Madame Guyon, Ecrits sur la vie
intérieure,
présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen,
« Les carnets spirituels », 2005, 195 p.
Nous reproduisons ici le premier des Discours ouvrant ce carnet spirituel. Il propose un choix de quinze pièces. L'édition originale jamais reproduite depuis le XVIIIe siècle en comportait cent quarante.
"Il me semble que les personnes qui écrivent des choses
intérieures, devraient attendre pour écrire que leurs
âmes fussent assez avancées pour être dans la
Lumière divine. Alors elles verraient la Lumière dans la
Lumière même.
Elles verraient, comme une personne qui est sur une montagne
élevée, voit les divers chemins qui y conduisent, le
commencement, le progrès, et la fin où tous les chemins
doivent aboutir pour arriver à cette montagne ; on voit avec
plaisir que ces chemins si éloignés se rapprochant peu
à peu et enfin se joignant en un seul et unique point, comme des
lignes fort éloignées se rejoignent dans un point
central, se rapprochent insensiblement.
On voit aussi alors, avec douleur, une infinité
d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir
point quitter l’entrée de leur chemin, d’autres pour
ne vouloir pas franchir certaines barrières qui traversent de
temps en temps leur chemin ; [ on voit] que la plupart retournent sur
leurs pas faute de courage, et enfin que d’autres, plus
courageuses, franchissant tous les obstacles, arrivent au terme tant
désiré.
On voit avec quelle bonté Dieu leur tend la main et les
invite à passer outre, mais que l’Ennemi, les hommes
pleins de leur propre esprit, l’amour-propre et le peu de courage
les arrêtent presque tous en chemin. Ils aiment mieux suivre les
hommes que Dieu, quoiqu’il soit écrit : Malheur à l’homme qui se confie à l’homme.
Ceux qui sont seulement dans le chemin ne connaissent que le chemin
où ils marchent et n’enseignent que celui-là ;
comme ils sont bien loin du but, ils condamnent sans miséricorde
toutes les autres voies, ne voyant rien de meilleur que la leur.
Ils écrivent avec impétuosité sur une voie
où ils ne sont qu’à peine, veulent porter tout le
monde à y marcher ; et comme ils n’ont point franchi le
premier obstacle qu’ils ont trouvé, ils se persuadent
qu’on ne peut aller plus loin sans s’égarer. Ils
l’écrivent de la sorte ; et comme ces personnes ont
souvent de l’autorité, ils entraînent une foule de
monde après eux qui croiraient être perdus s’ils
outrepassaient la première barrière. Ils
s’échauffent même dans la dispute et assurent
qu’il n’y a point d’autre voie, qu’il est
impossible d’aller plus loin, et brouillent et arrêtent les
âmes de bonne volonté qui sont invitées à
passer outre.
Ceux, au contraire, qui ont franchi les barrières, les invitent de toutes leurs forces, voyant avec douleur qu’ils perdent des biens et des trésors immenses pour ne pas vouloir avancer. Quelques-uns se hasardent et s’en trouvent bien, mais combien de bêtes féroces ne rencontrent-ils pas ? Ces bêtes ne peuvent leur nuire s’ils s’abandonnent à Dieu et s’ils ne craignent rien ; au contraire, ces bêtes les appréhendent.
Plus ils avancent, plus ils voient le bonheur d’avoir suivi
avec courage leur route, et enfin lorsqu’ils sont arrivés
à la montagne, ils s’exhalent en louanges de Dieu et en
reconnaissance. Ils entrent dans une humiliation profonde à la
vue de leurs misères et des bontés de Dieu, qui leur a
donné un secours si puissant. Ils avouent qu’ils se sont
rendus mille fois indignes des bontés de Dieu, qu’ils ont
tâché plusieurs fois de retourner en arrière, mais
que les amoureuses invitations de leur Bien-aimé les en ont
empêchés.
Lorsqu’ils voient tant de personnes arrêtées en
chemin, ils en sont affligés ; ils les invitent de toutes leurs
forces à passer outre, de ne rien craindre, ils écrivent
pour les rassurer.
[...]