Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par Dominique Tronc, Etude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p.
Un choix opéré sur l’œuvre suit
l’ordre presque chronologique. Sa nouveauté tient à
ce qu’il équilibre les œuvres écrites dans
l’élan de la jeunesse avant trente-sept ans, par des
écrits qui reflètent toute la profondeur atteinte dans la
maturité par une mystique qui vécut soixante-neuf ans.
Les premiers écrits, composés avant la querelle du
quiétisme, furent largement critiqués et on en
connaît au moins les titres : Moyen court, Torrents, Commentaire au Cantique…
Les derniers écrits sont restés méconnus :
publiés après la mort de leur auteur sous des titres
moins évocateurs, ils furent rapidement dispersés au sein
des discrets cercles européens où se regroupaient les
disciples ; il s’agit des Justifications, de Lettres, des Discours spirituels.
Pour le Moyen court et les Torrents,
notre édition critique tient compte de nombreuses variantes :
elles forment un réseau complexe, même si l’on ne
retient que celles qui affectent le sens profond. Nous y joignons les
repérages des extraits figurant dans l’Ordonnance de M. de
Chartres, Paul Godet des Marais : au moment du procès de Mme
Guyon, il fut en effet le seul prélat à prendre la peine
de citer des passages - souvent des assemblages - jugés
condamnables.
Notre édition inclut aussi, pour la première fois,
toutes les précisions apportées dix années plus
tard puisque, dans ses Justifications,
Mme Guyon commenta son propre choix d’extraits du Moyen Court et
du Commentaire au Cantique. Ces compléments datant de sa pleine
maturité éclairent des points fondamentaux de la vie
mystique, et ceux-là mêmes qui furent les plus
âprement discutés. Passés presque inaperçus
de par leur caractère de notes adjointes au sein d’une
vaste anthologie mystique, ils présentent un grand
intérêt.
Tous les aspects du corpus sont représentés dans ce
volume (à l’exception des écrits biographiques
déjà présentés dans cette même
collection « Sources classiques ») : Moyen court, Torrents, Abrégé de la voie sont reproduits dans leur intégralité ; le Commentaire au Cantique
est limité à sa seconde moitié ; quelques exemples
suggèrent l’esprit qui anima les très vastes
Commentaires apportés aux autres textes de la Bible ; les Justifications
livrent des notes profondes que Mme Guyon rattache aux auteurs figurant
dans cette anthologie, principalement à Jean de la Croix ; un
choix substantiel des textes rassemblés par les disciples sous
le titre de Discours spirituels représente l’œuvre de la maturité et forme le sommet trop souvent méconnu du corpus ; quelques Lettres soulignent la grandeur de sa direction spirituelle ; de brefs extraits de Cantiques nous émeuvent lorsque l’on connaît les dures conditions de leur genèse.
Notre introduction privilégie les aspects historiques. Puis
l’étude du Père Max Huot de Longchamp
précise le sens théologique de termes utilisés
dans le domaine mystique chrétien et esquisse un
parallèle avec Ruusbroec, Thérèse, Jean de la
Croix… Établir en profondeur l’affinité qui
existe entre les grands mystiques nous a semblé utile pour
démontrer la permanence d’une expérience commune
vécue dans des circonstances diverses. La fin du Grand
Siècle s’avère d’ailleurs en ce domaine trop
pauvre pour que l’on s’y cantonne.
Les présentations attachées aux sections viennent
compléter ces deux ouvertures : en particulier celle qui ouvre
les Discours spirituels
suggère quelques traits propres à la voie de
l’intériorité, outre des éclaircissements
sur les circonstances entourant chaque écrit et sur les sources
utilisées dans cette édition critique. Une bibliographie
axée sur les publications de l’œuvre pallie la
contrainte que pose la contraction en un seul volume de
l’ensemble des Œuvres Mystiques.
Nous avons tenté de rassembler les textes qui traduisent clairement la maîtrise expérimentale d’une voie certes cachée, mais réelle et très concrète.