to him if you are not averse to it, or if you chuse to do it your self either in French or in Latine, please to acquaint me by the first.


      1. III. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNS TO DR. GEORGE GARDEN.

To the very Reverend

Dr. George Garden at Roseheartie./3

VERY REVD. & DEAR SIR,

Your's of the 2d of December came not to my hands till the 24th and as I desire with all imaginable sentiments of affection and gratitude to return you my hearty acknowledgments for it so I had given it an answer last week, but that I could not so soon determine after what manner I should write unto you. At last I thought that the affectionate concern of my soul, the sincerity and freedom that appeared in yours, the condescendance you used in telling me so freely the reasons of your opinion seem'd to require an answer somewhat of the same nature.

But I hope My Dear Friend won't imagine that I either flatter my self with the hopes or presume to wish that anything I write should determine you. God forbid you were so foolish as to build any thing on so weak a foundation. I only thought it might be convenient once for all to lay the prejudices that make in favours of the p. . . . /3 as fairly before you as those on the contrary side seem to be ; besides I did not know how far it might be my duty, with meekness and reverence to give the reason of the hope that is in me to one whom upon many accounts I ought to look upon as my most valuable friend and most experienced adviser, if you'll take no other character that might intitle you to more authority. And as I design hereby to answer fully those only views that move me to write, and to give full evidence that this affair occasions in me no reserve, so I hope you'll neither desire nor expect I should ever write to you again on this subject.

In your last you handle two subjects the prayer of silence and the affair of the p. . . . /3 of both which I design to say somewhat in the presence and with the help of the Almighty, if he please to vouchsafe it. May his will be done and all tend to his Glory.

1 Monsieur Poiret : v.. M.N.E., pp. 16 ff.

2 V. M.N.E..pp. 33, 45.

3 " Prophets."

221

I. You have indeed said in yours a great many excellent and useful things anent the prayer of Internal Silence, but still there remains some thing, in which our notions about it seem to differ. A. Baker in the 7 Chap: of ' the 3e Sect: of his 3d Treatise /1 has so admirably and from such a fund of vital experimental knowledge, given a description of that prayer of its nature and advantages, that instead of repeating any thing there said, I chuse to refer you to it and restrict my- self to some particular things that seem to relate more immediately to our present enquiry.

Not only (as you express it) the philosophy of the Mystick Theology, but he and all other mystical writers who treat of this way of prayer, of its nature and advantages, have from their own happy experience assured us, that there is no danger nor possibility of delusion in it, and even to the Rational Faculties there may be very solid reasons given for this assertion. The enemy of our souls can have no access to them, but by means of some orrnpt acts of our own of some images in our understanding or affections, those being in this exercise intirely silenced, there's no ground left for him to work on or tempt us. He who made our souls can alone act upon them without the mediation or intervention of any thing ; whereas all communications betwixt created spirits must be by the means of some mutual act exerted by them. Further in this exercise all the lower faculties of the soul being silenced and still, and only the whole desire in a general manner turned towards God, we may well say that at such a time only the SUPREME PURE SPIRIT does act (which according to the doctrine of the B. of M./2 Fides et Ratio, p. 52, 53) can be reached affected or operated upon by no creature whatsoever, and consequently is uncapable of all error or delusion. Should therefore the prince of this world come to assault such a soul in such a state, he would get no entry, and for the time would find nothing of his own there. He is an absolute stranger to all that is performed in that mysterious silence as St. Ignatius s and all the Mysticks since have taught us. I know indeed that while corrupt nature is not yet subdued in us, Satan has still the power to work upon our imaginations, or affections, and thereby even in that state to represent some images to our mind, but hitherto there is no sin nor delusion, until the soul willingly withdraw the attention of its supreme fund from the most high and begin to mind and regard those floating images : then indeed is a fair door opened for all the wildest errors ; but we must take notice that by that very act


1 It is very interesting to find how this particular section of Sancta Sophia appealed especially in view of the fact that the modern English translation (p. 489) contains the note : " The instructions contained in this chapter are to be received with the utmost caution " and on pp. 490 if. there is a full note explaining the orthodox position regarding internal silence.

2 Baron v. Metternich : M.N.E., pp. 102, 160, 226, 229.

3 Epistle to the Eplesians, etc.

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the soul interrupts and abandons its prayer of silence, during which it was absolutely secure. And I hope, Dear Sir, you did not understand what I said of the security of one that was drawn to the exercise of silent prayer, as if I thought him at all times and occasions safe against the fiery darts of the Devil. I only believe him so for the time that he is employed in the exercise, making use of the shield of this naked faith that infallibly quenches them all. The great duty then of such a soul seems to be carefully but quietly and calmly to watch against the entry of all such images (which may be one sense of that passage you mention " Watch and pray that ye enter not into temptation ") and if any such are presented, faithfully to overlook and disregard them, with much quietness, sinking the deeper into the divine presence, into that dark silence, where we see, taste and feel nothing: being well assured (according to the most solid and sublime doctrine of J._ Cruce) /1 that tho' these images and representations do truly flow from God. as often they may, yet he is not offended by this way of behaving toward them, and that they produce all their effects the moment they are presented without any direct attention or reflex acts of ours. If this ought to be the conduct of a soul, in this prayer of internal silence, it may be wonder'd whence any lights, motions or divine convictions should be spoke of as the effects thereof. This I understand and have in part experienced after this manner. In general thus, a soul after due preparation being led into that state and remaining some considerable time in it, at coming out of it is surprised to find it self fill'd with new and most lively powerful sensations of its own nothingness and that of all the creatures and of the All of God ; or with a deep sense of the vanity and folly of those gays of its own choosing it has hitherto walked in and of the necessity of its being absolutely and blindly resigned to the Divine Conduct over it, or feell itself inflamed with love to God and hatred to its own corruption ; or finally sees more distinctly than ever the numerous ginns and snares its spiritual enemies are laying for it, whence its former falls proceeded and how to ship the like in time to come. I say such a soul may confidently ascribe those effects and those lights to the preceding exercise. But to give some more particular instances in my self more directly relating to the present case. of which I have not felt above 4 or 5, when the order came to go to Cowper./2 I found all the powers of my corrupt nature rise up with many specious arguments in opposition to it. I was fully then determined to go north, which I thought would be for the health of both my body and mind. I saw thereby I was to forfeit my reputation, and that step might possibly engage me into many others ; the consequences whereof I could not then foresee. However I thought I should not be too absolutely determined without haying my recourse to my God in this method of prayer and having

1 John of the Cross.

2 Cupar : v. p. 203.

223

continued sometime in that state I was indeed surprised to find my mind fully and irresistibly determined to go, be the consequences what they will. I could therefore no longer consult with flesh and blood, but resolv'd to follow what I thought a heavenly motion. Again at Craighall that day I went to Cowpar,/1 a thought occurred to my mind that perhaps my firm faith that the child was to speak might be required in order to the events really happening as our Lord always requires faith in the persons in or before whom he wrought any miracles. I resolv'd however not to trust this my own imagination, but in a general manner to offer up myself to God to be placed by him in the Dispensation that was most agreeable to his will on that occasion ; and being then drawn into this prayer of internal silence, I found on the ceasing of it the former imagination intirely torn from me, and my soul filled as with a firm resolution to go, so with intire indifferency, want of concern or thought about the event, which disposition continued long unshaken in me, even after the disappointment. At other times when doubts anents this affair have arisen in my mind, I have found upon the exercise of this prayer, my soul restored to its former tranquillity and conviction, and the doubts quite evanished, tho' perhaps for a considerable time after no satisfaction as to them afforded to the rational faculty. It were needless to mention more instances, but tell me, my Dear Friend, how can I doubt of my being in these determined by some superiour yea Divine Influence, unless I should accuse all the mysticks not only as so themselves deceived, but gross deceivers of others ; since they have all with one voice recommended this as an infallible method for obtaining of light in all doubtful cases. It were tedious to you to mention them all, but 'tis most fully handled in the 4. 5. 6. 7. 8 Chap: of the 2d § & 1st Treatise of Sancta Sophia./2 You may easily believe, Dear Sir, that a soul in this state is far from waiting for, expecting or desiring (its exercise being to silence all particular desires) any extraordinary Divine impulse, speech, motion, light, sensation, or miracle whatsoever. It knows too well its own unworthiness and the danger of being led in such a way. But if any such should be given, it hopes and in part feels, that they shall be accompanied with that infallible criterion of their being Divine that was given to the B. Angela de Foligni (p. 252 Theol. de la Croix) /3 : " see then," said the Holy Spirit, "and make the experiment if thou canst draw any vain glory from or exalt thy self upon account of all the things I have said unto thee. Yea use all thy efforts to think if thou canst, on any thing else but my words." But such a soul is far from proposeing those or any feeling of the Divine presence and consolations or any thing else as the end of its exercise, but what


1 Craighall at Cupar (Fife) : M.N.E., p. 202.

2 1932 edit., pp. 92 $.

3 Poiret issued an edition of this work in 1696. For the sentiment here expressed v. Steegmann, Book of Divine Consolation of B. Angela of Foligno (1909), p. 164.

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ought to be the end /1 of its life, a simple and illimited conformity to the will of God. It knows the design of prayer is (not to move or prevail on the Almighty, he needs no entreaty, but is much more ready to give than we to ask, nor can he be moved or interpelled by any thing, but) that the soul may thereby become more souple and pliable unto and more capable of receiving divine impressions ; and this end it thinks can be much more effectually obtained, by its yielding up it self in a general illimited manner to be operated upon by the Holy Spirit, than by continuing in its own activities and operations. It believes therefore that the promises made by God to prayer are more peculiarly adapted to this method of it. It thinks this the best way to love, desire or pray to (which are all one) its God with all its heart, when it forms no particular desire at all, breaths after nothing but his will and abandons it self without reserve unto him. Shou'd it pray for any particular grace or vertue it knows that it is not God, and consequently that its heart and desire is by that very act divided : whereas in the general desire of God alone all these good things are included, for in him are all things. It knows it has formerly often asked and received not, because it ask'd amiss ; it feells that it yet knows not what to pray for as it ought, it believes therefore that the best way to have all its infirmities supplied is, by blindly yielding up all its desires to the Spirit of God that he may make intercession for it according to the will of God with groanings that cannot be uttered. It understands the directions of our blessed Lord anent prayer (Matt. 6. 6) also in this sense. This it thinks is to pray to him in secret who alone sees what passes there, and who without the intervention of any words or thoughts of ours, knows perfectly what we have need of. And it reckons the form there prescribed to be a method of preparation thereto. It thinks it self invited to this by these gracious words of his (Matt. II. 28) : " Come unto me all ye that labour and are heavy loaden, I will give you rest”. Rest, not only from the heavy burthen of your grosser sins, but also from your smaller imperfections, from officious distracting images, in fine, from every thing that hinders you to learn of me. This it thinks may be some imperfect foretaste perhaps of that rest he is gone to prepare for the children of God, and which we are by his apostles so earnestly exhorted to enter into : and also some faint glimmerings of that peace of God, which passeth all understanding which he left as his last and best legacy to his followers. This was also his own practice particularly in the Garden. In short it fancies that in one sense all the scriptures concerning prayer may be applyed to this way of it ; that the asking, seeking, knocking to which the promises are made (as is plain by the context Luk ii. 9. &c.) are no particular desire, but the general illimited one of the Holy Spirit's living and operating in us

1 Mary Baird's version of the correspondence stops abruptly here.

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in which all good things are included ; that the hungring and thirsting after righteousness is not after any particular vertue but the state of justification ; that righteousness of God, which is by the faith of Jesus Christ : that Kingdom of God and his righteousness which we are commanded principally and in the first place to seek after. For hereby the Kingdom of God is indeed begun in a soul, when it feells the power of God casting down (according to St. Paul's expression) all imaginations and every thing that exalteth it self against the knowledge of God ; and bringing into captivity every thought to the obedience of Christ. Yea, such a soul hopes hereby to attain to that poverty of spirit and purity of heart so beatified by our Saviour. It finds herein the substance of the Fides nuda of the B: of M: /1 since its exercise is to place it self in the presence of God and cleave to him as he is in his own blessed essence incomprehensible to all creatures, and infinitely transcending all his gifts and graces and all it can ever possibly taste or feell, which it therefore passes all over, sinking still deeper into the pure and naked apprehension or desire of God himself as present in it and (as you express it) invisible, inconceivable, unfigurable, the supreme infinite Being and Good. Thus it will gradually be led through all the different steps of the Nox Obscnra till it be brought into the great desolation. It will find it self not only purified from the images and from the love of all corporeal things, but from these of all creatures and of it self also. It will find all self-love and self-will most effectually mortified and subdued. The supreme languor, bitter sharp anguish and desire of the soul being once excited and powerfully awakened by its first divine sensations, and it allowing it self no image, no affection, no thought whatsoever to deaden or divert it (which was all its former vain study and endeavour) and God for the most part vouchsafing his refreshing and all sufficeing countenance, what state, what agony, what suffering must such a soul be in ? What but the power of the most high can sustain it ? Corrupt nature finds here no aliment for it, no rest, nothing to lean to or satisfie it, and is crucified and annihilated in such a manner as none but these who have tasted of the powers or the world to come, can have any notion of. And this is the most ordinary state of these souls who know themselves unworthy and dare not presume to ask for Divine favour or consolation. Such a soul finds to its experience that this prayer can be practised under severe bodily sufferings, which become insensible, yea, comparatively pleasant unto it, and it begins to have a view how that silence can, as to the Supreme Fund, be rendered incessant and continual when it reads the 7th Letter of the 4th part of the Tombeau &c.,/2 it sees it fulfilled in its own exercise. The advice there given, being in short this : that one should upon all his needs which he continually feells apply himself to God, begging his assistance, or praising him for

1 Baron v. Metternich.

2 M.N.E., p. 209.

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mercies received. Now this is all true, necessary and divine ; but the question returns as to our wants, whither 'tis better to beg the Divine assistance in a particular or general manner ? Whither if a soul finds it self tempted to anger, it be more advisable to beg immediately of God the particular vertue of meekness, when, it not knowing what to pray for as it ought, it may be improper in its station to have that particular grace bestowed, or Infinite Love and Wisdom may think fit to leave it that thorn in its flesh for its mortification, punishment or tryal. Or rather if 'tis not better from a deep sense of our own unworthiness and imperfection, to place our selves as beggars in the divine presence, not presuming to ask any thing but his will, abandoning our selves quietly, absolutely intirely unto it. And as to praise, the psalmist teaches us the most effectual way of praising our God, Tibi silentium Labs est.' Even Angels and Glorify'd Spirits are unworthy to praise him, what then should we crawling worms of the earth pretend to ? A soul in this state will not amuse it self in inquiring into all the pretensions to Quietism, true or false. It knows its time is more profitably employed in its own silence, than in examining that of others and endeavours to cut off that and all other distractions that are not necessary and involuntary. And it is in no fear of that false quiet or silence which the Mysticks warn against ; which consists in the understanding's being indeed freed of images, while the will and affections adhere more firmly and securely to the creatures than before, whereas its exercise is to turn away its whole will and desire from every creature, from every particular thing, and fix it purely and simply on God alone. Yea, it sees that even this false silence is good so far as the silence goes, and the only hazard arises from one's suffering the will still to be active. Thus a soul acquiring the habit of this prayer, and daily discovering more of its excellency and at the same time becoming every day more vitally sensible of its own unworthiness and nothing ; it may perhaps thereby be thrown into a very powerful and subtile temptation ; it may begin to doubt if ever it was in such a state, or be tempted to forsake that exercise as tots sublime for it. But 'tis to be hoped that God who has led them by the hand hitherto, will not then leave them to themselves, but in his infinite love and mercy will vouchsafe himself to teach them that vertue and perfection consists not, in choosing even the lower place for our selves, but in implicitly following the Divine attraction ; that he does this unto them not for any worth or vertue in them, but for his own glory, and to make known the wonders of his goodness and power in making of so vile, sinful, imperfect a creature, a temple for his Holiness to dwell in, and that the treasure is not the less precious because hid in earthen vessels, but that thereby more fully appears that the Excellency is of God and not of man, therefore the more God exalts it, the more it is humbled,

1 M.N.E., p. 147 n.

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and the more it tastes of the love and all-sufficiency of God, the more truly sensible it becomes of its own ingratitude and nothingness, the less it trusts to itself. and the stronger is its dependance on the Lord Jehovah its everlasting strength.

Thus. My Dear Friend, I have endeavoured to give you some view of my present notions of the prayer of Internal Silence. I may seem to have been too tedious therein or to have magnified it too much, but far be it from me to undervalue or condemn any other method of prayer or internal exercise whatsoever. I know that different are the ways of God's dealing with every soul. I should only think it a loss, if any pious, devout soul shou'd, as not knowing the excellency and advantage of this way of prayer. fly from or resist the divine attraction thereto, which I'm perswaded all internal livers will sooner or later feell. Upon reading all this over I seem only to have omitted one question. How far this exercise may be proper for beginners which indeed in my opinion it may. All the arguments for it drawn from the unworthiness of our thoughts and desires to be presented unto God from our ignorance what to ask, from the danger of our activities, &c.. seem more cogent and conclusive as to them. And tho' for some very active spirits, it may be necessary to employ at first their imagination in good things to blot out the former bad images ; yet this might only be used as an immediate preparation to the prayer of silence. And the fewer of these images are raised, 'tis the better, it being perhaps harder tho' as necessary to abandon them, as the former bad ones, and probably all the errors and miscarriages in a spiritual life arises from an inordinate adhesion to these images, or from thence forming ideal schemes of perfection and the sways thereto, thus turning all religion into speculation and walking in ways of our own contriving, while we fancy our selves in the path that leadeth unto Life. But in general let all internal livers try this exercise. and if it is not proper for them. they may be assur'd they shall feell nothing thereof, there being a great deal of passivity and Divine operation even in acquired contemplation.

II. The Second General Head is the p. . . . r as to which I'm glad my Dear Friend does not expect I should give a particular answer to all the objections mentioned in yours. That were indeed very distracting and might engage us in an endless and fruitless controversy. I shall therefore only mention some general prejudices in their favours, that you may lay them in the ballance with those you mention against them. You know, Dear Sir, that the immediate necessary disposition for attaining Divine light in any matter, is to free one's mind from all prejudices, prepossessions or byass to either side, wishing to be determined by some higher power than the activity of our own reason.

1 " Prophets."

228

I. 1st then there being two general ways of judging of any thing : the one external by the exercise of our own active faculties ; which from the nature of these must be always fallible and uncertain in every thing ; much more in divine spiritual matters, in which they are absolutely blind, which none but the Spirit of God can know, and of whom 'tis the highest presumption in the natural man to pretend to judge: It becomes us then in ail such matters to try the other true internal and infallible way, to apply immediately to the Father of Spirits, the source of light and author of every good gift that he may vouchsafe us his light and direction in them, and enable us to know and judge so far as is necessary for us. and agreeable to his will. And this I think may be most effectually done in the way abovementioned. Now it seems 1st/ a prejudice in favours of the prophets that they have all from the beginning with one voice and without any variation appeal'd to this tryal, desir'd to be judg'd only by this only infallible rule, and exhorted every one to beg of God to chew them if these were his spirit. Would any foreign spirit so constantly appeal to a test by which 'tis impossible he should gain any thing, but would very probably be detected ? But 2,11S' : 'tis still cogent that very many serious souls upon making this tryal in the most pure unbyassed manner they coud have felt convictions, which brought their own evidence along with them, and could not be resisted, and consequently they might be secure against delusion, and it was their duty to follow them, (see Fides & Ratio,/1 p. 53), but especially p. 147, 148, 149 the whole whereof is very applicable to this inquiry) specially as has often happen'd in this case, when this impression was made on the supreme spirit, all the other faculties being silenced and still. And the strength of this argument cannot be evited, unless we deny the certainty of all inward feelings and so unhinge the foundation on which all revelation is grounded, overthrow the doctrine of divine calls and impulses on which all the mystick writings do depend, and so bring us back to the outward the letter which killeth. And as this is irresistible evidence to the person that feels it, so to am convinc'd of the sincerity of that person, it may amount to the highest favourable prejudice, which is still the stronger if many witnesses concur. Nor is this weaken'd by the consideration that dthers equally serious have not felt the like, for supposing they make the trial with all requisite preparation, who is to limit the Spirit of God, who blows when and where it listeth ? and for infinitely wise reasons may not think proper or necessary at that time to give that particular light to that person. But I never yet heard of any who upon making this tryal aright, could say it was clearly and irresistibly manifested unto them, that this was an evil spirit.

2. 2dly it seems a very favourable prejudice for them that most if not all of the objections brought against them, as failure of predictions, appearing

1 M. N.E., p. 222

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contradictions &c., may be easily answered upon granting the supposition that it is the Spirit of God, and so it would seem after all these, the question must be determined by some other rule. Whereas many appearances in this dispensation can scarce possibly be accounted for upon any other supposition than of its being the holy, eternal Spirit that acts in it. I shall mention some of these. 1st. It being a very easie certain and distinguishing criterion of the Good from the Bad Spirit, that the last draws always outward, and engages in multitudes of distractions and amusements ; whereas the Spirit of God draws us always inward (Redite, praevaricatores, ad Cor./1 Isai. 46. 8. Vulg:) to pure recollection, introversion and passivity. It is asserted by all the p….2 that I ever conversed with that this spirit never fails to produce this effect. It has taught many unexperienced souls to enter into a spiritual life, and has led them into these internal ways they had not so much as the notion of before ; and others who were but beginners in it, have been hereby advanc'd in a most surprizing manner : and to make this still more certain, all who have felt the agitations declare that they infallibly produce this introversion and passivity ; and the like effects follow from reading or hearing the warnings, or being present at their meetings. 2dly, the wonderful good effects produced by this dispensation in the minds and lives of all who favour it, is even acknowledged by their enemies. We confess, say they at London, this dispensation has made no body worse that joined it, but many better ; and here I know such powerful saving effects to have been produced by it in every particular soul that favours it. as can never flow from an evil principle. In yours, Dear Sir, you acknowledge this to be a strong presumption for it, but may I dare to say amounts to more. Wou'd Satan be thus divided against himself, and so powerfully in so many different persons destroy his own Kingdom ? Were Mys—ism and Bour—ism 3 making such wonderful progress in the Island, as to make him find such a stratagem necessary ? But let us suppose him never so willing, 'tis impossible he should produce the least good effect. He is himself all darkness, all weakness, death and corruption, and can he produce in another any true light, any saving knowledge, a principle of a new and Divine Life ? Can he overcome our lusts in us and bring forth fruits of holiness and amendment of Life ? No, 'tis impossible any should give to another what they have not themselves ; 'tis impossible a corrupt tree should bring forth those good fruits. Do men gather grapes of thorns or figs of thistles ? Our Blessed Lord has told us 'tis impossible, and left this as a standing rule to judge of all prophets by (Matt: 7. 15) " By their fruits ye shall know them." Those fruits are Love, Joy, Peace, and the rest you mention from Gal: 5. 22. To this unerring rule the p. . . .2 appeal


1 Quoted in the same connection by P. Poiret, Epistola de principiis mysticorum(1702), § 91.

2 " Prophets."

3 " Mysticism and Bourignonism."

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and by it desire to stand or fall. False prophets indeed may pretend to visions, extasies and revelations, to fasting and other exercises of outward devotion : those are all (according to the Doctrine of Holy Augustine in Comment: ad h.l.) /1 but part of the sheep's cloathing, but still inwardly, they are but ravening wolves. He that sent them can give them no interior Light, no Grace, no Life, no Love, whereas here I can tell you numerous instances of all these. Now is it possible that the Rule of the omniscient it self should faill or become out of date ? Or will this learned age find defects therein, that this more subtile reasonings can supply ? Nor will the strength of this argument be eluded by saying that tho' this be an evil spirit, yet the Holy Spirit of God may upon occasion of any one's being operated upon, or believing in it, work it self these good effects. For it were strange if the Spirit of God should thus tye it self up to work most powerfully in these precise circumstances, and would not Satan upon so many repeated experiences hereof give over this unsuccessful design ? Besides let's consider if the same reasoning holds not good to enervate the force of all divine revelations. Might it not have been said to Teresa,' " the good spirit produces these virtues we see in you, but still 'tis the Devil that appears in vision ? " Might it not have been said to our Lord himself, " 'xis Beelzebub that acts in you, tho' God takes occasion from thence to throw out legions of devils ? " And 'tis also hard not to allow one to be judge himself what it is that produces any effects upon his mind. I shall mention but one instance more, which is, knowing the hearts of men and exercising power over them. I can give you many examples, wherein this Spirit has done so, both in my self and others, but what I wrote in my last of the imagination that was torn from me may suffice. Now I truly think that no other spirit, but the Holy Eternal one, can possibly perform this. His word alone can divide betwixt the soul and spirit : He alone is the searcher of the heart and tryer of the reins : His All-seeing Eye can penetrate alone into the most secret dispositions, the most inward ground of the spirit, to which no created being can have access. When a soul is swallow'd up in pure recollection and internal prayer, it is for so long in the element of light, whereunto an evil spirit cannot pierce, nor discover any thing. Tho' Light shines in darkness, yet even in this sense darkness comprehends it not. This argument was thought sufficient to prove our Saviour's Mission, Joh. 16. 3o : and that of the primitive prophets 1. Cor. 14. 24, 25. and is the force of it any less in our days ? I know A. R.3 suggests something (as he sayes) from Cassian against this. but they amount to no more than that the devil from some


1 De Sern:one in Monte, Migne, P.L., XXXIV, p. 13o6.

2 S. Teresa.

3 A. M. Ramsay.

4 Evidently a reference to the discussion in Cassian, Collatio, VII, Cap. XV, as to how far demons can be conscious of men's inmost thoughts. V. Migne, P.L., XLIX. PP. 687 ff.

231

outward things can make some conjectures of what passes within, which is far from answering the present appearance : and your instance of Albicerius can be easily accounted for, the devil could readily suggest a verse of a prophane author to one who was so foolish as to make such an experiment. Had he told him the method of his prayer, what passed in the most inward ground of his mind, his most secret byasses and hidden inclinations, and not only discovered but removed his imperfections, this indeed had been wonderful, and to our present purpose.

3. 3dly Another prejudice I shall mention in favours of the p. …/2 is from their warning. The doctrine therein is so pure, so sublime, so mortifying to corrupt nature, and so clearly discovers all the veils that our hypocrisy and self-love throws over our corruption, that 'tis scarce to be imagin'd the devil is the author thereof ; yea they have all the characters of the Word of God mentioned Heb. 4. 12, 13. For many can from their own experience declare it to be quick and powerful and sharper than any two-edged sword, piercing even to the dividing asunder of soul and spirit and of the joints and marrow, and is a discerner of the thoughts and intents of the heart, &c. Besides the Father of Lies can't be suppos'd to have learn'd so well the art of speaking truth, that in many thousand warnings, he should not betray himself in the least, nor utter anything but what is perfectly agreeable with the Holy Scriptures and of a piece with the rest. Many obscure and mysterious places of the Holy Write are also thereby explained and we see from thence an easy way how many dark prophesies of the Scriptures should come to be accomplished, and also those of other inspired writers ; as what J.B./3 speaks of the time of the Lilly and the Enochian Life and spirit of prophesy to be restored immediately before the sixth period, or coming of our Lord, as also many revelations made to A.B./4 and recorded in her Vie Interieure. .Much more might be said on this head for which I refer to the preface before the warnings of the 15 Inspired./5 'Tis true they have all along acknowledged that there is a mixture in some warnings, but even this is a prejudice in their favours and a demonstration of their impartiality, disinterestedness and ingenuity. The same was certainly in the prophets of the primitive Church, as is plain from the accounts we have of them from S. Paul &c., and in the present case these mixtures are always discovered in time and serve another admirable ‘±nd of warning every one upon occasion of any order or any other occasion to return to their interiour, and consult the Divine Light within them and


1 V. p. 214.

2 " Prophets."

3 Jacob Boehme, SCmnztliche Werke, vol. V, pp. 208-16 ; also VI, pp. 127 ff., etc.

4 An Abridgment of the Life of A.B. appears in Garden's Apology, pp. 263 ff. Her Vie Intérieure, written by herself, was published by Poiret as Part II of the Life in his edition of her works in 19 volumes.

5 A Collection of Prophetical Warnings, London, 1708.

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only follow what that dictates. And this is the only true way to free the world from all errours, divisions, parties, schisms and distractions, and is the distinguishing character of all the messengers of God who only labour to lead their hearers from all outward distractions to hear the gentle and still voice of the true Christ the Teacher and Shepherd from within, whose voice his own sheep do know and follow.

4. The last Prejudice I shall mention is that the mission of those p. . . .1 has been confirm'd and attested in the most inward ground of the soul, to one who has those several years in a constant habit of receiving communications from God after the same manner the Mysticks have done, and such as none who know them can question but they are Divine. I know not how far this may go with you, but I am sure it wou'd be of some weight, were you acquainted with the person I mean.

And now, Dear Sir, having touched some of the general prejudices in their favours, I shall not enter into the consideration of your objections, knowing they would evanish upon the supposition mentioned before, and that a fuller inquiry into Whitro's /2 story wou'd also remove that difficulty, and that no warnings that have been condemn'd were pronounced in the name of Jehovah. I shall only therefore take notice of the difficulty about the agitations, and that because it seems also to have weight with Mr. P. He had indeed the happiness to live with one who was blessed with great measures of somewhat different Divine communications. A.B./4 was long before that freed of all sensibilities, and they were made to her in the most gentle still manner imaginable ; but the case is vastly differing betwixt the Holy Spirit's continually inhabiting, living and acting in a purified regenerated soul, and its only acting at times upon a person still imperfect and unregenerated, which is the case not only with these, but with many of the old prophets. Now how should it be known when they speak of themselves, or when not, unless by some outward visible sign, which 'tis more than probable from many places of Scripture and also other authors more conspicuous in all the old prophets. 2. In general all Divine communications are accompanied with some outward sensibility, motion, and operation upon the body, while the soul is yet imperfectly purified ; for this we may appeal to almost all the Mysticks who have felt these more or less in the beginnings of their inward life. See for instance, in the 25. p. of M.P's./5 preface to M. Guyon ; and this seems to be more necessary in this case, when perhaps the time left for our purification is so short that the Divine operations tending thereto must be more than in proportion to the disposition of our souls ; and such would infallibly kill and reduce us to nothing, unless


1 " Prophets."

2 M.N.E., p. 216.

3 Poiret.

4 Antonia Bourignon.

5 Poiret's preface to his Mme. Guyon's Opuscules spirituels (5704).

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they got some vent, if I may so speak, and overflowed the body also. But 3dIY, what needs any further difficulty about those agitations when if any of all these that have felt them, is to be believed, their constant never failing effect is not to disturb their imagination, but to silence it, and to call them powerfully into their interiour, and there to produce an inexpressible peace, calmness, and silence, resignation and joy. Can these effects be suspicious or proceed from an Evil Spirit ? And may not this Spirit be rather called Tranquillator than Perturbator Spiritus.

I have but one thing more to add occasioned by some insinuations you make of the danger of engaging in a party. I don't indeed know myself to be of any ; but I think it my duty where ever I discover the good spirit of my God to pay all imaginable reverence, submission and obedience unto it. 'Tis all one to me by what organ that spirit speaks, if by a p.,' a Quaker, a Church-man priest or a Laick ; 'tis none of their persons I follow or have any attachment to, but the Good Spirit that speaks by them, which leads me unto and speaks the same things with the sole true director within. There is a certain sympathy, communion, and if I dare use the word homogeneity betwixt light and light, the spirit in others and that within our selves by which alone we can judge. There's no need of joyning outward Societies in order to be in this dispensation. All who constantly attend unto and follow their inward light are as to their essential part already so ; and when 'tis God's will and time shall be so in another manner. Thus, my Dear Friend, I have presumed to write a great dale to you on this subject. For what errors may be in it I ask God's pardon and yours, begging of him to permit no offence hereby to be given to any, nor any new stumbling block thrown in their way. 'Twere better for me never to have been born than that thro' my forwardness or folly any of God's children should receive any prejudice. I beg therefore you'll only shew this to such as are in no hazard thereof. I see not well for what end your sending any thing of mine to Mr. P.2 will serve, because I have no copy of my former, so cannot judge [ ] 3 to be seen, however I desire to leave my self, and all I have writ entirely at your discretion ; and if you still judge it convenient you may translate so much of that and even of this as you please and send it him, leaving the event to God, only I should be glad to see the translation before it were sent, lest possibly you may mistake my sense in any thing. I have one favour further to beg of you that if you think proper to write any more to me on this head you might abstain from saying any thing that looks too much to my commendation, for that lays a restraint upon me from sheaving yours to such as it might be of use to. I am resolved to follow this conduct here, and to reserve for another occasion the telling you my


1 " Prophet."

2 Poiret.

3 A blank of half a line occurs here in the manuscript copy.

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sentiments of friendship, affection and esteem for you. I only beg with all earnestness the assistance of your prayers and while I have life or being will continue

Very Revd. & Dear Sir

Your most Affectionate Servant in our Lord.

Barns, 12 Jary 1710.

DEAR SIR,

I must add one thing more that if I have adventured here to take any place of scripture in a sense that may perhaps seem singular, I'm very far from restricting it to that sense. I only tell my thoughts, that that may be one of the many meanings it may be taken in. I recommend my self most affectionately to all your good friends, particularly M.M./1 Mrs. St./2 and her Daughter, I would write to them but I know what I say to you I say to all. ':d be glad to hear from my Dear M.M./1 I sent him a message and some papers by My La P./3 which he has hitherto never wrote if he had received. May the Almighty be with you all and lead you safe thro' thi: valley of tears to the land of never fading joy the fountain of love that flows for ever. Adieu.


      1. IV.FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNES TO DR. GEORGE GARDEN.

To the very Reverend Dr. George Garden at Roseheartie.

VERY REVD. & DEAR SIR,

Having wrote to you a fourth night ago a very long and particular letter on the subject of the prophets I shou'd not have wrote to you so soon again, but that having so good an occasion I would not neglect thereby to give you repeated assurances of the continuance of my respect, esteem and affection for you and the rest of your friends with you. As nothing indeed in the strict sense can deserve or claim these but the infinitely perfect Being, so I have of some time endeavour'd to regulate my Love to the creature, so as it shou'd been proportioned to what I discovered of the Divinity in them, of the Divine Image and Divine Love, and as I found those qualities more conspicuous (I speak it in the presence of God without flattery or complement) in none than your selves, so was my love to you proportionable :

1 Perhaps Mr. Moore (of Fraserburgh) : u. M.N.E., p. 29 : possibly Mr. Munro (v. p. 207).

2 Mrs. Strachan (?). a Lord Forbes of Pitsligo.

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neither is it in the least abated by our differing now in some sentiments, since the foundations thereof are not at all weakened. On the contrary I discover in your proceedings herein a new zeal for the Glory of God, the interests of religion and the good of souls. And tho' I am fully perswaded of the truth of this dispensation, yet I dare not pronounce it necessary in your state ; and I am very hopeful God will no longer leave you to uncertainties herein than he sees it can be useful for your purification or ours.

I must also beg leave to tell you the motives upon which I have hitherto wrote so fully to you on this head. I never was so foolish as to be much on the lay of making converts to any of my opinions, nor would I have chosen for the subjects of such an attempt, people from whom I should be glad to learn ev'n the first principles of our religion ; nor durst I attempt with my activities to support that what I believed to be the work of God or to bring over people to it from other grounds or less evidences than I had felt my self. But this simply was my view that tho' I was brought into the belief of this dispensation in a way that carried light and conviction along with it, and which was not in my power to resist ; and tho' since then multitudes of reasons for it have been impress'd on my mind without any desire or forethoughts of mine, yea tho' now every day I am more confirmed in that belief, and that every event, every hour of recollection, every passage I read in any inspired writings add some new degree of evidence if possible, vet I say after all, it being of the last consequence to me not to be deceived in a thing of this importance upon which my all depends, I thought myself obliged in the sincerity of my soul to take all imaginable precautions against such a delusion ; and so not only to apply to my God many times in the most perfect manner I could, and likewise to search and examine mine own heart and all its secret byasses and motions with the utmost impartiality, and also to make use of all the other methods of trying spirits prescrib'd by inspir'd persons ; and having on the event of all this found myself more and more convinc'd and rooted in this perswasion ; I resolv'd as the last effort to lay open before you (of whose experience, sincerity and friendship I'm fully perswaded), first the state of my own mind and then the motives born in upon me for believing this Dis: that I might know your judgment on the whole. And now I must beg of you a few things that if ye think fit to write to me again on this subject you will first let me know what it is that hinders the arguments mentioned in my last to be conclusive, 21y: what are the characteristicks, infallible rules and marks laid down in Scripture for discerning betwixt good and bad spirits, true and false p. ... s/1 since certainly our gracious Lord could not have left us at uncertainties in a matter of so vast importance. And Sly what proofs they are that can amount to a full and unquestionable evidence either to

1 " Prophets."

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a particular reason, or the world in general that a message comes from God or upon what grounds it is that we think our selves so infallibly certain of the truth of our religion and the inspiration of some other writers. Now, my Dearest Friends, I most earnestly beg of you to satisfie my mind herein that they may apply all to the case in hand with all the sincerity I am capable of. I must indeed profess in the presence of God, who seeth the most secret corners of my heart, that I have hitherto endeavoured to act in this matter with all the sincerity, seriousness, caution and resignation that the weight of it required ; and as all my trust is in his infinite mercy, who quencheth not the smoaking flax, and will not break the bruised reed, so I most earnestly beg of you and all our friends with you to become intercessors for me at the Throne of Grace to recommend my state to the Fountain of Love in the most perfect recollection and thereafter to resign me finally into his hands where alone I can be safe. I have only one thing to add that there's no possibility of separating or making any difference betwixt my case and that of our other friends engaged herein. This I may be thought a proper enough judge in, if there is any truth in me it is so. And thus I'le conclude all that I shall ever, for ought I know, write to you on this subject ; and I recommend you and all our friends to the Divine Grace which alone can keep us from falling. Let nothing ever have the power to shake or overcloud our friendship. Let it be seen that 'tis grounded on some better foundation than in our agreeing in certain notions. By this only can we be known to be disciples of the God of Love if we love one another, love all that love him, all that deny themselves, take up their cross and follow him. Let this be our daily practice. Adieu.

Yours in Him.

Barns, 25 Jary,

1710.

      1. V. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS.

MUCH HONOURED & DEAR SIR,

I had both your's of the 12 & 25th of Jary at the same time, I having been absent from this place for two or three weeks before my receipt of them. Your friendly acceptance of my last, and most obliging return to it are a pure effect of your goodness, since another in your circumstances would perhaps have treated it with contempt. As I did not look for so large a return from you in your present state, so I have no reason to expect another from you on the same subject, you having writ so fully at this time with respect to the pp./1 and set the prejudices in their behalf in so full a light, that more,

1 “prophets”

I think, needs not be said to that purpose. And I do not wonder that while you look upon them in this light, and have those views of them, and withal an inward conviction, you believe their mission to be Divine. And as you were apt to think that this would not determine me, so you may be perswaded that I do not imagine that any thing I can say will alter you. But since our sentiments differ in this matter, and you allow me the honour of your friendship, which I greatly value, and that from this principle you have freely exposed your thoughts about them, I shall as freely and sincerely tell you mine with respect to the contents of your letter, which I hope you will favourably construct as the thoughts not of an experienced adviser, which I assure you, I am not, but of an affectionate friend, who wishes your welfare as that of my own soul, and has need rather of advice from you, than that I am capable of giving you any in this matter : and may the Divine Love be the Life of both.

As to the first part of your letter concerning the prayer of silence, the principal doubt I have about it, is, whether there be no danger nor impossibility of delusion in it, as you say the Mystick writers who treat of this way of prayer have from their own happy experience assured us, and that very solid reasons may be given for this assertion even to the rational faculties. Perhaps the difference of our sentiments in this matter, when 'tis fairly stated, may be found less than at first it appears to be.

We may then consider two sorts of persons that apply to the prayer of silence, and two sorts of lights which thereby they think they come to be affected with. The first are those whose desire and will are turned away from self and the creatures, and who have resigned their will and desire wholly and perseveringly to God. The second are those who live still in corupt nature, and have their desire and will still set upon self and upon the creatures, but nevertheless at some times in imitation of what they read and hear of the true devotion and sanctify'd souls, do silence all their faculties and turn to the prayer of silence, waiting to be acted upon by the Divine Eternal Spirit. Again, there is first a Divine light that sanctifies and renews the soul into which it enters, consumes and burns up all its dross, purges it from all its impurities and lusts, from all filthiness of the spirit as well as of the flesh, and transforms it into the Divine nature. Or 21y, there is a light that gives knowledge of mysterious and inward revelations about particular Dispensations, Appearances and Persons, &c. Now as to the first of these two sorts of persons, they are not subject to delusion in the exercise of the prayer of silence with respect to the first sort of Divine light, whereby they are sanctify'd and renew'd according to the Divine image, and the soul is purged from its dross : and to the soul it is perhaps rather a fire going before the Lord, and burning up in the soul his enemies round about ; and tho' the Light be in the Darkness, yet the Darkness comprehendeth it not. But whether the Light be felt or perceived by the

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soul or not, yet in so far as the heart is thereby purified, there is no delusion ; tho' the soul walk in Darkness, and perceives no Light, yet let it trust in the Lord, and stay it self upon its God. But as for those who live still in corrupt nature, yet nevertheless at some times, in imitation of what they read or hear of the true devotion of sanctified souls, do silence their faculties and turn to the prayer of silence, waiting to be acted upon by the Divine Eternal Spirit, I must still own that I think they are in great hazard of delusion. For what communion hath Light with Darkness ? Or what concord hath Christ with Belial ? Or how can we drink the cup of the Lord, in the true spiritual sense, and the cup of devils ? How can it be imagined that God will communicate his Light and Spirit to a soul that follows its own will and desires, only because at certain times it suspends the acting of its faculties, waiting for the Divine communication, and gives it self to the prayer of silence ? I hope, my Dear Friend, you will be so just as not to imagine that I have said this with the least respect to you and your disposition. Neither must you think that what I have said respects any sincere soul who desires to seek God with its whole heart, and yet having strong corruptions to mortify and subdue, against which it wrestles, it is often foil'd, yet is not thereby discourag'd, but in the strength of the Divine Grace goes on to resist them, being confident that God will at last give it the victory. Such if they happen in the exercise of this to fall into delusion, it is to be hoped that it is for their trial, and that God will afterwards discover it to them. But this chiefly respects those who hearing so much spoke of the prayer of silence, and how easily it may be attain'd unto, and how they may come to Divine conviction about things which they think to be of the greatest concern and attain to Divine communications, will be ready to apply to this method of prayer while in the mean time their passions are not mortified, and self still rules and bears sway in them. And yet they may by this way of the Internal Silence of their faculties kindle a fire within and compass themselves about with their own sparks, and walk in the Light of their own fire, and in the sparks that they have kindled, and take all for Divine light, and Divine communications, and possess the minds of sincere persons with the same perswasion concerning them.

But as to the second sort of Light mention'd above, even those who are led into the prayer of silence by a Divine attraction, and exercise it in the sincerity of their hearts, must not therefore think that in this respect they are out of all hazard of delusion because they have silenc'd their imagination. If they receive convictions and revelations about particular things, and cleave to these as proceeding from God and make them the Rule of their conduct, they are still in hazard of being deceiv'd, for tho' these may sometimes be motions from the Divine Grace, yet such may also proceed from the motions of one's own mind, and understanding, or from the delusion of a foreign spirit, and yet be looked upon as Divine motions. In this you

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know Jo. a Cruce /1 is very positive in his Ascens. Mont. Carmel. Lib. 2. Cap. 23. to the end of that book where he treats of the spiritual apprehensions of the understanding, which he calls purely spiritual, because they are not communicated unto the understanding after the manner of the corporeal ones, and of those of the imagination, by the way of the bodily senses, but are clearly and distinctly imprinted on the understanding in a supernatural way without the meditation of either the external, or internal senses ; it being only passive, and no active proper operation of the soul interveening. And those you know he distinguishes into Visions, Revelations, Speakings, and Spiritual Touches, all which he supposes to be Intellectual, and not from the Imagination, nor from the outward senses. And he makes appear in what hazard, the soul is from being deluded in these, (especially in the three first) either by the operations of its own understanding (while it imagines that it is wholly passive, and imprest upon by the Divine Spirit, the heart being deceitful above all things), or by the impressions of a subtile evil Spirit. And tho' he gives some signs whereby to distinguish the one from the other, yet it being so hard to do it, and the danger of the delusion being so great, he gives advice not to lean to such impressions, nor to be taken up about them, but to deny one's self as to them, as well as to outward things, (for these are not God) and to tend unto God by pure Faith and Love. de la Theologie Chretienne &c.1 saith to good purpose) it is the same spirit that communicates the truths of our salvation to all the members of the Church, yet it is according to the need and destination of every one's state. He communicates them to the prophets and apostles to serve for an invariable rule and canon for the whole body of the Church ; to the guides and pastors whom he calls to succeed them, that they may teach and conduct the people under the direction of that sacred rule and canon and to the people that they may walk holly under the conduct of good pastors who are lawfully set over them." So far that author. As our reason is corrupt, so are our hearts, and our understanding is darkened and the eyes thereof blinded thro' our natural corruption and the habits of our lusts and passions : and tho' the light shine in the darkness, yet the darkness comprehendeth it not, no more than a blind man doth the light of the sun. And tho' the chief duty of the blind man is to have faith in God, and to depend upon his good providence for his preservation, yet he must do this, not in trusting to his own eyes, but in submitting to the conduct and direction of an honest faithful guide, who sees the light and knows the way. Even so, our understandings being wholly darkned as to Divine things, it may ?erhaps be no small presumption in us to look for immediate illumination in Divine things, because of the cessation and introversion of our faculties for some time. They are blind and cannot see the things of God. The true answer and operation of the Holy Spirit in this state is to direct us to the Holy Rule of Christian life and doctrine, and (we being blind our selves) to follow the conduct of him who had the Spirit without measure. I will not therefore trust to mine own reason, nor will I presume to look for immediate inward Divine light upon a cessation and introversion of my faculties, they being so corrupt ; but in the humble prayer of Faith will listen to the counsel and advices of those who have been immediately directed by the Holy Spirit of God, but especially and above all to Jesus Christ himself. And this is what I am taught inwardly, that I am blind and stand in need of a guide, that the pure in heart only are capable of seeing God and Divine things, that I must be purged from my corruptions ere I can attain that bliss, that the life and doctrine of Jesus Christ while in the flesh, is the only true physick for the cure of all my spiritual maladies, if by a living practical Faith that worketh by Love, I do carefully apply the same. And therefore instead of aspiring after inward Divine infallible light in my present corrupt estate, I am moved to live by faith and not by sight, and to make the life and doctrine of Jesus my rule, my meditation and my practice. And upon this consideration, neither is the prophet's appeal to the begging of God to show if this is not his Spirit, nor the inward irresistible conviction that it is so, which you say so many souls feell upon the making of this tryal, a sufficient

As to the affair of the prophets, as I was not willing that you should take the trouble of giving a particular answer to the prejudices which made me still doubt of their Divine mission ; so I know you do not look that I should answer each of the particular prejudices which you bring on their behalf, I having, I assure you, as little inclination to dispute and controversy as you have, being sensible how unprofitable and hurtful it is. I shall only tell you, how it comes that they do not determine me on their behalf. By prejudices I mean not a byass for or against them, but such appearances as on the one hand seem to import a Divine mission, or other appearances that seem to evidence the quite contrary.

As to the way of being determin'd and directed about divine things, I acknowledge that our dark and corrupt reason is very unfit to judge of them, and that as no man knoweth the things of a Man, save the spirit of man which is in him ; so the things of God knoweth no man but the Spirit of God. And therefore 'tis our duty to apply to the Father of Lights, and beg that he may vouchsafe us his Spirit, and grant us such light and direction as is agreeable to his will, but we must not presently conclude that every inward conviction we receive upon our Interiour Recollection is an Infallible light. " Tho' (as the Author of the Introduction aux vraies et solides principes


1 Ascent of Mount Carmel, one of the great works of John of the Cross : quoted also at p. 244 and by G. Garden in his Apology, pp. 23o ff. The reference may be found in Bibi. de Autores Esparïoles, XXVII, pp. 53 ff.

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1 Written by P. Poiret, r7o9 : v. Wieser, Peter Poiret, pp. 1o6, 338.

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evidence to me that it is the Divine Spirit, neither according to my present apprehension of things, ought it to determine them. To seek after such a Divine illumination and irresistible conviction looks like a tempting of God. So far is this from being infallible, that to me such seem not to be out of the hazard of illusion from their own minds, or from a foreign spirit, while they are not yet transform'd in their minds, according to the Divine image.

I believe the author of Fides & Ratio &c.,/1 were the matter fairly represented to him, would scarce think that his sentiments, p. 147, 148, 149, cited in your's were fitly applied to the present case. He tells us, p. 149, § 388, “That such a Revelation containing an invincible character of Truth useth not perhaps to happen to any other but most pure souls, and such as by long use have their senses exercised in spiritual things." He tells us in the next page, § 395 &c., " That a strong desire of internal Illumination has a magical force in it, creating within it self what it ardently desires ; and that such a desire being criminal, it is not to be thought that the enemy will omit to cooperate with it. And that therefore such desires are by all means to be suppress'd, avoided, and deprecated. But (§ 40o) especial care ought to be taken that the heart do not cleave to such illuminations. which it is not easy to avoid, and that it do not lay much stress upon them, but that it still turn to God in the most inward recess of the soul, and there apprehend and cleave to him as he is in himself by dark and naked faith." And as he says, § 402 : " that Humility is the best safeguard against the hazards of this state, so such is the blindness of our mind, that we often think we are humble, when truly we are not so."

Now, Sir, since I ought not to trust my own Reason in Divine things, and that so corrupt a creature must not presume to look for immediate inward illumination, I flee to the merciful and faithful guide Jesus (who has promis'd to be with us to the end of the world) and beg that the Holy Spirit may direct me by his doctrine which is the Truth. Now his warning always occurs to me upon this occasion, he having expressly told us of the last times, Math: 24 : " That many false prophets shall arise, and shall deceive many, and shall shew great signs and wonders, insomuch that (if it were possible) they shall deceive the very elect. Behold, saith our Lord,

I have told you before. Wherefore if they shall say unto you, behold he is in the desert, go not forth ; behold he is in the secret chamber, believe it not." Never, for ought I know, was there any appearance since our Lord's Ascension which this Divine warning seems more to respect than this present Appearance, when such a multitude of prophets in the desert and in the secret chamber invite us to come to them, and to enter into their Dispensation and believe it, who pretend that they do not speak, but Christ speaks immediately out of them, and that not as Man, as he did when cloathed with our mortality, as the Son of Man, but as he is the Eternal

1 M.N.E., p. 222.

242

God. On Mount Sinai a voice was heard out of the thick darkness at the giving of the Ten Commandments in audience of all the people, and this but once ; but now 'tis pretended that the same Eternal God speaks immediately and daily, out of men, women, and children, as he spoke unto Moses in the audience of the people out of the cloud. Strange signs also are shown, speaking of strange tongues, discovering the thoughts of men's hearts, &c. If you say however that this warning cannot respect the present prophets, because of the good fruits you tell of them, and when our Saviour bids us beware of false prophets, Math. 7, he tell us, by their fruits we shall know them, if the prophets, of whom our Lord warns us had not apparently good fruits, how should the elect be in hazard of being deceived by them ? It is to be considered that these are two different warnings which respect different persons and times. This was given in his sermon on the mount, and respects false pastors and false teachers that should creep into his Church, who might be discovered by their fruits. But the other respects the last times of the world, and such prophets as cannot be easily discerned by their fruits to be false prophets ; such as if it were possible would deceive the very elect. And therefore he does not bid us try their spirit and examine it by their fruits, but forbids us to go out to them, or to believe them ; and those are the two things which they require. Such persons shall they be, saith A.B.' in the exposition of this warning, as may deceive and seduce the elect, who will easily be seduced, seeing such apparent signs and miracles, and will be afraid lest they should offend God, if they should believe any evil of persons so wonderful for their Goodness and virtue. The Divine Goodness insists, saying, Lo I have foretold you, to show, saith A.B.' that none ought to pretend ignorance, for it is Jesus Christ himself that declares it. Were it only some illuminated person, every one would be examining whether it proceeded from God or from the Devil. But who can question Jesus Christ's words that proceeded out of his own mouth ? He goes on saying : If therefore it be said unto you, Lo he is in the desert, go not out ; Lo he is in the closet, believe it not, as if he had said : There will be holy and righteous persons in appearance, who will say unto you, Do this or that, and you shall be saved ; believe them not.' Salvation is no where to be found but in the doctrines of Jesus Christ which are contain'd in the Gospel. Thus far A.B./1 p. 76, 77, of the first part of Light arisen in Darkness. Engl. Edition./2

Now as our Lord's warning imports the hazard that the best shall be in of being deceived by those prophets, so what S. Bernard /3 says, with respect


1 Mme. Bourignon.

2 Light arising in Darkness : published in four parts in 1703.

3 digne, P.L., CLXXXIII, pp. 9.58 f.: not a continuous passage but a summary in extracts. Cf. the remainder of the sermon, pp. 951 ff., and also Sermon 6 (not 7) on Psalm xc, at pp. 199 f. V. also Vaughan, Hours with the Mystics, I, p. £45.

