Marie des Vallées







La Vie Admirable



Choix établi et présenté

par Dominique et Murielle Tronc







Arfuyen



Préface



« Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! … Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort »1.



Marie des Vallées (1590-1656), exerça une profonde influence sur le cercle mystique normand, auquel appartenaient Jean de Bernières (1602-1659) et son jeune associé Jacques Bertot, la mère fondatrice Catherine de Bar, François de Montmorency-Laval futur évêque de Québec, saint Jean Eudes, le baron de Renty... Certains membres du cercle de l’Ermitage de Caen allaient chaque année passer plusieurs jours auprès de « la sainte de Coutances », lui faisant part de leurs difficultés les plus intimes.

Son souvenir resta présent chez leurs successeurs et l’on se recueillit longtemps sur sa tombe. Ce réseau mystique s’étendit jusqu’à Paris et pénétra la Cour peu après le milieu du XVIIe siècle par l’intermédiaire de M. Bertot ; et Mme Guyon, qui s’y rattache, écrit à la fin du siècle au fidèle duc de Chevreuse :

« …pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a fait depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose »2.

Cette confidence résume une vision juste d’une mystique par une autre : l’« innocente » servante, obsédée par la crainte, voire la conviction d’être possédée, à une période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en sacrifice » pour le rachat de ses persécuteurs. Ce don a renforcé des épreuves à l’issue incertaine. On apprécie mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui. Le jeune jésuite Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du « mal de douze ans » et va de même entreprendre un étrange voyage intérieur3.

« Cela ne fait rien à la chose » ? En effet la sainte servante parvient à un état spirituel permanent qui lui permet de venir en aide à ses visiteurs. L’un d’entre eux, (le futur saint) Jean Eudes, note soigneusement ses « dits ». Son texte est resté dans l’ombre, en vue de le préserver pour permettre sa canonisation, car il fut pris à partie dans une méchante querelle où l’on chercha à le discréditer en rapportant sa dépendance envers la « sœur Marie ».

Signe de vénération, une copie du texte accompagna Monseigneur de Laval au Canada, sur une coquille en bois, dans les conditions aventureuses d’une des traversées maritimes si bien décrites par Marie de l’Incarnation. Redécouvert, le manuscrit revient en France deux siècles plus tard, cette fois sur un bateau en fer. Ayant ainsi traversé avec succès deux fois l’océan, il repose aujourd’hui aux archives eudistes de Paris : cette Vie admirable mérite enfin d’être reconnue. Nous faisons suivre des extraits, qui forment la plus grande partie de ce petit volume, par un bref aperçu des Conseils d’une grande servante de Dieu, oublié, lui aussi, au sein d’un recueil mystique publié tardivement4. Ce bref résumé de la voie mystique vécue dans toute son exigence jette un éclairage vivant sur les entretiens par lesquels la sœur Marie, âgée, rayonnait sur ses visiteurs.

Marie fut ainsi « sauvée » et authentifiée deux fois et dans deux directions différentes : par le premier évêque de Québec, qui emporta de France le manuscrit de la Vie admirable rédigé par Jean Eudes ; puis près d’Amsterdam, par l’éditeur protestant des œuvres de M. Bertot où sont inclut les Conseils.

Certaines pages paraissent aujourd’hui étranges parce qu’elles mettent en évidence l’esprit du temps vécu par une fille de la campagne normande qui a traversé des épreuves intimes extrêmes et se croit possédée, suivant en cela l’opinion de ses proches. Mais le témoignage pénètre plus profond, car sœur Marie atteint le cœur de la vie mystique. Elle se révèle positive et moins portée à la crédulité que certaines des figures religieuses de son époque. Elle présente une « figure de résistante » qui surmonte toute épreuve. En ce qui concerne la forme, la véracité d’une nuit mystique est restituée sur un mode très coloré, souvent proche de celui des visionnaires du Moyen Age. S’en détachent des « songes » de toute beauté.

Le témoignage est admirable par la trajectoire héroïque dans et par une passiveté qui sortira victorieuse du bourbier des sens. Ses « dits » sont à comparer, par leur droiture devant la grandeur divine, à ceux de la grande Catherine de Gênes. De multiples dialogues magnifiques dans leur profondeur transcendent le ciment d’un rapporteur trop sensible aux rites de la piété d’antan. Nous les avons dégagés de leur gangue pour les présenter ici.

Il s’agit bien d’une œuvre maîtresse dont le mérite est de traduire l’élan « implacable » nécessaire à l’achèvement du chemin mystique5. L’appel, qui reste à vivre aujourd’hui sous des formes qui ont évoluées, témoigne d’un Invariant qui transcende époques et croyances. Achevons par un bref aperçu biographique :



La sainte de Coutances

Marie des Vallées naît dans un village de Basse Normandie de parents pauvres. Orpheline de père à douze ans, elle devient servante. Demandée en mariage, elle refuse et se trouve victime, au plan du vécu psychologique, d’un sort jeté sur elle. On la conduit à Rouen auprès de l’archevêque pour des exorcismes solennels :

« On lui fit faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui ordonna d’apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre quantité de soufre mêlé avec de la rüe hachée menue, et qu’on lui commanda de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait et lors qu’on lui faisait boire des douze verres d’eau bénite tout de suite ».

La rüe, plante médicinale d’un goût âcre et amer, à l’odeur très persistante, était en effet utilisée contre les ensorcellements.

« Ensuite de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l’après-midi, il vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des chirurgiens en la présence desquelles elle fut dépouillée pour la seconde fois ; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des aiguilles et des alènes »6.

L’absence de douleur était un signe suspect : telle était la pratique d’époque des procès en sorcellerie. Rouen héritait d’une Inquisition rodée. Après six mois de prison vécus dans des conditions atroces, elle est déclarée vertueuse et devient servante au service de l’évêché de Coutances. Elle se croit toujours possédée, car « à son époque, dans le contexte de la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d’une possession pouvait être interprété comme un manque de foi 7 ». On devine l’effet pervers qui peut s’ensuivre.

A vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle accepte héroïquement un « échange de volonté » (ce qui peut être comparé à la prise en charge par Surin d’âmes en perte). Trop volontaire, elle vit le désespoir des damnés qui sont les objets de « l’Ire de Dieu » et connaît deux épisodes terribles qu’elle nomme « l’Enfer » (1617-1619) et « le Mal de douze ans » (1622-1634) 8 : « Elle dit qu’une des plus grandes peines des damnés, c’est l’ennui qui est si grand que les heures leur semblaient des siècles ». (V 2.4 9)

Sortant lentement de cette nuit, elle vivra encore vingt-deux années. Sur ordre de l’évêque, le père Eudes l’exorcise « en grec » en 1641. Puis elle deviendra la conseillère d’un grand nombre de visiteurs. Ainsi « l’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour. » 

D’une grande sagesse, elle évoque pour eux la diversité des chemins spirituels :

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner car si on y fait entrer des personnes qui n’y soient point attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre […] Il ne faut point s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. »

« Comme ils voulaient continuer à lui parler, elle leur dit : La porte est fermée, je n’entends plus rien à ce que vous me dites. »10, faisant ainsi écho à un Ruusbroec (1293-1381) qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu’il sentait la grâce d’inspiration absente.

Les dits que l’on va aborder utilisent des images vives, voire luxuriantes. Ils traduisent une culture visuelle typique de qui n’est pas intellectuel, en utilisant la représentation médiévale du monde qui perdure dans les campagnes. Ces images demeurent ici très bien organisées et veulent assurer la fonction enseignante de paraboles mystiques.

Hors image, le dit demeure sobre, une « flèche de feu » comme chez Catherine de Gênes - sûr indice de la véritable vie mystique opposée à la seule imagination visionnaire : si la « sœur Marie » rapporte un songe c’est pour l’interpréter allégoriquement en vue d’un enseignement spirituel. Et ses réactions vis-à-vis de clercs, ses interactions sociales, etc., révèlent un solide bon sens et même un sens souvent critique : ne travaille-t-elle pas pour venir en aide aux ensorcelés de toutes origines ?

La vie admirable11.



Possession12

Lorsqu’il demeura constant que la sœur Marie était possédée des malins esprits et qu’elle vint à le savoir13, elle commença, par le raisonnement du Saint Esprit, à parler ainsi en soi-même :

« Pourquoi est-ce que je suis possédée ? D’où vient cela ? Je suis bien certaine que je ne me suis pas donnée à l’esprit malin. Je suis bien assurée que mes parents ne m’y ont pas donnée, car je ne leur en ai jamais donné le sujet. C’est donc que Dieu l’a voulu ainsi, oui sans doute. […] Mais il me faut bien prendre garde à ce que je dois faire pour plaire à Dieu et pour me sauver en l’état où je suis. Me voici entre les mains de l’Église, laquelle n’a point d’autre intention que de me délivrer des démons, si c’est la volonté de Dieu. Que faut-il que je fasse de mon côté ? Il faut que j’obéisse promptement et exactement à tout ce que l’Église me commandera, sans examiner ce qui me sera ordonné et sans me plaindre jamais des choses qui me seront commandées, pour difficiles qu’elles puissent être. »

Rêve de l’Enfer. Sa miséricorde14.

Elle se trouva en esprit enfermé un espace de temps dans une salle où il n’y avait aucune ouverture, par conséquent ni porte, ni fenêtre, et au milieu était l’embouchure de l’enfer, c’est-à-dire un gouffre et un abîme au fond duquel elle voyait le feu de l’enfer. La voilà saisie d’une frayeur et d’une angoisse extrême ; elle crie à Notre Dame : « Hélas ! où sommes-nous ? »

Notre Dame se rit et témoigne qu’elle est bien aise de la voir là et dit : « Je vous y ai mise mais je ne vous en retirerai pas. »

Les frayeurs continuaient, lesquelles pourtant ne paraissaient que dans la maison où elle était. Chaque jour le lieu où elle était fondait peu à peu sous ses pieds, et le puits de l’abîme s’augmentait jusqu’à tant qu’il n’était qu’un petit rebord qui était à la muraille et une petite pièce de bois percée à jour et détachée de la paroi, à laquelle elle passait son bras pour s’empêcher de tomber dans l’abîme.

Elle criait à Notre Dame : « Est-ce là le chef-d’œuvre de votre puissance ! Quelle cruauté ! Ah ! Je ne puis plus demeurer en cet état. » Enfin quand tout fut fondu sous ses pieds, elle se trouva délivrée. Cela représente l’état malheureux des sorciers, ils sont à présent dans l’état du péché sans en pouvoir sortir, si ce n’est par miracle, tellement que mourir pour eux et tomber en enfer c’est la même chose. Et cette peine qu’elle endurait était pour obtenir de Dieu la conversion des sorciers.

*

Une autre fois comme elle priait pour une pauvre femme ensorcelée, qu’il plut à Notre Seigneur et à Notre Dame la délivrer, il lui fut dit : « Représentez-vous une mère qui a deux enfants malades, l’un n’est malade que d’une fluxion qui lui découle du cerveau et lui cause de grandes incommodités, le médecin lui baille une médecine qui le guérira absolument. Il n’a qu’à souffrir les tranchées15 de la médecine. L’autre est malade d’une grosse fièvre qui lui ôte la raison et le jugement. Il n’a que les paroles et les actions d’un désespéré. Le médecin le regarde comme ne voyant aucune disposition en lui de se servir d’aucun remède et n’y attend que la mort, si Dieu n’y fait un miracle de Sa miséricorde. Le premier est malade par ignorance et fragilité qui procède du péché d’Adam comme du chef, et celui-ci est en état de salut, et partant, il ne faut point s’inquiéter pour lui. Telle est cette pauvre femme. Le second est transformé en diable. Il n’a point d’autre volonté et d’autre intention que celle du diable, et tout ce qu’il fait, c’est pour lui plaire. Celui-là représente les sorciers. » Notre Seigneur ajoute : « Voyez lequel des deux est le plus malade et le plus digne de compassion. » Il dit encore : « Il faut tarir la fontaine, et il n’y aura plus de ruisseau. Il faut convertir les sorciers, et il n’y aura plus de sortilège. »



Une descente en Enfer16.

La sœur Marie […] pria instamment Notre Seigneur qu’Il fît en sorte que les maléfices que les sorciers devaient jeter sur d’autres filles, tombassent sur elle, afin de les en préserver.

« Parce que, disait-elle, me voici entre les mains de l’Église qui m’en délivre par le moyen des exorcismes et des prières qu’elle fait pour moi. » Deux mois ou environ après cette prière, un jour qu’elle ne se souvenait plus de l’avoir faite, Notre Seigneur lui parla en cette façon :

« Voici bien des gens qui vous apportent des présents et qui s’appauvrissent pour vous enrichir.

- Je n’ai que faire de leur présent, dit-elle, ni de leurs richesses ; Vous m’êtes suffisant. Je ne veux rien que vous : mais prenez-les, Vous, les présents en paiement de ce qu’ils Vous doivent.

- Ce n’est pas paiement que cela, dit Notre Seigneur, ils ont mérité des peines éternelles. » Et en disant cela, Il lui fit connaître que ces gens étaient des sorciers qui venaient à elle pour lui jeter des sortilèges et qui s’appauvrissaient par les péchés qu’ils commettaient pour l’enrichir par les souffrances qu’ils lui faisaient porter. Alors toute embrasée du feu céleste de cet amour divin qui est fort comme la mort et inexorable comme l’enfer, elle dit à Notre Seigneur :

« Ils ont mérité, dites-vous, des peines éternelles ; je m’offre à vous pour les souffrir en temps afin qu’ils en soient délivrés pour l’éternité.

- Mais ils ont mérité l’Ire de Dieu, » ajouta Notre Seigneur.

- « Je la porterai bien aussi, répartit-elle, et mille enfers, s’il en est besoin afin que vous leur fassiez miséricorde.

- Oh ! Tu ne sais ce que tu demandes, dit le Fils de Dieu.

- Pardonnez-moi, répondit-elle ; je sais bien ce que je demande, je demande mes frères qui se perdent. J’ai une connaissance certaine que Vous cherchez quelqu’un qui veuille souffrir pour eux les peines d’enfer et l’Ire de Dieu, afin de leur donner l’éternité - car je voyais tous les jours l’Amour divin qui cherchait quelqu’un pour cela - Me voilà ! Prenez-moi ! »

Mais d’abord Notre Seigneur la rebutait comme en la méprisant, mais tant plus Il la méprisait, tant plus elle s’offrait à Lui et Le priait avec plus de ferveur de l’accepter :

« Oh ! disait-elle, si vous saviez le très grand désir que j’ai de souffrir, vous ne diriez pas que je ne sais ce que je demande. Je crains bien que vous n’ayez pas assez de tourments à me donner. »

En ce temps-là, étant un jour dans la chapelle de l’évêché, elle vit en esprit les bons anges des sorciers et elle les entendait pleurant et disant : «C’est grande pitié de voir tant d’âmes qui se perdent : il faudrait dire à leur intention les sept Psaumes pénitentiaux. » Elle sut peu après que par les sept Psaumes, il fallait entendre les peines d’enfer qu’elle devait souffrir. Ensuite de cela, elle continua environ deux ans à prier Dieu avec toutes les instances possibles, qu’Il lui fît souffrir les peines d’enfer, afin d’en préserver les sorciers et pour obtenir ce qu’elle demandait, elle suppliait les saints de prier avec elle et faisait d’étranges pénitences : le tout pourtant, par l’ordre de la divine Volonté, quittant entièrement les linges, se ceignant d’une ceinture de crin portant un cilice, ne mangeant que du pain et ne buvant que de l’eau.

Un jour qu’elle priait avec une grande ferveur pour impétrer de Dieu la grâce susdite touchant les peines de l’enfer, une flamme de feu descendit du ciel sur sa tête en signe qu’elle était exaucée : ce qui fut aperçu par deux hommes dignes de foi17 qui étaient présents et qui l’ont ainsi attesté. Ensuite de quoi elle sentit son cœur embrasé d’un désir très véhément de souffrir les peines susdites.

Sur la fin de ses deux ans18, elle fut huit jours dans de grandes consolations, ensuite de quoi, un jour, comme elle mangeait son petit morceau de pain au retour d’un petit pèlerinage qu’elle venait de faire, lassée de fatigue qu’elle était selon les sens, elle commença à dire en soi-même : « Encore s’il m’était permis d’avoir quelque petit rafraîchissement avec mon pain. »

Elle entendit une voix qui lui dit en esprit d’un ton et d’un accent terribles : « Ce n’est pas tout, il faut bien passer outre, il faut mourir aujourd’hui et descendre en enfer. » Ce qui l’épouvanta étrangement, car alors il ne lui souvenait point du tout ce qu’elle avait demandé à Dieu sur ce sujet.

Elle dit ce qu’elle avait entendu aux ecclésiastiques qui avaient soin d’elle et qui étaient présents, lesquels la voulaient consoler, lui disant que cela ne serait pas : « Si, dit-elle, cela sera : il faut mourir et descendre en enfer, car cela m’a été dit si fortement et en une manière si certaine, que je n’en puis douter. Mais pourtant aidez-moi à prier Dieu qu’Il me donne quelque temps pour faire pénitence. » En disant cela, elle souffrait les angoisses d’une âme qui va être damnée : tout cela dura bien trois heures ou environ. Là-dessus, ils se mettent en prières et elle aussi.

À la fin de la prière, il lui sembla qu’on lui tirait un rideau noir et obscur qui cachait celui qui lui avait prononcé cette horrible sentence, qui était Notre Seigneur, lequel lui dit d’une voix aussi douce et aimable comme la précédente était épouvantable : « Allez, c’est moi qui vous y envoie ! » À cette parole la voilà remplie d’un courage et d’une force si grande qu’il lui semblait qu’elle était capable de porter les tourments de mille enfers. En même temps, elle se trouva d’esprit en enfer, où elle vit les tourments effroyables des damnés et entendit leurs cris et leurs blasphèmes. Néanmoins les trois premiers jours elle ne souffrait rien, mais elle allait et venait en esprit de la terre en enfer et de l’enfer sur la terre, et étant en enfer elle entendit les damnés qui disaient entre eux : « Qui est cette âme qui vient en enfer, et qui en sort aussi ? Nous n’avions jamais vu rien de semblable. » Et là-dessus ils vomissaient mille malédictions contre elle19.

Au bout de trois jours, les diables s’assemblèrent en enfer et amenèrent au milieu d’eux une monstrueuse bête d’une grandeur énorme et d’une laideur épouvantable qu’ils tirèrent du fond de l’abîme. Elle fut présentée devant ce monstre et les démons commencèrent à l’accuser de tous les crimes des sorciers. Cependant elle ne faisait autre chose que de dire : « Dieu véritable, vous savez qu’ils ne disent pas vrai et que je n’ai rien fait de tout cela. » Nonobstant les esprits malins insistent à l’accuser et dire qu’on la leur bâille pour prendre sur elle la satisfaction et le paiement des peines dues à tous ces crimes, si bien qu’elle fut condamnée par cette horrible bête à souffrir tous les tourments que méritent tous les forfaits dont on l’accusait.

Cette sentence ayant été prononcée, voilà qu’elle commença à souffrir premièrement en son esprit et peu après en son corps l’Ire de Dieu et toutes les peines de l’enfer qu’elle désirait en cette façon.



Les peines de l’esprit et la Colère de Dieu20.

La première peine qu’elle souffrit en son esprit, ce fut l’Ire de Dieu qu’elle assure être le plus grand supplice de l’enfer, et que tous les autres quoique très terribles sont néanmoins si légers en comparaison de celui-là que les damnés voudraient souffrir dix mille feux tels qu’est celui de l’enfer pour être délivrés du tourment de l’Ire de Dieu, lequel consiste en ce qu’ils voient Dieu tout embrasé d’Ire et de colère contre eux. Tant plus ils sont damnés, tant plus ils voient Dieu ainsi irrité et courroucé contre eux, ce qui leur cause un supplice inexplicable, et dont la grandeur est autant incompréhensible que celle de l’Ire d’un Dieu. Les saints voient Dieu et sont en Dieu comme dans un feu d’amour et de charité qui les pénètre, les anime et les enivre du torrent de ses délices inénarrables. Les bienheureux voyant en Dieu comme dans un miroir immense toutes les créatures qui contribuent toutes à leur félicité, les damnés voient aussi en Dieu comme dans un miroir toutes les choses créées qui sont toutes en fureur contre eux. […]

« Je voyais, dit-elle, la terre qui regardait fixement la divine Volonté, comme lui demandant si elle avait agréable qu’elle s’ouvrît pour m’abîmer. Je voyais la mer qui la regardait aussi et qui lui demandait si elle avait agréable qu’elle se divisât en autant de parties qu’elle a de gouttes d’eau, afin que chacun pût exercer sur moi un tourment particulier. Je voyais toutes les autres créatures qui en faisaient de même jusqu’au moindre atome : il n’y en avait pas un, pour petit qu’il fût, qui ne se tint assez fort pour m’écraser et pour me réduire en poudre, si la divine Volonté lui en eût donné l’ordre, afin de venger sur moi les injures faites à son Créateur, c’est-à-dire pour les péchés dont elle s’était chargée. »

Elle voyait même dans le pain qu’elle prenait, l’Ire de Dieu, comme une fourmilière de vers qui seraient dans une pièce de bœuf pourrie. À raison de quoi, ce qu’elle mangeait pendant qu’elle était en enfer, et plusieurs années après, lui causait de grandes douleurs.

« Tous ceux qui sont en enfer, dit-elle, sont aussi animés de l’Ire de Dieu les uns contre les autres, de sorte qu’ils sont remplis d’une haine et d’une fureur implacable qui les rend bourreaux les uns aux autres et qui les porte à se maudire continuellement, à se déchirer et à se torturer les uns les autres.

« Cette même ire de Dieu les anime contre eux-mêmes : elle anime les sens contre l’esprit et l’esprit contre les sens ; ce qui les rend furieux et enragés contre eux-mêmes et fait qu’ils se haïssent, de telle sorte qu’ils sont insupportables à eux-mêmes et qu’ils s’écraseraient et s’anéantiraient s’il était en leur pouvoir.

« Les misérables damnés sont toujours vivants et immortels. Tant plus ils sont damnés, tant plus ils sont vivants, parce qu’ils sont davantage animés de l’Ire de Dieu qui est l’âme des damnés. Elle les anime et vivifie de telle sorte qu’il me semblait que quand on aurait coupé et haché toutes les parties de mon corps aussi menu que sont les grains de sable de la mer, je ne serais point morte pour cela, mais que chaque partie aurait été aussi pleine de vie comme le tout ensemble.

Si une piqûre d’épingle, dit encore la sœur Marie, était de la nature des peurs d’enfer, elle causerait un mal plus grand que ne seraient tous les maux et tous les tourments que tous les hommes et tous les diables pourraient faire souffrir en ce monde, quand ils emploieraient toute l’étendue de leur fureur et de leur force. La raison est parce que cette piqûre d’épingle serait animée de l’Ire de Dieu ; or l’Ire de Dieu surpasse infiniment toutes les colères et fureurs de tous les hommes et tous les diables, de sorte que, comme la moindre joie du ciel surpasse incomparablement tous les contentements de ce monde, ainsi la plus petite peine de l’enfer surpasse tous les supplices de cette vie.

« Enfin, si un damné paraissait sur la terre, dit-elle encore, et qu’on lui dit : « Vous voilà bien malade et bien affligé, mais savez-vous bien le mal que vous souffrez ? Quel est-il ? » Il répondrait : « Je ne le sais point, je ne le puis dire, car pour le bien connaître et pour l’expliquer, il faudrait pouvoir comprendre ce que c’est que l’Ire de Dieu : « Quis novit potestatem irae tuae et prae timore tuo iram tuam dinumerare ? 21»

Peu de temps après qu’elle fut entrée dans ces supplices, elle vit son esprit qui sortit de l’enfer, en étant revêtu d’une force divine qui lui fut donnée, s’en alla par tout le monde mettre à mort un nombre infini d’ordes bêtes22 qui représentaient les péchés mortels. Puis il revint en son corps à qui il communiqua ses peines. Et ce fut alors que le corps commença à souffrir.

Le plus grand supplice qu’elle souffrait après l’Ire de Dieu, était de la vue qu’elle avait de l’état horrible de son esprit. Elle le voyait si effroyable que ce lui était un tourment indicible de se voir unie avec un monstre si hideux. Elle assure qu’elle eût beaucoup mieux aimé être animée du plus horrible de tous les démons : parce que le plus affreux de tous l’était beaucoup moins que son esprit à cause de tous les crimes dont il s’était chargé et qu’il avait en quelque sorte rendus siens. De là procédaient mille reproches qu’elle faisait lui disant : « C’est toi qui est cause que nous sommes ici ! » Mais elle [le] voyait quelquefois levant un voile dont sa face était couverte, et lui disait avec un visage gai et content et qui était fort beau : « Nous sommes ici, mais c’est Dieu qui nous y a mis. » Alors elle demeurait satisfaite pendant que cette vue durait, mais elle passait bientôt.

Voici une autre peine de l’esprit, laquelle il communiquait aux sens, qui est épouvantable : c’est le désespoir, qui provient, dit la sœur Marie, de ce que les damnés voient que Dieu est éternel et que son Ire demeurera éternellement sur eux et que tous leurs autres tourments dureront autant qu’il sera Dieu et par conséquent qu’ils ne finiront jamais. C’est ce qui les fait désespérer et enrager au dernier point.

