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HISTOIRE I Introduction & Moyen Age

De la Mystique. 3

Opinions de quelques-uns. 6

Contenu des quatre volumes 9

Avertissement. 12

I. DES ORIGINES À LA RENAISSANCE. 13

L’antiquitÉ et le haut moyen Âge. 14

Israël 14

Le Premier Testament 14

Le Second Testament 15

L’apport judaïque. 16

Le monde gréco-romain. 18

Le stoïcisme et Épictète (vers 130) 18

Le néoplatonisme de Plotin ( ? - 270) à Proclus (412-485) 18

Grégoire de Nysse (~331 – apr. 394) et les Pères grecs 19

Saint Augustin (~354 - 430) et les Pères latins 21

Denys l’Aréopagite (~500) 21

Le Moyen Âge en terres chrétiennes 23

Moines du désert et leurs Apophtegmes 23

Jean Climaque (~575 ~650) et la Philocalie 23

Jean de Dalyatha (~690 ~780) 25

Syméon le Nouveau Théologien (949 - 1022) 25

Le Moyen Âge en pays islamisés 28

Thèmes et influence. 30

Figures 31

Tables et listes de spirituels et mystiques chrétiens 31

ANNEXES 34

I : COURANTS & MYSTIQUES JUIFS. 34

Liste de courants et de mystiques juifs du Xe au XVIIe siècle. 34

II : MYSTIQUES EN TERRES D’ISLAM.. 36

Table géographique de mystiques ayant vécu en terre d’Islam du IXe au XVIe siècle. 36

LISTE DE MYSTIQUES CHRÉTIENS DU XIE AU XVIIE  SIÈCLE dont les quatre volumes vont traiter. 38

 


INTRODUCTION

 

Arpentant les allées de la mystique, j’ai regretté de ne pas trouver de guide qui m’évite de perdre du temps en lectures inutiles : voilà pourquoi, parvenu à l’âge mûr, je publie ce travail destiné aux amateurs - ceux qui aiment - attirés par des beaux textes disséminés au sein d’une immense littérature spirituelle. Beaucoup ne disposent pas de carte, ne savent pas par où commencer, quelles éditions choisir, et surtout quels sont les textes essentiels.

Je me suis attelé à opérer un choix sévère de personnes et d’œuvres puis à les présenter en suivant le fil historique. Je me suis  concentré sur deux points essentiels : ne citer que les témoignages d’expérience du divin en évitant toute littérature dérivée ; mettre en valeur les influences personnelles exercées par des « aînés » expérimentés sur leur entourage constitué de « cadets » : les mystiques ne se forment pas tout seuls, même en lisant d’excellents livres !

Le lecteur est en droit de demander des précisions sur ce que recouvre à nos yeux le domaine « mystique ».  Nous donnerons notre perception « de la mystique », que nous ferons suivre des « opinions de quelques-uns ». Cette introduction s’achèvera sur un aperçu du contenu des quatre volumes de l’ouvrage qui couvriront la vie de personnes mystiques ayant vécu en terres chrétiennes occidentales.

De la Mystique

    On ne trouvera pas ici une réflexion sur la mystique puisque notre but est de laisser place à des témoignages qui font pressentir un au-delà inexpliqué du psychisme humain. Soulignons leur originalité et  le respect qui leur est dû : lorsqu’un alpiniste éprouvé raconte son ascension de l’Éverest, il ne vient guère à l’esprit de remettre en cause son vécu. Écoutons de même un « aîné » tenter d’en rendre compte, même si nous sommes déroutés lorsqu’il s’appuie sur des expériences non partagées, en s’exprimant à travers des symboles ou des croyances qui ne sont plus les nôtres.

Jamais le terme « mystique » n’a été plus galvaudé qu’à notre époque, comme le montre tout sondage effectué sur le net ou en feuilletant certaines revues : dérivé du grec mustes « initié », il en est arrivé à désigner toutes sortes de phénomènes incompréhensibles, bizarres voire pathologiques (délire mystique). On y mêle les transes chamaniques ou les expériences dues aux substances hallucinogènes. On le confond souvent avec le paranormal ou avec le miraculeux, domaine de tout ce qui contredit les lois habituelles de la matière ou du biologique. Rien de tout cela n’a intéressé les auteurs que nous allons présenter.

Comme en témoignent des récits venus du monde entier, l’expérience qualifiée de « mystique », c’est-à-dire cachée - parce qu’elle ne se prête qu’à des descriptions indirectes et qu’elle n’est confirmée que par ses effets -, est spécifique. Elle est définie dans toutes les traditions comme l’expérience humaine de ce qui sous-tend l’univers, qu’on l’appelle Dieu, Grâce divine, Énergie…

Loin de n’être qu’un sentiment décrit comme « océanique », il est confrontation au Vide ou au Plein situé au-delà des expériences instantanées, des sentiments, des imaginations, de l’intellect. « Dès que les cavernes de l’entendement et de l’imagination sont vacantes, l’essence divine se révèle [1] » et l’homme s’incline du plus profond de son être devant l’irruption de ce qu’il perçoit comme au-delà de son corps et de son psychisme mais dont il ne sait rendre compte. Le don reçu satisfait l’aspiration de celui qu’il remplit et donne un sens à sa vie.

Si son intensité est très forte, il peut conduire, de façon le plus souvent transitoire, à des manifestations liées à notre faiblesse, qui ne sont pas l’expérience ultime. Ces phénomènes ont trop souvent détourné de l’essentiel l’attention des observateurs. Connaissances médicales, observations ethnologiques, pratiques psychanalytiques nous permettent d’identifier à des intoxications, à des phases hystériques ou délirantes beaucoup de « phénomènes » et bizarreries (sensations physiques, visions, etc.) : ils appartiennent au registre de la maladie ou de la projection individuelle. Même si certains en étaient affligés, les grands mystiques les ont toujours rejetés et s’en méfiaient, appelant à dépasser le particulier de l’individu humain pour aller à l’Un. Nous avons donc délibérément écarté ce domaine pour aller vers les témoignages d’expériences profondes dont nous donnerons de nombreux extraits.

La mystique n’est pas non plus le simple prolongement des expériences humaines les plus hautes comme le sont l’amour, la perception de la beauté de la musique ou de la nature, les compréhensions fulgurantes, la ferveur religieuse. Elle n’est pas non plus présente dans les méditations de « pleine conscience » qui font tant de bien par la paix qu’elles apportent, mais qui appartiennent au développement personnel, corporel et psychologique : il y a là un repos parfait de toutes les facultés, mais c’est en soi que l’on repose, dans sa propre nature.

    Le domaine mystique fait partie de ce qu’on appelle le « spirituel », il en est même le cœur qui anime tout. La spiritualité est à la fois plus large et beaucoup plus vague : elle englobe tous les écrits où l’on s’oriente vers « Dieu ». L’intellect, l’imaginaire, le sentiment tournent autour du divin : on est trop souvent dans une rêverie autour de…, dans une réflexion sur… Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un élan, d’une tension vers Dieu, qui prépare l’être à être attentif à l’événement inouï qui peut se produire.

Face à l’immensité du champ spirituel, nous nous sommes efforcés d’éliminer les discours sur le divin pour nous concentrer sur les témoignages d’expérience. Les textes mystiques racontent l’irruption dans l’humain d’une dimension verticale, d’une autre nature, que les hommes sont forcés d’appeler « divine » car elle ne peut être fabriquée par les facultés humaines : l’Énergie qui sous-tend l’univers se manifeste à l’homme.

C’est ce face à face entre l’humain minuscule et « Dieu », qui forme le domaine propre à la mystique : l’homme rencontre sa source et la source de toutes choses. Des hommes et des femmes ont vécu cette irruption du divin en eux depuis l’aube de l’humanité, et cette expérience est universelle. Ils attestent la présence au centre d’eux-mêmes d’une Réalité expérimentée au-delà du corps, du psychologique, de l’intellect ou de l’imaginaire, qui existe au-delà de l’humain mais qui l’inclut et peut l’envahir intensément.

     Cette expérience est ressentie au centre, au « cœur » de l’être : c’est pourquoi elle est souvent appelée « intériorité ». Une fois vécue, on ne peut plus la nier quelles que soient les contraintes extérieures ou les doutes d’origine intellectuelle. On ne peut que s’incliner devant elle, la vénérer et l’aimer. Une mystique contemporaine raconte joliment : « Et plus ça allait, plus je m’abandonnais à cette « chose » qui avait pris jour en moi, qui a pris pouvoir sur tout. J’en suis tombée folle amoureuse. Tout le reste est passé au second plan. » [2].

Cette Présence comble le vide de la nature humaine. En comparaison, tout ce qui a été vécu avant n’est rien que du transitoire, de l’illusoire : le capucin Benoît de Canfield (1562-1610) parlera du Tout de Dieu et du rien de la créature. Pour Pascal, cette expérience est si importante qu’il la transcrit sur un papier qu’il garde toujours sur sa poitrine : « Joie, pleurs de joie ».

    Ces manifestations du début sont diverses, mais universelles : vibration du cœur, coulées d’amour, de béatitude, de silence, de paix, qui envahissent la personne et l’émerveillent. Le mystique les recherche, les attend, les favorise ; il les pleure lors de sécheresses, de « nuits », lorsque la Présence semble disparaître. Même si elle est recherchée volontairement, cette Présence se manifeste librement : c’est pourquoi bien des textes l’appellent la « grâce ». Si les préparatifs qui veulent faire remonter vers Dieu par l’effort humain, peuvent servir à apaiser ou favoriser cette expérience, ils sont bien entendu sans commune mesure avec cette liberté : « L’Esprit souffle où il veut », dit l’apôtre Jean [3].

    Cette présence peut au début recevoir des qualificatifs : paix, amour… Mais selon leurs destins individuels, certains mystiques sont amenés à prendre conscience que ce ne sont que des effets de cette Présence et ils désirent davantage. Un double mouvement s’opère : par amour, dans un abandon total, le mystique se donne au divin pour qu’il fasse ce qu’Il veut ; en réponse, le divin l’envahit de plus en plus et nettoie tout ce qui n’est pas Lui. Le mystique perd alors toute projection vers l’objet-Dieu. Un grand retournement s’opère où le divin prend la place au cœur de l’homme, où se réalise l’union entre Dieu et l’homme :

[L’âme] « ouvre la capacité de tout son esprit pour engloutir cet abîme, mais au contraire s’en trouve être heureusement absorbée et engloutie…[4].

Ceci au prix d’un profond dénuement et d’une grande obscurité car le divin est incompréhensible aux facultés humaines [5] : c’est le « Nuage d’inconnaissance », titre d’un texte anglais du XIVe  siècle sur lequel nous reviendrons. Ruusbroec déclare :

Là toutes nos puissances défaillent, et nous sommes précipités dans ce qui s’ouvre à notre regard, et tous nous devenons un, et un seul  tout, dans l’embrassement d’amour de l’Unité des Trois.

[…] nous sommes un même être, une même vie, une même béatitude avec Dieu ;  là toutes choses sont accomplies, et toutes choses se renouvellent. [6].

Saint Paul s’écrie : « Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi »[7]. La vie humaine parvient là à son accomplissement parfait où le mystique participe au grand courant de la Vie universelle.

Il ne reste plus que « le Rien », qui n’est pas vide car y vibre l’Amour éternel :

[l’âme] demeure comme suspendue en une immense vacuité …, sans pouvoir voir ni appréhender chose aucune, ni même elle-même ; laquelle infinie vacuité … ressemble à la sérénité du ciel …, et est une déiforme lumière. Or en cette  lumière est aussi l’amour (non autre chose) qui doucement enflamme, brûle et allume l’âme, et ce si secrètement, simplement et intimement qu’elle ne cause nul mouvement ou motion de l’âme qui puisse empêcher cette sérénité, mais au contraire, elle en est si subtilement agitée et si doucement éprise qu’elle se fond, liquéfie et s’évanouit davantage, et est sa tranquillité et sérénité augmentée.[8].

Si ce vécu s’exprime souvent en termes religieux, il n’est pas le produit de la religion : l’expérience mystique est première.  Les religions sont les expressions particulières à chaque civilisation d’une expérience universelle : à partir de l’expérience de Jésus, du Bouddha, de François d’Assise, s’organise une communauté qui espère recréer les conditions où elle peut se manifester (croyances, prières, règles, méditations, ascèse…).

L’organisation nécessaire pour le grand nombre fossilise l’élan créateur : naissent les règles et la théologie. Cependant comme le christianisme était la première grille de lecture et la principale issue pour des êtres attirés par la mystique jusqu’au XXe siècle, certains entrent dans les Ordres et y trouvent parfois leur épanouissement : Benoît de Canfield, Jean de la Croix, François de Sales… C’est leur expérience qui revivifie la vie chrétienne et lui redonne son sens. Beaucoup de nos textes se situeront donc dans le champ religieux.

Ces mystiques écrivent pour tenter de mener leurs lecteurs vers l’indicible qu’ils ont vécu mais qui dépasse infiniment la foi religieuse. Ils ont souvent été persécutés par des contemporains qui entendaient les ramener vers des croyances communes et compréhensibles, se proclamant juges d’une expérience qu’ils n’avaient pas : on brûla Marguerite Porete, on censura Jean de la Croix et Benoît de Canfield, on persécuta madame Guyon… Puis la peur de ne pas être dans les normes entraîna le tarissement de la littérature mystique catholique depuis le début du XVIIIe siècle.

Les textes mystiques ne font pas partie du champ intellectuel, n’élaborent pas de champs conceptuel ou de problématique : ils tentent péniblement de suggérer l’indicible avec des mots. Nous laisserons Benoît de Canfield exprimer cette impuissance [9] :

Cette essence ne peut être comprise, sinon comme elle-même se donne à comprendre, ni [ne se peut] entendre, sinon comme elle-même se donne à entendre ; ni [ne peut être] vue, sinon comme elle-même se donne à contempler, ni goûtée, ni connue, ni possédée, sinon comme elle veut être goûtée, connue et possédée. Elle se laisse comprendre quand, comment et à qui il lui plaît ; elle se donne à entendre, goûter et être possédée quand, comment et à qui il lui semble bon, et de nous, nous n’y pouvons rien.[10].

Opinions de quelques-uns.

Quiconque, en effet, s’est uni à la Vérité  […] a pleine conscience de ne pas être le fou que prétendent les autres et il sait que la possession de la vérité simple, perpétuelle, immuable, l’a délivré tout au contraire de la fluctuation instable et mobile à travers les multiples variations de l’erreur.[11].

C’est d’une expérience individuelle qu’il faut partir ; et il se pourrait que même une étude exhaustive des vocabulaires, des traditions, enfin des faits mystiques eux-mêmes ne fût jamais aussi féconde que la directe analyse d’un devenir mystique déterminé. La mystique, en tant que vie, aboutit à des individus, et à eux seuls. Toute classification des états serait vaine, si elle ne nous conduisait à la brûlante expérience d’un être.[12].

