MARTIAL D’ETAMPES


Maître en oraison





Textes présentés par Joséphine Fransen & Dominique Tronc





SOURCES MYSTIQUES

Editions du Carmel











INTRODUCTION

On ne connaît souvent parmi les franciscains que le nom du capucin d’origine anglaise Benoît de Canfield car il appartient à la première génération des fondateurs franciscains qui assurèrent « l’invasion mystique » de la France dès la fin des guerres de religion1 : l’influence de sa Reigle de perfection est restée inégalée. Elle fut cependant complétée, voire approfondie sur de nombreux points, par les écrits d’autres capucins d’égale valeur mystique. Ils ont fait vivre durant tout le siècle une spiritualité enracinée sur la tradition transmise par Harphius2.

Martial d’Etampes (1575-1635) est l’un de ces franciscains qui furent, au début du XVIIe siècle, les infatigables ouvriers intérieurs de l’essor spirituel. Il est le représentant le plus illustre en son temps de la seconde génération capucine3. Il exerça une forte influence sur Jean-François de Reims son contemporain. Et ce n’est qu’après quatre générations, d’où sortirent plus d’une dizaine de grandes figures mystiques, que s’étendit un « crépuscule » qui recouvrit jusqu’à nos jours la grande tradition mystique franciscaine capucine4.

Nous rappellerons brièvement l’histoire de la famille franciscaine et l’esprit intérieur qui animait ses membres, avant de présenter les rares informations qui nous sont parvenues sur la vie de Martial. Quelques thèmes chers à celui-ci introduiront aux deux textes principaux de son opus reproduits dans ce volume.

Franciscains et capucins

Après la mort de François d’Assise en 1226, des franciscains « Spirituels » qui voulaient maintenir l’idéal de perfection du fondateur s’opposèrent aux franciscains de la « Communauté » qui n’observaient plus littéralement la Règle et le Testament du fondateur. Bien des problèmes pratiques posés par l’extension de l’ordre s’opposaient en effet à la stricte pauvreté matérielle, sans compter la sirène offerte sous forme d’études au sein des universités naissantes.

Le règne « efficace » du frère Elie, de 1232 à 1239, n’arrangea rien. Celui, sensé, de saint Bonaventure, de 1257 à 1274, ne put récupérer une situation tendue5. Cependant, en 1282, on relevait plus de quarante mille religieux répartis en près de mille six cents maisons. L’affrontement entre « idéalistes » et « réalistes » fut finalement tranché en faveur de la « Communauté » par Jean XXII, le pape autoritaire responsable du procès d’Eckhart. Puis la société européenne fut troublée par l’arrivée de la peste au milieu du XIVe siècle ainsi que par le schisme avignonnais, et l’ordre franciscain connut une décadence.

Mais des réformes successives assurent tout au long de l’histoire franciscaine une grande vitalité. Au « conventualisme », terme qui désignent la branche de ceux qui adaptent l’idéal de pauvreté aux contingences permettant l’organisation de la communauté, vont s’opposer les observants, qui « s’unissent pour restaurer l’ordre dans son observance primitive et sa splendeur », avec des méthodes diverses, mais en « donnant la préférence aux couvents pauvres et écartés » 6.

Ce mouvement des observants naît vers 1380 puis se développe à Foligno. En 1451 le mouvement compte deux cents religieux répartis en trente-quatre maisons, formant de nombreuses petites communautés. En France un mouvement de réforme prend forme au sein des conventuels et se développe sous l’impulsion de sainte Colette (-1448). En Espagne, l’un des foyers animé par Juan de Guadalupe (-1506) sera à l’origine des franciscains « déchaux » aux tendances érémitiques et pénitentielles.

En 1517, à la veille de l’expansion luthérienne, on compte pour l’Europe environ vingt-cinq mille conventuels et trente-deux mille observants, formant deux immenses familles autonomes. Divisions et réformes apparaissent, signes d’une poussée vitale. A la fin du processus, on distingue de nombreuses familles franciscaines 7.

Les conventuels perdent progressivement de leur importance : nombreux en Allemagne et en Europe centrale, ils sont touchés par la réforme luthérienne. Les déchaux s’organisent autour de diverses figures dont l’espagnol Pierre d’Alcantara qui fut influent sur Thérèse d’Avila. Les récollets, issus de maisons de retraites ou « récollections », prospèrent en France puis en Belgique et en Allemagne.

Mais surtout une nouvelle famille est née en Italie autour de 1520, celle des frères mineurs capucins. Ils sont plus de trois mille répartis en trois cents couvents avant même de franchir les Alpes en 1574. A la fin du premier siècle de leur existence, toute l’Europe est conquise avec près de dix-sept mille religieux répartis en près de treize cents maisons 8. En Rhénanie et en Flandre, l’essor capucin culmine dans les grandes figures de Constantin de Barbanson et de Jean-Evangéliste de Bois-le-duc, le « Jean de la Croix flamand ». En France les capucins dominent par leur rayonnement l’ensemble des autres branches par leur exemplarité :

Leur vie se caractérisait par une austère simplicité et un amour fraternel, une vie intérieure intense, un apostolat multiforme 9.

Le but auquel doivent conduire austérité et observance de la Règle est la vie d'oraison. L'aphorisme de Bernardin d'Asti, co-fondateur des capucins, devint un axiome pour toutes les générations 10 :

Si vous me demandez qui est bon religieux, je répondrai : celui qui fait oraison. Si vous me demandez qui est meilleur religieux, je répondrai : celui qui fait meilleure oraison. Et si vous me demandez qui est excellent religieux, j'affirmerai en toute sincérité : celui qui fait excellente oraison.

L’un d’entre eux est l’excellent religieux et mystique Martial.



La vie de Martial

Jean Raclardy naît à Etampes le 22 juillet 1575, d’une famille de petits artisans. Il entre le 20 juillet 1597 au couvent des capucins d'Orléans, y reçoit l'habit des mains de Benoît de Canfield, maître des novices, fait profession le 29 juin 1598 entre les mains d’Honoré de Paris sous le nom de Martial. Il est absorbé par la tâche de maître des novices (Meudon, Paris, Troyes, Amiens) et de confesseur de religieuses capucines (Paris, puis Amiens de nouveau, de 1631 à sa mort). De santé fragile, il exerça sa patience dans ses infirmités. On lui attribue miracles et prémonitions.

Il était porté d'une charité si grande envers les infirmes et ceux qui étaient en quelque nécessité, qu'il eut employé sa vie et incommodé sa santé pour leur porter du soulagement, et était si compatissant aux besoins et nécessités des affligés, qu'il en pleurait de compassion 11.

Nous disposons d’une seule mais solide étude qui accompagnait l’édition de quelques lettres12. Elle est l’œuvre de Raoul de Sceaux, le grand connaisseur de la vie franciscaine à l’époque de Martial 13 :

S'il est aujourd'hui possible de projeter quelque lumière sur cette existence volontairement effacée, nous le devons à l'empresse­ment du P. Sylvestre de Paris, l'Ancien, qui, chargé, à titre d'archi­viste de la Province de Paris, de tenir à jour le nécrologe, a consacré à la mémoire du P. Martial d'Etampes plusieurs pages pleines d'in­térêt [ms. du Titre, pages 36, 71 sv.], et inséré quelques lettres qui lui furent remises après la mort de celui-ci. [...]

Jean Raclardy naquit à Etampes le 22 juillet 1575, et ses parents François Raclardy et Michelle Benoist, petits artisans mais excellents catholiques, firent baptiser leur enfant le jour même à l'église Notre-Dame. Dès l'âge de six ans, celui-ci déclarait vouloir être religieux dans l'Ordre de saint François, « et comme on luy eu dit que ses reli­gieux ne manioient et n'avoient point d'argent, il n'en voulut plus avoir ny manier que pour avoir des livres, se portant a vouloir étudier et s’adonnant a la lecture de livres de dévotion14». Chaque jour son père assistait à la messe célébrée de grand matin « pour la com­modité des artisans et manouvriers ». L'enfant se levait à temps pour l'y accompagner, « et mesme il prit aussi la coutume d'entendre tous les jours matines, et pour quelque mauvais temps qu’il eut faict, on ne le pouvoit destourner ny retarder dy aller ».

Attrait de la prière, attrait de la mortification, telles sont les deux caractéristiques de la jeunesse du futur P. Martial. Il saura y répon­dre durant toute sa vie. On l'estimait et on l'aimait ; bien plus, cer­tains amis de sa famille avaient confiance dans l'efficacité de ses prières. Des voisins venaient-ils chercher des herbes dans le jardin des Raclardy pour quelque malade ? Ils désiraient que ce fût l'enfant qui les leur donnât, et lui, agissant tout simplement, disait : “Allez, allez, je prie Dieu pour qu'il en garisse », et la guérison, effectivement, ne tardait pas. A vingt-deux ans il entra au couvent des Capucins d'Orléans, le 20 juillet 1597, et y reçut l'habit des mains du P. Benoît de Canfield, maître des novices, que remplaça au cours de l'année, le P. Honoré de Paris. C'est dire l'excellente formation que reçut le P. Martial, qui devait un jour lui succéder dans cette charge.

Jeune prêtre, il sembla déjà favorisé de grâces mystiques. « Il étoit souvent attaqué de grandes tendresses de coeur... Un jour de Noël étant à l'autel, il en fut si vivement attaqué, commençant le Gloria in exelsis, qu'il fut contraint d'en sortir, ne pouvant continuer la messe et fallut prier un autre prestre d'aller dire cette messe, et cette ten­dresse de cœur, ou sentiment de dévotion fut de longue durée, et quasi de quatre heures sans le quitter pour pouvoir dire la saincte messe. Depuis, il obtint de Dieu de nestre plus travaillé de tels senti­ments a lautel quand il y auroit des séculiers a l'esglise15 » . Ces phé­nomènes ne l'empêchèrent cependant pas d'exercer un certain minis­tère, prêchant partout la paix et la charité. Dieu bénissait son aposto­lat. Le fait suivant en est une preuve. A Paris, deux voisins s'étaient voué une haine réciproque, et malgré les efforts des Capucins, nulle réconciliation ne semblait possible. Le P. Martial, qui résidait alors au couvent parisien de l'Annonciation, au faubourg Saint-Jacques, fut envoyé vers l'un d'eux, très malade, par le P. Henri de La Grange­ Palaiseau, alors gardien du couvent16. Il s'y rendit et ne lui eut pas sitôt parlé, que celui-ci se sentit transformé, « et mesme ressentit de si grandes douleurs en son corps, et mesme des peines en son esprit, et tout cela incita le malade de dire avec un grand ressentiment au P. Martial quil supplioit de prier Dieu pour luy, et quil feroit tout ce quil desiroit pour se reconcilier ». Le Père revint au couvent « ou il fit oraison pour luy, et sur le soir, retourna voir ledit malade, et le réconcilia de telle sorte avec son ennemy, quils se firent protestation d'estre a lavenir aussi bons et plus grands amis qu'auparavant17 ».

Maître des novices au couvent de Meudon en 161518, puis en 1617 en celui de Troyes, il exerça encore la même charge au couvent d'Amiens en 161919. L'enseignement départi à ses novices, nous le découvrons dans ses oeuvres, et principalement dans le Traicté facile pour apprendre a faire oraison mentale, et surtout l'Exercice des trois clous amoureux et douloureux pour imiter Jésus-Christ attaché sur la croix au Calvaire20, ou encore l'Exercice du silence intérieur. Toutefois, la formation de ses novices, si absorbante soit-elle, ne lui fait pas négliger, nous l'avons vu, la visite des malades, obtenant la conversion in extremis, de certains, celle par exemple, de cet abbé auquel il adresse un écrit qui le bouleverse, le fait rentrer en lui-même et le convertit21. Il dirige la conscience de ses confrères.

Un jour, il dit à un capucin favorisé par Dieu de sentiments extraordinaires : “Disposés vous a bien souffrir, car assurément, après que nostre Dieu vous aura esprouvé et purgé, il vous donnera bien d'autres lumières plus excellentes, ce qui est arrivé tant pour les souffrances que pour les lumières”. Nostre Père Martial scavoit bien que nostre Dieu ne communique point des graces extraordinaires, quil ne fait auparavant ou par après ressentir de grandes souffrances ». Lui-même souffrait presque continuellement, par suite d'une santé défaillante, « et avec ses douleurs, il ne se relachoit point de ses austérités, veilles et travaux, ny de jour ni de nuict, et... prechoit a former et instruire ses novices, plus par exemple que de parolles, quoy que fort assidu a leur faire de ferventes exhortations, lesquelles on admiroit ses lumiè­res et les connaissances intérieures que nostre Dieu luy donnoit, qu'il a couchés par escrit en cet admirable livre des trois clous»22.

On lui attribuait certaines guérisons soudaines et humainement inexplicables, mais sa vie était surtout digne d'admiration. Confesseur des Capucines de Paris de 1628 à 1631, puis de celles d'Amiens de 1631 à sa mort23, il se révéla un grand maître de la vie spirituelle. A la demande du P. Sylvestre de Paris les moniales d'Amiens, après la mort de leur confesseur, ont insisté dans une lettre insérée au nécro­loge, sur la charité, l'esprit de sacrifice du P. Martial. Son zèle pour l'avancement spirituel des âmes qui lui étaient confiées, lui rendait intolérables les moindres défaillances. « Il étoit porté d'une charité si grande vers les infirmes et ceux qui étoient en quelque nécessité, quil eut emploié sa vie, et incomodé sa santé pour leur apporter du soula­gement, et étoit si compatissant aux besoins et nécessités des affligés, quil en pleuroit de compassion ». La réforme de l'abbaye de Saint­-Julien d'Amiens lui coûta mille peines, tant de la part des moniales que des autorités ecclésiastiques. « Il y travailla avec telle ferveur et assiduité, quil gagna doucement les plus rebelles, et les a tellement portées au bien... que par après, celles la eurent plus de résolution a y continuer et persévérer. Il ny a que Dieu et luy qui scache ce qu'il a souffert a établir cette réforme, et scache les actes d'humiliation et de patience quil a pratiqués a gagner ces religieuses, lesquelles le meprisoient... Et estant proche de mourir, lesdittes religieuses luy en­voièrent demander pardon de tout ce quil avoit souffert a leur occasion »24.

Sa vie, tant à Paris, qu'à Amiens, était rude. Après les matines il ne reprenait que rarement son repos. C'est durant ces veilles qu'il faisait son oraison ou rédigeait ses conférences et ses écrits. Austère, il l'avait toujours été. A Amiens, sa mortification n'échappa guère aux religieuses. « En hiver, venant de grand matin du couvent de nos Pères Capucins, qui est asses esloigné de nostre monastère, et que les chemins fussent couverts de neges et quil fit grand froid, il mon­toit droit au confessionaire, sans sarrester a se chauffer, pour voir si quelqu'une d'entre nous avoit besoin de son assistance ». Les Capuci­nes, qui n'ignoraient pas quelles étaient ses souffrances corporelles, admiraient sa patience au milieu des maladies qui l'accablaient mais qui ne l'empêchaient pas de vaquer à son ministère de confesseur. Celui-ci était chargé, et le P. Martial l'avouait lui-même dans la let­tre II adressée, le 4 décembre, à une Capucine de Paris : confessions, préparation des conférences, sermon du dimanche, direction des retraitants25, visite des malades occupaient amplement ses journées. Mal­gré ses fatigues et ses infirmités, il demeurait humble aux yeux des hommes, doux et patient, s'estimant le plus imparfait de ses novices26.

Au cours du mois de juin 1635, le P. Martial d'Etampes sentit nettement ses forces décliner. Le 16 du même mois, alors qu'il était allé, suivant son habitude, faire des conférences spirituelles à trois communautés religieuses d'Amiens, il se sentit très mal. Réunissant toutes ses forces, il parvint à célébrer encore la messe conventuelle chez les Capucines, puis rentra au couvent assez éloigné de là, où il arriva exténué. Le P. Aimé de Beauvais, son ancien novice et alors son gardien. le trouva fort mal. « C'est maintenant, mon Père, lui dit-il, qu'il faut avoir le coeur à Dieu ». Le malade répondit seulement : “Oui, à Dieu, à Dieu, à Dieu ». On se hâta de lui donner les sacre­ments. Or, « le lundi à l'heure des matines, un Frère le visitant pour luy rendre quelque service, luy trouvant les pieds tout froids », il l'appela. Le mourant lui répondit « que son esprit était en grande jubilation, proférant des paroles entrecoupées... que le religieux ne pouvoit discerner ». Sur les quatre heures du matin « un peu devant le lever du soleil », le P. Martial s'éteignit. On était au 19 juin 1635, jour anniversaire de sa profession.

Quand la nouvelle de la mort arriva au monastère des Capucines, celles-ci, par l'intermédiaire de leur syndic, tentèrent d'obtenir que la dépouille mortelle de leur confesseur fût inhumée dans leur église, mais le P. Gardien du couvent d'Amiens s'y opposa formellement. On se contenta de leur remettre le coeur du défunt, qui, placé dans un vase de plomb, fut enterré devant l'autel principal de l'église. Le P. Aimé accorda encore aux moniales la faveur de vénérer le corps de leur père spirituel, et « toutes vinrent baiser les pieds... avec beau­coup de larmes et de sanglots ». A trois heures de l'après-midi, on plaça la dépouille du P. Martial dans le choeur des religieuses, pen­dant que celles-ci psalmodiaient l'office des morts. Puis, les Capucins « vinrent processionnellement du couvent au nombre de quarante­-deux », assister à l'absoute et emmener le défunt, afin de l'inhumer dans leur église. Ce fut un transfert triomphal. Le corps était porté par six religieux, entourés de six autres portant un flambeau, et sui­vis du reste de la communauté, ainsi que d'une foule telle « qu'on n'eut pas pensé, quil y eut tant de peuple dans la ville ». Elle rem­plissait l'église à tel point, que le cortège put difficilement y péné­trer. Il fut d'ailleurs impossible d'arrêter la dévotion populaire. On coupa l'habit du défunt, ses cheveux et sa barbe, aussi le P. Gardien donna-t-il l'ordre de couvrir le corps. « Les tréteaux sur lesquels il étoit furent rompus, ...on l'emporta dans la chapelle de saint Antoine de Pade ou il devoit estre enterré »27.

La mémoire du P. Martial d'Etampes demeura en bénédiction, non seulement à Amiens, mais dans toute la Province de Paris. Peu de temps après le décès, un religieux écrivait au P. Sylvestre, rédac­teur du nécrologe : « Je l'ay recogneu grand observateur de la régu­larité, ...fort fervent a se mortifier, tant en ses paroles qu'en ses gestes, grandement austère en son vivre et en son dormir. ...grand homme d'oraison et de pratique spirituelle, comme il a bien fait paroistre, tant en ses leçons particulières qu'en ses exhortations... comme aussi ès livres et escripts... réduisant toute sa doctrine... en pratique par imitation des exemples de la vie de Nostre Seigneur, jusques a mourir en croix avec luy » 28.



Un maître artisan tout intérieur

Son enseignement est à la fois humain et élevé. Tous sont appelés. Chaque acte d’une méthode d’oraison est déjà une oraison, aussi devons-nous y entrer « comme à yeux clos, car Dieu n’a pas besoin de nos règles pour nous donner ses grâces et lumières 29 ». Il parle des « secrets sentiers de Son divin amour », en référence à Constantin de Barbanson30.

Il s’agit de « plonger en Dieu comme des poissons dans l'eau ». C’est un acte de la volonté, au travers des images. Il demande simplement quelques paroles amoureuses, « sans plus d'autres inventions pour aimer que l'amour même, car rien n'est plus propre à produire un feu qu'un autre feu ». Cela suffit car « le doux, simple et amoureux souvenir de Dieu contient éminemment tous les autres actes que l'on pourrait produire, comme de dresser son intention. » Selon la tradition de Benoît de Canfield : « Acquiescez à Sa volonté pour ne ressentir plus qu'un seul vouloir. » Car « Dieu est toujours présent, paix et repos au centre de soi-même », sans attribut particulier pour Celui qui s’annonce par : Je suis qui suis. La patience est requise car, « fontaine de bonté, il ne peut opérer que le bien dans le mal qu'Il permet de nous arriver. » On atteindra finalement un état où « l'on ne reconnaîtra plus que Dieu en nous, par la grâce de son opération », tandis que « nous ne verrons plus que Dieu en toutes choses. »

On trouve l’écho de son exigeante tendresse dans des lettres :

C'est le propre des bonnes âmes, plus elles approchent du soleil, de se perdre de vue et de s'anéantir tellement qu'elles ne voient pas seulement leur ombre, car elles n'en ont point du tout tant elles sont dans l'anéantissement et bas estime d'elles-mêmes [...] Interrogez votre pauvre cœur pour savoir ce qu'il désire, et quand vous trouverez que ce n'est pas Dieu ou ce qui vous peut aider à vous élever à lui, recourez-y promptement, et vous remettez en Dieu seul. Cette remise de votre esprit en Dieu souvent pratiquée vous apportera un grand profit, et abondance de fruits, et s'ils n'ont été si grands depuis mon départ, ce n'est pas faute que je n'ai prié Dieu pour vous, et si vous ne vous avancez, c'est que mes prières ne sont exaucées pour n'être assez ferventes, priez qu'elles le soient [...] Frère Martial, capucin inutile, et en parfaite santé grâce à Dieu 31.

Le Traité très facile pour apprendre à faire l’oraison mentale commence par rectifier certaines représentations :

La dévotion n'est pas un sentiment comme plusieurs se persuadent, mais c'est un acte de la volonté par lequel on se porte promptement au service de Dieu32.

Le ministère de Martial lui permet de donner quelques conseils pour passer de la méditation au « silence de l’esprit » qui est la marque de l’entrée dans l’oraison dite passive :

Il faut passer au travers des images, objets, distractions, et diverses pensées qui se présenteront à notre pauvre esprit pour détourner notre vue de Dieu, et demeurer fixes en ce simple regard tant qu'il nous sera possible, sans pourtant nous forcer, ni violenter la tête ni l'estomac ; et pour pratiquer ceci plus facilement, il faut jeter les yeux de l'esprit sur la grandeur de Dieu, sur sa majesté, sur sa bonté, puissance, sagesse, et autres perfections ; mais particulièrement sur son amour, duquel Il s'aime Lui-même, nous en réjouissant et L'en congratulant, en comprenant telles perfections seulement en bloc, et sans aucune spéculation ou distinction, les admirant et contemplant simplement au plus intérieur de notre âme ; puis en un instant il faut retomber sur notre néant au plus intime de notre âme. Ce regard doit être accompagné d'une grande révérence, qui causera une douceur en notre intérieur et un silence en notre esprit, dans lequel nous devons demeurer tant qu'il durera33 .

Il conseille un « acte de foi » qui consiste à « plonger » en Dieu :

Quand nous voyons donc la complaisance, le chagrin ou le dégoût survenir, soit en l'opération intime, soit en l'oraison, qui est son propre lieu, ou parmi les hantises et actions du prochain, sans que nous nous amusions à combattre tels fantômes, il faut, par un acte de foi, croire fermement que toutes ces tentations, distractions, dégoûts, inquiétudes, efforts, perturbations, et bref tout ce que les démons nous peuvent susciter, ne sont pas capables de faire que Dieu nous soit moins présent ni qu'il soit moins digne d'être notre unique objet, ni empêcher que nous ne prenions en Lui en ce temps-là même notre très parfait contentement ; et si les distractions nous ont possédé quelque temps, en telle sorte que durant leur violence nous n'ayons eu le loisir de recourir à l'anéantissement actif, comme il arrive souvent en l'oraison et en d'autres rencontres, nous nous devons au moins pour lors abîmer, plonger et jeter en Dieu comme des poissons dans l'eau, sitôt que nous nous apercevons du péril auquel nous sommes. C'est pourquoi il faut toujours nous tenir sur le bord du lac…34 

Il recourt à la comparaison traditionnelle illustrant le dur chemin de transformation, qui sera reprise entre autres par madame Guyon :

…et qu'il faut que nous nous considérions comme le blé qui sert tant à l'entretien et à la nourriture des hommes, et qui ne peut être bon à manger s'il n'a pas passé par beaucoup de métiers, parmi lesquels il semble qu'il doive être plutôt consommé et anéanti, que pouvoir servir à aucun usage ; car le jetant premièrement en terre, qui ne dirait qu'on le veut perdre en le faisant pourrir ? Le mettant puis [188] après sous un fléau, l'écrasant entre deux meules, le jetant dans un four embrasé, qui ne dirait qu'il est entièrement perdu ? Et cependant c'est pour lors qu'il est plus propre pour nos usages 35.

L’in-action ou action divine en l’âme assure une nouvelle naissance dans le silence de toutes nos puissances :

C'est là pareillement l'exercice des âmes avancées, qui sont tirés de Dieu par un mouvement particulier, ou par je ne sais quelle impuissance de ne pouvoir faire autrement, ce qui arrive par un délaissement intérieur qui les rend incapables d'une plus grande et plus actuelle occupation d'esprit, ou par une disposition corporelle qui leur donne le même empêchement ; et c'est l'exercice de la seule chose nécessaire que Notre Seigneur recommandait tant à Marthe, et dont il louait si hautement Marie, qui écoutait dans le plus intime et le plus [311] profond de son cœur avec un profond silence ces divines paroles, au pied de lesquelles étaient prosternés. Ainsi les âmes séraphiques n'ayant qu'une pensée, qu'une volonté et une action en l'objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement écouté, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu qu'agir d'elles-mêmes […] Ce saint exercice nous a été enseigné de Jésus naissant aussi bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie : naissant, parce qu'il naquit au temps de la minuit, que toutes choses étaient en un très profond silence, comme dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondit à l'éternelle, qui est grandement silencieuse ; que la troisième naissance qu'il prétend faire en nos âmes, fût en quelque façon semblable aux deux susdites, par la pratique d'un silence universel de toutes nos puissances, en l'objet de quoi que ce soit, excepté de Dieu : car autrement comme Dieu ne se manifesta pas à Élie dans le tourbillon ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans un doux [314] respir d'un très agréable zéphir…36

La garde du cœur est permanente, sans souci d’accéder à quelque attribut distinct :

Une âme séraphique, selon cet exercice, depuis le lever du matin jusqu'au coucher du soir, ne fera donc autre chose intérieurement, à quelque action qu'elle vaque, soit profane ou sainte, que de se recueillir toute en la simple vue de Dieu seul ; à chaque [321] fois qu'elle y retourne, si elle s'aperçoit en sortir par quelques distractions, elle y rentre aussi paisiblement et confidemment, comme si elle n'en eût jamais sorti, […][327] Se portant donc ainsi avec les ailes d'un souvenir simple, et d'un amour pur vers Dieu leur unique objet, comme si elles n'avaient que cela à faire et à voir, elles y découvrent tout ce qui se passe et s'élève de tumultueux en elles-mêmes, pour le calmer aussitôt, ni plus ni moins qu'en voyant dans un miroir les tâches et les difformités de leur visage […] Cette voie de l'âme fait un bruit silencieux comme le murmure confus des eaux et le son de Dieu sublime, parce que tout ce qu'elle voit par pensée et qu'elle reçoit de l'amour de Dieu (qui sont les deux ailes qui l'élèvent) n'est rien de distinct par autre attribut particulier ; ainsi Dieu parlant de soi-même à Moïse, ne lui dit-il pas : « Je suis qui suis », sans dire quel qu'il était. C'est aussi le même langage de l'Epouse parlant de son Époux : « Mon Bien-aimé est à moi et moi à lui », sans spécifier quel est le Bien-aimé, ni quelle est la Bien-aimée, pour donner à entendre qu'il est tout son bien, toute sorte [330] de perfections…37.

Les trois clous sont « conformité, uniformité, et déiformité 38 », non quelque dévotion imaginative comme pouvait le faire croire le titre de l’œuvre dont nous indiquons dans la note bibliographique l’origine fortuite, mais une expérience bien concrète d’une transformation vécue :

[195] Nous expérimenterons en nous-mêmes de si grands changements intérieurs et extérieurs, que nous ne les croirions pas, si le nous ne les voyons de nos propres yeux, mais par des effets quasi inconcevables de la sainte opération de l'Esprit de Dieu en nous, comme de paix sans plus d'inquiétudes…

On retrouve la fonte de la volonté en Dieu, conformité qui donne la paix si recherchée :

Notre volonté étant fondue par le feu du divin amour, elle s'écoulera tout en Dieu, pour n'avoir plus et ne ressentir plus qu'un seul vouloir, semblable à celui de Dieu et par ce moyen plus divin ; que tous nos désirs et souhaits seront accomplis, d'où nécessairement s'ensuivra la paix ; car le plus grand ennemi d'icelle, qui est notre propre volonté, étant surmonté, et lui ayant fait jeter les armes par terre, toutes les guerres viendront à cesser, tant les inquiétudes d'esprit que les perturbations de cœur, causées [214] par les dérèglements de la propre volonté en soi...

Renoncez aussi à tous les choix et élections de vos raisons humaines et propre jugement, encore que très bonnes et très saintes, qui ne font que tyranniser votre pauvre cœur et le désunir de Dieu : c'est pourquoi anéantissez toutes les vues et lumières de votre esprit, encore que très justes et raisonnables, qui vous troublent et inquiètent, et divisent votre cœur de l'unité, pour vous rendre en tout [225] uniformes par la lumière de la foi, afin de dissiper toutes les multiplicités et de vous faire reposer non plus en votre plaisir, mais seulement en celui de Dieu en l'état où vous êtes

Puis l’abandon conduit à « voir toutes choses en Dieu » en nous déiformant :

... Ne faisant quasi plus rien de nous-mêmes, comme si nous étions [253] dans l'impuissance, nous devons voir Dieu en toutes choses, ou plutôt toutes choses en Dieu […] Cette fidèle pratique nous rendra toujours déiformes, c'est-à-dire qu'elle transformera nos actions humaines en divines…

Ici notre conversion doit [317] être ferme, notre récollection stable, notre introversion continuelle, notre paix très grande, et notre tranquillité très simple pour ce que nous commençons à entrer dans la région déiforme, sur le haut de la montagne de l'Esprit, au lieu du calvaire, d'où elle ne doit plus rien respirer que l'air du Paradis , et aspirer, et soupirer de vivre dans la pureté de l'Esprit, en paix et silence, au-dessus de tous les troubles et inquiétudes de la nature, et là aimer Dieu sans moyen.

Il affirme nettement la possibilité d’une union divine en utilisant subtilement l’image classique du miroir :

L'union est toute spirituelle [...] lui fait trouver Dieu partout, même dans les plus grandes souffrances : avec l'épouse, elle en jouit comme d'un beau lys entre les ronces des tribulations,

C'est la pratique de la déiformité, où Dieu par l'abondance de ses grâces, dissipe tous les empêchements et anéantit tous les milieux et entre-deux de l'union de notre esprit pour nous unir à Lui : car par cette pratique, ne voulant rien, ne désirant rien, ayant tout quitté, n'ayant plus nulle propriété, notre âme sera comme un très beau miroir, dans laquelle se pourra former l'image des vertus de Jésus-Christ crucifié, et surtout de la charité. Or prenez garde que pour former l'image dans le miroir, il doit être éloigné de l'objet pour la représenter au vrai, et voilà ce que l'âme fidèle fait par l'anéantissement sous les pieds de toutes les créatures ; et c'est en ce temps que ce grand [465] Dieu par un amour de bienveillance, forme en cette âme l'image de sa toute-puissance, de sa bonté et de son amour...

L’œuvre se termine par quelques conseils pratiques et par un encouragement :

[626]... Servez-vous des vertus et jamais ne servez les vertus...

Chaque degré est divisé en quatre articles, […] Le quatrième article est l'opération de Dieu ; et c'est lors qu'il vous donne l'assurance, par l'expérience de sa proximité, et qu'il vous regarde ; car ce regard amoureux sur vous, dissipent par un instant tout le mal [642] qui est en vous, pour vous remplir de tout bien...39

Les sources et notre choix

Les sources principales d’informations sur Martial consistent en un article et en recensions dans le Dictionnaire de Spiritualité. Nous avons cité l’article d’intérêt majeur paru dans les Etudes franciscaines, qui utilise au mieux le nécrologe des capucins de la province de Paris ; d’autres sources figurent dans les notes de cet article (également citées pour cette raison). Ces références sont :

DS 10 col. 675 à 677 (art. « Martial d’Etampes » par W.-C. van Dijk) - DS 5 col. 1375 (un paragraphe dans l’art. « Spiritualité franciscaine » où Optat de Veghel lui attribue « l’essence de la spiritualité mystique de son époque ».)

P. Raoul de Sceaux, “Lettres inédites du P. Martial d'Etampes”, Etudes franciscaines, XIV, n°32, juin 1964, p. 89-102 (il comporte la biographie citée précédemment, suivie de lettres extraites du nécrologe).

Nécrologe [des capucins de la province de Paris], ms. « d’Hautefeuille », château du Titre (nous avons consulté son microfilm 76 aux Arch. des Capucins de Paris).

Les sources sûres éditées au XVIIe siècle sont au nombre de deux (mais selon van Dijk, on a également imprimé des ouvrages sous son nom et malgré lui). La première source, dont le niveau d’intérêt est variable, est cependant la seule qui a fait l’objet d’éditions successives sans changement substantiel (à la différence de ce qui se produira chez son disciple Jean-François de Reims dont l’œuvre atteindra quatre fois son volume primitif dans des éditions successives tout en gardant le même titre !) : le Traité très facile… vise en effet à une distribution plus large que l’Exercice des trois Clous… puisque celui-ci était destiné au cercle des religieuses capucines d’Amiens, les « filles de la Passion », dont il fut le confesseur les quatre dernières années de sa vie (le titre ne doit donc rien au dolorisme du siècle).

Traité très facile pour apprendre à faire l’oraison mentale, divisé en trois parties principales... Par le révérend père Martial d'Etampes, prêtre capucin et maître des novices. Saint-Omer, 163040 ; Paris, Thierry, 1635 ; Paris, Fremiot, 163941 [cette édition n’est pas citée par van Dijk] ; Paris, Coignard, 1671, 1682, 172242 [toutes ces éditions ne diffèrent que par le découpage d’un même texte ; les deux dernières éditions sont suivies d’une Vie]. Le Traité très facile fut rapidement complété par un Exercice du silence qui tranche par son grand intérêt (nous le reproduirons suivant les éditions de 1639 et 1722).

L'exercice des trois Clous amoureux et douloureux, pour imiter Jésus-Christ, attaché sur la croix au Calvaire, et pour nous unir à luy, Paris, Jean Camusat, 163543.

S’ajoutent quelques lettres livrées dans le Nécrologe qui furent éditées dans l’article des Etudes franciscaines.

Nous avons retenu ici deux textes44 majeurs en les reproduisant intégralement : le bref Exercice du silence suivi de l’Exercice des trois clous. La typographie des éditions est fort libre : les sous-titres des œuvres commencent souvent par des majuscules pour continuer en minuscules au moment même où ils approchent plus précisément du contenu ; parfois même plusieurs petits paragraphes successifs séparent les membres d’une même phrase… Aussi avons-nous uniformisé tout sous-titre en un seul paragraphe et converti ses majuscules en minuscules. La ponctuation est revue. Trois niveaux de sous-titres sont utilisés. Nous introduisons un corps de caractère réduit pour quelques passages jugés moins prégnants (Extrait de privilège, début de l’Exercice des trois clous), suggérant ainsi de les oublier.

Le style de l’Exercice du silence a été revu et policé par des retouches de formes très nombreuses (et par quelques omissions), ce qui rend sa lecture plus facile, s’adressant à un public plus large (quoique religieux), mais s’éloigne souvent du jet spontané destiné aux religieuses capucines. Nous avons préféré éditer les deux formes courtes de ce bijou45. On lira le texte du premier jet « imparfait », parfois obscur mais savoureux et plus proche de l’expérience mystique immédiate et concrète, de l’édition de 1639 (Martial meurt en 1635), puis le texte repris sous une forme littérairement plus achevée, aisé à lire et découpé en chapitres, de la dernière édition de 1722.





.

EXERCICE DU SILENCE INTÉRIEUR.



Exercice du silence intérieur de pensée, de parole et d’œuvre pour être toute unie et absorbée en Dieu seul. [Edition de 1639]

Extrait du Privilège du Roi.

Par grâce et Privilège du Roi, il est permis à Nicolas Fremiot marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, un livre intitulé, Traité facile pour apprendre à faire oraison Mentale, divisé en trois parties principales, à savoir Préparation, Méditation et Affection, avec un Traité de Confession, dédié aux âmes dévotes, le tout fait par un R. Père de l’Ordre de S. François et défenses sont faites à toutes personnes, d’imprimer ou faire imprimer, vendre ni distribuer ledit livre, d’autre impression que de celle dudit Fremiot, ou autres ayant droit de lui, durant le temps et espace de six ans, sur peine de confiscation des exemplaires, et de trois mil livres d’amende, comme plus au long est contenu audit Privilège. Donné à Paris, les 25. jour de Mars 1628, et de notre règne le 18. / Par le Roi et son Conseil. SENAULT.46.

[Avant-Propos]

Dieu n’a parlé qu’une fois en l’éternité, pour ce qu’il n’a engendré qu’un Fils qui est sa parole, et si en parlant il n’a point rompu le silence, vu qu’il n’a parlé qu’à soi-même et au-dedans de soi et sans aucun bruit, sa parole n’étant corporelle, mais spirituelle, et sa même pensée. De plus, il a dit cette sienne parole si bas, si profonde et si incompréhensible qu’elle n’est parfaitement entendue que de lui-même, suivant ce qu’en assure cette même parole de Dieu, c'est-à-dire Jésus-Christ : personne ne connaît le Fils (qui est cette divine parole) d’une connaissance éternelle et parfaite, que le Père : parole qui est si intime au Père qui la profère, qu’elle est une même chose avec son essence.

Tellement que Dieu étant trine et un, un en divinité, et trine en personnes, toutes ces personnes divines assistantes au dehors, n’ont qu’une parole très simple, et les trois n’ont qu’une même pensée, tant elles gardent un parfait et non pareil silence. De sorte que si Dieu même en parlant garde un si étroit silence, qu’est-ce donc de Dieu en tant qu’il ne parle pas ? L’entende qui pourra, et l’admire qui ne pourra, l’admiration étant des choses qui ne se peuvent comprendre, et Dieu se connaissant ici mieux par voie d’admiration que spéculation, et de pénétration.

Partant, je conclus avec raison que non seulement Dieu est dans le silence de parole, mais aussi de volonté. Toutes les trois personnes divines n’ayant garde d’être en débat par contrariété de volonté, puisqu’elles n’ont qu’une volonté à trois, et qu’elles sont toutes trois cette même volonté, Dieu peut être dit aucunement en silence d’action, parce que toutes les trois personnes divines n’ont qu’une même puissance et action, l’action de l’une étant la même action de l’autre, outre que leur action est si paisible, si suave et si facile qu’elle mérite le nom de silence, disposant de toutes choses fortement et suavement. Il est finalement en silence de toutes sortes de changement et mouvement, pour être essentiellement immobile et immuable, ainsi qu’infini infiniment parfait, en toutes manières, et par conséquent incapable de déchet, d’aucune nouvelle perfection, infini, actuel, ne pouvant recevoir aucune augmentation : d’où suit qu’il est en un entier et perpétuel silence et inviolable repos, voire qu’il est naturellement, silence, paix, repos, le centre de soi-même, des Anges et des hommes.

Cet exercice donc de silence est merveilleusement excellent, puisque c’est l’exercice de Dieu, et son essence même. En suite de quoi, c’est aussi l’exercice et pratique de tous ceux qui désirent être faits un même esprit avec lui, comme l’a pratiqué notre Mère sainte Claire, comme de ceux qui l’avoisinent de plus près par ressemblance, et qui s’unissent plus étroitement à lui comme a fait notre Père saint François. Partant, c’est premièrement l’exercice de tous les bienheureux dans le Ciel, à qui Dieu fait entendre cette divine parole, et ce d’une façon coye [tranquille], aussi paisible, suave et silencieuse qu’elle est ineffable au dire de l’Apôtre, qui est la seule chose vue et pensée qui les ravit et suspend tous, en sorte que jamais ils n’en reviennent, cueillant ainsi les fruits pour toujours de cette divine promesse. Entre dans la joie de ton Seigneur, ne leur parlant ainsi qu’une seule fois non plus qu’à soi-même, en se manifestant clairement à eux ; mais une seule fois qui dure une éternité, gardant ainsi un tel parfait silence, pour n’avoir jamais qu’une seule vue ou pensée très intime, très suave, très facile, et plus de Dieu que d’eux, et une même volonté avec celle de Dieu, sans contredit avec une seule action d’amour pacifiquement immobile, le clou de leur liberté y étant rivé pour jamais.

C’est pareillement l’exercice des âmes avancées qui y sont tirées de Dieu, ou par un mouvement et trait de Dieu particulier, ou par je ne sais quelle impuissance de faire autrement, savoir est par délaissement intérieur qui les rend incapables d’une plus grande et plus actuelle occupation d’esprit, ou par indisposition corporelle qui leur donne le même empêchement. Et c’est l’exercice de la seule chose nécessaire que notre Seigneur recommande tant à Marthe, et dont il louait si hautement Marie, qui aux pieds de cette divine parole (Dieu) qu’elle entendait avec un très profond silence et très universel de toute autre chose, ou d’affection ou de pensée, dans le plus intime et le centre de son esprit.

Ainsi ces âmes séraphiques n’ayant qu’une pensée, volonté et action en l’objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu que d’agir d’elles mêmes, et plutôt se taire et se reposer que de penser, dire et faire intérieurement quelque chose ; et pour l’extérieur pareillement comme si Dieu opérait le tout en elles et par elles, et qu’elles n’en fussent que les organes et instruments, tant elles opèrent le tout avec un calme indicible et une paix ineffable qui surpasse tout sentiment, [elles] disent avec l’Epouse : « Je dors, mais mon cœur, mon Epoux veille pour moi, qui dit à toutes les créatures : N’éveillez pas ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille47 », c'est-à-dire : ne l’éveillez point du tout, pour ce qu’elle n’est point en état de le vouloir, tant ce sommeil lui est agréable et délicieux ; ou bien, ne l’éveillez point jusqu’à ce qu’elle opère d’elle-même, se jetant dans les multiplicités et occupations qui rompent ce silence et tant doux sommeil, comme celui qui fut donné à notre Mère sainte Claire du Jeudi Saint au Samedi.

L’excellence de cet exercice est telle que le Prophète dit : « C’est une bonne chose d’attendre en silence le salutaire de Dieu48 » . « Bonne » sans dire de quelle bonté, pour ce qu’elle est ineffable et qu’elle comprend en soi soutes sortes de biens, ainsi que la jouissance du bien infini et souverain et ineffable et incompréhensible.

Cet exercice nous a été enseigné de Jésus naissant, aussi bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie : naissant pour ce qu’il naquit au temps de la minuit, que toutes choses sont en très profond silence, comme dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondît à sa première éternelle, grandement silencieuse, comme dit est, et afin que la troisième naissance qu’il prétend faire en nos âmes, soit en quelque façon semblable avec les deux siennes susdites, par la pratique d’un silence universel de toutes nos puissances, en l’objet de quoi que ce soit hors de Dieu. Car autrement comme Dieu ne se manifesta point à Eli dans le tourbillon, ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans un doux respire d’un très agréable zéphire, ainsi Jésus ne se manifeste à nous par cette sienne naissance spirituelle et très intime à l’âme que dans le silence de toutes autres choses créées, dedans le recoy [repos] et recueillement de tout mouvement et sentiment désordonné et inquiété, mettant le manteau dessus notre face comme Eli, pour ne rien voir, entendre, odorer, goûter et sentir que Dieu, et dans la minuit de la naissance temporelle de Jésus, ne rien considérer que ce Verbe divin, divinement inspiré et nouvellement né dans le centre de l’esprit : car c’est lors seulement que Dieu produit clairement, intimement et dans le fond de notre esprit, son Verbe, par lequel il se manifeste à nous, en nous et par-dessus nous, ravissant nos esprits au-dessus de toutes choses en l’objet d’une seule chose incréée et nécessaire, qui nous rend bienheureux dès l’état malheureux de cette vie mortelle. Le bon Jésus, de chair que nous sommes, nous fait en quelque façon Verbe comme lui : lui, nous transformant ainsi en lui, comme de Verbe qu’il était se faisant chair, il s’est transformé en nous.

La pratique de cet exercice

Cet exercice de silence se doit faire à l’exemple de celui de Dieu, qui n’a qu’une seule parole bien simple, spirituelle et sans bruit. Et comme les bienheureux qui louent incessamment Dieu par le silence admiratif de ses immenses grandeurs, commençant par un holà et paix, ainsi devez avoir la paix sur toutes sortes de pensées égarées, imaginations, extravagances, mouvements et sentiments déréglés, recueillant et ralliant toutes les forces et puissances de nos âmes dans le centre de notre esprit, pacifiant et apaisant même toute sorte de mouvements, bons et mauvais, nous faisant quittes de toute autre vue, pensée, désir, crainte, affection, aversion, joie et tristesse. Cela se fait par une seule et simple vue ou souvenir de Dieu, qui tombe doucement dans le fonds de l’esprit, et de l’esprit encore plus doucement et très amoureusement en Dieu, et ce avec une vive foi et une douceur indicible, nous étant donnée, comme dit la Règle, sans étude, et nous efforçant sans force, de faire cette heureuse chute de notre souvenir en Dieu le plus souvent paisiblement, simplement, amoureusement, gaiement et librement qu’il sera possible, sans bandement d’esprit et empressement, ne regardant ni observant cette exercice comme une tâche qu’il nous faut faire, mais comme une récréation sainte et libre, dont la discontinuation nous soit indifférente, quoiqu’involontaire, faisant tout notre possible pour la continuer sans bandement ni attache pourtant, laissant Dieu à lui-même pour aller et venir comme il lui plaira.

Chute ou inclination d’esprit en Dieu qui sera plus reçue que ressentie et imaginée, selon que l’esprit est disposé, comme s’il tombait doucement et sensiblement en Dieu, ou sur la sacrée poitrine de Jésus, et là y demeurant paisiblement, avec la même vive foi, et faisant compagnie au bien-aimé disciple, nous y reposant et endormant avec lui, comme aussi y veillant, parlant et opérant toutes choses sans bouger de là.

Lequel souvenir, chute et repos, fera éclipser tout autre objet importun de l’esprit, et fera s’asseoir tout mouvement et sentiment de quoi que ce soit, tout autre objet faisant hommage à celui-ci et donnant dans le néant, comme si sourdement par avouement49 qu’il n’y a que Dieu qui est et qui mérite d’être et d’occuper et remplir notre esprit, et ainsi cédant la place à l’immense Bonté, l’âme au reste demeurant paisible en ce souvenir pacifique de ce Dieu de paix qui lui tient lieu de tout, et lui sert de tout autre chose, comme ce qui lui vaut mieux incomparablement que tout, et qu’elle doit choisir et chérir aussi plus que tout, comme celui seul qui est conformément au nom propre, qui se donne pour se distinguer de tout autre chose, qui par conséquent n’est point, puisqu’il s’appelle celui qui est, auquel l’âme demeure collée et unie par vive foi, une douce attache d’esprit, une tendre inclination et écoulement de cœur. De sorte qu’elle serait toute prête de dire à Dieu avec saint Simon50 : « Laissez, Seigneur, aller, passer, pâmer et trépasser votre servante en paix, pour ce que l’œil de mon intelligence simple a vu son salutaire » , ressemblant à une neige fondue et écoulée dans son centre aux rayons chaleureux de ce beau Soleil d’Eternité, et doucement attirée au-dessus des temps et de toutes choses dans la divine essence.

Or ce doux, nu, simple, silencieux, amoureux et gracieux souvenir de Dieu contient éminemment tous les autres actes qu’on pourrait produire, comme en dressant son intention de faire les choses pour le pur amour de Dieu, ou pour la seule volonté et gloire de Dieu, comme aussi d’oblation à Dieu de tout ce que l’on peut, ou doit penser, vouloir, opérer et souffrir. Et pareillement tous les désirs de plaire à Dieu, de l’aimer et servir, tous les propos de mieux faire à l’avenir, de s’amender et pratiquer la vertu et les actes de contrition amoureux, et douleur d’avoir offensé Dieu, pour ce que ce premier acte simple envisageant la fin et centre de tous les autres actes, raisonnements et discours d’esprit (qui est Dieu, comme il est), tous ces autres actes s’y trouvent compris, comme les moyens dans la fin, et des lignes dans le centre.

L’âme donc, séraphique selon cet exercice depuis le lever du matin jusqu’au coucher du soir, ne fait autre chose intérieurement à quelque action qu’elle vaque, qui soit profane ou sainte, que de se recueillir toute en la simple vue de Dieu seul, à chaque fois qu’elle y retourne, sortie qu’elle est par les distractions, y rentrant aussi paisiblement et confidemment comme si elle n’en eut bougé, et y demeurant aussi coyement [tranquillement] et assurément comme si elle n’en devait jamais sortir, calmant à son possible toute sorte de mouvements et sentiments du corps, de l’âme et de l’esprit, et même ceux qui s’élèvent et éveillent, imposant silence à tout, aux yeux, aux oreilles, au goût, appétits, parler, inclinations, imaginations, pensées, volontés, désirs, affections, sensualités, satisfactions de la nature, amour propre et superfluité d’actions non nécessaires en la vue de Dieu, comme si cet objet (Dieu) s’élevait en la suprême portion de l’esprit, ainsi qu’un beau soleil radieux essuyant, par la présence, toutes les ténèbres des distractions, et détruisant les ombres des objets représentant les affections et sentiments des créatures, qui se dissipent et évanouissent bientôt à l’irradiation de ce divin Soleil par le susdit souvenir de Dieu.

Mais si ce simple souvenir de Dieu, par notre indisposition n’étant pas toujours en même état ni également bien disposée, reçue et tirée de Dieu, n’est assez efficace pour tel effet de pacification et de recueillement, et n’exprime pas assez efficacement dans l’intelligence de l’âme la nature et perfection de ce divin objet, comme exclusif de ce divin objet, comme pour une seule fois qu’il nous eut fallu parler intérieurement à l’exemple du Père Eternel, par la seule et simple pensée de Dieu, il nous en faudra parler une seconde plus grossière que la première, et partant plus sortable à notre imagination, et plus capable de l’arrêter et pacifier et de faire impression dans le fonds du silence susdit, par l’expression de ces paroles articulées (« Dieu ! ») proférées intérieurement ou extérieurement de bouche si besoin est, pour mieux tenir en arrêt l’esprit et l’imagination.

Laquelle seconde manière de parler, plus matérielle que la première qui n’est que la seule pensée ou simple souvenir de Dieu, fut bien entendue du Roi des Prophètes, qui après avoir dit que Dieu ne parle qu’une fois, ajoute qu’il en avait entendu deux de la part des créatures, qui sont les deux susdites. Or cette parole articulée (« Dieu ! ») n’a pas peu d’effet dans les sentiments du corps et de l’âme, commandant à cette troupe mutine et tumultueuse des passions et folles imaginations de se rasseoir, ainsi que Jésus dans la nacelle où, se levant debout et commandant aux vents, à la mer et à la tourmente, [ils] s’accoisèrent51 aussitôt, et ainsi cette parole (« Dieu ! ») a le même pouvoir et effet sur nos sentiments et évagations [divagations], et un pareil effet à celui des paroles de Jésus sur cette troupe armée, ennemi qui fut terrassé par ces deux mots de sa divine bouche52 (« C’est moi »).

Et si par notre indisposition, cette parole articulée (« Dieu ») n’y fait encore rien, on y pourra ajouter celle-ci : « Dieu Paix », comme disant tout bas, en silence, à nos passions, inclinations, sentiments, imaginations et sensualités : « Dieu, Paix, Paix », c'est-à-dire : « Il ne vous appartient point de parler, mais de vous taire, ni d’ouvrir la bouche, mais de garder le silence, ni d’être et de vivre, mais de mourir, et n’être point, puisqu’il n’y a que Dieu qui est. Paix donc, taisez-vous. » Car il n’appartient qu’à Dieu d’être et de parler, et par sa présence occuper et remplir l’esprit de l’homme, voire tout l’homme, et d’être tout en toutes les puissances de son âme et de son corps, et à se faire ressentir à lui créé et marqué à l’image et semblance de Dieu seul, et non des créatures.

Et si cette parole (« Paix ! ») est encore sans effet, l’on pourra se servir de ces deux autres plus expresses à un esprit indisposé : « Rien et Tout », affirmant par elles que tout ce qui n’est point Dieu, quoi qu’il soit, n’est rien, et que Dieu seul est tout, et que partant lui seul doit être l’objet de nos entretiens, affections et sentiments qui ne se doivent porter à rien, mais bien à ce qui est, et qui est par excellence tout bien, voire le bien même que nous croyons faussement trouver en ce que nous nous passionnons, nous reprenant intérieurement de nous tourmenter et passionner ainsi à ce qui n’est rien, désengageant ainsi doucement nos cœurs et nos esprits de tout autre objet inquiétant, pour les porter et faire heureusement tomber dans la paix de Dieu et dans sa sainte opération.

Cet exercice nous a été bien figuré par les saints animaux du Prophète Ezéchiel qui, guidé de l’Esprit de vie qui était dans les roues du chariot auquel ils étaient attelés, cheminaient toujours devant leurs faces, tirant droitement la part où était l’impétuosité de l’Esprit de Dieu, sans gauchir ni retourner en arrière, allant d’un pas aisé, battant les ailes qui faisaient bruit semblable au murmure confus des eaux, et au son de Dieu sublime53. Car ces animaux sont les bonnes âmes séraphiques qui ont fait quelque progrès en la voie de Dieu, et qui ne recherchent que Dieu en toutes choses, et n’ont que lui pour moteur de tout ce qu’elles font, qu’ils envisagent toujours de l’œil de leur intelligence simple, qui vont de Dieu, tombant dans leur simple souvenir à Dieu et en Dieu, qui absorbe et noie en lui ce même souvenir et ce avec une suave et paisible impétuosité d’amour.

Mais comment ne voir que Dieu et se voir soi-même, aller droit à Dieu et marcher devant sa face, et se considérant soi-même, ainsi qu’il est dit de ces animaux ! Je réponds ce que le Prophète dit d’eux, et par mystère et par symbole de ces belles âmes qui ne regardent que Dieu en premier et dernier instant d’une œillade, qu’elles voient Dieu comme dans un beau miroir, se voient aussi elles-mêmes et tout ce qui se passe en elles bien mieux que si elles se voyaient elles-mêmes par elles-mêmes hors de Dieu. Que ne voient ceux qui voient celui à qui toutes choses sont présentes ? Tellement que cheminant avec les ailes d’un souvenir simple et de l’amour pur et nu vers Dieu leur unique objet, avec une douce vivacité et paisible impétuosité d’esprit, comme si elles n’avaient que cela à faire et à voir, elles découvrent en ce divin objet, sans en sortir, tout ce qui se passe et s’élève d’impur et de tumultueux en elles- mêmes, pour se calmer aussitôt : ni plus ni moins que dans un miroir, elles voient les taches et difformités de leur visage, et les ôtent et y appliquent les ornements nécessaires, tellement qu’elles ne s’occupent qu’à une seule chose. Elles en font plusieurs sans sortir de cette unité, et allant impétueusement à cet Un, elles accoisent tout autre mouvement mutin et sentiment rebelle, vaquant à deux choses ensemble bien contraires, au mouvement et au repos, au parler et au silence, faisant reposer et taire tout ce qui n’est point Dieu, pour ne parler ni entendre qu’à Dieu, et pour aller sans cesse de Dieu à Dieu et en Dieu.

Et cette allée et voie de l’âme fait un bruit silencieux comme le murmure confus des eaux et le son de Dieu sublime, pour ce que tout ce qu’elle voit par pensée et sent par amour de Dieu, qui sont ces deux ailes, n’est rien de distinct par autre attribut particulier, ce qui est le son particulier et parler de Dieu, et parlant de soi-même à Moïse, il dit54 : « Je suis qui suis », sans dire quel il était. C’est aussi le même langage de l’Epouse parlant de son Epoux : « Mon bien-aimé à moi, et moi à lui55 », sans spécifier quel est ce bien-aimé, ni quelle est sa bien- aimée, pour donner à entendre qu’il est tout son bien et toutes sortes de perfections, tout désirable ; et rien de particulier plutôt que l’autre, étant également tous les biens particuliers, imaginables et au-delà par excellence, et pour dire que son bien-aimé lui tient lieu de tout, et non point plus d’une chose que d’une autre, elle ne dit non plus ce qu’elle est à son bien-aimé, pour lui être tout sans retenue, à tout ce qu’il lui plait en toutes les manières qu’il veut, ayant l’honneur de porter votre nom.

Ma volonté en elle, et en cette pratique que notre Père S. François passait son temps, les jours et les années, en disant : « Mon Dieu », et tout sans lui attribuer aucun nom, et que souvent même étant en ce si grand silence, il ne pouvait nommer le très doux nom de JESUS, d’autant que ce son de Dieu, sublime au cœur de mon saint Père Séraphique, tenait le par dessus [sic] de tout ce qu’on en pouvait penser et qu’on lui pourrait attribuer.

Lequel exercice du silence pratiquait aussi fidèlement, et constamment le Prophète Royal56, par son témoignage même disant qu’il faisait une bonne provision de Dieu, devant la vue de son Esprit. Nota : qu’il dit toujours et continuellement, et la raison aussi de peur que je m’émeuve et ne m’émancipe de quoi que ce soit, et qu’ainsi je fusse toujours en silence et en paix, à ma droite dit-il, comme la main, plus duite [dressée] au mouvement, plus mobile et plus dans l’emploi, et la première à se mouvoir. Comme n’ayant en butte, ni pour moteur et premier mobile de toutes choses, que Dieu seul, qui lui servait de directeur et de pédagogue pour composer tout son homme intérieur et extérieur, pour régler ses actions et les réduire toutes à son divin plaisir, sans aucun dérèglement ni omission des nécessaires, à la gloire de son Tout, pour la grande habitude qu’il avait fait de la toujours actuelle présence et souvenir de Dieu, [lui] qui faisait le holà à chacun de ses mouvements à mesure qu’ils s’élevaient, les portant aussitôt dans le silence, ce Roi jouissant aussi d’une paix non pareille parmi toutes ses occupations, divertissements et embarras de ses plus grandes affaires. Ce que doivent dévotement pratiquer les âmes fidèles et dévotes.

C’était la pratique de ce grand flambeau d’amour, saint Augustin, qui après s’être mis en quête de Dieu, au-dehors de soi-même, et en avoir demandé des nouvelles à toutes les créatures, les unes après les autres, se reprenant lui-même de cette sortie au-dehors de soi, confesse avec le Prophète d’avoir erré comme la brebis, et d’avoir cherché au-dehors celui qui était au-dedans, avec tant de peine inutile. Mais enfin retournant en soi même, la lumière étant crue en son cœur, par une grâce particulière, il entendit la voix de Dieu, qui lui dit : « Je suis ton Dieu », paroles qui réduirent tous ses mouvements premiers dans le calme et convertirent tous ses égarements en un profond et tout intime recueillement, lui ôtant tout autre objet, lui faisant voir clairement et sentir nûment qu’il n’y a que Dieu seul, qui, en la connaissance de cette vérité tant ancienne, lui fit amoureusement et abondamment déplorer son aveuglement passé et regretter le temps perdu, et après être illuminé, l’a fait écrier de joie avec S. Michel et le Prophète Royal : « Qui est semblable à Dieu ? ».

Disons donc, mes très chères Sœurs, avec notre bienheureux Père S. François, et notre glorieuse Mère, sainte Claire, qui selon la signification de son nom d’âme de Dieu, l’on peut croire pieusement n’avoir jamais été dans les ténèbres de l’ignorance de Dieu après sa première lumière, mais avoir toujours pratiqué fidèlement cet exercice, disons avec elle plus d’affection, et de fait que de bouche, le grand à Dieu [sic : adieu ?] à toutes choses. Ce holà ! et ce silence à tout ce qui est créé, visible et temporel, disant à Dieu, Vérité tant ancienne : « O vous mon Dieu, c’est maintenant et pour jamais, ô seul unique amour de mon cœur, ma seule pensée et entretien, tous mes désirs, tous mes plaisirs, tout mon bien et mon espérance sera en vous seul, plus rien du tout, les autres chose avec notre Père Séraphique : et puis, qu’il n’y a rien de semblable à vous, puisque vous êtes tout, et tout le reste rien et vanité.

Laissant donc tout pour jouir de tout dans les affaires nécessaires, ou au temps des exercices de dévotion d’office, d’oraison ou Communion, si ressentez votre esprit dans l’éloignement, durant les distractions et enfoncements, convertissez-vous lors comme le bon saint Pierre, et dites d’un cœur amoureux à votre Epoux JESUS : « Seigneur, si c’est vous qui êtes, tirez-moi à vous, commandez-moi de venir à vous par votre parole, marchant au-dessus des eaux de toutes choses et de moi-même, pour m’avancer et m’approcher de vous, par une vive et nue foi, qui me fait fouler aux pieds, d’un pas assuré, tout ce qui n’est point vous, de peur qu’en doutant de mes forces dans les eaux des distractions, et que appréhendant les créatures comme si elles étaient quelque chose, je m’y enfonce trop par affection désordonnée et estime trop grande, au hasard de perdre la dévotion et la douce présence de celui que mon cœur doit aimer.

Si votre infidélité vous a fait entendre les reproches qui furent faites à S. Pierre : « Ha ! fille et Epouse de peu de foi ! Pourquoi avez-vous douté ? », ce qui n’arrivera que trop souvent, ne perdez pour toutes ces fautes et autres semblables, la confiance de vous reconvertir encore à votre Epoux, et plus cordialement, amoureusement et confidemment : « O mon Dieu, les amours de mon âme, sauvez-moi car je suis infidèle ! ». Si le faites doucement et fidèlement, espérez la même assistance, par sa grâce. C’est qu’il vous retirera au-dessus de toutes choses et fera reconnaître et ressentir au fonds de votre pauvre cœur que toute autre chose qui lui n’est rien, et vous affermira dans le mépris d’icelles, vous élevant par la foi et l’assurance de ce que vous croyez que lui seul est tout et en tout, et toujours frappant à la porte de votre esprit pour le remplir de sa présence, tant [jusqu’à ce] qu’il vous élève enfin de la foi en la claire vision de ce que vous croyez, en laquelle votre joie sera pleine, et partant entièrement en silence, ne vous restant rien plus à désirer ni à demander, possédant et parfaitement pour toujours, celui qui est tout bien, la jouissance duquel a été tant et si souvent désirée de notre Père Séraphique, disant si souvent : « Dieu et [sic : est ?] tout », et tout le reste n’être rien. Vivez et mourez comme lui, et jouirez du Tout en tout comme lui. AMEN.

Abrégé de la susdite Pratique du Silence.

A cette exercice, le simple souvenir de Dieu suffit pour toujours, comme dit est, continuer la pratique du silence.

Sinon vous y ajouterez la parole expresse (« Dieu ») dit extérieurement, ou intérieurement.

Et si l’évagation [divagation], émotion, sentiment ou peine d’esprit continue, vous dites de pensée, ou de bouche : « Rien, et Dieu » au sens susdit.

Et si la violence croit ou ne s’apaise, vous commencerez par la parole : « Paix, rien moi, Dieu tout », usant de ces cinq paroles, ou du moins selon votre nécessité.

Que si au contraire votre esprit est dans l’engourdissement, assoupissement, et tellement dissipé et extroverti que vous ayez peine à vous récolliger et introvertir, vous vous servirez de ces paroles pour l’éveiller et relever : « Mon Dieu m’est tout », et puis de ces autres désirs, et amour, faim et soif, pour vous entretenir en cet objet de Dieu par un ardent et flamboyant amour de Dieu.

Litaniae in honorem Jesu Christi Domini nostri

Kyrie eleison, Christe eleison, Kyrie eleison.

Jesu audi nos.

Jesu exaudi nos,

Pater de coelis Deus,

Fili Redemptor mundi Deus

[…]57.

Approbation

Nous sous-signés Docteurs en Theologie, de la Faculté de Paris, maison de Sorbonne à Paris, certifions avoir lu et examiné un livre, portant pourt itre, Exercice du Silence intérieur, de pensée, de parole, et d’œuvre, pour être toute unie et absorbée en Dieu seul : auquel nous n’avons rien trouvé de contraire à la Foi Catholique, Apostolique et Romaine. Fait à Paris, en la maison de la Sorbonne, le 3 du mois de mai 1629.

LE MESSIER. / De Y. / DE FLAVIGNI.

.

Traité onzième de l’exercice du silence, que le Religieux doit garder de pensée, de parole et d’œuvre pour être tout uni et absorbé en Dieu seul. [Edition de 1722]

On58 peut dire que Dieu n’a parlé qu’une fois en l’éternité, parce qu’il n’a engendré qu’un Fils qui est sa parole, et même en parlant il n’a point rompu le silence, parce qu’il a parlé au-dedans de soi, et sans faire aucun bruit, puisque sa parole est toute spirituelle, et sa même pensée. De plus, il a dit cette sienne parole si profonde et si incompréhensible qu’elle n’a été parfaitement entendue que de lui-même, suivant ce qu’en assure Jésus-Christ qui dit que personne ne connaît le Fils, qui est cette divine parole, d’une connaissance éternelle et parfaite, sinon le Père ; parce que cette parole est si intime au Père qui la profère, qu’elle est une même chose avec son essence.

Tellement que Dieu étant trin59 et un, un en divinité, et trin en Personnes, toutes ces Personnes divines assistantes au-dehors, n’ont qu’une parole très simple, et toutes trois n’ont qu’une même pensée : ne voilà-t-il pas un silence bien parfait ? De cette sorte, si Dieu même en parlant garde un si étroit silence, qu’est-ce donc de Dieu quand il ne parle pas ? L’entende qui pourra, et l’admire humblement qui ne pourra pas l’entendre, parce que l’admiration est des choses qui ne se peuvent comprendre, et Dieu se connaît ici mieux par la voie d’admiration que de spéculation, ou de pénétration. Je dis encore, et avec raison, que Dieu est non seulement dans le silence de parole, mais aussi de volonté. Parce que toutes les trois Personnes divines n’ont garde d’être en débat par aucune contrariété de volonté, puisqu’elles n’ont qu’une volonté entre elles, et qu’elles sont toutes trois cette même volonté. Dieu peut même être dit en quelque façon dans un silence d’action, parce que toutes les trois Personnes divines n’ont qu’une même puissance et action, l’action de l’une étant la même action de l’autre ; outre que leur action est si paisible, si douce et si facile qu’elle mérite le nom de silence, disposant toutes choses fortement et doucement60. Il est finalement dans un silence de toute sorte de changement et mouvement, parce qu’il est essentiellement immuable, infini, parfait en toutes manières, et par conséquent incapable de déchet et d’aucune nouvelle perfection ; d’où il s’ensuit qu’il est en un entier et perpétuel silence, et inviolable repos ; et même qu’il est naturellement silence, paix, repos, le centre de soi-même, des Anges et des hommes.

Cet exercice du silence est donc merveilleusement excellent, puisque c’est l’exercice de Dieu et son essence même, l’exercice et la pratique de tous ceux qui désirent être faits un même esprit avec lui. C’est premièrement comme l’a pratiqué notre Mère sainte Claire, comme de ceux qui l’avoisinent de plus près par ressemblance, et qui s’unissent plus étroitement à lui comme a fait notre Père saint François. Partant, c’est premièrement l’exercice61 de tous les bienheureux dans le Ciel, à qui Dieu fait entendre cette divine parole, et d’une façon aussi paisible, suave et silencieuse qu’elle est ineffable au dire de l’Apôtre ; parce que c’est la seule chose vue, et la pensée qui les ravit et qui les suspend tous de telle sorte que jamais ils n’en reviennent, et cueillent ainsi pour toujours les fruits de cette divine promesse : Entre dans la joie de ton Seigneur. Dieu ne leur parle donc ainsi qu’une seule fois, comme il fait en soi-même, en se manifestant clairement à eux, mais une seule fois qui dure une éternité toute entière ; les Bienheureux gardent ainsi un parfait silence, n’ayant jamais qu’une seule vue ou pensée très intime, très suave, très facile, et plus de Dieu que d’eux-mêmes ; une même volonté avec celle de Dieu, et une seule action d’amour éternellement immobile62.

C’est là pareillement l’exercice des âmes avancées qui, tirées de Dieu par un mouvement particulier ou par je ne sais quelle impuissance de ne pouvoir faire autrement, ce qui arrive par un délaissement intérieur qui les rend incapables d’une plus grande et plus actuelle occupation d’esprit, ou par une indisposition corporelle qui leur donne le même empêchement. Et c’est l’exercice de la seule chose nécessaire que Notre Seigneur recommandait tant à Marthe, et dont il louait si hautement Marie, qui écoutait dans le plus intime et le plus profond de son cœur, avec un profond silence, cette divine parole, aux pieds de laquelle elle était prosternée. Ainsi les âmes séraphiques63 n’ayant qu’une pensée, qu’une volonté et une action en l’objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement écouté, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu qu’agir d’elles-mêmes, et plutôt se taire et se reposer que de penser, dire et faire intérieurement quelque chose ; et il en est de même de l’extérieur ; car comme si Dieu opérait le tout en elles et par elles, et qu’elles n’en fussent que les seuls organes et instruments, tant elles opèrent le tout avec un calme indicible et une paix si ineffable qu’elle surpasse tout sentiment, chacune peut donc dire comme l’Epouse : « Je dors, mais mon cœur, c’est-à-dire mon Epoux, veille pour moi ; et il dit à une âme séraphique : N’éveillez pas ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille64 », c'est-à-dire  ne l’éveillez point du tout, parce qu’elle n’est point en état de le vouloir, ce sommeil lui étant très agréable et fort délicieux ; ou bien il veut dire qu’on ne l’éveille point jusqu’à ce qu’elle opère d’elle-même, se jetant dans les occupations spirituelles qui rompent un silence et un sommeil délicieux, comme est celui qui fut donné à sainte Claire depuis le Jeudi Saint jusqu’au Samedi.