Le désespoir, dit-elle, est le roi de l’enfer, parce qu’il règne sur tous les damnés et que c’est en quelque façon le plus grand de tous les supplices de l’enfer, parce que c’est comme un résultat, un composé et un consommé de tous les autres. C’est le père et la source de tous les blasphèmes de l’enfer. Elle le voyait en esprit sous la figure d’un lion enragé qui la tenait toujours enchaînée par le col avec une chaîne de fer, et de fois à autre, il entrait dedans elle par la bouche. C’est pourquoi elle s’adressait à Dieu promptement, lui protestait qu’elle renonçait de tout cœur à tout ce que la langue allait proférer, et le suppliait très instamment de la garder de rien dire en quoi Il fût offensé et de faire en sorte qu’on lui arrachât plutôt la langue de la bouche que de permettre qu’elle proférât aucune parole qui lui déplût. Sitôt que ce monstre était entré en elle, il proférait par sa bouche plusieurs blasphèmes, mais elle n’y avait aucune part puisque c’était malgré elle et contre sa volonté. Et cela ne se faisait jamais devant personne qui en pût être scandalisé, de sorte que s’il entrait un enfant seulement au lieu où elle était, tout cela cessait. Car ce qui est bien remarquable dans toutes les choses étranges qui se sont passées en elle, soit dans l’enfer, soit dans le mal de douze ans23 ou dans les autres maux, jamais Dieu n’a permis qu’il se soit dit ou fait aucune chose capable de scandaliser qui que ce soit. Voilà les peines que l’esprit souffrait dans l’enfer.



La Tentation24.

Durant tout ce temps-là, elle était pendant le jour avec les deux honnêtes ecclésiastiques en la garde desquels elle avait été mise par Mgr de Coutances, et le soir on la menait dans l’évêché où il n’y avait personne du tout, et où elle passait la nuit toute seule. […] Alors elle se résolut de se tuer. Pour cet effet, elle prend un couteau, étend le bras pour se l’enfoncer dans la poitrine. Mais en même temps le bras lui demeura raide comme un bâton, la main lui fut ouverte et le couteau tomba par terre.

Là-dessus Dieu lui ouvrant l’esprit pour un peu de temps, elle commença à faire réflexion sur elle et à discourir ainsi à elle-même :

« Qu’est-ce que ceci ? Où suis-je ? Et en quel état ? Sans doute, je ne suis point encore tout à fait perdue et abandonnée de Dieu. Il a encore soin de moi, puisqu’Il m’empêche de me tuer. »

Puis regardant et considérant le lieu où elle était, elle disait aussi :

« Je suis encore au monde, voici une table, un coffre, un lit. Je suis en une chambre, je suis encore en la terre et par conséquent je puis me sauver. »

Ensuite de cela, elle se met à genoux et fait cette prière et vœu à Dieu :

« Mon Dieu, je m’offre à vous pour porter toutes les peines de l’enfer et tous les tourments que vous avez préparés au péché, et fais vœu de les souffrir en temps25 afin que vous en délivriez mes frères dans l’éternité. »

Ayant fait cette prière, Notre Seigneur la prit en sa main comme l’on prendrait une balle et avec une fureur et impétuosité incroyable, la jeta dans le plus profond de l’enfer. Dans cet instant, la vue qu’elle avait d’être encore au monde et l’espérance de se pouvoir sauver lui furent ôtés et elle s’écria ainsi : « Ah ! C’est maintenant que je suis damnée tout à fait ! » Et alors tous les tourments redoublèrent.



Le colombier d’eau et de feu26.


Durant tout le temps qu’elle fut en enfer, elle ne vit point de quelle manière il était fait quant à la forme et figure extérieure, mais seulement quand elle en sortit. Et voici comme elle le vit et comme elle le représente :

« Imaginez-vous, dit-elle, un puits extrêmement large et profond, dans lequel il y a de l’eau et du feu. L’eau est au milieu en figure ronde, et qui s’élève en haut comme l’eau d’un puits, sans être appuyée ni soutenue tout autour d’aucune chose, demeurant ferme et solide comme une colonne sans qu’il en tombe une seule goutte, et cette eau est horriblement vilaine, puante et froide extrêmement, et plus que toutes les glaces imaginables.

« Le feu est tout autour de l’eau comme si c’était une muraille qui l’environnât : si bien que représentez-vous une muraille de feu tout autour de cette eau, dans laquelle il y a depuis le bas jusqu’au haut, quantité de sièges ou de places disposées comme sont les trous d’un colombier. C’est dans ces sièges de feu qu’elle appelle des chaises que sont les damnés, et les mêmes sièges sont plus ou moins ardents pour chacun d’eux, qu’ils ont plus ou moins commis de péchés. Et après qu’ils ont été quelque temps dans le feu, les démons les prennent et les jettent dans l’eau, et peu après, ils les rejettent de l’eau dans le feu, les faisant ainsi passer d’une extrême chaleur à une extrême froideur. Chaque damné demeure dans le siège de feu qui lui est destiné, ceux qui sont plus damnés dans les places plus basses et ceux qui le sont moins en celles qui sont plus hautes. »





Le lit interdit27.

Avant que la sœur Marie entrât dans le mal de douze ans, elle se vit toute nue au pied d’une très belle couche dont la couverture était blanche comme de la neige. Cette couche n’avait point d’autre dessus que le ciel. Elle vit quant et quant28 l’Amour divin qui travaillait en un même temps en un nombre innombrable de divers ouvrages, et il lui dit : « N’entrez pas, ma fille, dans cette couche sans appeler votre Epoux : appelez-Le et s’Il ne vient, je L’appellerai moi-même et Il viendra assurément. Vous ne Le déparagerez29 pas. Votre père est aussi noble que le sien et je vous doterai richement. » Alors elle L’appelle plusieurs fois par de beaux versets de la Sainte Écriture, mais Il ne venait point. Elle tremblait de froid au pied de cette couche. Après L’avoir appelé longtemps, voyant qu’Il ne venait point, elle le va dire à son Père l’Amour divin, lequel L’appelle lui-même, et Il vient aussitôt. Étant arrivé, Il dit à la sœur Marie : « Si vous étiez entrée toute seule dans cette couche, c’est-à-dire dans le mal de douze ans qu’elle figurait, vous y auriez été consumée aussi promptement qu’un brin de paille dans une fournaise ardente. »

Les armes du combat30.

Un jour, pendant ce même temps, étant entièrement enflammée de colère contre le péché, elle se leva sur les pieds et dit : « Donnez-moi des armes offensives et défensives pour combattre le monstre et pour le faire mourir. » Ayant dit cela, elle se trouva armée en esprit d’une longue pertuisane à deux pointes d’or, la poignée d’or et le manche de fer. […] La poignée d’or est l’Amour divin et la Charité divine. Le manche de fer, c’est la sœur Marie et ses souffrances, laquelle est possédée et conduite par l’Amour divin et la Charité, et c’est cette verge de fer dont il est fait mention en ces paroles : « Reges eos in virga ferrea, et tanquam vas figuli confringes eos31 » et dont l’amour et la charité se serviront avec Notre Seigneur et sa sainte Mère pour briser et anéantir le péché.

Le mal de douze ans32.

Il commença en la mi-Carême et comme un carreau de foudre qui lui entra dans le cœur inopinément et lorsqu’elle y pensait le moins, et avec une violence non pareille, ce qui l’étonna étrangement, mais elle se consolait disant en soi-même que ce mal ne serait pas de durée puisqu’il était si violent.

Ce carreau de foudre était l’Ire de Dieu, ainsi qu’elle a su depuis. Le tourment qu’elle lui a fait souffrir était principalement dans l’esprit qui l’avait désiré ardemment. Il était si terrible et si véhément que bien souvent on la voyait pâmée de douleurs et privée de l’usage de ses sens comme une personne qui était enivrée de fiel et qui ne savait où elle était ni ce qu’elle était, ni ce qu’elle faisait, quoique pourtant elle ne fît jamais rien d’extravagant ni qui fût capable de blesser ou de mal édifier personne. Elle dit que ce mal, c’est un enfer tout nouveau que l’Amour divin a fait pour elle, qui surpasse incomparablement en sa rigueur et en ses supplices l’enfer des damnés.

*

Il est rapporté dans la vie de sainte Catherine de Gênes, qu’un jour Dieu lui fit voir la laideur du moindre péché véniel et que cette vue ne dura qu’un moment, mais qu’elle assurait ensuite qu’elle avait vu une chose si effroyable que le sang lui glaça dans les veines, qu’elle fut réduite en l’agonie et qu’en effet elle serait morte de frayeur si Dieu ne l’avait préservée par miracle, afin de raconter aux autres ce qu’elle avait vu. Que si la vue seulement de la difformité de péché véniel opère des effets si étranges, que serait-ce de voir l’horrible monstre du péché mortel ? Et qu’est-ce non seulement de voir, mais de boire à longs traits le venin de tant d’aspics et le fiel de tant de dragons, et d’être accablé sous le faix d’autant de monstres épouvantables comme il y a de péchés au monde, dont le nombre est plus grand que celui des gouttes d’eau et des grains de sable de la mer.

Elle porte les péchés d’autrui33.

Le samedi d’après le jour du saint Rosaire 1646, elle se vit entortillée d’un horrible serpent qui faisait trois tours autour d’elle et élevait sa tête vis-à-vis de sa bouche, et jetait son souffle droit dans sa bouche. Notre Seigneur dit que le serpent représente l’infidélité et que son souffle représente le désespoir duquel elle se trouvait toute remplie. Cinq jours après il ne souffla plus, mais il ouvrit sa bouche et tira sa langue, et il avait les yeux comme hors de la tête et fort enflammés, et la langue et la bouche étaient noires et les dents blanches. Sa langue et sa bouche noires signifiaient que la plupart des paroles des infidèles ne sont que péchés. Les yeux rouges et enflammés pour montrer que l’infidélité n’a d’autre visée que de mener les âmes en enfer ; et les dents blanches pour montrer que leur vie licencieuse qui les dévore leur semble belle et blanche. Outre cela elle vit son cœur entouré de mourons34, de crapauds, de vipères et autres serpents inconnus qui la mordaient, piquaient et dévoraient. Ces ordes bêtes sont les péchés des prêtres qui sont le cœur de l’Église. De plus sa couche lui sembla toute remplie de ces mêmes bêtes de toutes sortes qui ne la mordaient pas ni piquaient mais qui l’infectaient de leur ordure et puanteur, étant couchées avec elle. Ce sont les péchés du commun peuple.

*

Le jour de saint Matthias, Notre Seigneur lui dit : « Mon amour divin vous a chargée des péchés des âmes, il vous a enchaînée de leurs chaînes et liée de leurs liens. Il n’y a que moi seul qui vous en puisse délier par ma puissance absolue. Je brise vos chaînes et romps vos liens. »

*

Le 3 février 1646, elle dit à Notre Seigneur : «Pourquoi est-ce que j’ai une si grande frayeur qui me suit partout ? Quel sujet ai-je de craindre ? J’ai toujours dit la vérité, je n’ai jamais dit un mot que je doive dédire.»

Notre Seigneur lui dit : « Quand je me charge des péchés des hommes, je me charge aussi des appartenances du péché qui sont la frayeur, la crainte, l’ennui et la tristesse, et de là vient qu’il est dit de moi : « Coepit pavere, taedere et moestus esse35 ». C’est que l’âme qui est en péché mortel devrait avoir une grande frayeur de loger chez elle un monstre si épouvantable. Oh ! Qu’elle devrait avoir un grand ennui d’être dans un état si misérable ! Oh ! Qu’elle devrait avoir une grande tristesse d’avoir offensé un si bon Père comme est Dieu ! Mais parce qu’elle est morte, elle est insensible à ses maux.

Quand je vous ai donné les péchés d’autrui, je vous ai donné les appartenances du péché, qui sont ces quatre choses. Il ajoute : « Oh ! Que l’âme qui est en péché mortel est digne de grande compassion. »

Les désolations36.

Un jour, comme la sœur Marie se plaignait à Notre Seigneur de ce qu’il donnait de son vin aux autres, c’est-à-dire de la consolation par le moyen des choses qu’elle dit, et qu’à elle Il ne lui donnait rien : « C’est qu’il est jeûne pour vous, lui dit-il. Quand une dame jeûne en sa maison, elle ne laisse point de donner à boire et à manger aux autres. Vous jeûnez jusqu’au soir : c’est la veille de Noël. »

Une autre fois Notre Seigneur lui dit qu’elle était comme un vaisseau de terre qui est plein d’une précieuse liqueur, mais il ne la sent ni ne la goûte point.

*

Durant le mal de douze ans elle vit deux portes à une chambre. L’une de ces portes était à l’Orient, l’autre à l’Occident. Celle qui était à l’Orient était belle, grande et à deux panneaux, mais elle était fermée. Celle de l’Occident était petite et ouverte, et elle, voyant quantité de personnes qui rentraient en foule et avec empressement par cette porte dans cette chambre, on lui fit entendre que l’Orient signifie les consolations, et l’Occident les désolations, et que, quand la Passion de Notre Seigneur était venue chez elle, elle avait fermé la porte d’Orient et ouvert celle de l’Occident, c’est-à-dire qu’elle avait fermé la porte à toutes sortes de consolations divines et humaines et qu’elle l’avait ouverte à toutes sortes de croix, de souffrances et d’angoisses. La porte des consolations est grande et celle des désolations petite pour montrer que quand le temps de consolation sera venu, Dieu sera bien plus libéral à nous consoler qu’Il n’a été à nous affliger.

*


Entre quantité de maux37 et de tourments que Notre Seigneur a envoyés à la sœur Marie, le plus grand de tous c’est le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance et qui la tourmentait horriblement. « C’était, dit-elle, un monstre épouvantable qui me rongeait le cœur continuellement. » Pendant plus de trente-cinq ans, elle en a été travaillée. Elle se trouvait souvent environnée de ténèbres si épaisses et si horribles qu’elle ne savait où elle était, ni ce qu’elle était, ni s’il y avait une religion, une foi, un Dieu, et ce mal lui a pesé jusqu’à la mort.

Notre Seigneur lui a dit que c’était le plus grand don qu’Il lui eût fait.

« Je hais l’honneur »38.

Un jour la sœur Marie dit : « Notre Seigneur me fit voir une salle dont les murailles, le pavé et le plancher étaient d’or. Contre les murailles étaient des enrichissements d’azur. Dans cette salle étaient plusieurs Ethiopiens qui travaillaient : les uns filaient, les autres tissaient, les autres teignaient, les autres taillaient et cousaient des habits. Ils viennent à moi et me présentent une belle chemise bien blanche, secondement une robe de damas blanc, troisièmement une robe de pourpre. Je les renvoie bien rudement et me retire près de la cheminée et me mets à pleurer de douleurs de ce qu’on m’avait offert ces robes.

Là-dessus, Notre Seigneur vint qui me dit : «Pourquoi avez-vous refusé ces robes ? J’ai fait ces oeuvres d’un royaume étranger, pour l’amour de vous, prenez-les !

- A moi, répondis-je, telles robes ! Je ne les prendrai point. C’est comme si vous en vouliez revêtir un âne, cela n’est pas à mon usage. Vous avez tant de belles princesses dans le ciel à qui elles conviendront mieux qu’à moi. Donnez-les à quelques-unes.

- Elles sont faites pour vous.

- N’importe, je ne les prendrai point.

- Prenez-les pour l’amour de moi, dit Notre Seigneur, si vous ne les prenez pas, vous ne m’aurez pas pour époux.

- Je ne vous aurai donc point, telles robes ne me sont pas propres.

- Je revêtirai votre âme, dit Notre Seigneur, de la lumière de gloire, moyennant laquelle ces robes vous siéront fort bien.

- Je subirai plutôt de n’aller jamais au ciel que de consentir que j’en sois revêtue. Ne savez-vous pas bien combien je hais l’honneur et les choses qui paraissent et éclatent ? »

Là-dessus, Il s’en va aux ouvriers leur disant : « Ne les lui présentez plus. Tels sont les enfants de mon père : ils veulent bien aller au combat mais ils ne veulent point de récompense. »

Un peu après, Il revient : « Pourquoi ne prenez-vous point ces robes ? Je veux par ce moyen donner une joie accidentelle à mes saints. »

Je persiste à dire que je n’en veux point. Là-dessus il me mène en esprit au ciel. Je m’adresse à tous les saints et les prie d’intercéder pour moi auprès de Notre Seigneur à ce qu’Il ne me commande point de prendre ces robes. Ils me répondent que telle est Sa volonté, à raison de quoi je consentis à les prendre.

*

La salle, c’est le cœur de la sœur Marie. La chemise, c’est son innocence, la robe rouge, c’est le martyre qu’elle a souffert, la robe blanche, c’est la pureté virginale. Les Ethiopiens sont les diables qui, par les souffrances qu’ils lui ont fait endurer, ont servi à teindre et embellir ces robes. La robe blanche qui signifie la pureté virginale, laquelle est extrêmement agréable à Dieu, suit l’Agneau partout où il va. Mais les moindres choses qui lui sont contraires, la salissent.

Trois degrés de perfection39.

« Notre Seigneur me fit voir trois degrés de perfection, dit la sœur Marie.

Le premier. Je me voyais debout et encore toute vivante, et j’entendais Notre Seigneur qui me disait avec un visage tout riant : « Venez, mon épouse, je vous donnerai mon repos et vous couronnerai de gloire. » Mais jetant les yeux pour découvrir à sa contenance ce qu’Il désirait le plus de moi, ou que j’allasse au ciel ou que je descendisse en enfer, je reconnus qu’il avait plus agréable que je descendisse en enfer pour y souffrir pour sa gloire, à quoi je me résolus, et Notre Seigneur témoigna grande joie de l’usage que je fis en ceci de ma volonté pour faire cette élection. Et voilà le premier degré de perfection qui consiste en une parfaite conformité de notre volonté à celle de Dieu en tout ce qui lui est le plus agréable.

Le deuxième degré. « Je me voyais quelques années après comme une personne malade, languissante et agonisante, à la mort. Je voyais toutes les choses qui étaient en moi agoniser et mourir l’une après l’autre. L’esprit s’en alla le premier, la mémoire suivit après, puis l’entendement ; et tous avant que de s’en aller, venaient dire adieu à la volonté comme à leur reine et lui disaient qu’ils allaient trouver l’époux. La volonté partit ensuite et depuis je ne les ai plus revus, je ne sais où elles se sont. Pendant que j’étais dans cet état d’agonie, Notre Seigneur me disait : « Mon épouse, voulez-vous quelque chose, voulez-vous demeurer comme vous êtes ou si vous voulez, venir en ma gloire ? » Mais à tout cela je répondais que j’étais bien malade et que je n’étais point en état de faire aucun choix et qu’Il choisît pour moi ce qu’il Lui plairait. Et c’est le deuxième degré de perfection, dans lequel la volonté est encore vivante, mais elle ne fait plus d’élection : elle ne produit plus aucun acte comme étant déjà fort malade d’amour, mais elle laisse agir Dieu pour elle ainsi qu’il Lui plaît.

Le troisième degré. « Quelque temps après, je n’avais plus de vie ni de sentiments de rien. Je ne me voyais plus et je disais à Notre Seigneur : « Je ne sais ce que cela veut dire : vous me promettez, vous me donnez, dites-vous, les plus belles choses du monde et je n’en sens rien, je n’en vois rien et je n’en crois rien !

- Est-ce que vous êtes, dit-il, dans le néant ?

- Qu’est-ce que être dans le néant ?

- Je m’en vais vous le dire. Imaginez-vous un roi qui est mort. On le mène dans une chambre bien tapissée et pleine de fleurs et de senteurs très agréables avec un appareil royal : il n’en voit rien, il n’en sent rien. On le prend, on le porte dans un cloaque ou bien on le jette aux chiens et aux corbeaux qui le déchirent et le mangent : il ne sent point tout cela non plus qu’auparavant. Quand on le porterait dans le ciel et qu’il serait au milieu des délices du paradis, il serait insensible à tout cela. Voilà ce que c’est que d’être anéanti. Voilà l’état dans lequel vous êtes, qui est le troisième degré de perfection. »

Depuis ce temps-là, je ne me suis point retrouvée : je ne sais où je suis, si je suis morte ou vivante, en la terre ou au ciel. »

Le dénuement40.

Un jour elle vit Notre Seigneur et Notre Dame qui étaient prêts de partir pour aller quelque part. Je commençais à dire à Notre Seigneur que je voulais aller avec eux.

- Non, me dit-il, vous ne viendrez point.

- Pardonnez-moi, j’irai partout où vous irez. [106v]

- Vous ne pourriez nous suivre à pied, répliqua Notre Seigneur, car je vais à cheval et je porterai ma mère en trousse.

- Si ferai, répondit la sœur Marie, je vous suivrai bien.

- Je vous assure, dit le Fils de Dieu, que si vous ne pouvez suivre, je vous attacherai par les cheveux à la queue de mon cheval.

- Comment, disait la Sainte Vierge, attacher une épouse à la queue de votre cheval par les cheveux ?

- Oui, je l’y attacherai, aussi pourquoi veut-elle venir ? Faut-il dit qu’elle nous suive partout où nous allons ?

- N’importe, redisais-je, faites ce que vous voudrez, mais je vous suivrai partout où vous irez. »

Voici l’explication de cette figure que Notre Seigneur en donna : « Ce cheval est mon Amour divin qui m’a apporté en la terre et qui m’a fait faire tout ce que j’ai fait. Je porte ma mère en trousse, car elle m’a suivi partout en mes divines vertus et perfections. Personne ne nous peut suivre parfaitement, s’il n’est attaché à la queue de mon cheval, comme je vous y ai attachée par les cheveux, car j’ai attaché toutes vos pensées, désirs et inclinations et affections représentées par les cheveux, aux pensées, désirs et inclinations de mon Amour divin. »



Le don du Cœur41.

Un jour Notre Seigneur lui [109] ayant donné un rosaire à dire, Il lui parla en cette façon : « Je vous ai donné un rosaire : mais que me donnez-vous ?

- Je vous donne mon cœur, dit-elle.

-Vous me donnez votre cœur, dit Notre Seigneur. Il est à moi : ce n’est point d’aujourd’hui que vous me l’avez donné : il y a longtemps que j’en ai pris possession et que j’y fais ma demeure. Mais vous êtes semblable à un pauvre à qui le roi a donné une pièce d’or, en suite de quoi il lui dit : « Voilà un don que je vous ai fait : mais vous, que me donnez-vous ? - Sire, répond le pauvre, je vous donne votre palais royal. - Le roi réplique : Il est à moi, vous ne me donnez rien - Il est vrai, sire, il est à vous, mais s’il était à moi, je vous le donnerais. »



Anéantissement mystique42.

Un jour voyant son bon ange, elle le pria de demander pardon à Dieu pour elle de ses péchés. Notre Seigneur et Notre Dame y étaient qui disaient : « Il faut qu’elle meure. » Elle demanda temps de faire pénitence. Mais ils disaient toujours : « Il faut qu’elle meure. » Elle sut par après que cela s’entendait de la mort à soi-même.

*

Ç’a été dès le commencement de ses souffrances qu’elle a commencé d’entrer dans la mort et dans l’anéantissement. Toutes les puissances de son âme, les passions, les sens intérieurs et extérieurs furent malades et ensuite vinrent à mourir. L’esprit qui est la partie suprême de l’âme qu’on appelle mens, fut le premier qui s’en alla dans le néant, puis la mémoire et par après la volonté, puis les passions, l’irascible et la concupiscible, les sens intérieurs et extérieurs. La raison fut la dernière qui s’en alla.

« Lorsque la mémoire était malade et que je l’appelais, dit la sœur Marie, ou que je me voulais ressouvenir de quelque chose, quelquefois Notre Seigneur répondait pour elle ; quelquefois aussi lorsque je parlais à Notre Seigneur, la mémoire répondait pour Lui, afin de montrer par là qu’elle était transformée en Lui. Et le même arrivait à l’entendement et à la volonté ; mais depuis qu’elles sont mortes et qu’elles s’en sont allées, je ne les ai ni vues ni ouïes, non plus que les passions et les sens. »

Cette mort, et anéantissement de toutes ses puissances, consiste en ce qu’elles n’ont point d’action par elles-mêmes, non plus que si elles n’étaient point, n’agissant plus que par l’esprit de Jésus-Christ souffrant, qui est en elle vivant. À raison de quoi, elle dit que la Passion de Notre Seigneur est l’âme qui l’anime. Lorsque la raison s’en alla, elle l’entendit parler ainsi à Notre Seigneur : « Mon créateur, je vous ai servi [118v] et honoré dans l’enfer : si vous avez agréable, j’irai vous servir et honorer dans le néant. » Et ayant dit cela elle s’en alla au néant et anéantissement de toutes ses puissances. Cela ne s’est pas fait tout d’un coup, mais en plusieurs années, y ayant beaucoup de temps et d’intervalle entre chaque puissance.

*

Pendant ce même temps, il se fit un jeu entre l’amour divin et la même volonté. C’est le nom que lui-même a donné à ceci qui consistait à ce qu’elle disait à Dieu comme saint Augustin : « Si j’étais Dieu et que vous fussiez ce que je suis, je me voudrais dépouiller de ma divinité pour vous la donner, et ainsi cesser d’être Dieu pour être ce que je suis, et que vous cessassiez d’être ce que je suis pour être ce que vous êtes. » Et ceci s’appelle un jeu parce que, lorsque l’âme entre dans la déification et que l’amour divin l’anéantit en elle-même, il se joue d’elle, parlant en sa personne et disant : Si j’étais Dieu ... etc. Et ceci est une des choses desquelles il lui est impossible de douter qu’elle ne soit véritable, laquelle fait voir la transformation en Dieu et la déification.