« La mystique ». Quelle mystique ? L’emploi tardif substantivé est peu heureux car il réifie l’action de la grâce divine en donnant l’apparence d’un contenu, voire d’un acquis, à ce qui est seulement signe d’un flux vivant qui prend place « dans le Vide » [13].

S’il nous faut répondre à une demande fondée de clarification, nous pouvons citer les noms de « douze compagnons » présentés dans ce volume [14]. Ces  « chevaliers accomplis mystiques » veillèrent cinq siècles­ : Guillaume de Saint-Thierry (-1148), François d’Assise (-1226), Hadewijch I & II (~1230 & ~1280), Angèle de Foligno (-1309), Maître Eckhart (-1328), Tauler (-1361), l’auteur inconnu du Nuage d’Inconnaissance (~1370), Ruusbroec (-1381), Julian of Norwich (-apr.1416), Catherine de Gênes (-1510), Thérèse d’Avila (-1582), Jean de la Croix (-1591). Un tableau où figurent leurs noms et dates complètes, des œuvres et  des sources traduites choisies, précède la Table des matières. Ils privilégient tous une vie intérieure sobre qui dépasse les phénomènes (reconnaissant cependant ceux qui leur ont ouvert l’entrée en vie mystique tel que l’épisode des « cris » rapporté par le « frère copiste » d’Angèle).

Nous partageons une position exprimée par le philosophe Bergson (elle ne transparaîtra que rarement puisque nous nous effaçons devant les témoignages mystiques, mais il se doit déclarer dans cette introduction ce qui influe nécessairement sur nos choix textuels [15]) : la vie mystique ne dépend pas de la pratique religieuse, même si le vécu de ses meilleurs membres s’est inscrit historiquement dans son cadre. Nous faisons donc nôtre cette déclaration de Bergson :

Nous nous représentons donc la religion comme la cristallisation, opérée par un refroidissement savant, de ce que le mysticisme vint déposer, brûlant, dans l’âme de l’humanité [16].

Le cadre moderne diffère profondément de celui du XVIIe siècle ! La croyance en Dieu et dans un « au-delà » de salut ou de condamnation a disparu chez beaucoup (mais si l’on en croit Lucien Febvre, il en était de même dans le vécu de la majorité des hommes du XVIe siècle). Pourtant l’expérience mystique se renouvelle, mais la diversité des modes d’expression voile dorénavant sa permanence.

Au traditionnel mot Dieu, substituer (par exemple) le mot Énergie semble respecter aux yeux de nos contemporains, tout particulièrement chez les scientifiques, le caractère dynamique d’une circulation perçue au sein d’un univers dont le mystique est un grain. Cela permettrait d’éviter un rejet au nom du modèle évolutif reconnu actuellement mais ne laisse pas de place à l’expérience d’un amour ressenti personnellement[17]. Notons simplement que la représentation acquise du monde physico-biologique, celle d’un immense devenir dynamique, demeure compatible avec l’expérience d’un Centre actif  mais ne peut évidemment éclairer une expérience individuelle.

Finalement, sont mystiques …ceux qui s’appellent tels entre eux ! Pour Leszek Kolakowski, le mysticisme serait une « doctrine » selon laquelle…

…l’âme humaine communique au moyen d’une expérience (non sensible, mais analogue par son caractère direct à celle qui se produit dans le contact des sens humains avec leurs objets) avec la réalité spirituelle qui conserve la primauté … par rapport à toute autre réalité ; on admet en même temps que cette communication, liée à une intense affection d’amour … est … le bien suprême auquel l’homme peut accéder dans sa vie terrestre.[18].

 L’approche de phénomènes ou expériences est assez bien couverte par la définition qui vient d’être citée. Elle sera élargie selon la voie servie s’il s’agit d’une « doctrine ». Doctrine ou voie ont une certaine utilité : elles permettent de vérifier l’expérience lorsqu’elle est invoquée (car un « délire » n’est jamais à exclure). Mais demeure que seul l’individu peut vivre un dépassement par rapport à l’identité collective religieuse et dépasser son propre donné individuel pour développer une vie toute autre, donnée par grâce.

Ainsi le vécut Pierre Poiret (1646-1719), l’actif éditeur de très nombreux textes mystiques et disciple apprécié de Madame Guyon, que nous citons ci-dessous pour éviter le regrettable péché d’anachronisme historique ! Il est invoqué conjointement par Kolakowski qui ne semble pas conscient d’un déplacement du sens entre son texte et sa citation. Car Poiret ne s’intéresse pas tant aux événements qu’au travail de la grâce divine que ces derniers manifestent. Au sein d’une théologie paulinienne, il insiste sur le côté positif du travail de la grâce, optimisme qui compense l’impuissance de l’homme réduit à sa volonté propre, le grand thème du siècle de Pascal :

Tous les auteurs mystiques conviennent en ceci : Que Dieu nous a créés pour être unis à Lui, transformés à Sa ressemblance, et afin que Lui-même devienne et soit tout en nous selon les termes de l’Écriture même. Que ceci ne pouvant se faire que par l’Esprit du Seigneur (selon la même Écriture) dès que l’homme s’est voulu servir de son propre esprit et de sa propre volonté pour se perfectionner lui-même, il s’est ruiné et perdu, lui et toute sa race. …

Que Dieu seul peut le délivrer et le vider parfaitement de tous ces maux là, et refaire son ouvrage défait, qui est cet homme même perdu et ruiné. Que Dieu [19] pour cet effet se présente à lui avec Ses divines opérations ; que c’est à l’homme d’y consentir, à les accepter, à y coopérer - et à s’y abandonner ; et que moyennant cela Dieu le travaille, le purge, l’éclaire, le dispose à Son union, l’unit enfin lors qu’il est convenable, de la manière qu’Il trouve bonne et le transforme selon Son bon plaisir à Son image, l’avançant par son Esprit de clarté en clarté, comme parle saint Paul. Et enfin, que l’union et la perfection … consistent en une identification, pour ainsi dire, de volonté avec celle de Dieu, en laquelle celle de l’homme soit tellement transformée que Dieu fasse désormais de lui tout ce qu’il Lui plaît sans aucune résistance de sa part … Voilà un raccourci de toute la Substance de la Théologie Mystique, et c’est dans le fond la même chose qu’enseignent tous les auteurs éclairés qui ont écrit de cette science des saints.[20].

Les mystiques accomplis perdent tout intérêt envers les phénomènes  et les états temporaires, soulignant simplement que leur état est devenu stable et permanent ­­: ainsi Marie de l’Incarnation du Canada (1599-1672) entre sa première (1633) et sa seconde Relation (1654). Madame Guyon (1648-1717), abondante sur certaines circonstances prosaïques de la vie ordinaire, est fort sobre dès qu’il s’agit de son expérience mystique et ne peut qu’affirmer un état final « constant ».

Outre la grande fresque de Bremond [21], quelques ouvrages permettent de ne pas se perdre dans des aspects secondaires ou particuliers : le précis encore utile établi par A. Tanquerey propose en ouverture une « liste chronologique et méthodique des principaux auteurs… »­ : le plan suit les trois voies mise en honneur depuis Balma ; ce qui est sage, plutôt que de tenter une définition à priori de l’ascèse et de la mystique [22]. Le « guide de vie » établi par Max Huot de Longchamp commente un large choix de textes mystiques en présentant leurs auteurs [23]. Des aspects historiques et thématiques sont développés avec précision par P. Agaësse, A. Deblaere et d’autres collaborateurs du Dictionnaire de spiritualité [24],[25]. Finalement on observe un bon accord et la permanence d’un choix d’auteurs canoniques retenus par les auteurs chrétiens de toutes époques[26].

Ces auteurs précèdent des dérives postérieures substituant apparitions, miracles… au vécu mystique devenu discret après la condamnation de 1699 (bref Cum alias). Un « matérialisme spirituel » comparable se manifesta plus récemment par des descriptions extérieures de phénomènes physiques, approches qui se voulaient scientifiques et sont en fait scientistes (Leuba, etc.).

Ces manifestations de la faiblesse humaine se prêtent souvent à de justes réductions aux couches psychologiques, développées par Janet, par Freud et leurs successeurs[27]. Une botanique de telles manifestations fut proposée avec grand succès par le P. Poulain dans un ouvrage qui eut une large diffusion[28] parce qu’il était adapté aux récits d’apparitions qui occupèrent la place laissée vide à la suite du Crépuscule des mystiques et de leur condamnation.

Des milieux protestants anglo-saxons se détachent les ouvrages de grandes figures : W. James, E. Underhill, von Hügel…[29]. Enfin l’Orient orthodoxe, attaché aux grands Grecs cappadociens, fournit une « contre-épreuve » à l’Occident latin[30].

Nous écarterons de notre volume les très nombreux auteurs de textes introductifs. Ils souffrent souvent d’une tendance ascétisante en vue de préparer à recevoir la grâce, ou tentent d’occuper et de consoler ceux qui l’attendent. Ils peuvent être l’œuvre d’authentiques mystiques car ceux-ci ne choisissent pas d’écrire mais répondent à la demande ou à l’injonction de ceux qui les entourent. Un immense champ religieux sera finalement laissé de côté pour que puissent émerger des auteurs qui répondaient à des demandes qui  supposent le chemin intérieur engagé.

Contenu des volumes

Le contact avec « ce qui peut se manifester en nous de plus grand que nous » est vécu à travers les âges dans le monde entier : on aborde ici une fraction, celui du monde occidental qui fait surtout appel aux formulations chrétiennes, et en son sein on privilégie la France où la rencontre des influences provoque un essor remarquable au début du XVIIe siècle. Sainte-Beuve, dans son Port-Royal puis l’abbé Bremond dans son Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1916-1933) ont mis en lumière la variété des spiritualités du Grand Siècle[31]. L’ensemble couvre quatre volumes. Chacun comporte quatre chapitres  d’importances égales mais d’extensions variables :

I. Des Origines à la Renaissance s’attache aux principales figures qui marqueront les mystiques à partir du XVIIe siècle. Cette ouverture peut être utilisée indépendamment comme un guide introduisant à la Tradition mystique occidentale.

Le premier chapitre présente un panorama des grandes influences qui déterminèrent son expression chrétienne. Il rappelle l’existence de mystiques qui vécurent en terres d’islam ou de religion juive, car il y eut de nombreuses influences croisées entre les religions du Livre. 

Cette « ouverture de l’ouverture » est suivie d’un panorama précis couvrant l’Europe occidentale voisine de la France : l’est de la France d’aujourd’hui, la vallée du Rhin, les Flandres et l’Angleterre font l’objet du second chapitre, l’Italie et l’Espagne du suivant.

Le quatrième et dernier chapitre couvre le XVIe siècle qui va assurer une transmission de la tradition mystique facilitée par des réformes qui prennent place dans le monde catholique ; il rend compte d’influences entre le nord et le sud de l’Europe rendues possibles par l’apparition de l’unité politique qui assura la puissance d’un Charles-Quint.

Nous abordons ensuite le cœur de cette exploration qui devient beaucoup plus fouillée. Il était difficile de trouver des éléments communs permettant de classer la variété des expériences vécues. Nous avons retenu la façon dont l’existence concrète est encadrée : vie réglée en clôture ou vie dans le monde - toutefois  conscients que ce critère distinctif n’affecte que des formes extérieures, tandis que le vécu mystique est comparable pour tous.

II. L’Invasion mystique des Ordres anciens souligne la vitalité méconnue issue d’ordres traditionnels au sein desquels surgissent des réformes qui manifestent la vie, telles des branches d’arbres, ici mystiques. Son premier chapitre décrit le jeu des influences et s’attache à restituer une vue d’ensemble sur la population des mystiques du Grand Siècle à l’aide de listes et de leur analyse, ce qui est tout à fait neuf. Le second chapitre traite un cas particulier important mais sous-estimé dans l’historiographie moderne : celui des missionnaires franciscains, principalement capucins. Nous reprendrons souvent en deux chapitres consécutifs un tel balancement entre synthèse générale et cas particulier. La vie réglée en clôture couvre le chapitre troisième consacré aux traditions monastiques et aux réformes. Le quatrième chapitre analyse précisément le cas particulier du carmel « déchaussé ».

III. Ordres nouveaux et figures singulières s’ouvre sur un bref chapitre situant la vie mystique dans son nouveau contexte culturel, politique et religieux : car l’époque moderne commence en fait au milieu du siècle, lorsque la prise de conscience du rôle de l’expérience, couplée à la découverte de l’immensité du monde, se généralise.

Puis nous présentons des figures – que l’on présente d’habitude isolées --, au sein de structures réglées mais de création nouvelle ; enfin hors de toute clôture et n’ayant pas à suivre une Règle portant sur le déroulement de la vie journalière. Cette contraction en deux chapitres de nombreuses figures masculines, souvent agrégées en une « école française », est facilitée parce que le très vaste ensemble de la dévotion méditative se situe hors de notre domaine[32]. Le dernier chapitre qui ferme ce troisième volume aborde l’autre moitié du genre humain par quatre figures féminines illustrant des conditions de vie très diverses.

IV. Une école du cœur couvre un réseau demeuré suspect trop longtemps. La quiétude naît en Espagne, arrive en France par l’Italie, se développe dans le cercle normand et à Paris. Rapidement la seconde génération de ce réseau associant laïcs et religieux se heurte à la méfiance générale qui s’est développée vis-à-vis des mystiques. Le cercle de Montmartre sera repris par Madame Guyon, grande figure mystique qui trouve enfin ici sa juste place. On sait que son apparition chronologiquement tardive empêcha qu’elle ne figure, sinon en filigrane, dans les histoires inachevées de Bremond et de Cognet disparus trop tôt. Son influence sera déterminante sur des proches et sur le siècle suivant.

V. Des Lumières à nos jours achève l’entreprise.  Nous doutons de la réalité de tout Crépuscule des mystiques, titre suggestif de l’ouvrage de Louis Cognet centré sur la figure de Madame Guyon, devenu trop fameux[33]. Il s’agit plutôt de l’effet « pervers » d’une diversification dans les expressions de l’expérience, liée à la disparition d’une langue technique commune adoptée du début du XIIe jusqu’à la fin du XVIIe siècle, celle d’une théologie mystique tributaire d’une représentation caduque du monde.

De nombreuses figures de ces trois derniers siècles sont remarquables par  leur diversité ; certaines surprendront des lecteurs par leur éloignement vis-à-vis de toute attache religieuse. Elles témoignent de la permanence de premiers contacts mystiques dont les manifestations ne se réduisent pas au domaine psychologique[34].

Le champ théorique d’une théologie mystique au sens réduit depuis le XVe siècle n’est pas abordé. L’investigation s’attache aux données biographiques et aux influences qui s’exercèrent entre des personnes. Aucun modèle d’école n’écrase leur diversité concrète.

§

Je m’incline devant ces textes très profonds avec le respect qui leur est dû. Le lecteur exercera son propre jugement.


Avertissement.