L’excellence de cet exercice est si grande qu’un Prophète dit  que c’est une bonne chose d’attendre en silence le salutaire de Dieu65. Il ne dit pas de quelle bonté, parce qu’elle est ineffable et qu’elle comprend en soi toutes sortes de biens ; et c’est ainsi pareillement que la jouissance du bien infini et souverain est ineffable et incompréhensible.

Ce saint exercice nous a été enseigné de Jésus naissant, aussi bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie : naissant pour ce qu’il naquit au temps de la minuit, que toutes choses étaient en un très profond silence, comme dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondît à l’éternelle, qui est grandement silencieuse ; que la troisième naissance qu’il prétend faire en nos âmes, soit en quelque façon semblable aux deux susdites, par la pratique d’un silence universel de toutes nos puissances en l’objet de quoi que ce soit excepté de Dieu. Car autrement comme Dieu ne se manifesta point à Helie dans le tourbillon, ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans un doux respir d’un très agréable zéphir, ainsi Jésus ne se manifeste à nous par cette sienne naissance spirituelle qu’il prend dans une âme, que dans le silence de toutes les autres choses créées, et dans le recueillement de tout mouvement et sentiment désordonné, mettant le manteau dessus notre face comme Helie, pour ne rien voir, entendre, odorer, goûter et sentir que Dieu, et dans la minuit de la naissance temporelle de Jésus, ne rien considérer que ce Verbe divin, divinement inspiré et nouvellement né dans le centre de l’esprit : car c’est pour lors seulement que Dieu produit clairement, intimement et suavement, dans le fond de notre esprit, son Verbe, par lequel il se manifeste à nous et en nous et même par-dessus nous, puisqu’il ravit nos esprits au-dessus de toutes choses en l’objet d’une seule chose incréée et nécessaire, qui nous rend bienheureux dès l’état misérable de cette vie mortelle ; et ce bon Jésus, de chair que nous sommes, nous fait en quelque façon Verbe comme lui, nous transformant ainsi en lui, comme de Verbe qu’il était, se faisant chair, il s’est transformé en nous.

La pratique de cet exercice, chapitre II.

Cet exercice de silence se doit faire à l’exemple de celui de Dieu, qui n’a qu’une seule parole bien simple, spirituelle et sans bruit. Et comme les Bienheureux qui louent incessamment Dieu par le silence admiratif de ses immenses grandeurs, commencent par une paix entière, ainsi devez-vous avoir la paix sur toutes sortes de pensées égarées, imaginations, extravagances, mouvements et sentiments déréglés, recueillant et ralliant toutes les forces et puissances de vos âmes dans le centre de votre esprit, pacifiant et apaisant même toute sorte de mouvements, bons ou mauvais, vous faisant quittes de toute autre vue, pensée, désir, crainte, affection, aversion, joie et tristesse. Cela se fait par une seule et simple vue ou souvenir de Dieu, qui tombe doucement dans le fond de l’esprit, et de l’esprit encore plus doucement et plus amoureusement en Dieu ; et ce avec une vive foi et une douceur indicible. Attachez-vous-y donc sans étude, et vous efforcez sans force de faire cette heureuse chute de votre souvenir en Dieu le plus souvent, paisiblement, simplement, amoureusement, gaiement et librement qu’il sera possible, sans aucun bandement d’esprit, ne regardant pas cet exercice comme une tâche qu’il vous faut faire, mais comme une récréation sainte et libre, et dont la discontinuation nous est indifférente, quoique involontaire, faisant tout votre possible pour la continuer sans empressement ni attache, laissant à Dieu de vous conduire pour aller et venir comme il lui plaira.

Cette chute ou inclination d’esprit en Dieu sera plus reçue que ressentie et imaginée, selon que l’esprit est disposé, comme s’il tombait doucement et sensiblement en Dieu, ou sur la sacrée poitrine de Jésus, et là y demeurant paisiblement, avec la même vive foi, et faisant compagnie au bien-aimé disciple, nous y reposant et endormant avec lui, comme aussi y veillant, parlant et opérant toutes choses sans sortir de là.

Ce doux repos fera bientôt éclipser tout autre objet importun de l’esprit, et rasseoir toute sorte de mouvement et de sentiment de quoi que ce soit, parce que tout autre objet fera hommage à celui-ci et considérant toutes choses comme le néant, avouer qu’il n’y a que Dieu qui est, qui mérite d’être et d’occuper et remplir notre esprit. Ainsi toutes choses céderont la place à l’immense Bonté de Dieu, l’âme demeurera paisible en ce souvenir pacifique de ce Dieu de paix qui lui tient lieu de tout, et qui lui sert de toute autre chose, parce qu’il lui vaut incomparablement mieux que tout, et qu’elle le doit chérir plus que tout, comme celui seul Qui est, conformément au nom qu’il se donne pour se distinguer de toute autre chose, qui par conséquent n’est point, puisqu’il s’appelle celui Qui est, auquel l’âme demeure collée et unie par une vive foi, une douce attache d’esprit, une tendre inclination et écoulement de cœur. De sorte qu’elle serait toute prête de dire à Dieu avec saint Simeon : « Laissez, Seigneur, aller pâmer et passer mon âme en paix, parce que l’œil de mon intelligence simple a vu son salutaire66 », ressemblant à une neige fondue et écoulée dans son centre par les rayons de ce divin Soleil, qui l’a attirée au-dessus des temps et de toutes choses dans la divine essence. »

Ce doux, simple et amoureux souvenir de Dieu est si digne qu’il contient éminemment tous les autres actes que l’on pourrait produire, comme de dresser son intention, de faire les choses pour le pur amour de Dieu, ou pour sa seule volonté et gloire ; il surpasse aussi les oblations que nous pouvons faire à Dieu de nos actions, pensées, paroles et souffrances ; et pareillement tous les désirs de lui plaire, de l’aimer et le servir ; tous les propos de mieux faire à l’avenir, de nous amender et pratiquer la vertu et même les actes de contrition ; parce que ce premier acte simple envisageant Dieu, qui est la fin et le centre de tous les autres actes, raisonnements et discours d’esprit, les comprend tous, comme la fin qui contient les moyens, et le centre qui reçoit les lignes.

Une âme séraphique selon cet exercice, depuis le lever du matin jusqu’au coucher du soir, ne fera donc autre chose intérieurement, à quelque action qu’elle vaque, soit profane ou sainte, que de se recueillir toute en la simple vue de Dieu seul ; à chaque fois qu’elle y retourne, si elle s’aperçoit en sortir par quelques distractions, elle y rentre aussi paisiblement et confidemment, comme si elle n’en eut jamais sorti, et y demeure aussi assurément comme si elle n’en devait jamais sortir, calmant à son possible toute sorte de mouvements et sentiments du corps, de l’âme et de l’esprit, et même ceux qui s’élèvent et éveillent, imposant silence à tout, aux yeux, aux oreilles, au goût, appétits, paroles, inclinations, imaginations, pensées, désirs, sensualités, satisfactions de la nature, amour propre et superfluité d’actions non nécessaires en la vue de Dieu, comme si cet objet infini s’élevait en la suprême portion de l’esprit ainsi qu’un beau soleil pour essuyer par sa présence toutes les ténèbres des distractions, et détruire les ombres des objets, des affections, des sentiments, des créatures, qui se dissipent et évanouissent bientôt à l’aspect de ce divin Soleil par le susdit souvenir de Dieu.

Mais si ce simple souvenir de Dieu, par notre indisposition, n’est pas toujours également bien disposé pour exprimer efficacement dans l’intelligence de l’âme la nature et la perfection de ce divin objet, pour parler intérieurement et à l’exemple du Père Eternel, par la seule et simple pensée de Dieu, ayons recours à un second moyen plus grossier que le premier, et partant plus sortable à notre imagination, et plus capable de faire impression dans le fonds du silence susdit, par l’expression de ces paroles articulées : « Dieu ! », proférées intérieurement ou même extérieurement de bouche si besoin est, pour mieux tenir en arrêt l’esprit et l’imagination.

Cette seconde manière de parler n’est que la seule pensée ou le simple souvenir de Dieu, et elle a été si bien entendue du Roi des Prophètes qu’après avoir dit que Dieu n’a parlé qu’une fois, il a ajouté qu’il avait entendu deux paroles de la part des créatures, qui sont les deux susdites. Or cette parole articulée « Dieu » n’a pas peu d’effet dans les sentiments du corps et de l’âme, commandant à cette troupe mutine et tumultueuse des passions et folles imaginations de se rasseoir, ainsi que Jésus dans la nacelle où, se levant debout et commandant aux vents et à la mer, la tourmente s’apaisa aussitôt ; et ainsi cette parole « Dieu » a le même pouvoir et effet sur nos sentiments et évagations [divagations] que les paroles de Jésus eurent sur cette troupe ennemie qui fut terrassée par ces deux mots de sa divine bouche67 : C’est moi.

Et si par notre indisposition, cette parole articulée « Dieu » n’y fait encore rien, on y pourra ajouter celle-ci : « Dieu paix », comme disant tout bas, en silence, à nos passions, inclinations, sentiments, imaginations et sensualités : « Dieu, Paix », c'est-à-dire : il ne vous appartient point de parler, mais de vous taire ; d’ouvrir la bouche mais de garder le silence ; d’être ni de vivre, mais de mourir, et de n’être point, puisqu’il n’y a que Dieu qui est. Paix donc, taisez-vous : car il n’appartient qu’à Dieu d’être et de parler, et par sa présence occuper et remplir l’esprit de l’homme, voire tout l’homme, et d’être tout en toutes les puissances de son âme et de son corps, et de se faire ressentir à lui créé et marqué à l’image et ressemblance de Dieu seul et non des créatures.

Et si cette parole « Paix » est encore sans effet, l’on pourra se servir de ces deux autres plus expresses à un esprit indisposé « Rien et Tout »68, non sans dire par elles que tout ce qui n’est point Dieu, tel qu’il soit, n’est rien, et que Dieu seul est tout ; et que partant, lui seul doit être l’objet de nos entretiens, affections et sentiments qui ne se doivent jamais porter à rien, mais bien à ce qui est, et qui est par excellence tout bien, et le bien même que nous croyons faussement trouver en ce que nous passionnons, nous reprenant intérieurement de nous tourmenter et passionner ainsi pour ce qui n’est rien, en désengageant ainsi doucement nos cœurs et nos esprits de tout autre objet inquiétant, pour les porter et faire heureusement tomber dans la paix de Dieu et dans sa sainte opération.

Figure de cet exercice représenté par les quatre animaux d’Ezéchiel. Chapitre III.

Cet exercice nous a été bien figuré par les saints animaux dont parle le Prophète Ezéchiel qui étaient guidés par l’Esprit de vie qui était dans les roues du chariot auquel ils étaient attachés, et cheminaient toujours devant leurs faces, tirant droitement du côté qu’était l’impétuosité de l’Esprit de Dieu, sans gauchir ni retourner en arrière, battant des ailes qui faisaient un bruit semblable au murmure confus des eaux, et au son de Dieu sublime69.

Car ces animaux nous figurent les âmes séraphiques qui ont fait quelque progrès en la voie de Dieu, qui ne recherchent que sa gloire en toutes choses, et qui n’ont que lui pour motif70 de tout ce qu’elles font. Elles l’envisagent toujours de l’œil de leur intelligence simple, et vont de Dieu à Dieu, et demeurent sans cesse en Dieu, qui absorbe et noie en lui ce même souvenir, et ce avec une suave et très paisible impétuosité d’amour. Mais comment ne voir que Dieu et se voir soi-même, aller droit à Dieu et marcher devant sa face, en se considérant soi-même, comme il est dit de ces animaux ? Je réponds que le Prophète dit d’eux par mystère et par un symbole de ces belles âmes qui ne regardent que Dieu en premier et dernier instant, et je dis qu’elles voient Dieu comme dans un miroir, qu’elles se voient aussi elles-mêmes et tout ce qui se passe en elles hors de Dieu. Car que ne voient pas ceux qui voient celui à qui toutes choses sont présentes ? Se portant donc ainsi avec les ailes d’un souvenir simple et d’un amour pur vers Dieu leur unique objet, comme si elles n’avaient que cela à faire et à voir, elles y découvrent tout ce qui se passe et s’élève d’impur et de tumultueux en elles-mêmes, pour le calmer aussitôt : ni plus ni moins qu’en voyant dans un miroir, les taches et les déformités de leur visage, elles les ôtent et y appliquent les ornements nécessaires. Ainsi elles ne s’occupent qu’à une seule chose, et en font plusieurs sans sortir de cette unité ; et allant impétueusement à cet Un, elles accoisent71 tout autre mouvement mutin et sentiment rebelle, vaquant ensemble à deux choses bien contraires, c’est-à-dire au mouvement et au repos, à la parole et au silence, faisant reposer et taire tout ce qui n’est point Dieu, pour ne parler ni entendre que Dieu, et pour aller sans cesse de Dieu à Dieu et en Dieu.

Cette voie de l’âme fait un bruit silencieux comme le murmure confus des eaux et le son de Dieu sublime, parce que tout ce qu’elle voit par pensée et qu’elle reçoit de l’amour de Dieu (qui sont les deux ailes qui l’élèvent), n’est rien de distinct par autre attribut particulier ; ainsi Dieu parlant de soi-même à Moïse, ne lui dit-il pas72 : « Je suis qui suis », sans dire quel il était ? C’est aussi le même langage de l’Epouse parlant de son Epoux : « Mon Bien-aimé à moi, et moi à lui73 », sans spécifier quel est le Bien-aimé, ni quelle est la bien-aimée, pour donner à entendre qu’il est tout son bien, toute sorte de perfections, tout désirable, et qu’il lui tient lieu de tout, et non pas plus d’une chose que d’une autre ; elle ne dit pas non plus ce qu’elle est à son Bien-aimé, parce qu’elle lui est tout sans réserve, tout ce qu’il lui plaît et en toutes les manières qu’il veut.

C’est en cette pratique que notre Père S. François passait son temps, les jours et les années, en disant : « Mon Dieu », et « Mon Tout », sans lui attribuer aucun autre nom. Et souvent même étant en ce si grand silence, il ne pouvait nommer le très saint nom de JESUS, d’autant que ce nom sublime tenait le dessus de tout ce que l’on pouvait penser et qu’on lui pourrait attribuer. C’était74 aussi la pratique de ce grand flambeau d’amour, saint Augustin, qui après avoir recherché Dieu au-dehors de soi-même et en avoir demandé des nouvelles à toutes les créatures, se reprenant lui-même de cette sortie au-dehors de soi, confesse avec le Prophète d’avoir erré comme la brebis, et d’avoir cherché au-dehors avec tant de peine celui qui était au-dedans de lui. Et enfin retournant en soi-même, la lumière étant crue [augmentée] en son cœur par une grâce particulière, il entendit la voie de Dieu qui lui dit : « Je suis ton Dieu » ; et ces paroles convertirent tous ses égarements en un profond et très intime recueillement, lui ôtant tout autre objet, et lui faisant voir clairement qu’il n’y a que Dieu qui lui ait pu faire amoureusement regretter son aveuglement passé et le temps qu’il avait si inutilement perdu ; et après avoir été illuminé, il s’écria de joie : « Qui est-ce qui est semblable à Dieu ? » 

Le fruit de cet exercice est la séparation de toutes choses, et l’union totale et parfaite à Dieu seul. Chapitre IV.

Ne vous persuadez pas que ce silence soit purement spéculatif et sans fruit. Persuadez-vous au contraire qu’il est de pratique et d’une manière très sublime à la sanctification des âmes : car c’est pour lors que nous devons dire avec notre Séraphique Père saint François, plus de fait que de bouche, et d’actions que de paroles, un adieu général à toutes choses, et protester de vouloir garder un silence envers tout ce qui est créé, visible et temporel. Disons donc à Dieu du plus intime de nos cœurs : « O vous mon Dieu, c’est maintenant et pour jamais, que vous serez le seul Unique, l’amour de mon cœur, ma seule pensée, tout mon entretien, tous mes désirs, tous mes plaisirs, tout mon bien et que toute mon espérance sera en vous seul, plus rien du tout, les autres choses ». Avec notre Père Séraphique : « Et puisqu’il n’y a rien de semblable à vous, que vous êtes tout, et que tout le reste n’est rien que vanité, j’abandonne très volontiers tout ce qu’il y a de créé pour ne penser qu’à vous ».

Et si au temps des exercices de dévotion, d’office, d’oraison ou communion, vous ressentez votre esprit dans l’éloignement par quelques distractions, convertissez-vous comme fit autrefois saint Pierre, et dites d’un cœur amoureux à votre Epoux JESUS : « Seigneur, si c’est vous qui êtes là, tirez-moi à vous, et me commandez de venir à vous par votre parole, marchant au-dessus des eaux75 de toutes choses et de moi-même, afin de m’avancer et de m’approcher de vous, par une vive et nue foi, qui me fasse fouler aux pieds tout ce qui n’est point vous ». Et si76 votre infidélité vous a fait entendre les reproches qui furent faits à saint Pierre : Epouse77 de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ?, ce qui n’arrivera que trop souvent, mais ne perdez, pour toutes ces fautes et autres semblables, la confiance de vous convertir encore à votre Epoux, et plus cordialement, amoureusement et confidemment : » O mon Dieu, l’amour de mon âme, sauvez-moi car je suis infidèle ! »

Si vous faites cela doucement et fidèlement, espérez la même assistance par sa grâce. C’est qu’il vous retirera au-dessus de toutes choses et fera reconnaître et ressentir au fonds de votre pauvre cœur que toute autre chose que lui n’est rien, et vous affermira dans le mépris d’icelles, vous élevant par la foi et l’assurance de ce que vous croyez que lui seul est tout et en tout, et frappant toujours à la porte de votre esprit pour le remplir de sa présence, jusqu’à ce qu’il vous élève enfin de la foi à la claire vision de ce que vous croyez, en laquelle votre joie sera pleine, et partant entièrement en silence, ne vous restant rien plus à désirer ni à demander, car vous posséderez parfaitement et pour toujours celui qui est tout Bien, et la jouissance duquel a été tant désirée de notre Père Séraphique, qui disait si souvent : « Dieu m’est tout, et tout le reste ne m’est rien ». Vivez et mourez comme lui, vous jouirez du Tout en tout comme lui. Amen.

Abrégé de la susdite Pratique du Silence.

A cet exercice, le simple souvenir de Dieu suffit pour toujours continuer la pratique du silence.

Sinon vous y ajouterez la parole expresse « Dieu » prononcée extérieurement, ou intérieurement.

Et si l’évagation [divagation] et émotion, sentiment ou peine d’esprit continue, vous direz de pensée, ou de bouche : « Rien et Dieu », au sens susdit.

Et si la violence croit ou ne s’apaise pas, vous commencerez par cette parole : « Paix, je ne suis rien, Dieu est tout », usant de ces cinq paroles, ou du moins selon votre nécessité.

Que si au contraire votre esprit est dans l’engourdissement ou assoupissement, et tellement dissipé et extroverti que vous ayez peine à vous récolliger78, vous vous servirez de ces paroles pour l’éveiller et relever : « Mon Dieu m’est tout » ; et puis de ces autres : « Désir et amour, faim et soif », pour vous entretenir en cet objet de Dieu, par un ardent amour de Dieu. 79.

.

L’EXERCICE DES TROIS CLOUX AMOUREUX ET DOULOUREUX,

Pour imiter Jésus-Christ attaché sur la Croix au Calvaire et pour nous unir à Lui. / Divisé en quatre parties80.

Avant-propos

A mes religieuses dédiées et consacrées par les très grandes miséricordes du Tout-Puissant, au service de Sa divine Majesté : cette suivante pratique sera comme un facile abrégé de tous les exercices qui traitent de l’union de notre esprit avec Jésus-Christ. L’expérience que vous en ferez et votre fidélité vous feront reconnaître cette facilité et confesser cette vérité pour très assurée.

Je présuppose ici, âmes dévotes, que vous ayez déjà acquis quelque pouvoir sur vous-mêmes par la mortification de vos passions et par le règlement de vos affections ; et de plus que vous ayez acquis quelque sainte liberté de vous retourner à Dieu par la fidélité intérieure et pratique des vertus, et quelque commencement d’introversion amoureuse avec Dieu par la considération des sacrés mystères de notre très doux Rédempteur, que nous avons mis par ordre au petit Livre de l’oraison, pour tous les jours de la semaine.

Il serait même nécessaire que vous eussiez déjà quelque avancement, ou tout au moins quelque entrée dans la sainte union, de laquelle nous avons traité tout simplement dans l’Epître de la perfection religieuse, qui n’est autre chose qu’une conduite intérieure très facile, des trois puissances de notre âme en Dieu seul, selon l’expérience que les âmes fidèles ressentent en elles-mêmes par la grâce de la divine opération.

C’est donc ici, chères âmes, le profit de ces deux traités, qui vous donnera la douceur du fruit de l’union parfaite : si vous lui êtes fidèles en votre intérieur, selon la pratique de cet exercice, vous ressentirez en vous-mêmes des effets du tout admirable du feu sacré, que vous avez allumé en votre méditation, le propre duquel sera ici de vous purger encore derechef, pour vous illuminer et enflammer votre cœur, afin de consommer tous les restes de la nature du vieil Adam, qui pourraient tant soit peu empêcher ou retarder l’union ; ce qui se fait d’une manière si aisée et facile que les âmes de bonne volonté n’y trouvent nulle peine ni aucune difficulté, lorsqu’elles sont surtout désireuses de servir Dieu en la plus haute manière, et en tout résolues de l’aimer et de l’honorer à quelque prix que ce soit, de tout leur cœur et de toutes leurs forces, et à l’égal des plus ardents Séraphins, s’il leur était possible. Hélas ! nous avons droit d’y aspirer et de le désirer puisque Dieu nous commande de l’aimer par-dessus tout, du tout et en tout, pour correspondre à son grand amour.

C’est là le sujet pour lequel j’ai dressé ce petit traité, afin de réveiller notre désir et pour relever notre esprit, afin de nous étudier de comprendre la profondeur, la largeur, la hauteur et la longueur de l’amour infini que Jésus-Christ nous a montré sur la Croix par les excès de sa charité, pour nous unir à lui en vérité, afin d’apprendre à réduire en nous-mêmes sa Passion par pratique, l’appliquant à toutes nos paroles, pensées et actions, selon l’exemple qu’il nous en a donné en terre.

Du fondement de cet exercice

C’est pourquoi nous lui avons donné un si bon fondement, comme est la Croix, la Passion de Jésus, et son précieux sang. Nous l’avons aussi divisé en quatre parties, et fait que sa pratique commence par un simple regard amoureux, jeté sur le cœur de Jésus-Christ crucifié : tant qu’il nous aie regardé, et donné un très grand désir bien ardent de lui plaire, ou une pensée bien actuelle de l’aimer, ou un doux souvenir pour nous unir à lui.

C’est là le doux fruit des divines jouissances, qui nous recueillerons en sa présence, si nous sommes fidèles en ce monde à la contemplation de ses humaines souffrances et de sa divine patience.

Le sujet de tout cet exercice

C’est une pratique afin de nous faire comprendre autant qu’il est possible, la profondeur, la largeur, la hauteur et la longueur de l’amour infini que Jésus-Christ nous a montré sur la Croix, par les excès de sa divine charité.

Le fondement : sont trois enseignements que Jésus-Christ donne à l’âme qui le regarde dévotement, afin de lui faire connaître, vouloir et opérer fidèlement, pour correspondre autant qu’il lui sera possible à la grandeur de cet amour, par la pratique de cet exercice divisé en quatre parties.

Abrégé de cet exercice, en ses quatre parties

La première est la disposition de l’union, par une très grande profondeur d’humilité.

La seconde est la manière de l’union, par une très grande largeur de charité.

La troisième est la vie de l’union, dans une haute et sublime perfection séraphique.

La quatrième est la conservation de l’union, dans la persévérance, jusqu’à la mort.

Division abrégée pour la pratique de ces quatre parties

Elles commencent par un simple regard amoureux, jeté sur le grand cœur de Jésus-Christ crucifié, lequel par sa Croix nous donne la véritable lumière, par sa mort et sa Passion, la bonne volonté, et par son précieux sang, l’ardeur pour comprendre.

La première, quelle est la profondeur de cet amour, si grand et si éminent, que nous contemplons sur la Croix, qui nous demande pour sa fidèle pratique une véritable disposition pour l’union, par trois actes : à savoir d’abnégation, de résignation et d’une foi pure et simple, afin de correspondre à ce grand amour, par une autre profondeur d’humilité, pour dépouiller au pied de la Croix, le corps, l’âme et l’esprit, selon l’exemple de Jésus-Christ crucifié, pour nous unir à lui.

La seconde, quelle est la largeur de cet amour si excessif et si étendu, qui nous paraît sur la Croix, lequel nous demande pour sa véritable pratique, une manière d’union bien large et bien étendue en tout, et envers toutes les créatures, digne de lui et pour lui plaire ; et ce afin de nous unir au pauvre Jésus-Christ, par trois Clous, qui sont conformité, uniformité et déiformité, pour nous porter dans la simple unité.

La troisième, quelle est la hauteur si sublime de cet amour que nous voyons sur la Croix, lequel nous demande pour sa fidèle pratique, trois sortes d’exercices pour l’entretien pacifique de cette vie si haute et si sublime : à savoir, l’abandon, l’indifférence et l’anéantissement, pour nous élever dans un silence très intime, afin de vivre dans le cœur de Jésus-Christ crucifié d’une vie séraphique.

La quatrième, qui est la longueur de cet amour si infini, que nous regardons sur la Croix, nous demande du haut de celle-ci pour sa fidèle pratique, par sept paroles qu’il profère en celle-ci, sept sortes d’amours, afin de nous porter dans une longue persévérance de patience, pour la conservation de la vie d’union, dans l’unité du pauvre Jésus-Christ crucifié.

Cette division est suffisante pour faire comprendre toute la pratique de l’exercice. J’espère de donner un petit abrégé de tout l’exercice, en forme d’Examen, sur la fin du livre qui pourra servir à ceux qui ont déjà la pratique, pour le ressouvenir par cette simple lecture, de ce qu’ils pourraient avoir mis en oubli.

Du profit que les âmes fidèles pourront retirer de cette pratique

Je vous prie, chères âmes, de bien considérer ce petit exercice et les doux fruits que vous en fera recueillir la fidèle pratique, car ils sont très bons et très beaux, et en abondance. Il peut être comparé à un arbre, c’est à la palme victorieuse de la sainte Croix, où l’âme dévote doit monter par une fidèle pratique, tous les jours de sa vie, si elle désire goûter avec l’Epouse sainte la douceur de ses fruits.

Remarquez, je vous prie, que comme il y a quatre choses à l’arbre pour l’entretien de sa vie, et pour la production et conservation de ses fruits, qui n’en doivent jamais être séparées, si l’on désire goûter de la douceur de ses fruits, à savoir la racine, la tige, les fleurs et les feuilles, cet81 exercice a ces quatre choses, en ses quatre parties, toutes dans l’unité, pour la production et perfection de son fruit, qui est l’union de notre esprit avec Jésus-Christ.

Sa racine est la première partie cachée en la terre de notre nature, qui consiste en l’abnégation, résignation et dans une pureté de foi, simple, nue et universelle.

Sa tige ou son tronc qui paraît au dehors est la seconde partie composée de la conformité, qui est comme l’écorce, l’uniformité, qui est comme le bois et la deiformité qui est comme la moelle qui nourrit les fruits.

Ses fleurs, si belles et de si bonne odeur, sont l’abandon à Dieu, la sainte indifférence et le vrai anéantissement dont il est traité en la troisième partie.

Ses feuilles si verdoyantes et si salutaires et très nécessaires pour la conservation de son doux fruit d’union, qui est Dieu même, sont les sept sortes d’amours, que Jésus-Christ nous a donnés de la Croix, de sa propre bouche, pour notre instruction, dont il est parlé en la quatrième partie.

Et je vous prie, chères âmes, de bien prendre garde sur toutes choses que, si vous désirez avoir de beaux fruits et de bon goût, que la racine ne soit jamais séparée de sa tige, autrement le tout viendrait à dessécher : tout doit être uni, les fleurs et les feuilles sont aussi nécessaires pour la production et conservation de ses fruits.

La racine de l’union est la parfaite mortification extérieure de nos sens et l’intérieur de nos passions, laquelle se pratique par l’abnégation des plaisirs de la vie et par la résignation aux souffrances de ceux-ci et par la pureté de la foi, lesquels ne doivent jamais être séparées de leur tige, qui est la manière de l’union, qui n’est qu’une continuelle mort à nos sens et à nos passions, non plus que de ses fleurs qui sont pour la vie de l’union ; car cet entretien ne se fait en nous que par une mortification très exacte, qui porte l’âme dans un vrai anéantissement d’elle-même afin que Dieu vive en elle. Ni même la racine ne doit être séparée de ses feuilles très salutaires pour la conservation de la vie de l’union, car la mortification doit être pratiquée très exactement en toutes ses parties, et d’autant plus parfaitement que l’âme s’élève plus hautement, pour s’approcher toujours de plus en plus de Jésus-Christ crucifié, afin de s’unir et attacher avec lui, par une continuelle mortification qui est le fondement de toute la perfection et la marque la plus assurée de la vie de l’union : nous aurons autant de vie que de racine.

Vous trouverez ici, chères âmes, un chemin bien assuré exempt de toutes tromperies et grandement contraire à la chair et au sens, qui ne cesse de mortifier en toutes ses parties, tant qu’il a chassé l’amour propre de son lieu, pour y faire régner celui de Dieu. C’est un petit sentier bien étroit, il est vrai, je vous l’accorde, mais considérez que c’est un secret sentier pour entrer dans la possession de la divine opération du bel amour : sentier tout droit, très facile et bien aisé et surtout fort abrégé pour chercher Dieu, pour aller à Dieu, pour nous unir à lui, et pour nous faire toujours vivre à lui, pour lui et en lui, très facile pour cheminer toujours devant Dieu, par la fidèle pratique de la première partie ; pour aller après Dieu, par la fidélité de la seconde ; pour cheminer avec Dieu, par les exercices de la troisième et pour cheminer en Dieu l’unique de votre pauvre cœur, par l’esprit septiforme de l’amour, de la quatrième partie, qui vous portera dans l’union et l’unité avec le cœur de Jésus-Christ crucifié.

Cette pratique est très claire par sa facile méthode, pour vous faire voir Dieu en toutes choses par la première partie, et toutes choses en Dieu par la seconde, et Dieu en vous-mêmes par la troisième, et Dieu essentiellement en lui-même par la pratique très amoureuse de la quatrième partie, et ce sans nul autre objet que Dieu même, duquel vous trouverez quatre sortes de présence : l’extérieure, l’intérieure, l’intime et l’essentielle en Dieu même.

Vous trouverez aussi en cet exercice, la manière méthodique et grandement facile comme vous devez vous comporter, travailler et bien employer le temps dans quatre divers états où vous pourrez vous retrouver, soit de chercher Dieu, soit de l’attendre, soit de vous unir à lui, ou de le conserver en votre cœur.

Il vous sera aussi montré ce que vous devez faire dans quatre saisons et divers changements de dispositions, lesquelles arrivent souvent, et quelquefois plus de quatre fois l’année, soit au printemps des bons désirs et des belles fleurs des bonnes résolutions, soit dans l’été de l’ardeur de très saintes affections, soit à l’automne de la cueillette des fruits, soit au cœur de l’hiver d’une vie mourante entre les peines et souffrances extérieures, de mille afflictions et tribulations.

Cet exercice vous enseignera aussi de demeurer toujours dans une égalité de corps et d’esprit en vous-même et avec les autres dans la conversation, toujours d’une même humeur dans la diversité, toujours unies dans l’unité, et dans la multiplicité des affaires, toujours uniques et seulettes et toujours semblables en votre intérieur avec Dieu et avec tout le monde, sans division, ce qui fera que vous ne serez plus si sujettes à tant de subits changements de la nature ; car par cette petite fidèle pratique, vous vous donnerez tout à Dieu, et lors Dieu se donnera tout à vous, entrant dans une pleine possession de votre cœur et de toutes les puissances de votre âme, pour les transformer toutes en lui-même, pour faire l’unité dans l’union de votre esprit avec lui, ce qui vous donnera une très grande paix et une très grande tranquillité et portera toutes les puissances de votre âme dans un silence très intime, des paroles et des pensées, pour vous unir avec lui, afin que vous demeuriez seules avec lui, joyeuses, paisibles et contentes, pleines d’allégresses dans la possession d’un si grand bien, en tout et partout, qui est Dieu seul.

Ce sont là les fruits de la fidèle pratique de cet exercice, qui nous unissent tellement à Dieu qu’il demeure toujours avec nous, qu’il opère toutes œuvres, souffre nos peines : nous ne faisons plus que coopérer à toutes ses divines volontés, et le suivre par un simple acquiescement dans ses divines opérations, par-dessus toutes les multiplicités, choix ou élections de notre amour propre.

Telles âmes, par la fidèle pratique de cet exercice, sont toutes anéanties en toutes les opérations malignes de la nature : c’est pourquoi Dieu repose au milieu de leur cœur, pour les réjouir de sa présence, pour les consoler des ces doux entretiens, dans une occupation pacifique de son divin amour.

O qu’heureuses et mille fois heureuses sont telles âmes, ainsi bénies de Dieu ! Mais à quoi tiendra-il que nous ne soyons telles, puisque la bonté infinie ne le refuse qu’aux âmes négligentes et paresseuses, et à celles qui sont infidèles à croire et à pratiquer ce qui sera ici déclaré et enseigné dans cet exercice, lequel ne sera jamais à mépris des bonnes âmes qui l’auront bien compris.

Avis nécessaires pour l’intelligence de la pratique de ces exercices

Chères âmes rachetées par le précieux sang de Jésus-Christ crucifié, je vous prie en charité de bien considérer cet exercice, afin d’en bien comprendre la pratique et je vous assure que si vous l’observez de point en point et que vous le regardiez sans aucune passion, que d’un cœur amoureux plein de compassion et surtout désireux de suivre et d’imiter Jésus-Christ en sa très sacrée Passion, vous y rencontrerez en vérité ce que vous cherchez : car ce petit exercice à le bien prendre, n’est autre qu’une déclaration spirituelle du saint Evangile, pour nous enseigner à former en nous même l’image très sacrée de Jésus-Christ crucifié, lequel par sa Croix nous doit être règle de mort au péché, et dans la vue de son amour, par les mérites de sa Passion, elle nous doit être forme de vie, mais d’une vie amoureuse pour nous porter par les ressentiments de ses souffrances, dans l’imitation de sa vie et dans la ressemblance de ses divines vertus.

C’est là ce que nous enseigne ce petit exercice, sont là ses très riches pratiques, pour nous aider à former en nous cette image très sacrée de la douloureuse mort et Passion de notre Seigneur Jésus-Christ crucifié, et ce afin de nous rendre tous par les justes et amoureux ressentiments de ses souffrances les vrais enfants de sa Croix et de ses douleurs.

Car je vous prie de remarquer que la première et la seconde partie de cet exercice nous font connaître comme notre vie doit naître de la sacrée mort et Passion de Jésus-Christ crucifié. La troisième et la quatrième nous montrent comme nous devons toujours vivre dans l’union de la mort et Passion de Jésus-Christ crucifié, par imitation et ressemblance à la vie qu’il a menée en terre l’espace de trente-trois ans et trois mois qu’il a été en ce monde pour souffrir, afin de nous tirer après lui dans la pratique de ses actions ; mais aux âmes ferventes, il leur montre de vivre comme Jésus-Christ a fait les trois heures qu’il a été vivant sur la Croix.

Voilà, chères âmes, le très juste sujet de ce petit traité et la raison pour laquelle je lui ai donné le titre des trois Clous amoureux et douloureux, pour nous unir et crucifier avec Jésus- Christ, pour ce qu’il est exactement tiré sur son exemple, pour nous former en vérité sur sa vraie image, pour notre amour toute défigurée.

C’est pourquoi cette pratique commence par un simple regard amoureux, jeté sur le cœur de Jésus-Christ crucifié, lequel par son côté ouvert nous le montre tout à découvert, afin que peu à peu il dissipe, et quelquefois tout d’un seul regard, les empêchements qui retardent que Jésus-Christ ne forme en nous son Image, par l’imitation de ses vertus et par la participation de ses souffrances.

La première partie, qui est la préparation de cette union, est prise sur la montagne du Calvaire, au pied de la sainte Croix afin de nous dépouiller comme Jésus-Christ devant que de nous unir et crucifier.

La seconde partie, qui est la manière de l’union, est tirée de la crucifixion de Jésus-Christ sur la Croix.

La troisième partie, qui est la forme de la vie de l’union, a été prise de Jésus-Christ souffrant, languissant et mourant d’amour pour nous sur la dure Croix.

La quatrième partie, qui est la conservation de l’union, laquelle consiste en la vraie forme et vie de Jésus-Christ, qui nous a été donnée de lui-même, par les sept amoureuses paroles de son Esprit septiforme qu’il a envoyé de la Croix dans nos cœurs, pour les mettre tous en ardeur par ces divines flammes, qui coulent en abondance des fournaises ardentes de ses sacrées plaies, et ce afin de nous faire comprendre avec tous les saints, la profondeur, la largeur, la hauteur et la longueur de la suréminente charité, qu’il nous a montrée sur le gibet de la sainte Croix mourant, et pour nous élever de la terre, afin de nous unir à lui par la même Croix, comme il a fait le séraphique Père saint François.

C’est pourquoi ce petit exercice nous le représente comme s’il était encore sur la Croix souffrant pour nous : et nous raisonnant par ces si douces paroles : « O vous tous, mes chères âmes, rachetées par les mérites de mon précieux sang, qui cheminez encore sur la terre, par trop vagabondes et épandues, arrêtez-vous un peu ici pour me regarder. Lisez et contemplez si en vérité il y a une douleur en votre corps semblable à la mienne, et en votre cœur un amour en pureté et en ardeur égal au mien, qui me fait languir après vous ». Attendez et voyez la distance, et n’oubliez jamais la différence et l’inégalité de ces deux amours. Lisez cette amoureuse pratique : elle vous enseignera un amour séraphique, et de continuer votre regard, afin d’augmenter l’amour qui vous manque de toutes parts, mais que ce soit d’un regard amoureux du grand cœur de Jésus-Christ crucifié, qui nous appelle tous pour le contempler par la fidèle pratique de ce petit exercice.

TABLE des traités contenus en ce Livre82 :

TRAITÉ PREMIER [Première partie] / Du fondement de l’union

TRAITÉ II / De la préparation de l’union

TRAITÉ III [Seconde partie] / De la manière de l’union

TRAITÉ IV [Troisième partie] / De la vie de l’union

TRAITÉ V [Quatrième partie] / De la conservation de l’union

L’EXERCICE DES TROIS CLOUX

Tirés sur l’exemple De Jésus-Christ, / Pour nous unir à lui par un simple regard, pensée amoureuse, ou par un doux souvenir.

Préface qui servira de fondement à cet exercice.

Divisé en trois enseignements :

Chères âmes, rachetées par le précieux sang de Jésus, si vous êtes désireuses de la grande perfection de l’union séraphique, élevez vos yeux, votre cœur et vos pensées de la terre et contemplez d’un regard amoureux, simple et douloureux votre doux Jésus, sur le haut du Calvaire, au midi de ses plus grandes souffrances : voyez comme il brûle de charité, et que son cœur languit après vous d’amour ; ressentez en vous ces divines flammes et célestes ardeurs.

Attendez et voyez s’il vous reste quelques sentiments en l’âme de ses peines, ou quelque compassion au cœur de ses douleurs, pensez et repensez souvent à ce divin objet, afin de ne le jamais oublier.

Et voyez que celui qui pend en cette dure Croix, s’est tout fait cœur pour vous, et comme altéré de votre salut, il crie à la soif après vous pour vous unir à lui, si par un regard amoureux de ses souffrances, vous vous unissez à lui, comme par icelles il s’est uni à vous, compatissant à vos misères.

Prenez bien garde qu’il vous dit de ce sacré lieu, parlant au plus intime de votre cœur, mais d’une voix si haute et si larmoyante qu’il en est tout enrobé, c’est qu’il nous a donné l’exemple de le suivre, par l’abnégation des plaisirs de la vie, durant trente-trois ans et trois mois qu’il a été sur terre, dans un continuel refus de toutes les délices de ce monde.

C’est là où il nous appelle par ses amoureuses paroles et où il espère nous porter par son exemple : c’est pourquoi il demande que nous lui donnions souvent un regard amoureux, pour l’accompagner en ses grandes souffrances.

Et de plus, il désire nous attirer à lui par la résignation qu’il a faite au Jardin et sur la Croix, entre les mains de son Père céleste pour notre amour, et à de plus grandes souffrances sur la fin de sa vie, qui font d’être attaché pour nous sur le gibet ignominieux de la Croix, avec de gros clous, par les mains sacrilèges des cruels bourreaux et entre deux larrons.

C’est là où il nous attend, le côté ouvert, et le cœur à découvert pour nous recevoir, les bras étendus pour nous embrasser, sa tête inclinée pour nous donner, par un doux baiser de paix, son esprit très sacré devant que d’expirer, afin que nous puissions comprendre avec tous les saints, la profondeur, la largeur, la hauteur et la longueur de l’amour infini qui l’a fait tant souffrir et avec de si grand excès.

Or pour nous faire comprendre cette si haute science de la sainte Croix, devant que d’expirer, il désire nous donner trois notables enseignements, pour servir de fondement à toute cette pratique, qui sont : bien connaître, bien vouloir et bien opérer, lesquels sont très nécessaires pour notre avancement, dans la perfection de l’union et dans l’unité du cœur de Jésus-Christ, pour nous crucifier avec lui.

Les trois grâces que Jésus-Christ crucifié donne à l’âme qui le regarde dévotement.

Remarquez, âmes religieuses, que cette divine pratique se doit commencer par un simple regard amoureux du très sacré cœur de Jésus-Christ crucifié, lequel se va toujours de plus en plus dilatant, purifiant et pénétrant par la pratique fidèle de l’exercice et l’on ne doit cesser d’élever son esprit, tant que l’on l’aie porté dans l’union du cœur de Jésus-Christ crucifié, lequel donne à l’âme qui le regarde fidèlement ces trois grâces.

La première faveur, et toute la première grâce que l’âme reçoit du regard amoureux de Jésus-Christ crucifié, c’est une douce lumière de vie en l’entendement, par la venue de la sainte Croix, pour lui faire reconnaître la vérité sans tromperie, avec toutes ses grandes obligations, par une sainte admiration d’un tel bénéfice.

La seconde est une bonne volonté de faire le bien, par la contemplation de sa très douloureuse mort et Passion, pour nous exciter à le servir et l’aimer parfaitement, de tout notre cœur en l’union de ses amoureuses souffrances.

La troisième est une ardeur amoureuse par la venue de son précieux sang, qu’il a tout répandu pour ce sujet, afin de nous donner une confiance invincible et un bon cœur magnanime pour la fidèle pratique de tout ce qui est dans cet exercice.

Notre simple regard doit être rempli de ces trois lumières de vie pour bien commencer l’acte de l’union amoureuse par un silence très intime de coeur et d’esprit, pour nous unir à Dieu.

C’est pourquoi, chères âmes, je vous prie pour la Passion de Jésus, que nous recevions ces enseignements de sa propre bouche, pour nous servir de fondement à l’union. Car notez que s’il hausse la voix, c’est pour nous faire comprendre ces dévotes paroles. Attendez et voyez, vous tous qui passez par la voie, que ses douleurs, ses larmes et son sang nous y pressent bien fort : s’il crie en mourant et s’il meurt en criant d’une voix si haute qu’il a soif, ce n’est que de notre salut ; s’il pleure à chaudes larmes, ce ne sont que nos péchés ; s’il prie son Père céleste, ce n’est que pour obtenir pardon de nos très grandes ingratitudes et grosses ignorances, et s’il répand tout son propre sang si abondamment, ce n’est que pour nous attirer après lui, nous unir à lui et pour nous transformer par amour tout en lui, par imitation et ressemblance de toutes ses vertus. Commençons par ce doux regard amoureux à retourner vers lui, par la pratique de ce que dessus.

Allons donc tous de compagnie à la suite de l’Agneau puisqu’il nous appelle par la douceur de sa voix et par ses yeux si amoureux, si nous désirons être du nombre des bienheureux. Mais ne le recherchons plus avec un amour puéril et sensible, mais plutôt d’un amour courageux et hardi et d’un esprit fort et résolu dans les plus épaisses ténèbres, pour nous unir à lui par la foi au haut de notre esprit : ne nous contentons pas de la seule connaissance du bien, ni du seul amour de celui-ci, ni du haut estime de la vertu, car tenons pour tout assuré que le tout nous serait inutile si nous ne venons à la fidèle pratique, embrassant tous les moyens propres au prix de notre sang, pour l’exécution de nos bons désirs et pour l’accomplissement de tous nos bons desseins, lesquels auront pour fondement les trois enseignements de Jésus-Christ crucifié, afin de remplir notre entendement d’une connaissance véritable par la lumière de sa Croix, et notre mémoire de saintes pensées pour la contemplation de sa Passion, mais surtout notre volonté de très grandes ardeurs pour l’amendement de nos mœurs, par la seule vue de son précieux sang pour nous servir de fondement, comme il suit, qui sont les fruits du regard du crucifix.

Le premier enseignement de Jésus, qui servira de fondement au Calvaire, de l’abnégation propre, lieu pour recevoir la lumière de la vie de l’union.

Chères âmes, considérez avec moi je vous prie, et nous verrons que depuis que le Soleil a été obscurci sur le Calvaire, notre doux Jésus par sa mort et Passion en a fait un mont de lumière de la vraie vie unitive ; tellement que tous ceux qui désirent de s’unir à Jésus-Christ s’en doivent approcher. Et de plus il nous avertit par son Prophète qu’il est très nécessaire d’y faire notre demeure ordinaire, disant : « Attendez et voyez, vous tous qui passez par la voie, pour contempler tout à loisir, s’il y a une abnégation douloureuse semblable à la mienne83 ».

Faisons donc, vous et moi, une sainte résolution avec l’Epoux, de demeurer sous l’ombre de la palme victorieuse de la sainte Croix, pour contempler les douleurs, les labeurs et les langueurs, et la mort même de Jésus-Christ crucifié : d’autant que c’est de là que nous viendra la lumière de l’abnégation. Et voilà aussi pourquoi il nous y semond [sic] et de le regarder attentivement et amoureusement.

Le Calvaire sera le séjour ordinaire de notre glorieuse demeure, pour former des actes d’abnégation, souvent réitérés pour imiter Jésus-Christ, car c’est l’un des premiers enseignements qu’il nous a donné d’exemple et de paroles, entrant en ce monde par son Incarnation, y vivant dans la mortification et en sortant par sa Passion : le tout n’a été qu’une continuelle abnégation, de laquelle a été formé le Mont de Calvaire, sur lequel la Croix a été plantée et Jésus crucifié.

Cette abnégation nous servira de fondement pour planter la Croix en notre cœur, d’où naîtra puis après cette douce lumière en notre esprit, pour nous unir à Jésus-Christ. Car notez que nous n’aurons que tout autant de lumière de la vie unitive que nous renoncerons à nous-mêmes pour suivre Jésus-Christ dans ses labeurs, douleurs et langueurs, voire jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix : c’est lui-même qui nous en assure et qui nous en fait la promesse, disant : « Qui me suivra par cette voie d’abnégation jusqu’au Calvaire, il aura la lumière de la vie unitive, s’il y fait sa demeure pour me contempler continuellement et amoureusement ».

Et voilà pourquoi il nous appelle tous sur cette haute montagne, disant : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et travaillez, et je vous soulagerai par ma grâce, vous ôtant tous les empêchement de l’union », qui sont les plaisirs de la vie, afin de vous disposer pour recevoir cette divine lumière de vie qui nous donnera la liberté d’élever notre cœur de la terre et de nous approcher de Jésus-Christ en esprit et vérité, par la fidèle pratique d’une continuelle abnégation qui n’est autre qu’un entier dépouillement, au pied de la Croix, de tous nos vêtements, qui sont les mauvaises inclinations, habitudes et passions, qui nous couvrent comme un vêtement, qui empêche que nous ne soyons revêtus des rayons du vrai Soleil de Justice, afin de nous crucifier et unir avec lui.

Ces empêchements sont des habitudes que nous avons acquis[es] par le mauvais usage de nos sens, de nos passions, affections et inclinations déréglées, lesquelles sans cesse nous aveuglent par la continuation de leurs actes, ce qui détourne notre esprit de Dieu dans la vallée de confusion, de désordre et des unions, où l’on ne regarde plus Jésus-Christ, à cause des grandes multiplicités qui nous privent de ce divin objet, si beau et si parfait.

Le remède à ce mal sera de faire toujours notre demeure sur le Calvaire de l’abnégation, afin que ce divin Soleil qui est en son plein midi sur la Croix, illumine nos ténèbres selon la véritable promesse lorsque nous ferons ou que nous souffrirons ces renonciations et abnégations pour son pur amour : sera en ce temps, et non devant, que nous recevrons une telle connaissance de notre Père céleste et de notre néant et des grandes obligations que nous avons de le servir et aimer, et du peu de correspondance que nous apportons à ces douces semonces et à tant de saintes inspirations qu’il nous a tant de fois données, et que nous avons si souvent méprisées pour ne nous rendre attentives à le regarder afin de reconnaître dans son sacré cœur, par la lumière de la foi, à l’aide de la Croix, les secrets sentiers de son divin amour et les moyens que nous devons observer pour nous rapprocher de lui et pour nous unir à lui de cœur et d’esprit.

Cette véritable et amoureuse connaissance de notre néant et de notre impuissance aux choses de notre salut procédant de la Croix nous fera renaître d’un petit ver de terre comme un oiseau de Paradis , pour nous faire retourner par une conversion amoureuse vers le cœur de celui à qui nous avons tant coûté, afin de le contempler d’un regard amoureux simple, nu et dépouillé de tous les objets des créatures et des dérèglements de la nature et du désordre de nos passions, que nous avions accoutumé d’opérer de nous-mêmes comme de nous-mêmes, qui ne sont que des œuvres de ténèbres, comme l’expérience nous le fait assez reconnaître tous les jours pour ce qu’elles nous cachent la face de ce beau Soleil crucifié et si elles nous font porter sur le front, à notre honte et confusion, le titre d’enfants de ténèbres, et nous privent de celui de lumière de nos passions et non de la Passion de Jésus, de nos humeurs et non du grand cœur du Crucifié.

La vraie lumière qui sort de la sainte Croix, nous disposera par son doux rayon pour pratiquer l’abnégation, afin de cacher notre honte, nous faisant renoncer à toutes nos volontés et sentiments, par un refus général de toutes les opérations malignes de la nature et de tous ses désirs vains, curieux et inutiles, qui ne procèdent que de nos ignorances grossières et de nos ténèbres, lesquelles sont toutes dissipées par ce simple regard amoureux, et lors Jésus nous revêt d’honneur, de grâce et de gloire des rayons de sa lumière.

En notre âme demeure tout à l’instant tellement éclairée de la vérité de son néant, quant à l’estime d’elle-même, qui [sic] lui semble en vérité qu’elle n’est plus qu’un vil fumier de mépris, ou comme un puant Calvaire d’oubliance : elle voit ici son néant en Dieu par la lumière de la Croix et c’est là ce qui la fait tant humilier et tant aimer son abjection. Et voilà ce qui l’approche si près de la Croix et qui la dispose de recevoir la vie de l’union, par les gouttes de sang qui tombent de ce divin Pélican, pour arroser son cœur, lors particulièrement qu’elle est fidèle à la pratique de l’abnégation, refusant à la nature tout ce qu’elle demande pour ces propres satisfactions. Et voilà ce qui la dispose à l’union sans division, pour lui faire dire avec St Paul : « Je vis moi, non ce n’est par moi, mais Jésus-Christ, qui vit et opère en moi » par cette abnégation. C’est pourquoi il semble que ce grand cœur tout plein d’amour voulait dire : « Je me glorifie de mes souffrances, et de [ce] que mon doux Jésus a planté sa sainte Croix tout au milieu de mon cœur, pour me faire remporter tant et de si glorieuses victoires sur moi-même ; et de plus, c’est elle qui me donne tant d’espérance de goûter de la douceur de ses fruits, par son moyen de jouir de la consolation des joies de Paradis .

Le second enseignement de Jésus-Christ sera la Croix de résignation, qui servira de second fondement à la vie de l’union.

Chères âmes, depuis que Jésus-Christ s’est laissé attacher sur la Croix par une très grande résignation, il en a fait le chemin très assuré de l’union : c’est pourquoi il l’a enseigné à tous ceux qui le désirent suivre en la vie unitive, pour leur servir d’un très stable fondement de toute la perfection, laquelle consiste dans la vraie ressemblance de son imitation.

Donc, chères âmes, sa sacrée Passion nous donnera lumière et ardeur par la contemplation pour former l’acte de résignation ; de plus, elle remplira notre mémoire de bonnes et saintes pensées, et notre volonté toute d’ardents désirs de suivre et d’imiter Jésus-Christ en sa vie et en sa mort, afin de nous unir à lui de cœur et d’esprit.

Ames dévotes, si selon le bois de cette grande et grosse Croix de Jésus-Christ, le feu des saints désirs vient à s’allumer en notre volonté, je vous laisse à penser quelles en doivent être les ardeurs pour brûler nos cœurs, puisque les flammes s’en sont élevées jusqu’au Ciel de la sainte Croix, où Jésus-Christ se laisse tout consumer pour notre amour dans ses divines ardeurs pour embraser tous nos cœurs par un simple regard amoureux, qu’il désire que nous retournions vers son cœur douloureux.

Et qui de nous autres l’oserait refuser, non pas seulement de se résigner dans les souffrances, mais d’être aussi crucifié, puisque nous le contemplons lui-même se sacrifier, et toute sa vie, et tout son sang, pour notre amour, et de plus nous le voyons s’y consommer tellement que ses divines flammes l’ont tout réduit en cendres, et fait comme un petit ver attaché sur le bois, entre deux larrons : voilà jusqu’où a été son abnégation, voilà quelle a été sa résignation, pour nous attirer après lui par son exemple et pour nous unir à lui par son amour.

Cette ardente charité ne nous doit-elle pas donner une bonne volonté, ferme et constante, toute pleine de très grands désirs de renoncer à nous-mêmes, puisque c’est le vrai fondement de la vie spirituelle, qui doit être autant profond que nous désirons élever l’édifice de la perfection religieuse ?

C’est pourquoi nous devons avoir une ferme résolution de nous approcher de ce buisson tout ardent, quand même nous y devrions mourir dans une entière soumission à toutes les plus grandes souffrances, par une générale résignation, laquelle n’est autre à la bien prendre qu’un don continuel que nous faisons à Jésus-Christ, de nous-mêmes et de tout ce que nous sommes, de tout ce que nous avons et espérons d’avoir entre les bénites mains de sa divine Providence, non seulement pour être formées, mais aussi possédées et gouvernées, voire et pour être crucifiées de moment en moment, par les sacrés décrets de ses ordonnances, bien que souvent elles soient du tout contraires à nos volontés, inclinations particulières et propres jugements.

Et notez que notre propre volonté est la seule cause que nous trouvons quelquefois cette résignation si amère et affligeante ; d’autant que nous y ajustons de travers, voulant aller contre les divines ordonnances, et voilà ce qui nous rend cette Croix de résignation si lourde et si pesante que notre Seigneur, qui est la vérité même, nous assure être si légère, douce et suave qu’elle donne du repos à nos âmes et de la joie à nos cœurs. Si nous apprenons de lui de conserver l’humilité dans nos souffrances et la douceur de cœur dans nos peines intérieures, et la fidélité dans nos actions à pratiquer la résignation en toutes les occasions, c’est ce qui nous portera dans l’union.

Le troisième enseignement sera par le sang de Jésus-Christ, qui nous parle, afin de nous donner un bon cœur magnanime pour le troisième fondement de cette pratique.

Chères âmes, comme nous sommes toutes rachetées par le précieux sang de Jésus-Christ, c’est aussi lui qui nous donne ce troisième enseignement par son précieux sang, pour nous servir d’un très ferme fondement de l’union avec lui.

Comme donc Jésus-Christ par les excès de sa divine charité a voulu être attaché sur la dure Croix avec des clous, et non pas lié avec des cordes, afin d’épandre une abondance de sang, avant que de mourir, pour nous réveiller l’esprit quelquefois par trop endormi dans ses paresses et négligences ordinaires.

Prenons-y bien garde, chères âmes, et considérons que la voix de ce sang si précieux ne demande pas notre mort ni vengeance, comme celui d’Abel, mais il nous crie, d’un ton bien plus amoureux, qu’il nous veut donner l’esprit et la vie qui est en lui, afin que nous soyons toujours plus ardents en son divin amour, pour la pratique.

Mais approchons-nous un peu de plus près, non seulement par les désirs, mais aussi par les effets, et alors nous serons illuminés et nous pourrons entendre, par le petit bruit que fait ce précieux sang sortant de ses sacrées veines, qu’il nous demande miséricorde, c'est-à-dire de participer à la misère et aux souffrances de son pauvre cœur. Je m’assure que si nous avons une bonne volonté et un grand désir de le contenter, nous n’oserons pas le refuser.

Voici donc le secret, âmes dévotes, mettons le bien avant dans nos cœurs. C’est que notre doux Sauveur désire que nous lui tenions compagnie, autant pour le moins qu’il nous sera possible en toutes les grandes et extrêmes souffrances, soit extérieures de son corps, soit intérieures de son âme, soit douloureuses de son cœur sacré, à ce qu’il n’y ait aucune partie en nous qui ne souffre avec lui : si nous l’aimons en vérité, nous le lui refuserons cette charité, car la demande est très juste et plus que raisonnable. C’est qu’elle qui nous doit donner de l’ardeur, relever le cœur et le courage pour lui dire avec le Royal Prophète : « Mon doux Jésus, mon âme ne vivra plus que pour vous seul, je n’aurai plus nulle honte de m’humilier ni aucune crainte de souffrir pour votre amour, mais bien plutôt j’estimerai à un très grand honneur non seulement de vous donner la moitié de mon âme, mais de très bon cœur, je vous l’offre toute entière, et un million de cœurs si je les pouvais avoir, afin de vous tenir toujours compagnie en toutes vos peines et souffrances, en l’union de celles que vous avez endurées pour moi ».

Voilà, chères âmes, ce que nous devons proposer de faire tous les jours de notre vie : c’est la pratique de trois enseignements de Jésus-Christ, lesquels nous serviront de très solide fondement de l’union, notre cœur sera rempli de sa Croix, notre entendement de sa mort, et notre volonté de l’ardeur de son précieux sang, afin de nous porter fortement à embrasser tous les moyens au prix de notre propre sang, ce qui nous donnera entrée dans la fidèle pratique de la première partie, qui traitera amplement de la préparation d’une parfaite union de notre esprit, avec le pauvre Jésus-Christ, mais d’une méthode claire, facile et aisée à toutes sortes de personnes, car chacune selon son état, condition et vocation, peut et doit aspirer à cette perfection, laquelle ne se peut acquérir sans une continuelle mortification et très grande fidélité, à nous servir des moyens que Dieu nous a donnés et donne à tous moments, pour nous élever et unir à lui, par tous les divers accidents de peines et de souffrances qu’il permet justement nous arriver, de qui que ce soit et en quelque manière que ce soit. Le tout n’est que pour nous conduire droit à lui, dans l’ordre de l’amour de sa divine Providence, dans laquelle nous pouvons marcher en toute assurance, étant guidés d’une si bonne main.

La première partie [préparation de l’union] de l’exercice des trois clous, pour correspondre à la profondeur de l’amour que Jésus-Christ nous a montré au pied de la croix, laquelle nous servira de préparation à l’union.

Avant-propos

Les fondements posés sur la Croix, sur la mort et Passion, et sur le sang précieux de Jésus-Christ, il nous faut maintenant passer à la première partie, pour traiter de l’élévation de notre esprit par la mortification, pour nous servir de préparation à la vraie union avec Jésus- Christ, autant parfaitement que l’on la peut acquérir en ce monde, par l’aide de sa sainte grâce.

Pour l’avant-propos de cette première partie, je me servirai des propres paroles de l’Apôtre saint Paul ; me sentant porté d’un très grand désir de votre avancement en l’amour de Jésus- Christ, je dirai avec lui : Je fléchis les genoux devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, à ce qu’il vous donne selon les richesses de sa gloire, de vous fortifier intérieurement par la vertu de son esprit, afin que Jésus-Christ, par la foi et clarté spirituelle, habite dans vos cœurs, [jusqu’]à ce que, bien fondées et enracinées en la charité de Dieu, vous puissiez comprendre avec tous les saints, la profondeur, la largeur, la hauteur et la longueur de la sublimité de l’amour que Jésus-Christ nous a montré en sa mort et Passion, pour nous faire entrer dans la plénitude de ses grandes perfections et divines unions, autant que pour le moins qu’il nous sera possible, aisé et facile par l’aide de sa grâce, par laquelle le même Apôtre dit en un autre lieu, que nous pouvons toutes choses84.

Voilà, chères âmes, des paroles non seulement dorées, mais toutes d’or descendu du Ciel, pour nous dresser vers l’Eternité. C’est là que j’ai pris le sujet de ce petit traité, voilà le dessein de cet œuvre, et l’ordre que nous y avons gardé, et d’où nous avons tiré la division de ces quatre parties, pour rendre cette méthode plus claire et sa pratique plus facile, et tous les moyens les plus aisés nous sont ici déclarés et représentés pour nous unir dès ce monde à Jésus-Christ et à Jésus-Christ crucifié.

Nous avons posé les fondements, lesquels sont très bien appuyés sur la Croix de Jésus-Christ, sur sa douloureusement mort et Passion et sur son précieux sang, afin de nous faire connaître premièrement le bien par la lumière de la Croix, secondement afin de nous le faire aimer, désirer et vouloir par la contemplation de sa mort et Passion, troisièmement afin de faire et opérer ce bien par la venue de son précieux sang. Notez que par ces trois enseignements que Jésus-Christ nous a donnés au commencement, ce qui nous semble quasi du tout impossible, comme d’aimer Dieu parfaitement, de le servir fidèlement et de nous unir avec lui dévotement, nous sera rendu facile, comme il suit dans cette petite pratique.

Cette première partie nous donnera un bon moyen pour correspondre à la profondeur de l’amour que Jésus-Christ nous a montré au pied de la Croix, par une profondeur d’humilité amoureuse, laquelle sera divisée en trois actes, qui nous serviront de dispositions pour l’union de notre esprit, avec le pauvre Jésus-Christ.

  1. La première disposition pour l’union sera la foi

La85 profondeur de la foi nue, simple et universelle sera la première disposition de l’union de notre esprit, avec le pauvre et très humilié Jésus-Christ, pour ce qu’elle nous fera rendre une totale et générale soumission de corps, d’âme et d’esprit, quelquefois par la seule venue de sa Croix, simple pensée de sa mort, ou par un doux souvenir de son précieux sang.

C’est de là d’où naîtra la lumière pour nous éclairer dans les ténèbres, afin de nous conduire droit à Dieu, sans aucunes tromperies : les bons désirs sortent de là sans aucunes feintises et les ardeurs sortent de ce cœur amoureux de Jésus pour disposer notre volonté à l’union par la foi, par l’abnégation et par la résignation, afin de commencer par cette fidèle pratique à nous élever, ou pour le moins à nous approcher de la paisible jouissance de sa chère présence en notre esprit.

Mais particulièrement cette grande foi si ardente sortant comme un divin rayon du cœur de Jésus-Christ, elle doit planter et enraciner la présence de Dieu en notre esprit si profondément et si amoureusement qu’elle en fasse le propre lieu de sa demeure avec nous, et des ses plaisirs, et de ses délices pour jamais. Foi qui pour cet effet doit être universelle, nous assurant de la divine essence partout, simple par un rayon de lumière, sans aucune image ni multiplicité, nue et dépouillée au pied de la Croix des objets de toutes les créatures à ce qu’elle ne soit empêchée de regarder Jésus par un regard amoureux. Foi qui nous doit faire ici vivre pour mourir tous les jours à nous-mêmes , afin de vivre maintenant en terre avec autant d’attention, de révérence, de fidélité et de dévotion, en la présence de Dieu invisible, par le moyen de la foi, comme s’il nous était palpable et visible. Et ce à l’égal des saints (s’il nous était possible) qui le contemplent toujours d’une seule vue très simple et très unitive, la foi doit avoir en nous le même effet, ou en partie pour le moins.

Ce sont là, chères âmes, les merveilles admirables de cette grande foi, simple, ardente et universelle : [ce] sont les effets du tout divin qu’elle opère en notre entendement, qui est de nous donner autant d’assurance que Dieu ne nous est pas moins présent, puissant, heureux et glorieux (je dis en un chacun de nous, et en la moindre créature de la terre) qu’il l’est au Ciel, car il n’y a que cette seule différence que là-haut il y manifeste sa gloire à découvert, et ici-bas avec nous sa divine providence, sa toute puissance et sa grâce, pour nous conserver toujours unis avec lui, par les rayons de son divin amour, et pour nous conduire par la lumière de cette foi dans les plus épaisses ténèbres de nos sens.

Car je peux vous dire et assurer véritablement que cette grande et admirable foi nous doit donner autant de certitude de la divine présence que la vision béatifique en donne aux esprits bienheureux, qui sont déjà abîmés dans la parfaite jouissance de Dieu. Ah ! Quelle joie, et quelle plus grande consolation que celle-ci, que reçoivent les âmes qui sont dans la fidèle pratique de cette foi nue, simple, universelle et ardente !

C’est pourquoi je vous prie, pour l’amour de Dieu, de croire cette vérité que nous propose l’Eglise, et de bien la pratiquer, si vous désirez participer au bien et à la consolation de ces bonnes âmes, qui ne vivent que de la foi, qui leur donne plus d’assurance de la proximité que toutes les autres choses. Car il est très véritable que le regard des choses divines et célestes et mêmes des objets intérieurs et spirituels, la foi, doit faire le même effet, voire et plus grand que la vue corporelle au regard des objets extérieurs.

Nous devons donc porter autant de révérence, d’amour, d’attention à la présence de Dieu que les Anges mêmes, s’il nous est possible, car encore que nous ne les voyons pas comme ils sont, nous sommes toutefois aussi assurés comme ils sont, qu’il est partout, qu’il remplit tout et qu’il nous est toujours présent. Il ne tiendra donc plus qu’à nous qu’il ne nous remplisse de ses grâces, comme il fait le Ciel de sa gloire, et qu’il n’opère avec nous et en nous l’œuvre parfaite de son saint amour, par la pratique de la foi, comme nous allons déclarer pour la faire mieux comprendre.

2. Pratique de cette grande foi, nécessaire pour la disposition de l’union

Donc, chères âmes, pour commencer maintenant à vivre, selon cette grande foi, fidèlement en la continuelle présence de Dieu, sitôt que cette brillante lumière nous aura illuminée, jetons promptement toute notre lumière naturelle par terre, et appliquons tout aussitôt doucement notre esprit à cette divine et amoureuse présence, par un seul regard, simple pensée ou doux souvenir de Dieu seul, le ressentant en nous-mêmes par la foi et application d’esprit, quelquefois plus crue que ressentie, pour ce que telle opération se fait le plus souvent par-dessus tous les sentiments de la nature, et ce afin que Dieu remplisse notre esprit de l’abondance de ses grâces et lumières célestes, comme il fait le Ciel de ses délices, et de sa gloire pour jamais.

Ah ! Quel plus gracieux présent ! C’est un des plus assurés moyens que nous puissions avoir en ce monde, pour nous unir à Dieu par-dessus l’opération des sens qui nous font tant la guerre et nous apportent tant d’empêchements à l’union ; mais cette grande foi les anéantit tous par un simple acte, et mortifie toutes leurs opérations malignes par un seul regard amoureux, jeté sur le cœur de Jésus-Christ.