*

Le 20 juillet 1653, j’ai entendu la sœur Marie, laquelle toute enivrée d’amour vers la divine Volonté, parlait ainsi43 : « Je me suis donnée à la très adorable volonté de Dieu. Je veux aller partout où il Lui plaira. Si elle a agréable de m’envoyer au néant, me voilà toute prête de partir pour y aller, mais il n’est pas nécessaire qu’elle m’y mène, c’est assez qu’elle me commande d’y aller. Je lui obéirai de bon cœur et avec joie. J’ai pourtant une requête à lui présenter avant que de partir : c’est que je demande un peu de temps pour rendre grâce à Dieu de l’être qu’Il m’a donné, de tous les dons qu’Il m’a faits depuis que je suis au monde. Cela étant fait, je suis toute prête de partir pour aller au néant. On me dira que je sais bien que Dieu ne m’y enverra pas, mais je répondrai que non, que je ne sais point cela. Qui aurait cru qu’Il m’aurait envoyée en enfer toute vivante ! Il est tout-puissant. Il fera ce qu’il Lui plaira de moi. Je n’ai qu’une chose à faire, obéir à la très adorable volonté de Dieu. »

Là-dessus, Notre Seigneur lui fait plusieurs interrogations : « Si vous allez au néant, n’avez-vous point de regret de quitter ma mère ?

- Nenni.

- N’avez-vous pas bien de la peine à ne plus voir la divine Justice que vous aimez tant, l’Amour divin, la Charité et les autres divins attributs ?

- Nullement.

- La divine Volonté pour laquelle vous avez tant de tendresse ne vous donnera-t-elle pas quelque regret de la quitter pour jamais ?

- Non, pourvu que je lui obéisse, c’est tout ce que je veux.

- Mais ne voulez-vous pas que je la prie de vous laisser dans l’être ?

- Non, car je désire qu’on la laisse dans sa pleine liberté de faire de sa créature ce qu’Il lui plaira. Je n’ai rien à faire que de lui obéir exactement. C’est mon paradis, tout le reste ne m’est rien, je n’ai ni goût, ni affection, ni sentiment pour aucune autre chose, non plus que si j’étais une pierre. » Elle disait toutes ces choses avec une vérité très cordiale, très profonde et très solide, ce qui fait voir comment elle est dépouillée de soi-même de toutes choses et en quelle manière la divine Volonté est régnante.

*

L’an 1654, le 30 mars, ce qui avait été prédit le 20 juillet de l’année précédente touchant l’expiravit des sens fut accompli44. Ensuite de quoi la sœur Marie demeura morte à soi-même et à toutes choses, même selon les sens d’une manière merveilleuse et inexplicable.

« Je ne sais ce que je suis devenue, je suis tout à fait perdue », disait-elle. « Je ne sais d’où je viens et où je vais, je ne sais où je suis ni ce que je suis, si je suis une créature ou un néant. Il n’y a que Dieu seul qui sait le lieu où je suis. »



La bague fontaine de lumière45.

Une autre fois, Notre Seigneur lui fit voir son beau verset46 sous la figure d’une pierre précieuse enchâssée dans une bague. Cette pierre précieuse est le Saint-Sacrement, la bague c’est la sœur Marie. Elle vit la très Sainte Trinité qui arracha la pierre de la bague, mit la bague dans le feu et dans la pierre précieuse une fontaine de lumière, et après que la bague fut purifiée dans le feu et raffinée jusqu’à vingt-quatre carats, la Sainte Trinité remit dans la bague la pierre précieuse avec la source de lumière, et redonna la bague à la sœur Marie.

Lorsqu’elle l’eut, elle dit à Notre Dame : « J’ai un beau présent à vous faire, c’est une bague digne de la Mère de Dieu. »

Notre Dame lui dit : « Gardez-la : j’en ai une semblable que mon époux l’Amour divin m’a donnée.

- Vous en aurez donc deux, dit la sœur Marie, car je vous la donne.

- Non, dit la Sainte Vierge, vous ne pouvez pas la donner car elle tient au bras.

- Coupez-le, dit la sœur Marie.

- Nenni, dit Notre Dame : le bras est à moi, c’est celui de mon Fils, il m’appartient premier qu’à vous. »

Alors la sœur Marie demeura confuse, et connut en effet que c’était le bras de Notre Seigneur où était la bague, qu’elle croyait être le sien.

Un grand feu caché sous la cendre47.



Pendant qu’elle était prisonnière dans un cachot à Rouen, quelqu’un se présenta devant la petite fenêtre du cachot, se moquant d’elle. Auquel elle répondit en cette façon : « Là, là, dit-elle, il y a pourtant un grand feu caché sous la cendre. Lorsqu’il sera découvert, il embrasera tout. » Elle dit ceci sans entendre ce qu’elle disait, mais environ quarante ans après, Notre Seigneur lui dit qu’un grand torrent d’eau a passé par-dessus le feu et sur la cendre, sans la mouiller en aucune façon, que le feu a toujours pris accroissement sous la cendre, que le temps est venu que l’on le va découvrir, qu’il reste encore quelque peu de moiteur, qu’il sèchera en un instant, et que ce feu est l’amour de la charité qui est en elle. La cendre est la honte, l’ignominie et le mépris qu’elle a souffert, le torrent c’est l’Ire de Dieu qu’elle a portée.

Un petit ver48.

Un jour, comme elle cherchait ce qu’elle était, car « encore suis-je quelque chose », disait-elle en soi-même, Notre Seigneur lui voulant faire connaître qui elle était, lui fit voir en esprit un petit ver de terre dans son petit trou, lequel de temps en temps faisait sortir sa petite tête hors de son trou, disant à Dieu : « Je vous adore, mon Créateur, et je vous remercie de ce que vous m’avez donné l’être et la vie : ayez pitié de l’ouvrage de vos mains. » Puis il se retirait. «Voilà ce que vous êtes selon la chair et les sens », dit Notre Seigneur, car selon l’esprit vous n’êtes point ce que le petit ver est entre les animaux pour l’estime dans l’esprit des créatures raisonnables, c’est-à-dire que comme c’est le plus contemptible et le dernier de tous les animaux, ainsi est-ce de cela. Mais, dit la sœur Marie, une vérité infaillible est comme un article de foi. L’être et la vie, c’est Notre Seigneur Jésus-Christ que Dieu nous a donné. Car il n’y a que Lui qui soit et qui vive et il est notre être et notre vie car sans Lui nous ne sommes rien.

Trois oiseaux49.



Notre Seigneur lui fit voir une fois trois oiseaux qui représentent le parfait usage qu’on doit faire des trois puissances de son âme. Le premier était un paon qui étendait et regardait ses plumes, puis venant à jeter les yeux sur ses pieds, il les resserrait. Le second était un aigle qui regardait fixement le soleil, et lorsqu’il voyait ses petits aiglons dans quelque danger, il venait fondre en terre pour les ramasser et pour les délivrer du péril. Le troisième était une colombe qui était sans fiel et qui se paissait sur le bord des torrents.

Le paon, c’est la mémoire des serviteurs de Dieu qui regardent et contemplent Ses dons, grâces et bienfaits, représentés par les belles plumes du paon. Mais après cela, ils jettent les yeux sur leurs pieds, c’est-à-dire sur leur néant, ensuite de quoi il resserrent leurs plumes et réfèrent tout à Dieu. L’aigle est leur entendement, qui regarde Dieu fixement par la contemplation de Ses mystères et de Ses divines perfections ; mais lorsqu’il voit ses petits, c’est-à-dire ses sens, être en péril de tomber dans quelque faute, il vient fondre en terre, c’est-à-dire, il s’abaisse pour les retirer du danger. La colombe, c’est leur volonté qui est sans fiel, c’est-à-dire sans péché et qui se paît sur le bord des torrents des peines et des souffrances de cette vie. Et j’entendais Notre Seigneur qui disait qu’Il aimait mieux sa colombe que les deux autres. « Ô ma colombe, disait-il, ô ma colombe sans fiel. » Tout ceci représente l’état de la sœur Marie quoiqu’elle ne le dise pas.

Le chandelier d’or50.

L’an 1645, la sœur Marie vit dans la main droite de Notre Seigneur un chandelier d’or à trois branches en forme de triangle. En chacune des branches il y avait un cierge blanc. Sur l’un de ces cierges, ces paroles étaient imprimées : Ecce nova facio omnia. Sur le second : Veritas Domini manet in aeternum. Sur le troisième : Voluntas Dei quodcumque voluit fecit51. Au milieu de ce triangle il y avait un encensoir fort noir et si épouvantable à voir qu’on ne le pouvait regarder sans frayeur. On ne voyait point de feu dans cet encensoir, mais bien une grosse fumée composée de toutes sortes de parfums aromatiques, laquelle sortant de l’encensoir, se recueillait et ramassait ensemble et faisait comme une verge fort droite et partout égale qui s’élevait tout droit au ciel. Il ne s’en séparait ni écartait aucune partie, demeurant toute ramassée sans que personne sentît rien de la bonne odeur qui était dans cet encensoir ni dans cette fumée. Mais lorsqu’elle entrait dans le ciel, elle s’épandait de tous côtés et y rendait une odeur extrêmement agréable à tous les habitants du paradis. Il lui fut commandé de mettre le chandelier sur la tête de celui que Notre Seigneur a choisi pour être son vicaire52 en disant ces trois versets :

La bonté qui sans fard en simplesse chemine

Accourt devant la foi, sa compagne divine.

La paix d’autre côté

Tient justice embrassée et la baise et la serre,

La blanche vérité germera de la terre

Et justice du ciel épandra sa clarté53.

[…]

La paix ses trésors versera

La lune plus ne sera54.

Il vient juger la terre et gouverner le monde.

Par sa droite

A tous les habitants de la machine ronde

Suivant la vérité.

Coudre le ciel et la terre55.



Une autre fois, elle vit Notre Seigneur enfiler une aiguille d’une fort longue aiguillée de fil et elle lui demanda : « Qu’en voulez-vous faire ? »

Il dit : « C’est pour coudre le ciel et la terre, mais il faut que ce soit vous qui les cousiez. »

Elle dit : « Je ne saurais faire cela. »

« Il faut donc que ce soit ma Mère », dit Notre Seigneur. Mais la Sainte Vierge s’en excusa aussi. Alors Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Vous ferez bien cela. Tenez, voilà l’aiguille : je vous conduirai la main et ma mère tiendra la couture droite : et ainsi nous coudrons tous trois»

« Ô Amour ! »56.



Une nuit la sœur Marie ne pouvant dormir, Notre Seigneur lui dit : « Disons quelque chose.

- Dites ce qu’il vous plaira », dit la sœur Marie.

Alors il commença à dire : « Ô amour ! »

Et il lui faisait répondre : « Ô excès ! »57. Ils dirent ainsi longtemps, puis Notre Seigneur changea et dit : « Ô excès ! » Et lui fit répondre : « Ô amour ! »

Et la plus grande partie de la nuit se passa en disant cela.

L’Abbaye de perfection et ses règles58.



Le deuxième jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. La maîtresse des novices était Notre Dame. Les âmes qui y sont venues sont exercées durant leur noviciat à la connaissance d’elles-mêmes et par conséquent à la pratique de toutes les vertus qui est déjà une grande perfection. Car ce que l’or est entre les métaux, la connaissance de soi-même l’est entre les moyens qui conduisent à la perfection.

Les âmes qui sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’amour divin qui contient sept articles :

Le premier est d’allumer le feu dans l’eau.

Le second de marcher sur les eaux à pied sec.

Le troisième d’habiter parmi les couleuvres, serpents et autres bêtes venimeuses, sans en être endommagé.

Le quatrième de vivre dans la mort.

Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre.

Le sixième d’être chargé de chaînes et de liens pour aller plus vite.

Le septième de s’abstenir de toute nourriture pour être plus fort et plus gras.



Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances. Plus les souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.

Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par les eaux parce qu’ils s’écoulent comme l’eau et non point d’arrêt.

Habiter parmi les serpents sans être piqué, c’est se trouver parmi les occasions de pécher et y être assiégé de tentations sans y consentir.

Vivre dans la mort, c’est entrer dans l’enfer si Dieu le voulait et y conserver la charité de Dieu et du prochain.

Faire la guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde.

Être enchaîné pour mieux courir, c’est porter la peine du péché d’autrui pour aller promptement à Dieu.

S’abstenir de tout aliment pour se mieux engraisser et fortifier, c’est se priver de toute consolation divine et humaine pour être plus agréable à Dieu.

Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme. Aussi Notre Seigneur a dit que dans ce chemin, Il soutient l’âme pour la faire marcher et que Notre Dame ne la quitte point. Il a dit aussi que pour garder cette règle, il n’y a qu’une chose à faire qui est d’avoir toujours les yeux fixés sur la [149] divine Volonté et ne regarder ni le ciel ni la terre. C’est ce qu’a toujours fait la sœur Marie et c’est ici la règle que l’Amour divin lui a toujours fait garder très exactement.

Le froment du chemin59.

L’an 1644, le 30 mai, la sœur Marie étant devant le Saint Sacrement, Notre Seigneur après plusieurs autres discours lui dit : « Si je vous disais que les grands chemins abondent en froment et que les campagnes sont stériles, que diriez-vous ?

- Je vous dirai, dit-elle, que ce serait un grand miracle.

- J’entends, dit-Il, les grands chemins par où passent les carrosses, les charrettes, les hommes et les bêtes.

- Mais si on voyait ce froment, répartit-elle, passerait-on ainsi par-dessus ? »

Notre Seigneur répondit : « Les hommes sont aveugles et ne voient point que ce froment a pris la nature de la palme. Plus on l’abaisse et on le foule au pied, et plus il s’engraisse, se relève plus haut et en rapporte plus de fruits. »

La Force divine, la Grâce et la Joie60.



Un jour elle entendait trois dames qui chantaient mélodieusement ces paroles de la Genèse : « Terribilis est locus iste, non est hic aliud nisi domus Dei et porta coeli61» Ces trois dames étaient la Force divine, la Grâce et la Joie. Après avoir chanté, elles dirent qu’elles iraient ainsi chanter à toutes les âmes dans lesquelles le péché était, que la force divine le briserait par la contrition, que la grâce le jetterait dehors et que la joie le mettrait à la voirie. Elles ajoutèrent que le lieu où elles étaient alors, c’est-à-dire la sœur Marie, était terrible parce qu’on y massacrait le péché, que ce lieu était la maison de Dieu, parce que Dieu y était honoré et loué comme dans son temple et y résidait actuellement et effectivement, et qu’il était la porte du Ciel parce que l’entrée du Ciel serait donnée par son entremise.

L’étable aux pourceaux, la maison du soleil, le château de Jésus62.



L’an 1644, le deuxième jour de l’Avent, la sœur Marie dit à Notre Seigneur : « Je scandalise plusieurs et plusieurs me troublent : mettez-moi en lieu où cela ne soit plus. »

Notre Seigneur lui répondit : « Je vous donnerai un lieu que les hommes ne connaissent pas, et défendrai à toutes les créatures de vous éveiller. »

Cependant Il lui fit connaître la cause de ce trouble par cette similitude : « Un roi met son trésor dans une étable à pourceaux. Il y met un coffre de bois, il y enferme sa couronne, ses plus riches pierreries et grande quantité de pièces d’or. Le roi y vient avec la reine, laquelle a la clé du coffre. Les courtisans en entendent parler ; ils s’en étonnent, demandent à la porchère si elle a vu le roi et la reine entrer dans cette étable. Elle assure que oui et qu’elle n’en peut douter, tant ils ont de majesté. Les courtisans n’en croient rien et disent que c’est un plaisant qui, pour la tromper, et par elle plusieurs autres, lui donne cette illusion. Elle croit plutôt ces courtisans que son jugement et c’est ce qui la trouble.

L’étable à pourceaux est son corps ; les pourceaux sont les démons. Le coffre, c’est son cœur ; la couronne, c’est la Passion de Notre Seigneur en elle ; les pierreries sont ces paroles que Dieu lui dit, et les pièces d’or sont les dons faits et à faire à plusieurs.

Un jour étant devant l’autel de Notre Dame du Puits, elle pleurait et se plaignait à Notre Seigneur, lequel lui dit : « Ah ! Que j’ai bien choisi et que j’ai bien mis mon trésor en lieu d’assurance : Je l’ai mis dans l’étable à pourceaux, personne ne l’y viendra chercher.

Un jour la Sainte Vierge parlant à la sœur Marie lui dit : « Qui êtes-vous ?

- Je n’en sais rien », répondit-elle.

- « Vous n’en savez rien, mon épouse ? », répliqua Notre Seigneur, « Je m’en vais répondre pour vous ».

Alors Notre Dame demanda derechef à la sœur Marie : « Qui êtes-vous ?

- Je suis, dit-elle, la maison du soleil.

- Qui êtes-vous encore ?

- Le château de Jésus.

- D’où venez-vous ?

- Du Liban.

- Qu’en venez-vous de faire ?

- Je viens d’un grand festin où mon époux et moi étions invités.

- Quelle viande y avait-il ?

- Des consommés.

- Qu’est-ce qui servait à table ?

- Les excès.

- Où est maintenant votre époux ?

- Il s’est aller coucher sur sa couche nuptiale.

- Quelle est sa couche nuptiale ?

- C’est moi qui suis sa croix, car c’est lui qui souffre en moi.

- Ô, dit la Sainte Vierge, voilà trois beaux noms : la maison du soleil, le château de Jésus et sa couche nuptiale. Quand se lèvera-t-il ?

- Je n’en sais rien.

- Allez donc lui demander. »

Et revenant à Notre Dame, elle lui dit : « Ma mère, Il m’a dit qu’Il se lèvera au chant du coq. »

Alors Notre Dame toute ravie de joie commença à dire : « Au chant du coq. Rendez-lui grâce, ma fille, de ce qu’il se lèvera au chant du coq et dites pour cette fin à nud-genoux trois fois le Magnificat. » Ce qu’elle fit. La Sainte Vierge continuant lui dit : « Qui est-ce qui vous a menée au Liban ?

- C’était mon père.

- Qui est votre père ?

- C’est l’amour divin.

- Désirez-vous rien de moi ? Que me demandez-vous ?

- Je vous demande toutes les roses de votre jardin.

- Qu’en voulez-vous faire ?

- Je veux en faire de l’eau de rose, afin d’en faire des salades avec des pommes et du vin pour me guérir d’une maladie incurable.

- Je vous donne la clé de mon jardin et toutes les roses qui y sont. J’en serai très aise que vous soyez guérie. »

La salle du château63.



Le 18 février 1645, […] Notre Seigneur lui demanda : « Voulez-vous voir ce que Je fais ? » Elle répondit : « Nenni. » Nonobstant cela, Il dit à Notre Dame : « Ma mère, faites-la entrer. »

Étant entrée, elle vit une salle carrée qui était dans un château. Le plancher, le pavé et les murailles étaient rouges. Sur le pavé il y avait une croix bleue. Au milieu de la salle était une table ronde, couverte d’un tapis de satin blanc. La table était soutenue au milieu d’une colonne de marbre gris et de trois autres pieds qui étaient d’albâtre, disposés en triangle, et la table était d’aimant. Tout alentour de la salle il y avait des bouteilles depuis le pavé jusqu’au plancher, en divers étages. Depuis le bas jusqu’au milieu, elles étaient de terre remplie d’eau-de-vie, et celles d’en haut étaient de cristal remplies d’eau de rose. Le tapis était tout couvert d’écriture, laquelle était de trois sortes : la première ligne était des OO en lettres d’or, dont l’encre était prise dans un cornet rouge ; la seconde ligne était de chiffres et lettres d’azur dont l’encre était prise dans un cornet de lumière ; la troisième ligne était des AA en lettres rouges dont l’encre était prise dans un cornet d’azur. Notre Seigneur écrivait lui-même toutes ces choses avec son doigt. On voyait dans la salle cinq portes pour entrer dans cinq appartements, et sur chacune il y avait un beau pot de fleurs. Notre Dame lui dit que dans ce château, il y avait une fort belle chapelle qu’elle ne vit point, que dans cette chapelle il y avait trois encensoirs d’or enrichis de perles et cinq autres d’argent qui étaient toujours fumants, et que Notre Seigneur avait le plus beau chasuble du monde. Elle dit aussi qu’il y disait tous les jours la messe et se sacrifiait lui-même pour le salut des âmes.

Ensuite Notre Dame donna cette interprétation :

La table d’aimant représente l’humanité de la sœur Marie qui attire les âmes à la pénitence. La colonne de marbre représente la foi, les pieds représentent l’espérance, l’humilité et la crainte de Dieu. Les trois puissances étaient représentées par les trois cornets : le rouge la volonté, le lumineux [l’or] l’entendement, et le bleu la mémoire. Le rouge de la volonté représente l’embrasement de l’Amour divin. La lumière de l’entendement représente la connaissance de la divine Volonté. Le bleu de la mémoire représente que la mémoire ne se remplit que de choses célestes. Les OO en lettres d’or représentent l’amour. Les AA en lettres rouges représentent les souffrances, et les chiffres bleus représentent les excès de souffrances tant en qualité qu’en quantité, et le grand nombre de ceux qui en doivent recevoir les fruits.

Les bouteilles d’en-bas qui sont de verre, remplies d’eau-de-vie, représentent la contrition qu’auront les personnes du commun que Notre Seigneur appellera à pénitence, et celles d’en haut de cristal, remplies d’eau de rose, représentent les personnes des qualité qui se convertiront et attireront par la bonne odeur de leur conversion tout le monde. Les cinq pots de fleurs qui sont sur les cinq portes de la salle, sont les cinq sens de la sœur Marie, le reste n’est point expliqué. Mais il est assuré que la chapelle et les autres choses qui sont dans cette figure représentent l’état de la sœur Marie selon le corps et selon l’esprit.

La main noire64.

Un peu après, comme elle passait devant le Saint-Sacrement, Notre Seigneur lui dit : «Venez, venez ici, Je vous veux donner quelque chose. » Alors elle vit dans le Saint-Sacrement une main extrêmement noire et épouvantable qui lui donna une grande frayeur. Cette main était serrée et elle tenait en soi quelque chose qui était dans une enveloppe beaucoup plus noire et épouvantable que la main. Notre Seigneur ayant levé un coin de cette enveloppe, elle aperçut une pierre précieuse cachée là-dedans, grosse comme un petit oeuf qui jetait des rayons de lumière extrêmement brillants. Cette pierre précieuse était entourée de bandelettes qui pourtant ne la couvraient pas toute, et elle vit que cette pierre précieuse voulait sortir et comme s’échapper pour aller ailleurs. Mais cette main la retenait dedans soi.

« Qu’est-ce que tout cela, dit la sœur Marie. Qui est cette main qui est si noire ? - C’est la mienne, » dit Notre Seigneur, et il ajouta au nom de sa main : « Je suis noire, mais je suis belle.

- Mais qu’est-ce que votre main ? - C’est mon divin Amour, répondit Notre Seigneur

- Mais d’où vient qu’il est si noir ? - C’est le gant dont elle est couverte qui est ainsi noir.

- Quel est ce gant ? - C’est l’Ire de Dieu.

- Qu’est-ce que cette pierre précieuse que vous tenez en votre main ?

- C’est votre beau verset65, c’est une fontaine de lumière, c’est la Sapience éternelle que vous avez vue autrefois marcher dans votre chair et dans votre sang avec des démarches si belles et si ravissantes qu’il n’y a ni esprit humain ni angélique capable de les exprimer. Enfin, cette pierre précieuse c’est Moi-même, car Je suis en vous, Je vous soutiens comme cette pierre précieuse porte et soutient ces petites bandelettes. C’est moi qui souffre en vous et qui vous porte et soutient au milieu de tous vos maux qui sont tels qu’ils vous consumeraient et anéantiraient en un moment si Je ne vous soutenais.

- Qu’est-ce que cette enveloppe qui couvre cette pierre précieuse ?

- C’est la coulpe du péché dont vous êtes couverte et environnée, que l’Ire de Dieu, représentée par ce gant, regarde et poursuit perpétuellement. Car il y a cette différence entre la Charité et la Miséricorde, la Justice et l’Ire de Dieu, que la Charité couvre et cache le péché, afin qu’on ne le voit point, et la Miséricorde ne le regarde point du tout, mais elle excuse tout. La Justice regarde la peine due au péché, lorsque la coulpe est effacée par la pénitence et elle demande d’être payée, et elle poursuit toujours le péché jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite.

Mais l’Ire de Dieu regarde la coulpe partout où elle est, et la poursuit sans cesse et sans rémission jusque dans l’enfer et à toute extrémité, de sorte qu’il y a une guerre continuelle entre le péché et l’Ire de Dieu qui est Dieu même. Car le péché veut anéantir Dieu, et Dieu veut détruire le péché ou du moins le persécuter sans cesse, lorsque le pécheur empêche par sa malice qu’il ne soit détruit. De là vient que l’Ire de Dieu représentée par ce gant qui couvre la main de Notre Seigneur est noire et épouvantable au péché et au prochain. Mais le péché qui est représenté par cette enveloppe dont la pierre précieuse est couverte, est presque infiniment, dit la sœur Marie, plus noir et plus effroyable que l’Ire de Dieu. Car l’Ire de Dieu est infiniment belle, bonne et sainte, et la coulpe infiniment laide, horrible, maligne et détestable.