Le texte ne fait pas l’économie de précisions biographiques indispensables pour établir des filiations entre individus. Quelques développements reportés en notes allègent le texte courant dès que se dessinent « étoilements » et chemins de traverse.

Nous groupons parfois plusieurs références autour d’un thème commun. La bibliographie distribuée au fil de l’ouvrage ne sera pas reprise, sinon sous forme d’un choix, puisqu’elle n’est ni exhaustive ni soucieuse de privilégier les publications les plus récentes : elle est le fruit d’un parti-pris revendiqué.

Le texte courant inclut les citations d’études modernes.  Les citations de textes ou dits des mystiques et de leurs témoins directs sont différenciées par leurs italiques et un corps légèrement condensé.  Quelques sigles signalent­­­­­ : incertitude sur la datation (~), relation d’implication ou de filiation (>), relation d’échange ou d’équivalence (=).

Des lecteurs pardonneront quelques rappels évidents à leurs yeux, et leur simplicité,  en songeant au grand écart qui existe entre ancienne et jeune génération. La connaissance de données textuelles semble à cette dernière d’une importance relative : on « trouve tout sur le web » sauf une culture traditionnelle hiérarchisée.

Nous avons donc besoin d’une boussole -- ce projet --  pour naviguer sur l’océan de la noosphère informatisée. Les textes quant à eux sont disponibles puisque ayant allègrement franchi la barre des soixante-dix ans [35].

 


I. DES ORIGINES À LA RENAISSANCE

 


L’antiquitÉ et le haut moyen Âge

Les rappels qui suivront tout au long de ce premier chapitre peuvent paraître évidents et schématiques. Ils s’adressent aux lecteurs qui n’ont pas été en contact avec l’histoire des principales Traditions : le lecteur cultivé pardonnera ce travail « à la serpe » qui doit explorer en quelques paragraphes dix siècles et trois cultures pour rappeler des bases premières.

Quatre grandes influences déterminèrent l’expression d’une mystique qui prend un nouvel élan en Europe à partir du XIIe siècle : le legs religieux d’Israël et l’influence qui perdure de sa diaspora, le legs antique des civilisations grecque et romaine, auquel succède au bas Moyen Âge l’apport de moines vivant au sein de l’empire byzantin, enfin le contact avec les civilisations avancées de pays islamisés. Ces facteurs contribuent chacun par leur couleur particulière à l’expression d’une expérience universelle issue d’une même Source.

Israël

Israël exerce son influence par son Écriture ou Premier Testament,  et aussi à travers les Évangiles et les Épîtres du Second ou « nouveau » Testament, rédigés entre ~50  et ~120. Des « païens au seuil » de la diaspora sont attirés par le message judaïque. Leur adhésion est facilitée au sein de la nouvelle secte juive lorsque Paul estime caduques des pratiques contraignantes. S’ensuivent disputes, opposition entre les deux camps qui se définissent au second siècle, enfin séparation. Deux religions – celle traditionnelle d’un peuple élu et la nouvelle à l’ambition universelle - ne peuvent partager un Messie dont ils n’attendent d’ailleurs pas le salut sous une forme commune. De nombreux convertis cherchent une confirmation de leur foi en Jésus-Christ dans l’adhésion improbable d’une Synagogue qui possède l’Écriture. Lorsque, de minorité combattue les chrétiens deviennent majoritaires à la fin du quatrième siècle, ils  persécutent les juifs perçus comme « négationnistes » de la nouvelle religion d’État. Pourtant, beaucoup plus tard, après l’an mille,  les marranes contribuent à la renaissance de la mystique chrétienne en Espagne ; enfin, à la Renaissance, l’influence de la mystique juive s’exerce directement en Italie dans le milieu des kabbalistes chrétiens. 

Le Premier Testament

L’Écriture est le nom juif de l’Ancien Testament repris dans l’actuelle traduction œcuménique chrétienne ou TOB. Elle contient les dits de prophètes qui ont rencontré l’Absolu et qui furent pour certains d’entre eux mystiques, comme le « second Isaïe ». Le prophétisme est l’expression de la vie intérieure à une époque où la personne humaine, qui ne disposait d’aucun moyen d’écrire dans l’intimité, et demeurait par ailleurs étroitement dépendante de son milieu clanique, ne pouvait que difficilement laisser trace de sa conscience intérieure autonome.  Ce modèle précède celui de la sainteté individuelle manifestée sous la forme héroïque de moines du désert, inspirés peut-être par la communauté juive des Thérapeutes,  en tout cas par des précédents égyptiens [36]. Puis ceux-ci inspirèrent (partiellement) le « dernier des prophètes » Mohammed, respectueux de ses prédécesseurs.  Le prophétisme sera encore au XVIIIe siècle repris par des réformés protestants qui s’inspiraient étroitement de l’Écriture pour remplacer la médiation cléricale. Ce qui posa problème : ainsi une madame Guyon fut défavorable aux annonces prophétiques de jeunes exilés camisards faites en Ecosse. De même le réformateur méthodiste Wesley fera face à des enthousiastes.

Le livre d’Isaïe est une bibliothèque couvrant plus de deux siècles. Le premier Isaïe est un personnage extraordinaire qui a prophétisé à un âge relativement jeune, vers -740, et son activité s’est étendue sur une période d’au moins quarante ans : il s’oppose aux injustices et annonce la colère divine. Le second Isaïe se situe deux siècles plus tard, vers -540, au milieu de ses frères exilés. Il est suivi d’un troisième Isaïe qui aurait exercé son ministère à Jérusalem dans les deux premières décennies qui suivirent le retour d’exil. Les versets 52, 13 à 53, 12 constituent le sommet du second Isaïe, ainsi rendus dans la Traduction Œcuménique de la Bible :

 Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui et dans ses plaies se trouvait notre guérison. ... Brutalisé, il subit ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir...

Le thème du serviteur souffrant, juste qui plaide pour son peuple, a aidé les chrétiens à comprendre la figure de Jésus et à se comprendre eux-mêmes, placés face à des promesses de renouveau qui ne se réalisaient pas concrètement. Cette évocation d’une Écriture laisse de côté d’autres textes plus récents, qui sortent de la ligne prophétique, dont se détachent Job et le Cantique des cantiques. On en retrouve les thèmes abondamment commentés par tous les spirituels, en particulier par Rashi (Chelomo Ben Yits’hak, 1040-1105) puis lors de la collaboration autour du Cantique entre Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry  (~1138).

Le Second Testament

Le Nouveau Testament comporte, outre l’Apocalypse, deux ensembles textuels qui ont sensiblement le même volume : d’une part les quatre Évangiles, d’autre part l’ensemble formé par les Actes des apôtres composés par un disciple de Paul et associé aux Épîtres de ce dernier. Ces Épîtres précédèrent la fixation du texte des Évangiles.

Les mystiques reprendront très souvent des versets de saint Jean, des Épîtres de Paul que l’on peut considérer comme un des leurs. Ainsi du verset qui sera cité très fréquemment :

…et je vis, mais non plus moi-même : c’est Jésus-Christ qui vit en moi : et en ce que je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi [37].

Par exemple madame Guyon (1648-1717) en donnera l’explication suivante [38] :

Nous ne sommes plus à nous-mêmes sitôt que nous sommes désappropriés, que nous avons perdu notre propre âme en Dieu. Nous sommes transformés en l’image de Dieu [2 Co 3, 18] c’est-à-dire, transformés en Jésus-Christ, qui est l’image du Père, de sorte, dit-il ailleurs, que je ne vis plus, moi, mais Jésus-Christ vit seul en moi. Je Lui ai cédé par une entière désappropriation la place que je tenais en moi et que j’avais usurpée. Lorsque les mystiques parlent de l’incarnation mystique, c’est la même chose dont parle saint Paul par le terme de formation de Jésus-Christ en nous [Ga 4, 19], qu’il appelle aussi révélation de Jésus-Christ [Ga 1, 16].

Le premier siècle appelle une redéfinition du judaïsme au regard de la domination gréco-romaine qui ne permet plus l’isolement culturel. Jésus parfait le message prophétique ; il n’a plus besoin de la médiation externe des prêtres mais il enseigne avec autorité et monte à grand risque au Temple de Jérusalem pour la Pâque. Ensuite,

Paul et la première génération chrétienne, à la suite même de Jésus, opèrent un singulier retournement des valeurs, où ce qu’il y a de plus faible et méprisable l’emporte ... Ce retournement historique est à la base de la pensée et de la pratique chrétiennes, ou du moins devrait l’être. Il s’exprime, entre autres, dans une ancienne hymne judéo-chrétienne, reprise et aménagée par Paul : « Lui (Jésus) qui appartient à la réalité divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être à l’égal de Dieu ; au contraire, il s’est lui-même vidé, assumant (en lui) la réalité de l’esclave en devenant semblable aux hommes ; puis ... il s’abaissa lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.[39].

Paul, scandalisé comme le devait être un juif pratiquant par le rôle de médiateur direct qu’assume Jésus, qui ne baptise plus dans l’eau, comprendra que le judaïsme doit être vécu de l’intérieur ; ce qui ôte dès lors toute importance aux prescriptions minutieuses de la Loi juive, incluant la circoncision. À ses yeux le comportement éthique ne trouve plus son fondement dans la Loi mais procède spontanément de la foi vive, c’est-à-dire d’une expérience mystique.

L’apport judaïque

L’apport du judaïsme est constant depuis l’établissement de ses communautés, en particulier dans le sud de l’Europe : on le verra en Espagne lorsque nous évoquerons les sources d’un trop bref siècle d’or mystique. Ces communautés ont joué un rôle d’intermédiaire entre les deux grandes religions (de par le nombre de leurs adeptes) chrétienne et musulmane, en partie filles de l’Écriture. Ce rôle d’échange est illustré de façon exemplaire à Tolède par les interprètes traducteurs des textes qui vont féconder les premières universités occidentales.

Puis les persécutions qui prennent de l’ampleur à partir de la fin du XIIe siècle[40] entraînent des conversions douloureuses et ambiguës  favorisant le développement du christianisme : les conversos de la fin du XVe siècle se retrouvent nombreux dans les ordres religieux espagnols, comme l’illustre saint Jean d’Avila (1499-1569), défenseur de Teresa, elle-même d’ascendance juive du côté de son grand-père paternel. Enfin lorsque l’on entreprend l’étude approfondie des sources de la Vulgate latine, on a recours à la connaissance des convertis de langue hébraïque : c’est le cas pour la bible polyglotte d’Alcala (1514-1517) [41].

Cette histoire de l’alternance des coopérations et des persécutions est trop complexe pour qu’il soit possible ici d’en cerner les contours, sinon en les évoquant succinctement à l’aide d’une table présentée à la fin de ce chapitre. La succession de leurs localisations géographiques souligne l’imbrication difficile des communautés juives dispersées au sein des majorités tantôt chrétiennes, tantôt musulmanes : elles préservent leur foi par leur contrainte mobilité [42].

La Kabbale chrétienne constitue un lieu de rencontre marqué par la mystique propre à la grande tradition remontant au Zohar (~1280) [43]. Mais elle est négligée par les juifs et rejetée par les chrétiens : ils y voient un affadissement ou un danger. Au sein du judaïsme, la tradition mystique n’a retrouvé droit de cité que récemment. Elle apparaissait comme un obscurantisme s’opposant à l’intégration tentée depuis le siècle des Lumières, dont témoigne la vie de Moses Mendelssohn (1729-1786)[44]. Récemment, la redécouverte de cette tradition a été l’œuvre de trois générations marquées respectivement par Buber, Scholem, Idel [45]. La mystique juive n’a jamais été largement diffusée, sinon peut-être de manière voilée, et par des relais très indirects. On note au XVIIe  siècle le rôle de Spinoza, trop longtemps considéré seulement comme l’archétype de l’athée par les juifs comme par les chrétiens.


Le monde gréco-romain

Au cours des trois derniers siècles de l’empire romain, cinq tendances reflètent la vitalité de traditions issues d’une grande civilisation passée de la sagesse grecque à la foi chrétienne non sans apports de l’une à l’autre. Nous les suggèrerons en quelques touches :

Le stoïcisme et Épictète (vers 130)

Les stoïciens [46] proposent une « philosophie du bonheur », tout comme les épicuriens. L’apatheia (absence de passions) est reprise par des chrétiens grecs (Évagre [47], Climaque). L’influence de Cicéron sera importante mais elle s’exerce au niveau de l’ascèse plutôt que sur les mystiques [48]. Celle de Sénèque sera considérable chez tous et à toute époque : « On n’est pas sage, on le devient » et son exhortation, rédigée lorsque le péril le menace, émeut. L’influence d’Épictète, mineure sur les Pères du désert contrairement à ce qui a été avancé, s’exerce dans l’Occident chrétien  lorsque les milieux platoniciens de Florence, le prenant pour un disciple de Platon, assurent sa traduction latine par Politien (1497) [49]. François de Sales et Pascal l’apprécient, avec des réserves.

Le néoplatonisme de Plotin ( ? - 270) à Proclus (412-485)

L’œuvre de Plotin [50] fut très influente dès le Moyen Âge, ne serait-ce que par l’intermédiaire d’Origène (~185 ~254), que l’on a cru être son condisciple à Alexandrie auprès d’un maître commun, père du néoplatonisme, Ammonios Saccas. Si cette thèse séduisante reste incertaine, - l’Origène disciple d’Ammonios (avec Herennios) pouvant avoir été confondu à tort avec l’Origène chrétien, - elle traduit bien l’importance et une certaine confiance accordée à Plotin [51]. Au XIe siècle, Guillaume de Saint-Thierry connaît bien Origène, « le plus lu de tous les anciens auteurs grecs » [52].

Le néoplatonisme ne s’arrête pas à l’œuvre de Plotin : la permanence de l’école néo-platonicienne malgré la montée en puissance du christianisme et une vie « en famille » probablement de nature spirituelle propre au milieu de l’École d’Athènes est heureusement évoquée en introduction à la Théologie platonicienne de Proclus (412-485) :

« La tradition de la philosophie platonicienne, devenue le dernier rempart de la religion païenne [...] s’est conservée à l’intérieur de ‘familles d’universitaires’ comme une foi que l’on se transmettait de père en fils. » [53].

L’apport des païens a été sous-estimé par suite de la destruction systématique des sources écrites, combiné au désir d’attribuer une valeur incomparable à une fraction des écrits chrétiens. Parmi les rares textes antiques qui nous sont parvenus, à l’Hymne à Zeus stoïcien [54] répond sept siècles plus tard l’Hymne à la transcendance de Dieu de Proclus, attribué à Denys, qui témoigne de la piété personnelle des derniers philosophes païens [55] :

Seul, Tu es inconnaissable puisque tout ce qui est connu vient de Toi.

Tout ce qui parle et qui ne parle pas Te proclame d’une voix claire,

Tout ce qui connaît et qui ne connaît pas Te rend des honneurs,

Car tous les désirs et toutes les nostalgies de toutes choses

Se portent vers Toi ; tous les êtres T’adressent une prière,

Et tout ce qui connaît Ton chiffre Te dit un hymne silencieux.