Ce ferme fondement posé, entrons dans la fidèle pratique, faisant un abandon général de nous-mêmes, entre les mains de la divine Providence, en tout, et par tout et pour jamais, afin de nous disposer en ce temps et moment, pour nous unir à Dieu. Or, par cet acte d’abandon, nous nous remettons sous la conduite du Saint-Esprit, au gouvernement des ordonnances de la divine Providence, pour être menées en tout et par tout comme aveugles dans les claires ténèbres de la foi, par la sagesse incompréhensible de Dieu, comme s’il était visible à nos yeux, recevant sans nulle inquiétude tous les divers accidents qui nous pourront arriver, sans même nous en troubler ou altérer tant soit peu, non pas même de nos imperfections ordinaires ; mais plutôt nous en devons humilier devant la divine Majesté, lui en demander pardon, et nous proposer, moyennant sa grâce, de n’y plus retomber ; après, nous n’y devons plus penser, mais appliquons notre esprit à la présence de Dieu, qui désire en ce temps remplir notre cœur de ses grâces, comme il fait le Ciel de sa gloire ; il nous doit suffire, lorsque nous nous présentons à la confession, de nous examiner brièvement, sans nul empressement.

Cela fait, demeurons en paix et repos d’esprit, poursuivant nos exercices d’obligation, d’obédience ou de dévotion, en commun ou en particulier, mais dans un doux silence intérieur et extérieur, accompagné d’un grand honneur, respect et révérence à la présence de Dieu, lui laissant prendre une totale et entière possession de nous-mêmes, par un tacite et paisible consentement d’amour, comme d’une chose qui est toute sienne, et dans laquelle il est et fait déjà sa demeure, pour avoir soin de nous et de nous conduire et gouverner selon tous les sacrés décrets de sa sainte volonté, à la perte de nous-mêmes et de tous nos propres intérêts.

O chères âmes, rachetées par le prix du précieux sang de Jésus-Christ, que nous serions heureuses si nous pratiquions fidèlement cette divine présence en toutes choses, et que notre esprit, par l’usage continuel de celui-ci, en eut acquis une sainte habitude, afin d’en être toujours rempli, au lieu des peines, tristesses et ennuis dont il regorge quelquefois, qui lui font perdre de vue celui qui est si proche de lui et au milieu de lui, qu’il ne connaît pas ! Et voilà la cause pourquoi il n’avance pas un pas au chemin de la vertu ni de l’union.

Car remarquez, je vous en prie, que notre bonheur et notre félicité ne consiste[nt] pas tant en la connaissance de cette vérité de la foi comme à vivre fidèlement selon cette connaissance par l’application d’esprit à celui qui est au milieu de nous, pour demeurer unis à lui autant qu’il nous sera possible, par une actuelle attention à sa divine présence en tout lieu, pour l’honorer, servir et aimer en esprit et vérité, [ce] qui veut dire, dans notre esprit, par la vérité de la foi, à l’égal des Anges qui sont dans le Ciel, afin de n’être jamais prises sans la foi d’expérience et sans l’amour de la divine présence.

3. L’honneur que l’âme religieuse rend à Dieu en la pratique de la foi

Chères âmes, amoureuses de Jésus, si nous pratiquons fidèlement ce que dessus, nous honorons et adorons Dieu en esprit et vérité, et de plus nous prierons toujours Dieu de cœur pur.

L’honneur que nous rendrons à Dieu, sera de recevoir de son cœur amoureux tous les divers accidents qui nous pourront survenir : voire même par cet exercice, nous lui rendons l’hommage à chaque respiration et aspiration, les recevant par amour et les lui renvoyant par une humble reconnaissance et action de grâces dans une parfaite soumission, pleine démission, entière abnégation et totale résignation de tout notre être, opérer, aspirer et respirer, et de tous nos désirs et volontés à ses divines ordonnances, telles qu’elles soient, confessant et protestant par cette humble et amoureuse reconnaissance, en tout ce qui nous pourra arriver de moment en moment, que Dieu est admirable en son gouvernement.

Mais surtout, si nous y prenons garde, il est admirable les voies par lesquelles il conduit les âmes religieuses à la perfection : si nous nous y rendons attentifs, nous verrons que tous ses conseils sont aimables, nous goûterons combien ses inventions pour nous gouverner et conduire sont douces et suaves, que sa bonté à nous bien faire est infinie, que sa grande charité envers nous est excessive, que la patience pour attendre notre conversion et amoureuse introversion est extrême, que ses grandes miséricordes envers nous sont inconcevables, que l’accomplissement de ses saintes volontés pour nous est très bon, plaisant et parfait, que tous les décrets sur nous et contre nous sont équitables, que ses désirs pour nous sont très grands, que les ordonnances qu’il a établies sur nous et en nous sont très justes et plus que raisonnables, et surtout que son divin plaisir qu’il veut prendre en nous et de nous, en l’accomplissant de toutes les choses qu’il permet nous arriver, nous doit être très désirable et aimable. Nous devons reconnaître sans crainte que ce divin plaisir est en tous les divers accidents et fâcheuses rencontres, tant les peines du corps que de l’esprit, comme des tentations, humiliations ou mortifications, qu’il permet justement nous arriver à toute heure et moment, pour avoir toujours son plaisir en nous, non qu’il se plaise en nos peines, mais au bien qui nous en vient par celles-ci si nous voulons avoir un peu de douceur et de patience en l’école de Jésus-Christ crucifié.

O qu’heureuses et mille fois heureuses sont telles âmes qui font toujours vivre ces plaisirs de Dieu en eux, à la perte de leurs propres contentements ! Le profit en est tel et si grand qu’il ne peut être connu que par la propre expérience. Car il les remplira de grâce comme il fait le Ciel de gloire : rien ne nous saura donner davantage d’aide pour avancer en la perfection religieuse que de faire ainsi vivre les plaisirs de Dieu en nous par un digne usage de sa présence en toutes choses, car c’est un puissant moyen pour nous faire quitter des divertissements et pour anéantir toutes les multiplicités ; il est aussi très propre pour conserver l’ardeur et dévotion, pour nous disposer à l’union et à rendre l’honneur et la révérence à Dieu, par telle application d’esprit et vigilance de notre âme vers sa chère présence en nous. Tel doit être le fondement de la vie chrétienne et perfection religieuse.

4. Pratique de l’abnégation, qui est la seconde disposition de l’union

Ayant reconnu le grand profit de la foi et le moyen très facile de la présence de Dieu, nous devons savoir que l’abnégation sera la seconde disposition pour l’union, et que toute la perfection évangélique pratiquée et enseignée de Jésus consiste en la pratique de la parfaite abnégation de nous-mêmes en l’amour de Dieu et du prochain : faisons cela et nous vivrons de la véritable vie de l’union.

Donc maintenant prosternée devant cette adorable Majesté partout présente, grandement honteuse et saintement confuse de n’avoir été fidèle à cette divine pratique d’abnégation, pour sortir de nous-mêmes afin de rentrer en Dieu, dans l’oubliance duquel nous vivons souvent en nous-mêmes de nos peines et mécontentements faute de cette pratique, qui nous ferait toujours vivre en Dieu, toute pleine de Dieu : ah ! quelle paix plus grande ?

Cette pratique consiste au dépouillement de la nature, à l’exemple de Jésus-Christ, au pied de la Croix, et au renoncement du plaisir sensuel, de la vie non nécessaire et de tout ce qui nous entretient hors de Dieu et nous unit aux créatures, et ce afin de demeurer toujours devant Dieu, qui seul a l’être et le pouvoir, comme si nous n’en avions point du tout pour ce qui est du mal, et comme anéantis en toutes nos opérations malignes de la nature, qui sont les empêchements de l’union, tant que toutes les multiplicités soient dissipées en nous par l’opération de l’Esprit de Dieu, qui suppeditera [sic] tout en nous, pour nous disposer à l’union par l’abnégation.

C’est là ce qui nous doit donner une bonne espérance de sortir de nous-mêmes et du plaisir de la vie, pour entrer dans les plaisirs de Dieu ; c’est ce qui nous doit augmenter le désir de vivre maintenant dans la pratique d’une continuelle abnégation intérieure et extérieure.

Laquelle sera telle, à savoir de nous étudier de remporter à chaque moment une glorieuse victoire sur quelqu’un de nos sens, comme de la venue de la langue, de l’ouie, du goûter et du toucher, ou des pensées vaines, sottes imaginations et jugements téméraires de nos prochains, déniant à la nature cette satisfaction, et lui refusant ce petit contentement inutile pour l’amour de Dieu, c'est-à-dire pour donner ce plaisir à Dieu, en le retranchant de nous par l’abnégation, afin que les plaisirs de Dieu, et Dieu même vive en nous et opère en nous ; refusant ainsi courageusement tout ce que le nature demande pour son seul soulagement et consolation particulière, et la dépouillant de tout ce qui nous distrait de Dieu, elle demeure dans un vide, capable d’être rempli de Dieu.

Ne méprisons jamais, pour l’amour de Dieu, cette bonne et louable coutume de nous vaincre et surmonter en petites choses, car cela nous est très nécessaire à obtenir de grandes grâces de Dieu, qui est libéral à ceux qui le font, et pour remporter de grandes victoires sur nous-mêmes, selon que dit notre Seigneur du bon et fidèle serviteur, en peu de choses, qui reçut beaucoup et entra en la gloire de Dieu, qui est l’union : c’est la récompense que notre Seigneur donne dès ce monde, pour la fidélité des petites choses.

C’était la pratique ordinaire du glorieux Père saint François, qui ne laissait passer aucune chose, où il avait tant soit peu à renoncer en lui-même : cette fidélité le faisait continuellement sortir de lui-même pour rentrer en Dieu, le tenait toujours uni à lui et le faisait vivre en Dieu, ce qui lui a fait remporter de glorieuses victoires et mériter quantité de couronnes.

C’est l’avis charitable qu’il donnait à ses enfants, que nous devons observer, puisque nous avons l’honneur de l’appeler notre Père, qui est tel : à savoir de jeter toutes nos pensées anxieuses et soins superflus sur le sein paternel de la divine Providence, tant pour la santé du corps que pour la perfection de l’esprit, pour en disposer, dépouiller, retrancher et couper voire même d’anéantir tous les mouvements déréglés, pensées vaines, désirs inutiles, qui surviennent tant de fois le jour, tant de petits élans de la nature, tant de soupirs de l’amour propre, qui ne sont conformes au plaisir de Dieu, mais seulement à la nature agonisante, qui ne veut mourir : au moins, s’il ne lui est [pas] permis de vivre selon la volonté, elle se console à soupirer pour soulager sa peine, élargir son cœur et rechercher son plaisir, lequel n’est [pas] uniforme avec celui de Dieu, qui veut qu’elle meure pour vivre.

C’est pourquoi l’âme fidèle y doit renoncer aussitôt qu’elle les ressent, les étouffant en leur naissance avant qu’ils paraissent au-dehors ; et elle doit faire le semblable en toutes les occasions grandes et petites, pour se disposer à se remplir de l’Esprit de Dieu et de son divin plaisir, qui est d’opérer en nous une telle abnégation, bien que souvent elle nous soit très désagréable, selon nos sentiments qui toujours refusent la mort, la perte et l’anéantissement.

Nous ne devons jamais oublier la première leçon de notre très doux Sauveur, faite à saint François : car elle est de l’abnégation, à savoir de haïr et d’abhorrer tout ce qu’il avait aimé et désiré selon les sens. Ce que faisant cette amoureux abnégation, tout ce qui lui était amer lui fut changé en douceur de l’âme et du corps, dans la pratique du renoncement, comme il le confesse lui-même à la gloire de Dieu en son testament et dernière volonté, un peu avant sa mort, pour nous apprendre et exciter la pratique de cette leçon ; et que, faisant comme lui, nous ne perdons pas notre plaisir, mais nous ne faisons que le changer à celui de Dieu, car souvent à son exemple, nous penserons embrasser un ladre, qui fera quelque chose contre nos sentiments, et sera Jésus-Christ, notre doux Sauveur, lequel en ce temps et sur l’heure, et même dans le moment, nous donnera le doux baiser de paix, changeant cette amertume très amère par sa grâce, qu’il répand dans toutes les actions de la vraie abnégation, mais d’une douceur si suave, qu’elle est au centuple, selon sa fidèle promesse, - ce qui servira à l’âme pour la disposition de la vie de l’union, avec Jésus-Christ embrassant la Croix des souffrances, par la pratique de la résignation, comme il suit.

5. Pratique de la résignation, troisième disposition de l’union

Ce n’est pas assez, chères âmes, d’avoir rejeté loin de nous, par le retranchement de l’abnégation, tout ce qui nous pouvait empêcher ou tant soit peu retarder, ou détourner de l’union de notre esprit avec Dieu. Il est aussi nécessaire d’embrasser courageusement tout ce qui nous pourra aider pour nous disposer à cette sacrée union, comme sont les souffrances, jusque-là même d’embrasser et servir les lépreux et les morts de quatre jours, à l’exemple de S. François.

Car il ne suffit [pas] d’avoir dépouillé la nature de tous ses actes déréglés ni de l’avoir privée du plaisir où était sa vie, d’autant que n’étant encore morte, elle peut se plaindre, soupirer et quelquefois murmurer ; c’est pourquoi, résolument, il faut qu’elle meure, non d’une mort ordinaire, telle quelle, mais de la mort de la Croix, par la pratique d’une entière résignation, qui consiste à faire une offrande générale à Dieu, en l’union amoureuse de son divin plaisir, d’embrasser toutes les souffrances qu’il permettra nous survenir, quand elles seraient même plus horribles que des lépreux.

Et de plus, ce n’est pas assez d’être résigné aux souffrances pour les choses pénibles ou indifférentes, mais nous le devons aussi être en tous nos désirs, encore que très bons, à ce que Dieu en ordonne selon son plaisir, pour les mortifier ou purifier ; nous lui devons aussi présenter toutes nos volontés, bien que très saintes, à ce qu’il les sanctifie ; et de plus, nous lui devons offrir tout notre pauvre cœur, bien que paisible, afin qu’il le pacifie, le remplissant de ses douces grâces.

Mais surtout, qu’il ne se passe moment de notre vie, s’il est possible, que nous nous fassions à Jésus-Christ un sacrifice d’amour et de justice, en particulier de quelqu’une de nos passions, affections, répugnances, aversions ou contradictions, qui sont toutes ces bêtes à cornes, qu’il commande lui-même être présentées en holocauste, tout brûlé et consommé dans le feu de son divin amour : car bien que souvent elles nous semblent mortes par l’abnégation, et que nous les voyons séparées de nous par le retranchement, comme la branche de son tronc, cela ne suffit [pas] si elles ne sont crucifiées et attachées par la résignation sur ce Mont de Calvaire à cette Croix, si longue, si large, si haute et si profonde qu’elle n’excepte rien, tant elle est générale et universelle, et si elle s’offre quasi à tout moment.

C’est pourquoi, chères âmes, nous devons pour l’amour de notre doux Sauveur, et sa charité nous y oblige, d’être toujours au guet, sur le haut du Calvaire, de l’ardent désir de souffrir et de nous dépouiller de notre propre jugement, de retrancher tous nos désirs, grands et petits, afin d’attendre à l’exemple de Jésus au pied de cette Croix de résignation, toujours prêtes d’y être attachées, par qui que ce soit, dans les plus grandes souffrances et humiliations qui se pourront représenter.

Et là, recolligés [sic], le cœur appliqué à Dieu et le corps aux souffrances, demeurer en paix et patience, par un doux silence extérieur et intérieur au pied de cette Croix, en la douce compagnie de la sainte Vierge, recommandant votre esprit à Dieu, en attendant, par cette occupation pacifique, que l’on vous crucifie avec Jésus sur la Croix, souffrant cette peine pour son amour, toute résolue et délibérée de mourir plutôt d’un million de morts que de l’abandonner, ni perdre cœur, ni un seul brin de patience, ni de modestie chrétienne, ni de contenance religieuse en sa chère présence, pour chose aucune qui lui puisse arriver, par hasard ou accident qui l’afflige, soit de contradiction en elle-même, soit d’aversion ou de répugnance et d’impatience à supporter les autres.

Car nous ne devons pas ignorer que cette sacrée union, qui est la fin de notre vocation que nous désirons avec tant d’ardeur, si utile à notre salut et si nécessaire pour l’ornement de la perfection religieuse, ne se peut avoir qu’au prix de notre sang, qui sont les actes d’abnégation et de résignation, qui se font par effort et violence que l’on fait à soi même et en soi même, qui sont comme autant de gouttes de sang répandu pour l’amour de Dieu, qui est une espèce de martyre, puisque l’âme souffre pour garder la fidélité promise à son Epoux, comme le martyr, pour conserver la foi en son cœur, laissait déchirer son corps, ce qui lui était une assurance de la vie éternelle ; et ici aux âmes religieuses, elles sont des arrhes et assurances du sacré mariage de leur esprit, avec Dieu : par telles violences, l’on ravit le Ciel.

Courage donc, âmes religieuses, ne nous épouvantons nullement si, pour recevoir l’union de l’Esprit, l’on nous demande du sang. Demeurons toujours debout au pied de la Croix, avec la Sainte Vierge, pour recevoir, par les gouttes du sang de Jésus, l’esprit de vie. Ha ! Quel dommage y a-t-il, et quelle perte ferons-nous, si pour un peu de sang, l’on nous donne l’esprit ? Donc si la vue des croix, des clous et des plaies nous donne de la crainte, que le nom d’Epouse de Jésus nous relève le cœur et redonne les forces, et augmentent nos résolutions, appuyées seulement sur les grandes miséricordes de notre tant aimé Seigneur, Roi et Epoux.

Et tenons pour tout assuré que si nous voulons, il nous fera la grâce de lui être Epouses de sang, et de plus espérons qu’il nous fera cette faveur non seulement de répandre quelques gouttes de sang, mais aussi d’expirer, sur le Calvaire en cette Croix de résignation, toute notre vie naturelle et sensuelle, pour nous revêtir d’une toute spirituelle et déiforme, afin de rendre notre esprit pur entre les mains de Dieu, qui sera la vraie disposition de l’union.

Et alors que nous serons morts en cette manière, nous commençons à vivre d’une vie toute d’amour, vie de joie et de paix, vie tranquille, toute contraire à nos mauvaises humeurs et inclinations naturelles, peines de chagrins et de tristesses, d’aigreur, de mécontentements et dépits, et quelquefois des fâcheuses mélancolies noires comme de la poix et amères comme de la suie, avec un monde tout entier de peines intérieures, souvent imaginaires et fantastiques.

Ah ! Bon Dieu ! Quelle vie, semblable à un petit enfer ! Combien elle est éloignée de l’union, et non jamais des horribles peines ! Car d’autant plus que telles âmes pensent fuir la Croix, elles la font partout, la retrouvent partout, car elles se sont faites croix très pesantes à elles-mêmes.

6. L’âme, par ces trois dispositions de foi, d’abnégation et de résignation, commence à vivre à Dieu, pour Dieu et en Dieu

Chères âmes, si nous sommes fidèles à la pratique de ces trois choses, elles nous feront toutes retirer en nous-mêmes avec Dieu, pour ne plus vivre que la vie de l’union avec Dieu par conformité ; car comme Dieu n’est jamais hors de soi-même, ni séparé, ni divisé de lui-même, le même doit ici faire l’âme par cette pratique d’application d’esprit avec Dieu, par la foi de sa présence. Par l’abnégation, elle fait un retranchement de tout ce qui empêche son introversion, et par la résignation elle demeure unie à Dieu et toujours recueillie en Dieu, pour être plus en Dieu et vivre plus en Dieu qu’en elle-même.

Premièrement, nous ne vivrons qu’à Dieu seul, par la pratique de la foi, qui purifiera nos cœurs, afin de ne plus suivre les fausses lumières de nos sentiments, imagination et fantaisies, mais nous laisserons conduire comme de petits agneaux à celle de la foi, pour suivre le chemin très assuré que le Fils de Dieu nous a frayé, étant descendu du Ciel en terre pour nous montrer la voie de perfection par l’exercice de la mortification et pratique des vertus, et particulièrement de la foi, qui nous fera vivre toutes à Dieu, retirer et récolliger toutes en Dieu.

Secondement, nous ne vivrons plus que pour Dieu, toutes à son usage, dédiées à son service, nous ne vivrons plus pour nous-mêmes, car par l’abnégation, nous serons délivrées de la dure servitude de notre propre volonté, de ses rébellions et révoltes contre Dieu : tellement que souvent l’âme abstraite de tout ce qui n’est point Dieu, par la pratique de l’abnégation extérieure et intérieure, sera contrainte d’amour et pressée de charité de s’écrier avec saint Paul : « Je ne vis plus moi, à ma volonté, c’est la volonté de Dieu qui vit en moi, et la mienne est morte ».

O heureuses et mille fois heureuses, telles bonnes âmes ! Qu’elles sont rares, nécessaires au monde, et précieuses devant Dieu, celles à qui il fait la grâce de vivre de sa divine volonté ! Elles sont toutes pour lui à son seul service : c’est pourquoi il leur donne la force de renoncer continuellement à leurs propres volontés et en tout de n’avoir plus d’autres règles de toutes leurs actions, pensées et paroles que la volonté de Dieu, afin de vivre toujours pour Dieu seul, dédiées à son seul service.

Troisièmement, elles ne vivent plus en elles-mêmes par une vaine complaisance en ses pensées, paroles et actions, par la résignation entre les mains de Dieu, où elle voit, connaît et ressent qu’elle n’est rien, qu’elle n’a rien, qu’elle ne vaut rien et qu’elle ne peut rien qu’en Dieu seul, auteur et consommateur de tout bien. L’âme fidèle par cette résignation non seulement retranche tous ces superflus et se dépouille de tous ces vêtements étrangers, mais aussi elle vide tout son cœur par l’abnégation, le jette entre les mains de Dieu par la résignation, à ce qu’il le forme selon son plaisir et remplisse de grâce, comme il fait le Ciel de gloire.

Commençons, chères âmes, à vivre toutes en Dieu, ou pour le moins à respirer cet air du Paradis , et à soupirer après cette vie vivifiante du Saint-Esprit, qui est le Dieu d’amour et de douceur. Mais prenons bien garde que ce soit dans l’anéantissement de nous-mêmes et de tous nos sentiments déréglés, par la pratique d’une sérieuse abnégation ; voire et [sic] de toutes les créatures, par la résignation à l’opération que le même Saint-Esprit sera en nous de moment en moment, tantôt nous conduisant par la main de son opération ordinaire, des humiliations ou souffrances, ou bien nous portant sur les ailes de sa charité, par une opération extraordinaire, où son amour nous désire, afin de nous faire connaître en vérité qu’en l’une ou en l’autre manière tous les accidents qui nous peuvent arriver, soit en agissant, ou en pâtissant, soit dans la jouissance, soit dans la privation, ne sont et même ne peuvent être, si nous y prenons garde et que nous soyons vigilants à cette pratique et fidèles à cet exercice, que des saintes et salutaires opérations de la plus grande gloire de Dieu en nous, et pour notre salut ordonnées de toute éternité, qui continuellement sortent de son cœur amoureux dans le temps où nous sommes, pour nous perfectionner et faire vivre tout à lui, le contemplant dans cette voie des souffrances, comme notre divin objet ravissant toutes nos puissances pour les unir et faire adhérer à lui comme à la souveraine vérité, afin de reposer en lui, qui est le dernier centre de notre vie, et fin bienheureuse de tous nos travaux, peines et souffrances, lequel s’offre à nous pour en commencer la jouissance dès ce monde si nous voulons.

7. De la multiplicité et de l’unité, et de la simplicité des cet exercice

La simplicité et l’unité des puissances de notre âme est très nécessaire en toutes sortes d’exercices pour unir notre esprit à Dieu, car remarquez qu’il n’y a rien que la multiplicité qui nous empêche l’union avec Dieu, qui la retarde, ou qui la rompe : étant fille du péché, elle a pour son partage la division de nos cœurs d’avec Dieu. Bien que ceci doit être entendu des mauvaises multiplicités en général, il peut arriver un temps où les bonnes mêmes, desquelles l’on se serait servi autrefois, seraient dommageables, c'est-à-dire empêchant un plus grand bien, qui serait l’union de notre esprit.

C’est pourquoi comme le Saint-Esprit est unique et multiplié, unique en soi et multiplié en ses dons, cette pratique est unique : elle ne tend qu’à simplifier nos esprits par tous les moyens qu’elle nous présente pour nous unir à Dieu.

Cet exercice très simple en sa pratique et multiplié en sa division et distinction, en quelque manière nous représente la très sainte Trinité, en laquelle il y a unité et trinité ; car bien qu’elle ne consiste et ne soit qu’un seul Dieu indivisible, un être très pur et très simple, elle est toutefois distincte en trois Personnes, sans nulle confusion, mélange ni division des Personnes et, en tout, il n’y a et n’y peut avoir qu’un seul Dieu tout-puissant, un seul amour et une seule opération de grâce en nous, sans laquelle nous ne pouvons rien.

L’on peut dire le semblable en quelque façon, sans nulle comparaison, de cette pratique toute divine praticable en terre des âmes religieuses, qu’elle est trine et unique : car bien qu’elle soit divisée en quatre parties, multipliée en plusieurs chapitres, distincte en divers articles, et différente en trois manières d’unions, sa fidèle pratique toutefois, en tout et en chaque avis, n’est que de nous porter à l’union.

Car cette pratique ne tend à autre but que de réduire tout à la simplicité et unité ; elle ne consiste que d’une seule union, qui se fait d’une simple vue en Dieu, d’un acte pur, d’une seule et unique pensée, doux souvenir ou regard amoureux de Dieu, fixement arrêté sur lui ou dans quelqu’un de ses divins attributs et divines perfections, ou par une seule application d’esprit, amoureusement entretenue autant qu’il sera possible, et que la grâce nous en sera donnée du Ciel pour tenir toujours notre esprit uni à Dieu, que nous reconnaîtrons être suffisant lorsque notre entendement sera en actuelle recollection, et notre volonté dans un actuel désir d’aimer.

La distinction des parties, ni la diversité des degrés d’union, ni la division des articles, ne sont pas toutefois inutiles ni mal à propos, car ils servent et sont très nécessaires pour l’éclaircissement de la pratique, afin de la faire comprendre plus facilement, et pour nous disposer à l’union plus fortement et doucement, lorsque le tout est réduit à la simplicité, pour épurer les esprits, qui naturellement s’épandent par trop dans les multiplicités : encore que bonnes et très saintes pour un temps, elles pourraient toutefois apporter du retardement en un autre, lorsque la nature qui se plaît aux diversités et multiplicités, s’y console et s’en réjouit, laissant son esprit vagabond.

C’est pourquoi, chères âmes, je vous prie de prendre garde et de bien considérer que cette division n’est pas ici mise pour remplir nos esprits et multiplier nos pensées : non, c’est plutôt pour le vider et pour en chasser, par des moyens très faciles, toutes les multiplicités dont ils pourraient être remplis, comme d’une stupidité d’esprit à considérer les choses de Dieu, d’une ignorance grossière des secrets sentiers de l’amour de Dieu, des effets admirables de son opération en nous, de la connaissance expérimentale de sa bonté, de ses grandes miséricordes, des moyens aisés et faciles de nous unir à Dieu et de tendre à la perfection, et d’y avancer tous les jours, d’être toujours en la présence de Dieu, de se maintenir en paix, de recevoir tout de la main de Dieu, de l’aimer de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toutes ses forces, en la plus haute manière qu’il est possible.

A combien l’ignorance de ces choses, et autres semblables, qui sont ici éclaircies et rendues faciles, apporte de dommages lorsqu’elles sont ignorées ! De combien de multiplicités se remplissent tels esprits, et quels empêchements cela leur apporte ! Il n’y a que ceux qui ont gouverné les âmes et pris la peine de les disposer à l’union de leur esprit avec Dieu, qui le puissent savoir.

Cet exercice, bien entendu et pratiqué, chassera toutes ces ignorances, dissipera toutes les ténèbres de nos esprits, anéantira toutes les multiplicités, éclairera tous nos doutes, et nous ôtera toutes les difficultés que l’on pourrait rencontrer, et rendra le chemin épineux des souffrances pour aller droit à Dieu, si aisé et facile aux âmes de bonne volonté qu’elles marcheront assurément, sans se détourner ni égarer entre tant de finesses de la nature et subtilités des malins esprits, lesquels aveuglent tellement les esprits des superbes qu’ils les portent quelquefois dans des impatiences et découragements de servir Dieu et de l’aimer, en cette si haute manière qu’ils croient et se persuadent faussement qu’il est du tout impossible et que c’est tout temps perdu de s’y employer, d’en prendre le peine, ni d’y aspirer, ou de le demander à Dieu.

Etat misérable, qui procède d’une ignorance et aveuglement diabolique. Cette ignorance grossière, et quelquefois malicieuse, les remplit jusqu’au regorger d’un monde de doutes, d’un million de difficultés, et leur fait en tout et par tout rencontrer des impossibilités d’aller à Dieu, de marcher en sa présence, de se convertir à lui, ou de s’introvertir en lui, ou de demeurer paisible. Ces peines leurs font de plus en plus différer leur retour vers Dieu, et le rentrer en elles-mêmes s’en rend plus difficile par un chaos de confusion, d’une multiplicité si grande, qui remplit leur pauvre esprit de tristesse et d’un nombre presque infini d’excuses, de leurs paresses et lâchetés, ce qui leur abat le cœur et leur en fait paraître les approches toujours plus difficiles.

Chères âmes, notez et remarquez de près cette pratique, je vous en prie, et vous connaissez, par la propre expérience que vous en ferez vous-mêmes, comme elle dissipe toutes les multiplicités et rend facile ce qui était si difficile, qu’il semblait quasi impossible à quelques esprits ignorants de se pouvoir simplifier entre tant de divisions : ce qui est impossible aux hommes, est facile à Dieu et aux âmes de bonne volonté, auxquelles il donne abondance de grâce, pour les simplifier et unir à lui.

ch.8 omis

8. Quelles sont les âmes qui doivent pratiquer cet exercice

Il sera très propre aux âmes de bonne volonté et très facile à celles qui, de tout leur cœur et d’une ardente affection, veulent commencer à servir et aimer Dieu magnifiquement : car, bien que pour le servir en cette si haute manière, il soit nécessaire de se crucifier avec Jésus Christ, la fidèle pratique leur obtiendra une si grande abondance de grâce qu’elles ne trouveront aucune peine des choses les plus difficiles. Leur cœur étant dilaté, la joie leur donnera de la force et l’amour, du courage pour, à chaque aspiration ou respiration de leur vie, recommencer à se recrucifier, pour recommencer à aimer, sans jamais vouloir cesser, jusqu’à ce qu’elles aient rendu en la Croix l’esprit de propre volonté, du plaisir de la vie, du désir de la gloire d’être honorées, estimées et aimées, qui est un venin si pestiféré qu’il entre jusque dans le mœlle de nos os.

La fidélité, effet de la bonne volonté, est très nécessaire aux âmes qui désirent pratiquer cet exercice, laquelle consiste à s’abstenir du mal et fuir tout péché, pour petit qu’il paraisse à nos yeux ; cette ferme résolution leur donnera une aide de grâce, qui fera une vigilance intérieure, qui leur fera observer le second point, qui est de faire tout le bien en la plus haute manière qui leur sera possible et souffrir tout le mal de peine patiemment et joyeusement, sans plus interrompre leurs exercices.

Cette vigilance, leur fera toujours voir que Jésus-Christ les attend sur la Croix et dans les souffrances, les bras étendus, le côté ouvert, le cœur à découvert et blessé de leur amour, qui leur demande la pratique d’une entière abnégation, et parfaite abnégation, et parfaite résignation, pour leur donner l’entrée libre en sa chère présence ; mais si amoureusement qu’il incline son précieux chef, pour donner aux pauvres et affligés le baiser de la Croix, par la fidèle pratique de cet exercice d’abnégation et de résignation. Et si elles ont patience dans les souffrances en l’union de celles de Jésus-Christ, il leur donnera bientôt le doux baiser de paix, et une connaissance de sa divine Majesté plus grande que les hommes ni les Anges ne leur sauraient donner, si elles ont le courage de souffrir pour comprendre le grand amour de Jésus-Christ crucifié.

Chères âmes, rien n’est difficile à un franc courage, à une bonne volonté. Rien n’est impossible. Un bon estomac ne trouve rien de trop dure digestion : l’amour ne refuse aucunes peines ni mépris, mais plutôt il en fait trophée et s’en réjouit, car il est fort, et plus que la mort86, il ne peut être surmonté d’aucune chose, d’autant qu’il prend force dans les pauvretés et faiblesses. Comme dit notre Mère sainte Claire87, nous étions frêles et faibles, mais nous ne refusions aucune peine ni ne craignions aucune tribulation en la vue des souffrances de Jésus-Christ crucifié, pour lui garder en tout la fidélité.

C’est elle qui leur donne la vie et le mouvement, pour donner continuellement une seule âme à un seul Dieu, qu’elles voient mourir sur la Croix, pour leur gagner le cœur ; c’est elle qui les fait toujours demeurer aux écoutes, dans l’intime de leur esprit par élévation, qui est le fruit de l’abnégation, ou dans le fond de leur âme, par recollection, qui est le profit de la résignation, laquelle dressant toujours vers Dieu ces trois puissances dressées en forme de pointes d’esprit par la fidélité, pour en toucher le grand cœur de Jésus, afin d’en tirer la force et l’ardeur, pour vivre et mourir comme lui en la Croix, dans l’ordre du divin amour, réglé selon les sacrés décrets de sa divine Providence.

9. La vraie manière d’opérer des âmes fidèles et de bonne volonté

Je désire donner un avis, sur la fin de cette première partie, aux âmes fidèles, grandement désireuses de la perfection et de l’union, à savoir que ce n’est assez de faire beaucoup de choses et bonnes pour y parvenir, si elles ne les font comme il faut : car ce n’est pas tant en l’œuvre que consiste le bien comme en la manière de le faire, puisque c’est elle qui nous porte dans la vraie pratique de la vertu.

C’est pourquoi il est très nécessaire de prendre garde à notre manière d’opérer, de conformité, d’uniformité et déiformité, si nous désirons arriver à l’union parfaite dans la paisible jouissance de l’opération de l’Esprit de notre Seigneur, afin de pénétrer jusque à la connaissance des merveilles qu’il opère en nous, et veut opérer tous les jours.

Et ce défaut de la manière d’opérer est la cause que de tant d’âmes et de dévotion, si peu toutefois avancent à la perfection de l’union ; et ce d’autant qu’elles ne veulent opérer que comme il leur plaît, refusant les moyens nécessaires pour entrer dans la paisible jouissance de Dieu. Et voilà pourquoi il ne se faut tant étonner si elles demeurent toujours dehors à chercher Dieu à leur mode, sans mode que de leur amour propre, qui met tout en confusion et désordre.

Or la vraie disposition, comme nous avons déjà dit, est un actuel renoncement et parfaite résignation entre les mains de la divine Providence, pour être crucifiées avec tous nos sens, passions et affections déréglées, par un anéantissement de tous les mouvements de la nature, qui font naître en notre cœur un million de vaines et inutiles pensées de satisfaction et de complaisance des grâces que nous recevons de Dieu, ou du profit particulier qui nous en revient, auxquelles nous devons renoncer pour référer simplement le tout à Dieu, tant ce que nous faisons comme ce que nous souffrons.

Cette pureté nous conservera l’attention sur nous-mêmes et la dévotion envers Dieu, par un continuel anéantissement de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous pouvons ; ce qui élèvera notre esprit dans un vrai amour de Dieu, pour nous faire entrer en la vraie disposition d’opérer comme il faut, pour nous unir à Dieu.

Nous reconnaissons par là que ce n’est assez de souffrir, ou de faire ceci ou cela ; mais il le faut faire et souffrir comme il faut, et c’est cette manière qui donne la forme nécessaire pour commencer la vie spirituelle et intérieure, par la lumière de la foi, à l’aide de la grâce, sous l’heureuse conduite du pur amour, par le chemin de l’abnégation de nous-mêmes, et générale résignation entre les mains du Tout-puissant.

Voilà, chères âmes, les dispositions nécessaires pour commencer de nous unir à Dieu, lesquelles nous portera dans la vraie manière d’opérer, sans laquelle, quand nous ferions de millions d’années, jamais nous n’avancerons, si nous ne gardons cette vraie manière d’opérer pour Dieu seul.

Et remarquez que ceci n’est pas contraire à ce que l’on dit ordinairement, et qui est très vrai, qu’il faut aimer Dieu sans manière, c'est-à-dire par-dessus toutes les industries et inventions de l’amour propre, de tous nos choix et élections, et par-dessus toutes nos raisons humaines et jugements particuliers, qui nous font toujours vivre en nous-mêmes, hors de Dieu.

Mais l’on ne veut pas condamner la manière de nous disposer à l’union, par l’abnégation et résignation, d’autant qu’en tout et par tout, elles nous rendent conformes à l’opération de Dieu intérieure ; et ce n’est qu’une véritable disposition d’esprit, qui doit toute récolliger notre âme en elle-même, pour trouver Dieu présent, pour l’aimer de tout son possible. Et ce désir d’aimer et de plaire à Dieu doit tellement remplir notre cœur qu’il nous donne une occupation suffisante pour nous retenir ainsi récolligés avec Dieu, et si occupés du désir de l’aimer que nous souffrirons tous ces mépris et humiliations, que nous pratiquerons toutes vertus sans sortir dehors pour toutes les mortifications qui nous sauraient arriver, continuant notre existence d’amour avec Dieu, comme s’il ne s’était rien du tout passé.

10. De l’ordre du divin amour, dernière disposition de l’union

Pour la conclusion de cette Première Partie, nous avons cru nécessaire de traiter, en ce dernier chapitre, de l’ordre du divin amour, qui n’est autre que l’accomplissement de tous les sacrés décrets de la divine Providence, selon les règles qu’il a préordonnées de toute éternité pour notre plus grand bien, si nous voulons coopérer.

Cette bonté infinie demande que nous coopérions à sa grâce, à la lumière et à ses touchements intérieurs lorsqu’elle nous les donne, et que nous soyons fidèles à son opération, par telles diversités d’états qu’il fait en nous pour nous unir à lui, changeant de temps en temps de manière d’opérer, pour servir et aimer selon qu’il lui plaît d’opérer en nous, en ce temps et moment où nous sommes à présent, par des moyens inconnus à notre folle prudence, mais non pas à notre coopération, par les actes de notre entendement et de notre volonté, lorsqu’il sera nécessaire.

Pour donc opérer comme il faut et garder la manière convenable, nous ne devons jamais nous efforcer de nous retirer de l’ordre du divin amour, qui est l’état ou l’office, quel qu’il soit, où Dieu nous a mis, la condition ou la disposition du corps ou de l’esprit, du temps ou du moment ou nous sommes, quel qu’il puisse être, que nous devons croire très assurément être ainsi ordonné de toute éternité de la divine Providence, pour nous unir et introduire, ou élever au plus haut degré de la perfection, si nous voulons acquiescer avec douceur et humilité, souffrant patiemment en l’union des souffrances de Jésus-Christ, toutes les incommodités, peines et tribulations.

Ce que je dis ici, je l’entends même du plus bas degré ou du plus vil office, que nous devons agréer en ce temps, et pour toujours, si telle est la volonté de Dieu, afin de conserver la sainte liberté d’esprit avec Dieu. Et lors, nous devons prendre en toute simplicité les exercices conformes à cet état, changeant de temps en temps notre manière d’opérer les exercices conformes à cet état, soit pour chercher Dieu par la pureté d’intention et suivre tous les autres degrés de la méditation ; soit pour l’attendre dans l’état de la privation et des sècheresses, prenant les exercices propres à cet état, comme nous avons montré au second Avis de l’Epître et comme nous ferons voir dans les degrés de l’union, en la seconde partie de ce présent traité, où les trois premiers articles de chaque degré nous sont donnés pour occuper, en attendant Dieu par notre fidèle opération ; soit pour en jouir dans l’état de l’élévation et introversion par une paix, goût, joie et contentement que Dieu donne, lorsqu’il opère un silence au fond de notre âme en toutes ses puissances : être ainsi soumise à changer de temps en temps, selon les diverses dispositions que la divine Providence permet nous arriver. Gardant toujours notre même exercice, nous devons nous servir seulement de diverses occupations, [par] peur d’être oisifs, conformes à notre état intérieur, cela est proprement aimer Dieu et le servir sans manière propre, mais selon la manière de Dieu, comme il lui plaît opérer ; sinon, nous devons demeurer et suivre notre manière, dans l’ordre du divin amour, selon les règles ordinaires.

La raison nous le fait connaître, puisque nous ne pouvons pas de nous-mêmes, comme de nous-mêmes, nous élever à cet état d’occupation pacifique de joie, de silence et de délices - c’est l’opération de Dieu, - et que nous n’y pouvons demeurer, lorsque nous y sommes, sinon autant qu’il plaît à sa divine bonté, encore que nous le désirions, tant et si passionnément : nous voyons bien, par notre propre expérience, que de nous-mêmes par notre propre seule opération, nous ne pouvons pas entrer dans ce silence si intime ni dans l’occupation de cette paix, joie et contentement par-dessus tous les sens.

Nous la devons donc attendre de Dieu seul, et nous servir cependant, pour nous occuper, des moyens qui sont propres à cet état, office, conditions ou disposition, telle qu’elle soit, demeurant content, raisonnablement dans l’ordre de la divine Providence : pour bas humble et ravalé qu’il soit, il est dans l’ordre du divin amour, et il nous doit contenter, bien que d’autres fois nous eussions été ravis, comme un autre S. Paul, jusque au troisième Ciel. Nous ne sommes pas moins agréables à cette divine bonté dans la fange, dans les prisons et sur la poussière, puisque tel est l’ordre du divin amour, c'est-à-dire que tel est le plaisir de Sa divine Majesté de nous humilier : ainsi nous en devons donc être aussi contents comme si nous étions parmi les chœurs d’Anges. Et notez que ce doux acquiescement nous fera demeurer paisibles dans l’unité de l’ordre du divin amour ; mais au contraire, si nous nous impatientons, lors nous mettrons tout notre intérieur en désordre, pour ce qu’il sera hors de l’ordre d’amour ordonné de toute éternité, [ce] qui sera la cause que nous n’avons que confusion, peine et affliction, au lieu de l’union que nous recherchons.

Prenons bien garde et nous verrons par expérience, que lorsque nous faisons des efforts par notre orgueil et amour propre, afin de sortir de cet état d’humiliation, de peines ou de souffrances, alors nous renversons l’ordre que Dieu y a posé, et nous mettons toutes les puissances de notre âme en désordre.

Si Dieu veut que nous lui soyons des épouses pleines de myrrhe et d’amertume pour son plaisir, lui oserons-nous bien résister ? S’il nous présente le baiser de la Croix, l’oserions-nous bien refuser ? Non, car si nous le faisions, nous ne serions plus que des viles servantes de honte et de confusion, et pour être sortis hors l’ordre du divin amour, nous ne ressentirions plus que l’horreur du désordre d’un petit enfer de tourments et d’inquiétudes, de tristesses et d’amertume : disposition du tout contraire à l’opération de l’Esprit de notre Seigneur, qui est l’Esprit de paix, de joie, d’amour et de douceur.

Conservez donc, âmes dévotes, toujours votre intérieur dans l’ordre du divin amour, par cette manière d’opérer conforme à votre disposition, avec cette très grande faim et soif de plaire à Dieu, de l’aimer sur toutes choses, par un doux souvenir de sa chère présence, entretenue par un simple acquiescement à toutes les peines et afflictions qui sont dans votre état et condition, ou disposition en l’union de ses souffrances : cela vous suffit pour la disposition de son opération.

Mais de vous tant forcer et impatienter, pour en penser avoir la jouissance à votre mode, sans l’ordre de l’amour, c’est une chose qui vous sera du tout impossible. Laissez donc le soin à la divine Providence d’en ordonner dans cet ordre, qui doit être un petit Paradis de délices à celles qui acquiesceront tout simplement, se servant de la manière et des moyens qu’il nous présentera alors comme les plus propres, bien qu’ils ne soient les plus conformes à notre amour propre. Etant selon le plaisir de Dieu, dans l’ordre du divin amour, elles ne laisseront pas de nous unir et lier fortement avec lui, mais au défaut de cette union88 de la divine opération. Servez-vous des moyens, selon l’ordre de l’amour créé, pour coopérer, afin de vous disposer à sa divine opération : car Dieu veut que nous nous excitions nous-mêmes, par l’aide de sa grâce ordinaire, avec les moyens aussi ordinaires, selon notre état, condition ou disposition.

Cette observation de l’ordre du divin amour nous est grandement nécessaire pour tenir toujours notre intérieur serein, notre âme paisible, notre cœur content, notre volonté pleine, notre amour ardent et notre esprit joyeux et tranquille comme un petit Paradis , pour y voir toujours Dieu comme dans un beau Ciel, par le moyen de la foi et ferme croyance que rien ne nous peut arriver contre les ordonnances de la divine Providence.

Chères âmes, pour l’amour de Dieu, en quelque état que nous soyons, ayons toujours souvenance que voilà le vrai moyen de faire son salut et de coopérer à Dieu pour recevoir ses grâces : car c’est ici la vraie manière qui nous donnera la véritable disposition pour l’opération de Dieu, et pour recevoir la vraie forme de la vie d’amour, qui n’est qu’un ordre continuel pour nous porter dans la pratique, qui sera d’opérer conformément et paisiblement selon la disposition intérieure, afin de nous tenir toujours prêtes d’être tirées et élevés dans la plénitude de l’opération de l’Esprit de notre Seigneur.

O que c’est une grande grâce que Dieu fait à une âme, que de l’élever à cette divine opération ! Il la fait quand il lui plaît et à qui lui plaît, et en la manière qui lui plaît. Mais soyons très assurés qu’elle n’est refusée qu’aux âmes paresseuses et négligentes à se disposer pour la recevoir : c’est à nous d’y prendre garde, de la désirer et de la demander à Dieu, mais surtout de ne point renverser l’ordre du divin amour ;

et alors nous y entrerons bientôt, et ce nous sera un très grand aide pour beaucoup avancer en peu de temps car étant toujours contentes de l’ordre de la divine Providence, en tout ce qui nous pourrait arriver de moment en moment, renouant ou renouvelant ce bon propos, pour demeurer toujours dans l’ordre de l’amour. Qui nous pourra apporter de l’empêchement ni séparer de l’amour si nous demeurons toujours dans l’ordre ? Rien du tout. C’est pourquoi cette âme pourra être dite bienheureuse, puisqu’elle est dehors l’horreur du désordre du petit enfer intérieur.

La raison est d’autant que cette petite pratique nous fera sortir à tous les instants de la nuit, et à tous les mouvement de nous-mêmes et de notre amour propre, pour une continuelle mortification, abnégation et résignation, fondement de toute la perfection de l’union, pour entrer en Dieu par l’ordre du divin amour ; et de plus le même ordre y étant nous en fait dépendre par soumission de tous nos désirs et sentiments par une foi nue, simple et amoureuse, pour nous unir à Dieu dans les plus épaisses ténèbres et par toutes les grandes souffrances qui se pourront présenter, car elles ne peuvent être hors de l’ordre divin amour, si pour l’amour de Dieu en l’union de sa Passion, nous faisons les actes d’abnégation et de résignation pour nous élever à l’union.

Chères âmes, ayons patience et humilité en tribulation, soustraction, persécution et infirmité, afin que nous soyons toujours en paix et silence dans l’ordre du divin amour, comme dans un petit Paradis. Servons-nous de la foi pour y entrer, de la douceur pour y demeurer, sans plus tant nous inquiéter ou troubler pour en avoir la jouissance ou crainte de la perdre.

Car notez que Jésus ne se donne [pas] moins dans les souffrances que dans les consolations : car dans cet ordre du divin amour, la foi et la patience supplée[nt] au défaut de l’introversion, et l’âme ne laisse [pas] de jouir d’une paix, encore qu’elle n’en ressente pas la douceur, pour ce qu’elle est intérieure ; elle ne laisse [pas] d’être très agréable à Dieu, pour être dans la pratique d’une grand foi ; et que moins elle a de sentiments, plus elle a de l’espérance, plus elle est dans les délaissements et plus elle est dans la pratique de la parfaite charité, que moins elle ressent les consolations sensibles. C’est pourquoi je conclus et finis cette première partie, disant qu’elle sera plus épurée, purifiée, parfaite et agréable à Dieu, qu’elle demeurera dans l’ordre du divin amour, soumise à tous les décrets de ses divines ordonnances, qu’elle doit reconnaître arrêtées de toute éternité, pour son plus grand bien, si elle veut acquiescer sans se troubler.

Conclusions de cette première partie

qui fera connaître que cet exercice nous a été donné de Jésus-Christ, par l’oraison dominicale.

Nous89 donnerons ce dernier chapitre à cette première partie pour la rendre plus facile à comprendre, et plus aisée à retenir et à pratiquer. Ce qui nous doit rendre plus amoureux de cette pratique, et davantage affectionner à cet exercice, c’est de voir qu’elle a pour son fondement et pour son auteur notre Seigneur Jésus-Christ, qui l’a dictée et composée de sa propre bouche, étant en terre.

Premièrement nous disons que cet exercice, pour ce qui est de la première partie, n’est qu’une fidèle pratique de ce que notre Seigneur nous a enseigné dans l’oraison dominicale, pour nous unir à lui et nous rendre bienheureux en terre, autant pour le moins qu’il est possible à une créature mortelle et passible90. L’ayant lui-même ordonné, il n’a rien omis de tout ce qui était nécessaire pour nous faire espérer d’être un jour bienheureux. Il ne l’a pas dicté pour les saints, qui sont déjà dans le Ciel, jouissant de la gloire, mais seulement pour les pauvres malheureux, pour les disposer à la participation de cette heureuse félicité.

Le Pater Noster contient sept pétitions, que notre Sauveur nous enseigne de faire à son Père céleste, pour commencer ici notre félicité, telle qu’elle se peut acquérir en terre par sa grâce et notre fidèle coopération à cette pratique divine et séraphique.

Cette première partie, bien qu’elle doit composée de dix chapitres, elle ne contient toutefois que sept pratiques, qui sont ainsi ordonnés pour nous disposer, par leurs fidèles observances, à recevoir les grâces que nous demandons en disant notre Pater, et de plus l’union de notre esprit avec Jésus-Christ.

Nous avons commencé à parler de cette union, dès l’avant-propos, qui n’est qu’une simple explication de pratique de ces premières paroles : Notre Père qui êtes aux Cieux, qui font l’avant-propos du Pater Noster, que notre Seigneur nous présente pour nous aider à élever notre esprit de la terre, pour l’approcher de lui.

Prenez garde de près et vous verrez que l’intention de notre Seigneur est de nous élever le cœur à Dieu, son Père et le nôtre ; et pour ce sujet, il nous veut séparer des créatures, pour le regarder sans aucune image en esprit et vérité, là-haut dans sa gloire, afin de nous unir à lui par une très excellente charité, afin de nous rendre bienheureux par ce regard amoureux, autant qu’il nous sera permis et qu’il nous en fera la grâce.

La propre expérience nous la fera reconnaître, qui sera lorsque nous ressentirons en nous-mêmes que ce simple regard ou souvenir amoureux de Dieu seul fait le même effet en quelque façon pour le moins qu’il fait des saints qui sont déjà bienheureux, comme de paix en nous-mêmes, de plaisir en Dieu seul ou de joie au Saint-Esprit, suffisante pour nous tenir occuper avec Dieu, par un silence intérieur ou par un doux sentiment de sa chère présence au Ciel Empyrée de notre esprit.

Alors nous n’avons nul besoin de l’exercice, pour ce temps-là seulement que nous jouissons du bien que nous aimons : notre entendement le regarde et contemple par le moyen de la foi nue et sans image, occupé en simple intelligence par une douce attention et vigilance d’esprit qui empêche que nous ne soyons oisifs ou distraits ; et notre volonté se réjouit et repose en la présence de son objet propre, qui est Dieu seul, qui lui plaît grandement et l’occupe suffisamment.

C’est en ce temps que l’âme, par la grâce de Dieu, est bienheureuse, puisqu’elle jouit de la présence de son Père céleste, qui est des Cieux : c’est lorsqu’elle est unie à lui, car jouir à proprement parler, c’est voir ce que l’on aime, s’en réjouir, s’y reposer et s’y plaire. Et n’oubliez, je vous prie, que cette paix, ce plaisir et cette joie ne sont autres que Dieu même, qui se donne à l’âme en possession, pour la rendre bienheureuse en terre par une grâce extraordinaire, et selon la fidèle pratique de son exercice angélique.

Et je vous prie de remarquer que voilà ce que notre Seigneur veut, que nous demandions à son Père, par ces paroles : Notre Père que êtes des Cieux, dans l’esprit des saints, et qui les rendez bien heureux par la jouissance de votre douce présence. Justifiez-moi aussi, purifiez- moi, faites-moi une sainte, soyez s’il vous plaît aussi au ciel de mon esprit, pour me faire bien heureuse, et que votre Royaume advienne, soyez le Roi de mon cœur.

Chères âmes, croyez assurément que cette divine Majesté le désire, puisqu’elle nous le fait demander ; et d’être avec nous puisque nous ne pouvons pas être avec lui, jouissant de sa gloire comme les saints : c’est pourquoi elle s’est fait un petit ciel en terre pour demeurer avec nous, afin d’y prendre ses plaisirs et délices, son repos et son repas, entre les fleurs et les lys.

Et réjouissez-vous avec moi de ce que voilà le secret des secrets découvert : le Ciel est ouvert, qui était caché à tant de pauvres âmes, lesquelles pour cette ignorance vivaient en ce monde très misérable. Reconnaissons donc que notre esprit est un ciel intellectuel91 où nous devons adorer Dieu en esprit et vérité : notre âme est le siège de la divine Sapience, notre coeur est son petit Paradis en terre pour se plaire et reposer avec nous, et notre corps est son temple, qui doit être consacré par sa divine présence, puisque nous avons l’honneur de le recevoir si souvent sacramentellement, corporellement et spirituellement.

Et notez que c’est en ce petit Ciel, où il nous veut élever par ces paroles : Notre Père qui est des Cieux, c’est là où il veut être contemplé et adoré en esprit et vérité, par une foi nue et ardente de sa divine présence, et ce afin de nous rendre bienheureux en terre, si nous apportons de la fidélité à la pratique de cet exercice.

Et lorsque ce simple regard amoureux, ou joyeux souvenir de Dieu, sans aucune image ni entre-deux, opérera en vous quasi le même effet qu’il fait des bienheureux, comme de paix, de plaisir et de joie au Saint-Esprit, suffisante pour vous donner une sainte occupation pacifique, plaisante ou joyeuse en Dieu seul, laquelle aura le pouvoir de vous tenir comme liées, collées, et toutes fondues et liquéfiées, pour vous unir à Dieu par un doux écoulement.

Chères âmes, bénites de Dieu, vous pouvez dire en ce temps que vos prières sont exaucées, et que votre Père céleste vous a fait la grâce de voir et contempler sa face dans son petit ciel de votre esprit, pour l’adorer en vérité dans le petit Paradis de votre cœur, où vous devez demeurer contentes et paisibles, vous réjouissant de la présence de sa divine essence, en la possession de tout bien.

Et sitôt que vous ressentirez cette véritable opération être telle, par l’expérience, et selon les marques que nous en avons données, vous y demeurez en assurance, sans rien craindre, autant qu’il vous sera possible et que Dieu vous en fera la grâce, car en ce temps vous êtes bienheureuse. C’est pourquoi alors seulement, vous n’avez pas besoin de petites pratiques de cet exercice, puisque Dieu, par une grâce extraordinaire, vous fait pratiquer celui des bienheureux, qui n’est que justice, paix et joie au Saint-Esprit, suffisante pour vous entretenir avec Dieu par un doux sentiment amoureux.

Mais comme cette béatitude n’est que passagère, elle ne dure pas toujours : c’est pourquoi lorsque nous nous ressentirons accablés des misères de cette vie, des soins et sollicitudes des choses de la terre, et le corps qui se corrompt, rend notre esprit pesant, tellement que quelquefois nous ne pouvons quasi nous élever à Dieu pour contempler cette belle face si agréable de notre Père céleste, source et origine de tout notre bonheur, pour les entre-deux qui se glissent au milieu…92.

Et voilà ce qui nous rend en quelque façon malheureux, et c’est notre misère [qui] nous doit faire reconnaître et confesser que nous avons grande nécessité d’une bonne pratique, puisque nous ne ressentons en nous-mêmes aucun effet du regard béatifique de paix, de silence et de plaisir, ni de joie au Saint-Esprit.

Chères âmes, je vous supplie de ne vous pas beaucoup étonner ni encore moins décourager, car étant ici dans une terre de labeur, entre les morts et les vivants, entre les justes et les pécheurs, entre les bienheureux et les malheureux, ce n’est pas de merveille, si nous participons un peu à tous les deux. Mais plutôt nous devons savoir que nous avons besoin d’un exercice, et que nous devons dire souvent en élevant notre esprit à Dieu, comme pour une pratique ordinaire : « Notre Père qui êtes des Cieux, rendez-moi pure, sainte et innocente, afin de vous voir et contempler dans votre petit ciel de mon esprit, comme font les bienheureux dans le grand, où vous leur manifestez votre gloire à découvert, et à moi ici votre grâce, pour y participer, je vous en prie de tout mon cœur ».

Nous n’avons nul sujet de craindre, ni d’appréhender, ni de nous défier que de nous-mêmes, car assurément il le veut puisqu’il nous enseigne de l’en prier, il le désire puisqu’il nous commande de le demander à son Père céleste, en son nom, et nous assure que nous ne serons refusés.

Mais remarquez que cette promesse ne nous est faite que lorsque nous serons fidèles à l’oraison et à la pratique de l’exercice qu’il nous offre et présente lui-même, disant : « Lorsque vous prierez, dites Notre Père qui êtes des Cieux, votre nom soit sanctifié en nous, faites-nous des saintes ». Oui, il le veut et le désire plus que nous, mais ce ne sera pas sans notre coopération et fidèle pratique.

C’est pourquoi nous avons ordonné cet exercice, et dès le commencement nous avons proposé cette pratique, qui se commence par un simple envisagement de la sacrée humanité de Jésus-Christ crucifié, qui est la voie et le chemin très assuré pour aller à la divinité, par la contemplation de son cœur très sacré, qui est la porte ouverte pour y entrer, par un simple regard amoureux du très saint Crucifix, et ce afin de commencer par là l’exercice des malheureux, qui sont en terre, privés de la joyeuse présence de Dieu, pour se rendre par cette fidèle pratique, et à la faveur du Très-haut en la compagnie des bienheureux, qui vivent sur la terre, quasi comme s’ils étaient dans les Cieux.

Je vous prie de vous ressouvenir, comme dès le commencement nous avons dit, que le regard amoureux du très sacré cœur de Jésus-Christ crucifié nous donnait dès ce premier envisagement trois notables enseignements pour nous disposer à recevoir trois grâces grandement nécessaires pour nous illuminer, purifier, justifier et sanctifier, afin de nous rendre dignes de la jouissance de sa divine présence au Ciel Empyrée de notre esprit, pour nous unir à lui, par l’image de sa très sacrée humanité.

Ces trois enseignements sont compris sous ces dévotes paroles de l’avant-propos du Pater Noster, Notre Père qui êtes des Cieux.

Le premier est qu’il nous veut enseigner de quitter nos ténèbres, afin de nous retourner à lui, pour recevoir la lumière de sa sainte Croix, pour nous conduire heureusement.

Le second a été d’abhorrer notre propre volonté, le voyant sur la Croix, pour le suivre assurément et volontairement dans le sacrifice.

Le troisième a été de nous faire quitter pour jamais de toutes nos lâchetés, paresses et découragements, par la venue de son précieux sang, afin de nous disposer à recevoir un cœur magnanime pour la pratique de l’exercice du Pater Noster, que nous avons enseigné en cette première partie, comme il suit. Considérez-le de près je vous en prie, et j’espère que vous en serez consolées, réjouies et fortifiées.

Ce que nous avons dit jusqu’ici, est l’exercice des bienheureux, ou des âmes séraphiques, lesquelles sont portées par un simple regard, sans aucun image, dans le cœur de Dieu : là, elles sont déjà bienheureuses, car par cette douce remise de leur esprit, elles sont unies avec lui ; mais ne le pouvant pas faire, nous nous devons servir de la très sacrée humanité de Jésus, jetant notre regard sur son cœur amoureux, contemplant notre Père, le très saint Crucifix, dans le Ciel de la Croix, nous disant qu’il nous veut justifier, purifier et sanctifier par les mérites de sa mort et Passion, et de son précieux sang. Si nous le voulons, approchons-nous de lui donc, et lui demandons, puisqu’il le désire.

La première demande qu’il nous enseigne de faire, pour être bienheureux en terre, est que son nom soit sanctifié, c'est-à-dire qu’il nous fasse la grâce de le connaître et de l’aimer, afin d’être sanctifié. Le moyen nous en est donné dans cette première partie, par la pratique de l’abnégation ; c’est par où l’âme doit commencer à se dépouiller d’elle-même et de toutes les choses de la terre qui la pourraient tant soit peu souiller ou éloigner de Dieu, dont elle fait un refus courageux.

La seconde est que son Royaume nous advienne. Nous en procurons l’entrée par la résignation, qui est la seconde pratique que nous donne cette première partie nécessaire. Comme dit notre Seigneur : Bienheureux sont ceux qui souffrent pour la justice93,  c'est-à-dire afin que Dieu règne en leur cœur par amour, et non plus les passions déréglées, car à eux n’appartient [pas] le Royaume de notre coeur, mais à Jésus-Christ seulement comme légitime Seigneur.

La troisième est que sa volonté soit faite en la terre comme elle est faite au Ciel des saints : c’est la troisième pratique qui traite de la foi, laquelle par sa brillante clarté, nous fait voir Dieu au Ciel Empyrée de notre esprit, pour lui obéir aussi promptement que les Anges, ne recherchant rien en tout que son pur amour, son honneur et sa plus grande gloire.

La quatrième est qu’il nous donne notre pain quotidien : c’est vivre selon la pratique de la foi, toute à Dieu, pour Dieu et en Dieu seul, dont il est parlé au sixième chapitre de cette première partie, laquelle nous fait de moment en moment communier spirituellement, conservant toujours en notre esprit la présence de Dieu, avec une très grande révérence, honneur et respect.

La cinquième est qu’il nous pardonne nos péchés, comme nous pardonnons à tous ceux qui nous ont offensés. Cette première partie nous donne cette pratique par la sainte simplicité, laquelle n’est offensée, ni ne juge, ni méprise personne : elle n’a point à qui pardonner, car elle tient assurément que nul ne la peut offenser. Ici toutes les multiplicités sont réduites à l’unité ; elle croit toutes les autres [âmes] unies à Dieu, elle seule pécheresse et la cause de tous les péchés du monde.

La sixième demande est qu’il ne nous induise en tentation, c'est-à-dire, ainsi que l’explique notre séraphique P. S. François, qu’il ne nous abandonne en nos cruelles tentations. Il ne le fera quand nous opérerons selon qu’il est montré en la sixième pratique de cette première partie, laquelle nous enseigne la manière de bien opérer purement pour Dieu, avec Dieu et en Dieu seul, qui est notre force.

La septième demande est : mais délivrez-nous de mal. Le moyen nous en est donné, et très puissamment, dans la pratique de l’ordre du divin amour, qui est le dernier chapitre de cette première partie, laquelle par la fidélité, chassera bien loin de notre cœur toute espèce de mal, afin de nous disposer pour entrer dans la félicité des bienheureux : si nous sommes fidèles à vivre selon les sept pratiques de cette première partie, lesquelles ont été ainsi ordonnées et disposées pour les rendre conformes aux sept pétitions du Pater Noster, pour nous préparer à recevoir les effets des divines promesses de Jésus-Christ, avec tous les dons, grâces et faveurs qu’il nous fait demander à son Père, en son nom, pour participer à sa gloire dans le Ciel et pour vivre ici entre les misères comme si nous étions déjà bienheureux, paisibles, contents et toujours joyeux dans les pénitences et souffrances, pour l’amour de Dieu, dans l’imitation de Jésus, dit notre Père saint François.

Ainsi soit-il pour jamais et pour toujours. Dieu nous en fasse la grâce à tous, s’il lui plaît, et d’entrer en la seconde partie des trois Cloux, qui est la manière de l’union, qui ne sera qu’une crucifixion de corps, d’âme et d’esprit, avec Jésus Christ.

La seconde partie [de la manière de l’union] qui est un moyen

de correspondre à la largeur de l’amour infini, qui nous paraît en la Croix, par une manière de nous unir à Jésus-Christ par trois degrés qui sont conformité, uniformité, et déiformité, les trois Clous des âmes qui s’attachent à lui.

Avant-propos

La première partie ayant servi de préparation pour l’union, il faut maintenant passer à la pratique, et découvrir une manière d’union facile, que nous avons par la grâce de Dieu, pour correspondre autant qu’il nous sera possible, à la largeur de l’excessive charité de Jésus- Christ qui sera de nous crucifier avec lui, par le moyen de ces trois Cloux, pour nous unir d’esprit avec lui : si nous avons le courage de monter ces trois degrés, avec la fidèle Epouse, afin de nous élever sur la palme victorieuse de la sainte Croix, pour en recueillir les doux fruits d’un amour excellent.

Elevons-nous donc, chères âmes, peu à peu par les degrés de la préparation, dans l’ordre du divin amour, tant que les ailes nous soient venues bien grandes, pour voler à l’union, de crainte que le désordre de notre amour propre ne mette tout en confusion, ne trouble notre intérieur, renverse nos désirs, affaiblisse notre courage et nous fasse honteusement retourner en arrière, feignant du travail où il n’y a que du repos, du contentement, de la joie et des délices, et surtout une très grande facilité pour les âmes de bonne volonté qui ont une grande faim et soif de Dieu, et de s’unir à lui à quelque prix que ce soit, leur dût-il coûter la vie.

Courage donc, chères âmes, épouses de Jésus, le chemin est court, la peine est légère : si vous aimez ce peu de travail, qui se présente au commencement, vous êtes déjà presque dans la jouissance de tout bien, car par ce seul moyen, joint à la grâce, vous serez presque déjà bienheureuses dès cette vie, encore que très misérable, pour [par] ce que tout ce qui vous semble amer ici, vous sera bientôt changé en douceur du corps et de l’âme.

Ce que vous avez à faire maintenant est de demeurer fermes et inébranlables au pied de la sainte Croix, debout avec la Mère de Dieu, par une grande confiance d’esprit : vous contemplez Jésus-Christ crucifié en icelle, vous êtes sa fille. Regardez donc à le suivre par ces ténébreuses lumières, en montant ces degrés, l’un après l’autre, du vrai Roy pacifique, tant que vous soyez crucifiées avec lui par le moyen de ces trois Cloux, chacun desquels nous unira à Dieu en sa manière. Mais remarquez que l’union ne sera parfaite que vous ne soyez pieds et mains liées et attachées à la Croix avec ces trois Cloux, lesquels vous élèveront jusqu’à l’unité du cœur de Jésus crucifié, pour faire votre heureuse demeure dans ce Paradis de délices.

Et en ce temps, et non devant, vous trouverez le repos dans votre âme, la joie dans votre esprit, et votre cœur tout plein de contentement, et lors vous entendrez le divin parler de la Croix : à savoir que le Fils du Père Eternel y a été attaché pour votre amour, et que vous y devez aussi mourir pour l’amour de lui, pour vous unir à lui.

C’est pourquoi il est plus que raisonnable que nous entrions dans la pratique de cet exercice, qui nous donnera le goût véritable d’une vie mourante, laquelle nous sera une mort vivifiante et unifiante, par le moyen de ces trois Cloux, conformité, uniformité, et déiformité, chacun desquels degrés sera divisé en quatre articles, pour en rendre la pratique plus claire et plus facile, et aussi pour dissiper, par cette diversité, toutes les multiplicités de nos sens, de notre imagination et de notre entendement, afin de porter notre esprit dans la simplicité, pour l’unir à Jésus-Christ, qui se plaît de faire sa demeure avec les simples et petits, qui ne sont point divisés ni mi-partis.

Des quatre articles, et pourquoi ils sont ainsi divisés en chaque degré

Ces quatre articles sont : le fondement, l’objet, la pratique et le profit.

Le premier nous fait connaître Dieu, sa puissance, son amour et sa bonté.

Le second nous le fait envisager d’un regard amoureux, comme notre bon Père, notre grand Ami, notre Epoux, notre tout.

Le troisième nous unit à lui, par notre propre effort, raisonnablement, et seulement dans l’ordre de sa divine Providence amoureuse.

Le quatrième, qui est son opération, nous fait paisiblement, suavement et joyeusement demeurer en Dieu seul, pour y vivre et opérer, et même pour y reposer, comme en notre centre et fin dernière, par la réunion de toutes les puissances de notre âme en un seul petit point d’unité, qui nous fait jouir de Dieu au fonds de notre âme, par recollection, ou au haut de notre esprit, par élévation au-dessus de tout ce qui est créé.

Le fondement est le soutien et l’appui de l’union que nous devons avoir en notre entendement, et le croire fermement pour nous affermir et assurer dans tous les découragements de l’union.

L’objet est ce que nous devons toujours regarder et avoir dans notre simple pensée ou doux souvenir, pour nous conduire assurément droit à Dieu parmi les ténèbres et dans les égarements.

La pratique est tout ce qu’il nous faut bien faire et bien souffrir, accepter ou laisser, recevoir ou donner, et en la manière qu’il lui plaira à la divine bonté de l’ordonner par les secrets de son amoureuse Providence, que nous devons croire être tout ce qui nous pourra arriver, excepté le péché, qu’il ne veut et ne peut le vouloir : il ne procède donc que de notre propre malice ; mais toutes les autres choses qui nous peuvent arriver, sont des avertissements par lesquels Dieu nous demande l’amour de notre cœur et tout notre cœur : oserions-nous bien lui refuser ?