- Mais où est-ce que veut aller cette pierre précieuse qui veut sortir et s’échapper ?

- Elle veut retourner d’où elle est venue, dit Notre Seigneur, c’est-à-dire au sein de mon Père éternel.

- Et lorsqu’elle y retournera, y portera-t-elle ces petites bandelettes ?

- Oui, elle les y portera. » Ces bandelettes sont les sens de la sœur Marie.

- « Et que fera-t-on de cette enveloppe si noire et si effroyable ?

- Nous la jetterons dans le feu de l’Amour divin dans lequel tous les péchés du monde seront brûlés et consumés au temps de la grande mission de conversion générale.



« Où est votre cœur ? »66.



L’an 1652, comme on célébrait une messe solennelle en l’honneur de la B. Vierge, lorsque le prêtre vint à dire : « Sursum corda », Notre Seigneur parlant à la sœur Marie qui assistait à cette messe lui dit : « Où est votre cœur ?

- Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un.

- Je m’en vais vous le faire voir », ajouta Notre Seigneur, et en disant cela il tira un cœur de sa poitrine, qui était tout embrasé et entouré de flammes. Le tenant en sa main et le montrant à la sœur Marie, Il lui dit : « Voilà votre cœur.

- Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre.

- Il est vrai, dit Notre Seigneur, c’est le mien et c’est celui de ma sainte Mère, et c’est le vôtre aussi car je vous l’ai donné.

- Oui, dit la Sainte Vierge, c’est le cœur de mon Fils et le mien tout ensemble, car mon Fils et moi nous n’avons qu’un même cœur. Mais c’est votre cœur pareillement, car mon Fils et moi nous vous avons donné notre cœur.

- Mais, dit la sœur Marie, je n’ai pas de cœur.

- Qu’en avez-vous fait ? », répliqua Notre Seigneur.

- « Je l’ai donné aux hommes, répondit-elle, et ils l’ont tout couvert de glace, et même ils l’ont tout converti en un glaçon, et le soleil venant à darder ses rayons sur ce glaçon, il l’a fait fondre en eau et l’a anéanti si bien qu’il n’y est rien demeuré, et ainsi je n’ai point de cœur.

- Il est vrai, j’ai donné mon cœur aux hommes, dit Notre Seigneur, et vous leur avez aussi donné le vôtre quand vous vous êtes offerte à porter leurs péchés, et il a été changé en un glaçon par ces mêmes péchés, et le soleil de l’Amour divin l’a fait fondre et liquéfier en larmes de contrition et l’a anéanti ; mais je vous ai donné le mien en la place, et celui de ma sacrée Mère.

Les aveugles font le procès au soleil67.



Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : «Les aveugles se sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la place qu’il y a.

- Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez un arrêt favorable.

- Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerai arrêt en l’excès de mon Amour. » Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa lumière. »

Les états par lesquels elle a passé68.



Animée et embrasée de joie, elle marche à grands pas, elle entre en cette rue et passe généreusement à travers les épines, broussailles et ronces, qui déchirent son habit de toutes parts et son corps et le mettent tout en sang. En marchant elle se tourne quelquefois vers la divine Justice qui la tient par la main, et lui parle ainsi : « Tu me sers de parois, de garde et de franchise, ta droite me soutient, ta faveur m’autorise, tu m’ouvres les chemins assurés désormais, tu fais que mes talons ne vacillent jamais. »

Elle s’avance et vient au commencement d’une rue pleine de fournaises ardentes au travers desquelles elle passe sans se soucier ni des flammes ni des brasiers qui la brûlent et la mettent toute en feu. Elle trouve l’Amour et la Charité déguisés mais d’une autre manière, à qui elle demande : « N’avez-vous point vu celui que mon cœur aime ? » Ils lui répondirent : « Personne n’a passé ce chemin depuis lui. Si vous vous fussiez hâtée d’un pas, vous le teniez. » Elle s’avance toujours et la divine Justice la tient sous les aisselles avec une grande douceur. À la sortie de ces fournaises, dans une campagne, elle trouve derechef l’Amour et la Charité toujours déguisés, à qui elle demande son bien-aimé. Ils lui répondirent qu’ils le venaient de voir passer et qu’elle vît ses vestiges. Pendant qu’elle était dans cette campagne, elle n’entendait pas la voix de son époux. Ayant passé outre, elle arrive à un grand étang dont l’eau était pleine de serpents, mourons, crapauds et toutes sortes de bêtes venimeuses. L’Amour et la Charité marchaient sur les eaux, qui passaient bien à leur aise et toujours déguisés en quelque autre manière.

À l’autre côté de l’étang, elle vit Notre Seigneur qui l’appelle et lui dit plusieurs fois : « Ne passez pas au travers de cet étang, mais prenez le tour. » Il disait cela quasi more invitantis69 :

« Je n’ai que faire de prendre le tour, je veux aller tout droit à vous.

- Je vous assure, dit Notre Seigneur, que jamais personne n’a passé par là que moi.

- Puisque vous y avez passé, répliqua-t-elle, je passerai aussi » et ayant dit cela, elle se jette dans cet étang comme une folle. Sitôt qu’elle y est, elle se voit en esprit toute environnée de bêtes venimeuses depuis les pieds jusqu’à la tête, au- dedans et au-dehors, en sorte qu’il n’y avait aucune partie en elle qui n’en fût toute couverte.

Elle sort de l’étang et se voyant en cet état, elle souffre un tourment indicible, on la remet dans l’étang : elle le traverse et arrive au bord là où la Justice, l’Amour et la Charité l’amènent à la chambre de Notre Seigneur. On lui change ses habits ; Notre Seigneur la fait asseoir à table auprès de Lui, et après le repas on la mène dans un cabinet pour y prendre son repos.

Voilà un abrégé et une figure des états dans lesquels elle a été, dont voici quelques explications : la rue pleine d’épines, de ronces et de broussailles, ce sont les sortilèges de cinq ans. Les fournaises sont l’enfer. La campagne où elle se repose un peu, ce sont les trois ans qui ont précédé le mal de douze ans. L’étang plein de bêtes venimeuses, c’est le mal de douze ans durant lequel elle a porté les péchés d’autrui représentés par les bêtes. Le reste n’est point expliqué.

« Le soleil a été condamné »70.



En l’année 1653, au mois de juin, Notre Seigneur parlant à la sœur Marie lui dit : « J’ai un petit secret à vous dire.

- Je [ne] désire point le savoir, vous me ferez grand plaisir de garder vos secrets, car je crains de les profaner.

- Pourtant je veux vous le dire. » Deux jours après, Il lui dit : « Mon secret est que je veux vous faire connaître.

- Me faire connaître ? , dit-elle, ne vous amusez point à cela, mais, je vous en prie, faites-Vous connaître Vous-même, car on ne Vous connaît point.

- Oui, Je me ferai connaître à tout le monde selon le grand désir que vous en avez, car Je suis la vérité que vous désirez tant de connaître : le grand désir que vous en avez est pour tous ceux qui ne la connaissent point. Votre désir sera accompli, ils la connaîtront. Le soleil a été condamné à donner des yeux aux aveugles. Les aveugles sont tous ceux qui ne Me connaissent point : je leur donnerai des yeux par lesquels ils connaîtront le soleil et verront sa lumière.

- Qu’est-ce que ces yeux et qu’est-ce que cette lumière du soleil ?

- Ces yeux, répliqua Notre Seigneur, c’est Ma divine grâce que Je donnerai à tous, et la lumière du soleil, c’est la foi. Me promettez-vous pas de croire, ajouta le Fils de Dieu, quand j’aurai donné des yeux aux aveugles ?

- Oui, répondit la sœur Marie, je vous promets de croire, je croirai assurément. » Ensuite de quoi, elle demeura deux jours exempte des frayeurs qu’elle a d’être trompée et dans une grande certitude que tout ce qui se passe en elle est de Dieu.

Elle Lui arrache les foudres71.

L’an 1655 durant le mois de février, la sœur Marie se vit dans un petit sentier fort étroit par lequel personne n’avait jamais passé. Elle crut qu’il y avait une fournaise ardente au bout de cette sente. On lui dit que c’était la fournaise de l’Amour divin et qu’elle passerait au travers. Que lorsqu’elle en serait sortie, elle verrait Notre Seigneur en qualité de roi, assis sur son lit de Justice, ayant les mains pleines de carreaux de foudre pour les lancer sur la tête des pécheurs. Qu’elle se présenterait devant lui après avoir passé par cette fournaise, et que, la voyant embrasée de son divin Amour, Il l’appellerait à Soi, qu’elle irait à Lui sans aucune crainte, qu’elle Lui arracherait les foudres des mains, qu’elle les lierait ensemble avec une chaîne d’or, qui représente toutes les vertus enchaînées les unes avec les autres, et qu’après tout cela, elle entonnerait un cantique si charmant qu’Il en demeurerait tout ravi, et qu’Il oublierait tous les châtiments qu’il voulait exercer sur les pécheurs.

Les excès72.

L’an 1643, le 10 décembre, comme elle venait de complies des pères Jacobins, passant proche l’église cathédrale, elle demanda permission à Notre Seigneur d’y entrer. Il le lui commanda et de dire un beau verset :

- « Quel est ce beau verset ? » Lui dit-elle. [189]

- « Cherchez-le et vous le trouverez », répliqua Notre Seigneur.

Elle cherche dans son esprit et tout à coup elle s’avise de dire ces paroles qui lui furent mises dans l’esprit et dans la bouche : « Mon époux vient et je m’en vais au-devant de lui. » Et elle s’en va disant et redisant sans cesse ces mêmes paroles, jusqu’à ce qu’elle soit devant l’autel de sainte Anne.

« Il est vrai, dit Notre Seigneur, votre époux vient et vous le rencontrerez assurément dans une petite sente où il vous attend et où il se tient caché pour vous surprendre en passant, et lorsque vous y penserez le moins. 

- « Fidelis et verax sponsus meus in omnibus promissionibus suis73 », répliqua-t-elle.

- Mais quel chemin prendrez-vous pour aller au-devant de votre époux ?

- J’y vais, répondit-elle, par les excès !

- Et quelle est votre monture ? , dit le Fils de Dieu.

- Ce sont les épines, les ronces et les chardons. »

- Il est vrai, les épines sont l’Ire de Dieu dont les piqûres sont les malédictions. Les ronces sont les hommes qui vous affligent, les uns par les honneurs et par les louanges, les autres par le mépris et par les blâmes qu’ils vous donnent ; pour les chardons... Vous ne saurez pas encore l’explication. »

La destruction du monstre pécheur74.

L’an 1644, le 23 octobre, la sœur Marie étant dans l’église cathédrale de Coutances, durant les prières que l’on chantait en une procession publique, fut surprise subitement d’un désir ardent de faire un vœu, à savoir de ne partir point de cette vie que péché ne fut anéanti par tout le monde. Et elle pria Notre Seigneur et Notre Dame de faire ce vœu-là pour elle, mais ils ne le firent point et l’empêchèrent de le faire.

Là-dessus la divine Volonté survint, qui dit : « Je marcherai à la tête de l’armée, je dévorerai ce monstre, je lui écraserai la tête, je jetterai sa cervelle au chien, je lui arracherai le cœur et le jetterai dans le feu. » La divine Justice dit : « Nous ne faisons qu’attendre l’Amour et la Charité pour partir et aller contre ce monstre. » Notre Dame dit à la sœur Marie : « Vous êtes le carrosse dans lequel sont ces dames ». La sœur Marie demanda qui était le carrossier. Notre Dame dit que c’était la Vérité. Elle dit que jamais elle n’avait vu la Justice et la divine Volonté assises dans sa tête jusqu’à ce coup, et qu’elle y avait vu une fois la Toute-puissance. La Sainte Vierge lui dit que le baiser que la divine Justice lui avait promis ci-devant était le désir d’anéantir le péché et d’ôter toute laideur.

*

Un jour75 la sœur Marie vit en esprit un feu composé de plusieurs flammèches ou étincelles qui s’éparpillaient et tombaient en terre au commencement, puis après elles se ramassaient comme en forme de plusieurs essaims de mouches à miel qui donnaient droit de la terre au ciel et allaient lécher la voûte du ciel. Après cela, elles se séparaient les unes des autres, environ d’une coudée de distance.

Le 3 janvier 1645, on lui donna l’interprétation de ce feu et Notre Seigneur dit que ce n’est point le feu de l’Amour divin qui est dans l’esprit, ni le feu de la tribulation, mais que c’est le feu de la haine du péché qui est dans l’irascible par laquelle on s’embrase de colère contre le péché pour l’anéantir. Ce feu est grand ou petit dans une âme à proportion que l’Amour divin y est grand ou petit. Voilà pourquoi ce feu dans les commencements de la vie de la sœur Marie s’éparpillait et regardait le péché dans quelques âmes particulières seulement, lorsque l’Amour divin n’était pas si parfait en elle ; mais quand l’Amour divin s’y est perfectionné, ce feu s’est rassemblé pour regarder le péché en général.

Le bois dont ce feu s’entretient, c’est la charité divine que l’on a pour le salut des âmes. La fumée qui en sort sont les prières par lesquelles on demande à Dieu l’anéantissement du péché. Il lèche la voûte du ciel sans y entrer, parce que l’on voudrait bien que tous les habitants du ciel fussent embrasés de feu pour venir fondre ici-bas et anéantir le péché. Le brasier de ce feu, c’est l’irascible de celui qui en est épris. La cendre qui en procède, c’est une profonde et abyssale humilité, avec laquelle et les larmes de la contrition, se fait la lessive pour blanchir les âmes qui sont en péché. Les flammèches maintenant ramassées se sépareront dans le temps que Dieu a déterminé pour aller dans les âmes particulières y mettre le feu de la haine du péché.

Les armées et leurs combattants76.

L’an 1645, le 5 mai, Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Mon amour divin va lever des armées pour faire la guerre au péché. Il a commandé à toutes les vertus de lever chacune une armée. Toutes les vertus se sont présentées devant la sainte Trinité pour lui demander des dons, des grâces et des bénédictions et des inspirations, comme autant de soldats : ce qu’elles ont obtenu. Après cela, elles se sont adressées à chacun des saints qui ont excellé en elles, pour obtenir le secours de leur prières et de leur mérites comme autant de soldats.

À la tête de l’armée, marcheront deux amazones et braves guerrières, qui sont la grâce prévenante et la grâce efficace. La grâce prévenante frappera à la porte du pécheur : si on lui ouvre, elle entrera et fera entrer les vertus contraires aux péchés qui sont dans son âme avec toute son armée. Mais si l’obstination et l’endurcissement barrent la porte, la grâce efficace viendra, qui étant armée de la force divine brisera la porte et entrera et fera entrer les vertus susdites avec son armée, et étant entrée, elle tuera tous les péchés qui seront dans l’âme et y établira son règne. Notre Seigneur dit encore que saint Michel aurait la conduite de toutes ses armées et que saint Gabriel aurait seulement la charge des canons.

Une autre fois, la sœur Marie vit trois vertus qui tenaient conseil pour aller attaquer leurs ennemis et pour les détruire. L’Humilité parla la première et dit qu’elle n’aurait point de repos qu’elle n’eût terrassé l’Orgueil sous ses pieds et qu’ensuite elle le mangerait et le tournerait en sa substance, de sorte que quand on le chercherait, on ne trouverait plus que l’Humilité, et que l’Orgueil régnait par tyrannie, mais que pour elle, elle est la fille légitime du roi.

La Pureté virginale parla ensuite et dit qu’elle était altérée du sang de son ennemi et que jamais sa soif ne s’étancherait qu’elle ne l’eût bu. Et la Chasteté dit qu’elle avait grande faim de la chair de son ennemi et qu’elle ne rassasierait point qu’elle ne l’eût mangé et converti en sa substance et que là où on le chercherait on n’y trouverait plus que la chasteté. Mais elles conclurent qu’il leur fallait des armes à feu pour combattre de loin, parce que cet ennemi a l’haleine si puante que l’on ne saurait si peu l’aborder qu’elle n’infecte. Après, la Sobriété dit qu’elle dévorerait aussi son ennemi et le tournerait en sa substance.

La sœur Marie vit un jour une grande troupe de belles filles de quinze ans qui allaient en procession à deux choeurs depuis la chambre où elle était jusqu’à la chapelle Notre Dame de la Roquette, avec des couteaux à la main, disant qu’elles allaient tuer le péché. Devant elle marchait l’Amour divin avec une faux pour faucher tous les plaisirs qui ne sont point de Dieu, et la Charité avec une fourche pour les ferrer. Ces jeunes filles ce sont les douleurs qui la doivent quitter pour aller trouver ceux qui seront en péché mortel, afin de le tuer en eux.

L’an 1645, le 11 novembre, elle s’offrit à Notre Seigneur comme instrument de la grâce divine pour faire ce qu’il lui plairait. Notre Seigneur lui dit : « Si j’étais en l’état où vous êtes, pour servir à la grâce divine d’instrument, Je voudrais être une flèche empoisonnée dont elle se servît pour transpercer le péché. » Notre Dame dit : « Moi, je voudrais être une fournaise ardente dans laquelle tous les péchés fussent jetés et consumés comme des épines et broussailles. »

Conversion générale77.

Un jour la sœur Marie étant détenue au lit, elle vit Notre Seigneur et sa sainte Mère qui apportaient une femme morte et « qu’ils mirent en mon lit auprès de moi. » Et s’en étant allés,  ils amenèrent une seconde femme qui se donnait plusieurs coups de couteau à pain dont elle se tuait.

La sœur Marie leur dit : « Empêchez-la qu’elle ne se tue pas. »

Ils répartirent : « Elle est libre qu’elle se tue si elle veut ; faites-lui place auprès de vous. »

 « Et ils la mirent dans le lit auprès de moi. Ils en amenèrent encore une troisième qui avait les pieds et les mains percés et dirent que le diable et le péché l’avait mise en croix, dont ils l’avaient descendue. Et ils me commandèrent aussi de la mettre auprès de moi dans mon lit avec les deux autres. Après cela je vis un ange portant une bûche de bois fendue en trois parties dont une partie était sur son épaule droite avec une pochette78 de charbon pendue au bois, une autre sur son épaule gauche avec une semblable pouchette de charbon, la troisième sur sa tête sans charbon. Étant arrivé, il mit ses trois bûches sur ces trois femmes et une de ces pouches de charbon à la tête, l’autre aux pieds. Et Notre Seigneur et sa sainte Mère dirent qu’il y fallait mettre le feu pour refondre les trois femmes et n’en faire qu’une des trois. »

La première femme est la gentilité qui est morte à Dieu. La deuxième, c’est l’hérésie qui se tue d’un couteau à pain, c’est-à-dire, de la science avec laquelle on distribue le pain de l’Ecriture sainte et qui lui devrait servir de pâture, laquelle science est représentée par le couteau avec lequel les pères distribuent le pain à leurs enfants. La troisième, c’est l’Église qui est crucifiée pour les péchés de ses enfants, mais Notre Seigneur et sa sainte Mère la détacheront de cette croix.

La première bûche qui est mise sur la première femme, c’est l’Amour divin avec lequel Notre Seigneur la convertira. La deuxième, c’est la Charité divine avec laquelle Il convertira la seconde. La troisième bûche qui est mise sur la troisième femme, c’est-à-dire sur l’Église, c’est la divine Justice avec laquelle Dieu la purifiera. Il n’y a point de charbon avec celle-ci parce que l’Église sera sévèrement punie. L’ange qui porte le bois, c’est l’ange du grand conseil.

Ces trois femmes sont mises dans mon lit qui représente la Passion et la croix de Notre Seigneur, c’est-à-dire qu’elles seront mises dans la tribulation pour y être purifiées. Les deux sacs sont l’Amour divin et la Charité divine qui refondront ces trois femmes. On met le feu à tout cela pour les purifier et consumer et pour n’en faire qu’une de trois, ce qui signifie que Notre Seigneur ne fera qu’une Église de tout le monde et qu’il n’y aura qu’une foi et une loi.

Un message aux quatre éléments79.

L’an 1644, le dernier de décembre, Notre Seigneur commanda à la sœur Marie d’aller faire un message de sa part aux quatre éléments. Aussitôt se trouvant animée extraordinairement en son esprit, elle s’en va aux quatre éléments et leur parla en cette façon et en ces mêmes termes: « O terre, ô eau, ô air, ô feu ! Celui qui est m’a envoyé vers vous pour vous dire qu’Il vous commande que vous prépariez ses voies parce qu’Il veut venir faire la visite de Ses créatures.

- Nous connaissons bien Celui qui est, mais qui êtes-vous qui vous dites envoyée de Sa part ?

- Je suis, répondit-elle, une flèche empoisonnée qui vient pour faire mourir le péché.

- Ô, que vous êtes la bienvenue, » dirent-ils.

« Il a fait un grand ravage dans ce pays ici. Il a congelé, dit la terre, et refroidi mes parterres, mes campagnes et mes prairies. Peu de fleurs ont échappé80 sa froidure : il a empoisonné la racine de mes arbres. La plupart en sont morts, les autres se vont desséchant, peu ont échappé son poison.

Il a troublé mes ondes, dit l’eau : au lieu de laver, elles salissent. Il a empoisonné mes fontaines et les a rendues amères et mortifères.

Il a empesté, dit l’air : ceux qui me respirent en meurent. Peu en échappent.

Par son souffle, dit le feu, il a éteint mes flammes : il a jeté du soufre dans mes brasiers qui les rend puants et infects. »

Après cela, la sœur Marie dit à la terre : « Celui qui est vous commande de faire reverdir vos parterres, vos campagnes et vos prairies et de les diaprer d’une infinité de fleurs, afin qu’elles embaument l’air de leur suaves odeurs. Il vous commande de revêtir vos arbres de feuilles, de fleurs et de fruits, depuis le plus haut cèdre du Liban jusqu’à la moindre ronce. Et vous, eau, Il vous commande de laver tout ce qui est sale et de le rendre blanc comme de la neige et de mettre du bois dans vos fontaines pour les rendre douces et potables. Et vous, air, Il vous commande de dissiper vos nuages et de vous rendre clair, luisant et serein. Et vous, feu, il vous commande de purifier l’or et l’argent et de brûler la paille. »

Les habits81.

Le 9 février 1645, la sœur Marie se trouva dans une salle où elle vit Notre Seigneur tailler des habits de plusieurs sortes, à savoir de toile, de laine grise et de laine blanche.

Ceux de toile sont pour les laboureurs, c’est-à-dire pour ceux qui labourent leur terre et la disposent à recevoir la semence de la grâce par diverses œuvres de mortifications extérieures, et ne travaillent pas tant à leur intérieur. Ceux-là ne seront revêtus que de grosse toile. Les autres seront vêtus de laine grise, ce qui signifie la mortification extérieure et intérieure. Les autres de laine blanche, ce qui signifie les vertus.

Notre Dame faufilait82 les habits, et les Vertus les cousaient. L’Humilité était assise sur le pavé où elle cousait et taillait des souliers. La Foi et l’Espérance forgeaient, celle-là des couteaux, des poignards et des épées, et celle-ci des éperons dorés et argentés, de cuivre et de fer blanc. Les trois Puissances de l’âme de la sœur Marie forgeaient aussi.

L’Amour divin présentait à l’entendement des lames d’or, qui sont des afflictions, et l’Entendement les présentait à la Volonté pour en faire de la monnaie, et la Mémoire soufflait le feu en ce qu’elle fournissait quelques exemples des souffrances de Notre Seigneur et des saints. Et ensuite, la Volonté présentait les pièces de monnaie pour la rédemption des captifs.

Dans la même salle, il y avait des monstres qui avaient une forme humaine depuis la tête jusqu’à la ceinture, et en bas ils étaient velus et avaient une queue de bête. Leurs pieds et leurs mains étaient armés de griffes. Ils avaient des cornes à la tête et des yeux étincelants de fureur et de rage. Ils lui dirent : « Votre Epoux nous a commandé de faire des disciplines pour discipliner nos religieux, c’est-à-dire les sorciers. »

Il y avait encore des petits Ethiopiens qui grinçaient les dents et qui jetaient leurs yeux hors la tête et faisaient des gestes de folie. Ceux-ci lui dirent : « Votre Epoux nous a commandé de faire des verges pour châtier les rageants83. »

Les habits dont il est parlé ci-dessus sont les dons et les grâces dont Notre Seigneur revêtira ceux qui seront convertis.

La Divine Volonté84.

Un jour, elle vit la divine Volonté comme une grande dame très majestueuse, mais d’un visage fort austère, et auprès d’elle, il y avait une vieille femme fort triste qui tenait une écuelle de bois à la main. Au même temps elle aperçut Notre Seigneur et sa sainte Mère, et au milieu d’eux, une jeune fille fort belle, agréable et d’un visage très gai et très joyeux, qui partit d’avec Notre Seigneur et Notre Dame pour venir à elle, mais la sœur Marie lui tourna le dos comme aussi à Notre Seigneur et à Notre Dame, et s’en va vers la vieille qui était au pied de la divine Volonté, laquelle remplissant son écuelle d’eau, la baille à la sœur Marie qui la but entièrement.