En Toi seul tout demeure ; vers Toi tout ensemble s’élance,

Tu es la fin de tout, Tu es l’unique, le tout, le rien,

Tu es non-un, non-tout. Innommé, comment Te nommerait-on,

Toi, le seul innommable ?

Plotin aurait touché quatre fois mystiquement « le Premier » [56]. Rappelons l’universalité de sa voie « apophatique ». Damascius d’Alexandrie, le dernier des maîtres « païens », célèbre l’Ineffable, « inaccessible à tous », peu avant la fermeture en 529 de l’École d’Athènes. Cette voie semble moins vivante chez les intermédiaires Porphyre (-305) et Jamblique. Mais on la retrouve chez Proclus (-484) comme nous venons de le lire.

Elle  influença  Denys [57] et, par ce supposé disciple de Jésus, exerça d’innombrables influences indirectes. Le néoplatonisme exerça aussi une grande influence par une autre voie, celle des commentaires de Proclus aux dialogues de Platon repris au Moyen Âge, puis à la Renaissance par l’Académie platonicienne de Florence illustrée par Ficin (-1499), enfin au XVIIe siècle par les platoniciens de Cambridge.

Le commentaire sur le Parménide rassemble ainsi les thèmes de la supériorité de l’amour et des conditions nécessaires à la contemplation de l’Unique :

…la beauté convertit toutes choses vers elle-même, les met en mouvement, fait qu’elles soient possédées du divin et les rappelle à elle par l’intermédiaire de l’amour, elle est ce qui inspire l’amour ... il ne faut pas rechercher le bien à la manière d’une connaissance, c’est-à-dire d’une manière imparfaite, mais en s’abandonnant à la lumière divine et en fermant les yeux ... car ce genre de foi est supérieur à l’opération de connaissance ... c’est par elle que tous les dieux sont unis et rassemblent autour d’un centre unique selon une seule forme toutes leurs puissances et leurs processions [58].

Enfin l’influence antique d’origine païenne s’exerce par l’intermédiaire de Denys l’Aréopagite auquel nous consacrons ci-dessous une section.

Grégoire de Nysse (~331 – apr. 394) et les Pères grecs

La patristique grecque est restée influente en Orient. Elle ne peut être négligée sous le prétexte d’une présence très diffuse dans l’Occident latin médiéval, car elle fut relayée tardivement par l’intermédiaire de Byzantins émigrés [59]. Nous évoquerons par la suite Clément d’Alexandrie (- av. 215), figure très importante aux yeux d’un Fénelon émerveillé de trouver un frère en expérience mystique dans un passé si proche du Christ[60].

Antoine (-356) a une grande influence sur le monachisme occidental ; Basile de Césarée (-379) parle de l’Esprit « incirconscriptible », qui n’est pas l’esprit opposé au corps mais l’Esprit indépendant de nos catégories temporelles et spatiales : « l’Esprit ... émet suffisamment pour tous la grâce en plénitude ». L’humilité est le remède et le moyen du salut. L’initiative est divine, conformément à l’expérience de tous les mystiques :

Ce n’est pas toi qui as connu Dieu par ta propre justice, mais Dieu qui t’a connu par bonté ... Ce n’est pas toi qui as saisi le Christ par vertu, mais le Christ qui t’a saisi par son avènement.

Faut-il lui reconnaître une première division devenue classique « des trois voies » en voie purgative, voie illuminative, voie unitive ?

Par lui [l’Esprit] s’opère la montée des cœurs. Il conduit par la main les faibles et rends parfaits les progressants. Illuminant ceux qui sont purifiés de toute souillure, il les rend spirituels en se les unissant[61].

Parmi les écrits des Pères grecs, La vie de Moïse ou traité de la perfection en matière de vertu de Grégoire de Nysse[62] présente « une doctrine toute centrée sur la perfection conçue comme progrès indéfini », selon J. Danielou qui résume la doctrine : « Le but de la vie spirituelle est de rendre l’âme à sa vraie nature. C’est l’idée commune à toute la pensée antique, ... idée platonicienne, d’une divinité immanente à l’âme que l’âme retrouve par un retour en elle-même. Mais cette idée paraît difficilement conciliable avec la conception chrétienne de la gratuité de la communication que Dieu fait de lui-même. ... L’essence de l’âme est ... une « participation » toujours croissante, mais jamais achevée, à Dieu. » [63].

Grégoire de Nysse présente le sens spirituel du récit de l’Exode.  Il souligne la transcendance divine :

Ce que Moïse, à la lumière de la théophanie, me paraît avoir compris alors, c’est précisément qu’aucune des choses qui tombent sous les sens ou qui sont contemplées par l’intelligence ne subsistent réellement, mais seulement l’être transcendant et créateur de l’univers à qui tout est suspendu. Quels que soient en effet, en dehors de lui, les êtres vers lesquels l’intelligence se tourne, elle ne trouve pas en eux cette suffisance qui leur permettrait d’exister en dehors de la participation à l’être.[64].

La « nuée » de la grâce est notre guide dans la quête du bien :

Chaque fois que quelqu’un fuit l’Égyptien et que, parvenu hors des frontières, il s’effraie des attaques des tentations, son guide lui apprend à attendre d’en haut le secours inespéré, lorsque l’ennemi, cernant les fuyards avec son armée, l’oblige à se frayer un chemin dans la mer ; dans cette traversée il a pour guide la "nuée" : ce mot, qui désigne le guide, a été interprété à juste titre, par nos devanciers, [comme] de la grâce du Saint Esprit, qui dirige les justes vers le bien. [65].

Entretenir sans cesse la disposition amoureuse est la condition requise pour contempler une beauté qui se découvre sans limite :

Il [Moïse] fait disparaître l’idole. Il apaise Dieu. Il rétablit la loi ... Il rayonne de gloire – et s’étant élevé par de telles élévations, il brûle encore de désir ... Ressentir cela me semble d’une âme animée d’une disposition amoureuse à l’égard de la beauté essentielle, que l’espérance ne cesse d’entraîner de la beauté qu’il a vue à celle qui est au-delà et qui enflamme continuellement son désir de ce qui reste encore caché par ce qu’elle découvre sans cesse.  ... Car c’est en cela que consiste la véritable vision de Dieu, dans le fait que celui qui lève les yeux vers lui ne cesse jamais de le désirer.[66].

Saint Augustin (~354 - 430) et les Pères latins

Saint Augustin est le plus influent des Pères latins. Dans la droite ligne de saint Paul, il a été marqué par Cicéron, Mani, Plotin, Ambroise. Dans son œuvre très ample, outre les célèbres Confessions, la seconde partie de La Trinité traite du Mystère défini ainsi : « Et voici trois choses : celui qui aime, ce qui est aimé, et l’amour même ». La transformation de l’âme sous l’influence de la grâce permet de retrouver le Créateur à l’intérieur du cœur [67]

Pourquoi aller et courir au plus haut des cieux, au plus profond de la terre, à la recherche de celui qui est tout près de nous, si nous voulons être tout près de lui ? / Que personne ne dise : je ne sais quoi aimer. Il connaît mieux en effet l’amour dont il aime, que son frère qu’il aime. Et voilà dès lors que Dieu lui est mieux connu que son frère…

Denys l’Aréopagite (~500)

Denys l’Aréopagite qui fut considéré comme un disciple de saint Paul (d’où l’appellation à l’effet pervers de « pseudo-Denys »), est la plus influente des sources de l’Antiquité tardive reconnue par les mystiques chrétiens. Il faut attendre le XIXe siècle pour établir la date approximative d’apparition du corpus dionysien, postérieur à 482, antérieur aux auteurs qui le citent au début du VIe siècle[68]. L’auteur est probablement un moine d’origine syrienne, au confluent du courant chrétien et du courant néo-platonicien ; il aurait suivi les cours de Damascius [69] à Athènes peu avant que l’Académie ne soit fermée. Son œuvre complète est d’accès facile, vu sa relative brièveté [70]. On y retrouve le thème, partagé avec Proclus, du Beau qui attire à lui l’âme dans le recueillement :

C’est cette Beauté qui produit toute convenance, toute amitié, toute communion, c’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres ... [L’âme] se meut d’un mouvement circulaire lorsque, rentrant en soi-même, elle se détourne du monde extérieur, lorsqu’elle rassemble en les unifiant ses puissances d’intellection dans une concentration qui les garde de tout égarement, lorsqu’elle se détache de la multiplicité des objets extérieurs pour se recueillir d’abord en soi-même, puis, ayant atteint à l’unité intérieure, ayant unifié de façon parfaitement une l’unité de ses propres puissances, elle est conduite alors à ce Beau et Bien, qui transcende tout être, qui est sans principe et sans fin.[71].

La puissance créatrice divine est la cause agissante cachée qui demeure hors du domaine parcouru par le mouvement circulaire (parfait) de l’âme, en quelque sorte un attracteur [72] de l’âme :

C’est par surabondance de bonté que la Cause universelle désire amoureusement tout être, opère en chacun, parachève toute perfection, conserve et tourne à soi toute réalité, que ce désir amoureux est en Dieu parfaite Bonté d’un Être bon, qui se réalise à travers le Bien même. Faiseur de Bien en toute chose, cet amoureux désir, préexistant de façon surabondante au cœur même du Bien, ne lui aurait pas permis de demeurer stérile et de se replier sur soi-même, mais il le met tout au contraire en branle pour qu’il agisse selon cette puissance surabondante d’universel engendrement.[73].

En conférant la ressemblance divine aux créatures, Elle les ordonne selon une hiérarchie qui répand la lumière céleste :

Et il convient ... que les illuminateurs, intelligences plus transparentes que les autres et capables par elles-mêmes tout ensemble de participer à la lumière et de retransmettre cette participation, dans la bienheureuse splendeur d’une sainte plénitude, répandent cette lumière de toutes parts débordante sur ceux qui en sont dignes.[74].

Cette vision hiérarchique est reprise chez certains mystiques pour rendre compte de la communication de la grâce dans la prière. Le modèle néo-platonicien des processions ou émanations s’accorde assez bien à l’expérience intime propre aux grandes religions monothéistes.

Elles l’adoptent sous la condition que soit préservé le dynamisme d’une circulation de la grâce ou énergie issue d’un Centre divin. Le modèle peut être présenté analogiquement à l’aide de belles images empruntées à l’optique, telle celle d’un cercle de miroirs reflétant les uns aux autres la lumière unique issue d’une flamme (divine) située en son centre.[75].

L’influence de Denys est immense jusqu’à la fin du XVIIe siècle ; Mme Guyon, sensible à cette vision hiérarchique du monde, empruntant l’analogie « par transmission », déclare :

Si nous étions sans action, sans retour, sans réflexion et que nous fussions toujours ainsi exposés à Dieu en pure et nue foi, nous deviendrions des Séraphins. Les hommes de cette sorte ... consumés par la Divinité dont ils sont plus proches que les autres esprits bienheureux ... sont comme ces miroirs ardents [lentilles] qui, pénétrés des rayons du soleil, brûlent ce qui est au-dessous d’eux.[76].


Le Moyen Âge en terres chrétiennes

Moines du désert et leurs Apophtegmes

En Orient, le christianisme, devenu religion d’état à Constantinople, s’illustre par les très nombreux moines, depuis les Pères du désert du IIIe siècle jusqu’à ceux du début du XVe siècle. Le premier d’entre eux en importance, sinon en date, est le rénovateur de la connaissance de Dieu : Syméon le Nouveau Théologien (949 - 1022). Son lointain prédécesseur Jean Climaque (~575 ~650)  est influent à toutes les époques par son Échelle sainte, appréciée en Espagne au XVIe siècle, puis en France dès le début du XVIIe siècle. Ces deux figures, le mystique Syméon et le médecin des âmes Climaque, illustrent deux modes d’expression du vécu anachorète, plus lyrique chez le premier, plus analytique chez le second, partagés par une myriade d’auteurs orientaux. Une immense littérature traduit l’expérience marquée par l’ascèse. Elle est consignée de façon anonyme dans des Apophtegmes [77] et dans des Centuries, qui inspirèrent Cassien (- ~435) et tout le monachisme d’Occident [78]. Enfin on n’oubliera pas le grand mystique Jean de Dalyatha (VIIe siècle) d’une église nestorienne aujourd’hui disparue.

Jean Climaque (~575 ~650) et la Philocalie

Jean Climaque vécut près du Mont Sinaï pendant quarante ans dans une grotte, au milieu d’une colonie d’anachorètes, mais fit cependant au moins un voyage en Égypte, pour être finalement élu higoumène du monastère de la sainte Montagne. Il aurait composé son Échelle sainte, suivie d’une intéressante Lettre au Pasteur (ou directeur d’âme), à un âge avancé. Les trente degrés de cette « échelle du Paradis » font parcourir des étapes : rupture avec le monde, acquisition des vertus fondamentales, lutte contre les passions, couronnement de la « vie pratique » (simplicité, humilité, discernement), union à Dieu[79]. Son influence s’exerça par l’intermédiaire de très nombreux manuscrits. Ainsi, découvert par Syméon le Nouveau Théologien (949-1022) dans la bibliothèque de son père, l’ouvrage fut aussi le principal inspirateur du grand spirituel russe Nil Sorskij (1433-1508), qui ramena une « bibliothèque » grecque d’auteurs spirituels en Russie. En Occident, l’Échelle figure dans les bibliothèques des franciscains, des chartreux, etc. Elle est traduite en Espagne dès 1504, en France par Gaultier dès 1603, puis à Port-Royal (nombreuses éditions à partir de 1652).

Elle propose une progression à l’usage des ascètes du désert en recherche de Dieu, comme le souligne son traducteur moderne : « Jean est un moine qui a fait l’expérience à la fois du terme de la vie spirituelle : la déification de l’homme par la lumière incréée, et de la voie qui y achemine. C’est cette voie qu’il nous trace, d’une manière essentiellement pratique. L’unique moyen d’en acquérir une intelligence véritable est de s’y engager soi-même [… comme] disciple qui, ayant fait une fois pour toutes le choix décisif, se met à l’écoute d’un maître, laisse parler son œuvre, ou plutôt s’efforce de percevoir ce que Dieu lui dit à travers elle au secret de son cœur, et s’applique à en suivre les directives avec la même attention et le même sérieux que le mode d’emploi d’un instrument précis et complexe. » [80].

Jean met en garde contre une interprétation trop littérale de ce qui fut écrit pour des hommes menant une vie rude :

L’ascèse corporelle, l’obéissance et l’amour des humiliations n’ont d’autre fonction que de nous préparer à cette illumination de la lumière divine en nous faisant signifier et réaliser, sous la motion de la grâce, la mort de notre individualité opaque, de notre volonté propre, unique obstacle à notre communion personnelle avec Dieu.[81].