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to this danger, he being a very enlightned and holy man, deserves great consideration. 'Tis in his 7th serm: on the 90 psalm, and in his 33d upon the Song of Solomon, in both which he expounding the 5th & 6th verses of that psalm, applies the four evils there mention'd to the state of the Church, showing first " that the primitive Church was assaulted by the terrour by night, by grievous persecutions, when they who killed them thought they did God service. And when this tempest was calm'd, the enemy had recourse nixt to the arrow that flyeth by day, and raised up men full of vainglory to vex the Church by diverse and perverse doctrines. And when this plague was also removed by the wisdom of the saints, as the former was by the patience of the Martyrs, he then stirreth up the pestilence that walketh in darkness, and then a grievous contagion spread thro' the whole body of the Church, which the more universal it is, the more desperate ; and the more inward it is, the more dangerous. All are friends and all are enemies. Men are the Ministers of Christ, and they serve Anti-Christ. All pretend to honour Christ, and all seek their own things. There remains only now to make appear the Damonium Meridianum (as it is in the vulgar Latine) the Noon-day Damon (in our translation it is rendered the destruction that walketh at noon-day) for the seducing of those who yet abide in Christ in the simplicity of their hearts. He hath drunk up the rivers of the learned, and the torrents of the mighty, and he trusts that he shall draw up Jordan, that is, the simple and the humble of the Church into his mouth. This is the Anti-Christ, who not only falsely calls himself above all that is called God, whom the Lord Jesus shall consume with the Spirit of his Mouth, and shall destroy with the Brightness of his Coming." Thus far S. Bernard. If it is possible that there may be such a Damonium Meridianum chiefly bent to catch the well-meaning, what need is there for such to watch and pray that they enter not into temptation.

And how easily may we deceive our selves, and may others be deceived in the matter of true vertue, which you know can never be without true charity. There is nothing more terrible, nor more humbling, than the supposition which the Apostle makes, z. Cor. 13, that a man may speak with the tongues of men and angels, may have the gift of prophecy, and understand all mysteries, and have all Faith, so as to be able to remove mountains, and bestow all his goods to feed the poor and give his body to be burned, and yet not have Charity ; and then all is nothing.

You know, Sir, that there is a natural enthusiasm, and a demoniacal one, as well as a Divine, and that it is hard to discern the one from the other. You know Jo. a Cruce 1 in the 29th Ch. of the 2d Book of the Ascent of _Mount Carmel shows that some intellects are so vivacious and so piercing that they are no sooner Introverted and Recollected than they form with

1 John of the Cross : v. pp. 200, 223, 240 Ribl. de Autores Espanoles, XXVII, pp. 6o ff.

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great facility lively Reasonings and Words about the subject they apply to, which they conceive to be immediately from God, tho' they proceed only from the intellect itself, which when abstracted from the senses can perform all this and much greater. And this, he says, happens frequently, and many do therein deceive themselves, and think they have attain'd to sublime prayer and communication with God, and they cause to write what occurs to them in this Introversion. And he advises such to learn to despise those things, and to have their will strengthened in humble love and the exercise of good works, and to imitate the Life of Christ in suffering, by mortifying themselves in all things. He makes appear also how a Demon may mingle with such an Enthusiasm in those especially who are addicted to this ; and that when they enter upon inward Recollection, he uses to afford them copious matter of digressions, forming to the understanding conceptions and words and so doth most subtilly precipitate and deceive them by most plausible things ; and that his operations are very hard to be discerned. For tho' for the most part they make the will but remiss and cold in the Love of God and incline the mind to vanity, self-esteem, self-complacency ; yet sometimes they instill into the soul a false kind of Humility, and into the will a fervent kind of affection ; (tho' founded on self-love) so that it requires a very enlightned person to discern his delusions. He knows also by the sentiments he excites how to move fears, and to imprint in the soul the affections that he intends. But he still moves the will highly to esteem those communications, to give it self to them, tho' they are not the exercise of vertue, but rather an occasion of the loss of that already acquired. You know how he makes appear in Lib. 2. C. 21, that a Damon doth usually take the same ways of conversing with a soul that God doth, and proposeth things like to those which God communicates, and like a wolf in the flock covers himself so cunningly with the sheep's skin that he can hardly be discerned. And when he reveals many things that are true and conformable to reason, and withal do certainly come to pass, souls may be easily deceived by him, and made to believe, that things which he foretells coming to pass exactly atcording to the prediction, it must needs be from God. And therefore he says, a soul can never be safe from Illusions, but by avoiding all revelations, visions, speeches, there being no necessity of these, since natural reason and the law and doctrine of the Gospel do afford what may serve to direct the soul, and that we ought so highly to value the light of natural reason, and the doctrine of the Gospel, and so to cleave to them that tho' any words were supernaturally spoke to us, (whether with or against our desire) we ought to receive those only that are conformable to reason and to the Gospel-Law. Yea we ought so much the more to weigh this Gospel-Law upon the coming of any revelation, since the Devil utters many things that are to happen, and are conformable to reason, that he may deceive the better.

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But there's hardly any thing in this matter that seems more surprising, than that those who had and still affirm they have no small esteem for the writings of A.B.' who, you say, had the Divine communications made known to her in the most gentle still manner, being freed of all sensibilities, and who gave such repeated warnings to beware of the prophets of this last age, that such, I say, should have been drawn into this Appearance. and brought to think that her writings do favour the same. How often doth she say, that God had made known to her that we live now in the dangerous times foretold by Jesus Christ, wherein false Christs, and false prophets should arise, and deceive many ; of which he said, he had told us before, that when the time came we might mind it and not be deceived by them ; that there is no need of new prophets, the old having foretold all that shall happen to the end of the world ; and Jesus Christ the most perfect of all the prophets having foretold for the last all that we have need to know : that God will send none as his prophets and embassadours in this last age of the world, but such as are regenerated into his Spirit, as have the fruits and gifts of the same, and the qualities of true Charity, and are partakers of the Divine nature in righteousness, goodness and truth, and that a soul that has not these, and pretends to be sent a prophet from God, is certainly deceived it self, or would deceive others by false appearances : that without this there can be no infallible evidences of a true prophet sent from God : that the great Enemy of God and of men's souls having gain'd the wicked to himself by their evil deeds, labours subtilly to draw in the good and the well-meaning by the most plausible appearances of sanctity and of Good, that by his adherents he can work extraordinary things, make 'em foretell things to come. speak of Divine things like seraphims so as to draw tears from and ravish those that hear them ; and give such good impressions, as that the good are confounded at it, and believe they are all Divine operations : that the Gospel was sufficiently confirmed by the undoubted miracles of our Lord and his Apostles, so that now there is no need of them for the Confirmation of our Faith ; and tho' he is pleased to give particular favours to some souls ; yet it is not his will that this should be published to the world, lest the Devil should take advantage of them, and the true miracles should authorize the false ones which he works by his adherents : that neither signs, nor prophesies, *nor the gift of tongues, nor any miracles whatsoever are sufficient to discern the Spirit of God, since all those and much more may be performed by the operation of the Devil : that she had seen his adherents do admirable things ; • some were blind for some years, and then receiv'd their sight in an instant : others were dumb, without being able to speak, and recovered their speech by supernatural ways ; others were suspended and did flie in the air visibly, before all the people ; others

1 Mme. Bourignon.

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were without pulse or motion for some days and nights, and in an instant arose and walked freely ; that tho' one had a true revelation, yet credit is not to be given to it, so long as he lives to himself, because self-love mingles easily with the Spirit of God, and spoils the inspiration ; so that such take their own imaginations for inspirations : that to be assured of any inspiration the soul must be wholly annihilated in it self that God alone may move it and operate freely in it ; that there is much more evil and sin in judging evil to be good, then in doubting of that which is Good ; for in doing the first, we cooperate with the evil, and commit many sins, deceiving those to whom we praise and commend the evil, and making them embrace lying for truth ; and we puff up the other by the vain praises we give them : but to doubt of that which is Good, doth not diminish the real Good in the soul that possesseth it, and to be despised doth more good to a soul than to be flatter'd or prais'd. And as to what is said, that she owns the time will come when God will pour out his spirit upon all flesh, and that he promiseth to his people, that their sons and their daughters shall prophesy, and their old men shall see visions ; this promise is, she says, to the people of God that are regenerate, and that they are not so now, but that we live at present in the full Reign of Anti-Christ, who rules over almost the hearts of all men, and amuses even the most pious and well-meaning with a pretext of venue and sanctity. And what some are apt to apply to this present Appearance of the state she tells the Church shall be in (p. iii Confer. 28. of the L. of the W.' p. 220. Engl. Edit.) is certainly to be understood of the Church Renew'd and Regenerated in the Spirit of Jesus Christ, when all men in general who shall remain on the earth then, shall, she says, subject their wills to that of God.

You grant a Demon may discover the thoughts of another where the imagination takes place. Corrupt nature in us is, you know, his Element wherein he acts, and how far his conjectures may go, as to our most secret and inward operations is 'hot easy for us to discern. And this may appear from the strange instance that Rusbrochius gives us of the false Quietists in his days, of which you may read in his Treatise De Ornate Spirit. nupt.2 L. 2. c. 76, 77, 78, 79 ; of whom he tells us, that when they pleased they retired and remain'd still from the exercise either of their senses, or their imagination, silencing all their faculties, their intellect and will, and ceasing from all inward as well as outward actions, and stript of all images. In which state they felt a great and delightful quiet, solace and sweetness ; some of which, he says, led a strict life, and used great acts of penitence, some of 'em pray'd for many and singular favours from God, and were often deluded : God often permitting those things to befall them by the help

1 Light of the World, by A. Bourignon ; Eng. trans., 1696.

2 De Ornatu Spiritualium Nuptiarum (Latin trans. of Ruysbroeck's Flemish work in 1512).

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of Demons, which yet they attributed to their sanctity : of which, he says, there was no wonder, they being proud, and neither divinely touched nor illuminated. They did cleave to themselves, and a small consolation greatly touched them, they little knowing how much they wanted, and were bent upon the inward gust of a spiritual delight, which may be called a spiritual luxury, it being an inordinate propensity of self-love that still seeks its own consolation in every thing. They also labour'd under a spiritual pride, and were addicted to self-will, and were therefore so earnest for what they desired and asked of God, tho' they were deceived and some of them seiz'd by an evil spirit. And yet this natural self-love is in outward acts as like to Charity, as two hairs of the same head are like to one another. These Quietists, he says, thought they were much in contemplation of God, and most holy. They thought this state of Quiet of such excellency, that it was not to be interrupted by the most excellent things, because it excell'd all vertues. Therefore they give themselves up to this state of pure passivity, asking nothing, waiting as an instrument till the artificer work with it. For they think if they should do any thing it would hinder God's work. They abide therefore Quiet from the desire or act of any vertue ; so that they will neither praise nor give thanks to God, nor know, nor will, nor love, nor pray, nor desire ; and so they are poor in spirit, because they have no will, and are without the propriety of any choice, and that they have obtain'd that for which all worship in the Church is instituted ; because they have no will, and have resigned their spirit unto God, and are made one with him. And such is their subtilty that they can hardly be overcome by reason. And yet, saith he, if you consider well the Holy Scriptures, and the doctrine and institutions of Jesus Christ it will evidently appear that they are far from being his true followers. This Quiet, he says, is what all men by nature reach unto without the Grace of God, if they but know how to rid themselves of all images and acts. But a soul that loves God cannot embrace this Quiet, for the love of God, and an inward touch of the Divine Grace is not idle. And thereafter he shows wherein the true prayer of Silence does consist. Now since the soul is naturally capable of putting it self into this Quiet, and of silencing all its faculties, and that this natural Quiet is accompanied with a great delight and content, and that souls given up to it are apt to think that they are much in contemplation of God, and that they yield up all their faculties to be acted upon by him, while yet self-love bears sway in them, is it not to be feared, I: Lest the general advice and practice of leading people into the prayer of Quiet, while their hearts are not as yet in a due disposition for it, may not bring in generally the false Quietism, the evil of which Rusbrochius doth so often represent, and into which men will naturally fall, while corrupt nature prevails in them. 2: Whether in this state of natural Quietism it is not possible for an evil spirit to perceive that a man has silenced his faculties, and is gone into

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a state of Quiet ? Now you going to the meeting mention'd in your first letter, to try, as you say, an experiment, how warrantably I shall not say, and the warning from the L. A's.' mouth advising to that very state of Quiet which Rusbrochius calls the False Quiet, ' ` that every man and woman hold their peace, silence their thoughts, be careful that their imagination do not interpose, that they be altogether still " 2 ; was it impossible that the Imagination you had then might have been torn from you, and you put into this natural state of the silence of your faculties, and that you might have been directed to it by a foreign spirit, when you came to try the experiment, especially when the good innocent well-meaning Lady herself is now perswaded, and I think, not without reason, that all was a delusion and a foreign spirit. And by the way I think the rencounter was not so miraculous that a person who in pursuance of M. Guoyon's Method of Prayer3 had given herself to the prayer of silence for half a year before she joyn'd the prophets, should recommend it in her warnings. 3. Since men may naturally put themselves into this state of passivity and Quiet and silence their faculties, while corrupt nature doth still prevail in them are they not still as much and perhaps more in hazard to be acted upon by a foreign spirit, and to take all its suggestions for Divine motions, Lights, Revelations, Speeches, and more uncapable of discovering the same, as thinking they are out of the element of a foreign spirit by having silenced their imagination, and that all light and conviction that comes to 'em in that state must be from the Eternal Divine Spirit ?

The mention I have made of the L.A's.l case puts me in mind of a remarkable passage contain'd in one of Fr. de Sales Bp. of Geneva his Letters,' viz. Lett: 23. Book 2, directed to the Religious of the Order of the Visitation ; the purport of the letter being to show that frequent revelations are to be suspected. Upon this occasion he tells this remarkable story. " There was," saith he, " in the time of the Blessed Sister Mary of the Incarnation, a \laid that was imposed upon by the most extraordinary delusion that can be imagined. The Enemy in the likeness of our Lord did for a long time repeat her hours to her, and sung them with so melodious a voice that it perpetually ravished her. He gave her the Communion very often under the Appearance of a silver and splendid cloud, within which he made the false Host to come into her mouth : he made her live without eating any thing. When she carried alms to the gate, he multiplied the loaves in her apron, so that if she carried bread thither only for three poor persons, and if there happen'd to be thirty there, there was bread enough to serve 'em all abundantly, and that very delicious bread, of which her confessour sent some portions here and there to his spiritual friends, out of devotion.


1 Lady Abden : M.N.E., p. 394.

2 Ibid., p.201.

3 Ibid., p. 15.

4 OEuvres complètes (1831, Lettres, IV, pp. 125 ff.

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This maid had so many revelations, that at last it rendred her suspicious with knowing men. She had a very dangerous one which made 'em to resolve to make a tryal of her sanctity, and for this end they plac'd her with the B. Sister Mary of the Incarnation,' where serving and being treated somewhat severely by the deceast Me. Acary,2 they discovr'd that this Maid was not holy, and that her outward Meekness and Humility were but an outward gilding which the enemy made use of to make her take the pills of his delusion ; and in short they discovr'd there was nothing in her but a mass of false visions : and as to her, they perceiv'd that she did not maliciously deceive the world, but that she was first deceived herself, there being no fault on her side but the complacency she had to imagine that she was holy, and so contributed some little dissimulation to keep up the reputation of her vain sanctity. And all this," saith he, " was told me by the B. Sister Mary of the Incarnation."

You speak of an admirable end of the mixture granted to be in some warnings, I suppose you mean of a foreign spirit, or of their own imagination ; that this serves to warn every one to consult the Divine Light within them, and only follow what that dictates. And this you say is the only true way to free the world from the errours, divisions, parties, schisms, and distraction, to hear the gentle and still voice of the true Christ, the Teacher and Shepherd from within. Dear Sir, perhaps in this matter our sentiments are the same ; but because some may mistake the manner of expressing it, I shall here take occasion to tell you how I conceive it. We come to know any thing either by the eyes and senses of the body, or of the mind, or by neither, but we believe them to be upon the credit and testimony of others. Again the eyes and senses of the mind are either those which we may call the humane and rational faculties, which all men do more or less exercise, and by which they have the perception of humane things, or those which we may call the Divine powers, which are capable of receiving impressions from the Divine Light. Thus, that the sun shines we perceive by the eyes of the body ; that we think, see, and hear, that we will this or that, that we love and hate, that a thing cannot be and [not] be at the same time, and in the same manner, we perceive by the eyes of the mind, our humane and rational faculties : that there are such places as the West Indies, that you purpose to favour your friends in the north with a visite nixt month, we perceive neither with the eyes of the body nor the mind ; but we believe the one upon the credit of your writing so, and the other upon the testimony of thousands who have gone thither and brought of the product of those places for so many years, and could not conspire in this to make a lie. After that Job had been purified and tried as gold in the fire, the eyes of his Divine

1 (1599-1672) : v. Underhill, Mystics of the Church, pp. 202 ff.

2 Madame Acarie (1566—x618) : v. Underhill, op. cit., pp. 187 ff.

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faculties were opened, and then he saw by the Divine Light, which made him cry out, " Who is he that darkneth counsel without knowledge Therefore have I utter'd that I understood not, things too wonderful for me, which I knew not. I have heard of Thee by the hearing of the ear. but now mine eye seeth Thee ; wherefore I abhor my self and repent in dust and ashes." Now this Divine Light is the Eternal LOGOS, the Eternal Word who was with God in the beginning, and is God, by whom all things are made. in whom is Life, and his Life is the Light of men ; and the Light shineth in darkness, and the darkness comprehendeth it not. Man is turned away from God, his understanding is darkned, he is alienated from the Life of God, he is not capable in his corrupt state to behold that Light. The pure in heart only shall see God. Man is most grievously diseas'd and disorder'd in all his faculties, naturally dead in sin and void of the Life of God. and all his Divine faculties and senses are as uncapable of Divine things, as the blind are to see and enjoy the Light. From this wretched state, man could never have recovered himself, but great is the Mystery of Godliness and of the recovery of Lost Man ! God was manifested in the Flesh. the Word was made Flesh and dwelt among us, took on him all the infirmities and weaknesses that sin had made us lyable to, became in all things like to us yet without sin, and in this state he became our physician full of Grace and Truth to heal all our diseases : and so he came to do the will of his Father ; and to offer himself a most perfect sacrifice for us. So he came in this state to be the Light of the World, and to show us both by word and deed, accotnpanyed with his powerful Grace how to retirn to God, and to those who receive him in this state, he gives power to become the sons of God, even to those who believe in his name. 'Tis not enough for us to know the end, we must also know the way that leads to it. Now our Lord Jesus Christ is all. He is not only the End, the Truth and the Life, as he is God, and the Eternal Word, but he is also the way in his humane nature and as he is man, and the great duty he requires of us is Faith in him, that we wholly trust in him, take his prescripts, cleave to him and follow his steps. So that our state here is to walk by Faith, and not by Light. The End is proposed to us, and we see it not ; God the Supream Good and the enjoyment of him. And the only sure way to the End is laid before us, to follow God manifested in the flesh, to tread in the steps of the life and doctrine of Jesus, our Redeemer, our Physician, our Captain, our Guide. He requires us that we wholly trust him, believe in him, take cheerfully the prescripts of our physican tho' we do not yet see by Divine Light how effectual they shall prove to heal all our diseases : that we follow closely our Captain and our Guide, resigning our selves wholly to his conduct and command, as a soldier doth unto his general, without enquiring into the light and reasons of his orders. You see then, our state in this world is to walk by Faith, and not by sight. We are not commanded to consult the Divine Light

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within us, the Eternal Word, for we are naturally blind, and our darkness comprehendeth it not : and instead of seeing by the true Divine Light, we are ready to kindle a fire of our own, and to compass our selves about with sparks, and to walk in the Light of our own fire, and in the sparks that we have kindled. But who is among you that feareth the Lord, that obeyeth the voice of his servant, that walketh in darkness and hath no light : let him trust in the name of the Lord, and stay himself upon his God. Our state in this world is a state of darkness, our duty is that of Faith and Trust, and staying upon a most faithful and unerring Guide, the Word made Flesh. We think that we are rich and have need of nothing, and know not that we are poor, and miserable, and wretched, and blind, and naked. He counsels us to buy of him gold tried in the fire that we may be rich, and white ravment that we may be cloathed, and that the shame of our nakedness do not appear, and to anoint our eyes with eye-salve that they may see. When we have put off the old man with his affections and lusts, and we are renew'd in the spirit of our minds, we may then hope to see what we now believe, or even according to the different degrees of that renovation, we come to perceive and feell different degrees of Divine Light,

I mean that light that operates the Divine Grace for which it is sent. For as he knows not the true taste of honey, who never tasted it, so neither doth one know what the true Love of God is who never had it, and it is shed abroad in the heart by the Holy Spirit. But to think, to consult the Light within, and to follow what that dictates, is the only way to free the world from all errours, divisions, parties, schisms, and distractions, is in my opinion a dangerous mistake in the present corrupt state of mankind. Our great duty is to consult Jesus, God-man, his life and doctrine. " Go," saith he, " and teach them to do all things that I have commanded you." He doth not say, Go, and teach them to consult only the Light within them. In our corrupt state, men consult only the Light of their own fire, and walk in the sparks of their own kindling and call this the Divine Light within them. And thus you see many parties have pretended thereunto. If you say the parties and sects are as numerous who pretend to be guided by the doctrine of Jesus Christ, it is because their hearts and their lives are contrary to their profession, they do not regard the plain rules and doctrine of the Gospel, but dote about questions and strifes of words, and teach for his doctrines the commandments of men. If it be said that if men would truly consult and follow the Divine Light within them, it would put an end to all errours, etc. it may be considered that men in their corrupt state are uncapable of perceiving and being directed by this Light untill their hearts be purified by Faith. Not but that this Divine Faith is the work of the Divine Spirit, by which the heart being inspired with the Love of God's Righteousness, and the hatred of it self, doth embrace and believe the doctrine of Jesus which is so agreeable to this. But here is the true standard

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whereby to judge whether the inward Light unto which men pretend, be Divine or not. Jesus, he is the Light of the world, if we follow him, we shall not walk in darkness, but shall have the Light of Life. Now I suppose, you mean nothing in your's but what is consistent with the substance of what is said here. And I know you will not think it impertinent that I adduce to the same purpose a passage or two of S. Augustin, who both in practice and speculation was no stranger to what is now called the Mvstick Divinity, and experienced and breath'd after the internal Divine Light in no small degree. " To enjoy that Truth and Light which is unchangeable, the soul," he sayes, " must be purified, that it may be capable of beholding that Light and of cleaving to it. Which purification is like a travelling and sailing into one's native countrey. For we cannot go to him who is every where present by change of place, but by change of manners and disposition. This we could not do, if wisdom it self had not humbled himself to condescend to our infirmities, and if he had not, because we are men, given us an example in the humane nature how to live. How came He ? even thus that the word was made flesh." De Doctr. Christ. L. 1. c. 19.1

" The mind," he says, " being darkned with vicious affections, is not only uncapable to cleave to the unchangeable Light, but even cannot suffer it. But being renew'd from day to day, it must become capable of this bliss. It must first be endued with and purified by Faith ; in which that it may the more confidently travel towards the Truth, the Truth it self, God the Son, becoming Man, but not ceasing to be God, establish'd and founded this Truth, that man must go to G,)d by God-man : for this is the Mediatour between God and Man, the Man Christ Jesus. By this he is the Mediator, by which he is Man, and by this he is the Way. For if there be a middle way between him who travelleth and that to which he travelleth, there is hope of attaining to it. But if there is no way by which he may go, or if he is wholly ignorant of it, what will it avail that he knows whither he ought to go ? Now the only sure way against all mistakes is that he who is the way, is both God and Man ; and that to which Man tends is God." De Civil. Dei. Lib. 2. c. 3.2

" The eye of the soul, is," he says, " the mind (or understanding) pure from all defilements of the body, that is, purged from the love of earthly things, which nothing can effect but Faith. For that which cannot be demonstrated to the soul while it is sick and defiled with corruption, and which it cannot see unless it were in health, if it doth not otherwise believe that it shall see it, it will never apply to recover its health. But if it believes indeed that the thing is as is said, and that it would perceive it if it did see, and in the mean time despairs of health and of recovering its sight, it will


1 Dods's edition, Christian Doctrine, pp. 13, 14 (Bk. I, chaps. 50-13) : cf. G. Garden's Apology, pp. to f.

2 Dods's edition, City of God, Vol. II, p. 438 (Bk. XI, chap. 2).

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wholly neglect the prescripts of the physician, especially if they are unpleasant and bitter medicines : and therefore Hope is to be added to Faith. But if it believes that all is as is said, and if it hope it might be whole, but in the mean time doth not love the light that is proposed, and doth not desire it, but is pleas'd with its own darkness, which custom has made pleasant to it, it will slight the physician. So that Charity is necessary as well as Faith and Hope ; and without these three no soul is healed that it may see its God." Soh /. L. r. c. 5.1

S. Augustin esteem'd the platonists above all the other philosophers, who, he says, " accounted those only to be wise who know to imitate and love God, by the enjoyment of whom only they can be happy. They reckon'd this true philosophy to Love God the Supream Good, and that the soul has no being above it but God, and that he is its intellectual Light. They acknowledg'd the Father and the Son, whom they call'd the Mind of the Father. Thus," he says, " they seem to have some dark and faint apprehension of the countrey whither they ought to tend, but did not know the way that leads thither ; how God hath so highly commended his Love to us, in that the only Son of God, remaining unchangeable in himself became man, and gave men the hope of his favour and love by this mods-man by whom men might come to him, who being Immortal was so far removed from mortals ; and being Immutable was so far removed from mutable creatures ; and being most righteous, was so far from the wicked ; and being most bless'd, was so far from the wretched and the miserable. And having given us a natural instinct to desire to be happy and immortal, he remaining bless'd assum'd mortality, that he might confer on us what we desire and love. And by suffering he taught us to desire what we are afraid of. But this Truth, he says, the Platonists would not embrace, nor become Christians, because Christ came in humility, and they were proud. The learned thought it below them from the disciples of Plato to become the disciples of Christ, who by his Spirit taught a fisherman to Know and say : In the beginning was the word, and the word was with God, and the word was God ; the same was in the beginning with God. All things were made by him, and without him was not any thing made that was made. In him was life and the life was the light of men, and the light shineth in darkness, and the darkness comprehendeth it not. Which beginning of the Gospel according to S. John, a Platonist said (saith S. Augustin) ought to be written in Letters of Gold, and set in the most eminent place thro' all the Churches. But this God our Master and Teacher was vile in the eyes of the proud, because the Word was made Flesh, and dwelt among us. Thus it is not enough for the miserable to be diseas'd, but they must be puffed up also in their sickness and despise

1 Migne, P.L., XXXII, pp. 875 f.

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the physick by which they must be healed." De Civil. Dei. Lib. 8 c. r. Lib. to. Ch. 29.1

Dear Sir, I have written all this upon this head, not that I think you entertain a different sentiment, but because the manner of your expressing it may give occasion to some both to think so and to make it their practice ; as perhaps it is the practice of many who pretend now to consult and to be guided in all things by the Light and Christ within them, while in the mean time they are unregenerate in their spirit, follow the motions of corrupt nature, and because of some introversions take these for the dictates of the Divine Light within them, whereas, I think, there seems nothing more evident than that both for our own particular direction and conduct, and for the satisfaction of others that our motions are from a Divine Light and Spirit, and for the establishment of Truth, Unity and Peace, there must be a general known standard whereby all sentiments, motions, and lights pretended to be from God, ought to be measured, both by those who pretend to have them, and by those to whom they offer them : and that is the plain doctrine and life of Jesus Christ, God-man. The preservation of the records of men in the Holy Gospels is no small blessing, and as A.B.2 observes, no small miracle ; and by which she desires that all she writes may be examin'd and tryed ; and whatsoever is contrary thereunto, rejected. In which also the great end and duty of man is so plainly set down, charity, to love God with all our heart, and in him our neighbour as ourselves : and the way and means to it so visibly held forth in Christ's life and doctrine, that he who runs may read it ; and to which the true Divine Light within will always correspond and direct : but if we apply our hearts to consult only the Light within without respect to the other, we who are so corrupt cannot fail to take our own motions, (perhaps those of a foreign spirit) for Divine Light ; as you know the Q.3 and many pretending to be guided by the Divine Light have done and do daily. You know the instances mention'd by A.B.4 (and many such there are in the world) in her Warning against the Quakers, pag. 34. of a Q., who knocking at a gentleman's gate at Amsterdam defaced with his knife the gentleman's name cut out upon the lintel of the gate, and being askt by him, why he had done so, told, because the spirit had moved him to do it, and that it ought not to be there : to which the other replied that if it ought not to be there, it was well done to raze it out, but then askt him, in case he were moved by the spirit to kill him with the same knife, whether he would do it, he said, he would, since they must always obey the spirit. And of the Dutch woman


1 Dods's edition, City of God, pp. 312, 423-6 : (Bk. VIII, ch. 5, and Bk. X, ch. 29.) Not a continuous extract, though given as such in the manuscript.

2 A. Bourignon : v. Apology, pp. 3, 78, etc.

3" Quakers."

4 A. Bourignon, Warning against the Quakers, Eng. trans., 1708.

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among the Quakers, p. 25. who said, that the Light of the Holy Spirit had shew'd her that her husband was to dy within a little, and she to be married to a young man, and that she was bid tell it to both, and yet was a person of good judgment in other things. And of the English Quaker woman who was moved by inspiration to go to foreign countries to publish the Divine Light. p. 27. and abandon'd all things, and spoke very sublimely of Divine Mysteries, tho' A.B.' says, the Spirit told her she was of the Devil and not of God, as it seems was afterwards discover'd.

In my former to you I made mention of that way of continual prayer recommended in the 7th Letter of 4th part of Tomb. de la F. Theol.2 as not the same with the prayer of silence. To this you say, that a soul in that state sees that prayer fulfilled in its own exercise, the advice there given being that one should in all his needs which he continually feells, apply himself to God, begging his assistance, and praising him for mercies received, that this is all true, necessary and Divine, but that the question returns as to our wants, whether it is better to beg the Divine assistance in a general or particular manner, whether if a soul finds itself tempted to anger, it be more advisable to beg immediately of God the particular vertue of meekness, when it not knowing to pray for as it ought it may be improper in its state to have that particular Grace bestow'd or Infinite Love and Wisdom may think fit to leave it that thorn in its flesh, for its mortification, punishment or tryal or rather, if it is not from a deep sense of our own unworthiness and imperfection to place ourselves as beggars in the Divine presence, not presuming to ask any thing but his will, abandoning ourselves quietly, absolutely and intirely unto it and as to praise, you say the psalmists teaches us the most effectual way of praising our God. Tibi Silentium Laus est.2 Even Angels and Glorified Spirits are unworthy to praise him, what then should we crawling worms of the earth pretend to ? I shall not say but they who are in this state of the prayer of silence and arrived at the perfection you speak of, may see it fit only to abandon themselves to the Divine will without asking any particular Grace, and yet see that prayer fulfilled in their own exercise. But I do not think that this was the meaning of A.B. in the advice she gives in that letter.; " Some," she says, " make prayers to consist in a great many vocal words, others in meditation and speculations of the mind, which they call mental prayer, but neither of these are prayer. True prayer consists in the conversation of a man's soul and spirit with God ; when the heart speaks to him, and begs the things it has need of, or blesses and thanks him for his favours, or adores his greatness, goodness, love, and other qualities which the soul observes in its God. This is that


1 A. Bourignon, Warning against the Quaker, Eng. trans., 1708.

2 M.N.E., p. 209. 3

3 id., p. 147.

4 A. Bourignon, v. Apology, pp. 422 f. The passage given is not quite a continuous extract from Mme. Bourignon's Letter.

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continual prayer which God requires of man, the conversation of his spirit with God. In this he may be continually exercised in working, in eating and drinking, yea in sleeping : for the soul having walk'd with its God while awake, reposes with him when asleep. Thus," she says, " 'tis possible always to pray and never to cease, and it is good and pleasant. And he who is in this continual prayer, is never melancholy." She counsels men to give themselves to this continual prayer, telling 'em that thereby they shall overcome both their outward and inward enemies, shall have inward joy and quiet, and learn all they ought to do and avoid. She counsels them " if they are tempted, to beg his assistance ; if they are in ignorance, to beg wisdom of him to fulfil his will ; if they are weak, to beg strength, and if they receive favours, to bless and thank him for that favour done to them sinners. Thus," she says, " they shall have continual matter of having recourse to God in spirit, and at last he will speak to them, and they shall be united to him here, waiting for that perfect and compleat unity throughout eternity." Now which of these two ways is the best, whether to beg the Divine assistance in a general or particular manner, I shall not presume to determine. But even this seems to be an excellent way of continual prayer, and of the exercise of the Divine presence, and perhaps fitter and more necessary for some rather than the other. 'Tis to be considered that by the Divine Will we understand either that of his Laws and Commands of our duty, or that of his providence, whether general or special : and in both these respects we owe a resignation to his will. As to that of his law and our duty, in this his will is unchangeable, and always the same, that we love not the world nor the things that are in the world, and that we love him with all our hearts. And as this will of God is our constant duty, so it is no less our duty to implore his grace to perform it. And since we are continually assaulted with temptations to the contrary from within and from without, and it is our duty to resist them, and we cannot overcome them of our selves, but stand in need of the Divine Grace, it is no less our duty to beg it. And as it is not enough that we desire in general to resist temptations, but that we apply to resist the particular temptation we are assaulted with, so it seems necessary that we beg grace to resist that temptation in particular. Thus if one is tempted to lust or covetousness, he ought to resist the temptation and desire to overcome it and consequently to beg grace to resist it. - Not that God needs to be told what our present strait is, for our Heavenly Father knows what things we stand in need of before we ask him ; nor that he needs entreaty, who is much more ready to give, as you say, than we to ask ; but since we ought to desire none in heaven or earth but God, when any other unlawful desire assaults us, or is the habitual plague of our heart, we ought to resist it, and consequently in faith and hope to beg grace_so to do, and to overcome it. And this we are sure is not contrary to the will of God ; for this is the will of God even our sanctification ; and if we shall

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not presently obtain that Grace, we must not therefore cease to beg it, but with submission to the Divine will as to the time and when and how he shall be pleas'd to grant it, we ought to be the more instant in prayer, and not to faint, as the Canaanitish woman was for her daughter. And the contrary practice so long as men have strong evil habits to mortify and subdue, the not begging the Divine assistance particularly to overcome them, and asking nothing but his will in the general, seems to be a dangerous and deceitful way for persons in whom corrupt nature yet prevails. For suppose a man covetous and worldly minded, who yet desires to love God and to be resigned to his will, and so gives himself to this way of prayer, not begging of him the grace to overcome the world, but resigning himself, as he thinks, to the Divine will, will not he, the heart being deceitful above all things, be apt to think that his soul is in a Divine frame, and that his concern about the world is nothing inconsistent with this, or that it is a thorn in the flesh for his trial, and if he ought not to ask grace particularly to overcome this habit, neither ought he particularly to desire and strive to overcome it. As to what is said, Rom. 8. 26 : " We know not what we should pray for as we ought," S. Aug., Tom. 3. Epist. 121 : i De orando Deum, says with respect to this, " That it is not to be believed that either the Apostle or those to whom he wrote this were ignorant of the Lord's prayer ; why then, do we think, he said this, which he could neither speak rashly nor falsely, but because temporal evils and tribulations are for the most part profitable either to cure the swelling of pride, or to exercise patience, to which thus tried a greater reward is laid up, or to correct and root out sins ; and yet we, not knowing how profitable they are, desire to be deliver'd from all tribulations and therefore," saith he, " in those temporal tribulations, which may be either profitable or hurtful, we know not what we should pray for as we ought ; and yet because they are grievous and uneasy, we are ready to pray to be deliver'd from them. But we ought to have that resignation to our God, as that tho' he do not remove them, we should not therefore thiiik we are neglected by him, but rather by a patient suffering of the present Evil, to hope for more valuable blessings. And it being there said by the Apostle, the spirit helps our infirmities, for we know not what we should pray for, as we ought, but the spirit it self maketh intercession for us with groans which cannot be uttered." S. Augustin in the forecited Epistle saith : " It is not to be understood as if the Holy Spirit who with the Father and the Son is one unchangeable God in Trinity, did make intercession as one who is not God, would do for the saints. But it is said, he makes intercession for the saints because he makes the saints to supplicate for themselves, even as it is said : Deut. 23. 3 : ' The Lord your God proveth you to know whether you love the Lord your God,' that is, that he may make you know whether you love him." 2 Thus far S. Augustin.

1 Migne, P.L., XXXIII, p. 504.

2 Ibid., p. 505.

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Now the begging for the Divine assistance in a particular manner according to the soul's present state and spiritual needs, is so much the tenor of all the Holy Scriptures both as to precept and practice that perhaps it may be a dangerous thing to slight it in our present corrupt state, and to aspire to that for which we are not yet fitted. And however the other way you recommend may be judged fitter for persons advanced to some degree of Christian perfection, I am perswaded it is not so for persons in whom corrupt nature and vicious habits are yet most prevalent, against which they ought both to watch and pray. And the practice of this continual prayer doth not consist in a multitude of words, but in darting up a fervent desire for the Divine aid, from the sense of our danger and impotency, and faith in the Divine power and mercy. You know what Cassian 1 tells us of the Fathers of the Desert in his tenth Conference how Abbot Isaac instructed him in the short form of prayer taught the solitaries and deliver'd down to them by their Fathers, by the continual inward use of which they were kept in a constant sense of the Divine presence, and in the exercise of continual prayer : which short form was : " 0 Lord make speed to save me, O Lord make haste to help me." " This," saith he to them, " contains all the affections that humane nature can be subject unto, and may be applied to every state. It contains an invocation of God in dangers, the humility of a pious confession, a watchful sollicitude and spiritual fear ; the sense of one's own frailty, a confidence of being heard, and of the Divine presence and holy always ready at hand. The soul that still calls on its protector, is sure he is always present. It contains the ardour of charity, a prospect of snares and a dread of enemies, with which finding it self to be night and day surrounded, it acknowledgeth it cannot be saved but by the help of its Defender. This petition is necessary and profitable to every one in whatsoever state. For he who desires in all cases to be helped, shows that he not only wants the Divine aid in adversity to support and deliver him, but in prosperity also, to keep him from being exalted and puffed up, and in every temptation to enable him to withstand it." As to praise, tho' we are unworthy to praise him, yet it is our duty, he invites us to do it, it has been the practice of all the saints of God, all his works praise him : in this as in other cases, if there be a willing Mind, it is accepted according to what a man hath. Tho' even the Angels, as you say, are unworthy to praise him, yet they cease not day and night so to do : and the praises and hymn of a multitude of the heavenly host was heard by the shepherds at our Lord's birth, and the not doing of this, is, you know, one of the things which Rusbrochius blames in the false quietists of that age, (De Ornate Sp. Nupt. Lib. I. c. 78), " that they would neither give thanks nor praise to God, nor know, nor will, nor love, nor pray, nor desire, and so reckon'd themselves to be poor in spirit, as living without all choice."

1 Collatio X, Cap. X (Migne, P.L., XLIX, pp. 831-6).

259

I hope, Dear Sir, that after all this, you will not expect I should give a particular answer as to the Three Heads proposed in the last short letter you sent me. As to the first, the grounds upon which I think the arguments mention'd in your's in behalf of the prophets not to be conclusive are contain'd in what is written above, and those founded upon our Lord's warnings, and the warnings of those whose light and experience I know you regard, and not upon any sentiments of mine. As to the second, to set down the caracteristicks laid down in scripture for discerning between good and bad spirits, true and false prophets, in the age we live in, when Satan shall not only transform himself into an Angel of Light, but into a D emonium Meridianum, and shall speak as if he were the supreme God, and seek to be worshipped as such, we may be sure he will cover himself with such sublimity of doctrine, and such pure pretences of absolute resignation to the Divine will (so as not to dare so much as to beg to be inspired with the Divine Love, as in the case of the L. Abden) that one had need to have no small degree of the gift of discerning spirits, that would set up to give precise marks whereby to discern him. Neither is it needful that we should apply to this, for we have a more sure word of prophesy, the life & doctrine of our Lord Jesus Christ. Let us walk by that rule, and we have his warning whereby to avoid the being imposed upon, when they say, Lo here is Christ speaking, Lo there he is, believe it not, go not out to them. Besides, I think there is no need of urging this so earnestly, when the most obvious mark given in the Holy Scriptures, Deut. 18. 22. whereby to discern a false prophet seems so universally to hold in them. " They speak in the name of the Lord, and the thing doth not follow nor come to pass ; and therefore what they speak, the Lord hath not said it, but they speak presumptuously." And as it is justly observed by some, they speaking as if the eternal God were speaking out of them to warn the world of the near approaching of his dreadful universal judgments, and in the mean time failing in their particular predictions, they take the most effectual course to make the careless world go on in their security, and not to prepare for the Divine judgments. This seems to,be a spirit very different from that by which the true old prophets were led who foretold the first coming of the Messiah. This was their great message, and it was not to be fulfill'd in their days, but they brought credentials to confirm the truth of what they said in this, by making particular predictions of things that were to happen in their own days or shortly after them, which accordingly came to pass ; whereas the particular predictions of the present prophets do all fail. By which they tempt the careless world to think their warnings of the approach of the universal judgments, are a false alarum. You know the excellent thought of Mr. Paschal concerning the ancient prophets as to this subject, p. 137, of the Eng. Edit., " The

1 Pascal : L. Brunschvicg edit., Vol. III, pp. 145 f. : P. Faugère edit., II, p. 310.

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prophets have interwoven particular prophecies with those concerning the Messiah, that neither the prophesies concerning the Messiah should be without their proof, nor the particular prophecies without their fruit," viz : of confirming those which respected the Messiah. Now the case of the present prophets with respect to his second coming seems to be the reverse of this.

And as to the third, upon what grounds it is that we think ourselves so infallibly certain of the truth of our religion, I know, my Dear Friend, you do not expect that I should let down the particular grounds of the certainty of the truth of our Holy religion, nor do I think that you look upon this present Appearance of the prophets as having as undoubted evidences that it is from God. I know you do not think that there has been such a series of prophets and prophesies going before this Appearance, and foretelling all the circumstances of it, even the time when it should come to pass, as for some thousands of years did precede the coming of our Lord Jesus Christ and were fulfill'd in his person, and the records of 'em in the possession of and vouched by his greatest enemies. I know you will not equal their miracles to those of Jesus Christ or his Apostles : " Go, tell John," said our Lord to two of John's disciples, " what things you have seen and heard, how that the blind see, the lame walk, the lepers are cleansed, the deaf hear, the dead are raised : " nor will you equal the certainty of their predictions to his, of which the state of the Jews is to this day a wonderful instance. Nor will you say that there was any mixture in his spirit, and that sometimes a foreign spirit speaks out of him, and by him : nor will you say there was any impurity in his heart and life, neither will you offer to make their doctrine the standard of his, but will own his the true rule and standard whereby to try all doctrines pretended to be from God : neither do you doubt of his resurrection from the dead as was foretold, and that his Apostles laid down their lives to bear witness to it, neither is there any the least evidence that there was any mixture of a foreign spirit in what they declared to be from the spirit of God : neither, I think, will you say that the Apostles after our Lord's ascension, and after their having receiv'd the Holy Ghost, were still persons unregenerated, in whom the Holy Spirit did not reside, live and act, as he doth in purified and regenerated souls, but that he only acted upon them at times as still unregenerate, which you grant is the case of the present prophets. And this seems to me a most satisfying answer even to the first of the Three Heads in which you desire me to make appear that the arguments you bring for the prophets being led by the Eternal Spirit are not conclusive : for if it is a spirit that acts upon them only at times, they being still unregenerated, in which there is granted to be a mixture, it will not be easy to discover whether it may not be still either the natural enthusiasm of their own spirit, or therewith the agitations of that foreign spirit that can transform himself into an Angel of Light. And if there was a mixture in the prophets

261

of old, yet we have ground to believe that among these there were still some who were not children, or young men, but fathers regenerated by the spirit of God, who were his living temple, and by whom the spirit by which others spoke might be discerned if it was Divine or not, as Jeremiah, you know, was among the other prophets of his time. But we live in an age wherein such innumerable prophets are arisen, by whose organs the Eternal God is said to speak immediately, and yet not one of them is regenerated ; `o that I cannot see how the testimony of them can be relied upon as to the discerning of Spirits. And since you have the same esteem that you had formerly for the writings of A.B.' you may easily perceive that this renders your arguments for the prophets not conclusive, there being nothing in which she is more peremptory (and I think not without reason) than that God will send none as prophets and embassadors in this last age of the world, but such as are regenerated into his spirit, as have the gifts and fruits of the same, and the qualities of true charity, and are partakers of the Divine nature in righteousness, goodness and truth ; and you acknowledge that they are not so regenerated, and that the spirit acts upon them only at certain times.

Thus, Dear Sir, I give you the trouble of this long letter in return to your's : and since you have so fully declared what has determin'd you to believe the Divine authority of this Appearance, and I have plainly told you what makes me still doubtful of the same, I incline not to trouble you with any more upon this subject. I lean not to my own reason, but to the authority of our Lord Jesus Christ, and to the truth and importance of his warnings : and I regard much the warnings also of those who have been in so great a measure enlightned by the Holy Spirit. And tho' some despise a letter, when they see it is all citations, yet I know you will not do it, having such regard to the originals. You and I go upon different suppositions in this affair, which give us different views, you upon the supposition that this appearance is of Divine authority, (and it may be upon the perswasion that it is so) and I upon supposition that it may be not of Divine authority. And this, I think is the safer side, it being founded upon the Divine warning of our Lord Jesus Christ himself, and there being less hazard, as has been said, in doubting of that which may be good, than in praising and commending and embracing that which is evil, as if it were good. In this, my Dear Friend, your goodness makes you to exceed that you are ready to conceive an extraordinary good opinion of others, perhaps beyond what is just and fit. And that which you are pleased to say so advantageously of me, both in the last and in your former makes me sensible to this, being conscious of my self of my own unworthiness, &c.

March, 1710

1 Mme. Bourignon.

262


TABLE


Table des matières

Le Gnostique 5

de saint Clément d’Alexandrie 5

La Tradition secrète des Mystiques 5

Préface 7

FÉNELON MYSTIQUE 52

Un Florilège 52

Choix établi & présenté par Dominique Tronc 52

Présentation 52

Avertissement 55

Table des sources 56

Une rencontre mystique 57

Le témoignage de madame Guyon 57

Des premiers échanges 61

Fénelon défend madame Guyon 63

Fénelon maintient secrètement le contact 71

Œuvres & Opuscules spirituels 75

Lettres de direction 93

« Envoi » 93

Madame de Maintenon (1635-1719) 94

Marquis de Blainville (1663-1704) 96

Comtesse de Gramont (1640 ?-1708) 108

Dom François Lamy (1636-1711) 111

Duc (1656-1712) puis duchesse (-1752) de Chevreuse 117

Comtesse de Montberon (~1646-1720) 124

Duc (1648-1714) et duchesse (-1733)de Beauvillier 136

À Marie-Christine de Salm (1655- ?) 138

A la Marquise de Risbourg ( ~~1670-1720) 140

Madame de la Maisonfort (1663-après 1717) 144

Vidame d’Amiens 1676-1744 148

Marquis de Fénelon (1688-1746) 150

Charlotte de Saint-Cyprien (~1670-1747) 151

Duchesse de Mortemart (1665-1750) 162

À une Dame (Y) 184

À une demoiselle (Z) 187

Au duc de Bourgogne 196

À des correspondants connus 197

À des religieuses 202

À des dames  205

À des Inconnus 209

« Conclusion » 225

Documents 226

FRANÇOIS LA COMBE (1640-1715) 231

FRANÇOIS LACOMBE MYSTIQUE ET MARTYR 233

Table des sources 233

I. UN SAVOYARD ACTIF (1640 - 1687) 234

UN RELIGIEUX PLEIN D’AVENIR 1640-1681 234

MADAME GUYON TEMOIGNE DE LEUR RENCONTRE ET DE LEUR ACTION COMMUNE (1681-1686) 240

PREMIERS ÉCHANGES ÉPISTOLAIRES (1683, 1685) 279

Echanges avec Madame Guyon 279

Echanges avec Mgr d’Aranthon d’Alex 283

II. ECRITS D’UN DIRECTEUR SPIRITUEL 287

UNE BREVE INSTRUCTION (1682 – 1687) 287

MAXIMES SPIRITUELLES (– 1720) 309

PRÉFACE AU CANTIQUE DE MADAME GUYON (1683 – 1684) 313

ORATIONIS MENTALIS (1685) : DE L’ORAISON MENTALE traduit sous le titre VOIES DE LA VÉRITÉ (1795) 317

Voies de la Vérité à la Vie 317

De l’oraison mentale. 317

III. VINGT-HUIT ANNÉES DE PRISON (1687 - 1715) 333

MADAME GUYON TÉMOIGNE DANS SA VIE PAR ELLE-MEME 333

LETTRES DE PRISONS (1690 - 1695) 403

APOLOGIE du P. La Combe par lui-même 435

Réponse à ce qui est dit du Père La Combe et d’une Dame dans la Vie de Mre Jean d’Aranton, évêque de Genève 436

Dernière trace 453

Madame Guyon se souvient 453

Témoignages de Dupuy 454

ETUDE [en cours] : 455

Choix orienté vers une lecture « spirituelle » 455

SOURCES ASSOCIEES 480

« La Combe » étudié par Jean Orcibal 480

Le P. Lacombe cité dans le « Supplément à la Vie de madame Guyon » 484

Un renseignement sur le sort du confesseur. 485

Un résumé (tendancieux) de la doctrine du P. Lacombe 486

Mère Bon (1636-1680) contemplative ursuline influente sur le P. Lacombe. 487

Vittorio Augustin Ripa (-1691) évêque ‘quiétiste’  490

MARIE-ANNE DE MORTEMART (1665-1750) 493

UNE ESQUISSE BIOGRAPHIQUE 493

LETTRES DES DEUX DIRECTEURS 498

LETTRES DE MORTEMART AU MARQUIS DE FENELON 584

Annexes 591

MYSTICS OF THE NORTH-EAST 595

PREFACE 596

INTRODUCTION. 599

CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN. 723

TABLE 762




fin

1 Voir L. Cognet, Dict. de Spir., art. « Fénelon », t. V, 1962, col. 155, & le Crépuscule des mystiques, 1958.

2 Gnostique, chap. 9.

3 Gnostique, chap. 16 ; Stromates 1, 1 ; Eusèbe, Hist. Eccl. V, 11.

4 Cette belle ouverture le distingue de l’esprit qui anime le controversiste Tertullien, son contemporain latin, né vers 160 et mort après 220.

5 Gnostique, chap. 17.

6 Pour l’exposé complet des deux points de vue de Bossuet et Fénelon, voir la remarquable préface de Dudon (cet érudit perd toutefois son sang-froid quand il parle de madame Guyon).

7 Str. IV 22, 135-136 ; Gnostique, chap. 5.

8 Gnostique, chap. 8.

9 Gnostique, chap. 17 (les citations de ce paragraphe).

10 Gnostique, chap. 16.

11 Gnostique, chap. 3.

12 Gnostique, chap. 17.

13 Gnostique, chap. 11.

14 Gnostique, chap. 17.

15 Fénelon, « Réflexions sur les décisions prises à Issy », (publiées par Levesque in Revue Bossuet, p. 219).

16 voir J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, 1972, 499 : « La contemplation selon Fénelon exclut le raisonnement, les images et le discours et s’oppose à la « méditation discursive par actes réfléchis » ; dans cet état le mystique n’a ni actes, ni dispositions, ni objets, ce qui est dépasser d’emblée le conceptualisme que soutenait depuis longtemps Bossuet…»

17 Gnostique, chap. 16.

18 Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation, 1708, tome I, p.72.

19 Avec le court Pédagogue, les abondants Stromates, le bref Protreptique, un appel pressant à la conversion, Clément veut fournir les matériaux nécessaires au public très divers de ‘l’école chrétienne’ d’Alexandrie, qu’il enseigne vers 190.

20 Selon Eusèbe, Hist. Eccl. VI 13,4 : « Dans les Stromates, il ne fait pas seulement une tapisserie de ce qu’il tire de la Sainte Écriture … il rapporte et développe aussi les doctrines de la plupart des Grecs… »

21 Pour faire entrer doucement dans l’âme (Littré, 3e sens).

22 qu’il enveloppe : qu’il cache (Littré, 4e sens).

23 rien de distingué : pas séparé.

24 I Cor. 2, 15 : « l’homme spirituel juge de toutes choses, et lui ne peut être jugé de personne. » (trad. Amelote, 1687).

25 I Jean 2, 27.

26 Dans son « Examen de la IXe conf. de Cassien », rédigé le même été 1694, Fénelon souligne « la perpétuelle continuité d’oraison … l’immobile tranquillité de l’âme » (« Examen » publié avec les Justifications de Mme Guyon, 1790, t. III, 335).

27 Stromates, livre II, chap. 20, 177-178 (référence valide pour les deux citations de ce paragraphe, et pour la suivante). Fénelon utilisait l’édition gréco-latine des œuvres de Clément parue en 1629 à Paris, qu’il a généralement retraduit sur le grec. (Cognet).

28 Les rapports entre les nicolaïtes et le diacre Nicolas demeurent encore aujourd’hui obscurs.

29 Epiphane de Salamine (-403), auteur du Panarion ou ‘boite à drogues’, qui aborde plus de soixante hérésies.

30 Réputé adepte des plaisirs, ayant écarté les critères du bien et du mal.

31 Au chap. 7.

32 Str. VII 9.

33 Clément s’oppose avec modération aux « parfaits » et orgueilleux valentiniens, aux marcionites se livrant volontairement au martyre, aux nicolaïtes. Il établit de nombreux parallèles au moyen de citations illustrant le « travail préparatoire » réalisé par les philosophes grecs.

34 « Le temple de la spiritualité fénelonienne se dresse … sous la forme auguste d’une basilique. Le point central est l’autel du pur amour. » (Dudon, Le Gnostique…, 1930, Préface, p. 147).