Le fruit, ou le profit, est ce que cette bonté infinie donne à l’âme fidèle en la pratique de ces trois articles, pour la remplir et pour l’entretenir et unir à lui, comme une abondance de paix et de tranquillité, de contentement et de délices, de joies et d’allégresses d’esprit, et autres biens infinis et grâces extraordinaires, qui la font reposer entre les bras de Dieu, et quelquefois dans son coeur amoureux par l’union sans division : ce quatrième article est l’opération de Dieu.

C’est pourquoi je vous prie de ne pas oublier que les trois premiers articles sont de notre opération : c’est ce que nous devons croire, faire ou souffrir, [c’]est en quoi il nous faut bien travailler fidèlement et dévotement pour bien occuper notre esprit, les trois puissances de notre âme et notre temps que nous sommes laissés à nous-mêmes, pour nous disposer en chassant l’oisiveté (ennemi de notre âme) par ce petit travail à recevoir en nous la plénitude de son opération toute divine, si nous devons demeurer paisibles, joyeuses et contentes, dans l’ordre des secrets amoureux de la divine Providence et dans l’occupation de notre petit travail, acquiesçant raisonnablement en tout et par tout à sa volonté, unissant ainsi la nôtre avec la sienne doucement, sans aucun effort ou violence, sinon que d’être toutes à lui en ce temps et dans l’éternité, consacrées et dédiées à son divin plaisir.

Mais tout aussitôt que nous nous ressentirons prévenues de sa divine opération par la recollection et réunion des trois puissances de notre âme, par un écoulement paisible et amoureux en Dieu seul, alors nous devons cesser notre travail et tous nos actes, pour ce qu’ils ne sont pas nécessaires en ce temps de bénédiction, d’autant que l’entendement est tout plein de lumières et de connaissances d’expérience de Dieu et de sa proximité très intime. La volonté est toute dans l’amour, ce qui lui donne un facile entretien : par un doux souvenir de Dieu, plein de joies et de délices, elle doit demeurer là sous l’abondance de ses grâces si extraordinaires, par une humble soumission, pour en dépendre à toute heure et moment, d’en sortir ou d’y rentrer, d’y reposer pour donner ses plaisirs à Dieu, ou de travailler pour le contenter. Et voilà la vraie disposition pour la perfection de l’union et de la divine opération en nous. Car par tels actes nous faisons abnégation, qui est un refus de tout ce qui n’est point Dieu, pour nous approcher de Dieu, et par les actes de la résignation, nous nous soumettons à tout pour souffrir de tous et en toutes les manières possibles, pour nous unir à Dieu, afin de reposer en lui seul, qui est notre bien universel, partout présent.

Chères âmes, si nous sommes fidèles à nous exercer en la pratique de ces degrés, et des articles qu’ils contiennent, que nous allons déclarer plus amplement aux discours suivants, nous expérimentons en nous-mêmes de si grands changements intérieurs et extérieurs que nous ne les croyions pas, si nous ne les voyons de nos propres yeux, mais par des effets quasi inconcevables de la sainte opération de l’Esprit de Dieu en nous, comme de paix sans plus d’inquiétudes, de contentement sans nul déplaisir, de joies perpétuelles sans plus de tristesses, de recollection sans distraction, de recueillement sans égarement, d’introversion sans division, de silence sans violence, de repos sans efforts, de douceur sans aigreur, et enfin dans la paisible jouissance de la divine opération, qui portera l’âme dans l’union sans différence, où elle se perdra à elle-même et en elle-même, et à toutes les créatures, pour n’être plus qu’en Dieu seul, et pour Dieu seul.

L’âme fidèle expérimentera en elle-même toutes ces grandes grâces, et autres, sans nombre ni mesure. Un peu de temps au commencement, elle aura peut être un peu de peine à l’abnégation, abstraction, et résignation, mais en vérité plutôt imaginaire que réelle et véritable, car après qu’elle les aura bien compris, l’amour la comprendra ou la prendra tellement qu’il élèvera son esprit si haut dans l’estime de cette pratique qu’elle ne l’aura à charge ni à mépris, car la pratique d’elle-même les rendra si faciles et si familiers que nous pourrons produire tout ensemble, dans un moment, sans nulle division et par un seul regard, sans aucune distraction, voire d’une simple pensée, ou par un doux souvenir.

Et voilà la raison pour laquelle ils nous rendront terribles à tous nos ennemis, pour ce que tous ces degrés et ces articles sont rangés et ordonnés, comme une armée pour combattre pour l’unité, et pour ruiner, détruire et dissiper toutes les multiplicités. Leur combat même, pour être toujours dans l’ordre du divin amour, se fait sans aucune division ni désunion d’esprit, qui est ce que nous devons désirer sur toutes choses, comme la meilleure de toutes.

Premier degré d’union, par conformité de volonté

en tout ce qui nous pourra arriver, divisé en quatre articles.

Article premier de ce degré, pour nous unir à Jésus-Christ par notre fidèle opération.

Le fondement de ce premier degré sera une véritable croyance fondée sur une amoureuse expérience de la toute-puissance de notre bon Père céleste. Je n’entends ici parler de la puissance absolue, par laquelle Dieu peut tout ce qui n’implique point de contradiction, de laquelle il ne se sert pas souvent pour nous gouverner. Mais je prétends et entends de parler de sa puissance ordinaire, de laquelle il se sert pour disposer suavement tous les moyens qu’il a ordonnés de toute éternité, pour conduire doucement toutes choses à leurs dernières fins très heureuses.

Appuyé sur ce bon fondement, nous devons croire très assurément qu’il ne nous peut rien du tout arriver en ce monde, ni intérieurement ni extérieurement, contre la disposition des secrètes ordonnances de la divine Providence, et nous devons aussi croire que nulle créature, telle qu’elle soit, ne nous peut toucher ni dire un seul mot, ni faire aucun tort, sans une expresse permission du Tout-puissant, de quelque part que les accidents nous puissent arriver, par qui que ce soit, sans nulle exception : nous devons croire que le tout ne vient que de la main de Dieu tout-puissant.

Or nous devons vivre selon cette pratique fidèlement, afin de nous retourner vers notre bon Père céleste promptement, pour chasser de notre cœur un million de multiplicités très mauvaises, qui nous empêchent l’union de notre esprit avec Jésus-Christ, pour le divertir des créatures, afin de nous inquiéter, troubler ou affliger pour ce qu’elles disent ou pour ce qu’elles sont.

Chères âmes, ayons toujours souvenance de ce premier article, et posons, je vous en prie, ce ferme et solide fondement de la maison de Dieu en nos cœurs, car il nous est très nécessaire pour la disposition de l’union, à ce que nous demeurions sans division entre une multitude infinie de multiplicités, diversités, doutes et grandes difficultés, toutes lesquelles ne nous portent qu’à la division et évagation [divagation] d’esprit pour nous faire perdre la vie de l’union, nous séparent et retirent comme par force hors de l’ordre du divin amour pour nous faire vivre sans amour et sans dévotion. Ce premier article contient en soi de grandes choses, que la brièveté de ce discours ne permet de dire : ce peu suffit pour la fidèle pratique d’une âme religieuse.

Le second article du 1[er] degré, pour nous unir à Jésus-Christ par notre fidèle opération.

L’objet sera le second article, qui est l’adorable volonté du Tout-puissant, bonne, agréable et parfaite, que nous devons toujours avoir en notre pensée pour nous régler et conduire droit dans le cœur de Dieu : c’est elle qui nous servira pour dissiper toutes les multiplicités, que notre propre volonté malicieuse, désagréable et imparfaite, produit tous les jours lorsque nous la prenons pour objet de nos pensées et actions.

Nous ne devons plus ici avoir de raison, de vue ni de jugement, que pour discerner la grande différence des effets de ces deux volontés, comme dit l’Apôtre, voir et prouver en toutes choses par fidélité quelle est la volonté de Dieu : bonne en nous-mêmes pour nous sanctifier, agréable au prochain pour l’édifier par bon exemple, parfaire en amour pour nous unir à Dieu par conformité. Voilà quelle doit être notre volonté, pour ne plus vivre que dans l’étendue infinie de la divine volonté, laquelle nous devons toujours regarder amoureusement et la contempler par honneur et révérence. Plus que ne fait un fidèle serviteur les mains de son maître pour lui obéir promptement, nous devons faire le semblable envers la volonté de Dieu, qui est Dieu même, en laquelle pour jamais nous devons avoir nos yeux par une sainte complaisance, et notre cœur, et notre attention par une sainte vigilance, pour nous rendre en tout simples et soumises en tout ce qui nous pourra arriver, jusque même aux plus petites choses, et ce par une vigilance intérieure pour lui obéir au moindre signe de ses inspirations, sans attendre d’autres plus exprès commandement : car notez que c’est en ce point de fidélité que consiste toute la perfection de l’unité et la vraie liberté d’esprit, afin de n’être plus captifs de notre propre volonté, pour commencer à servir Dieu dévotement et à l’aimer parfaitement comme notre Roi souverain ou comme notre Père très béni, n’ayant plus en tout d’autre objet que sa toute-puissante volonté.

Le troisième article du premier degré, pour nous unir à Jésus-Christ par notre fidèle opération.

La pratique qui sera le troisième article de ce degré, n’est autre qu’un tacite consentement, ou amoureux et très doux acquiescement d’esprit, à tout et en tout ce qui nous pourra arriver d’humiliation ou de souffrances qui nous pourraient tant soit peu détourner de Dieu, ou qui se voudraient efforcer de nous empêcher de faire la volonté du Tout-puissant ou qu’elle ne fût accomplie de nous, sur nous et en nous, avec le même amour, s’il nous était possible, que les esprits bienheureux la font dans le Ciel. Et voilà le vrai moyen de nous sanctifier par cette union de conformité, qui change notre volonté de mauvaise en bonne, agréable et parfaite, par ce doux acquiescement, pour toujours accomplir celle de Dieu, même jusqu’aux choses les plus petites qui nous arrivent à tous les instants de la nuit et à tous les moments du jour, qui sont quasi sans nombre et presque infinies : tous nous doivent servir pour nous lier et unir à l’infini.

Or pour la connaître, il n’est pas difficile, car nous devons croire tout simplement et reconnaître très assurément qu’elle est en tout ce qui se pourra représenter de peines et de souffrances : car alors c’est la volonté qui combat la nôtre, lequel a ordonné cet accident de toute éternité. Et toutes les fâcheuses rencontres qu’il permet, tant intérieurement qu’extérieurement, nous arriver, soit à prendre, soit à laisser, à faire ou à souffrir, à travailler ou à se reposer, à jouir ou à partir de qui que ce soit, quoi que ce soit, ne peuvent venir que de Dieu, qui permet telles choses pour faire mourir notre volonté, afin de nous unir à lui par telles souffrances.

Remarquez que je dis que nous devons recevoir toutes ces choses seulement de la main toute-puissante de Dieu, et non jamais des créatures : crainte de nous perdre, ou [pour] le moins de nous égarer du droit chemin de l’union, dans un nombre infini de multiplicités des créatures, jugeant et interprétant leurs actions en la plus mauvaise part, remplissant ainsi notre esprit de peine, au lieu qu’il devrait être plein de la volonté de Dieu, comme les saints le font dans le Ciel, ce qui nous rendrait bienheureux sur la terre.

L’acte de l’union par conformité de volonté en toutes choses, pour difficiles qu’elles soient, nous élève au Ciel, puisqu’il nous unit à la volonté de Dieu, qui est Dieu même94 : c’est ce qui fait que l’âme est toujours d’un cœur gai, d’un esprit content, d’une conscience tranquille, d’un intérieur paisible, joyeux en toutes les occasions où il faut perdre sa volonté pour faire celle de Dieu.

Ce divin objet, remplissant ainsi notre cœur, fera que notre esprit se portera à souffrir, par une joyeuse soumission, toutes les humiliations et mépris, voyant que telle est la volonté de Dieu que nous renoncions à la nôtre, sans aucun murmure ni inquiétude, pour nous rendre conformes en tout aux divins décrets de notre bon Père céleste, ce qui nous doit réjouir à chaque accident, voyant que notre prière est exaucée et que la demande que lui-même nous a enseigné de faire tous les jours a été entendue de son cœur, pour en cela nous rendre semblables aux saints de Paradis, qui font toujours la volonté de Dieu.

Nous l’appelons notre Père, parce qu’il sait et connaît tout ce qui nous est utile et nécessaire : laissons-lui donc le soin de nous former, à l’exemple de son Fils bien-aimé, sur la forme de la Croix, qui doit être la véritable forme pour reformer notre volonté, afin que toutes les actions qu’elle produit, soient toujours bonnes, agréables et parfaites, selon Dieu, en douceur, en tranquillité, en paix et silence. C’est ce que nous pouvons espérer par la grâce de l’union de conformité, sans laquelle notre volonté demeurerait, en tous ces exercices spirituels ou corporels, toujours mauvaise, triste, désagréable et sans repos, d’autant qu’elle serait distraite et épandue, partant éloignée de Dieu.

Le quatrième article du premier degré, pour faire reposer l’âme en Dieu, qui est son opération.

Sera le profit qui est une très grande paix intérieure en tout, mêmes sur la Croix, laquelle nous élèvera par-dessus l’opération de tous les sens, qui conservera toutes nos pensées pour Dieu seul, et sera même que nous ne sentirons plus les coups de marteaux des humiliations ni des souffrances, qui n’auront [pas] le pouvoir de nous étourdir, inquiéter, distraire ou troubler car ayant trouvé le moyen si facile et si à main de nous unir à Dieu par cette conformité en tout temps, en tout lieu et en toutes sortes d’affaires, par-dessus l’opération des sens, dans une soumission de corps et d’esprit aux souffrances, peines et afflictions, douleurs ou tribulations, d’où viennent ordinairement toutes nos distractions, impatiences et tentations.

Cette pratique nous enseigne de faire de nécessité vertu, à savoir : tout ce que nous ne pouvons chasser de nous avec toutes nos industries et vigilances d’esprit, de le souffrir en nous-mêmes par conformité en l’union des souffrances de Jésus-Christ, puisque telle est sa volonté, bonne, complaisante et parfaite, sur laquelle, en tout et par tout, nous devons former la nôtre, si nous désirons jouir d’une paix souveraine.

Nous conformant ainsi aux décrets du Tout-puissant, notre volonté étant fondue par le feu du divin amour, elle s’écoulera toute en Dieu, pour n’avoir plus et ne ressentir plus qu’un seul vouloir semblable à celui de Dieu et, par ce moyen, plus divin. Que tous nos désirs et souhaits seront accomplis, d’où nécessairement s’en ensuivra la paix, car le plus grand ennemi d’icelle, qui est notre propre volonté, étant surmonté, et lui ayant fait jeter les armes par terre, toutes les guerres viendront à cesser, tant les inquiétudes d’esprit que les perturbations de cœur causées par le dérèglements de la propre volonté en soi, pire qu’un démon selon le pouvoir qu’elle a de mal faire, puisque, comme dit S. Bernard, elle seule brûle en enfer. L’âme donc qui en sera quitte, commencera à jouir de la paix du Paradis, avec les Anges de paix, qui sont ainsi appelés d’autant qu’en tout et partout, ils conforment leur volonté à celle de laquelle les malins esprits sont privés, pour avoir une volonté rebelle à Dieu. Voyez, âmes religieuses, de quelle région vous êtes les plus proches : vous les reconnaîtrez par la paix, ou par les troubles qui sont en votre cœur.

Second degré d’union au divin plaisir par uniformité de volonté en la manière qu’il plaira à Dieu.

Avant-propos

Les âmes religieuses ne se doivent [pas] contenter de ce premier Clou pour demeurer sur la Croix. L’amour de l’union qu’elles ont déjà reçu, leur donne un très ardent désir, pour affermir de plus en plus l’union de leur esprit avec Dieu, de présenter encore l’autre main pour être plus fermement attachée sur la Croix avec Jésus-Christ, lequel elles désirent imiter de tout leur cœur, par uniformité de volonté, au plaisir de Dieu en cette manière.

Article premier du second degré pour unir l’âme à Dieu, par sa fidèle opération.

Le fondement de ce premier article sera un véritable sentiment du très grand amour de Dieu, lequel, par sa sagesse infinie et sa divine Providence, dispose tellement toutes choses en nombre, poids et mesure, pour notre salut et perfection religieuse que nous devons croire très assurément qu’il ne permettra rien du tout, ni en la qualité ni en la quantité, que les choses nous surviennent que pour sa plus grande gloire et à notre plus grand bien, profit et utilité d’éternité.

Car nous ne devons pas ignorer que Dieu est égal en puissance et en amour infini en l’un et en l’autre : si le premier est très véritable, le second le doit être aussi, et pour les mêmes raisons qu’en Dieu tout est égal ; étant donc notre bon Père céleste, fidèle Ami et bien-aimé Epoux, il sait, voit et connaît tous nos besoins et nécessités, il y peut subvenir d’autant qu’il est le Tout-puissant, et nous défendre de tout mal, et pour ce qu’il est tout bon et la bonté même, il veut et désire notre plus grand bien. Et, de fait, nous devons croire assurément qu’il nous le procure par tous les accidents qu’il permet nous arriver, qui sont des inventions de ses amours, tirés de la fontaine de sa bonté, par laquelle il nous le veut distribuer, si par nos infidélités, légèretés, et impatiences dans les souffrances, nous n’y apportons [pas] de l’empêchement, nous remplissant de ces peines au lieu de nous en vider, pour recevoir l’abondance des grâces de Dieu. Ce serait à la vérité un très grand mal, qui ne pourrait procéder que d’une ignorance grossière, laquelle apporterait par ses multiplicités un très grand désordre en notre intérieur, que nous devons dissiper par la suivante pratique.

Article second du second degré, pour unir l’âme à Dieu par sa fidèle opération.

L’objet sera le second article, qui est le divin plaisir, bien envisagé, très agréable à Dieu, que nous devons toujours avoir présent en notre esprit, lequel s’accomplit en nous lorsque nous faisons ou souffrons tout ce qui se présente seulement pour plaire à Dieu : agissant ou pâtissant de la sorte, ce divin plaisir sera en nous, qui nous doit être un objet très puissant pour nous porter, par la force de l’amour, dans les pratiques des choses les plus difficiles et répugnantes à la nature, à nos sens et à notre propre volonté, pour contenter Dieu.

Oui, chères âmes, je dis pour lui complaire et lui donner du plaisir. Considération digne d’étonnement et capable de ravir nos esprit et nos volontés hors d’elles-mêmes pour les porter en Dieu seul, afin de lui donner ce plaisir à la perte du nôtre, ce que nous devons estimer une trop grande récompense de lui pouvoir plaire en ce monde : c’est pourquoi, je vous prie à ce moment de faire avec moi une très ferme résolution de vouloir maintenant et pour jamais acquiescer à toutes les volontés de Dieu grandes et petites.

Donc, s’il prend son plaisir à nous frapper et battre à coups de marteaux jusqu’à nous faire ressentir la douleur ou souffrir la rigueur des Clous qu’il tient en ses propres mains, voire et de nous blesser jusqu’à en tirer le sang, et [ce] nous doit être un très grand honneur d’être touchées de cette main amoureuse, qui le fait comme un bon père, pour nous avoir toujours auprès de lui, afin de se recréer en terre et de prendre ses plaisirs avec nous et au milieu de nous, comme en ses enfants bien- aimés, qu’il désire enrichir de ses grâces et faveurs, pour se les rendre uniformes en ses souffrances et participant de sa gloire. Et de cela nous devons douter aucunement, car s’il nous afflige ou s’il permet que nous le soyons par qui que se soit, ce n’est que pour nous consoler abondamment selon la mesure de nos afflictions. S’il nous conduit aux enfers des peines et des souffrances, ce n’est que pour purifier notre amour propre, et pour en retirer et élever après plus glorieusement. Et enfin le tout n’est que pour nous rendre en tout uniformes à soi, par imitation et ressemblance, dans la fidèle pratique de ses petites souffrances, qui est la souveraine perfection.

Le troisième article du second degré, pour unir l’âme à Dieu, par son opération fidèle.

La pratique sera le troisième article, qui est l’union indivisible au divin plaisir en toutes les rencontres, tant agréables que désagréables à la nature, aux sens ou à notre propre volonté, intérieure ou extérieure, soit des persécutions, substractions [soustractions], distractions, humiliations, infirmités ou tentations, et en tous les autres événements, où notre plaisir est anéanti.

C’est là où nous devons nous étudier, si nous désirons gagner les bonnes grâces de notre Seigneur, affermir la paix intérieure de notre cœur, acquérir la douceur et l’humilité en nous-mêmes et avec le prochain en nos paroles, et la patience en nos actions, à ce que Dieu fasse de nous et en nous tout son bon plaisir, sans aucun refus de notre part ni contradiction intérieure, au moins volontaire.

Et je vous prie de prendre garde où et en quoi il faut prendre votre plaisir : c’est, en tout et par tout, de ne plus rien envisager du tout que celui de Dieu, qui est Dieu même, et portés par un grand désir sur les ailes d’une sincère affection de lui plaire, renoncer pour son pur amour à tous les désirs de la nature de votre amour propre et propre volonté, grands et petits, qui vous importunent à toute heure et qui surviennent infinies fois le jour.

Renoncez aussi à tous les choix et élections de vos raisons humaines et propre jugement, encore que très bonnes et très saintes, qui ne font que tyranniser votre pauvre cœur et le désunir de Dieu : c’est pourquoi anéantissez toutes les vues et lumières de votre esprit, encore que très justes et raisonnables, qui vous troublent et inquiètent, et divisent votre cœur de l’unité, pour vous rendre en tout uniformes par la lumière de la foi, afin de dissiper toutes les multiplicités et de vous faire reposer non plus en votre plaisir, mais seulement en celui de Dieu en l’état où vous êtes. Car ici (et notez-le bien) vous ne perdez pas votre plaisir, mais, comme dit le glorieux Père Séraphique, vous le changez en celui de Dieu, où le vôtre s’écoule lorsque vous acquiescez à sa volonté, en quelque disposition de substraction [soustraction95] ou de sècheresse que vous soyez, bien que vous soyez sans aucun plaisir ni satisfaction sensible. Et c’est par une grâce particulière de Dieu pour augmenter d’autant plus son plaisir en nous que le nôtre diminue et, par toutes nos actions, la satisfaction, pour augmenter la pureté de l’amour en notre cœur et la simplicité en notre entendement, pour nous unir à Dieu, en cherchant par tous les moyens de lui plaire.

Le quatrième article du second degré, pour faire reposer l’âme en Dieu, par sa divine opération.

Le profit sera le quatrième article, qui est une sainte complaisance et goût de Dieu en Dieu même, tiré de son divin plaisir donné de Dieu à l’âme fidèle, laquelle, pour son amour, fait litière de tous ses propres plaisirs, goûts et contentements de la terre et de toutes les créatures. Et notez que ce divin plaisir s’augmente en nous à proportion que nous perdons le nôtre et que nous découvrons les grands biens et infinies richesses qui sont en Dieu, et surtout lorsqu’il plait à cette divine bonté de nous donner un sentiment véritable de son grand amour et une connaissance des grâces et faveurs qu’il désire nous distribuer et élargir à tout moment, afin d’avoir en nous toujours son divin plaisir et, par ces divines infusions, nous faire ses bien- aimées et filles de sa complaisance et de son plaisir.

Et de ce divin plaisir procède une douceur intérieure, qui engendre une autre complaisance non seulement de Dieu, mais aussi en Dieu seul, qui sera suffisante pour nous entretenir dévotement avec Dieu, dans une paix souveraine et silence très intime, par un recueillement intérieur en la partie supérieure, dans un ramas et assemblage des trois puissances de notre âme en Dieu seul.

Et lors l’amour de bienveillance nous portera fortement hors de nous-mêmes et de tous nos plaisirs et volontés, pour nous donner toutes à Dieu, et toutes nos actions, pour agir ou souffrir patiemment et doucement, en tout ce qu’il plaira à Dieu permettre de nous arriver en la seule vue de son divin plaisir et des infinies obligations que nous avons à Sa divine Majesté, que nous ne pourrons véritablement reconnaître tant que nous serons en ce monde.

Ceci, bien considéré et fidèlement pratiqué, nous donnera non seulement une paix dans l’union du bien infini, mais aussi un goût et plaisir en l’amoureuse possession de ce bien infini, qui adoucit l’amertume des viandes les plus amères aux sentiments, comme est l’abnégation, la résignation et soumission si générale et universelle au divin plaisir qu’elle n’excepte rien, et en des rencontres si difficiles aux sentiments, et en des actions si fâcheuses au corps et si contraires à la nature déréglée, que la foi et l’obédience nous font connaître, contre toutes nos raisons humaines, que c’est la volonté de Dieu. Et de plus, cette pratique nous assure par-dessus toutes nos vues, connaissances et sentiments que c’est là le divin plaisir que nous accomplissons, en faisant ou souffrant telles ou telles choses.

Quelle plus grande consolation pourrait-il arriver à une âme, sinon quant elle croit assurément, non par une présomption orgueilleuse, mais par un sentiment amoureux d’expérience, que Dieu par sa bonté se plaît en telles actions, encore qu’il n’ait que faire de nos biens : il s’y plait pour le bien qui nous en arrive, d’autant qu’il nous aime.

Troisième degré d’union par transformation d’opération où l’âme religieuse s’unit à Dieu, sans nul autre moyen que de Dieu même qui est le troisième Clou appelé déiformité.

Avant-propos

L’âme religieuse, ardente en amour et brûlante en désirs, ne se contente d’avoir monté ces deux degrés d’union, ni d’être attachée à la Croix avec deux Clous : elle veut être semblable à son Epoux. C’est pourquoi, après avoir goûté la douceur par un baiser de la Croix, elle prie son cher Epoux qu’il la tire au troisième, et que là il lui montre où il prend son repas, son repos et ses délices. Elle désire qu’il attache aussi bien ses deux pieds, qui sont les affections de son cœur, comme il a fait ses deux mains, afin qu’elle ne soit plus distraite, ni désunie, ou tant soit peu détournée d’avec Dieu, par les mouvements de des passions déréglées et affections perverties : c’est la raison pour laquelle elle consent d’être toute crucifiée, pour être toute unie et pour jamais avec Jésus-Christ, qu’elle contemple d’un regard amoureux en la Croix, fait en forme de cœur, pour l’attirer à soi et l’élever de la terre par l’extension de ses bras et l’union de ses pieds, reconnaissant par cette posture que son amour le fait être tout cœur pour elle afin de l’unir à soi ; elle veut aussi et le désire de tout son cœur, d’être toute cœur pour s’unir à celui qui pour son amour a livré sur la Croix son corps et son cœur, pour la transformer toute en lui-même, comme il suit.

Article premier du troisième degré, pour unir l’âme à Dieu en esprit et vérité, par sa fidèle opération.

Le fondement de ce troisième degré d’union sera en l’opération de l’Esprit de notre Seigneur au lieu du nôtre, sur une connaissance que le Saint-Esprit donne à l’âme fidèle, sa bien-aimée Epouse, que, comme il n’y a qu’un Tout-puissant et un seul amour incréé vers nous, il n’y peut aussi avoir en nous qu’une seule opération de grâce, qui puisse donner la gloire à Dieu et opérer notre salut : car la nature seule, en ses propres opérations déréglées, ne le peut faire pour avoir de soi une inclination maligne de contrariété à la grâce qu’elle s’efforce de détruire.

C’est ce que le séraphique Père saint François veut dire dans sa règle, que nous prenions garde de désirer sur toutes choses d’avoir l’Esprit de notre Seigneur et sa sainte opération contraire à l’opération maligne de la nature qui détruit la grâce en nous et anéantit les opérations, que l’Esprit de notre Seigneur répare et rétablit en nous, qui est un amour ardent et séraphique, tiré du divin plaisir, lequel nous doit tellement mouvoir et si puissamment porter à faire toutes nos actions fidèlement et dévotement, et à souffrir doucement et paisiblement toutes les afflictions, tribulations, infirmités et tentations, et à supporter si patiemment tous les mépris et humiliations, et persécutions, qu’elles soient agréables à Dieu, comme elles le sont véritablement, par cette déiformité, qui ne dit pas seulement union par rencontre, comme en la conformité de l’objet de la volonté de Dieu, ni union par uniformité d’assemblage en un par la manière d’agir, mais veut dire unité par transformation, la volonté perdant sa forme pour se revêtir de celle de Dieu, que l’âme reconnaît être l’auteur et le consommateur, le commencement et la fin de tout le bien qu’elle fait et de tout le mal qu’elle ne fait.

L’âme fidèle fait ici une entière désapprobation de toutes ses opérations : étant toute absorbée en la volonté divine, elle reconnaît que c’est Dieu qui lui donne et le vouloir et le pouvoir de faire le bien par sa grâce en toute perfection, et que la nature d’elle-même n’est qu’un pur néant d’être et d’impuissance quant à la grâce ; mais de plus, qu’elle est un être de contradiction et répugnance aux actions de la grâce : car elle s’efforce, par son opération contraire au Saint-Esprit, de désunir notre âme d’avec Dieu, et de la retourner vers les créatures ou en elle-même par son amour propre. C’est la raison pour laquelle il la faut ici anéantir en ses opérations, comme il suit en ce second article.

Article second du troisième degré, pour unir l’âme à Dieu, en esprit et vérité, par notre fidèle opération.

Le second article sera l’objet qui est la plus grande gloire de Dieu, qui n’est autre que Dieu même, que nous devons toujours avoir au cœur. Et la seule vue ou le simple souvenir d’icelle nous doit fortement porter dans un total anéantissement non seulement des actions des créatures, mais aussi des opérations de la nature en nous-mêmes, et de la nature même, de toutes ses vues, souvenirs et désirs, et de toutes les créatures célestes, terrestres ou spirituelles, qui la pourraient exercer, tenter, contrister ou humilier en quelque façon que se soit : car elle voit ici d’une vue aquilin96, dans le cœur de Dieu, que le tout n’est que pour la crucifier et unir à lui.

C’est ce que nous devons reconnaître, pour nous élever à cette déiformité, que toutes les créatures n’ont aucun pouvoir sur nous que de Dieu seul : il est le seul Tout-puissant. Et nous devons aussi croire que toutes ces souffrances ne peuvent sortir que du grand cœur amoureux de sa divine volonté, bonne, agréable et parfaite, qui désire notre sanctification. Et tous ces accidents ne sont que des effets de sa bonté et des dépendances de sa divine opération, comme les rayons le sont du Soleil, pour le bien et la consolation des créatures : tout ce que Dieu permet nous arriver, n’est que pour nous perfectionner et consoler, si la faiblesse de notre vue ne nous empêche de pénétrer jusque dans son cœur pour reconnaître cette vérité très assurée.

Et je vous prie de bien considérer ce qui suit, quoique difficile à comprendre à un pauvre petit esprit : il ne laisse toutefois d’être très véritable, à savoir que même l’opération des démons, soit pour nous tenter, affliger ou faire peur, n’est qu’une dépendance de l’opération de Dieu. Car ils n’ont nul pouvoir sur nous, et même nous n’en pouvons être aucunement travaillés que par la seule permission de Dieu, qui est le seul Tout-puissant, et personne ne lui peut résister.

Et nous devons reconnaître, pour notre consolation et encouragement dans les souffrances, que tout ce que notre Seigneur permet à ces esprit malins, ces esclaves, n’est que pour sa plus grande gloire et pour notre plus grand bien et profit spirituel, tout autant comme si à dessins [à dessein] ils travaillaient pour l’augmentation de l’un de l’autre. Dieu renverse ainsi, par sa divine sapience, toutes leurs maudites inventions contre eux-mêmes, et les dessins [desseins] qu’ils ont de nous empêcher, ne servent qu’à nous avancer, si nous n’y apportons du retardement par nos lâchetés et infidélités à employer la grâce.

Dieu qui est une bonté infinie, nous aime aussi infiniment comme ses créatures, et de plus, comme ses chers enfants, mais intimement comme ses bien-aimées épouses : cette bonté, et fontaine de bonté même, ne peut opérer que le bien dans le mal qu’il permet nous arriver, comme le démon, étant une abîme de tout mal, ne peut opérer que tout mal, dans l’apparence du bien, pour ce qu’il est une créature sans amour. Et Dieu qui est tout amour, ne donnera nul pouvoir à ces ennemis rebelles à sa divine Majesté de nous tenter ou affliger, ni de nous toucher tant soit peu, que pour notre plus grand bien, qui est d’anéantir notre être malin, lequel continuellement s’oppose par ces actes à l’exaltation de la plus grande gloire de Dieu en nous, et quasi à tout moment s’efforce d’empêcher en nous sa sainte opération, qu’il désire avoir en nous sur toutes choses pour nous rendre par icelles toutes selon son cœur, afin qu’il soit glorifié en tout et que son nom soit sanctifié en nous, comme il sera par sa grâce, si nous voulons, en dépit de la haine invétérée des démons.

Ce divin objet de la gloire de Dieu nous doit aussi faire perdre de vue toutes les créatures, ne reconnaissant plus que Dieu seul, qui opère et agit en elles, et par elles, sur nous, en nous et de nous, pour sa plus grande gloire et pour nous élever à une très haute perfection : Dieu se veut servir de tels moyens, soit par les afflictions, contradictions, humiliations ou mortifications, qu’il permet miséricordieusement nous arriver de leur part, sans aucun péché, ni mauvaise volonté ni intention de nous faire tort, ou de nous apporter de l’empêchement. Voilà ce que nous devons croire très assurément, pour demeurer en paix.

Mais que Dieu le permet ainsi pour nous réveiller l’esprit à la pratique des vertus, pour nous récolliger et porter à l’introversion et union, ou afin de rallumer le feu de la charité en notre cœur si glacé, et surtout pour nous façonner et exercer en toutes les sortes de mortifications, chemin assuré de la grande perfection, afin que la divine Majesté en soit d’autant plus glorifiée et honorée de nous et en nous, que nous serons riches en toutes sortes de vertus, lesquelles se forment en nous, par telles rencontres de souffrances ou d’humiliations, si nous nous y rendons attentifs avec vigilance intérieure.

Et je vous prie de croire avec moi que si nous avons un peu d’humilité et une petite gouttelette de douceur, nous ne pourrons jamais penser que Dieu veuille ni que aucune créature puisse nous faire aucun tort ou injure, ni même qu’elle ait la pensée de nous apporter aucun dommage ni incommodité ; mais tout au contraire, ne voyant plus que Dieu opérant par icelles, nous élèverons notre esprit à sa divine Majesté pour l’en remercier. Et nous estimerons avoir une très grande obligation à ces créatures, d’autant qu’elles sont en cela comme nos servantes en Jésus-Christ et pour nous préparer et orner, afin de nous rendre dignes épouses de Jésus-Christ, toutes dédiées et consacrées par les mains de ceux qui nous affligent, pour la plus grande gloire de Dieu. Une goutte de douceur serait suffisante pour adoucir toute l’amertume de l’Enfer : quel pouvoir n’aura[t-]elle donc [pas] sur notre cœur pour l’adoucir ?

De plus, ce divin objet de la gloire de Dieu sera suffisant pour nous faire perdre la vue de l’opération de notre maligne nature, et de l’anéantir et absorber du tout, soit les rébellions et impatiences en nous-mêmes, que Dieu permet justement, encore qu’il n’en soit la cause, pour nous humilier, anéantir et désappuyer de nous-mêmes, afin de nous donner une sainte défiance de nos propre forces et une claire connaissance de notre faiblesse, et par cette humble confession de notre misère et connaissance d’expérience de notre néant, nous donnions toute la gloire à Dieu et à ses très grande miséricordes de ce que nous ne sommes pas déjà consommés dans les flammes vengeresses de la divine Justice et privés pour jamais de son divin amour, car voyant et ressentant en nous-mêmes les continuels dérèglements de notre cœur, si épandu et divisé, touchant au doit [doigt] et de si près la malignité de nos inclinations en tout, le plus souvent si contraire à la volonté de Dieu.

Cette véritable connaissance ne nous doit-elle pas porter, en tout et partout, à donner la gloire à Dieu seul et à lui rendre grâce par une humble soumission et entière démission à ce qu’il perfectionne lui-même l’œuvre qu’il a commencée en nous par les moyens que lui seul sait et connaît nous être les plus propres, pour sa plus grande gloire, laquelle est toujours unie avec notre salut : car ce qui est pour sa plus grande gloire, est aussi pour notre plus grand salut, et ce qui est pour notre plus grand salut, va toujours à la plus grande gloire de Dieu.

Article troisième du troisième degré, pour unir l’âme à Dieu, en esprit et vérité, par notre fidèle opération.

La pratique sera le troisième article, qui est une transformation, qui veut dire une opération de Dieu dans l’intime de notre esprit, où Dieu, absorbant toutes les opérations des créatures, les perfectionnant aussitôt, les faisant heureusement changer de formes et manières d’opérer, non plus par rencontre, comme l’on a fait par la conformité, ni en la manière, comme l’on a fait dans la pratique de l’uniformité, mais ici déiformité veut dire unité, qui comprend tout les deux, pour ce qu’elle n’a plus en sa pratique d’objet ni de manière : elle n’a plus que Dieu, qui la meut et qui l’agite, qui la tient et possède, elle n’a plus rien du tout d’elle-même, ni propriété, ni recherche, ni élection, ni vue et discernement des créatures, ni de toutes leurs opérations, tant en général comme en particulier ; tout est transformé en celle de Dieu seul tout-puissant, seul tout-aimant et tout-opérant vers les créatures qui se laissent posséder à son divin amour.

Nous devons croire que c’est lui-même qui opère le tout par sa grâce, qui veut et ne veut, qui fait et défait, qui humilie et qui élève, qui mortifie et qui vivifie toutes nos actions, pour sa plus grande gloire et pour notre salut.

Laissons-le faire, de toutes les créatures, tout ce qui lui plaira, et de nous sur nous et en nous, selon les délices de son cœur. Ne nous rendons pas si attentifs et curieux à regarder ce qui se passe alentour de nous, encore que nous le ressentions quelquefois très bien : divertissons notre esprit et nos pensées de ces objets des créatures et de tous les accidents qui nous pourront arriver, pour les retourner devers Dieu, afin d’appliquer toute notre attention en sa bonté, douceur et amour, et non en ses effets ou sur les créatures, beaucoup moins en tous les événements qui nous pourraient arriver. Ayons seulement notre regard en Dieu seul, sans nous en divertir pour peu que ce soit : demeurons dans l’unité d’esprit, avec des élans amoureux, selon la nécessité.

Ce qui nous aidera à passer à cette transformation, sera de croire assurément que cette bonté infinie pense de nous, pense à nous et pense en nous, qu’il a soin de nous et de nos affaires : ayons donc des pensées de lui, pour lui et en lui, pensées de paix, de douceur et de joie de sa gloire, et non plus aux accidents, rencontres ou événements, qui nous pourraient arriver.

C’est assez, et il nous doit suffire que le tout est selon les sacrés décrets et divines ordonnances du Tout-puissant, et pour sa plus grande gloire, et à notre profit, si nous voulons en tels accidents nous humilier, soumettre et nous anéantir de tout notre cœur, nous convertir et unir à Dieu, dans l’accomplissement de son divin plaisir, en cette permission du mal des souffrances, des tentations ou tribulations, laissant agir Dieu en nous, ne faisant quasi plus rien de nous-mêmes, comme si nous étions dans l’impuissance : nous devons voir Dieu en toutes choses, ou plutôt toutes choses en Dieu, qui leur donne sa forme pour opérer, comme lui, dans la paix, dans la douceur et joie de cœur. Ô heureuses telles âmes, qui sont ainsi transformées par l’opération de Dieu en Dieu seul !

Cette fidèle pratique nous rendra toujours déiformes, c'est-à-dire qu’elle transformera nos actions humaines en divines, et qu’elle formera tellement Dieu en nous, dans tous les accidents qui nous pourrons arriver, que l’on [ne] verra plus que Dieu en nous, par la modestie en nos sens, par la mortification en notre cœur, par la recollection en notre esprit et par l’attention, si bien que l’on ne reconnaîtra plus que Dieu en nous, par la grâce de son opération, et nous-mêmes nous ne verrons plus que Dieu en toutes choses.

Comme celui qui a fixement regardé le Soleil, ne voit plus que le même Soleil en tous les autres objets, l’âme fidèle fait ici le semblable : car elle ne voit plus que Dieu seul, en toutes choses, elle ne ressent plus que Dieu, qui veut et désire tout en elle pour elle-même, et lors elle demeure en une simple attention d’attente pacifique et disposition pour recevoir généralement tout ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner d’elle, soit par lui-même, soit par les autres créatures.

Chères âmes, lorsque nous serons en cet heureux état de transformation, nous bénirons Dieu, et nous le remercions d’une très haute manière car reconnaissant par là qu’il est digne de louanges infinies et que lui seul se peut louer dignement par son opération en nous. Ce sentiment véritable nous doit faire perdre et anéantir tout nous-mêmes, désirant que Dieu seul se loue et s’aime soi-même en nous-mêmes, et qu’il prenne son plaisir en nous, qu’il se glorifie en toutes nos actions et souffrances, et ce par un sacré silence, humble soumission, tacite consentement, et doux acquiescement à toutes les divines volontés et en tout ce qui nous pourra arriver, prenant de là sujet de nous convertir doucement et de nous unir à Dieu plus fortement par le moyen de telles souffrances, porter [portées] amoureusement, comme dit saint Paul à ceux qui aiment Dieu en cette haute manière : tous ces accidents les portent au bien de l’union, pour les transformer en Dieu, afin qu’il règne en leur cœur, commande en leur volonté et que leur âme soit un petit Paradis de délices, pour la gloire de la divine Majesté, et un lieu de repos pour la très sainte Trinité, dans un doux et très intime silence d’œuvres, de paroles et de pensées.

Article quatrième du troisième degré, pour faire reposer l’âme en Dieu, qui est sa divine opération.

Le profit sera une joie cordiale et allégresse d’esprit de se voir tout à Dieu, qui donnera à l’âme une dilatation de cœur en la vue du Royaume de Dieu, lequel en ce temps se fait en nous par la grâce du Saint-Esprit, qui porte l’âme dans une véritable transformation de joie et exultation de la justification de son extérieur, par l’exercice des mortifications et pratiques des saintes vertus, Dieu opérant ainsi toutes ses œuvres en elle-même, lorsque l’on ne lui fait plus de résistance.

Joie et exultation, qui est une saillie hors de nous-mêmes en Dieu, de la sanctification de notre intérieur, par une paix et silence très intime dans les souffrances mêmes, lorsque nous les portons en l’union de celles de Jésus-Christ crucifié.

Joie et exultation de la transformation, d’avoir rencontré une si grande facilité de se convertir et introvertir en Dieu, et d’y convertir toutes choses.

Joie et exultation, de ce que l’on a trouvé où Dieu fait sa demeure : au fond de l’âme récolligée en cette seule, unique et dernière pensée, simple souvenir et amoureux regard, qui de plus en plus va toujours simplifiant l’esprit, en vidant d’icelui toutes les créatures, tant qu’il l’ait uni à Dieu, le réduisant comme en un seul point, auquel il se tient toujours retourné vers Dieu, avec une grande faim et soif de Dieu, qui l’entretiennent dans un doux souvenir de Dieu.

Voilà ce qui donne une joie à l’âme, et ce qui remplit tellement la capacité de ses puissances d’une allégresse spirituelle de se voir toute à Dieu, toute pour Dieu et toute en Dieu, que son pauvre cœur en est si élargi que son mouvement demeure toujours en Dieu, uni et absorbé non en sa propre joie, mais en celle de Dieu : c’est là ce qui l’entretient si doucement, si paisiblement et suavement, et quasi continuellement, qu’il lui semble qu’elle soit en Paradis avec les Anges de paix, tant celle qu’elle possède est grande, comme aussi la joie et le repos sont quelquefois si excessifs qu’elle ressent au fond de son cœur avec Dieu, où elle est et fait sa demeure ordinaire, quel est le bonheur et la félicité d’une âme fidèle à Dieu par l’exacte observance de ces pratiques. Et par là on peut voir que celles qui ont tant de peines, tant de tribulations, souffrances, afflictions qu’elles remplissent tout le monde de leurs difficultés sans jamais se vider d’eux-mêmes, elles n’ont nul sujet de se plaindre ni de tant multiplier et redoubler leurs plaintes injustes, sinon que contre elles-mêmes, qui ne veulent avoir un peu de patience en l’école de Jésus-Christ.

Croyez-moi, et n’en doutez nullement, que l’âme qui sera fidèle en la pratique de ces degrés et des actes que nous venons de dire, elle en remportera un très grand fruit et verra un véritable changement et des effets quasi incroyables. Elle aura peut être un peu d’appréhension au commencement, mais après qu’elle les aura compris, elle les fera tous ensemble, et tout en un moment, sans aucune peine.

conclusion omise !

Conclusion de cette manière d’union, pour porter l’âme dans l’unité.

Et pour conclusion de cette si heureuse pratique de ces trois degrés d’union, je désire les rendre dans l’unité, afin que nous les retenions tout en un petit abrégé d’unité, et que pour l’amour de Dieu, nous soyons fidèles à la pratique de cette unité, à savoir que toutes les fois que nous nous retrouverons tant soit peu distraites, inquiètes, troublées ou de cœur faillies, et partant hors de cette glorieuse demeure des vrais enfants de Dieu, de l’unité d’esprit, le remède à ce mal sera de nous y remettre le plus promptement et le plus doucement, et le plus amoureusement qu’il nous sera possible, nous laissant conduire au Saint-Esprit, pour vivre selon la perfection évangélique, qui consiste en cette unité, ou un, si nécessaire de notre Seigneur, acquis par la grâce de l’abnégation et résignation, fortifiée par la conformité, uniformité et déiformité. Cet acte, ou plutôt douce remise d’esprit en Dieu, se fait par un simple ressouvenir, unique pensée, ou d’un regard amoureux jeté en Dieu, plutôt cru que ressenti, mais toutefois plein d’une grande confiance, que vous devez déjà avoir acquise par la familiarité de l’union avec Dieu, ce qui fait demeurer l’âme dans l’unité.

C’est pourquoi ce doux souvenir, simple pensée, ou amoureux regard, doit être fait sans aucune force à produire des actes ni de l’entendement ni de la volonté : car il n’est pas alors nécessaire que l’entendement est plein de lumières et la volonté pleine d’ardeurs. Que cette douce remise d’esprit est si facile qu’elle se fait en un clin d’œil par cette simple souvenance, elle n’a besoin que de ces deux fondements, abnégation et résignation, qui lui servent de soutien.

Et de plus, étant faite dans l’abandon, elle est si accomplie qu’elle contient en sa pratique une sainte indifférence et anéantissement de tout, pour mettre l’âme dans l’unité, qui peut être appelée vie de l’union, pour ce qu’elle conserve l’âme dans l’union sans différence de temps ni de lieu, sur le sein paternel de la divine Providence, si amoureusement qu’elle donne le pouvoir à l’âme en ce temps de le faire et en la plus excellente manière : tout ce qu’elle saurait désirer pour plaire à Dieu, soit pour la pureté d’intention en ses actions, soit pour la parfaite attention à l’office divin, soit pour les trois sortes de préférence de Dieu conformes aux trois manières de l’union, en toutes choses par la conformité en nous-mêmes, par l’uniformité et par la déiformité, soit pour le silence intime, soit pour le regard amoureux, et pour toutes les autres sublimités et unions sans différence, si vous la pouvez continuer, elle seule vous sera tout et vous tiendra dans l’unité du tout, votre esprit toujours uni à Dieu, et vous rendra partout agréable à la divine Majesté.

La raison est d’autant que par cette douce remise, vous vous offrez à Dieu pour être un instrument libre entre les mains de son amoureuse Providence, pour être gouvernées selon les sacrés décrets de ses divines ordonnances, afin qu’il se puisse servir à son plaisir, pour faire de vous, sur vous et en vous, selon son cœur, pour opérer admirablement votre salut à sa plus grande gloire, et pour vous élever par des voies secrètes à une très haute perfection d’unité dans l’union. Tous les accidents par rencontre qui nous peuvent arriver, pour pénibles, humiliants et fâcheux qu’ils puissent être, ne sont en être et n’ont été ordonnés de Dieu, de toute éternité, que pour faire toutes ses volontés grandes et petites. Croyez assurément que ce sont des secrètes voies et des sentiers bien abrégés du grand chemin pour aller à Dieu, encore qu’ils soient inconnus à nous et aux autres : c’est assez que Dieu les connaisse et veut que l’âme demeure ferme sur l’amour de sa divine bonté et qu’elle s’abandonne à sa divine Providence avec confiance : c’est ce qui la fera aussitôt rentrer en Dieu, par une douce remise de son esprit avec Jésus-Christ.

Chères âmes, où pourrez-vous trouver plus de repos que dans cette unité, où pourrez-vous rencontrer plus d’honneur que d’être portées sur les bras de cette amoureuse Providence ? Voilà quelle est l’heureuse fin de la conformité, voilà quelles sont les délices de l’uniformité, et voilà quelle est la vraie joie de la déiformité, qui est de porter l’âme dans l’unité, qui est une entière et parfaite possession que cette divine bonté prend de notre volonté et de toutes les puissances, pour la rendre par la transformation de toute sa malignité en bonté, afin de la rendre un même esprit avec lui, pour la faire toujours vivre en lui doucement et paisiblement : n’ayant plus de volonté propre, de choix ni d’élection, elle ne peut plus être tant divisée qu’elle avait accoutumé pour ce que Dieu règne en son cœur, y a établi son trône, pour y commander à l’âme de se retirer, de se recueillir et de s’introvertir par cette douce remise qu’elle fait, par un simple regard amoureux sur le cœur de Jésus.

Que toute la pratique de ces trois degrés d’union consiste et s’entretient par un regard amoureux, simple pensée, ou par un doux souvenir.

Chapitre dernier de la seconde partie.

Chères âmes, cet exercice des trois Clous se peut appeler l’exercice des bienheureux, d’autant qu’il nous fait pratiquer en terre ce que les Saints font dans le Ciel, autant pour le moins qu’il est possible, à savoir de toujours regarder Dieu, avoir la pensée arrêtée en lui seul, jouir de lui par un doux souvenir, afin de nous rendre ? dès ce monde, paisibles, tranquilles, contents et joyeux, voire et en quelque manière bienheureux, par une actuelle présence de Dieu extérieure, intérieure et essentielle, par ces trois degrés d’union qui nous donnent ces trois sortes de présence de Dieu, comme aux saints qui voient Dieu au-dehors d’eux partout : c’est le regard de la conformité, ou dedans eux : c’est la simple pensée de l’uniformité, ou essentiellement en Dieu même : c’est le doux souvenir de la déiformité, que nous devons conserver.

Je vous prie de remarquer que, comme la vision béatifique est un remède général à tout mal et un moyen effectif de toutes sortes de perfections dans ces esprits glorieux, ainsi ce regard, pensée ou doux souvenir de Dieu en nous, et de nous en Dieu, qui sont les deux sortes d’opérations, la nôtre et celle de Dieu comprise en ce regard amoureux, sera un remède efficace à toutes sortes se maux et de désordres ; et de plus, ce nous sera un moyen très puissant pour acquérir la perfection religieuse, s’il est continué du commencement jusqu’à la fin, selon les pratiques que nous donnons ici.

Et c’est la raison pour laquelle nous avons donné ce simple regard du cœur de Jésus-Christ crucifié, dès le commencement du traité, et tous les autres degrés pratiques et articles ne sont donnés que pour purifier notre entendement de toutes les multiplicités, afin de nous faire toujours regarder Dieu tout simplement, penser ou nous souvenir de lui seul, pour nous unir à lui amoureusement de cœur et d’esprit en tout lieu.

C’est pourquoi dès le commencement, la première chose que nous avons donnée à l’âme religieuse pour la rendre bienheureuse, a été de se retourner vers le cœur de Jésus-Christ crucifié, et de le contempler souvent par un regard amoureux, tout son corps fait cœur pour elle : les deux pieds en pointes et les deux bras étendus en Croix sont la forme d’un cœur, que son côté ouvert lui montre à découvert. C’est pourquoi l’Epouse l’appelle son cœur, et dit qu’il veille pour elle : par le grand amour qu’il lui porte, il a un extrême désir qu’elle le regarde, puisqu’il lui en donne la capacité, et que par là il la veut attirer à lui pour la rendre bienheureuse dès ce monde, si elle le veut regarder amoureusement, penser à lui simplement ou se souvenir de lui doucement.

Notre regard fait avec la grâce ordinaire du Saint-Esprit est notre opération, mais celui de Dieu, fait sur nous par une grâce extraordinaire, est son opération toute divine et céleste. Je vous prie de ne pas oublier que nous ne devons jamais céder de penser de nous souvenir ou de regarder Dieu ou Jésus-Christ crucifié ; c'est-à-dire opérer, méditer ou suivre l’ordre du divin amour, selon la pratique, jusqu’à ce que Dieu nous ait regardé, et par là qu’il nous ait donné un sentiment de son amour suffisant pour nous entretenir.

C’est pour ce sujet que l’on nous donne un exercice ; voilà à quoi nous doivent servir ses pratiques qui ont précédé, et mêmes celles qui suivent toutes, ne sont que pour donner de l’occupation, afin de toujours purifier notre regard de tous les milieux et obstacles qui nous cachent la face de Dieu ou troublent notre simple pensée, et éteignent le doux souvenir de sa chère présence, au haut de notre esprit ; ces exercices nous sont donnés pour, de degré en degré, nous y élever et pour accoiser97 notre cœur dans toutes les peines qui nous pourraient inquiéter par la mortification de nos passions, - qui souvent s’élèvent pour obscurcir notre foi,- par le moyen de laquelle nous regardons Dieu purement pour ce que nous l’aimons simplement ; et le regard force notre cœur de l’aimer toujours plus ardemment, et notre coeur porte nos yeux à le regarder plus attentivement.

Nous devons demeurer fidèles dans le petit travail de notre opération et ne sortir jamais dehors l’ordre du divin amour, tant qu’il plaise à Dieu nous donner l’assurance qu’il nous regarde et que nous puissions dire avec l’Epouse : « Son regard est tourné devers moi » ; c’est pourquoi elle dit : « Il est tout à moi, et moi je suis toute à lui98 » par son opération. Alors il suffit, d’autant que, par ce simple regard, il dissipera de notre cœur, de notre imagination, de notre âme, et de notre mémoire et entendement, tout le mal que nous apportent les multiplicités, pour nous mettre dans l’unité et simplicité, afin de nous unir à lui par la douceur de la paix qu’il nous donne.

Mais lorsqu’il ne plait pas à sa divine Majesté de nous faire voler en ce doux repos de sincère affection vers lui, de vue amoureuse ou d’attention simple, nous devons nous servir de nos fidèles pratiques, afin de faire revivre notre volonté par ce petit travail, allant le petit pas et de degré en degré, jusqu’à la montagne de notre esprit, pour voir Dieu en icelui. Faisons une bonne provision de la présence de Dieu par les trois premiers articles de chaque degré, pour remplir notre esprit de lumière expérimentale, pour nous aider à produire les actes de conformité, d’uniformité et deiformité avec plus de foi et d’amour envers la divine Providence du Tout-puissant, adorant tous les décrets très sacrés de ses divines ordonnances, sans la permission duquel l’âme reconnaît ici en vérité que rien du tout ne lui peut arriver que pour accomplir les plaisirs de sa sainte volonté, laquelle doit être faite en nous comme elle l’est au Ciel des esprits bienheureux.

Et voilà le moyen de nous maintenir toujours en la présence de Dieu, par ce simple regard, qui n’est pas oisif ni inutile car il opère une paix par-dessus tous les sens, connaissant, par le premier degré, qu’il ne nous peut rien arriver sans la volonté du Tout-puissant : voilà ce qui nous porte dans un paisible acquiescement de corps et d’esprit.

Et le second nous le fait reconnaître tout aimant, c'est-à-dire qu’il ne permet que rien nous arrive que pour notre plus grand bien, si nous avons un désir de le servir et aimer de tout notre cœur, afin qu’il prenne ses plaisirs en nous : c’est là ce qui nous donne une présence intérieure, entretenue par cette simple pensée, qui nous porte dans l’union indivisible, afin de nous remplir des douceurs de Dieu, de ses plaisirs et de ses délices.

Le troisième degré d’union nous fait reconnaître qu’il n’y a que Dieu seul qui opère notre salut et sa plus grande gloire, et que nous devons être des instruments libres entre ses mains, par notre franc arbitre, pour coopérer à sa gloire et à notre salut par une transformation universelle de toutes nos opérations bonnes et saintes, et de celles de toutes les créatures, en celle de Dieu seul, qui le permet ainsi pour sa plus grande gloire et pour notre plus grand salut. Et voilà ce qui nous sera toujours demeurer unies avec lui par un doux souvenir qui procède du regard amoureux ; c’est ce qui nous rendra en quelque manière bienheureux, dans l’unité d’esprit avec Jésus-Christ, par une présence essentielle de Dieu, en Dieu même : quelle plus grand joie, quasi semblable à celle des bienheureux ?

Vous pouvez reconnaître par là, chères âmes, comme la pratique de ces trois degrés, que nous avons donnés pour nous unir à Dieu, sont de vrais moyens pour chasser de nos esprits une infinité de multiplicités, une grande diversité d’objets, des accidents et des créatures, qui ne sont que des milieux et des obstacles, qui nous empêchent de regarder Dieu, de penser à lui et de nous souvenir de lui, afin de ne le servir et aimer, et par ce moyen de nous rendre malheureux. Nous devons travailler fidèlement, par ces petites pratiques, pour les exterminer et chasser de nous, et nous devons efforcer doucement de les anéantir promptement, de crainte que, si elles demeurent un peu de temps, elles n’éteignent l’esprit de la sainte oraison et de la continuelle ferveur de dévotion, laquelle tient toujours notre regard élevé à Dieu par simple attention, et notre esprit uni avec lui par dévotion, afin qu’il nous remplisse de ces grâces en terre, pour nous rendre bienheureux, comme il fait les saints de sa gloire, qui sont dans les Cieux.

Ceci se fera par la continuation de l’exercice de la troisième partie, par un entier abandon au Tout-puissant, dans une sainte indifférence à son gouvernement, pour être portées de moment en moment, dans un parfait anéantissement de toute notre âme et de ses puissances, pour n’être plus agitées que de Dieu seul, par l’aide de sa divine opération. Nous ne devons plus voir ici que Dieu purement et simplement dans la région du divin amour où nous sommes montées par l’ordre du divin amour, au-dessus des vues et des objets des créatures. Cette élévation nous conservera des craintes nocturnes, nous fera marcher en assurance dans les obscurités de la foi, pour toujours vivre dans le cœur de Dieu paisiblement et doucement, en grande joie et allégresse d’esprit, toujours unies à Jésus-Christ, par unité d’esprit, d’amour et de volonté, accompagnées d’un très ardent désir de mourir par un vrai anéantissement. Cet amour, s’il est véritable, nous conservera, anéantissant promptement tout ce qui nous voudrait désunir d’avec Jésus-Christ, pour peu que ce soit : si nous sommes fidèles à la pratique de la troisième partie, il ne paraîtra non plus que s’il n’était point du tout dans l’être, il sera du tout anéanti, devant quasi qu’il soit produit.

Ces trois degrés d’union sont appuyés et compris des articles de notre Credo.

Chères âmes, nous donnerons ce dernier chapitre pour vous faire connaître que ces trois degrés d’union sont très bien appuyés, puis qu’ils ont pour fondement les plus sacrés mystères de notre sainte foi, contenus et compris au Credo ; et comme le Pater Noster est l’abrégé de tout ce que nous devons demander et espérer de Dieu, le Credo l’est aussi de tout ce que nous devons croire pour être sauvés. Ces trois degrés sont aussi un abrégé de tout ce que nous devons croire, faire, demander et espérer pour être parfaitement unies à Dieu dans la jouissance de sa divine présence. long saut ! Et comme le Credo est divisé en trois parties et qu’il est composé de douze articles, cette union aussi est divisée en trois degrés et contient douze articles : et comme cette multiplicité a été disposée et ordonnée pour nous donner la connaissance de Dieu et de la très sainte Trinité, et99 de tous les articles, nous reportent à l’unité pour nous y reposer.

Ces degrés et ces articles, encore que multipliés, sont tellement disposés et si bien ordonnés qu’ils nous portent tous à l’unité, c'est-à-dire qu’ils ne nous élèvent pas seulement à la connaissance de Dieu, mais aussi à son amour, lequel nous unit avec lui et porte dans la jouissance de la divine opération, autant qu’il est possible en terre ; et comme la multiplicité vient de l’unité, aussi nous doit-elle reporter à l’unité ; et voilà ce que nous voyons admirablement bien ordonné au Credo et en ces articles de l’union, là où nous devons considérer qu’il y a trinité et unité en chaque degré.

Et comme la foi nous oblige à la croyance d’un seul Dieu, aussi cet exercice nous représente une seule union ; mais comme la foi nous le représente en trois Personnes, cet exercice aussi nous représente cette union par trois degrés, encore qu’elle ne soit qu’une même union en chaque degré, voire même et en chaque article, ils sont tous nécessaires, et il n’y en a pas un de trop. Comme au Credo, pour nous porter à la connaissance de Dieu trine et un, tout y est nécessaire ; je dis le même de tous ces degrés et articles, pour nous porter à la connaissance et union amoureuse de Dieu en terre.

En chaque degré, il y a trinité et unité, voire et en chaque article. Chaque degré est composé de quatre articles : les trois premiers sont comme une trinité, qui procède de ce degré d’union, mais c’est pour dissiper les multiplicités et pour nous porter à l’union d’esprit avec Jésus-Christ, et pour nous y faire reposer comme en notre centre et dernière fin. Mais cela ne se pourra faire que par la pratique de la multiplicité de ces articles, qui réduisent le tout à l’unité.

Car si vous y prenez garde de près, vous reconnaîtrez que cette diversité n’est ordonnée que pour nous faire voir clairement la multitude des empêchements que nous apportons à l’union, qui sont quelques fois si multipliés que nous en sommes tout aveuglés : comme les articles du Credo sont ordonnés pour dissiper les erreurs que les hommes pourraient multiplier contre la vérité de notre foi, de même ces douze articles nous sont donnés pour dissiper les erreurs que nos sens et passions pourraient multiplier contre la raiso pour dissiper l’union de l’unité.

C’est pourquoi nous disons que les trois premiers articles de chaque degré sont de notre opération, et ce que nous devons faire pour nous unir, c'est-à-dire qu’ils nous sont donnés pour nous employer à fortifier notre raison, à ce qu’elle ne tombe [pas] dans la désunion, comme le chrétien se doit servir des articles du Credo lorsque sa foi est combattue des sens et passions, crainte de tomber dans l’hérésie par les fausses persuasions des sens et passions déréglées.

Ainsi l’âme religieuse se sert de ses articles pour s’unir à Dieu, elle raisonne en elle-même lorsqu’elle est combattue des multiplicités de l’orgueil, de l’impatience, de la désobéissance, de la vaine gloire et un million d’autres multiplicités, qui combattent pour empêcher l’union de notre esprit, avec Jésus-Christ, dans l’unité, comme disant : « Mais quoi ! Dieu n’est-il pas tout-puissant ? Me peut-il rien arriver contre l’ordonnance de sa divine Providence ? Tout ce qu’il permet, n’est-ce pas pour mon plus grand bien ? Pourquoi tant de résistance ? Je veux acquiescer à toutes ses volontés. » Ainsi elle surmonte en combattant ses sens et en résistant puissamment à son adversaire, qui ne cesse de tourner pour la désunir de Dieu et la porter au mal, qui est la division.

Voilà pourquoi ces trois articles nous sont présentés pour nous faire connaître que nous devons acquiescer à un adversaire, qui est la volonté de Dieu, dont parle notre Seigneur, disant : « Pendant que tu es dans le chemin de l’éternité, acquiesce à ton adversaire, de crainte qu’il ne te livre au juge, et le juge à l’officier de la justice, qui te mettra en prison, d’où tu ne sortiras que tu n’aies payé jusqu’au dernier denier ».

Telle est la punition des incrédules, tel est le Purgatoire des âmes infidèles, pour être purifiés par les souffrances devant que d’entrer dans la divine jouissance de la sainte opération de Dieu, comme il est juste et raisonnable. Donc patience, comme les âmes qui sont en Purgatoire, autrement la peine augmentera, et [ain]si la jouissance sera différée, tant que l’âme soit purifiée.

C’est pourquoi l’on a ici souvent nécessité de se servir de ces trois articles pour s’arraisonner, disant : « Dieu est le Tout-puissant, le tout aimant et le tout opérant par les conseils de sa divine Sapience, pour le bien de ceux qui se laissent gouverner à lui ».

Le dernier article de chaque degré est l’opération de Dieu, qu’il fait en nous, lorsque nous sommes fidèles à la pratique des trois premiers articles, tellement que cette trinité d’articles nous porte à l’unité, qui est la jouissance de Dieu, où l’âme est en paix et silence, par-dessus tous les sens : liée et unie, collée et liquéfiée, toute en Dieu seul, elle vit et opère selon la croyance, et Dieu en elle, selon sa grâce et son amour tout-puissant.

Le premier degré d’union de conformité de notre volonté au Tout-puissant est fondé sur le premier article, à savoir : Je crois en Dieu le Père tout-puissant. Donc, puisqu’il est tout-puissant, comme nous le croyons et confessons, nous devons aussi assurer que rien du tout ne nous pourra arriver sans la permission de sa divine Providence, laquelle dispose et ordonne de toutes choses, selon les sacrés décrets de sa sainte volonté, laquelle ne se peut tromper, comme nous le faisons souvent, lorsque nous ne lui voulons acquiescer, combattant contre sa volonté, qui est notre adversaire quand nous voulons malfaire.

Nous devons donc acquiescer en tout ce qui nous pourra arriver, appuyé sur cette ferme croyance, renonçant en tout et par tout à notre propre volonté, qui est ce maudit adversaire, qui nous veut toujours porter au mal, lui résistant par la force de notre foi, à l’aide de la pratique de ces trois premiers articles, par un doux et amoureux acquiescement pour accomplir fidèlement toutes les ordonnances de la divine Providence du Père céleste.

Et comme la bêtise des animaux les délivre quasi de tous les maux, et particulièrement de ceux qui nous affligent, tant comme l’orgueil, l’ennui, vaine gloire, crainte ou défiance, et un million d’autres, la foi en la divine Providence le fait aussi, mais un million de fois plus excellemment : elle nous met à l’abri de tous les maux et en la jouissance de tout bien, qui est Dieu même, qui nous donne une grande paix en l’âme et tranquillité au cœur.

Et sera lorsque notre vie correspondra à notre foi, et que nous vivrons selon notre croyance, et que cette foi nous fera renaître enfants de Dieu, pour ne faire plus rien contre la volonté de notre Père céleste, lequel nous est toujours présent en toutes choses et à tout moment pour nous illuminer, pour la fidèle pratique des trois premiers articles, qui nous élèveront à l’unité, qui est le quatrième où notre âme demeurera unie à Dieu seul, par le doux lien de la paix, au-dessus de tous les sens, selon l’opération que Dieu fait en nous, se donnant en jouissance.

Le second degré de l’uniformité a son stable fondement sur les articles de la seconde partie du Credo, à savoir : Je crois en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, et le reste des autres articles, tous lesquels nous représentent l’amour infini et tout-puissant du Père céleste, lequel ne permet rien du tout nous arriver que pour notre plus grand bien, si nous le voulons aimer en esprit et vérité.

Donc, chères âmes, si nous désirons réduire en pratique cette seconde partie du Credo et vivre selon notre croyance, nous devons pratiquer ce second degré, qui a pour son fondement l’amour du Tout-puissant, qui désire avoir son plaisir en nous, c'est-à-dire vivre en nous, ne plus respirer que par lui, que pour les plaisirs du divin amour, lequel nous collera avec lui si fortement qu’il vivra et aura pour jamais ses délices en nous, et nous avec lui, si nous sommes fidèles à la pratique des trois premiers articles de ce second degré d’uniformité ; nous aurons l’unité du quatrième article, qui est l’opération de Dieu, plaisante et agréable, où Dieu donne à l’âme une participation du plaisir dont il jouit dans l’éternité, qui n’est autre que lui-même, qui se donne en jouissance, et une occupation suffisante pour nous entretenir.

Le troisième degré d’union, appelé deiformité, est fondé sur les articles de la troisième partie du Credo : Je crois au Saint-Esprit, qui est le principe de toutes les opérations hors de la sainte Trinité, lesquelles sont toutes pour la plus grande gloire de Dieu et de notre salut, si nous voulons coopérer, le laissant opérer comme un Dieu tout-puissant, tout amoureux, et tout opérant, pour nous transformer tout en lui seul, si nous acquiesçons à toutes les ordonnances de sa divine Providence, les recevant toutes de son cœur amoureux, pour nous aider à nous humilier et perfectionner en toutes sortes de vertus.

Chères âmes, notre cœur doit être ici tout fondu, comme une cire molle devant le feu, pour l’écouler en Dieu seul par la fidèle pratique des trois premiers articles de ce troisième degré, lesquels nous donneront l’entrée au quatrième, qui sera la jouissance de la joie de Dieu, c'est-à-dire de Dieu même, lequel se donne à l’âme fidèle par sa sainte opération, qui est une occupation joyeuse de sa gloire, qui n’est autre que lui-même.