Ce texte assez bref n’est cependant pas sec : il reprend des histoires très vivantes, telle celle de la confession devant tous les frères d’un auteur de beaucoup de « choses qu’il ne convient ni d’entendre, ni d’écrire ... pour délivrer le pénitent lui-même de la honte future par la honte présente »[82]. On apprécie la justesse de ses observations :

Il me semble que nous devrions nous taire dans toutes les occasions d’humiliation qui nous sont offertes, car c’est l’heure du gain. Mais dans les circonstances où un tiers est en cause, nous devons rétablir la vérité, pour garder indissoluble le lien de l’amour et de la paix.[83].

Il aborde sans détour tous les problèmes qui se posent dans une société d’hommes jeunes et fait ailleurs appel aux images issues de l’expérience humaine, car :

Il n’y a rien d’inconvenant à emprunter aux choses humaines des images pour représenter le désir, la crainte, l’ardeur, la jalousie, le service et l’amour passionné de Dieu. Bienheureux celui qui a obtenu un désir de Dieu semblable à celui d’un amant passionné pour celle qu’il aime.[84].

Car la réorientation des tendances humaines est préférable à leur rejet :

J’ai vu des âmes, qui se livraient avec fureur à l’amour charnel ... C’est pourquoi le Seigneur, parlant de cette chaste pécheresse, ne dit pas qu’elle a craint, mais qu’elle a beaucoup aimé, et qu’elle a pu facilement chasser l’amour par l’amour.[85].

 L’optimisme est finalement toujours présent, car « l’homme de foi n’est pas celui-ci qui croit que Dieu peut tout, mais celui-ci qui croit pouvoir tout obtenir [86]. » En effet « rien n’égale ni ne surpasse la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi celui qui désespère est son propre meurtrier [87]. » La foi est confirmée dans la contemplation : « La certitude intime que toutes nos demandes sont exaucées nous est donnée clairement dans la prière. » [88].

Inspiré par les auteurs de Centuries, le livre abonde en brèves définitions, qui réorientent vers Dieu : « Le discernement est et se définit : la perception certaine de la volonté de Dieu en toute occasion, en tout lieu et en toute circonstance » [89]. Les définitions remontent souvent des manifestations qu’elles évoquent immédiatement à leurs causes : « La charité est avant tout le rejet de toute pensée d’inimitié » [90].

L’ascèse, omniprésente dans le monde particulier du désert où l’auteur vécut, est une garde du cœur ; il en modère l’exercice par l’importance donnée à la sincérité et la transpose en sobriété dans l’exercice de la prière :

N’attend pas de visite [spirituelle] et ne t’y prépare pas à l’avance, car l’hésychia est un état de parfaite simplicité et liberté.[91].

  Durant la prière, n’admets aucune imagination sensible, de peur de tomber dans l’égarement.[92].

Enfin il rend témoignage sans ambiguïté à l’efficace d’une prière orientée envers autrui :

Celui qui s’est vraiment rendu Dieu propice peut soulager ceux qui souffrent sans qu’ils le sentent et en secret ; il en résulte deux grands biens : il se préserve de la gloire humaine comme de la rouille, et il induit ceux qui ont été l’objet de sa miséricorde à ne rendre grâce qu’à Dieu seul.[93].

Jean Climaque est une figure que nous venons de mettre en valeur parmi beaucoup d’autres spirituellement comparables, auteurs de Philocalies : le mot grec signifie « amour de la beauté » et il est repris par les orthodoxes pour désigner une anthologie de textes mystiques, dont la dernière et la plus célèbre, publiée à Venise en 1782, exerce aujourd’hui encore une forte influence [94]. De trente-sept auteurs représentés se détachent les cinq figures de Maxime le confesseur, Syméon le Nouveau Théologien et Nicétas Stéthatos, Grégoire le Sinaïte et Grégoire Palamas : leurs écrits occupent plus du tiers de l’ensemble qui constitue une encyclopédie portant sur l’ascèse pratique mise au service d’une vie orientée vers la contemplation de la lumière divine.

Jean de Dalyatha (~690 ~780)

Originaire d’un village du nord de l’Iraq, au pied des montagnes du Kurdistan, Jean entra dans un monastère du sud de la Turquie actuelle puis s’établit dans la solitude au sein des montagnes de Dalyatha avant que des moines ne se groupent autour de lui. Il est le grand ermite nestorien, condamné puis réhabilité par son Église, dont les homélies et les lettres, joyaux de la mystique syriaque, révèle une vie mystique conçue comme une « résurrection anticipée » fondée directement sur l’expérience. Il a été redécouvert par un carme missionnaire enseignant en 1956 au Séminaire Chaldéen de Bagdad. Celui-ci le situe « au niveau d’un Jean de la Croix » et nous partageons son éblouissement [95] :

Il n’y a pour moi en dehors de lui [le Créateur] ni stabilité, ni mouvement, ni vie, ni perception. Et lorsque je suis absorbé par l’émerveillement, je les vois [la Trinité] (comme) une lampe unique, et comme celle-ci je resplendis. Aussi je m’émerveille de moi-même et me réjouis spirituellement : en moi se trouve la Source de la Vie, cette Source qui est la fin du monde incorporel. Il n’est possible à aucun sage de fournir à ceci une explication : gloire à Celui qui rend sage les siens par ce qui est sien et révèle sa beauté pour la délectation de ceux qui l’aiment !

Syméon le Nouveau Théologien (949 - 1022)

Encore jeune, Syméon fut envoyé à Constantinople chez son oncle paternel pour y achever son instruction et pour être introduit à la cour impériale. Après la mort inattendue de l’oncle, il se proposa d’entrer au monastère de Studios, auprès de son père spirituel, Siméon le pieux ; le projet n’eut pas de suite et il mena un temps « une vie dissipée ». Enfin à vingt-huit ans, il entra au Studios et fut confié à son vénéré maître. En 980, il devint l’higoumène du monastère, travailla à le réformer et devint le père spirituel d’un grand nombre, rayonnant au dehors de sa communauté. Une filiation mystique passe de Siméon le Pieux, à Syméon le Nouveau Théologien, puis à Nicétas Stétathos. Après de nombreuses épreuves, dont une révolte de moines et deux condamnations à l’exil, il s’installa dans un oratoire en ruine, dédié à sainte Marine, sur la rive asiatique du Bosphore, près du moderne Scutari, Usküdar. C’est là qu’il écrivit nombre de ses œuvres.

Une grande joie émane de ses écrits[96]. Ils célèbrent une rencontre jamais achevée, dans la lumière sans limite. À l’influence néo-platonicienne transmise par Denys, il ajoute le dynamisme de sa vie mystique et une relation d’amour. Les thèmes qui reviennent le plus souvent portent sur sa connaissance acquise personnellement dans sa vie contemplative[97]. Il traduit son expérience dans des hymnes :

Il [le moine] Le voit et en est vu, L’aime et en est aimé,

Et devient lumière, parce qu’éclairé de manière ineffable ;

Glorifié, il se voit toujours plus pauvre :

Intime, Il est comme un étranger

- Ô merveille totalement étrange et inexprimable !

À cause de ma richesse infinie je suis un indigent

Et pense ne rien avoir, quand je possède tellement,

Et je dis : « J’ai soif », par surabondance des eaux ... [98].

L’action vertueuse mais intéressée ne donne pas « la lumière [incréée] » :

... Les femmes qui tissent, les fondeurs d’or et les orfèvres

Veillent plus que la plupart des moines

Et voilà pourquoi nous disons que rien

De toutes ces actions vertueuses ne s’appelle la lumière.[99].

Mais tout est donné gratuitement, dont la lumière divine resplendissante :

... Et qui donc s’approcherait de Lui ? ...

Tandis que j’y réfléchis, Il se découvre Lui-même en moi,

Resplendissant à l’intérieur de mon misérable cœur ...

Il se donne tout entier à moi, l’indigne,

Et je suis rempli de Son amour et de Sa beauté ... [100].

Le terme est la « déification », chère aux orthodoxes, thème qui deviendra souvent suspect (peut-être l’était-il déjà à son époque mais les indices manquent). Il provoquera l’amendement de certains écrits trop explicites lorsque l’auteur quitte le mode lyrique en commentant son poème. Dieu est célébré ainsi par Syméon :

 ... Tu es tout entier immobile et tout entier toujours en mouvement,

Tout entier en dehors de la création et tout entier en toute créature,

Tu emplis entièrement tout, Toi qui es tout entier en dehors de tout,

Au dessus de tout.

... Tu es la simplicité, et Tu es toute variété,

Et notre esprit est totalement incapable de sonder

La variété de Ta gloire et la splendeur de Ta beauté […]

Demeurant ce que nous sommes, nous devenons par Ta grâce

Fils, semblable à toi, et dieux, voyant Dieu.[101].

La splendeur de ces hymnes précède celle des odes de Rûmî (1207-1273), poète iranien réfugié en Anatolie qui assura la continuité entre la tradition sufi de Nichapour (la grande capitale détruite par Gengis khan, dont ne demeure que quelques traces à l’est de l’Iran actuel) et les derviches d’une principauté musulmane proto-turque récemment fondée sur une terre byzantine, assez proche de la rive asiatique du Bosphore. Le milieu s’était islamisé, deux siècles et demi s’étaient écoulés depuis Syméon. La forme hymnique de louanges à Dieu ou célébration de ses exploits demeure cependant commune à tout le Moyen Orient[102].

Syméon souligne la nécessité d’être guidé par un père spirituel. Sa biographie montre les difficultés auxquelles il se heurta par sa fidélité à son vénéré maître Siméon le pieux (celui de Rûmî fut tué !). Le problème de la validité de la hiérarchie ecclésiale se pose et un passage autobiographique témoigne d’attaques violentes [103] :

Arrête, disent-ils, dévoyé et orgueilleux que tu es ! Qui donc actuellement est devenu tel que furent les saints Pères ? Qui donc a vu Dieu ou est capable de le voir si peu que ce soit ? ... Arrête si tu ne veux pas que nous te fassions accabler de pierres.

Il y répond par l’expérience de la « vie en Esprit » :

Si c’était par les lettres et les études que la découverte de la vraie sagesse et de la connaissance de Dieu devait nous être donnée ... quel besoin avions-nous de la foi ... Aucun certainement [104]

Elaborant un thème classique depuis Augustin, il évoque par une belle analogie la « plongée » mystique :

Debout sur le rivage de la mer, l’homme voit l’océan infini des eaux ; il n’en peut cependant saisir la fin et n’en aperçoit qu’une partie. Ainsi celui qui a été jugé digne de fixer son regard par la contemplation sur l’océan infini de la gloire de Dieu et de Le voir intérieurement ne Le voit pas aussi grand qu’Il est, mais aussi grand que cela est possible aux yeux intérieurs de son âme ... Dès qu’il commence à entrer dans l’eau et qu’il s’y enfonce ... il perd aussi la vue de ce qui est au dehors [105].  

Il affirme nettement la réalité d’un état déifié vécu dès ici-bas :

Avant la mort se produit une mort et avant la résurrection des corps une résurrection des âmes en œuvre, en puissance, en expérience et en vérité [106].

L’influence de Syméon se fera sentir d’abord sur son disciple et biographe Nicétas Stétathos, puis après un long oubli, sur Grégoire Palamas (-1359). Nicodème l’Hagiorite (1749-1809), qui collabora avec Macaire de Corinthe à l’édition de la Philocalie (Venise, 1782), l’appelle « le troisième théologien, après l’apôtre Jean et Grégoire de Naziance » (-390). En Occident, le carme Honoré de Sainte-Marie ne l’ignore pas : il lui consacre sa plus longue notice relative aux spirituels du XIe siècle, dans sa Tradition des Pères et des Auteurs Ecclésiastiques sur la Contemplation…, 1708.


Le Moyen Âge en pays islamisés

Nous venons de citer Rûmî en le rapprochant de Syméon, suggérant un cadre commun d’expression littéraire. Les pays rapidement recouverts au VIIe siècle par la conquête arabe appartenaient à l’empire byzantin successeur de Rome, du moins sur le pourtour du « lac Méditerranée » si favorable à des échanges autant qu’aux invasions.

Les influences furent donc intimes, d’abord de la culture chrétienne des cités conquises du Moyen-Orient sur les conquérants nomades ; ensuite en sens inverse, les pays chrétiens du nord plus frustes recevant l’influence des civilisations musulmanes, en Espagne et par la Sicile, et lors des croisades.

Par la suite, les  catastrophes répétées depuis le XIIIe siècle, invasions mongoles puis domination turque, ouverture de nouvelles voies maritimes isolant les pays continentaux, enfin colonisations, rendent compte de la stagnation observée en terres d’Islam sur les six derniers siècles.

Les invasions de Gengis Khan (~1220) qui entraînèrent la destruction de Nichapour et l’exil de Rûmî, puis celles de Tamerlan (~1400), s’ajoutèrent à l’effet de grandes pestes dans des civilisations urbaines (le déficit de celle de 1358 fut plus rapidement compensé dans une Europe paysanne moins fragile).

Ensuite la domination étrangère turque créa une coupure entre les peuples soumis et une caste militaire conquérante, bloquant ainsi l’émergence d’une classe moyenne « bourgeoise » au profit d’un fonctionnariat soumis à l’arbitraire sans frein et à la terreur.

Une telle stagnation  n’eut pas lieu en Europe où se mit en place progressivement un cadre légal, héritage romain : les procès injustes sont enregistrés. Autre legs de Rome, la confusion des pouvoirs religieux et civils s’avère présenter une face positive : freiner utilement le changement de pouvoir au moyen de la seule force brute [107].

Puis la domination des puissances chrétiennes maritimes étouffèrent par isolement les empires terrestres du Grand Soufi en Perse, et des Moghols en Inde dont la domination, étrangère aux cultures indiennes, était instable : ces deux empires se disloquèrent au XVIIe siècle. Des régions devenues misérables furent alors colonisées et perdirent toute initiative économique et culturelle.

Il est toujours risqué de postuler des influences diffuses sans preuves matérielles, mais certaines influences sur le monde chrétien ont fait l’objet d’inventaires : venant d’Andalousie, sur l’amour courtois et sur Dante[108] ; venant par l’intermédiaire de l’école des traducteurs de Tolède, intimement mêlées à des influences juives car ces derniers servaient d’interprètes[109] ; thèmes rapportés par les Croisés, comme l’illustre l’histoire devenue « universelle » de Râb’iâ (-801) qui veut mettre le feu au paradis et éteindre l’enfer. Le récit est repris par Joinville (1225-1317), comme par Aflâkî, rédigeant en 1353 la biographie des fondateurs de l’ordre fondé par Rûmî :

Un jour, une compagnie de mystiques virent Râbi’a ‘Adawiyya prendre dans une main un brandon allumé, et de l’autre une cruche d’eau, et courir avec rapidité. On l’interrogea : « O dame du monde futur, où vas-tu, et qu’as-tu à faire ? » Elle répondit : « Je vais mettre le feu au paradis et éteindre l’enfer, afin de faire disparaître ces deux voiles qui nous coupent la route [vers Dieu] ; afin que le but soit désigné, et que les serviteurs de Dieu le servent sans motifs d’espérance ou de crainte…[110].