35 Str. II 6, 31 ; IV 7, 52.

36 Str. IV 7, 54 ; I Cor. 13, 13.

37 Str. VII 12, 77 ; VII 10.

38 Str. VII 2, 6.

39 Str. VII 10, 57.

40 Str. VI 11, 97 ; 12, 101.

41 Str. IV, 15 ; I Cor. 8.

42 Str. IV 16, 100 ; VII 10, 55 ; IV 16, 101.

43 Str. VI 13, 132 ; II Cor. 10, 1m5-16 ; Str. VI 18, 164.

44 Str. II 9, 45. Le mot attribué à saint Mathias circulait dans les cercles de Basilide, Isidore, Valentin.

45 Str. VII 7, 44 ; 11, 62.

46 Str. VII 7, 48.

47 Str. VI 9, 72 ;VII 14, 86 ; IV 22, 139.

48 Str. VII 7, 46.

49 Justifications, t. III, 1790, « Examen de la Xe conf. de Cassien », p. 360 : « Cette formule donnée par les plus anciens Pères est, Deus in adjutorium meum intende. [réf. en note : « Ps. 69, v. 2 : « Mon Dieu, venez à mon aide. »].

50 Justifications, t. III, 1790, « Examen de la IXe conf. de Cassien sur l’Oraison continuelle », p. 335 : « La fin que le Moine se propose … et la perfection de son cœur, c’est de tendre … à l’immobile tranquillité de l’âme… » ; p. 361 : « Méditez donc, dit Isaac … en dormant… ».

51 Str. IV 22, 139 ; V 11, 71 ; 11, 76 pour les justifications suivantes.

52 Str. IV 25, 155. Clément assemble ici des fragments empruntés à Euripide, Platon, Homère.

53 Str. VII 1, 2-3.

54 Str. V 11, 73.

55 Str. IV 9, 10.

56 Str. IV 6, 29 ; 6, 30.

57 Str. IV 18, 112.

58 Str. IV 22, 135-136.

59 Str. IV 22, 137-138 ; 144 & 146.

60 Str. VII 3, 19.

61 Str. VII 11, 67 ; 12, 73.

62 Jac. II 8, 12.

63 « Vous ne sauriez être trop passif selon les desseins de Dieu sur vous ; mais comme votre cœur doit toujours être également ouvert pour recevoir les opérations de Dieu sans y mettre rien du vôtre … il faut vous laisser conduire comme une chambre qui laisse tout entrer et sortir… » (Lettre de madame Guyon à Fénelon, 26 décembre 1689). – passiveté mystique permettant l’in-action divine.

64 abnégation : renoncement.

65 Str. VII 7, 44.

66 Str. IV 22, 139.

67 Théologie mystique I, 1 : « …elle emplit de splendeurs … les intelligences qui savent fermer les yeux. »

68 Montée du Carmel, livre 2, chap. 4 : « …l’âme doit se tenir dans les ténèbres … afin de se laisser guider par la foi… »

69 Str. VI 9, 73.

70 Str. VII 7, 35 sv.

71 I Cor. 2, 15 ; Gal. 6, 1.

72 Str. VI 9, 77.

73 Inamissible : qui ne peut se perdre.

74 Str. VII 7, 46-47 ; 10, 57.

75 A la fin du chap. 4.

76 Str. VII 11, 62.

77 Str. VII 12, 70 ; 12, 78 ; 11, 68.

78 Str. VII 1, 3 ; VI 9, 73.

79 Str. VII 11, 68.

80 L’état du sage qui méprise la douleur ou même qui ne la perçoit plus. (Lalande).

81 Str. VI 9, 73-74.

82 Traité de l’amour de Dieu, livre IX, chap. 15.

83 Str. VII 1, 3 ; 11, 67.

84 pathiques : ceux qui demeurent sujets à leurs passions.

85 Str. VI 9, 74-75.

86 Str. IV 23, 152.

87 Str. VII 7, 45 ; 11, 67.

88 Str. VII 12, 71 ; IV 22, 137 ; VII 14, 86.

89 Montée du Carmel, livre I, chap. 13 ; Nuit obscure, livre I, chap. 12.

90 Le mot passiveté (et non passivité) est réservé à cet état.

91 I Cor. 2, 14.

92 Str. VI 12, 104 ; 17, 157.

93 Str. VII 2, 9.

94 Rom. 12, 2.

95 Str. VII 2, 14 ; VI 18, 168 ; VII 138, 3.

96 Str. VII 13, 83 ; IV 23, 152.

97 Reprise de 1. Idée générale de la gnose : « …et l’un [Cassien] et l’autre [saint Clément] assurent que tout ce que fait l’âme alors est de Dieu même. ».

98 I Cor. 6, 2.

99 Str. VI 9, 74.

100 Str. VII 7, 40.

101 Str. VII 2, 12.

102 Str. VII 6, 33 ; VI 11, 91.

103 Str. VII 10, 57 ; 10, 56 ; VI 9, 71.

104 Traité de l’amour de Dieu, livre IX, chap. 15.

105 Nous n’avons pas retrouvé cet hapax : il s’agirait d’une communication partagée.

106 Str. VII 7, 44.

107 Str. VII 7, 38 ; 7, 46.

108 Str. VI 12, 101 ; VII 7, 49 ; VI 9, 78.

109 Str. IV 22.

110 Str. VII 12, 72 ; 7, 43.

111 Str. VI 9, 73.

112 Str. VII 7, 46.

113 Traité de l’amour de Dieu, livre IX, chap. 9.

114 Fénelon explicite la « réponse » donnée précédemment (Str. VI 9, 73).

115 Str. VII 7, 49.

116 Str. VII 16, 101 ; 13, 82.

117 Str. VII 16, 95 ; 3, 16 ; VI 9, 76.

118 Str. III 5, 2 ; VI 9, 72.

119 I Cor. 6, 16 : « …celui qui se joint à une prostituée est un même corps avec elle ». (Sacy).

120 Str. VI 9, 76 ; IV 23, 152.

121 Str. II 21, 128.

122 Str. VII 7, 44 ; VI 9, 71.

123 Jac. 1, 18.

124 Rom. 8, 23.

125 Str. VI 7, 61 ; IV 19, 119.

126 Str. III 5, 42 ; IV 16, 107.

127 Str. VI 8, 70.

128 Cantique spirituel, strophe 27.

129 Str. VI 8, 68 ; VII 16, 104 ; VI 9, 75.

130 Str. VI 9, 77 ; VII 12, 74 ; 12, 76 ; VI 12, 104.

131 Str. II 12, 53 ; VI 9, 77.

132 Matthieu 13,11 sur les mystères du Royaume - Str. VI 15, 132 ; 13, 132 pour la comparaison avec Josué et Caleb.

133 Str. VII 14, 88 ; 16, 94 ; 16, 27.

134 Cassien, Instr. V 34.

135 Gregorio Lopez (1542-1596) mystique dont la culture inhabituelle fut acquise probablement à la Cour de Philippe II, partit jeune au Mexique où il vécut en anachorète. Son Explicacion … del Apocalipsis fut publiée en 1678. Sa Vida… rédigée par son compagnon Losa, publiée en 1613, fut traduite par le jésuite Conart en 1644, puis par le janséniste Arnauld d’Andilly en 1675. Ce beau témoignage enflamma l’imagination des lecteurs à la recherche de figures comparables à celles des Pères du désert.

136 Hiérarchie céleste, [376D] : « Ayant eux-mêmes reçus … la plénitude du don sacré … chargés par la Bonté théarchique de répandre ce don au-dehors … ils ont nécessairement humanisé le divin… ». (trad. Gandillac).

137 In Psalmos, 113.

138 Str. VI 9, 73 ; VII 7, 38 ; IV 22, 136 ; VII 3, 13.

139 Str. V 11, 71 ; VII 10, 55.

140 Str. VI 9, 71-72.

141 Str. VI 8, 70 ; 15, 116.

142 Str. IV 21, 130 ; VII 1, 4.

143 Str. VI 17, 158.

144 Str. VII 12, 77.

145 Str. VII 12, 67.

146 J.-M. Guyon, Vie 3.10.3 : « C’est un tourment excessif … Il n’est jamais causé par réflexion et n’en peut produire aucune … Il ne purifie point … On n’ignore point que c’est pour des âmes que l’on souffre… »

147 II Cor. 2, 29.

148 I Pierre 4, 10 : « Que chacun de vous emploie pour le service du prochain le don qu’il a reçu, comme étant de fidèles dispensateurs des diverses grâces de Dieu. » (Amelote).

149 Joël II, 28 ; Actes II, 17.

150 Entretien avec « l’ami de Dieu », l’an du Seigneur 1346, dans la ville de Cologne (v. Notice historique… traduite de Surius par Noël, t. I, 1911).

151 Cercle de disciples constitué autour des activités de Catherine auprès des malades et des pauvres (Hôpital des incurables fondé en 1499).

152 Outre le franciscain Arnaud, le « bon copiste » auquel Angèle de F. (1248-1309) dicte le Livre des visions et instructions, quatre lettres évoquent un cercle de fidèles.

153 Str. VII 12, 73 ; 16, 104.

154 Str. VI 18, 167.

155 Str. VII 1, 2.

156 Str. IV 21, 133.

157 Str. VII 10, 33 ; I Cor. 14, 6 ; Str. VII 10, 39.

158 Str. VII 16, 101.

159 Str. IV 9, 75 ; VII 13, 83.

160 Nuit obscure, livre II, chap. 24 : « Ma demeure étant pacifiée », « § 3. Ce repos et cette quiétude de la demeure spirituelle, l’âme l’obtient selon l’habitus d’une manière parfaite, autant du moins que cette vie mortelle en est susceptible ». (trad. Marie du Saint-Sacrement).

161 Enchiridion, 110.

162 Str. IV 22, 146.

163 Str. VII 10, 56-57.

164 Coll. X, chap. 10.

165 Nuit obscure, livre I, chap. 8 : « …il ne s’écoule pas un long temps avant qu’elles y entrent, et la plupart d’entre elles y entrent. »

166 Str. VII 16, 104.

167 Str. VI 15, 131.

168 Str. VII 10, 55-56.

169 Str. VI 18, 164-165.

170 Coll. X, chap. 10.

171 Str. VII 1, 1.

172 Str. IV 15, 97.

173 Str. 1, 1 ; Eusèbe, Hist. Eccl. V, 11.

174 Str. VII 1, 2.

175 Str. I 10, 49 ; VII 14, 88.

176 Str. VII 3, 13 ; VI 18, 163.

177 Str. VII 18, 110.

178 Str. IV 2, 3.

179 Str. VII, fin.

180 Str. I 1, 13 ; 1, 14.

181 Lettre du 28 octobre 1694 adressée au duc de Chevreuse, son intermédiaire avec le monde extérieur (Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, pièce 221) .

182 Lettre de mai 1698 adressée à la « petite duchesse » de Mortemart (id., pièce 464).

183 Lettres du 12 mai et du 20 août 1695 adressées à madame Guyon (id., pièces 283 et 330).

184 Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, « Bibliographie chronologique (1940-2000) ».

185 Fénelon, Œuvres spirituelles, Introduction et choix de textes par François Varillon S.J, Aubier, 1954 ; François Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.

186 L’authenticité de la correspondance avec la « Dame directrice » ne sera reconnue qu’en 1907 par un érudit d’origine suisse.

187 Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, Honoré Champion, 2003 [CG], [ échanges avec Fénelon : « I. La ‘correspondance secrète’ en 1688 et 1689, II. Le ‘complément’ de l’année 1690. III. Lettres écrites après 1703, 215-564 ] - Synthèse avec des additions : La direction de Fénelon par madame Guyon, présentation par Murielle et Dominique Tronc, 2015, web.

188 Nous bénéficions de l’édition assemblée par I. Noye et publiée en 2007. Elle achève la monumentale Correspondance de Fénelon [CF] sous le titre fort discret de Suppléments et corrections. Il s’agit du tome  XVIII et dernier de l’entreprise. Il livre à la suite de diverses lettres retrouvées : « II. Lettres spirituelles » [LSP], 87-223. Ces « pages détachées » sont accompagnées de renvois aux lettres éditées dans les tomes II, IV, VI, VIII, XII (1972 à 1999). – Nous allons recourir largement à ce [CF 18].

189 Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Volume second contenant ses lettres spirituelles, A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718 [OS 2].

190 Comparé par exemple aux Moralistes du XVIIe siècle assemblés par J. Lafond, « Bouquins », Robert Laffont, 1992.

191 Des correctifs furent apportés par A. Delplanque (1907), par la Revue Fénelon (1911-1812) dirigée par E. Griselle, par Jeanne-Lydie Goré (1957), par Mino Bergamo (1994), par Irénée Noye (2007), par F. Trémolières (2009).

192 desengaño : désillusion, désenchantement. Attribué à des auteurs de la fin du siècle d’or espagnol.

193 Sobriquet attaché à la ‘veuve Guyon’ par des ecclésiastiques jaloux ou incompréhensifs : c’est le cas de son inventeur Tronson, malgré son honnêté rare. Tronson (1622-1700) fut le directeur de Saint-Sulpice et le confesseur du jeune abbé.

194 « Maintenant quand je découpe, je n’ai plus en esprit que le principe. Mes sens n’agissent plus ; seule ma volonté est active. Suivant les lignes naturelles du bœuf, mon couteau pénètre et divise, tranchant les chairs molles, contournant les os, faisant sa besogne comme naturellement et sans effort. Et cela sans s’user… » (Tchoang-tseu, chap. 3, B, traduction Léon Wieger, Cathasia, 1950).

195 La « nature » est aujourd’hui perçue autrement depuis Darwin, mais chez Fénelon on découvre un beau lyrisme – qui l’interprète ‘au second degré’ selon la perception unifiante mystique commune à diverses traditions : « Mais parce que Vous êtes trop au-dedans d’eux-mêmes, où ils ne rentrent jamais, Vous leur êtes un Dieu caché […] tout ce qui n’est point Vous disparaît, et à peine me reste-t-il de quoi me trouver encore moi-même… » [OP 1, 44-45].

196 Le choix de recourir à des notes assez étendues permet de ne pas rompre une première lecture à but méditatif de « Fénelon par lui-même ». - Nous y reportons ce qui est moins « mystique », mais témoigne de résistances diverses de dirigé(e)s comme du soin dévoué du directeur archevêque (il est comparable en cela à celui de l’évêque François dans son pauvre diocèse). Nous y reportons les très précieuses notices d’Orcibal [O] et de Noye [N].

197 [CF] n° impairs, en fin des volumes.

198 « Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien », Honoré Champion, 2009, [EG], ‘dossier’ précédé d’une brève synthèse : « Années d’épreuves et stratégie inquisitoriale », 14-30, situant les événements de la période couvrant la majorité des documents livrés dans le présent volume. Ces événements succèdent à ceux, mieux connus, d’une ‘période publique’ qui prend fin en 1695 (elle couverte par le Crépuscule des mystiques de Louis Cognet).

199 Qui n’était pas un médiocre même s’il reste à l’ombre de sa « dirigée ». Voir François La Combe (1640-1715), Correspondance avec Mme Guyon, Œuvres, Etudes, assemblées par D. Tronc, hors commerce, 2016.


200 Nous avons procédé par travail exhaustif opéré sur des volumes de la [CF]. Nous pouvons fournir à des chercheurs les échafaudages : OCR, etc. Ils pourraient facilement être publiés.

201 Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même, Honoré Champion, 2001, [VG] - Un manuscrit autobiographique fut livré partiellement à Bossuet sous promesse non tenue de confidentialité. Le projet d’édition souleva par la suite de sérieuses objections au sein du cercle guyonnien. Il fut mené à terme en 1720 par le pasteur Poiret opérant sur le manuscrit tardif dit d’Oxford. Cette source fut alors révisée, réordonnée et parfois atténuée. Ses extraits sont donnés ici en caractères romains. Nous la complétons en italiques par les feuillets ôtés par le duc de Chevreuse (v. note suivante) : il s’agit du recueil de Saint-Sulpice qui s’avère très proche du manuscrit découvert au XXe siècle à Saint-Brieuc.

202 [3.9.10 = troisième partie de [VG] chapitre 9, § 10 (page 750)] - Ici débutent les feuillets dont Madame Guyon avait demandé le 1er septembre 1694 au duc de Chevreuse leur suppression lors de la communication de ses écrits aux examinateurs d’Issy (ils se réunirent - sans jamais la convoquer - en fin d’année et au début de l’année suivante) : «  Pour tout ce qui regarde St B. [= Fénelon] autant qu'il y aura de feuillets … il les faut ôter absolument, car rien ne me peut obliger à confier ma vie. Je l'ai fait à Mr de M[eaux = Bossuet] par excès de bonne foi, mais si je me fusse souvenue de ces endroits je les eusse ôté. »  Utilisés par Bossuet ils furent publiés par l’érudit d’origine suisse Masson en 1907.

203 Sortie du couvent-prison de la Visitation le 13 septembre 1688 : « la dite Dame Guyon, par ordre du Roi, fut rétablie en sa première liberté, et après que Sa Majesté fut informée que cette Dame avait sacrifié par charité une somme considérable en faveur d'une Demoiselle qui se trouvait en péril dans le monde à cause de sa beauté et qui est devenue religieuse par le moyen de cette charitable Dame. »

204 Petit village sur la Mauldre, à l’ouest de Versailles. La Duchesse de Charost y avait une « maison de campagne ».

205 Omission propre à la source.

206 A l’époque où se situe cet épisode, l’abbé de Fénelon a trente-sept ans. Épaulé par Bossuet, il sera nommé précepteur du dauphin l’année suivante.

207 J’allège en omettant le début et la fin de ce chapitre 10. La variante donnée en italiques est commune aux sources de Saint-Sulpice et de Saint-Brieuc. Elle éclaire le manuscrit principal tardif actuellement à Oxford. Ce dernier commence son chapitre 10 par la soudure rédigée plus tardivement : « Je ne saurais plus rien écrire de ce qui me regarde. Je ne le ferai plus, je porte souvent la peine des âmes pour les en délivrer. J’ai oublié de dire… ». L’expérience a été en effet chèrement acquise, suite à l’indélicatesse de Bossuet ! Quant au « récit des prisons », il restera manuscrit jusqu’à son édition par madame Gondal puis par nous-mêmes, Vie, 4e partie. Puis on reprend infra Oxford en caractères romains.

208 Le 4 octobre.

209 Tout ceci reste largement inexpliquable scientifiquement de nos jours (2015) et semble une invention de l’imagination pour qui n’a pas connu une expérience mystique de correspondance reçue. Nous abordons le nœud délicat « souvent occulté qui explique les doutes de critiques jusqu’à nos jours les mieux disposés… », dans le récit-synthèse qui ouvre Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements de interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques…, Honoré Champion, 2009, 15-30 ; dans Madame Guyon, Œuvres mystiques, 2008, Présentation, 38 sq. ; dans de nombreux témoignages traditionnels repris dans Expériences mystiques en occident, vol. I à III, Les Deux Océans, 2012-2014 (volumes III à V à paraître).

210 L’abbé de Fénelon fut précepteur de Louis de France, duc de Bourgogne, né au château de Versailles le 6 août 1682, brièvement dauphin (1711-1712).

211 La rédaction de la Vie par elle-même s’est étalée de 1682 à 1709 avec de fréquente reprises. Le compte-rendu présent est proche de l’événement.

212 Elle écrit à Fénelon le 15 juin 1689 : « Ce que l'on veut aussi que je vous déclare, c'est que vous ne serez point conduit par les fortes croix, par les peines violentes, mais par les faiblesses des enfants. C'est cet état d'enfance qui doit être votre propre caractère : c'est lui qui vous donnera toutes grâces. »

213 Titre de l’ouvrage de Constantin de Barbanson (1582-1631) apprécié des mystiques du siècle. Mme Guyon cite largement Constantin dans ses Justifications (1694).

214« Je vous l’ai écrit dès le commencement, dans le temps même que je n’avais point de commerce [spirituel] de lettres avec vous. »  (Lettre 85, octobre-novembre 1688). V. la discussion de Masson, Correspondance secrète…, 1907, « Introduction », p. XXXVI-XXXVII, soulignant les rapports probables entre le supérieur des Nouvelles Catholiques et la fondatrice à Gex.

215Masson avait coupé les passages présentant à ses yeux des longueurs spirituelles jugées de peu d’intérêt ; Orcibal a édité les lettres de Fénelon sans la correspondance passive de madame Guyon (il était prévu une édition séparée des lettres de madame Guyon).

216 [CF] édite en deux « lettres » séparées 1373 et 1373A les séquences des questions de Fénelon puis de leurs réponses par Madame Guyon : aussi chaque « lettre » présente une séquence - non numérotée - de paragraphes disjoints au niveau du sens…

217 Repris de [CG 1], 216 sq.

218 Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, op.cit. [CG 1], « Une relation mystique (Murielle Tronc) », pages 216-224.

219 On a perdu une moitié de la correspondance Fénelon-Guyon probablement « des débuts » (Fénelon est « exilé » à Cambrai en 1695 et Mme Guyon sera bientôt emprisonnée), car on sait que quatre volumes manuscrits qui existaient dans la bibliothèque des Théatins furent dispersés à la Révolution. Le premier fut édité dès le XVIIIe siècle par Dutoit (reconnu authentique en 1907 par Masson) ; nous avons édité le second, découvert par I. Noye, en [CG 1] ; les deux derniers restent des « Anonymes » à découvrir, probablement de l’écriture très reconnaissable de « put » (du Puy).

220 De l’édition du même volume [CG 1].

221 C’est l’interprétation du duc de Saint-Simon dont on connaît les descriptions parfois féroces suite au mariage manqué avec une fille Beavilliers (qui rentre au couvent faute à l’abbé de Fénelon). Pour apprécier le style inimitable du duc, on lira au tome 1, chap. 17 [1695] 283 sq. (Chéruel, rééd. 1966), la célèbre rencontre avec Mme Guyon, « Il la vit , leur esprit se plut l'un à l'autre, leur sublime s'amalgama. » ; au t. 1, ch. 27 [1697] 422 sq., « le célèbre tour que fit si prestement M. de Cambrai de se confesser à M. de Meaux, pour lui fermer la bouche » ; au t. 11, ch. 22, 434 sq., « un grand homme maigre , bien fait, pâle, avec un grand nez, des yeux dont le feu et l'esprit sortaient comme un torrent », mais aussi « la sagesse et la douceur de son gouvernement, ses prédications fréquentes dans la ville et dans les villages, la facilité de son accès, son humanité avec les petits ». – Nous citerons dans ce volume le duc dont nous avons assemblé un choix d’extraits : Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, 2016, hors commerce.

222 Né le 17 janvier 1622, Louis Tronson était le fils d'un secrétaire de cabinet et de Marie de Sève. Élève du collège des Grassins, licencié en droit canon, prêtre en décembre 1647, il acquit une charge d'aumônier ordinaire du Roi le 23 décembre 1654. Entré à Saint-Sulpice le 1er mars 1656, il devint supérieur de la Solitude, puis, quand M. de Bretonvilliers fut élu supérieur, premier directeur (1657). Supérieur général de la congrégation le 1er juillet 1676, il s'établit à Issy en 1687, et mourut le 26 février 1700. (Orcibal [O], Lettre 1 note 14, [CF] 10).

Sur le lien avec Fénelon, en note 16 Orcibal cite Bremond évoquant une « curieuse lettre, entortillée, maladroite, qui nous révèle, à nous, une foule de choses, mais qui n'en veut dire qu'une, à savoir que Fénelon s'est converti à la sainteté. Ces bonnes nouvelles, une âme pudique ne les crie pas très haut ni d'emblée. De là ces détours, cet embarras, ce long début sur l'union de grâce qui s'est nouée entre lui et M. Tronson. Qu'importe ? Sa vie est orientée désormais. Parfait dès cet instant ? Non pas, ni aujourd'hui, ni demain. Mais il ne cessera pas de vouloir l'être. Ne cherchez pas ailleurs son secret » (Les plus belles pages de Fénelon, Paris, 1930, 25) ».

223 Un trimestre auparavant Mme de Maintenon écrivait le 15 novembre 1695 à l’archevêque de Paris : « …nous parlâmes de Mme Guyon ; il ne change point là-dessus, et je crois qu’il souffrirait le martyre , plutôt que de convenir qu’elle a tort ». Depuis, le 27 décembre, Mme Guyon a été arrêtée. Le duc de Beauvillier vient d’écrire le 29 février 1696 à M. Tronson : « Quoi ! dans un temps où M. de la Reynie vient, pendant six semaines entières, d’interroger Mme Guyon sur nous tous, quand on la laisse prisonnière, et que ses réponses sont cachées avec soin ; M. de Cambrai, un an après MM. de Paris et de Meaux, s’aviserait tout d’un coup de faire une censure de livres inconnus dans son diocèse ! » Nous résumons ici les points utiles à la compréhension des événements relevés par [O].

224 M. de Paris (Harlay), M. de Meaux (Bossuet), Mgr l’évêque comte de Chaalons (Noailles), M. de Chartres (Godet des Marais). « Ces ordonnances qui se succèdent d’octobre 1694 à fin novembre 1695 forment la base canonique dont il faut partir pour déterminer la teneur des critiques de fond … s’y adjoindra par la suite une immense littérature secondaire de controverses et de libelles… » (v. Madame Guyon, Œuvres mystiques, 2008, « Les Ordonnances » sont analysées pages 64-66.)

225 Accabler remplace déchiré, rayé. [O].

226 « J’ai eu de grands commerces avec M. de Cambrai qui roulent toujours sur Mme Guyon. Nous ne nous persuadons ni l’un ni l’autre » : [O] cite Mme de Maintenon écrivant le 8 mars à Noailles.

227 L’expression fait « partie de l’arsenal anti-quiétiste de Nicole » [O].

228 Donner de l’autorité, du crédit.

229 Expression malheureuse utilisée par l’aumônier de Lourdes « converti » par Lacombe, confesseur de Mme Guyon qui avait reconstitué en prison un cercle spirituel : « La petite église d’ici vous salue, illustre persécutée ». Elle provoquera bien des peines à la prisonnière. Voir Les années d’épreuves… [EG], 164 sq. – Mme de Maintenon lisait les compte-rendus d’interrogatoires.

230 Récit du rêve du mont Liban, Vie par elle-même, 2.16.7, confié imprudemment sous le sceau du secret ! à Bossuet. – Ce récit s’apparente à celui de Marie des Vallées µ…

231 Orcibal signale une lettre de fin mai 1694 à l’écuyer Foucquet mourant dont voici l’extrait « d’une mère qui a des enfants » : « Je vous envoie la bénédiction du petit Maître. Partez, âme bienheureuse, et allez recevoir la récompense réservée à tous ceux qui, comme vous, seront à Lui sans ménagement ni retour. Allez entre Ses bras, préparez le lieu, priez pour les enfants et pour la mère : qu’ils ne s’écartent jamais ni pour le temps ni pour l’éternité de la volonté suprême et adorable. Allez, partez au nom du Seigneur, et que nous soyons unis dans l’éternité comme nous l’avons été dans le temps. J’espère de la bonté de Dieu que je serai présente au moment de votre mort en esprit et de cœur pour vous recevoir avec le petit Maître qui vous attend. Soyez mon ambassadeur auprès de Lui pour Lui dire que je L’aime. » (Madame Guyon, Correspondance Tome II Combats, [CG 2], pièce 176).

232 Mme de Maintenon avait fait délivrer Mme Guyon de son premier emprisonnement du 29 janvier au 13 septembre 1688 à la Visitation Saint-Antoine.

233 Décréditer, ôter la réputation.

234 En jugeant des livres qui contiennent des erreurs formelles par les sentiments.

235 Omission signalée par des points de suspension sans l’usage traditionnel de crochets au début (ou à la fin) des textes retenus, car ne pouvant présenter d’ambiguité avec des points de suspension propres aux sources.

236 « Né vers 1640, clerc du diocèse de Périgueux, prieur de Pontu, séminariste à Saint-Sulpice du 14 juillet 1662 à 1668. Il assista le 15 août 1668 au mariage de son frère David-François avec la nièce de Fénelon. Il était certainement prêtre le 15 octobre 1670. Bien qu'il n'ait pas acquis de grades à Paris, des pièces d'archives lui donnent le titre de docteur en théologie. Il passa les années suivantes à la Mission de Périgueux, fondée par son oncle Jean. C'est sans doute alors qu'il reçut le prieuré de Parcoul. Sa première charge semble avoir été celle de supérieur et recteur du couvent Saint-Joseph des Carmélites déchaussées de Bordeaux. Cette nomination fut approuvée le 8 juin 1675 par le nonce Fabr. Spada. En 1681 il était réélu pour la troisième fois et l'acte était confirmé le 8 avril par les vicaires capitulaires. Il était encore supérieur en 1695. Mais, dès 1676, M. de Sarlat souhaitait avoir pour vicaire général le beau-frère de sa petite-nièce. Hésitant l'abbé de Chantérac s'adressait à M. Tronson qui l'encouragea le 19 décembre 1676 à accepter, sans abandonner pour autant les carmélites. Chantérac représenta son évêque aux assemblées provinciales de 1681 et de 1685 et fit si bien que Fénelon put écrire le 2 août 1697 au Pape que l'abbé « avait été le principal soutien de son oncle l'évêque. » Pendant cette période, il restait en rapports étroits avec M. Tronson. C'est à celui-ci que la prieure de Bordeaux, Marie-Madeleine du Saint-Sacrement, adressait les lettres destinées à Chantérac : le 8 décembre 1680 le sulpicien lui répondait que l'abbé était toujours en bonne santé et qu'il se disposait à retourner bientôt à Bordeaux. […] A la charge de vicaire général se joignit la dignité de prévôt du chapitre de Sarlat dont nous le voyons pourvu en 1686, le 19 décembre 1689 et en 1694 et il n'y eut de successeur qu'en 1695. Néanmoins Godet-Desmarais, qui tenait à s'entourer de « bons ouvriers », le nomma avant le 11 novembre 1690 chanoine de Chartres. A la fin de 1694, Fénelon lui cédait le prieuré de Carennac et bientôt il l'appelait auprès de lui à Cambrai comme vicaire général. Il y devint archidiacre de Brabant et mourut à Périgueux le 20 août 1715. » (Orcibal [O], [CF] tome I, ch. II, App., note (36)).





237 524A. DE L'ABBÉ DE CHANTÉRAC A FÉNELON. A Rome, 31 mai 1698. … Les expressions de bonne amie, dont vous vous servez en parlant d'elle, et les louanges que vous lui donnez, jointes à l'application que vous avez à excuser ses sentiments, servent de prétexte à douter s'il est vrai que vous condamniez sincèrement ses livres, et si en effet vous n'avez point eu dessein de les excuser en faisant le vôtre.   …

238 Le destinataire est un « saint prélat qui sert l’Eglise avec zèle depuis tant d’années ». Il serait le tuteur des enfants du frère aîné de Fénelon selon Orcibal.

239 « Allusion probable à la sœur Rose, oracle de J.J.Boileau qu’elle animait contre Mme Guyon. Allusion possible à Catherine Gary que Ledieu appelle ‘la dévote de M. de Meaux’ » [O]. On pense aussi à l’imaginaire de la sœur Cornu qui impressionnait si fort Bossuet.

240 De mémoires rédigés en latin se détache des traductions de son livre.

241 Madame Guyon vient d’être interrogée par le terrible d’Argenson qui a succédé à l’honnête La Reynie. Bossuet écrit à son neveu à Rome : « La liaison de la Dame avec lui est manifeste. »

242 « Ce bruit n’avait d’autre fondement que la mort à la Bastille d’une femme qui servait Mme Guyon. Il fut néanmoins largement répandu en France et même à Rome où le cardinal de Bouillon l’aurait propagé. » [O]. Cet ambassadeur de France représentait les intérêts du roi. La femme fut placée auprès de la prisonnière pour l’espionner, puis finalement « l’on espérait que l’aumônier en tirerait bien des choses contre moi et que le témoignage d’un mourant pourrait être d’un grand poids. Mais le transport lui prit, elle leur dit du bien de moi… » On lira le récit haletant de leur cohabitation dans Les années d’épreuves…, « Le ‘mouton’ », pages 388-391, reprise de La Vie par elle-même, 4. Les prisons… , chapitre 6, pages 955-959. Puis « On me donna une autre fille… » : le récit de la nouvelle cohabitation figure au chapitre 7 de la même Vie, pages 963-965. Ne reste donc libre que le choix du sujet…

243 Prudence liée à la liberté conditionnelle de Mme Guyon sortie récemment de la Bastille (juin 1703). – Certains écrits « de N. » seront édités par Poiret comme Discours Spirituels.

244 Pièce 295 de la Correspondance Tome I Directions spirituelles [CG 1]. Lettres [CF] 1373 et 1373A. La division en deux lettres séparées sans correspondance entre questions et réponses les rend presque incompréhensibles, rien ne signalant la disjonction d’un paragraphe au suivant. – La difficulté est d’autant plus grande par le « respect » de l’orthographe toute phonétique adoptée par Mme Guyon. C’est un cas unique dans la [CF]. On est ainsi sûr de ne pas faire dépendre Fénelon d’une encombrante directrice peu cultivée.

Nous annotons ici plus précisément que lors de notre édition antérieure [CG 1] par un choix large des notes [O].

Le manuscrit Coll. Rothchild A[utographes] se présente selon deux colonnes sur des folios (qui furent ensuite pliés en quatre). Fénelon écrivant en colonne de gauche de sa haute écriture, laissait la place libre à droite pour des réponses à venir de sa correspondante. Procédure simple et efficace car l’archevêque disposait d’un porteur et pèlerin bénévole voyageant discrètement de Cambrai à Blois puis prenant le même chemin du retour (il s’agissait du neveu marquis de Fénelon, ou du bon Dupuy ‘Put’, ou du chevalier écossais Ramsay…) On se reportera au volume Madame Guyon Correspondance I Directions spirituelles, pièce 295, 556 sq., pour des précisions érudites dont les positionnements au sein et entre les divers folios du manuscrit.

245 Ajout de la main du Marquis de Fénelon son neveu. V. infra la section qui lui est consacrée.

246 C’est l’époque des graves revers français face à deux génies militaires, Marlborough et le prince Eugène. Louis XIV décidera de tout risquer : « Je ne consentirai jamais à laisser approcher l’ennemi de ma capitale ». Villars sauvera la France d’une situation presque désespérée le 23 juillet 1712 par la bataille de Denain.

247 Il semble s’agir du Mémoire sur les raisons qui semblent obliger Philippe V à abdiqer la couronne d’Espagne (OF 7, 164-270) mais cela pourrait aussi être le « nouveau mémoire sur les affaires générales » cité dans la lettre 1370 à Chevreuse du 3 mai : «…je voudrais bien qu’après l’avoir lu vous le confiassiez à M. Dupuy pour en envoyer une copie à N…[Mme Guyon]. Je souhaite de tout mon cœur qu’elle voie tout ce que je pense, et qu’elle me redresse si le fond de son cœur est opposé à mes pensées. »

248 « Les Hollandais demandaient à Louis XIV de tourner ses armes contre son petit-fils roi d’Espagne. Villars déclara, en partant commander la dernière des armées du Roi, que « l’État se trouvant exposé au hasard d’une journée », il avait cru devoir, comme un bon sujet, « presser S.M. de faire la paix à des conditions dures, même en déclarant la guerre au roi d’Espagne ». Cette condition exorbitante fut refusée par Louis ; heureusement Villars fut victorieux… » [O].

249« Libérée de la Bastille le 24 mars 1703, Mme Guyon avait été placée sous la surveillance de l'évêque de Blois D. de Bertier et accueillie par son fils aîné Armand-Jacques, seigneur de Briare et de Champoulet, qui vivait à Diziers dans une terre de sa femme. Vers le milieu de 1706 elle voulut s'établir dans un autre domaine, Courbouzon, mais Pontchartrain refusa parce que ç'aurait été sortir du diocèse de Blois. Vers le 15 septembre, elle allait demeurer dans la maison des Forges, près Suèvres, et, au bout de trois mois, elle eut l'autorisation d'acheter à Blois une maison située au dessus des fossés du château. Elle y mourut en 1717, en très bons termes avec D. de Bertier » [O].

250 Duchesse de Mortemart, v. infra la section qui est consacrée à celle qui fut l’animatrice du cercle des disciples durant les indisponibilités de Mme Guyon et de Fénelon exilé. - Les noms des destinataires « p.D., put », plus bas « L’ab. De B., L’abé de Leschel, L’abbé Colas », sont rayés.

251 Cela se produira. Nous pensons qu’elle succéda à Mme Guyon.

252 « Langeron souffrait depuis au moins quinze ans d’une propension au sommeil dont il se moquait lui-même [...] Dès le 12 juillet 1710, il n’était plus en état de répondre à Mme de Noailles et allait mourir le 10 novembre suivant à Cambrai [...] » [O]. – Langeron étai un « ami intime » dont la perte désolera Fénelon. V. infra « A des correspondants connus », L. 667, note.

253 « Pendant sa mission à Rome, Chantérac avait déjà les jambes malades […] Une aggravation de sa maladie l’avait empêché de signer « à cause du tremblement continuel de ses mains » [ce qui suggère une maladie de Parkinson] le second testament qu’il avait passé à Cambrai le 20 juillet 1709 en faveur du séminaire et des pauvres. [...] il mourut à Périgueux le 20 août 1715… » [O].

254 Des intrigues jansénistes ? Mgr de Noailles, cardinal-archevêque de Paris est galllican, hostile aux jésuites et n’acceptera pas en 1713 la bulle Unigenitus suivi en cela par sept autres évêques. Fénelon se bat contre les jansénistes.

255 Né en 1668, neveu du premier évêque de Québec, il fut proposé par Fénelon et devint en 1709 archidiacre et official : la note d’Orcibal à la lettre 1373A donne sa biographie.

256 « Encouragé par Mme Guyon, Fénelon travailla à procurer un « petit évêché », comme Lombez, à l’abbé de Laval [...] La nomination de celui-ci à Ypres le 16 février 1713 parut un grand coup [...], mais il mourut dès le 24 août 1713. » [O].

257 Beaumont (Pantaléon de), fils de Henri de Beaumont et de Marie de Salignac, sœur consanguine de Fénelon, naquit en 1660 au château du Gibaut. Il fut associé à Fénelon, en 1689, en qualité de sous‑précepteur du duc de Bourgogne. La disgrâce qui accabla, au mois de juin 1698, les amis de Fénelon, obligea l'abbé à se retirer à Cambrai, où l'archevêque le fit son grand‑vicaire. Il est souvent désigné dans la Correspondance sous le nom de Panta. Nommé en 1716 à l’évêché de Saintes, il se concilia l’estime et la considération générale. Il mourut à Saintes en 1744.

258 « En particulier par son goût des recherches généalogiques : voir sa lettre du 4 mai 1710 à Clairambault. Mais Fénelon écrivait le même jour à l’érudit ! » [O].

259 Mme Guyon pouvait avoir reçu une copie du mémoire au P. Le Tellier de février 1710, où Fénelon annonçait : « Je me charge d’une explication claire et précise du texte de saint Augustin […] M. l’abbé de Langeron travaille actuellement pour faire une semblable explication du texte de saint Thomas… » [O].

260 Beauvillier aurait fait en 1689 de cet exempt des gardes du corps un gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne. Saint-Simon l’oppose à Isaac du Puy comme « dévot de bonne foi aussi et plein d’honneur, mais un des plus plats hommes de France ». Après sa disgrâce il allait parfois à Cambrai, mais l’archevêque n’approuvait pas qu’il « se mêla de direction » [O].

261 Armand-Jacques, qui accueillit à Dizier près de Blois sa mère à la sortie de la Bastille le 24 mars 1703. « Vers le milieu de 1706 elle voulut s’établir dans un autre domaine, Courbouzon, mais Pontchartrain refusa, parce que ç’aurait été sortir du diocèse de Blois. Vers le 15 septembre, elle alla demeurer dans la maison de Forges, près Suèvres, et au bout de trois mois, elle eut l’autorisation d’acheter à Blois une maison… » [O].

262 « Pierre Collas […] sans doute receveur des tailles à Montargis, cousin germain du mari de Mme Guyon, était un des cinq parents qui confièrent le 27 septembre 1683 la tutelle de ses enfants à Denis Huguet… » [O].

263 Le reste de la colonne est resté en blanc et de même f. 4v° sauf une annotation : «  Cet écrit de la propre main de feu M. l’archevêque de Cambrai, mon grand-oncle, et les réponses en marge de Madame Guion, qui sont de la main de cette dame, doivent être de l’année 1710 qui est le temps où les armées commencèrent à se trouver dans le grand voisinage où elles furent de Cambrai, cette campagne et les deux suivantes. De semblables consultations à une dame par ce grand archevêque, montrent de quelle vénération sa mémoire est digne. J’atteste ces écritures comme les connaissant parfaitement. Le Marquis de Fénelon. » (Source : Coll. Rothschild A[utographes], XVII, t. V, 296).

264 [CF] lettre 1377. « Extrait d’une lettre de M. de Cambray », Aberdeen University Library, ms. 2746.

265Jour de l’Ascension. La neuvaine se terminerait donc la veille de la Pentecôte, qui tombait le 8 juin 1710. [O]

266 Entre 1710 et 1717, Madame Guyon eut auprès d’elle à Blois jusqu’à sept Écossais à la fois, ce qui explique la présence de ce manuscrit à Aberdeen. [O]

267 Faisant appel à diverses sources. Pour ne pas multiplier les notes, je donne en fin de citation leur référence [OC], [OP]... Voir la « Table des sources » supra. Les passages retenus peuvent comporter plusieurs paragraphes dont le dernier seul est référé.

268 La Démonstration de l’Existence de Dieu suit l’édition de la Réfutation : [OP 2], pages 507 à 682.

269 Réfutation, [OP 2], pages 327 à 505 et précieuse notice par J. le Brun, pages 1488 sq.

270 [OP 2], 85a : Oeuvres de Fénelon, Édition dite de Versailles, tome II, page 85, 1ere colonne.

271 [CF] lettre 277. A en croire Fénelon, « ces recueils informes écrits à la hâte et sans précaution, dictés sans ordre à un domestique qui écrivait sous moi, passaient aussitôt sans avoir été relus dans les mains de M. de Meaux… qui n’avait jamais lu les mystiques » [O].

272 Reproduit par J.-L. Goré, La notion d’indifférence chez Fénelon et ses sources, P.U.F., 1956, 194-243, dont nous livrons un choix en signalant les fragments par [EP] paginé accompagnés d’un choix des notes [G].

273 « Il y a en cette vie un état habituel, mais non entièrement invariable où les âmes les plus parfaites font toutes leurs actions délibérées en présence de Dieu… » (Maximes des Saints, XXV, cit. [G], note 2).

274 [§4] L'orthodoxie de Fénelon qui d'ailleurs fait ici oeuvre de pédagogie spirituelle plus que de doctrine ne peut guère être mise en cause : sa conception de l'indifférence précise au contraire le cadre de notre devoir, tout d'obéissance à la volonté divine signifiée par la « loy et les préceptes ». Il ne saurait être suspect d'illuminisme et de trop accorder, à l'inspiration individuelle. [G]

275 C'est là la partie proprement ascétique de l'indifférence féne­lonienne il faut ne point « occuper » notre esprit à des choses « indifférentes », mais le « désoccuper » des objets mêmes les plus anodins, susceptibles de le disperser par leur seule multiplicité. [G]

276 [§5] C'est la définition même du Pur Amour. Cf. Maximes. lre proposition : « On peut aimer Dieu d'un amour qui est une charité pure, et sans aucun mélange du motif de l'intérêt propre... Ni la crainte des châtiments, ni le désir des récompenses n'ont plus de part à cette amour. On n'aime plus Dieu ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu'on doit trouver en l'aimant... On l'aime néanmoins comme souveraine et infaillible béatitude de ceux, qui lui sont fidèles. On ,l'aime comme notre bien personnel. comme notre récompense, comme notre tout. Mais on ne l'aime plus pour ce motif précis de notre bonheur et de notre récompense. » Dans les Principales propositions du livre des Maximes Justifiées (III, p. 252), Fénelon citera ses garants et, entre autres, saint Bernard : « On trouve un autre degré plus sublime, et un amour plus digne, savoir quand le coeur étant purifié à fond, l'âme ne désire plus rien et n'attend plus rien de Dieu que Dieu. même... Car l'âme de ce degré ne désire plus rien comme rien, ni félicité, ni gloire, ni aucun autre bien par ,un amour particulier d'elle-même » (Serm. IX De diversis). [G]

277 [§6] Fénelon a de l'oraison passive et de la vie de Pur Amour une conception très souple. Bossuet en revanche fait consister la passivité en une ligature absolue des puissances, qui rend l'âme incapable de produira tout acte discursif. « Dieu, écrit l'évêque de Meaux, fait des hommes tout ce qu'il lui plaît, des emporte, les entraîne où il veut, fait en eux et par eux tout ce qu'il s'en est proposé dans son conseil éternel, sans qu'ils puissent résister; parce qu'il est Dieu, qui a, en sa main sa créature, et qui demeure maître de son ouvrage, nonobstant le libre arbitre qu'il lui a donné. Cette proposition est de la foi et paroît incontestablement dans les extases ou ravissements, et dans toutes les inspirations prophétiques (Instruction sur les États d'Oraison, liv. VII, N, 3).

C'est là une conception miraculeuse de la passivité, et en tout cas absolument exceptionnelle. Fénelon s'inscrit au contraire dans la tradition d'une mystique qui se garde bien de réserver à une impuissance absolue dont il est peu d'exemples, le nom de passivité : selon lui au contraire passivité et motions extraordinaires s'excluent. Après saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, il ramène la passivité à une lumière projetée sur notre vie, à une simple vue de Dieu et de notre néant » pacifiant nos aspirations complexes. [G]

278 C'est-à-dire : sans retour volontaire sur moi-même. [G]

279 Réfléchir par grâce contre son attrait » : la formule n'est pas très claire. Voici comment nous l'interprétons : L'oraison passive admettra des distractions involontaires et pratiquement inévitables à cause de notre faiblesse plus facilement que des méditations ou des efforts pieux qui la contraindraient dans une voie différente de la sienne. [G]

280 Saint Jean de la Croix, Cantique spirituel, strophe XXVI / “Dès que l'âme, en effet, arrive à l'union intime avec Dieu, ses puissances spirituelles n'ont plus à agir et à plus forte raison ses puissances corporelles; l'union à Dieu par l'amour étant accomplie, le travail des puissances est terminé l'âme est arrivée au terme et n'a plus besoin de ces intermédiaires pour y parvenir. Aussi ce qu'elle fait alors avec le Bien-Aimé, c'est de rester dans cet exercice plein de suavité auquel elle est élevée, et de continuer à aimer et à aimer encore pour continuer cette union. C'est pourquoi elle demande que personne ne paraisse sur la montagne; de la sorte, la volonté seule se tiendra près du Bien-Aimé, et elle se donnera à lui avec toutes ses vertus de la manière qui a été exposée.” [G]

281 L'idée de la boule de cire revient souvent sous la plume de Fénelon qui l'emprunte à saint François de Sales, Traité de l'Amour de Dieu, IX: “Le coeur indifférent est comme une boule de cire entre les mains de son Dieu, pour recevoir semblablement toutes les impressions du bon plaisir éternel... » [G]

282 Actes, 14, 24. Il s'agit de Paul et Barnabé. [G]

283 Fénelon ne songe point ici aux dons du Saint Esprit proprement dit — dons de conseil, de piété, de force, de crainte, de science, d'intelligence, de sagesse, qui tous perfectionnent l'exercice des vertus et facilitent l'oraison avant même qu'elle ne s'épanouisse en contemplation. Il envisage plutôt par « dons sensibles et mira­culeux » les « consolations » ou phénomènes étranges dont parlent les saints. [G]

284 L'état passif est pour Fénelon l'attitude chrétienne fondamentale et la prise de conscience de l'habitation du Saint Esprit dans l’âme. [G]

285 [§48] Fénelon suit très exactement le texte de l'Aréopagite. Noms divins, 712 A (trad. Gandillac, P. 107) : " Mais en Dieu le désir amoureux est extatique. Grâce à lui, les amoureux ne s'appartiennent plus; ils appartiennent à ceux qu'ils aiment..." [G]

286 Théologie Mystique, 117 A; 997 B, ch. I (trad. Gandillac. p. 177). [G]

287 Cf. Confessions, XI, X. […] Manifestement Fénelon transcrit de mémoire une citation dont il conserve surtout le mouvement général. [§ 57] Trad. « Supposons un être en qui fasse silence le tumulte de la chair et les images de la terre, de l'eau, de l'air, et aussi des cieux : en qui l'âme elle-même se taise, et se dépasse en ne songeant plus à soi en qui se taisent pareillement les songes, les révélations, toute langue, tout signe, tout ce qui ne nalt que pour disparaltre oui, supposons un tel silence de toutes ces choses... puisqu'elles ont élevé leur oreille vers Celui qui les a créées; supposons qu'alors Celui-ci parle seul, non par elles, mais par lui-même; que nous entendions sa parole, non plus par la langue d'un être de chair, ni par la voix d'un ange, ni par le fracas de la nuée, ni par l'énigme d'une parabole, mais que ce soit lui-même, lui que nous aimons sans toutes ces choses, que nous entendions sans leur intermédiaire... supposons que ce contact se prolonge, que toutes les autres visions subalternes s'évanouissent, que celle-ci ravisse seule le voyant, l'absorbe, l'abîme en d'intimes félicités... » [G]



288 Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie, publié par P. Dudon, Beauchesne, 1930, date tardive d’édition d’un texte majeur : Fénelon, malgré son rayonnement, fut assez mal représenté spirituellement. D’innombrables éditions omettent une face intime qui devait demeurer cachée durant les deux siècles qui suivirent sa mort.

Nous avons colligé et (rarement) corrigé le texte sur le ms. des Archives de Saint-Sulpice : François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques ou Le Gnostique de Clément d’Alexandrie, présentation par Dominique et Murielle Tronc, « Les carnets spirituels », Paris, Arfuyen, 2006.

289 Pour une approche convergente, “fénelonienne” par sa finesse, mais rédigée autour de 1820 : Leopardi, Zibaldone : « Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons imaginer un mode d’être au-delà [page 602] de la matière qui ne soit pas néant. Nous disons que notre âme est esprit. La langue prononce le nom de cette substance, mais l’intelligence ne s’en fait pas d’autre idée que celle-ci : elle ignore de quoi il s’agit. »

Puis revenant sur ce thème philologique préféré : « …tous les mots [page 1224] qui ont, précisément et subtilement, exprimé une idée …ont toujours ou presque toujours, été universellement employés dans toutes les langues, par tous ceux qui conçurent et voulurent exprimer cette idée avec précision. Cette idée s’est ainsi transmise du premier individu qui la conçut clairement aux autres individus, puis aux autres nations… » (trad. Bertrand Schefer, Allia, 2003).

290 Du même poète : Zibaldone, [page 383] « …qu’il est sot de confondre l’absence de vérité avec l’absence de jugements, comme s’il n’existait que des jugements vrais ou comme si, du principe énoncé, résultait la nécessité d’un jugement vrai dans l’absolu et non d’un jugement vraiment utile et adapté à la nature de l’homme. »

291 Couvre les pages 330-368 du troisième et dernier tome de Les Justifications de Mad. J.M.B. de la Mothe Guion écrites par elle-même […] avec un Examen de la IX. & X. Conférence de Cassien, touchant L’état fixe de l’oraison continuelle, par feu Monsieur De Fénelon Archevêque de Cambrai, « Vincenti », A Cologne, Chez Jean de la Pierre, 1720. Également reproduit par Goré à partir des cahiers 6249-6257 des A.S.-S. Ici nous utilisons l’édition Poiret de 1720.

292 [Traité] De l’amour de Dieu. Livr.IX. Ch.14. (note Poiret).

293 De l’amour de Dieu. Livr.VI. Ch.11. (note Poiret).

294 Gen. 5. v.22.24. Ch.6 v.8,9. Ch.48. v.15. Ps.15 v.8. IV Rois 20. v.3. etc. (note Poiret.).

295 Fénelon, Œuvres I, édition présentée, établie et annotée par Jacques Le Brun, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, pages 573 sq.

296 Opuscule issu d’une lettre du 19 avril [1690 ?] sans doute adressée à Mme de Maintenon. (n. JLB, P1-1423).

297 Ne supporte pas de se voir

298 Lc, X, 41-42.

299 Sagesse, 16, 20-21.

300 OS 1, rappel : Oeuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon, Archevêque de Cambrai, Prince du S. Empire, Premier volume. A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718.

301 Tradition du siècle depuis Benoît de Canfield, etc.

302 Le Banquet, 180b.

303 Le Banquet, 211a-b

304 Psaume 72, 26.

305 L’édition de référence [CF] respecte un ordre strictement chronologique ce qui noie la minorité spirituelle au sein de multiples « lettres d’affaires ». Son organisation rend difficile une lecture méditative. Par contre l’ordre par destinataire avait été choisi en 1848-1852 dans le huitième tome de l’édition [OC] dite de Paris au sein des lettres rassemblées sous le titre de Lettres Spirituelles (LSP 1 à 502) (OC 8). Mais l’ensemble était trop large, le spirituel voilant le mystique. Surtout il a été complété en 2007 par I. Noye qui propose des destinataires (en particulier la « petite duchesse » de Mortemart, probable successeur de Madame Guyon, apparaît enfin).

306 C’est la grande variable humaine, celle des tempéraments, abordée par la caractérologie à l’aide de divers classements, depuis la variété propre à un Lavater (1740-1801) jusqu’à la dichotomie propre à des modernes popularisés par un Mounier (1905-1950) et d’autres : introversion vs. extraversion, etc.

307 À l’ordre d’âge qui ne signifie guère au plan mystique et par ailleurs difficile à établir – à tout regroupement sur des critères « généralistes » arbitraires et peu significatifs intérieurement compte tenu de la variété des tempéraments.

308 [CF], Tome XVIII, « Suppléments et Corrections ».

309 Nous l’avons entrepris à notre usage et son « brouillon » est disponible sur demande adressée au webmaster de www.cheminsmystiques.fr.



310 À l’aide de fragments non repérés dans [CF].