Voilà, chères âmes, comme se réduit le Credo en pratique, pour nous élever par la multiplicité des douze articles à la connaissance de ses trois degrés d’union, afin que par cette division, nous puissions reconnaître tous les empêchements de l’union et les moyens nécessaires pour nous unir en esprit et vérité.

Ces articles sont tellement disposés qu’ils nous élèvent à l’unité et nous attachent à Dieu par un doux lien de paix et de contentement et de joie cordiale, ce qui nous fera vivre comme tout absorbées en Dieu seul, par son opération toute divine : ainsi se pratique le grand Credo des âmes séraphiques, lesquelles vivent et opèrent d’une manière déiforme, c'est-à-dire que leur volonté est tellement absorbée en celle de Dieu qu’elle en est toute revêtue, animée et informée si parfaitement qu’elles ne sont quasi plus reconnaissables en leurs formes ordinaires, tant elles sont transformées en celle de Dieu, qui les conduit et gouverne selon les ordonnances de sa divine Providence, comme si elles étaient dans l’impuissance, et qu’elles n’eussent plus de liberté pour faire leur propre volonté, pour ce que Dieu les possède par amour, qui les fait passer jusqu’à cette divine opération, qui les transforme pour vivre, avec Jésus-Christ crucifié, d’une vie toute divine, telle qu’il nous l’a laissée en terre, laquelle nous devons étudier de suivre et d’imiter en tout, comme celui qui nous a été donné du Père céleste pour nous enseigner le chemin du Ciel, de crainte de nous égarer dans les précipices qui nous feraient tomber dans les éternels supplices, pour n’avoir pas appris de vivre selon notre Credo, en paix, silence et patience dans tout ce qui nous peut arriver, qui n’est ordonné de la divine Providence, sapience et bonté, du tout que pour sa gloire et notre salut, si nous voulons acquiescer.

Qu’il ne faut [pas] retenir ces trois degrés comme images, et qu’ils sont compris l’un dans l’autre.

Chères âmes, l’on vous donne avis sur la fin de cette seconde partie, que ces degrés et articles ne vous sont pas donnés pour multiplier vos pensées, puisque nous avons dit dès le commencement que si Dieu, par un simple regard, vous manifeste sa présence, ou par un doux souvenir, il vous donne la jouissance de sa divine opération, dès le premier article ; si cela suffit pour vous entretenir pacifiquement, il n’est pas nécessaire de vous forcer à retenir en votre esprit les images de ces degrés, ni de vous étudier de produire les articles l’un après l’autre, sinon lorsqu’il vous semble en avoir nécessité, qui sera lorsque la porte de l’union vous est fermée.

En ce temps de privation de la divine opération, que vous êtes accablées de tristesses, aridités et sècheresses, vous vous en devez servir, pour vous occuper et simplifier durant le temps de cette attente, frappant doucement à la porte par les actes ou articles, qui en sont les marteaux, lorsque vous ne la pouvez ouvrir par les degrés, qui en sont les clefs, qui nous en donnent l’entrée, pour goûter combien Dieu est doux.

Donc je vous supplie de remarquer que si dès le premier degré, simple regard, douce pensée ou amoureux ressouvenir, vous retrouvez par la grâce de Dieu votre esprit bien tranquille et récolligé, votre cœur paisible, votre âme contente dans une occupation pacifique, comme faisait notre bienheureux Mère sainte Colette, ou délicieuse et plaisante en Dieu seul, comme notre glorieuse Mère sainte Claire, ou bien joyeuse et d’allégresse spirituelle, comme notre séraphique Père saint François, suffisante pour vous tenir récolligées, introverties et ramassées tout en un, comme liées, unies et collées avec Dieu par une simple intelligence d’une douce attention, au-dessus de toutes les pensées, regards et ressouvenirs des créatures, et oubli de vous-mêmes, dans un très grand désir de servir et d’aimer Jésus-Christ, de tout votre cœur, et de toutes vos forces, en ce temps de bénédiction, cela vous doit suffire. Puisque vous êtes dans l’union de l’unité, sans vous mettre en peine en ce temps-là, de dresser votre intention, ni de vous efforcer de monter les degrés, ni d’examiner, si vous avez tous les articles ; car assurément vous les avez tous par la grâce de l’infusion de la sainte opération. Autrement si cela n’était, vous ne pourriez demeurer ainsi paisibles, joyeuses et contentes en ce doux silence, si vous n’étiez dans la jouissance et possession de la sainte opération de l’amour, qui vous fait adhérer à Dieu seul, par-dessus son acte car il est tout en Dieu, qui fait l’union de votre esprit avec Jésus-Christ par le seul souvenir qui est divin, donné de Dieu, qui est toujours joint à la grâce, qui s’offre à nous pour nous unir à Dieu sans tant de discours, degrés, actes ou articles.

C’est pourquoi, nous disons qu’il n’est pas toujours nécessaire de s’en servir : lorsque l’on a ce que l’on désire, on n’a plus que faire de le chercher ni de descendre aux premiers, pour garder l’ordre, lorsque l’on est élevé dans l’union de l’unité ; car celle qui possède la vraie joie spirituelle, marque assurée de l’union et possession de Dieu, elle a et possède aussi le plaisir, la paix, le repos et le contentement en Dieu seul, par-dessus tous les sens.

Ce qui donne en ce temps une occupation pacifique, c’est le grand sentiment que Dieu donne à l’âme de sa présence, de sa bonté et de son amour, tellement que tout ce précieux temps est employé à aimer, à se plaire en Dieu seul et à se réjouir de la gloire qu’il possède dans l’éternité, de laquelle il donne un peu à goûter à cette âme pour lui faire oublier tous les vains plaisirs du monde et mépriser toutes les folles récréations de la terre.

Et notez que voilà l’occupation de cette âme en sa tranquillité, et ce à quoi elle emploie très bien le temps en son silence des créatures pour parler à Dieu par les désirs et par la paix : c’est pourquoi elle n’est nullement oisive en la pratique de cet exercice, où Dieu même l’entretient et lui donne la connaissance de sa chère présence, et la jouissance de sa sainte opération, qui est un très grand don qui la fait entrer en la joie de Dieu même.

Oui, car prenez garde que cette paix, joie, plaisir en Dieu et contentement en lui n’est autre qui lui-même, qui par là nous donne assurance qu’il est avec nous, et que c’est lui-même qui opère ces merveilles en nous, par-dessus toute la nature.

C’est ici en vérité que l’âme est possédée de Dieu, qu’elle jouit de Dieu, qu’elle est toute à Dieu, et que Dieu est tout à elle. Voilà le temps qui la cache au secret de sa face, et qui la fait demeurer dans son cœur amoureux, par ce doux acquiescement à toutes ses divines ordonnances, lequel étant suivi d’une fidèle pratique, suffit pour la faire vivre en paix dans les souffrances, joyeuse et contente dans les humiliations et mépris, d’autant qu’en ce temps elle repose doucement sur les deux bras de son Epoux, qui sont puissance et amour, appuyée sur son cœur amoureux qui lui fait reconnaître par ses fréquents battements qu’elle n’a plus besoin de s’appuyer sur elle-même ni sur aucun de ses sentiments, et qu’elle ne doit [pas] être semblable à celles qui veulent tout voir, goûter et sentir.



La troisième partie [la vie de l’union] sera un moyen pour correspondre à la hauteur de l’amour, qui nous parait sur la Croix, par trois sortes d’exercices, pour l’entretien de la vie unitive, qui sont l’abandon, l’indifférence et le grand anéantissement.

Avant-propos.

Chères âmes, nous sommes arrivés au haut de la montagne, où nous allons voir les âmes religieuses, assistées de la grâce, par l’aide de ses divines pratiques de la foi de l’abnégation et de la résignation, avoir monté les trois degrés de l’union de la conformité, uniformité et déiformité, attachées à la Croix comme avec trois Clous, ou plutôt à Jésus-Christ, leur vrai Epoux, déterminées et résolues de faire là pour jamais leur demeure ordinaire, d’y vivre et d’y reposer, et de si bien rabattre les Clous par la fidèle pratique de ces trois exercices que jamais elles ne descendent de la Croix. Elles s’étudieront, sur toutes choses, pour le moins autant qu’il leur sera possible, de se rendre semblables à Jésus-Christ crucifié, les trois heures qu’il a été sur la Croix, mourant et vivant par ces trois sortes d’exercices, à savoir : l’abandon, l’indifférence et l’anéantissement en toutes sortes d’humiliations et mépris des peines et des souffrances, tant intérieures qu’extérieures, pour l’amour de Dieu et en l’union des souffrances de Jésus-Christ. Cette pratique rivera tellement les Clous qu’elles ne seront quasi plus séparées de l’union de leur Epoux, d’autant qu’elles ne le rechercheront plus que dans la Croix, où il est et ne peut être trouvé en ce monde en vérité que par icelle et dans icelle.

Notre Seigneur Jésus-Christ enseigne lui-même cette haute manière de vie à l’âme religieuse, après qu’elle a mortifié ses passions, réglé ses affections, chassé les multiplicités de son esprit, et dissipé tous les soins inutiles et superflus de la nature.

Alors Dieu, qui est une bonté infinie et qui se plait à nous faire des grâces sans nombre ni mesure, désireux de se communiquer à nous, nous a découvert, par le premier degré d’union, sa très chère présence en toutes choses, pour nous conformer, c'est-à-dire former notre volonté sur la sienne, pour la rendre bonne et droite ; par le second, en nous-mêmes intérieurement, pour l’amour de son plaisir ; et par le troisième, il nous l’a manifestée essentiellement en lui-même, et ce afin que nous ne soyons plus tant divisées en nous-mêmes, ni si souvent désunies et quelquefois si éloignées de sa chère présence, encore qu’il soit si proche de nous et au milieu de nous.

Il désire que maintenant nous vivions comme il a fait, les trois heures qu’il a été sur la Croix, afin que nous demeurions toujours unies avec lui en esprit d’amour et en vérité de vie, qui sera le moyen de demeurer toujours dans l’unité.

Il est assis en notre cœur comme un Roi dans son trône, pour dissiper d’un seul regard amoureux ou d’une simple parole dévotieuse, ou d’un seul touchement gracieux ou douloureux, tout le mal de notre pauvre esprit si nous le tournons vers lui : le regardant en la Croix, il nous élèvera dans la paisible jouissance de la sainte opération de son esprit, par-dessus la nature.

C’est alors que nous ne devons plus rien faire en faveur de la nature : il faut qu’elle meure. Et nous devons suivre Dieu seul en cette hauteur de vie, dans l’imitation de Jésus-Christ crucifié, lequel partout nous a montré l’exemple de cette vie si sublime dans la Croix, nous laissant conduire et gouverner au Saint-Esprit pour vivre selon la perfection évangélique, laquelle consiste à n’avoir plus de vouloir et non-vouloir, de choix ni d’élection : tous nos désirs doivent ici être absorbés en Dieu seul, et toutes nos aspirations et respirations ne doivent plus être que de Dieu, pour Dieu et en Dieu.

Ici notre conversion doit être ferme, notre recollection stable, notre introversion continuelle, notre paix très grande, et notre tranquillité très simple, pour ce que nous commençons à entrer dans la région déiforme, sur le haut de la montagne de l’esprit, au lieu du Calvaire, d’où elle ne doit plus rien respirer que l’air du Paradis, et aspirer et soupirer de vivre dans la pureté de l’esprit, en paix et silence, au-dessus de tous les troubles et inquiétudes de la nature, et là aimer Dieu sans moyen, c'est-à-dire qu’elle n’a plus d’autres inventions pour aimer que l’amour même : rien n’est plus propre à produire un feu qu’un autre feu. C’est ce qui la fait vivre de la vraie vie de l’union, conforme à celle de Jésus-Christ en la Croix, les trois heures qu’il y est demeuré dans un continuel abandon à tous les mépris, opprobres, injures et humiliations, dans une générale indifférence à toutes sortes de souffrances, et dans une totale séparation, mort et anéantissement de toutes choses, pour s’y unir à la volonté de son Père en ce genre de mort : voilà quelle doit être la vie de l’âme qui est dans l’union. [Ce] sont les fleurs de cet arbre victorieux de la sainte Croix que l’âme doit lier par un lien d’un amour indissoluble, et en faire un bouquet qu’elle porte toujours dans son cœur, pour se fortifier par l’odeur de l’Esprit à se tenir dans l’ardeur de son amour.

1. Le premier exercice, pour river les Clous des âmes qui sont dans la parfaite union, sera de vivre, à l’exemple de Jésus-Christ, dans un continuel abandon.

La véritable union se fait connaître par les effets, qui sont trois : abandon, indifférence et anéantissement, pratiqués de Jésus-Christ les trois heures qu’il a été vivant pour notre exemple, et mourant pour notre amour sur la Croix, uni à la volonté de son Père ; les âmes séraphiques le doivent imiter, puisqu’il leur est forme de vie, et par ces trois exercices, river tellement ces trois Clous que jamais s’il était possible qu’elles ne soient désunies.

Donc, chères âmes, si nous sommes dans l’union véritable, pour nous conformer à Jésus-Christ, nous devons vivre dans un continuel abandon pour nous conserver et vivre dans l’union sans différence.

Les fidèles pratiques de cet exercice ont laissé en notre âme un sentiment de connaissance expérimentale de Dieu, quasi comme habituel, qui nous rend à tout moment la continuation de l’union très facile : tenons ferme dans cet heureux état d’union par l’exercice de l’abandon, sans aucun autre désir que d’être tout à Dieu, en la manière qui lui plaira, soit des mépris ou des humiliations, sans nous plus tant soucier de nous-mêmes. Ne nous tenons plus si fort attachées aux moyens avec propriété : soyons tout à Dieu par cet abandon de conformité, et Dieu sera en nous et demeurera en nous. Il aura soin de nous : c’est la pratique de la pauvreté du pauvre Jésus-Christ sur la Croix, tant estimée de notre Père saint François, et si chèrement aimée de sa fille spirituelle, notre glorieuse Mère sainte Claire.

Laissons tous les soins anxieux, superflus, inutiles et curieux, d’autant qu’il n’y a rien de plus contraire à la vie de l’union et qui divise [aus]sitôt notre cœur de Dieu comme sont aussi tous les désirs impétueux et empressants de qui que ce soit, qui nous inquiètent et troublent la paix de notre cœur, encore que très bons et très saints, tant des choses intérieures que des extérieures, pour être contentes en ce moment où vous êtes, de vivre dans cet abandon, à l’exemple de Jésus-Christ sur la Croix et même dans l’Eternité, selon la disposition de la divine Providence, sans nulle exception, disant souvent d’un cœur amoureux, avec le Prophète : « Mon Dieu, je suis toute à vous, sauvez moi ».

C’est pourquoi telles âmes ainsi unies à Dieu doivent bien prendre garde que tout aussitôt qu’il commencera à naître en leur cœur quelque petit désir de vouloir ou ne vouloir, de changement d’état, d’office, de condition ou de disposition, d’y renoncer promptement et de les rejeter courageusement, par un mépris et dédain, comme perturbateurs de votre paix et repos en Dieu. Remettez le tout à la divine Providence, par cet abandon, comme un petit enfant que Jésus-Christ nous donne pour exemple : voyez comme il se jette et abandonne entre les bras de sa charitable Mère, qui sait et connaît être toujours prête de le recevoir à bras ouverts ; Jésus-Christ en la Croix a les bras étendus pour ce sujet.

Cet abandon nous portera dans un désir de solitude intérieure et extérieure, pour être toute à Dieu, que nous voyons par l’expérience être tout à nous et avoir tant de soin de nous, et ce afin d’être seules avec lui et de ne penser plus qu’à lui, lequel nous doit être plus cher et précieux que tout ce qui est au monde. Et soyons contentes pour son amour en cet abandon, de tout ce qui nous pourra arriver, afin de vivre toujours dans l’union, et que par ce moyen nous fassions vivre les plaisirs de Dieu en nous, comme ceux du Père vivaient en Jésus-Christ attaché à la Croix.

Et remarquez que notre Croix sera l’état ou la disposition où nous sommes, qui est celle où lui-même nous a placées, ordonnée par sa divine Providence de toute éternité pour y prendre son plaisir. Et pour quel sujet maintenant ne nous sera[t-]elle pas agréable, aimable et adorable, et reçue de nous comme sortant du cœur amoureux de celui qui nous aime plus que sa propre vie, puisqu’il l’a donnée pour notre salut, et désire nous élever à une haute perfection d’union, mais par des moyens contraires à nos sens et propre jugement : c’est par un abandon général sur la Croix, comme lui, à de très grandes humiliations, opprobres, injures et tribulations, voire et quelquefois à de très horribles tentations pour nous humilier davantage.

Comme l’amour fait naître l’abandon, aussi l’abandon se fait avec un amour de parfaite confiance, qui fait que la vie se laisse à la merci de l’amour éternel de la divine Providence, et en cet état, tel qu’il soit, elle se doit convertir à Dieu humblement et amoureusement par un acte de résignation, dans un abandon amoureux, sans aucun retour sur elle-même, afin que Dieu fasse d’elle, en elle et sur elle, sa très sainte volonté.

La volonté ici lui donne assez d’occupation pour l’entretenir dans l’union du divin plaisir sans sortir de la croix : car elle ne se rend [pas] attentive sur elle-même, ni sur ce qu’elle ressent par les mépris ou par les humiliations, ni à ce qui se passe à l’entour d’elle par les injures ou afflictions, d’autant que cette pauvre abandonnée est toute solitaire et retirée, afin de se mieux retourner et appliquer toute d’esprit à Dieu seul, à sa bonté, sur son amour et envers sa douceur, le bénissant et le remerciant au fond de son cœur pour toutes ses grandes miséricordes, non tant en ses effets, car cela la désunirait, comme en lui-même. L’amour ici fait qu’elle acquiesce par un doux silence très intime à tout ce qu’il plaira à Dieu de lui envoyer.

Et ainsi unie, par un tacite consentement d’abandon, à tous les mépris et humiliations qui sont dans cette voie épineuse de la croix, passant et repassant par la vérité de la vie de Jésus, elle parvient à la vraie union où elle doit demeurer et très bien river ce clou pour n’en sortir plus. Elle est en paix et contente, se reposant doucement en cette amertume très amère des mépris et des humiliations, en toute assurance car les souffrant en l’union de celles de Jésus. Elle repose entre les deux bras charitables, et dort sur le sein amoureux de la divine Providence, de celui qui a des pensées de paix et d’amour pour son bien, qui sait mieux ce qui lui est propre et nécessaire qu’elle-même : c’est pourquoi elle doit continuellement se reposer sur ses deux bras, qui sont puissance et amour, afin qu’il la porte sur son cœur, qu’il la défende et conserve comme toute sienne par cet abandon, et chose qui lui appartient par amour et pour jamais, où il est déjà et y désire faire sa demeure, prendre ses plaisirs, son repos, son repas et ses délices, comme il nous en donne l’assurance lui-même et nous appelle à ce repos de l’union, par l’abandon.

Quelle plus grande joie et consolation nous pourrait-il arriver que de vivre ainsi résignées à Dieu, et abandonnées à tous les événements de sa divine Providence ? C’est là le vrai moyen de n’être jamais inquiètes, distraites ou troublées, ni divisées, mais d’être toujours unies à Dieu. Nous le ferons en vérité, si nous sommes toujours abandonnées, comme Jésus en la Croix, aux mépris et humiliations, injures et opprobres que l’on nous saurait faire : telle est la vie de l’âme séraphique unie à Dieu.

2. Quel est le bonheur des âmes en cette pratique d’abandon.

L’expérience seule nous pourra faire reconnaître cette vérité, savoir est quel est le bonheur et la félicité d’une telle âme : car cette pratique la fait vivre heureusement en ce monde par cet abandon amoureux, de simple confiance en Dieu, comme dans un petit Paradis ; et au milieu d’un jardin de délices arrosé des fleuves des grâces du Tout-puissant, elle jouit des fruits de l’arbre de vie, planté au milieu de son cœur par cette union.

Considérant et voyant que ce très amoureux Sauveur a été non seulement passionné de son amour sur la Croix entre les injures, mépris et blasphèmes, mais, de plus, que régnant dans le Ciel, glorieux avec tous les saints, qu’il ait encore tant de soin de notre bien, comme s’il n’en avait qu’une seule à gouverner et, de plus, comme si de notre salut dépendait sa gloire, et qu’il ne peut être bienheureux sans nous, ha ! quel excès d’amour et quel feu doit-il allumer en notre cœur pour toujours nous faire vivre dans l’union, par l’abandon !

D’autres fois, il semblera à l’âme séraphique qui est dans cette union, que tout le Paradis est descendu dans son cœur, tant cet abandon l’a élargie selon le dire commun, savoir est que là où est le Roi, la Cour y est aussi. De même peut-on dire, et avec plus de vérité, que là où est Dieu, et où il opère si amoureusement, là est aussi le Paradis, puisqu’il se fait connaître par l’expérience de son opération extraordinaire, si grande quelquefois que l’âme dirait volontiers avec le bienheureux Frère Gilles : « Je vois Dieu par les très amoureux effets que je ressens en moi de son opération ».

Ce qui la fait tomber à tous moments dans le cœur de Dieu, par cet amour de confiance, ou en une simple attente non oisive, mais très occupée en Dieu seul, le laissant faire et souffrir en elle et pour elle tous les mépris et injures, non en qualité d’injures, mais de très grands honneurs, accomplissant en cela la volonté de Dieu, en faisant par là vivre l’honneur et les plaisirs de Dieu en elle par cet abandon, comme Jésus en la Croix faisait vivre l’honneur et les plaisirs de son Père.

C’est ainsi, chères âmes, que nous devons vivre en la Croix, pour mourir en vraies et parfaites Religieuses, toujours entre les sacrées mains de Jésus pleines de clous et de sang, comme une cire molle, pour recevoir telle forme qu’il lui plaira, ou comme un peu d’argile entre les mains du Potier, prête à recevoir tous les déshonneurs et mépris que Dieu permettra nous arriver au corps ou en l’esprit, par qui que ce soit et en telle manière qu’il lui plaira, soit d’humilité, d’obéissance, ou de douceur dans les souffrances, ou de patience dans les mépris, tribulations, maladies ou tentations qui pourront arriver, que nous devons reconnaître ne venir que par la seule permission de Dieu, lequel par tels accidents frappe continuellement à la porte de notre cœur, nous en demandant amoureusement l’entrée libre pour y faire son œuvre de perfection séraphique par les seuls mouvements de sa grâce, en tout ce que nous avons à faire ou à souffrir, afin de nous tenir toujours unies à lui par cet amour.

Nous ne pourrons jamais comprendre en ce monde combien c’est une grande grâce donnée de Dieu aux âmes unies à lui par cet abandon, d’opérer et de souffrir en cette manière par l’aide des mouvements de la grâce, qui est l’Esprit de notre Seigneur, - sur toutes choses recommandées en la Règle de notre Père Séraphique comme la principale et la plus nécessaire de tout ce qui est en icelle pour être toute à Dieu, - laquelle grâce n’est refusée qu’aux seuls paresseux de la demander à Dieu, et aux seuls négligents à se disposer pour la recevoir par un général abandon de tout notre propre être malin, lequel s’oppose continuellement à Dieu, voulant toujours opérer de nous-mêmes par nos inclinations déréglées et mouvements contraires, qui désunissent notre âme de Dieu, pour la faire vivre en elle-même hors de Dieu parmi les créatures comme dans un petit enfer. Telle est la vie de la propre volonté et des âmes de dure cervelle qui ne se veulent abandonner à la conduite de la divine Providence : c’est la cause qu’elles ne sont jamais unies, mais toujours désunies et divisées.

3. Le second exercice pour river le second Clou des âmes qui sont dans la vraie union, qui est de vivre dans une sainte indifférence.

Jésus-Christ sur la Croix uni à son Père céleste était et vivait dans une indifférence à toutes sortes de souffrances, peines et douleurs : l’assurance d’une véritable union, c’est l’indifférence, à l’exemple de Jésus-Christ, à toutes les souffrances ; elle suit l’abandon, d’autant que c’en est la pratique. Donc l’âme religieuse vraiment unie à Dieu tient toujours son esprit et sa volonté dans une sainte indifférence, qui n’est autre qu’une générale attente et simple disposition d’esprit à recevoir du cœur amoureux de la divine Providence tout ce qui nous pourra arriver de souffrances, encore qu’elles soient contraires à notre propre jugement, pour plusieurs raisons humaines.

L’âme doit demeurer ferme en Dieu, comme Jésus en la Croix, indifférente à tout ce qu’il plaira à la divine volonté d’ordonner d’elle et de ses affaires, tant des rencontres extérieurs des créatures comme des changements intérieurs de dévotion sensible que Dieu permettra lui arriver ; tout cela n’aura pas le pouvoir de la désunir car cette indifférence donne à l’âme un cœur magnanime pour souffrir patiemment et doucement ; que si, par inadvertance ou surprise, il lui arrive de s’en éloigner tant soit peu, sitôt qu’elle le connaît, elle y retourne, sans s’inquiéter, troubler ou impatienter pour chose que ce soit, pour conserver l’union paisible.

Et afin de la pouvoir faire parfaitement, elle renonce à toutes les vues, choix et propres élections, qui se pourront représenter avec toutes les raisons humaines, propres jugements et imaginations, en tout ce qui se présentera à faire ou à laisser, à donner ou à recevoir, à souffrir ou à pâtir, soit le doux soit l’amer, soit le peu soit le beaucoup, soit l’affliction ou la consolation, soit tôt soit tard. Enfin, elle fait connaître qu’elle est toujours unie à Dieu, puisqu’elle l’est toujours à la volonté de Dieu. Elle n’envisage plus rien en toutes choses que le seul plaisir de Dieu, qu’elle trouve partout très agréable, encore que souvent la chose où il se présente lui soit désagréable, comme en la pratique de l’obédience et des autres vertus : le divin plaisir l’attire par-dessus toutes ces difficultés, pour faire la chose qui lui déplaît.

Laissons donc faire à cette divine Providence en nous, sur nous et de nous, comme d’une pauvre créature anéantie en tout et par tout, abandonnée à ses adorables volontés, afin de ne point empêcher son opération en nous et de prendre avec nous ses plaisirs et délices. Il n’est pas oisif, son plaisir est d’opérer assurément : il les prendra en nous lorsqu’il opérera et sera quand tout nous sera égal, et que nous serons toujours également en paix avec toutes les créatures, de quelque humeur qu’ils pussent être. Dieu le veut et le désire, le bon Jésus nous le demande de la Croix et il nous en donne l’exemple : oserions-nous bien lui refuser ? Non, ne le faisons pas.

Mais plutôt demeurons là en paix et patience pour river et rabattre ce clou, afin que nous demeurions toujours unies à Dieu, comme Jésus l’était à la Croix, d’un cœur toute récolligé, magnanime et résolu à tous les événements et rencontres, dans une grande sincérité d’amour et simplicité d’esprit. Que cet Epoux amoureux de nos âmes, pour nous faire vrais enfants de ses douleurs, nous donnera, comme à notre Père saint François, le coup de la mort douloureuse ou amoureuse, ou par qui que ce soit, pour nous rendre participants, avec sa bien-aimée épouse sainte Colette, des grands biens de la Croix par un véritable sentiment intérieur d’une blessure d’amour. Et ce sentiment nous donnera une claire connaissance des grâces infinies qu’elle contient en soi, et nous fera goûter la douceur des fruits du Paradis qui pendent en icelle, très agréables aux âmes indifférentes qui goûtent la douceur dans l’amertume, et l’amertume dans la douceur, d’autant qu’elles ne voient plus ni en l’un ni en l’autre que le seul plaisir de Dieu, lequel a le pouvoir, par sa bonté, d’adoucir toutes les plus grandes amertumes du monde. Et cette divine volonté, bien plaisante, rend toujours les choses les plus difficiles qui sauraient se représenter aux âmes dévotes, si elles sont indifférentes, égales à faire ou à laisser : Dieu qui est au milieu de leur cœur, le fait ainsi facilement opérer en sa présence.

Et notez que ce dévot sentiment des souffrances de Jésus a tellement pénétré jusqu’au plus profond des cœurs indifférents qu’ils n’en sont jamais désunis : c’est là ce qui les fait si heureusement reposer en Dieu par cette sacrée union sans différence de temps ou de lieu ; c’est là ce qui leur donne partout une égalité d’esprit par-dessus tous les sentiments, qui ne peuvent plus mettre d’empêchement à ce que Dieu veut opérer en notre cœur. Heureuses sont telles âmes !

4. Ce qu’il faut faire pour goûter combien Dieu est doux.

Jésus-Christ sur la Croix dans son indifférence, encore que grandement altéré, n’a pas voulu boire le vin myrrhe, pour ressentir davantage les souffrances ; il l’a seulement goûté, et par son attouchement il en a tellement ôté l’amertume qu’il n’y a plus que les seules âmes indifférentes capables de goûter combien Dieu est doux. La raison est d’autant qu’à la manière des petits agneaux de boucherie elles se laissent gouverner : elles dépendent toutes de Dieu en grande simplicité, elles se laissent doucement conduire au Calvaire par l’amoureuse volonté du Père des miséricordes, qui est le Dieu de toute consolation, qui les réjouit par un élargissement de cœur en leurs tribulations et afflictions.

Celles particulièrement qui pour son amour ont tout quitté et abandonné ces douceurs de la terre et ces consolations des créatures pour se laisser conduire au Calvaire. Et attachées à cette Croix de résignation par une continuelle mortification, sans s’arrêter ni résister, ni même jeter les yeux sur ce qu’elles sont ou sur ce qu’on leur fait ou dit, ni sur ce qui leur pourra arriver, ni de quelle mort elles doivent mourir, elles sont toutes retournées vers Dieu, qui les attire par un rayon de lumière, et qui les échauffe par une flamme d’amour, qui les assure qu’il est leur bon Père qui les aime, et qu’il désire leur bien, et que chose aucune ne leur pourra arriver du coté de Dieu, par accident ni contre ses divines ordonnances, qui leur fait reconnaître être toutes disposées si suavement pour leur plus grand bien qu’elles n’ont nulle peine dans la pratique d’icelles.

De là elles conçoivent en leur cœur un si doux et si tendre sentiment d’amour de sa bonté et envers sa bonté, lequel s’épand, comme une goutte d’huile tombée sur une table bien polie, par tout leur intérieur et va souvent jusqu’aux sens : ce qui leur fait confesser à chaque accident que Dieu est bon. Et à toutes les occasions de souffrances, peines, afflictions ou tribulations, grandes ou petites, elles s’écrient du fond de leur cœur qu’il est amoureux, car elles ressentent comme autant de coups de marteaux que l’on leur donne, non seulement pour les crucifier, mais aussi pour allumer le feu sacré en leur cœur empierré, pour consommer en leur cœur tout ce qui contre la forme de la vie de Jésus-Christ, lequel a bien dit en la Croix que tout était consommé en lui, mais non pas en nous.

Chères âmes, si nous voulons goûter combien Dieu est doux, il faut premièrement goûter le fiel et vinaigre, par une sérieuse mortification de tous les sens, tant du corps que de l’esprit, jusqu’à ce que tout nous soit égal, et je vous assure que lorsque nous serons élevés sur la haute montagne de la sainte indifférence, nous verrons par expérience comme cette bonté infinie a prévu de toute éternité ce qui nous doit arriver ; et de plus, nous verrons que ces mêmes choses, il les a prévenues et remplies de ses célestes bénédictions de douceur longtemps devant.

C’est là ce qui nous doit tirer en l’admiration, et à chaque accident nous remplir le cœur d’amour, disant souvent : « Ah ! Que Dieu est bon, qu’il soit à jamais béni et loué ! » Les âmes indifférentes sont souvent transportées en Dieu par tels sentiments de voir la disposition si amoureuse de cette divine Sapience, si douce et si suave, telle que nulle peine, affliction ou tribulation leur est amère, d’autant qu’elles la regardent dans le miroir du Père éternel, qui est Jésus-Christ crucifié. Mais bien plutôt, comme dit notre glorieuse Mère sainte Claire, toute confite en douceur dans les plus grandes souffrances : « Nous les aurons toutes, dit-elle, pour de très grands délices ». Quelle plus grande suavité saurait-on exprimer qu’elle fait par ses paroles ? Servons-nous de ce moyen et nous ressouvenons que, par l’inspiration de notre Seigneur, nous nous sommes rendues filles et servantes du Père céleste, très haut et souverain Roi, et que nous nous sommes soumises et laisser conduire au S. Esprit pour vivre selon la perfection évangélique, laquelle est en vérité observer la vie de Jésus-Christ, forme de notre vie, qui est de recevoir de moment en moment tout ce qui nous pourra arriver du cœur amoureux de Jésus, qui est la fontaine de toutes les douceurs, de laquelle une goutte est suffisante pour adoucir toutes les amertumes de l’Enfer. Et quoi de tant de petites peines ?

Alors nous ne serons plus inquiétés de nos souffrances ordinaires, ni mêmes des tentations ou distractions, car recevant le tout de la main de celui qui nous aime, sont autant d’assurances de son grand amour, connaissant qu’il permet telles choses, non pour nous affliger ou pour nous éloigner de lui, mais pour nous faire retourner en lui, afin de nous reposer en lui et, par notre humilité et patience, retrouver la douceur si elle était dissipée, et ce par un simple acquiescement et amoureux abandon en tout à son adorable volonté, pour nous unir à lui dans cette indifférence, laquelle nous rendra l’esprit libre de toutes les attaches des créatures, qui ne nous peuvent donner que des amertumes.

Les âmes indifférentes se remettent ainsi au gouvernement de la Sapience du Père éternel, qui est le Verbe incarné, forme de leur vie, lequel a été venu en terre et a conversé avec nous pour nous conduire à la perfection séraphique. C’est pourquoi elle laisse tous les soins de leur conduite à cet amour infini, qui saura beaucoup mieux disposer doucement de toutes leurs affaires, et plus proprement ménager les moyens de leur salut, et voire même d’inventer des voies secrètes pour les élever à l’union séraphique, qu’elles ne sauraient faire avec toutes leurs industries et imaginations tirées de l’amour propre, lequel leur fait le plus souvent tourner la tête et quelquefois renverser la cervelle, ou ruiner la santé sans acquérir la sainteté, qui consiste en une vraie indifférence, qui tient toujours l’âme dans l’union sans différence.

Pour goûter combien Dieu est doux, il est nécessaire que nous laissions sanctifier et adoucir par la vivifiante opération du S. Esprit, qui est la Personne divine d’amour, de paix, de joie et de douceur en son action, qu’il fait avec nous lorsque nous coopérons par cette indifférence, nous tenants attentifs en simple intelligence : il fera alors distiller la douceur en notre cœur de toutes les pierres de rencontre, soit des humiliations et mortifications, tribulations ou tentations, si nous les souffrons par conformité, c'est-à-dire pour former par amour la parfaite forme de la vie de Jésus-Christ crucifié, l’image de notre vie, lequel, attaché sur la Croix, en soupirant avec clameur très grande et abondance de larmes, nous demande un amour réciproque. C’est que, comme il est indifférent que pour son amour nous le soyons aussi, portant paisiblement et doucement tout ce qui se pourra représenter de souffrances, non en qualité de souffrances, mais de très grandes saveurs, délices, et honneurs, en l’union de son grand cœur amoureux et à notre occasion douloureux, disant souvent avec le saint homme Job que toute notre consolation sera de souffrir, tous nos plus grands plaisirs seront en la Croix, toute notre douceur soit [sera] d’en être privé pour l’amour de Dieu. [Ce] sera en ce temps et non devant que notre cœur, qui ne peut vivre sans douceur, étant vide de celle de la terre, il attirera celle du Ciel, et méritera d’entendre la voix du Père disant : « Tu es mon fils bien aimé, auquel je me complais, puisque pour l’amour de moi, étant dans les souffrances, tu mets ton cœur dans l’indifférence, renonçant à toutes les complaisances des créatures, pour souffrir en l’union de mon divin plaisir ».

Nous voyons bien par là que c’est en la terre déserte de la Croix, sans chemin d’aucune adresse humaine, ni sans eau des consolations des créatures, privé de toutes les douceurs du monde, et quelquefois de toutes les grâces sensibles, que les âmes séraphiques trouvent la vraie douceur des consolations spirituelles avec notre Père S. François, et en jouissant comme notre Mère sainte Claire, aux fontaines des sacrées Plaies du Sauveur ; et surtout leur attention est appliquée à celle du sacré côté, pour reconnaître, au plus profond de son très sacré cœur ouvert, les hauts secrets de la Croix, et goûter avec tous les saints combien Dieu est à ceux qui l’aiment.

La vraie disposition donc pour goûter Dieu est de nous abandonner aux rigueurs de l’Amour divin, et d’être indifférentes au gouvernement de sa divine Providence, comme les petits oiseaux qui n’attendent leur nourriture que de Dieu seul sans aucun soin et sollicitude d’amasser et recueillir, ou comme les petits enfants bien nés, indifférents à toutes les volontés de leurs bonnes mères, reçoivent simplement ce qu’on leur donne. Le même fait ici l’âme, par cette indifférence, à toutes les volontés de son bon Père céleste : cela fait que son cœur est toujours plein de douceur du plaisir de Dieu, où elle est absorbée, comme le sont ordinairement toutes les âmes abandonnées à Dieu et indifférentes au gouvernement de sa divine Providence, qui sont toujours unies à Dieu et élevées de la terre, et portées entre les bras de son amour comme petits enfants sur son sein, attachés à ses divines mamelles.

C’est pourquoi, chères âmes, faisons une ferme résolution de ne vouloir plus jamais vivre que dans cet abandon et sainte indifférence : c’est la vie de l’âme unie à Dieu, et le doux air de Paradis des âmes séraphiques, d’où procède la douceur, la paix et la joie en leur cœur. Ne faisons plus notre demeure dans la fange de nos propres recherches, ni de nos intérêts particuliers, ou dans les plaisirs de la vie, ni dans la bourbe de nos propres volontés, et satisfaisons de nous-mêmes, comme des grenouilles accoutumées au marécage, car tout ce qui procède de nos sens est plus amer que l’amertume même.

Mais plutôt, suivant l’exemple de Jésus-Christ, demeurons toujours en la Croix et privation de tous les goûts par cet abandonnement et indifférence, afin que Dieu demeure en nous par l’amour de sa complaisance. Et par la douceur de cette si grande grâce, notre esprit étant en paix, le Tout-puissant opérera choses grandes en nous, c'est-à-dire qu’il nous fera enfants de sa complaisance, lorsque nous aurons perdu la nôtre, pour agir doucement ou pour souffrir patiemment par la grâce de son divin mouvement d’amour, de douceur, de joie, de contentement et d’allégresse spirituelle, qui est l’opération de Dieu.

Et voilà pourquoi nous insistons si fort sur cette sainte indifférence, d’autant qu’elle est la disposition principale de l’opération du S. Esprit en nous, tant recommandée par notre Séraphique Père, en la règle que nous devons désirer sur toutes choses, pour agir et souffrir joyeusement tout cde qui se pourra représenter, pour vivre, comme Jésus-Christ, en la Croix.

C’est la grâce que notre Seigneur fait aux âmes abandonnées et indifférentes, grâce abondante pour adoucir toutes les amertumes, dissiper toutes les tristesses, chasser tous les ennuis et peines intérieures, qui resserrent tellement le cœur, qui tout lui est difficile et quasi impossible pour ce qu’il est privé de son mouvement en Dieu. Mais, étant dilaté par cette grâce, tout lui est si aisé et facile que l’âme fait toutes ses actions et souffre toutes les peines et tribulations avec une joie et allégresse spirituelle : c’est ce qui la fait toujours vivre en Dieu, et qui fait que Dieu opère toujours en son cœur. C’est là ce qui lui fait goûter combien Dieu est doux, et connaître en vérité que les âmes abandonnées aux mépris et indifférences aux souffrances pour accomplir toutes les divines volontés en quittant leurs goûts et consolations pour l’amour de Dieu, elles ne les perdent pas ; mais seulement elles les changent en celui de Dieu, sans fiel ni amertume.

5. Le troisième exercice des âmes unies à Dieu est la mort, la séparation et l’anéantissement, pour river le troisième Clou de l’union.

La Croix a un pouvoir sur toutes les choses, elle a même exercé sa puissance sur Jésus-Christ, puisqu’on le voit mourir en icelle et souffrir une séparation de son âme bénite d’avec son sacré corps ; et en tout, il pratique un très profond anéantissement pour nous donner, par sa grâce, l’exemple de la parfaite vie de l’union.

Maintenant, pensant et repensant en nos cœurs, et contemplant l’auteur de la Foi et le consommateur de toute perfection, pour l’amour de nous anéanti sur une Croix, quel pouvoir doit exercer cette même Croix sur les âmes qui sont attachées en icelle par ces trois Clous qui rendent l’union parfaite, sinon de les faire vivre en ce monde comme mortes, séparées de tout ce qui n’est point Dieu, jusqu’à les porter dans un entier anéantissement d’elles-mêmes, à l’exemple de Jésus-Christ mort sur la Croix par la séparation de son âme glorieuse de son corps paisible, et le corps de sa vie, et la vie de l’honneur, mourant comme un malfaiteur entre deux larrons ?

Telle doit être la vie d’une âme véritablement unie à Dieu car l’amour qu’elle reçoit dans l’union doit opérer, et son opération doit être aussi forte et plus même que la mort, qui n’exerce sa puissance que sur nos corps, où l’amour a le pouvoir de l’exercer sur nos âmes. Cet amour d’union nous donne une telle connaissance d’expérience, comme Jésus est mort en la Croix pour nous, et une force plus puissante que la mort qui nous presse, et nous va toujours sollicitant et excitant de mourir, de nous séparer et de nous anéantir.

C’est pourquoi l’âme qui est dans cette vraie union, meurt, se sépare et s’anéantit à tout moment, et vit et respire, comme en vérité elle rend l’esprit à Dieu. Si elle est fidèle à cette pratique par tous les actes d’abnégation, résignation, conformité et déiformité, qu’elle fait pour l’amour de Dieu, l’amour lui donne la mort pour la faire vivre toute en Dieu, comme Jésus-Christ en la Croix, en toutes ses souffrances paisible, tranquille, contente et joyeuse, toujours unie à Dieu par cet exercice de la mort et anéantissement de tout ce qui la peut désunir : telle est l’opération de l’amour des âmes unies à Dieu, de les séparer de toutes les choses qui peuvent tant soit peu empêcher l’union avec Dieu, forte contre la mort qui a séparé l’âme du corps de Jésus ; et par cette séparation, il nous a fait connaître l’union qu’il avait avec son Père par la désunion, pour un temps, de ces deux si bien unis pour plaire à son Père, en acceptant cette mort, cette séparation et ce profond anéantissement.

L’amour de l’union doit frapper le cœur de l’âme séraphique et la séparer non seulement des affections et passions de la terre, mais aussi de la chose la plus pénible, et montrer que l’amour est plus fort que la mort, qui n’a pouvoir que le séparer l’âme du corps, où l’amour ici sépare l’âme de l’esprit, la privant de tous les goûts, consolations et contentements sensibles, afin de la faire vivre en Dieu par-dessus tous les temps et les rencontres, avec plus de tranquillité, pureté et simplicité que jamais ; et Dieu la prive ainsi de tout ce qui est de sensible, afin qu’elle n’affectionne plus rien que son bon plaisir. Cette désunion de notre âme d’avec l’esprit, ou pour le dire plus clairement, la privation de ce que nous affectionnons, encore que bonne, est la mort de l’âme, plus difficile que celle du corps et de tous ses sentiments, elle aussi plus agréable à Dieu.

Mais disons que l’amour de l’union va encore plus avant : il ne se contente [pas] de faire mourir le corps, de séparer l’âme, il veut montrer qu’il est plus fort que la mort, anéantissant l’esprit. L’amour a fait que Jésus-Christ sur la Croix se soit anéanti, c'est-à-dire vide de tout ce qui était de délices, de l’honneur, de la gloire, de science, de puissance et d’estime : il était comme un petit ver de terre anéanti.

Ce même amour ayant fait mourir le corps et l’âme, comme il monte toujours, il [en] vient après, par une ardeur amoureuse, à faire mourir l’esprit, encore qu’il soit immortel, par un anéantissement et privation des choses les plus spirituelles, où il s’attache pour son seul plaisir, afin qu’il n’aie que le seul plaisir de Dieu. Et quelquefois même, Dieu le prive du plaisir de son plaisir, et le sépare de cette douce occupation qu’il avait accoutumé d’avoir en Dieu : c’est la mort de l’esprit, beaucoup plus difficile que celle du corps, ni que celle de l’âme, à laquelle l’esprit doit acquiescer, lorsqu’il plait à Dieu s’en séparer, afin qu’il demeure anéanti sous le mouvement de la grâce, pour agir paisiblement ou pour souffrir doucement toutes ces privations, sècheresses et dérélictions (P368), en l’union des souffrances du cœur amoureux de Jésus, qui a été privé de toute douceur et consolation en la Croix, qui est la marque très assurée de la vraie union, lorsque l’âme se contente de sa pauvreté, pour vivre non plus pour elle-même, mais toute pour Jésus, en lui consacrant son corps, son âme et son esprit, [ce] qui est une chose très agréable à Dieu.

Car si de livrer son corps aux tourments, c’est un grand acte de charité, d’autant que l’esprit est plus noble, la mort en est bien plus agréable à Dieu et plus précieuse devant sa divine Majesté, c’est la mort des âmes séraphiques pour les faire vivre dans un continuel anéantissement de tout ce qui est des désirs de l’honneur, de la gloire, de l’estime, pour vivre contentes pour l’amour de Dieu, dans la privation de toutes les choses, vivre d’une vie cachée en Dieu, comme Jésus-Christ vivait en la Croix, et dessous la pierre dans le Sépulcre, où la Divinité, qui ne peut mourir, vivait cachée en Dieu.

Le semblable doit faire l’âme unie à Dieu : n’avoir plus de mouvements que pour rompre sa propre volonté, plus de vie que pour mourir, plus d’être que pour l’anéantir, en tout et par tout, pour l’amour de Jésus-Christ qu’elle voit et contemple pour elle anéanti en la Croix et au Sépulcre.

Cet anéantissement est le moyen le plus ordinaire et la pratique la plus commune des âmes séraphiques pour s’unir à Dieu, le voyant toujours comme un tout et le reste n’être rien du tout. Cet anéantissement d’elles-mêmes et de toutes les créatures leur donne une très grande facilité, en toutes leurs distractions, tentations ou afflictions, de s’unir à Dieu : par un simple souvenir de sa présence, seule pensée ou d’un regard amoureux, elles se portent en Dieu en un moment car, étant toujours dans ce tout et dans ce rien, cela les fait quasi toujours jouir de Dieu et le posséder continuellement, à la manière des pèlerins, par des actes réitérés au besoin pour réveiller et exciter notre esprit quelquefois par trop endormi ; et cela n’est contre l’anéantissement, mais pour y parvenir.

Ce si grand anéantissement donne lieu à l’opération de Dieu, avec une occupation paisible, remplie de joie et de douceur, qui font souvent tressaillir l’âme anéantie d’une allégresse toute spirituelle, ce qui lui donne de continuels mouvements qui la portent au bien, comme à l’exercice des mortifications, à la pratique des vertus et à la séparation de tout ce qui n’est point Dieu, pour la faire vivre et opérer toute en Dieu, ou plutôt afin que Dieu vive et opère en son cœur, et que la nature ni les peines ne le remplissent plus, mais qu’elles soient en tout et par tout, et du tout anéanties, et la nature, quant à son être malin, pour être en toutes ses actions, pensées et paroles animées et vivifiées de l’être de Dieu, qui doit absorber et anéantir le nôtre pour la perfectionner.

6. Pour vivre toujours dans l’union.

Il est nécessaire, chères âmes, pour nous conserver dans cette union et vivre toujours en Dieu, que nous soyons vigilants, attentifs et humbles, récolligés comme de petites colombes, à l’exemple de notre glorieuse Mère sainte Claire, dans les trous de la pierre, qui sont les plaies de Jésus-Christ, par cinq sortes d’élans amoureux ou de sanglots douloureux, pour exprimer les désirs ardents que nous avons de cette sacrée union.

Les premiers seront par l’amour inspirant, de conformité, pour recevoir également de Dieu la consolation et la privation.

Les seconds seront par l’amour respirant, renvoyant à Dieu, du plus profond de notre cœur, des paroles amoureuses.

Les troisièmes seront par l’amour aspirant par des désirs très ardents sortant de la fournaise de notre cœur.

Les quatrièmes par l’amour soupirant, par des sanglots qui rendent témoignage de la douleur amoureuse de notre cœur.

Les cinquièmes par l’amour languissant par des regards très doux, très simples, et très silencieux et amoureux, qui unissent l’âme et la font reposer en Dieu seul.

Ou tout au moins, que nous soyons toujours debout au pied de la Croix comme autant de petites crucifiées, et que nous demeurions là dans un abandon de simple confiance et sainte indifférence, comme des morts au monde et à la nature, vivant en Dieu par l’attention et vigilance, qui sont actes de l’entendement, avec une paix et doux acquiescement, plus cru que ressenti, qui sont les actes de la volonté, qui fait que l’âme n’est pas oisive, mais qu’elle se tient prête pour être portée par tout dans l’union ; en attendant, elle s’emploie en ces trois exercices d’abandon, d’indifférence ou d’anéantissement, selon sa nécessité d’être moins ou plus occupée, tant que Dieu l’aie remplie.

Et c’est là cette vigilance tant recommandée de notre Seigneur, qui conservera la douceur de l’union dans notre cœur, la joie dans notre esprit et la paix en notre âme, et qui fera que nous serons toujours contentes, paisibles et tranquilles. Soit que Dieu entre, soit qu’il nous prive de la douceur de sa présence, nous devons demeurer contentes dans l’union de son divin plaisir, qui nous servira de nourriture dans nos faiblesses, de crainte que les angoisses de la mort, les aigreurs, les impatiences ou les découragements ne nous faiblissent le cœur et privent de l’union l’âme séraphique, changeant ici toutes ses épines en roses, les amertumes en douceurs de l’âme et du corps, comme dit notre Père S. François, parlant de lui-même, et nous admoneste par son exemple de nous tenir fermes au pied de la Croix, par une sainte simplicité.

C’est pourquoi aussitôt qu’il naîtra en notre cœur quelque multiplicité, ou quelques désirs vains, inutiles et curieux, ayons recours à l’anéantissement, ne les laissons entrer sous quelque prétexte que ce soit, car assurément ce sont les larrons qui veulent dérober la paix de notre âme et la douceur de notre cœur, et par là nous priver de la familiarité de Dieu : soyons sur nos gardes, car ce sont des voleurs qui désirent piller la tranquillité de notre esprit, ce sont des brigands et mutins qui s’efforcent de troubler la paix de notre âme. Et pour le dire en un mot, la Sapience éternelle nous donne assurance que ce sont des loups ravissants, qui paraissent couverts de douceur, mais en vérité l’on connaît aux effets que ce sont des loups ravissants, qui ne font que diviser nos cœurs et dissiper les puissances de notre âme, et enfin, le tout ne tend qu’à nous désunir de Dieu.

Si donc nous désirons conserver la douceur de l’union, ne donnons l’entrée libre à aucun de ces tire-cœurs, ni à ces voleurs d’affections, chassons tous ces petits renardeaux, dont l’Epouse se plaint, d’autant qu’ils mangent la douceur des fruits de nos bonnes œuvres. C’est pourquoi, aussitôt que nous les découvrons de loin, retournons à Dieu, appliquons notre esprit à sa présence, prions-le qu’il les chasse, et ayons en horreur et à mépris toutes les petites finesses de la nature, toutes ces petites babioles et amusoires de petits enfants, indignes de l’occupation du cœur royal et généreux de l’âme religieuse.

Dès le premier envisagement de ces tire-cœurs, remettons promptement notre esprit en Dieu, par l’anéantissement de ne vouloir ni désirer pour nous ni pour les autres, en ce temps ni dans l’éternité, que Dieu seul, pour Dieu seul et en Dieu seul, qui est la même douceur de la très Sainte Trinité, que nous devons goûter dans les plus grandes amertumes et nous abîmer dans son divin plaisir.

Et je prie toutes les âmes qui liront ceci, de le pratiquer fidèlement, et si à l’instant elles n’en ressentent la douceur en leur cœur et la consolation en leur âme et la paix en leur esprit, de m’en faire des reproches : car notez bien ceci, et vous verrez par l’expérience, qu’encore que les souffrances demeurent, Dieu par sa bonté vous élargira le cœur pour les recevoir et pour les souffrir, non seulement patiemment, mais aussi joyeusement. Ce cœur qui était si étroit qu’il ne pouvait contenir un petit grain de peine sans murmurer et se plaindre, défie maintenant tout le monde et toutes les puissances de l’Enfer.

Donc à présent [que] le Saint-Esprit nous conduise par son opération ordinaire des souffrances, voire et des plus amères : lorsque nous ne verrons plus que le divin plaisir en icelles, elles nous sembleront plus douces que le miel car le plaisir de Dieu, qui nous est représenté en ce calice d’affliction, est le même en soi-même et aussi doux que celui qui nous est quelquefois offert dans la coupe d’or des consolations spirituelles. Mais le défaut vient de ce que nous ne sommes pas les mêmes que nous étions, car Dieu est toujours ce qu’il est et ne change point. Soit que le S. Esprit nous porte sur les ailes charitables d’une ardente opération extraordinaire, pleine de joie et de douceur ! Allons à la bonne heure, coopérons en nous laissant tirer le cœur, à l’exemple de l’Epouse, par l’odeur de ce sacré onguent, qui tient l’entendement et la volonté dans la continuation de leurs actes, sans qu’il soit nécessaire d’en réitérer de nouveau. Ne faisons aucune résistance, laissons perdre tous nos actes par cet anéantissement, afin que par cette opération nous soyons réduits à la pureté et simplicité des petits enfants, à ce que le doux Jésus, nous voyant si anéantis, nous élève de la terre au-dessus de toutes les opérations inquiètes, turbulentes, et empressantes de la nature, et qu’il nous porte sur ses bras charitables pour nous faire reposer sur la sacrée poitrine et nous faire goûter la douceur des fruits de Paradis, de paix, de joie, d’amour, etc.

Et de plus, si après ces pratiques, il nous fait la grâce, comme à sa bien-aimée Epouse, de nous faire entrer en son cellier, ou de nous approcher de son sacré côté, pour nous faire goûter la douceur du vin qui engendre les vierges, ne lui résistons [pas], je vous en prie, car c’est pour ordonner la charité en nous, afin de faire toutes nos cœurs dans la douceur de l’amour. Et lorsqu’il lui plaira de nous approcher de ses divines mamelles pour nous faire ressentir la douceur du lait sucré qui a le pouvoir de donner le gracieux sommeil aux fidèles Epouses, pour l’amour de Dieu, ne rejetons cette faveur céleste sous couleur d’humilité, encore qu’il soit très bon de nous en reconnaître très indignes ; mais il ne nous sera permis de les mépriser ni d’en mal parler, vu qu’un grain de sable donné de la main de Dieu tout-puissant et tout amour vaut mieux qu’un mont d’or très pur et que tout ce qui est au monde.

Et notez que ce haut estime que nous aurons des dons de Dieu et de ses grâces particulières, avec la reconnaissance des moindres que nous avons reçues et recevons tous les jours, sera un bon moyen non seulement pour les conserver, mais aussi, dit notre Mère sainte Claire, pour les multiplier : cette bonté infinie nous voyant fidèles en peu à le reconnaître et à le remercier, il nous donnera l’entrée libre dans ses trésors des joies célestes, par l’un de ces petits degrés suivant lesquels tous nous unissent à Dieu, mais diversement, selon notre disposition.

7. Petits degrés d’introversion par lesquels le S. Esprit conduit les âmes séraphiques à l’union.

La première grâce et le premier degré d’introversion pour entrer à l’union est la lumière qui fait connaître à l’âme le misérable état où elle est, pour l’exciter à se relever promptement de ses distractions, afin de se rapprocher diligemment de Dieu. De cette lumière, vient la conversion, et le retour à Dieu ; de la conversion, procède la recollection des sens et des pensées ; de la recollection, naît le simple regard de Dieu ; du simple regard, s’écoule la paix dans le cœur, et la tranquillité en l’esprit ; et de la tranquillité, procède un doux souvenir de Dieu ; et de cette douce souvenance, s’engendre l’introversion ; de l’introversion, vient l’amour fort et combattant ; de cet amour, procède le silence intérieur ; de ce silence, naît un secret sentiment d’amour intime ; de ce sentiment, vient la tendresse de cœur ; de la tendresse, procède le découlement de toute notre volonté en Dieu seul. De ce découlement, suit l’inclination amoureuse, qui produit l’amour ardent et séraphique, lequel fait une douce liquéfaction, pour consumer tout le mal de cette pauvreté, et après l’avoir ainsi toute fondue par un amour zélé, il la réduit dans un parfait anéantissement pour la transformer toute en Dieu, la faisant par grâce ce qu’il est par nature, lui donnant pour gage assuré d’une perpétuelle amitié une entrée libre en sa chère présence par l’un de ses degrés, pour s’élever de la terre et s’unir à lui, autant que le peut la fragilité humaine aidée de sa grâce, afin de la faire entrer dans une pleine possession, heureuse fruition et amoureuse complaisance des célestes douceurs et saintes familiarités qui procèdent de la sacrée union. D’où vient le plaisir, la joie et le contentement que les âmes séraphiques reçoivent de Dieu, quand elles se conforment selon l’ordre de la divine opération, qui est de s’accommoder de degré en degré, selon la diversité des états intérieurs, car comme ces degrés sont diversifiés, aussi le sont les dispositions des âmes où Dieu opère des choses admirables par-dessus toutes les raisons humaines.

Lorsque Dieu élit l’âme pour l’unir avec lui et qu’il fait cesser toute propre opération, et qu’il anéantit tous les désirs impétueux de la nature, l’âme étant unie à Dieu, elle n’a plus besoin de ces degrés pour ce temps-là : car Dieu est le seul possesseur de son esprit et de tout le fond de l’âme, qui sont les trois puissances de l’âme unies par unité, qui sont comme une pointe de l’esprit, qui se dresse vers Dieu par un simple souvenir, seule pensée, ou actuel amour, qui porte l’âme dans la jouissance de la présence de Dieu, où Dieu habite d’une façon qui ne se peut dire. Il n’y a que ceux qui en ont l’expérience qui en puissent parler, la pratique en fait plus connaître en un quart d’heure que tous les livres et les hommes en un an. Il n’y a nul moyen d’y parvenir si on ne garde fidèlement les degrés par lesquels le S. Esprit nous veut élever et nous tirer à l’union.

omis !

8. L’union doit être la fin de tous les exercices des âmes religieuses.

Chères âmes, puisque par une grâce du Ciel nous sommes vouées et consacrées à Dieu pour être consommées dans la mortification par le feu de son divin amour, reconnaissons que la fin de notre vocation est l’union avec Dieu, et que le moyen d’y parvenir est la fidélité en tous nos exercices et dévotes prières, et surtout la mortification du corps, de l’âme et de l’esprit, que nous devons avoir au cœur et en pratique, en l’observance de toutes les actions particulières de la régularité que nous devons embrasser à toute heure et moment, pour nous y disposer, car elles tendent toutes et sont ordonnées pour nous élever l’esprit à Dieu et le lier avec lui.

C’est pourquoi nous ne devons rechercher, ni aspirer, ni respirer, ou désirer autre chose que ce saint lieu de la maison de Dieu, que cette sacrée union de notre esprit avec Dieu, à laquelle toutes les autres choses temporelles doivent servir, selon l’avis de notre Père Séraphique dans la Règle, et particulièrement au dixième chapitre, disant que ceux qui ne savent des lettres, ne se soucient d’en apprendre, mais qu’ils prennent garde que sur toutes choses ils doivent désirer d’avoir l’esprit de N. Seigneur et sa sainte opération. Avoir cet esprit, ne veut dire autre chose sinon que d’être uni à lui, le posséder et être possédé de lui ; et sa sainte opération veut dire être autant uni dans les œuvres extérieures de mortification, d’humilité, de patience, d’infirmité et de tribulation comme dans celles de recollection et d’introversion, s’il est possible que nous soyons toujours unis à Dieu en désir, pour le moins, et en bonne volonté.

Pour se disposer à parvenir à cette fin tant heureuse, l’âme doit faire toutes ses actions par l’amour pur, dans l’union de notre volonté à celle de Dieu, par conformité, c'est-à-dire que les actions ne lui changent pas le cœur qu’elle avait si dévot à l’oraison ; ou pour l’amour de l’uniformité dans l’union du divin plaisir, c'est-à-dire que la multitude et diversité des occupations ne multiplie son intention, [de] crainte d’éloigner son cœur de Dieu ; ou que les actions soient faites dans l’union de l’amour séraphique par la transformation de toutes ses opérations en celles de Dieu, ne voyant plus que lui en toutes choses, et sa plus grande gloire, qui opère tout en elle par l’aide du divin mouvement de l’amour, qui lui fait faire tout pour Dieu et à sa plus grande gloire.

Chacun de ces degrés en sa manière fidèlement pratiqués en un clin d’œil portent l’âme en Dieu, élèvent l’esprit et l’unissent à Dieu très facilement.

Car cette élévation le porte dans un abandon à Dieu, sainte indifférence à son gouvernement, et dans un anéantissement et heureuse perte de soi-même quant à l’être malin, et oubliance des créatures quant à la souvenance distractive, afin de prier toujours Dieu de cœur pur, et de demeurer uni à Dieu par cette ardeur amoureuse dans les occupations nécessaires, ou souffrances ordinaires et extraordinaires, et par la fidélité des œuvres manuelles de régularité, ou d’obédience, et de charité, qui partout doivent lier notre cœur à Dieu : car bien que ces actions soient différentes, notre esprit doit toujours demeurer indifférent en tout.

Et lors nous reconnaîtrons que toutes ses actions ne sont que des feux et des flammes pour nous mettre en ardeur et entretenir la dévotion en notre cœur, pour le fondre et liquéfier par ce feu très sacré, afin de l’unir et lier avec Dieu.

Ce qui est très véritable et se fait quasi toujours, si ce n’est en des pauvres petits esprits, ou pour le dire plus clairement, en des pauvres sans esprit, qui ont plus d’empressement que d’empêchement, beaucoup plus d’imagination que de dévotions, plus d’amour de leur propre plaisir pour le conserver que de vrai désir de se sacrifier à la gloire de Dieu et au triomphant amour de Jésus, plus de recherche de ses intérêts et propres satisfactions que de contenter Dieu, plus de mélancolie que de vérité, plus d’humeur noire et mauvaise tristesse que de joie et d’allégresse spirituelle, et enfin plus d’amour d’elle-même que de Dieu : ce qui les fait toujours paraître avec plus de mine que d’effet, qui est la seule cause de leur désunion et division, car tant et aussi longtemps que la fidélité et unité se garde dans les cœurs d’obédience et de charité d’une sainte communauté, autant se continue et s’entretient la vrai dévotion et recollection, voire et l’union avec Dieu.

Les vrais enfants du Père Séraphique, imitateurs de ses vertus, et les dévotes Filles de sainte Claire, héritiers du double esprit de leur Père et de leur Mère, reconnaissant que la fin de leur sainte vocation est la sacrée union, elles se doivent étudier de se servir de tout ce qui se présente à faire ou à souffrir, pour l’acquérir, et l’ayant acquis, pour le conserver. Comme sera de se garder des troubles et inquiétudes, des soins superflus et curiosités inutiles qui altèrent la paix du cœur, afin de conserver la douceur de la contemplation par la mortification des passions et règlement des affections dans les occupations, et l’ardeur de la dévotion par le moyen de ce grand désir, surtout, de plaire à Dieu, que nous devons toujours nourrir et entretenir en notre cœur, ce qui nous élèvera par-dessus tous les objets des créatures et des occupations, voire et par-dessus la multiplicité de l’opération des sens et des pensées, qui pourraient empêcher la recollection, fermer la porte à l’introversion ou retarder l’union.

Car tel ardent désir est plus fort que la mort, pour être un effet et une flamme de l’amour séraphique, qui réduit tout ce qui peut empêcher l’union en cendre ; et cette flamme ne peut être éteinte par la quantité ni par la qualité des eaux, soit des occupations, soit des distractions, car il faut par son activité que l’âme s’élève toujours droit à Dieu, comme une petite verge de fumée odoriférante, sans qu’elle soit dissipée, distraite ou empêchée par les choses temporelles.

Ceci est facile, d’autant que l’union est toute spirituelle, pour ce que l’amour qui la produit est tout divin, qui élève l’âme par-dessus ce qui est terrestre, et lui fait trouver Dieu partout, mêmes dans les plus grandes souffrances : avec l’Epouse, elle en jouit comme d’un beau lys entre les ronces des tribulations, ou comme d’une belle rose entre les épines des distractions ; elle se retrouve liée avec lui par une paix et tranquillité dans les multiplicités ; elle est une et unique, sans division, toute à son grand tout, ce qui lui fait retrouver la douceur dans toutes les peines et amertumes de cette vie.

C'est-à-dire qu’elle se sert de ces mêmes peines et souffrances, par la lumière de la conformité de la vie de Jésus-Christ, pour s’unir à Dieu, lequel dans les excès de ses plus grandes peines et souffrances, unissant son esprit à son Père, est mort de douceur et d’amour.

Les âmes séraphiques doivent faire le semblable, à leur possible, et en leur manière d’agir, ou de souffrir, à savoir de ne se laisser jamais emporter, pour chose que ce soit, au chagrin ou ennui, à la tristesse, aux ressentiments ou aux inquiétudes de leur cœur, de crainte de troubler la pureté de leur tranquillité, de leur confiance, où elles ont accoutumé de voir Dieu, et par ce moyen, de se rendre bienheureuses, c'est-à-dire unies à Dieu.

Qu’elles se gardent pareillement de se laisser abîmer et ensevelir sous les eaux des amertumes et des aigreurs, de peur d’éteindre l’ardeur du feu de la dévotion, ou d’en diminuer tant soit peu la douceur de ses flammes séraphiques, qui les porte à une continuelle union spirituelle, par les œuvres de charité faites dans la charité, lesquelles sont toujours ordonnées de cette divine Sapience, à cette fin si excellente de l’union, mais non pas selon l’ordre de notre volonté, ni selon le choix et élection de notre propre jugement, ainsi selon l’ordre du divin amour, dans l’amour du divin plaisir : cette bonté infinie nous veut par tels moyens dépouiller de nous-mêmes, pour nous unir à lui plus étroitement, et pour nous faire vivre en lui plus purement par toutes les actions de la religion, qui lui appartiennent toutes et sont réglés de lui-même, pour nous conduire droit à lui, selon notre sainte vocation.

C’est pourquoi nous disons que les âmes qui sont dans la vraie union, ne se mettent pas beaucoup en peine de ce qu’elle doivent faire, de crainte de remplir par trop leur esprit de multiplicités inutiles et dommageables à l’union, mais elles ont un grand soin et une continuelle vigilance d’âme, et attention d’esprit, pour les bien faire et de se tenir toujours unies à Dieu en les faisant par ce grand désir de lui plaire et par cette bonne volonté de conformité ; et par ce moyen, toutes les choses temporelles de sa vocation et de son emploi lui servent non à la distraire, mais à la récolliger, et pour unir son esprit à Dieu.

C’est à quoi nous devons bien prendre garde, sur toutes choses, puisque c’est notre vocation d’être unies à Dieu, lorsque cette bonté infinie nous en fera la grâce, de ne la pas refuser, car elle ne peut venir que de lui seul : soyons fidèles à le laisser opérer en nous la mort de notre nature, car elle sera pour sa plus grande gloire, aussitôt qu’il commencera à nous visiter ; ce que nous reconnaîtrons par la recollection, introversion, silence ou tranquillité et paix intérieure. Perdons-nous nous-mêmes, mourons à nous et à nos actes par trop actifs, cessons nos discours, puisque la lumière est en notre entendement et l’ardeur en la volonté. Laissons-le vivre et prendre ses plaisirs en nous, anéantissant les nôtres, pour goûter cette douceur en lui-même, et voir combien Dieu est doux et l’exemple de notre Père Séraphique. Et jouissons paisiblement et simplement de ce bien, qui contient tout bien, puisque par sa bonté il nous l’offre et présente.

Et surtout, pour l’amour de Dieu, en cette sacrée union, je vous prie de ne vous empêcher, empresser ni embrouiller en d’autres choses non nécessaires en ce temps de paisible jouissance ou d’occupation pacifique ; car possédant toutes choses en lui, quel besoin avez-vous d’autres choses ? Votre entendement et votre volonté sont en actes, lui seul est suffisant pour les remplir et pour donner de l’occupation à votre esprit : en ce temps il vous suffira de demeurer là paisibles et tranquilles dans ce silence très intime, d’une simple attention, pensée, vue ou regard, qui sont actes d’entendement, qui vous tiennent attachées à Dieu par un doux souvenir, joie, paix et contentement de sa divine présence, qui sont les actes amoureux de la volonté, cela étant suffisant pour retenir votre esprit fort colligé et occupé par les sentiments que Dieu lui donne pour vous unir à lui.