Cette vieille représente la tristesse et l’affliction, et la jeune fille, la joie et la consolation. L’écuelle pleine d’eau représentait les larmes que la sœur Marie avait à répandre. Elle quitte Notre Seigneur et Notre Dame avec les consolations, pour suivre la divine Volonté parmi les désolations. Elle dit quelquefois à Notre Seigneur : « Je vous aime bien, mais pourtant si vous m’envoyiez maintenant votre paradis et que vous ne commandassiez d’y entrer pour y être éternellement avec vous et pour y jouir de toutes les joies et félicités que vous y possédez, et que la divine Volonté me dit que j’allasse en enfer, je vous assure que je vous quitterais vous et votre paradis, et que je me jetterais tout à l’heure au milieu des feux de l’enfer.

- Vous ne m’aimez donc point ?, dit Notre Seigneur.

- Si ce n’est point vous aimer que de faire ainsi, répondit-elle, je ne vous aime donc point, car je ferais cela, et je ne puis avoir d’autres sentiments.

- Non ! répliqua Notre Seigneur, ce n’est pas que vous ne m’aimiez, mais c’est que vous aimez davantage ma divinité que mon humanité, car la divine Volonté, c’est ma divinité, et c’est elle qui règne sur moi et à laquelle je suis assujetti aussi bien que vous. »

*

Notre Seigneur lui dit un jour : « Faites un vœu.

- Et de quoi ? Lui dit-elle.

- De faire en tout et partout la divine Volonté, répliqua-t-il.

- Oui, mais je crains, ajouta-t-elle, de ne la connaître pas toujours.

- Vous ne serez point obligée à ce vœu, répartit Notre Seigneur, que quand vous la connaîtrez si clairement qu’il vous sera impossible d’en douter. »

L’an 1641, en la fête de tous les saints, elle entendit Notre Seigneur criant à haute voix : « O ma Mère, l’excès de mon amour ne me permet plus de retenir mes secrets.

- O mon Fils, répondit Notre Dame par trois fois, gardez-vous bien de dire vos secrets, sans en demander conseil à votre épouse. »

Alors il se retourna vers moi disant par trois fois : « O épouse, voulez-vous que je vous dise mes secrets ?

- A quoi je répartis aussi par trois fois : « Fiat voluntas tua.

- O Me voilà arrêté, dit-il. Quoi ! Ne voulez-vous point savoir mes secrets ?

- Non, je ne veux rien savoir que ce qu’il plaira à votre divine Volonté que je sache. » Là-dessus Il se tut pour cette heure-là. Mais peu de jours après Il me déclara ses secrets et me recommanda de les dire à quelqu’un, et me dit qu’il fallait lever entièrement le voile de dessus ma face, afin que celui-là connût la beauté de son épouse.

Notre Seigneur dit quelquefois à la sœur Marie85 : « Regardez-moi en face.

- Je ne sais ce que c’est que de vous regarder en face.

- Me regarder en face, répondit le Fils de Dieu, c’est regarder ma divine Volonté pour la suivre partout.

- Toutes les créatures nous font cette leçon, dit-elle, et même celles qui sont inanimées et insensibles » (car Dieu lui a fait voir plusieurs fois qu’elles regardent toutes, fixement et perpétuellement, la divine Volonté, attendant ses ordres pour les exécuter ponctuellement et au moment qu’elle a déterminé, et qu’elles haïssent tout ce qu’elle hait et aiment tout ce qu’elle aime, tant elles ont de conformité à ses divines dispositions, parce qu’il n’y a point de péché en elles qui les détourne ou éloigne un tant soit peu de leur premier principe, qui est la très adorable Volonté de Dieu.) »

*

Se plaignant un jour à Notre Seigneur de l’état où elle était, Il lui dit : « Si j’étais à votre place, que feriez-vous ?

- Attendez, dit-elle, je vous assure que je vous ferais tout ce que l’adorable Volonté de Dieu voudrait que je vous fisse.

- Mais si l’adorable Volonté de Dieu voulait que vous me crucifiassiez ?

- Oui, je vous assure, je vous crucifierais et je frapperais à grands coups de marteau sur les clous pour vous crucifier.

- Et si elle voulait que vous me missiez en enfer avec les diables, m’y mettriez-vous ?

- Je vous assure qu’oui.

- Et si elle voulait que vous m’y laissassiez plusieurs années parmi des tourments rigoureux, m’y laisseriez-vous ?

- Oui, je vous y laisserais.

- Ne vous étonnez donc pas si je vous y laisse, répliqua Notre Seigneur, car je ne fais rien que ce que la divine Volonté m’ordonne. Après cela, si elle voulait, dit encore Notre Seigneur, que vous me fissiez tout plein de petites promesses sans les accomplir, le feriez-vous ?

- A cela, dit-elle, je ne sais que répondre, sinon que je n’ai jamais rien promis à personne que je ne l’ai accompli.

- Aussi ne vous ai-je rien promis qui ne soit véritable et qui ne s’accomplisse. Mais ma divine Volonté a suspendu plusieurs effets de mes promesses qui s’accompliront en leur temps. »

*

L’an 1646, le 22 janvier, Notre Seigneur lui dit86 : « Ceux qui me donnent leur cœur pour y faire ma demeure, je leur donne mon paradis pour y faire la leur. Ceux qui se donnent à moi, je me donne à eux. Ceux qui me donnent leur volonté, je leur donne la mienne, mais il y en a très peu qui me la donnent.

- Tant de religieux et de religieuses qui font vœu d’obéissance, ne vous la donnent-ils pas ?

- Ils me la donnent pour me servir à gages et pour avoir les couronnes et les dignités du paradis, et travaillent à qui pourra atteindre plus haut. Mais les plus parfaits me donnent leur volonté, non pour m’en servir, mais pour la détruire et pour l’anéantir, de sorte que quand leur volonté se présente en quelques-unes de leurs actions pour y avoir part, ils l’écrasent sous leurs pieds ; et ceux-là ne regardent en tout ce qu’ils font que ma divine Volonté et ne craignent rien que de lui déplaire, et n’ont aucun égard au paradis ni à l’enfer, et c’est à ceux-là que je donne ma divine Volonté pour la leur.

*

Il lui arrive souvent87, ainsi qu’il est aisé de remarquer en ses écrits, qu’elle dit beaucoup de choses par des mouvements extraordinaires qui ne sont point d’elle, sans qu’elle y puisse résister, et quelquefois sans entendre ce qu’elle dit et même sans savoir ce qu’elle a dit par après.

Or un jour ayant demandé à Notre Seigneur d’où venait cela, Il lui dit : « Vous êtes comme un luth qui ne dit mot si on ne le touche, et qui ne dit que ce qu’on lui fait dire ; c’est la divine Volonté qui vous anime, qui vous fait parler et qui vous fait dire ces choses88. »

Le jardin de l’Amour divin89.



La sœur Marie assure qu’il n’y a rien de si terrible que l’Amour divin et que tout ce que la divine Justice lui a fait souffrir n’est rien en comparaison des tourments que l’Amour divin lui a fait porter : « J’aime, dit-elle, tendrement la divine Justice, car je la trouve douce, belle, agréable. Mais l’Amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais Il frappe bien rudement. Je tremble quand je Le vois. Quand on se plaint à Lui, Il ne fait qu’en rire ; on ne sait où Il va ni où Il mène ; Il se fait suivre à l’aveugle. »

Environ le temps des sortilèges qui durèrent cinq ans90, l’Amour divin que la sœur Marie appelle son père et qui la menait toujours par la main comme un père mène son petit enfant, lui donna un beau jardin tel qu’il est ici décrit : la forme et la figure de ce jardin est un triangle et comme un cœur. Il est environné tout autour d’une haie de grosses et piquantes épines fort hautes et épaisses. La porte est de bois de cèdre dont la serrure et la clé sont d’or. Tout autour de la haie, par dedans, il y a quantité de violettes. Au deçà de la violette, il y a quinze beaux pommiers, cinq de chaque côté, tous chargés de belles pommes, et en si grande abondance qu’il y paraît plus de pommes que de feuilles. Au deçà des pommiers il y a quinze palmiers. Entre tous ces palmiers il y a une vigne attachée à des échalas91 toute chargée de raisins. À un des côtés du jardin, devant la porte, il y a un très beau rosier. À l’autre côté, il y a un olivier chargé d’olives. Au pied de l’olivier une fontaine ou lavoir. Au milieu du jardin il y a un sépulcre dans lequel est un mort : de la tête de ce mort sort un cèdre qui est merveilleusement haut.

Ce jardin s’appelle le jardin de l’Amour divin, parce que c’est lui qui l’a planté par la sœur Marie. Ce cœur dont il porte la figure, c’est son cœur. Les épines représentent les douleurs et les peines qu’elle a souffertes. La violette, c’est le symbole de l’humilité. Les pommiers chargés de pommes signifient les païens qui se convertiront et qui porteront beaucoup plus de fruits après leur conversion que ne font pas les chrétiens. Le raisin de la vigne signifie l’amour et la charité.

Les palmiers, ce sont les prédicateurs qui travaillent à la conversion des âmes, comparés à la palme, parce qu’ils remporteront le victoire sur le péché. Mais pour monter à la palme, c’est-à-dire pour prêcher efficacement, il faut être enivré de l’amour de Dieu et de la charité du prochain : c’est ce qui est signifié par le raisin qui est au pied du palmier.

L’olivier, c’est la miséricorde que Dieu exercera vers les pécheurs. Le lavoir, c’est la pénitence ; le rosier qui paraissait couvert de glace et de neige comme au temps d’hiver, et qui sera tout couvert de roses au temps de la conversion générale, c’est la vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Lesquelles seront comme autant de belles roses qui s’épanouiront lorsque Notre Seigneur manifestera son ouvrage et qui embaumeront tout le monde de leur suave odeur.

Le corps mort qui est dans le sépulcre, c’est la sœur Marie qui est dans un état de mort et d’anéantissement. Le cèdre qui sort de sa tête, c’est la divine Volonté qui est vivante et régnante en elle. La porte, qui est de bois de cèdre et incorruptible, c’est la grâce divine. La serrure, c’est la Charité divine, et la clé c’est l’Amour divin sans lequel on ne peut entrer dans ce jardin.

*

Un jour la sœur Marie étant animée de la charité, s’écria92 : « Ô terre, terre, pourquoi me tiens-tu prisonnière dans ce monde ? » Il lui semblait qu’elle voyait la terre comme le fond de sa main et qui lui semblait comme un cachot.

Après cela on lui répondit : « Le ciel est fermé.

- Je parlerai donc à la terre. »

On répliqua : « Le silence est imposé à la terre. »

« Ensuite je vis la divine Justice qui venait du ciel pour visiter ses fermes en ce monde ici et faire payer ses fermiers de quantité de deniers dont ils lui étaient redevables. Elle était suivie du torrent de l’Ire de Dieu pour submerger tout le monde à cause de ses péchés. Elle avait un glaive, des flèches et un foudre qu’elle portait à la main. Au même temps, je vis la Charité divine qui allait au-devant et qui la pria de venir faire la collation chez elle. Elle y alla, et la Charité enivra la Justice de son vin, si bien qu’elle s’endormit. Pendant qu’elle dormait, la Charité alla aussitôt mettre des bondes à son torrent, afin d’empêcher qu’il ne se débordât pour noyer tout le monde.

Elle prit son glaive et ses flèches et les enivra de sang innocent, les ayant plantés dans le cœur de la sœur Marie. Elle lui arracha aussi le carreau de foudre qu’elle tenait à la main et elle le donna à l’Amour divin qui le bénit et le convertit en un flambeau d’amour. […]

Qu’est-ce que tout cela ? C’est que la divine Justice était prête de perdre tout le monde à cause de ses péchés ; mais la divine Charité lui a fait une collation, qui sont les souffrances de la sœur Marie, du sang de laquelle le glaive et les flèches de la divine Justice ont été enivrés. Le foudre, c’est l’Ire de Dieu que méritent les pécheurs. Le torrent, c’est celui dont il est parlé ailleurs, qui contient sept rivières. Lequel représente les peines et les coulpes tout ensemble, dont les deux bondes seront levées après que Notre Seigneur l’aura béni et converti ainsi qu’il est dit en son lieu, pour inonder toute la terre d’un déluge de grâces et de bénédictions.

Avec la divine Justice93.



En la même année, le 19 octobre, étant aux Complies aux Jacobins dans la chapelle du saint Rosaire, la divine Justice lui vint en mémoire. Elle l’adora et la remercia de toutes les faveurs qu’elle lui avait faites.

« Que demandez-vous ? dit la même Justice.

- Je n’ose rien vous demander de peur de vous déplaire.

- Demandez et vous recevrez.

- Je vous demande une quittance pour quelqu’un qu’elle nomma.

- Oui, dit-elle, je vous la donnerai, mais il faut qu’il lui en coûte quelque chose. »

Elle ajouta : « Disposez-vous, je veux venir demeurer avec vous.

- Vous avez demandé : avec moi ?

- Je veux demeurer avec vous.

- J’aime ceux qui m’aiment, c’est une chose bien rare de m’aimer uniquement et sans crainte. Les bons me craignent et les méchants me haïssent. Disposez-vous.

- Je ne sais aucune disposition.

- Levez-vous, dit la divine Justice, comme une belle aurore qui appelle le soleil»



Le jardin du Saint Sacrement94.



L’an 1645, le douze janvier, Notre Seigneur et Notre Dame étaient dans un jardin […] voyez comme elle le dépeint.

La porte est de fin or pour [montrer], ainsi qu’on lui a expliqué, que ceux qui sont dans le Saint Sacrement sont déifiés ; car on reçoit Notre Seigneur en soi par la communion, mais on est reçu en Lui par la déification, et c’est ce qui est signifié par ce jardin dans lequel entrent ceux qui sont déifiés. Aussi y a-t-il écrit sur la porte : « Il n’entre ici que des rois, c’est-à-dire des personnes revêtues de la royauté et des divines qualités de Jésus par une parfaite transformation et véritable déification. » Près de la porte du jardin il y a une table ronde de jaspe, qui représente le Cœur de Notre Seigneur. Les anges mirent dessus un doublier95 qui représente le cœur de Notre Dame. Sur le doublier, ils mirent un beau pain blanc qui représente la Divinité de Notre Seigneur. Autour du pain, ils mirent trois coupes d’or qui représentent les trois puissances de son âme. Autour des trois coupes, cinq vases de cristal qui représentent les cinq sens intérieurs. Autour des cinq vases, cinq autres de cristal, plein de vin vermeil, qui représentent les cinq sens extérieurs. Aux deux côtés, deux vases de terre blanche pleins de vin blanc, l’un desquels bouillonnait, qui représente l’Irascible, et l’autre le Concupiscible.

Les divins attributs s’assoient à cette table. La divine Justice dit, parlant à Notre Seigneur de la sœur Marie : « Faites approcher cet enfant, et qu’on lui donne son repas. » Mais l’Amour divin dit : « Elle jeûne aujourd’hui. » Et la Volonté divine dit à Notre Dame : « Allez la mener au jardin : on lui donnera demain son repas. » Elle la mena à l’entour du jardin dont la clôture est de rosiers tous chargés de roses rouges et blanches. Le fond du jardin est tout semé de fleurs de toutes sortes et fort odoriférantes. Dans ce jardin il y a sept ceintures d’arbres.

La première est d’un arbre fort haut et droit, les fruits duquel sont gros comme des pains d’un sou, et comme de couleur de pourpre dont le goût et si délicieux que ceux qui en mangent meurent à tout autre goût du ciel et de la terre. Dans ce fruit il y a trois pépins qui se mangent insensiblement avec les fruits, et étant mangés, ils germent dans le cœur, y prennent racine et y fructifient. Ces trois pépins sont la force divine, la grâce divine, la patience divine. Manger ce fruit, c’est désirer ardemment les souffrances. Notre Dame nomme cet arbre l’arbre de vie.

Les quatre ceintures suivantes sont de pommiers dont les pommes sont douces et amères, pâles d’un côté et rouges de l’autre, qui signifient mourir à soi pour vivre à Dieu.

La sixième ceinture est de palmes qui représentent la victoire. Au pied de ces palmes, il y a des vignes chargées de raisins dont on ne fait point de vin mais qui contiennent toutes les délices du paradis, et dont un seul grain est capable de ressusciter les morts. Les raisins représentent les communions.

La septième ceinture est de sept cèdres, lesquels représentent la divine Volonté.

Au milieu du jardin, il y a une belle fontaine dont l’eau représente la Sapience divine, et de cette fontaine partent sept ruisseaux qui sont les sept dons du Saint-Esprit, et chaque ruisseau va donner à chaque cèdre et arrose tout le jardin. A l’entour de la fontaine et des deux portes des ruisseaux, il y a des lys blancs qui représentent la pureté.

Cela n’est point expliqué, mais il est aisé à conjecturer que ce n’est autre chose que l’état de la sœur Marie qui est écrit en tout ce jardin.

*

L’an 1646, le dixième de septembre, comme la sœur Marie était à une messe haute qui se disait devant Notre Dame du Puits, la Sainte Vierge lui dit96 : « Suivez-moi ! » Et à l’instant elle se trouva dans un grand jardin carré, lequel était fermé d’une grande haie d’épines noires. Au-dedans, tout autour du jardin, il y avait une double haie de rosiers chargés de roses. Auprès, il y avait tout alentour un grand bordage97 tout rempli de toutes sortes de belles fleurs bien épanouies et bien odoriférantes. Le fond du jardin était tout d’argent poli. Aux quatre coins, quatre belles fontaines d’eau vive, et au milieu une belle fontaine d’or, laquelle était enchâssée dans de l’or, où il y avait deux grands tuyaux, dont l’un jetait le vin, droit en haut, et l’autre était recourbé en bas, et le vin tombait en plusieurs bassins d’or qui étaient autour de la fontaine.

Les quatre fontaines d’eau vive envoient chacune un ruisseau qui se vont communiquant l’un l’autre en forme de croix, faisant un doux murmure qui compose une musique fort agréable. Puis après s’être communiqués, ils se viennent tous rendre autour de la fontaine du milieu et lui demandent de son vin, et la fontaine libérale abaisse tous ses bassins et verse tout son vin dans ces quatre ruisseaux qui s’en vont ainsi, chargés de vin, à leur fontaine, dans le même ordre qu’ils sont venus, chantant toujours très mélodieusement. Ces quatre fontaines, après avoir reçu ce vin, renvoient derechef leurs ruisseaux d’eau pour demander encore du vin, ce qu’elles continuent toujours de faire, et elles ont chacune un tuyau d’argent par le moyen duquel elles communiquent l’eau et le vin mêlés ensemble à ceux qui sont hors du jardin. […]

Elle vit encore de belles jeunes filles revêtues de toutes sortes de couleurs qui s’en allaient boire à la fontaine de vin, et Notre Seigneur leur disait : « Buvez et vous enivrez, il n’y a point d’excès. » Après cela tous ces personnages disparurent, et Notre Dame aussi, qui les lui avait fait voir, si bien que la sœur Marie demeura toute seule près de la fontaine de vin. Mais Notre Seigneur lui parut derechef, revêtu de blanc avec le jeune homme revêtu de fin lin, et elle vit aussi un personnage revêtu de noir, ayant un voile noir sur la tête, qui passait par devant elle. Elle demanda à Notre Seigneur qui était ce personnage qui passait.

Notre Seigneur répondit : « C’est votre esprit.

- Pourquoi est-il revêtu de noir en ce lieu-ci ? »

Notre Seigneur répondit : « C’est qu’il porte le deuil de ses frères qui sont morts. Il s’en va à son oratoire prier Dieu pour eux. »

Elle lui demanda aussi : « Qui est ce beau jeune homme revêtu de fin lin ?

Notre Seigneur répondit en souriant : « C’est l’honneur. »

Elle répliqua : « L’honneur de notre pays n’est pas fait comme celui-là ; il n’est pas si beau. »

Il répondit : « Il y a autant de différence entre l’honneur du monde et celui-ci, qu’il y a entre le vrai Dieu et les idoles. »

Elle pria Notre Seigneur de lui donner une petite goutte de vin de cette fontaine, et Il la rejeta en souriant et pourtant lui disant : « Retirez-vous d’ici », mais plus elle s’approchait de Lui.

Voici l’explication que Notre Seigneur lui donna de toutes ces choses : le jardin carré représente l’humanité sainte de Notre Seigneur contenue dans le Saint Sacrement de l’autel. Les épines noires qui ferment le jardin représentent les châtiments et les malédictions de ceux qui s’en approchent indignement. Les roses des rosiers représentent l’amour et la charité, et toutes les autres fleurs représentent les autres vertus qui sont renfermées dans le Saint Sacrement.

Le fond du jardin d’argent poli représente la pureté de l’humanité de Notre Seigneur. Les quatre fontaines d’eau vive représentent les quatre plaies des mains et des pieds ; la cinquième, de vin, représente la plaie du cœur. L’eau vive représente les grâces, dons et bénédiction que Notre Seigneur nous a mérités par sa Passion, et le vin représente le grand Amour et la grande Charité de Notre Seigneur. Le tuyau qui est en haut, c’est l’Amour qu’il a pour son Père ; celui qui se recourbe en bas, c’est la Charité qu’il a pour nous.

Les ruisseaux d’eau demandent du vin pour enivrer d’Amour et de Charité ceux qui communient dignement qui sont hors le jardin, c’est-à-dire tous les chrétiens qui ne sont pas dans la déification. […] Les frères de ce personnage vêtu de noir sont les âmes mortes par le péché. L’habit noir représente la peine due à leurs péchés, dont il est chargé. Son oratoire, c’est son corps, et ses prières sont ses souffrances.

Tant plus que Notre Seigneur la rejetait, tant plus elle s’approchait de Lui, ce qui signifie que plus il semble rejeter les âmes qu’il aime, plus il les attire à soi, et plus elles s’approchent de Lui.

L’arbre émondé98.



Un jour la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma grande basse99, travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une faucille, une hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une petite bêche. Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et broussailles. Elle lui bailla la faucille et lui commanda d’essarter100 toutes ces épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées, elle dit à la Sainte Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout ensanglantées. » La Sainte Vierge répartit : « Mon Fils ne m’a jamais demandé de mitaines ». Elle continue, fait la même plainte plusieurs fois et entend la même réponse.

En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu qui jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit : « Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il en sort du sang.

Elle en a frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs fois avec colère : «Frappe, il occupe la terre. » Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. Elle lui commanda d’essarter comme devant, avec les mêmes plaintes et les mêmes réponses, et elle disait ce verset :« Sequar quocumque ierit »101. Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’en haut par le moyen des estocs102 qui y étaient restés après avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer et ne sachant où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle.

Elle se trouva après cela au pied de l’arbre, près de la Sainte Vierge. Cet arbre émondé avait des rejetons de feuilles et elle se servait des estocs comme d’échelons pour monter. Quand au premier arbre, la Sainte Vierge lui bailla l’échelle qu’elle avait apportée, dont les échelons étaient de cordes et les deux côtés de bois, pour monter. Elles passèrent outre, et toujours la Sainte Vierge lui commanda d’essarter. Elles arrivent à un arbre tout sec. La Sainte Vierge lui donna sa hache, et elle, avec sa bêche, commença à fouiller la terre pour découvrir les racines de loin tout autour, et lui commande de couper les racines avec sa hache.

Quand elles furent coupées, la Sainte Vierge donna un coup de pied à l’arbre et le fit tomber, le sommet le premier, en bas, dans un profond abîme qui se trouva là. Elle demanda à la Sainte Vierge ce que voulaient dire toutes ces énigmes ; mais on ne lui a point expliqué. La sœur Marie dit que ce grand arbre signifie le Saint Sacrement, et un grand buisson de ronces qui étendait ses branches extrêmement loin, un grand seigneur très méchant qui avait des intrigues et correspondances fort éloignées.



Les saints au travail103.

On l’a vue plusieurs fois toute enflammée et toute transportée, parler en cette façon : « Oh ! Si la porte du Paradis m’était ouverte, j’y entrerais, non pas pour y jouir de la gloire et pour y demeurer, mais pour en faire sortir tous les apôtres et tous les saints, et pour les faire venir en ce monde afin de s’employer à détruire ce monstre qui est le péché et à sauver les âmes. » […]

Quelque temps après cela, étant à l’Église, elle dit à Notre Seigneur : « Permettez-moi de saluer le Saint Sacrement.

- Oui, dit-il, je vous le permets. » Et au même temps, il ajouta : « Voici mes deux apôtres saint Pierre et saint Paul que vous menacez tant de faire sortir du Paradis.

- Mais aussi, c’est grande pitié, dit-elle, de voir tant d’âmes qui se perdent. Qu’est-ce que tous vos apôtres, vos saints font qu’ils ne viennent nous aider à faire mourir le péché et à sauver les âmes ?

Catherine de Gênes & Gertrude104.



La sœur Marie assure qu’elle a expérimenté en soi beaucoup de conformité avec ce qui est écrit de sainte Catherine de Gênes en sa Vie, excepté qu’il y avait en cette sainte beaucoup d’amour sensible, ce qui n’est point en la sœur Marie. Elle a passé ainsi, dès le commencement, par les plus hauts degrés de la contemplation que sainte Thérèse écrit dans ses livres, ainsi qu’il sera rapporté plus amplement dans le livre suivant. « Sainte Thérèse va doucement et s’avance peu à peu, mais je suis trop précipitée, dit la sœur Marie, je marche à la désespérade (c’est son mot) : témoins ces grands désirs que j’ai eue de l’enfer ».

Sainte Gertrude demande quelquefois des récompenses et des consolations ; cela est insupportable à la sœur Marie.