311 Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon (1635 – 1719) naquit en 1635 dans une prison de Niort, où sa mère était renfermée avec son père, Constant d'Aubigné, ardent calviniste, suspect au cardinal de Richelieu. Elle épousa en 1652 le poète Scarron, qui la laissa veuve en 1660. Nommée gouvernante de Louis‑Auguste de Bourbon, duc du Maine, fils naturel de Louis XIV et de Mme de Montespan, elle gagna dans cette place toutes les affections du monarque, par les charmes et la solidité de son esprit. Enfin ce prince, résolu de rompre les attachements criminels auxquels il avait été trop longtemps assujetti, s'unit à elle, en 1685, par les liens indissolubles d'un mariage secret, mais revêtu de toutes les formalités prescrites par l’Église. » (Fénelon, édition ancienne de 1829). - Au-delà du rappel de ces quelques dates, on note son « enracinement de la vie religieuse dans la vie morale » et son souci, en fondant la maison d’éducation de Saint-Cyr, d’éviter à d’autres ce qu’elle a connu elle-même. V. DS, 10.115-118. – Elle exaspère Saint-Simon : par ex. t.13, ch.2 & 3 : « Elle n'avoit de suite en rien que par contrainte et par force. Son goût étoit de voltiger en connoissances et en amis comme en amusements […] L'abjection et la détresse où elle avoit si longtemps vécu lui avoit rétréci l'esprit, et avili le coeur et les sentiments. »

312 Fénelon se justifiera à Issy citant Catherine de Gênes : « Dieu alors dépouille l’âme de toutes les vertus et il la salit pour l’humilier ». [O].

313 J’utilise pour ce relevé et les suivants les index de la [CF] parue chez Klincksieck puis Droz pour les tomes II, IV, …XVI, 1972-1999, XVIII, 2007 tome dernier établi par I. Noye. – Je tiens à disposition les relevés OCR correspondants.

314 Citations : CF 3, L.43, n.1 ; CF 3, L.283, n.5. 

315 Ce que ne suggère aucunement la première note attachée à la lettre LSP 32*, première des lettres de cette section « Marquis de Blainville ». Mais c’est ce qu’avancera avec prudence I. Noye [N] dans sa note 6 attachée à LSP 36*, reproduite infra. - Le contenu du début adressé « au converti » correspond par ailleurs à ce qu’avoua le marquis à Mme Guyon.

Orcibal [O] hésite dans son attribution à la première note de la L.43, dont nous venons d’extraire ci-dessus la biographie de Jules-Armand Colbert. Puis il met en avant la présente attribution : « Il est cependant plus naturel de supposer que cette lettre est adressée à Blainville lui-même avec qui l’archevêque échangera par la suite une abondante correspondance et qu’il connaissait certainement déjà à cette date. Quatrième fils du ministre… »

On trouvera un bref extrait de la L.43 infra, première lettre succédant à celles adressées « à un converti » et datée de la fin de 1688.

316 « Les lettres LSP 31 à LSP 34 semblent adressées à un homme que Fénelon guide dans les débuts de sa conversion. Il paraît préférable de lire d’abord LSP 32, démarche audacieuse de l’apôtre qui aborde un inconnu auquel des amis communs ont procuré ce rapprochement. L’intéressé a accueilli favorablement cette démarche, comme l’indique le début de LSP 31. Après un voyage qu’il a fait en réponse à l’invitation initiale, il a laissé Fénelon sans nouvelles (LSP 33), et un peu plus tard il l’inquiète par des dispositions dangereuses (LSP 34). » [N].

I.Noye regroupe ces lettres sous un unique destinataire : « O ». Nous les donnons ici intégralement car elles furent « présélectionnée » par les disciples pour l’édition de 1717. Nous venons de voir qu’il s’agissait très probablement de Blainville selon [O] et n. 6 attachée à LSP 36* [N].

317 Appel de note reportée en fin de lettre. De même par la suite.

318 Pour la plupart éditées en [CF 18] après celles « au converti O », sauf la première 43. en [CF 2] – nous faisons donc précéder LSP 66 de « 43. » - et sauf les deux dernières, datées de la fin de la vie de Blainville.

319 En LSP 137 Fénelon évoque de même pour Mme de Mortemart la rencontre dans le «centre commun », où « la Chine et le Canada viennent se joindre ». [N].

320 Blainville recourait à sa soeur, Mme de Mortemart, comme guide spirituelle; très sensible aux défauts d'autrui (« Demeurez uni à la bonne... [duchesse] malgré l'opposition de vos deux naturels, et la vivacité qui vous rend l'un et l'autre si sensibles », 672. LSP 80), elle souffrait spécialement des fautes ou défauts qu'elle constatait en lui. (CF 18, LSP 133, [N]. Dans ce qui suit nous omettons les notes [N] constamment reprises).

321 Sa soeur, Mme de Mortemart.

322 Le groupe guyonien se trouve ici caractérisé par son origine inspirée son fonctionnement solidaire et son but. [N].

323 On connaît deux voyages de la duchesse de Mortemart au cours desquels elle put être reçue par Fénelon : en 1699, elle passa au Cateau-Cambrésis au début d'octobre et repassa pour en repartir le 15 (il y résida du 4 au 14); en 1702. elle séjourna à Cambrai quelques jours à partir du 8 juillet.

324 Retour sur l'objectif assigné au groupe guyonien.

325 Vraisemblablement la folie de sa femme, née Gabrielle de Tonnay-Charente.

326 Sa soeur, la duchesse de Mortemart.

327 Comme souvent avec les correspondants dont il est spirituellement proche, Fénelon se montre éprouvé autant que Blainville; l'avant-dernière phrase, ci-dessous, exprime aussi leur union. (Noye).

328 Col. III, 3.

329 La fille de Blainville, visitandine à Saint-Denis, allait mourir le 18 octobre 1698.

330 Rom. XIV, 8.

331 Thérèse d’Avila, Pensées diverses, 2.

332 La lettre s’adresse d’abord aux deux correspondants, tout comme le dernier alinéa. En admettant que N... soit, comme souvent, Mme de Mortemart, et que le premier « nous » représente Fénelon avec Blainville, on peut voir dans cette lettre une étape importante dans l’évolution de celui-ci : ayant conversé avec Fénelon, il est décidé à adopter le programme spirituel que celui-ci lui propose, ce qui fait prévoir une étroite union avec sa soeur. Il est donc chargé d’apprendre à celle-ci la bonne nouvelle (à moins que le second N. ne désigne Mme Guyon?). La lettre, datant d’un mois de novembre, peut être de 1694, 1695 ou 1696, dates où Fénelon était à Versailles ou Paris ; 1694 nous paraît plus probable […] (Noye).

333 Le marquis avait surveillé en décembre 1696 et janvier 1697 l’impression des Maximes des Saints. (O]

334 Il doit s’agir de Mme de Beauvillier ou de Mme de Mortemart. [O]

335 Les suites de la condamnation du quiétisme par le pape. « C’était l’époque de l’Assemblée du clergé où triomphait Bossuet… » [O]

336 « Placées à la suite de la lettre 715 du 4 août 1701 dans une copie revue par le marquis de Fénelon (A.S.S., pièce 552), cette lettre et les deux qui la suivent peuvent appartenir à la période 1701-1704 pour laquelle on ne connaît pas de lettres datées de Fénelon à Blainville. » (CF 18, LSP 83, n. Noye).

337 II Cor. XI, 2.

338 Addition marginale de Gosselin qui avait eu sans doute sous les yeux un manuscrit qui les comportait, non retenue dans (OC): « Renouvelez-vous souvent devant Dieu et soyez, par son esprit, doux, simple et petit avec les hommes ». (Noye).

339 Jean XII, 360.

340 Fénelon range sans doute la géométrie parmi « les curiosités qui passionnent »; mais puisqu'elle « a expliqué l'art de découvrir les vérités inconnues » (Pascal, De l'esprit géométrique, 1), peut-être voit-il en elle une pente vers le rationalisme. (Noye).

341 Hilaire de Poitiers, De Trinitate, IV, 25, suivi par saint Augustin.

342 [CF 3] note 1 à la lettre 23. Orcibal ajoute : « On ne doit pas la confondre avec Marie-Christine de Noailles, duchesse de Gramont (1672-1748), née le 4 août 1672, mariée le 12 mars 1687 à Antoine de Gramont, comte de Guiche, duc en 1695, plus tard maréchal de France. Veuve en 1725, elle mourut le 14 février 1748. « La colombe était une ardente disciple de Mme Guyon » selon Saint-Simon… » Nous avons un temps pensé à tort qu’elle pourrait avoir succédé à Madame Guyon. - Ni la confondre avec sa mère Mme de Noailles (1656-1748), épouse du maréchal, en relation parfois tendue avec Fénelon, dont une lettre figure infra.

343 [CF 18] « Lettres retrouvées ».

344 Ibid., v. note [N].



345 Et non [1695] selon [CF 18], page 19.

346 [CF 3], note 1 à L.295, 473-474. – v. le Dict. de Spir., 9.175.



347 LSP 7 est suivie de LSP 8 à 12 au même dom Lamy : CF 14, L.1189, 1217, 1297, 1398, 1405, non retenues.

348 Un bénédictin italien.

349 [OF 2]: Œuvres complètes de Fénelon, Tome deuxième, Paris, 1848, p. 159.

350 Charles-Honoré d’Albert, duc de Luynes, duc de Chevreuse (1656-1712). Il fut élève des petites écoles de Port-Royal, gendre de Colbert, beau-frère et ami du duc de Beauvillier, conseiller particulier respecté par Louis XIV, et après 1704, ministre d’État : « les ministres des affaires étrangères, de la Guerre, de la Marine et des Finances avaient ordre de ne lui rien cacher » (Pillorget, R. et S., France baroque, France classique 1589-1715, I. Récit, Laffont, 1995, 1162.)

Saint-Simon lui élève le « tombeau » suivant : « J’ai parlé ailleurs [...] de la droiture de son cœur, et avec quelle effective candeur il se persuadait quelquefois des choses absurdes et les voulait persuader aux autres [...], mais toujours avec cette douceur et cette politesse insinuante qui ne l’abandonna jamais, et qui était si sincèrement éloignée de tout ce qui pouvait sentir domination ni même supériorité en aucun genre [...] C’est ce même goût de raisonnements peu naturels qui le livra avec un abandon qui dura autant que sa vie aux prestiges de la Guyon et aux fleurs de M. de Cambrai [...] Sa déférence pour son père le ruina, par l’établissement de toutes ses sœurs du second lit dont il répondit, et les avantages quoique légers auxquels il consentit pour ses frères aussi du second lit, et qui ne pouvaient rien prétendre sans cette bonté. Jamais homme ne posséda son âme en paix comme celui-là. [...] Le désordre de ses affaires, la disgrâce de l’orage du quiétisme qui fut au moment de le renverser, la perte de ses enfants, celle de ce parfait dauphin, nul événement ne put l’émouvoir ni le tirer de ses occupations et de sa situation ordinaire avec un cœur bon et tendre toutefois. Il offrait tout à Dieu, qu’il ne perdait jamais de vue ; et dans cette même vue, il dirigeait sa vie et toute la suite de ses actions. Jusqu’avec ses valets il était doux, modeste, poli ; en liberté dans un intérieur d’amis et de famille intime, il était gai et d’excellente compagnie, sans rien de contraint pour lui ni pour les autres, dont il aimait l’amusement et le plaisir; mais si particulier par le mépris intime du monde… » (Saint-Simon, éd. Cheruel, tome 10, chap. 12.).

Voir [CF] T. III, n.15 page 155 sur l’origine de ses relations avec Fénelon et avec Mme Guyon.

351 Madame Guyon, Correspondance, Tome II, très nombreuses lettres transitant par Chevreuse.

352 « Quant au destinataire, c’est Chevreuse d’après Saint-Simon et Beauvillier selon toutes les autres sources » (CF 7, présentation de la L.433). La lettre se répandit dans toute la Cour  et parut « une espèce de manifeste » : elle s’ouvre par « Ne soyez pas en peine de moi, Monsieur : l’affaire de mon livre va à Rome […] Je demande seulement au Pape qu’il ait la bonté de marquer précisément les endroits qu’il condamne… »

353 Les amis de Port-Royal qui avaient dirigé son éducation et avec lesquels il n’avait rompu, à cause de Mme Guyon, que vers 1693. Le portrait (ou la caricature) qu’en propose Fénelon, vise surtout Pierre Nicole… [O]

354 « Saisissante indication psychologique. » [O]

355 Ce court extrait n’est pas « spirituel » mais permet de situer les conditions vécues par l’archevêque et par le dauphin (qui sera critiqué).

356 « En 1667, les armées de Louis XIV conquièrent Ath. Vauban fera construire une fortification nouvelle entre 1668 et 1674. Cette imposante enceinte comprendra non moins de 8 bastions, reliés par des courtines, elles-mêmes protégées par des tenailles et des demi-lunes. » Bertrand, Histoire de la Ville d'Ath.

357 Maximilien-Emmanuel, électeur de Bavière, gouverneur des Pays-Bas espagnols. En mai 1699 l’émeute avait grondé à Bruxelles…[O]

358 Gen. XIII, 9.

359 Eph. IV, 23.

360 « Encore un mot bien guyonien […] » [O]

361 Lettre 640 B. LE DUC DE CHEVREUSE A FÉNELON. A Paris le 11e janvier 1700. Votre réponse, mon bon Archevêque, m'a fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Elle m'a découvert à mes propres yeux, elle a porté la lumière dans les endroits que la nature ne voulait point voir. Il me paraît clairement que tout ce que vous me dites est vrai. Il me semble même que depuis que vous me l'avez dit par votre lettre, la même chose m'est presque continuellement redite au-dedans. Je suis averti, et chaque avertissement tout prompt et léger qu'il est, porte sa conviction avec soi. Pour l'exécution, ce n'est pas la même chose. Il y a quelque changement en moi, mais très petit. Je cesse souvent d'écouter ces avertissements intérieurs dont l'impression s'efface dans le moment qu'on y est sourd, et je demeure enveloppé dans la foule de paroles et d'actions ou circonstances superflues. Cependant il me semble que j'ai bon courage, et votre lettre est pour mon coeur une loi inviolable dont il est bien résolu de ne se départir jamais. […] /, Mais, mon cher Archevêque, ce que vous me proposez d'excellent et dont le choix est bien difficile, c'est le commerce d'une personne avec qui l'on s'ouvre pleinement et sans réserve en toute simplicité. Je n'en vois qu'une qui ait pour cela tout ce qu'il faut, c'est-à-dire qui soit dans la voie, qui ait de la grâce, que je puisse voir assez souvent sans qu'on le remarque ou s'en étonne, qui soit franche et simple. C'est la Bon[ne] Pet[ite] Duch[esse][de Mortemart]. Mais je vois en elle bien des choses que je n'approuve pas et quoiqu'elles ne soient point essentielles, je ne pourrais lui parler franchement sans les lui dire. Apparemment cela ne lui conviendrait pas. Ces choses sont un peu trop de liberté en beaucoup de choses où une personne aussi avancée n'en devrait pas prendre. Cependant je n'en juge pas, et je n'aurai nulle peine à lier avec elle ce commerce de simplicité si vous le voulez. Je ne vois nulle autre personne qui me convienne pour cela, comme je viens de le dire. Car je doute que Marv[alière] y fût propre, ni même peut-être le B[on] D[uc][de Beauvillier] que je ne vois pas même assez de suite pour ce commerce, et je n'en sais nul autre. Mandez-moi donc votre avis sur cet article, ou plutôt votre volonté que je veux suivre en tout. Voilà, mon très cher Archevêque, ce que j'avais bien envie de répondre à votre dernière lettre. Vous pouvez juger si vous aviez raison de douter que votre franchise et votre ouverture me fit plaisir. Je sais que Dieu me parle par vous. Je sens que ce qu'il vous fait dire porte sa grâce avec soi. Je me sens ouvert et petit avec joie sous votre main, quoique nature en ait d'abord un peu de tristesse et de serrement, mais passager et sans suite. Je me sens enfin une liaison intime du coeur avec vous qui me porte et m'unit à Dieu. Je vous mande tout de suite et sans réflexion ce qui me vient dans le temps que j'écris, et je ne le relis point [fin de lettre très guyonienne [O]. Adieu, mon très bon, aimons-nous. Demeurez unis en notre Dieu sans entre-deux et pour toujours.

362 v. CF 3, L.240, n.2 sur cet homme de confiance de Beauvillier et de Madame Guyon.

363 En faveur de la duchesse de Mortemart, la B.P.D. ; voir infra, L.912A.

364 « On ne pouvait en effet trouver étranges ces rencontres de Chevreuse avec sa belle-sœur. » [O]

365 « Fénelon dénonce souvent les « racines » jansénistes de la formation de Chevreuse. … » [O]

366 « Ce n’est pas un hasard si Fénelon reprend ici un titre du P. Malebranche. » [O]

367 Matth. VI, 31 puis Ps. XLV, 11.

368 Témoignage qui suggère que la B[onne] P[etite] D[uchesse] de Mortemart devenue confidente en relation étroite avec Madame Guyon à la suite de Fénelon lorsqu’il fallait protéger l’archevêque juste avant l’enfermement « définitif » à la Bastille, pourrait avoir succédé dans la lignée puisqu’elle vécut jusqu’au milieu du siècle suivant.

369 Ephes. V, 16 : « … Et rachetez le temps, (parce que les jours sont mauvais) » (Amelote).

370 II Cor. VII, 3 : « …ni la vie, ni la mort (ne vous sépareraient jamais de mon cœur). » (Amelote).

371 Lettre qui souligne les difficultés rencontrées par le dauphin puis les épreuves vécues par l’ancien précepteur devenu dignitaire d’Église pendant les misères de la guerre. En petit corps.

372 Le vidame d’Amiens, fils du duc de Chevreuse.

373 Le fidèle Isaac du Puy, « fort honnête, fort droit, fort sûr… » selon Saint-Simon, renseignait encore le marquis de Fénelon en 1737.

374 [CF] 8, L.271 du 15 avril 1700. Dans la même longue lettre : « Tout ce qui excite vos réflexions ardentes et délicates vous est un piège dangereux. … Ne soyez pas martyre des bienséances … si vous êtes bien occupée de Dieu, vous le serez moins de plaire aux hommes, et vous leur plairez davantage. »

375 La correspondance avec la comtesse est la plus longue de toutes les « Correspondances spirituelles ». Fénelon lui adresse 325 lettres [OC 8], L.267 à L.591, dont nous retenons des fragments prélevés sur moins d’un dixième : « Une demi-heure de conversation simple fera plus que cent lettres, et nous mettra à portée de rendre toutes les lettres utiles, en les rendant proportionnées aux vrais besoins » lui écrivait-il dès le début de leur relation [CF 8], L.270 du 15 mars 1700.

376 [O] attache à cette lettre un longue note (deux pages !) situant la famille de la fille de sa correspondante, dont plusieurs membres apparaîtront dans la [CF] : v. [CF 11], L.648, n.3.

377 II Cor. III, 17.

378 et le mérite bien ajout.

379 entraînement journalier surcharge.

380 « Trop est avare à qui Dieu ne suffit » (Institutions de Tauler).

381 « Cette phrase et celles qui la suivent font de cette lettre un morceau d’anthologie » [Orcibal].

382 De Jean de Bernières (1602-1659). - Fénelon n’a pas été arrêté par sa condamnation en 1689 ni par Bossuet (« la matière des Maximes des saints … déjà jugée ne la personne de Molinos, de La Combe, de Mme Guyon, de Bernières ») [O]

383 de sentiment surcharge.

384 sans qu’elles le sachent … au besoin surcharge.

385 Fin de lettre omise ainsi que les douze lettres suivantes (celle du 19 février est spirituellement fine : « …on n’écoute point les dépits de l’orgueil … quand on ne fait que les souffrir …Dieu nous purifie et nous perfectionne. Il faut donc laisser passer cette souffrance, comme on laisse passer un accès de fièvre ou une migraine… »).

386 [CF 18], Lettres retrouvées.

387 Cant. II, 16.

388 Dont la fête tombait précisément le 10 juin. [O]

389 Matth. V, 34.

390 Longue fin omise ainsi que les huit lettres suivantes. (L.du 16 juin : « pour la crainte des consolations, elle va trop loin : prenez simplement celles qui vous viennent … Je conclus que je vous enverrai dimanche un relai à S… pour venir coucher à Cambrai. Je comprends que vous voudriez que j’allasse le mardi à… et c’est à quoi je suis tout prêt. » [un archevêque vraiment dévoué] ; 27 juin : « vous êtes scrupuleuse sur des bagatelles » ; 11 juillet : « On prétend même que vous avez fait diverses austérités » ; 5 août : «  il me tarde infiniment de me raccommoder avec vous, madame, et beaucoup plus encore de vous raccommoder avec Dieu » ; 14 août : « Vous avez voulu vous donner ce que Dieu ne vous donnait pas, et vous ôter par courage ce qu’il ne vous ôtait point ».

391 Qui n’est pas le confesseur ordinaire de la comtesse. [O]

392 Première moitié de lettre reproduite, illustrant les effets forts causé par scrupules : et pourtant il ne s’agit pas d’une personne en clôture ! - Suivent douze lettres sans compter la 771 incertaine, dont : « Laissez Mme d’Oisy lire, goûter, prier, se nourrir. Il faut donner patiemment aux âmes, avant que de leur demander. Il faut qu’elles aient été nourries intérieurement de l’oraison… » (16 octobre) ;

Une belle confidence : « Je n'ai rien à vous dire aujourd'hui de moi; je ne sais qu'en dire ni qu'en penser. Il me semble que j'aime Dieu jusqu'à la folie, quand je ne recherche point cet amour. Si je le cherche je ne le trouve plus. Ce qui me paraît vrai en le pensant d'une première vue, devient un mensonge dans ma bouche, quand je le veux dire. Je ne vois rien qui soulage mon coeur ; et si vous me demandiez ce qu'il souffre , je ne saurois vous l'expliquer. Je ne désire rien ; il n'y a rien que j'espère ni que j'envisage avec complaisance. Mon état ne me pèse point ; je suis surmonté des moindres bagatelles. D'un autre côté, les moindres bagatelles m'amusent, mais le cœur demeure sec et languissant. Dans le moment que j'écris ceci , il me parait que je mens. Tout se brouille. Dans ces changemens perpétuels , je ne sais quoi ne change point, ce me semble.” (20 novembre) ;

Mais aussi : “Combien de fois m’avez-vous promis des merveilles ! C’est toujours à recommencer…” (18 janvier 1702) ; “ On assure que vous y allez [à l’église] deux fois par jour” (!) (15 février) aussi : “j’irai à l’église pour vous” (12 avril) ;

La subtilité du connaisseur des âmes : “Les sentimens et les discours de la personne révoltée ne sont pas de votre véritable fond. L'autre personne est la véritable, qui veut ce qu'elle pense et ce qu'elle dit. Vous le voulez lors même que vous ne croyez plus le vouloir, et vous ne voulez ni ne croyez jamais ce qui passe par l'imagination et par le senti- ment de cette autre personne, qui assure tout ce qu'elle sent et imagine. Il n'y a que l'expérience des peines intérieures qui donne la clef de ce mystère.”



393 La "petite duchesse" confidente de madame Guyon juste avant l’emprisonnement « définitif » à la Bastille. C’est peut-être celle qui lui succéda.

394 Mme de Souastre … expression associée d’une manière originale à la spiritualité du moment présent… » [O] note 4.

395 « La fin de ce paragraphe semble décrire les communications de grâces guyoniennes. » (Note 6 d’Orcibal).

396 Suivent seize lettres avant la fine et sévère analyse [O] du 10 octobre de la même année : « J’ai vu aujourd’hui, après cinq ans de séparation, M. le duc de [Bourgogne] ; mais D[ieu] a assaisonné cette consolation d’une très sensible amertume… » [ici Orcibal cite Saint-Simon: « le Roi défendit de plus » au duc « de sortir de sa chaise… » la rencontre eut cependant lieu, mais fut brève, v. la suite de la note 7] (26 avril 1702) ; « Un jour de persévérance dans la peine est plus agréable à Dieu, et avance davantage une âme, que plusieurs années dans l'enivrement des prospérités spirituelles, où l'on dit comme saint Pierre : Nous sommes bien ici. Votre amie a besoin de vous, et vous voyez le bien que vous lui faites. Je vous la recommanderais de tout mon coeur, si ce n'était vous faire in­jure, que de vous recommander une personne qui vous est si chère. J’en espère beaucoup et il me tarde bien de voir ce que vous avez fait dans son coeur. Mais vous, qui faites du bien aux autres, ne vous faites plus de mal à vous-même. Ne vous écoutez plus; n'écoutez que Celui dont la voix vivifie l'âme en l'anéan­tissant. Surtout déliez-vous de votre délicatesse, comme de la plus dangeureuse tentation. . Dieu soit en vous, et vous possède , jusqu'à ne vous plus permettre de vous posséder.” (13 mai).

397 Treize lettres dans [OC] nous séparent du 30 juillet 1703 (L.926 infra): “La direction n'est point un commerce où il doive entrer rien d'humain, quelque innocent et régulier qu'il soit : c'est une conduite de pure foi , toute de grâce, de fidélité, et de mort à soi-même. Qu'importe que la médecine cé­leste soit dans un vase d'or ou dans un vase d'argile, pourvu qu'il soit présenté de la main de Dieu , et qu'il contienne ses dons.” (13 octobre); “Il y a une illusion très-subtile dans vos peines, car vous vous pa­raissez à vous-même toute occupée de ce qui est dit à Dieu , et de sa pure gloire ; mais dans le fond , c'est de vous dont vous êtes en peine. Vous voulez bien que Dieu soit glorifié, mais vous voulez qu'il le soit par votre perfection, et par là vous rentrez dans toutes les délicatesses de votre amour-propre.” (8 mai 1703); “L'amour-propre poussé à bout ne peut plus se cacher et se déguiser. Il se montre dans un transport de désespoir ; en se montrant , il déshonore toutes les délicatesses, et dissipe les illusions flatteuses de toute la vie : il paraît dans toute sa difformité. C'est vous-même idole de vous-même, que Dieu met devant vos propres yeux.” (LSP 358).

398 [CF 18], Lettres retrouvées.

399 Job, III, 25. « l'une des pages les plus fortes de Fénelon sur l'amour-propre. » (Noye).

400 Dix-sept lettres : « On cherche des ragoûts d'amour-propre, et des appuis sensibles, au lieu de chercher l'amour. On se trompe même, en cherchant moins à aimer , qu'à voir qu'on aime.” (30 septembre 1704).

401 Prendre un autre directeur que Fénelon.

402 Pas de rupture, huit lettres pour l’année.

403 Douze lettres pour l’année : «Je ne suis ni mort ni malade, mon impatience pour mon retour est grande : je n'y perdrai pas un quart d'heure. En attendant, je prie le D[ieu] de paix de garder votre coeur, et de le garder contre vous-même. Je ne me défie que de vous : le reste ne peut rien.” (28 septembre 1706) ; « On ne peut pas dire qu'une personne est ma­lade, quand elle n'a besoin, pour se bien porter, que de n'user d'aucun remède. Une santé est bonne, quand on n'a besoin, pour l'entretenir, que de n'y rien faire. Alors on n'a point d'autres maux que ceux qu'on se fait à soi-même, en voulant se guérir de ceux qu'on n'a pas.” (21 mars 1707).

404 Job, IX, 4.

405 Multiples lettres abordant toujours les mêmes thèmes : « amour-propre effréné » du 10 août, est devenu « furieux » le 3 septembre, causé par « une vaine estime de l’esprit » (9 novembre), par une « contention perpétuelle contre un danger imaginaire de pécher » ((27 novembre)…

406La comtesse meurt en 1720, après Fénelon (†1715). On ne peut pas dire que l’état de la comtesse ait bien évolué depuis 1709 : nous ne retenons rien des années suivantes. Fénelon pouvait-il venir à bout d’un esprit aussi scrupuleux et jaloux ? On relève comme dernier contact entre directeur et dirigée le « billet d’affaire » de la L.1947 du 24 décembre 1714, précédant de peu la dernière L.1954 d’adieu du 6 janvier 1715 adressée au P. Le Tellier, « Je viens de recevoir l’extrême-onction… » 

407 Saint-Simon voudrait épouser une fille Beauvilliers, Mémoires, t.1, ch.8 [1694] ; l’orage menace les ducs et duchesses qui à la Cour « essuyèrent une désertion presque générale », Fénelon est « cassé », Mme Guyon est transférée à la Bastille, t.2, ch. 8 [1698] ; Beauvilliers responsable du voyage du duc d’Anjou déclaré roi d’Espagne, t.3, ch.3 [1700] ; le duc de Bourgogne deviendra Dauphin mais ce grand espoir sera vite déçu, t.6 [1708] & t.9 [1711] & t.10 [1712] ;

‘Tombeau’ élevé par le duc à Beauvilliers, t.11, ch.11-12, « On a vu ailleurs avec quelle grandeur d'âme, quel détachement, quelle soumission à Dieu, quelle délicatesse de totale dépendance à son ordre, il soutint l'orage du quiétisme, la disgrâce de l'archevêque de Cambrai , de ceux qui y furent enveloppés, et le péril extrême qu'il y courut […] la probité la plus innée, l'amour et la soif de la vérité la plus ardente et la plus sincère, la pureté la plus scrupuleuse, une présence de Dieu sensible, habituelle dans toutes les diverses fonctions et situations de ses journées… ».

408 Deux cit. latines : I Reg. X, 6 puis II Cor.VI, 13.

409 Autre appréciation positive de la B.P.D. après celles donnée à Chevreuse.

410 Après sa très grave maladie du printemps de 1701 le duc avait encore eu une rechute à l'été 1702. [O]

411 Inspiré de I Cor. XII

412 Trois jours après, le 1er janvier au soir, Fénelon ressent une forte fièvre et des douleurs très aiguës. Il expire le 7 janvier à 5 heures et quart du matin. (CF 17, chronologie).

413 Jean XIV, 28.

414 « A des correspondants connus », L.1027 à Joseph-Clément de Bavière.

415 « Les lettres A 200 et 201 sont authentifiées par les autographes comme adressées à Marie-Françoise d’Ursel, épouse de Risbourg. Quand on sait les liens d’amitié du marquis Gabriel-Jacques de Fénelon avec elle et avec sa fille, on peut estimer probable qu’elles lui ont communiqué d’autres pièces pour la première édition des Lettres spirituelles, publiées sans date ni indication de destinataire. On ne peut repérer de telles lettres qu’en tenant compte des renseignements fournis par les huit lettres autographes éditées et commentées dans nos t. XIV-XVII, et par la n. 4 de la 1. 846, t. XI, p. 237. On remarquera que la première lettre datée est de la fin de 1710, alors que Fénelon parle une dizaine de fois de Mme de Risbourg dans ses lettres à la comtesse de Montberon entre 1702 et 1707 ; en 1708, c’est très probablement pour elle qu’il s’inquiète et demande à cette dernière d’aider cette amie « dans ses besoins spirituels ». Il semble que la marquise n’était pas encore sous la direction de l’archevêque. Elle y était certainement venue avant décembre 1710, où les lettres 1426 et 1427 témoignent d’un temps de ferveur ; mais en avril et juillet 1712 elle mérite de vifs reproches de Fénelon, puis des encouragements en septembre, mais à nouveau une lettre très sévère le 13 août 1713, qui semble avoir porté ses fruits. Plusieurs fois, le directeur avait dû combattre sa tendance à négliger la communion. Par des allusions de Fénelon et par les dires de Mlle de Risbourg, on sait que sa mère n’avait pas bon caractère. L’un ou l’autre de ces traits de sa personnalité se retrouvent dans les lettres suivantes, que nous mettons donc à son nom, sous toutes réserves. » (CF 18, page 156, I. Noye).

416 Marie-Lydie-Albertine de Risbourg ? [N].

417Cette lettre peut se situer à l’une des périodes où la piété de Mme de Risbourg avait faibli (première moitié de 1712 ou été 1713). [N]

418 On a vu l’archevêque empêché déléguer Leschelle auprès de Mme de Montberon: « il est meilleur que moi » (1. 1477). S’il s’agit de l’abbé de Langeron, bien introduit chez Mme de Risbourg, la lettre serait antérieure à l’été 1710. [N].

419 « Publiée dès 1718 (A 238) avec la mention: «Cette lettre a été écrite au sujet d’une pauvre fille villageoise dans le diocèse d’Arras qui vécut sept ans sans manger « […] Le marquis Gabriel-Jacques de Fénelon l’a copiée dans un recueil de lettres du groupe guyonien, en indiquant: «Copie d’une lettre de n. p. [notre père] au sujet d’une âme favorisée de Dieu» (A.S.S., ms. 2176, ff. 93-94); D. Tronc a publié cette copie, mais comme étant «de Fénelon au marquis de Fénelon. 1714 (?) » (Madame Guyon, Correspondance, III Chemins mystiques , 67-69). Ce n’est pas à proprement parler une lettre, mais une réponse à une consultation par correspondance. Nous suivons le texte autographe… » (Noye).

420 Voir les très nombreuses notes de [CF 3] : page 298, note 1 à la lettre 151, résumée ici ; p. 300, note 4 à la même lettre ; p. 333 et suivantes, note 1 à la lettre 188 ; p. 354, note 1 à la lettre 203 ; p.373, note 2 à la lettre 225 ; p. 388, note 1 à la lettre 242 ; p. 423, note 1 à la lettre 255.



421 Explications des maximes des saints, « …Alors on exerce toutes les vertus distinctes sans penser qu’elles sont vertus, on ne pense en chaque moment qu’à faire ce que Dieu veut… »

422 LSP 29 : L.287 et L.305 à la même (omises).

423 «En rappelant discrètement qu’il a prôné l’abandon et le dépouillement, Fénelon laisse entendre aux « supérieurs », qui verront sa lettre, qu’il n’est pour rien dans ce qu’on a pu reprocher à la religieuse. » (Noye). 

424 Mme de La Maisonfort fut chassée de Saint-Cyr le 10 mai 1697 et conduite à Meaux ; Fénelon, certain de ne plus pouvoir la conseiller, lui écrit dans le temps où elle ne sait encore où elle résidera. (Noye).

425 « Vraisemblablement une de ses collègues dans la direction de Saint-Cyr. » [N]. Ce qui permet de placer la lettre avant mai 1697.

426 Voir la L.1063 du 5 novembre 1705 où le duc [de Chevreuse] est prié de garder son fils « pour ainsi dire, à vue contre lui-même », mais « avec une patience infinie ». Cette lettre pourrait se placer en 1706. Au 9 février 1707, le jeune homme n'était pas encore sensible aux «entretiens pleins de foi et de zèle, mais assaisonnés de tendresse et de modération» de son père, et la lettre de Fénelon du 10 août 1708, feignant de concerner un tiers, le montre toujours «faible et plein de goût pour l'amusement ». (CF 18, LSP 148, n.1)

Louis-Auguste d’Albert, devenu le fils puîné du duc de Chevreuse par la mort de trois de ses aînés en bas-âge fut fait capitaine puis colonel en 1695. A la mort de son cadet le chevalier d’Albert, le roi lui donna en 1701 le régiment de dragons du défunt […] Il épousa une nièce des Noailles, devint lieutenant des chevau-légers […] maréchal de France en 1741. (CF 13, L.1016, n.1).



427 Suite à ces avis, le vidame demandera « la manière dont il faut prier » et recevra la longue lettre du 31 mai 1707.

428 Cette pièce paraît trouver sa place dans la série des lettres des 25 juin 1706, 7 février et 31 mai 1707, adressées au vidame d’Amiens, éclairées par la correspondance entre son père, le duc de Chevreuse, et Fénelon (L. 1109, 1110 A n. 23, 1120 et LSP 148). La « très bonne lettre » ici évoquée semble avoir été la réponse du vidame à l’appel pathétique du 7 février 1707: Fénelon y a perçu une bonne volonté entravée par l’activité naturelle et la dissipation. (CF 18, LSP174, n.1).

429 Hebr. XI, 8 - Delplanque propose Blainville comme destinataire, […] Il nous paraît surtout que les mises en garde du second alinéa correspondent bien à ce que l’archevêque demandait au vidame en 1710 et 1711. [N].

430 Menacé par les risques de la guerre (1. 1457), le vidame l’est aussi à cette époque dans sa santé (1. 1447, 1461, 1467 6°). (Noye).

431 Matth. VI, 34.

432 [CG 1], « La direction du marquis de Fénelon après 1710 », nombreuses lettres (pièces 315 à 383) qui nous ont été transmises par le marquis qui les avait recopiées en un petit volume. Hormi Fénelon, c’est la seule correspondance de taille conséquente par Mme Guyon s’adressant à un dirigé.

433 L.37 [CF 3] note 1.

434 LSP 26 début janvier 1689 (CF 18-90), LSP 13 à 22 = LL.354, 339, 342, 363S, 329S, 380S, 344S, 1437, 1776, 1514. Soit un total de 11 lettres auxquelles s’ajoute une 12e (376S). Leur mise en ordre – nous suivons Orcibal – donne la séquence LSP 26, 17, 14, 15, 19, 13, 16, 376S, 18, 20, 22, 21, données infra.

435 « Il me semblait que tous mes os se détachaient les uns des autres » (Vie écrite par elle-même, début du chap. IV, trad. Grégoire de Saint-Joseph).

436 Matth. II, 1-11.

437 « Les leçons que Fénelon tire de l'exemple des mages situent cette lettre autour d'un 6 janvier. L'allusion à la profession prochaine de la destinataire a pu suggérer de reconnaître en celle-ci Mme de La Maisonfort, auquel cas la pièce daterait de 1692; mais Jean Orcibal écarte cette identification et juge que la novice « est sans doute une carmélite ». Comme il signale ailleurs que les Nouvelles ecclésiastiques, en janvier 1689, faisaient savoir que Mlle du Péray « attendait Mme sa mère pour faire sa profession », nous pouvons voir en elle la novice anonyme. Elle vivait encore lors des premières éditions des Oeuvres spirituelles, et le marquis de Fénelon lui avait vraisemblablement demandé communication des lettres qu'elle avait reçues de Fénelon. » (I. Noye).

438 Copie faite à Saintes sur l’original […] (CF 5, L.329S).

439 « Les pièges seraient alors ceux que tendaient à la néophyte une activité littéraire que les Nouvelles ecclésiastiques, sans douter renseignées par les Dangeau, firent connaître à un large public jusqu’en février 1690. […] Il s’agit d’abord de poèmes sur l’Incarnation (le texte en est conservé) ou sur la Nativité […] Fénelon « les passait bien plus volontiers » que sa réponse au ministre Jurieu et de petits traités de controverse qu’elle adressait à ses parentes de Hollande… » (CF 3, L.37, n.2)

440 depuis votre enfance (variante relevées [O] dans la L.329S, comme pour les suivantes de cette lettre)

441 « Bien qu'elle ne donnât de copies de ses oeuvres que « par obéissance » la religieuse devait savoir que le nouvelliste les qualifiait d' « admirables » et la présentait elle-même comme « un prodige d'esprit et de grâce » : on conçoit l'inquiétude de Fénelon. D'après G. Vuillart Racine lui-même admirait les vers de la carmélite. » (CF 3, L.37, n.5)

442 Retour à Versailles. (var. ajout)

443 le zèle que vous aurez.

444 « Elle avait en Hollande son père, deux soeurs et ses tantes et, si sa mère et d'autres parentes assistèrent à sa profession, le nouvelliste [Boislisle] ne semble pas bien sûr de la sincérité de leurs conversions » (CF 3, L.37 n.7)

445 révère. J'ai fait de mon mieux ce que la Mère Prieure a souhaité, et on m'a bien répondu. Ne m'oubliez pas quand vous verrez M. que j'honore très particulièrement. Je suis, ma chère soeur, tout à vous en N. S. J. C. (Ajout) - La mère prieure : Marie du Saint-Sacrement de La Thuillerie, présentée en CF 3, L.182, n.1).

446 « Trois ouvrages de ce titre semblent avoir été à cette date accessible au lecteur français… » (CF 5,L.339, n.1)

447 idiots au sens de simples et ignorants.

448 « Marie du Saint-Sacrement de La Thuillerie [Prieure déjà citée] et Marie Hippolyte de Béthune-Charost (1664-1709), fille de la « grande âme » du troupeau guyonien. » (CF 5, L.344S, n.4)

449 Cette lettre constitue un véritable traité intérieur.

Elle  est citée dans les « Vingt questions proposées à M. de Paris par M. Cambrai en présence de madame de Maintenon et de M. le duc de Chevreuse », question X : « N’est-il pas vrai qu’ensuite j’écrivis à la sœur Charlotte, carmélite, de mon pur mouvement, une lettre qui expliquait toute la matière, que M. de Meaux approuva toute entière, après m’avoir prié seulement d’expliquer, pour plus grande précaution,, le terme d’enfance, qui est de l’Évangile ?  » (OP 2, 253)

Elle fut approuvée par Bossuet et répandue : « Le succès de ce second essai [après l’Explication des Articles d’Issy] sur l’oraison de contemplation et les différents états de la perfection chrétienne ne pouvait qu’encourager Fénelon à écrire l’Explication des Maximes des Saints ».[O].

« Fénelon explique dans son Mémoire sur le refus d'approbation du 2 août 1696 l'origine de cette lettre : « Dans la suite, une carmélite m'ayant demandé quelque éclaircissement sur cette matière, je lui écrivis une grande lettre dans la plus exacte conformité aux trente-quatre Propositions, où je condamnais très sévèrement toutes les erreurs contraires, que M. de Meaux impute à Mme Guyon. Je l'ai fait de mon propre mouvement, et sans y être même sollicité. N'était-ce pas aller au-devant des occasions de me déclarer ? Avant que d'envoyer cette lettre, où j'avais mis tout ce qui pouvait faire quelque difficulté, je la montrai à M. de Meaux, et je la soumis à sa censure; il l'examina, me proposa d'expliquer plus clairement quelques termes que des gens ombrageux, disait-il, pourraient rendre équivoques; je le fis au-delà de tout ce qu'il souhaitait. Il approuva, il loua ma lettre; il lui donna beaucoup d'éloges inutiles; il dit que, si on en parlait, il dirait qu'elle ne laissait rien à désirer ». (O. F., t. II = OP 2, p. 251) ». (CF 5, L.354, n.1)

450 Les supérieures du Carmel. Bossuet avait prononcé le sermon lors de la profession.

451« Balthasar Alvarez (1533-1580) entré en 1555 dans la Compagnie de Jésus y exerça les charges de maître des novices, de recteur, de visiteur et de provincial de Tolède. Il était confesseur de sainte Thérèse au moment où elle atteignit les plus hauts états mystiques (1559-1566). Ses idées sur l'oraison de quiétude ou de silence le firent soupçonner d'illuminisme et elles furent condamnées par le visiteur Avellaneda et par le général Mercurian. […] » (CF 5, L.354, n.3)

452 Citation de mémoire de l’extase d’Ostie (Confessions).

453 Se rassurer.

454 « Les dix paragraphes suivants constituent une sorte de lexique de la vie mystique » [O].

455 Après le petit traité spirituel impersonnel commence une longue liste de recommandations adaptées aux défauts de Charlotte.

456 Rom. XI, 20 (Vulg.19) : …ne vous élevez point…

457 Lisez, mais lisez pour (seconde copie) (CF 5, L.354, n.32)

458 Le docteur Edme Pirot (163-1713), « esprit le plus éclairé de la Sorbonne […] fait aveuglément tout ce que veulent les gens qui l’emploient » (P.Léonard). Il participa à l’interrogatoire de Mme Guyon en 1688, mais il « agissait de bonne foi », et « n’a jamais rien su des fourberies, car on n’a jamais voulu que je lui parlasse en particulier » (Vie par elle-même, 3.5.7, p.698).

459 Exceptionnellement pour cette série des lettres à Charlotte, nous omettons le début relatif à des tiers.

460 Mot associé à « états sublimes » et « imagination » : à la lettre précédente, « ne compter pour rien toutes les lumières de grâce et les communications intérieures… ».

461 Début de lettre perdu ?

462 Au sens de détermination, résolution.

463 Au sens de « faire d’un autre le participant de ce qu’on possède ». [O]

464 « Fénelon connaissait depuis 1676 « l'ami intime », en la personne duquel il venait de « perdre la plus grande douceur de sa vie et le principal secours que Dieu lui avait donné pour le service de l'Eglise ». Né le 20 juin 1658 […] Prieur d'Anzeline, il « fut » d'abord chez l’évêque d'Autun G. de Hoquette où il rencontra Bussy-Rabutin à la fin d' août 1677, puis il fit au séminaire de Saint-Sulpice, où il s'était inscrit connue clerc du diocèse de Nevers, un séjour de trois mois (2 novembre 1680 - 2 février 1681). Maître ès arts le 24 mai 1681, il avait commencé ses études théologiques, mais les avait interrompues en 1684 pour prêcher le Carême à Meaux et pour participer, de l'Ascension à la Pentecôte, à une mission à Coulommiers. A la fin de 1685, Fénelon le prit pour collaborateur dans ses missions de Saintonge. L'étudiant dut solliciter des dispenses et n'obtint à la licence de 1688 que le 103e rang sur 109. Mais Fénelon le fit nommer le 25 août 1690 lecteur des princes […] » (CF 3, L.7, n.1).



465 Maladie d’yeux.

466 Les Souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ, du portugais Thomas de Jésus. [O]

467 Confessions, lib. VIII, c. XII, n.29 [O]

468 Isaïe, LXVI, 2.

469 Sans doute sa sœur Catherine du Péray. [O]

470 Sa sœur Catherine du Péray. [O]

471 Voir CF 17, L.1776, n.2.

472 Liv. I, c.XXV, n.10.

473 « […] On y voit qu'après sa première disgrâce, ce fut chez la duchesse de Charost, à Beynes, château tout voisin de Saint-Cyr, qu'elle trouva asile, et que la duchesse de Mortemart la conduisit à Meaux, le 13 janvier 1695, pour se mettre à la disposition de Bossuet. Ses doctrines ayant été condamnées le 10 mars, et ce jugement suivi de sa rétractation solennelle, elle obtint la permission de se rendre aux eaux de Bourbon; mais les deux duchesses vinrent la prendre, le 9 juillet, et la ramenèrent à Paris, d'abord dans le faubourg Saint-Germain, puis dans le faubourg Saint-Antoine, où Desgrez l'arrêta vers la fin de décembre. » (Boislisle, tome II, n. 4 de sa p. 65).

474 En témoignent les très nombreux échanges précédant de très peu l’embastillement de Mme Guyon, (Correspondance Tome II Annéess de Combats, lettres à la « Petite Duchesse »). Ils portent sur plus de cent lettres entre juin 1695 et mai 1698, le mois du dernier contact avec l’embastillée).

475 « Au premier mot qu'ils [les Beauvilliers entreprennent de marier sa fille au fils du ministre Chamillart] en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d'aversion , que plus d'une année avant qu'il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu'elle seroit dans la faveur, pour la sonder là-dessus: ‘Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris.’ » (Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 163).

476 Attribution par A. Delplanque en 1907.

477 Edition [CF 18] par I. Noye, Droz, 2007 : un progrès par siècle !

478 « Marie-Anne Colbert, soeur cadette des duchesses de Beauvillier et de Chevreuse, née le 17 octobre 1668, épousa, le 14 février 1679, Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, fils du maréchal de Vivonne et général des galères en survivance. Elle n'avait que treize ans, et son mari quatorze. Devenue veuve le 3 avril 1688, elle mourut à Saint-Denis, le 14 janvier 1750. Selon Mme de Caylus, son mariage avait coûté quatorze cent mille livres au Roi. » (Boislisle, tome second, n. 1 de sa p. 7) – « Le Roi donnait d'ordinaire deux cent mille livres, à moins que les embarras financiers du moment ne le forçassent de réduire ses libéralités, Mlle de Beauvillier eut cette somme quand elle épousa le duc du Mortemart [fils de la ‘petite duchesse’], en 1703. » (Boislisle, t. second, n. 3 de sa p. 8).

479 [CF] 3, L.168, n.2 d’Orcibal.

480 « L’esprit Mortemart » est décrit ainsi de manière irrésistible par le même Saint-Simon à l’occasion d’une autre figure : « Mme de Castries étoit un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau ; ni derrière , ni gorge, ni menton, fort laide, l'air toujours en peine et étonné , avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais il ne paroissait qu'elle sût mieux que parler français, mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n'est propre qu'aux Mortemart [notre soulignement]. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier, glorieuse, choquée de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce, cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général, sans aucune galanterie, mais délicate sur l'esprit et amoureuse de l'esprit… » (Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 1, chap. 25 [1696], 406.)

481 « Ce mot se trouve plusieurs fois dans Saint-Simon avec le sens de chansons satiriques, ou simplement de reproches vifs et piquants. » (Chéruel).

482 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 4, chap. 12 [1703], 213-214.

483 Le « pilier mâle » est bien entendu « l'abbé de Fénelon, qui était leur prophète, dans qui ils ne voyaient rien que de divin » selon cette même addition au journal de Dangeau (réf. n. suivante).

484 Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, 413, « Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau », « 127. Mme Guyon et les commencements de son école. »

485 Correspondance de Fénelon, 1829, tome onzième, 345.

486 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 165. – nous modernisons toujours l’orthographe, « gardoit » en « gardait », etc.

487 CF 18 respecte la séquence des pièces LSP, car elles sont adressées à divers correspondants – dont I.Noye propose souvent une identification. Ici où nous privilégions la répartition par destinataires, ce qui rend une mise en ordre même incertaine souhaitable.

488 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215).(Noye)

489 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à «régenter» qui avait amené la révolte d'autres membres du «petit troupeau guyonien» dont elle était «l'ancienne»: voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

490 Certaines parties sont reportées en notes.

491 « Les volumes précédents de la Correspondance [CF] ne comportent que six lettres de Fénelon à Mme de Mortemart, de 1707 à 1711, toutes autographes et non signées, dont seules les deux lettres de 1708 ont figuré (privées de toute indication de personne) dès la première édition des « lettres spirituelles » (Anvers, 1718).

On sait pourtant qu'il y eut des échanges épistolaires nombreux entre elle et l'archevêque; au plus fort de sa disgrâce, celui-ci affirmait au duc de Beauvillier: « Je n'écris qu'à vous, à la petite D[uchesse] et au P. Ab. [de Langeron] ». Albert Delplanque a établi en 1907 que dix sept autres pièces des éditions d'Anvers et Lyon devaient avoir été adressées à la duchesse douairière. Nous pensons établir que la présente lettre relève du même groupe et peut même être datée, approximativement, comme l'une des premières : en effet, écrivant un « 22 juin» (1693 ?) à Mme de Gramont, Fénelon a parlé de Mme de Mortemart avec les termes mêmes qui commencent cette pièce: « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus en plus » (CF 2, L.300). Situées sans doute assez tôt dans l'itinéraire spirituel de la duchesse, les observations dont Fénelon lui fait part ici, très cohérentes avec ce que l'on sait d'elle par ailleurs, éclairent singulièrement la personnalité de celle qui deviendrait bientôt pour le « petit troupeau » la suppléante de Mme Guyon. […] » (CF 18, LSP 126*, n.1 par I.Noye).



492 « Il n'y a pas de marché à faire avec Dieu » (CF 2, L.126, au propre frère de Mme de Mortemart) […] » (CF 18, LSP126*, n.2).

493 Cette lettre se situe vraisemblablement dans les débuts de la direction de Mme de Mortemart, « envoyée » à Fénelon, et qui songe encore à entrer dans un couvent. (Noye). – Nous la plaçons ainsi que la suivante, LSP 136, en 1693.

494 Le masculin sert à cacher Mme Guyon, comme ci-dessous.

495 …s'il se rapproche. / Il y a une extrême différence entre la peine et le troubles. La simple peine fait le purgatoire ; le trouble fait l'enfer. La peine sans infidélité est douce et paisible, par l'accord où toute l'âme est avec elle-même pour vouloir la souffrance que Dieu donne. Mais le trouble est une révolte du fond contre Dieu, et une division de la volonté contraire à elle-même ; le fond de l'âme est comme déchiré dans cette division. O que la douleur est purifiante quand elle est seule ! O qu'elle est douce, quoiqu'elle fasse beaucoup souffrir ! Vouloir ce qu'on souffre, c'est ne souffrir rien dans la volonté; c'est y être en paix. Heureux germe du paradis dans le purgatoire ! Mais résister à Dieu sous de beaux prétextes, c'est engager Dieu à nous résister à son tour. En sortant de votre grâce, vous sortez d'abord de la paix; et cette expérience est comme la colonne de feu pour la nuit et celle de nuée pour le jour, qui conduisait dans le désert les Israélites. Vivez de foi, pour mourir à toute sagesse.

496 La duchesse a donc écarté récemment la solution du couvent ; on la verra fréquemment retirée à la Visitation de Saint-Denis, où sa fille était religieuse. [N].

497 L'une des « liaisons extérieures de providence » évoquées ci-dessus plutôt qu'un des « membres du petit troupeau ». [N].

498 La correction mutuelle, en usage dans le groupe guyonien.

499 Souffrez donc le prochain, et apprivoisez-vous avec nos misères. Quelquefois vous avez le coeur saisi quand certains défauts vous choquent, et vous pouvez croire que c'est une répugnance du fond qui vient de la grâce : mais il peut se faire que c'est votre vivacité naturelle qui vous serre le coeur. Je crois qu'il faut plus de support; mais je crois aussi qu'il faut corriger vos défauts comme ceux des autres, non par effort et par sévérité, mais en cédant simplement à Dieu, et en le laissant faire pour étendre votre coeur et pour le rendre plus souple. Acquiescez, sans savoir comment tout cela se pourra faire.


500 … les phrases suivantes font allusion à sa responsabilité envers « autrui », « son prochain », son « troupeau ». Cette dernière expression fait penser à Mme de Mortemart, dont le rôle dans le groupe guyonien n'alla pas sans difficultés. … (Noye).

501 …dans sa source. /Pour l'oraison, vous pouvez la faire en divers temps de la journée, parce que vous avez beaucoup de temps libre, et que vous pouvez être souvent en silence. Il faut seulement prendre garde de ne faire point une oraison avec contention d'esprit qui fatigue votre tête. / Je remercie Dieu de ce que vous êtes fatiguée de votre propre esprit. Rien n'est plus fatigant que ce faux appui. Malheur à qui s'y confie ! Heureux qui en est lassé, et qui cherche un vrai repos dans l'esprit de recueillement et de renoncement à l'amour-propre !