Alors, nous ne devons avoir nulle crainte de perdre le temps dans cette occupation pacifique et doux souvenir amoureux, lors particulièrement que votre esprit sera actuellement colligé et votre volonté sera dans l’actuel amour ou désir d’aimer ; car tels effets et tels désirs ardents, et actuels, et continuels, vous porteront aussi quasi toujours dans une actuelle et continuelle jouissance de ce bien, qui est Dieu, par une douce contemplation, qui est l’heureuse fin de notre vocation.

9. Profits de l’union

Les fruits de la véritable union sont si grands qu’il les faudrait avoir gouttés pour en dire quelque chose : nous ne laisserons toutefois d’en dire quelque chose, et premièrement que l’ardeur de l’amour qui reste en une âme de la véritable union, est si fort qu’il tient toutes les puissances et tous les sens du corps, et toutes les passions du cœur récolligées et resserrées, dans une paisible jouissance et contentement de ce bien, chacune selon sa manière : puisqu’il contient tout bien et que c’est une manne qui a toutes sortes de goûts, il les peut remplir toutes et leur satisfaire.

Tellement que l’âme qui est dans l’union, n’a plus rien à désirer des créatures, il ne lui reste plus rien à voir ni à rechercher en la terre, ni au Ciel même, que Dieu seul, qu’elle commence à posséder en terre, dont elle est si contente et si satisfaite du bonheur qu’elle a d’être avec Dieu, de parler à Dieu en cette union si amoureuse. Elle est consolée de l’entendre parler de paroles de paix et d’amour, de converser si familièrement avec lui, seul à seul, et cœur à cœur : paroles si douces et si puissantes qu’elles doivent pour jamais affermir et conserver le ciel intellectuel de notre esprit pour la demeure de la divine Majesté, afin qu’elle prenne ses délices avec nous. Paroles si douces et amoureuses qu’elles doivent chasser pour jamais toutes les tristesses, aigreurs, inquiétudes et amertumes de cœur, pour y faire vivre les seuls plaisirs de Dieu. Paroles si remplies de joie et d’allégresses spirituelles qu’elles doivent bannir pour jamais tous les ennuis et tristesses de nos âmes. Bref, où a été une fois cette sacrée union, tout y doit être consacré au divin amour, qui est toujours joyeux, paisible et content.

Vous qui avez autres fois goutté Dieu, rentrez en vous-mêmes, et voyez quels vous êtes dans les événements inopinés, dans les occasions non prévues et dans les rencontres, si vous êtes tels que vous devez être. Assurez-vous que la porte de l’union vous sera quasi toujours ouverte : l’accès vous en sera très facile, si, courageusement, vous vous perdez vous-mêmes dans les occasions qui vous pourraient priver de ce bien, pour en conserver la possession ou tout au moins les vestiges et les reflets.

Le sacré coté de Jésus, qui en est l’entrée, lequel a été pour notre amour ouvert en terre, afin de nous donner la confiance d’approcher de son très sacré cœur percé, n’est point encore fermé dans le Ciel ; ses douces mamelles sont encore pleines pour ses petites filles de sa Passion, qui portent la plaie au cœur par compassion de ses souffrances, mais d’un très doux lait, plus savoureux que tous les vins délicieux des plaisirs du monde, qui ne peuvent rassasier, mais affamer et tourmenter.

Gouttez, âmes séraphiques, et voyez, pour rendre à tout le monde des assurances par des véritables témoignages, que ces douceurs et contentements célestes sont capables de contenter vos cœurs, que vous faites paraître par la gaieté de vos faces : comme le repos d’une bonne conscience, la paix intérieure de l’âme, la tranquillité de l’esprit, la joie du cœur, le tressaillement de la gloire de Dieu, et l’espérance de salut, et un million d’autres, qu’il vaut mieux tenir sous le voile du silence, que cette bonté infinie, d’une main libérale, donne aux âmes de bonne volonté, suffisante de rassasier les plus faméliques de Dieu, et très abondantes pour contenter ces pauvres languissantes dans des impatiences amoureuses et paisibles de la longue attente de leur bien-aimé, si elles s’approchent de lui, pressées de la faim et de la soif très ardente de son divin plaisir, accompagnée d’une sainte hardiesse, pleine de confiance, d’humilité et d’une amoureuse révérence.

Venons à l’expérience, et parlons à ces âmes qui ont reçu cette grâce, et qu’elles nous disent combien Dieu est doux à ceux qui cherchent en vérité et de tout leur cœur les moyens de lui plaire pour s’unir à lui, et qu’elles nous racontent les biens qui restent en leurs âmes après cette sacrée union.

Elles nous assurent que cette véritable union laisse en l’âme des effets et des aides très profitables, pour faire toujours revivre nos esprits en Dieu, autant qu’il est possible en ce monde.

Premièrement, elle nous fait perdre tous les goûts, sentiments et inclinations que nous avons aux choses de la terre ; elle nous abîme dans un tel anéantissement de nous-mêmes et oubliances de toutes les créatures qu’elle nous vide de tout ce qui n’est point Dieu pour nous rendre un vaisseau d’élection, par les souffrances capables de recevoir la divine infusion des grâces, sans aucun danger de propriété ou de complaisance.

De plus, cette âme, disent-elles, nous fait un instrument libre entre les mains de Dieu pour sa divine opération, en tout et par tout, selon son plaisir, sans aucune résistance de notre part, non plus que si nous n’étions point du tout, [ce] qui est un bon moyen pour acquérir bientôt la perfection, et s’il est très propre pour demeurer toujours uni à Dieu par amour.

Après cette vraie union, l’entendement demeure si illuminé d’une vraie connaissance d’expérience, et la volonté se ressent si fortifiée et ardente pour aimer Dieu de toutes ses affections, plus qu’elle n’a jamais fait pour les créatures, - car elles sont toutes enchaînées et prises captives dans les liens du divin amour : son cœur a été gagné de Jésus-Christ à la pointe de la lance, par la fidélité des précédentes pratiques, - si puissamment que l’âme qui a été dans l’union, est tellement récolligée qu’elle demeure sans peine quasi toujours introvertie, encore qu’elle soit privée de la grâce sensible, et ce par un continuel écoulement de son cœur en Dieu : sont là les précieuses reliques de l’union de l’homme pacifique ; sont là les restes de la fête de l’union, qui honorent Dieu par un très intime silence, très simple souvenir et amoureux regard de Dieu, qui servent à entretenir l’âme avec Dieu, qui lui donne une sainte occupation pacifique, sans autre plus grand effort que d’une seule vue ou simple souvenir, toute en Dieu.

D’autant que l’âme est ici dans l’habitude d’amour et dans un continuel touchement d’affection amoureuse, qui ne lui permet de perdre le temps ni de laisser son désir oisif ; mais il la fait continuellement respirer de doux air de Paradis et dire avec les Séraphins, au fond de son cœur, sans cesse à Dieu qu’elle ressent : « Sanctus, Sanctus, Sanctus, est le Dieu des armées, qui a surmonté tous mes ennemis ; et de plus, qu’il soit béni de ce qu’il a rempli le ciel intellectuel de mon âme de la gloire de sa présence, et la terre de mon cœur, de paix ».

C’est là ce qui la fait si souvent dire par une grande abondance de joie, avec notre Séraphique Père : « Mon Dieu et tout, tout est en lui, et tout le reste n’est rien ; vous êtes le Dieu de mon cœur, ma part et portion. Et qu’y a-t-il au Ciel et que désire mon âme en la terre, sinon vous seul, mon Dieu ? »

Cet amour d’union est plus fort que la mort, puis il tient toutes les passions sous son empire et tous les sens sous sa puissance par une entière recollection. Le corps étant encore en son être, c’est une mort vivante, ou une vivifiante mort, car tout ce qui est en la terre, est à son pouvoir, d’autant qu’elle ne veut que ce que Dieu veut. Tellement que cette pauvrette n’a plus rien à rechercher ni à désirer, son cœur est ici entre les mains de Dieu, souple à toutes les divines volontés : voilà ce qui lui donne une si grande paix, pour ce qu’il est dans l’ordre du divin amour en la région déiforme, élevé sur toute la terre, où tout lui est égal. Rien ne la peut plus empêcher de voir Dieu, de l’avoir présent : là, elle reçoit une telle connaissance expérimentale par l’amour que celle de l’entendement n’est plus quasi que comme une petite chandelle en comparaison du soleil ; et cette lumière d’expérience la fait entrer dans une autre connaissance savoureuse de l’amour de Dieu et de sa bonté, telle et si grande que tous les hommes ni les livres ne lui sauraient donner autant.

Quel plus grand profit nous pourrait-il arriver que de connaître Dieu en cette manière : connaissance d’expérience, qui nous porte à l’aimer si ardemment ? Quel plus grand honneur que de communiquer si familièrement avec cette divine Majesté, qui a un être si immense ? Et quelle plus grande gloire que d’approcher du Roi des Rois, si riche en miséricorde, lequel a des secrets à révéler, dans cette sacrée union de son divin amour, aux petits ? C’est là qu’il donne aux humbles de si fortes espérances de leur salut qu’ils n’ont plus crainte pâlissante de la mort : l’amour l’a chassée dehors. Ils ne craignent plus que le péché, mais la grande confiance qu’ils ont en cette divine bonté, leur relève le courage, pour l’exterminer jusqu’aux plus petites imperfections.

De plus, Dieu fait des grâces aux simples et leur ouvre des moyens pour se perfectionner si à propos. Et surtout, il leur élargit des faveurs si particulières, pour demeurer toujours avec lui, que personne ne peut entendre ni comprendre la hauteur de l’union où elles sont elles-mêmes, ne le connaissant pas, s’en estimant d’autant plus éloignées qu’elles en sont proches : Dieu seul les connaît, et ceux à qui il parle en silence au plus profond désert de cette solitude intérieure si éloignée des créatures, dans une pacifique recollection, où la manne, qui a toutes sortes de goûts, tombe en abondance pour la nourriture des pauvres et pour la recréation des affligés, laissés et abandonnés de toutes les créatures, qui sont et qui demeurent dans une aussi grande oubliance du monde et d’elles-mêmes, comme si elles et le monde n’était point du tout.

Et ne vous étonnez tant de cette merveille, mais considérez que c’est le Tout-puissant qui leur a ravi le cœur et tiré tout à lui. Il le peut faire et le fait ordinairement à celles qui ont renoncé courageusement à tout ce qui n’est point Dieu, et qui sont ainsi anéanties en elles-mêmes. Dans cette union, Dieu opère de grandes choses : c’est là où se fait la transformation de notre être malin et de tous ses actes en celui de Dieu, par imitation des vertus dont il nous a laissé l’exemple en terre ; c’est où l’âme se revêt de Jésus-Christ ; c’est là où se fait l’infusion du divin amour, qui remplit le cœur et le crée tout de nouveau, qui est comme une nouvelle naissance en Justice et vérité de sainteté, qui reste en l’âme de l’union.

Et c’est ce qui lui rend la rentrée en Dieu si facile qu’elle le retrouve en toutes choses, et qu’elle en jouit paisiblement partout : rien ne la peut plus empêcher, pour ce qu’elle vit dans une telle simplicité, qui la tient toujours récolligée en elle-même, sans se méfier des autres, qu’elle estime toutes très bonnes, et elle seule mauvaise.

C’est là ce qui lui donne une douceur au cœur admirable, qui la fait continuellement s’écouler en Dieu sans aucun effort, ce qui la fait vivre en amour avec tous ses prochains sans aucune violence, et en elles-mêmes dans une continuelle allégresse d’esprit, joie et contentement, sans aucune tristesse ni chagrin.

Elle laisse opérer Dieu en son cœur par les saintes inspirations, et son corps, par les souffrances de qui la voudra humilier et mortifier, sans aucune résistance, pour faire toujours vivre les plaisirs de Dieu en elle, qui est la vraie manière d’être toujours unie à Dieu, et le plus assuré moyen pour avancer en la perfection séraphique du divin amour.

10. Moyen très facile aux âmes séraphiques de se réunir à Dieu, lorsqu’elles pensent être désunies.

Nous devons savoir, chères âmes, que durant la parfaite union et au temps de la paisible jouissance de ce bien tant désiré, nous n’avons autre chose à faire que de nous abandonner et laisser conduire au S. Esprit, comme l’enfant entre les bras de sa mère, selon les trois exercices que nous avons donnés aux âmes qui sont dans l’union, pour la continuer et se laisser remplir du divin amour, et surtout de ne point empêcher que Dieu ne prenne ses plaisirs en nous en ce temps-là.

Mais en ce monde, dit saint Bernard, l’heure de la jouissance est courte, et l’attente en est quelquefois bien longue, où nous ne devons demeurer oisifs ni perdre le temps, mais devons l’employer fidèlement et nous servir de quelques simples industries comme de quelques inventions amoureuses pour nous disposer à rentrer, si telle est la volonté de Dieu, ou plutôt pour employer fidèlement les trois puissances de notre âme en l’absence ou dans la privation de l’opération extraordinaire de Dieu, pour nous employer par une occupation pacifique en la présence du Dieu caché, afin d’être toujours prêts, demeurant dans l’ordre du divin amour, de recevoir la grâce de l’union, lorsqu’il plaira à Dieu, sinon de demeurer contente dans cette sainte occupation.

Voici donc un moyen, entre les autres, très facile pour nous aider à réunir notre esprit à Dieu, lorsqu’il nous semblera en être éloigné, distrait, troublé ou épandu, qui sera d’estimer qu’il n’y a que Dieu et nous en terre : entrons, selon le conseil de notre Seigneur, en cette solitude intérieure, et fermons la porte après nous, soyons dans l’oubliance de toutes les créatures, et là ainsi récolligé, produisons un acte amoureux, d’un désir très ardent, de vouloir plaire à Dieu de tout notre cœur. Ou bien, si nous avons acquis l’habitude de ce désir, il se pourra faire par un simple souvenir, petit soupir, seule pensée, ou d’un regard amoureux : [ce] sera suffisant pour renouveler et confirmer notre foi, notre abnégation et résignation, voire même il contient en soi la conformité, uniformité, et déiformité ; et de plus, l’abandon et l’indifférence, avec l’anéantissement, y sont aussi compris. Par là, nous pouvons voir que bien heureuse est l’âme qui a fidèlement pratiqué ces actes : elle n’a quasi plus de peine, elle s’envole au Ciel comme un petit oiseau de Paradis.

Chères âmes, si vous n’êtes telles, ne pensez pas perdre le temps, lorsque vous serez laissées à votre propre opération, de faire souvent, jour et nuit, des revenues en votre intérieur, vous interrogeant vous-mêmes si en vérité vous avez un tel désir séraphique, ou pour le moins le désir de le désirer, c'est-à-dire un tel et si continuel désir, si amoureux et si ardent de plaire à Dieu qu’il ne puisse être empêché ou retardé que par impossibilité, et si fort que la multitude des eaux de contradiction ni les multiplicités des affaires ne le puissent éteindre, car il doit être d’autant plus combattant tous les empêchements d’aller à Dieu qu’il est unifiant, et d’autant plus unifiant qu’il est anéantissant les obstacles de la recollection.

Et tenez pour tout assuré que la fidélité de cette pratique vous sera bientôt par l’expérience reconnaître cette vérité ; car la force de ce désir séraphique, que j’appelle ainsi pour ce qu’il est combattant et unifiant, dans le repos et dans le mouvement, à l’exemple des Séraphins, qui voient toujours la face de Dieu et toutefois ils ne sont pas un moment sans la désirer : puisqu’ils le désirent toujours, ils ne sont point sans mouvement, puisqu’ils volent toujours dans le repos pour ce qu’ils aiment toujours.

Notre désir ne sera pas imparfait s’il approche de celui des Séraphins, qui ne sont jamais désunis de Dieu, comme nous le sommes souvent, faute de réveiller en nous ce grand désir séraphique, qui donne en un même temps le repos et le mouvement, qui tout d’un coup met les trois puissances de notre âme en acte, donne à la mémoire la simple intelligence et souvenir de Dieu, et à la volonté, l’actuel amour qui la porte dans la jouissance de Dieu.

Servons-nous de cette méthode séraphique, selon le conseil de notre Père saint François, au dixième chapitre de la Règle : à savoir, de prendre garde de désirer sur toutes choses. Ne voilà[-t-]il pas le moyen abrégé pour s’unir à Dieu ? Ne sont-ce pas là les règles de ce petit oiseau de Paradis, qui s’élève par-dessus tout, jusqu’à l’esprit de notre Seigneur, pour nous unir à lui ?

La pratique nous fera connaître qu’il est très propre pour nous récolliger, introvertir et réunir notre esprit à Dieu, encore que distrait et épandu. Nous trouverons qu’il est très facile pour faire retourner le fonds de notre âme en Dieu, et très propre à redresser la pointe de notre esprit, qui est l’unité de nos puissances vers Dieu, où est toute notre principale connaissance, dernière pensée et premier mouvement, pour chercher toujours la face de Dieu, pour désirer toujours sa présence et aspirer à la jouissance de son saint amour, sans jamais cesser ni se lasser de désirer, non plus que les Séraphins.

Et je vous prie de remarquer, pour votre consolation, que la plus grande assurance de la présence de Dieu en nous, c’est le désir de sa présence, car c’est lui-même qui le désire en nous-mêmes : nous ne le pouvons désirer en esprit et vérité qu’il ne soit avec nous, et que nous l’ayons déjà présent.

Vous voyez comme, par la pratique de ce désir séraphique, nous pouvons très facilement nous unir à Dieu par un simple soupir, amoureux regard ou doux souvenir de Dieu, qui sont actes des puissances de notre âme.

Et si, selon saint Paul, nous ne pouvons nommer le doux nom de Jésus sans l’aide du Saint-Esprit présent en nous, aussi ne pouvons-nous avoir ce grand désir ardent de plaire à Dieu sans la présence de Dieu.

Plût à Dieu, âmes séraphiques, que nous puissions comprendre combien cette fidèle pratique nous peut avancer en connaissance des secrets sentiers de l’amour de Dieu, et comme elle est propre pour nous faire entrer dans l’union en tout temps et en tout lieu.

C’est l’abrégé des moyens pour aller droit à Dieu : [ce] sont les doux fruits de la Croix, de l’abnégation et résignation, sont là les pointes aigues des Clous pour nous unir à Dieu et transformer en Dieu, c’est la paix souveraine du grand abandon, c’est la tranquillité de la sainte indifférence, c’est le doux repos de l’anéantissement ; enfin, c’est l’occupation pacifique de l’âme séraphique pour s’exercer en l’absence du Dieu caché, qui contient en soi tous les actes dont l’âme se forme les habitudes, pour ce qu’il porte notre âme d’un simple regard en Dieu, sans aucun effort pour l’unir à lui, sans aucun empêchement et ce, par un doux écoulement de volonté et effusion de cœur en Dieu.

Ne méprisons ce moyen si facile pour nous disposer à l’union : même dans les occupations extérieures, il nous pourra grandement servir. Tenons pour tout assuré que si nous l’avons à mépris, c’est sans doute que nous ne l’avons pas bien compris. Pour le comprendre, il en faut venir à l’expérience, et le réitérer souvent, tant qu’il nous soit aussi usité et familier, comme nous est l’aspirer et le respirer ; et alors, nous connaîtrons comme il nous sera être en Dieu, vivre en Dieu, et nous mouvoir en Dieu, aussi doucement comme les oiseaux en l’air ou les poissons dans la mer, qui se meuvent dans leur élément, non pour y entrer, mais pour s’y plaire, réjouir et récréer.

Le semblable fait à l’âme ce grand désir, la faisant agir ou souffrir pour plaire à Dieu, pour le réjouir, récréer, et lui donner moyen de prendre ses délices en elle, sans jamais se plaindre ni murmurer dans l’ardeur du feu des afflictions et souffrances : il nous fera travailler et persévérer pour l’amour de Dieu, comme le jour, par l’ordonnance de Dieu, sans nous lasser ; mais surtout, il nous fera à la manière des Séraphins, quasi toujours en un même temps dans nos occupations, voler pour Dieu, et nous reposer en Dieu, sans aucune lassitude, non plus que dans le Ciel.

O que heureuses et mille fois heureuses telles âmes, qui sont adroites à cette pratique, car il leur sera aisé d’être toujours unies à Dieu, ou pour le moins très facile d’y retourner, quand il leur semblera en être éloignées ou distraites un peu ! Etudions-nous de les imiter, en produisant, selon notre nécessité, ce grand désir de plaire à Dieu, dans toutes nos opérations et respirations. Car, bien que le premier désir du matin soit suffisant pour consacrer toutes nos actions au divin amour, cette nouvelle rénovation y épand un plus grand amour qui nous sanctifie davantage, car par ce grand désir, nous dédions et consacrons tous les mouvements de notre vie au triomphant amour de Jésus. Les produisant ainsi doucement, nous jetons notre cœur en Dieu, et en suite d’icelui, toutes nos actions, pensées, paroles et souffrances, pour nous reposer dans le sein du Père éternel, qui nous appelle si amoureusement. Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés de tans de désirs, et vous trouverez le repos à vos âmes.

C’est le propre effet de ce désir, de nous récolliger, pour distraits que nous soyons, de ramasser toutes nos pensées épandues, de rassembler tous nos sens divisés, de redresser en Dieu les trois puissances de notre âme, de réunir à soi toutes les plus intimes affections de notre cœur, pour les convertir, introvertir et unir à Dieu.

Et nous acquerrons d’autant plutôt l’habitude séraphique, que nous serons fidèles à la pratique de l’abnégation et résignation de tous nos désirs, grands et petits, en la manière que nous avons dit, afin de ne vivre plus que de cet ardent désir, qui est la vie de l’union, et les doux soupirs intérieurs des âmes séraphiques, lesquelles vivent continuellement dans l’abandon, indifférence et anéantissement ; et voilà ce qui leur rend la rentrée en Dieu si facile, d’autant que la fidélité de ces pratiques simplifie tellement leur esprit que, d’un seul petit soupir, elles s’unissent à Dieu dans les distractions de l’office ou de l’oraison, dans la multiplicité des affaires et diversité des occupations : leur cœur demeure un dans l’unité, sans division dans la différence des actions, il demeure indifférent à tout et en tout, car il voit Dieu partout.

Et cette pratique, avec le temps, se rend si facile qu’elle fera doucement tomber l’âme à chaque respiration ou aspiration entre les bras de la divine Majesté, et de plus, l’ardeur viendra si grande, étant unie avec celui de Dieu, qu’il aura le pouvoir, par une abondance de grâce, de liquéfier tellement le cœur de l’âme que, toute fondue, elle s’écoulera doucement dans le Paradis du grand cœur de Jésus où, étant délivrée de toutes les multiplicités ordinaires, elle sera élevée à l’union de toutes ses puissances, ou dans un silence intérieur et sainte occupation pacifique avec Dieu, lequel la disposera par là pour entrer dans un silence très intime, pour lui donner un doux repos sur la sacrée poitrine de Jésus, comme le glorieux saint Jean, afin de la préparer pour suivre l’Agneau au Calvaire des souffrances, qui sont les vraies fruits, sans épines d’impatience [sic], que l’on doit recueillir de la vraie union.

L’Epouse fidèle se glorifie d’être montée sur la palme victorieuse de la sainte Croix et d’y avoir cueilli de ces fruits qu’elle nous assure être si doux et si à son goût qu’elle nous en veut donner le goût et le désir d’en manger : c’est pourquoi elle nous appelle et Jésus-Christ nous y attend les bras ouverts, et le cœur ardent pour consumer le sacrifice et perfectionner la sacrée union, nous faisant reconnaître quelle est la bonne et quelle est la mauvaise. Nous entendrons de sa propre bouche cette vérité, les avertissements de ne la point rompre, et les moyens de la conserver, par les sept paroles qu’il dit en la Croix, mourant pour nous donner la vie d’un amour crucifiant, d’autant plus combattant en ruine notre amour propre qu’il est souffrant et pâtissant pour nous unir à lui, et pour noyer toutes nos amertumes, mélancolies et tristesses, dans la douceur de son divin amour.

Les fondements de cette troisième partie, qui est la vie de l’union et région du divin amour, sont les Commandements de Dieu.

Ce dernier chapitre100 servira de conclusion à cette troisième partie et nous fera connaître que sa fidèle pratique n’est qu’une très spirituelle observance des Commandements de Dieu, pour nous tenir toujours unis à lui.

Tous les Commandements nous ont été donnés de Dieu pour nous faire vivre dans l’union, qui est la région du divin amour, c'est-à-dire en charité, comme les poissons vivent dans l’eau ou comme les oiseaux vivent en l’air, leur propre élément, d’une vie abondante.

C’est pourquoi notre Seigneur a dit qu’il était venu en ce monde pour nous donner la vie ; mais il a voulu être élevé sur la Croix pour nous donner une vie abondante en amour : voilà la raison pour laquelle il dit avoir apporté le feu en terre, afin qu’il soit toujours ardent sur l’autel de nos cœurs.

Hé, chères âmes, que veut-il dire, sinon qu’il désire que notre demeure soit toujours en la région abondante du divin amour et que ce feu tout divin, qu’il a apporté du Ciel, soit le propre élément de notre vie, qu’il nous serve d’air pour respirer, comme vrais oiseaux de Paradis, ou comme d’eau salutaire pour nous mouvoir et réjouir, en imitant notre Seigneur Jésus-Christ, en tout et par tout.

Tous les commandements sont compris en ces deux, à savoir d’aimer Dieu sur toutes choses, et son prochain comme soi-même. C’est aussi l’abrégé de cette troisième partie, que nous avons tirée de Jésus-Christ souffrant et pâtissant sur la Croix, pour nous enseigner par son exemple, dans cette région du divin amour, comme il faut aimer Dieu sur toutes choses et par excès, s’il nous était possible, et notre prochain comme nous-mêmes, c'est-à-dire dans l’abondance.

Considérez, âmes dévotes, et voyez que, par son élévation sur la Croix, qu’il nomme son exaltation, il nous veut faire connaître l’abondance des excès d’amour qu’il portait à son Père, et à nous, ses frères et prochains, se rendant obéissant jusqu’à la mort de la Croix, puisqu’il a choisi ce supplice comme le plus honteux de tous, et le plus cruel, et le plus douloureux, pour nous paraître le plus amoureux par son ignominie et confusion, qu’il appelle son exaltation et élévation, pour ce qu’il est un moyen très puissant pour nous tirer à l’union et pour nous élever à l’amour de Dieu, surtout par excès, et à celui de notre prochain, par abondance, comme à nous-mêmes.

Attendez et regardez de près, chères âmes, et vous verrez comme cet amour est au comble de ses plus grands excès, puisqu’il fait parade de ses plus grandes affections, mépris, souffrances et humiliations. D’autant qu’il est véritable, il est abondant en ses excès : car remarquez que c’est en ce lieu très sacré, où il est élevé, qu’il paraît le plus beau, le plus glorieux et le plus amoureux. Voyez qu’il porte la couronne sur la tête, on lui donne le titre de Roi : c’est en ce lieu là même où il établit son règne, et où il est reconnu pour vrai Fils de Dieu. Et le tout, pour nous porter à l’amour et pour nous enseigner, par son exemple, la manière de vivre, d’obéir et de régner en nous-mêmes et sur nous-mêmes, dans la région abondante du divin amour et dans l’union de l’unité, par les trois exercices qu’il a pratiqués sur la Croix, à savoir l’abandon aux humiliations, injures et mépris, l’indifférence aux peines et souffrances, et l’anéantissement de son pouvoir et de son excellence, pour nous rendre des témoignages véritables de son amour et de son affection, pour nous tirer, à son imitation, de l’aimer de tout notre cœur, et notre prochain comme nous-mêmes. Telle union ne peut être parfaite qu’en la région abondante du divin amour.

Car le premier Commandement, d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre entendement et de toutes nos forces, ce tout demande une profusion abondante d’amour, et par excès ; et sans mesure : voilà ce qui nous a été montré en cette troisième pratique par l’exercice de l’abandon, qui veut dire un don abondant de tout ce que nous sommes, fait par amour entre les mains de la divine Providence, pour en disposer selon sa sainte volonté, par toutes les humiliations, injures, mépris, affronts, ignominies et confusions qu’elle permettra nous arriver, de qui que ce soit, que nous devons croire être nécessaire pour nourrir en nous la grandeur de l’amour de Dieu, qui doit régner dans nos cœurs, qui se plait et repaît des injures et mépris qu’il avait accoutumé d’avoir en mépris.

Telle doit être l’excellence de l’amour des âmes qui sont en la région de l’abondance du divin amour, pour observer spirituellement les Commandements de Dieu, selon l’exemple que nous en a donné Jésus-Christ sur la sainte Croix, vraie région d’amour, où il a observé le précepte d’amour de son Père céleste, mourant pour nous, et celui de son prochain, donnant au bon Larron son Paradis , et à nous la forme et modèle d’une vie séraphique, abondante en amour, pour y parvenir.

La connaissance que nous avons acquise par la fidèle pratique, comme la divine Providence ne permet rien du tout nous arriver que pour notre plus grand bien et à sa plus grande gloire, nous doit ici faire reconnaître, et en vérité, que nous ne saurions plus heureusement nous abandonner qu’à celui qui a tant de pensées de paix et d’amour pour nous, tant de désirs de notre salut et de notre avancement en la perfection.

Et voilà le juste sujet pour lequel nous devons du tout nous abandonner entre les mains du Tout-puissant, pour observer les divins Commandements, car d’autant plus que, pour son pur amour, nous serons abandonnés aux mépris, affronts, injures et humiliations qu’il faut souvent endurer pour les garder exactement, fera alors qu’il nous comblera d’une abondance de paix, de joie et de contentement, qui nous porteront à nous abandonner, c'est-à-dire à nous donner encore davantage à lui, afin qu’il dispose de nous et que nous soyons tout à lui : c’est alors qu’il se donne d’autant plus à nous, pour nous unir à lui.

Tellement qu’il se fait ici entre Dieu et l’âme fidèle comme une jalousie amoureuse, à qui plus donnera et à qui plus s’abandonnera, c'est-à-dire à qui sera le plus abondant à donner : enfin, Dieu qui est la bonté même, qui a un désir infini de s’épandre et de se communiquer, surmonte sa créature, lui donnant beaucoup plus qu’elle ne saurait lui donner ; en tout et par tout, elle est surmontée par sa très grande libéralité : il lui donne grâce abondante pour faire ce qu’il lui a commandé et conseillé, si elle veut.

Et notez que voilà une pratique, en vérité, laquelle nous fera toujours vivre en amour et charité, dans l’union de l’unité : si nous demeurons toujours humiliés sous la toute-puissante main de Dieu, recevant tout ce qui nous pourra arriver de son cœur amoureux, [cela] fera en ce temps-là qu’il nous élèvera à cette vie si sublime de l’union de l’unité, qui est la fin des Commandements en vérité.

Car remarquez, je vous en prie, que le propre de l’humilité est de nous récolliger, introvertir et fortifier, pour nous faire rentrer dans une profonde solitude intérieure au-delà de toutes les créatures, jusqu’à Dieu, pour nous unir à lui et pour nous le faire aimer de tout notre cœur et par-dessus toutes choses. Voyez quelle puissante manière saurait-on trouver pour observer exactement les Commandements de Dieu, que la pratique de cette troisième partie.

Car cet abandon est un don abondant de tout, qui a son fondement sur ce premier commandement, qui a Dieu seul pour objet : il reçoit sa lumière de la Croix, sa pratique est l’abnégation, qui est un refus et détour de tout péché, vice et imperfection, et de tout ce qui n’est point Dieu ; son entretien, c’est la conformité de notre volonté à tout ce que Dieu désire de nous, et ce afin d’observer exactement le précepte d’amour, par un doux acquiescement. Et cette fidèle observance, pour ce qu’elle est abondante, nous fera entrer dans une abondance de paix, qui sera un lien très fort, à trois cordons, d’abnégation, de conformité, et d’abandon, pour unir notre cœur avec celui de Dieu, qui ne pourra être rompu que très difficilement.

Heureuses les âmes qui observent ainsi les Commandements de Dieu ! Leurs cœurs sont tellement liés avec celui de Dieu qu’ils ne sont seulement formés, mais aussi très fermes en la charité et quasi inséparables par ce lien d’amour et de paix, qui les tiendra toujours avec Jésus-Christ pour l’aimer d’esprit et en vérité, dans l’abondance, et par les excès de l’observance des grandes et petites choses, qui regardent son service et son amour.

Et son prochain comme soi-même : c’est la fidèle pratique du second exercice de cette troisième partie, que Jésus-Christ nous a enseignée sur la Croix, à savoir la sainte indifférence à toutes les peines, travaux et souffrances qui nous pourront arriver de la part de notre prochain, que nous devons patiemment et supporter doucement pour l’amour de celui qui nous le commande comme tout-puissant, et qui nous recommande comme tout amoureux du bien, du profit et du salut de tous, à ce que, pour son pur amour et en l’union de ses douloureuses souffrances, nous supportions notre prochain en ses infirmités, tout prêt d’être crucifié pour le soulager, comme Jésus-Christ l’a été pour nous : c’est là aimer son prochain par excès et dans l’abondance car non seulement on l’aime comme soi même, mais plus que son propre corps, que l’on expose indifféremment à toutes les souffrances, de crainte d’apporter quelque empêchement à l’âme de son prochain.

Ce second précepte à Dieu, premièrement pour objet il reçoit sa lumière de la Croix ; sa pratique est la résignation sur l’exemple de Jésus-Christ à toutes les peines, travaux et souffrances que nous devons supporter pour notre prochain. Son entretien est l’uniformité de notre plaisir au sien, en Dieu et selon Dieu, pour vivre en charité les uns avec les autres par cette indifférence, ne faisant à autrui ce que nous ne voudrions qui nous fût fait, et lui faisant tout ce que nous voudrions qu’il nous fût fait. Puisque Dieu le veut ainsi, rendons-nous uniformes à son divin plaisir.

Et je vous prie de croire que l’expérience vous fera connaître que voilà un solide pratique et très amoureux de ce second commandement, lequel vous donnera un tel goût et si dévot sentiment de douceur et d’amour dans la conversation qu’il vous portera toujours à l’union, et s’il vous tiendra toujours comme liés, collés et unis avec Dieu dévotement en tout lieu sans différence.

Tellement que vous pourrez dire avec S. Paul : « Qui me pourra jamais séparer de la charité ?101 » Je suis assuré que, rien du tout contre ma volonté, par la grâce de celui qui me fortifie, bien que les actions soient différentes et abondantes en peines et souffrances, qui arrivent de moment en moment, j’espère de demeurer ferme en dépit des sens dans l’union amoureuse sans différence, comme clouée, unie et attachée, par cette forte colle d’amour de l’union indivisible, à Dieu seul, en servant mon prochain pour l’amour de lui seul aussi.

L’âme se doit rendre ici comme une fidèle servante qui a toujours les yeux dressés aux mains, à la face et au cœur de sa Maîtresse, qui est la présence du Tout-puissant, pour lui obéir promptement en tout ce qui lui pourra arriver, qu’il tiendra pour commande, afin d’accomplir en tout et par tout, avec joie et contentement, son divin plaisir. Elle tient à un très grand honneur, en cette région du divin amour, de supporter son prochain, qu’elle voit que Jésus-Christ porte dans son très sacré sein.

Et voilà ce qui nous fera toujours vivre en charité, dans le cœur de Dieu, les unes avec les autres, et de plus cette fidèle pratique fera que notre cœur lui sera toujours ouvert pour y opérer librement, sans nul empêchement de nos propres volontés, intérêts et jugements, que nous déposerons aux pieds de tous, pour être toujours préparé à la vie, et pour la mort, à la consolation, et pour la tribulation, sans jamais sortir de l’union : car recevant également et joyeusement le tout du cœur amoureux de Jésus, et non plus de nos prochains, nous ne nous divertirons plus de son cœur, de sa face ni de ses mains.

En ce temps, nous n’aurions que faire de nous tenir si fortement attachées aux moyens, mais seulement d’adhérer à Dieu, de demeurer content et paisible, et de dépendre de Dieu, appuyées sur une très grande confiance, nous laissant conduire simplement et gouverner doucement à son amoureuse Providence, comme l’enfant à sa bonne mère, sans plus faire aucun choix ni élection, d’autant qu’elles sont contraires à l’union.

Et voilà ce qui nous fera vivre en une très grande douceur et concorde les uns avec les autres, et tous dans l’union de l’unité, pour l’amour de Jésus-Christ crucifié, qui nous le recommande de la Croix, les bras étendus, le coté ouvert et son très sacré cœur à découvert, nous disant : « Entre-aimez vous les uns les autres, comme je vous ai aimé dans la région d’abondance du divin amour ».

L’anéantissement, qui est le troisième exercice, nous fait connaître quels nous devons être en nous-mêmes, pour toujours vivre dans la région du divin amour ; nous avons dit qu’il faut perdre notre être pour être, mourir pour vivre, et cesser d’opérer pour bien faire, c'est-à-dire qu’il faut perdre notre être malin, notre vie libertine et sensible, et notre opérer déréglé, afin de nous laisser conduire et gouverner à la divine Providence.

Adam et Eve ont été chassés du Paradis terrestre, et Lucifer du céleste, pour s’être voulus gouverner et conduire eux-mêmes, selon leurs propres volontés, à la saveur de leur amour propre, porté d’un désir d’excellence.

Hé ! donc, chères âmes, prenons garde d’avoir à gré de nous abandonner en tout et par tout à Dieu, afin d’être conduits et gouvernés par sa divine Providence, de crainte que le même malheur ne nous arrive, et encore plus grand, si nous voulons nous approprier quelque chose.

Car nous ne devons pas ignorer que nous ne sommes rien, que nous n’avons rien, et que nous ne pouvons rien faire de nous-mêmes sans la grâce de Dieu : nous ne pouvons donc rien nous approprier de ce faux être, de cette vie mauvaise, ni rien de cet opérer déréglé car nous commettrions un très grand larcin, voire et un crime de lèse-majesté divine et humaine contre Jésus-Christ crucifié, auquel tout appartient ; et de plus, cela nous apporterait un notable empêchement pour l’union, et ferait un très grand tort au prochain. Lorsque nous voudrions être, avoir ou vouloir quelque chose contre sa volonté, cela détruirait l’unité.

Et c’est pourquoi le Tout-puissant nous conduit dans l’anéantissement quelquefois, le faisant lui-même, en nous-mêmes, par des voies extraordinaires, et d’autrefois il nous le laisse opérer par la voie ordinaire de toutes les rencontres et accidents qu’il permet nous arriver pour nous aider, par les créatures, à nous porter dans l’anéantissement de la malignité de notre être, afin de nous rendre par le moyen de sa grâce, quasi toute-puissante, pour le bien de l’union et pour nous porter à l’unité.

Et je vous prie de remarquer, âmes religieuses, que cet anéantissement dévotieux vous fera quasi devenir comme de petits dieux, ou comme un petit portrait de la souveraine grandeur, puissance et bonté de Dieu : c’est la pratique de la déiformité, où Dieu, par l’abondance de ses grâces, dissipe tous les empêchements et anéantit tous les milieux et entre-deux de l’union de notre esprit pour nous unir à lui car, par cette pratique, ne voulant rien, ne désirant rien, ayant tout quitté, n’ayant plus nulle propriété, notre âme sera comme un très beau miroir, dans laquelle se pourra fermer l’image des vertus de Jésus-Christ crucifié, et surtout de la charité.

Or prenez garde que, pour former l’image dans le miroir, il doit être éloigné de l’objet pour la représenter au vrai, et voilà ce que l’âme fidèle fait par l’anéantissement sous les pieds de toutes les créatures. Et c’est en ce temps que ce grand Dieu, par un amour de bienveillance, forme en cette âme l’image de sa toute-puissance, de sa bonté et de son amour, pour se la rendre fille de sa complaisance toute divine, afin de reposer en son cœur et de la faire opérer quasi comme lui-même, d’autant qu’elle n’est plus que comme un instrument libre entre ses mains bénites pour opérer ses merveilles dans la pratique de toutes les vertus ; ou d’autres fois, elle sera abîmée en Dieu par un doux écoulement, comme une petite goutte d’eau qui a perdu son être, sa vie et son opérer pour se revêtir d’un autre plus honorable dans la grande mer.

Le semblable arrive aux âmes qui sont dans l’anéantissement : elles se perdent à la vérité en tout, mais c’est pour l’amour de Dieu, c’est en Dieu pour vivre en lui, elles n’ont plus de mouvements propres en leurs opérations que toutes conformes à Dieu. Telles âmes ont perdu leur liberté pour ne faire plus leurs propres volontés102 d’autant que Dieu les possède par complaisance : c’est pourquoi il les veut toutes transformées par bienveillance, en l’image de son Fils bien-aimé Jésus-Christ, crucifié dans la région du divin amour.

C’est là ce divin objet béatifique que l’âme doit ici envisager, et que nous devons surtout suivre et imiter : c’est lui qui nous enseigne, d’exemples et de paroles, le vrai moyen d’aimer Dieu sur toutes choses, et notre prochain comme nous-mêmes, de crainte de nous égarer dans les précipices qui nous feraient tomber dans les éternels supplices des âmes rebelles à la pratique de ses divins Commandements et négligeant à l’observance de ses sacrés conseils, qui nous conduiront de la vie spirituelle à la vie éternelle, si nous sommes en vérité abandonnés, indifférents et anéantis en tout.

Car d’autant plus que, pour l’amour de Dieu, nous abandonnerons entre les bénites mains de la divine Providence en l’union des souffrances de Jésus-Christ, plus nous abonderons les grâces, et en toutes sortes de vertus, lesquelles feront renaître en notre cœur une abondance de paix, de contentement et de joie très spirituelle de voir maintenant si clairement [ce] que toute cette bonté infinie ordonne : elle nous le donne pour nous perfectionner, même tout ce qui vient de nos ennemis visibles ou invisibles, d’autant que tout le mal qu’ils nous veulent faire par la grâce du Tout-puissant, retourne à notre plus grand bien, si nous voulons acquiescer à la conduite de sa divine Providence, recevant le tout de son cœur amoureux.

Et voilà, chères âmes, ce qui nous doit rendre d’autant plus abondant et indifférent à tout et en tout, pour ce que, par cette pratique, nous sommes toujours dans l’union sans différence de temps ni de lieu : les accidents ou les rencontres ne nous en peuvent divertir, si nous sommes fidèles à la pratique des enseignements donnés de Jésus-Christ sur la Croix, pour aimer Dieu sur toutes choses, et notre prochain comme nous-mêmes.

C’est à quoi nous devons étudier, puisque cette pratique nous a été enseignée de Jésus-Christ. Elle contient en soi le vrai moyen d’entrer dans la vie de l’union, et sera très propre pour en recueillir des fruits plus doux que le miel, comme d’une paix par-dessus tous les sens d’un plaisir indicible et d’une joie cordiale, laquelle nous fera continuellement louer et bénir Dieu comme les Séraphins, disant « Saint, Saint, Saint est le Dieu des armées célestes et des amours divins, lequel a remporté la victoire sur nos cœurs, nous retirant d’entre les mains de nos ennemis : à lui seul en soit l’honneur et la gloire à jamais ».

Voilà quel doit être l’exercice d’une âme qui désire aimer Dieu et son prochain comme soi même : être toujours dans l’abandon, dans l’indifférence et dans l’anéantissement, pour faire multiplier la grâce et se maintenir toujours dans la région du divin amour, et que l’amour que nous avons au-dedans se montre par le dehors aux occasions et rencontres par l’exercice des vertus et par la pratique des mortifications, afin que, par notre bon exemple, les autres soient provoqués de toujours croître en l’amour de Dieu et du prochain, en la paix et concorde des uns avec les autres, comme les saints de Paradis, s’il était possible.

C’est l’abrégé de ce qui a été dit en cette troisième partie, où nous avons vu les trois moyens pour entretenir la vie d’amour et d’union, pour vivre en terre selon la forme et l’exemple de la vie de Jésus-Christ, vivre comme lui pour le moins autant qu’il nous sera possible, mais particulièrement selon la vie des trois heures qu’il est demeuré sur la Croix, vivant et mourant, pâtissant et souffrant entre deux larrons : tant de mépris et d’humiliations, injures et moqueries, jusqu’à l’anéantissement, dépouillé tout nu comme un pauvre petit ver de terre, pour payer ce qu’il n’avait point dérobé, mais seulement pour satisfaire à notre rançon, par l’effusion de son précieux Sang, et pour nous élever à l’union de l’unité, en esprit et vérité, par-dessus toutes les vues, pensées, regards et ressouvenirs, qui ne sont que des moyens pour aller à Dieu, lesquels ne doivent être méprisés, mais très fidèlement pratiqués, selon notre nécessité, aux rencontres et occasions qui se pourront représenter, de privation ou distraction.

Mais si nous sommes fidèles à la pratique de cette troisième partie de la région du divin amour, dans la spirituelle observance des Commandements de Dieu, nous ressentirons des effets admirables de l’union, par une seule vue, douce pensée, simple souvenir, ou par un regard amoureux, qui nous tiendra comme lié, collé, cloué et attaché pour vivre ici comme Jésus-Christ a fait sur la croix des humiliations et souffrances, qui sont les moyens pour nous faire passer, par la petite porte de Jésus-Christ, dans la vie des bienheureux.

Lors donc que, par la grâce de Dieu, nous aurons fait cette heureuse rencontre, tels moyens doivent cesser pour entrer en Dieu seul et pour lui adhérer fortement, puisqu’il se donne à nous si abondamment. Nous pourrons reconnaître si cette jouissance est véritable, par la tranquillité de cœur, par le contentement de l’âme et par la joie et allégresse d’esprit, suffisante pour bien employer le temps dans une sainte occupation pacifique ou dans un entretien délicieux plein de contentement très spirituel, ou bien dans une exultation joyeuse de la gloire de Dieu, comme notre séraphique Père saint François, qui était élevé par-dessus toutes les créatures à l’amour de Dieu, et sous les pieds des autres, pour servir son prochain paisiblement et joyeusement.

Et je vous prie de considérer que cette paix par-dessus tous les sens, ce plaisir par-dessus tous les plaisirs, désirs et affections de la terre, de Dieu seul et en Dieu seul, cette joie de cœur et cette allégresse d’esprit par-dessus tout ce qui est au monde, cela même, et notez-le bien, comme dit le Prophète : in pace in idipsum, dormiam et requiesciam103, cela même que l’on ressent, n’est pas seulement une pensée de Dieu, un ressouvenir de Dieu, ou de présence, ou un regard tout simple, mais c’est Dieu même qui s’unit à l’âme, en ce temps de bénédiction, c’est lui-même qui se donne lui-même en jouissance et possession.

C’est pourquoi nous disons qu’il n’est pas nécessaire alors de retenir aucun image par effort ni par violence, ni aucune pensée, paroles ou discours car, en ce temps, cela apporterait de l’empêchement à la divine jouissance : il faut donc cesser lorsque Dieu veut opérer et qu’il porte l’âme dans la possession de tout bien, pour en jouir selon son divin plaisir.

Et voilà une des plus grandes assurances de l’union, de l’unité de notre esprit avec Jésus-Christ que l’on saurait désirer : c’est là le secret des secrets de la région du divin amour, c’est un trésor caché aux yeux de tous les vivants, à la nature et aux sens, puisqu’il est par-dessus toutes les vues, pensées, regards et souvenirs, qui ne sont que chemin (étant retenus comme images) pour aller à Dieu, lesquels tous doivent cesser en leur effort lorsqu’on la trouve, disant avec l’Epouse : « Après l’avoir cherché, je l’ai trouvé, mon bien-aimé, je le tiens, et plus je ne l’abandonnerai, pour n’être plus en peine de le rechercher. Je le conserverai dans mon cœur comme un beau petit bouquet de fleurs, cueillies dans le parterre du Calvaire, sur l’arbre de la sainte Croix, planté au jardin des amours de l’Epoux ». C’est en ce lieu très sacré où nous sommes tous appelés, pour contempler Jésus-Christ parlant en mourant et mourant en parlant, pour nous donner son esprit septiforme par ses sept paroles, pour la conservation de la vie de l’union : [ce] sont les fruits que nous allons recueillir de la sainte Croix en cette quatrième partie.



La quatrième partie [la conservation de l’union], sera pour correspondre à la longueur de l’amour infini que Jésus-Christ nous a montré sur la Croix, par sept sortes d’amours, tirées des paroles qu’il a dites en icelle, pour la conservation de la vie de l’union.

Avant-propos qui nous fera connaître que la demeure ordinaire des âmes dévotes, est le mont de Calvaire..

Chères âmes, cette quatrième partie sera la dernière de cet exercice, autant nécessaire pour la conservation de l’union de notre esprit avec Jésus-Christ, comme la première l’a été pour la disposition.

La vie est longue à celles qui sont quasi toujours dans les souffrances, les accidents sont quelques fois bien fâcheux, et souvent les rencontres des afflictions, tentations et persécutions sont grandement difficiles : c’est pourquoi nous avons toujours nécessité de l’exemple de Jésus-Christ crucifié, pour nous aider à conserver la vie de l’union dans notre esprit avec lui pour jamais, afin que nous puissions, en quelque manière, comprendre le grand amour qui l’a fait tant souffrir, ou plutôt que nous puissions être tellement près d’icelui que nous demeurons toujours unis avec lui dans l’esprit, par la vérité de la Foi, laquelle nous représente toutes ses souffrances comme si elles étaient présentes, et ses douces paroles attrayantes pour nous gagner le cœur par cette pratique.

C’est pourquoi, âmes dévotes, l’Epouse sainte aux Cantiques nous désirant faire connaître son exercice, et en quoi elle s’appliquait le plus volontiers et le plus souvent pour conserver l’union de son esprit dans l’unité avec Jésus-Christ crucifié, duquel elle se servait comme d’une porte pour entrer en sa divinité, elle disait que son Bien-aimé lui était comme un petit bouquet de myrrhe et qu’elle le portait toujours sur son sein pour s’en parer par honneur, comme je crois, et qu’elle se servait de la bonne odeur d’icelui pour fortifier son pauvre cœur dans les langueurs de ses amours, pour lui donner du courage et un bon cœur tout plein d’ardeur, afin de le suivre partout, et surtout au Calvaire, de ne le jamais abandonner ni tant soit peu s’éloigner de sa chère présence, qu’elle a rencontrée en la sainte Croix, où il s’est arrêté, se repose et l’attend. Et c’est pourquoi elle nous dit qu’elle faisait sa demeure ordinaire sous l’ombre de son Epoux, qui pendait en icelle tout au haut du Calvaire, afin de nous montrer par son exemple ce que nous devons faire, si nous désirons toujours conserver en notre esprit l’union sans division avec le pauvre Jésus-Christ.

Chères âmes, puisque par l’inspiration du Saint-Esprit, vous êtes rendues filles et servantes de Jésus-Christ, c’est à vous de suivre cette sainte Epouse. C’est pourquoi je vous supplie allons tous de compagnie sur la montagne du Seigneur, qui est le Calvaire, et il nous enseignera les moyens pour conserver l’union. Il est très à propos que, là où est le corps de la sacrée humanité de Jésus, que là soient aussi les Aigles royales des âmes dévotes, pour entendre la voix, les soupirs et les pleurs d’un Dieu mourant, qui nous appelle d’une voix entrecoupée de soupirs, si doucement : « Venez à moi, dit-il, vous tous qui travaillez et souffrez pour nous unir à moi par le moyen de la Croix des souffrances, et vous trouverez le repos en vos âmes ».

Il veut que nous soyons et demeurions là où il s’est arrêté, qui est au Calvaire, sur la Croix, où il s’est reposé au midi de ses plus grands travaux, c’est là où il nous appelle d’une voix haute et larmoyante, afin de nous faire entendre de sa propre bouche sept paroles pour la conservation de l’union, afin qu’elle ne soit plus jamais rompue ni empêchée, ni même tant soit peu retardée.

Rentrons donc en nous-mêmes et soyons honteuses d’aspirer à l’union si ce n’est par le moyen de la souffrance et des Croix ; que nous soyons saintement confuses de nous dire filles et servantes, et très dévotes du très saint Crucifix, si nous n’avons des ardents désirs d’être crucifiés comme lui pour nous unir à lui, selon l’exemple de notre Père S. François, vrai Séraphin humanisé, et en tout et par tout crucifié, lequel nous devons suivre et imiter afin de participer aux souffrances de Jésus-Christ crucifié.

Si l’amour séraphique est d’autant plus grand qu’il est mortifiant, d’autant plus ardent qu’il est crucifiant, d’autant plus paisible qu’il est souffrant et d’autant unifiant qu’il est combattant, il nous faut donc monter au Calvaire pour nous unir, puisque c’est le lieu des souffrances.

L’amour nous doit arrêter sous l’ombre de la Croix pour entendre la voix de Jésus-Christ parlant en mourant, et mourant en aimant, pour nous faire respirer la vie d’amour. Il nous inspire, par ces sept paroles, l’esprit de la vie de l’union.

Le désir de pâtir, dit notre Père Saint François, est la mesure de l’amour : j’espère autant que j’ai désiré de souffrir. Voilà la grandeur de l’amour et la juste mesure de l’ardeur séraphique, qui donne la force à l’union. Si donc, âmes séraphiques, vous êtes blessées de cet amour, la demeure ordinaire de vos pauvres cœurs, pour soulager leur juste douleur et augmenter leur amour, doit être le Calvaire des souffrances, des dépouillements et des anéantissements, pour prendre notre repos avec le Seigneur sur la Croix ; et le pain de douleur de la Passion nous servira pour rassasier notre âme famélique de Dieu.

Au moins, comme fortes et courageuses, sans nulle appréhension d’aucune crainte tremblante et pâlissante, tenons-nous tout debout au pied de la sainte Croix, proche de la glorieuse Vierge, devant la sacrée table de notre Seigneur, qui est la sainte Croix, pour ramasser petites miettes qui tombent d’icelle, qui sont les souffrances quotidiennes. La fontaine où nous puiserons l’eau pour désaltérer notre grande soif, sera son sacré coté. A l’exemple de notre Mère sainte Claire, notre sommeil et le plus délicieux de toute notre vie doi[ven]t être en ce sacré lieu de mépris et d’humiliations.

Nous devons toujours demeurer sous la Croix, si nous désirons recevoir de Jésus notre Père le spirale de la vie séraphique et unitive, par les paroles ardentes de sa sacrée bouche, et si nous voulons recevoir, par les gouttes de sang qui sortent de ce divin Pélican, l’abondance de la vie, comme ses chers nourrissons, nous devons toujours être retirés sous l’ombre de ses ailles séraphiques, qui sont ses deux bras étendus en croix.

Et comme chaque chose prend sa nourriture et son mouvement d’où elle a tiré sa vie, puisque nous ne vivons que par la Mort et Passion de Jésus, d’où nous avons pris notre naissance, nous devons attendre aussi et espérer la conservation de l’union et de la vie séraphique de la sainte Croix : pleines de souffrances, d’opprobres et de misères, c’est là que nous devons prendre notre doux repos, entre les épines qui sont les peines intérieures, portées doucement entre les clous et la cruelle lance, qui sont les paroles piquantes, et même entre les grands bruits des coups de marteaux, qui sont les murmures et faux rapport. Que si l’une de ces choses vous éveillent de ce doux et gracieux sommeil de l’union, ou interrompt votre profond silence, veut inquiéter votre paix, troubler votre tranquillité, ou vous priver de la joie de cœur et allégresse spirituelle, contre l’expresse détente de l’Epoux Jésus, le plus amoureux de tous, hé ! pour l’amour de Dieu, ne faites pas seulement semblant de les voir, ni de les entendre, ni aucune mine de les ressentir : que votre secret soit pour vous. Que la douceur de la voix amoureuse de Jésus mourant sur la Croix, environné de douleurs et de langueurs à votre occasion, vous redonne plus promptement le sommeil de la sacrée union, vous ressouvenant que lui-même pour votre amour y est mort, tout couvert de sang et de plaies.

Et de plus, considérez de près la pauvreté de sa Table, comme il y est abreuvé de fiel et vin aigre, pour dissiper de nos cœurs toutes les aigreurs et amertumes qui altèrent notre paix. Si cela ne suffit pour contenter votre désir, regardez comme il repose entre les roses, mais entre les épines, les croix et les clous d’un million de peines et de souffrances, et en des choses où souvent nous ne voudrions pas mettre la main, lesquelles par impatience nous désunissent de Dieu et éloignent de sa chère présence.

Pour l’amour de Dieu, soyons attentifs à ce que Jésus-Christ dit un jour à ses Apôtres et bien aimés disciples un peu devant sa Mort et Passion : c’est à nous à qui il parle maintenant, pour nous faire connaître, par les paroles de sa sacrée bouche, ce qui nous désunit d’avec lui. Il leur dit : « Levez-vous, allons-nous en d’ici ». Où allaient-ils ? Aux souffrances du Calvaire, pour entendre cette dernière leçon des sept paroles pour conserver l’union.

Donc, chères âmes, si le sang, les plaies, les clous et les croix des souffrances vous donnent de l’appréhension et que la crainte vous fasse retourner en arrière, que la seule voix larmoyante de votre très doux Sauveur vous retienne, que le nom d’Epouse et de Fille de la Passion du très saint Crucifix, de Servante du Père céleste, de Reine et d’héritière du Royaume des Cieux vous fassent demeurer dessous la Croix. Que l’amour vous redonne de l’assurance et du courage dans les craintes nocturnes, les privations de lumières et abandonnement dans les souffrances. Que l’ardeur de ces divines flammes vous relève le cœur dans les mépris. L’humilité vous augmentera dans les souffrances, et les souffrances vous ouvriront les yeux, comme à notre Père saint François, pour contempler le Roi de la gloire pour votre amour tout défiguré, et de l’autre côté un million de couronnes en l’accomplissement de son divin plaisir, pour charger votre chef de couronnes, pour accompagner avec honneur le Roi de la gloire en son repos enfiellé. Et de grâce, je vous prie de ne le point abandonner dans son repos entre les clous et les épines, d’où il se plaint qu’il est seul et délaissé de tous, lorsqu’il meurt pour tous. Il dit qu’il a soif d’un désir que vous soyez toujours unies à lui : c’est pourquoi il nous y appelle si doucement, nous disant que tout est consumé, et que nous y trouverons du repos à nos âmes et de la joie pour nos esprits, et de l’amour pour nous ravir les cœurs.

Allons donc avec confiance, ces sept paroles nous donneront à connaître ce qui rompt souvent l’union de notre cœur et nous prive de ressentir les effets de son amour. Ne perdons [pas] courage, car nous y serons fortifiés par l’exemple de la très sainte Vierge, de S. Jean, et d’un Séraphin humanisé et par tout crucifié, qui est notre Père S. François, lequel, par son zèle ardent et bonne odeur d’exemple, a tiré notre glorieuse Mère sainte Claire pour courir, toute pâmée de douleur et languissante d’amour, après les fleurs du Calvaire, qui sont les souffrances, sans en appréhender les épines. C’est pourquoi elle a mérité l’honneur, comme vraie Epouse, de demeurer toujours sous le Crucifix avec sa Croix, et ainsi parée, d’assister aux noces de l’Agneau, bien préparée par de longues souffrances, qui l’ont rendue digne de sa compagnie dans l’union d’éternité ; mais notez que c’a été après avoir mangé le pain de douleur par l’exercice de plusieurs maladies et infirmités et diverses souffrances quasi continuelles, dans lesquelles elle n’a jamais abandonné son Epoux par des impatiences, murmures ou tristesses.

Après cette Séraphique Mère, viendront à sa suite toutes ses dévotes filles, touchées à l’envie d’une sainte jalousie, les unes après les autres, à qui de plus près s’approchera de sa sainte Mère, pour demeurer joyeusement avec elle sous l’ombre de la sainte Croix, afin de mieux entendre et de bien comprendre les sept paroles de la vie d’union de Jésus-Christ, mourant sur la Croix.



Les sept paroles de Jésus-Christ mourant en la Croix, dites à ses enfants, pour la conservation de l’unité d’esprit104.

1. De la première parole dite à son Père pour ses ennemis, par laquelle il nous enseigne à disposer nos mauvaises humeurs par un amour combattant.

Après avoir donné dès le commencement les dispositions de l’union, la manière de l’union, et les exercices de la vie de l’union sur l’exemple de Jésus-Christ crucifié, il me semble que pour l’accomplissement de cet œuvre, nous devons recevoir aussi de Jésus-Christ crucifié les avis nécessaires pour la conversation de l’union, afin de ne la rompre jamais, voire même s’il était possible de ne la point interrompre ni discontinuer105.

La première parole ardente qui sort de cette sacrée poitrine comme une flamme de feu, est la prière qu’il fait à son Père pour ses ennemis, qui étaient désunis de lui par l’aigreur de la haine et par la dureté de l’envie, afin de les réunir et pacifier par son précieux sang et ses larmes.

Car remarquez que S. Paul dit que notre Seigneur a fait cette prière avec une voix forte, accompagnée de larmes, qui montre la compassion cordiale et l’affection amoureuse qu’il avait de leurs âmes qui se désunissaient de lui par le péché, faisant mémoire de leur aveuglement en sa prière, disant : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font106 », de s’éloigner de moi.

Jésus-Christ, mourant d’amour sur la Croix, a dit ces paroles pour tout le monde en général, et un chacun le doit entendre et se les appliquer en particulier.

La sainte Epouse exprès faisait sa demeure ordinaire proche de la sainte Croix, elle les a comprises et trouvées fort douces dans la pratique : elle, s’adressant aux âmes religieuses de dévotion ou de profession, les voulant exciter à les entendre pour les comprendre et pratiquer, leur dit qu’elles sont douces, que son Epoux est tout désirable, tel est son bien-aimé en la Croix, pour ce qu’il est tout aimable.

Non que nous voulions mettre les âmes dévotes et innocentes au rang de ces cruels bourreaux et inhumains déicides sans amour, mais je les crois si humbles qu’elles me permettront bien volontiers de leur dire, encore qu’elles ne soient ennemies, qu’elles peuvent être plus grandes amies ; encore qu’elles ne soient désunies, elles peuvent être plus unies à Dieu qu’elles ne sont : il n’y a en ce monde de si grande perfection qu’elle ne puisse être encore plus grande, et ce qu’elle n’est pas, ce n’est que notre faute.

Ce qui nous empêche souvent cette union, sont des petits aigreurs, de haine, d’envie et de rancune naturelle, et souvent sans péché au premier envisagement, mais [qui,] négligés, donnent des aversions, forment des nuages, font des obscurités, et portent notre âme dans un aveuglement tel qu’il nous rend quelquefois comme ennemis ou moins qu’amis de Dieu, pour ce que nous sommes en ce temps sans les effets de l’union, qui est l’ardeur de l’amour séraphique, combattant d’autant plus qu’il est unifiant.

C’est lorsque Jésus-Christ prie son Père pour nous, afin de nous donner cet amour d’union donc, que cette voix, que ces larmes, que cette prière soit exaucée, qu’elle dissipe de nos cœurs toutes les aversions et aigreurs, encore que naturelles, pour petites qu’elles soient : car sont petits renardeaux, dit l’Epouse107, qui ruinent sa vigne, d’où elle recueillait le doux fruit de l’union dans son cœur.

C’est pourquoi notre Seigneur, étant en ce monde, conseillait à ses Apôtres de retenir en leurs cœurs les paroles de ses souffrances. C’est à nous de pratiquer cet avis : donc que cette première parole, comme une flèche ardente, entre bien avant dans notre cœur, et qu’elle le pénètre tellement et le remplisse si abondamment qu’elle nous fasse exercer, comme les saints Apôtres, la patience dans les impatiences, la douceur dans les aigreurs, quand mêmes nous serions au milieu des loups, des tigres et des ours, ou entre les coups de fouets, des tribulations et afflictions, avec les Apôtres, voire comme Jésus-Christ sur la Croix au milieu de ses ennemis, dans les mépris et opprobres. Voyez quel est son cœur : il n’y entre aucune aigreur, il est doux comme un petit agneau, plein d’amour et d’ardeur. Il prie son Père d’une amoureuse passion, c’est pour gagner notre affection, et d’une telle ardeur, c’est pour nous tirer du cœur toute l’aigreur afin que nous recevions cette parole en notre cœur, pour en conserver la douceur dans l’amertume des plus grandes souffrances, la paix dans les troubles, la tranquillité dans les tracas et multitude des affaires, qui souvent aigrissent notre esprit et rompent l’union.

Cette première parole de Jésus-Christ en mourant sur la Croix pour nous donner la vie, est comme une flamme sortant de l’ardente fournaise de son cœur, pour nous donner une amour combattant toutes les aigreurs, amertumes, envies ou aversions telles qu’elles soient, encore que petites, quand mêmes elles ne feraient que naturelles car négligées, elles empêchent l’union de notre esprit avec Dieu.

Apprenons cette leçon de Jésus-Christ, puisqu’il nous en donne l’exemple, en priant son Père, d’apprendre de lui qu’il est doux et humble de cœur : mettons ces deux vertus par toutes nos pensées, paroles et action. L’expérience nous fera connaître grandement à tenir notre esprit uni à Dieu : c’est pourquoi, pour l’amour de Dieu, si nous parlons, que ce soit non seulement des paroles de Dieu, mais si doucement et humblement comme si Jésus parlait.

Soyons imitateurs de Jésus mourant pour nous donner la vie, et la parfaite forme de conserver la vie de l’union, qui est de parler doucement à un chacun : soit que vous ayez de l’inclination pour eux, soit que vous en ressentiez naturellement de l’aversion, l’amour combattant qui sort du cœur de Jésus, doit anéantir tous ces petits ou grands ressentiments de votre cœur. Jésus-Christ vous donne la forme assurée, vous assurant que si vous le faites, vous trouverez du repos en vos âmes et de l’union en vos esprits, et de la douceur et suavité en vos cœurs avec Dieu.

Et de plus, vous serez reconnues pour vraies filles de Dieu, comme Jésus-Christ l’a été en la Croix, lorsqu’il a prié pour ses ennemis, et vous ferez aussi que les autres le reconnaîtront, et qu’ils se convertiront et uniront à lui. Voyez quel sera le profit : car outre que vous vous rendez très agréables à Dieu et lui gagner le cœur, imitant son bien-aimé Fils Jésus-Christ, formant l’image de sa douceur dans vos souffrances, par cet amour combattant contre vous-mêmes, vous lui gagner aussi le cœur et l’affection de toutes les autres, voire et des esprits les plus rebelles et les plus difficiles à adoucir, et les moins susceptibles d’humanité et capables de vertu, quand elles seraient pires que des tigres, ou des lions.

Considérez avec moi, chères âmes, quel dommage peut apporter l’aigreur de la passion de haine, d’envie ou d’aversion, pour petite qu’elles soient : Jésus-Christ qui sait le dommage, en pleure et soupire, en prie son Père, disant qu’elles ne savent ce qu’elles font, sans dire quel est ce mal, le laissant à un chacun de nous d’y penser et repenser ; car il est si grand que nous ne saurions le comprendre, qu’une âme soit désunie de Dieu.

Que direz-vous, chères âmes, si vous voyez une âme religieuse en la maison de Dieu vivre à ses passions comme une bête ? Quoi ! En religion, en ce lieu saint et sacré, une âme vouée et consacrée à Dieu pour vivre de la vie de Dieu, vivre à ses humeurs ? Et dans ses humeurs, vous jugeriez incontinent qu’elle serait pire qu’une brute, et vous penseriez voir un monstre très horrible de la considérer en cet état, un peu moins malicieuse qu’un démon incarné, voire et quasi semblable à ceux qui ont crucifié Jésus-Christ. L’on peut bien prier Dieu pour telles âmes et leur dire qu’elles ne savent du tout ce qu’elles font, et qu’elles n’ont point d’amour.

Quel plus grand malheur pourrait-il arriver à une âme ? Si elle le savait, elle pleurerait avec Jésus-Christ, mais hélas ! elle ne connaît le mal qu’elle fait, d’empêcher par un moment l’union de son esprit avec Dieu par sa négligence à mortifier ses aigreurs : elle se fait plus de mal elle seule que ne lui sauraient faire de bien toutes les créatures ; elle perd plus de bien et de grâces que toutes les créatures ne lui en sauraient mériter ; elle fait mourir en elle l’opération de Dieu, elle re-crucifie en elle-même, en quelque manière, Jésus-Christ ; elle le ferait encore pleurer, s’il en était capable et qu’il fut en terre, bien qu’il ne cesse de prier pour elle son Père au Ciel, afin qu’elle ne se désunisse plus de lui par telles petites aversions et aigreurs de passion.

Quelle doit être notre étude pour nous mortifier, quel notre soin pour nous crucifier ; mais surtout, quelle doit être notre diligence d’esprit pour combattre cette furieuse passion, et notre vigilance d’âme pour l’anéantir en souffrant, tellement qu’elle ne paraisse plus en nous que comme un petit agneau bien doux ? Si nous y sommes négligents au commencement à réprimer ses boutades, elle se rendra si ennemie et si rebelle que nous aurons bien de la peine à la mettre dehors ; les larmes et les prières de Jésus-Christ y seront nécessaires, lesquelles nous seront faciles, par l’humilité et la douceur, souffrant cette peine pour son pur amour ; car cette passion est si furieuse, qu’elle n’empêche pas seulement l’union, mais aussi tous les autres exercices spirituels, et accable tellement l’esprit qu’elle nous rend insupportables à nous-mêmes, et de fâcheuse conversation avec les autres, jusqu’à nous donner un ennui de vivre.