Mais sainte Catherine de Gênes ne veut rien que ce que Dieu veut, elle ne veut pas même des Indulgences. Demandez-lui comme elle veut être : « Comme je suis, dira-t-elle, et non autrement, parce que Dieu veut que je sois ainsi. » Et voilà ce que la sœur Marie aime. C’est pourquoi elle dit que sainte Catherine de Gênes est sa bonne sœur. Cette sainte haïssait l’amour-propre plus que l’enfer et disait qu’un seul grain d’amour-propre, quoiqu’il n’y en eût pas plus gros qu’un grain de moutarde, serait capable d’empoisonner tout le monde. Elle disait aussi que si une seule goutte d’amour divin tombait dans l’enfer, il le changerait en un Paradis et convertirait tous les diables en des anges.

L’Église et l’état où elle est105.



Un jour, la sœur Marie entendait Notre Seigneur qui disait : « Le soleil s’est éclipsé, la lune s’est couverte d’un voile noir, les étoiles ont perdu leur lumière. » Il dit ensuite que ce soleil dont Il parlait était tous les ecclésiastiques depuis le premier jusqu’au dernier, que la lune signifiait les nobles et les officiers, et que les étoiles représentaient tous ceux qui sont attachés par la foi au ciel de l’Église.

*

Un jour, ayant la messe en la chapelle des vicaires, Notre Seigneur lui parut fort triste et lui dit106 : « Mon épouse est devenue lépreuse. Je lui dis qu’elle s’aille laver sept fois au fleuve du Jourdain et qu’elle deviendra belle et blanche comme un petit enfant. Voici une belle chemise que ma mère m’a donnée, allez [la] lui porter et qu’elle la revête à la sortie de l’eau. »

Ensuite Notre Seigneur lui expliqua ceci en cette façon : son épouse, c’est l’Église ; la lèpre, c’est le péché ; le Jourdain, c’est la pénitence ; elle doit s’y laver sept fois pour y être purgée des sept péchés mortels. La chemise, c’est l’humanité de Notre Seigneur ; elle se revêt de cette chemise à la sortie de l’eau, c’est-à-dire après la pénitence par le don de la grâce méritée par la Passion de Notre Seigneur. Lui porter cette chemise, c’est lui aider à faire pénitence par prières, jeûnes, larmes et souffrances : c’est ce que fait la sœur Marie.

Pour sauver tout le monde107.



- Mais si, pour sauver tout le monde, dit Notre Seigneur, il fallait consentir un péché, ne le feriez-vous point, vous qui avez tant d’amour pour les âmes ?

- Non, dit-elle, quand il faudrait racheter une infinité de mondes.

- Mais si j’étais moi-même dans l’enfer, ne le feriez-vous point, pour m’en retirer ?

- Non, je n’en ferai rien.

- Si à faute de cela Mon humanité devait être anéantie, souffririez-vous qu’elle le fût ?

- Oui, je le souffrirais, plutôt que de contrevenir en la moindre chose du monde à la divine Volonté.

- Mais quoi ! dit Notre Seigneur, s’il y allait de Dieu même, que feriez-vous ?

- Je vous dis, répliqua-t-elle, que, quand par impossibilité Dieu devrait être anéanti, je ne pourrais pas consentir aucun péché, si petit qu’il fût, c’est une chose impossible.

- Ô, dit Notre Seigneur, voilà le « clamans voce magna ». Il ne reste plus que ce mot « expiravit».108

*

Elle a été un temps109 dans un désir extrême de la mort qui faisait qu’elle l’appelait sans cesse : « O mort, ô belle mort, venez, venez, promptement, ô glorieuse mort, ô triomphante mort. » Elle ne savait pourquoi elle avait ce désir, car ce n’était ni par ennui de souffrir, ni par désir d’aller en Paradis. [302] Faisant réflexion là-dessus, elle dit à Notre Seigneur : « Pourquoi est-ce que je désire tant la mort, d’où vient ce désir ?

- C’est moi, dit-Il, qui vous l’ai donné : c’est ma Passion qui désire en vous la mort de tous les péchés, car c’est le fruit de ma Passion qu’ils soient tous détruits et anéantis avec tous les plaisirs, vanités et autres choses qui sont contraires à ma divine Volonté. »

Un jour Notre Seigneur lui ayant demandé ce qu’elle désirait le plus :

« La Vérité », dit-elle.

- « Ce n’est point cela », dit Notre Seigneur.

- « C’est donc vous », dit-elle.

- « Non, ce n’est point moi que vous désirez le plus. » Le lendemain, Il lui dit que ce qu’elle désirait le plus, était l’anéantissement du péché, et elle connut en vérité que cela était ainsi.

Contre l’orgueil110.



Elle a connu une femme qui employait son bien en œuvres de miséricorde, à ensevelir les morts, visiter les malades et à nourrir et assister les pauvres. Elle jeûnait si austèrement qu’elle ne prenait qu’un repas en deux jours, et ce, de pain et d’eau. Elle faisait grand nombre de prières et y employait souvent tout le jour et une grande partie de la nuit. Elle ne portait point de linge. Elle recevait des injures en pleine rue sans aucun ressentiment, et un jour une bien pauvre femme lui bailla un soufflet qu’elle souffrit avec une grande patience.

La sœur Marie pria pour elle et, dans ses prières, on lui fit connaître qu’elle était coupable d’orgueil et en état de perdition, et que le sujet de son orgueil était ses austérités à cause desquelles elle s’estimait beaucoup. Elle demanda pardon pour elle et on lui demanda ce qu’elle voudrait faire pour l’obtenir. Elle se soumit à tout faire pourvu qu’elle lui obtînt la grâce de communier dignement. On la lui accorda à condition que de nuit elle ferait la procession autour la cathédrale à nu-genoux et qu’elle souffrirait tous les mauvais traitements qui lui devaient arriver à cette occasion : ce qu’elle fit et souffrit d’être huée de tout le monde comme quelque loup-garou ou sorcière, parce qu’elle avait la tête enveloppée de peur d’être connue. Elle y fut plus d’une heure.

Ensuite de cela, cette femme ne put plus faire ses austérités accoutumées, particulièrement ses jeûnes de deux jours. Elle jeûna les jeûnes de l’Église, reprit le linge et ne fit plus tant de prières et le tout d’elle-même, parce qu’elle devint infirme et perdit cette dévotion sensible qui lui faisait faire tant de prières. Notre Seigneur lui envoya cette infirmité qui lui ôta le pouvoir de jeûner, afin de lui ôter la vanité et son orgueil. […]

Contre l’amour-propre, la vanité et l’orgueil111.



Notre Seigneur a dit à la sœur Marie que l’amour-propre, la propre excellence et la vanité font de grands dégâts parmi les personnes qui font profession de dévotion et que l’orgueil en damne plusieurs. […]

La vanité ne cherche qu’à empoisonner et faire mourir Notre Seigneur. Elle l’empoisonne, l’affaiblit et le rend malade par les actions qu’elle fait faire à l’âme par esprit de vaine gloire, et elle le fait mourir lorsqu’elle le conduit jusqu’à l’orgueil. Voilà les âmes dans lesquelles Notre Seigneur est vivant et non régnant, car Il est en elles en qualité de pensionnaire seulement et non pas comme maître de la maison. C’est l’amour-propre et la propre excellence qui y dominent et qui en sont les maîtres.

Mais l’âme fidèle prend un grand coutelas qui est la haine de soi-même, et d’un seul coup elle tranche la tête à tous deux, et alors la vanité s’enfuit. Le diable la voulant faire rentrer par une autre porte vient là-dessus et dit à l’âme : « Ô que vous avez bien fait ! » Mais comme elle l’aperçoit, elle le connaît et le chasse promptement en s’humiliant dans le plus profond de son néant, et référant à Dieu tout l’honneur et toute la gloire.

Les âmes dans lesquelles Notre Seigneur est vivant et régnant, ce sont celles qui ne désirent rien en ce monde et en l’autre que de suivre en tout et partout Sa très adorable Volonté, et dans lesquelles l’amour-propre et la propre excellence et la vanité sont anéantis, ou pour le moins tellement affaiblis qu’ils ne dominent pas, mais Notre Seigneur qui est le maître de la maison et qui y règne plus ou moins, selon les divers états de grâce et d’amour qui s’y rencontrent, car où il y a plus d’amour divin et moins d’amour-propre, il y règne plus parfaitement.

Ceux qui font de bonnes actions avec intention non de plaire à Dieu, mais d’accroître leur mérite, ils auront récompenses comme serviteurs. Ceux qui font bien sans espoir de salaire sont comme mes enfants qui auront part à ma gloire, comme qui mettrait une goutte d’eau en la mer aura part à la mer, mais ceux qui se vantent de ce qu’ils n’ont pas fait, Il se vengera d’eux comme ceux qui dérobent l’eau de la mer.

Une femme fort éplorée112.



L’an 1646, le samedi de Pâques, on lui fit voir une femme fort éplorée et affligée. Elle fit ce qu’elle put pour se détourner de cette vue, mais il lui fut impossible. Elle vit donc cette femme qui avait la mamelle droite extrêmement enflée et enflammée, laquelle elle regardait en pleurant amèrement et disant qu’elle lui causait une grande douleur.

La sœur Marie demanda à Notre Dame d’où venait cette enflure et cette inflammation qui faisait souffrir tant de douleurs à cette femme. «C’est, dit-elle, qu’elle a la mamelle pleine de sang. » Alors Notre Dame prit une grande feuille verte, la bailla à la même femme et lui dit : «Prenez cette feuille et la mettez sur votre mamelle, elle en ôtera l’inflammation et la douleur et en fera sortir le sang, et quand elle sera vide de sang, je la remplirai de lait. » Cette femme ayant mis cette feuille sur son sein, Notre Dame la lui enveloppa d’un beau linge blanc.

Ensuite de cela, la sœur Marie demanda à Notre Dame quelle était cette femme. « C’est l’Église », dit-elle.

« Qu’est-ce que la mamelle de l’Église ?

- Ce sont tous les ordres religieux qui sont dans l’Église. Au temps qu’ils étaient unis ensemble par l’amour et la charité et qu’ils n’étaient qu’un cœur et une âme, ils remplissaient la mamelle de l’Église de lait, ce qui signifie le bon exemple qu’ils donnaient en ce temps-là par la sainteté de leur vie, et l’Église en allaitait les pécheurs et les attirait à pénitence et dévotion. Mais maintenant, ajouta Notre Dame, ô malheur ! Une harpie est entrée dans tous les Ordres qui leur ôte le pain de la main et de la bouche et les fait languir de faim, et la plus grande partie en sont morts. Cet harpie est l’envie qu’ils ont les uns contre les autres, laquelle leur ôte l’amour et la charité qui sont le vrai pain de vie qu’elle leur arrache de la bouche et de la main, en leur ôtant de la bouche et de la main les paroles et les actions de charité qu’ils devraient dire et faire les uns au regard des autres, et elle y met à la place la haine et l’animosité, et c’est le sang dont cette mamelle est remplie. »

Le sucre de monsieur de Bernières113.



Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut, il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter ; mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué ; mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint point.

Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. »

Le monde114.



Un jour Notre Seigneur fit voir à la sœur Marie un arbre qui était au milieu d’une belle plaine herbue et verdoyante. Il était fort haut et s’élevait en pointe. Au bas il était fort touffu et étendu. Les feuilles en étaient parfaitement belles, mais au derrière il y avait un hameçon caché et toutes les feuilles tremblaient. Cet arbre, c’est le monde, les feuilles sont les voluptés différentes dont le diable se sert pour accrocher les âmes. Elles sont tremblantes parce qu’elles sont honteuses. Ce fut Notre Seigneur qui donna cette explication.

En l’année 1644, elle disait souvent : « Hélas ! Où sommes-nous ? Nous sommes dans un désert où on ne voit personne, où on n’entend que des bêtes qui hurlent. » On lui fit entendre que ce désert, c’est le monde parce que l’on n’y voit plus que fort peu d’hommes et qu’il n’est presque plus habité que de bêtes, c’est-à-dire de personnes qui mènent une vie brutale.

Mon esprit s’en est allé au néant115.



L’an 1653, le 29 juillet, la sœur Marie, étant animée extraordinairement, parla en cette sorte : « C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé la divine Volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination. C’est une vérité véritable, de laquelle il m’est impossible de douter. Il y a quelque temps que Notre Seigneur m’avait dit qu’Il me donnerait un baiser de Sa divinité, et Il m’a dit depuis que ce grand amour de mon esprit au regard de Sa divine Volonté est le baiser de Sa divinité. Aujourd’hui Il me disait : « Si votre esprit revenait, le voudriez-vous point ?

- Non !

- Pourquoi cela ?

- Parce que je ne le puis aimer.

- Pourquoi cela ?

- Parce que je ne veux aimer que Dieu seul. Quand j’aurais l’amour de tous les séraphins, de tous les saints et de toutes les créatures, je n’en voudrais pas donner la moindre étincelle à mon esprit.

- Mais si je vous commandais de l’aimer ?

- Vous ferez ce qu’il Vous plaira, mais il m’est impossible de donner à une créature l’amour qui n’est dû qu’au Créateur, et je sais bien que vous ne commandez jamais des choses impossibles.

- Mais si Je disais que Je veux votre esprit et que Je ne vous veux pas si vous ne voulez le recevoir et l’aimer, et qu’ainsi il faut que vous vous en alliez au néant si vous ne voulez pas l’aimer ?

- Je vous dirai que j’aimerais mieux aller au néant que de lui donner la moindre étincelle de l’amour que je dois à Dieu seul. Je veux bien vivre avec lui pour le servir et lui obéir, et non pas pour l’aimer, si ce n’est en la manière que j’aime les saints et que j’aime toutes les bonnes choses, mais non pas de l’amour duquel je dois aimer Dieu. C’est un amour déiforme qui n’appartient qu’à Dieu seul. Il n’y a que Dieu seul qui le puisse donner et par une très pure bonté : car cet amour ne se peut mériter par aucune bonne œuvre ni souffrance quelles qu’elles soient, quand elle égalerait celles de l’enfer, voire même quand une personne souffrirait tous les tourments que toutes les créatures qui ont été, sont et seront, pourraient endurer, elle ne pourrait jamais le mériter. Il n’appartient qu’à Dieu seul, car il n’est pas permis d’aimer de cet amour-là ni les anges, ni les saints, ni la Sainte Vierge, ni même Notre Seigneur en tant qu’homme, ni aucune chose créée quelle qu’elle puisse être.

Je l’appelle un amour déiforme parce qu’il est marqué du caractère de Dieu. Il porte les signes et les sceaux de Dieu, et ces sceaux sont les divins attributs dont ils portent l’impression, afin qu’on sache qu’il n’appartient qu’à Dieu et à ses divins attributs. Cet amour est dans les sens, et néanmoins il n’est point sensible : c’est un des effets de mon beau verset qui m’a été donné depuis un si long temps et qui ne m’a été donné que pour mes sens. Ce sont ces belles démarches de la divine Sapience dans ma chair et dans mon sang que j’ai vues il y a si longtemps et desquelles j’étais bien assurée qu’il était impossible qu’un autre que la Sapience éternelle en peut faire de semblables. Elle a fait ces démarches dans ma chair et dans mon sang, lorsqu’elle en a pris possession. C’est elle qui a mis cet amour déiforme dans mes sens et qui les marque de ses signes et de ses sceaux. C’est ce baiser de l’humanité de Notre Seigneur qu’Il avait promis de donner à mes sens, car c’est ainsi que les sens aiment la Divinité. C’est la plus haute disposition qu’ils puissent avoir pour se préparer au mariage divin qui se doit faire entre les sens de Notre Seigneur et eux. Je n’eusse jamais cru que les sens eussent été capables de choses si grandes. Aussi ils sont tout honteux et tout tremblants de voir qu’on les veuille élever à une chose si grande, et s’en excusent et disent qu’ils n’aspirent pas là, qu’ils ne demandent pas cela, qu’ils ne le désirent [340v] pas. Mais Dieu fait ce qui Lui plaît. Ce sont ici des vérités véritables dont je porte une impression si forte qu’il m’est impossible d’en douter ni de parler autrement. »

La sœur Marie a dit toutes ces choses en la façon qu’elles sont ici écrites.

*

Notre Seigneur lui a fait connaître la différence entre celui qui agit par amour propre et celui qui agit pour l’amour de Dieu116, c’est-à-dire qui ne désire autre chose que de Lui plaire et Le suivre en tout et partout Sa divine volonté. Celui-là ressemble à un voyageur qui, dans un chemin beau et droit, court promptement et se dépouille tout nu pour aller plus vite ; et celui qui agit par intérêt, ressemble à un homme qui marche dans un dédale et qui avec cela se charge de tout ce qu’il rencontre qui lui peut être utile en toutes les occasions qui s’offrent. Il ne regarde pas ce qui est plus agréable à Dieu, mais ce qui lui sera plus utile et plus méritoire. Tous les chemins lui sont bons pourvu qu’il y ait à gagner pour lui. Un tel homme avance fort peu et travaille beaucoup. Ceux qui marchent par le premier chemin sont vrais enfants de Dieu. Ceux qui marchent par le second sont des serviteurs à gages.

Dévotion sensible & sécheresse117.



Le 17 novembre 1645, Notre Seigneur lui ordonna de dire un rosaire. Ce qu’elle fit. Quand elle l’eut dit, Il revint et lui dit : « Vous n’avez point de dévotion.

- Non, dit-elle, car vous ne m’en avez pas donné. »

- Ensuite de cela, Il lui dit : « Je veux vous faire voir la différence qu’il y a entre deux âmes dont l’une prie avec dévotion sensible, l’autre avec sécheresse, par cette similitude. Représentez-vous deux peintres auxquels un roi a ordonné de remettre en couleur deux siennes images que lui-même avait peintes, mais elles avaient été salies, gâtées et décolorées. Il leur a donné à tous deux de l’eau qui est nécessaire pour les décrasser ; il leur donne aussi à chacun une pièce d’or pour acheter des couleurs nécessaires, et à chacun un pinceau pour les appliquer. Mais il y a entre eux cette différence, que leur roi loge l’un de ces peintres dans son palais, le fait manger à sa table et l’honore souvent de sa présence pendant qu’il travaille, et lui donne la consolation de son entretien. L’autre peintre travaille tout seul en son logis au cœur de l’hiver et dans la rigueur du froid. Ils font également bien l’un et l’autre. Lequel est-ce des deux qui mérite plus de récompense ? Sans doute c’est le dernier. »

Les images sont les âmes souillées du péché. L’eau, c’est la contrition. La pièce d’or, c’est le franc arbitre. « Ô la belle pièce d’or », disait Notre Seigneur. Les couleurs sont la vraie foi, la vraie espérance et les autres vertus. Le pinceau, c’est la grâce. Le premier des deux peintres, c’est celui qui en bien faisant a une dévotion sensible, le second est celui qui travaille avec sécheresse. Lequel est-ce des deux qui plaît davantage à Dieu ? C’est le second. Mais malheur à celui qui jette le pinceau et qui laisse fouler au pied l’image du grand roi !

Contemplation118.



Auparavant qu’elle vînt à Coutances, elle ne savait pas lire, mais lorsqu’elle y fut, on lui apprit à lire. En ce temps-là, Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui s’appelle la Règle de la Perfection, qui est divisé en trois parties119. La troisième partie traite de la plus haute contemplation et les deux premiers enseignent les moyens dont on peut se servir pour y arriver.

Lorsqu’elle eut ce livre, elle ne savait que lire très imparfaitement, en épelant et en hésitant. Néanmoins lorsqu’elle vint à l’ouvrir, elle lisait tout courant et sans broncher dans la troisième partie, et qui plus est, elle l’entendait fort bien. Mais elle ne pouvait lire dans les deux autres, d’autant qu’elle n’en avait que faire, Dieu ne l’ayant point fait passer par ce chemin-là pour la conduire à la perfection où elle était arrivée et qui était décrite dans cette troisième partie.

*

Un jour qu’elle était dans l’église environnée d’enfants qui faisaient du bruit et qu’elle s’en plaignait, Notre Seigneur lui dit120 : « Allez-vous en à la porte du chœur, là où tout le monde passe : Je vous y parlerai avec autant de tranquillité que si vous étiez dans une profonde solitude. » Elle y alla et quoiqu’elle fût environnée, poussée, pressée et heurtée de tous côtés, Notre Seigneur lui parla, et elle L’entendit avec autant de paix que si elle avait été ravie, pour donner à entendre qu’avec l’aide de Dieu on peut être recueilli en tout lieu et en tout temps, et que sans lui tous nos efforts sont vains.

*

Étant allée un jour à Notre Seigneur pour lui demander quelque chose, Il lui dit121 : « Retirez-vous », c’est-à-dire, détournez votre esprit de cela. Elle s’en va.

Il la rappelle, disant : « Venez ici : J’ai un mot à vous dire. »

Elle revient : « Eh bien ! Que demandez-vous? Voulez-vous que je vous donne la méditation ?

- Nenni, dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.

- Voulez-vous la contemplation ?

- Non.

- Quoi donc ?

- Je demande la connaissance de la Vérité !

- Savez-vous bien à qui vous ressemblez ? A un pèlerin ou voyageur qui est tellement lassé qu’il ne peut faire un pas qu’il ne demeure sur la place, tellement altéré qu’il est prêt de mourir de soif si on ne lui donne à boire, tellement affamé que la faim lui va étouffer le cœur si on ne lui donne à manger. Cependant voici venir quelqu’un qui lui dit : « Mon ami, voulez-vous voir un beau jardin qui est ici proche ? Vous y verriez de belles allées, de belles salles vertes et des parterres tout pleins de fleurs dont la vue et l’odeur sont bien agréables.

- Hélas ! dirait-il, ce n’est pas ce qu’il me faut à moi, qui ne fais qu’attendre le repos, le repas ou la mort.

- Mais je ne sais ce que c’est que tout cela, dit la sœur Marie, qu’est-ce que c’est que cette méditation et cette contemplation ?

- La méditation, c’est la considération des oeuvres de Dieu et de ses Mystères représentés par les allées et salles vertes du jardin. La contemplation est représentée par le parterre plein de fleurs. Et il y en a de trois sortes. La première est la spéculation des divins attributs que l’entendement présente à la volonté, laquelle se porte à les aimer ardemment ; mais celle-ci est fort périlleuse car souvent l’amour-propre et la vanité s’y mêlent : la vanité flatte les contemplatifs et leur fait croire qu’ils sont bien plus saints que les autres, et lorsqu’il se présente quelque occasion de faire ou de souffrir quelque chose de grand pour Dieu, l’amour-propre leur fournit des raisons fort subtiles pour s’en excuser, comme : « Je perdrais ma réputation », ou : « Je ne crois pas que ce soit la volonté de Dieu que je fasse cela », et autres semblables défaites.

« La deuxième contemplation est beaucoup meilleure, plus sûre, plus parfaite et plus agréable à Dieu. Celle-ci consiste à regarder toujours la divine Volonté pour la suivre partout, à l’exemple du Fils de Dieu qui a très parfaitement accompli en toutes choses la Volonté de son Père, sur lequel il faut souvent jeter les yeux, considérant comme Il a suivi la divine Volonté en la pratique de toutes les vertus et en toutes ses pensées, paroles et actions, afin de l’imiter en cela. Il n’y a jamais de péril en cette contemplation. La première a un plus beau visage, mais celle-ci est plus noble, plus riche et plus parfaite.

« La troisième contemplation, c’est lorsque la propre volonté est entièrement anéantie et transformée en la divine Volonté.

*

L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation ; ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour122.

Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est pourquoi, lorsqu’ils lui parlaient de cela, au commencement elle leur disait que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu après Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions, pour éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour parler pertinemment sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités et les effets, pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les moyens de les éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.

« Cette voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie que Dieu vous a donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu de personnes qui y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.

« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.

« Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente : celle des croix est bien plus noble et plus royale, parce que c’est celle par laquelle le Roi des rois a marché. Il est vrai que celle-là est toute couverte de fleurs, et celle-ci d’épines, mais celle-ci est bien plus courte que celle-là. »

[…]

La sœur Marie, ayant dit ces choses et plusieurs autres aux personnes susdites et ayant répondu et satisfait suffisamment à toutes leurs propositions durant 15 jours, comme ils voulaient continuer à lui parler sur le même sujet, elle leur dit : « La porte est fermée, je n’entends plus rien à tout ce que vous me dites.

« Et en effet, dit-elle, il me semblait qu’ils me parlaient un langage étranger. Je n’y entendais plus rien et n’y voyais plus goutte, parce que la lumière qu’on m’avait donnée pour leur parler, s’était entièrement retirée. »

Le jardin des contemplatifs123.



Un jour124, la sœur Marie se sentant fort pressée de la faim qui n’était pas naturelle, elle s’en va à sa mère la Sainte Vierge pour la prier de lui donner quelque chose à manger. Elle la voit venir qui lui apporte une branche de cerises qu’elle met sur la table. C’était une figure de plusieurs personnes de piété qu’elle lui devait bientôt amener. La sœur Marie lui demande : «D’où venez-vous ?

- Je viens, dit-elle, de mon beau jardin.

- Où est-il ? , dit la sœur Marie.

- Il est au terroir d’Eden, répond Notre Dame.

- Je voudrais bien y aller, ajouta la sœur Marie.

- Venez, répartit la Sainte Vierge, je vous y ferai entrer.