Divers auteurs reprennent Joinville jusqu’à l’époque de la querelle du « pur amour » au XVIIe siècle :

Il est remarqué dans la Vie de saint Louis, écrite par M. de Joinville, que saint Louis étant allé dans la Terre Sainte, ils trouvèrent dans la ville d’Acre une femme qui tenant un flambeau dans une main, et une cruche d’eau dans l’autre, allait par la ville de cette sorte. Un bon Ecclésiastique qui la vit lui demanda ce qu’elle voulait faire de cette eau et de ce feu ? C’est, dit-elle, pour brûler le Paradis et éteindre l’Enfer, afin qu’il n’y ait jamais plus ni Paradis ni Enfer. ... parce que je ne veux plus qu’aucun fasse jamais de bien en ce monde pour  en avoir le Paradis comme récompense, ni aussi qu’on ne se garde plus de pécher par la crainte de l’enfer ; mais bien le doit-on faire pour l’entier et parfait amour que nous devons avoir à notre Dieu créateur, qui est le bien souverain.[111].

On discerne trois tendances parmi les spirituels vivant en terre d’Islam [112] :

- les soufis : Ils sont attestés à Koufa puis à Bagdad, dans l’actuel Irak, par des figures marquantes telle que Râb’iâ. Ils sont liés à la religion musulmane même si certains traits sont inspirés du monachisme syrien ou indien. Ils se distinguent le plus souvent par leur mode de vie retiré ou communautaire, en contraste avec l’existence laïque de milieux urbains fortement socialisés. Certains s’attachent aux états spirituels et à des pratiques favorisant l’apparition de transes, ou mieux, le partage d’états avec ceux de leur maître. Ainsi repérables par leurs vêtements, leurs règles, leurs monastères, pratiquant l’ascèse, le terme « soufi » devint synonyme de « mystique » en terre musulmane [113].

Ils n’ont guère besoin des docteurs de la loi. Par leur pratique parfois inspirée des prophètes, au point de mettre en question le rôle totalisant du dernier d’entre eux, Mohammad, ils font facilement l’objet de persécutions : Hallâj (-922), Hamadâni (-1131), Sarmad (-1661) et beaucoup d’autres sont les figures emblématiques martyrisées en pays arabe, iranien, indien. Ils furent tous trois influencés par le modèle présenté par l’avant-dernier prophète Jésus.

- Les gens du blâme ou malâmatîya apparurent à Nichapour dans le Khorassan, province du nord-est de l’Iran. Le premier d’entre eux serait Hamdun al-Qassâr (-884). Ils se réclament de Bistâmî (-849) et sont attestés par des figures telles que Sulamî (-1021) leur premier historien, suivi d’Hujwîrî (-1074), auteur d’un célèbre traité soufi. Le très simple et très direct Khâraqânî (-1033) fut le premier au sein des directeurs mystiques : le « pôle » de son époque. Tous demeurent cachés, se méfient des états et rejettent les pratiques, « blâmant » leur moi jusqu’à son effacement complet. Ils ne sont pas à confondre avec certains qalandarîya et d’autres excentriques [114].

- Les théosophes : une tendance théosophique (au sens premier du terme, à rapprocher de la théologie mystique telle qu’elle fut pratiquée par des spirituels chrétiens comme Syméon) s’illustre chez Sohravardî (-1191), Ibn ‘Arabî (-1240), Shabestarî (-1340). Elle est particulière en Iran chiite, reprenant des éléments de la tradition sassanide tels que des symboles propres au jeu lumière / ténèbres, les émanations propres au néo-platonisme supposant un monde intermédiaire. Elle s’illustre chez Molla Sadra (-1640) pour devenir un chemin intellectuel (peut-être sous influence de docteurs du judaïsme médiéval ?).

En fait on ne doit pas cloisonner les mystiques en terre d’islam en plusieurs voies car elles fonctionnent comme des tendances qui peuvent s’associer chez le même individu : ainsi Abû Sa’id (-1049) apparaît-il à la fois soufi et homme du blâme. Le « premier des philosophes » Abû Hamid al-Ghâzalî (-1111) est devenu soufi : il est l’auteur du bref Al-Munqid, « Erreur et délivrance », autobiographie spirituelle et témoignage du grand philosophe éveillé à la mystique [115]. Son frère Ahmad  fut toute sa vie un soufi éminent  (et probablement à l’origine de la conversion du philosophe). Ibn ‘Arabî est le « premier des soufis », né en Andalousie, mort à Damas, dont l’influence fut immense[116].

Thèmes et influence

L’effacement devant la toute-puissance divine est commun à tous ces spirituels ; ce thème aux références innombrables est  mis en relief par la religion musulmane. Mais c’est aussi une clé mystique universelle, présente aussi bien dans le judaïsme et dans le christianisme de manière moins apparente. Un exemple chrétien de cet effacement sera fourni dans les descriptions par Madame Guyon de l’état « apostolique », où le divin est devenu le maître libre d’agir parce que toute volonté propre a disparu. Condition pour être autonome et libéré par dépossession intime, il peut être vécu au sein d’une société politiquement et religieusement très totalisante, l’umma des croyants – mais de façon cachée : les danses et les transes « soufies » voilent l’essentiel.

Dans son Erreur et délivrance Al-Ghâzalî définit clairement et pour la première fois dans l’histoire de la pensée, les domaines distincts de la science, de l’expérience, de la foi, tout en demeurant critique des intellections ou des visions. Finalement…

…Je quittai donc Bagdad, après avoir distribué mon argent, ne gardant que le strict nécessaire pour nourrir mes enfants. ... Je me rendis à Damas, où je passai près de deux ans, consacré à la retraite et à la solitude ... Je séjournai quelque temps dans la Mosquée de Damas : je passais la journée en haut du minaret ...

Que dire d’une Voie où la purification consiste, avant tout, à nettoyer le cœur de tout ce qui n’est pas Dieu ; qui débute par la fusion du cœur dans la mention de Dieu ; et qui s’achève par le total anéantissement en Dieu ? Et encore cet anéantissement n’est-il qu’un début par rapport au libre-arbitre et aux connaissances acquises. En fait, c’est le commencement de la Voie, dont ce qui précède n’est que l’antichambre…[117].


Figures

Les figures regroupées en tableaux et listes appartiennent aux trois grands courants des religions du Livre. Nous voulons souligner ainsi l’étendue du paysage mystique, sans même y inclure des traditions asiatiques. Ces tableaux et listes servent de repères sur lesquels viendront facilement s’adjoindre la foule des figures qui, à défaut d’être aussi connues, ont partagé la même qualité d’expérience.

Une Liste des principaux courants mystiques et des spirituels juifs du Xe au XVIIe siècle rappelle l’apport incessant du judaïsme, en terres d’Islam comme chrétiennes[118]. Nous la reportons en ANNEXE I : COURANTS & MYSTIQUES JUIFS.

Un Tableau chronologique de figures du début du christianisme [119] suivi d’une  Liste des principaux mystiques chrétiens du Xe au XVe siècle regroupés en dix groupes constitue un bref aperçu chrétien (largement complété par les nombreux tableaux répartis dans les chapitres suivants) . TABLEAU ET LISTE  propre au « pré carré » chrétien, suivent immédiatement cette page.

Deux Tables (chronologique et géographique) des mystiques en terre d’Islam montrent l’étendue considérable dans le temps et dans l’espace de la dernière religion reliée au tronc commun biblique, s’épanouissant dès le IXe siècle. Nous les reportons en ANNEXE II : MYSTIQUES EN TERRES D’ISLAM [120].

 

Tables et listes de spirituels et mystiques chrétiens

Les deux tables chronologiques de spirituels proches des origines puis du haut Moyen Âge se raccordent avec la liste de mystiques chrétiens débutant au XIe siècle et donnée à la suite ; cette dernière liste particulièrement sélective, chronologique dans la succession de ses groupes, peut servir de première armature et, mémorisée, elle évite tout grossier anachronisme.


TABLE CHRONOLOGIQUE DE SPIRITUELS PROCHES DES ORIGINES

100     150     200     250    300     350     400     450

      ~145 ~215 CLÉMENT

            ~155 >220 Tertullien

                ~185 ~253 ORIGÈNE

                        210-276 Mani

                               252-356 ANTOINE (les Kellia)

                                        292 ~347 PACHOME 306

                                             330-378 Basile (Cappadoce)

                                              338-379 GREG. NYSSE

                                                  345 ~399 Évagre

                                                    347 ~419 JEROME

                                                     ~360~430 CASSIEN

                                                      ~360~400 MACAIRE

                                                      ~360-430 AUGUSTIN

                                                       ~362~425 MARTIN

                                                           ~373 Éphrem

  100     150     200     250    300     350     400     450


 

TABLE CHRONOLOGIQUE DE SPIRITUELS DU HAUT MOYEN ÂGE

 

400   500  600  700  800  900  1000  1100  1200

      ~500 DENYS 

         ~540-604 GRÉGOIRE LE GD

           ~563-615 Colomban   

          575-650 CLIMAQUE

                      ~690 ~780 J. DALYATHA

                             ~750-821 Benoît d’Aniane

                                           949-1022 SYMÉON                                                                          ~1101 BRUNO

                                         1085-1148 GUILLAUME

       1091-1153 BERNARD

400   500  600  700  800  900  1000  1100  1200 

 


 

ANNEXES

I : COURANTS & MYSTIQUES JUIFS

Liste de courants et de mystiques juifs du Xe au XVIIe siècle

 

« Période espagnole » [121] :

XIIe s.                            Foyer de la cabbale en Provence - Piétisme rhénan.

~1230                Foyer de Gérone.

 

1240-1300           Abraham Aboulafia, identification à Dieu dans l’extase prophétique.

1240-1305          Moïse de Leon, compilateur du

~1280                Zohar

 

~1290                Foyer de Castille.

1391                   Massacres en Espagne.

1481                   Premier Auto-da-fe.

1492                   Décret d’expulsion d’Espagne.

 

 


 

« Période levantine » :

                          Foyer italien.

1536                   Foyer en Palestine (début de l’essor à Safed)

1555                               Joseph Caro (1488-1575), recueil de ses extases.

                          Moïse Cordovero (1522-1570).

                          Isaac Louria (1534-1574) et Lourianisme

1665                               Sabbataï Zwi (1626-1676) faux messie. Enthousiasme populaire.

 

« Période polonaise » :

Mouvement hassidique fondé par le Ba’al shem Tov.

Dov Baer de Loubavitch (1773-1827)


 II : MYSTIQUES EN TERRES D’ISLAM

Table géographique de mystiques ayant vécu en terre d’Islam du IXe au XVIe siècle

Cette table situe quelques-unes des principales « figures » d’une foule innombrable. Sur les 35 noms retenus, la moitié vivent entre 1000 et 1300, grande période des civilisations urbaines arabe et perse, finalement presque détruites par les Mongols (les invasions de Gengis Khan se situent autour de 1220), auxquels succédèrent des Turco-Mongols (Tamerlan / Timur exerce ses ravages autour de 1400). Double coup de hache avant et après des pestes particulièrement meurtrières dans les villes.

On n’oubliera pas que les entités politiques arabes puis turques étaient seules en contact avec le monde chrétien : elles ont fait écran à notre connaissance des mondes musulmans de la Perse, de l’Asie centrale et de l’Inde, eux-mêmes étrangers et souvent hostiles aux mondes arabes et turcs [122].  L’image d’une infinie variété affectant les vécus et les pensées doit être substituée à la vision mythique d’un « grand califat » réglé par le seul Coran. Cette variété s’explique par la situation centrale des régions concernées, constituant un carrefour si on la compare à l’excentrement et au relatif isolement d’une presqu’île européenne chrétienne avant sa domination maritime, d’une péninsule indienne, d’une plaine chinoise protégée des zones civilisées par des déserts brûlants ou glacés. Nous distinguons plusieurs appartenances ou groupes : (1) à prédominance soufie, (2) à prédominance marquée par les « hommes du blâme », (3) non classés dont des mystiques d’Afrique du nord, (4)  influencés par une théosophie. 

 « CARTE DES LIEUX » selon des zones réparties en six colonnes de l’ouest vers l’est et en deux rangées du nord au sud. On retient les lieux présumés de naissance et de décès. On n’oubliera pas la mobilité d’un Ibn ‘Arabî (de Murcie à Damas !) ou de Ghâzalî le Philosophe (Tus, Bagdad, Damas, Nishapour, Tus) ou de Jîlî (de Bagdad en Inde ?). Une figure est alors présente deux  fois (lien signalé par un « > »). Le nom figure en caractères gras au lieu de « séjour » privilégié.


 

 

 

ANDALOUSIE

 

Ibn’ Arabî  Murcie  1165 >

Ibn Abbad  Ronda  1332 >

 

ANATOLIE

 

Rûmî  (1-2)

> Konya  -1273

Sultan Valad  (1-2 ) 

Konya  1226-1318

 

 

MAGHREB

 

Ibn al-Arîf  (3) 

Marrakech   ?-1141

Ibn Abbad de Ronda  (3)

> Fez  -1390

 

ÉGYPTE

 

Ibn al Faridh  (3)  

Le Caire 1181-1235

 

SYRIE

 

Sohravardi (4) 

> Alep  -1168

Ibn ‘Arabi (4)  

> Damas  -1240

 

ARABIE

Nombreux pèlerinages à

La Mecque 

 

 

 


 

 

AZERBAIJAN

( Nord-Ouest  de l’Iran )

 

Sohravardi  Azerbaijan 1155 >

Shabestarî (4)  Tabriz   ?-1340

 

KHORASSAN

( Nord-Est de l’Iran )

 

Bistâmî (2) Bastam

777-848/9

Sulamî (2) Nishapour

937-1021

Kharaqânî (2) Kharaqan

960-1033

Hamid Ghâzâli (2) (philos.)

Tus 1058-1111

(& Bagdad, Damas, Nishapour)

Ahmad Ghâzâli (2) (sûfî)

Tus apr.1058-1126

Attâr Nishapour 1142-1220

Isfarayini Kasirq 1242 >

Jâmî Khorassan 1414 >

 

ASIE CENTRALE

(Ouzbékistan,     Afghanistan…)

 

Kalabadhi (1) Boukhara

?-995

Abu-Sa’id  (2) Meyhana

967-1049

Ansari (2) Herat

1006-1089

Kubrâ Khwarezm 1145-1220

Rûmî Balkh 1207 >

Naqshband  (2)

Boukhara 1317-1389

Jami  (2)  Herat  > 1492

 

IRAK

 

Rab’ia (1) Basra   ?-801

Junayd (1) Bagdad  830-911

Hallaj (1) Bagdad  > 922

Niffari (1-3)  Irak  879-965

Hamid Ghazali (philosophe) à Bagdad

Isfarayini (2)  Bagdad  > 1317

Jîlî Jîl (Bagdad) 1366 >

 

IRAN

 

Hallaj Tûr, FARS  ~857 >

Hamadani (1-2) Hamadan

1098-1131

Ruzbehan  (4)  Shiraz  1128-1209

Nasafi  (4)  Iran-sud   ?-1290

Saadi  (2)  Shiraz 1208-1292

Lahiji  (4)  Shiraz   ?-1507

Sarmad >

 

INDE

 

Hujwiri (2)

Ghazna Lahore   ?-1074

Maneri  (2)

Maner, BIHAR  1263-1381

Jîlî > Inde?  >1428

Ahmad Sirhindi  (2)

Sirhind, PENJAB

1564-1624

Sarmad  (3) > Delhi  -1661

 


LISTE DE MYSTIQUES CHRÉTIENS DU XIE AU XVIIE  SIÈCLE dont les quatre volumes vont traiter.