Si vous retourniez à une vie honnête selon le monde, après avoir goûté Dieu dans la retraite, vous tomberiez bien bas, et vous le mériteriez dans un relâchement si infidèle à la grâce. J'espère que ce malheur ne vous arrivera point. Dieu vous aime bien, puisqu'il ne vous laisse pas un moment de paix dans ce milieu entre lui et le monde. Dieu nous demande à tous la perfection, et il nous y prépare par l'attrait de sa grâce ; c'est pourquoi Jésus-Christ dit à ses disciples : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.' Et c'est pour cela qu'il nous a enseigné cette prière : Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel. Tous sont invités à cette perfection sur la terre; mais la plupart s'effarouchent et reculent. Ne soyez pas du nombre de ceux qui, ayant mangé la manne au désert, regrettent les oignons d'Egypte'. C'est la persévérance qui est couronnée.


502 L'unité en Dieu de ceux qui « ont dépouillé le moi » en demeurant dans leur « unique centre », est ouverte à toute l'humanité […] (Noye).

503Son frère, le marquis de Blainville, qu'elle avait à guider, cf. LSP 133 et 134.

504 Dans le rôle de directrice assigné à la destinataire, on peut reconnaître la duchesse de Mortemart, dont la difficulté à supporter les défauts d’autrui a été souvent notée. D’autre part, N... serait son frère Blainville, qui durant un temps admettait mal cette assistance (voir, en juillet 1700, L.667, n. 16 et L.670, n. 7).(Noye).

505 Il est probable qu’il manque ici le début de la lettre, qui devait viser la destinataire. Comme en d’autres lettres de direction, Fénelon fait part de ses propres épreuves […] (Noye).

506 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215).(Noye)

507 Pour désigner le groupe guyonien dont elle portait la responsabilité, cette expression se trouve aussi dans la lettre 1215. (Noye).

508 Cit. : Matth. V, 4 & Jean XX, 29, puis Hébr. XI, 8.

509 …je vous conjure. Il faut aimer la main de Dieu qui nous frappe et qui nous détruit. La créature n'a été faite que pour être détruite au bon plaisir de celui qui ne l'a faite que pour lui O heureux usage de notre substance ! Notre rien glorifie l'Être éternel et le tout Dieu. Périsse donc ce que l'amour-propre voudrait tant conserver ! Soyons l'holocauste que le feu de l'amour réduit en cendres. Le trouble ne vient jamais que d'amour-propre; l'amour divin n'est que paix et abandon. Il n'y a qu'à souffrir, qu'à laisser tomber, qu'à perdre, qu'à ne retenir rien, qu'à n'arrêter jamais un seul moment la main crucifiante. Cette non-résistance est horrible à la nature : mais Dieu la donne ; le bien-aimé l'adoucit, il mesure toute tentation.

Mon Dieu, qu'il est beau de faire son purgatoire en ce monde! La nature voudrait ne le faire ni en cette vie ni en l'autre ; mais Dieu le prépare en ce monde, et c'est nous qui, par nos chicanes, en faisons deux au lieu d'un. Nous rendons celui-ci tellement inutile par nos résistances, que tout est encore à recommencer après la mort. Il faudrait être dès cette vie comme les âmes du purgatoire, paisibles et souples dans la main de Dieu, pour s'y abandonner et pour se laisser détruire par le feu vengeur de l'amour. Heureux qui souffre ainsi !Je vous aime…

510 Daniel XIV, 35.

511 Col III, 3 et Augustin De continentia, XIII, 29.

512 « Pour voir en Mme de Mortemart la destinataire de cette lettre, Delplanque invoque comme motif la proximité du thème avec les lettres qui l’entourent dès l’éd. A, ce qui n’est pas convaincant ». [N]– À qui d’autre penser ?

513 …avec vous. / Soyez simple et petit enfant. C'est dans l'enfance qu'habite la paix inaltérable et à toute épreuve. Toutes les régularités où l'on possède sa vertu sont sujettes à l'illusion et au mécompte. Il n'y a que ceux qui ne comptent jamais, lesquels ne sont sujets à aucun mécompte. Il n'y a que les âmes désappropriées par l'abnégation évangélique qui n'ont plus rien à perdre. Il n'y a que ceux qui ne cherchent aucune lumière, qui ne se trompent point. Il n'y a que les petits enfants qui trouvent en Dieu la sagesse, qui n'est point dans les grands et les sages qu'on admire.


514 …de Jésus-Christ. /Laissez-vous donc ôter jusqu'aux derniers ornements de l'amour-propre, et jusqu'aux derniers voiles dont il tâche de se couvrir, pour recevoir la robe qui n'est blanchie que du sang de l'Agneau [cf. Apoc. VII,14], et qui n'a plus d'autre pureté que la sienne. O trop heureuse l'âme qui n'a plus rien à soi, qui n'a même rien d'emprunté non plus que rien de propre, et qui se délaisse au bien-aimé, étant jalouse de n'avoir plus de beauté que lui seul ! O épouse, que vous serez belle quand il ne vous restera plus nulle parure propre ! Vous serez toute la complaisance de l'époux quand l'époux sera lui seul toute votre beauté. Alors il vous aimera sans mesure, parce que ce sera lui-même qu'il aimera uniquement en vous. Écoutez ces choses, et croyez-les. Cet aliment de pure vérité sera d'abord amer dans votre bouche et dans vos entrailles ; mais il nourrira votre coeur, et il le nourrira de la mort qui est l'unique vies. Croyez ceci, et ne vous écoutez point. Le moi est le grand séducteur: il séduit plus que le serpent séducteur d'Eve. Heureuse l'âme qui écoute en toute simplicité ce qui l'empêche de s'écouter et de s'attendrir sur soi ! / Que ne puis-je…


515 Cette lettre nous paraît être adressée à Mme de Mortemart pour la difficile direction de son fils (N.). On remarquera la dureté des expressions: «jamais lui faire quartier », [et, en fin de lettre donnée en note :] «subjugué », «je voudrais le mettre bas, bas, bas ». [N].

516 Act. V, 1-10.

517 …de route. / N... n'avancera qu'autant qu'il sera subjugué. On s'imagine, quand on est dans une certaine voie de simplicité, qu'il n'y a plus ni recueillement ni mortification à pratiquer; c'est une grande illusion. l° On a encore besoin de ces deux choses, parce qu'on n'est point encore entièrement dans l'état où l'on se flatte d'être, et que souvent on y a reculé. 2° Lors même qu'on est en cet état, on pratique le recueillement et la mortification sans pratiques de méthode. On est recueilli simplement, pour ne se point dissiper par des vivacités naturelles, et en demeurant en paix au gré de l'esprit de grâce. On est mortifié par ce même esprit qu'on suit uniquement sans suivre le sien propre. Ne vivre que de foi, c'est une vie bien morte. Quand Dieu seul vit, agit, parle et se tait en nous, le moi ne trouve plus de quoi respirer. C'est à quoi il faut tendre; c'est ce que le principe intérieur, quand on ne lui résiste point, avance sans cesse.

Quand on n'est que faible, la faiblesse d'enfant n'empêche point la bonne enfance; mais être faible et indocile, c'est n'avoir de l'enfance que la seule faiblesse, et y joindre la hauteur des grands. Ceci est pour N.... Au nom de Dieu, qu'il soit ouvert et petit. Je voudrais le mettre bas, bas, bas. Il ne peut être bon qu'à force de dépendre.


518 « Rite particulier aux offices des « ténèbres» de la Semaine sainte; Fénelon en tire une parabole originale. » (Noye).

519 « Cet alinéa permet de situer cette pièce dans une des dernières années de l’archevêque; rappelons qu’on ne connaît pas de lettre datée adressée à la duchesse douairière après juillet 1711. » (Noye).



520 Début perdu.

521 Une longue note d’I.Noye compare diverses attributions avancées.

522 Cette pièce non datée figure en V (n° 465) et en OF à la fin des lettres adressées à la comtesse de Montberon; mais, dans les quelque deux cent vingt-cinq lettres qu’elle reçut de Fénelon, on ne voit pas qu’elle ait porté la charge d’une assistance spirituelle à divers hommes (M., N. et G. des derniers alinéas), charge régulièrement assumée par Mme de Mortemart (supra, lettres SP 129 n. 1, 130, 137 etc.).(Noye).

523 Nous apprenons chaque jour, ma bonne D[uchesse], que vous ne cessez point de souffrir. J'en ai une véritable peine et je crains les suites de cet état de souffrance si longue. D'ailleurs je suis ravi d'apprendre que M. le D[uc] de M[ortemart] fait bien vers vous et vers le public, et que la jeune duchesse est en meilleur train. Vous ne sauriez user de trop grande patience avec elle en-deçà de la flatterie, car je suis fort tenté de croire que la vivacité de son imagination, son habitude de se livrer aux romans de son amour-propre, et la médiocrité de son fonds pour résister à toutes ces difficultés, ne la mette souvent dans une espèce d'impuissance d'aller jusqu'au but. Il me paraît bien plus important de ne rien forcer et de n'altérer pas la confiance en vous, que de presser la correction de ses défauts. Il faut suivre pas à pas la grâce, et se contenter de tirer peu à peu des âmes ce qu'elles donnent. Pour M. le D[uc] de Mortemart, on assure qu'il se conduit bien, et il m'a paru que M. le D[uc] de S. Aignan [n. Orcibal : Paul-Hippolyte de Saint-Aignan (25 novembre 1684 - 22 janvier 1776), issu du second mariage du père de Beauvillier…] estime sa conduite. Il loue même la noblesse de ses sentiments, et le fait d'une façon que je crois sincère. Je souhaite que vous soyez soulagée pour l'embarras et pour la dépense sur votre table. Vous avez besoin de mettre un bon ordre à vos affaires. Mais puisque M. votre fils fait bien, je crois que vous ne voudrez montrer au public ni séparation, ni changement qui puisse faire penser que vous n'êtes pas contente. Mandez-moi, quand vous le pourrez, en quel état il est avec M. le D[uc] de Beauvillier, et ce qu'il y a à espérer sur la charge. / Je crois vous devoir dire…

524 Camille de Vérine de l'Eschelle: cf. sur lui, supra, lettre du 13 juin 1698, n. 22, et, sur ses séjours à Cambrai, celle du ler juillet 1700, n. 19. [O].

525 Frère du précédent, César-Michel de Vérine, abbé de Leschelle est considéré comme «sulpicien» par Saint-Simon (BOISLISLE, t. II, p. 412), mais on ne trouve son nom dans aucun registre de Saint-Sulpice. Les remarques échangées à son sujet en mai 1710 par Fénelon (n. 16) et Mme Guyon sont plus favorables à sa piété qu'à ses capacités. [O].

526 N désigne fréquemment Mme Guyon sous la plume de ses disciples. Mme de Mortemart était restée en rapport avec elle (cf. dans la réponse de Mme Guyon au mémoire de mai 1710, n. 2-4, une pénétrante analyse du caractère de la duchesse). [O].

527 Fénelon n'avait donc pas à cette date de relations directes avec l'exilée. Parmi les «amis» qu'il dénonce, il devait aussi compter Isaac du Puy, autre gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne. [O].

528 …Leschelle. / Bon soir, ma bonne Duchesse; ménagez votre santé, et croyez que je ne fus jamais à vous au point que j'y suis. /M. Quinot [n. : ancien précepteur des enfants de Beauvillier] a dit à M. Provenchères [n. : aumônier de Fénelon] que le cardinal de Noailles lui avait témoigné les plus belles choses du monde pour moi, jusqu'à faire entendre qu'il serait venu me voir à la Villette, s'il eût cru les choses bien disposées de ma part. Il ajoutait que ce cardinal voulait le loger chez lui, mais qu'il ne voulait pas le faire sans mon conseil. Pour ce qui est du premier article, voyez, ma bonne Duchesse, s'il n'est pas à propos que vous lui disiez que je suis très éloigné d'avoir le coeur malade contre M. le Card. de N[oailles]; que je voudrais, au contraire, être à portée de lui témoigner tous les sentiments convenables; mais que je ne crois pas devoir faire des avances, qui feraient croire au monde que je me reconnais coupable de tout ce qu'on m'a imputé, et que j'ai quelque démangeaison de me raccrocher à la cour. Le bon M. Quinot disait qu'il n'avait pas trouvé, ni en vous ni en M. le D[uc] de Beauvillier, de facilité pour ce raccommodement. Ainsi je serais bien aise que vous fussiez déchargés l'un et l'autre à cet égard-là. Ayez la bonté de dire tout ce qui doit édifier touchant la disposition du coeur, sans engager aucune négociation.

Quant à l'offre de M. le Card. de N [oailles], de loger M. Quinot chez lui, M. Quinot n'a qu'à l'accepter si elle lui convient. Je ne saurais lui donner un conseil là-dessus; car je ne sais ni les commodités qu'il en tirerait, ni les engagements où cela le pourrait mettre, ni le degré de confiance qu'on lui donne, ni le désir qu'on a de l'avoir, ni le bien qu'il serait à portée de faire dans cette situation. Ainsi c'est à lui à prendre son parti sur les choses qu'il voit et que je ne vois point. Mais ce qui est très assuré, c'est que s'il va demeurer chez M. le Card. de N[oailles), je ne l'en considérerai pas moins, et ne compterai pas moins sur son amitié pour moi. Cette démarche, s'il la fait, ne me causera aucune peine. Je n'en ai aucune contre le cardinal même, encore moins contre un très bon ecclésiastique que je crois plein d'affection pour moi, et qui peut très facilement loger chez ce cardinal, avec un grand attachement pour lui, sans blesser celui qu'il a pour moi. En un mot, c'est à lui à examiner ce qui lui convient. Pour moi tout est bon, et sa demeure dans cette maison ne me sera ni pénible ni suspecte. Je crois même que M. le D[uc] de Beauvillier ne doit nullement être peiné que M. Quinot prenne ce parti, s'il y trouve quelque commodité, ou quelque bien à faire pour l’Eglise.


529 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à «régenter» qui avait amené la révolte d'autres membres du «petit troupeau guyonien» dont elle était «l'ancienne»: voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

530 Tous nos bonnes gens, les disciples de Mme Guyon. Lorsqu'en 1696 celle-ci ne fut plus en mesure de guider son petit troupeau, ils considérèrent que Mme de Mortemart (qui était d'ailleurs seule à pouvoir faire des séjours à Cambrai) devait la remplacer. Cf. supra, la lettre du 9 janvier 1707. [O]

531 Mme de Mortemart semble avoir été hostile au mariage de sa fille avec le marquis de Cany, fils du ministre Chamillart, qui avait eu lieu le 12 janvier 1708… [O]

532 … Madame Guyon, que la duchesse avait recommencé à consulter (cf. infra, la lettre de l'exilée de mai (?) 1710, n. 4 et surtout la fin de la lettre de Fénelon du 11 octobre 1710). [O]

533 Patience, indulgence – par opposition à insupportable de la phrase précédente. [O]

534 La critique de l'« activité », le « recueillement passif », le « laisser faire Dieu », le « laisser tomber l'activité » sont caractéristiques de l'adaptation du guyonisme dans les écrits de Fénelon de la période 1690-1699. [O]

535 Expression employée ailleurs pour désigner les membres du « petit troupeau » guyonien… [O]

536 Il sera encore question de Mme de Mortemart dans les lettres à Mme de Chevry des 4 et 10 juin 1714. Outre les rapports mondains, Fénelon souhaite qu'il s'établisse entre sa nièce et l'« ancienne » du guyonisme des relations spirituelles, dont la première avait particulièrement besoin dans ses épreuves physiques et familiales… [O]

537 Il y avait donc eu une réconciliation entre la duchesse et les guyoniens « indociles » après la brouille qui remplissait la correspondance des années précédentes… [O]

538 Mme de La Maisonfort se trouvait alors près de Saint-Denis et dom Lamy lui transmettait les lettres de Fénelon. Le bénédictin étant mort le 11 avril 1711, il est naturel que l'archevêque ait demandé le même service à la duchesse qui s'était retirée à la Visitation de Saint-Denis. [O]

539 À défaut d'autre lettre datée à la duchesse, on trouvera mention de son nom dans les lettres des 28 mars, 21 mai, 6 août 1713 (au marquis) et dans celles des 4 et 10 juin 1714 (à Mme de Chevry). [O]

540 Dans les éditions depuis 1718, cette pièce ouvre une série de dix lettres « écrites à la même personne et dans le même ordre ». Mieux que ce premier extrait, les lettres suivantes livrent quelques traits d'une physionomie spirituelle. (cf 18, LSP89, note par I . Noye)



541 « Fénelon a toujours mis en garde contre les inspirations extraordinaires; il prescrivait de «les compter pour rien » (lettre 363 S à Charlotte de Saint-Cyprien); cf. la lettre 355 à une religieuse, et l’article vit VRAI de l’Explication des Maximes des saints, éd. Pléiade, t. I, pp. 1028 et 1575. - I. Noye, art. « Fénelon », Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, dir. P. Sbalchiero, Paris, 2002, pp. 295-296. » (Noye).

542 Dès l'édition des Œuvres spirituelles de 1718, t. II, les vingt-sept lettres qu'on va lire sont annoncées comme écrites à une même correspondante. «Cette personne, après avoir vécu dans le monde, entra, vers la fin de sa vie, dans une communauté religieuse » (Gosselin, O.F., t. VIII, p. 527). Ces lettres font connaître sa charité active (L. 99), l'assistance qu'elle apportait à une personne très exigeante (L. 103, 108, 110), mais aussi ses défauts: « insupportable vivacité» (L. 103), «penchant terrible à la dissipation » et autres propensions que Fénelon l'aide à discerner et à faire mourir (L. 103, 104, 105...). Il n'est pas certain que l'ordre chronologique des lettres ait été respecté par le premier éditeur; les autographes n'ont pas reparu depuis. (CF 18, LSP 99, n.1 par I. Noye)

543 Le mot est en petites capitales dans les premières éditions, qui placent en sous-titre à cette lettre les mots «Abrégé d’instructions ». Portée à prier « par la tête », et à «savoir beaucoup» (L.103), cette personne avait sans doute demandé un enseignement pour guider sa progression spirituelle; Fénelon l’oriente vers l’ignorance familière aux mystiques. (Noye).

544 Ce premier alinéa évoque l’itinéraire parcouru par cette correspondante, la plus ancienne étape étant mentionnée en dernier lieu. Jadis contente d’elle-même, elle a connu une période d’amertume, « ici », vraisemblablement à Versailles, où les contradictions et les humiliations l’ont éclairée sur elle-même; de retour en province, son succès facile provoque les craintes de son directeur. (Noye).

545 Ardeur, «passion, vivacité, emportement, fougue» (Furetière), tout l’opposé du « laisser » qui est le maître mot de cette lettre. (Noye).

546 Ici, vraisemblablement Cambrai, où la correspondante a eu des entretiens avec Fénelon (cf. LSP 107); depuis, elle a fait un temps de noviciat dans la ferveur; puis, dans sa communauté, ailleurs, « une espèce d’oisiveté » est éprouvante pour sa nature portée à l’activité. (Noye).

547 I Petr. V, 8, l’un des versets de l’Écriture les plus souvent cités par Fénelon.



548Cette lettre est antérieure à l’entrée en communauté de la destinataire.

549 Ps.142,2 & Job XV, 15 & Jac. III, 2

550 Les « disputes » spécialement vives après la publication de la bulle Unigenitus de septembre 1713.

551 Sur Matth. VI, 11, Fénelon emploie le plus souvent cette traduction du supersubstantialem de la Vulgate latine […] c’était la traduction de la Bible de Louvain, souvent reprise, par exemple par Pillehotte à Lyon en 1603. Mme Guyon, dans son commentaire sur saint Matthieu, met « notre pain qui surpasse toute substance » et parle ensuite de « ce pain supersubstantiel ». (Noye).

552 Ps. 142, 2 & II Cor. XII, 9-10 & II Cor. III, 17 & Matth. V, 3.

553 Apoc. xix, 4.

554 Saint-Simon défend et estime le duc de Bourgogne : t.6 [1708], ch. 19-20 (sa campagne militaire) ; t.7 [1709], ch. 7 (un projet politique) ; t.9, ch. 15 [1711] « Je vis un prince pieux, juste, débonnaire, éclairé et qui cherchoit à le devenir de plus en plus, et l'inutilité avec lui du futile, pièce toujours si principale avec ces personnes-là ; t.10, ch. 4 à 6 (s’agirait-il d’un empoisonnement ?).

555 [CF] 18 Lettres retrouvées. – « Le texte est donné comme lettre dans les Œuvres spirituelles de Fénelon de 1718 et des éditions suivantes ; celle de Rotterdam, 1738 (t. 2, pp. 9-11), de l'avis même du marquis de Fénelon, doit être préférée. […] Aussi suivons-nous l'édition de 1738. Aucun de ces témoins du texte ne porte de date ; il ne peut être antérieur à 1702. » (I. Noye).

556 L.1446 ; Au DUC DE CHEVREUSE. [ …] Ne vous contentez pas des belles maximes en spéculation, et des bons propos de P. P. [le duc de Bourgogne]. Il se paie et s'éblouit lui-même de ces bons propos vagues. On dit qu'il est toujours également facile, faible, rempli de puérilités, trop attaché à la table, trop renfermé. On ajoute qu'il demeure content de sa vie obscure, dans l'avilissement et dans le mépris du public. On dit que Mad. la D. de Bourg[ogne] fait fort bien pour le soutenir, mais qu'il est honteux qu'il ait besoin d'être soutenu par elle, et qu'au lieu d'être attaché à elle par raison, par estime, par vertu, et par fidélité à la religion, il paraît l'être par passion, par faiblesse, et par entêtement, en sorte qu'il fait mal ce qui est bien en soi. Voilà ce que j'entends dire à diverses gens. Je ne sais ce qui en est, et je souhaite de tout mon coeur que tout ceci soit faux. Mais je crois devoir vous le confier en secret. […]

557 I Cor. IX, 22.

558 « Troisième fils du ministre, Antoine-Martin naquit le 2 octobre 1659 et fut destiné à l'ordre de Malte. Il eut presque aussitôt la commanderie de Boncourt. Général des galères de l'ordre en Méditerranée pendant deux ans, il fut très critiqué pour n'avoir pas poursuivi trois vaisseaux tripolitains. Bailli le 25 décembre 1685, il reçut le 29 novembre 1686 une commanderie de 14 000 livres. Il fit aux côtés du Dauphin la campagne d'Allemagne de 1688. Sa mort survenue quelques mois plus tard donna l'occasion de noter qu'il « avait parfaitement rectifié la conduite de sa jeunesse. Il était aimé et estimé de tout le monde, et sa famille le regardait comme un de ses principaux appuis, ce qui s'accorde bien avec le ton des lettres de Fénelon. » (CF 3, L.40, n.1)

559 Marie-Françoise de Bournonville, fille du marquis Ambroise-François, grand seigneur des Pays-Bas qui s'était mis en 1634 au service de la France, y avait été nommé en septembre 1652 duc à brevet et devait y mourir le 12 décembre 1693. Née en 1656, elle avait apporté le bien paternel au duc Anne-Jules, comte d'Ayen, futur duc de Noailles et maréchal, qu'elle avait épousé le 13 août 1671. Nommée le 2 janvier 1674 dame du Palais de la Reine, elle mourut le 16 juillet 1748 après avoir eu vingt-deux enfants. (CF 2, L.153, n.1).

560 Madame de Sévigné avait écrit le 5 janvier 1674 : « Les dames du Palais sont dans une grande sujétion. Le Roi s'en est expliqué et veut que la Reine en soit toujours entourée... La comtesse d'Ayen est la sixième; elle a bien peur de cet attachement, et d'aller tous les jours à vêpres, au sermon ou au salut. »

561 Allusion au grand nombre d'enfants de la duchesse.

562 Les rapports entre la maréchale et Fénelon furent par la suite tendus, v. la série de lettres retrouvées in CP 18, 71 sq.

563 Sur la marquise « la plus belle du monde » et son « épreuve particulièrement pénible » v. CF 9, L.588, longue n.1.

564 François Andrault de Langeron, né en 1658, fut pris comme collaborateur par Fénelon, qui le connaissait depuis 1676, pour ses missions de Saintonge en 1685/6. Il le fit nommer lecteur des princes en 1690. Fénelon connaissait « ‘l’ami intime’ en la personne duquel il venait de ‘perdre la plus grande douceur de sa vie et le principal secours que Dieu lui avait donné pour le service de l’Eglise.’ » (lettre du 20 novembre 1710). (CF 3, L.7, n.1).

565 Petite Duchesse de Mortemart.



566 Anne-Marie Des Fontaines figure dans les actes de la Maison des Nouvelles Catholiques à partir de juillet 1683. (voir CF 1, Chapitre IV, « Le supérieur des Nouvelles Catholiques » Fénelon).

567 Charles-Auguste d'Allonville, marquis de Louville (1664 - 20 août 1731), fit de bonnes études et devint ensuite capitaine au régiment du Roi-infanterie. Des liaisons étroites avec le père de Saint-Simon et surtout avec le duc de Beauvillier (qui le dira le 10 novembre 1701 « son parent ») lui valurent d'être placé le 25 août 1690 auprès du duc d'Anjou en qualité de gentilhomme de la manche : il y réussit si bien que le prince lui garantit « son amitié pour quatre-vingts ans ». Candidat de Beauvillier et de Torcy, il fut désigné pour accompagner le nouveau Roi avec Montviel. Il fut alors pendant deux ans le favori de Philippe V dont il rédigeait les dépêches. Le 17 septembre 1701 il avait été déclaré gentilhomme de la chambre gouverneur des officiers français et aussi colonel.

2. C'est donc peu après leur installation à Madrid que Louville avait sollicité de Fénelon — avec lequel il avait travaillé sept ans — des conseils personnels et un plan de gouvernement, parallèles aux avis de Louis XIV (B.N., ms. fr. 10333, ff. 115-123) et aux mémoires que Beauvillier avait composés pour Philippe V avant le 3 décembre 1700

568 Frère cadet de Max-Emmanuel, électeur de Bavière, Joseph-Clément était né le 5 décembre 1671; évêque de Freisingen (1683) et de Ratisbonne (1685), il fut nommé le 20 septembre 1688 par Innocent XI à l'archevêché de Cologne. Coadjuteur de Hildesheim le 28 janvier 1694 (il sera titulaire du siège en 1702), il fut enfin élu évêque de Liège le 20 avril 1694. Bien qu'il dût ses nombreux diocèses à l'appui de l'Empereur, il fut des premiers à se ranger du côté des Bourbons pendant la Guerre de la Succession d'Espagne et fit en 1701 occuper son électorat par les troupes de Montrevel; mais les Français en ayant successivement perdu les diverses places, il se retira à Luxembourg, puis à Namur, dont il dut partir en mai 1704 pour Mons, puis Tournai. Il fit le 28 juillet 1704 son entrée à Lille et y revint le 10 octobre après avoir rencontré l'Électeur de Bavière qui venait de son côté de perdre ses États héréditaires (réf.) Joseph-Clément risquait donc de ne jamais rentrer en possession d'églises auxquelles ne l'attachait aucun lien spirituel (réf.)

569 Ayant nourri longtemps l’espoir de succéder à son frère Max-Emmanuel, électeur de Bavière, Joseph-Clément avait jusqu’alors refusé de s’engager dans les ordres … Le Pape lui a fait représenter qu’il n’est pas juste qu’il ait joui si longtemps des revenus de ces bénéfices [l’archevêché de Cologne] sans commencer à en faire les fonctions… [O]

570 II Cor. IV, 5.

571 Luc XVII, 21.

572 Ep. CXL ad Honoratum.

573 Ps. 84, 9.

574 Que nous éclairons par le témoignage de la lettre 1501 bis entre tiers : DANIEL-FRANÇOIS VOYSIN A MAIGNART DE BERNIÈRES. A Versailles ce 18 octobre 1711 : […] Je ne puis vous laisser ignorer en cette occasion, Monsieur, que M. l’archevêque, depuis le commencement de la campagne, a été le refuge de tous les malades et affligés de l’armée, dont sa maison n’a pas cessé un seul jour d’être pleine, sans parler d’une multitude de pauvres du pays qui y sont réfugiés et dont il prend soin’, que tous ses biens qui sont dans l’Artois et le Cambresis ont été fourragés, à l’exception de la terre du Cateau, et que ceux qu’il a du côté de Condé et de Valenciennes sont sous l’inondation. En deux mots, Monsieur, il a fait et fait journellement tout ce que nous entendons dire de ces anciens évêques si respectables, et c’est parce qu’il voudrait que cela fût ignoré, que je croie devoir prendre la liberté de vous le faire savoir. Je suis avec tout le respect que je vous dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur’. DE BERNIÈRES.

575 Nous complétons par le témoignage d’un militaire, le sauveur d’une situation dramatique : lettre1503 D. LE MARÉCHAL DE VILLARS A FÉNELON

A Marly ce 9 novembre 1711. [23 novembre 1711]. […]

J’étais tranquille sur mon zèle, mon application à son service, la certitude d’avoir fait tout ce qui, dans des conjonctures difficiles, était le plus convenable au bien de l’Etat, mais je ne savais pas tout ce que l’on avait imaginé ni mandé de l’armée. Le Roi, mieux informé que moi, dit tout haut ce qui était le plus propre à mortifier les écrivains. Plusieurs l’ont été ici, et quelques-uns doivent l’être ailleurs.

M. le Dauphin m’a fait l’honneur de me donner de très longues et favorables audiences dans lesquelles, Monsieur, il a été fort question de vous, et je me suis fait un vrai plaisir de lui parler de votre tranquillité sur la perte de votre bien, de votre joie d’en avoir pu prêter au Roi une partie considérable, du plaisir de dépenser le reste avec la dignité convenable à votre état; que les appartements de votre maison en haut étaient occupés par tous les officiers considérables de l’armée qui avaient été malade, le bas, par les pauvres auxquels il servait d’asile et de refuge, et, d’ordinaire trois ou quatre tables magnifiques pour tous les officiers; que la modestie et la bienséance de votre maison égalaient la magnificence, que votre piété renfermait en vous-même ce que vous croyez ne devoir pas montrer à ceux qui ne la cherchent pas.

J’ai dit à M. le Dauphin que vos sages conseils, dans des temps où les mauvais discours étaient les plus propres à déranger l’homme le plus sage, m’avaient été d’un grand secours, m’exhortant toujours à mépriser les clabaudeurs et suivre avec force ce qui convenait le mieux au service du Roi et au bien de l’État; que votre attachement pour la personne de Sa Majesté et le bien de son service ressortent dans tous vos discours et dans toutes vos actions. […]



576 Chapitre XV d’une lettre-traité en réponse à l’évêque d’Arras, cousin de M. Tronson avec qui Fénelon eut presque toujours des relations excellentes malgré sa proximité avec les Messieurs de Port-Royal, concernant le problème posé par la lecture de la Bible en français. Fénelon est réticent, car pour lui : « En notre temps chacun est son propre casuiste, chacun est son docteur … Les critiques … dessèchent les coeurs, ils élèvent les esprits au-dessus de leur portée. Ils apprennent à mépriser la piété simple et intérieure. Ils ne tendent qu'à faire des philosophes sur le christianisme, et non pas des chrétiens. Leur piété est plutôt une étude sèche et présomptueuse, qu'une vie de recueillement et d'humilité. » (suite du même chapitre XV).

577 « Cette lettre paraît donc amputée d’un début, comme elle semble l’être d’une conclusion […] » (Noye)

578 « Enseignement fondamental chez Fénelon » (Noye).

579 Marthe de Beauvais de Chantérac, nièce de l'abbé de Chantérac et petite-nièce de l'archevêque, était née vers 1673. Entrée vers 1690 au Premier Carmel de Bordeaux sous le nom de Marie-Marthe de l'Ascension (sa tante, fille de François II et nièce de l'archevêque, avait porté le nom de Marie de l'Ascension, mais elle était morte le 7 août 1683, ayant vingt-cinq ans d'âge et sept années de vie religieuse), elle fut plusieurs fois prieure et a signé des notices en 1714, 1733 et 1738. Elle mourut en 1742 à soixante-neuf ans. Son oncle l'abbé de Chantérac avait été vingt-cinq ans supérieur de ce monastère (d'après le livre des notices nécrologiques du Premier monastère). (CF 17, L.1567, n.1).

580 Gal. V, 13.

581 I Tim. I, 9.

582 « In epist. Iam Joannis, tract. VII, 8, P.L. 34, col. 2033. Ce développement sur la « liberté des enfants » de Dieu se retrouve à l'article XXXII de l'Explication des maximes des saints (éd. Pléiade, t. I, pp. 1078 sq.) » (Noye).

583 Phil. III,13.

584 Le Livre des demeures, 4eme demeure, ch. 2, fin.

585 II Cor. XII, 9 sq.

586 « L’abandon, qui est si souvent loué dans la Correspondance (cf. 1. 90, 175 annexe, 190...; LSP 182, 183, 190...), trouve ici son expression la plus achevée, non sans liens avec les thèmes les plus marquants de la spiritualité fénelonienne (« moment présent », «petitesse», «laisser faire Dieu », «ne préparant rien », sans « ressource »). (Noye).

587 Jean, VI, 68 sq.

588 CF 18, « Lettres retrouvées » avec notes Noye : « Pas de manuscrit connu. Nous suivons la première édition du texte, paru dans les Œuvres spirituelles, Rotterdam, 1738, t. II, pp. 534-535, en respectant la ponctuation, un peu modifiée dans les éditions suivantes. […] Ce bref bilan de santé d'un Fénelon épuisé et surchargé, et quelques retours sur son passé (la pauvreté de sa jeunesse, les récentes trois ou quatre années où il se sentit courtisé) font le principal intérêt de cette page. » - Signalée ensuite en « Lettres spirituelles » comme LSP 127 précédant la LSP 128.* À UNE DAME.



589 Le pluriel de cette finale laisse penser que la pièce est composite, à moins qu’elle ne vise un groupe uni autour de la correspondante malade. [N]

590 « Le destinataire serait un curé du diocèse, désabusé du jansénisme » (CF, présentation de la L.1238)

591 « […] Il nous paraît que cette longue pièce regroupe des éléments de trois lettres. […] Quant au dernier N., il serait un proche capable d’être un guide spirituel, comme l’étaient le duc de Chevreuse pour son fils et Mme de Mortemart pour plusieurs membres du « petit troupeau ». (Noye).

592 Rom., XIV, 8.

593 Col. III, 3.

594 Adressée à la même personne que LSP 152.

595 L’enthousiasme, à l’époque, désigne comme le fanatisme « le délire de ceux qui croient avoir des inspirations divines » (Noye).

596 Ps. 33, 11.

597 Dans les éditions du 18e siècle, les cinq paragraphes qui suivent sont détachés par un intervalle muni du signe § ; il semble s’agir d’extraits de lettres dont les premiers éditeurs n’ont retenu que ces passages.

598 Sans doute un candidat ou débutant (trop disert) au groupe guyonien, où la correction fraternelle est de règle (cf. second alinéa). Fénelon conseille la personne qui aura à l’écouter, mais aussi à « le décider ».

599 I Cor. X, 13.

600 « Dès l’édition de Versailles, sept lettres sont groupées sous le titre « Lettres de consolation »; quatre d’entre elles, dont on ne connaît ni la date ni le destinataire, se suivent ici (LSP 220-223). »(Noye).

601 « Se tenir en soi-même » rejoint la définition de «l’amour propre (...) dans l’usage des dons intérieurs » que Fénelon dans la L. 354 dénonçait en le rapprochant du « péché de l’ange (...), péché de propriété […] » (Noye).

602 «Aucun détail personnel n'ayant été conservé dans l'édition, cette pièce a surtout l'intérêt de donner un exemple succinct, mais riche, de la direction spirituelle de Fénelon sous sa dernière forme. » (CF 17, L.1889, n.1). 

603 Cette lettre constitue un aide-mémoire de la spiritualité fénelonienne, important en raison de sa date… (CF 17, L.1903, n.2)

604 OS1-(1-2) : Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, pages (1) à (2). Les pages (1) à (16) précèdent les pages 1 à 510. -- Passages difficiles à retrouver d’où leur « réemploi » en finale.

605 Matthieu, 11, 29-30.

606 Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique [désormais cité par numéro de fascicule et de colonne, ici « DS 9.32 » : il s’agit du fascicule imprimé « 9 » sur sa tranche et « LIX-LX Labadie-Leduc » en page de couverture], Beauchesne, Paris, 1975, article « LA COMBE (FrançoIs), barnabite, 1640-1715. 1. Vie. -- 2. Œuvres. -- 3. Spiritualité. »

607 En DS, 9.32 : « Etudes : P. Dudon, La Combe et Molinos, dans Recherches de science religieuse, t. 10, 1920, p. 183-211. - O. Premoli, Storia dei Barnabiti nef Seicento, t. 2, Rome, 1922. - G. Boffito, Scrittori Barnabiti, t. 2, Florence, 1933, p. 305-311 (voir aussi p. 336-337, et t. 3, 1934, p. 220). - Sur le séjour de La Combe à Lourdes, J.-Fr. Boulet, Traditions et réformes religieuses dans les Pyrénées.., Pau, 1974, p. 308-312. - Voir surtout A. M. Bianchi, Fr. La Combe, un barnabite sacrificato, thèse, Gênes, 1972 / Sur la spiritualité de La Combe, cf la lettre à lui adressée par le jésuite Honoré Fabri (Arch. de Saint-Sulpice, ms 2043, 1); H. Delacroix, Etudes d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, 1908, p. 193, 256 svv; – J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, Paris, 1973, table ; DS, t. 1, col. 31-33, 48-49; t. 4, col. 675-676; t. 6, col. 13061336, passim.


608 Citation de la Contribution d’Orcibal. Elle est reproduite en entier à la fin du présent volume, section « Sources associées ».

609 Résumé tel que nous l’avons établi dans notre édition de la Vie par elle-même avant que notre intérêt ne se focalise sur le P. Lacombe. Seul le début du chapitre sera ici cité, § 1-2. -- Nous « situerons » contextuellement tous nos extraits en les faisant précéder de résumés couvrant les chapitres auxquels ils appartiennent.

610 Les titres de chapitres sont nôtres. Ici, précédé de « 1.18 » : première partie de la Vie par elle-même, chapitre 18.

611 Paragraphe numéroté par le premier éditeur Poiret.

612 Cette information nous permet de dater cette première rencontre entre la jeune madame Guyon et le Père Lacombe aux mois de mai-juin 1671 (dans le chapitre Vie 1.15  la variole est datée du 4 octobre 1670. Madame Guyon perdant alors une partie de sa beauté à « 22 ans et quelques mois », c’est l’une des rares dates « marquantes » qu’elle cite dans sa Vie. Elle citera celle de l’enfermement de La Combe…).

613 Pagination du manuscrit-source d’Oxford.

614 L’effet de « présence de Dieu sur mon visage » signalé précédemment est probable et bien reconnu des mystiques ; mais madame Guyon savait-elle à l’époque « qu’il serait à Dieu » ?

615 La suite du chapitre revient sur les difficultés rencontrées au logis, « les croix dans l’économie admirable que Vous y gardez », « la charité que Notre-Seigneur m’avait donnée pour les pauvres » […]. Le chapitre suivant 1.19 traite de la recontre décisive avec Monsieur Bertot (1620-1681). Il sera son directeur durant dix ans. Puis Madame Guyon se tournera sans tarder vers le Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus et vers le Père La Combe.

616 Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2005.

617 CG 1, 51-74, 21 lettres préservées du P. Maur. - Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Editions du Carmel, 2007, Entrée à la Divine Sagesse, Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008.

618 Information intéressante à confirmer.

619 Elle est écrite à Rome avant l’année 1683, date du seul échange épistolaire direct entre La Combe et Guyon qui nous soit parvenu (avant 1687, ils sont en relation directe et en nombreux déplacements peu favorables à la conservation de lettres ; après leurs arrestations – qui furent presque simultanées : 3 octobre 1687 pour La Combe, 29 janvier 1688 pour Guyon -- seules les lettres de La Combe pouvaient survivre hors de prison et nous ne possédons aucune lettre de celle-ci qui lui seraient parvenues).

620 [CG 2], Pièce 1, p.51, reprise intégrale.

Nous résumons également dans la présente note la source et les explications données en petits caractères à la suite du texte de la lettre en [CG 2] :

« A.S.-S., fonds Fénelon, ms. 2043, copie intitulée : « Pièces concernant le père Lacombe » :

La première de ces pièces est une lettre de Lacombe au père Fabry, en latin, paginée 1 à 47, que nous ne reproduisons pas. La seconde pièce est la lettre en français qui figure ici. La troisième pièce, « Doctrine du P. Lacombe », est une copie également soignée, mais d’une autre main et de format différent. La quatrième et dernière pièce, de loin la plus importante, « Le Gnostique de Clément d’Alexandrie / mss. Original » est l’œuvre de Fénelon (édité pour la première fois par Dudon, Beauchesne, 1930 ; repris avec corrections par nous-même : « La tradition secrète des mystiques ou le Gnostique de Clément d’Alexandrie », Arfuyen, 2006).

On devine une circulation d'opuscules et lettres divers au sein du cercle guyonnien, qui joignent ainsi dans le même ensemble manuscrit les deux compagnons auxquels se confia « notre mère » : l’ainé de sept années Lacombe et le cadet de quatre années Fénelon.


621 Contraction d’Isaie, 14, 13-14 : …in caelum conscendam super astra […] ascendam super altitudinem nubium ero similis Altissimo. [Vulgata, Gryson] Je monterai au ciel au-dessus des astres […] Je me placerai au-dessus des nuées les plus élevées, et je serai semblable au Très-Haut. [Sacy].

622 Matt., 20, 16 : sic erunt novissimi primi et primi novissimi. Multi enim sunt vocati, pauci autem electi . [Vulgate]. Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers, parce qu’il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. [Sacy].

623 Baruch, 4, 26 : Mes enfants les plus tendres ont marché en des chemins âpres ; ils ont été emmenés comme un troupeau exposé en proie à ses ennemis. [Sacy].

624 Tout ce développement digne d’un prêche baroque justifie les interprétations critiques qui ne manqueront pas.

L’on ne peut exclure des dérapages au sein de cercles quiétistes italiens et français (dont au sein du cercle animé par Rouxel près de Dijon ?).

Mais Madame Guyon et La Combe et leurs proches s’inscrivent -- ce que nous avons tendance à oublier à cause du retentissement de la « querelle du quiétisme », phénomène local amplifié à la Cour du puissant Monarque -- dans un mouvement global très large « où les thèmes mille fois répétés semblent prendre le pas sur le contact avec l’expérience vécue » (J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, Klincksieck, 1972, 444).

625 Baruch, 4, 1-2 (contracté) : C’est ici le livre des commandements de Dieu, et la loi qui subsiste éternellement. [Tous ceux qui la gardent arriveront à la vie, et ceux qui l’abandonnent tomberont dans la mort.] Convertissez-vous, ô Jacob, et embrassez cette loi ; marchez dans sa voie à l’éclat qui en rejaillit, et à la lueur de sa lumière. [Sacy].

626 Nous n’avons pas vu la lettre. A chercher dans les écrits d’Aranthon d’Alex ?

627 Expériences mystiques en Occident. Une école du cœur. (Tome IV à paraître).

628 tristesse profonde.

629 Ps.30, 13.

630 Nous n’avons pas cette lettre mais Bertot, sur le thème de « si le grain ne meurt… » l’assure de même vigoureusement : « J’ai de la consolation que vous vous portez mieux ... le grain étant pourri il germera, et ce que je vous pourrais dire arrivera ; mais ce ne sera jamais que vous ne soyez pourrie ! Vous m’entendez , car je ne parle point de la pourriture corporelle. / Lisez et relisez ceci; et sachez que jamais vous ne le mettrez en pratique de manière que votre esprit en soit content. Quand cela sera, votre pourriture sera achevée et elle commencera à germer. Je ne sais si vous comprendrez ce dernier. » DM, vol. 2, lettre 59 (Jacques Bertot Directeur Mystique, 2005, p. 264).

631 La Mère Bon était effectivement physiquement contrefaite et elle rentra difficilement dans sa communauté religieuse. Le rêve fut-il provoqué par une conversation qui aurait eu lieu entre La Combe et Guyon avant la rédaction de cette fraction de la Vie par elle-même, ou bien s’agit-il d’un rêve mystique ? De tels rêves existent et se situent plus profondément que ceux des couches psychologiques étudiées par Freud puis par Jung.

L’injonction d’aller « à Genève » peut avoir été mal interprétée en étant comprise au sens littéral (et suivie) de se rendre à Gex chez les « Nouvelles Catholiques », renforçant ainsi l’adhésion à une entreprise suggérée à la jeune veuve fort riche. Elle ne fut pas une réussite. Illustration du danger lié à l’interprétation de rêves même s’ils sont « vrais » !

632 Genève est célèbre pour Calvin et pour sa défense opiniâtre face aux tentatives savoyardes du début du siècle. C’est encore une bien petite république si l’on compare le dénombrement (en 1770) des habitants de la « ...ville et république de Genève : 40 000 » à celui de la Confédération Helvétique d’un « ...total général de 1 841 531 [sic]. » Expilly, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris, 1762. 

633 Inspiratrice du P. La Combe comme nous l’avons signalé précédemment. Auteure d’un Catéchisme spirituel pour les personnes qui désirent vivre chrétiennement. Ce témoignage d’une expérience profonde suit immédiatement deux copies des Torrents de Madame Guyon dans le recueil A.S.S. ms. 2056 constitué à St Sulpice vers 1700 ce qui est sûrement voulu. Le texte intéressant reste à éditer.


634 La Combe « est ordonné prêtre le 19 mai 1663 par Jean d'Arenthon d'Alex, évêque de Genève » (Orcibal).

635 Lettre de madame Guyon son frère. 1681. [CG I], Lettre 65, p.186.

636 On consultera nos résumés des chapitres concernés de la Vie par elle-même, groupés pages 1071-1102 et donc d’accès malaisé, ici redistribués en tête de lettres.

637 Gex est situé tout près de Genève. L’histoire de cette petite cité est tributaire des affrontements religieux encore frais dans les mémoires du temps de Madame Guyon (consulter l’article de Wikipedia traitant d’une histoire complexe).

638 « / » et « // » encadrent les ajouts propres au premier jet du manuscrit de St-Brieuc, repris en italiques (Vie par elle-même, « Nos principes d’édition », 98).

639 L’oeuvre de conversion de petites filles protestantes enlevées à leurs familles sera rapidement mal perçue par Madame Guyon.

640 Ps. 39, 8-9.

641 en a à faire.

642 « Peut-être "oracles ". - Cette variante de sens possible, supprimée par Poiret dans ses errata, a été maintenue dans l'édition de 1791 par Dutoit. Le manuscrit d'Oxford porte clairement : “miracles”, mot qui se retrouvera un peu plus loin dans le même contexte, 2.12.3, relève Bruno – il s’agit bien de miracle lié à l’efficace mystique ; l’interprétation ‘oracles’ vient de tendances prophétiques actives autour de Poiret (il s’agit des illuminés cévenols) et plus encore de Dutoit (mais rejetées par Madame Guyon dans sa correspondance avec des disciples étrangers, sur le sujet précis des cévenols).

643 Matth. 13, 52.

644 Référence au manuscrit de Saint-Brieuc en plusieurs fascicules paginés.

645 Ps. 86, 1. Elle est fondée sur les saintes montagnes.

646 Sens incertain : rejoindre ou (plus probable) convertir.

647 Filiation « fondée » par le P. Chrysostome de Saint-Lô, passant par Bernières, Bertot, Guyon : D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n°1-2003, 95-116.

648 Voici quelques extraits de ses lettres (Papiers du P. Léonard, aux Archives Nationales, L 22, n°15, f° 10 ss.) :

(1) à son demi-frère P. de la Motte : « J'ai toujours cru, et le crois encore, que la grâce d'une femme chrétienne est d'être cachée dans son ménage et d'observer [veiller à] ses enfants chrétiennement. J'en ai que j'aime avec une tendresse que je ne veux pas dire ; je sais la nécessité qu'ils ont d'être bien élevés. Cependant je les quitte, et pourquoi ? pour suivre la volonté de Dieu, qui m'est marquée par ceux qui me tiennent la place de Dieu. » (Elle avait consulté Bertot et Dom Claude Martin)

(2) En réponse au même : « Toute la première page est de vous sans vous... Mgr de Genève m'a procuré l'avantage de voir le R. P. de La Combe... Je vous prie de me faire avancer ma pension... L'on me menace de m'ôter ma fille. L'on dit que l'on fera ce que l'on pourra contre moi, et l'on craint que je donne mon bien. ...l'on peut me compter comme n'étant plus. Pour la vocation, si elle est de Dieu, il saura bien la soutenir, et si elle n'est pas de lui, elle se détruira d'elle-même. » (f° 13)

(3) au même : « …puisque ma belle-mère n'en veut point, il faut faire comme si j'étais morte et élire un tuteur à mes enfants. Ils ont assez de ce que je leur laisse pour en faire les frais ; si j'étais morte, il faudrait bien en user ainsi. Je renonce de bon cœur à tous mes droits et avantages, et quand je serais réduite à aller mendier mon pain, je ne changerai point de résolution. Je suis bien aise que M. H[uguet] et mes autres parents se déclarent aussi contre moi ; j'aurais de l'appui si cela n'était pas, et je suis bien aise de n'en avoir qu'en Dieu seul. Je ne suis assurément point femme à visions, mais je suis disposée à faire la volonté de Dieu au péril de ma vie. Vos appréhensions ne me troublent point, parce que je ne cherche ni ma propre gloire ni mes avantages. Dieu sera toujours mon Dieu, et c'est assez pour moi. Je suis en lui sans réserve toute à vous. »

(4) à son fils aîné : « Je ne vous eusse jamais quitté pour rien moins que pour Dieu » (f° 14 v°. )

(5) à son fils cadet : « Mon cher enfant, je ne vous oublierai jamais devant Dieu, pour qui seul je vous ai quitté » (f°15) – En tout ceci Madame Guyon ne fait que suivre des exemples illustres.

649 Adjectif à valeur dépréciative. – Parallèle avec le jeune fils de Marie Guyard-Martin. Ce dernier « encouragé » par des proches opposés à l’entrée de la veuve au couvent des ursulines de Tours sous le nom de Marie de l’Incarnation est acteur de la scène qui figure dans la Vie publiée par lui-même devenu dom Claude Martin (Livre second, chapitre I, 181). Publiée en 1677, donc avant le séjour à Gex de 1681-1682, cette Vie fut très probablement lue par la jeune veuve Guyon dont on sait qu’elle prit conseil de dom Claude avant la décision de se rendre à Gex.

650 « …il m'est de conséquence que ma famille ne sache pas surtout le vœu de pauvreté que j'ai fait, parce qu'ils disputeraient mon testament où je donne et récompense les personnes qui me servent depuis si longtemps. Je l'avais fait avant de faire les voeux, mais comme c'était en pays étranger, j'ai été obligée de le renouveler ici. Ce sont des dettes que de récompenser des filles qu'il y a quatorze ou quinze ans qui me servent.

J'avais fait cinq voeux en ce pays-là. Le premier de chasteté que j'avais déjà fait si tôt que je fus veuve, celui de pauvreté, c'est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens, je n'ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d'une obéissance aveugle à l'extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d'une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d'un attachement inviolable à la Ste Eglise ma mère, non seulement dans ses décisions générales où tout catholique est obligé de se soumettre, mais dans ses inclinations, et de procurer le salut de mes frères dans ce même esprit. Le cinquième était un culte particulier à l'enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu'extérieur; et quoique mon âme ne fut plus en état d'avoir besoin de ces voeux, Notre S[ei]g[neu]r me les fit faire extérieurement et me donna en même temps au-dedans l'effet réel de ces mêmes vœux.

Depuis ce temps il n'est pas en mon pouvoir de garder de l'argent. Je vis avec une entière pauvreté. J'ai eu une obéissance d'enfant qui ne me coûte rien, parce que je ne trouve pas même en ma volonté un premier mouvement de résistance. Je peux dire le même sur tout le reste. Sur l'enfance, elle me fut communiquée d'une manière très parfaite… » (Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694.).

651 Proclamait.

652 Matth. 26, 31 et Luc 22, 31-32.

653 La baronne de Chantal fondatrice des Visitandines, Marie Martin-Guyard devenue Marie de l’Incarnation. -- J’imagine des échanges sur leurs souvenirs de jeunesses. Il pouvait avoir lieu dans les années 1690 entre madame Guyon et Fénelon sur le sujet de la vocation. La première regrettant son engagement de jeune veuve auprès des religieuses chargées d’éduquer des filles retirées à leurs familles en « Nouvelles Catholiques », le second se souvenant de sa période « missionnaire » auprès des protestants de Saintonge proche de la Rochelle en 1685-1686. Ses méthodes douces -- pour l’époque ! car à la vue de dragonnades, il propose d’envoyer des protestants en Nouvelle-France et non aux galères à Marseille -- ne furent guère effectives et donc peu appréciées (v. Correspondance de Fénelon, tome I, Fénelon, sa famille et ses débuts, par Jean Orcibal, Chapitre VI, « Fénelon et les protestants »).

654 Signature ou simple approbation ? V. glossaire, signer.

655 « de » exprime le propos, cf. le latin de = « au sujet de ».

656 Enthousiasmé.

657 Ps. 44, 14.

658 Suspendre (sens du latin chrétien) ; infra « interdit » sentence ecclésiastique défendant la célébration des offices.

659 Cf. Vie 2.4.2.

660 Rares apercus sur la vie intérieure de la mystique, prolixe quant aux vécus ordinaires mais discrète sur toute expérience intime. -- Détails concernant les conditions de toute vie mystique dont les acquiescements requis. Nous ne coupons pas ces développements assez amples qui s’écartent des « aventures » de Lacombe mais qui justifient l’attitude envers le confesseur qui va devenir dirigé mystique, un cas fréquemment rencontré (Catherine de Gênes et Marabotto...).