La mémoire de la Passion de Jésus retenue en notre cœur et réduite en pratique, et appliquée à toutes nos actions, pensées et paroles, dissipera tout ce très grand mal, par un simple regard dévotieux du cœur de Jésus en Croix.

C’est pourquoi, si mes prières ont quelques effets, je les désire joindre avec celles de Jésus, pour vous prier que surtout vous vous gardiez, autant que d’un démon, de la moindre passion d’aigreur, de haine ou d’envie, qui troublera tant soit peu votre pauvre cœur. Voire même je vous conseille d’en fuir toutes les occasions, jusqu’aux plus petites, qui vous peuvent inquiéter, lesquelles toutes ne sont que dedans vous-mêmes, si vous y voulez prendre garde ; car si vous êtes douces en paroles et humbles de cœur, qui vous pourra jamais troubler ni offenser, priver de la paix et union avec Dieu ?

Toutefois, si, par accident ou rencontre de quelque mauvaise humeur, vous êtes surprise, faute d’être la garde de vous-mêmes, pour être tombée, ne vous découragez, mais relevez- vous plus promptement, et selon le conseil de notre Père Séraphique, ne cessez d’importuner la divine miséricorde, mêlant vos larmes et vos prières avec celles de Jésus, c'est-à-dire faisant le tout en l’union de sa Passion, afin qu’il vous rende la joie de votre salut et qu’il vous confirme, par les mérites de ses prières et de ses larmes, en l’esprit principal de votre sainte vocation, qui est l’esprit de douceur, de joie et d’allégresse spirituelle dans les souffrances, tant nécessaire non seulement pour vous tenir toujours unies à Dieu, mais aussi avec toutes vos Sœurs, vraies épouses de Jésus-Christ, et vous peut-être son ennemie par les désunions de votre cœur de son amour, de votre volonté de la sienne, et de vos pensées de sa présence, et pour avoir peut-être retardé l’effet de ses prières et de ses larmes, en vous et des autres.

Ne soyez donc plus dans l’ignorance du mal que vous faites, quand vous êtes volontairement désunie de Dieu, distraite ou épandue ; ne soyez aussi plus dans l’ignorance du bien que vous perdez par votre faute, qui est très grand : puisque Jésus le connaît, en pleure, ne vous en moquez pas, s’il vous plait.

Passons à la seconde : celle-ci a été dite avec une confiance de Père à ses Filles, pour empêcher le mal, encore que par la grâce de Dieu il ne soit [pas] entre vous.

2. La seconde parole de Jésus au bon Larron, où il nous enseigne de mortifier les passions, pour conserver l’union par un amour crucifiant.

Jésus a demeuré trois heures vivant et mourant sur la Croix, pour nous donner la vie par sa mort. C’est la promesse qu’il fait au bon Larron : « Tu seras aujourd’hui avec moi en Paradis », qui est la parfaite union donnée pour récompense de la mortification des passions, d’impatiences, de murmures et de colère, car un peu devant, il était désuni de Jésus avec son compagnon par ses impatiences et murmures ; il se retourne, l’entendant prier et pleurer pour es ennemis, et il se convertit, disant : « Ayez souvenance de moi » ; et il fait, par cette simple souvenance, que ce qui lui était donné pour supplice de ses crimes, lui est changé en de très grands mérites, et ce qui lui était ordonné pour punition, retourne en consolation, par l’assurance que Jésus lui donne de l’union.

L’expérience nous fait assez connaître qu’un esprit bien né ne peut voir souffrir un autre, qu’il n’en soit grandement touché et pressé, soit pour agir avec courage, soit pour souffrir avec consolation, les mêmes peines qu’il voit, en ce qu’il aime le semblable. Mais avec un plus juste sujet, arrive aux bonnes âmes dans leurs actions et dans leurs souffrances que la seule vue ou le simple souvenir d’un Dieu crucifié leur ravit le cœur, tire toutes leurs affections, voire et dérobe toutes leurs passions ; et par là Jésus-Christ leur apprend, lorsqu’elles se laissent tirer, de faire de leurs supplices des couronnes de mérites par cet amour crucifiant toutes nos passions d’impatiences.

La seule vue d’une telle mort doit être plus que suffisante pour donner la mort à toutes nos passions d’impatiences, de murmures, de tristesses et de résignation, qui rompent et empêchent l’union ; ou nous serions pires que ce Larron, lequel par sa conversion a restitué la gloire qu’il avait dérobée à Dieu.

La fin pour laquelle nous sommes crées, est pour la gloire de Dieu, qui consiste à le connaître et à l’aimer pour nous unir à lui : tout ce qui nous empêche l’union, est un larron qui dérobe la gloire qui appartient à Dieu : car notez que Dieu a plus de gloire de s’unir à une âme que de toutes les créatures, et autant de fois qu’elle apporte de l’empêchement à cette opération par quelqu’une de ses passions, elle est larronnette de la gloire de Dieu.

C’est pourquoi, chères âmes, aussitôt que nous entendons la voix ou les larmes de Jésus, retournons-nous vers l’oracle du Crucifix par un simple regard amoureux, afin qu’il nous donne les forces et la vie d’un amour crucifiant, par le spirale de vie de cette seconde parole : « Tu seras aujourd’hui avec moi en Paradis ». Cette promesse nous sera faite de Jésus, aussitôt que nous quitterons notre passion pour tenir compagnie à Jésus, que nous ne souffrirons plus notre passion par passion, mais pour l’amour et en l’union de la Passion de Jésus : nous la crucifierons alors, nous ferons de notre souffrance un trône de gloire et de vertu, pour nous unir d’esprit à Dieu par cet amour crucifiant.

La seule souvenance de cette mort nous donnera les forces et le courage pour crucifier toutes nos passions déréglées qui nous désunissent, quand bien nous devrions demeurer dans la mêlée du combat, tout couvert de plaie et de sang, afin de ruiner et détruire en nous ce qui nous retarde de cette sacrée union.

Car ce regard amoureux nous rendra en tout vigilant et soucieux, pour embrasser de toutes les affections de notre âme toutes les peines et souffrances qui se pourront représenter, non pour empêcher l’union, mais comme moyens très propres pour nous unir à Dieu, soit pour les choses difficiles à faire ou pour les choses fâcheuses à souffrir, qui nous pourraient survenir de qui que ce soit et en la manière qu’il plaira à Dieu, non par impatience, mais doucement, en l’union des souffrances de Jésus, non pour satisfaire à nos passions, mais pour accomplir en nous son amoureuse Passion, qui nous doit être une très grande consolation ; d’autant qu’à l’instant même nous entendrons Jésus qui nous dira : « Tu seras tout maintenant avec moi en Paradis », par cet amour crucifiant.

L’expérience nous fait connaître que tout aussitôt que nous avons fait de bon cœur l’acte de souffrir telle chose pour l’amour de Dieu, nous sommes unies à Dieu, et nous ressentons que notre cœur se remplit non plus de peines, tristesses et impatiences, comme il avait accoutumé, mais de grâce, d’amour, de joie et de contentement, à chaque accident qui se présente de petite ou de grande passion, ou souffrance, d’avoir de quoi sacrifier au triomphant amour de Jésus sur cette Croix, puisqu’il voit qu’est icelle il a si glorieusement sacrifié son Corps et sa vie pour l’amour de nous, les trente-trois ans qu’il a été en ce monde.

Remarquez que ce Larron dit une petite parole : « Ayez souvenance de moi », qui était comme disant : « Jésus, recevez-moi pour compagnon de vos souffrances : que je souffre avec vous, car sans vous cette dure croix m’est un supplice ; avec vous, elle me sera matière et sujet de délices ».

La croix n’exerce jamais ses rigueurs sur nous, sinon lorsque nous la voulons porter seuls, sans Jésus ; disons souvent à Jésus : « Ayez souvenance de moi, que je sois toujours avec vous, et tout ce qui me pourra arriver, je le recevrai de votre cœur amoureux, comme une corde à trois cordons pour me tirer à vous et pour m’unir à vous, quand il m’en devrait coûter la vie ».

Mais que c’est un grand malheur d’être si peu disposées pour les souffrances que nous ne pouvons éviter, et que si nous méritant un si bon heur [sic]108 que d’entendre Jésus parler en notre cœur, hélas ! combien de maux commettons-nous tous les jours pour ne savoir ménager nos douleurs, et combien de grâces et mérites perdons-nous pour ne nous savoir servir des afflictions qui nous font régner avec Jésus-Christ au Royaume des Cieux, comme Jésus-Christ le promet à ce Larron et à tous ceux qui souffrent volontiers, et qui ne demandent [pas] à sortir de la croix, mais d’être en tout et par tout conformes à Jésus, voyant bien que l’on ne peut être uni avec Jésus-Christ sans la Croix.

C’est pourquoi nous devons désirer la Croix et mourir en la Croix, puisque les souffrances de Jésus nous ont mérité la gloire : les nôtres unies aux siennes, nous ferons porter les couronnes de la vie de l’union en terre, et dans le Ciel, celle de la gloire.

Et comme nous avons l’honneur d’être Filles du très saint Crucifix et de sa Passion, et que nous avons reçu de sa bouche le nom, et de sa main l’habit que nous portons en forme de croix pour son amour, non seulement pour faire connaître au monde que nous lui sommes crucifiés, mais aussi de peur d’oublier que le monde nous est crucifié pour jamais, et qu’il ne nous paraît, quand à l’estime, non plus qu’un vil fumier, et que nous devons toujours nous entre tourner le dos, comme deux crucifiés à une même croix, afin que nous souffrions et vivions avec Jésus-Christ d’une vie pauvre et de souffrances, mais très heureuse pour la paix, joie et consolation du Royaume des Cieux, et de l’union à ceux qui savent faire de leurs passions d’ignominie des triomphes de gloire.

3. La troisième parole à la sainte Mère, où il nous enseigne de réduire en nous-mêmes sa Passion en pratique, selon l’exemple de la glorieuse Vierge, au pied de la Croix, par un amour fort et confiant.

La troisième parole dite à la sainte Vierge au pied de la Croix montre à l’âme religieuse que, si elle désire être vraie Fille de la Passion, qu’elle doit demeurer debout avec sa petite croix, sous le grand Crucifix, pour tenir compagnie à la sainte Vierge, d’un cœur magnanime, dans un amour persévérant, fort et constant.

Il n’est point dit d’elle qu’elle aie regardé ni parlé, mais seulement qu’elle était ferme au pied de la Croix, réduisant la Passion de son bien-aimé Fils en pratique, en soi-même : ce que son Fils endurait au corps, elle le ressentait en son âme, son cœur était attaché à la Croix.

C’est pourquoi Jésus nous la donne pour exemple, parlant à saint Jean, qui représentait toute l’Eglise, pour être notre Mère, afin d’apprendre d’elle à souffrir, par un amour persévérant, toutes les rencontres fâcheuses et difficiles sans jamais nous désunir pour les souffrances.

Ce divin désir d’imiter la Passion et de la réduire ainsi en pratique en nous-mêmes, par conformité des souffrances et imitation des vertus de Jésus, nous a été enseigné de Jésus-Christ même, nous appelant à sa suite pour porter sa Croix tous les jours : par là, il nous fait connaître combien cette pratique lui est agréable, puisqu’il en est le Maître et nous donne sa sainte Mère pour exemple. Le moyen, il nous l’enseigne ; parlant de sa Passion à ses Apôtres, il leur disait : « Mettez ces paroles en vos cœurs ». La sainte Vierge a été celle qui les a gravées plus profondément, et qui a réduit en pratique plus parfaitement la sacrée Passion de son Fils, pour nous servir d’exemple. Ce qui est au cœur doit être communiqué à tous les autres membres, c'est-à-dire que nous devons appliquer la Passion amoureuse et douloureuse de Jésus à toutes actions, pensées et paroles, tant intérieurement qu’extérieurement, souffrant en l’union, et pour l’amour de la Passion de Jésus, tout ce qui nous pourra affliger, contrister ou donner de la peine, que nous devons croire ne venir que de la toute-puissante main de Jésus, qui tient toujours les Clous pour nous crucifier lui-même, afin de nous unir et lier avec lui par ces Clous de souffrances au corps et de douleurs au cœur, comme à sa sainte Mère, pour nous donner les vives couleurs de son Image, [ce] qui est un effet de sa bonté envers nous, aussi bien que de son amour fort et constant.

Chères âmes, voilà la porte ouverte pour entrer au temple de toute sainteté, par le chemin royal des souffrances appliquées par amour à celles de Jésus-Christ en toutes les rencontres, grandes et petites : et notez que la seule cause que nous avançons si peu en tant d’années et parmi tant de moyens si puissants, d’oraisons, de confessions, de communions, c’est que nous ne nous appliquons pas assez, et toutes nos actions, à Jésus-Christ crucifié, pour nous unir à lui par ces souffrances si ordinaires et fréquentes.

Car prenons bien garde que ce n’est pas assez de conformer notre volonté à Dieu dans les consolations, si nous ne la rendons uniforme dans les afflictions, c’est-à-dire d’une forme égale, autant pour le moins qu’il nous sera possible, à celle de la Mère de Jésus debout au pied de la Croix, dans un amour persévérant, toujours unie à Dieu sans qu’aucun accident l’en aie pu détourner ni tant soit peu divertir.

« Voilà votre Mère », dit Jésus-Christ, laquelle vous a engendrées sous la Croix ; ressouvenez-vous de ses douleurs, pour adoucir vos aigreurs ; voyez et considérez sa grande persévérance, et retenez et surmontez vos impatiences ; regardez toutes ses actions, et reformez toutes vos passions ; recevez-la pour votre Mère, comme a fait saint Jean. Mais faites aussi vivre ses plaisirs en vous, qui est d’avoir à la suite une quantité de petites filles, toutes crucifiées, qui lui tiennent compagnie dans les souffrances d’une vie unifiante, au pied de la Croix, pour recevoir toutes les petites gouttes de ce précieux Sang, qui sont toutes les souffrances, pour vous consacrer par ce Sang très sacré, et toutes vos actions, au triomphant amour, qui vit et règne dans le cœur de la très sacrée Vierge, par cet amour fort et persévérant en sa chère compagnie.

Maintenant rendons-nous fidèles de correspondre à un tel et si grand amour, en ce peu de souffrances qui se présentent, que cette puissante parole de Jésus nous gagne le cœur, et nous le mette en ardeur pour souffrir cette petite parole, qui ne nous agrée pas, supporter cette petite action où nous avons de l’aversion en l’union de la Passion, nous rendre complaisants à cette humeur qui nous est naturellement si contraire, porter patiemment ce petit refus qui nous est si sensible, dénier à nos sens ce petit plaisir curieux et inutile : enfin pâtir pour compatir, de crainte de nous désunir, et en mille occasions qui arrivent à tout moment, renonçant à nous-mêmes pour l’amour de Dieu, en l’union des souffrances de Jésus.

C’est là véritablement imiter la sainte Vierge, et à son exemple réduire la Passion en pratique, et nous transformer par compassion et imitation en l’image de Jésus-Christ crucifié sur la Croix, et de celui de sa Mère au pied de la Croix, et par ce moyen de conserver l’union, par un amour fort et persévérant, tout debout, toujours prête à embrasser la Croix plutôt que de se désunir, pour chose que ce soit.

C’est la pratique du conseil de notre Seigneur de porter sa croix tous les jours, qui est d’avoir, à l’exemple de la très sacrée Vierge, un véritable sentiment au cœur des souffrances de Jésus, afin de ressentir en l’âme et au corps une partie de ce qu’il a souffert pour nous ; et d’autant que la sainte Vierge en avait une plus grande connaissance, qui lui donnait aussi un plus grand amour, elle a ressenti les souffrances de son Fils en son corps et en son âme plus que tous les autres.

Cet amour faisait qu’elle était la plus crucifiée avec son Fils : en notre manière et selon notre petit pouvoir, faisons le semblable, et [ce] sera là en vérité aimer Dieu de tout notre cœur, avec tous ses mouvements et battements, lui sacrifiant toutes nos actions, pensées et paroles, pour nous crucifier avec Jésus-Christ.

Cette fidèle pratique vous tiendra toujours debout au pied de la Croix, proche de la sainte Vierge, pour vous faire une vraie fille de la Passion, par compassion des souffrances et imitation des vertus, à tout moment et en tout temps : car, si vous y prenez garde, vous reconnaîtrez qu’il ne se passe quasi un seul moment de votre vie où il n’y ait toujours quelque chose à faire ou à souffrir, à prendre ou à laisser, à recevoir ou à donner, à rejeter ou accepter, à se taire ou à parler. Nos passions nous troublent d’un côté, nos affections nous tirent de l’autre, et le plus souvent elles se combattent en nous-mêmes l’une contre l’autre : tant de vaines pensées et désirs inutiles, d’où les malins esprits prennent occasion de nous tenter et affliger.

Quelquefois ces souffrances viendront de la part du prochain, Dieu le permettant ainsi, non pour nous faire murmurer ou impatienter, mais afin de nous tenir paisibles au pied de la Croix, pour réduire sa Passion en pratique en nous-mêmes, et nous rendre semblables à l’image de ses souffrances : quelle plus grande faveur d’être si proche de sa sainte Mère, avoir l’honneur de se dire la fille de ses douleurs, et demeurer par cet amour de persévérance toujours unie à Dieu, sans qu’aucune souffrance, nulle peine ou affliction la puisse faire tomber par terre, ni abattre le cœur, ni changer de résolution jusqu’à la mort de la Croix.

4. La quatrième parole de Jésus à son Père, par laquelle il nous enseigne de nous unir à lui dans les grands excès des souffrances, par un amour vigilant.

Les Evangélistes rapportent que notre Seigneur sur la Croix, mourant d’amour et de douleur, dans les excès de ses souffrances, forma cette parole avec un cri et grande clameur, et non sans sujet, car c’était pour pénétrer les cœurs des âmes séraphiques, abîmées dans grande mer des profondes amertumes, d’ennuis ou de tristesses d’être privées du plaisir qu’il y a de servir et d’aimer Dieu, et quasi de l’espérance, selon leur sentiment, de le pouvoir jamais aimer, tant elles sont accablées de misères et privées de la consolation de toutes les créatures, et de Dieu même, ce leur semble, qui les a livrées entre les mains de leurs ennemis.

L’expérience nous fait connaître que voilà une très grande souffrance et privation, mais qu’elle est de Dieu, d’autant qu’elle est générale : c’est pourquoi tous les remèdes que l’âme pense prendre pour son soulagement augmente ses peines. Dieu même, ce lui semble, ne l’entend plus, d’autant qu’elle ne voit plus sa face que toute voilée de ténèbres, couverte de tristesses, défigurée par les coups, les crachats, le sang et les plaies, et de la mort même ; c’est ce qui lui glace la poitrine et lui gèle le cœur, et lui fait perdre toute espérance de sortir jamais d’elle-même de cet état misérable.

Non, âme séraphique, quelle que vous soyez, croyez assurément que cet état est très honorable : c’est une opération secrète d’amour. C’est pourquoi Jésus crie si haut, pour vous en donner la connaissance et l’estime, à vous, dis-je, qui l’avez tant à mépris.

Venez ça, rentrez en vous-mêmes, et parlez par raison ; oseriez-vous bien dire ni penser sans un exécrable blasphème, digne de mille enfers, que Jésus ne servait et n’aimait pas autant son Père sur cette montagne du Calvaire que sur le Thabor ? S’il dit ici que son Père l’a délaissé, il ne dit qu’il ait abandonné son Père ; ainsi au Calvaire, il montre, en s’adressant à lui, qu’il est autant uni avec lui qu’il aie jamais été ; il dit ceci pour notre introduction.

Chères âmes, remarquez que Jésus dit cette parole dans l’excès de ses douleurs, pour nous faire connaître ce que nous devons faire en tel état d’abandonnement si étrange, qui est d’avoir recours à Dieu, de nous unir à lui par ce lien de souffrances, par un simple acquiescement aux peines et abandon aux souffrances.

Hé ! Oseriez-vous bien dire ni penser que dans cet abandon Jésus n’avait point d’amour ni d’union envers son Père ? Car tout au contraire, cette grande peine et les excès de ses souffrances nous font connaître les excès de son grand amour très vigilant.

Voyez, âmes dévotes, et considérez ce qui vous fait tant souffrir en cet état d’abandon, et vous reconnaîtrez que c’est l’amour : ici la grandeur de la peine rend témoignage de la grandeur de l’amour, non l’ardeur sensible, mais la grandeur de l’ardeur véritable, qui va à l’égal de la souffrance : un homme abandonné au mal ne ressent point de peine de n’être point uni à Dieu ; la raison est d’autant qu’il n’a point d’amour qui le tienne uni à Dieu, il n’a point aussi de peine d’en être séparé ; mais une pauvre âme qui doute de ne point aimer ou de n’être point aimée, hélas ! quelles douleurs et quelles peines !

Le remède à un tel mal est de faire comme Jésus, de nous retourner à Dieu par un acte de résignation et d’abandon pour lui tenir compagnie en cette souffrance et peine ; ce que nous devons estimer à un très grand honneur, de lui être semblable et de lui tenir compagnie par un amour très vigilant, et encore plus grand si nous regardons cet amour dans son origine, et de voir que Dieu dans l’éternité, qui connaissait que vous devez être en tel état, il s’est voulu longtemps devant se rendre semblable à vous en cette souffrance et privation de toutes les consolations que pouvait recevoir sa sacrée humanité.

Donc que cette voix amoureuse entre bien avant en votre cœur affligé : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé ? » Et reconnaissez comme la parole, dans cette privation, s’adressant au Père, est un grand témoignage d’amour ; le grand silence du Père ne donnant aucune réponse à son Fils, lui est une assurance de son grand amour, et que cet état lui était très agréable, et d’autant plus que les âmes lui sont semblables, elles sont agréables à Dieu.

Jésus-Christ a dit cette parole en la Croix pour donner du courage aux âmes qui seront en cet état, et de l’assurance, lorsqu’elles demandent et qu’elles ne sont pas exaucées en leurs prières, c’est signe que Dieu se plait en leurs souffrances et qu’il les veut unir à lui par ce lien de privation beaucoup plus profitable, encore qu’il soit moins délectable, d’autant plus agréable à Dieu que plus il nous est désagréable, pour ce que nous représentons plus, par ces douleurs, les vives douleurs de l’Image de son Fils bien-aimé. Quelle plus grande gloire à l’âme ? Elle sert comme de miroir au Père éternel, pour contempler le vif Image de son propre Fils : c’est là ce qui la fait fille de la complaisance du Père, encore qu’elle soit sans plaisir, voire et pleine de mille déplaisirs en la partie inférieure et bien affligée, en la partie supérieure, par la privation de l’opération libre de ses trois puissances.

Alors l’âme se doit tout abandonner à Dieu. Si elle ne peut, ce lui semble, c’est assez qu’elle demeure, comme Jésus, attachée à la croix de résignation pour attendre d’un pied ferme tout ce qu’il plaira à Dieu permettre lui arriver. Abandonnez à tous les allants et venants, comme Jésus-Christ sur la croix, pour rendre, par la transformation amoureuse, témoignage qu’elle aime autant Dieu comme elle souffre pour lui doucement et patiemment, dans la pratique d’un amour fidèle et très vigilant à ne rien omettre par négligence de tout ce qu’elle reconnaît que Dieu demande d’elle, en quelque manière que ce soit : elle veille à se rendre agréable à Dieu dans ses souffrances.

5. La cinquième parole de Jésus a été : « J’ai soif », pour nous donner une haute estime de sa Passion, en un amour insatiable des souffrances.

La cinquième parole que l’amour fait sortir de l’ardente fournaise du cœur de Jésus en Croix est qu’il avait soif : pas un des Evangélistes ne dit que notre Seigneur ait crié ni haussé sa voix ; d’autant que c’était d’un amour languissant qu’il mourait par le défaut des souffrances, et non par des rigueurs des peines : car cette soif était un amour si ardent qu’il avait de souffrir, et à l’infini, et plus que tous les Anges et les hommes ne sauraient comprendre, il voulait que son action fût égalé à son amour infini.

Les souffrances défaillent de tous cotés, l’amour infini de souffrir s’étonne si elles sont déjà finies : « J’ai soif ». Il demande s’il n’y a plus rien à souffrir pour ôter tous les empêchements de l’union entre lui et nous ; il a soif de boire tous nos péchés, il a un désir d’y satisfaire et de les anéantir, à ce qu’ils n’apportent plus d’interposition à l’union dont il a soif. Il se retourne vers la divine Justice du Père et lui dit qu’il a soif : elle est satisfaite abondamment, c’est pourquoi son Père ne veut plus qu’il souffre.

Il parle à sa sacrée humanité et lui dit qu’il a encore soif : elle n’est pas lasse de souffrir, bien qu’elle ait quasi tout épandu son sang et consumé ses forces, elle est prête de souffrir jusqu’au dernier soupir et d’épandre pour nous jusqu’à la dernière goutte de son Sang, tant son amour est grand. Jésus se retourne devers nous pour nous rendre un assuré témoignage de son grand amour, nous voulant faire reconnaître que tout ce qu’il a souffert n’est rien ; il voudrait égaler les souffrances à l’amour de son cœur, pour nous ravir le cœur ; il nous dit : « J’ai encore soif. Si cela ne vous suffit, me voilà prêt de souffrir encore davantage. J’ai soif de pâtir pour vous attirer et me compatir pour vous unir à moi dans les souffrances ».

O bon Jésus, les amours de mon âme, les désirs de mon cœur, les délices de mon esprit, c’est assez, il suffit pour me donner une haute estime des souffrances. Et selon votre conseil, je les veux cacher dedans mon cœur, puisque vous en avez fait le choix pour me montrer l’amour que vous me portez et le désir que vous avez de mon bien. Je me propose de n’en faire plus de refus, pour le désir que j’ai de vous aimer et de me conserver dans l’union.

Cette cinquième douce parole d’amour et de reproche occupera tellement notre cœur et possédera si puissamment les affections de notre âme qu’elle nous fera hausser la voix et élèvera notre désir par-dessus toutes les souffrances, pour crier toujours avec le doux Jésus : « J’ai soif de souffrir, ou de mourir comme lui et avec lui ».

Considérons ce grand cœur divin, abîme dans toutes les souffrances, et comme l’abondance de ces eaux si amères n’ont pu éteindre cette si grande soif qui le pressait de nous donner des assurances de son si tendre amour, et soyons honteux que souvent une goutte d’eau d’affliction nous fait connaître que nous sommes sans l’ardeur de l’union : nos impatiences dans les souffrances nous dérobent ce bien.

Donc, chères âmes, que ce grand désir de souffrir à l’exemple de Jésus-Christ nous portera pour conserver l’union, et partout à recevoir de très bon cœur toutes les humiliations, tribulations, mépris et injures, non en qualité de déshonneurs, mais d’un très grand honneur ; d’autant que c’est là ce qui nous aide à former le cœur de l’Image de Jésus en notre cœur, qui est la plus grande faveur qui nous saurait arriver du Ciel, et le plus grand bien que nous pourraient faire les créatures, comme elles sont estimées telles des âmes qui en savent connaître la valeur et le mérite, comme notre Père S. François.

C’est pourquoi elles les affectionnent si passionnément qu’elles ont toujours soif et faim de pâtir avec Dieu, de pâtir en Dieu et de pâtir, Dieu montrant par ces grandes ardeurs qu’elles aiment mieux l’abondance des eaux des souffrances pour l’amour de Jésus que la jouissance de tous les plus grands plaisirs du monde : car par telles petites peines, endurées pour l’amour de Dieu en l’union des souffrances de Jésus, elles s’appliquent le cœur au cœur de Jésus, pour participer aux mérites de ses souffrances ; et ainsi elles accomplissent en leur propre corps la Passion de Jésus-Christ, agissant ou pâtissant tout ce qu’elles souffrent en l’union de son cœur amoureux ou douloureux, qui est changer les pierres en or très pur de nos souffrances en celles de Jésus Christ.

Les âmes qui reconnaissent la valeur et l’excellence des souffrances, et combien elles sont nécessaires pour conserver l’union, elles les reçoivent comme des riches présents envoyés du Père des lumières pour nous unir à lui ; mais de plus, elles les embrassent comme des dons et grâces envoyées du cœur amoureux du Sauveur pour les faire véritables filles de sa Passion, leur donnant lumière pour connaître que toutes ces croix d’enfant ont été faites du petit Jésus entre les bois et les copeaux de la boutique de S. Joseph ; et au temps de sa Passion, elles ont été mises en réserve dans son très sacré cœur pour les distribuer, selon sa divine Providence, aux âmes séraphiques, pour les aider à conserver l’union par le saint acquiescement à l’abandon à tout. Les souffrances que Jésus a sacrées par son simple attouchement, cela suffit pour les nous faire adorer, et pour nous consacrer, et unir à Dieu.

C’est là le juste sujet que nous avons de tant estimer, quoique nous y voyons d’un côté l’amour de notre cœur y mourir de soif, être crucifié des clous et des épines, entre deux Larrons abandonnés de tous ; toutefois nous découvrons de l’autre côté un trésor de pierres précieuses, pour nous en faire des couronnes de fleurs et de gloire immortelle.

Si nous avons le courage de nous porter héritiers de la soif ardente de notre Père le crucifié, qui sont la faim et la soif de souffrir, qui nous feront voir Dieu tel qu’il a été en ce monde pour nous gagner le cœur, et tel qu’il est dans sa gloire, où tous les saints ont gagné son cœur et règnent avec lui dans la parfaite union et pleine possession, laquelle je désire que nous commencions dès maintenant à y entrer par les souffrances.

C’est à nous d’avoir cette faim et soif d’aspirer, désirer et soupirer après ces couronnes de gloire des souffrances, puisque nous sommes appelés non seulement pour croire en Jésus-Christ, mais aussi pour participer aux souffrances de la pauvreté de Jésus-Christ, laquelle nous dépouille de tout pour nous revêtir de la Croix de Jésus-Christ, afin que nous commencions à régner comme lui, par le bois des souffrances en ce monde ; ce qui nous sera une assurance que lui, qui est le Roi de la Gloire, nous donnera l’héritage des Cieux, où notre Père S. François nous reconnaîtra pour ses enfants, et notre glorieuse Mère sainte Claire, pour ses vraies et légitimes Filles, si nous avons été, à son exemple, amoureuses des pierres du torrent de la sacrée Passion, qui sont les souffrances de notre très débonnaire Sauveur. Nous imiterons aussi notre bienheureuse Mère sainte Collette, si atterrée des souffrances et si passionnée de se conformer à Jésus-Christ qu’elle recevait du Ciel toutes les occasions de souffrir comme autant de croix toutes d’or, envoyées du cœur de Jésus pour conserver l’union en son esprit et l’amour en son cœur.

Et notez que S. Jean Chrysostome dit que nous devons recevoir en ce monde toutes les peines et afflictions, avec autant de dévotion comme nous ferions d’une partie de la vraie Croix, qui nous serait envoyée de Rome par notre S. Père le Pape.

Nous pouvons voir par là comme toutes les souffrances, pour petites qu’elles soient, sont une participation de la Croix de Jésus-Christ, et comme telles, elles sont à désirer pour nous unir à Dieu, plus que toutes les consolations qui souvent nous désunissent : c’est pourquoi nous ne les devons mépriser ni les laisser tomber par terre car ce sont miettes de pain, consacrées par les souffrances, qui nous est envoyé de la table de Jésus-Christ qui est la Croix, pour la nourriture des pauvres affamés de Dieu ; ce sont gouttes de sang du souper de l’Agneau, épandues pour désaltérer les ardeurs amoureuses et languissantes des âmes séraphiques, qui ont pour leur devise : Ou souffrir ou mourir ; ils les recevront comme des pierres précieuses, qui leur serviront à faire des couronnes plus agréables à Dieu que tout autre exercice.

Si Dieu, par sa bonté, nous en a fait connaître l’excellence et la valeur, ne les laissons tomber par terre, mais plutôt, mettons-les en notre cœur : ne faisons comme plusieurs indignes de l’habit de religion, ni d’être épouses de Jésus, ni de régner avec lui puisqu’elles ne veulent recevoir les pierres précieuses des souffrances, qui leur doivent servir à faire des couronnes de gloire. Celles qui auront connu par expérience les grands biens que nous apportent la douceur et la patience dans les souffrances, pourront reconnaître les très grands dommages et les maux innumérables que nous causent les impatiences dans les souffrances, comme elles nous éloignent de Dieu, divisent nos cœurs, épandent nos esprits, enfin nous désunissent et séparent de Dieu. Ah ! Quelle douleur peut avoir un membre séparé de son chef ? Le même reçoit l’âme séparée de Dieu.

6. La sixième parole de Jésus-Christ est : « Tout est consommé », pour nous fortifier dans la continuation de l’union par un amour consommant.

Notre Seigneur Jésus-Christ dit cette parole en Croix, pour ardre [brûler] et embrasser nos cœurs de son divin feu d’amour, mais si puissamment que toute l’abondance des eaux très amères des souffrances ne le puissent éteindre, à ce que nous ne soyons jamais désunis de lui, que tout soit consumé.

C’est que l’ardeur de cet amour consomme et anéantit tous les empêchements de l’union : c’est pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ a proféré cette parole d’une douceur admirable pour nous pénétrer les cœurs et gagner nos âmes ; et après avoir reçu toute l’amertume que nos péchés méritaient en sa sacrée humanité, et goutté le fiel de nos aigreurs, qui faisait la division entre lui et nous, il nous veut assurer par cette parole que par les mérites de sa Passion, il a tout consommé et que maintenant, si nous voulons, l’accès nous sera facile d’approcher du trône de sa divine Majesté, pour ce que tous nos péchés sont consommés, et tous les empêchements de l’union le doivent être aussi, par cet ardent amour consommant.

Il s’adresse à son Père céleste en notre faveur et lui dit qu’il a tout accompli l’œuvre si difficile de notre rédemption, selon l’ordonnance de sa très sainte volonté, couchée dans toutes les Ecritures.

Il se retourne devers nous pour nous assurer que le grand feu de sa charité a tout consommé l’humeur radicale, le sang et les forces de son humanité, hé ! que non seulement il a fait tout ce qu’il devait pour être aimé de nous et nous gagner le cœur à la pointe des clous et de la lance, mais tout ce qu’il a pu pour s’unir à nous. Quelle plus grande merveille, du pur amour d’un Dieu tout-puissant, qui épuise sa toute-puissance, et nous dire [dit] doucement et amoureusement : « J’ai tout consommé mes forces, employé mes pas, épandu tout mon Sang, exposé ma vie et donné ma propre substance ; le feu a été si ardent qu’il a consumé tous vos crimes, afin que le péché ne règne plus en votre cœur, mais seulement moi, qui l’a racheté par mon précieux Sang ».

Or notez, âmes séraphiques, la consolation que Jésus nous veut donner par ses paroles, nous assurant que tout est consumé : ce qui retardait l’union est anéanti, il désire et nous demande maintenant que nous nous servions des moyens qu’il nous présente pour nous unir à lui : « J’ai accompli l’œuvre si difficile de la réunion, recevez-en les profits et tous les mérites, sans qu’il vous en coûte rien qu’un peu d’application d’esprit à mes souffrances, où est la première goutte de sang que vous avez épandu pour mon service, et où la seconde action que vous avez faite pour mon pur amour.

Considérez que la Passion est suffisante, oui, car Jésus dit que tout est consommé, mais elle n’est pas efficace pour tous, si l’on ne s’en applique les mérites : c’est pourquoi Jésus ne dit pas que tout est parfait, il faut souffrir avec Jésus pour rendre l’œuvre de la Passion accomplie.

Ah ! Quel honneur et quelle gloire de participer aux souffrances de Jésus-Christ, ô qu’heureuses sont les âmes qui, par compassion et imitation, se rendent Filles de la Passion ! Ô qu’elles seront glorieuses de pouvoir accomplir les œuvres de Jésus ! Et quoi, âme dévote, après tant de peines souffertes et de sang répandu, que vous puissiez faire la clôture de ce sacré mystère et accomplir ce qui manque à la Passion de Jésus ? Oui, vous le pouvez, souffrant en votre corps, comme S. Paul dit lui-même, à l’exemple de Jésus-Christ et pour l’amour de Jésus-Christ. Alors, vous accomplirez la Passion de Jésus en vous, laquelle ne peut être accomplie en vous, encore qu’elle le soit en lui, que vous ne souffriez la douleur de son cœur, lorsque le côté lui fut ouvert après sa mort, qu’il ne pouvait pas ressentir ayant rendu l’esprit : elle vous a été réservée pour vous faire fille de la douleur de son très sacré cœur, par le moyen des souffrances portées doucement en l’union de la douleur de son cœur.

Et voilà la raison pourquoi il n’a pas dit que tout était parfait, mais que tout était consommé pour nous faire connaître que tout ce qui est consommé n’est pas encore parfait et que c’est à nous d’y mettre la dernière main par nos œuvres de pénitence, de mortification, abnégation et résignation, conformité, uniformité et déiformité, abandon, indifférence et anéantissement, pour rendre l’union parfaite et pour la conserver, à ce qu’elle ne soit rompue, retardée ni interrompue. Jésus le veut, le désire, nous le demande ; il en a même prié son Père. Et maintenant qu’il nous dit le grand Consommatum est, est comme s’il nous disait : « Ah ! ma très chère Epouse, quand viendra le temps qui devrait être à tout moment, que ton pauvre cœur sera tout vide de ce qui n’est point moi ? Et quant viendra le temps qui devrait être toujours présent, que le feu ardent de mon divin amour aura tout consommé les difficultés de l’union, qui naissent de tes multiplicités ? Quand viendra l’heure que ta poitrine me servira d’écho et que ton cœur me répondra : « Tout est consommé » ? De mon coté, je n’ai plus rien qui me détourne de la sacrée union : elle est toute parfaite, sans division et sans différence de temps, de lieu ni d’affaire ; j’ai fait un consommé de tout, je suis tout à vous, soyez tout à moi ».

Mais quoi ! une âme pourra-t-elle retrouver de la difficulté à rendre l’œuvre de l’union parfaite pour ce que toutes ses imperfections, qui l’empêchent, ne sont pas encore anéanties ? Qu’elle laisse agir ce feu qui sort de cette fournaise ardente, par l’abandon : il consommera jusqu’à la moelle de ses os.

Dieu, par sa bonté, voyant une âme dans cette langueur amoureuse, ou malade de ce qu’elle n’aime pas assez, - multipliant ses actes, elle diminue l’amour - : un petit rayon du cœur de Jésus lui fait faire un consommé, c’est qu’il réduit son esprit à l’unité.

Notre Seigneur fait en cette sixième parole comme il fit au commencement du monde au sixième jour, qui était la consommation de son cœur : il donna à l’homme les fruits de la terre pour viande, il nous donne le fruit de sa Passion pour viande. Mais en cette sixième parole, il la donne comme un consommé, cuit au feu de son divin amour, pour les âmes languissantes d’amour, comme l’Epouse ; il fait un amas et comme un recueil de tous les fruits de sa Passion, qui lui semblaient un peu aigres, et il en fait une potion cordiale ; c’est pourquoi il lui dit : « Après avoir pris le fiel et vinaigre, tenez, voilà un consommé pour vous rendre votre santé, et les forces pour vivre et mourir comme moi, jusqu’à la consommation de la nature ».

C’est la pratique de l’Epouse, qui la possédait et en jouissait en manière de consommé, de tout et d’unique : au commencement, elle se nourrissait tantôt d’une fleur, tantôt d’un changement de mystère, voltigeant comme une soigneuse abeille sur toutes les fleurs du jardin de son Epoux, pour en comporter le miel de la dévotion, comme doit faire l’âme, avec une ferme résolution de ne quitter jamais d’elle-même le mystère de la Passion, si ce n’est lorsque l’Epoux lui offre ce consommé, comme à l’Epouse, qui le recevait bien volontiers et en était toute joyeuse, et disait que son Epoux était tout à elle, tout aimable, tout désirable ; elle l’avait en forme de tout et manière d’un consumé, où tout ce qui était épandu des autres mystères, était compris dans l’unité, qu’elle possédait en tant de dons, de grâces et de faveurs par l’union continuelle qu’elle en est comme accablée, si chargée, remplie et comblée qu’elle en est comme au mourir, réduite aux soupirs, prête à rendre l’esprit pour vivre d’une autre vie, toute de Dieu, toute pour Dieu, et toute en Dieu. C’est là où Jésus promet d’attirer les âmes, pour les unir à lui quand il sera élevé de terre, c'est-à-dire lorsque l’âme aura une haute estime des souffrances et qu’elle ne se glorifiera qu’en la Croix de Jésus-Christ : alors, tout sera consommé en son cœur, pour rendre l’union de son esprit parfaite.

7. La septième parole de Jésus, recommandant son esprit à son Père, pour nous enseigner à mourir dans la sacrée union.

Cette dernière parole de Jésus fut dite d’une voix très haute, pour nous disposer à recevoir son esprit d’amour et d’unité. Il meurt d’amour et de douleur car d’autant plus que les douleurs l’environnent, plus les flammes de son divin amour montent et s’élèvent, pour s’allumer dedans nos cœurs.

Hé ! qui de nous pourra maintenant approcher de ces ardeurs éternelles sans en ressentir en son cœur des chaleurs spirituelles ? Qui pourra approcher de ce grand feu sans s’y brûler et consumer ? Quoi ! sera-t-il bien possible de voir un Dieu qui souffre pour notre amour ? Que ferez-vous, pauvrettes, sinon souffrir avec lui ? Quoi ! qu’un Dieu tout-puissant meure pour nous, et que pourrons-nous faire pour lui, sinon de donner notre vie et mourir pour son amour des millions de fois le jour ? Puisque l’amour lui ravit son âme, n’aura-t-il point la force de ravir notre pauvre cœur hors de son propre lieu pour vivre tout en Dieu ? S’il nous demande le nôtre, il nous offre le sien : à un tel changement nous n’y perdrons rien ; il le veut et le désire.

C’est pourquoi l’Evangéliste dit qu’il a livré son esprit, c'est-à-dire qu’il le donne pour quelque chose, c’est qu’il demande notre cœur : ne lui refusons le nôtre puisqu’il nous offre le sien, si excellent en soi qu’il contient tout bien, et si nécessaire pour nous faire vivre comme lui dans les souffrances, sans diminuer l’union.

Le moyen, il nous l’enseigne : c’est de ne mettre pour jamais notre esprit, comme lui, entre les mains de Dieu, pour être possédées et gouvernées comme mortes d’effet et de volonté, à tous désirs, par une entière résignation et parfait abandon de tout nous-mêmes et de nos propres intérêts, voire et les plus spirituels, entre les mains de Dieu, pour pâmer et expirer sur le sein de Jésus, pour lui donner notre esprit, afin de ne vivre plus qu’à lui seul, désunis de tout ce qui n’est point Dieu.

La manière sera de recevoir tout ce qui nous pourra arriver d’adverse ou de prospère, dans le temps et dans l’éternité, des bénites mains de Dieu, lequel nous traitera et gouvernera comme son Fils bien-aimé, et le tout sera pour nous unir à lui. Et de cette vérité, nous n’en devons nullement douter car ceux qui s’abandonnent ainsi pour être toujours gouvernés de Dieu, sont en tout lieu toujours unis à Dieu par cet amour séparant de tout ce qui n’est point Dieu.

Car entre les mains d’un Dieu tout-puissant et tout amour, qui pourra ravir notre esprit, le toucher ou lui faire peur ? Il est épouvantable aux démons, nul accident ne lui pourra ôter ou tant soit peu diminuer sa paix, son humilité, sa douceur ou sa patience, qu’ils possèdent en Dieu seul.

La raison est d’autant que toutes choses se multiplient entre les mains de Dieu : c’est pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, devant que de mourir, désirant que son esprit de pauvreté, d’humilité, d’obédience, de douceur, de patience, et de toutes les autres grâces et saintes vertus, se multipliait en nos cœurs pour être distribué à toutes les âmes dévotes, il le met et abandonne entre les mains de son Père.

C’est afin de nous apprendre à faire le semblable en tout, et dire souvent : « Mon Père, je recommande mon esprit, je remets mon esprit entre vos mains pour être gouverné selon votre volonté. » Jésus, pour l’amour de son Père, fait élection de la mort, pour nous donner la vie ; il laisse et abandonne sa vie pour nous donner son esprit d’unité, au lieu du nôtre tant multiplié et si fort divisé.

C’est là ce qu’il demande à son Père ; c’est à quoi ont été employées ses prières, ses larmes et son Sang ; et devant que de mourir, il nous montre qu’il a obtenu sa requête en notre faveur et pour notre profit ; d’autant qu’il meurt aussitôt, comme si en sa vie et en sa mort, il n’avait eu d’autre but et fin que de nous donner son esprit d’union.

C’est ce qui lui-même nous demande, pour conformer notre vie à la sienne, dans la Règle qu’il a donnée à notre glorieux Père saint François, où il nous exhorte comme capitaine, nous conseille comme ami, et nous admoneste comme père de désirer surtout, comme la fin de tous nos exercices, d’avoir l’esprit de notre Seigneur Jésus-Christ : c’est là le fruit de sa Mort et Passion, c’est l’assurance qu’il nous en donne, qu’il l’a obtenue pour nous, par l’inclination de son chef à son cœur où nous étions nous, s’approchant ainsi de nous pour nous donner par ce baiser amoureux, son esprit douloureux et amoureux, si nous le voulons recevoir.

Hé ! qui l’osera refuser, encore qu’il soit abandonné et qu’il désire que nous le soyons à son imitation ; c’est le Roi de la gloire, c’est le Fils du Père éternel, c’est la Sapience divine, qui nous donne son esprit pour nous conduire.

C’est une grande grâce, dit notre Séraphique Père saint François, et bien particulière, que le Saint-Esprit fait à une âme, de lui donner la bonne volonté d’imiter la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Cette grâce est faite à l’âme qui vraiment sert et aime Dieu, très nécessaire pour acquérir la perfection séraphique et pour nous unir à Dieu.

Car une telle âme purgée, par la pratique de la Passion, de toutes ses passions et propres intérêts, se laisse conduire au Saint-Esprit, à ce qu’il opère en elle, à son bon plaisir, comme très bon maître de la doctrine singulière que notre Seigneur a laissé écrite des livres de son humilité, patience et en toutes les autres vertus de sa Passion, où le S. Esprit la porte, pour se transformer toute en Jésus-Christ crucifié, recevant de très bon cœur, en l’union du cœur douloureux de Jésus, toutes les humiliations, souffrances et afflictions, pour nous unir à son cœur amoureux.

Et remarquez que depuis que Jésus a porté sur son chef les tribulations, il en a tiré toutes les épines, nous n’en avons plus que les roses : il les a sacrées par son attouchement pour nous consacrer, si nous les souffrons par un doux acquiescement et amoureux consentement en l’union de ses souffrances.

L’Epouse, qui avait de l’amour au cœur, n’estimait plus toutes les souffrances que comme un petit bouquet de fleurs très odoriférantes, qu’elle portait toujours sur son sein pour se fortifier le cœur contre toutes les craintes et appréhensions : ce doit être là l’exercice de l’âme religieuse, de recevoir toutes les souffrances comme autant de belles fleurs qui produiront, si elles sont conservées, le fruit de l’union avec Jésus-Christ.

Chères âmes, remarquez que, par cette dernière parole, Jésus-Christ mourant dans les souffrances d’amour et de douceur nous représente ce que doit faire une pauvre âme lorsqu’elle est délaissée et abandonnée dans les abîmes des plus grandes afflictions et tribulations jusque-là même qu’il lui semble que Dieu l’a abandonnée tout au dernier point de la privation des opérations de son âme, de toute occupation de son divin amour : en un tel état où tout le mal qu’elle a reçu autrefois retourne tellement qu’elle ne sait plus que faire, tout lui est onéreux et contraire à son humeur, si faible en tout qu’il lui semble qu’elle est à un pied près de l’enfer ; d’autant qu’elle se ressent sans aucun amour sensible, elle n’a que peines et supplices.

Ne vous étonnez de cet état, âmes séraphiques ; c’est assez pour en adoucir l’aigreur et d’en faire aimer les effets qu’il est ordonné de Jésus pour vous conformer et transformer toutes en ses souffrances, pour vous unir à lui, Et comme l’union est toute spirituelle, d’esprit à esprit, le vôtre étant impur par ses intérêts et propres recherches, il doit être purifié par cette douloureuse mort d’esprit, beaucoup plus difficile que celle du corps ou de l’âme, d’autant qu’elle est ordonnée pour une plus grande pureté d’amour ; et cette mort est tellement nécessaire que l’esprit ne sera point rendu pur qu’elle n’aie séparé de lui tout ce qui n’est point Dieu.

Pour unir notre esprit à Dieu par amour, il doit être délaissé de tout, pour se rendre semblable à Jésus-Christ : l’amour égale tout le tout et en tout pour s’unir la chose qu’il aime toute du tout, et en tout, ce qui ne peut être fait sans en ressentir une grande douleur ; d’autant que l’amour est ici combattant toutes les impuretés. Ce qui fait que l’esprit le retrouve dans une faiblesse : ne pouvant plus résister à cette mort de l’estime de lui-même, il est contraint de se reconnaître et confesser au rang des plus insignes malfaiteurs et comme le roi des superbes.

C’est en cette si grande faiblesse que l’âme doit faire comme Jésus-Christ pour s’unir à Dieu par un acte de résignation et d’abandon, remettre son esprit entre les mains de Dieu, non pour vivre, mais pour mourir de la mort du Juste Jésus-Christ, désirant surtout que sa fin soit en tout semblable à celle de Jésus, que son esprit soit séparé du corps et de l’âme. Cette douce remise se fait à tout moment, par un simple acquiescement fort et courageux, plein de confiance entre les mains de Dieu, qui sont puissance et amour, où l’âme reçoit à l’instant, pour sa faiblesse, la force d’un Dieu tout-puissant, qui la fera mourir à l’estime d’elle-même et à son propre esprit. L’ayant fait mourir, il sera par amour obligé de lui donner son esprit et un si ardent amour pour le sang épandu par les actes si fréquents de résignation et d’abandon ; ce qui la tiendra toujours unie et liée avec Dieu, en tout temps et à toute occurrence d’affaire ou de souffrances : car par ce simple acquiescement, à chaque rencontre où il faut donner du sang de sa vie, de sa volonté, de son corps, de son âme et de son esprit, pour recevoir l’esprit de Dieu, elle s’élève pour s’approcher de Jésus, qu’elle voit sur la Croix s’incliner pour lui donner le baiser de paix ; elle court, par l’acte de résignation, pour aller au-devant de Jésus, qu’elle voit baisser la tête et avancer sa sacrée bouche pour lui donner son souffle chaleureux, son esprit amoureux ; elle demeure contente dans un abandonnement, pour recevoir de moment en moment tout ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner comme un doux baiser.

C’est la pratique de cette dernière parole, de recevoir tous les accidents qui nous peuvent arriver comme autant de doux baisers que nous présente Jésus-Christ pour s’unir à nous au temps et à l’heure qu’il meurt pour nous, si cruellement et si inhumainement qu’il n’a où reposer son chef. Il cherche votre cœur : lui oserez-vous refuser, le rejeter ou mépriser, en ne voulant acquiescer à cette petite peine ou souffrance pour son amour, qui vous unira à lui.

Soyons fidèles à cette pratique de crainte qu’il ne nous fasse les justes reproches ou les amoureuses complaintes qu’il fit à Simon le lépreux, qui était, depuis qu’il était entré en sa maison, il ne lui avait pas donné un baiser. Quoi ! âmes religieuses, pourrons-nous bien endurer ces dures reproches sans rougir de honte, trembler de frayeur et mourir mille fois le jour de confusion quoiqu’il nous ai appelés en sa sainte Maison, pour ne cesser de la baiser par un doux acquiescement à tout ce qui nous saurait arriver de peine ou de souffrance, pour son pur amour ? [Ce] sont autant de doux baisers qu’il nous présente par la sacrée bouche de son divin plaisir, que nous devons baiser par l’acquiescement ; et ainsi se pratique l’union dans l’unité. Mais quelle honte aurions-nous de n’avoir pas commencé l’exercice que nous devons toujours continuer, et quelle plus grande confusion de ne l’avoir point discontinué, pour ce que nous ne l’avons pas encore commencé !

Imitons cette vraie amante de laquelle Jésus porte un si glorieux témoignage, qu’elle n’a cessé, depuis qu’elle est entrée, de baiser mes pieds : rien n’a pu interrompre cette sacrée action d’union en cette sainte amante, si agréable à Dieu, encore qu’elle ait été traversée du Ciel et combattue de la terre, des Apôtres, et des hommes, car alors Jésus lui donnait de la force pour embrasser les mépris et les paroles, qui lui étaient des moyens, non d’empêchement, mais de s’unir plus fortement et amoureusement.

Ames séraphiques, que nous serons heureux si nous suivons l’exemple de cette vrai amante, que nous ne cessions de baiser Jésus ;: ce doit être là notre exercice, ce sont là les fruits de la Passion, qui nous font souvent baiser Jésus par compassion. C’est l’occupation pacifique des vraies Epouses, de baiser Jésus mourant pour recevoir son esprit vivifiant dans les douceurs d’un amoureux acquiescement. Le baiser des pieds est pour les amis, par les actes de résignation et abandon ; mais celui des fidèles serviteurs est dans l’anéantissement du corps, de l’âme et de l’esprit, embrassant courageusement toutes les croix des souffrances, sans nulle distinction, pour être toujours unis à Dieu sans aucune division, mourant avec Jésus-Christ dans la Croix par une continuelle séparation de tout ce qui n’est point Dieu ; laquelle désunion de tout est la parfaite assurance de l’union au tout, en tout et par tout, sans différence de lieu, de temps, ni de personnes ; l’âme est ici élevée par-dessus tout dans l’union de l’unité, au haut de la montagne de son esprit, avec Jésus-Christ : ah quel bonheur !

8. Conclusion de cette pratique d’union.

Ames religieuses, vous avez pu voir en cet exercice, que vous avez tiré de mes mains par vos importunités pour vous seules (et non pour être imprimé), tout ce qui est nécessaire pour unir votre esprit à Dieu. La première partie a traité des dispositions prochaines pour l’union ; la seconde vous a montré la manière de l’union ; la troisième vous a fait connaître la véritable vie de l’union ; et la quatrième vous a fait voir ce qui peut rompre cette union et les moyens pour la conserver, afin que vous viviez en ce monde, autant qu’il sera possible, sans aucune désunion ; et le tout vous a été représenté sur l’exemple que Jésus-Christ nous en a donné sur la montagne du Calvaire, pour le suivre et imiter en ses vertus, et vous unir à lui par les amoureuses souffrances. Je crois que vous ne serez honteuses et ne tiendrez à déshonneur de porter, comme l’Epouse, ce petit bouquet de fleurs en votre sein, que Jésus-Christ, pour votre amour, a porté au sien.

Reste la principale pièce de tout, qui est la pratique, laquelle je vous désire de tout mon cœur et de toutes les affections de mon âme, plus que ne saurait faire aucun père pour élever sa fille : et comme je la désire pour vous, je l’espère aussi de Dieu par vos saintes prières, lesquelles je vous demande à cet effet, pour son saint amour, afin que vous et moi nous vivions et mourions par cette fidèle pratique de conformité, d’uniformité et déiformité de ressemblance à Jésus-Christ mourant en Croix, après avoir dit d’une voix haute : « Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé ? » Ayant recommandé son esprit entre les mains de son Père, il inclina son chef et lui rendit son esprit, demeurant après immobile, insensible et indifférent à tout ce qu’il voudrait faire de lui, soit qu’on le laissait en Croix pour y souffrir le coup de lance et toutes les autres injures et opprobres, soit qu’on le descendit de la Croix pour le mettre dans le Sépulcre. Il est indifférent, abandonné et anéanti à tout, et voilà tout ce que Jésus demande de nous en mourant ; et après sa mort, son sacré Corps, qui vit de la divinité, le désire de nous pour nous élever dans l’unité du divin amour, qui est le lien de perfection.

Jésus, par les derniers soupirs, nous montre les désirs qu’il a de nous unir à lui ; sa Divinité vivante dans la sacrée humanité nous le demande encore après la mort. Là où est donc le corps de Jésus, là doivent être assemblées les aigles royales, qui sont les âmes séraphiques, pour faire comme la sacrée humanité de Jésus nous a montré sur la montagne du Calvaire, à savoir d’être et de demeurer comme lui en la Croix, abandonné, indifférent et anéanti entre les mains de Dieu pour faire de nous tout ce qu’il lui plaira, soit de demeurer en cette peine ici, soit d’être en cette affliction là, soit d’être jeté avec les morts dans le sépulcre, voire et de descendre jusqu’aux enfers avec Jésus, c'est-à-dire sans péché : voilà le vrai moyen que nous enseigne Jésus après sa mort, pour être toujours dans l’union sans différence ; tous ses membres, encore que morts et sans mouvement, nous en prient.

Ses divins yeux mourants, se fermant, nous y appellent doucement, dit le Prophète : Palpebrae eius interrogant filios hominum109, car les yeux de Jésus-Christ attaché sur la Croix nous parlent et nous demandent amoureusement de quoi nous avons besoin, ce qui nous défaut ; et combien qu’ils soient sans mouvement et privés de la vie de l’âme étant unie à la Divinité, ils vivent et parlent divinement, et nous demandent : « Que voulez-vous davantage ? Je suis tout à vous, je suis tout mort pour vous, je prends garde à vous, je veille pour vous, veillez donc toujours pour moi, ayez confiance en moi : je dissiperai tous les empêchements de l’union par ma seule présence, venez donc à moi ». Il nous y semond [convie] par le signe de ses yeux, en mourant.

Que nous demandent ses bras si fort étendus ? Rien autre chose que de nous recevoir à bras ouverts, comme un petit enfant qui ne peut parler : sa mère lui demande s’il l’aime, il ne dit mot, mais étendant ses petits bras, il se jette au col de sa mère, comme lui voulant dire : « Je vous aime à bras ouverts, de tout mon cœur ». Regardons l’Enfant Jésus, le Fils du Père céleste : il est mort, il ne dit mot ; encore qu’il soit la parole du Père éternel, il parle toutefois divinement : voyez comme il étend les bras pour se jeter sur le col d’un chacun de nous, nous disant : « Je vous aime à bras ouverts ; pourquoi fermez-vous donc les vôtres par vos irrésignations, et empêchez que je ne vous embrasse et que je ne vous donne mon divin amour, pour vous unir à moi par vos baiser de paix ? »

Cette langue bénite de Jésus, encore que morte et sans aucun mouvement, étant unie avec la Divinité, elle a une parole toute divine et toute ardente d’amour : en son sacré silence, elle nous assure que Jésus nous donnera tout ce que nous lui demanderons, non seulement la moitié de son Royaume, mais sa Gloire et tout lui-même, dès ce monde, pour en jouir et nous unir à lui, si nous le voulons croire, et faire tout ce qu’il nous inspirera, qui sera de nous laisser gouverner et faire en nous son œuvre d’amour séraphique.

Mais surtout, ce cœur divin de Jésus est mort : ah ! il ne soupira plus, les dernières gouttes de sang en ont été tirées par la cruelle lance, pour nous rendre un parfait témoignage d’amour et qu’il nous donne tout son Sang, aussi bien que toute sa vie. Mais c’est un cœur uni à la Divinité, qui parle un langage céleste, par la grande ouverture qu’il a voulu être faite à son sacré coté. Il nous appelle pour y entrer, afin de nous réchauffer : c’est pourquoi il demeure en la Croix tout ouvert, pour donner l’accès facile et l’entrée libre à toutes les âmes séraphiques qui désirent y faire leur demeure.

Il nous assure, par cette si grande ouverture, qu’il ne refusera personne ni qu’il n’en chassera aucun dehors : quelle joie et quelle plus grande consolation, non de tomber entre les mains d’un Dieu vivant, que l’Apôtre dit être une chose horrible et à craindre110 ; mais que c’est une chose aimable et à désirer d’entrer dans le cœur d’un Dieu mourant, d’y être reçu, porté, et de s’y reposer ! Quelle plus grande joie ?

L’Epouse y faisait sa demeure ordinaire : y étant entrée par les douces semonces de son Epoux, elle n’en sortait quasi plus ; et c’est ce qui la tenait toujours en ardeur et passionnée de ce divin Amant.

Notre glorieux Père S. François y a reçu toute l’ardeur de l’amour, qui lui a mérité le nom de Séraphique. Notre bienheureuse Mère sainte Claire y avait une dévotion si particulière qu’elle y faisait sa demeure ordinaire, elle y trouvait toute sa consolation et son repos : par cette porte du Ciel, elle découvrait les trésors d’amour cachés en ce divin cœur de son céleste Epoux. Notre sainte Mère Colette y a trouvé une douce et continuelle occupation pacifique, comme feront aussi toutes ses dévotes Filles, si elles se rendent humbles, douces, et petites : car par tels moyens, en tout lieu elles seront unies à Dieu.

Jésus sur la Croix a des pieds, mais si inhumainement cloués et si rudement attachés qu’ils n’ont plus de mouvement : ils sont toutefois de Dieu, et où est la Divinité, elle parle toujours, mais d’une voix toute d’amour ; ils nous disent par leur silence comme l’amour les a fait courir trente-trois ans après nous, que, maintenant lassés du chemin et défaillant de forces mais non pas d’amour, ils sont attachés à la Croix par ces gros Clous de ce même amour, pour nous attendre et gagner le cœur par cette démarche amoureuse.

Cette sacrée humanité est donc morte, l’âme en est séparée, qui donnait à tout le corps les mouvements : mais la divinité l’accompagne toujours, laquelle lui donne au cœur des continuels battements. Elle est toute anéantie, mais l’amour n’est amorti, ni le feu n’est éteint. Il ne lui reste [pas] un seul répit, l’amour l’a rempli de soupirs innumérables et lui a fait donner jusqu’à la dernière goutte de son Sang.

Encore qu’il soit en tout son Corps douloureux, la divinité nous le représente en la façon d’un vrai amoureux. Considérez, chères âmes, avec moi, et voyez s’il vous reste encore un cœur et des yeux pour voir la posture de celui qui est fait tout cœur pour vous : voyez comme il tient les deux cornes de la Croix, ayant les deux bras tendus en icelle ; il semble, à le voir, d’un arc bien tendu, qu’il tient en ses mains pour frapper tout le monde de son divin amour ; mais son cœur au milieu est en forme de flèches ardentes, tout détrempé de son précieux Sang, pour brûler les cœurs de ses divines flammes.

Mais, ô amour, Jésus est tout nu en la Croix : tu l’as dépouillé non seulement de tous ses vêtements, mais de son honneur, de sa liberté, de sa vie et de son Sang. Mais non pas de sa Divinité, qui l’accompagne toujours pour nous faire de grands biens : elle tient caché en son humanité, corporellement, tous les trésors du Ciel. Si le silence des morts lui ferme la bouche, l’amour du cœur lui ouvre la bourse [sic], pour répandre, après sa mort, son esprit de grâce et d’oraison, d’amour et d’union, qui sont les richesses qu’il nous a apportées du Ciel et qu’il nous laisse en terre, devant que de monter au Ciel, pour nous aider à le suivre par la voie d’amour et l’imiter par le chemin de la Croix, qui sont les souffrances qui ont été sacrées par le cœur de Jésus ; et si nous les recevons, et portons patiemment pour l’amour de Jésus, elles auront le pouvoir de consacrer tout notre cœur au triomphant amour de Jésus, par l’exercice de ces sept amours, tirés de ces sept paroles de Jésus, pour nous conserver dans l’union, afin qu’elle ne soit jamais interrompue, s’il est possible. Je le prie qu’il nous en fasse la grâce à tous.

Conclusion, et fin dernière, s’adressant à Jésus.

Ô bon Jésus, l’amour des cœurs séraphiques, faites-nous tous la grâce, puisque vous êtes mort, pour nous donner la vie de l’union : que nous demeurions à jamais au pied de votre sainte Croix, soupirant et aspirant après ces divines pratiques, pour souffrir et mourir comme vous, pour nous unir à vous.

Ô ardent amour de mon doux Sauveur, qui brûle toujours, sans être consommé, changé et renouvelé, dans ce feu sacré de votre dilection, mon corps, mon âme, mon esprit et toute ma vie, afin que tout étant purifié, je sois sans division, toujours dans cette sacrée union ; et de plus, je vous prie par votre même cœur amoureux, que je sois si fidèle à ces divines pratiques que jamais je ne vous donne sujet de vous plaindre de moi et de me faire ces si dures reproches que je ne vous ai pas encore donné un baiser, par un doux acquiescement aux souffrances.

Ô amour incompréhensible ! Si c’est une chose horrible, dit votre Apôtre, de tomber entre les mains du Dieu vivant, l’amour me fait connaître que c’est une chose très bonne de tomber entre les mains du Dieu mourant. C’est ce qui me relève le cœur et donne de l’espérance, et la hardiesse de vous demander, de grâce, le baiser de votre sainte Croix. Puisque je suis indigne du baiser de la bouche, c’est pour vos Epouses ; celui de la main, pour vos amis ; et celui de vos pieds, pour vos fidèles serviteurs ; au moins, que j’embrasse amoureusement votre sainte Croix, pour y pleurer mes péchés : j’en suis content et j’en serai consolé, car j’espère de vous y rencontrer les pieds attachés et les bras étendus, et le cœur ouvert pour m’y recevoir par vos très grandes miséricordes.

Ô doux amour ! Ô charité merveilleuse d’un Dieu mourant ! Ô amour éternel ! Mon âme vous requiert encore une faveur, à savoir de recueillir tellement les fruits de votre Passion que vous n’ayez sujet de vous plaindre que vous avez travaillé en vain : ne permettez, ô doux amour, que tant de peines et de si excessives souffrances, que vous avez endurées pour me tenir toujours uni à vous, soient perdues, [qu’]une si grande maison ne soit sans fruit, et qu’une si abondante rédemption ne soit sans profit. Abondance amoureuse qui va jusque dans les excès, et par-dessus tous les excès, puisqu’au lieu de quarante coups de fouet ordonnés par la Loi pour les plus insignes malfaiteurs, vous en avez voulu recevoir plus de six mille [sic!] pour une petite goutte de votre précieux Sang, laquelle seule était plus que suffisante pour satisfaire à tous mes péchés et pour payer ma rançon, voire et pour la rédemption d’un million de monde ! Et vous, bonté infinie, la grandeur des excès de votre amour vous a porté à donner votre propre vie par une telle mort et d’une telle manière qu’il n’est pas demeuré une seule petite partie de votre sacrée humanité exempte de douleur, pour me gagner le cœur.

Ô mon très doux et très cher Rédempteur, faites au moins que la douleur que je ressens de vos tourments, si elle ne me gagne le cœur, qu’elle me lie et attache à la Croix avec toutes mes passions, qu’elle enchaîne sur ce sacré bois toutes mes plus tendres affections, retienne mes paroles et arrête mes discours.

Et me permettez, s’il vous plait, ô doux amour, de me jeter à vos pieds, de les arroser de mes larmes, d’embrasser votre Croix et d’y pleurer mes péchés : je ne veux plus espérer de miséricorde que de votre précieux Sang, lequel me donnera une facile entrée en votre présence, et un paisible repos dans la jouissance de l’union par l’unité, selon ces petites pratiques, et pour jamais dans l’éternité, par les très grands excès des miséricordes d’un Dieu mourant, la jouissance du même Dieu vivant et régnant, une jouissance de lui-même dans la Gloire avec tous les saints.

Amen.

La conclusion de cette quatrième partie, qui peut être dite le Royaume de lumière, d’amour et d’ardeur.

Chères âmes, nous avons vu que l’amour ne s’est pas contenté d’avoir rendu Jésus-Christ mortel ; mais de plus, après avoir dit ces sept paroles, il nous l’a aussi rendu mort, pour nous rendre la vie en mourant, que nous avons perdue en péchant, et pour nous faire aussi reconnaître que nous ne pouvons pas recevoir la vie de connaissance et d’amour pour régner et commander à nos passions, sinon en mourant en nous-mêmes comme lui sur la Croix, tous les jours de notre vie, pour conserver l’union dedans nos cœurs, par la souvenance de sa douloureuse Mort et Passion.

Vous avez pu connaître par la lecture, que cette dernière partie a pour son fondement les sept paroles amoureuses que Jésus-Christ a dites sur la Croix, qui sont comme sept Sacrements ou moyens pour nous communiquer sa grâce, afin de nous aider à conserver nos esprits dans l’union de l’unité : ce sont paroles amoureuses qui nous font connaître les divins secrets de son cœur très sacré. Et de plus, il nous assure en vérité, par la douce inclination de son chef, en nous offrant le baiser de paix, qu’il nous veut accorder toutes les demandes que nous avons faites à son Père en son nom. Si nous sommes fidèles à la pratique de tout ce que nous avons dit jusqu’ici, afin de réduire le tout à l’unité, le commencement avec la fin, pour faire de notre esprit un ciel intellectuel, et de notre âme un Royaume céleste, pour y loger ce divin esprit septiforme, qu’il nous veut donner après sa Mort et Passion, afin de donner la mort par sa Mort à toutes nos passions, pour nous faire vivre comme des Anges et comme des Rois, voilà ce qu’il nous veut apprendre, mourant et régnant sur la Croix, portant la couronne sur la tête, pour nous enseigner à régner par la force de l’amour, pour l’amour et dans l’amour, au Royaume d’amour.