Cette liste constitue une chronologie pouvant servir de première armature à une histoire qui s’avère complexe. Les neuf premiers titres  regroupent au total une quarantaine de figures selon des étapes inscrites dans un développement chronologique. Elles éclairent tour à tour l’apport d’une famille spirituelle et elles sont groupées selon une (large) localisation géographique.  Une telle liste veut prévenir les plus grossiers anachronismes.

 

1. Fondation (~1140) :

Guillaume de Saint Thierry (1085-1148)

Bernard de Clairvaux (1091-1153)

2. Franciscains « d’origine » (~1220) :

François d’Assise (1182-1226)

Claire d’Assise (1193-1252)

3. Spirituels, Observants, Conventuels (~1300) :

Jacopone da Todi (1233 ? – 1306)

Angèle de Foligno (1248-1309)

4. Rhéno-flamands « d’origine »

(~1270 ~1370) :

Hadewijch I ~1230, Hadewijch II ~1280

Marguerite Porete (1250?-1310)

Eckhart (1260-1328)

Ruusbroec (1293-1381)

Tauler (1300-1361)

Suso (1300 ?-1366)

 

5. Anglais (~1340 ~1400)

       Rolle (1295-1349)

       L’auteur du Nuage d’Inconnaissance (~1370)

            Julian of Norwich (1343-1413)

6. Rhéno-flamands « de la Vie commune et de la Dévotion moderne »

(~1370 ~1470)  

       Geert Grote (1340-1384)

       Gerlac Peters (1378-1411)

       Thomas a Kempis (1379-1471)

       Hendrik van Herp ou Harphius (1400-1477)

       Denys le Chartreux (1402-1471)

7. L’est et l’Italie (~1500 ~1580)

Catherine de Gênes (1447-1510)

L’auteur de la Perle évangélique (1535)

Maria van Hout et la chartreuse de Cologne (~1520 et  ~1550)

Le Breve Compendio d’Isabelle Bellinzaga et de Gagliardi (~1580)

Philippe Néri (1515-1595)

    8. Le siècle d’or espagnol (~1500~1590)

Garcia J. de Cisneros (Montserrat) et François de Cisneros (La Salceda) (~1500)

Bernardino de Laredo (~1482~1540)

Thérèse de Jésus (1515-1582)

Jean de la Croix (1542-1591)

 

9. Le siècle français (~1600~1700) [123]

       Benoît de Canfield (1562-1610)

      Jean de Saint-Samson (1571-1636)

      Jeanne de Chantal (1572-1641)

       Constantin de Barbanson (1582-1631)

       Marie de l’Incarnation (du Canada) (1599-1672)

       Jean de Bernières (1602-1659)

       Laurent de la Résurrection (1614-1691)

       Jeanne-Marie Guyon (1648-1717)

 

 

 

10. Les « byzantins » [124].

Ils forment une “branche parallèle” le plus souvent ignorée des chrétiens occidentaux figurant dans la liste principale. On retiendra les noms de Maxime le confesseur, du Pseudo-Macaire, de Jean Climaque ~650 (Sinaï), de Syméon le pieux (Stoudios) -949, de Syméon le nouveau théologien -1022, d’Arsène (hésychasme de l’Athos), de Grégoire le Sinaïte -1346, de Théolepte -1315 ?, de Grégoire Palamas -1359, de Nicolas Cabasilas…

 



[1] Lilian Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme » in Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient, Hermès 2, Nouvelle série, Éditions des Deux Océans, 1981.

[2] Yolande Duran-Serrano, Le silence qui guérit, Paris, 2010, p. 16.

[3] Évangile de Jean 3, 8.

[4] Benoît de Canfield, La Règle  de Perfection, Arfuyen, 2008, [partie III,  chap.] 7, p. 70.

[5] Lilian Silburn, « Le Vide, le Rien, l’Abîme », op.cit., souligne son dynamisme puis analyse ses degrés.

[6] Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante, traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp, « Sources mystiques »,  suivi de  L’Ornement des Noces spirituelles, Traduction de 1606 par un chartreux de Paris, Centre St-Jean-de-la-Croix /Éditions du Carmel, 2010, 42.

[7] Galates 2, 20.

[8] Benoît de Canfield, op.cit.., III, 7, 72-73.

[9]  La section suivante « Opinions de quelques-uns » cite des auteurs érudits. Elle peut être omise par un lecteur peu tenté par l’exercice.

[10] Benoît de Canfield, op.cit.., III, 2, Ed. Arfuyen, 33.

[11] Œuvres complètes du Pseudo-Denys,  traduction Gandillac, Aubier, [1943], 1980, « Les noms divins », 146. [872D-873A].

[12] Jean Baruzi, Préface [1924] à la première édition de Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1931, XXIV. -  Échappant à l’influence récente de l’école historique des Annales, J. Le Brun maintient cette approche : « …pour l’historien de la religion, le travail est désappropriation de soi et redécouverte de soi en une union avec l’autre qui est de l’ordre du sentiment, de l’ « intérieur ». Cette approche de l’autre ne peut que s’attacher à l’individuel… » (Introduction à J. Orcibal, Études…, 1997, 21).

[13] Nous avons cherché un meilleur synonyme à « mystique » : « spiritualité » est large et mou, « vie intérieure » conviendrait peut-être mieux, comme le reconnaissaient les « chrétiens intérieurs » quiétistes ou piétistes, ainsi que les quakers ouverts à la « lumière intérieure ».

[14] Nous présenterons une autre liste de douze compagnons choisis dans les trois volumes suivants.

[15] Nous n’évoquons guère le Mystère de la Trinité  sinon comme circulation de l’Amour, les aspects cultuels … Par contre nous savons combien le recours à Jésus-Christ, médiateur,  le « petit maître » de Mme Guyon, est essentiel à tout mystique chrétien.

[16] Les deux sources de la morale et de la religion, in Henri Bergson, Œuvres, P.U.F., 1959, 1177.

 

[17] Et commet le péché d’anachronisme si l’on tente de l’appliquer au x  interprétations du passé.

[18] L. Kolakowski, Chrétiens sans Église, [Varsovie, 1965], Paris, Gallimard, 1969, 35 . Marxiste puis catholique à la fin de sa vie, le philosophe devint  le critique sans concession de Main currents of Marxism, 1978.

[19] Le mot récurrent « Dieu » que le lecteur va constamment retrouver dans cette citation et par la suite, peut lasser certains ; on le dissociera de toute représentation anthropocentrique, retrouvant sinon l’apophatisme du moins la « grandeur divine » chère à l’école française. Mais cette grandeur est aussi éprouvée comme amour personnel, d’où l’usage très justifié et commode du substantif.

[20] L. Kolakowski, op.cit.,  p. 36 , fait appel à sa note 16, p. 67, qui cite in extenso  -- nous en tirons ici des extraits -- [Pierre Poiret], Lettre sur les principes et les Caractères des principaux Auteurs mystiques et spirituels des derniers siècles., Bibliothèque de l'Université de la ville d'Amsterdam, ms. Bd 67 a, b, c. – Le texte est réédité dans : Pierre Poiret, Écrits sur le Théologie mystique, Préface, Lettre, Catalogue, 1700, introduction et notes par Marjolaine Chevallier, Millon, 2005.

[21] Henri Bremond, Histoire du sentiment religieux (11 vol., Paris, 1916-1933 ; rééd. avec études, d’importants compléments de l’auteur, l’indispensable Index, Grenoble, Millon, 5 vol., 2006). - On y adjoindra les autres ouvrages du même spirituel (les deux sens du terme conviennent à Bremond !)  : il aborde Madame de Chantal (l’ouvrage fut mis à l’Index de par la grande influence qui lui est attribuée sur François de Sales), Fénelon (défendu avec flamme), la prière (traitée avec émotion et justesse). – La “querelle du modernisme” explique certains “excès” de ce défenseur des mystiques (voir : E. Goichot, Henri Bremond, historien du sentiment religieux, Paris, Ophrys, 1982).

[22] A. Tanquerey, Précis de Théologie ascétique et mystique, 5° éd., 1925. - Balma, qui vivait peu avant 1300, est l’auteur vénérable d’une Théologie mystique (Sources Chrétiennes [SC] 409/410, 1995) que nous citerons.

[23] Max Huot de Longchamp, Prier à l’école des saints, guide complet de la vie spirituelle, Centre Saint-Jean-de-la-Croix (Courtioux 36230 Mers-sur-Indre), 2008.

[24] Le Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique, Doctrine et Histoire [DS]  sera très fréquemment cité. Nous avons eu la chance de  commencer à travailler juste à l’achèvement de cette immense et dernière entreprise de cette envergure dans le domaine de la tradition chrétienne catholique. Elle a été conduite de A à Z sur plus d’un demi-siècle. Il n’y manquait qu’une synthèse triée mystiquement : nous avons bénéficié  à Chantilly de l’aide irremplaçable de son dernier éditeur,  bienfaiteur et ami André Derville, S.J.

[25] Voir l’article “Mystique” du Dictionnaire de Spiritualité, tome 10, (1980), colonnes 1889 à 1984, [dénoté dorénavant : DS 10.1889/1984].  Il couvre donc près de cent colonnes ( !) dont se détachent « II A. La littérature mystique au Moyen Âge » par A. Deblaere ainsi que « III. La vie mystique chrétienne » par P. Agaësse et M. Sales. -  Voir aussi d’autres renvois fournis aux Tables générales, ouverture “mystique,  DS  17.487/8.

[26] Le choix effectué avant 1925 par A. Tanquerey Précis de Théologie ascétique et mystique, op. cit., s’avère filtré par le critère étroit d’orthodoxie propre à l’époque (on n’y trouvera évidemment pas Mme Guyon !), mais reste juste. -- La permanence doit satisfaire dans la longue durée au critère de stabilité essentiel validant tout travail tel que le nôtre : ce qui est vérifié si l’on considère les solides autorités du carme historien Honoré de Sainte-Marie, Tradition sur la contemplation, t. I, 1708 ; de Mme Guyon et Fénelon, Justifications [1694], 1720 ; de Pierre Poiret (ouvert à l’univers protestant), Écrits sur la Théologie mystique…, 1700 (rééd. M. Chevallier, Millon, 2005).

[27] On reprochera à Pierre Janet de généraliser une approche faite à partir de la seule (et folle) Madeleine ; la même erreur méthodologique – une courbe n’est pas définie par un point – affecte d’autres théoriciens abordant le champ mystique. Michel de Certeau, si attachant par ailleurs, établit sa Fable mystique sur la figure (fragile) de Surin.

[28] A. Poulain, Des  grâces d’oraison, (1901, 10e éd. 1922).

[29] Voir : G. Mursell, English spirituality, 2 vol., S.P.C.K, London, & Westminster John Knox Press, Louisville, USA, 2001, pour un tableau très complet couvrant la spiritualité propre aux Iles Britanniques ; grande bibliographie répartie par chapitres, complémentaire de la nôtre qui favorise le monde latin catholique.

[30] Un univers en soi ! Un choix ? La Philocalie (reprise des 11 vol. de l’éd. de Bellefontaine en 2 vol. : Desclée/Lattès, 1995) qui couvre les principaux auteurs jusqu’à la chute de Byzance). Pour la Russie :  DS , art. “monachisme”& “Nil Sorskij” (E. Behr-Sigel) ; Vieux-croyants au XVIIe siècle & Avvakum (P. Pascal) ; renaissance au XIXe et début du XXe siècle : Séraphim de Sarov, starets d’Optino, Pèlerin russe, Spiridon, Chariton, Silouane ; modernes accessibles en français : L. Chestov (-1938), S. Boulgakov (-1944), S. Frank (-1950), V. Lossky (-1958), P. Evdokimov (-1970), Un moine de l’église d’Orient [Lev Gillet](-1980) ; la revue « Contacts » ouverte sur l’Occident.

[31] Sainte-Beuve, Port-Royal (1840-1867 ; rééd. Laffont, 2004) - H. Bremond, Histoire du sentiment religieux, op.cit.

[32] Il a été abordé par C. Belin, La Conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Honoré Champion, 2002. 

[33] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.

[34] Henry F. Ellenberger, The discovery of the unconscious … the history and evolution of dynamic psychiatry, London, 1970, trad. française 1994, présente dans toute sa variété le domaine psychologique (et lui seul) depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle.

[35] Le problème posé par les anciennes orthographes et fontes -- f et s confondus, sur-ponctuation… -- s’avère un fantôme écarté en peu d’heures de pratique, ce qui ouvre un domaine immense commun à plusieurs langues -- comparez cela à l’effort d’apprentissage pour  une seule d’entre elles !  La difficulté  pour cerner le sens profond des rares mots-clefs essentiels à l’accès en profondeur d’un auteur mystique demeure entière, mais nul n’est avantagé, pas même  les plus érudits, puisqu’il s’agit d’expérience intime.

[36] Philon d’Alexandrie (~15 av. J.-C. - 50 après) dans son De vita contemplativa  (Cerf, 1963), décrit cette communauté.  L’étude introductive par F. Daumas évoque aux pages 11 à 69 la retraite au désert dans l’Égypte ancienne et aux pages 60 à 65 la communauté du temple Serapeum.

[37] Galates 2, 20, cité ici selon la traduction catholique du XVIIe siècle de la Vulgate ancienne revue par Amelote.

[38] Madame Guyon, Œuvres  mystiques, Champion, 2008, “Discours spirituels”, 1.02 § II, pages 558-559.

[39] Charles Perrot, Jésus, coll. « Que sais-je ? », 1998, 122, citant Philippiens 2, 6-11.

[40] Culminant avec la matanza  (tuerie) de 1391, v. Yitzhak Baer, Historia de los judios en la Espana cristiana, trad. de l’hébreu (Tel-Aviv 1945, 1959), Riopiedras, Barcelona.

[41] M.  Bataillon, Érasme et l’Espagne, 1937 (réédition Droz, 1998, 24).

[42] S. W. Baron, Histoire d’Israël, [1957], trad. française 1961, 4 tomes ; B. Bennassar, L’Inquisition espagnole, 1979, pour une rapide mise au point ; J. C. Baroja, Los Judios en la Espana moderna y contemporanea, 3 vol., 2e éd. 1978 ; et surtout : Yitzhak Baer, Historia…, op. cit. , pour la période médiévale ; etc.