661 Le thème de la souplesse est abordé dans la correspondance, où Madame Guyon a recours aux analogies universelles offertes par les éléments air, glaise, eau : « plus sa volonté est souple sous la main de Dieu, plus elle [l’âme] perd toute consistance propre pour prendre à chaque instant la figure qu’il plaît à Dieu de lui donner. Il n’y a que l’eau qui puisse être de cette sorte. Tout ce qui fait un corps conserve toujours une forme, et par conséquent une opposition à être faite ce qu’on veut. L’eau prend la forme de tous les vases où on la met, elle prend toutes les couleurs. Notre volonté doit être de même à l’égard de Dieu. Jusqu’à ce qu’elle en soit venue là, elle n’est pas entièrement propre au dessein de Dieu. » Lettre au duc de Chevreuse, le 5 décembre 1692

662 Les Torrents établissent nettement la différence entre ces deux voies illustrées dans ce célèbre rêve des deux gouttes ; la goutte pure représente le chemin sans appuis, dit de foi nue ; la goutte bourbeuse représente le chemin s’aidant d’appuis visibles. Madame Guyon est une mystique sobre, adepte de la foi nue, peu sensible à l’éclat des lumières, qui va tenter d’orienter le Père La Combe en ce sens, avant d’autres : « Ce n'est point sur les choses extraordinaires qu'il faut juger des gens. Il y a une impression du fond, qui est très sûre, et qui porte grâce avec soi ; et c'est par celle-là qu'il faut juger, mais nullement par les choses extraordinaires, qui sont fautives, et qui peuvent arriver aux âmes communes. Croyez-moi : au nom de Dieu, ne donnez point là-dedans ; allez par la foi pure et nue. Lorsque je dis ou écris les choses, je ne les dis point par vue prophétique ; mais je les dis comme un enfant qui dit ce qu'il pense, sans qu'il n’en reste rien après. » Lettre au duc de Chevreuse, 20 janvier 1693 ; « Notre conduite n’est pas de suivre des mouvements extraordinaires mais la conduite de la providence qu’on suit pas à pas. Lorsqu’on est pressé de se déterminer et qu’on n’a pas le temps de demander conseil, alors en se recueillant intérieurement, suivre son mouvement à la bonne heure, ou bien aller son chemin lorsque rien n’arrête, mais aller par des enthousiasmes, c’est le moyen de s’égarer. » Lettre à la petite duchesse [de Mortemart], août 1697.

663 Au sujet de.

664 Probablement repris dans les opuscules réunis sous le titre de Discours Spirituels, qui aborde fréquemment l’esprit intérieur de foi : « foi de confiance qui produit un abandon entier » (V. éd. Dutoit : tome I, pp. 366, 429-433 ; tome II, 110-114, 159-164, 304-306, 332-335). “C’est apparemment celui qui est dans le I. Tome des Discours spirituels et chrétiens, le discours LXII [pp. 421-440]. Voir aussi dans le II. Tome les discours XIV à XVII [pp. 96-114]” indique plus largement en note Poiret.

665 Madame Guyon spécifie la date au cas où.

666 …et enfonce le clou ! Mais l’évêque in partibus ne devait pas bénéficier des richesses de Genève.

667 Anacoluthe que l’on ne peut résoudre.

668 Insistance de clerc.

669 Lacombe enseigna la théologie à Bologne puis passa à Rome en qualité de lecteur (1672-1674).

670 Frénésie, « maladie qui cause une perpétuelle rêverie avec fièvre » Furetière.

671 tourments

672 allusion à la menace du mariage de sa fille avec le neveu au mœurs dissolues de l’archevêque de Paris Harlay ? (cette rédaction précède la libération de Madame Guyon dont on espérait obtenir l’autorisation).

673 V. la variante P pour son ajout.

674 Dépasser.

675 Passage souvent cité parce que traitant de l’écriture - avec ceux de Vie 2.21.3, 8, 9. L’écrit ne remplace pas la communication silencieuse, éventuellement il est un moyen d’union à l’occasion d’un anniversaire. A l’expression inconsidérée d‘écriture automatique’ faut-il substituer ‘écriture inspirée’ comme il peut arriver à des poètes ? Il ne s’agit évidemment pas d’une technique libératrice mais de ne pas interférer avec le flux qui se produit dans un état interdisant de toute façon le fonctionnement cérébral analytique.

676 “en 1683. C’est le Traité intitulé les Torrens, qui a été imprimé deux fois en Hollande dans les Opuscules spirituels de Mad[ame] Guion, au Tom. I l’an 1704, et plus complet au tome II. 1712.” P

677 Cf. « simplicité = humilité » dans un contexte religieux.

678 V. Poiret : « témoignage », « c'est-à-dire marque sensible, preuve etraison perceptible », par exemple la guérison.

679 « C'est-à-dire marques sensibles, preuves et raisons perceptibles.” P

680 : dans l’obéissance (v. variante).

681 V. variante Poiret : « c'est-à-dire autrement que pour avancer sa mort mystique. » Pmystique ».

682 La « grande maladie » accompagne la transformation vers la vie apostolique. Le « retour en enfance » qui l’accompagne souligne le contraste entre l’intensité de l’expérience et la fragilité de la nature.

683 Délire.

684 De capax, qui peut comprendre.

685 Peines.

686 Délire, perturbation d’esprit lié à la fièvre.

687 Songes parallèles à celui de la chambre située au sommet du mont Liban. Vie 2.16.7

688 = près de  (qui, au XVIIe s. a les deux sens confondus : sur le point de et disposé à, notre « prêt à »).

689 Le 2 février.

690 Lundi gras = veille du mardi gras qui précède le mercredi des Cendres, ouverture du temps de carême (en général au mois de février).

691 Apoc. 12, 1 et 6.

692 Ce qui s’est vérifié et est tout à fait exceptionnel chez les mystiques.

693 Voir ci-dessus § 2.1.9 Poiret

694 Aucune a le sens positif de « quelque », nié par « non » : archaïsme.

695 faire aller dans une retraite

696 Vittorio Augustin Ripa, évêque (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, « son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse ... Le fruit de cette association spirituelle fut la parution à Verceil en 1686 de trois ouvrages spirituels. La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis ... et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata da Mons. Ripa ... il y a renversement des plans par rapport au schéma traditionnel ; ici c’est la mystique qui ouvre la voie à l’ascèse et provoque la conversion profonde du cœur. » V. DS tome 13 col. 682 à 684. Mgr Ripa avait séjourné à Jesi, où Petrucci était évêque : on trouve ainsi un lien entre ‘quiétistes’ italiens et français. - On note cette deuxième expérience heureuse acquise ainsi par Madame Guyon après celle du premier séjour à Grenoble, l’année précédente. La troisième expérience à Paris sera plus douloureuse.

697 Chanoine du chapitre d’une cathédrale chargé d’enseigner la théologie.

698 A opposer à une lettre de patente. Les lettres de cachet sont closes et authentifiées par l’apposition du cachet personnel du Prince.

699 V. le déplacement opéré par P.

700 Ce voyage écourté n’empêchera pas une communauté guyonnienne de s’établir durablement à Lausanne puis des érudits originaires de cette ville de témoigner en sa faveur (v. Index des lieux et notre préface).

701 V. variante Poiret : « elle fit tout cela à notre insu et (comme elle l"a dit depuis) une force supérieure… »

702 Au nord-est de Turin, à une soixantaine de kilomètres.

703 d’Aranthon d’Alex ou Arenthon d’Alex (Jean d’), v. notice Dict. Hist. Géogr. Eccl.

704 Armand-Jacques Guyon, v. Index des noms.

705 Parmi les tuteurs se trouve Denis Huguet, cousin germain du mari de Madame Guyon, v. Index des noms.

706 Turin est à 65 kms de Verceil (Vercelli) et à 70 kms de Biella, résidence même de Mgr Ripa qui n’était ainsi éloigné que de 40 km environ de son évêché de Verceil. Madame Guyon a demeuré une petite année dans le diocèse de l’évêque qu’elle quitta au printemps 1686. (J. Orcibal, Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997, “Le cardinal Le Camus…”, 804 - et sur l’évêque v. DS tome 13 col. 683.)

707 Déplacé par P en 2.15.5 à la suite de 2.15.4 : « …vous me l’ôtiez ».

708 Paula, dont le palais patricien à Rome se transformait en une sorte de monastère, rejoignit Jérôme à Salamine ou à Antioche en 385, accompagnée d’un groupe de vierges.

709 Madame Guyon en doute rassemble ici des expériences accumulées au fil des ans pour confirmer l’incroyable à toute pensée cartésienne : déjà la sienne, aujourd’hui la nôtre. Seule une forte et précise intuition confirmée après coup ne peut être facilement invalidée. Le reste demeure ‘enfermé en nous’ et peut et doit être mis en doute par autrui -- ce qui inclut les expériences fondamentales d’Amour reçu, de perception de beauté… Madame Guyon pose des expériences qu’elle pense être vérifiées sans proposer de descriptions intimes.

710 « Jeanne-Marie Guyon, née le 21mars 1676.

711 « Nous savons par un prêtre de Besançon, Rouxel, qui alla la voir à Grenoble, qu’elle y logeait chez « Mme Galle, veuve d’un trésorier âgée de plus de quatre-vingt ans... qu"elle appelait sa mère... qui avait même caractère et même doctrine » et dut mourir vers 1688 (A.S.S. n°7569, f. 2 v°, cf. 7570, f. 4 v°) » Jean Orcibal, Etudes…, op. cit., p. 802, n. 20.

712 Luc 22,15.

713 Jean 19, 30.

714 Luc 23, 46.

715 Voir la lettre de 1683 (IV) du Père La Combe qui éclaircit admirablement ce passage.

716 « Après la mort du général des Barnabites, le vicaire général Maurice Arpaud refusa le 4 septembre 1685 au P. de la Motte, supérieur de leur maison de Paris ...de lui envoyer le P. La Combe que M. de Verceil entendait garder. Mais Denis Huguet [tuteur] annonça alors au P. Arpaud que "le roi y mettrait la main" ...De fait, l"ambassadeur de France intervint et le P. Arpaud dut prier l "évêque de Verceuil de laisser partir le P. La Combe... » ORCIBAL, Etudes, “Le Cardinal Le Camus”, p. 804, note 34.

717 Luc 2, 51.

718 Act. 20, 23 P

719 Le chapitre général avait été convoqué le 30 avril 1686. ORCIBAL, Etudes, “Le Cardinal Le Camus”, p. 805 note 36.

720 Ici se place un ajout important de P, v. deuxième variante qui suit.

721 « Après ce second séjour à Grenoble qu"il faut sans doute dater d"avril-mai 1686, elle passait par Lyon (elle y obtenait le 25 mai deux approbations pour le Moyen Court), par Chalon-sur-Saône où elle connut le chanoine Bernard qui la recommanda au curé de Dijon Cl. Quillot ; elle se trouvait le 2 juillet dans cette ville où elle resta quinze jours et regagnait Paris le 21 juillet 1686. » ORCIBAL, Etudes, “Le Cardinal Le Camus”, p. 805.

722 Actes 20, 23.

723 Vocabulaire de l’escrime : attaque où entre de la traîtrise (1640).

724 « Il n’y a nulle difficulté à concevoir les communications intérieure des purs esprits si nous concevons ce que c’est que la céleste hiérarchie en Dieu … L’on dit que le fer frappé de l"aimant attire comme l’aimant même ; une âme désappropriée …attire les autres âmes à lui [à Dieu par intermédiaire, comme celui des pièces secondaires de fer formant une chaîne accrochée à un aimant primaire] sans qu’elle y ait de part mais c’est que sa simplicité et pureté est telle que Dieu pénètre par elle les autres coeurs. » Lettre à la petite duchesse, fin 1697.

725 Jean 1.

726 Voir variante B : « distinct et l’aperçu ».

727 V. les raisons avancées dans P.

728 « par réflexion, et comme si on portait l’état de Jésus-Christ. Les mystiques distinguent trois états ; de conformité, d’uniformité, et de déiformité ou de transformation.Voyez le Livret de l’Abrégé de la Perfection Chrétienne.” P

729 Il s’agit de la duchesse de Charost qu’elle avait déjà rencontrée lors de la jeunesse et d’une retraite avec Bertot.

730 Michel de Molinos, (1628-1696) le quiétiste espagnol, auteur de la Guia, dont le succès fut grand. V. Index des nom, Molinos.

731 Créer une dette de gratitude.

732 Changement de temps assez fréquent chez Madame Guyon.

733 Ps. 54, 13.

734 Marie de Miramion, laïque, (1629-1696). Supérieure des Filles de la Providence, elle accueillera Madame Guyon à sa sortie de prison en septembre 1688.

735 aurait dû

736 contrariété.

737 ayant convenu d’une heure.

738 [CG II], lettre 2, p. 55. – Nous reproduisons les notes et la spécification de source donnée en fin du texte de la lettre.

739 Bien fausse prévision. A l’âge de quarante ans madame Guyon n’a pas encore connue de prison.

740 Matthieu 8, 20.

741 « a » : = variante éditée en [CG II]. Nous les donnons pour monter combien elles sont nombreuses. Puis nous les omettrons lorsqu’il ne s’agira plus des deux seules lettres adressées par une Madame Guyon incertaine en opinion comme en écriture. On se reportera à notre édition [CG I & II] de la Correspondance de madame Guyon.

742 [note 1 de l’éd. [CG II] : ] Ici commence le texte de la lettre donné par la relation de Phelipeaux. « Tout ce début, quoique signalé par Phelipeaux, manque à Deforis.

Deforis place la note suivante, qu’il rapporterait de Bossuet lui-même : « Dans sa Vie, p. 503 [de l'édition Poiret consultée par Deforis], elle vit qu’elle était cette femme. Cela arriva en 1683. La lettre au P. La Combe est rapportée à la page 489 : elle ne suit pas les jours, mais les années. Elle parle de ce qui lui arriva le jour de la Purification, le P. La Combe étant alors avec elle : elle avait eu vingt-deux jours de fièvre continue, et, le jour de la Purification, elle était retombée plus dangereusement que jamais. Lui lisant cette lettre et lui parlant de cette femme délaissée, elle n’hésita point de dire qu’elle l’était : elle détermina le temps de l’accomplissement de sa prédiction au siècle qui court, sans déterminer si ce serait à la fin de celui-ci, ou au commencement de l’autre. Mme la duchesse de Chevreuse m’a dit que la paix et le commencement du changement arriveraient en 1695. M. de Chevreuse n’en est pas disconvenu ».

« À propos de cette note, il faut remarquer que si, comme le dit Bossuet, Mme Guyon raconte dans cette lettre ce qui lui arriva le jour de la Purification (2 février), comme cette dame dit expressément qu’elle écrit le jour même qu’elle a eu son songe, la lettre serait faussement datée, dans les éditions, du 28 février. La Vie imprimée n’indique pour la date ni le jour ni le mois, mais seulement l’année 1683.

« Mme Guyon a expliqué ailleurs (Vie, t. II, p. 149) sa vision, sans dire qu’elle se produisit le jour de la Purification : « Une nuit que j’étais fort éveillée, Vous me montrâtes à moi-même sous la figure, - qui dit figure ne dit pas la réalité : le serpent d’airain, qui était la figure de Jésus-Christ, n’était pas Jésus-Christ, - vous me montrâtes, dis-je, à moi-même sous la figure de cette femme de l’Apocalypse [...] J’écrivis tout cela au P. La Combe... » [Urbain Levesque, Correspondance de Bossuet, v. notre éd. de la Vie par elle-même, « Bibliographies », 1115].


743 Matthieu, 24, 14-29.

744 Apocalypse, 12.

745 L’Esprit-Saint.

746 Cette lettre est suivie d’un ajout de Chevreuse après séparation par un trait horizontal d’une ligne : “Sur le dos de cette lettre, il y avait écrit de la main de la même personne : ‘Cette lettre doit ce me semble être conservée, parce que la plus grande partie de ce qu’elle contient est déjà arrivé, et que le reste arrivera. Vous ferez pourtant ce qu’il vous plaira.’ Elle le mandait à Mme la D [uchesse] de Cha [rost], il y a un an et demi [trait d’une ligne]/Jusques ici tout est copié mot à mot et même la rature ainsi qu’on l’a trouvée dans la copie faite sur l’original dont il est parlé dans le titre [trait d’une ligne]/Le 19e d’août 1691 j’ai appris de la personne qui a écrit la lettre ci-dessus en 1683, qu’elle n’eut aucune connaissance du contenu que dans le moment qu’elle l’écrivit dans le milieu de sa maladie de plusieurs mois après le songe dont il y est parlé. Cela se fit par un mouvement non prémédité. Le contenu de la lettre lui fut mis dans l’esprit à mesure qu’elle l’écrivait. Il ne fit proprement que passer par sa tête et par son esprit sans s’y arrêter. Tout ce qu’elle en peut dire maintenant, c’est que pour ce qui regarde les guerres et ensuite la paix générale, cela doit être pris à la lettre des guerres et paix extérieures dans l’Europe. Une partie est déjà assurément arrivé. Elle ne doute pas que le reste n’arrive de même.”


747 Allusion aux souffrances subies par Madame Guyon portant spirituellement le père La Combe (Vie, 2.22).

748 « Trou » désigne dès le XVIe siècle une petite localité à l’écart (1525), puis une maison, une retraite où l’on s’isole (1592) (Dict. Rey). – Saint-Gervais, quartier de la ville de Genève.

749 «C’est l’évêque de Verceil dont il parle.» Éclaircissement sur la vie […]. Il s’agit de l’évêque Ripa, qui collabora avec Lacombe et Madame Guyon.

750 Nous faisons suivre ici par la note 1 de [CG II] ce qui permettra de retrouver l’ordre des notes de l’édition de référence (égalemnt par économie d’effort !), puis le fil du texte principal reprend par : « quelques personnes… ». On retrouvera souvent dans ce dossier Lacombe une telle alternance du texte principal avec ses notes reprises de l’édition d’origine.

751 Vie, 2.24.3 : “Il voulait tous nous unir et faire une petite congrégation.” (v. la suite du récit).

752 À l’état laïque. Madame Guyon refusa précédemment de devenir supérieure des Nouvelles Catholiques de Gex.

753 La ville de Saint-Gervais-les-Bains, près de Sallanches, dans la vallée de Chamonix, qui certes devait être à l’époque un “trou” — lequel signifie pour Madame Guyon : «  Une maison, une retraite où l’on s’isole (1592)” (Rey).

754 Le P. Lacombe est né en 1640 à Thonon.

755 V. l’expérience de démêlés avec un ecclésiastique qui fit entendre à M. de Genève “qu’il fallait, pour m’assurer à cette maison [des Nouvelles Catholiques, à Gex], m’obliger d’y donner le peu de fonds que je m’étais réservée, et de m’y engager en me faisant supérieure.” (Vie, 2.6.1).

756 Les âmes mystiques?


757 Pièce 67 page 188 de notre édition [CG I]. Les points de suspension sans crochets de sa première ligne proviennent de l’édition originale, indiquant qu’il s’agit d’un fragment, cf. la note « 2 » ici reproduite en pleine page.

758 Ce fragment a été imprimé tout d’abord en 1698 dans la Réponse de Fénelon à la Relation sur le quiétisme de Bossuet (chapitre premier) : «Je la connus au commencement de l’année 1689 […] J’étais alors prévenu contre elle sur ce que j’avais ouï dire de ses voyages. Voici ce qui contribua à effacer mes impressions. Je lus une lettre de feu M. de Genève, datée du 29 juin 1683…»

-- «Phelippeaux n’en a cité (t. I, p. 8) que la fin. On ne sait à qui s’adressait l’évêque de Genève. C’est, semble-t-il, à une personne étonnée de la conduite de M. d’Arenthon, qui paraissait contradictoire. En effet, après avoir donné des marques de son estime pour Mme Guyon et l’avoir reçue dans son diocèse, il l’avait ensuite priée de s’en retirer.» (Urbain-Lévesque, note, t. VII ?, p.485)

-- «En 1685, au sortir de Verceil, Mme Guyon et le P. Lacombe essayèrent de rentrer dans le diocèse de Genève et informèrent l’un et l’autre le prélat de leur désir. M. d’Arenthon s’y opposa avec plus d’énergie. Comme le bruit s’était répandu, au commencement de 1688, que le P. Lacombe allait être renvoyé à Thonon, l’évêque de Genève demandait à son correspondant de Paris d’intervenir auprès de l’archevêque et du P. de La Chaise. «Vous verrez, disait-il, par ma dernière lettre circulaire (Lettre pastorale du 4 novembre 1687) les précautions que j’ai été forcé de prendre pour arrêter le progrès de sa mauvaise doctrine dans le diocèse. Si ce Père paraît ici, la moitié du Chablais est perdue» (UL, note, t. VII, p. 149). Mais selon la Vie de Mgr J. d’Arenthon d’Alex par dom Innocent Le Masson : «[Madame Guyon] lui paraissait d’une grande piété […] Elle s’offrit à quitter Paris et sa famille […] L’évêque n’eut point de peine à y consentir; car l’action était héroïque par elle-même […] elle s’en alla à Gex […] y passa deux années et demie, faisant de grandes libéralités aux pauvres…» (rééd. 1895, p. 251) Cela se passait en 1680… Voir Orcibal, Le Cardinal Le Camus…, op. cit.



759 Y Ajouter : les Maximes associées à la Brève Instruction ; la préface au Cantique de Madame Guyon.

Nous avons omis « la Règle des associés, à laquelle j’ai eu quelque part » selon le témoignage de Lacombe rapporté dans son Apologie, « Iere fausseté ». Cette Règle des associés à l’Enfance de Jésus figure dans les Opuscules spirituels, 358-404. Elle passe pour l’œuvre de M. de Bernières » selon la note d’Urbain, l’éditeur de l’Apologie. En fait Guyon, Lacombe, Bernières partagent tous les mêmes vues. Ledébut § I et II, 358-362, est remarquable. La suite est plus dévotionnelle. Nous ne reproduisons pas cette Règle dont le style est fort guyonnien, en son début fort proche du Moyen court : « Nous avons tous été engagés dans le grand ordre chrétien par le baptême qui nous rend enfants de Dieu… Sa règle toute d’amour peut donc être observée de toutes sortes de personnes… Tous y trouveront leur perfection et leur couronne : les gens mariés, ceux qui gardent le célibat… »

760 La reprise de la distinction entre oraison acquise et passive en est un exemple.

761 Malach. 3 vs.18. [Nous reprenons la référence telle qu’elle est fournie par l’édition Poiret – en omettons le latin qu’il cite en note ; nous agirons de même pour toute la suite].

762 Phil. 2. vs. 21.

763 Luc 17. vs. 21.

764 Prov. 23. vs. 26.

765 Gal.4. vs. 19.

766 2 Corinth.5. vs. 15,16.

767 Jean 15. vs. 5

768 En ses Dialogues. Liv.3 ; Chap.1. [Poiret P].

769 Jean 15. vs. 5.

770 Ps. 47. vs.14.

771 Prov. 23. vs. 26.

772 Poiret réfère ici à St Thomas.

773 I. Corinth. 2. vs.14.

774

Il propose un manuel de prière vers « la grande oraison » en n'hésitant pas à couvrir des aspects concrets et des pratiques dévotionnelles issues du Moyen Age (usages du crucifix, approches à la Monbaer – mais sans oublier Tauler et Ruusbroec). C’est le résultat d’une longue expérience de pasteur des âmes.

L’équipe s’est partagée le travail : Madame Guyon donne les directions intérieures mystiques, Lacombe approfondit les moyens dévotionnels concrets en cours d’usage utilisant son expérience de confesseur.


775 Luc 11. vs.1.

776 « Méthode aspirative » propre aux Grands carmes, dont un mystique Directoire des novices témoigne de l’influence de Jean de Saint-Samson puis de Maur de l’Enfant-Jésus, tous deux très appréciés en écrit puis par relation avec Madame Guyon. -- Voir des « modèles de l’oraison libre » donnés infra, très proches de ceux donnés dans l’édition de 1650 de la Méthode claire et facile pour bien faire l’Oraison, Quatrième volume du Traité de la Conduite Spirituelle des novices, œuvre collective dirigée par Marc de la Nativité, un des disciples de Jean de Saint-Samson, dont la composition fut ordonnée au Chapitre provincial de 1629. Il est probable que le cercle guyonnien eut connaissance de cette Méthode. C’est le seul Directoire d’orientation mystique que nous ayons rencontré pour le siècle et sa réédition est programmée en collaboration avec les Grands Carmes.

777 Romains 3. vs. 26.

778 Le Directoire des Novices cité abonde en exemples proposés à de jeunes novices en panne d’inspiration ! Exemples fréquents de ce que nous ne pouvons plus entendre aujourd'hui d’une « réparation » ; Elle est commune à tous les spirituels de la fin du Grand siècle. Lacombe suit fidèlement le formatage théologique d'époque. Sur un dépassement du thème voir Mère Mectilde, florilège mystique (à paraître).

779 Les pages 466 – 467 ici omises sont des exemples d’aspirations très semblables à ce qui précède. Culpabilité.

780 Ps. 140 vs. 2.

781 Rom. 8. vs. 26-27.

782 Matth. 26. vs. 44.

783 Matth. 18. vs. 3.

784 Style de catéchisme de ce texte probablement influencé par le catéchisme de la mère Bon, texte qui suit celui des Torrents dans le manuscrit de Saint-Sulpice. Faire la comparaison. Notez la fine observation qui suit de l'oraison et les mouches empruntées à Thérèse.


785 Prov. 25 vs. 16.

786 Ps. 58 vs. 10.

787 Alb. Magn. L. De adherendo Deo, ch.7. [P.]

788 Gen. 49, 4.

789 Ps. 104, vs. 4.

790 « Ceci n'a point de lien quand l'objet de l'espérance est l'amour pur, ou quand on espère de parvenir un jour à l'amour pur » (saint François de Sales. Amour de Dieu livre 2 chapitre 17.)

791 Gal. I, vs. 10.

792 Matth. 14, vs.23.

793 Cant 5, vs.8 puis vs.6.

794 Apoc. 2, vs. 10.

795 Luc 16, vs. 10.

796 Apoc. 3, vs. 16.

797 Cant. 8, vs . 6.

798 Ps. 15, vs. 9.

799 Ps. 83, vs. 2.

800 Ps. 118, vs. 130.

801 Matth. 26, vs. 39.

802 Daniel 8, vs. 18.

803 Scala gradu. 15.

804 I Rois 3, vs. 18.

805 Jean 18, vs. 11.

806 II Rois 16, vs. 11.

807 Ste Catherine de Gênes, en sa vie, ch.31. [P].

808 Rom. 12, vs. 2.

809 Joan. 14, vs. 17 puis Gal. I, vs. 10.

810 I cor. 13, vs. 5.

811 Henricus Suso, De nov. rup. Cap.2. [P].

812 Jean 7, vs. 17.

813 Rom. 8, vs. 13 puis Galat. 5, vs. 16.24

814 Luc 9, vs. 23.

815 Serm. De Sanctis [P].

816 Matth. 11, vs.29.

817 Ps. 43, vs. 5.

818 Jean 14, vs. 23.

819 Lib. De adherendo Deo. [P].

820 Jean 14, vs. 6.

821 Col. 3, vs. 3.

822 Eccli. 18, vs. 6.

823 Heb. 10, vs. 24.

824 Gal. 4, vs. 19.

825 II Cor., 3, vs.18.

826 Gal., 2, vs. 20.

827 I Cor., 6, vs. 17.

828 Juste, même si l’on remplace Dieu par l’énergie qui nous anime, qui n’est pas la nôtre mais qui vient du plus vaste de l’immense univers.

829 Luc 15, vs. 31.

830 Apoc. 21, vs. 27 puis Matth. 5, vs. 8.

831 Matth. 5, vs. 48.

832 S. Aug. Enchir. 6.110.

833 Jaq. 4, vs. 6. puis Sag. 6, vs.7.

834 Heb. 13, vs. 21.

835 Luc 17, vs. 21. puis Ps. 44, vs.14.

836 Luc 17, vs. 10.

837 Laicus ad Taulerum in Vita. C. 3.

838 Apoc. 22, vs. 17. – Voir aussi Ruusbroec dans les Noces [NDE].

839 Déterminément, par principe du propre et pour le propre. [NDE].

840Madame Guyon, Les Torrents et Commentaire au Cantique des cantiques de Salomon, 1683-1684, texte établi, présenté et annoté par Claude Morali, Jerome Millon, 1992. Citation p. 60.

841 St Bernard Sur le Cantique.

842 Isaïe 62. verset 5.

843 Jean 3. verset 29.

844 Psaume 103. verset 29.

845 Jean 3. verset 29.

846 St Sernard. Sermon 7 Sur le Cantique.

847 Denis le Chartreux.

848 St Bonaventure au Miroir des Novices p. 1, chap.12.

849 Denis le Chartreux, Livre 3 De la Contemplation, chap.15.

850 Mathieu 19. verset 27.

851 St Denys l'Aréopagyte, Théologie mystique.

852 Jude verset 10.

853 St Denis au même endroit.

854 Hébreux 5. verset 4.

855 Cor. 6.1.

856 Romains 8. verset 14.

857 Cantique 2. verset 4.

858 Apocalypse 21. verset 17. 20.

859 Apocalypse 21. verset 6.

860 Quelques variantes seraient à relever dont au tout début : « L’oraison mentale est une application religieuse [de l’esprit biffé] à Dieu, qui s’exécute dans le coeur par le silence des lèvres » , « X. Qu’il faut suivre l’attrait [de Dieu ajout], XIV. Surtout parce qu’on l’appelle mystique ou ténèbre ou inconnue [devenu : Pourquoi on l’appelle Mystique, ou ténébreuse ou inconnue].

861 A 342 réf bibl. Les Fontaines, Chantilly

862 Baltasar Alvarez

863 Romain 2 vs. 34.

864 Romain 8 vs. 25.

865 Romain 8 vs. 26.

866 II Cor. 3 vs. 17.

867 Jean 11 vs. 52.

868 Psaume 127 vs. 1.

869 I Jean 2 vs. 27.

870 I Cor. 12 vs. 31.

871 Aristote 10. Éthique.

872 Luc 10 vs. 41-42.

873 Psaume 85 vs. 9.

874 Psaume 50 vs. 7.

875 Isaïe 50 vs. 4-5.

876 Saint Augustin, méditation, chapitre 35.

877 Habacuc vs. 20.

878 Albert le Grand De Adh. Deo cap.I.

879 Saint Bernard Sermon 33 in cant.

880 Psaume 46 vs. 11.

881 Denys.

882 Cassien collection 9 chapitre 30.

883 Deutéronome 4 vs. 12.

884 Nombres chapitre 23 vs. 21.

885 In Joan. tractat. 102.

886 Marc Hermite.

887 Cassien, Coll. 10 c.4 & ch. 2.

888 I Jean 3 vs. 20.

889 II Chronique 7 vs. 2.

890 Apocalypse 2 vs. 7.

891 Apocalypse 22 vs. 6.

892 Ecclésiaste 3.

893 Denis le Chartreux, De la contemplation. Livre 1.

894 I Corinthiens 6 vs. 17.

895 Romains 8 vs. 14.

896 Isaïe 26 vs. 12]

897 Saint Bonaventure.

898 Kempis, livre 1 chapitre 11 article 3.

899 St. Grégoire homélie 17 in Ézékiel.

900 De contemplatione Lib. 3.5.10.

901 Psaume 73 vs. 28.

902 In Reg. 14.

903 De contemplation lib.2do. art. 6.

904 Ex Richard Victorin.

905 Chap. I Théologie mysti. St Augustin Saint-Thomas ; Saint Bonaventure ; et d'autres.

906 Hiérarchie Céleste, chapitre 3 sur la Sa.

907 Saint Thomas.

908 Saint François de Sales, Amour divin. Livre 6 chap. 3.

909 Denis le chartreux. De la contemplation. I livre1 art. 3.

910 Suarez de Tolède. Grégoire de Valence.

911 Luc 18. Vs. 1 ; I Thessa. 5 vs. 17 ; Psaume 15 vs. 8 et 45 ; vs. 11 et 72 vs. 28 Vulg.

912 Proverbes 3 vs. 6.

913 I Jean 5 vs. 15.

914 Hugo Victorin.

915 Proverbes 9 vs. 5.

916 Saint François de Sales. Amour divin, livre 6, chap. 6.

917 Emmanuel Cardin de Sauréa, Opuscules. 13 c.17.

918 Hébreux 13 vs. 14.

919 Mathieu 5 vs. 48.

920 Matthieu 19, vs. 17.

921 Sapience 9 vs. 13.

922 I Pierre 4 vs. 10.

923 St Jean Climaque.

924 Harphius.

925 Bonaventure.

926 Col. 3 vs. 15.

927 Gen. 2 vs. 2.

928 Hebreux 4 vs. 9-10.

929 Denis le chartreux.

930 Lévitique 1 vs. 17.

931 Philip. 4 vs. 7.

932 Psaume 103 vs. 6. 139 vs. 13.

933 Harphius liv. I.

934 I Cor. 3 vs. 9.

935 Tite 2 vs. 13.

936 Jeremie 33 vs. 3.

937 Matthieu 7 vs. 7.

938 Ecclésiastiques 43 vs. 3.

939 Rom. 5 vs. 5.

940 Deutéronome 4 vs. 29.

941 « Nicolas Chéron, prêtre du diocèse de Bourges, venu dans celui de Paris, où il fut nommé, le 11 juillet 1680, vice-official, puis official.

942 « comme (= comment)… » développe « procès-verbal ».

943 V. Vie 2.24.7.

944 Le P. La Combe fut interné à Oléron, puis au château de Lourdes (et à Vincennes ?).

945 Ps. 43, 16-22.

946 Genèse 14, 23.

947 V. l’ajout de P.

948 V. l’ajout de P.

949 Ps. 68, 25.

950 Il ne reste rien du couvent mais on peut visiter la chapelle. V. Index des lieux

951 La phrase qui précède “tout ceci … deviendraient” serait-elle un ajout écrit postérieurement ? cependant la copie O n’en porte pas trace ce qui rend la supposition hasardeuse.

952 Louise Eugénie de Fontaine (1608-1694). Convertie au catholicisme, elle fit profession à la Visitation en 1630 dont elle fut à plusieurs reprises supérieure. Quand Mgr de Péréfixe voulut changer les dispositions des Soeurs de Port-Royal de Paris touchant le formulaire, il envoya dans cette maison, à titre de supérieure, la mère Eugénie accompagnée de six de ses visitandines.

953 m’étonner de.

954 Il s’agit de M. Pirot (1631-1713) comme l’indique la variante du ms. B, Vie 3.8.8. Sa réputation le fit choisir de bonne heure par l'archevêque de Harlay pour examinateur des livres et des thèses mais versatile. V. Index des noms.

955 Moyen court et très facile de faire oraison.

956 v. Index des lieux.

957 “Le Père La Combe.” P

958 « Harlay de Champvallon (François II de), 1625 – 1695 V. Index des noms. Louis XIV lui donna l’achevêché de Paris en 1671 alors qu"il était archevêque de Rouen en succession de son oncle.

959 Depuis le 3 octobre 1687.

960 Il s’agit de « l’affaire des Maximes des Saints. La Relation sur le quiétisme, de Bossuet, avait été distribuée le 26 juin et faisait grand bruit. Devant la résistance de Fénelon à des rétractations orales, et sous la pression de Bossuet, Louis XIV écrivit au Pape, le 26 juillet, pour lui demander de se prononcer. Le 3 août, Fénelon était exilé de la cour. » GONDAL, Marie-Louise, Madame Guyon, Récits de captivité…, op. cit., note 2 – Madame Guyon fait allusion au comportement tout d’abord hésitant de Fénelon et évoque les peines extrêmes du Père La Combe : « Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N.[Fénelon]. J’ai toujours cru que le livre serait condamné par le crédit des gens, mais Dieu voulant l’auteur pour lui et détaché de tout, il ne l’épargnera pas. C’est la conduite ordinaire de Dieu de joindre les épreuves intérieures aux extérieures; c’est ce qui rend les commencements bien glissants et qui affermit dans la suite. Ce que le Père La Combe a souffert pendant plusieurs années de sa prison des peines intérieures, passe ce qui s’en peut dire. La moindre petite chose qu’on fait pour se tirer d’affaire, ne réussis pas, au contraire gâte tout, redouble les peines intérieures, affaiblit et déroute tout. Je voudrais de tout mon cœur porter ses peines avec les miennes. » A la petite duchesse, mai 1697. « Dieu ne lui a jamais manqué. Qu’il ne lui manque pas, il s’en trouvera bien, et cet état bien porté lui causera des biens infinis. Il faut un courage sans courage, et se renoncer soi-même véritablement. S’il croit, en quittant tout, trouver son repos, il n’en trouvera aucun. …Qu’il entre tout de bon dans la carrière comme soldat du Seigneur tout-puissant ; que l’aridité des déserts ne le décourage point…» Lettre à la petite duchesse, décembre 1697.

961 Vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève…[par Dom Innocent Le Masson], 1697, Lyon, complété par l’Eclaicissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme, 1699, Chambéry.

962 Vie 2.3.5-6 p.000.

963 Supérieure de la Visitation Sainte-Marie.

964 « …la mère Bon était morte un an avant que je fusse en ce pays-là, elle a fait des écrits à la vérité, mais ils sont tout en lumière. » Lettre à la petite duchesse, avril 1698 qui sert probablement d’aide-mémoire à la rédactrice.

965 « Je sais de bonne part qu'on a assuré les filles avec lesquelles je demeure, que lorsque je mourrai, l'on confisquera ce que j'ai en leur faveur. Le projet est tel qu'on n'appellera ni prêtre ni personne, si l'on n'avait pas le temps de faire venir N. S'il vient, il prétend déclarer que j'aurais avoué quantité de choses. On fera tout fermer de la part de M. d[e] P[aris] sous prétexte d'examiner si je n'aurai point fait quelques nouveaux écrits. S'il y en a ou si l'on y en trouve, je passerai pour relapse, et sur ce pied tout sera confisqué ; elles ont dit : «  mais si elle a fait quelque testament ? - S'il est ici, a-t-on répondu, il sera supprimé. S'il est fait avant ces affaires-ci il ne peut être valable, parce qu'il faut le renouveler tous les ans. » Lettre à la petite duchesse, avril 1698.

966 « La rage de N. contre moi passe ce qui s’en peut dire, jusqu’à faire entendre que c’est une vraie excommunication, que je suis hérétique, retranchée de l’Eglise. Il défend que s’il me prend quelque mal subit comme apoplexie et le reste, de faire venir de prêtre, et qu’il vaut mieux me laisser mourir sans sacrements. Ils croient que personne ne saura ce qu’ils font. » Lettre à la petite duchesse, septembre 1697.

967 Le montant correspondant.

968 Les juges romains réclamaient « la preuve de la liaison du P. La Combe avec M. de Cambrai par actes authentiques. » On chercha cette preuve dans une liaison entre Madame Guyon et le Père La Combe. Marie-Louise Gondal, Madame Guyon, Récits de captivité…, op. cit., note 1 – Nous avons le récit, parallèle au récit que l’on va lire, de cette confrontation à l’archevêque dans une des toutes dernières lettres précédant l’isolement de cinq ans à la Bastille, ce qui justifie le long extrait suivant :

« …il me dit avec finesse : « La lettre est de lui. - Je lui répondis : si cette lettre est de lui, il est fou, ou il faut que la violence des tourments la lui ait fait écrire. C'est tout ce que je pouvais dire à un archevêque que je ne puis démentir en face sans rougir moi-même … Gardez bien ce papier; c'est l'original de la lettre qu'il a fait écrire. Il y a un v à la douzième ligue, au commencement, qui en fait voir la fausseté ... Gardez bien la lettre que j'écris aussi; car si on me renferme, comme on m'en a menacée, au moins cette lettre toute entière vous certifiera de la fausseté des accusations ; car j'ai bien peur qu'ils n'en viennent pas par voie de confrontation avec le Père : ils ne veulent rien faire en justice. [NDE : effectivement elle n’eut pas lieu]. Le curé doit amener ici des témoins, pour dire qu'on m'a convaincue. Pourquoi, si cela est, n'aller pas en justice? Qu'un curé, qui me confesse, m'amène des témoins en lieu où je suis enfermée par son ordre, entre les mains de filles dont ils font la fortune pour leurs calomnies ! Je lui dis, à M. l'archevêque, que je ne leur dirais mot - il dit qu'on me ferait bien parler - mais je lui dis qu'on pourrait me faire endurer ce qu'on voudrait, mais que rien ne serait capable de me faire parler quand je ne le voudrais pas - il me dit qu'il m'avait fait sortir de Vincennes - je lui répondis que j'avais pleuré en sortant de Vincennes… - il me dit qu'il était bien las de moi - je lui dis : Monseigneur, vous pourriez vous en délivrer, si vous vouliez … -il me dit qu'il ne savait que faire, que M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouvait personne qui le voulut faire. Je lui dis que je n'avois donné aucun sujet de cela à M. le curé; mais que, parmi tous les Jésuites de son diocèse, il s’en trouverait peut-être quelqu'un qui voulût me confesser ... – il me dit assez bas : on vous perdra. Je répondis fort haut : Vous avez tout pouvoir, Monseigneur ; vous avez tout crédit : je suis entre vos mains, qu'on fasse tout ce qu'on voudra ; je n'ai plus que la vie à perdre. - On ne veut pas vous ôter la vie, vous vous croiriez martyre, et vos amis le croiraient aussi … Il n'est pas possible, après de si grandes noirceurs, que Dieu ne prenne notre cause en main. Je l'espère d'autant plus, que les choses paraissent désespérées, envenimées, et pleines de malice … ce que j'écris est véritable. Peut-être ne pourrai-je vous faire savoir le reste de ce qui se passera ; cette lettre sera peut-être la dernière que je vous écrirai de ma vie : mais tenez ceci aussi vrai que si je l'écrivais au lit de la mort. Lettre à la petite duchesse, 3 mai 1698.

969 Marque sacrée.

970 Adrien-Maurice de Noailles, comte d'Ayen, neveu de l'archevêque de Paris, épousa Françoise d'Aubigné, nièce de Mme de Maintenon. 

971 « J'ai toujours connu beaucoup de bien dans le Père La Combe, mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l'ai vu [le Père fut arrêté le 3 octobre 1687]. Je ne puis croire ce qu'on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n'en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu'où va la malice. Ne m'accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? A ceux qui me voient ici on dit que c'est des crimes du temps passé, à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d'à présent. Dieu sur tout. » Lettre à la petite duchesse, 3 mai 1698.

972 Aveu de la fidélité et de la solidité du prisonnier.

973 Il m’alléguait.

974 De grande portée. (Utile lors de la confrontation pour provoquer un coup de théâtre ; par ailleurs il était difficile d’accuser un archevêque de mensonge – dont il n’était pas forcément coupable, la lettre pouvant lui avoir été remise entre ses mains innocentes…)

975 supporter (porter sa croix).

976 Il s'agit donc d'une nouvelle saisie des papiers de Mme Guyon.

977 Les dernières lettres qui nous sont parvenues de Vaugirard sont des instructions intéressant la vie intérieure : « Pour vos défauts, quoique M de Cambrai vous en reprenne avec âpreté et humeur comme c’est là sa manière, ne laissez pas de les croire en vous, mais ne vous en tourmentez pas pour cela … Ne laissez pas d’en porter l’humiliation en paix. Ne souhaitons jamais qu’on nous croie meilleur que nous ne sommes. Pour la lumière présente qui nous est donnée, lorsqu’elle vous porte à quelque chose de bon de soi ou qui va contre votre naturel, suivez-la sans examen, car ces sortes de lumières et de grâces perdent lorsqu’on veut les examiner. Allez simplement. Plus vous irez simplement, plus vous irez bien … Lorsque Dieu s’est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j’ai toujours cru qu’il l’accordait à l’humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi, car j’ai vu que ceux qui n’étaient pas disposés ne l’avaient pas. Si Jésus-Christ a voulu cette disposition en ceux qui l’approchaient, combien plus doit-elle être en nous ! Car il avait le pouvoir suprême en lui-même. Lettre de septembre 1697 « Pour nous, ma très ch(ère) avec laquelle j’ai tant d’union, il faut que vous soyez un ver de terre que chacun foule aux pieds, et c’est par là que vous deviendrez conforme à notre cher et divin petit Maître. Ne soyons rien afin qu’il soit tout, mais rien devant lui, devant les yeux des hommes, et à nos propres yeux. » Autre lettre de septembre 1697 : « Il faut vouloir le plus parfait pour vous, mais supporter les autres dans leurs faiblesses et imperfections. Il vaut mieux les tenir liés par un fil que de les laisser échapper tout à fait. Ma consolation est que dès qu’on goûte l’amour-propre, on cesse de me goûter. » Lettre à la même, novembre 1697.

978 Pontchartrain à M. de Noailles, archevêque de Paris, 31 mai 1698 : “Je vous envoie des ordres pour faire conduire Madame Guyon, avec une de ses deux servantes, à la Bastille, et l’autre à Vincennes … de mettre la maîtresse et sa servante dans des chambres séparées.” Ravaisson, IX, p.65 ; « Du mercredi 4 juin [1698], à dix heures du matin, M. Desgrez a mené ici une prisonnière, Madame Guyon, sans aucune fille avec elle, l"ayant amenée d"une communauté des environs de Paris, laquelle j"ai reçue et mise seule dans la deuxième chambre de la tour du Trésor, M. Desgrez lui ayant fait porter deux charretées de meubles. Du dimanche soir 8, j'"ai donné une femme de chambre à Madame Guyon, par l'approbation de M. l'archevêque de Paris, en ayant reçu l"ordre de la cour. » Journal de M. Du Junca, Ravaisson, IX, p.67.

979 Le 4 juin 1698.

980 Madame Guyon écrira des poèmes qui seront édités sous le titre : L’âme amante de son Dieu représentés dans les emblèmes de Hermannus Hugo et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin.

981 En équilibre.

982 « René de Voyer d'Argenson (1652-1721) avait succédé à La Reynie dans la fonction de lieutenant-général de police. Saint-Simon dit de lui : « Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s'égayait de tout avec supériorité d'esprit. (Il avait) un discernement exquis pour appesantir et alléger sa main, penchant toujours aux partis les plus doux, avec l'art de faire trembler les plus innocents devant lui. » C'est bien ainsi que Mme Guyon le dépeint. GONDAL, Marie-Louise, Madame Guyon, Récits de captivité…, op. cit., note 5 – G. DETHAN, Paris au temps de Louis XIV 1660-1715, Hachette, 1990, p. 130 à 136 le décrit par contre favorablement comme une « curieuse et attachante figure ». Mais la gravure en pleine page 132 de son livre confirmerait au physique le portrait d’un juge des enfers ! Son action fut efficace et il apparaît comme un bon administrateur, sensible à la misère du peuple, modéré dans l"application de l"édit de Nantes comme dans la recherche des livres défendus, ce qui lui vaut la réprimande de Pontchartrain : « Vous n’avez pas encore fait une grande découverte d’en avoir saisi douze exemplaires [des Nouvelles lettres sur le Quiétisme de Fénelon] pendant qu’on les distribue par milliers »…

983 D’Argenson.

984 Pontchartrain à M. de Saint-Mars, 3 avril 1699 : « Pour Madame de Vaux [Marie de Lavau, ou Devaux, « Manon autrement [appelée] Famille »], il est inutile qu"elle la voie de près ni de loin. » Ravaisson, IX p.90.

985 Du même au même, le 30 décembre 1699 : « Le roi a accordé 900 livres de gratification à la fille qui sert Madame Guyon ; l"intention de S.M. n"est point de retenir cette fille de force, elle pourra sortir quand il lui plaira. » Ravaisson, IX, p.92.

986 C'est-à-dire la prison.

987 Indication portée entre parenthèses dans la copie.

988 Ps 35, 13.

989 C'est-à-dire présenté à nouveau.

990 Allusion à certains alumbrados.

991 Coiffure.

992 Etant jeune, on doit sans doute comprendre : « pensionnaire dans une maison religieuse. »

993 Emploi régulier du conditionnel potentiel.

994 Retour à la simplicité par mortification.

995 Casse : purgatif, mot utilisé par Molière.

996 La suite de ce paragraphe constitue une addition placée par le copiste à la page [187] du manuscrit (à la suite de : « ils ont passé par le feu et par l"eau »).

997 Pontchartrain à M. d’Argenson, 15 octobre 1700 : “M. le Cardinal de Noailles ayant dit au roi que le prêtre de Franche-Comté [François Davant] qui était venu à Paris pour l’affaire du quiétisme, le voyant partir pour Rome [le pape était mort et les cardinaux venaient de partir pour entrer en conclave], était dans la volonté de s’en retourner chez lui, S. M. m’a ordonné de vous écrire … de le confronter à Madame Guyon pour acquérir la preuve des choses…” ; Nous avons trouvé de Davant, la “Jérusalem Céleste”, B.N.F. ms. Fr. 13 925, très long texte calligraphié avec un soin remarquable mais maniaque, dont le contenu est ésotérique et symbolique ; il est difficile d’y percevoir quelque orientation d’ensemble. Il est précédé d’une lettre du 23 mars 1698 de La Reynie qui associe à son nom celui de Mme Guyon.

998 Désavouerais.

999 Quelque.

1000 C'est-à-dire « le champ libre ».

1001 Des noms de lieux sont, ici, mal compris par les détracteurs. Serait-ce les Echelles en Savoie ? ou bien : Echets pour échecs (v. Glossaire).

1002 Jeu de patience traditionnel qui se joue avec des bâtonnets.

1003 « En date du 20 juillet 1700 : « pour les abominations qu'on regardait comme les suites de ces principes, il n'en fut jamais question, et cette personne (Mme Guyon) en témoignait de l'horreur.» Il semble que l'on ait pensé, malgré cela, que le procès n'était pas fini puisque le procès-verbal de cette assemblée mentionne la confrontation (les 15 et 20 octobre 1700) de Mme Guyon avec « un prêtre accusé de quiétisme », sans en dire d'ailleurs le résultat ! Il semble, en revanche, que personne n'ait estimé nécessaire de redresser le tort public fait à Mme Guyon...» GONDAL, Marie-Louise, Madame Guyon, Récits de captivité…, op. cit., note 12.

1004 J’aurais.

1005 D’après le Ps 66, 12.

1006 Ici le copiste avait placé deux ajouts de Madame Guyon, comme le signale Madame Gondal ; nous avons replacé dans son contexte évident, à la page 000 correspondant à [169] du manuscrit, le premier court ajout. Le déplacement du suivant, qui est long - il s’agit du prochain paragraphe : « La peine … justice ? » - serait arbitraire.

1007 « Mme de Bernaville (?) épouse du commandant de la Bastille.

1008 Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Etude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance] -- L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.

1009 Avant qu’une dépression ne l’envahisse, contre laquelle luttait déjà sa correspondante ; quand on connaît le traitement administré à la dame relativement protégée par sa célébrité et par son origine, par un passé proche où elle faisait partie des petits dîners de Mme de Maintenon, on imagine facilement, parmi des causes probables de dépression ou peut-être de folie, le traitement extrême administré à un prêtre obscur abandonné par son ordre.

1010 Le faussaire Gautier. Le couple est connu du père La Mothe (Vie, 3.3.9), actif ensuite (Vie, 3.5.13).

1011Vie, 3.3.5. – Le pauvre barnabite âgé alors de quarante-sept ans passera de prison en prison : la Bastille, l’île d’Oléron, l’île de Ré, la citadelle d’Amiens ; à quarante-neuf ans il est à Lourdes. Il sera transféré à Vincennes, âgé de cinquante-huit ans, à l’époque de la préparation des interrogatoires de sa dirigée ; il mourra le 29 juin 1715 à Charenton, atteint de folie ou bien sénile, on ne sait, à l’âge de soixante-quinze ans. Nous donnons infra la seule pièce qui témoigne de cette triste fin.

1012Vie, 3.4. - Une lettre de cachet était libellée comme suit : « Monsieur le Gouverneur, envoyant en mon château de la Bastille le sieur X... mon intention est que vous ayez à l’y recevoir et retenir en toute sûreté, jusqu’à nouvel ordre de moi... ». Suivaient la signature du roi et le contreseing du ministre. Il n’y avait pas besoin de « raison » autre que la volonté royale mais elle seule avait ce privilège.

1013 Molinos fut longtemps considéré comme moralement fautif et par voie de conséquence sa Guide fut négligée. L’approche au niveau des mœurs s’explique dautant plus que les propositions touchant à la doctrine et retenues dans le bref de condamnation de 1687 ne s’y retrouvent pas (Pacho, Dict. Spir. 12.2789/805, & J.-I. Tellechea Idigoras, éditeur de la Guia espiritual, 1976).

1014 Les travaux de Bremond, Gouhier, Goré, Le Brun, etc., explorent et complètent le massif enfoui dans les trois premiers volumes de l’édition de référence des Œuvres de Fénelon (Gaume, 1850-1852).

1015 CG II, pièce 504, « mémoire sur le quiétisme ».

1016 Jacques Bertot (1620-1681), confesseur du couvent des bénédictines de Caen fondé par la sœur de M. de Bernières, puis confesseur du couvent de Montmartre à Paris. Son rayonnement déborda sur un cercle laïc qui fut animé ensuite par Mme Guyon. Nous avons publié un choix de ses œuvres.

1017La liste descriptive des pièces figurant dans ce ms. 5250 est donné par Griselle dans la Revue Fénelon [Griselle RF] pages 58 à 66 : il reproduit exactement la première pièce du dossier qui est une table des matières de l’ensemble.

Au f°84, la 30e pièce (que nous n’aurons pas l’occasion de citer) contient un intéressant témoignage sur la communication silencieuse : « ...Quelques-uns [des quiétistes italiens] avaient dit qu’ils se communiquaient réciproquement, dans leur secte, la grâce, en appliquant l’un à l’autre la région du cœur et à nu. » [accompagné d’une annotation marginale, probablement en vue de préparer les interrogatoires : « Rapport au sentiment de Mme Guyon qui communique la grâce dont elle est remplie, en se tenant en silence auprès d’elle. »] On touche ici au cœur du problème posé par les affirmations de cette dernière, même s’il n’est que rarement évoqué, par suite de son caractère assez incroyable, dans l’immense littérature née de la querelle. Nous avons pris le risque d’ouvrir le volume sur ce point incontournable qui demeure à la base d’une gêne (car il faut prendre parti pour ou contre une telle possibilité), même chez des sympathisants.