Ayant dit cela, elle marche devant, la sœur Marie la suit. Elles arrivèrent à la porte que la Sainte Vierge ouvrit, puis entre la première et la sœur Marie après elle. Étant entrée, elle le contemple, et voici ensuite comment comme elle le décrit :

« Il y a des cerisiers et des pruniers chargés de prunes et de cerises. Au-delà des cerisiers et pruniers sur le bord du jardin, il y a une haie d’épines, de ronces et broussailles, et au-dehors rien que ténèbres et horreurs. Au pied des pruniers et cerisiers, il y a quantité de framboises. Au-deçà des pruniers et des cerisiers, il y a une grande allée qui environne le jardin et qui est toute couverte de violettes. Dans le jardin, il y a trois autres allées couvertes semblablement de violettes, mais de violettes doubles, qui sont bien plus doubles et odoriférantes que celle de l’allée qui est tout autour du jardin. Il y a un pommier chargé de belles pommes. Il y a aussi plusieurs parterres dans lesquels il y a des carreaux de toutes sortes de fleurs, comme de roses, de lys, d’œillets et autres semblables.

Les divins Attributs se promènent dans le jardin de cette façon. La Justice et la Miséricorde se promènent ensemble dans une allée. Dans une autre allée la Toute- Puissance et la Divine Volonté ; et l’Amour divin avec la Charité divine dans une autre. Et tous ces divins Attributs prennent un grand contentement à marcher sur les violettes dont les trois allées qui sont dans le jardin sont toutes couvertes, et à mesure qu’ils les foulent de leurs pieds sacrés, elles se rehaussent et deviennent plus belles et plus odoriférantes qu’auparavant.

« Notre Seigneur et Notre Dame se promènent ensemble dans l’allée qui environne le jardin, la Sainte Vierge étant appuyée sur le bras de son Fils, et tous deux cheminent avec des démarches si belles et si agréables que cela ne se peut exprimer, et s’en vont chantant : « Fulci me floribus quia amore langueo125 » et disant aux cerises : « Engraissez-vous et mûrissez afin que nous vous mangions et convertissions en notre substance. » Les divins Attributs jettent aussi plusieurs regards sur les cerises et sur les prunes. » 

« Le jardinier de ce jardin, c’est la Sapience Éternelle qui a trois travaillants pour lui aider, à savoir : la Force, la Grâce et la Patience divine. La Force divine fouit et remue la terre pour la disposer à recevoir la semence. La Grâce divine la sème et la Patience l’engraisse, la herse et couvre la semence. »

Voilà la forme et la figure de ce jardin, dont l’explication ne fut point donnée aussitôt mais quelque temps après. Notre Seigneur la donna en cette façon qui n’est point la principale mais la littérale, et dit qu’il y en avait bien d’autres plus relevées qu’Il n’a point dites. Ce jardin est le jardin de Notre Seigneur et de Notre Dame et le jardin des Contemplatifs. Il est situé au terroir d’Eden, c’est-à-dire dans une terre grasse et fertile, proche d’un autre jardin qui s’appelle le Paradis terrestre ainsi qu’il sera dit à la fin.

La branche de cerises que la Sainte Vierge apporta, représente le père E[udes] et ses frères qui ont été amenés ici par elle et qui furent tirés alors du cerisier pour passer au prunier, c’est-à-dire, qui furent confirmés en grâce, car les cerises sont les figures des bons chrétiens qui commencent à entrer à la perfection.

La chair de la cerise représente le corps qui est extrêmement fragile et facile à corrompre. Le noyau signifie l’âme qui est plus forte à résister aux tentations. Lorsqu’ils quittent le monde, ils montent au cerisier et Notre Seigneur leur aide à monter. La cerise a une petite aigreur qui la rend plus agréable au goût, ce que marque la peine que les bons chrétiens ressentent en quittant le monde auquel ils étaient attachés, ce qui les rend d’autant plus agréables à Dieu qu’ils ressentent davantage de peine à y renoncer pour l’amour de Lui.

Pendant qu’ils demeurent dans le cerisier, ils sont comme dans le noviciat de la vie chrétienne, mais pour faire profession, ils passent dans le prunier et deviennent prunes, c’est-à-dire, ils sont profès dans la vie et perfection chrétienne et sont confirmés en grâce, ce qui est signifié en ce que les prunes sont beaucoup plus fortes et plus fermes que les cerises. Ceux qui passent des cerisiers aux pruniers commencent à entrer dans la transformation et lorsqu’ils sont bien mûrs, Notre Seigneur et Notre Dame les mangent et les convertissent en leur substance, et ainsi ils entrent dans la déification, n’ayant plus qu’un esprit, qu’un cœur, qu’une volonté avec Dieu et étant revêtus des qualités et perfections de Dieu.

Les framboises sont les petites [actions] faites pour Dieu avec bonne intention, desquelles Notre Seigneur et Notre Dame se repaissent. Aussi les épines et les ténèbres qui sont hors le jardin sont les méchants qui sont en péché mortel.

Les trois allées qui sont dans jardin sont les trois puissances de l’âme de Notre Seigneur et de Notre Dame. La violette, c’est leur humilité dont ils sont remplis.

L’allée qui environne le jardin et qui est comme l’extérieur du jardin représente les sens intérieurs et extérieurs du Fils de Dieu et de sa sainte Mère. La violette n’est pas ici si belle comme dans les trois allées parce que ce qu’on a de l’extérieur de l’humilité de Notre Seigneur et de Notre Dame, était beaucoup moindre que ce qui était dans leur intérieur.

L’allée dans laquelle la divine Justice et la divine Miséricorde se promènent, c’est la mémoire, d’autant que la Justice et la Miséricorde comprennent toutes les œuvres de Dieu et que la mémoire les doit aussi contenir et conserver. La Toute-Puissance divine et la Volonté divine se promènent dans une autre allée qui signifie l’entendement, car c’est le propre de l’entendement de contempler les choses grandes et hautes comme sont la Toute- Puissance et la Volonté divine. L’allée dans laquelle l’Amour divin et la Charité sont, c’est la volonté, parce que c’est le propre de la volonté d’aimer. […]

Le soin du prochain126.



Un pauvre homme de Coutances se rompit le col en descendant la montée de sa maison et mourut à la place sans recevoir aucun sacrement. La sœur Marie l’ayant su, elle s’en alla prier Dieu pour lui ; et Il lui fit connaître qu’il était sauvé parce qu’Il approuvait les bonnes actions. Et en effet s’en étant informée de ses voisins quelle était sa vie, ils lui dirent que c’était un bon simple homme qui prenait plaisir à voir faire des actes de dévotion à ses voisins et qui disait ordinairement : « Dieu leur fasse la grâce de faire prière qui Lui soit agréable. » Sur quoi Notre Seigneur dit à la sœur Marie que cela était cause de son salut et que ceux qui se réjouissent de voir les autres faire des actions de vertu et qui les approuvent, participent au fruit de leurs bonnes œuvres.

*

Notre Seigneur a aussi fait connaître qu’une pauvre fille de Coutances nommée la Bouffonne, et qui avait été vilaine et ivrognesse, serait sauvée pour avoir assisté une petite orpheline de cinq à six ans que des religieux avaient fait enlever de devant leur porte croyant qu’elle avait la peste, et il lui fut dit que ceux-là avaient refusé une belle robe rouge et l’avaient laissée prendre à cette pauvre fille par cet acte de charité qu’elle avait pratiqué.

*

Lorsqu’elle était en enfer127, dans un intervalle de huit jours, elle vit l’Amour divin qui était caché derrière un rideau, d’où il lui fit voir un doigt seulement avec lequel il lui montra un nombre innombrable d’âmes telles qu’elles sont quand elles sortent de la main de Dieu avant que de tomber dans le péché originel, et elle les voyait ornées d’une si grande et admirable beauté que tous les hommes de la terre ne sont point capables de la comprendre ni de l’exprimer. « Ô, disait-elle alors, je ne m’étonne pas si Dieu est descendu du ciel pour racheter de si belles créatures ! » Elle eût voulu et elle demandait à Dieu de souffrir toutes les peines d’enfer jusqu’au jour du Jugement et au-delà pour empêcher qu’une seule de ces âmes ne tombât dans le péché originel, - à quoi on ne répondit mot, - tant elle était enivrée de cette beauté : elle lui semblait si ravissante qu’à peine pouvait-elle croire, par manière de dire, que la beauté même de Dieu fût plus grande.

Cette vision était seulement intellectuelle et elle dura huit jours sans interruption, durant lesquels elle disait : « Ô beauté incompréhensible des âmes, ô admirable beauté ! Tout ce qu’il y a de beau et d’éclatant dans toutes les créatures n’est que ténèbres et laideur en comparaison. Ô quelle est cette beauté ? Est-elle comme celle du soleil et des étoiles ? Non, ce n’est rien dire que cela ! Qu’est-ce donc ? Je n’en sais rien, car elle est si merveilleuse qu’il n’y a point de paroles ni de comparaisons capables d’en exprimer la moindre partie» , et cette vision lui est une vérité infaillible et dont elle ne peut douter.

*

Un jour128, se plaignant à Notre Seigneur de ce qu’elle avait extrêmement faim de souffrir pour Son amour et pour le salut des âmes, Il lui dit qu’Il lui voulait faire une collation. Au même temps elle vit une table couverte de mets très délicieux, Notre Seigneur étant assis d’un côté et la Sainte Vierge au bout. Il lui dit : « Mettez-vous de l’autre côté vis-à-vis de moi.

- Non, dit-elle, je ne m’y mettrai point.

- Pourquoi ? répondit Notre Seigneur.

- C’est que je ne veux pas qu’il y ait rien entre Vous et moi, je veux être auprès de Vous.

- Il n’y a que la table entre nous deux, dit le Fils de Dieu.

- Je le sais bien, répliqua-t-elle, et ce que c’est que Votre table. Ce sont des consolations, mais je n’en veux point, je n’en veux pas. Je Vous aime uniquement et tout seul, et non point Vos douceurs et Vos délices ; car quand Vous n’auriez que les peines d’enfer à me donner, je Vous aimerais mieux seul avec les peines que cent mille paradis sans Vous.

- Le moyen donc de faire, ajouta Jésus-Christ, si vous ne voulez pas vous mettre en cette place, car il n’y en a point d’autre. Voulez-vous que Je fasse lever ma sainte Mère pour vous mettre à sa place ?

- Non, dit la sœur Marie.

- Voulez-vous être au-dessus de moi ?

- Non.

- Quoi donc ? dit Notre Seigneur.

- Je sais bien ce que je ferai, dit la sœur Marie, je me mettrai sous la table à vos pieds et aux pieds de ma Mère, et je les embrasserai et les mettrai dans mon sein. » Ce qu’elle fit aussitôt.

Alors Notre Seigneur dit : « Je jure par moi-même que vous ne serez point là. » Ce qui marque l’anéantissement qui fait que l’on n’est point, mais que c’est Notre Seigneur qui est tout.

Au même temps, elle se retira, disant toujours : « Je ne me mettrai point vis-à-vis de Vous, mais je sais bien où je me placerai, j’irai derrière Vous.» Ayant dit cela, elle s’en alla derrière Lui. Ensuite elle entendit qu’être derrière Notre Seigneur, c’est être en enfer, qui était ce qu’elle désirait, d’autant que la divine Volonté l’y appelait, et qu’elle aimait mieux être en enfer avec la divine Volonté que d’être proche de Notre Seigneur avec toutes les consolations représentées par la table ; comme aussi qu’embrasser Ses pieds et ceux de Sa sainte Mère et les mettre en son sein, signifiait qu’elle avait mis en son cœur les affections et les désirs, représentés par les pieds, que Lui et sa sainte Mère ont pour le salut des âmes.

*

Un jour étant dans l’Église des Jacobins129, en la chapelle du Saint Rosaire, elle commença à dire par un mouvement extraordinaire, parlant à Notre Seigneur : « Ô que me donnerez-vous, mon Époux ? Ô que me donnerez-vous ?

- Et qu’avez-vous trouvé, mon épouse, qui soit à moi ? » répondit le Fils de Dieu.

Là-dessus, elle demeura muette, ne sachant que dire. Elle s’en va à la Sainte Vierge lui dire ce que son Epoux lui avait dit et qu’elle ne savait que lui répartir.

« Ma fille, dit la Sainte Vierge, dites-Lui que vous avez trouvé sa couronne.

- Et où l’avez-vous trouvée ? » répliqua le Fils de Dieu. Ne sachant encore que répondre, elle eut recours à sa mère qui lui dit : « Dites-lui que vous l’avez trouvée dans la mer.

- Ma mère, je ne lui dirai point cela.

- Dites-lui donc que vous l’avez trouvée dans l’abîme et dans la mer.

- Je ne dirais point encore cela.

- Allez, répartit la Sainte Vierge, dites-lui que vous l’avez trouvé dans la mer, dans l’abîme et dans le néant.

- Il est vrai, dit le Fils de Dieu, je l’y avais perdue.»

Sa charité130.



- Elle est bien savante, dit Notre Seigneur. Mais voici une troisième question qui est plus difficile que les autres. Lorsqu’un homme a promis à une femme de l’épouser, s’il en veut épouser une autre, il fait un présent à la première et si elle le quitte volontairement, il est libre d’épouser l’autre. Il est vrai que Je vous ai promis de vous épouser, mais si vous me voulez quitter volontairement, Je vous ferai un présent. Or Je vous demande ce que vous aimez le mieux, de moi ou de mon présent ?

- Quel est ce présent ? dit la sœur Marie.

- C’est une flèche empoisonnée, dit Notre Seigneur, pour faire mourir le péché, et une grâce efficace par laquelle vous pouvez convertir autant d’âmes que vous voudrez.

- C’est ce que je veux, répliqua-t-elle, et cela étant, je les convertirai toutes.

*

Un homme et une femme ayant été surpris en adultère131, et tout le monde et même les prêtres s’étant assemblés pour les voir passer, comme on les menait en prison, pour se moquer d’eux au lieu d’en avoir compassion et d’être devant le Saint Sacrement prier Dieu pour leur salut, la sœur Marie vint à passer par là et voyant cela, elle fut saisie d’un mouvement extraordinaire de charité et s’en alla à l’église prier Notre Seigneur qu’Il leur pardonnât et Lui protester qu’elle ne partirait point de là qu’Il ne l’eût assurée de leur salut, ce qu’Il fit.

Partages132.



Un jour, après la sainte communion, durant le temps des sortilèges, se trouvant tout enivrée de l’Amour divin et de consolations célestes, elle commença à dire à Notre Seigneur par un mouvement extraordinaire : « Attendez, je vous prie, j’ai peur de m’en faire accroire et de m’attribuer ce qui ne m’appartient pas. Faisons des partages afin que chacun sache ce qui est à lui et ne s’approprie rien et ne dérobe rien du bien d’autrui. Prenez ce qui est à vous et me donnez ce qui est à moi

- Oui-dà, dit le Fils de Dieu, Je m’en vais vous donner ce qui vous appartient. Vous avez trois partages. Le premier est le néant duquel vous êtes tirée. Le second, c’est le péché car de vous-même et comme fille d’Adam, vous êtes capable de toutes sortes de péchés et même vous n’êtes rien que péché. Le troisième est l’Ire de Dieu et les peines éternelles qui sont dûes aux péchés que vous auriez commis, si Dieu ne vous en eût préservée. Voilà ce qui est à vous. Tout le reste est à moi, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de bon en la nature, en la grâce, en la gloire, m’appartient. »

Depuis cela, quand Notre Seigneur lui dit : « Vous êtes ceci, Je vous donnerai telle ou telle grâce, Je vous ferai telle ou telle faveur », elle lui répond aussitôt : « Attendez, je vous en prie ; je m’en vais un peu voir mes partages. Mon premier partage est le néant, le second est le péché, le troisième est l’Ire de Dieu et les peines éternelles. Au reste je suis l’ouvrage de vos mains : l’ouvrier qui a fait un ouvrage ou le peintre qui a fait un tableau, le peut embellir, orner et enrichir comme bon lui semble. Aussi vous ferez de votre ouvrage tout ce qu’il vous plaira. À vous seul en sera la gloire. Pour moi, je proteste en la face du ciel et de la terre que je n’ai rien de quoi je me puisse glorifier, sinon le néant, le péché, l’Ire de Dieu et les peines éternelles. »

La violette133.



Un jour, elle vit le Roi se promener dans ses parterres et qui marchait sur des violettes très belles et très odoriférantes, entre lesquelles s’étant baissé, il en prit une et la mit dans son sein. Ce que voyant [402v] plusieurs lys, roses et autres belles et grandes fleurs, elles s’en scandalisèrent, disant que si le roi avait à cueillir quelques fleurs, ce devait être des leurs qui étaient plus grandes et plus belles. L’œillet qui voyait tout ce qui se passait, disait que le Roi était le maître de son jardin et qu’il était libre de faire de ces fleurs tout ce qu’il lui plairait.

Contre l’honneur134.



Elle a une haine inconcevable contre l’honneur. Un jour Notre Seigneur lui disait : «Vous haïssez beaucoup l’honneur. Je vous veux accorder ensemble.

- Non, dit-elle, je ne veux point d’accord avec lui.

- Mais l’honneur, répartit le Fils de Dieu, est mon homme de chambre qui m’accompagne partout et je ne veux pas qu’il y ait de haine entre mes domestiques. Je désire vous réconcilier ensemble.

- Point du tout, dit-elle, je ne veux jamais de réconciliation avec l’honneur. »

Notre Seigneur lui parla ainsi afin que par ses réponses l’on connaisse ses dispositions.

Un religieux de grande vertu ayant écrit à la sœur Marie une lettre dans laquelle il se plaignait de la propre excellence et estime de soi-même, la priant de demander à Dieu qu’Il le gardât de cette tentation, comme elle eut entendu la lecture de cette lettre, elle dit à Notre Seigneur : « Mais que veut dire que ces grands personnages se plaignent de leur propre excellence ? Ceux qui enseignent les autres ne savent-ils pas bien qu’ils ne sont rien ?

- Oui, lui répondit-il, ils savent bien cela, et me réfèrent les grâces qu’ils ont reçues de moi. Mais néanmoins chacun d’eux pense ainsi en soi-même : « Encore suis-je l’instrument de Dieu et un instrument libre qui pourrait résister. » Et par ces pensées, ils prennent quelque complaisance en eux-mêmes et en l’honneur qu’on leur fait, et de leur dire qu’il faut fouler l’honneur aux pieds et l’avoir en horreur, c’est comme qui dirait à un homme qu’il essuyât ses souliers avec de la soie, car les honneurs et applaudissements sont doux comme de la soie, de laquelle ils ne peuvent pas facilement se persuader qu’il faille toucher ses souliers.

- Je vous assure, disait-elle là-dessus, que je ne voudrais pas toucher mes souliers de l’honneur, car pour faire cela, il y faudrait toucher avec mes mains. Mais j’y voudrais sauter avec mes pieds pour l’écraser comme un serpent.

Se revêtir du soleil135.



L’an 1646, le 26 février, Notre Seigneur parla ainsi à la sœur Marie : « Oh ! Qu’heureuse est l’âme qui se dépouille des ténèbres pour se revêtir du soleil !

- Qu’est-ce, dit-elle, se dépouiller des ténèbres et se revêtir du soleil ?

- C’est sortir de son ignorance et entrer en la connaissance de Dieu. De la connaissance de Dieu procède une lumière par laquelle l’âme se connaît soi-même : plus elle connaît Dieu, plus elle L’aime, et plus elle se connaît soi-même, plus elle se hait.

*

Un certain ayant prié la sœur Marie de lui obtenir trois vertus, elle s’adressa à Notre Seigneur pour les lui demander. Voici ce que Notre Seigneur lui répondit : « Quelqu’un passant par devant un fruitier demanda au jardinier du fruit de trois arbres de son jardin. Le jardinier lui en donna. Mais n’eût-il pas mieux fait de demander la clef de ce jardin pour prendre de tous les fruits du fruitier à son appétit et pour en manger à son aise ? » Le fruitier sont toutes les vertus. Ne demander du fruit que de trois arbres, c’est ne demander que trois vertus. Il vaut mieux aller au jardinier qui est Jésus-Christ et lui demander la clef du fruitier, qui est la vraie connaissance de soi-même. Celui qui l’a, possède toutes les vertus.

Humilité136.



En une autre occasion, Il lui dit encore : «Voulez-vous savoir ce que vous faites et de quoi vous servez à Mon oeuvre ? Vous y servez autant qu’un petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette, va pousser au bout avec une petite buchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau dans la charrette, et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils avaient crainte de le blesser. »

« La vraie et parfaite humilité […] tient à sa main droite un grand miroir et à sa main gauche des balances. Quand elle est assise à la contemplation, elle voit dans ce miroir que Dieu est tout et qu’elle n’est rien. Quand elle est debout en action, elle tient ses balances où il y a écrit dans les deux bassins : « Celui qui s’exalte humilie Dieu, celui qui s’abaisse exalte Dieu. »

De la perfection137.



Notre Seigneur dit un jour à la sœur Marie que dans le chemin de la perfection, il y a un grand nombre de degrés à monter pour y arriver ; qu’elle consiste à se dépouiller de soi-même et entrer en son néant, que le néant est la maison des parfaits ; qu’appeler quelqu’un à la perfection, c’est lui aider à se dépouiller et à s’anéantir et qu’il y a peu de gens qui y arrivent, parce que la plus grande partie meurt en chemin.

L’an 1645, le 14 janvier, Notre Seigneur lui dit : « J’ai un anneau au doigt qui me blesse, je le jetterai au feu. » Il lui dit que cela s’entendait de tous les ordres religieux de l’un et l’autre sexe qui doivent être purifiés dans le feu de la tribulation. Ensuite il dit d’une voix fort élevée : « O ma Couronne ! Les pierres précieuses s’en désunissent et détachent ! » Puis il ajouta que Sa couronne était Sa divinité et que les pierres précieuses sont certaines âmes choisies qui s’unissent à Lui par une droite intention : premièrement, de ne regarder que Dieu seul en toutes leurs actions ; deuxièmement, de n’aimer que Dieu seul ; troisièmement, de ne désirer que Lui seul. Et qui dans cette union se cimentent lorsque, se regardant elles-mêmes, premièrement elles se haïssent, deuxièmement elles se dépouillent, troisièmement elles s’anéantissent. Et dans ces six choses : premièrement ne regarder, deuxièmement n’aimer, troisièmement ne désirer que Dieu, quatrièmement se haïr, cinquièmement se dépouiller, sixièmement s’anéantir, consiste l’abrégé de la perfection par laquelle les âmes se transforment en Dieu et se déifient. Or les susdites pierres précieuses se désunissent et se détachent de ladite couronne lorsqu’elles aiment quelque chose avec Dieu.

*

En la même année 1645, le 29 janvier, Notre Seigneur lui dit encore138 : « J’ai donné cette médecine à mes apôtres et à mes meilleurs amis. Elle est composée de trois ingrédients : donner, recevoir et demander. Donner à Dieu sa vie humaine et recevoir Sa vie divine, laquelle on reçoit à mesure qu’on lui donne la sienne. À mesure que l’homme meurt à soi-même, c’est-à-dire à son esprit, à sa volonté, à ses passions et à ses sentiments, il vit de Mon esprit, de Ma volonté, de Mes passions, de Mes sentiments. Et quand il est tout à fait mort à soi-même et à la vie humaine, il ne vit plus que de Dieu et il n’y a plus rien en lui que de divin ; et quand cela est, il se présente à Dieu ayant en soi Ma vie et tous Mes mérites, et lui demande hardiment le salut du prochain et tout ce qui est nécessaire pour le procurer. Voilà le plus court chemin de la perfection. »

*

Dans le chemin de la perfection, dit la sœur Marie, il y a autant de différence entre ceux qui cheminent, comme il y a entre ceux qui ont la qualité de nobles, car comme il y a des gentilshommes fort pauvres et d’autres fort riches, ainsi y en a-t-il dans le chemin de la perfection qui ont peu de richesses spirituelles et il y en a qui en ont beaucoup.

Mais il y a cette différence entre ceux qui tendent à la perfection et les gentilshommes qu’entre ceux-ci il y a des comtes et des barons, des marquis, des ducs et très peu de rois, car il est impossible que tous soient rois. Mais tous ceux qui tendent à la perfection peuvent devenir rois, car à mesure qu’ils perdent leur vie, ils vivent de la vie de Dieu et quand ils sont tout à fait morts à eux-mêmes, ils ne vivent plus que de la vie de Dieu et pour lors ils sont rois.

Quatre degrés d’union139.



Le premier est de ceux qui sont tantôt en grâce, tantôt en péché. Ce sont des serviteurs qui vont et viennent, c’est-à-dire qui quittent leur maître après l’avoir servi un temps. Puis étant revenus, ils s’en retournent derechef et demeurent toujours ainsi dans cette inconstance. Cela s’appelle non pas union, mais comme union, quasi-union.

Le deuxième qui s’appelle union est de ceux qui sont en grâce et qui ne retournent point au péché, figurés par des serviteurs qui se donnent à leur maître pour toujours, mais pour le servir en ministres communs et ordinaires.

Le troisième qui se nomme transformation est pour les plus avancés, c’est pour les domestiques du Roi qui approchent sa personne de plus près et qui participent à la dignité royale représentée par l’eau mêlée avec le vin, laquelle participe beaucoup aux qualités du vin, mais qui n’est pas encore changée entièrement en vin, elle ne s’en peut plus séparer.