[43] The Zohar, translation and commentary by D. C. Matt, Stanford, 2004 sq.

[44] D. Bourel, Moses Mendelssohn, Paris, 2004.

[45] Au sein d’une bibliographie immense, soulignons l’apport oublié de L. Gillet, Communion in the Messiah, Londres, [1942], réédité Cambridge [2003], remarquable par sa recherche des convergences qui permettraient une harmonisation entre les traditions juives et chrétiennes selon le principe de tolérance « positive » où la valeur d’une combinaison des parties dépasse leur somme. Le même auteur, connu sous le nom du « Moine de l’Église d’Orient » a tenté de rapprocher Orient et Occident chrétiens.

[46] Les stoïciens, Pléiade, 1962 ; Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius, 1993, 2004 (riche introduction de P. Veyne) ; Marcus Aurelius, London, Humphreys, 1902 (belle adaptation anglaise).

[47] L’apatheia devient progressivement pureté de l’âme, v. A. Guillaumont, Un philosophe au désert, Évagre le Pontique, 2004, 267 sq.

[48]  DS  14.1248/52.

[49]  DS  4.833 & 4.849.

[50]  DS,  art. « Platonisme », en particulier les col. 12.1808/9 ; les Ennéades des Plotin sont traduites par E. Bréhier, 1924-1938, Belles Lettres, 6 vol. ; nouvelles traductions en cours.. – Claire et profonde introduction à Plotin par Bréhier,  Histoire de la philosophie, P.U.F. , 2004.

[51] H. Crouzel pense qu’Origène suivit le cours d’Ammonios sur le traité de Porphyre Contre les chrétiens,  DS  11.933. Voir E. Bréhier, prudent, Histoire de la philosophieop.cit., 406.

[52] J. Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, Cerf, 1957, 90, & P. Verdeyen, La Théologie mystique de Guillaume de Saint-Thierry, Paris, FAC, 1990, 9.

[53] Proclus, Théologie platonicienne, Belles Lettres, 6 vol., Introduction par H. D. Saffrey au vol. I, 1968, XXVII ; voir : « L’école  d’Athènes au IVe siècle »,  XXXV-XLVIII.

[54] L’hymne ouvre Les Stoïciens, op.cit. , 7.

[55] Proclus, Hymnes et prières, trad. de H. D. Saffrey, Arfuyen, Paris, 1994, 79 ; Firmicus -  Porphyre – Sallustus, Trois dévots païens, trad. de A.J. Festugière, Arfuyen, Paris, 1998 ; le dernier feu antique est admirable chez Damascius (Des premiers principes en 1 vol., trad. Galpérine, Verdier, 1987).

[56] Rapporté par son biographe éditeur  et disciple Porphyre.

[57] Bréhier, Histoire…, op. cit., 2004, 419 sq.

[58] Proclus, Théologie platonicienne, vol. I, 108 & 110.

[59] En particulier peu avant la chute de Constantinople en 1453, par l’intermédiaire des membres du groupe constitué autour de Pléthon, le cultivé plénipotentiaire de l’accord trop tardif entre les deux Églises, qui gouverna à Mistra un lambeau du Péloponnèse sous autorité grecque, situé à mi-chemin entre une capitale déjà isolée et l’Italie (Jeremi M.F.  Wasiutynski, The Solar Mystery, Solum Forlag, Oslo 2003, 67 sq.).

[60] Fénelon compose Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie peu après sa rencontre avec Mme Guyon (rééd. Fénelon,  La Tradition secrète des mystiques, Arfuyen, 2006).

[61] Citations de Basile du Contre Eunome  et,  DS  1.1277/8, extraits Hom. 20 & De spiritu sancto.

[62] Traduction de La vie de Moïse…, Sources  Chrétiennes  SC n°1bis ; sur G. de Nysse,  DS  6.971/1011.

[63] Préface à La vie de Moïse…, op.cit., 26-27.

[64] La vie de Moïse…, § 24-25, SC  n°1bis, 121.

[65] Ibid., § 120-121, 179.

[66] Ibid., § 229 à 236, 265.

[67] Citations : La Trinité, Études augustiniennes, 16, 1991, II. Les Images, 71 & 63. – Au sein d’une immense littérature : Paul Agaësse (-1979), L’anthropologie chrétienne selon saint Augustin, Paris, Médiasèvres, 2004 ; Philippe Sellier, Pascal et saint Augustin, [1970], 1995.

[68] Dictionnaire critique de théologie, 1998, 964a.

[69] « Nous essayons d’abord de voir le soleil, et de loin du moins nous le voyons ; mais plus nous allons à lui, moins nous le voyons et à la fin nous ne voyons plus ni lui ni les autres choses. Au lieu d’être œil qui reçoit la lumière, nous sommes devenus la lumière elle-même » (Damascius, Des premiers principes, trad. Galpérine, 222).

[70] Pseudo-Denys, Œuvres complètes…  trad.  Gandillac, Aubier, [1943], 1980. [Noms divins : 701C-708A sur le Bien, le Beau, l’intériorité, 712C-713D sur l’amour, 872A-873A sur l’inconnaissance. Hiérarchie céleste : 165A-168A] ;  DS  3.244/429 ; J. Krynen [thèse disponible aux Archives Saint-Sulpice, annotée par Orcibal] ; R. Roques, L’univers dionysien, 1983.

[71] Pseudo-Denys, Œuvres…, op.cit., « Les noms divins » 101 et 102, [704A et 705A].

[72] Le centre de révolution caché qui sous-tend les limites ou frontières au sein desquelles sont canalisés certains phénomènes dynamiques, tels que des trajectoires fermées qui, considérées  individuellement, sont chaotiques (dont les révolutions ne répètent jamais le même parcours).

[73] Ibid., 104 [708A-B].

[74] Ibid., « La hiérarchie céleste »,198 [168A].

[75] Une belle analogie « par réflexion » a été proposée par un disciple d’Ibn ‘Arabi : l’analogie optique d’Amoli (-1385) utilisant les moyens connus à son époque (optique « par réflexion ») est explicitée par H. Corbin, Le paradoxe du monothéisme, L’Herne, 1981,  LP, 1992, 27 sq. Elle permet « d’intégrer et de différencier », de voir à la fois la flamme unique divine (centrale) et les multiples miroirs (ces derniers seuls perçus par la plupart des hommes malgré l’Image unique qu’ils reflètent).

[76] Madame Guyon, Correspondance I, Paris, Champion, 2003, lettre à Fénelon n° 201, novembre 1689, 423. - Ces « miroirs pénétrés » sont des lentilles dont les propriétés optiques furent découvertes au début du XVIIsiècle ; en 1609 Galilée apprend l’existence du télescope hollandais, qu’il réinvente, publiant l’année suivante Sidereus nuncius, « le messager des étoiles ».

[77]  L. Regnault, Paroles du désert d’Égypte, Solesmes, 2005, commente un apophtegme par chapitre pour une dernière retraite destinée à des carmélites. Par ailleurs auteur de Sentences et Apophtegmes des Pères du désert, Solesmes ; nombreux volumes d’auteurs ascétiques et mystiques dans les collections « Sources Chrétiennes » (éd. Cerf) et « Spiritualité Orientale » (éd. Bellefontaine) ; Philocalie des Pères Neptiques (trad. Touraille, éd. Bellefontaine, rééd. Lattès 2 vol., 1995) ; en ce qui concerne l’Occident, étude dans La spiritualité du Moyen Âge, Première partie, par Dom J. Leclercq, Aubier, Paris, 1961.

[78] Jean Cassien, Conférences, coll. « Sources Chrétiennes ».

[79]  DS  8.370 sq.

[80] Saint Jean Climaque, L’Échelle sainte, collection « Spiritualité Orientale », éd. de Bellefontaine, n°24, 1999, « Introduction » par le P. Deseille, 10.

[81] Ibid., 12.

[82] Ibid., Quatrième degré, §13-14 [4, 13-14].

[83] Ibid., 4, 135.

[84] Ibid., 30, 11.

[85] Ibid., 5, 28. Allusion à Luc 7, 47.

[86] Ibid., 27, 71.

[87] Ibid., 5, 46.

[88] Ibid., 28, 46.

[89] Ibid., 26, 1.

[90] Ibid., 30, 8. Allusion à I Cor. 13, 5.

[91] Ibid., 27, 89.

[92] Ibid., 28, 45.

[93] Ibid., “Lettre au pasteur”, 54.

[94] Philocalie des Pères Neptiques, op. cit. : 1580 grandes pages.

[95] Robert Beulay, L’enseignement spirituel de Jean de Dalyatha, mystique syro-oriental du VIII e siècle, Beauchesne, 1990. Citation  p. 406. Par quelque secrète symbiose, R. Beulay sait rendre compte précisément et admirablement des étapes de la voie  proposée : purification, sanctification et illumination, union …

[96] Syméon, Chapitres Théologiques Gnostiques et pratiques, SC 51bis (1957) ; Catéchèses I,  II, III, SC 96, 104, 113 ; Traités Théologiques et éthiques I & II, SC 122 & 129 ; Hymnes I, II, III, SC 156, 174, 196 (1973).

[97]  DS  14.1391.

[98] Hymne III.

[99] Hymne XXXIII.

[100] Hymne XVI.

[101] Hymne XV.

[102] O résurrection soudaine, ô miséricorde infinie !

O toi qui dans le buisson des pensées as jeté le feu,

Te voici aujourd’hui arrivé riant, arrivé telle la clef d’une prison.

Tu es venu chez les pauvres comme une aumône, pareil à la grâce divine.

Toi le chambellan du soleil, toi nécessaire à l’espoir,

Tu es le but et le chercheur, tu es la fin et le commencement,

Tu es apparu dans les cœurs, tu as orné les pensées.

C’est toi qui présentes la demande, et c’est toi aussi qui l’exauces

(Rûmî, Odes mystiques, trad. E. de Vitray-Meyerovitch et M. Mokri, Klincksieck, 1973 : ici  citée l’ouverture de la première ode).

[103]  DS  14.1398 ; citation : SC 129, 247.

[104] SC 129, 221. 

[105] Ibid., 11, 13.

[106] Ibid., troisième série, 38.

[107] Il n’est pas facile dans les royaumes chrétiens de saisir le pouvoir par un assassinat trop visible, comme c’est le cas dans les sultanats musulmans : l’assassin du jour est cité le vendredi suivant à la mosquée comme le nouveau détenteur du pouvoir - effet pervers inattendu d’une séparation des pouvoirs pourtant à priori souhaitable vu de nos yeux modernes.

[108] Selon Miguel Asin Palacios, La escatologia musulmana en la divina comedia, ediciones Hiperion. (trad. : Dante e l’Islam, Milano, 2005).

[109] G.Théry, Tolède , Grande ville de la renaissance médiévale, Point de jonction entre cultures musulmanes et chrétienne, Ed. Heintz, Oran.

 

[110] Aflaki, Les saints des Derviches tourneurs, trad. Huart, § 272 (rééd. Paris, 1978).

[111] Madame Guyon, Œuvres mystiques, op. cit., «  Discours spirituel 2.52, Sur le sacrifice absolu et l’indifférence du salut  », 709.

[112] Sources majeures : Encycl. of Islam ; Encycl. Iranica ; M. Molé, Les Mystiques musulmans, PUF, 1965 ; J. S. Trimingham, The sufi orders in Islam, Oxford, 1971; A. Schimmel, Mystical dimensions of Islam, Chapel Hill, 1975 ; etc. - Les commentaires indispensables à la compréhension des textes traduits font en général défaut. Le Divan d’Hafez de Chiraz commenté par C.H. de Fouchécour, Verdier-poche, 2006, constitue l’exception remarquable qui, introduisant aux symboles maniés dans des poèmes à la fois codés et personnels,  peut aider à l’approche des grands poètes de la Perse.

[113] Toutefois nombreux sont ceux qui évitèrent  tout étalage de dévotion. Ainsi les membres de la naqshbandiyya largement répandue dans les milieux urbains d’artisans, ne portent aucun vêtement distinctif, pratiquent une prière (dikr) silencieuse, ce qui facilita le maintien d'une véritable vie intérieure dans les conditions oppressives des pouvoirs timourides, safavides,  turcs. Un tel ordre regroupe des traits « soufis » propres aux périodes de consolidation (une organisation rendue nécessaire par l'état anarchique provoquée par les invasions mongoles et leurs suites), avec des traits propres aux « hommes du blâme » du Khorassan .

[114] Sulami, La lucidité implacable, par R. Deladrière, Arlea, 1991, 1999 ; Kharaqani, Paroles d’un soufi, par C. Tortel, Seuil, 1998.

[115] Descartes reprendra une démarche parallèle avec une clarté d’exposé comparable mais sans atteindre au terme mystique ; Bergson établira à la fin de sa vie une hiérarchie couronnée par le vécu mystique.

[116] Sa pensée est d’un accès difficile, sinon par sa belle poésie auto-commentée (comme le fera plus tard Jean de la Croix) dont  : L’interprète des désirs, présentation et traduction par Maurice Gloton, Albin Michel, 1996 ; très nombreuses traductions disponibles ; on lui a longtemps attribué le beau et bref Traité de l’Unité.

[117] Al-Ghazali, Al-Munqid min adalal (erreur et délivrance), trad. F. Jabre, Beyrouth, 1969, 99 & 100.

[118] Inspiré de Guy Casaril,  Rabbi Siméon bar Yochaï  et  la Cabbale,  « Maitres spirituels », Seuil, 1961,  175 sq.

[119] Résumé établi à partir de Vincent Desprez, Le Monachisme primitif, Des origines jusqu’au concile d’Éphèse, Bellefontaine,  1998. 

[120] L’Islam paraît - surtout compte tenu d’un assoupissement sur le plan philosophique et critique à l’époque moderne qui laisse du champ aux intolérances - quelque peu éloigné du tronc commun biblique. On oublie l’importance de Moïse, de Jésus, de Marie, dans le Coran. Un Faouzi Skali, auteur de Jésus dans la tradition soufie, Paris, 2004, tente d’établir un dialogue en profondeur, sans tricher sur sa fidélité envers sa tradition.

[121] Chronologie inspirée par : G. Casaril, Rabbi Siméon Bar Yochaï et la Cabbale,  Seuil, 1961.

[122] On complétera les sources précédemment indiquées par : M. Mujeeb, The Indian muslims, Allen, 1967 ; S. A. A. Rizvi, A History of sufism in India, I et II, Munshiram, 1983 ; The Heritage of Sufism, 3 vol., ed. by L. Lewisohn, Oxford, 1999 (contributions à la connaissance du soufisme persan et indien par les érudits de la “nouvelle génération”).

[123] On peut s’étonner de l’absence dans cette liste de François de Sales, de Condren et de bien d’autres... Ces figures sont soit essentiellement spirituelles, soit laissant  moins d’écrits significatifs du point de vue mystique.

[124] Exceptionnellement ce dernier compartiment très ouvert géographiquement remonte avant le XIe siècle.


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