Suit un long mémoire de La Reynie juqu’au f°126 (nous avons cité la lettre du 22 janvier 1696). Au f°130 commencent les comptes rendus des neuf interrogatoires qui eurent lieu à Vincennes.

Suivent ensuite des interrogatoires concernant l’abbé Couturier et la dame Pescherard.

La cinquième liasse contient au f°214 un petit paquet de cheveux (tresses de cheveux, dont il est fait mention dans la lettre à M. de Pontchartrain le 29 de janvier 1696) et 12 pièces : au f°216, une liste d’écrits avec quelques extraits de lettres, des papiers de la 2e cassette sans serrure qui a été trouvée sous le lit, enfin une liste de livres dont le Don Quichotte, Molière…


1018 Reproduites ici, incomplètes : on les retrouvera complètes infra dans le dossier des lettres de Lacombe.

1019 Ce terme fort convient au manque de précaution prise en une époque fort policée pour des lettres écrites de prison, même si le canal de transmission paraissait sûr à l’auteur. Il le fut, mais tel n’était pas le cas de la situation d’une destinataire recherchée par toutes les polices du Royaume. Le style emphatique utilisé, en partie imputable aux italianismes de La Combe, est également douteux, tout particulièrement aux yeux d’un enquêteur froid, peu habitué aux excès de fidèles confondant quelque peu la grâce avec son porteur, et tout dévoué à la recherche de sectes attentant à la sécurité de l’État (même s’il ne prend pas au sérieux la secte attribuée à la répondante).

1020 S’ajouteront : « la petite société », les « Égyptiens qui cherchent les petits premiers-nés des Israélites, pour les submerger » (Lasherous, lettre suivante), la critique des jansénistes et tout particulièrement de Nicole (troisième lettre), la redoutable « augmentation de notre église » par la rencontre de trois religieuses…

1021 Ecrit sans majuscule dans l’original ! Ce surnom d’une fille au service de Mme Guyon, Marie de Lavau, occasionnera des difficultés lors des interrogatoires qui ne seront levées que tardivement lorsque la nature de surnom sera enfin explicitée.

1022 Prêtre et aumônier du château de Lourdes (Lettre de La Reynie du 22 janvier 1696).

1023 CG II, 348.

1024 CG II, 356.

1025 CG II, 346 : Lettre à Chevreuse du 4 octobre 1695 : « …Il semble que Dieu ait étendu le règne de l’ennemi. J’ai pensé mourir. Je suis mieux, quoiqu’avec un rhumatisme et la fièvre. J’ai souffert des maux inexplicables depuis quinze jours. » Mais les lettres suivantes du même mois font seulement allusion à une fièvre et à des rhumatismes. L’épisode du vin empoisonné est postérieur (v. son récit dans la lettre 413 à la « petite duchesse » de juillet 1697). Il pourrait par contre s’agir d’une première tentative d’empoisonnement, que l’on peut supposer connue avec beaucoup de retard à Lourdes, rapportée en Vie, 3.11.9, variante Poiret, que Cognet, Crépuscule, p. 225, note 2, situe vers mai-juin 1694. Il y aura enfin, à la Bastille, la proposition d’un opiat empoisonné, rapporté en Vie, 4.7 (« Je le montrai au médecin qui me dit à l’oreille de n’en point prendre »). Certaines des craintes de Mme Guyon étaient peut-être infondées, compte tenu de la fréquence des empoisonnements naturels.

1026 Une épine de plus pour les interrogatoires de Mme Guyon : « M. de la Reynie ne me fut contraire que lorsqu’il eut vu cet endroit : « Les jansénistes sont sur le pinacle, ils ne gardent plus de mesure avec moi », (CG II, lettre 389 à la petite duchesse de mars 1697).

1027 Le Nouveau Testament … avec des explications…, tome VIII, 1713.

1028 Les livres de l’Ancien Testament avec des explications… , tomes I et II, 1714.

1029 Réfutation des principales erreurs des quiétistes…, Paris, 1695.

1030 CG II, 361, Lettre dont la fin bizarre dût rendre la Reynie perplexe. Elle est regroupée avec la suivante de Jeannette Pagère dans la copie qui nous en a été faite, B.N.F. ms. 5250.

1031 CG II, 361 du 7 décembre 1695 – La partie longue issue de La Combe qui précède cette lettre issue de Jeannette ne fut pas saisie (la copie qui nous est parvenue regroupe probablement les deux lettres).

1032 Vie, 1.4.

1033 René de Voyer d'Argenson (1652-1721) avait succédé à La Reynie en janvier 1697 dans la fonction de lieutenant-général de police : « Mardi 22 [janvier 1697], à Versailles. - M. de la Reinie vend sa charge de lieutenant de police de Paris 50,000 écus ; c'est M. d'Argenson, le maître des requêtes, qui l'achète, et le roi lui donne un brevet de retenue de 100,000 francs. » (Journal de Dangeau). Saint-Simon dit de lui : « Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s'égayait de tout avec supériorité d'esprit. (Il avait) un discernement exquis pour appesantir et alléger sa main, penchant toujours aux partis les plus doux, avec l'art de faire trembler les plus innocents devant lui. » – G. Dethan, dans Paris au temps de Louis XIV 1660-1715, Hachette, 1990, p. 130 à 136, le décrit favorablement comme une « curieuse et attachante figure ». La gravure en pleine page 132 confirmerait au physique ce portrait de juge des enfers ! Mais son action fut efficace et il apparaît comme un bon administrateur, sensible à la misère du peuple, modéré dans l"application de l’édit de Nantes comme dans la recherche des livres défendus, ce qui lui vaut la réprimande de Pontchartrain : « Vous n’avez pas encore fait une grande découverte d’en avoir saisi douze exemplaires [des Nouvelles lettres sur le Quiétisme de Fénelon] pendant qu’on les distribue par milliers. »

1034 Si l’on peut croire Hillairet, l’auteur du Dictionnaire historique des rues de Paris, Les Editions de Minuit, 1963, 2 vol.

1035 Des extraits des lettres de La Combe et Lasherous ont été données partiellement précédemment (première saisie et seconde saisie datée du 11 novembre), CG II, 348 & 356, ainsi qu’un extrait de celle de La Combe (non encore saisie !) datée du 7 décembre, enfin le texte de celle de Jeannette (troisième lettre saisie), ces deux dernières lettres regroupées par le copiste, CG II, 361. 

1036 Le contact ne fut jamais rompu entre Mme Guyon et La Combe pendant les premières années d’enfermement de ce dernier : elle lui envoyait régulièrement secours et argent.

1037 « Aagéé ». Nous adoptons l’orthographe actuelle et modifions éventuellement la ponctuation.

1038 Il s’agit des lettres dont nous avons donné de larges extraits, sous-section : « Première lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre », commençant par : « Ce 10 octobre. Je n'ai reçu la vôtre du 22e du mois passé que le 8 du présent » et, sous-section : « Deuxième lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 11 novembre », commençant par : « Ce 11 novembre. Je reçois la vôtre du 28 octobre à laquelle je réponds le même jour. » La troisième lettre, arrivée après la saisie de Mme Guyon, n’est pas encore connue de La Reynie.

1039 Lettre inconnue. Mme Guyon écrivait à la « petite duchesse en septembre : « Mandez-moi ce qu’il y avait dans le paquet de lettres qui a été perdu. Ce ne sont point les industries humaines qui me sauveront, mais la volonté de Dieu. Je suis sûre qu’on ne dit tout cela à M. de Ch[evreuse] que parce qu’on croit qu’il me le peut faire savoir. Je crains de la friponnerie sur le paquet, et ce n’est pas sans sujet que je le crains. » (CG II, 340.)

1040 Ecrit : « bareige », ville d’eau déjà courue à l’époque. Le marquis de Fénelon, « le boiteux » apprécié de Mme Guyon, s’y rendra en en 1714 pour soigner une blessure reçue en 1711, accompagné de « Panta », l’abbé Pantaléon de Beaumont neveu de Fénelon. Ils s’arrêteront à Blois visiter la vieille dame.

1041 Dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre reproduite précédemment. « Les colonnes de la petite Église » reviennent sept fois dans les interrogatoires.

1042 Ce que nous donnons entre guillemets est souligné dans le procès-verbal.

1043 singulièrement, celle de l'étroite confidence soulignés.

1044 Avant-dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre.

1045 A défaut de la lettre ancienne de Jeannette et de sa réponse, nous avons ce que rapporte La Combe sur elle et les autres membres du cercle de Lourdes : « La chère sœur Septa [Jeannette ?] souffre des maux de corps inconcevables avec un profond et sec délaissement intérieur. Elle est fidèle à l'abandon. Elle vous salue et embrasse de tout son cœur. Sur ce que je lui fais part de quelques-unes de vos nouvelles, elle en estime et goûte encore plus votre état » (CG II, Lettre 128 de La Combe du 16 novembre 1693). « Les enfants de Dieu dans ce lieu-ci sont constants dans leurs voies. Tous ceux qui ont ouï parler de vous vous honorent et vous aiment. Le principal ami [probablement l’aumônier de la prison Lasherous] ne se lasse point de me continuer ses charités et ses libéralités. Le jeune ecclésiastique comprend toujours mieux les voies de Dieu. Jeannette ne vit presque plus que de l'esprit, son corps étant consumé par des maux si longs et si cruels. Elle vous aime et vous est unie au-delà de ce qu'ou peut en exprimer, vous goûtant et vous estimant d'autant plus que plus on vous décrie et vous déchire. Elle vous salue et embrasse en Notre Seigneur, avec toute la cordialité dont elle est capable. Nous n'attendons que l'heure que Dieu nous l'enlève. Elle a une compagne et confidente, entre autres qui est d'une simplicité et candeur admirable. Pour moi, je vous suis acquis plus que jamais. (CG II, Lettre 283 du 12 mai 1695).

1046 Fin de l’avant dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre.

1047 Bourbon-l’Archambault, petite ville d’eau située près de Moulins, très fréquentée au XVIIe siècle, pratiquée par Mme Guyon fréquemment : « L’eau de ses bains ou puits est claire, limpide et si chaude qu’on n’y peut tenir la main. [...] Au-dessus du couvent des capucins est une belle promenade, qui consiste en trois allées, l’une au-dessus de l’autre, pratiquées dans un terrain ...[donné] aux capucins à condition d’en tenir la porte ouverte pour la commodité publique. » (Expilly, Dictionnaire). Mme Guyon s’y promenait probablement. Les traitements concernent la rhumatologie (polyarthrite, arthroses) et la gynécologie (infections chroniques).

1048 Mme Guyon ne nie pas son accord sur le projet d’aller visiter La Combe et son cercle spirituel : et pourquoi n’en aurait-elle pas eu le droit ? Mais cela ne put avoir lieu puisque l’on voulait l’incarcérer - sans raison établie. La signature du Roi au bas d’une lettre de cachet n’en requiert pas non plus : aussi les interrogatoires doivent en établir une, si possible plus compromettante que de s’être cachée. Toutefois clandestinité est présomption d'illégalité, raison déjà suffisante pour faire courir le bruit d’une “fuite” de la Visitation de Meaux.

1049 Réfutation des principales erreurs des Quiétistes contenues dans les livres censurez par l'Ordonnance de Mgr l'Archevêque de Paris, du 16. Octobre 1694, Paris, Desprez, 1695. - L’Ordonnance citait de nombreux passages du Moyen court. Voir notre édition de ce dernier texte avec relevé des passages cités dans : Guyon, Œuvres mystiques.

1050 CG II, 508. (B.N.F., nouv. acq. fr. 5250, f°21-23). La lettre évoque les « deux dernières lettres » de La Combe (la troisième n’est pas encore arrivée au domicile où fut opéré la saisie) et La Reynie doit revoir « demain » Mme Guyon qui « a pris ces trois derniers jours pour faire des remèdes » - ce qui a bien lieu : le troisième interrogatoire du 23 janvier succèdera au second du 19 janvier.

1051 La Combe a réussi à attirer la sympathie et, au-delà, à former un cercle spirituel dans les conditions les plus difficiles.

1052 « petite Église » et « étroite confidence » largement évoqués (et soulignés) dans les comptes rendus.

1053 Aurait-elle l’intention de passer de l’autre côté des Pyrénées comme elle savait passer les Alpes ? Lourdes est proche de l’ennemi espagnol…

1054 Secte dangereuse, bien représentée par le capable La Combe, si elle peut embrigader aumônier et commandant d’une prison du Roi !

1055 Ms.5250, f° 21-22 [30-33], copie. En marge, du même copiste, à fin de reconnaissance rapide : « Mme Guyon / père de la Combe / De la Sherous / Jeannette. – Les deux premiers interrogatoires sont envoyés en même temps à Pontchartrain : « Ce 26 janvier 1696. Monsieur / Je vous envoie les deux interrogatoires de Mme Guyon, qu’elle a prêtée sur les deux lettres du p. de la Combe, et je joins à ces interrogatoires, des copies de ces deux lettres écrites par le père de La Combe à Mme Guyon […illis.] important de voir ces quatre pièces parce que la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire sur ce sujet ne peut vous avoir donné qu’une idée très imparfaite de ce que ces quatre pièces contiennent. / J’ai interrogé aujourd’hui Mme Guyon sur un autre sujet et après-demain samedi je continuerai de l’interroger. Je suis etc. » (f° 23 [34]).

1056 Ms.5250, f°277 et suivants.

1057 L’archevêque de Paris, Harlay, mécontent d’avoir été mis à l’écart des premières conversations d’Issy, prend les devants dès le 16 octobre 1694. Le mandement censure trois livres : l’Analysis orationis Mentalis du P. La Combe, le Moyen court et Le Cantique. Il condamne « l'idée chimérique... de faire parvenir les âmes à la perfection... jusqu'à rendre ridiculement la contemplation commune à tout le monde même aux enfants de quatre ans », ce qui « donne atteinte à des vérités essentielles de la Religion ... Par l’extinction de la liberté dans les contemplatifs, en qui elle ne reconnaît qu’un consentement passif aux mouvements que Dieu produit en eux... Par la persuasion illusoire qu’elle établit d’un affranchissement de toute règle et de tout moyen, de tout exercice de piété, etc. et d’un bonheur qu’elle suppose dans l’oubli des péchés... Par l’assurance imaginaire qu’elle insinue qu’on possède Dieu dès cette vie en lui-même et sans aucun milieu, qu’on l’y connaît sans espèces même intellectuelles...» Enfin il achève par ce qui apparaît comme le plus condamnable : « les auteurs y déclarent ... une fécondité qui met par état dans la vie apostolique ». La censure publiée est « lue dans toutes les communautés » le dimanche 24 octobre.

1058 “qu’étant […] treizième” souligné.

1059 « servante […] entreprise » souligné.

1060 Faiblesse et renvoi sur « ceux qui l’ont écrit » ? Peut-être l’impossibilité d’expliquer à La Reynie (« pour lui, Mme Guyon est une illuminée, rien de plus ») une maternité mystique par ailleurs souvent développée dans ses écrits ; elle sera plus tard appelée « notre mère » par les disciples (avec « notre père » Fénelon).

1061 orthographe variable ici en “Jannette”, parfois en “Jeannette » (que nous retenons).

1062 Mot de lecture incertaine.

1063 « Que Dieu […] en elle-même » souligné.

1064 On voit mal comment La Combe aurait pu rendre ce portrait “à Passy” - s’il s’agit du pied-à-terre parisien acquis lors des « années tranquilles » où Mme Guyon réside surtout à Vaux auprès de sa fille mariée très jeune. Il peut s’agir plus probablement d’une rencontre antérieure au 3 octobre 1687, date de son emprisonnement.

1065 « pour moi […] personne »  souligné.

1066 Il s’agit peut-être de la soeur de famille (Marie de Lavau).

1067 Nous n’avons pas de témoignage direct sur cet événement mais sur un plus récent : « C'était un poison fort violent qu'on m'avait donné. On avait gagné un laquais pour cela. […] Lorsque je fus à Bourbon, l'eau que je vomissais brûlait comme de l'esprit de vin. Comme je ne m'occupe guère de moi, je ne pensais pas qu'on m'eût empoisonnée si les médecins de Bourbon ayant fait jeter au feu l'eau que j'avais vomie, ne m'en eussent assurée. » (Vie, 3.11.9, variante Poiret, p. 778 de notre éd.). Mme Guyon prendra les eaux à Bourbon l’Archambault à partir de juin. La lettre CG II - 224, adressée peu de temps après à Chevreuse les 3 ou le 4 mars 1694 commence par : « Je ne puis plus écrire : l’on m’a mal soignée. »

1068 « O Dieu […] dessein » souligné.

1069 Témoignage de la répondante : « Il n’y avait rien que de très édifiant dans les lettres du P[ère] L[a] C[ombe] : il m’invitait à aller aux eaux qui sont près de lui ; ensuite, après avoir témoigné la joie qu’il aurait de me voir, il ajoutait qu’il ne serait pas fâché de voir Famille ; ce mot leur avait paru un mystère exécrable et digne du feu, mais lorsqu’ils surent, par les preuves que je leur en donnai, que c’était le nom de ma femme de chambre, ils furent étonnés. Et c’est cela seul qui avait fait dire que c’était des lettres effroyables. Toutes les peines qu’on m’a faites n’ont roulé que sur ce mot : «  La petite Église d’ici vous salue, illustre persécutée ». J’avais plus de peine de la peine que vous pouviez avoir que de ce que je souffrais. » (CG II, lettre 389 de mars 1697).

1070 Publié par la suite : Les livres de l'Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Preface. Vincenti. A Cologne [Amsterdam] chez Jean de la Pierre, 12 tomes, 1715 , dont : Le livre de Job avec... Tome VII... 1714. « Préface sur Job » p. 3-7. Job p. 8-288. Table p. 289-307. Errata p. 308.

1071 Reigle de perfection contenant un abrégé de toute la vie psirituelle réduite à ce seul poinct de la Volonté de Dieu... composée par le P. Benoist Anglois, de Canfeld en Essex, Prédicateur Capucin, Chastellain, Paris, 1610 (suivi de nombreuses rééd.). – Ouvrage majeur de grande influence sur les mystiques du siècle.

1072 Marie de Lavau, encore surnommée « famille », cause du malentendu gênant.

1073 « il marqua […] présentait » souligné.

1074 La main de Marc dut être bien fatiguée : nous connaissons les justifications, soumissions et protestations suivantes : CG II, pièce 476 Justification 1694 (?) ; 479 à Bossuet (Soumission), octobre 1694 ; 483 Réponses aux examinateurs, 6 décembre 1694 ; 485 Protestation en forme de testament, 15 avril 1695 ; 486 Soumission "A", 15 avril ; 487 Déclaration, 15 avril ; 490 Soumission "B", 1er juillet 1695 ; 494 Protestation, 1695 (?) ; 495 Soumission, 28 août 1696…

1075 « le père Chaupignon » souligné. Inconnu pour nous.

1076 Mgr Jean d'Arenthon d’Alex, né en 1620 au château d'Alex, était depuis 1660 évêque de Genève, mais siégeait à Annecy. Dans la région de Gex, peuplé de calvinistes, il fit détruire leurs temples. Il mourut en 1695. 

1077 « un grand amour […] folle » souligné.

1078 « même par la distribution […] soin » souligné.

1079 Nous introduisons quelques paragraphes dans cette très longue déposition continue…

1080 « qu’elle communiqua […] répondante » souligné.

1081 Vie, 2.3.6.

1082 « qui était le père de la Combe […] barnabite » souligné.

1083 Vie, 2.5.4.

1084 « dans un couvent des ursulines de Tonon [Thonon] » souligné.

1085 « répondante fut obligée […] quatre » souligné. Tout ceci est explicité dans la Vie.

1086 « le père de la Combe […] Genève » souligné.

1087 «  ledit ecclésiastique […] sujet » souligné. Voir Vie, 2.6.

1088 Plutôt deux années : de septembre 1681à l’été 1683, où elle va vivre quelques mois très heureux dans une petite maison près du lac avec sa fille, avant de partir à Turin (premier de deux séjours en Italie, totalisant largement une année).

1089 « le père de la Combe […] ursuline » souligné. La Reynie repère les passages importants en particulier ceux où se retrouvent le « couple » Guyon-La Combe.

1090 « que cependant monsieur de Genève […] et le «  souligné

1091 « Madame de Savoie […] fit » souligné pour les membres de phrase importants.

1092 Sur toute cette période complexe résumée ici sans respiration du texte (hors nos paragraphes), que l’on ne peut annoter sans grossir démesurément les notes, on se reportera à la Vie, 2e partie, aux études d’Orcibal et à nos éditions. Un témoignage suffira : CG II, Lettre 233 de la marquise de Prunay en réponse à Fénelon, du 6 novembre 1694 : “A mi ritorno qui in Cortemiglia… [en note (de l'écriture de Dupuy) : " lettre de Mad. la marquise de Prunay, sœur je croy de M. le m[arquis] de saint Thomas, premier ministre de S.A.R. Mgr le duc de Savoye au sujet de Mme G[uyon]. "] : À mon retour ici à Cortemiglia, et pour satisfaire à vos ordres, j'ai pris, dans un entretien particulier avec ma mère, des renseignements sur les qualités de Mme Guyon. Elle m'a dit qu'elle n'en pouvait donner que de favorables, et que, pendant tout le temps qu'ont duré ses relations avec ladite Dame, elle l'a connue pour une personne d'une grande vertu, charitable, humble, sans aucun fiel, pénétrée d'un saint mépris pour le monde, pieuse et exemplaire […]

1093 Marie-Jeanne-Baptiste, 1644-1724, fille du duc de Nemours, seconde épouse et veuve de Charles-Emmanuel II de Savoie, mère du duc Victor-Amédée II, duc de Savoie à l’époque de Mme Guyon.

1094 « désiré […] l’évêque de Verceil » souligné. – Il s’agit de Vittorio Augustin Ripa, (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse. La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata. Ripa avait séjourné à Jesi, où Petrucci était évêque avant de devenir cardinal respecté : on trouve ainsi un lien entre quiétistes italiens et français sous la forme de cette collaboration trilingue. – voir infra dans le présent volume notice sur Ripa.

1095 « d’aller à Verceil […] parlé » souligné.

1096 Marquise de Prunai, Vie, 2.25.3, « Il ne se peut rien de plus cordial que ce qui se passa entre nous avec bien de l’ouverture.»

1097 « …Cet homme de qualité lui envoya un petit livre d’oraison intitulé Moyen court et imprimé à Grenoble. Ce chevalier [« de Malte très dévot »], si homme de bien, avait un aumônier fort opposé à l'intérieur. Il prit ce livre, il le condamna d'abord, et alla soulever une partie de la ville, entre autres soixante et douze personnes, qui se disent ouvertement les soixante et douze disciples de M. de Saint-Cyran [jansénistes]… » Vie, 2.23.3. – « et dans ce paquet […] Moyen court », « Chevalier […] Ciran » soulignés.

1098 « et parce qu’en ce même temps le Général […] voiture », « qu’elle partit de Lyon […] voiture, deux long passages soulignés.

1099 « Je revins à Grenoble prendre ma fille pour m'en retourner à Paris. Le père Lacombe qui avait reçu un ordre du père vicaire général de m'accompagner jusqu'à Paris et qui était allé en Savoie un mois avant que je partisse de Verceil, me vint joindre à Grenoble. Nous prîmes la voiture publique. Je fus accompagnée pendant tout le voyage d'un vieux gentilhomme de Mâcon, père de madame la m[arquise] de Montpipeau [seigneurie dans l’Orléanais] », CG II, pièce 476, Justification 1694 (?).

1100 Ms.5250, f°224-253.

1101 Respect de la personne assez exceptionnel pour l’époque. Dans d’autres affaires plus sombres, La Reynie n’eut jamais recours à la torture (sauf celle, systématique, imposée après condamnation à mort).

1102 Lecture incertaine de ce brouillon très largement raturé.

1103 Tresses conservées attachés au f° 349 ! La lettre accompagnant ces cheveux serait la lettre CG II, 348, du père Lacombe et de Lasherous, du 10 octobre ; elle est copiée à proximité, au f° 352.

1104 Ms. 5250, f°25-26 [35-37], brouillon autographe de la Reynie avec de très nombreuses ratures.

1105 Gilles Alleaume, né à Saint-Malo en 1641, entra au noviciat le 19 septembre 1658 et fut l’un des deux jésuites chargés, en même temps que La Bruyère, de l’éducation du duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé. Il enseigna les humanités et la rhétorique, et traduisit l’ouvrage Souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ..., du P. Thomas de Jésus, portugais, de l’ordre des Ermites de Saint-Augustin. Suspect de quiétisme, il fut exilé de Paris en 1695. Il mourut à Paris en 1706.

1106 V. les études d’Orcibal sur la période des voyages ; D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Mme Guyon et les Chartreux », Transversalités, n°91, juillet-septembre 2004, 121-149, partiellement repris dans l’annexe sur les mœurs en fin du présent ouvrage – Mme Guyon avait eu trop d’influence sur les femmes chartreuses de Premol, etc. : une saisie du Moyen court fut organisé lors d’une sortie (événement très exceptionnel) de dom Le Masson hors de la Grande Chartreuse.

1107 Coin haut gauche.

1108 « qu’elle explique […] l’a toujours » souligné.

1109 Episodes genevois qui ne figurent pas dans la Vie.

1110 « qu’en Savoye […] elle a été » souligné. L’attention se porte toujours sur les rapports avec La Combe.

1111 Vie, 2.23-24.

1112 « et que de Gênes […] santé » souligné.

1113 « et à l’égard du père de la Combe […] Paris » souligné bien évidemment.

1114 « croit que ce fut quatre ou cinq mois après qu'il y fût arrivé » souligné.

1115 « il en retint […] Verceil » souligné.

1116 Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685. Préface « Apparemment d’un Ami de l’Auteur » reproduite dans l’édition Poiret, Les livres de l’Ancien Testament…, tome X, 1714, p. 114-126, où l’auteur est crédité de la description des « secrètes démarches des Ames en Dieu (118) », où « un ouvrage tout divin … demande un cœur qui se donne parfaitement à Lui sans plus se reprendre… » (préface reprise dans la réédition, Grenoble, Millon, 1992, 193-201, sans attribution d’auteur !).

1117 « et le dit Père de la Combe, voyant […] pensées » long passage souligné.

1118 « a dit […] Morstin », quatre parties de ce paragraphe relatif au père Alleaume soulignées.

1119 Partie soulignée. - Mme Guyon a vécu plusieurs années en Savoie et une année en Piémont.

1120 Tout le paragraphe souligné. - La version catholique de Louvain eut de nombreuses variations (Lyon,1603, etc. Nous n’en avons pas retrouvé une s’approchant plus particulièrement du texte des versets commentés par Mme Guyon ; pour les explications du nouveau Testament l’édition Poiret reprend la version corrigée par Amelote …en la modifiant parfois considérablement).

1121 Vie, 2.21.9 : « J’écrivis le Cantique des Cantiques en un jour et demi… ».

1122 « Père de la Combe » et « Moyen court et facile » soulignés.

1123 « ledit père de la Combe […] livre » souligné.

1124 Paragraphe souligné.

1125 « entièrement écrites de la main du père Alleaume » souligné.

1126 « frère Joseph » et plus bas « est le père Antoine » soulignés.

1127 Pièce écrite, frère Joseph capucin (et plus bas : les filles qui ont soin du temporel des capucines ; sœur Pierrette), abbé Sautreau, père Antoine, …ne sont pas autrement connus. Allusions sans noms propres en Vie, 2.17, « il venait du monde de tous côtés », 2.18.4, sur de « pauvres filles » qui « se donnaient à Dieu de tout leur cœur »,2.18.6, sur le frère quêteur, 2.20, où ce dernier lui dit « vous êtes ma véritable mère », 2.21, où elle guérit ce « bon frère quêteur » devenu son copiste…

1128 « qualité de l'un des enfants d'elle répondante » souligné.

1129 « elle est toute dans son rien » et la réponse « dit que […] spirituelle » soulignés.

1130 « ne nous donnerez vous jamais des nouvelles » souligné.

1131 Couvent où elle allait de bon matin dans sa jeunesse et pendant son mariage, vécus à Montargis, demander conseil à la mère Geneviève Granger, belle figure mystique (description par la mère de Blémur reprise par Bremond).

1132 « a été au couvent des filles […] été » souligné.

1133 Coin gauche haut.

1134 « elle le connaît depuis environ trois ou quatre années » souligné.

1135 Titre souligné (traduction d’une œuvre du P. Thomas de Jésus, portugais).

1136 Début des Explications et réflexions sur l’Ancien Testament par Mme Guyon (celles relatives au Pentateuque couvrent les deux premiers tomes de l’édition Poiret de 1716).

1137 Paragraphe souligné.

1138 « inséré et débité » souligné. Suivent de nombreux soulignements que nous n’indiquons plus lorsqu’ils sont courts, relatifs à la collaboration d’Alleaume.

1139 Il faudra attendre 1716, au sein des Explications… Nos sondages n’ont pas indiqué de modifications de quelque importance entre Lyon, Briançon,1686, et Cologne [Amsterdam], Poiret, 1716.

1140 L’archevêque de Paris, Harlay, mécontent d’avoir été mis à l’écart des premières conversations d’Issy, prend les devants dès le 16 octobre 1694. Il censure trois livres : l’Analysis orationis Mentalis du P. Lacombe, le Moyen court et Le Cantique. Son texte est court. La censure publiée est « lue dans toutes les communautés » le dimanche 24 octobre. (Ce n’est qu’après les « entretiens d’Issy », la rédaction finale du compromis en 34 articles et le départ de Mme Guyon pour Meaux, que Bossuet, maintenant sûr de lui, ouvre le feu : son Ordonnance « sur les états d’oraison »  datée du 16 avril est publiée le 1er mai. Enfin deux autres ordonnances suivront, par Noailles et par Godet des Marais : ce dernier seul s’est donne la peine de citer des passages tirés des œuvres censurées…).

1141 « Voici […] puis » souligné. – Comme précédemment nous omettons ensuite de courts soulignements sur le même sujet.

1142 CG II, pièce 490, Soumission « B », 1er juillet 1695. « …Je me soumets et conforme aux condamnations y portées desdits livres [Moyen court, Cantique]… ».

1143 Elle n’a rien promis dans une Soumission qui s’apparente plutôt à une défense : « …Je n’ai dit ni fait aucune des choses qu’on m’impute… »

1144 Traduit de l’exaspération. Elle a déjà dit « qu’elle n’a rien à dire du tout » ; elle va réitérer : « A dit Qu’elle n’a rien à dire sur ce sujet… ». – « Qu’elle n’a rien à dire » souligné. – On omet les soulignements courts suivants, portant toujours sur l’affaire Alleaume.

1145 « et qu’il était déjà exilé dans le temps » souligné. - Le père jésuite Alleaume fut exilé de Paris la même année 1695.

1146 « dit que non, et quelle entendait la messe ces jours-là » souligné.

1147 « fait savoir au père » souligné. Nous omettons de très nombreux courts soulignements qui suivent.

1148 « nous a cy-devant […] retour » souligné : on quitte l’affaire Alleaume pour aborder les Justifications préparées l’été 1694 avec Fénelon, dont les nombreux cahiers furent communiqués à l’automne à Bossuet, avant les articles d’Issy, les soumissions, etc. Elle en garda sûrement copie partielle. On note que les écrits des pères de l’Eglise furent assemblés par Fénelon tandis que Mme Guyon constitua la masse imposante des écrits des mystiques plus récents, voire « modernes » : Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol.

1149 Les trois derniers paragraphes (donc depuis « A dit qu'elle n'a prétendu justifier… ») sont presque entièrement soulignés !

1150 Souligné depuis la fin du précédent paragraphe « répondante a donnez à lire… ».

1151 Aucune œuvre sous ce titre et de cette composition ne nous est parvenue.

1152 « ladite préface […] raison » début et fin soulignés.

1153 « J M Bouvier et de la Reynie » d’une écriture informe.

1154 Seul le greffier a changé (changement en une main élégante …et lisible). – Nous omettrons les très nombreux soulignements courts qui ne font que résumer le texte. (premiers soulignements : « je reçus hier votre lettre », « cachée à votre cœur », « nommée Bidault », « adressée à Mme »…)

1155 Souci « social » qui n’est pas toujours assumé à l’époque.

1156 Toute la citation soulignée ; et de même pour la suivante.

1157 « Épitre aux petit maître / Mes très chers frères, rapportez tout ce qui vous arrive à la gloire de votre petit maître, réjouissez-vous je vous le dis derechef, réjouissez-vous, soyez simple, enfants joyeux, glorifiant Dieu dans votre faiblesse, ne prévoyant rien, ne désirant rien, préférant la charité à la foi et à l’espérance, car la foi passe, l’espérance passe, mais la charité qui est Dieu, demeure éternellement. / Tiret / Evangile pour les enfants du petit maître. / En ce temps Jésus s’en alla sur une montagne avec ses fidèles et il leur dit, bienheureux les faibles car ils seront remplis de la force de Dieu. / Bienheureux les simples, parce qu’ils sont à moi. / Bienheureux les enfants, parce que le royaume des cieux leur appartient / Bienheureux ceux qui sont anéantis, Celui qui est habitera en eux, n’ayez aucun soin de vous, mais abandonnez-vous à Dieu sans réserve. / C’est lui qui vous a faits et non pas vous. / Enfants des hommes réjouissez-vous, que votre sort est heureux, mon Père et moi seront un avec vous, que voulez-vous davantage. » (Ms. 5250, f°257) .

Plusieurs épîtres circulèrent, telle celle reproduite en CG II, pièce 262 : « Aux enfants du petit Maître. Début 1695 (?) / Mes chers enfants, / Je vous souhaite une bonne année : elle sera toujours bonne, si nous nous renouvelons dans la charité. […] Je leur envoie la bénédiction du petit Maître, je les porte dans mon cœur. ». Toute cette littérature au caractère bon enfant est adaptée aux nombreux humbles membres d’un cercle qui ne comprenait pas seulement des figures faisant partie de « l’élite » de la Cour, comme Chevreuse, Beauvillier, Fénelon.

1158 L’ Evangile pour les enfants du petit maître qui vient d’être cité à la suite de l’épitre.

Epitres, évangiles, etc., font partie d’une production pieuse et simple à vocation enseignante, dont témoigne par exemple le Catéchisme spirituel de la mère Bon, la « petite religieuse fort contrefaite » qui apparut en rêve à Mme Guyon, et notable spirituelle ursuline (1636-1680). Ce Catéchisme spirituel (A.S.-S, ms 2056, f° 660-859) suit immédiatement deux copies des Torrents de Mme Guyon et a peut-être circulé dans les cercles quiétistes : « Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu ? Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’il en donne […] L’inaction ou anéantissement pour l’ordre de Dieu étant la grande porte, c’est ce moyen très parfait lequel donne lieu aux vertus les plus solides parce qu’elles sont toutes spirituelles et épurées de l’amour propre… », etc.

La Reynie avait sous la main deux autres textes qu’il ne semble pas avoir utilisé, comportant d'ailleurs des passages incompréhensibles (par suite d’une copie défectueuse ?) mais intéressants pour montrer l’esprit qui habitait la recluse à Popaincourt ou ses proches :

(Ms. 5250, f°259 :) « Jérusalem. Le Seigneur fera de nous ce qu’il lui plaira, nous sommes prêt de nous en réciproquement consentant et de le mutuellement satisfaire, dégagés de tout et attachés à rien, nous serons par ce moyen morts et vivants d’une mort et d’une vie cachée en Jésus-Christ, en la divinité. / La prudence et la charité nous obligent aujourd’hui à une vie cachée et recluse, pour rendre la gloire éternelle et divine en silence et à petit bruit ; au commencement de notre vocation, nous éclations en public, et nous faisons aujourd’hui tout au contraire, mais nous n’avançons pas moins les affaires de notre divin Maître. / Tiret / Divine Marie, dépositaire du secret éternel, faites jouer les machines qui sont en votre disposition, pour clarifier la nouvelle alliance. / Pour notre égard nous n’avons qu’à nous y soumettre et à nous y résigner en restant dans une sainte indifférence, et une parfaite désappropriation, nous en sommes aussi dans un tel dépouillement, qu’il ne s’en peut pas voir de semblable. C’est aussi vous qui le formez Vierge sainte ou pour mieux dire le saint Esprit concentré dans votre cœur. / Continuez de nous désapproprier de toutes choses s’il vous plaît Seigneur avec un plus abstrait dégagement, à dessein que nous ne fassions rien qu’avec une souveraine perfection [f°259v°] cela n’empêche pas que nous ne vous priions avec des clameurs qui ne peuvent s’exprimer, de clarifier le renouvellement intérieur et la nouvelle alliance, afin de mettre l’agneau sur le trône et Jérusalem en assomption. »

1159 Epistola sancti michaelis archangeli ad michelinos / Fratres carissimi quid quid eveniet ad gloriam dominiculi nostri redundabit ideo gaudete iterum dico gaudete, estate simplices, infantuli, hilares, nihil providentes, nihil cupientes, fidei ac spei charitatem anteponentes, praeterit enim fides praeterit spes, charitas autem quae Deus est manet in aeternum. (Ms. 5250, f°258).

1160 Citation soulignée, déjà utilisée lors du troisième interrrogatoire.

1161 CG II, 491. Attestation de M. de Meaux, pièce « C », 1er juillet 1695, & 492, pièce «  D ».

1162 Cf. CG II, 485. Protestation en forme de Testament, 15 avril 1695 : « …condamnant de tout mon cœur les mauvaises expressions que mon ignorance m’y a fait mettre… ».

1163 « Qu’elle est bien assurée […] La Combe » souligné (suit de nombreux brefs soulignements portés sous toutes les lignes du même paragraphe). Plus bas sont soulignés les deux premiers passages où il est question de la petite Eglise (répétée cinq fois pour le seul paragraphe suivant « Avons remontré… »).

1164 « des personnes de l’estroite confidence » souligné.

1165 Toute la citation soulignée (ainsi que le début du paragraphe suivant).

1166 « Si elle ne sait pas qu’il y a une secte et une Eglise particulière à Lourdes » souligné (ainsi que la citation de la Combe qui suit).

1167 Le duc de Chevreuse ? Nous sont parvenues les lettres CG II, n° 4, 9, 10, 26, 128, 129, 240, 270, 271, 282, 283, 284, 299, 308, 330, 336, 337, 348 outre les trois connues de La Reynie, 351, 356, 361. Ce qui fait une belle masse de textes compte tenu de l’inhabituelle longueur de lettres difficilement transmises. Les trois dernières sont effectivement les plus compromettantes : moral et jugement de La Combe, enfermé depuis huit ans, sont atteints.

1168 Mot illisible : d’écrire ? sens de prendre.

1169 « peu d’apparence qu'une petite femme ignorante comme elle » souligné.

1170 « Elle répondante avait montré […] depuis » souligné. De même pour les citations de La Combe qui suivent.

1171 Lettre du 7 décembre, troisième paragraphe avant la fin du texte. Souligné.

1172 Citation soulignée de cette Préface trop lyrique.

1173 « qu’il est bien vrai […] que » souligné. – Il s’agit probablement de la lettre à Bossuet reprise dans les Discours chrétiens… édités en 1716, vol II, Discours 65 : « Etat apostolique. Appel à enseigner » commençant par : « Ordinairement les personnes peu avancées veulent se mêler de conduire les autres avant que Dieu les appelle à cet emploi… »

1174 J. M Bouvier ajouté en marge postérieurement et de la main différente incertaine habituelle.

1175 Nous avons le récit, parallèle au récit que l’on va lire, de cette confrontation extraordinaire avec l’archevêque dans la lettre à la duchesse de Beauvillier du 16 mai (reproduite dans la section qui suit).

1176 Marque sacrée.

1177 Adrien-Maurice de Noailles, comte d'Ayen, neveu de l'archevêque de Paris, épousa Françoise d'Aubigné, nièce de Mme de Maintenon. 

1178 Le texte de ce faux, (pièce 7246 des A.S.-S., CG II, lettre 34), est donné ci-dessous pp. [117-118].

1179 V. le contenu du dialogue, rapporté deux fois de suite sous le coup de l’émotion et de manière semblable, dans la lettre à la duchesse de Beauvillier du 16 mai 1698 : « Je lui dis donc que, s’il [85] l’avait écrite, il fallait qu’il fût fou » et : « Je lui répondis : « Si cette lettre est de lui, il est fou… ».

Toutefois Mme Guyon, malgré son estime toujours grande pour La Combe, est moins sûre de sa capacité à supporter des tournents et n’exclut pas quelque comportement obligé : « J'ai toujours connu beaucoup de bien dans le Père La Combe, mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l'ai vu [le Père fut arrêté le 3 octobre 1687]. Je ne puis croire ce qu'on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n'en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu'où va la malice. Ne m'accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? A ceux qui me voient ici, on dit que c'est des crimes du temps passé, à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d'à présent. Dieu sur tout. » CG II, 463.

1180 Passage parallèle dans la lettre du 16 mai (que l’on trouvera reproduite ci-dessous) : « Il dit qu’on me ferait bien parler ; mais je lui dis qu’on pourrait me faire endurer ce qu’on voudrait, mais que rien ne serait capable de me faire parler quand je ne le voudrais pas. Il me dit qu’il m’avait fait sortir de Vincennes. Je lui répondis que j’avais pleuré en sortant de Vincennes, parce que je savais bien qu’on ne m’ôtait de ce lieu que pour me mettre en un autre où l’on pourrait me supposer des crimes. Il dit qu’il savait bien que j’avais pleuré au sortir de Vincennes : il me dit que c’était mes amis qui l’avaient prié de se charger de moi, et qu’on m’aurait envoyée bien loin. Je lui dis qu’on m’aurait fait grand plaisir. Alors il me dit qu’il était bien las de moi. Je lui dis : « Monseigneur, vous pourriez vous en délivrer, si vous vouliez ; et, si ce n’était le profond respect que j’ai pour vous, je vous dirais que j’ai mon pasteur à qui vous pouvez me remettre ». Cela [88] l’interdit : il me dit qu’il ne savait que faire, que M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouvait personne qui le voulût faire. »

1181 On retrouve le même dialogue (depuis « Alors il me dit… ») dans la grande lettre adressée à la duchesse de Beauvillier le 16 mai 1698, que nous reproduirons ci-dessous, ce qui montre que la rédactrice en disposait : cette grande lettre se poursuit d’ailleurs par : « Gardez, je vous prie, la lettre que je vous écris… »

1182 Il m’alléguait.

1183 De grande portée.

1184 Supporter (porter sa croix).

1185 Il s'agit donc d'une nouvelle saisie des papiers de Mme Guyon.

1186 Les années d’épreuves…, 450 sq.

1187 D. Tronc, “Quiétude et vie mystique : Mme Guyon et les chartreux », Transversalités, n° 91, juillet-septembre 2004.

1188 Vie, 2.17.7.

1189 Le Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse de la lettre du cardinal Le Camus son frère, pièce 80 de la Correspondance de Fénelon, tome septième, Paris, 1828, signale des visites « au [couvent du] Verbe incarné, où plusieurs personnes de piété se trouvaient, même des novices de capucins. » - Voir aussi les témoignages en sa faveur de Dom Richebracque, bénédictin.

1190 Vie, 2.18.6.

1191 Vie, 2.20.5.

1192 Vie 2.20.8.

1193 M. Carlat, « Du désert de Bonnefoy à celui de la Grande Chartreuse, itinéraire d’un voyageur en 1672 : Alfred Jouvin, de Rochefort », revue Analecta cartusiana , n°7, 57-67, p. 62.

1194 Eclaicissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme [par Dom Innocent Le Masson], à Chambéry, Par Jean Gorrin Imprimeur et marchand libraire de S.A.R. deçà les Monts. MDCIC (1699), p.11-12.

1195 A ne pas confondre avec le célèbre Jean-Pierre Camus (1584-1652), écrivain spirituel abondant, disciple estimable de François de Sales.

1196 CG II, lettre 383 adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes. Voir : Phelipeaux, Relation, t. I, p 21 : « Il est bon de rapporter une lettre de M. le cardinal le Camus [...] qui nous fut envoyée à Rome en l'année 1698 » .

1197 Voir A. Cayrol-Gerin, « La Chartreuse de Prémol », revue Analecta Cartusiana, n° 1, 1989, 9-23. Elle souligne que « les thèses quiétistes, ardemment propagées par Mme Guyon à Grenoble dans les années 1685-1686, filtrèrent jusqu’à Prémol, où elles furent longuement examinées, sinon adoptées […] Le R. P. [Le Masson] alla jusqu’à sortir de la Grande Chartreuse sans autorisation papale et exécuter un véritable autodafé à Prémol… » (p.17). Elle avance le chiffre de 35 religieuses résidentes en 1698.

1198 Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse…,, op. cit., p. 168. La suite affirme que Dom Richebracque « assura M. le cardinal que Mme Guyon lui avait soutenu la XLIIe proposition de Molinos » - ce qui indignera le bon bénédictin, qui prendra parti pour Mme Guyon.

1199 J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l'ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974, p. 42.

1200 J. Martin, op.cit., p. 43-45.

1201 Lettre à Tronson du 11 mai 1696, Correspondance de M. Louis Tronson…, Bertrand, 1904, tome troisième, livre cinquième, page 511.

1202 J. Martin, op. cit., App. C. « Lettres inédites... », Lettre à Mme de Vancy, dame de Saint-Louis, aux ursulines de Saint-Germain-en-Laye, p. 200.

1203 « Pièce manuscrite assez curieuse » reproduite intégralement par Martin, op. cit., p. 48-49.

1204 J. Martin, op. cit., p. 49, note 34.

1205 Bombardement par les français commandés par Duquesne, du 17 au 23 mai 1684.

1206 Vittorio Augustin Ripa, évêque (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, « son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse ».

1207 Lettre reproduite par Le Masson, Eclaicissements…, op. cit. - CG I, lettre 70 : « Je ne pourrais être que de corps partout ailleurs qu’à Genève… »

1208 Qui conduira à la parution à Verceil, en 1686, de trois ouvrages spirituels : « La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata da Mons. Ripa. [...] Il y a renversement des plans par rapport au schéma traditionnel ; ici c’est la mystique qui ouvre la voie à l’ascèse et provoque la conversion profonde du cœur. » Dict. Spir., tome 13, col. 682 à 684. – Tout est ici résumé en quelques mots : ce renversement dans la hiérarchie des valeurs oppose fatalement les mystiques à de nombreux membres d’organisations religieuses, malgré la bonne volonté manifestée de part et d’autre.

1209 v. sur Cateau-Barbe : Vie 3.18.4 (et lettres de Le Camus et Richebracque en notes, p. 850 de notre édition).

1210 Vie, 2.25.7. Mme Guyon fut active dans des hôpitaux et appréciée pour ce fait par Mme de Miramion.

1211 On a le récit des événements dans l’ample Histoire du Quillotisme ou de ce qui s’est passé à Dijon au sujet du quiétisme avec une réponse à l’apologie en forme de Requête produite au Procès criminel par Claude Quillot Prêtre habitué de l’Église de Saint Pierre de Dijon, ci-devant déclaré atteint et convaincu de quiétisme…, A Zell, 1703, 434 pages denses : « …le feu du Ciel consuma une grande partie de l’Église de S. Etienne qui est la plus ancienne et comme la Mère de toutes les autres églises de Dijon. Bien des gens ont cru que cet accident était un présage du ravage que le Quiétisme devait faire dans cette Ville, où l’on venait à peine d’étouffer l’affaire des Sorciers [italiques de l’original]… » (p.8). - Les Informations furent faites contre Robert en 1697, la procédure criminelle fut commencée en 1699 et continuée en 1700. (p.89). - « Quillot était convaincu d’avoir enseigné le Quiétisme […] d’avoir méprisé les prières vocales […] d’Inceste spirituelle [sic] avec la pénitente Bertrande Soullié […] elle ne donna des marques d’égarement que longtemps après… » et il fut condamné « à la mort et au feu » (p. 67). En fuite, il fut brûlé par contumace. - Philippe Robert, curé de Seurre, à l’origine de cette « nouvelle secte », était accusé de libertinage, etc.

1212 CG II, lettre 237.

1213 Le Cantique… de Mme Guyon, v. « III. Mystique. Sources ».

1214 Sujets de méditations sur le Cantique des cantiques, avec son explication selon le sentiment des Pères de l’Église, à l’usage des religieuses chartreuses, La Correrie [imprimerie de la Grande Chartreuse], 1691 et 1692.

1215 A.S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f°74, lettre qui suit celle, plus anodine, adressée à Tronson, dont nous venons de donner un extrait. Adressée par Dom Innocent à l’abbé de La Pérouse, cette seconde lettre compromettait gravement Mme Guyon ; v. sur tout ceci, l’étude exhaustive de Jean Orcibal soulignant la crédulité de Dom Masson, Etudes d’Histoire et de Littérature religieuses, Klincksieck, 1997, « Le cardinal Le Camus », p. 810 sv., « Mme Guyon devant ses juges », p. 819 sv. - L. Bertrand (Correspondance de Tronson, 1904) donne en note, p. 467, cette lettre – Extrait dans CG II, lettre 238.

1216 Informateur qui apparaît également actif dans l’affaire Quillot.

1217 V. Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 830, sur les « choses terribles », et le déroulement, près de quinze ans plus tard, en 1698, des opérations de police à l’encontre de Mme Guyon. Aux yeux de Bremond (dans son Apologie de Fénelon, p. 6), comme aux yeux d’Orcibal (Etudes…, p. 824), de cette accusation découleront les plus graves ennuis pendant son emprisonnement. Bremond et Orcibal retiendront contre Dom Innocent sa crédulité ; v. également Orcibal, Etudes…, p. 810, pour la conclusion d’une histoire - autre que celle impliquant Cateau-Barbe - mettant en cause une demoiselle qui avait un commerce caché avec un prêtre.

1218 V. Melquiades Andres, La teologia española en el siglo XVI, B.A.C., 1976 ; v. Tellechea Idigoras, introduction à la Guià de Molinos ; v. le procès de ce dernier, actuellement réhabilité.

1219 Puis suit, dans la même source des A.S.-S, Fénelon, Correspondance, XI1, au f° 92, l’original (non publié par L. Bertrand) d’une lettre de La Pérouse à Tronson qui informe ce dernier que « Mgr de Genève ne veut pas éclaircir les faits » : « Chambéry, le 12 décembre 1694. / Je viens, mon cher père, de recevoir la réponse de M. de Genève et elle suppose qu’il ne lui conviendrait pas d’éclaircir les faits que la Dame suppose pour se justifier, mais que lui peut faire voir ce qu’il a pensé de la doctrine par la lettre circulaire qu’il publia il y a sept ans […] ».

1220 Lettre XXIV dans Bertrand, Correspondance de Tronson, 1904, tome troisième, livre cinquième, p. 480. – La Vie avait été confiée sous le sceau du secret à Bossuet.

1221 Lettre XXXII dans Bertrand, tome troisième, livre cinquième, p. 490. Nous ne pouvons accroître trop le volume. Citons seulement la lettre de Tronson à Le Masson, entre le 15 juin et le 22 juillet 1698: « Il (l’Archevêque de Paris) est assez persuadé de leur mauvaise doctrine et de la corruption de leurs mœurs […] il serait à souhaiter […] que l‘on pût avoir quelque preuve juridique qui appuyât ce que l‘on dit du Directeur [la Combe] et de la Directrice [Mme Guyon]. Peut-être que le mystère caché qui vous me proposez de lui montrer par mon entremise pourrait servir à faire cette découverte. [Post-Scriptum :]  J’ai montré votre lettre et le mémoire qu’à Monseigneur l’Archevêque de Paris parce que c’est lui qui est principalement chargé de cette affaire, ayant le Père et la Dame entre ses mains… »( A.S.-S., ms. 34, « Correspondance Tronson »).

1222 CG II, lettre 383.

1223 L’interprétation charnelle saphique ne s’impose pas compte tenu des habitudes du temps, mais elle est suggérée.

1224 CG I, lettre 71 du 28 janvier 1688 : « Je ne saurai refuser à la vertu et à la piété de Mme de la Mothe-Guyon la recommandation… ». V. aussi la lettre 72 l’accompagnant : « Madame, Je souhaiterais d’avoir plus souvent que je n’ai des occasions de vous faire connaître combien vos intérêts temporels et spirituels me sont chers… »

1225 Le duc de Chevreuse, qui n’exerçait aucune pression, cherchant à se renseigner sans éveiller d’opposition. Et Richebracque ne se dédit nulle part.

1226 « A propos d’une controverse que le général des chartreux soutint contre l’abbé de Rancé, l’abbé Goujet écrit au contraire : « Jamais homme ne fut plus crédule que ce bon général, et plus facile à adopter tout ce qu’on lui disait au désavantage de ceux qu’il croyait avoir raison de ne point aimer. Sa Vie de M. d’Arenthon d’Alex, en particulier, est pleine de pareils traits. (Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIIe siècle, Paris, 1736, 3 vol. in-8, t. I, p. 462). » (Note d’Urbain-Levesque, fervent bossuétiste). - On connait l’opinion tranchée de Bremond  exprimée dans son Apologie de Fénelon (1910), p. 6 : « ...il (Dom Innocent] est le grand, l'unique témoin contre cette femme […] Le venimeux Phelipeaux n'a pas d'autre autorité que Dom Innocent. Cette autorité est nulle. La Cour d'assises la plus prévenue congédierait un pareil témoin. Sur la vertu de Dom Innocent on ne peut avoir aucun doute. M. Tronson l'estimait et c'est tout dire ; mais « c'était un homme crédule qui, dans sa solitude recueillait aussi avidement les calomnies qu'il les débite pesamment dans ses livres (La Bletterie). » Du reste, rien de plus décevant que ces terribles livres. Ils nous annoncent les pires horreurs et, en fin de compte, ils ne disent rien. » - Nous avons fait la même expérience.