Le quatrième qui s’appelle déification, est pour les âmes parfaites. Elle est représentée par le changement entier de l’eau en vin. C’est le lit qui n’en peut plus tenir qu’un ; ce sont les épouses du roi qui entrent dans sa couche royale et qui ne sont qu’un avec lui : « Qui adhaeret Deo bonus sponsus est. » Dans la transformation, l’âme n’est pas encore détruite, elle s’y trouve encore. Dans la déification, tout est anéanti : il n’y a plus que Dieu.

*

L’an 1647, la sœur Marie entendit une voix qui criait en elle140 : « Audience, audience, ô grande mer d’Amour. C’est une petite goutte de rosée qui demande d’être absorbée dans vos ondes, afin de s’y perdre et de ne se retrouver jamais. » Cette voix cria ainsi presque trois jours durant continuellement.

La sœur Marie demanda : « Quelle est cette voix?

- C’est la voix, dit Notre Seigneur, d’une âme qui est arrivée à la perfection, laquelle est dépouillée d’elle-même et de tout ce qui n’est point Dieu, et qui est revêtue et embrasée d’Amour et de Charité, et qui crie par les grands désirs qu’elle a d’être tout à fait transformée et déifiée ; mais Je la laisse dans ce divin feu, afin de la purifier encore davantage. »

La goutte de rosée montre combien l’âme, pour sainte et parfaite qu’elle puisse être, est petite au regard de la mer immense de la Divinité ; et ce que Dieu la laisse encore dans ce feu nonobstant la grande pureté qu’elle a déjà, - qui est signifiée par la rosée, - donne à entendre combien il faut que l’âme soit pure pour être entièrement transformée en Dieu et purifiée.













Conseils141



Cette Servante de Dieu étant consultée par un Serviteur de Dieu, elle lui dit d’avoir courage, qu’il n’est point arrivé, mais qu’il est en chemin ; qu’il faut laisser aller les personnes qui ont des lumières et des beaux sentiments, que ce n’est point là sa voie. Elle l’a connu par son discours, c’est le tout pur rayon142. Il faut bien se donner de garde de ruiner son corps. Il y a peu d’âmes arrivées au divin rayon ; quelquefois l’union est couverte de cendre par les actions extérieures et autres choses : ce n’est rien, on n’est point désuni pour cela. Que c’est une chose rude aux pauvres sentiments de tirer de leur opération naturelle et de passer en Dieu.

*

Elle a dit qu’elle ne peut rien faire ni penser, sinon demeurer dans sa maison qui est le néant. Il lui prend des désirs de connaître la vérité, mais elle est mise en sa maison : elle ne saurait prier, ni rien faire que comme on le veut. Les Dames, qui sont le mépris et la souffrance, etc., préparent la maison pour l’anéantissement, et elles ne s’en vont pas : quoi qu’il soit fait, elles demeurent comme en Notre Seigneur Jésus-Christ.

*

Elle m’a dit quantité de fois : « Vous voilà en beau chemin, Dieu vous y conduise. Que voilà un beau chemin ! Que Dieu est bon ! » Elle m’a dit que l’anéantissement est très long ordinairement, et que bien souvent on ne sait où on est ; et que l’on n’a pas moins pour cela : au contraire l’incertitude et les peines font bien avancer ; enfin c’est une grande grâce que l’anéantissement.

Les sécheresses sont dans les sens, et Dieu est dans le fond qui est immobile, et ne se retire pas. Et comme Dieu ne se retire pas du commun, que par le péché mortel, aussi ne se retire-t-il pas quand il a donné le don, et les obscurités n’empêchent pas que Dieu n’y soit, et par conséquent que l’oraison n’y soit : Dieu, par le don d’anéantissement, se donne, mais peu à peu il croît en l’âme dans l’anéantissement […] La vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il y a rien.

Il lui fut dit que la chambre du Roi était l’humilité, et que la fenêtre par où venait la lumière divine dans la chambre, était la connaissance de soi-même. Nous avons parlé du pur amour, et que l’âme qui aime, a tout […] Plus on s’anéantit, plus on se transforme ; et il n’y a qu’à laisser Dieu faire.

*

Elle ne peut ni prier ni rien faire ni penser, sinon comme on lui fait faire : il faut qu’elle demeure dans son néant, et qu’elle souffre tout. Elle approuve que l’âme aille très souvent dans ce néant : l’âme n’y a rien et fait l’oraison dans son néant et son rien. Nous avons eu grande joie ensemble, en parlant de cet état. C’est un lait dont Dieu repaît notre âme, c’est un bonheur inestimable ; mais il ne faut pas vouloir y faire entrer les autres. Car comme c’est une opération de Dieu, si Dieu ne les y appelait, Il n’y opérerait pas, et par conséquent on serait inutile.

*

La sœur Marie nous a assuré derechef que notre foi est de Dieu, que c’est un don et un grand don, et rare ; peu de personne marchent en ce chemin. Elle l’appelle voie miraculeuse, l’âme y expérimente les excès du divin Amour. […] Que les âmes sont mal instruites de croire perdre leur union dans l’état obscur et nu, c’est au contraire où elle s’augmente.

*

Au commencement, Jésus-Christ se communique dans les sens, et puis dans le fond, où il réside spirituellement, et le pur esprit de l’homme demeure caché en lui, les sens n’apercevant pas cette demeure de Dieu, et ne recevant aucune communication sensible : on les enferme dans la maison du Néant, où ils vivent dans une désolation et sécheresse extrême. […] Il est aisé de remarquer quand une âme y est arrivé : elle est contente de son Néant, il lui est toutes choses, et sa nourriture est de Dieu seul qui prend et plaisir et goût singulier de l’instruire de cet état ; enfin Jésus-Christ se manifeste à elle. Quand une âme s’aperçoit qu’elle est arrivée à Dieu, elle devient extrêmement humble car les grands dons de Dieu humilient grandement ; et comme en cet état on le connaît beaucoup, on se connaît aussi beaucoup soi-même.

*

Comme je lui ai parlé de mon changement d’état pour le prochain, elle m’a dit que c’est que mon état intérieur se retire vers le saint et pur Esprit, et qu’au contraire les sens s’épanouissent vers le prochain ; ce que j’ai vu être très véritable. […] Dieu donne à l’âme dans cet état un désir et une faim au commencement de le trouver, et ensuite de se perdre et consommer en lui, qui ne se perd et éteint jamais ; et plus elle va, plus elle croît, et c’est la goutte d’eau qui lui fut montrée, désirant se perdre dans l’océan ; et Dieu cependant la fait souffrir et désirer davantage, afin de la faire plus perdre et abîmer. Elle dit qu’il n’y a rien qui soit capable d’éteindre ni d’adoucir les désirs qui sont en cet état, que la possession de la chose : quand vous convertiriez tout le monde, et feriez toutes les belles choses, si vous ne venez à posséder, ce n’est pas une paille dans un incendie.

NOTE SUR LE PRÉSENT TEXTE

Jean Eudes rencontre Marie des Vallées en 1641. Elle a entamé la paisible et dernière partie de sa vie. Le visiteur relate en détails les révélations de la « voyante de Coutances » dans sa Vie admirable en 10 livres rédigée en 1655. Le « manuscrit de Québec », intitulé La vie admirable de Marie des Vallées et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle… est une copie de cette première relation perdue. Il n’a jamais été édité par crainte de voir la réputation de son rédacteur mise en cause. Quelques extraits utilisés par des biographes modernes satisfont surtout une curiosité envers l’étrange, ce qui a fait méconnaître la grandeur de la mystique. Ils sont abondants au seul début d’un manuscrit par ailleurs difficile à déchiffrer. D’autres sources existent dont le manuscrit Renty 3177 de la Mazarine, intitulé Admirable conduite de Dieu, l’Abrégé rédigé en 1653 par le P. Eudes, etc. L’étude comparative entre toutes les sources reste à faire. Nous éditerons prochainement le « manuscrit de Québec » complet.

Nous adjoignons en fin du présent volume de brefs extraits des « Conseils d’une grande servante de Dieu ». Ils figurent en annexe du vol. II du Directeur mystique préparés par madame Guyon et édités en 1726.









xxxxx est le volume … de la collection

Les Carnets Spirituels.

Il a été achevé d’imprimer

à Mesnil-sur-l’Estrée

en …… 200..

pour le compte des Éditions Arfuyen.















Imprimé en France

ISBN : 2-908825-…..

EAN : 978 2 908825…..

ISSN 1627-7538

Dépôt légal : avril 2009

1 Julien Green, Oeuvres complètes, IV, Pléiade, 20, journal rédigé à la lecture d’Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d'après des textes inédits, Paris, 1926.

2 Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, 103).

3 J.-J. Surin, Correspondance, Desclée de B., 1966. Dans ses précieuses notices, M. de Certeau décrit comment Surin tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun - et ce qui s’ensuivit. L’analyse comparée de deux figures si différentes (homme-femme ; intellectuel-servante), malades de la folie de leur époque, devrait permettre de trier le grain spirituel de l’ivraie d’origine psychologique.

4 Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe du vol. II., 407-430.

5 « Où est votre cœur ? - Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un - Je m’en vais vous le faire voir … Voilà votre cœur - Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre. » A rapprocher du dialogue soufi : « Le croyant n’a plus d’âme, car elle a disparu - Et où s’en est-elle allée ? - Elle est partie lors du pacte conclu avec Dieu… », (Sulamî, La lucidité implacable, Arlea, 1991, 75).

6 Vie admirable, Livre 1, citations des chapitres 3 et 5.

7 DS 16.207, art. « Marie des Vallées » (Milcent). – Voir aussi : Gaston de Renty, Correspondance, Desclée de Brouwer, 1978, 926.

8 Le côté excessif des possessions et du désespoir a-t-il été exagéré dans les comptes-rendus de témoins crédules ? C’est notre hypothèse.

9 Vie admirable, Livre 2, Chap. 4.

10 Vie admirable, Livre 9, Chap. 6.

11 « La vie admirable de Marie des Vallées, et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle », manuscrit conservé aux Archives Eudistes à Paris.

12 Livre 1, « Contenant ce qui s’est passé en elle jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans », Chapitre 3, « Ce qu’elle fit quand elle eut connaissance qu’elle était possédée des malins esprits. »

13 De par l’autorité de ses exorcistes ?

14 Chapitre 8, « L’état misérable des sorciers. »

15 tranchées : coliques (Trévoux).

16 Livre 2, « Les désirs extrêmes qu’elle a eus de souffrir, et tout ce qui concerne l’enfer dans lequel elle a été », Chapitre 2, « Elle désire ardemment et demande avec instance les tourments de l’enfer afin d’en garantir les sorciers : elle y descend et y est condamnée à souffrir les supplices qu’ils méritent ».


17 Le 4 juillet 1616. L’un d’entre eux était Pierre Le Potier, vicaire de la cathédrale de Coutances très proche de la sœur Marie.

18 Le 18 novembre 1616.

19 Comme dans l’Enfer de Dante.

20 Chapitre 3, «  Les peines de l’esprit. L’Ire de Dieu. »

21 Ps. 89, 11 : « Mais qui connaît assez l’effet de ta colère, / Ou qui l’appréhendant autant qu’elle est sévère / N’a peur de t’irriter ? » (Adaptation par le poète Desportes, 213) – Ce dernier était fort apprécié de la sœur Marie.

22 ordes bêtes : bêtes sauvages.

23 Sa grande période de purification.

24 Chapitre 5, « De plusieurs autres choses qui lui arrivèrent pendant qu’elle était en enfer ».


25 en temps : ici-bas.

26 Chapitre 6, « Description de l’enfer et comme la sœur Marie en sortit. »


27 Livre 3, Qui contient ce qui concerne le mal de douze ans et qui fait voir comme elle a porté les péchés d’autrui et un grand nombre de diverses sortes de souffrances. Chapitre 1, Figures et prédictions du mal de douze ans. Il est figuré par une coupe pleine de feu et de soufre. Elle est appelée à souffrir ce mal de douze ans. Section 1. Le mal de douze ans est figuré par une couche et une fournaise ardente.


28 quant et quant :

29 déparager :

30 Chapitre 3, « Son esprit a des désirs très ardents d’entrer dans le mal de douze ans… »

31 Psaume 2, 9 : « Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier tu les mettras en pièces. »

32 Chapitre 4.

33 Chapitre 7, « Elle est chargée des péchés de tout le monde. Elle en porte les sentiments, la malédiction et la punition : c’est l’Amour divin qui l’en a chargée, dont Notre Seigneur lui donnera l’absolution. »


34 mouron : « espèce de salamandre ou de lézard jaune tacheté, qui pique de sa queue. Il s’en trouve en Normandie. » (Trévoux)

35 Mt 26, 37 : … Il commença à ressentir tristesse et angoisse.

36 Chapitre 8, « Elle est privée de toute consolation et ne croit point aux choses qui se passent en elle, et n’en parle que par contrainte : les sens font des conférences. »


37 Section 1. « Le plus grand don que Notre Seigneur lui a fait est de lui avoir donné le désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance. »

38 Livre 4, « Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. » Chapitre 1, « De son innocence, de sa pureté virginale, de son martyre. »


39 Chapitre 2.

40 Chapitre 4. L’état de perfection où est arrivée la sœur Marie est le plus haut degré du dénuement intérieur. De sa conformité avec Notre Seigneur. Section I. Elle est attachée à la queue de cheval de Notre Seigneur qui est son amour divin, afin qu’elle le suive partout. Elle est crucifiée avec lui.

41 Chapitre 6. Notre Seigneur est toujours en son cœur et il y est régnant comme dans son palais royal.


42 Chapitre 8. Qu’elle est morte et anéantie et que Notre Seigneur est tout en elle. Deuxième paragraphe : Section 2. Comme son esprit, sa mémoire, son entendement, sa volonté, ses passions, ses sens et sa raison s’en sont allés au néant.


43 Section 4. Autre anéantissement qui s’appelle l’expiravit de l’esprit, lequel ensuite épouse la divine Volonté.


44 Section 5. L’expiravit des sens.


45 Chapitre 9. Son beau verset. Section 2. Son beau verset lui est représenté par une pierre précieuse enchâssée dans une bague. – Le « verset » : voir les sections « Le Chancelier d’or » et « Les excès ».


46 verset :

47 Chapitre 10. Plusieurs autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage. Section 2. Il y a un grand feu caché sous la cendre.


48 Chapitre 10, Section 5. Elle est représentée par un ver de terre.

49 Section 6. Trois oiseaux : un paon, un aigle et une colombe qui représentent le parfait usage qu’elle a fait des trois puissances de son âme.


50 Section 8. La sœur Marie est un bouquet composé de toutes sortes de maux. Elle est un chandelier d’or avec un encensoir.

51 « Voici que je fais toutes choses nouvelles » ; « La vérité du Seigneur demeure éternellement » ; « La volonté de Dieu fait tout ce qu’elle veut ».

52 Le pape élu le 15 septembre 1644.

53 Ps. 84, 11-12 : Desportes, 201.

54 Ps. 72, 7. Desportes, 170.


55 Section 9. Par trois encensoirs on fait voir comment elle est associée avec Notre Seigneur et la Sainte Vierge dans l’œuvre du salut des âmes.

56 Section 10. Ce qui se fait en elle est l’oeuvre de l’Amour divin et des excès de la Charité divine.

57 excès : le chemin direct des « épines, des ronces et des chardons ». Voir ci-dessous la section « Les excès ». 

58 Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin qu’il a fait garder à la sœur Marie.


59 Section 12. Les grands chemins abondent en froment et les campagnes sont stériles. On lui donne et elle donne un grain de raisin. Dieu est tout en elle et n’est que son habit dont Il est revêtu.


60 Section 14. Son état est représenté par ces paroles : Terribilis est locus iste. Non est hic aliud nisi domus Dei et porta coeli [ch. 28, v. 17 de l’Introït de la messe de la Dédicace].

61 Ce lieu est redoutable, il n’est rien d’autre que la maison de Dieu et la porte du Ciel.

62 Section 17. La sœur Marie est une étable aux pourceaux, la maison du soleil, le château de Jésus et sa couche nuptiale, etc.


63 Section 18. Salle carrée qui est la figure de la sœur Marie et des fruits que Dieu en tirera.

64 Section 19. Belle description de la sœur Marie.

65 Voir plus haut, la section « Le chancelier d’or ».

66 Section 20. Elle voit Notre Seigneur crucifié et couvert de plaies, qui est le modèle de l’état où elle est. Elle n’a qu’un même cœur avec Notre Seigneur et Sa sainte mère.

67 Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’oeuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie. Chapitre 2. La vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Section 4. Les aveugles font le procès au soleil. Le procès d’entre les sens de la sœur Marie et quelques particuliers.

68 Chapitre 5. Abrégé des états principaux par lesquels la sœur Marie a passé.

69 comme s’il invitait à passer.

70 Chapitre 6. Ce qui se passe en elle sera manifesté en son temps. Section 5. Notre Seigneur lui promet de lui faire connaître la vérité et à tout le monde. Confirmation de la vérité.

71 Section 6. Elle est suspendue entre le ciel et la terre. Elle enfante la joie.

72 Chapitre 7. La fin de cet oeuvre. Le changement et la fin viendront quand elle y pensera le moins. Section 1. Elle va au-devant de son époux par la voie des excès. Il L’attend caché dans une sente pour la surprendre en passant.

73 Mon époux est fidèle et vrai dans toutes ses promesses.

74 Chapitre 8. La destruction des péchés est la fin de cet œuvre. La divine Volonté marchera à la tête de l’armée.

75 Section 2. Le feu de la haine du péché dont elle est embrasée pour l’anéantir. David a tué Goliath, Judith, Holopherne. Esther a délivré son peuple et Aman a été pendu.

76 Section 4. L’amour divin commande à toutes les vertus de lever chacune une armée pour combattre et pour tuer le péché.

77 Chapitre 10. La conversion générale. Vœux et prières pour la conversion générale. Section 2. Trois femmes dont l’une est morte, l’autre se tue, et la troisième est crucifiée.

78 pochette diminutif de poche ; on dit poche pour transporter des grains, pochette pour en marquer la contenance (Trevoux).

79 Section 9. Elle est une flèche empoisonnée. Elle fait un message aux éléments.

80 échapper : éviter

81 Section 12. Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont disposés à faire miséricorde à toutes les âmes et la leur faire de grands dons.

82 faufiler : mettre un faux fil pour préparer une couture.

83 du verbe rager. Forme correcte au XVIIe siècle.

84 Chapitre 2. L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc. – Marie des Vallées estimait beaucoup Benoit de Canfield, auteur de La Règle de Perfection … réduite à ce seul point de la Volonté de Dieu.

85 Livre 6, Chap . 1, Sect. 1. Elle regarde et suit en toutes choses la divine Volonté. Les créatures nous montrent cette leçon : elle doit être suivie au préjudice de la raison.

86 Section 2. Deux manières de donner sa volonté à Dieu. Il donne la sienne à ceux qui lui donnent la leur comme il faut.

87 Section 4. Elle est animée de la divine Volonté. Estriveries [querelles] qui font voir que la divine Volonté est régnante en elle.

88 De même M. Bertot dira : « …mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. » (Directeur Mystique, t. 2, lettre 6, p. 26).

89 Chapitre 4. L’Amour divin est rigoureux et terrible.

90 Section 1. Le jardin de l’Amour divin.


91 Echalas : bâton de longueur variable auquel on attache un cep.

92 Section 2. La Charité divine fait une collation à la divine Justice, l’enivre de son vin, met des bondes à son torrent et lui arrache des mains son couteau, ses flèches et ses foudres.

93 Chapitre 6. De la divine Justice. Section 2. Son grand amour envers la divine Justice.

94 Chapitre 12. Du très Saint Sacrement de l’autel. Comme elle le salue. Elle y trouve tous les saints. Section 1. Le paradis terrestre qui est le Saint Sacrement de l’autel.

95 Doublier : grande nappe qu’on devait replier pour la mettre sur la table.

96 Section 2. Autre jardin du Saint Sacrement.

97 Bordage : ce qui borde une chose, ici bordure.

98 Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante. Chapitre 1. La dévotion que la sœur Marie a eue pour la Sainte Vierge et qu’elle est la main de Dieu. Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.

99 Basse : servante (dictionnaire normand). Grande basse : servante principale.

100 Essarter : débroussailler.

101 Allusion à Mt 8, 19 : « Maître, je vous suivrai où que vous alliez. »

102 Estocs :

103 Chapitre 4. Ce qu’il faut faire pour honorer les reliques des saints. Elle les va saluer au Ciel. Section I. Les saints viendront pour détruire le péché.

104 Chapitre 5. De quelques saints en particulier. De saint Joseph, saint Joachim, sainte Anne, saint Pierre, saint Paul, saint Étienne, sainte Catherine de Gênes, de Ste Thérèse et de sainte Gertrude.

105 Chapitre 6. De l’Église et de l’état où elle est.

106 Section III. Vœux pour l’Église et pour les prêtres. Elle sera saignée. On la fait baigner au fleuve du Jourdain.

107 Livre 8 contenant plusieurs choses contre le péché en général et plusieurs péchés en particulier. Chapitre 1. La laideur du péché et la haine que la sœur Marie lui porte, et la cause.

108 ? Mt 27, 50 : « Mais Jésus, jetant un grand cri […] rendit l’esprit. »

109Section 2. Désir extrême qu’elle a de la mort du péché. Les hommes attirent l’Ire de Dieu par leurs péchés. Le péché est notre frère aîné.

110 Chapitre 2. Contre l’orgueil. Exemples de quelques personnes orgueilleuses.

111Chapitre 4. Contre l’amour-propre, la propre excellence, la vanité et l’orgueil.

112 Chapitre 7. Contre l’envie, les contestations et les moqueries.

113 Chapitre 8. Contre la gourmandise, ivrognerie et friandise.

114 Chapitre 11. Contre le monde…


115 Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes. Chapitre 3. De l’amour de Dieu. Colloque entre Notre Seigneur et la sœur Marie, qui fait voir le grand amour qu’elle lui porte. Section 1. Elle aime Dieu purement et ne veut point de récompense. Son amour déiforme au regard de Dieu.

116 Section 2. On ne peut rien faire pour l’amour de Dieu quand on n’a pas l’amour de Dieu en soi. Différence de ceux qui agissent par amour de Dieu et de ceux qui agissent par amour propre.

117 Chapitre 4. De la dévotion. En quoi elle consiste et quelle a été celle de Notre Seigneur sur la terre. Section 1. Différence des âmes qui sont dans la dévotion sensible d’avec celles qui sont dans les sécheresses. Le démon donne quelquefois des consolations. Trois maux dans la dévotion et leurs remèdes.


118 Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement aux plus hauts degrés de la contemplation.

119 Benoît de Canfield, Reigle de perfection…, 1609 ; 1982 (édition complète par Orcibal), P.U.F. ; 2009 (troisième partie seule, Arfuyen)

120 Section 1. La manière avec laquelle Notre Seigneur lui parle et comme elle connaît la vérité des choses qui lui sont proposées.

121 Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.

122 M. de Bernières, M. de Renty, M. Bertot, saint Jean Eudes et d’autres familiers de l’Ermitage.

123 Chapitre 7. Le jardin des contemplatifs.

124 Le 10 janvier 1645.

125 Cant. 2, 5 : Soutenez-moi avec des fleurs, parce que je languis d’amour.

126 Chapitre 9. Elle aime son prochain plus que soi-même. Combien la condescendance est agréable à Dieu. Un homme est sauvé pour approuver le bien. Une fille sauvée pour un acte de charité.

127 Chapitre 11. De sa charité vers les âmes et du zèle de leur salut. La sœur Marie voit la beauté des âmes et est embrasée de zèle pour leur salut.

128 Section 1. Son amour pur vers Dieu et son affection pour les âmes.

129 Section 2 : Elle trouve la couronne de Notre Seigneur qui sont les âmes, dans la mer, dans l’abîme et dans le néant.

130 Section 3. Sa charité vers les âmes. Elles sont son cœur et elle n’a que des excès d’amour vers elles.

131 Section 6. Elle a grande compassion des pécheurs…

132 Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles. Chapitre 1. De l’humilité de la sœur Marie. Section 1. Les trois partages des enfants d’Adam qui contiennent une belle instruction sur la connaissance de soi-même.

133 Section 7. Notre Seigneur cache dans son sein la petite violette qui est la sœur Marie.

134 Chapitre 2. De la haine extrême qu’elle a contre l’honneur.

135 Chapitre 3. De plusieurs autres choses qui montrent l’humilité, en quoi elle consiste et qu’elle a une infinité de degrés. Section 1. L’humilité comprend deux choses : la connaissance de Dieu et de soi-même - et c’est le plus court chemin pour arriver à la perfection. Qui a l’humilité a toutes les vertus.

136 Section 3. L’humilité et la crainte soutiennent la fragilité.

137 Chapitre 9. De la perfection. En quoi elle consiste. Son abrégé.


138 Section 1. Le plus court chemin de la perfection. La grande différence qu’il y a entre ceux qui marchent par ce chemin.

139 Chapitre 10. Communion, union, transformation et déification.

140 Section 1. La goutte de rosée qui demande de se perdre dans la mer de la Divinité.

141 Les « Conseils d’une grande Servante de Dieu » figurent à la fin du tome II du Directeur mystique, publié près d’Amsterdam en 1726 par le cercle de Pierre Poiret. Il s’agit de brèves notes rendant compte d’une visite à « sœur Marie » dont étaient coutumiers des membres de l’Ermitage.

142 Le pur miel mystique.

209