Cette quatrième partie est un Royaume tout d’amour car Jésus-Christ, par sa Mort, nous a montré le dernier effet de son très grand amour, afin que son amour, et sa Mort et Passion, aient le pouvoir de nous faire mourir à toutes nos passions et imperfections, et de plus, de conserver notre esprit pour son Ciel empirée, et notre âme pour son Royaume d’amour, et notre cœur pour son lieu de repos et de délices.

Les sacrées Stigmates ont été imprimées sur le corps de notre Séraphique Père S. François par un excès d’amour très particulier, non seulement pour faire connaître à tous qu’il lui appartient, et que personne ne lui soit moleste et fâcheux ; mais aussi il demeure marqué de ces sacrées plaies et les porte sur sa chair, encore que séparée de l’âme et privée de la vie corporelle, afin d’être conservé tout entier, comme il est jusqu’à présent, pour ce qu’il est serviteur de Jésus-Christ, et les marques du Roi des Rois et les caractères de son Prince ; nulle chose ne lui peut être moleste ni fâcheuse pour le corrompre ou détruire : il se conserve en son entier, par la vertu des plaies qu’il porte sur sa propre chair.

Ames dévotes, Jésus-Christ, par ces pratiques qu’il nous enseigne de la Croix, veut faire en nos corps et en nos âmes quelque chose de semblable, imprimant sur nos corps, par la mortification, les douleurs de sa Passion, et gravant dans nos cœurs si avant les douleurs et amoureux ressentiments de son amour tellement que nous conservions non seulement cet honneur de lui appartenir et d’être ses serviteurs, mais aussi le bonheur d’être crucifié et uni avec lui, pour régner sur la Croix comme lui à toutes nos passions, par les mérites de sa Passion. Servir ainsi Jésus-Christ, c’est régner ; pour régner, faut être couronnés, faut être morts et de plus, faut être crucifiés : et voilà tout ce qui nous a été enseigné de Jésus-Christ même, en ce petit Traité, pour nous faire porter ces plaies, afin de nous conserver.

Cette quatrième partie, qui nous représente Jésus-Christ triomphant en la Croix, par sa Mort, de notre mort et du péché pour régner dans nos cœurs, par sa fidèle pratique, elle nous dispose pour recevoir le spirale de vie, mais d’une vie vertueuse, qui ne sera plus onéreuse, fâcheuse ni difficile : elle n’aura plus tant à contrecœur de pratiquer la vertu, pour en avoir déjà acquis les habitudes par les actes.

Au commencement, il semblait difficile de produire un acte de vertu ; si l’on continue par la seconde partie à le poursuivre, il ne semblera quasi plus fâcheux ; et si l’on continue par la troisième partie, dans l’abondance des actes, l’on n’en ressentira plus du tout. Mais si on s’accoutume, ce qui était amer, fâcheux et difficile sera changé en douceur de l’âme et du corps, nulle chose ne sera moleste, car, par la pratique de cette quatrième partie, comme nous l’assure notre Père saint François, tout nous sera doux, suave, plaisant et agréable.

Par cet exemple tiré de l’expérience, nous pouvons reconnaître quel est le fruit de la vertu, pratiquée et acquise, quel sera le profit qu’elle nous apportera, combien de délectation, de joie, de repos et de consolation en Dieu seul. Telle est la sainte opération de l’Esprit de notre Seigneur Jésus-Christ en l’âme, où il fait sa demeure. Il ne peut être oisif ni paresseux : où il est, il opère de grandes choses, particulièrement des cœurs des âmes fermes et constantes, qui sont comme la sainte Vierge au pied de la Croix, leur faisant réduire la Passion en pratique, par toutes les choses qui leur peuvent arriver.

De plus, il forme par sa sainte opération, ses sept dons, ses douze fruits et les huit béatitudes, pour perfectionner les sept vertus principales, à savoir : les trois théologales, Foi, Espérance, et Charité ; et les quatre cardinales, qui sont Prudence, Force, Justice et Tempérance, lesquelles sont comme sept armes bien ordonnées de vertus, plus courageuses que les septante forts d’Israël, ordonnés pour la conservation du repos du vrai Roi pacifique, Jésus-Christ, lequel désire reposer et prendre ses délices des âmes où il retrouve sa ressemblance, qui consiste des vertus : c’est pourquoi l’âme qui a ce divin portrait, est dite un petit Dieu, pour ce qu’elle en porte la ressemblance, pour opérer comme lui par la grâce du Saint-Esprit , qui lui est ici donné abondamment, et sans reproche d’infidélité ni de paresse.

Et voilà ce que veut dire notre sainte Règle, lorsqu’elle nous conseille, sur toutes choses, le désir d’avoir l’Esprit de notre Seigneur et sa sainte opération, à savoir de prier toujours Dieu de cœur pur, comme faisait l’Epouse sous l’ombre de la palme victorieuse de toutes ses passions, ennemis de ses saintes vertus, ou plutôt comme Jésus-Christ sur la Croix, dans l’union de l’unité, toujours introverti et récolligé, comme dans le Royaume de lumière, d’amour et d’ardeur que se donnent celles qui sont attachées sur la Croix, qui font la joie dans les souffrances, la paix dans les humiliations, la douceur dans les contradictions.

Ces grâces sont données aux âmes fidèles pour opérer comme un Dieu tout-puissant, et tout d’un coup, et promptement, et continuellement même toutes les vertus les plus difficiles, car en ayant déjà acquis les habituels, elles sont toujours dans l’attente en préparation d’esprit, pour les former par la grâce de la sainte opération de l’Esprit de notre Seigneur : aussitôt que l’occasion s’en présente, elles lui donnent la forme, sans aucune difficulté ni excuse ou exemption, soit d’obédience, soit d’humilité, de patience ou de quelque autre vertu, sans plus tant perdre de temps à former des actes si lâchement ou à s’excuser, contredire, contester ou répliquer.

Les âmes qui sont au Royaume de lumière, d’amour et d’ardeur, ne s’amusent pas à perdre ainsi les occasions ni le temps ; mais plutôt, comme Jésus-Christ, elles donnent leur consentement par un simple acquiescement, elles rendent l’être, l’esprit et la vie de leur propre volonté, par cette douce inclination de tête entre les mains de Jésus-Christ, pour vivre, opérer et mourir comme lui toujours dans la vie vertueuse.

Et remarquez, s’il vous plait, que voilà ce que veulent dire ces paroles, d’avoir humilité et patience, et non seulement de les acquérir, mais de les voir déjà acquises, et d’être, par la grâce de Dieu et la continuation des actes souvent réitérées, dans la possession des vertus.

L’amour est ici fort comme la mort, laquelle dépouille le corps de toutes ses actions : l’amour fait ici le semblable, il dépouille la vertu de tous ses actes, pour nous faire vivre toujours avec Dieu ; car il n’y a que la seule vertu, accompagnée de la grâce, qui nous unisse au Dieu des vertus.

C’est pourquoi saint Bernard avait juste raison d’appeler l’amour un « doux tyran » : d’autant qu’il fait en bonne part ce que le cruel fait injustement, il tire à soi toute la substance des vertus, il s’en approprie tous les actes non pour les anéantir, mais plutôt pour les ennoblir et relever l’âme jusqu’à la dignité royale, lui faisant porter la couronne des vertus sur la tête, plus brillante que les étoiles.

C’est pourquoi nous avons droit de dire que l’âme fidèle à ces pratiques soit élevée à une telle dignité, pour ce qu’elle a mis l’inconstance du vice et de l’impureté, voire même jusqu’aux plus petites imperfections, dessous ses pieds ; elle doit être revêtue du soleil, puisqu’elle est en la Croix, et porter la couronne d’épines, puisqu’elle est ici dans le Royaume d’amour et d’ardeur, non pas sous ses pieds, mais sur son chef, par honneur, pour accomplir en soi la Passion de son Sauveur par la participation de ses souffrances et communication de ses douleurs, avec joie, pour s’en appliquer les mérites.

Ici l’âme, par la grâce de Dieu et à l’aide de ces petites pratiques, reçoit l’esprit d’amour pour vivre vertueusement, et non plus selon des sens, non à la façon d’une vile servante, mais d’une reine régnante : c’est pourquoi en cet état, toutes les vertus lui sont toujours présentes, comme ses filles d’honneur, pour être ses fidèles servantes, afin de lui obéir à point nommé et promptement, et de moment en moment.

Si cette âme régente a besoin de leurs services en sa nécessité, elle n’a qu’à leur faire le moindre signe, comme de l’humilité, de l’obédience ou de la patience : elle se présente la face riante et d’une si bonne grâce, comme sa sujette, pour lui rendre tout le service qu’elle saurait désirer d’elle ; ainsi en sont toutes les autres vertus. Car ce n’est plus ici de l’hiver, des pluies, des neiges ou de la nuit, où l’on ne peut rien faire, ou si peu que rien ; car l’on a tant de peine à servir les vertus, à les faire et former par les actes si souvent réitérés, très nécessaires, toutefois, en ce temps-là, d’autant qu’elles ne faisaient que de naître, et souvent elles étaient si défigurées, contrefaites et si laides qu’il ne paraissait en elle nulle forme de beauté, de bonne grâce ni de gentillesse.

Mais en cet état, l’âme les ayant acquises par la grâce du S. Esprit, elle ne travaille plus que pour les embellir, orner et parer par l’opération d’amour, qui est celle que Dieu veut opérer en nous : c’est son œuvre principale, par laquelle il s’aime soi-même et fait tout ce qu’il fait ; et c’est cela même qu’il nous veut donner par ses paroles ardentes, qui sortent en abondance, comme des flammes d’amour, de son cœur très sacré, pour nous faire aimer les vertus.

Voilà la cause pourquoi il s’efforce de nous donner cet esprit d’amour, avec un si haut cri, à ce qu’un chacun de nous le puisse entendre et comprendre, afin de le recevoir et conserver pour faire et souffrir tout pour l’amour de son plaisir.

Donc, chères âmes, que l’amour ici couvre et revête toutes vertus, comme le soleil fait les fleurs, que vous soyez ici élevées et ennoblies comme des reines, par-dessus toutes les vertus, d’autant que vous ne devez plus être leurs petites servantes. Mais plutôt, elles vous doivent servir, comme c’est le dire ordinaire : servez-vous des vertus, et jamais ne servez les vertus. Elles ne doivent toutefois paraître simplement comme vertus, mais comme des petites reines, pour ce qu’elles sont revêtues du Soleil de Justice, qui est Jésus-Christ, et couvertes de son saint amour, qui est très riche et abondant ; c’est pourquoi il n’a rien épargné pour les rendre très belles.

Tellement qu’on ne les voit plus, on ne les connaît plus, celles qui les ont même les ignorant : car l’amour, qui est for » comme la mort, les a toutes dépouillées de leurs vieilles robes toutes rompues, déchirées et rapetassées, ce qui les rendait si laides que souvent elles n’avaient pas la hardiesse de se représenter à leur dame et maîtresse. L’amour les a toutes revêtues à la royale, de Justice, de paix, de joie, et d’allégresse ; elles sont maintenant si belles, si gracieuses et si agréables qu’elles sont capables de ravir les yeux, les cœurs, les esprits et les âmes de tous ceux et celles qui les regardent.

Et ne vous en étonnez, puisque même le Roi du Ciel et de la Gloire, encore que tout- puissant, en les regardant, il en devient si jaloux qu’il en est tout passionné d’amour ; tellement que pour ce sujet il en meurt sur la Croix d’amour, pour régner dans nos cœurs et pour nous faire rois ; et si ce qu’il a souffert n’était suffisant, comme il est plus d’un million de fois, il serait tout prêt de faire et souffrir pour un seul ce qu’il a fait pour tous : ô Dieu, quel excès d’amour !

Hé donc, chères âmes, je vous supplie bien humblement de ne douter nullement que notre Seigneur Jésus-Christ, par la fidèle pratique de cet exercice, vous fera parvenir à la perfection de son saint amour, et en peu de temps, et très facilement, si vous êtes vigilants à retenir et diligents à pratiquer ce que lui-même vous a enseigné de sa Croix et de ses souffrances en ce petit Traité ; et d’autant plus vous avancerez en vérité que le tout est selon la sainte simplicité.

Ayez l’amour du plaisir de Dieu devant vos yeux, et cheminez courageusement, et vous avancerez assurément beaucoup en peu de temps par l’exercice de ces divines pratiques, lesquelles vous seront multiplier en grâce et abonder en toutes sortes de vertus, dignes de votre vocation céleste, et du nom chrétien que vous avez, et de l’habit que vous portez, et de la profession que vous avez faite au saint Baptême, d’être serviteur de Jésus-Christ, et comme religieux, d’être son grand ami, de prier toujours selon son conseil, et d’avoir patience et humilité, et toutes les autres vertus, [ce] qui est la noblesse chrétienne et où consiste tout le point d’honneur pour aimer et servir Dieu en terre, comme un petit roi.

Voilà quelle doit être l’opération de l’Esprit de notre Seigneur Jésus-Christ en nous : c’est l’oraison continuelle du cœur pur. C’est ce qu’il nous enseigne sur la Croix, agissant et pâtissant, le tout en la seule vue du plaisir de son Père céleste, sans pouvoir être distrait. Telle doit être l’oraison des âmes qui sont dans le Royaume de lumière et d’amour, nécessaire pour la conservation de l’union de notre esprit avec Jésus-Christ. Voilà ce qu’il nous veut donner du haut de la Croix en esprit et vérité, si nous voulons travailler fidèlement et dévotement, avec le cœur élevé à lui, recevant de ses bénites mains tout ce qui nous pourra arriver, comme des moyens et de la matière pour y donner la forme de la vertu. Voilà ce qui nous tiendra toujours récolligé, tranquille et paisible, reposant dans le silence de l’oraison continuelle, comme l’Epouse sacrée sous la Croix victorieuse des multiplicités inutiles et vicieuses.

Voilà ce qui nous portera avec ardeur à la fidèle pratique de toutes les vertus, lesquelles ne seront plus comme petites servantes en ce Royaume de lumière et d’amour, où l’âme est constituée Reine, par Jésus-Christ, sur cette haute montagne des vertus, pour régner avec lui sur la Croix, en paix et patience, pour l’amour, par l’amour et dans l’amour, et de l’amour même, dans un silence par-dessus toutes les peines et croix qu’elle a toutes outrepassées et comme perdues de vue : pour ce qu’elle y est attachée et unie, elle en est retenue et toute couverte, tellement qu’elle est faite croix elle-même, à elle-même, non par aigreur ou impatience, mais comme Jésus-Christ sur la Croix, qui était Croix lui-même, mais avec tant de douceur et de consolation qu’il n’en est point voulu descendre. Ainsi l’âme le fait ici à son exemple, elle le contemple amoureusement, et son côté ouvert, et son cœur à découvert.

Elle attend qu’il soit détaché de la Croix pour parler à sa sacrée humanité : car bien qu’elle soit morte, elle le fera par la sacrée Divinité, qui ne peut mourir. Approchons-nous tous pour l’entendre parler : ce ne seront que des paroles de vie, d’amour, de joie et de consolation ; car par icelles, nous reconnaîtrons en vérité qu’il est tout à nous durant sa vie et après sa mort, et qu’il a soin de nous, étant même dans le Sépulcre, puisqu’il y souffre pour nous faire renaître comme lui, tout glorieux, par une vraie vie spirituelle et sainte résurrection du péché à la grâce, du vice à la vertu, pour régner avec lui.

Petit abrégé de cet Exercice en forme d’examen, très nécessaire pour la pratique.

Chères111 âmes, surtout désireuses de plaire à Dieu et de vous unir au pauvre Jésus-Christ crucifié, j’espère que vous avez lu et bien compris cet exercice, que vous n’aurez [pas] à mépris les avis de ce petit Abrégé, qui en sont tirés pour soulager votre mémoire et simplifier votre esprit.

Abrégé du commencement de la pratique qui est dans l’avant-propos.

Remarquez, âmes dévotes, que cette petite pratique se doit commencer par un doux souvenir, pensée amoureuse ou par un simple regard, jeté sur le grand cœur de Jésus-Christ crucifié, qui est la porte pour entrer dans la Divinité.

Lequel regard se va toujours purifiant, dilatant et pénétrant de plus en plus par la continuation de la pratique, tant qu’il vous ai élevé l’esprit dans l’union de l’unité avec celui du pauvre Jésus-Christ crucifié, lequel vous donnera pour la fidélité de votre simple regard, si vous êtes désireuses de l’aimer dès ce commencement, trois grâces, qui vous serviront d’enseignements.

La première grâce que vous recevrez du regard amoureux du Crucifix, sera une douce lumière de vie en l’entendement, par la vue de la sainte Croix ; ce qui vous servira pour vous faire reconnaître par admiration vos très grandes obligations.

La seconde sera une bonne volonté, pleine de grands désirs, par la contemplation de sa Mort et Passion, pour vous exciter à le servir et aimer.

La troisième sera une ardeur amoureuse, par la vue de son précieux Sang, pour vous porter d’un courage magnanime dans tout ce qui est de la pratique.

Ces trois enseignements de Jésus-Christ crucifié vous serviront de fondements pour les trois actes suivants de la première partie, voire et de toute la pratique de l’exercice.

Vous pourrez vous examiner tout simplement pour reconnaître si vous n’avez point manqué de fidélité en ces trois enseignements, qui sont de connaître, de vouloir et d’opérer.

Abrégé de la première partie, divisée en trois pratiques.

Qui vous donne un moyen très propre pour correspondre à la profondeur du très grand amour que Jésus-Christ nous a montré par sa nudité au pied de la Croix, pour vous disposer à l’union par un entier dépouillement du corps, de l’âme et de l’esprit, afin de vous conformer à Jésus-Christ, devant que de vous pouvoir crucifier comme lui pour vous unir à lui.

La première pratique sera, par un acte de foi, nue, simple et universelle, qui vous dépouillera l’esprit de toutes ces pensées vaines, curieuses et inutiles des créatures, afin de vous préparer à l’union par une généreuse soumission de toute votre entendement à Jésus-Christ crucifié pour vous simplifier.

La seconde pratique sera, par un acte d’abnégation, pour dépouiller votre âme de tous les plaisirs de la vie non nécessaires, dans la vue de la nudité de Jésus-Christ crucifié, afin de vous abîmer dans un profond mépris de vous-mêmes, refusant à la nature tout ce qu’elle peut désirer sans urgente nécessité.

La troisième pratique sera, par l’acte de résignation entre les mains du Tout-puissant, pour dépouiller votre corps au pied de la Croix de toutes les craintes et appréhensions, des humiliations et souffrances, afin de n’avoir plus qu’en Dieu seul toute votre confiance.

Ces trois actes fidèlement pratiqués vous disposeront à l’union par une très profonde soumission de votre âme, par l’abnégation, pour vous faire être toute à Dieu, et de votre corps, par la résignation, afin de vous faire être toute pour le service de Jésus-Christ et de votre esprit, par la foi nue et simple, pour vous faire vivre toute abîmée et cachée en Dieu seul.

De plus, ces trois actes seront très propres à simplifier votre esprit, afin de purifier votre regard amoureux et pour vous disposer à l’union par la recollection et introversion, et toujours dans l’unité de l’ordre dit.

Abrégé de la seconde partie, divisé en trois degrés.

Qui vous donneront un moyen très propre pour correspondre à la largeur de cet amour si excessif, par une manière de vous unir à la Croix avec Jésus-Christ, par trois Clous, qui sont conformité, uniformité, et déiformité.

Chaque degré est divisé en quatre articles, dont les trois premiers sont de votre fidèle opération, ordonné ainsi pour remplir votre esprit de lumière, et purifier, et simplifier votre regard, afin de vous aider à produire votre acte d’union avec plus d’ardeur, pour contempler seulement le Tout-puissant, le tout aimant ceux qui désirent l’aimer, et le tout opérant à sa plus grande gloire et pour votre plus grand salut, si vous voulez coopérer.

Le quatrième article est l’opération de Dieu ; et c’est lorsqu’il vous donne l’assurance, par l’expérience de sa proximité, et qu’il vous regarde ; car son regard amoureux sur vous dissipera à l’instant tout le mal qui est en vous, pour vous remplir de tout bien, comme de lumière, d’ardeur, de paix, de joie et de douceur de cœur ; et par tels moyens, il s’unira à vous et vous unirez à lui, lorsque vous serez fidèles à travailler selon votre opération, par les trois premiers articles.

Les trois degrés d’union.

Le premier se fait par le premier Clou de conformité de volonté au Tout-puissant, par un simple regard amoureux ou d’un doux souvenir du cœur de Jésus, qui vous portera doucement dans l’acquiescement des humiliations et souffrances ; et en ce temps il vous donnera pour récompense une paix en votre âme, et une si grande tranquillité en votre esprit qu’elle sera par-dessus l’opération de tous vos sentiments.

Le second degré d’union se fait par le second Clou, dit uniformité, par le regard ou doux souvenir du divin plaisir de l’amour infini, en la manière qu’il lui plaira de le prendre en vous, croyant assurément qu’il ne permettra rien du tout vous arriver que pour votre plus grand bien, si vous le désirez aimer ; alors l’union indivisible dans les souffrances vous donnera un goût et plaisir de servir et d’aimer Jésus-Christ, pour récompense de votre fidélité ; et c’est l’opération du regard amoureux de Jésus-Christ, qui vous remplit toutes de son divin plaisir.

Le troisième degré d’union se fait par le troisième Clou, dit déiformité, dans la vue de la seule opération de l’Esprit de notre Seigneur Jésus-Christ, le tout à sa plus grande gloire, et pour notre salut ; tout est ici transformé en Dieu seul, opérant le tout : ce qui vous doit donner une très grande joie, voyant par là que vous pouvez être toujours unies à Jésus-Christ en tout ce qui vous pourra arriver ; car le tout n’est que selon l’opération de Dieu, si vous voulez coopérer.

Ces degrés d’union vous élèveront à trois sortes de présence de Dieu, où ces trois Clous vous tiendront quasi toujours unies par la présence extérieure de voir Dieu en toutes choses, et toutes choses en un Dieu : rien de plus facile que par la conformité, pour la présence intérieure, de voir Dieu en nous-mêmes ; rien de plus aisé que par l’uniformité, pour la présence essentielle, de voir Dieu en lui-même ; rien de plus joyeux que par la déiformité, car elle vous portera dans l’union de l’unité, si vous êtes fidèles à cette divine pratique qui sera un sujet pour n’être point tant distraites, ayant déjà acquis quelques bonnes habitudes, lesquelles vous donneront une très grande facilité pour remettre doucement votre esprit en Dieu par un simple souvenir, amoureux regard, ou par un très ardent désir de plaire à Jésus- Christ.

Pour l’examen, il est aisé à faire, sans vous troubler ou inquiéter, par un simple regard sur ces trois degrés d’union, ou sur ces trois sortes de présence de Dieu.

Abrégé de la troisième partie, divisée en trois sortes d’exercices.

Qui vous donnera un moyen très facile pour correspondre à la hauteur de l’amour infini qui vous paraît sur la Croix, par la pratique d’une haute vie d’union, laquelle consiste en ces trois exercices, à savoir, d’abandon, d’indifférence et d’anéantissement, pour si bien river les Clous que vous puissiez vivre en terre, comme a fait Jésus-Christ, les trois heures qu’il a été vivant sur la Croix.

Le premier exercice de la plus sublime vie de l’union, sans aucun danger de tromperie, c’est l’abandon général aux mépris et humiliations, pratiques et enseignes de Jésus-Christ en sa Crèche, durant sa vie et sur la Croix.

Le second exercice de l’âme religieuse élevée à cette si haute dignité d’union, dans la région du divin amour, est la sainte indifférence générale à toutes les peines et souffrances, à l’exemple de Jésus-Christ crucifié, pour de plus en plus s’amplifier et purifier ce doux regard ou souvenir amoureux.

Le troisième exercice de cette si excellente vie de l’union est l’anéantissement de tout ce qui n’est point Dieu, pour nous faire toujours vivre pour mourir avec Jésus-Christ, afin de nous transformer tout en lui, dans l’ardeur d’un amour séraphique, par ce simple regard ou pensée amoureuse.

Et notez que, comme l’ardeur de l’union ne dure pas toujours, sa diminution laisse une plaie en l’âme quasi incurable, qui la fait, à l’exemple de notre Mère sainte Claire, toujours respirer, aspirer, soupirer, languir et mourir, ou expirer après celui qui l’a blessée au cœur.

C’est pourquoi, âmes dévotes, si vous êtes telles, je vous prie de vous servir des cinq élans amoureux ou soupirs douloureux, pour monter par les cinq plaies de Jésus jusque dans son grand cœur amoureux.

Et ne cessez, je vous en supplie, de l’envisager : faut qu’il vous aie regardé ou touché par l’une de ses cinq plaies, pour soulager votre juste douleur en l’absence de la douceur de sa chère présence.

Les cinq plaies du cœur amoureux, ou douloureux.

La première plaie est faite par l’amour inspirant, qui nous oblige de produire des élans amoureux vers celui qui nous aime et fait tant de biens.

La seconde plaie est faite par l’amour respirant, qui renvoie en action de grâces, par mille élans amoureux, tout l’amour inspiré au grand cœur de Jésus-Christ crucifié.

La troisième plaie est faite de l’amour aspirant par mille élans à une plus grande ardeur de charité, pour avoir davantage à donner à Jésus-Christ crucifié.

La quatrième plaie est faite de l’amour soupirant par un million d’élans, de plaintes amoureuses et douloureuses, après l’absence du bien-aimé, qui semble être éloigné.

La cinquième plaie est faite par l’amour languissant, défaillant et expirant par des millions d’élans, qui feront heureusement tomber cette pauvreté dans l’union du cœur de Jésus-Christ, pour y vivre paisiblement, s’y reposer doucement et s’y entretenir joyeusement, sans aucune crainte et défiance.

Telle est la vie de l’âme séraphique, telles sont ses véritables unions, sans nulles tromperies, quelles ont été ses actions, pratiques et mortifications.

L’examen de ces trois exercices n’est pas beaucoup difficile pour reconnaître en vérité en quoi l’on a le plus manqué, soit à l’abandon aux mépris, aux souffrances, soit à l’indifférence, au gouvernement de la divine Providence, soit à l’anéantissement de notre être malin.

Abrégé de la quatrième partie, divisée en sept sortes d’amours, pour la conservation de l’union.

Qui vous donne un moyen très propre pour correspondre à la longueur de l’amour sans fin, que Jésus-Christ nous a montré sur la Croix, par sept sortes d’amours correspondant aux sept paroles qu’il a dites en icelle pour la conservation de l’union d’esprit avec lui.

Le premier amour que nous donne Jésus-Christ par la première parole, est un amour combattant toutes nos tristesses, ennuis, chagrins, et aigreurs, grands ennemis de Jésus, et très cruels meurtriers de nos propres cœurs.

Le second amour, par la seconde parole, est un amour crucifiant toutes nos passions d’impatiences et de murmures, afin de souffrir toutes les peines doucement, paisiblement et joyeusement, en la chère compagnie de Jésus-Christ crucifié.

La troisième amour, par la troisième parole dite à la très sainte Vierge, est un amour incomparable, fort et persévérant au pied de la Croix, réduisant la Passion de Jésus-Christ par pratique en nous-mêmes, et recevant, à l’exemple de la sainte Vierge, toutes les peines et souffrances, en l’union des gouttes de Sang épandues du très sacré Corps de Jésus-Christ crucifié.

Le quatrième amour, par la quatrième parole, est un amour très vigilant pour avoir recours, avec confiance, en toutes nos nécessités à Jésus-Christ crucifié, et non plus aux créatures, qui n’ont que de l’amertume, et ce afin de conserver toujours la vie de l’union dans les souffrances avec Jésus-Christ crucifié, lequel abîmera toutes nos amertumes dans la douceur de son divin amour.

Le cinquième amour, par la cinquième parole, est un amour insatiable de la faim et soif des souffrances, telle et si grande que l’âme dévote ne dit jamais : « C’est assez », mais : « Toujours avec Jésus-Christ », qu’elle a une très grande faim et soif de souffrir.

Le sixième amour, par la sixième parole, est un amour consommant toutes les impuretés de la nature et tous les restes de son amour propre, afin que notre pauvre cœur puisse maintenant servir au doux Jésus d’écho, pour lui répondre bien fort que de son coté tout est consommé et que, par le mérite de sa Passion, rien du tout n’empêchera plus l’union de notre esprit avec le pauvre Jésus-Christ.

Le septième amour, par la septième parole, est un amour mourant, séparant et désunifiant de tout ce qui n’est point Dieu, pour nous tenir toujours unis à Jésus, plus par les ordinaires souffrances, selon l’exemple de notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix, que notre Séraphique Père S. François a suivi avec tous les saints.

Voilà, chères âmes, en peu de paroles, de très hauts secrets du divin amour, compris en cet esprit septiforme.

Vous avez pu voir les très riches pratiques pour vous élever à un amour séraphique, lequel en tout et par tout vous rendra conforme, uniforme et déiforme, pour ne plus jamais descendre de la Croix, afin de vivre toujours attaché en icelle, par ces trois Clous bien rivés, par l’abandon, l’indifférence et l’anéantissement, pour mourir avec le pauvre Jésus-Christ crucifié.

Hé donc, chères âmes, dites-moi de grâce : pourquoi ne nous ne laisserons-nous pas tirer, comme la sainte Epouse, à la force de cet amour tout-puissant, tout aimant ceux qui le désirent, et tout opérant par les sacrés conseils de sa sainte volonté, selon l’ordre de sa divine Providence, pour son plaisir, à sa plus grande gloire, et pour notre plus grand avancement en la vertu et perfection séraphique ?

O heureuse conduite de la divine Sapience, qui est toujours dans l’ordre de son amour, lors même qu’il permet vous arriver les plus grandes peines et souffrances ; voire et sa bonté nous paraît davantage dans les plus fortes abnégations, résignations et mortifications, quand bien même vous en devriez mourir d’ardeur ou de douleur dans la mêlée du combat pour conserver l’union très sacrée en votre pauvre cœur par ce simple regard certifié, simplifié et déifié, ou par l’un des trois Clous du cœur séraphique, qui suivent.

Les trois Clous du cœur Séraphique, pour la réunion de notre esprit.

Le premier est un très grand désir de souffrir pour baiser Jésus Christ.

Le second est un très fervent désir de baiser Jésus-Christ pour nous unir à lui.

Le troisième est un désir très ardent de mourir pour vivre, et pour demeurer toujours unies à la croix des souffrances avec Jésus-Christ crucifié, sans jamais plus nous en séparer, ni tant soit peu nous en éloigner, pour chose qui nous puisse arriver, de qui que ce soit.

Donc, chères âmes, pour l’abrégé de ce petit exercice et pour votre principale pratique, retenez bien fermement en votre esprit ces trois Clous du cœur séraphique, qui sera de recevoir paisiblement tout ce qui vous pourra arriver à l’exemple de Jésus-Christ crucifié, lequel en la Croix, par une douce inclination, accepte de la main de son Père céleste tout ce qui lui est présenté : vous devez faire le semblable à toutes les humiliations et souffrances, par un simple acquiescement afin de toujours baiser Jésus-Christ ; tant que vous soyez toutes mortes sur la bouche de son divin plaisir, ne cessez de le désirer, pour recevoir son Esprit.

Car prenez bien garde, je vous en prie, que ce désir d’avoir l’Esprit de notre Seigneur et sa sainte opération doit être sur toutes choses et devant toutes choses, c'est-à-dire qu’il doit être véhément, insatiable et constant de plaire à Dieu, et de souffrir pour Dieu et en Dieu seulement.

Pour vous disposer à recevoir cet Esprit droit, saint et principal, croyez-moi, qu’il n’y a rien de plus propre que la fidèle pratique de l’exercice des trois Clous du cœur séraphique. C’est pourquoi je désire que vous vous en serviez souvent ; car non seulement ils vous porteront à l’union, mais aussi à la conservation de l’ardeur d’icelle, dans l’unité du mutuel amour de votre cœur avec Jésus-Christ, pour [sic ; par ?] la pratique du conseil de votre sainte Mère d’être toujours amoureuses de Dieu, afin de n’être jamais sans amour ni sans désir de souffrir.

Vous pouvez voir, chères âmes, si vous y prenez bien garde, que la fidèle pratique de cet exercice est pour vous rendre toujours amoureuses de Dieu, de vos âmes et de tous vos prochains, pour être toujours avec Dieu, et afin que Dieu soit toujours avec vous par sa divine opération, laquelle vous conservera toujours dans l’union de votre esprit avec Jésus-Christ.

De plus, cet exercice vous portera toujours dans la sainte simplicité tant recommandée de notre Seigneur Jésus-Christ, si hautement estimée de notre Père S. François, si chèrement aimée de notre glorieuse Mère sainte Claire, et si fidèlement pratiquée de notre bienheureuse Mère sainte Colette, comme elle doit être aussi de toutes les âmes qui désirent de s’unir à Dieu.

Car si vous avez bien compris cet exercice, vous avez vu que sa triple pratique, en chaque partie, ne procède que de ce simple regard, seule pensée, unique souvenir amoureux du Crucifix, qui nous avons donné dès le commencement, lequel, comme vous avez pu voir, ne tend à la division, mais plutôt à la réunion de votre esprit avec Jésus-Christ, afin de vous faire vivre et mourir dans le grand cœur de Jésus-Christ, toujours en ardeur dans l’occupation pacifique des vrais enfants de Dieu, ou dans l’entretien amoureux, tout plein de délices, des âmes séraphiques, ou bien dans la plénitude de la grande joie et allégresse d’esprit de notre Seigneur Jésus-Christ pour nous unir à lui.

Remarquez que par l’une de ces trois occupations de Dieu en notre âme, nous conserverons la sainte simplicité entre toutes les multiplicités, et l’unité de notre esprit entre toutes les divisions, pour demeurer toujours dans l’union ; et par ce moyen nous ferons toujours oraison de cœur pur, et [ain]si nous aurons toujours patience et humilité en tribulation et infirmité.

Mais si par négligence et surprise, ou par oubliance, vous êtes distraites, divisées, impatientes ou épandues, ne vous découragez nullement pour tous ces accidents : en ce temps, soyez vigilantes pour vous recueillir et récolliger, afin de vous introvertir en vous-mêmes, pour rentrer en Dieu le plus tôt qu’il vous sera possible, et ce par une douce remise de votre esprit, ou par une amoureuse pensée, ou par un simple souvenir, ou par un regard amoureux, ou par un soupir douloureux, ou tout au moins par un simple acquiescement et tacite consentement à la divine Providence et à toutes ses ordonnances, sans nullement vous inquiéter, troubler, attrister, impatienter ou empresser tant soit peu votre pauvre cœur, pour chose aucune qui puisse arriver.

Et prenez garde que, d’autant plus souvent que vous ferez cette douce remise de votre esprit en Dieu, plutôt aussi vous recevrez de Jésus-Christ et la vie de l’union et l’esprit séraphique pour faire un sacrifice non seulement de vos actions et de votre temps, mais aussi de tous les pas, et de tous les soupirs, et de tous les élans, et de tous les moments de votre vie, au triomphant amour du doux Jésus-Christ et de la très sacrée Vierge Marie.

A laquelle je vous conjure de vous offrir aussi et de vous dédier pour toute votre vie ; et de plus, je vous supplie de lui demander bien humblement qu’elle vous reçoive pour sa très petite servante, et de son très cher et bien aimé Fils, pour la captive de soi, son esclave d’amour, et sa prisonnière d’honneur pour maintenant et pour jamais. Mais, chères âmes, prenez garde que ce sacrifice soit fait dans la sincère et cordiale affection que nous devons avoir d’imiter la Passion, faisant toujours nos actions en l’union des souffrances de Jésus-Christ pour nous rendre si belles et de si bonne grâce que nous lui puissions gagner le cœur et les yeux, afin d’obtenir pardon pour nous et pour tous les pauvres pécheurs, et de plus, une si grande abondance de grâces, par les mérites de sa Mort et Passion, que nous puissions tous mourir en rendant le dernier soupir sur la sacrée bouche de son divin plaisir, pour toujours régner avec lui, entrant dans sa Gloire, où nous devons aspirer et espérer d’aller, y étant tirées par les très amoureuses cordes de ses très grandes miséricordes.



Mise à disposition du corpus de l’oeuvre.


Dans l’esprit qui anime la collection où prend place ce livre qui veut favoriser avec rigueur une redécouverte du trésor en langue française de textes mystiques, nous proposons aux chercheurs et lecteurs le partage de notre base de données.

Un CD disponible contient la transcription corrigée de la partie omise du volume imprimé du TRAITE FACILE POUR APPRENDRE À FAIRE ORAISON MENTALE (selon l’édition de 1639 ; le court Exercice du Silence est repris dans le présent volume sous ses deux formes de 1639 et 1722) ; la reproduction photographique des éditions anciennes qui ont été nos sources ; celle de l’article par Raoul de Sceaux, repris partiellement au début du présent volume et qui inclut quelques lettres. Le lecteur peut ainsi accéder à l’opus de Martial d’Etampes en transcription comme sous des formes d’origine.

La Bibliothèque Franciscaine Provinciale (rue Boissonade, Paris) nous a permis de constituer cet outil de travail. Nous en remercions les responsables, et plus particulièrement M. Pierre Moracchini. S’y ajoute une pièce issue des Archives du Carmel de Clamart montrant l’attention portée par une carmélite du dix-septième siècle à l’Exercice du Silence112.

Nous demandons aux chercheurs de se manifester auprès des Éditions du Carmel, 33 Avenue Jean Rieux, 31 500 Toulouse.





TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION 2

Franciscains et capucins 2

La vie de Martial 6

Un maître artisan tout intérieur 12

Les sources et notre choix 15

. 19

EXERCICE DU SILENCE INTÉRIEUR. 20

Exercice du silence intérieur de pensée, de parole et d’œuvre pour être toute unie et absorbée en Dieu seul. [Edition de 1639] 22

Extrait du Privilège du Roi. 22

[Avant-Propos] 22

La pratique de cet exercice 25

Abrégé de la susdite Pratique du Silence. 31

Litaniae in honorem Jesu Christi Domini nostri 31

Approbation 31

Traité onzième de l’exercice du silence, que le Religieux doit garder de pensée, de parole et d’œuvre pour être tout uni et absorbé en Dieu seul. [Edition de 1722] 32

La pratique de cet exercice, chapitre II. 34

Figure de cet exercice représenté par les quatre animaux d’Ezéchiel. Chapitre III. 37

Le fruit de cet exercice est la séparation de toutes choses, et l’union totale et parfaite à Dieu seul. Chapitre IV. 39

Abrégé de la susdite Pratique du Silence. 40

. 40

L’EXERCICE DES TROIS CLOUX AMOUREUX ET DOULOUREUX, 41

Avant-propos 41

Du fondement de cet exercice 41

Le sujet de tout cet exercice 42

Abrégé de cet exercice, en ses quatre parties 42

Division abrégée pour la pratique de ces quatre parties 42

Du profit que les âmes fidèles pourront retirer de cette pratique 43

Avis nécessaires pour l’intelligence de la pratique de ces exercices 45

TABLE des traités contenus en ce Livre : 46

Préface qui servira de fondement à cet exercice. 47

Les trois grâces que Jésus-Christ crucifié donne à l’âme qui le regarde dévotement. 48

Le premier enseignement de Jésus, qui servira de fondement au Calvaire, de l’abnégation propre, lieu pour recevoir la lumière de la vie de l’union. 49

Le second enseignement de Jésus-Christ sera la Croix de résignation, qui servira de second fondement à la vie de l’union. 51

Le troisième enseignement sera par le sang de Jésus-Christ, qui nous parle, afin de nous donner un bon cœur magnanime pour le troisième fondement de cette pratique. 53

La première partie [préparation de l’union] de l’exercice des trois clous, pour correspondre à la profondeur de l’amour que Jésus-Christ nous a montré au pied de la croix, laquelle nous servira de préparation à l’union. 55

Avant-propos 55

1.La première disposition pour l’union sera la foi 56

2. Pratique de cette grande foi, nécessaire pour la disposition de l’union 57

3. L’honneur que l’âme religieuse rend à Dieu en la pratique de la foi 59

4. Pratique de l’abnégation, qui est la seconde disposition de l’union 60

5. Pratique de la résignation, troisième disposition de l’union 62

6. L’âme, par ces trois dispositions de foi, d’abnégation et de résignation, commence à vivre à Dieu, pour Dieu et en Dieu 64

7. De la multiplicité et de l’unité, et de la simplicité des cet exercice 65

8. Quelles sont les âmes qui doivent pratiquer cet exercice 68

9. La vraie manière d’opérer des âmes fidèles et de bonne volonté 69

10. De l’ordre du divin amour, dernière disposition de l’union 70

Conclusions de cette première partie 74

81

La seconde partie [de la manière de l’union] qui est un moyen 81

Avant-propos 81

Des quatre articles, et pourquoi ils sont ainsi divisés en chaque degré 82

Premier degré d’union, par conformité de volonté 84

Article premier de ce degré, pour nous unir à Jésus-Christ par notre fidèle opération. 84

Le second article du 1[er] degré, pour nous unir à Jésus-Christ par notre fidèle opération. 85

Le troisième article du premier degré, pour nous unir à Jésus-Christ par notre fidèle opération. 86

Le quatrième article du premier degré, pour faire reposer l’âme en Dieu, qui est son opération. 87

Second degré d’union au divin plaisir par uniformité de volonté en la manière qu’il plaira à Dieu. 88

Avant-propos 88

Article premier du second degré pour unir l’âme à Dieu, par sa fidèle opération. 88

Article second du second degré, pour unir l’âme à Dieu par sa fidèle opération. 89

Le troisième article du second degré, pour unir l’âme à Dieu, par son opération fidèle. 90

Le quatrième article du second degré, pour faire reposer l’âme en Dieu, par sa divine opération. 91

Troisième degré d’union par transformation d’opération où l’âme religieuse s’unit à Dieu, sans nul autre moyen que de Dieu même qui est le troisième Clou appelé déiformité. 92

Avant-propos 92

Article premier du troisième degré, pour unir l’âme à Dieu en esprit et vérité, par sa fidèle opération. 92

Article second du troisième degré, pour unir l’âme à Dieu, en esprit et vérité, par notre fidèle opération. 93

Article troisième du troisième degré, pour unir l’âme à Dieu, en esprit et vérité, par notre fidèle opération. 95

Article quatrième du troisième degré, pour faire reposer l’âme en Dieu, qui est sa divine opération. 97

Conclusion de cette manière d’union, pour porter l’âme dans l’unité. 98

Que toute la pratique de ces trois degrés d’union consiste et s’entretient par un regard amoureux, simple pensée, ou par un doux souvenir. 100

Ces trois degrés d’union sont appuyés et compris des articles de notre Credo. 103

Qu’il ne faut [pas] retenir ces trois degrés comme images, et qu’ils sont compris l’un dans l’autre. 107

La troisième partie [la vie de l’union] sera un moyen pour correspondre à la hauteur de l’amour, qui nous parait sur la Croix, par trois sortes d’exercices, pour l’entretien de la vie unitive, qui sont l’abandon, l’indifférence et le grand anéantissement. 111

Avant-propos. 111

1. Le premier exercice, pour river les Clous des âmes qui sont dans la parfaite union, sera de vivre, à l’exemple de Jésus-Christ, dans un continuel abandon. 112

2. Quel est le bonheur des âmes en cette pratique d’abandon. 115

3. Le second exercice pour river le second Clou des âmes qui sont dans la vraie union, qui est de vivre dans une sainte indifférence. 116

4. Ce qu’il faut faire pour goûter combien Dieu est doux. 118

5. Le troisième exercice des âmes unies à Dieu est la mort, la séparation et l’anéantissement, pour river le troisième Clou de l’union. 121

6. Pour vivre toujours dans l’union. 124

7. Petits degrés d’introversion par lesquels le S. Esprit conduit les âmes séraphiques à l’union. 127

8. L’union doit être la fin de tous les exercices des âmes religieuses. 128

9. Profits de l’union 131

10. Moyen très facile aux âmes séraphiques de se réunir à Dieu, lorsqu’elles pensent être désunies. 135

Les fondements de cette troisième partie, qui est la vie de l’union et région du divin amour, sont les Commandements de Dieu. 139

La quatrième partie [la conservation de l’union], sera pour correspondre à la longueur de l’amour infini que Jésus-Christ nous a montré sur la Croix, par sept sortes d’amours, tirées des paroles qu’il a dites en icelle, pour la conservation de la vie de l’union. 149

Avant-propos qui nous fera connaître que la demeure ordinaire des âmes dévotes, est le mont de Calvaire.. 149

Les sept paroles de Jésus-Christ mourant en la Croix, dites à ses enfants, pour la conservation de l’unité d’esprit. 153

1. De la première parole dite à son Père pour ses ennemis, par laquelle il nous enseigne à disposer nos mauvaises humeurs par un amour combattant. 153

2. La seconde parole de Jésus au bon Larron, où il nous enseigne de mortifier les passions, pour conserver l’union par un amour crucifiant. 157

3. La troisième parole à la sainte Mère, où il nous enseigne de réduire en nous-mêmes sa Passion en pratique, selon l’exemple de la glorieuse Vierge, au pied de la Croix, par un amour fort et confiant. 159

4. La quatrième parole de Jésus à son Père, par laquelle il nous enseigne de nous unir à lui dans les grands excès des souffrances, par un amour vigilant. 162

5. La cinquième parole de Jésus a été : « J’ai soif », pour nous donner une haute estime de sa Passion, en un amour insatiable des souffrances. 164

6. La sixième parole de Jésus-Christ est : « Tout est consommé », pour nous fortifier dans la continuation de l’union par un amour consommant. 167

7. La septième parole de Jésus, recommandant son esprit à son Père, pour nous enseigner à mourir dans la sacrée union. 170

8. Conclusion de cette pratique d’union. 174

Conclusion, et fin dernière, s’adressant à Jésus. 177

La conclusion de cette quatrième partie, qui peut être dite le Royaume de lumière, d’amour et d’ardeur. 179

Petit abrégé de cet Exercice en forme d’examen, très nécessaire pour la pratique. 184

Abrégé du commencement de la pratique qui est dans l’avant-propos. 184

Abrégé de la première partie, divisée en trois pratiques. 185

Abrégé de la seconde partie, divisé en trois degrés. 186

Les trois degrés d’union. 186

Abrégé de la troisième partie, divisée en trois sortes d’exercices. 187

Les cinq plaies du cœur amoureux, ou douloureux. 188

Abrégé de la quatrième partie, divisée en sept sortes d’amours, pour la conservation de l’union. 188

Les trois Clous du cœur Séraphique, pour la réunion de notre esprit. 190

Mise à disposition du corpus de l’oeuvre. 193

TABLE DES MATIERES 195


Quatrième de couverture


Les franciscains furent au début du XVIIe siècle les infatigables ouvriers intérieurs de l’essor spirituel. Martial d’Etampes (1575-1635) fut l’un d’eux, représentant le plus remarquable de la seconde génération capucine, succédant de près à celle illustrée par Benoît de Canfield.

Nous donnons l’admirable et bref Exercice du silence intérieur de pensée, de parole, et d’œuvre pour être toute unie et absorbée en Dieu seul, selon deux versions, et nous le faisons suivre de L’exercice des trois cloux amoureux et douloureux, un ouvrage plus ample destiné au cercle des religieuses capucines d’Amiens, les « filles de la Passion » dont il fut le confesseur à la fin de sa vie (le titre ne doit donc rien au dolorisme du siècle) : y apparaît pleinement la douceur d’un guide qui s’adresse aux pèlerins de la vie intérieure.

Il s’agit pour Martial de « plonger en Dieu comme des poissons dans l'eau ». C’est un acte de la volonté qui demande simplement quelques paroles amoureuses, « sans plus d'autres inventions pour aimer que l'amour même, car rien n'est plus propre à produire un feu qu'un autre feu ». Cela suffit car « le doux, simple et amoureux souvenir de Dieu contient éminemment tous les autres actes que l'on pourrait produire, comme de dresser son intention. » L’acte est passiveté : « Acquiescez à Sa volonté pour ne ressentir plus qu'un seul vouloir. » Car « Dieu est toujours présent, paix et repos au centre de soi-même », sans attribut particulier pour Celui qui s’annonce par : Je suis qui suis. La patience est requise dans les évènements apportés par la Providence car, « fontaine de bonté, Il ne peut opérer que le bien dans le mal qu'Il permet de nous arriver. » On atteindra finalement un état où « l'on ne reconnaîtra plus que Dieu en nous, par la grâce de son opération », tandis que « nous ne verrons plus que Dieu en toutes choses. »





























[447 kcar sans espaces ; 1023 pour Bertot et 660 pour Maur]















1 A cette expression d’Henri Bremond auteur d’une « Invasion mystique », tome II de l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France, on peut préférer le titre de « Conquête mystique » attachée aux tomes III à VI.  En effet de nombreuses réformes s’effectuèrent dans le même temps « sur place ».

2 La Theologia mystica d’Harphius (1400-1477), franciscain et « héraut » de Ruusbroec, fut traduit par J.-B. de Machault en 1617 sur l’édition corrigée latine (Cologne, 1538, 1545, 1556…). Le texte latin ou sa savoureuse traduction furent lus tout le long du siècle.

3 En témoigne la place exceptionnelle qui lui est accordée dans le Catalo­gue de tous les Religieux Capucins qui sont morts en la Province de Paris..., nécrologe essentiel pour connaître les membres de l’ordre et notre Martial (ms. du château du Titre). – Bremond a parcouru rapidement les textes du « panmysticisme franciscain » et ne cite qu’en passant Martial (tome VII, 267) ; ce dernier est donc presque ignoré de nos jours.

4 Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet – Fénelon, 1958.

5 Histoire de la Fondation et de l’évolution de l’Ordre des Frères mineurs au XIIIe siècle du P. Gratien, 1928 ; L. Iriarte, Histoire du franciscanisme, Cerf, 2004 ; G.G. Merlo, Au nom de saint François, histoire des frères mineurs et du franciscanisme jusqu’au début du XVIIe siècle, Cerf, 2006.

6 Le terme « opposition » résume trop brutalement la complexité du réel : des réformes se feront au sein des conventuels et certains de leurs couvents deviendront observants (de même, pour les carmels, la réforme espagnole finalement « externalisée » des déchaussés n’exclue pas la réforme interne française des grands carmes, dite de Touraine). Il faut y ajouter la circulation des personnes.

7 DS 5.1304/14 (art. « Frères mineurs. II. Fondations et réformes franciscaines »).

8 A l’apogée (en nombre) du milieu du XVIIIe siècle, l’ordre comptera trente-cinq mille membres. Plus récemment, au milieu du XXe siècle, les capucins compteront encore seize mille religieux (dont l’abbé Pierre qui fut l’un d’entre eux avant de quitter l’ordre pour raison de santé).

9 DS 5.1313/14.

10 L. Iriarte, Histoire du franciscanisme, Cerf, 2004, p. 263 ; et p. 254 : « les capucins ont reçu : de Matthieu de Bascio l'habit, de Louis de Fossombrone la barbe et de Bernardin d'Asti l'âme et l'esprit ».

11 Nécrologe [de divers capucins], ms. au château du Titre [en 1964], microfilm aux Archives des Capucins de Paris, Bibliothèque franciscaine capucine, rue Boissonade. Ce microfilm est peu lisible. Nous avons toutefois déchiffré des passages pour vérifier la pertinence du choix opéré par Raoul de Sceaux : il n’omet pas de passages intimement révélateurs.

12 P. Raoul de Sceaux, “Lettres inédites du P. Martial d'Etampes”, Etudes franciscaines, XIV, n°32, juin 1964, pages 89-102. – Nous reproduisons les pages 89, 90-95, au parfum délicat même s’il est parfois désuet, en incluant leurs notes précieuses car les sources citées pourraient servir dans le cadre de toute étude qui se voudrait exhaustive.

13 P. Raoul de Sceaux [Jean Mauzaize], Histoire des frères mineurs capucins de la province de Paris (1601-1660), Blois, 1965 ; J. Mauzaize, Le rôle et l’action des capucins de la province de Paris dans la France religieuse du XVIIe siècle, Thèse E.P.H.E. (dont de nombreuses notes sont absentes du volume publié). 

14 [Note de Raoul de Sceaux ; il en est de même pour le choix de notes suivantes]. Nécrologe du Titre, p. 71. – Ce Catalo­gue de tous les Religieux Capucins qui sont morts en la Province de Paris depuis son établissement jusques a maintenant s'arrête à 1679, après avoir mentionné non seulement les religieux décédés au couvent parisien de l'Assomption, mais encore d'autres capucins morts ailleurs qu'à Paris, mais dont l'importance et le rôle dans la Province explique l'insertion de leur nom dans le nécrologe parisien. – Le P. Sylvestre, déjà chargé par le P. Léonard de recueillir les témoignages et les guérisons obtenues par l'intercession du P. Honoré de Paris, décédé au couvent de Chaumont le 26 septem­bre 1624, est le troisième rédacteur du nécrologe, succédant, en ce travail, aux PP. Philippe et Antoine de Paris. C'est en 1640 que le P. Sylvestre continua l’oeuvre de ses prédécesseurs et, de sa petite écriture aux formes encore très gothiques que l'on retrouve dans les procès-verbaux de dépositions en faveur de la cause du P. Honoré, aux Archives départementales de la Haute-Marne (réf. 37 H 7), consacra aux religieux dont il inscrivit le nom dans son nécrologe, une notice plus au moins longue sur la vie, les travaux, la maladie, les circonstances de mort de chacun d'eux. / L'édition du Traité très facile pour apprendre. à faire l'oraison mentale (Paris, 1722) comporte également un Sommaire de la vie du P. Martial d'Etampes (p. 352-369), lequel n'apporte guère de renseignements précis.

15 Nécrologe, p. 73.

16 Le P. Henri de La Grange-Palaiseau fut gardien du couvent du faubourg Saint-Jacques en 1617 et de 1621 à 1623.

17 Nécrologe, p. 74.

18 Capitula Capuccinorum, Bibliothèque du séminaire Saint-Sulpice, ms. non coté, fol. 115.

19 Capitula..., fol. 117.

20 L'Exercice des trois clous, publié sans nom d'auteur, est bien de la plume du P. Martial d'Etampes. Une lettre adressée par un capucin au P. Sylvestre de Paris peu de temps après la mort du P. Martial, en fournit la preuve. Faisant l'éloge du défunt, ce religieux ajoute : “Grand homme d'oraison et de pratique spirituelle, comme il a bien fait paroistre... ès livres et escripts.... réduisant toute sa doctrine en pratique par imitation des exemples de la vie de Notre Seigneur... et particulièrement... au livre intitulé les trois cloux, ou j'admire une chose que, quoy qu'il n'ayt pas une grande science acquise par les livres, y traitant quelque point de doctrine, il le déclaroit si bien qu'on diroit qu'il étoit un grand théolo­gien” (Nécrologe du Titre, p. 73). [...]

21 Nécrologe, p. 74-75.

22 Nécrologe, p. 75-76. L'Exercice des trois Clous amoureux et douloureux ayant été publié sans nom d'auteur, ce passage du nécrologe est une bonne preu­ve que le P. Martial d'Etampes en est bien l'auteur.

23 Capitula Capuccinorum..., fol. 122, 125 vo-126.

24 Nécrologe, p. 78.

25 Nécrologe, p. 94.

26 « Sommaire de la vie du R.P. Martial”, dans le Traité très facile pour apprendre a faire l'oraison mentale, édit, de 1722, p. 357. La Bibliothèque Franciscaine Provinciale possède également ce texte à l’état de manuscrit (ms. 966).

27 Nécrologe, p.80 ; Bib. nat. f.fr. 25 045 et 25046, p.199.

28 Nécrologe, p.71.

29 Exercice des trois clous…, p. 25.

30 Ibid., p. 50.

31 P. Raoul de Sceaux, “Lettres inédites…”, op. cit., Lettre 8.

32 Traité facile…, « Traité second de l’oraison mentale », Paris, Coignard, 1722, 68.

33 Traité facile…, « Traité sixième de l’oraison mentale », Paris, Coignard, 1722, 176-177.

34 Ibid., 183-184.

35 Ibid., 187.

36 Traité facile…, « Traité onzième de l’exercice du Silence”, Paris, Coignard, 1722, 310 sv.

37 Ibid., 320 sv.

38 Exercice des trois clous…, 641. - Les paginations sont indiquées entre crochets pour les citations qui suivent extraites du même exercice.

39 Toutes les citations sont extraites de l’Exercice des trois clous.

40 [1630] Saint-Omer : Traité facile pour apprendre à faire oraison Mentale, divisé en trois parties principales, à savoir, Préparation, Méditation et Affection, avec un Traité de Confession pour les âmes dévotes, le tout fait par un R. P. de l’Ordre de S. François Capucin, A S. Omer, chez la veuve Charles Boscart, MDCXXX ; [comporte:] : Epistre aux âmes dévotes…, Advis au dévot Lecteur, Approbation (de 1628), Traité de l’oraison mentale [en trois parties], 1-130, Traité de la confession, 130-157, Traité de la croix spirituelle, 158-164, Traité pour les âmes religieuses qui sont tirées par quelque trait extraordinaire, 1-19.

41 [1639] Paris, Fremiot : même titre [dont la fin est modifiée comme suit :] …le tout fait par le R.P. Martial d’Etampes P.R. Capucin et maître des novices, Revu et augmenté de l’Exercice du Silence, en cette quatrième édition, A Paris, chez Nicolas Fremiot, rue S. Iacques, à la Félicité, MDCXXXIX ; [comporte:] : Epistre…, Advis, Traité de l’oraison mentale, 1-163, Traité pour les âmes religieuses…, 164-194, Similitude…, 195-209, Pratique journalière, 210-246, Traité de la confession, 246-286, T. de la croix spirituelle, 287-298, Extr. du Privilège du roi, Exercice du Silence…, 1-38, Abrégé, Litaniae…, 41-45, Approbation.

42 [1722] Paris, Coignard : Traité très facile pour apprendre à faire l’oraison Mentale, divisé en trois parties principales ; à savoir, Préparation, Méditation et Affection, Avec plusieurs petits traités propres aux Ames devotes qui désirent s’avancer dans la Vie intérieure et spirituelle, par le R.P. Martial d’Etampes, prêtre Capucin et maître des novices, A Paris, chez Jean Baptiste Coignard, MDCCXXII ; [comporte:] : Aux Ames dévotes…, 3-5, Avis…, 6-11, Traité Premier. De l’Oraison mentale, 13-24, T. second…, 25-80, T. troisième…, 81-108, […], T. dixième De la Croix spirituelle…, 285-304, T. onzième de l’Exercice du Silence…, 305-337, T. douzième Des Indulgences…, 339-352, Sommaire de la vie du R.P. Martial, 352-369, Tables.

43 Cloux selon l’orthographe d’époque, clous aujourd’hui (et dans notre texte). Il y eut de cet ouvrage majeur une seule très rare édition, l’année de la mort de Martial, peut-être à la demande des capucines et pour un usage « interne » : L’EXERCICE DES TROIS CLOUX AMOUREUX ET DOULOUREUX, Pour imiter Jésus-Christ, attaché sur la Croix au Calvaire et pour nous unir à Lui, A Paris, Chez Jean Camusat, rue saint Jacques, à la Toison d’or, MDCXXXV. – Notre exemplaire de la Bibliothèque Franciscaine Provinciale porte en écriture d’époque sur la page de titre « Capucins de Rennes », « Par le P. Martial d’Estampes capucin ou par le P. Charles Boulanger Aussi Capucin » et en écriture moderne « Par le P. Martial d’Etampes »

44 L’intégrale numérique de l’opus sous forme transcrite ainsi que trois éditions photographiées [1630, 1639, 1722] sont disponibles sur demande (CDrom). On y trouvera le complément constitué par les textes précédant l’Exercice du silence, ainsi que l’article paru dans les Etudes franciscaines reproduisant quelques lettres. Ce supplément ne grossirait que modérément le présent volume, mais nous n’avons pas cru bon de lasser le lecteur avant même qu’il n’aborde le meilleur de l’œuvre dans sa présentation chronologique… Outre les titres et paginations donnés dans les notes qui précèdent, nous en avons cité quelques brefs passages (dans l’aperçu de l’enseignement). [Cette note est reprise sous des aspects pratiques en fin de volume : « Mise à disposition du corpus »]

45 Mettre des variantes rendrait l’une des deux formes pratiquement inaccessible à la lecture et elles seraient trop nombreuses - même en se limitant à celles qui modifient parfois subtilement l’invitation à l’expérience mystique. Nous pouvons suivre ici, pour un texte court, l’exemple des éditions espagnoles des œuvres de saint Jean de la Croix ; l’idéal est offert par la présentation parallèle des deux formes proches de la Llama de amor viva dans l’édition de la Biblioteca de Autores Cristianos, mais en 1722 certains long paragraphes ont disparu tandis qu’un découpage en chapitres a été jugé utile. L’édition dernière de lecture aisée précède ici la forme primitive.

46 Cet extrait non paginé apparaît après la page 298 et dernière des traités précédents. La numérotation est reprise pour l’Exercice du silence… ajouté (pages 1-38). Ceci indique sa postériorité par rapport aux traités de l’édition primitive de 1630.

47 Ct 3, 5.

48 Lam. 3, 26.

49 advouëment

50 Saint Siméon (version de 1722).

51 Accoiser : rendre coi, calme, tranquille.

52 Au jardin des Olives.

53 Ez 1, 15sv.

54 Ex. 3 , 14.

55 Ct 2, 16.

56 David

57 Nous omettons la suite de cette litanie qui couvre plusieurs pages.

58 Noter le changement du titre par rapport à l’édition de 1639, dont la mise au masculin ; l’audience est élargie des capucines aux religieux (nous l’élargirons aujourd’hui plus encore).

59 Trin ou trine se dit de Dieu, considéré dans la Trinité. (Littré).

60 Soulignement de 1722.

61 Omission des références à Claire et François de l’édition de 1639.

62 Omission de la référence aux clous.

63 François fut stigmatisé par un séraphin.

64 Ct 3, 5.

65 Lam. 3, 26.

66 Présentation au Temple, Lc 2, 29-30.

67 Au jardin des Olives comme sur la mer déchaînée.

68 Selon une recommandation de la Reigle de Benoît de Canfield.

69 Vision d’Ezéchiel : « Et j’entendis le bruit que faisait leurs ailes quand ils avançaient : c’était le bruit des grandes eaux, la voix du Puissant… » (Ez 1, 39).

70 Motif au lieu de moteur (et avant gloire au lieu de Dieu) ce qui détourne le sens donné dans l’éditions de 1639.

71 Accoiser : rendre coi, calme, tranquille.

72 Ex. 3 , 14.

73 Ct 2, 16.

74 Omission de tout un paragraphe de l’édition de 1639.

75 Episode de la tempête apaisée, Mt 8, Mc 4, Lc 8.

76 Omission du texte qui précède dans l’édition de 1639.

77 Homme conviendrait mieux mais le traité s’adresse à des capucines. « Il leur dit : ‘Où est votre foi ?’. Ils furent saisis de crainte et d’étonnement. » (Lc 8, 25).

78 Récolliger : se recueillir en soi-même.

79 Omission de la litanie de l’édition de 1639. Suit un (douzième et dernier) Traité des Indulgences (le présent Traité de l’exercice du silence constituant le onzième dans l’édition « intégrée » de 1722).

80 Le plan est assez vague en fait par suite de remaniements probables apportés au premier jet. Nous proposons un découpage en quatre parties à partir de la table qui débute le texte en gros corps. Elles sont rappelées entre crochets dans les titres qui apparaissent au fil du texte : Du fondement & De la préparation de l'union - De la manière de l'union - De la vie de l'union - De la conservation de l'union.

81 Nous regroupons en une phrase ce qui est fautivement coupé en deux paragraphes : « …feuilles. / Cet…'».

82 Cette division en cinq traités est contradictoire avec ce qui est présenté précédemment - par deux fois - en une division selon quatre parties. Nous établissons ici par ajouts entre crochets les correspondances. L’Exercice des trois cloux est donc une composition assez lâche, assemblée en quatre parties probablement à partir de cinq « traités » préexistants.

83 Allusion à la prédiction d’Isaïe (Es 57).

84 L’apôtre Paul dans l’Epître aux Ephesiens (Ep 3, 14-21) : « …vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur… et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance… »

85 « La première disposition pour l’union, sera la foi / CHAPITRE I / La profondeur… » dans l’imprimé.

86 Réminiscence de Rom 14, « les forts et les faibles » (TOB).

87 Testament de sainte Claire, § 8 : « Voyant que nous étions faibles et fragiles de corps, et que pourtant ni les privations ni la pauvreté ni l’effort […] ne nous faisaient reculer… »

88 par le manque même de cette union sensible ?

89 « CONCLUSIONS DE CETTE Première Partie, qui fera connaître que cet exercice nous a été donné de JESUS CHRIST, par l’oraison Dominicale / Nous » dans l’imprimé.


90 Passible : capable d’éprouver la douleur ou le plaisir (1er sens, Littré).

91 [sic], par opposition avec une représentation trop matérielle « du ciel là-haut ».

92 La phrase n’est pas finie et nous remplaçons le point final de ce paragraphe par des points de suspension.

93 Béatitudes.

94 Suivant Benoît de Canfield, Reigle de perfection, [trois parties :] « De la volonté de Dieu extérieure […] intérieure […] essentielle ».

95 « …la juste soustraction de ses grâces… » (Bossuet).

96 Une belle vue. (« …un mot de l’art pour faire un beau visage », Chapelain, 1650).

97 Accoiser : rendre coi, calme, tranquille.

98 Ct 2, 16.

99 Trinité, et la connaissance de la Trinité, et : répétition omise.

100 En fait ce chapitre constitue le « Traité IV » annoncé en fin d’avant-propos (titre reproduit entre crochets comme nous l’avons fait pour les parties précédentes), puisqu’il s’agit de « la vie de l’union ».

101 Rom 8, 38-39.

102 Cf. Canfield.

103Ps 4, 9. (“Je dormirai en paix et je jouirai d’un parfait repos” (Sacy) ; mis en musique par Tallis, Bouzignac…)

104 « LES SEPT PAROLES / De Jésus-Christ mourant en la Croix, dites à ses enfants, / Pour la conservation de l’unité d’esprit. / De la première parole dite à son Père pour ses ennemis, par laquelle il nous enseigne à disposer nos mauvaises humeurs par un amour combattant./ CHAPITRE I / Après ». – Cet ensemble tient le rang de traité, ici rattaché au « Traité V » et dernier, annoncé en avant-propos, tandis que l’auteur rattache les « Sept paroles » au « quatrième traité » dans sa « Conclusion ».

105 Le P. Max Huot de Longchamp présente L'Exercice des trois clous comme une longue méditation sur la crucifixion de Jésus : “Au fond, pourquoi fallait-il que Jésus subisse la Passion ? L'amour est tou­jours passif, puisqu'il est disponibilité à celui que l'on aime. Dès lors, si celui que l'on aime n'aime pas, cette passivité va exposer l'amant à la volonté de mort de l'aimé, à travers ses mensonges, trahisons et autres égoïsmes, comme le démontre la Passion de Jésus. Mais attention ! La valeur de celle-ci n'est pas dans ses douleurs, mais dans cette volonté de nous être fidèle malgré nos infidélités : voilà la soif de Jésus, non pas soif de douleur, mais soif qui ne s'arrête pas à la douleur. Martial fait un pas de plus [v. ci-dessous : 5. La cinquième parole de Jésus…], lorsque Jésus « n'a plus rien à souffrir pour ôter tous les empêchements de l'union entre lui et nous », sa soif continue : «j'ai soif de pâtir pour Vous attirer, et de compatir [avec vous] pour vous unir à moi dans les souf­frances. » Ces souffrances-là ne sont plus celles du Vendredi Saint, mais les nôtres, auxquelles il veut «compatir», pour en annuler par son amour l'aspect de malédic­tion, de « désunion » d'avec lui. En effet, depuis le péché originel, nous confondons la douleur (liée aux limites de la création), et le malheur (qui est d'être séparé de Dieu), si bien que nous la refusons, la transformant dès lors en souffrance. Inversement, ré-accepter la volonté de Dieu dans la souffrance, sera en faire disparaître ce qui nous rendait malheureux […] (Oraison, Bulletin mensuel d'aide à la vie spirituelle, [Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 36230 Mers-sur-Indre], n° 95, avril 2007).

106 Lc 23, 34.

107 Ct 2, 15.

108 Méritant la chance ?

109 Ps. 11 (10), 4 : …de son regard (de ses paupières) il examine les fils des hommes.

110 [sic] horrible au sens familier d’excessif (1690, cit. Littré), craindre au sens de révérer (2eme sens, Littré).

111 « PETIT ABREGE / De cet Exercice, en forme d’examen, / Très nécessaire pour la pratique. / Chères » - Cet abrégé reprend donc l’ensemble des « Trois clous » en adoptant ici une division en quatre parties, conforme à l’état final du texte. Il y est adjoint un supplément conclusion intitulé : Les trois Clous du cœur Séraphique, pour la réunion de notre esprit.


112 Cet extrait d’un précieux « livre de carmélites » fut l’occasion d’un premier contact avec Martial (DT). On sait qu’un tel « livre » comportait une séquence de compte-rendus manuscrits des retraites de dix jours, de choix de textes spirituels transcrits, d’imprimés collés (tel cet Exercice du Silence), et qu’il se transmettait entre religieuses.

200