1227 CG II, lettre 489 du 23 avril 1695 au duc de Chevreuse. Dom Richebracque avait été prieur de Saint-Robert de Cornillon près de Grenoble.

1228 CG II, lettre n° 97 de Melle Matton sur la Grangée ; n° 275, même tome, du R.P. Richebracque à Mme Guyon, du 14 Avril 1695. « Est-il possible qu’il faille me chercher dans ma solitude pour fabriquer une calomnie contre vous, et qu’on m’en fasse l’instrument ? » ; lettre collective n° 493, même tome, de la Mère Le Picard et de religieuses de la Visitation de Meaux du 7 juillet 1695 : « Que si ladite Dame nous voulait faire l’honneur de choisir notre maison pour y vivre le reste de ses jours dans la retraite, notre communauté le tiendrait à faveur… » ; etc. (certaines sont citées plus haut , « Chapitre 4 : La Visitation de Meaux… »)

1229 CG II, pièce 504.

1230 Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 831, sur la retraite finale de Bossuet, citant ici le Procès-Verbal de l’Assemblée…, p. 239.

1231 Dict. Spir., 6, art. « Guyon », col. 1315.

1232 « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Mme Guyon » et « Mme Guyon devant ses juges », reproduits dans Jean Orcibal, Etudes… op.cit., p. 799-817 et p. 819-834.

1233 M.-L. Gondal, Mme Guyon, un nouveau visage, 1989, p. 168. Voir l’ensemble de son chapitre VII, « Le combat de la vérité ».

1234 « Mais Mme Guyon arriva à Grenoble dans l’hiver de 1684 et en partit au printemps de 1685 ; on ne voit donc pas comment l’évêque aurait pu faire à cette époque, et dans un pays de montagnes, une tournée pastorale de quatre mois. » (UL).

1235 Mme Guyon repassa par Grenoble en 1686, et la lettre de recommandation est du 28 janvier 1687.

1236 « Dans sa lettre à son frère le Lieutenant civil, Le Camus disait positivement : « Je ne saurais refuser à la vertu et à la piété de Mme de La Motte la recommandation, etc. » Ces paroles font voir qu’à l’origine, Le Camus était moins opposé à Mme Guyon qu’il ne le fut plus tard. » (UL).

1237 Dom Richebracque.

1238 Le duc de Chevreuse.

1239 CG II, lettre 383 (voir aussi notice « Affaire Cateau Barbe », 899-900). Editions : Phelipeaux, Relation, t. I, p 21 : « Il est bon de rapporter une lettre de M. le cardinal le Camus [...] qui nous fut envoyée à Rome en l'année 1698 » - UL, VII, «Témoignages », B4, 490.

1240 Lettre 346 à Chevreuse du 4 octobre 1695 : « …Il semble que Dieu ait étendu le règne de l’ennemi. J’ai pensé mourir. Je suis mieux, quoique avec un rhumatisme et la fièvre. J’ai souffert des maux inexplicables depuis quinze jours. » Mais les lettres suivantes du même mois font seulement allusion à une fièvre et à des rhumatismes. L’épisode du vin empoisonné est postérieur (v. son récit dans la lettre 413 à la « petite duchesse » de juillet 1697). Il pourrait par contre s’agir d’une première tentative d’empoisonnement, que l’on peut supposer connue avec beaucoup de retard à Lourdes, rapportée en Vie, 3.11.9, var. Poiret, que Cognet, Crépuscule, p.225, note 2, situe vers mai-juin 1694. Il y aura enfin, à la Bastille, la proposition d’un opiat empoisonné, rapporté en Vie, 4.7 (« Je le montrai au médecin qui me dit à l’oreille de n’en point prendre »). Certaines des craintes de Mme Guyon étaient peut-être infondées, compte tenu de la fréquence des empoisonnements naturels ; cependant la décision prise après le « procès des poisons » de la Brinvillier, d’instituer l’obligation de certificat médical de décès, conduisit à une diminution notable de la mortalité parisienne.

1241 Devise guyonnienne : Quis ut Deus, tu solus sanctus.

1242 Commenté par Mme Guyon. Edité par Poiret, Les livres de l’Ancien Testament…, tomes I et II, 1714.

1243 Lettre du 7 décembre, f°254v°.

1244 Pagination de l’édition de 1910 (évite la reprise d’ensemble des notes).

1245 [CG 1], p. 725.

1246

Matthieu 8, 20.

1247 « a » : = variante éditée en [CG II]. Nous les donnons pour monter combien elles sont nombreuses. Puis nous les omettrons : on se reportera à notre édition [CG I & II] de la Correspondance de madame Guyon.

1248 Allusion aux souffrances subies par Madame Guyon portant spirituellement le père La Combe (Vie, 2.22).

1249 Pièce 67 page 188 de notre édition [CG I]. Les points de suspension sans crochets de sa première ligne proviennent de l’édition originale, indiquant qu’il s’agit d’un fragment, cf. la note « 2 » ici reproduite en pleine page.

1250 Prov. 23. vs. 26.

1251 En ses Dialogues. Liv.3 ; Chap.1. [Poiret P].

1252 Poiret réfère ici à St Thomas.

1253 I Rois 3, vs. 18.

1254 Juste même si l’on remplace Dieu par l’énergie qui nous anime, qui n’est pas la nôtre qui vient du plus vaste de l’immense univers.

1255 Heb. 13, vs. 21.

1256 Luc 17, vs. 21. puis Ps. 44, vs.14.

1257 Baltasar Alvarez

1258 Saint Bernard Sermon 33 in cant.

1259 Psaume 46 vs. 11.

1260 Denys.

1261 Cassien collection 9 chapitre 30.

1262 Deutéronome 4 vs. 12.

1263 Nombres chapitre 23 vs. 21.

1264 In Joan. tractat. 102.

1265 Marc Hermite.

1266 Col. 3 vs. 15.

1267 Gen. 2 vs. 2.

1268 Hebreux 4 vs. 9-10.

1269 Denis le chartreux.

1270 « Nicolas Chéron, prêtre du diocèse de Bourges, venu dans celui de Paris, où il fut nommé, le 11 juillet 1680, vice-official, puis official. V. Index des noms.

1271 v. Index des lieux.

1272 Depuis le 3 octobre 1687.

1273 Les juges romains réclamaient « la preuve de la liaison du P. La Combe avec M. de Cambrai par actes authentiques. » On chercha cette preuve dans une liaison entre Madame Guyon et le Père La Combe. Marie-Louise Gondal, Madame Guyon, Récits de captivité…, op. cit., note 1 – Nous avons le récit, parallèle au récit que l’on va lire, de cette confrontation à l’archevêque dans une des toutes dernières lettres précédant l’isolement de cinq ans à la Bastille, ce qui justifie le long extrait suivant : « …il me dit avec finesse : « La lettre est de lui. - Je lui répondis : si cette lettre est de lui, il est fou, ou il faut que la violence des tourments la lui ait fait écrire. C'est tout ce que je pouvais dire à un archevêque que je ne puis démentir en face sans rougir moi-même … Gardez bien ce papier; c'est l'original de la lettre qu'il a fait écrire. Il y a un v à la douzième ligue, au commencement, qui en fait voir la fausseté ... Gardez bien la lettre que j'écris aussi; car si on me renferme, comme on m'en a menacée, au moins cette lettre toute entière vous certifiera de la fausseté des accusations ; car j'ai bien peur qu'ils n'en viennent pas par voie de confrontation avec le Père : ils ne veulent rien faire en justice. Le curé doit amener ici des témoins, pour dire qu'on m'a convaincue. Pourquoi, si cela est, n'aller pas en justice? Qu'un curé, qui me confesse, m'amène des témoins en lieu où je suis enfermée par son ordre, entre les mains de filles dont ils font la fortune pour leurs calomnies ! Je lui dis, à M. l'archevêque, que je ne leur dirais mot - il dit qu'on me ferait bien parler - mais je lui dis qu'on pourrait me faire endurer ce qu'on voudrait, mais que rien ne serait capable de me faire parler quand je ne le voudrais pas - il me dit qu'il m'avait fait sortir de Vincennes - je lui répondis que j'avais pleuré en sortant de Vincennes… - il me dit qu'il était bien las de moi - je lui dis : Monseigneur, vous pourriez vous en délivrer, si vous vouliez … -il me dit qu'il ne savait que faire, que M. le curé ne voulant plus me confesser, il ne se trouvait personne qui le voulut faire. Je lui dis que je n'avois donné aucun sujet de cela à M. le curé; mais que, parmi tous les Jésuites de son diocèse, il s’en trouverait peut-être quelqu'un qui voulût me confesser ... – il me dit assez bas : on vous perdra. Je répondis fort haut : Vous avez tout pouvoir, Monseigneur ; vous avez tout crédit : je suis entre vos mains, qu'on fasse tout ce qu'on voudra ; je n'ai plus que la vie à perdre. - On ne veut pas vous ôter la vie, vous vous croiriez martyre, et vos amis le croiraient aussi … Il n'est pas possible, après de si grandes noirceurs, que Dieu ne prenne notre cause en main. Je l'espère d'autant plus, que les choses paraissent désespérées, envenimées, et pleines de malice … ce que j'écris est véritable. Peut-être ne pourrai-je vous faire savoir le reste de ce qui se passera ; cette lettre sera peut-être la dernière que je vous écrirai de ma vie : mais tenez ceci aussi vrai que si je l'écrivais au lit de la mort. Lettre à la petite duchesse, 3 mai 1698.

1274 Adrien-Maurice de Noailles, comte d'Ayen, neveu de l'archevêque de Paris, épousa Françoise d'Aubigné, nièce de Mme de Maintenon. 

1275 « J'ai toujours connu beaucoup de bien dans le Père La Combe, mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l'ai vu [le Père fut arrêté le 3 octobre 1687]. Je ne puis croire ce qu'on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n'en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu'où va la malice. Ne m'accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? A ceux qui me voient ici on dit que c'est des crimes du temps passé, à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d'à présent. Dieu sur tout. » Lettre à la petite duchesse, 3 mai 1698.

1276 Il m’alléguait.

1277 De grande portée. (Utile lors de la confrontation pour provoquer un coup de théâtre ; par ailleurs il était difficile d’accuser un archevêque de mensonge – dont il n’était pas forcément coupable, la lettre pouvant lui avoir été remise entre ses mains innocentes…)

1278 supporter (porter sa croix).

1279 En équilibre.

1280 « René de Voyer d'Argenson (1652-1721) avait succédé à La Reynie dans la fonction de lieutenant-général de police. Saint-Simon dit de lui : «Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s'égayait de tout avec supériorité d'esprit. (Il avait) un discernement exquis pour appesantir et alléger sa main, penchant toujours aux partis les plus doux, avec l'art de faire trembler les plus innocents devant lui. » C'est bien ainsi que Mme Guyon le dépeint. GONDAL, Marie-Louise, Madame Guyon, Récits de captivité…, op. cit., note 5 – G. DETHAN, Paris au temps de Louis XIV 1660-1715, Hachette, 1990, p. 130 à 136 le décrit favorablement comme une « curieuse et attachante figure ». La gravure en pleine page 132 confirmerait au physique ce portrait de juge des enfers ! Mais son action fut efficace et il apparaît comme un bon administrateur, sensible à la misère du peuple, modéré dans l"application de l"édit de Nantes comme dans la recherche des livres défendus, ce qui lui vaut la réprimande de Pontchartrain : « Vous n"avez pas encore fait une grande découverte d"en avoir saisi douze exemplaires [des Nouvelles lettres sur le Quiétisme de Fénelon] pendant qu"on les distribue par milliers »…

1281 C'est-à-dire présenté à nouveau.

1282 Ecrit sans majuscule dans l’original ! Ce surnom d’une fille au service de Mme Guyon, Marie de Lavau, occasionnera des difficultés lors des interrogatoires qui ne seront levées que tardivement lorsque la nature de surnom sera enfin explicitée.

1283 CG II, 348.

1284 Les livres de l’Ancien Testament avec des explications… , tomes I et II, 1714.

1285 Réfutation des principales erreurs des quiétistes…, Paris, 1695.

1286 Ce que nous donnons en guillemets est souligné dans le procès-verbal.

1287 A défaut de la lettre ancienne de Jeannette et de sa réponse, nous avons ce que rapporte La Combe sur elle et les autres membres du cercle de Lourdes : « La chère sœur Septa [Jeannette ?] souffre des maux de corps inconcevables avec un profond et sec délaissement intérieur. Elle est fidèle à l'abandon. Elle vous salue et embrasse de tout son cœur. Sur ce que je lui fais part de quelques-unes de vos nouvelles, elle en estime et goûte encore plus votre état » (CG II, Lettre 128 de La Combe du 16 novembre 1693). « Les enfants de Dieu dans ce lieu-ci sont constants dans leurs voies. Tous ceux qui ont ouï parler de vous vous honorent et vous aiment. Le principal ami [probablement l’aumônier de la prison Lasherous] ne se lasse point de me continuer ses charités et ses libéralités. Le jeune ecclésiastique comprend toujours mieux les voies de Dieu. Jeannette ne vit presque plus que de l'esprit, son corps étant consumé par des maux si longs et si cruels. Elle vous aime et vous est unie au-delà de ce qu'ou peut en exprimer, vous goûtant et vous estimant d'autant plus que plus on vous décrie et vous déchire. Elle vous salue et embrasse en Notre Seigneur, avec toute la cordialité dont elle est capable. Nous n'attendons que l'heure que Dieu nous l'enlève. Elle a une compagne et confidente, entre autres qui est d'une simplicité et candeur admirable. Pour moi, je vous suis acquis plus que jamais. (CG II, Lettre 283 du 12 mai 1695).

1288 Fin de l’avant dernier paragraphe de la partie écrite par La Combe dans la lettre du 10 octobre.

1289 Bourbon-l’Archambault, petite ville d’eau située près de Moulins, très fréquentée au XVIIe siècle, pratiquée par Mme Guyon fréquemment : « L’eau de ses bains ou puits est claire, limpide et si chaude qu’on n’y peut tenir la main. [...] Au-dessus du couvent des capucins est une belle promenade, qui consiste en trois allées, l’une au-dessus de l’autre, pratiquées dans un terrain ...[donné] aux capucins à condition d’en tenir la porte ouverte pour la commodité publique. » (Expilly, Dictionnaire). Mme Guyon s’y promenait probablement. Les traitements concernent la rhumatologie (polyarthrite, arthroses) et la gynécologie (infections chroniques).

1290 Mme Guyon ne nie pas son accord sur le projet d’aller visiter La Combe et son cercle spirituel : et pourquoi n’en aurait-elle pas eu le droit ? Mais cela ne put avoir lieu puisque l’on voulait l’incarcérer - sans raison établie. La signature du Roi au bas d’une lettre de cachet n’en requiert pas non plus : aussi les interrogatoires doivent en établir une, si possible plus compromettante que de s’être cachée. Toutefois clandestinité est présomption d'illégalité, raison déjà suffisante pour faire courir le bruit d’une “fuite” de la Visitation de Meaux.

1291 « petite Église » et « étroite confidence » largement évoqués (et soulignés) dans les comptes rendus.

1292 Aurait-elle l’intention de passer de l’autre côté des Pyrénées comme elle savait passer les Alpes ? Lourdes est proche de l’ennemi espagnol…

1293 Secte dangereuse, bien représentée par le capable La Combe, si elle peut embrigader aumônier et commandant d’une prison du Roi !

1294 « le père de la Combe […] ursuline » souligné. La Reynie repère les passages importants en particulier ceux où se retrouvent le « couple » Guyon-La Combe.

1295 « que cependant monsieur de Genève […] et le «  souligné

1296 « Madame de Savoie […] fit » souligné pour les membres de phrase importants.

1297 Sur toute cette période complexe résumée ici sans respiration du texte (hors nos paragraphes), que l’on ne peut annoter sans grossir démesurément les notes, on se reportera à la Vie, 2e partie, aux études d’Orcibal et à nos éditions. Un témoignage suffira : CG II, Lettre 233 de la marquise de Prunay en réponse à Fénelon, du 6 novembre 1694 : “A mi ritorno qui in Cortemiglia… [en note (de l'écriture de Dupuy) : " lettre de Mad. la marquise de Prunay, sœur je croy de M. le m[arquis] de saint Thomas, premier ministre de S.A.R. Mgr le duc de Savoye au sujet de Mme G[uyon]. "] : À mon retour ici à Cortemiglia, et pour satisfaire à vos ordres, j'ai pris, dans un entretien particulier avec ma mère, des renseignements sur les qualités de Mme Guyon. Elle m'a dit qu'elle n'en pouvait donner que de favorables, et que, pendant tout le temps qu'ont duré ses relations avec ladite Dame, elle l'a connue pour une personne d'une grande vertu, charitable, humble, sans aucun fiel, pénétrée d'un saint mépris pour le monde, pieuse et exemplaire […]

1298 Marie-Jeanne-Baptiste, 1644-1724, fille du duc de Nemours, seconde épouse et veuve de Charles-Emmanuel II de Savoie, mère du duc Victor-Amédée II, duc de Savoie à l’époque de Mme Guyon.

1299 « désiré […] l’évêque de Verceil » souligné. – Il s’agit de Vittorio Augustin Ripa, (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse. La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata. Ripa avait séjourné à Jesi, où Petrucci était évêque avant de devenir cardinal respecté : on trouve ainsi un lien entre quiétistes italiens et français sous la forme de cette collaboration trilingue.

1300 « d’aller à Verceil […] parlé » souligné.

1301 Marquise de Prunai, Vie, 2.25.3, « Il ne se peut rien de plus cordial que ce qui se passa entre nous avec bien de l’ouverture.»

1302 « …Cet homme de qualité lui envoya un petit livre d’oraison intitulé Moyen court et imprimé à Grenoble. Ce chevalier [« de Malte très dévot »], si homme de bien, avait un aumônier fort opposé à l'intérieur. Il prit ce livre, il le condamna d'abord, et alla soulever une partie de la ville, entre autres soixante et douze personnes, qui se disent ouvertement les soixante et douze disciples de M. de Saint-Cyran [jansénistes]… » Vie, 2.23.3. – « et dans ce paquet […] Moyen court », « Chevalier […] Ciran » soulignés.

1303 « et parce qu’en ce même temps le Général […] voiture », « qu’elle partit de Lyon […] voiture, deux long passages soulignés.

1304 « Je revins à Grenoble prendre ma fille pour m'en retourner à Paris. Le père Lacombe qui avait reçu un ordre du père vicaire général de m'accompagner jusqu'à Paris et qui était allé en Savoie un mois avant que je partisse de Verceil, me vint joindre à Grenoble. Nous prîmes la voiture publique. Je fus accompagnée pendant tout le voyage d'un vieux gentilhomme de Mâcon, père de madame la m[arquise] de Montpipeau [seigneurie dans l’Orléanais] », CG II, pièce 476, Justification 1694 (?).

1305 Ms.5250, f°224-253.

1306 « il en retint […] Verceil » souligné.

1307 Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685. Préface « Apparemment d’un Ami de l’Auteur » reproduite dans l’édition Poiret, Les livres de l’Ancien Testament…, tome X, 1714, p. 114-126, où l’auteur est crédité de la description des « secrètes démarches des Ames en Dieu (118) », où « un ouvrage tout divin … demande un cœur qui se donne parfaitement à Lui sans plus se reprendre… » (préface reprise dans la réédition, Grenoble, Millon, 1992, 193-201, sans attribution d’auteur !).

1308 « et le dit Père de la Combe, voyant […] pensées » long passage souligné.

1309 Tout le paragraphe souligné. - La version catholique de Louvain eut de nombreuses variations (Lyon,1603, etc. Nous n’en avons pas retrouvé une s’approchant plus particulièrement du texte des versets commentés par Mme Guyon ; pour les explications du nouveau Testament l’édition Poiret reprend la version corrigée par Amelote …en la modifiant parfois considérablement).

1310 Vie, 2.21.9 : « J’écrivis le Cantique des Cantiques en un jour et demi… ».

1311 « Père de la Combe » et « Moyen court et facile » soulignés.

1312 « ledit père de la Combe […] livre » souligné.

1313 Mot illisible : d’écrire ? sens de prendre.

1314 « peu d’apparence qu'une petite femme ignorante comme elle » souligné.

1315 V. le contenu du dialogue, rapporté deux fois de suite sous le coup de l’émotion et de manière semblable, dans la lettre à la duchesse de Beauvillier du 16 mai 1698 : « Je lui dis donc que, s’il [85] l’avait écrite, il fallait qu’il fût fou » et : « Je lui répondis : « Si cette lettre est de lui, il est fou… ».

Toutefois Mme Guyon, malgré son estime toujours grande pour La Combe, est moins sûre de sa capacité à supporter des tournents et n’exclut pas quelque comportement obligé : « J'ai toujours connu beaucoup de bien dans le Père La Combe, mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l'ai vu [le Père fut arrêté le 3 octobre 1687]. Je ne puis croire ce qu'on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n'en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu'où va la malice. Ne m'accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? A ceux qui me voient ici, on dit que c'est des crimes du temps passé, à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d'à présent. Dieu sur tout. » CG II, 463.

1316 CG II, pièce 504.

1317 Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 831, sur la retraite finale de Bossuet, citant ici le Procès-Verbal de l’Assemblée…, p. 239.

1318 Dict. Spir., 6, art. « Guyon », col. 1315.

1319 « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Mme Guyon » et « Mme Guyon devant ses juges », reproduits dans Jean Orcibal, Etudes… op.cit., p. 799-817 et p. 819-834.

1320 M.-L. Gondal, Mme Guyon, un nouveau visage, 1989, p. 168. Voir l’ensemble de son chapitre VII, « Le combat de la vérité ».

1321 La Vie par elle-même, op. cit., 983 sq. Passage cité : 997-1000. – Lm2 désigne les notes portées par une seconde main de L. On trouvera les variantes de Lm2 non reprises ici dans notre édition de la Vie.

1322 Et cette dernière persécution tombe en 1695 Lm2 

1323 Vie 3.18.9 Lm2

1324 Vie 3.19.8 Lm2

1325 Livre 18 Le Quiétisme Lm2

1326 Mémoires de Maintenon Tome 4 chap. 18 Lm2

1327 Id. Tome 4 chap. 7 Lm2

1328 Inculpant selon Osup v. variante.

1329 [CG II], pièces n° 516 & 536.

1330 [En préparation] Expériences mystiques en Occident IV. Une Ecole du Cœur, par D. Tronc, Editions Les Deux Océans. [Principales figures d’une filiation mystique : figures franciscaines, monsieur de Bernières, monsieur Bertot, madame Guyon et Fénelon, disciples au siècle des Lumières, influences récentes.]

1331 La Vie de la Mère Marie Bon de l’Incarnation, religieuse Ursuline de Saint Marcellin, en Dauphiné, où l’on trouve les profonds secrets de la conduite de Jésus-Christ sur les âmes, et de la vie intérieure, par le P. Jean Maillard, S.J., à Paris chez Jean Couterot et Louis Guérin, 1686, d’où nous tirons des extraits. – Le Journal des illustres religieuses de l'ordre de sainte Ursule […] tirées des Chroniques...  section : « 19e mars. La V. Mère Marie de l'Incarnation, Bon, […] de S. Marcelin en Dauphiné », 348-355, parle des « parloirs remplis de tous sexes et de toutes conditions, qui tous venaient la consulter… ».

1332 Bremond, Histoire…, tome V, « Conquête… », 342-344 (longue note sous le nom de Maillard, consacrée en fait à Marie Bon) ; Bremond signale qu’il eut en main un Traité de la direction… attribué par un lecteur à madame Guyon ! V. aussi tome VI, « Turba magna », 421.

1333 La Vie…, op.cit., 10.

1334 Madame Guyon, Vie par elle-même, 1.27.8 (première partie, chapitre 27, paragraphe 8).

1335 « Catéchisme spirituel pour les personnes qui désirent vivre chrétiennement composé par la R.M. M. Bon D. L J. R. Ursuline à Saint Marcellin en Dauphiné », A.S.-S., ms. 2056, folios 660-859. - Ce « Catéchisme » suit immédiatement deux copies des Torrents de Madame Guyon dans ce recueil de 960 pages constitué à Saint-Sulpice vers 1700. - S’agit-il d’un avatar du Traité de la direction signalé par Bremond ?

1336 Jesi est une ville italienne de la province d’Ancône dans la région des Marches.

1337 DS 12.1222, art. « Petrucci ». 

1338 DS 9.36, art. « La Combe ».

1339 DS 13.682-684, art. « Ripa ».

1340 P. Dudon, Le quiétiste espagnol Michel Molinos (1628-1696), Paris, 1921, 242.

1341 Il s’agit d’un évêché important. Verceil est situé à 70 km environ au nord-est de Turin. Actuellement « capitale européenne de la production de riz, Vercelli s’étend dans une plaine miroitante… ». Le climat humide et chaud fut difficile à supporter par madame Guyon. Ville indépendante au Moyen Âge, connue par l’illustre Jean de Ripa qui enseigna à Paris autour de 1360, elle est proche du Sacro Monte de Varallo, « nouvelle Jérusalem » fondée par l’archevêque Borromée.

1342 On retrouve ici l’esprit qui anime les écrits de Petrucci.

1343 Le « mais » de cette citation de l’article « Ripa » du DS nous semble inutile  car nous apprécions la définition juste donnée  de « renversement des plans » où la mystique ouvre la voie à la conversion du cœur !

1344 DS 13.683, art. « Ripa ».

1345 « […] On y voit qu'après sa première disgrâce, ce fut chez la duchesse de Charost, à Beynes, château tout voisin de Saint-Cyr, qu'elle trouva asile, et que la duchesse de Mortemart la conduisit à Meaux, le 13 janvier 1695, pour se mettre à la disposition de Bossuet. Ses doctrines ayant été condamnées le 10 mars, et ce jugement suivi de sa rétractation solennelle, elle obtint la permission de se rendre aux eaux de Bourbon; mais les deux duchesses vinrent la prendre, le 9 juillet, et la ramenèrent à Paris, d'abord dans le faubourg Saint-Germain, puis dans le faubourg Saint-Antoine, où Desgrez l'arrêta vers la fin de décembre. » (Boislisle, tome II, n. 4 de sa p. 65).

1346 En témoignent les très nombreux échanges précédant de très peu l’embastillement de Mme Guyon, (Correspondance Tome II Annéess de Combats, lettres à la « Petite Duchesse »). Ils portent sur plus de cent lettres écrites entre juin 1695 et mai 1698, le dernier contact avec l’embastillée).

1347 « Au premier mot qu'ils [les Beauvilliers entreprennent de marier sa fille au fils du ministre Chamillart] en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d'aversion, que plus d'une année avant qu'il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu'elle seroit dans la faveur, pour la sonder là-dessus: ‘Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris.’ » (Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 163).

1348 Dernière fille dans la famille de neuf enfants, deux soeurs aînées ayant épousées les deux ducs de Chevreuse et de Beauvilliers qui tenaient l’un et l’autre de hautes fonctions. Voir Annexe. La famille Colbert.

1349 Notre incertitude quant à « la succession » tient au fait que le travail intérieur auprès des disciples de deux cercles, auxquels s’ajoutent leurs visiteurs provenant de l’étranger, a dû être distribué. Voir en fin d’ouvrage : « Annexe. Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie : une équipe ? » A part Mortemart on évoqua Gramont « la Colombe » (notre première supposition).

1350 Attribution par A. Delplanque en 1907.

1351 Edition [CF 18] par I. Noye, Droz, 2007 : un progrès par siècle !

1352 « Marie-Anne Colbert, soeur cadette des duchesses de Beauvillier et de Chevreuse, née le 17 octobre 1668, épousa, le 14 février 1679, Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, fils du maréchal de Vivonne et général des galères en survivance. Elle n'avait que treize ans, et son mari quatorze. Devenue veuve le 3 avril 1688, elle mourut à Saint-Denis, le 14 janvier 1750. Selon Mme de Caylus, son mariage avait coûté quatorze cent mille livres au Roi. » (Boislisle, tome second, n. 1 de sa p. 7) – « Le Roi donnait d'ordinaire deux cent mille livres, à moins que les embarras financiers du moment ne le forçassent de réduire ses libéralités, Mlle de Beauvillier eut cette somme quand elle épousa le duc du Mortemart [fils de la ‘petite duchesse’], en 1703. » (Boislisle, t. second, n. 3 de sa p. 8).

1353 [CF] 3, L.168, n.2 d’Orcibal.

1354 « L’esprit Mortemart » est cité et décrit ainsi de manière assez irrésistible par le même Saint-Simon à l’occasion d’une autre figure : « Mme de Castries étoit un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau ; ni derrière , ni gorge, ni menton, fort laide, l'air toujours en peine et étonné , avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais il ne paroissait qu'elle sût mieux que parler français, mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n'est propre qu'aux Mortemart [notre soulignement]. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier, glorieuse, choquée de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce, cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général, sans aucune galanterie, mais délicate sur l'esprit et amoureuse de l'esprit… » (Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 1, chap. 25 [1696], 406.)

1355 « Ce mot se trouve plusieurs fois dans Saint-Simon avec le sens de chansons satiriques, ou simplement de reproches vifs et piquants. » (Chéruel).

1356 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 4, chap. 12 [1703], 213-214.

1357 Le « pilier mâle » est bien entendu « l'abbé de Fénelon, qui était leur prophète, dans qui ils ne voyaient rien que de divin » selon cette même addition au journal de Dangeau (réf. n. suivante).

1358 Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, 413, « Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau », « 127. Mme Guyon et les commencements de son école. »

1359 V. Annexe. Les enfants Mortemart.

1360 Correspondance de Fénelon, 1829, tome onzième, 345.

1361 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 165. – nous modernisons toujours l’orthographe, « gardoit » en « gardait », etc.

1362 V. Ecoles du cœur au Siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & influences, édité en ligne.

1363 « Petite » duchesse parce que cadette des duchesses de Chevreuse et de Beauvillier. Mais consciente et fière de sa famille, par fois raide, car d’un fort tempérament : elle n’hésitait pas à provoquer certains à la Cour en allant sans se cacher rendre visite à « l’exilé » de Cambrai.

1364 Fénelon, Correspondance, Tome XVIII, Suppléments et corrections, par Jacques Le Brun, Bruno Neveu (+) et Irénée Noye [ce dernier a assuré l’essentiel du travail], Genève, Droz, 2007.

Le modeste sous-titre de Suppléments et corrections voile l’intérêt très exceptionnel de ce dernier tome : en effet il présente en partie centrale la séquence chronologique des Lettres spirituelles, en donnant les références de celles qui furent publiées dans les tomes précédents à leurs dates attestées ou estimées, et surtout en les complétant par de nombreuses lettres ou fragments. Il s’agit dans ce dernier cas des merveilles choisies et publiées par le cercle des disciples en 1718 sans dates ni nom de destinataires : elles n’avaient donc pas trouvé leur place dans l’édition critique des dix-sept tomes précédents qui respectait très rigoureusement la chronologie et excluait de ce fait toute lettre ou fragment non daté. Fénelon, dont la plus grande partie des écrits si appréciés au XVIIIe siècle a quelque peu vieilli, demeure ici très vivant par le cœur intemporel de son œuvre. Car ce très grand directeur spirituel est un mystique qui analyse sans concession mais avec grande finesse et complétude le domaine intérieur profond le plus souvent demeuré caché, même aux plus grands moralistes du XVIIe siècle, puisqu’il suppose, outre des qualités d’introspection, le travail à plus grande profondeur opéré par la grâce.


1365 Je fais suivre ces extraits de mon Madame Guyon, Correspondance II, Combats des notes intercalées en petit corps dans le fil du plein texte. Elles sont attachées aux renvois par lettre (renvois 1 à 6 pour cette lettre n°136).

1366 Les Années d’épreuves de Madame Guyon…, Honoré Champion, 2009.

1367 Extraite de [CG I], 640-641.

1368 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215).(Noye)

1369 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à «régenter» qui avait amené la révolte d'autres membres du «petit troupeau guyonien» dont elle était «l'ancienne»: voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

1370 « Les volumes précédents de la Correspondance [CF] ne comportent que six lettres de Fénelon à Mme de Mortemart, de 1707 à 1711, toutes autographes et non signées, dont seules les deux lettres de 1708 ont figuré (privées de toute indication de personne) dès la première édition des « lettres spirituelles » (Anvers, 1718).

On sait pourtant qu'il y eut des échanges épistolaires nombreux entre elle et l'archevêque; au plus fort de sa disgrâce, celui-ci affirmait au duc de Beauvillier: « Je n'écris qu'à vous, à la petite D[uchesse] et au P. Ab. [de Langeron] ». Albert Delplanque a établi en 1907 que dix sept autres pièces des éditions d'Anvers et Lyon devaient avoir été adressées à la duchesse douairière. Nous pensons établir que la présente lettre relève du même groupe et peut même être datée, approximativement, comme l'une des premières : en effet, écrivant un « 22 juin» (1693 ?) à Mme de Gramont, Fénelon a parlé de Mme de Mortemart avec les termes mêmes qui commencent cette pièce: « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus en plus » (CF 2, L.300). Situées sans doute assez tôt dans l'itinéraire spirituel de la duchesse, les observations dont Fénelon lui fait part ici, très cohérentes avec ce que l'on sait d'elle par ailleurs, éclairent singulièrement la personnalité de celle qui deviendrait bientôt pour le « petit troupeau » la suppléante de Mme Guyon. […] » (CF 18, LSP 126*, n.1 par I.Noye).



1371 « Il n'y a pas de marché à faire avec Dieu » (CF 2, L.126, au propre frère de Mme de Mortemart) […] » (CF 18, LSP126*, n.2).

1372 Cette lettre se situe vraisemblablement dans les débuts de la direction de Mme de Mortemart, « envoyée » à Fénelon, et qui songe encore à entrer dans un couvent. (Noye). – Nous la plaçons ainsi que la suivante, LSP 136, en 1693.

1373 Le masculin sert à cacher Mme Guyon, comme ci-dessous.

1374 …s'il se rapproche. / Il y a une extrême différence entre la peine et le troubles. La simple peine fait le purgatoire ; le trouble fait l'enfer. La peine sans infidélité est douce et paisible, par l'accord où toute l'âme est avec elle-même pour vouloir la souffrance que Dieu donne. Mais le trouble est une révolte du fond contre Dieu, et une division de la volonté contraire à elle-même ; le fond de l'âme est comme déchiré dans cette division. O que la douleur est purifiante quand elle est seule ! O qu'elle est douce, quoiqu'elle fasse beaucoup souffrir ! Vouloir ce qu'on souffre, c'est ne souffrir rien dans la volonté; c'est y être en paix. Heureux germe du paradis dans le purgatoire ! Mais résister à Dieu sous de beaux prétextes, c'est engager Dieu à nous résister à son tour. En sortant de votre grâce, vous sortez d'abord de la paix; et cette expérience est comme la colonne de feu pour la nuit et celle de nuée pour le jour, qui conduisait dans le désert les Israélites. Vivez de foi, pour mourir à toute sagesse.

1375 La duchesse a donc écarté récemment la solution du couvent ; on la verra fréquemment retirée à la Visitation de Saint-Denis, où sa fille était religieuse. [N].

1376 L'une des « liaisons extérieures de providence » évoquées ci-dessus plutôt qu'un des « membres du petit troupeau ». [N].

1377 La correction mutuelle, en usage dans le groupe guyonien.

1378 Souffrez donc le prochain, et apprivoisez-vous avec nos misères. Quelquefois vous avez le coeur saisi quand certains défauts vous choquent, et vous pouvez croire que c'est une répugnance du fond qui vient de la grâce : mais il peut se faire que c'est votre vivacité naturelle qui vous serre le coeur. Je crois qu'il faut plus de support; mais je crois aussi qu'il faut corriger vos défauts comme ceux des autres, non par effort et par sévérité, mais en cédant simplement à Dieu, et en le laissant faire pour étendre votre coeur et pour le rendre plus souple. Acquiescez, sans savoir comment tout cela se pourra faire.


1379 … les phrases suivantes font allusion à sa responsabilité envers « autrui », « son prochain », son « troupeau ». Cette dernière expression fait penser à Mme de Mortemart, dont le rôle dans le groupe guyonien n'alla pas sans difficultés. … (Noye).

1380 …dans sa source. /Pour l'oraison, vous pouvez la faire en divers temps de la journée, parce que vous avez beaucoup de temps libre, et que vous pouvez être souvent en silence. Il faut seulement prendre garde de ne faire point une oraison avec contention d'esprit qui fatigue votre tête. / Je remercie Dieu de ce que vous êtes fatiguée de votre propre esprit. Rien n'est plus fatigant que ce faux appui. Malheur à qui s'y confie ! Heureux qui en est lassé, et qui cherche un vrai repos dans l'esprit de recueillement et de renoncement à l'amour-propre ! / Si vous retourniez à une vie honnête selon le monde, après avoir goûté Dieu dans la retraite, vous tomberiez bien bas, et vous le mériteriez dans un relâchement si infidèle à la grâce. J'espère que ce malheur ne vous arrivera point. Dieu vous aime bien, puisqu'il ne vous laisse pas un moment de paix dans ce milieu entre lui et le monde. Dieu nous demande à tous la perfection, et il nous y prépare par l'attrait de sa grâce ; c'est pourquoi Jésus-Christ dit à ses disciples : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.' Et c'est pour cela qu'il nous a enseigné cette prière : Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel. Tous sont invités à cette perfection sur la terre; mais la plupart s'effarouchent et reculent. Ne soyez pas du nombre de ceux qui, ayant mangé la manne au désert, regrettent les oignons d'Egypte'. C'est la persévérance qui est couronnée.


1381 L'unité en Dieu de ceux qui « ont dépouillé le moi » en demeurant dans leur « unique centre », est ouverte à toute l'humanité […] (Noye).

1382Son frère, le marquis de Blainville, qu'elle avait à guider, cf. LSP 133 et 134.

1383 Dans le rôle de directrice assigné à la destinataire, on peut reconnaître la duchesse de Mortemart, dont la difficulté à supporter les défauts d’autrui a été souvent notée. D’autre part, N... serait son frère Blainville, qui durant un temps admettait mal cette assistance (voir, en juillet 1700, L.667, n. 16 et L.670, n. 7).(Noye).

1384 Il est probable qu’il manque ici le début de la lettre, qui devait viser la destinataire. Comme en d’autres lettres de direction, Fénelon fait part de ses propres épreuves […] (Noye).

1385 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215).(Noye)

1386 Pour désigner le groupe guyonien dont elle portait la responsabilité, cette expression se trouve aussi dans la lettre 1215. (Noye).

1387 Cit. : Matth. V, 4 & Jean XX, 29, puis Hébr. XI, 8.

1388 …je vous conjure. Il faut aimer la main de Dieu qui nous frappe et qui nous détruit. La créature n'a été faite que pour être détruite au bon plaisir de celui qui ne l'a faite que pour lui O heureux usage de notre substance ! Notre rien glorifie l'Être éternel et le tout Dieu. Périsse donc ce que l'amour-propre voudrait tant conserver ! Soyons l'holocauste que le feu de l'amour réduit en cendres. Le trouble ne vient jamais que d'amour-propre; l'amour divin n'est que paix et abandon. Il n'y a qu'à souffrir, qu'à laisser tomber, qu'à perdre, qu'à ne retenir rien, qu'à n'arrêter jamais un seul moment la main crucifiante. Cette non-résistance est horrible à la nature : mais Dieu la donne ; le bien-aimé l'adoucit, il mesure toute tentation. / Mon Dieu, qu'il est beau de faire son purgatoire en ce monde! La nature voudrait ne le faire ni en cette vie ni en l'autre ; mais Dieu le prépare en ce monde, et c'est nous qui, par nos chicanes, en faisons deux au lieu d'un. Nous rendons celui-ci tellement inutile par nos résistances, que tout est encore à recommencer après la mort. Il faudrait être dès cette vie comme les âmes du purgatoire, paisibles et souples dans la main de Dieu, pour s'y abandonner et pour se laisser détruire par le feu vengeur de l'amour. Heureux qui souffre ainsi !Je vous aime…

1389 Daniel XIV, 35.

1390 Col III, 3 et Augustin De continentia, XIII, 29.

1391 « Pour voir en Mme de Mortemart la destinataire de cette lettre, Delplanque invoque comme motif la proximité du thème avec les lettres qui l’entourent dès l’éd. A, ce qui n’est pas convaincant ». [N]– À qui d’autre penser ?

1392 …avec vous. / Soyez simple et petit enfant. C'est dans l'enfance qu'habite la paix inaltérable et à toute épreuve. Toutes les régularités où l'on possède sa vertu sont sujettes à l'illusion et au mécompte. Il n'y a que ceux qui ne comptent jamais, lesquels ne sont sujets à aucun mécompte. Il n'y a que les âmes désappropriées par l'abnégation évangélique qui n'ont plus rien à perdre. Il n'y a que ceux qui ne cherchent aucune lumière, qui ne se trompent point. Il n'y a que les petits enfants qui trouvent en Dieu la sagesse, qui n'est point dans les grands et les sages qu'on admire.


1393 …de Jésus-Christ. /Laissez-vous donc ôter jusqu'aux derniers ornements de l'amour-propre, et jusqu'aux derniers voiles dont il tâche de se couvrir, pour recevoir la robe qui n'est blanchie que du sang de l'Agneau [cf. Apoc. VII,14], et qui n'a plus d'autre pureté que la sienne. O trop heureuse l'âme qui n'a plus rien à soi, qui n'a même rien d'emprunté non plus que rien de propre, et qui se délaisse au bien-aimé, étant jalouse de n'avoir plus de beauté que lui seul ! O épouse, que vous serez belle quand il ne vous restera plus nulle parure propre ! Vous serez toute la complaisance de l'époux quand l'époux sera lui seul toute votre beauté. Alors il vous aimera sans mesure, parce que ce sera lui-même qu'il aimera uniquement en vous. Écoutez ces choses, et croyez-les. Cet aliment de pure vérité sera d'abord amer dans votre bouche et dans vos entrailles ; mais il nourrira votre coeur, et il le nourrira de la mort qui est l'unique vies. Croyez ceci, et ne vous écoutez point. Le moi est le grand séducteur: il séduit plus que le serpent séducteur d'Eve. Heureuse l'âme qui écoute en toute simplicité ce qui l'empêche de s'écouter et de s'attendrir sur soi ! / Que ne puis-je…


1394 Cette lettre nous paraît être adressée à Mme de Mortemart pour la difficile direction de son fils (N.). On remarquera la dureté des expressions: «jamais lui faire quartier », [et, en fin de lettre donnée en note :] «subjugué », «je voudrais le mettre bas, bas, bas ». [N].

1395 Act. V, 1-10.

1396 …de route. / N... n'avancera qu'autant qu'il sera subjugué. On s'imagine, quand on est dans une certaine voie de simplicité, qu'il n'y a plus ni recueillement ni mortification à pratiquer; c'est une grande illusion. l° On a encore besoin de ces deux choses, parce qu'on n'est point encore entièrement dans l'état où l'on se flatte d'être, et que souvent on y a reculé. 2° Lors même qu'on est en cet état, on pratique le recueillement et la mortification sans pratiques de méthode. On est recueilli simplement, pour ne se point dissiper par des vivacités naturelles, et en demeurant en paix au gré de l'esprit de grâce. On est mortifié par ce même esprit qu'on suit uniquement sans suivre le sien propre. Ne vivre que de foi, c'est une vie bien morte. Quand Dieu seul vit, agit, parle et se tait en nous, le moi ne trouve plus de quoi respirer. C'est à quoi il faut tendre; c'est ce que le principe intérieur, quand on ne lui résiste point, avance sans cesse. / Quand on n'est que faible, la faiblesse d'enfant n'empêche point la bonne enfance; mais être faible et indocile, c'est n'avoir de l'enfance que la seule faiblesse, et y joindre la hauteur des grands. Ceci est pour N.... Au nom de Dieu, qu'il soit ouvert et petit. Je voudrais le mettre bas, bas, bas. Il ne peut être bon qu'à force de dépendre.


1397 « Rite particulier aux offices des « ténèbres» de la Semaine sainte; Fénelon en tire une parabole originale. » (Noye).

1398 « Cet alinéa permet de situer cette pièce dans une des dernières années de l’archevêque; rappelons qu’on ne connaît pas de lettre datée adressée à la duchesse douairière après juillet 1711. » (Noye).



1399 Début perdu.

1400 Une longue note d’I.Noye compare diverses attributions avancées.

1401 Cette pièce non datée figure en V (n° 465) et en OF à la fin des lettres adressées à la comtesse de Montberon; mais, dans les quelque deux cent vingt-cinq lettres qu’elle reçut de Fénelon, on ne voit pas qu’elle ait porté la charge d’une assistance spirituelle à divers hommes (M., N. et G. des derniers alinéas), charge régulièrement assumée par Mme de Mortemart (supra, lettres SP 129 n. 1, 130, 137 etc.).(Noye).

1402 Nous apprenons chaque jour, ma bonne D[uchesse], que vous ne cessez point de souffrir. J'en ai une véritable peine et je crains les suites de cet état de souffrance si longue. D'ailleurs je suis ravi d'apprendre que M. le D[uc] de M[ortemart] fait bien vers vous et vers le public, et que la jeune duchesse est en meilleur train. Vous ne sauriez user de trop grande patience avec elle en-deçà de la flatterie, car je suis fort tenté de croire que la vivacité de son imagination, son habitude de se livrer aux romans de son amour-propre, et la médiocrité de son fonds pour résister à toutes ces difficultés, ne la mette souvent dans une espèce d'impuissance d'aller jusqu'au but. Il me paraît bien plus important de ne rien forcer et de n'altérer pas la confiance en vous, que de presser la correction de ses défauts. Il faut suivre pas à pas la grâce, et se contenter de tirer peu à peu des âmes ce qu'elles donnent. Pour M. le D[uc] de Mortemart, on assure qu'il se conduit bien, et il m'a paru que M. le D[uc] de S. Aignan [n. Orcibal : Paul-Hippolyte de Saint-Aignan (25 novembre 1684 - 22 janvier 1776), issu du second mariage du père de Beauvillier…] estime sa conduite. Il loue même la noblesse de ses sentiments, et le fait d'une façon que je crois sincère. Je souhaite que vous soyez soulagée pour l'embarras et pour la dépense sur votre table. Vous avez besoin de mettre un bon ordre à vos affaires. Mais puisque M. votre fils fait bien, je crois que vous ne voudrez montrer au public ni séparation, ni changement qui puisse faire penser que vous n'êtes pas contente. Mandez-moi, quand vous le pourrez, en quel état il est avec M. le D[uc] de Beauvillier, et ce qu'il y a à espérer sur la charge. / Je crois vous devoir dire…

1403 Camille de Vérine de l'Eschelle: cf. sur lui, supra, lettre du 13 juin 1698, n. 22, et, sur ses séjours à Cambrai, celle du ler juillet 1700, n. 19. [O].

1404 Frère du précédent, César-Michel de Vérine, abbé de Leschelle est considéré comme «sulpicien» par Saint-Simon (BOISLISLE, t. II, p. 412), mais on ne trouve son nom dans aucun registre de Saint-Sulpice. Les remarques échangées à son sujet en mai 1710 par Fénelon (n. 16) et Mme Guyon sont plus favorables à sa piété qu'à ses capacités. [O].

1405 N désigne fréquemment Mme Guyon sous la plume de ses disciples. Mme de Mortemart était restée en rapport avec elle (cf. dans la réponse de Mme Guyon au mémoire de mai 1710, n. 2-4, une pénétrante analyse du caractère de la duchesse). [O].

1406 Fénelon n'avait donc pas à cette date de relations directes avec l'exilée. Parmi les «amis» qu'il dénonce, il devait aussi compter Isaac du Puy, autre gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne. [O].

1407 …Leschelle. / Bon soir, ma bonne Duchesse; ménagez votre santé, et croyez que je ne fus jamais à vous au point que j'y suis. /M. Quinot [n. : ancien précepteur des enfants de Beauvillier] a dit à M. Provenchères [n. : aumônier de Fénelon] que le cardinal de Noailles lui avait témoigné les plus belles choses du monde pour moi, jusqu'à faire entendre qu'il serait venu me voir à la Villette, s'il eût cru les choses bien disposées de ma part. Il ajoutait que ce cardinal voulait le loger chez lui, mais qu'il ne voulait pas le faire sans mon conseil. Pour ce qui est du premier article, voyez, ma bonne Duchesse, s'il n'est pas à propos que vous lui disiez que je suis très éloigné d'avoir le coeur malade contre M. le Card. de N[oailles]; que je voudrais, au contraire, être à portée de lui témoigner tous les sentiments convenables; mais que je ne crois pas devoir faire des avances, qui feraient croire au monde que je me reconnais coupable de tout ce qu'on m'a imputé, et que j'ai quelque démangeaison de me raccrocher à la cour. Le bon M. Quinot disait qu'il n'avait pas trouvé, ni en vous ni en M. le D[uc] de Beauvillier, de facilité pour ce raccommodement. Ainsi je serais bien aise que vous fussiez déchargés l'un et l'autre à cet égard-là. Ayez la bonté de dire tout ce qui doit édifier touchant la disposition du coeur, sans engager aucune négociation. / Quant à l'offre de M. le Card. de N [oailles], de loger M. Quinot chez lui, M. Quinot n'a qu'à l'accepter si elle lui convient. Je ne saurais lui donner un conseil là-dessus; car je ne sais ni les commodités qu'il en tirerait, ni les engagements où cela le pourrait mettre, ni le degré de confiance qu'on lui donne, ni le désir qu'on a de l'avoir, ni le bien qu'il serait à portée de faire dans cette situation. Ainsi c'est à lui à prendre son parti sur les choses qu'il voit et que je ne vois point. Mais ce qui est très assuré, c'est que s'il va demeurer chez M. le Card. de N[oailles), je ne l'en considérerai pas moins, et ne compterai pas moins sur son amitié pour moi. Cette démarche, s'il la fait, ne me causera aucune peine. Je n'en ai aucune contre le cardinal même, encore moins contre un très bon ecclésiastique que je crois plein d'affection pour moi, et qui peut très facilement loger chez ce cardinal, avec un grand attachement pour lui, sans blesser celui qu'il a pour moi. En un mot, c'est à lui à examiner ce qui lui convient. Pour moi tout est bon, et sa demeure dans cette maison ne me sera ni pénible ni suspecte. Je crois même que M. le D[uc] de Beauvillier ne doit nullement être peiné que M. Quinot prenne ce parti, s'il y trouve quelque commodité, ou quelque bien à faire pour l’Eglise.


1408 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à «régenter» qui avait amené la révolte d'autres membres du «petit troupeau guyonien» dont elle était «l'ancienne»: voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

1409 Tous nos bonnes gens, les disciples de Mme Guyon. Lorsqu'en 1696 celle-ci ne fut plus en mesure de guider son petit troupeau, ils considérèrent que Mme de Mortemart (qui était d'ailleurs seule à pouvoir faire des séjours à Cambrai) devait la remplacer. Cf. supra, la lettre du 9 janvier 1707. [O]

1410 Mme de Mortemart semble avoir été hostile au mariage de sa fille avec le marquis de Cany, fils du ministre Chamillart, qui avait eu lieu le 12 janvier 1708… [O]

1411 … Madame Guyon, que la duchesse avait recommencé à consulter (cf. infra, la lettre de l'exilée de mai (?) 1710, n. 4 et surtout la fin de la lettre de Fénelon du 11 octobre 1710). [O]

1412 Patience, indulgence – par opposition à insupportable de la phrase précédente. [O]

1413 La critique de l'« activité », le « recueillement passif », le « laisser faire Dieu », le « laisser tomber l'activité » sont caractéristiques de l'adaptation du guyonisme dans les écrits de Fénelon de la période 1690-1699. [O]

1414 Expression employée ailleurs pour désigner les membres du « petit troupeau » guyonien… [O]

1415 Il sera encore question de Mme de Mortemart dans les lettres à Mme de Chevry des 4 et 10 juin 1714. Outre les rapports mondains, Fénelon souhaite qu'il s'établisse entre sa nièce et l'« ancienne » du guyonisme des relations spirituelles, dont la première avait particulièrement besoin dans ses épreuves physiques et familiales… [O]

1416 Il y avait donc eu une réconciliation entre la duchesse et les guyoniens « indociles » après la brouille qui remplissait la correspondance des années précédentes… [O]

1417 Mme de La Maisonfort se trouvait alors près de Saint-Denis et dom Lamy lui transmettait les lettres de Fénelon. Le bénédictin étant mort le 11 avril 1711, il est naturel que l'archevêque ait demandé le même service à la duchesse qui s'était retirée à la Visitation de Saint-Denis. [O]

1418 À défaut d'autre lettre datée à la duchesse, on trouvera mention de son nom dans les lettres des 28 mars, 21 mai, 6 août 1713 (au marquis) et dans celles des 4 et 10 juin 1714 (à Mme de Chevry). [O]

1419 Sur le marquis neveu de Fénelon, v. Madame Guyon, Correspondances Spirituelles Tome I Directions spirituelles, 587-674. Outre la direction par « n m », pièces 315 à 380, on y trouve une lettre de Ramsay et deux lettres (tardives) de Dupuy.

« Il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Mal soigné… » (aperçu biographique page 587).

1420 Cette lecture-édition de l’ouvrage corrige une reconnaissance de caractères sous Omnipage en limitant le travail au respect du texte : nous reprenons les notes (en leur attribuant un corps réduit pour mieux les distinguer du texte principal). Nous signalons la pagination d’origine dans la ligne précédant la reprise du texte en haut de page de l’imprimé primitif. Nous omettons ses hauts et bas de pages.

1421 Numéros de pages de l’imprimé primitif que l’on retrouvera souvent mis en ligne entre // au sein du texte (ces numéros n’ont pas tous été saisis dans la présente table).

1422 Un ami de Pierre Poiret (Nous introduirons à la lecture quelques précisions : /DT)/

1423 Voir Marjolaine Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719 Du Protestrantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994. /DT/

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